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NOUVELLES HISTOIRES DES PAYS D’EN HAUT TOME 3 SÉRAPHIN TEXTE INÉDIT CLAUDE-HENRI GRIGNON Épilogue de Pierre Grignon : L’Ultime Pénitence

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Nouvelles Histoires des Pays d’eN Haut

tome 3

Séraphin

TexTe inédiT

Claude-Henri grignon Épilogue de Pierre grignon :

l’ultime Pénitence

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Du même auteur

Séraphin – Nouvelles Histoires des pays d’en haut, Tome 2, Québec Amérique, 2014.Séraphin – Nouvelles Histoires des pays d’en haut, Tome 1, Québec Amérique, 2013.Séraphin illustré, Les 400 coups, 2010.Contes de la Montagne du Père Bougonneux, nouvelles,

Le Bulletin des agriculteurs, 1941-1970.Les Pamphlets de Valdombre, périodique, 1936-1942.Précisions sur « Un homme et son péché », Éditions du Vieux Chêne, 1936.Le Déserteur et autres récits de la terre, Éditions du Vieux Chêne, 1934.Un homme et son péché, Éditions du Totem, 1933.Ombres et clameurs. Regards sur la littérature canadienne, essai,

Éditions Albert Lévesque, 1933.Le Secret de Lindbergh, Éditions de la Porte d’or, 1928.Les Vivants et les autres, Librairie Ducharme, 1922.

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Nouvelles Histoires des Pays d’eN Haut

Séraphin

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Adjoint éditorial : Éric St-PierreConception graphique : Pascal GoyetteDirection artistique : Nathalie CaronMise en pages et conversion au format numérique : Studio C1C4Révision linguistique : Rosaire Fontaine, Jacynthe Laliberté,

Myriam de Repentigny et Pierre GrignonIllustration : © Albert Chartier, 1953, tous droits réservés

Québec Amérique329, rue de la Commune Ouest, 3e étage Montréal (Québec) Canada H2Y 2E1Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.

Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Grignon, Claude-Henri, 1894-1976Séraphin : nouvelles histoires des pays d’en haut(Tous continents)Publié antérieurement dans la revue Bonnes soirées à partir de 1954.ISBN 978-2-7644-2568-8 (vol. 3) (Version imprimée)ISBN 978-2-7644-2715-6 (vol. 3) (PDF)ISBN 978-2-7644-2716-3 (vol. 3) (ePub)I. Titre. II. Collection : Tous continents.PS8513.R68S47 2013 C843’.52 C2013-940944-0PS9513.R68S47 2013

Dépôt légal : 4e trimestre 2014Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc. et Pierre Grignon, 2014.quebec-amerique.com

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Nouvelles Histoires des Pays d’eN Haut

tome 3

Séraphin

TexTe inédiT

Claude-Henri grignon Épilogue de Pierre grignon :

l’ultime Pénitence

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Le Bon SAmAritAin

L’avare se demandait si le docteur Cyprien accepterait de lui rendre visite. Il savait bien qu’il avait été injuste à son endroit, surtout au cours de la dernière campagne électorale.

— J’sais pas si le docteur va venir, demandait-il continuelle-ment.

— Tu sais ben que oui, Séraphin, le docteur a jamais refusé de soigner qui que ce soit, même si y en a qui ont été injustes envers lui.

— Parles-tu pour moi, Donalda ?— Non, mon mari, mais j’connais assez le docteur pour sa-

voir qu’i est ben bon pour tout le monde. C’est pas mon idée qu’i refuse. Alexis doit être à la veille de revenir avec lui.

Séraphin resta songeur. Il se reprochait un peu d’avoir été si dur et d’avoir été aussi ingrat. Ne possédait-il pas non plus une lettre d’amour de mademoiselle Angélique à l’adresse de son cher ami, le docteur ? Il se sentait coupable. Il était certain d’avoir commis une mauvaise action, cette fois-là, en gardant une lettre parmi toutes celles que Pit Caribou avait trouvées et que lui, Séraphin, avait ni plus ni moins volées, laissant entendre à

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Angélique que c’était lui qui les avait trouvées. On se rappelle cette triste histoire. Aujourd’hui, il se voyait dans l’obligation de recourir aux soins du docteur. C’est pourquoi il était si mal à l’aise et pour tout dire malheureux.

Soudain, on entendit le son mélodieux et menu des grelots dans la campagne enneigée. Donalda se précipita à la fenêtre.

— C’est eux autres ! cria-t-elle.— Es-tu ben sûre, ma femme ?— I approchent de la maison. J’les ai reconnus. Alexis s’en

vient avec monsieur le docteur. J’t’en supplie, mon vieux, tâche d’i faire une belle façon.

— T’as pas besoin de me le dire, soupira presque l’avare.Donalda alla au-devant des visiteurs. C’est avec une certaine

impatience qu’elle ouvrit la porte.— C’est nous autres, fit Alexis d’un air satisfait et comme s’il

rendait réellement un grand service.— En effet, fit le docteur Cyprien, en enlevant son manteau

qu’il jeta sur une chaise. Voilà Séraphin qui se permet d’être malade ?

— Parlez-moi-z’en pas, docteur. C’est un accident qui a eu, une affaire ben rare qui vient d’arriver.

— Bien, bien, je vais examiner cela tout de suite.— Vous avez pas mis trop de temps à venir, fit l’avare presque

en gémissant.— Alexis m’a dit que c’était très grave alors je viens tout de

suite, mon cher Séraphin. C’est mon devoir de médecin.— Vous êtes ben bon, docteur, ajouta l’usurier de cette voix

infiniment désagréable, de cette voix métallique, aigre, qui péné-trait dans les chairs.

— Eh bien ! nous allons examiner ta jambe, mon Séraphin. Nous allons bien voir si réellement il y a une cassure, une fracture.

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— Pour moi, docteur, j’ai entendu comme une espèce de pe-tit craquement, pis j’souffre c’est ben effrayant. Pour moi, est ben cassée.

— Laisse-moi voir.Le praticien examina la jambe droite de Séraphin. Ce dernier

pouvait à peine endurer le plus léger attouchement. Il criait de douleur.

— Voyons, voyons, Séraphin, t’es plus homme que ça !— I a raison, fit Donalda, en s’approchant à son tour. Jamais

j’croirai, mon mari, que t’es pas plus courageux que ça !— Viande à chiens ! c’est pas le courage qui me manque, c’est

la souffrance que j’endure.Le docteur constata qu’il y avait fracture en haut de la che-

ville.— Tonnerre de tonnerre ! comment as-tu fait ton compte,

Séraphin ? C’est vrai que tu t’es fait prendre dans un piège ?— Parlez-moi-z’en pas. Une vraie malchance !— J’comprends cela, mais qu’est-ce que tu faisais là autour de

la cabane de Bill Wabo ?— J’avais affaire, docteur. C’est toute.Le médecin fit signe à Alexis d’approcher.— Par chance que c’est une fracture simple, je n’aurai pas

trop de difficulté à te mettre la jambe dans le plâtre.— J’vas être longtemps sans travailler ? demanda l’usurier.— Ne parle pas de cela, Séraphin. Ce n’est pas le temps. Il

s’agit pour moi de placer ta jambe à son état normal. Viens m’ai-der, Alexis.

L’ancien draveur ne se fit pas prier.— Maintenant, recommanda le docteur, tu vas prendre ton

courage à deux mains, mon Séraphin, c’est le cas de le dire. Nous allons essayer de replacer l’os brisé et j’ai apporté de quoi te faire un bon pansement au plâtre.

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— Viande à chiens ! vous êtes pas pour me mettre la jambe dans le plâtre, docteur ?

— Mais certainement, si tu veux guérir, si tu veux pouvoir marcher un jour. Après tout, ce n’est pas si long.

— Comment c’est que j’vas rester de temps à rien faire ?— Au moins quarante jours, si tu fais le bon garçon. Écoute-

moi, fais ce que je te dis, puis tu guériras. Aide-moi, Alexis.Le docteur Marignon passait à bon droit pour le meilleur

médecin dans les cas de fractures. Il était habile comme pas un et parce que l’on habitait un pays de colonisation, très éloigné des grands centres, et surtout de Montréal, il fallait bien que le médecin s’arrangeât comme il pouvait. Ce n’était pas la première fois que le docteur se trouvait en face d’un pareil cas. Les frac-tures, les foulures, les cassures de toutes sortes, il en avait traité bien d’autres depuis qu’il pratiquait dans ce pays de montagnes, à cinquante milles au nord de Montréal. Certes, Séraphin ne manquait pas de confiance. Il connaissait le docteur depuis tou-jours. Il savait qu’il était passé maître dans l’art de traiter les frac-tures, mais, d’un autre côté, il était mal à l’aise à cause de tout ce qu’il avait dit contre le docteur qu’il jugeait un peu un ennemi redoutable et à cause aussi de l’argent. Au moment même où le docteur commençait à préparer le plâtre qui servirait à immobi-liser la jambe malade, Séraphin se demandait combien cet acci-dent lui coûterait.

— Viande à chiens ! songea-t-il, ça va me coûter cher t’à l’heure.

— Vous, madame, reprit le docteur, en s’adressant à Donalda, vous allez continuer à préparer le plâtre tandis qu’Alexis va me donner un coup de main pour replacer les os.

— Les os ? demanda, inquiet, Séraphin.— Je veux dire arranger ta jambe brisée. Tu vas voir que ça

ne sera pas long, Séraphin. Tu es un homme ?— De mon ordinaire, docteur, j’sus pas un flanc mou.

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— Nous allons bien voir ça.Le docteur, aidé d’Alexis, commença l’opération. Il s’agissait

de replacer l’os brisé ; fort heureusement il s’agissait d’une frac-ture toute simple.

— Ayoye ! cria l’avare.— Ça ne sera pas long, faisait le docteur Cyprien en travail-

lant de son mieux à réparer la fracture.— Bouleau noir ! Séraphin, t’es pas un enfant.— Ayoye ! Ayoye ! continuait de gémir le malade. Vous allez

me casser la jambe. Vous m’arrachez le cœur, docteur.— En attendant, Séraphin, de t’arracher ton argent, reprit le

praticien, en riant.Pendant ce temps-là, toutefois, il opérait de son mieux.Cette besogne difficile et douloureuse à la fois dura une

grosse demi-heure. Une fois le plâtrage terminé, Séraphin eut un soupir de soulagement.

— I a pas à dire, j’pense que ça va déjà mieux.— Je suis content pour toi, Séraphin, mais tu devras demeu-

rer immobile pendant plusieurs jours.— C’est-i vrai que j’pourrai pas marcher ?L’avare posait une question directe, précise. Il s’inquiétait de

savoir s’il pourrait marcher un jour. Mais quel jour ? Dans combien de temps ? Gros points d’interrogation qui le harce-laient, qui le tourmentaient, qui le rendaient infiniment malheu-reux.

Le docteur Cyprien, qui le connaissait depuis toujours, savait à quoi s’en tenir sur ces angoisses qui tenaient Séraphin à la gorge.

— Ça t’inquiète beaucoup de savoir si tu vas pouvoir mar-cher ?

— Mettez-vous à ma place, répondit l’usurier d’une voix lar-moyante et comme si sa dernière heure venait de sonner. Quand c’est que j’vas pouvoir marcher ?

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— Je te dirai à quel moment. Je viendrai te rendre visite en temps et lieu. Pour l’instant, fais ce que je te dis de faire.

— T’as rien que la peine d’écouter le docteur, ajouta Donalda, en jetant un regard du côté d’Alexis.

— Bouleau noir ! on n’a pas comme le docteur Marignon pour mettre des jambes dans le plâtre. I est pas battu, pour ça. Tu le sais, Séraphin, i n’a soigné autant comme autant. C’est pas nouveau.

— Je ne suis pas venu ici pour recevoir des fleurs, Alexis, fit le docteur, en demandant à Donalda un bol à mains.

Il prit le temps de se laver, non sans jeter à la dérobée un re-gard vers l’usurier.

— Tu vois, remarqua Donalda, que t’as ben faite de faire ve-nir le docteur. T’avais pas envie de te soigner tout seul, toujours ?

— J’pensais pas que j’avais la jambe cassée.— Tu peux être certain que je ne me trompe pas. Par chance

qu’il ne s’agit que d’une fracture simple. Tu vas peut-être guérir plus vite que je pense, peut-être que dans trente jours tu pourras marcher, tu comprends cela ?

— J’ai ben compris ça. En seulement comment c’est que ça coûte ?

— Tonnerre de tonnerre ! attends que je te guérisse. Tu es bien pressé pour me payer !

— C’est pas la question, docteur, mais j’aime pas ça avoir des comptes qui traînent.

— C’est la première fois que tu as recours à mes soins. Ne va pas croire que je ne suis pas fier de te soigner comme il faut. C’est un honneur pour moi : le nouveau maire !

À ces seuls mots de « nouveau maire », l’avare comprit que le docteur faisait allusion à la dernière campagne électorale. Il se contenta de lever les yeux sur l’homme qu’il considérait toujours comme un ennemi mortel.

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— I a pas à dire, vous avez été ben bon de venir. En seule-ment, si vous vouliez me dire comment c’est que ça coûte ?

— Je ne peux pas te faire un compte aujourd’hui, Séraphin. Il va falloir que je revienne. On ne sait jamais, il peut y avoir des complications. Je ne suis pas inquiet. D’ailleurs, tu auras ton compte assez vite. C’est bien mon idée, ajouta le docteur non sans esquisser un petit sourire de malice.

— Dans ce cas-là, on va attendre, conclut Séraphin d’une voix basse. J’sais que vous êtes ben bon comme docteur, pis que vous pouvez attendre. D’un autre côté, j’sais itou que vous avez ben des malades qui prennent du temps à vous payer, moi j’pour-rais vous payer drès là, argin comptant.

— Je sais, Séraphin, que tu n’es pas pauvre, mais moi, d’un autre côté, je ne peux pas te faire de compte avant que tu ne sois complètement guéri. Tu comprends cela ?

— J’ai ben compris.Il comprenait surtout que le docteur se montrait bien bon

d’être accouru auprès de lui, malade, et victime d’un accident pour le moins extraordinaire, dans les circonstances. Aussi, le docteur Marignon, qui savait que Séraphin détestait Bill Wabo, voulait bien connaître tout le fond de cette aventure.

— Vous êtes pas pressé de vous en aller ? remarqua Donalda. Vous pouvez toujours vous assire un p’tit brin.

— J’ai un autre malade à voir dans le dernier rang de la pa-roisse. Je n’ai pas envie de me faire prendre par la tempête, ma-dame Poudrier.

— Jasez un p’tit brin, toujours. Toi itou, Alexis, assis-toi don. Ça vous arrive pas souvent de venir. Ça prenait ben un accident pour qu’on aye de la visite dans la maison.

— C’est une idée, docteur. On peut toujours jaser un p’tit brin. À part de ça que la neige a arrêté de tomber. J’vous dis que si la poudrerie poigne là-dedans c’te nuitte, les chemins seront pas passables demain.

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— C’est bien pour cela, Alexis, que je ne peux pas m’attarder. Il faut absolument que je me rende aux Cinquante Terres. Ce n’est pas à la porte.

— Restez don, restez don, insista Donalda, on va jaser.Le docteur et son ami Alexis se regardèrent. Finalement, ils

acceptèrent.— J’vous avertis, madame, que ça ne sera pas pour longtemps.— Le temps que vous voudrez, mais mon mari aussi ben que

moi, ça va nous faire plaisir, de jaser un p’tit brin avec vous autres.— On va-t-i parler de politique, Séraphin ?— Viande à chiens ! tu sais ben que j’file pas pour ça, Alexis.— Ça doit te déranger, reprit l’ancien draveur, de pas t’occu-

per des élections fédérales ? Tu sais que ça chauffe ben gros. Ça se peut que le vieux John Macdonald trouve chaussure à son pied, c’te fois-icitte.

— C’est pas mon idée, Alexis, que le vieux John se fasse battre.— Les élections ne sont pas loin, on approche. As-tu cabalé

un p’tit brin ?— Non, Alexis, j’ai d’autre chose à faire que de cabaler.— Vous comprenez ben, fit Donalda, que mon mari a assez

de s’occuper des élections municipales.— Oh ! oh ! ce n’est pas si sûr que cela, reprit le docteur en

riant. Séraphin est reconnu pour s’occuper toujours de politique. Je sais bien une chose, c’est que s’il n’avait pas eu cet accident-là, on pourrait le voir se promener avec son berlot dans tous les rangs de la paroisse, en train de cabaler pour son ami, le vieux John. Pas vrai, Séraphin ?

L’avare ne répondit pas.— Le docteur te parle, mon mari.— J’ai entendu, ma femme, mais j’sais ben que le docteur

veut rire. I est pas sérieux. I sait ben que depuis quecques années, j’m’occupe pus des élections provinciales ni fédérales.

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— Ça s’comprend pour le provincial, Séraphin. Avec ta place d’Agent des Terres, ça serait difficile pour toi de t’en occuper.

— C’est toi qui parles de même, Alexis ?— Bouleau noir ! tu sais ben que j’dis la vérité, Séraphin. C’est

ben la première fois que tu t’occupes pas d’élections. Tu pensais rien qu’à ça tout le temps.

— J’te dirai, Alexis, que c’t’année, j’ai pas l’temps de m’occu-per de ça.

— C’est vrai, reprit Alexis, i a l’affaire du bois de chauffage. J’te dis que tu vas finir par avoir plus que mille cordes de bois. Tu nous bats d’un boutte. On sait pus de quoi faire, nous autres. Tu as passé des contrats avec tous les colons pis tous les habitants. Tu devrais comprendre qu’y a une disette de bois de chauffage.

— Ce n’est pas la place ni le temps pour parler de cela, remar-qua le docteur Cyprien. Séraphin sait ce qu’il a à faire avec son bois de chauffage. Il brasse des marchés, il fait signer des contrats, les colons ont accepté, nous n’avons rien à dire. Mais ce qui m’inquiète, ou plutôt, ce qui m’intéresse le plus, Séraphin, c’est de savoir comment il se fait que tu as été te prendre dans un piège ?

— J’vous l’ai dit t’à l’heure, docteur, c’est une malchance.— Malchance tant que tu voudras, comment se fait-il que tu

sois allé chez Bill Wabo ?— J’vous ai dit que j’avais affaire là.— Pourquoi ?— J’avais affaire, c’est toute. Ça prend rien qu’un malvat

comme Wabo pour tendre des pièges autour de sa cabane.— C’est sans doute parce qu’il voulait prendre des loups. Tu

sais que Wabo est fort là-dessus : prendre des loups au piège.— C’était pas un piège à loups, c’était un piège à ours.— Tu peux te compter chanceux que le piège n’ait pas eu de

dents, car s’il l’avait fallu, tu n’aurais plus qu’un pied aujourd’hui.

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— Parlez-moi-z’en pas, je l’ai rasé belle. Ça devrait être dé-fendu de tendre des pièges autour des maisons dans la paroisse. I a des territoires pour ça. Wabo a un territoire qui a presque-ment été donné par le gouvernement au lac Solitaire.

— Wabo peut toujours étendre des pièges sur sa propriété, fit le docteur, en allumant un petit cigare. Il est chez lui, après tout. Est-ce que tu n’en étends pas, toi, des pièges ?

— J’étends des collets, pour poigner des lièvres, mais pas pour poigner du monde. J’étends pas des pièges à ours, vous le savez, docteur. Ça devrait être défendu dans la paroisse. Ça l’a pas d’allure.

— C’est défendu, itou, reprit Alexis, de mettre les pieds sus la propriété du voisin, tu le savais que t’étais pas chez vous, Séraphin ? Toi, qui observes tout le temps les lois. De quoi c’est que tu faisais là ? Je me le demande.

Deux fois l’avare fit un signe de la main, protestant de la confiance qu’il avait mise en son voisin.

— J’pensais jamais qui était de même, dit-il. Pour voir si ça l’a de l’allure. Toi itou, Alexis, ça t’arrive, tout en te promenant, de mettre le pied sus la terre du voisin ? Non ? Tu viens jamais chasser sus mes terres ? Ça t’arrive jamais de sauter la clôture ? Si fallait que j’étende des pièges à ours, pis que tu te ferais prendre comme j’me sus fait prendre. De quoi c’est que tu dirais ?

— J’dirais : mea culpa, Séraphin, c’est de ma faute. T’avais pas d’affaire à aller là. Cherche pas une défaite. J’pense, moi, que t’allais fureter. T’es pas mal fouine, Séraphin.

— Moi, fouine ?— Ben sûr, pis toutes les fouines finissent par se faire prendre

au piège. Non, non, jette pas le blâme sus Bill Wabo. T’avais pas d’affaire là.

L’avare savait pertinemment qu’il était dans le tort, il ne pou-vait pas cacher sa sottise. Il s’était bel et bien fait prendre au piège

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par curiosité et aussi pour s’assurer que Bill Wabo avait bien quitté le canton. Il le redoutait tellement !

Le docteur regarda un moment son ami Alexis. Il regarda aussi Donalda et tous les trois attendaient une réponse plus claire de l’avare.

— J’te comprends pas, Séraphin, continua le docteur, un homme prudent comme toi. Franchement, tu me surprends.

— Y a ben des choses qu’on comprend pas dans la vie, ré-pondit calmement l’avare. Oubliez pas, docteur, ni toi non plus Alexis, oubliez pas que, comme Agent des Terres, j’ai le droit d’aller partout, sur tous les territoires dans les Trois Cantons. C’est mon devoir d’y aller.

— Bouleau noir ! tu m’feras pas accroire, Séraphin, que Bill Wabo est colon !

— J’le sais comme toi. En seulement, j’ai ben le droit de voir si i coupe du bois, même si son lot est grand comme la main. Oublie pas, Alexis, que Wabo a eu c’te lot-là comme faveur.

— I a payé pour.— J’le sais comme toi, mais moi, comme Agent des Terres,

j’sus obligé de m’informer pis de me renseigner. Si j’le faisais pas, vous seriez les premiers à me blâmer. Pas vrai, docteur ?

— Quant à ça, tu as peut-être raison, Séraphin. Quand un homme fait son devoir, je ne l’ai jamais blâmé, tu me connais. Rappelle-toi les discours du curé Labelle lorsqu’il s’adressait aux colons.

On causa encore quelque temps, de plusieurs affaires publiques, aussi bien de l’administration municipale que de la colonisation. L’avare, cependant, n’aimait pas à parler trop de la Corporation, étant donné qu’il n’avait pas oublié la lutte si dure qu’il avait faite au docteur, lors des dernières élections, au mois de janvier 1891. D’ailleurs, ce n’était pas d’hier qu’il cherchait la guerre au doc-teur sur le plan politique. On eût dit que l’avare prenait plaisir, à chaque élection provinciale ou fédérale, à changer de parti. C’était

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un vire-capot, comme on dit par là. Il ne changeait pas de capot pour le seul plaisir de contredire l’adversaire, mais parce qu’il voyait, dans cette attitude, le moyen de s’enrichir. Le fait est qu’il choisis-sait son parti toujours au bon moment et qu’à tout prendre, il était toujours au pouvoir. Il n’empêche qu’il se trouvait à combattre le docteur à chaque élection. Quant à la politique municipale, Séraphin se faisait gloire d’être le chef du parti des ménagers. Sur ce point-là, du moins, il sortait victorieux. Mais aujourd’hui qu’il se trouvait malade, incapable de marcher, victime d’un accident pour le moins extraordinaire, il jugeait le docteur bien bon d’être venu à son secours ; après tout, il avait été impitoyable à son endroit et, pour tout dire, d’une ingratitude noire. En face de l’homme qu’il détestait peut-être le plus au monde, il se sentait mal à l’aise. Il reconnaissait lui devoir beaucoup, à cet homme si généreux qui ne refusait jamais de parcourir de grandes distances pour aller soigner des malades, souvent des pauvres colons qui se voyaient incapables de le payer. Il savait bien que le docteur Cyprien  Marignon n’avait rien à se reprocher. Pour la première fois de sa vie, il avait recours à lui. Oui, pour une fois. Jamais son père, Joseph-Évangéliste-Séraphin Poudrier n’avait eu besoin du docteur. Ni lui non plus, l’avare. Mais, cette fois-ci, c’était grave. Et le docteur n’avait écouté que la générosité de son grand cœur pour accourir auprès de lui et le soulager dans un moment aussi difficile.

Lorsque le docteur décida de s’en aller, en même temps qu’Alexis qui allait le reconduire au village, Donalda ne savait trop comment s’exprimer pour manifester toute sa reconnais-sance.

— C’est ben simple, docteur, j’sais pas comment vous remer-cier, dit-elle.

— Voyons, madame, vous savez bien que c’est toujours pour moi un plaisir que de soulager la misère humaine. D’ailleurs, votre mari me connaît.

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raison ne trouvait le moindre écho chez Séraphin. Trois jours qu’il était là, trois longues journées, immobile, sans boire ni manger, tel un homme qui n’aspire qu’à mourir.

— Mon Yeu moé… J’mérite pourtant pas ça.Donalda ne savait toujours pas quel secours elle aurait pu

apporter à son mari. Son devoir d’épouse et de chrétienne lui dictait d’agir, mais Séraphin avait chassé le docteur, le Père Ovide, et même le curé Raudin, dès que chacun s’était présenté à lui. Personne ne pouvait faire la moindre allusion à toute cette fortune qui lui restait au-delà des mille cordes dévaluées par décret gouvernemental. L’homme très riche qu’il demeurait refusait tout échec, tout fléchissement dans sa folle quête de la fortune. C’eût été à ses yeux un acte d’une extrême lâcheté que de chercher à se consoler de l’immense trésor qu’il avait amassé par tant de lésine, de sacrifices, et d’usure excessive auprès de tous ceux qu’il tenait à la gorge.

À la nuit tombée, Donalda prit le bougeoir et, dans ce filet de lumière, s’approcha de l’homme qui dormait profondément. Elle reprit le petit bol de fer-blanc qui avait contenu le bouillon de poule qu’elle avait déposé plus tôt en fin d’après-midi et que Séraphin avait bu. Donalda resta discrète, récita en elle-même un Ave à la Vierge Marie et, dans cette obscurité où semblait poindre une lueur d’Espoir, elle glissa doucement le chapelet du comte de Montignac dans la main sale de l’avare.

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L’amour n’est jamais chose facile dans les pays d’en haut. Donalda Laloge, épouse d’un avare rongé par une affection démesurée pour les biens matériels, connaît cette dure réalité. Cependant, tout le monde est confronté à quelque chose qui le dépasse lorsqu’il est question d’attachement. Quand Julia Destreilles apprend que son père, Josaphat, souhaite se remarier, elle devra faire face à la plus grave décision de sa vie. D’autant plus que le promis de la jeune Destreilles, Ti-Mousse, n’arrive toujours pas à lui arracher son accord pour un mariage prochain. Que se passe-t-il donc dans la tête de Julia ?

Pendant ce temps, l’un des plus grands feux de forêt ja-mais observés dans la région menace Saint-Donat et tous les environs. Séraphin, inquiet pour la réserve de bois qu’il a entassée au ruisseau Bleu, franchit la distance entre Sainte-Adèle et le lac Ouareau afin d’évaluer le danger que pose l’incendie. Son passé d’usurier choisira ce moment pour le confronter…

Sans parler de Fidélia, l’épouse du notaire Lepotiron, subitement saisie de folie des grandeurs ! Que lui prend-il de s’ingérer ainsi dans les amours qui fleurissent entre sa fille Iphigénie et le fils du tanneur Chevron ?

Un dernier volet enlevant, bonifié d’un épilogue entièrement nouveau de Pierre Grignon, pour une histoire qui aura mar-qué des générations entières de Québécois... et de Canadiens français.

Idée originale : Rosaire Fontaine

Claude-Henri grignon

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