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1 Communication pour les neuvièmes journées d’histoire de la comptabilité et du management Jeudi 20 et Vendredi 21 mars 2003 CREFIGE - UNIVERSITE PARIS-DAUPHINE AVEC LE SOUTIEN DE L’ASSOCIATION FRANCOPHONE DE COMPTABILITE STABILITE ET EVOLUTION DU CADRE CONCEPTUEL EN GOUVERNANCE D'ENTREPRISE : UN ESSAI DE SYNTHESE Céline CHATELIN Maître de conférences, IAE d'Orléans LOG, LATEC FARGO UMR 5118 Dijon Rue de Blois BP 67 39 – 45067 Orléans Cedex 02 Email : [email protected] Site personnel : http://perso.wanadoo.fr/celine.chatelin Stéphane TRÉBUCQ Maître de conférences, Université Montesquieu Bordeaux IV-CRECCI 29 rue de la Cape, rés.Biarritz Apt F/28 33200 Bordeaux tél:05 56 02 64 61, fax: 05 56 37 00 25 email : [email protected] Février 2003 Résumé : Nous proposons d’examiner la stabilité et l'évolution du cadre conceptuel de la gouvernance. Il s'agit, dans un premier temps, d'exposer la remarquable stabilité des thèmes de fond abordés et la permanence de problèmes sous-jacents. On peut cependant relever, dans un deuxième temps, une évolution sensible des approches théoriques et pratiques de la gouvernance. Mots clés : gouvernance, partenaires, création de valeur, répartition, institutions, paradigme, cadre conceptuel Abstract : We try to provide an approach of the stability and the evolution of the corporate governance framework. We first expose the remarkable stability of themes and the permanence of underlying problems. It is then possible to present some evolutions in the corporate governance framework, and some change within its theoretical foundations or practices. Keywords : governance, stakeholders, value creation, allocation, institutions, paradigm, conceptual framework

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Communication pour les neuvièmes journées d’histoire de la comptabilité et du management

Jeudi 20 et Vendredi 21 mars 2003 CREFIGE - UNIVERSITE PARIS-DAUPHINE

AVEC LE SOUTIEN DE L’ASSOCIATION FRANCOPHONE DE COMPTABILITE

STABILITE ET EVOLUTION

DU CADRE CONCEPTUEL EN GOUVERNANCE D'ENTREPRISE :

UN ESSAI DE SYNTHESE

Céline CHATELIN Maître de conférences, IAE d'Orléans LOG, LATEC FARGO UMR 5118 Dijon

Rue de Blois BP 67 39 – 45067 Orléans Cedex 02 Email : [email protected]

Site personnel : http://perso.wanadoo.fr/celine.chatelin

Stéphane TRÉBUCQ Maître de conférences, Université Montesquieu Bordeaux IV-CRECCI

29 rue de la Cape, rés.Biarritz Apt F/28 33200 Bordeaux tél:05 56 02 64 61, fax: 05 56 37 00 25

email : [email protected]

Février 2003 Résumé : Nous proposons d’examiner la stabilité et l'évolution du cadre conceptuel de la gouvernance. Il s'agit, dans un premier temps, d'exposer la remarquable stabilité des thèmes de fond abordés et la permanence de problèmes sous-jacents. On peut cependant relever, dans un deuxième temps, une évolution sensible des approches théoriques et pratiques de la gouvernance. Mots clés : gouvernance, partenaires, création de valeur, répartition, institutions, paradigme, cadre conceptuel

Abstract : We try to provide an approach of the stability and the evolution of the corporate governance framework. We first expose the remarkable stability of themes and the permanence of underlying problems. It is then possible to present some evolutions in the corporate governance framework, and some change within its theoretical foundations or practices. Keywords : governance, stakeholders, value creation, allocation, institutions, paradigm, conceptual framework

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Les déboires auxquels ont été confrontés récemment certaines entreprises telles qu'Enron

aux Etats-Unis, ou bien encore France Télécom et Vivendi Universal en France, de même que

les scandales financiers qui ont frappé le Crédit Lyonnais ou Air France dans les années 1990,

ont contribué à relancer l'intérêt du public pour les débats en matière de gouvernance. Force

est de constater que les connaissances et les règles établies jusqu'à ce jour en matière de

gouvernance n'ont pu empêcher certaines tentatives de désinformation aux dépens des

actionnaires1. Elles n'ont pas davantage évité la mise en œuvre de stratégies s'avérant

singulièrement destructrices de valeur2 pour nombre de parties impliquées. En termes de

spoliation, les apporteurs de fonds, actionnaires et banquiers, sont loin d'être les seules

victimes. Les salariés peuvent perdre leurs emplois et leur épargne retraite, les divers

fournisseurs et sociétés de conseil et d'audit une part significative de leur chiffre d'affaires, et

les clients la continuité des produits et services pour lesquels ils ont opté. En conséquence,

l’efficacité des procédures de contrôle et des systèmes d'alerte, supposée incarner une bonne

gouvernance des entreprises est aujourd’hui largement remise en cause à l’échelle nationale et

internationale.

La pertinence des modes de gouvernance supposés garants de la protection des

actionnaires est désormais remise en question publiquement. Il en va ainsi, par exemple, des

plans de stock-options bénéficiant exclusivement aux équipes dirigeantes. Dans un tel

contexte, l'élargissement et l’approfondissement de la recherche en gouvernance s'avèrent

indispensables. Celle-ci n'a peut-être pas encore atteint un degré suffisant de développement

afin d'assurer une protection efficace des partenaires de l’entreprise. Les scandales financiers

récents sont une invite à réfléchir sur l'évolution à venir de la gouvernance.

Déterminer dans quelle mesure les systèmes de gouvernance peuvent encadrer le

dirigeant, et le soutenir dans ses prises de décision face à un environnement incertain,

complexe, voire même hostile, constitue la question primordiale.

Lors de la décennie écoulée, on a pu observer une tendance permanente à discuter et à

critiquer les fondements théoriques et pratiques de la gouvernance. Ces derniers ont fait l'objet

1 En France, par exemple, « le 29 octobre, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire, à la suite d'une plainte déposée par un groupe d'actionnaires, l'Association des petits porteurs actifs. Les accusations portent sur la publication de faux bilans pour les exercices des années 2000 et 2001 et la diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur les perspectives de Vivendi Universal en 2001 et 2002.» (Le Monde, 31 octobre 2002), L’APPAC regroupe depuis mars 2002 environ un milliers d’actionnaires individuels. Cette association a porté plainte contre X pour fausse information sur la situation financière de Vivendi et faux et usage de faux et répartition de dividendes fictifs. Ses membres estiment avoir été lésés par «une présentation erronée du bilan et de la situation financière de la trésorerie par les dirigeants de Vivendi Universal et plusieurs autres intervenants. 2 En France comme aux Etats-Unis, des entreprises comme Vivendi et Enron, avec un endettement de 19 et 16,7 milliards d’euros, ont entraîné une chute significative des cours de bourse et des indices boursiers.

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d'amendements ou d'évolutions significatives dans le cadre des processus habituels de

délibération scientifique. Il s'avère par conséquent nécessaire de réexaminer régulièrement ces

controverses à la lumière d'un cadre théorique lui-même évolutif.

Cet état de fait, sans doute inévitable, n'est pas sans compliquer la constitution d'un cadre

conceptuel de gouvernance, que l'on souhaite doté de propriétés de cohérence et de

plausibilité. Dans ces conditions, il n'est guère facile de réaliser des préconisations de qualité,

permettant d'atteindre une performance optimale.

Dans cette perspective, il sera procédé à un exposé des éléments récurrents de la

gouvernance, se caractérisant par la permanence des conflits, des asymétries d'information et

des difficultés à mesurer la performance (section 1). En se référant aux approches

partenariales, nous examinerons ensuite l'évolution de la notion de performance, et par là-

même une nouvelle approche théorique des droits de propriété (section 2).

1. Eléments récurrents en matière de gouvernance

Deux siècles après la publication de l'Essai sur la Richesse des Nations, Jensen et

Meckling (1976) relevaient à nouveau l’impact problématique des conflits d’intérêts entre

propriétaire et manager sur la performance des entreprises. A. Smith estimait déjà en 1776

que « l’on ne peut guère s’attendre à ce que [les régisseurs de l’argent d’autrui] y apportent

cette vigilance exacte et soucieuse que les associés d’une société apportent souvent dans le

maniement de leurs fonds ». En dépit des développements théoriques récents et des solutions

préconisées par la théorie de l'agence, D. Cohen (2002)3 constate à ce jour la relative

impuissance des outils de gestion à résoudre un tel problème.

Depuis ses origines, ce débat rattachant la structure de propriété au niveau de performance,

s’est organisé autour de deux constantes.

• La première est conceptuelle, et porte sur les divergences d'intérêts existant entre les

propriétaires – ou plus largement les apporteurs de capitaux - et le dirigeant.

3 « (…) alors qu’on était persuadé d’avoir trouvé un système faisant coïncider les intérêts des chefs d’entreprise et des actionnaires, ces derniers ont été les premiers floués. En manipulant les conseils d'administration, les dirigeants ont corrompu le système et le mécanisme des stock-options n’a rien arrangé. En effet, si elles montent leur titulaires encaissent des profits, et si elles baissent, ils ne perdent rien… alors, bien sûr, cela les pousse à prendre des risques inconsidérés. Nous allons donc voir maintenant les actionnaires réorganiser leur pouvoir, et l’Europe a, là, une carte à jouer. Elle peut en profiter pour accroître le poids des salariés et imposer un modèle plus social démocrate. C’est le moment idéal. N’est-il pas frappant de voir que l’Allemagne, qui s’apprêtait à basculer dans le modèle anglo-saxon, opère un retour vers la cogestion ? Cela peut même être l’occasion d’enclencher le processus de transformation du syndicalisme. » (L’Express, n° 2675, octobre 2002, p. 102).

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• La seconde est opérationnelle, et renvoie à la difficulté d'établir des contrôles efficaces

et des mesures fiables de la performance des entreprises.

1.1 Permanence des conflits d'intérêts

Comme le rappellent Jensen et Meckling (1994), comprendre la nature humaine

apparaît essentiel si l'on souhaite comprendre le fonctionnement des organisations, et mettre

en place un dispositif de gouvernance. Ces deux auteurs proposent le modèle REMM

(Ressourful, Evalutative, Maximizing Model) selon lequel les individus sont insatiables,

maximisateurs de leur propre fonction d'utilité, et dotés en outre de capacités d'adaptation et

de créativité. De leur point de vue, une telle conception n'est pas nouvelle. Elle est le fruit de

plus de deux siècles de recherches et de débats en économie, en sciences sociales et en

philosophie.

1.1.1 Le conflit, une notion essentielle

La mise en place de tout système de gouvernance et de contrôle au sein de l’entreprise

repose implicitement sur un constat plus général de conflictualité potentielle des relations

humaines. Les aspirations des individus pouvant diverger, des tensions peuvent apparaître. Il

suffit pour s'en convaincre d'observer les conflits pouvant survenir au sein d'un couple, d'une

famille ou de toute collectivité humaine.

Dans une logique d'agence, c'est-à-dire de séparation des fonctions de propriété et de

décision, et de délégation de pouvoir, le conflit prend racine dans la possibilité d'un

comportement de l'agent (dirigeant) non conforme aux intérêts du principal (actionnaire). On

retrouve alors les pratiques courantes de contestation de tout pouvoir, tant au niveau de son

exercice que de sa légitimité. Il en résulte un coût de gestion du conflit, que celui-ci soit latent

ou qu'il éclate ouvertement. Dans l'hypothèse où les individus pourraient vivre spontanément

en harmonie, la mise en place de structures de gouvernance serait dénuée de sens.

De ce fait, les approches en gouvernance semblent très largement consubstantielles à la

notion de conflit. Le fait même que les dirigeants soient créatifs leur permet d'engager un jeu

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dynamique entre la définition de règles rassurantes4 et l'identification opportuniste de

comportements conformes à celles-ci, tout en trahissant leur engagement moral vis-à-vis de

leurs actionnaires. En ce sens, la créativité peut être une source récurrente de conflits, et tel

Sisyphe, la gouvernance est condamnée à inventer sans cesse de nouveaux systèmes de

régulation5.

1.1.2 Illustration de conflits récurrents

Comme l'affirment Crozier et Friedberg (1977), l'individu est conduit à développer des

stratégies, soit dans une optique offensive, en saisissant des opportunités lui permettant

d'améliorer sa situation, soit de façon défensive, en maintenant ou en élargissant sa marge de

liberté, et par conséquent sa capacité à agir. Le salarié, par exemple, désire constamment

améliorer son rapport rémunération-effort. Il est donc logique d’une part, qu'un jeu de

revendications s'instaure vis-à-vis de celui qui décide des rémunérations, et d’autre part, que

l'issue dépende du rapport de force et des évaluations des acteurs-joueurs. La mise en scène,

dans la théorie marxiste, de la lutte des classes, repris par certains syndicats, a fortement

contribué tout au long du XXème siècle, à institutionnaliser cette logique du conflit. On peut

donc reprocher à la théorie marxiste d'être en quelque sorte auto-réalisatrice par rapport aux

relations conflictuelles employeurs-employés qu'elle dénonce.

Brennan (1994) développe un raisonnement identique à l'encontre des modèles d'agence.

Il estime que l'enseignement de tels modèles, fondés sur l'opportunisme des individus,

pourrait créer les conditions mêmes de la perpétuation des conflits d'intérêts entre actionnaires

et dirigeants. D'une façon paradoxale, il n'est pas à exclure que la théorie de la gouvernance

puisse contribuer à répandre un mal qu'elle souhaite pourtant éradiquer.

4 A titre d'illustration, on peut retenir le cas d'Accor. Cette société « a mis en place des structures qui garantissent à ses actionnaires, en toute transparence, un contrôle effectif et régulier de la conduite des affaires de la Société ». Le groupe est doté d’une structure bi-conseil directoire et conseil de surveillance, et a établi un règlement intérieur sur les « droits et devoirs » des membres du conseil de surveillance et sur ses relations avec le directoire. Des règles d’éthique sont également fixées pour ces derniers. Un club des actionnaires (4000 adhérents) produit des informations privilégiées (lettre, guide, documents pour les AG, serveur vocal, magazine), organise des rencontres et propose des offres privilégiées aux actionnaires clients (la carte de membre du club des actionnaires devient une carte de fidélité pour les voyages et boutique). 5 Plusieurs mécanismes ont été jusqu'à présent proposés comme moyens d’alignement/protection des intérêts des actionnaires visant à discipliner le dirigeant et à limiter sa latitude discrétionnaire :

- une meilleure définition de la mission et de la composition du conseil d'administration, - la mise en place de comités spéciaux (audit, rémunération, stratégique), - la possibilité de prises de contrôle, - l'endettement de la firme, - le mécanisme de surveillance mutuelle, et l'action de certains groupes de pression.

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Plus prosaïquement, lorsque les surplus dégagés par l'entreprise deviennent insuffisants, il

semble difficile pour un dirigeant, placé dans un environnement concurrentiel, de satisfaire à

la fois ses actionnaires et ses salariés. Il est donc relativement logique que des conflits

surgissent régulièrement à propos du partage de la valeur a fortiori lorsque l’actionnariat lui

même est hétérogène, composé à la fois d'investisseurs institutionnels, d'industriels, de

salariés actionnaires et de particuliers. Dans un contexte français, l’activisme des actionnaires

minoritaires et les développements récents sur leurs moyens d’actions (Girard 2001) illustrent

également les dissensions en matière de répartition de la valeur6. Cette problématique

conflictuelle semble à la fois universelle et presque intemporelle, même si certaines sociétés

peuvent s'organiser politiquement autour d'autres logiques ou d'autres systèmes de valeurs7.

La récurrence de ces conflits, d'un point de vue conceptuel, n'est pas sans incidence sur un

plan opérationnel. Elle conduit à la permanence d'une série de controverses animant les débats

de gouvernance.

1.2 Permanence des controverses

Sur un plan plus opérationnel, on peut relever la constance de controverses exprimant une

série d'interrogations concernant la qualité de l'information financière, et la mesure de la

création de valeur. Chacun sait que l'information financière peut, en effet, être manipulée à

des fins personnelles8. De telles stratégies, rendues évolutives par la nature créative des

individus, entretiennent la nécessité d'un débat permanent portant sur l'efficacité des contrôles

de l'information. Outre cela, le nécessaire recours à l'information disponible dans les

processus de prise de décision débouche inévitablement sur des problématiques récurrentes de

mesure. En d'autres termes, il s'agit de déterminer si les outils de mesure de la performance

peuvent fournir au dirigeant un système d'orientation valable, bien adapté à sa mission et aux

finalités de l'entreprise.

6 Certaines recherches tendent à montrer, en revanche, les gains pouvant être tirés de la présence d'un actionnariat salarié, même minoritaire. Celui-ci peut notamment conduire à atténuer l'intensité des conflits entre les autres catégories d'actionnaires et les employés. Ainsi, à titre d'exemple, Barney (1990) constate un abaissement du coût du capital à mesure que les salariés actionnaires possèdent un pourcentage croissante du capital. Cependant, le cas français des récentes grèves de pilotes au sein d'Air France, ces derniers étant parallèlement détenteurs d'actions, illustre parfaitement l'existence d'un tiraillement entre les statuts de salarié et d'actionnaire, ainsi que les possibilités de pertes financières significatives pouvant résulter soit d'un prolongement excessif du conflit, soit de concessions trop favorables aux salariés. 7 Voir par exemple la logique chinoise, décrite par Yang (1996), fondée sur le confucianisme. 8 Ces fins peuvent, par exemple, viser le maintien en poste du dirigeant.

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1.2.1 Des controverses relatives à la manipulation et au contrôle de

l'information financière

Le dirigeant, dans le cadre de la délégation de pouvoir dont il jouit, doit se soumettre au

jugement de ses mandants, à partir d'une information produite par ses subordonnés. Il est donc

tout à fait envisageable que le dirigeant puisse user de son autorité hiérarchique afin de se

faire délivrer une information laudative de son propre bilan. Une telle stratégie défensive

serait probablement plus délicate à entreprendre si la comptabilisation de certains risques ou

événements économiques complexes et inhabituels ne demandait pas un effort d'évaluation et

d'interprétation, laissant ainsi une place importante à la subjectivité9. La tentation étant

inhérente à la nature humaine, le risque de corruption ne peut être exclu, quelle que soit

l'indépendance présupposée des contrôleurs.

Les diverses modélisations de la gouvernance fondées sur la notion d'asymétrie

d'information intègrent parfaitement ce phénomène. Confrontées à l'aléa moral, les approches

théoriques amènent à s'interroger, à la suite des travaux d'Akerlof (1970), sur la possibilité de

tout individu de convaincre autrui de sa bonne foi. Tout agent économique étant capable de

dissimulation et de mensonge, c'est assurément une question fort difficile à résoudre. La mise

en scène du "dilemme du prisonnier", en théorie des jeux, illustre même certains cas

surprenants où l'individu a incontestablement intérêt à s'accuser, alors même qu'il est

innocent. La nature même des configurations organisationnelles, des règles du jeu mises en

place et des contextes rencontrés influent, par conséquent, sur l'authenticité des informations

produites par les acteurs. En prétendant fixer les règles du jeu, sans toutefois être en mesure

de prévoir parfaitement à l'avance les réactions des joueurs, la gouvernance prend la forme

d'une science expérimentale. Dans ces conditions, les règles proposées peuvent toujours être

sujettes à caution et la confiance entre les individus ne peut se développer qu'en univers

probabiliste. Le respect d'un code de conduite ad vitam eternam n'est donc jamais assuré.

1.2.2 Des controverses relatives à la «bonne mesure» de la création de valeur

Une autre question posée de manière régulière consiste à demander si les marchés sont

bien efficients, et s'ils intègrent des informations pertinentes. Normalement, les marchés

procèdent à leur estimation de la valeur à partir d'une actualisation des flux de trésorerie. Il

9 L'appréciation d'un risque à provisionner, ou de certains événements économiques en tant qu'investissement ou charge sont autant de facteurs rendant aléatoire la détermination du résultat comptable final.

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s'agit alors de déterminer dans quelle mesure l'information rendue publique10 et transmise aux

marchés permet d'effectuer une bonne estimation de ces flux11.

Aux Etats-Unis, Goetzmann et Garstka (1999) ont montré la cyclicité de l'intérêt porté à

ces sujets dès 1917, avec les apports successifs réalisés par Sterrett (1916), Epstein (1925) et

Sloan (1929) pour la constitution des premières bases de données dédiées à l'étude de la

performance. Fisher (1930), avec une formulation de la théorie de l'intérêt et de l'actualisation,

puis Gordon (1962) avec la proposition d'un modèle d'évaluation intégrant le taux de

croissance des flux de cash-flow attendus, ont également réalisé des apports significatifs.

Goetzmann et Garstka (1999) ont cependant bien montré qu'un critère simple, comme la

rentabilité sur investissement (ROI), peut représenter en longue période un critère fiable de

décision pour l'investisseur. Toutefois, la complexité croissante des retraitements nécessaires

pour interpréter l'information comptable et particulièrement utiles dans le cadre des systèmes

d'incitation et de rémunération, a contribué à transformer la mesure de performance en un

marché extrêmement lucratif12. Comme l'indique Epstein (1999), les entreprises peuvent être

perçues comme des instruments économiques de production de biens, de richesses et de

ressources sociétales. Ainsi, si le marché des mesures de création de valeur pour l'actionnaire

semble arriver à maturité, la question de la mesure des ressources sociétales peut fournir assez

opportunément de nouveaux motifs de consultation. On peut donc considérer que le processus

concurrentiel animant le marché des mesures de performance continuera à entretenir pour une

part non négligeable les innovations effectuées dans le domaine de la gouvernance.

A la lumière des illustrations proposées, il apparaît que la structuration des réflexions en

gouvernance appelle l'organisation d'un débat permanent à partir des concepts incontournables

de conflit d'intérêt, d'asymétrie d'information et de mesure de la performance.

10 On pourra observer que certaines informations, traitées par des agences spécialisées de ratings sociaux et environnementaux, sont payantes (voir les agences Vigéo, Core Ratings, Innovest). 11 Cette problématique représente une branche importante des programmes de recherche en gestion. La recherche menée par Fabre-Azema (2002) montre, sur un second marché français, un ralliement récent des analystes financiers à de telles pratiques d'évaluation, s'inscrivant dans la continuité des propositions de retraitement de l'information comptable effectuées par Stewart (1991). 12 A titre d'exemple, de très nombreuses mesures ont été proposées par différents cabinets de conseil : Economic Value Added (EVA®), Total Business Return (TBR), Cash Flow Return on Investment (CFROI), Return on Net Assets (RONA), Cash Value Added (CVA), Shareholder Value Added (SVA).

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2. Evolutions progressives du cadre conceptuel de la gouvernance

Au-delà des concepts fondamentaux, tels que la valeur créée et « maximisée »13, au-delà de

la fiabilité de l’information financière, de nombreuses controverses ont renouvelé le champ de

la gouvernance, consécutivement à la volonté d’intégrer des phénomènes nouveaux et d'une

complexité croissante. Les va-et-vient entre prédictions théoriques et observations empiriques

reflètent le processus de construction/révision d’une théorie, dans la perspective d'élaborer

éventuellement une théorie générale de la gouvernance. Dans le cadre de ce processus, il est

alors devenu nécessaire de procéder à la révision de certains concepts fondateurs tels que la

propriété ou la performance. Une telle démarche devrait donner lieu à une ré-interprétation de

la création de valeur et de sa répartition, et à une redéfinition de la gouvernance.

2.1. Révision conceptuelle de la propriété

L’approche des droits de propriété fondée sur la notion d’incomplétude contractuelle

associe traditionnellement au concept de propriété (d’un actif) celui de créancier résiduel qui

décide en cas d’imprévu, et assume les pertes ou les gains retirés de son usage (Hart 1990,

Hart et Moore 1990). La performance résulte de la meilleure allocation possible du droit de

propriété, de sorte que son détenteur est incité à maximiser la valeur de ce droit, puisqu’il en

est le seul bénéficiaire, et qu’il en assume de la sorte les altérations possibles. Dans le

contexte de séparation de la propriété et de la gestion au sein des entreprises managériales,

cette approche s’est donc concentrée sur le statut de l’actionnaire-propriétaire.

2.1.1 Remise en question des droits de propriété et des relations d'agence L’approche originelle de la gouvernance attribue le statut de créancier résiduel aux

actionnaires en considérant qu’ils assument l’intégralité des pertes de l'entreprise et

perçoivent la totalité des flux nets de liquidités après répartition de la valeur entre les autres

partenaires de la firme. Cette perspective confère ainsi un rôle primordial aux mécanismes de

protection de leurs intérêts14, dans le niveau de performance de l’entreprise. En tant que

13 L’hypothèse de maximisation de la valeur comme fonction objectif de la firme tend à être remise en cause au profit d’une interprétation de l’objectif de recherche de valeur, « value seeking » formulé par Jensen (2001:301). Cette approche alternative est également étudiée par Charreaux (2002:58). 14 Cette protection des actionnaires devrait être assurée via la composition et le fonctionnement du conseil d’administration, du marché financier, des comités spéciaux, et la définition des normes comptables.

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propriétaires, ils exercent ainsi le droit de contrôle des décisions (ratification et surveillance),

inhérentes à la fonction de propriété telle qu'elle est définie par Fama et Jensen (1983). Cette

approche est celle qui est retenue dans les travaux tant des praticiens (rapport Cadbury, Viénot

1 et 2, Bouton…) que des théoriciens de la gouvernance actionnariale. Celle-ci, considérée

sous l'angle des mécanismes permettant d'aligner les intérêts de l’agent (le dirigeant) sur ceux

du principal (créanciers résiduels comme les actionnaires ou les créanciers financiers) insiste

tout particulièrement sur la préservation de la propriété du capital financier (Shleifer et

Vishny 199715).

Une approche alternative de la propriété, actuellement en cours de développement,

considère que le statut de détenteur de la créance résiduelle, autrement dit de celui qui assume

les pertes résiduelles et les gains résiduels issus des décisions prises, peut être diffus au sein

de l’organisation. Le dirigeant est considéré alors dans une dimension dyadique, c'est-à-dire

en tant qu'agent et principal. Dans ces circonstances, il est tout à fait légitime qu'il protège son

capital humain (Castanias et Helfat 1991). Plus largement, les salariés (Blair, 1995) et

l’ensemble des parties prenantes16 (Charreaux 1995, Charreaux et Desbrières 1998) ont

vocation à participer dans l'entreprise aux décisions, celles-ci affectant leur relation

contractuelle (ou non) avec la firme. De plus, placés en amont du processus de

création/répartition de la valeur, ils sont censés détenir l’information ou la connaissance

spécifique susceptible d'optimiser la prise de décision ou de réduire le gaspillage des

ressources en cas de conflit (Rajan et Zingales 1998, Zingales in Charreaux 2002).

La figure suivante propose une vision synthétique des principales versions de ce statut de

créancier résiduel, depuis les années trente. La séparation des fonctions de propriété et de

décision observée par Berle et Means (1932), reflète la révolution organisationnelle

intervenue au sein des entreprises américaines.

[insérer ici la figure 1]

15 Selon ces auteurs, les problèmes d’agence causés par la séparation propriété-décision et l’incomplétude contractuelle entre actionnaires et dirigeant soulèvent la question fondamentale des moyens qui garantissent aux apporteurs de capitaux une rentabilité de leur investissement mis à disposition du dirigeant. 16 Est qualifié de « stakeholder » « tout groupe ou individu qui peut affecter ou être affecté par la réalisation de l’objet de l’organisation » (Freeman 1984:53). La relation peut être directe ou non, selon que les individus sont contractuellement concernés par l’activité de la firme ou simplement lorsque leur utilité est affectée par celle-ci, sans qu’ils soient pour autant en relation contractuelle volontaire. Une distinction peut être faite entre d'une part les partenaires contractuels de la firme et d'autre part les parties prenantes au sens plus large, à savoir la communauté, les groupes d’intérêts, la collectivité ...

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La propriété est donc une variable endogène de la performance élargie à l’ensemble des

partenaires de la firme. Cette lecture de la propriété plus complexe suggère une approche

explicative et élargie des relations d’agence17 entre les différents individus qui coopèrent au

sein d’une organisation.

A l’instar de Fama et Jensen (1983a et b), le processus de décision en matière d’allocation

des ressources et partant de création de valeur relève essentiellement de quatre composantes :

l’initiative de la décision, sa ratification, sa mise en œuvre et enfin sa surveillance. La

propriété de tel ou tel droit décisionnel est efficacement allouée dans la mesure où elle est

associée à celui qui détient l’information (ou la connaissance18) spécifique. L’efficacité

organisationnelle consiste en ce sens, à doter de droits décisionnels les détenteurs de

l'information nécessaire à une prise de décision (exercice du droit) optimale, en intégrant les

contraintes d’incertitude et de rationalité limitée, voire procédurale19. Dans les organisations

complexes, cette information/connaissance étant diffuse, les auteurs remarquent que

l’allocation des composantes du processus décisionnel se traduit par un regroupement de

l’initiative et de la mise en œuvre d’un coté, et de la ratification/surveillance de l’autre au sein

de toute l’organisation. La séparation fonctionnelle traditionnelle entre actionnaire et dirigeant

devient alors un cas particulier de la structure de propriété dans une relation contractuelle

donnée.

Cet élargissement de la propriété et des relations d’agence conduit par conséquent à

envisager l’ensemble des mécanismes susceptibles de contribuer à aligner les intérêts des

différents partenaires en présence au sein de la coalition organisationnelle. Rappelons ici que

cette approche partenariale, de la création de valeur et de sa répartition, tend à présenter

l’organisation (la firme) comme une forme de coopération alternative au marché qui

s’instaure en raison des gains mutuels qu’elle seule permet de réaliser. Symétriquement,

l’insatisfaction d’un ou plusieurs partenaires laisse supposer la possibilité d'une rupture

contractuelle pouvant engendrer une adaptation organisationnelle ou sa disparition pure et

17 On peut entendre par là les conflits, et leurs modes de préventions/résolution ainsi que les choix de création/répartition de la valeur. 18 Nous renvoyons le lecteur à l’article de Charreaux (2002) sur les apports des sciences cognitives dans la compréhension du rôle de la connaissance dans la création des opportunités de croissance. Dans la mesure où elles-ci concourent essentiellement à la création de valeur, l’analyse cognitiviste permet d’envisager la gouvernance au delà de la stricte approche disciplinaire du comportement décisionnel. 19 Nous intégrons en ce sens l’approche cognitiviste qui permet de considérer l’individu apprenant et donc susceptible d’améliorer l’exercice de son droit décisionnel.

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12

simple20. Cette relecture du fonctionnement organisationnel conduit, dans le sillage de la

théorie positive de l’agence, à envisager les caractéristiques de la gouvernance partenariale.

2.1.2. Extension de la gouvernance : Coopération, gains mutuels et approche élargie

Les travaux en gouvernance partenariale inscrits dans la théorie positive de l’agence

(Jensen et Meckling 1976, 1992) appréhendent l’organisation comme un système contractuel

coopératif où interagissent différents partenaires aux intérêts divergents. Supposant

l’existence de conflits entre cocontractants parmi lesquels agit le dirigeant, cette approche

propose une analyse du fonctionnement organisationnel à partir des mécanismes de

gouvernance. Les parties prenantes s’appuient contractuellement ou non sur ces derniers afin

de discipliner ou d'infléchir le comportement décisionnel du dirigeant. L’entreprise est

considérée comme un ensemble de contrats, et de mécanismes de gouvernance permettant la

sauvegarde des intérêts de chacune des parties prenantes, de les aligner et d'atténuer leur perte

d’utilité respective21. Dans cette optique, l’analyse porte sur l’explication du processus

organisationnel de création et de répartition de la valeur partenariale.

Cette approche globale permet d’envisager le processus de création et de répartition de la

valeur partenariale comme un processus interindividuel. Celui-ci est alors susceptible

d’induire une série complexe de conflits tant d’un point de vue contractuel (fondés sur

l’asymétrie informationnelle) que d’un point de vue cognitif (fondés sur la connaissance qui

est une interprétation des informations existantes construite à partir du modèle cognitif propre

à l’individu)22. Une matrice des conflits potentiels, au centre desquels le dirigeant doit

procéder aux choix des ressources dont dépendra la performance organisationnelle, peut être

proposée (voir tableau 1).

[insérer ici le tableau 1]

20 Dans la perspective des coûts de transactions, la structure de gouvernance est définie comme « le moyen de coordination d’une relation au sein de laquelle des conflits potentiels sont susceptibles de conduire les agents à renoncer aux opportunités de réalisation de gains mutuels » (Williamson, 2000:60 et Williamson 1999:312). En définitive, une structure de gouvernance résulte d’une contractualisation particulière des risques d’opportunisme associés à l’incomplétude contractuelle des transactions. 21 Cette perte d’utilité correspond aux coûts générés par les ressources utilisées pour la mise en place de structures disciplinaires et aux pertes résiduelles d’utilité engendrées par l’imperfection des ces structures dans l’alignement des intérêts des cocontractants (Hill et Jones, 1992, p. 138). 22 Voir Charreaux (2002, p.25-31) pour une synthèse du positionnement des théories cognitivistes par rapport aux théories contractuelles dont le courant dominant retient un seul modèle cognitif partagé par tous les individus. Cette composante permet d’endogénéiser le comportement décisionnel au delà de la considération restrictive des choix et contraintes donnés.

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13

Cette matrice permet d'appréhender non seulement les conflits, mais aussi les possibilités

d'éventuelles convergences d'intérêts sur un plan cognitif et/ou contractuel, comme celles qui

concernent les dirigeants adjoints directs du PDG23, ou les actionnaires et les clients dont les

intérêts peuvent converger lorsque la valeur perçue par une partie prenante contribue à

augmenter la rentabilité dont bénéficie l'autre partie. Cette approche soulève la question du

rôle joué par la gouvernance dans la réduction potentielle de conflit cognitif entre dirigeant et

administrateurs notamment. Pour aller plus loin, l’approche cognitiviste est susceptible de

remettre en cause l’indépendance des administrateurs dans la mesure où la convergence des

représentations peut influer positivement sur les choix financiers créateur de valeur. Dans ce

sens, la perception des « risqueurs » lorsque l’Etat conserve une partie du capital peut

conduire le dirigeant et certains actionnaires à privilégier des investissements particulièrement

risqués compte tenu de la garantie associée à l’actionnaire public. Dans cette perspective, la

gouvernance des entreprises « partiellement privatisées » devrait alors intégrer ce paramètre

cognitif notamment dans le fonctionnement du conseil d'administration24. Plus largement,

comme le souligne R. Vatinet au sujet de l’évolution du droit commercial, « c’est une

question de mentalité, il y a aujourd’hui beaucoup d’actionnaires étrangers dans le capital des

sociétés françaises qui conçoivent les rapports avec leurs dirigeants dans l’esprit de leur

propre droit. »25

De plus, les travaux en gouvernance partenariale ont permis d’identifier plus finement les

mécanismes disciplinaires du processus décisionnel. Certains sont plus ou moins spécifiques à

l’organisation, d'autres sont spontanés et liés à l’ordre des marchés, ou plus intentionnels,

d'autres enfin de nature variable sont issus de la réglementation ou plus implicites. Le tableau

ci-dessous, emprunté à Chatelin (2001:156)26, résume les principaux mécanismes

23 Certains hauts dirigeants se déplacent régulièrement d’un siège à l’autre avec leur staff personnel, comme C. Blanc par exemple qui de la RATP à Air France a tenu à garder au sein de son équipe quelques collaborateurs rapprochés. Dans la reprise de Vivendi, J.R. Fourtou accède au pouvoir avec H. Lachmann (Président de Schneider Electric, Président du comité de stratégie de Vivendi) et un auditeur de PriceWaterhouse également auditeur chez Schneider Electric et Aventis (d’où vient J.R. Fourtou), Le Monde 12/11/02, extrait de Mon vrai journal, de JM Messier. 24 En effet, le rôle du conseil d'administration des entreprises partiellement privatisées, supposé renforcé par le processus de privatisation (et davantage détaché des pouvoirs publics, voir Chatelin 2001) devrait se traduire cependant par un contrôle spécifique en matière de surveillance/ratification des choix financiers qui impactent sur le risque de faillite. Une étude du cas de France Télécom par ailleurs en cours, pourrait à ce titre se révéler très intéressante. 25 Professeur à l’Université de Paris V, R. Vatinet considère que « le droit n’est plus adapté à la mentalité de l’actionnaire moderne » (Les Echos des 13 et 14/12/2002). 26 Nous avons ajouté en mécanisme contractuel spécifique intentionnel, le TBP (tableau de bord prospectif) tel que Norton et Kaplan (1997) l’ont élaboré car cet instrument est susceptible de soutenir le processus décisionnel tant d’un point de vue disciplinaire qu' « habilitant » (cf. infra section 2).

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organisationnels de gouvernance entendus comme l’ensemble des mécanismes qui encadrent

le processus décisionnel de création/répartition de la valeur partenariale.

[insérer ici le tableau 2]

Dans le prolongement de cette révision du concept de droit de propriété et de ses

implications sur la notion de gouvernance élargie, la performance et sa relation à la création

de valeur font l’objet d’un essai de relecture.

2.2 Révision conceptuelle de la performance

Si l'on se réfère à la théorie micro-économique et financière classique, on constate que la

performance de l’entreprise est évaluée à partir des choix managériaux visant à maximiser la

valeur de la firme. La création de valeur et sa maximisation sont estimées à l'aune de la

richesse des actionnaires, autrement dit par la valeur des flux financiers secrétés par les

investissements des apporteurs de fonds. Elle se matérialise classiquement par la

capitalisation boursière, ou valeur de marché des actions de l’entreprise27. L’approche

standard de la gouvernance est fondée sur cette conception de la performance

« actionnariale », tous les moyens d’alignement des intérêts entre dirigeant et actionnaires

devant être mis en oeuvre à moindres coûts28 dans le cadre de cette maximisation de la

richesse des actionnaires. La remise en cause de leur statut de créancier résiduel, considéré

comme plus diffus au sein de l’organisation soulève par conséquent la question de la

performance à l’égard des partenaires dans leur ensemble. L’extension de la première

approche conduit a priori à considérer la performance comme la maximisation de la richesse

des partenaires (« stakeholder view »). La gouvernance consiste alors à mettre en œuvre tous

les moyens concourant à sa réalisation. En corollaire, cette relecture pose le problème de la

mesure de la valeur partenariale.

2.2.1 Création de valeur partenariale - processus décisionnel et gouvernance L’approche partenariale de la gouvernance, au même titre que l’approche actionnariale

repose sur la recherche d’une minimisation des coûts d’agence liés aux divergences d’intérêts

27 Par extension, plusieurs mesures de la création de valeur actionnariale sont fondées sur la notion de valeur actuelle nette (voir Caby et Hirigoyen 2001:15-32, Hoarau et Teller 2001:22-48). 28 Il s’agit de minimiser les pertes résiduelles associées à l’imperfection des mécanismes de gouvernance à encadrer les choix managériaux optimaux.

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et à l’incomplétude informationnelle affectant les différents agents. L’apport des sciences

cognitives permet d’intégrer plus largement la recherche d’une minimisation des coûts

organisationnels qui intègrent les conflits cognitifs sous-jacents aux termes implicites des

contrats et à leur interprétation. Cet élargissement de la notion de conflits, si elle complexifie

l’analyse, présente néanmoins l'avantage d’intégrer une dimension du processus décisionnel

ignorée jusque là dans le champ de la gouvernance comme le souligne Charreaux (2002). En

effet, la recherche de convergence d’intérêts, donc de minimisation des coûts d'agence, inclut

en outre la recherche de convergence en matière de capacité créative, source essentielle de

l’avantage de l’organisation par rapport aux concurrents29. La création de valeur autrement dit

les gains mutuels issus de la coopération, résident dans la réduction des conflits d’intérêts et

plus particulièrement dans la maximisation des investissements productifs.

En ce sens, la performance résulte de la création de richesse qui provient de la réalisation

d’un investissement créateur de valeur. Cette réalisation dépend de la capacité de chaque

individu impliqué dans le processus d’investissement a en retirer un gain satisfaisant. Or,

"l’appropriation" ou "l'aptitude à s'approprier" de la valeur est fonction de la capacité des

mécanismes de gouvernance à garantir les intérêts des partenaires30. La gouvernance doit

alors permettre une intervention efficace c'est-à-dire qui garantisse à l’individu une influence

effective sur le processus décisionnel. La figure suivante reprend l’articulation des

composantes du processus de création et de répartition de la valeur.

[insérer ici figure 2]

29 Notons ici que l’avantage comparatif procuré par la minimisation des coûts cognitifs peut être étendu à celui des formes organisationnelles. En ce sens, une forme organisationnelle possède un avantage « concurrentiel » par rapport aux autres formes organisationnelles alternatives par sa capacité à agencer ses ressources en réduisant les dissonances cognitives, autrement dit en renforçant la convergence dans la perception en matière de définition, sélection, organisation, suivi et rétribution des investissements que garantit le système de gouvernance. On pourrait ainsi étendre le principe d’efficacité originel en considérant que les formes organisationnelles qui survivent à terme sont celles qui minimisent les coûts organisationnels c'est à dire les coûts contractuels et cognitifs ou plus positivement qui maximisent les inducteurs de création de valeur du processus décisionnel. Les inducteurs étant d’un point de vue stratégique (Chaîne de valeur, M. Porter 1986) relatifs à la capacité à identifier les différentes sources de création de valeur et d’un point de vue contractuel les mécanismes efficaces pour faciliter ce repérage, leur mise en œuvre et leur suivi ainsi que les incitations au niveau de la répartition de la valeur créée pour favoriser et encadrer ce processus amont de création de valeur. 30 Ces mécanismes permettent naturellement d’influencer le processus décisionnel de création et de répartition de cette valeur.

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Dans cette optique, le processus de création/répartition de la valeur est défini comme

« l’articulation des fonctions décisionnelles de gestion et de contrôle des décisions dont

l’exercice conduit à la création d’une rente organisationnelle »31. La performance résulte de ce

processus décisionnel encadré par le système de gouvernance partenariale.

L’efficience organisationnelle interne32 résulte alors de la capacité du dirigeant à établir

une solution coopérative au sein de laquelle les conflits contractuels et cognitifs sont réduits

de manière satisfaisante comparativement aux autres alternatives possibles. Cette solution

coopérative peut tendre vers l’efficience externe si tant est qu'elle constitue la meilleure

organisation possible, s’imposant alors comme la forme d’organisation la plus performante à

longue échéance.

2.2.2 Mesures élargies de performance Ces révisions conceptuelles posent l'ultime question de la mesure de performance conçue

dans la perspective partenariale du bien être social le plus achevé. En fait, le problème de

l’approche élargie de la gouvernance et de la performance réside principalement dans la

complexité des variables en jeu.

Le 'balanced scorecard' ou tableau de bord prospectif (équilibré) proposé par Kaplan et

Norton (1997) est un outil élaboré de management, conçu pour prendre en compte les

multiples sources de création de valeur passées et futures afin de satisfaire pleinement

l'ensemble des partenaires. Cet outil est également un vecteur de communication interne et

permet de formuler, d’ajuster et de mettre en œuvre la stratégie d’entreprise. Qualifié par ses

auteurs d’outil d’aide à la formulation, à la clarification, et à la diffusion de la stratégie, il

permet de garantir une traçabilité du processus de création de valeur. Cependant, à l’instar de

Jensen (2001:310-315), on peut considérer que cet outil ne permet pas de pondérer les

différents indicateurs de création de valeur, puisque le tableau ne garantit pas de mesure

équilibrée et représentative de la performance. Il est vrai que la « multi-dimensionnalité » de

cet outil ne permet guère au dirigeant de maximiser un objectif particulier. En revanche,

« c’est un outil de spécification qui permet aux managers d’identifier les sources de création

de valeur au sein de leur activité » (Jensen 2001:313). En définitive, le TBP offre une source

31 Chatelin (2001:145). 32 Charreaux (1999:110) distingue l’efficience interne (de troisième degré) de l’efficience externe (deuxième degré par rapport à l’optimum de Pareto). La première reflète l’équilibre entre les partenaires de la firme sans que cette dernière soit la forme organisationnelle la plus performante sur le long terme. Ainsi l’efficience de troisième degré renvoie aux formes organisationnelles qui « sont censées s’imposer car elle conduisent à une performance supérieure ».

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d’information appréciable lorsqu'il s'agit d'appréhender la manière dont la valeur est créée au

sein d’une activité mais il ne constitue en aucun cas une mesure objective de la

performance33.

L’approche de la performance, et finalement de sa communication, s’inscrit à l’heure

actuelle dans un mouvement global d'interrogation au sujet du rôle sociétal34 développé par

les organisations (Hoarau et Teller, 2001).

Ces considérations nouvelles vis-à-vis de l’entreprise en matière de performance traduisent

assurément le passage d'une vision micro à une vision méso/macro environnementale avec la

prise en compte progressive des externalités positives et négatives. Jensen (2001) considère

d'ailleurs que l’objectif de maximisation de la valeur ne peut être réalisable du fait des

externalités existantes qui rendent multidimensionnels les critères de maximisation de la

valeur. A ce propos, l’auteur pointe une limite centrale en ce qui concerne l’approche

partenariale. En effet, cette considération multidimensionnelle de la création de valeur et de sa

répartition empêche tout comportement réellement maximisateur35. Il convient donc

d’envisager la gouvernance non pas seulement comme une recherche de coordination

« disciplinante » mais aussi comme une coordination innovante ou « productive de la création

de valeur », selon l’expression de Charreaux (2002:55). L’étape intermédiaire du processus

décisionnel, avant celle de la mesure de la performance, demeure celle de l’identification des

sources de création de valeur. La gouvernance gagnerait donc à être considérée comme un

système permettant au dirigeant d’allouer les ressources de la manière la plus créative. En ce

sens, il devra intégrer les opportunités que les partenaires auront pu identifier, notamment aux

niveaux intermédiaires et inférieurs de l’organisation, où l'information et les connaissances

spécifiques sont généralement localisées.

L’approche développée par Charreaux et Desbrières (1998), fondée sur la vision

économique de la valeur (coût/prix d’opportunité et valeur d’échange) laisse implicitement

ouverte cette analyse de la création de richesse. Envisagée comme la variation nette d’utilité

33 dans le cas contraire, les dirigeants incités à exploiter cet outil pour mesurer la performance et ajuster le système de récompense/sanction se trouvent confrontés à des données conflictuelles. La confusion sous-jacente rend alors le tableau de bord contre-productif. 34 A titre d'exemple, la société Air France communique sur plusieurs dimensions rattachées à la notion de développement durable, en présentant notamment des indicateurs de performance environnementale et sociétale qui permettent d'apprécier la contribution de l'entreprise à la sauvegarde de l'environnement. 35 Cette constatation redonne toute sa signification à la variable opportunisme des approches contractuelles de la gouvernance, notamment celle développée par Williamson.

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perçue36 par les différents acteurs, la valeur partenariale créée se heurte toutefois au problème

d'optimisation énoncé par Jensen (op. cit.).

Conclusion

Le but premier de la présente recherche était de présenter un essai de synthèse des

éléments de stabilité et d'évolution du cadre conceptuel de la gouvernance. A ce titre, l'étude a

permis d'en présenter successivement les problèmes récurrents, et l'évolution progressive vers

une approche élargie et désormais plus transversale.

Le développement de la recherche en gouvernance suit le chemin de l'évolution historique

du fonctionnement des entreprises. Tout d’abord, la séparation actionnaires/dirigeants et le

développement des firmes dans la première moitié du 20ème siècle ont nourri la réflexion sur la

gouvernance entendue comme la recherche de coordination, d’alignement des intérêts

spécifiques et respectifs du gestionnaire et des propriétaires.

Par la suite, la globalisation des échanges, dans la seconde moitié du 20ème siècle, puis

accélérée à la fin de celui-ci, a contribué à multiplier les externalités entre continents, nations

et catégories hétérogènes de partenaires. Ce mouvement global amplifie la nécessité

d’orienter l’analyse du fonctionnement des organisations vers une véritable responsabilité

partenariale des décisions.

Le processus de construction de la théorie du fonctionnement et du contrôle des

organisations semble suivre fort heureusement une trajectoire parallèle à leur histoire. Une

vision partenariale élargie, apte à mieux appréhender la complexité organisationnelle, est donc

susceptible de représenter un paradigme dominant, tendant à long terme vers une théorie

générale de la gouvernance. Cette démarche stimule ainsi l’émergence de nouvelles

interrogations quant aux mesures, aux modèles alternatifs de gouvernance (européen, anglo-

saxon), et aux rôles des institutions (ECGI)37 dans leur développement. Comme le souligne

Charreaux (2002) et comme l’illustre un nombre croissant de travaux, cette avancée en

gouvernance se traduit par des implications méthodologiques qui touchent de manière

transversale une majorité des disciplines de gestion et en particulier le domaine de la finance.

Il semble en effet que la recherche en gouvernance tende vers une croissance renforcée de

l'approche qualitative par le biais d'études de cas (Trébucq 2000, Labelle et Touron 2001,

36 Différence entre valeur d’échange et prix (ou coût) d’opportunité pour chaque partenaire. 37 European Corporate Governance Institute.

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Chatelin 2002 a et b). Elle est susceptible également de recourir à des outils économétriques

toujours plus sophistiqués capables de capter des éléments qualitatifs et quantitatifs combinés.

Finalement, ces aller-retours tant au niveau théorique et méthodologique qu’au niveau

pratique permettent d’esquisser plusieurs perspectives de consolidation du champ de la

gouvernance. Celles-ci constituent d'ores et déjà une tentative de délimitation du cadre

général d’analyse, qu’il s’agisse des voies d’investigation portant sur la performance vis-à-vis

des différents partenaires, ou des variables endogènes de la création de valeur notamment par

l’intégration :

- des apports de l’approche cognitiviste, susceptible d’offrir un cadre d’analyse des

facteurs liés aux conflits cognitifs non seulement entre classes de partenaires, mais

aussi au sein d’une même classe,

- du rôle des institutions dans la gouvernance partenariale, et sa dimension

réglementaire en particulier, rejoignant probablement au moins en partie, l’approche

cognitiviste,

- de la substituabilité et/ou complémentarité des mécanismes de gouvernance entre

partenaires, notamment en raison de l’économie de coûts cognitifs qu’ils sont

susceptibles de réaliser.

Comme le souligne Charreaux (1997:422), les recherches dans ce domaine « regroupe[nt]

l’ensemble des questions visant à décrire, expliquer, comprendre les systèmes de

gouvernement, leur évolution et leur fonctionnement et, dans une perspective normative à les

réformer, s’ils sont jugés défaillants ou perfectibles. »

D’une certaine manière, on peut se demander si le processus d’élaboration du cadre

conceptuel en gouvernance ne traduit pas la nécessité de réviser le fonctionnement du système

économique établi. En d'autres termes, sous la contrainte des événements, le développement

actuel vers une théorie générale de la gouvernance des organisations à la fois « disciplinant »

et « capacitant » est susceptible de révéler une nouvelle fondation du capitalisme, dont le

slogan originel considère « qu’agir dans le sens des intérêts des actionnaires, c’est agir dans le

sens de l’intérêt général » (Hoarau et Teller 2001:5). Cela suggère-t-il que la recherche d’un

équilibre du cadre de la gouvernance témoigne de l’émergence d’un nouveau dogme selon

lequel « agir dans le sens de l’intérêt général, ce serait agir dans le sens des actionnaires ? »38.

38 Dans La grande désillusion, J. Stiglitz (2002:24) rappelle dans le contexte plus large du fonctionnement de l’économie mondiale que « les règles qui régissent le fonctionnement des autorités et institutions de gouvernement doivent garantir qu’elles prêtent l’oreille et qu’elles répondent aux désirs et aux besoins de tous ceux qu’affectent les mesures et les décisions qu’elles prennent. »

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Sans parler de révolution paradigmatique (Kuhn 1983), le développement en cours que

connaît le champ de la gouvernance pourrait alors révéler une mutation importante des

représentations dominantes du fonctionnement et du contrôle des organisations. Jensen

(2001:311) met en garde en des termes mesurés la communauté des chercheurs face à

d'éventuels écueils :

"Nous ne devons pas confondre optimisation avec création de valeur ou recherche de valeur.

Afin de créer de la valeur, nous n'avons pas besoin de connaître quel est l'optimum réalisable,

mais seulement de savoir par quel chemin l'atteindre, autrement dit comment instituer les

changements et stratégies générateurs de valeur. Pour évoluer activement dans un tel

environnement, nous devons avoir une idée de ce que signifie « mieux », et la recherche de valeur

en est une"39.

39 Texte en anglais: “We must not confuse optimisation with value creation or value seeking. To create value we need not know exactly where and what maximum value is, but only how to seek it, that is how to institute changes and strategies that cause value to rise. To navigate in such a world in anything close to a purposeful way, we have to have a notion of ‘better’ and value seeking is such a notion” (Jensen 2001:311).

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21

Tableaux 1 et 2

Tableau 1 : Exemples de conflits cognitifs et contractuels entre partenaires de l’organisation

Dirigeants Actionnaires Salariés Clients Fournisseurs Environnement

Dirigeants

Conflits cognitifs

entre dirigeants Généraux

intermédiaires inférieurs

opportunité /choix

d’investissement

Type d’investissement

politique de financement

Conflits

contractuels et cognitifs

Gestion des ressources humaines

(rémunération, recrutement, conditions de travail, choix

d’investissement en R&D,

production… Conflits

contractuels et cognitifs

Qualité globale Coût

Conflits

contractuels et cognitifs

Coût Qualité

industrielle Conflits

contractuels et cognitifs

Rentabilité Engagement

éthique, Pollution,

développement local… Conflits cognitifs

Action- naires -

Conflits cognitifs :

minoritaires/ majoritaires individuels,

collectifs Dividende, choix d’investissement prix de cession

Conflits sur les choix de

rationalisation des coûts,

répartition de valeur

Dissonance cognitive et

conflits contractuels

Conflits indirects

en fonction des arbitrages

opérés entre rentabilité

et qualité des produits

Conflits contractuels et

cognitifs coûts

Rentabilité Engagement

éthique, Pollution,

développement local… Conflits cognitifs

Salariés

-

Concurrence interne,

surveillance mutuelle Conflits

cognitifs et contractuels verticaux et horizontaux

SAV, qualité de la prestation

Conflits cognitifs et contractuels

Qualité, coût de la prestation, coopération

Conflits cognitifs et contractuels

Rentabilité Engagement

éthique, Pollution,

développement local… Conflits cognitifs

Clients - -

-

Conflits cognitifs

Comportement du

consommateur et critères de choix

Conflits cognitifs

sur produit, matière première

Engagement éthique,

Pollution, développement

local… Conflits cognitifs

Fournis-seurs - -

- -

Conflits cognitifs

Sur produit organisation

Engagement éthique,

Pollution, développement

local… Conflits cognitifs

En viron-

nement

- -

- - -

Conflits cognitifs entre

groupes d’intérêts

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22

Tableau 2 : Nature de la gouvernance et typologie des mécanismes de GE

Nature de la gouvernance

Mécanismes spécifiques intentionnels spontanés

Mécanismes non spécifiques intentionnels spontanés

Réglementaire

- Assemblées des actionnaires - Conseil d’administration ou biconseil - Syndicat « maison » - Comité d’entreprise

- Environnement légal/réglementaire - Syndicats nationaux - Auditeurs légaux - Associations de consommateurs…

Contractuelle

- Rémunération - Structure formelle - Auditeurs internes - TBP

- Surveillance mutuelle entre dirigeants - Culture d’entreprise - réputation auprès des salariés - Réseaux de confiance informels

Marchés : - des biens/services - financier - du travail - de la formation - politique - du capital social

Influence des parties prenantes

Environnement sociétal et médiatique

Source: Chatelin (2001:156)

Figures 1 et 2

Figure 1 : Le statut du créancier résiduel et l’élargissement de la gouvernance chez quelques auteurs

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23

Figure 2 : le processus de création de rente organisationnelle et variables de contingence

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