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Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la douleur

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Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la douleur

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Avant -propos

Programme de bourses pour la recherche en sciences sociales

Rapport final

Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université

Jean Monnet, Triangle

Chercheurs associés : Frédéric Mougeot (Doctorant en sociologie, université Lyon II,

CMW), Bérangère Ginhoux (Docteure en sociologie, Université Jean Monnet, CMW),

Bertrand Guérineau (psychologue clinicien, AMPD, Nantes).

Titre du projet: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la douleur

Organisation: Université Jean Monnet de Saint-Étienne.

Laboratoire TRIANGLE UMR5206

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Résumé:

Cette recherche se propose de renforcer la connaissance des causes et des comportements de

dopage. Dans cette optique nous nous sommes focalisés sur l’expérience de la douleur,

physique et morale, des jeunes sportifs engagés dans une pratique de sport intensif ou qui sont

aux portes du haut niveau. Il s’agit de voir comment la douleur fait l’objet de pratiques de

soins dans différentes sphères sociales (famille, club, médecine etc.). Plusieurs acteurs

participent à la gestion de la douleur, à sa redéfinition en fonction d’enjeux et d’intérêts

différents. Cette gestion de la douleur inclut forcément des choix dans les pratiques de soin

(traitement médicamenteux, techniques thérapeutiques etc.), et nous avions fait initialement

l’hypothèse que celles mises en oeuvre par l’entourage du jeune sportif pour gérer ou

dissimuler la douleur, peuvent dériver vers des pratiques dopantes.

Objectifs:

Le but de cette recherche est d’apporter des éléments de réflexion sur le processus d’entrée

dans le dopage des sportifs adolescents, de réfléchir aux frontières entre se soigner et se doper

qui peuvent à cet âge de la vie être floues. Notre but était d’appréhender leur perception de la

douleur liée à leur pratique intensive du sport et d’identifier les consommations de

médicaments antalgiques, de méthodes et de techniques antidouleur mobilisées par les jeunes

sportifs et leur entourage pour les faire disparaître ou éventuellement apprendre à « faire avec

» ces douleurs.

La structure du rapport final:

Le rapport se découpe en deux parties : la première partie restitue les résultats de notre

enquête qualitative (par entretiens semi-directifs), la seconde restitue les résultats de notre

enquête quantitative réalisée dans deux services hospitaliers de médecine du sport. A ces deux

parties sont joints deux articles scientifiques : l’un synthétise la partie qualitative et l’autre, la

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partie quantitative. Il y a donc, en quelque sorte, pour chaque approche une version longue et

une version courte de l’enquête. Les deux articles scientifiques (versions courtes) – dont nous

espérons obtenir l’accord de l’AMA pour les proposer à des revues scientifiques - ont

l’avantage de mettre en évidence les principaux résultats de notre recherche. Pour autant,

chaque partie du rapport (qualitative/quantitative) déploie ses principaux points d’appuis

théoriques et méthodologiques et présente de nombreuses données recueillies au cours de

l’étude et en propose certaines interprétations. Par ailleurs, chacune de ces deux parties

expose des informations qui ne sont pas forcément présentes, dans les articles scientifiques.

Certaines informations figurant dans les deux parties du rapport sont à destination exclusive

de l’AMA et ne peuvent être rendues publiques. En effet, certaines données empiriques (par

exemple relatives à la consommation de médicaments par les sportifs) restent à vérifier.

Cependant, nous les avons relayées quand il nous a semblé que l’AMA pouvait les trouver

pertinentes.

Ces deux parties du rapport peuvent se lire indépendamment l’une de l’autre mais la lecture

de l’une éclaire et confirme les résultats de l’autre. Les résultats et les tendances caractérisées

sont identiques. Ils nous permettent de conclure le rapport par une série de préconisations et

de traduire notre recherche en actions.

Évolution de la recherche et mise en oeuvre du projet scientifique:

Cette recherche a connu quelques soubresauts au cours de deux années du programme : les

terrains envisagés au départ se sont reconfigurés et l’équipe de chercheurs initialement prévue

s’est, elle aussi, modifiée. Nous avons systématiquement tenu informé l’AMA de ces

évolutions lui faisant ainsi des propositions d’adaptations face aux aléas de la recherche. Nous

ne les avons engagés qu’après avoir obtenu l’accord de principe de Léa Cléret. Même si

toutes les conditions initiales n’ont été que partiellement réunies, la recherche a pu être

pleinement mise en œuvre et ainsi fairet émerger des résultats scientifiques probants.

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Ces évolutions sont de deux ordres : la première concerne la partie quantitative de l’enquête,

la seconde concerne l’équipe de la recherche.

Comme indiqué dans le projet, nous avions pour objectif d’administrer à partir des mois de

mars et avril 2014 notre questionnaire sur deux sites hospitaliers : celui de Saint-Étienne et

celui de Nantes. Cependant, à Nantes, la situation a évolué en raison de l’avenir incertain de

l’antenne médicale de prévention du dopage. Le projet s’est appuyé sur différents

responsables d’Antennes Médicales de Prévention du Dopage dont l’existence était menacée

pour de nombreuses raisons précisées dans le rapport, pour le Sénat, de la commission

d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage (2013, n°782, p. 103 et suiv.). A Nantes,

Mr. B. Guérineau, responsable de l’AMPD (rattachée au service addictologie du CHU de

Nantes), chercheur associé au projet ne pouvait pas prétendre administrer le questionnaire –

même avec la présence d’un stagiaire - dans le cadre de ses consultations liées à l’AMPD. La

file active de l’antenne médicale s’avérait en effet bien trop faible. Notre demande de

collaboration avec le service hospitalier de médecine du sport du CHU de Nantes (dirigé par

le Dr. Carole Paruit) est restée sans suite. Pour ne pas prendre du retard sur notre programme

de recherche, nous avons pris contact avec l'Antenne médicale de Prévention du dopage de

Montpellier (dans la même situation que Nantes), sans résultats, avant que nous puissions

entrer en contact avec l’antenne médicale de prévention du dopage du Dr Sandra Winter et le

service de médecine du sport du CHU de Lyon (du Dr. J-F. Luciani) ont permis, finalement,

l’administration des questionnaires à partir du mois de mai 2014.

Cependant, la dimension quantitative de l'étude a continué de se compliquer : à partir des

mois de mars avril et mai 2014, et suite à la validation du questionnaire par l'AMA, nous

étions prêts à commencer la diffusion du questionnaire à Saint-Étienne puis à Lyon. Or, le

Docteur R. Oullion (chercheur associé au projet et responsable de l’antenne médicale de

prévention du dopage et du service de médecine du sport de Saint-Étienne), n'ayant plus la

responsabilité du service, n’était plus en mesure de nous permettre d'accéder à son service

pour l’administration du questionnaire. Il nous a donc fallu renégocier notre présence auprès

du nouveau chef de service (M. P. Edouard), qui est aussi devenu, plus tard, responsable de

l’AMPD. Cette négociation a eu lieu pendant la première phase de consultations et les bilans

sanitaires des jeunes sportifs. Nous avons donc dû reporter l’administration du questionnaire

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au mois de septembre octobre et décembre 2014. Au mois de septembre, pour des raisons qui

semblent internes au service de médecine hospitalière, M. Roger Oullion a démissionné de

son poste de praticien hospitalier et de ses engagements scientifiques au sein de son

laboratoire (LPE UJM). Notre projet a donc perdu un chercheur clé à un moment où nous

avions besoin de lui.

Pendant plusieurs mois, nous avons travaillé avec les deux assistants de recherche (Frédéric

Mougeot puis Bérangère Ginhoux à la fin du mois de décembre 2014) sur les deux sites pour

essayer d'atteindre les objectifs fixés par le projet. De toute évidence, et malgré nos efforts,

nos ambitions sur ce versant de l'enquête (600 questionnaires) ont été revues à la baisse (nous

avons tout de même atteint 191 jeunes sportifs). Ces éléments n’ont pas mis en péril la

pertinence de l'analyse statistique (qui visait moins la représentativité statistique que

l'exhaustivité sur les différents sites) mais cela nous a amené à reconsidérer son statut dans

l'architecture de l'enquête. Toutefois, force est de constater que ce déficit n’est pas

uniquement du aux aléas de la recherche : certes c'est, nous semble t-il, dû à une projection

qui a été mal estimée au départ par les responsables de l’étude et à des critères d’inclusion

précis particulièrement restreints (cf. partie 2) mais c'est aussi, indéniablement, un des

résultats de l'enquête : les services hospitaliers de médecine du sport ont, eux aussi, une faible

file active. L’enquête qualitative le montre d’ailleurs : les jeunes sportifs sont surtout suivis

par des professionnels du soin orientés et inscrits dans des réseaux de soins informels ou

directement en lien avec des centres de médecines sportives privés (kiné, ostéopathe, etc.)

Pour compenser cette baisse d’effectif statistique nous avons proposé de prolonger notre étude

qualitative et d’enrichir ce versant qui, au départ, devait être exploratoire (n= 20). Au total

nous avons réalisés 46 entretiens semi-directifs approfondis. Ces entretiens ont été

principalement menés auprès de jeunes adolescents sportifs. Les autres ont été faits avec des

parents de jeunes sportifs de haut niveau, d’autres avec des médecins du sport, des praticiens

médicaux (kinésithérapeutes, psychologues, etc.), des entraîneurs de jeunes athlètes sur le

rapport à la douleur. Ces entretiens ont été analysés au cours de l’année et ils nous ont permis

de présenter une étude qualitative.

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Au final, notre équipe s’est resserrée et nos interlocuteurs ont changé : si nous avons continué

d’échanger et de suivre les travaux de Mr Guérineau qui ont abondé notre enquête, nous

avons bénéficié de l’aide des Dr. Pascal Edouard et Dr. Sandra Winter (respectivement

responsables des AMPD de Saint-Étienne et de Lyon) qui ont contribué avec leur équipe à la

bonne marche scientifique de cette enquête au sein de leur service.

Résultats :

Synthétiques : articles scientifiques (en annexe)

Développements : Etude qualitative (partie 1) et étude quantitative (partie 2) rapport

final.

Reccommandations : Conclusion générale

Effet de la recherche sur le développement professionnel :

La recherche a permis de renforcer les liens avec les laboratoires de recherche

interdisciplinaires (laboratoire de physiologie de l’exercice, faculté de médecine, service

hospitalier) et d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche pour les membres de l’équipe.

La création du Master Sciences sociales et médecine par le responsable scientifique du projet

sera l’occasion à l’avenir de développer des travaux d’étudiants avancés liés au sport, à la

santé et au dopage. Mélanie Brossier, étudiante en Master 2 Sciences sociales & Médecine, a

effectué sur le site CHU de Saint-Étienne un stage conventionné et indemnisé dans le cadre

de ce programme pour l’administration du questionnaire.

Par ailleurs le projet s’inscrit dans la politique et le développement stratégique de

l’établissement (UJM) autour d’un axe santé/société et accompagne la création du pôle santé

qui vise à l’échelle régionale à renforcer les liens entre santé, ingénierie et prévention. Il sera

ainsi possible de nouer des partenariats avec des structures comme l’Institut fédératif de

recherche en sciences et en ingénierie de la santé ou de participer à des projets européens

comme Sport et santé avec la Cité du design, « People Olympics » etc.. De nombreux

programmes en cours d’élaboration sur le thème sport ingénierie et santé impliquant une

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multitude de partenaires pourraient être des opportunités professionnelles pour les assistants

de recherche (Frédéric Mougeot, Bérangère Ginhoux). Ces derniers auront eu la possibilité de

présenter les résultats de cette recherche au cours de l’année 2 dans le cadre de séminaire ou

de colloque.

Publications:

Au terme des deux années, deux articles pour publication scientifiques sont d’ores et déjà

proposés à l’AMA pour validation.

1. BUJON T., MOUGEOT F., « Le négoce de la douleur dans la carrière des

sportifs de haut niveau » (Les revues scientifiques visées : Déviance et société,

Sciences sociales et santé, Drogues santé et société. ; des revues de Sciences humaines

et sociales)

2. BUJON T., MOUGEOT F., GINHOUX B. « La consommation d’antalgiques

chez les adolescents sportifs » (Les revues scientifiques visées :Science & Sports, Le

courrier des addictions, Psychotropes ; revues multidisciplinaires liées au champ

médical et destinés aux acteurs du champ de la santé)

Un autre article à destination des médecins généralistes est en cours de rédaction pour la revue

: Médecine. De la médecine factuelle à nos pratiques. (John Libbey Eurotext www.revue-

medecine.com).Nous prévoyons de faire parvenir à différentes revues professionnelles les

résultats de notre travail afin d’en assurer une diffusion plus large.

Présentations/communications:

Cette recherche a fait l’objet de plusieurs communications scientifiques dans le cadre de

séminaires, colloques nationaux, congrès internationaux.

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1. Thomas Bujon, Frédéric Mougeot, « Le sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage

de la douleur. Présentation d’un projet de recherche ». Séminaire Santé/société, faculté

Sciences humaines et sociales, département de sociologie, Master sociologie et anthropologie.

04 avril 2013

2. Thomas Bujon, Frédéric Mougeot, « Le sport intensif à l’adolescence : trajectoires et

socialisation de la douleur », Journée d’étude Sport intensif et douleur à l’adolescence : de la

sociologie à la psychopathologie. CHU Hôpital Nord, 14 novembre 2013 (cf. rapport

intermédiaire pour l’organisation de cette journée multidisciplinaire). Ont communiqués : Pr.

Xavier Bigard (physiologie, biologie musculaire), Dr, Olivier Martin (pédiatrie), dr, Pascal

Giraux (médecine rééducative), Dr. Claire Condemine-Piron (médecine du sport), M. Laurent

Dartigues (sociologue), Mme Gaëlle Sempé (sociologue), Dr. Franck Enjolras (psychiatre,

doctorant anthropologie).

http://www.reseau-chu.org/les-articles/article/article/lexperience-de-la-douleur-

comme-objet-de-recherche/

3. Thomas Bujon « Produits dopants, médicaments et drogues sociales : ethnographie des

régimes dopants des jeunes sportifs », Cultures Chimiques : Enjeux épistémologiques,

éthiques et méthodologiques , Emilia Sanabria, Anita Hardon (dir.) Ecole Normale Supérieure

de Lyon, première journée du programme ERC Chemical Youth, 17 février 2014.

http://aissr.uva.nl/research/externally-funded-projects/content6/recent/chemical-youth.html

4. Thomas Bujon, Fréderic Mougeot, « Douleur et dopage dans le sport intensif à

l’adolescence:de l’expérience vécue de la douleur à l’expertise négociée », Congreso

Internacional IV Deporte, dopaje y sociedad, Madrid 26 février 2014 (communication

acceptée). Les frais d’inscription au congrès et les frais de déplacement nous sont parus trop

élevés pour nous y rendre. Nous avons du y renoncer.

5. Thomas Bujon « La guerre contre le dopage : un simple dérivé de la guerre contre la

drogue ? », Congrès Addictologie et travail, Travail santé et usages de substances

psychoactives. Etat des connaissances et modèles de prévention, Paris, Montrouge, 7-8 avril

2014

6. Thomas Bujon, Fréderic Mougeot, « Le dopage des enfants et des adolescents : des

pratiques de soin extrêmes ? » Colloque Addictions et société. Quels regards, quels enjeux ?,

Genève, 12 novembre 2014. Discutant : Dr. B. Kayser.

http://www.addictionsetsociete.ch/presentation.php

7. Thomas Bujon, Fréderic Mougeot, Bérangère Ginhoux, « Le négoce de la douleur

dans la carrières des sportifs de haut niveau » Séminaire, dir. Patrick Mignon Sciences

sociales et performance, INSEP, Paris, 04 février 2015.

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Remerciements :

Nous remercions toutes les personnes qui ont participé à cette étude : pour la réalisation du

questionnaire nous avons pu nous appuyer sur les compétences de Nathalie Dejong, assistante

de production et d’analyse des données au laboratoire TRIANGLE et CERCRID à l’UJM.

Caroline Vaisse qui a assuré avec une grande rapidité et de manière fidèle les propos des

entretiens semi-directifs. Mélanie Brossier, étudiante-stagiaire, notamment pour

l’administration des premiers questionnaires/tests. Yvan Weitzel pour la réalisation du support

graphique. Le Dr Rodolphe Charles, maître de conférence associé à la faculté de médecine de

Saint-Étienne pour ses relectures. Patrick Mignon, Laurent Dartigues, pour leurs

encouragements. Nos remerciements vont enfin à Léa Cléret, pour sa patience et pour nous

avoir toujours soutenus dans nos recherches sur le dopage. Son enthousiasme et son

professionnalisme nous a été, tout au long de ce programme, extrêmement précieux.

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Partie I :

L’apprentissage de la douleur dans la carrière des jeunes sportifs

de haut niveau : à propos des médicaments, méthodes et

techniques antidouleur dans les mondes du sport.

Etude qualitative

***

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Introduction

Chaque année, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) publie la liste des substances et des

méthodes interdites. A cette liste s’ajoute une autre liste, moins connue du grand public, celle

des substances placées sous surveillance. Ces substances sont signalées comme étant

consommées par les sportifs de haut niveau : au détour de prélèvements d’échantillons

urinaires ou sanguins de sportifs réalisés par les laboratoires antidopage accrédités, en raison

d’informations relayées incidemment par le milieu sportif ou médical; d’une augmentation

des prescriptions médicales, de vols, ou encore d’informations délibérément transmises et

rendues publiques, on sait que ces substances sont utilisées mais leur taux de prévalence dans

les milieux du sport, les quantités absorbées, les niveaux de consommation, les effets attendus

du produit, les risques qui leur sont associés, restent obscurs. Ils font alors l’objet d’un

programme de surveillance : pendant plusieurs années les laboratoires de l’AMA prélèvent,

dans des circonstances spécifiées (en et/ou hors compétition), des échantillons dans les urines

ou le sang des sportifs pour identifier la présence de ces substances et en mesurer la

prévalence d’usage dans le sport. Ces substances pourraient être inscrites dans la liste des

interdictions s’il s’avérait que leur consommation constitue une « violation des règles

antidopages » fixées par le code mondial antidopage depuis 2002 (Cléret, 2011). Certaines

substances, comme par exemple la caféine ou la nicotine (Bujon, 2008), restent ainsi pendant

plusieurs années sous monitoring program, certaines finissent par être inscrites dans la liste

des produits interdits, mais d’autres en sortent. Les substances qui figurent sur la liste de

surveillance sont, jusqu’à nouvel ordre, autorisées par l’AMA et font parties de la «

pharmacologie légale » du sportif (Fincoeur, 2010).

La dernière liste des substances figurant dans le programme de surveillance, publiée en 2015,

nous renseigne sur au moins deux points. Le premier est que cette liste intègre, spécialement

depuis 2012, un nombre croissant de produits qui entrent sous la rubrique des narcotiques.

Effectivement, certains médicaments opiacés y figurent (hydrocodone, ratio

morphine/codéïne, tapendadol, tramadol). Ces substances, généralement employées dans le

cadre de traitement de douleurs aiguës ou de douleurs chroniques sévères (généralement

cancéreuses), sont parfois utilisées dans le cadre de traitement des addictions aux opiacés

illicites (héroïne, cocaïne) aux titres de substituts ou de compléments. A cette liste, s’ajoutent

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les glucocorticoïdes qui sont des anti-inflammatoires. Le second point, est que les produits

incriminés et/ou surveillés par l’AMA renvoie à une forme de « fuitage pharmaceutique »

(Lovell, Aubisson, 2008). Ce phénomène n’est pas nouveau. Les produits dopants sont

d’abord et majoritairement des médicaments ou des techniques thérapeutiques détournés de

leurs usages premiers. Ils sont alors utilisés pour améliorer les performances et non

exclusivement à des fins thérapeutiques. Ce phénomène est bien identifié. En revanche, ce qui

l’est moins, ce sont la qualité et la quantité des substances thérapeutiques utilisées par les

sportifs ou par leur entourage, les niveaux d’usages et les pratiques à risque des utilisateurs de

ces médicaments appartenant aux narcotiques. Les produits surveillés pourraient ainsi se

révéler être réellement utilisés à des fins thérapeutiques, pour soulager des souffrances,

déplacer le seuil de tolérance de la douleur ou pour la « contrôler » (Lévy, Thoër, 2008) y

compris, peut-être, pour atténuer les douleurs produites par l’usage régulier de produits

dopants interdits (hormones de croissance etc.). Ces substances sont-elles dopantes ? et, si

elles ne l’étaient pas, doivent-elles, comme d’autres produits utilisés par les sportifs – le

cannabis par exemple (Mazanov, 2013) dont on sait qu’il est fortement expérimenté par les

adolescents et fortement représenté dans les prélèvements issus des tests antidopages - figurer

sur la liste des produits interdits par l’AMA en raison des risques sanitaires liés à leurs usages

ou parce qu’elles sont contraires à l’esprit sportif (cf. art. 4.3 du code mondial antidopage de

l’AMA)?

Cette liste des produits agglomérant différentes classes de médicaments (antalgiques,

analgésiques ou opiacés) est doublement significative. Tout d’abord, elle est significative en

ce qu’elle rend compte d’un renouvellement des modes de consommation des drogues légales

ou illégales – en l’occurrence des opiacés - dans le sport. Ensuite, elle est significative en ce

qu’elle nous informe sur l’élargissement du champ de la lutte antidopage à des types de

substances qui ne sont pas historiquement identifiées comme dopantes comme peuvent l’être

les stéroïdes anabolisants, les hormones de croissance, l’EPO, ou différents types de

stimulants (amphétamines, etc.) pris explicitement pour améliorer la performance. Les

pratiques relatives à la consommation de stéroïdes anabolisants, de stimulants, de

compléments alimentaires (protéines, créatine, vitamines, boissons énergisantes, etc.),

d’alcool, de tabac ou de cannabis dans le sport parmi les « adolescents » (Arvers, Choquet,

2003, Peretti-Watel, 2011 ; Thoer, Levy, 2008, 2011, Sala et al. 2014) font d’ailleurs l’objet

d’une littérature internationale abondante relayée dans les revues Journal of Adolescent

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Health, Pediatric Clinics of North America, Addictive Behaviors, Pedriatrics, Drogues santé

et société, etc. 1 ; tandis que les pratiques liées à la consommation d’antidouleur 2 ou même

d’opiacés illégaux dans le sport restent, comparativement, bien pauvres.

Cette attention publique croissante aux comportements d’usages et aux pratiques à risques des

adolescents dans différents espaces (festifs, sportifs, scolaires etc.) est associée à une

conception de l’adolescence généralement définie comme « une période cruciale du point de

vue des apprentissages et des expériences de la vie ». A ce titre, c’est à cet âge de la vie que «

l’initiation aux drogues licites ou illicites peut, en effet, potentiellement conduire, à terme, à

l’amplification des problématiques individuelles (psychologiques, éducatives,

sociofamiliales). » (Beck et al., 2010 ; INSERM, 2014). L’adolescence est généralement

décrite comme une période de « découverte des usages de produits psychoactifs », comme

une « période de vulnérabilité maximale au dopage » (CNRS, 1998). L’adolescence est

également perçue comme une période « d’adaptation » qui s’accompagne aussi de troubles

relationnels, de signes dépressifs ou anxieux, ou encore de manifestations violentes. Enfin,

l’enfant ou l’adolescent apparaît « plus sensible aux influences de l’environnement,

particulièrement vulnérable aux questions touchant à l’image du corps et à la construction de

l’identité » (Purper-Ouakil, 2002). Ainsi, les enquêtes en population générale portant sur les

usages de substances psychoactives se sont progressivement centrées sur la population des

adolescents particulièrement exposées aux risques apportant ainsi des éléments chiffrés sur

certaines sous-population adolescentes : leurs usages de substances psychoactives sont mis en

lien avec certaines de ses composantes sociodémographiques (genre, âge, scolarité, pratique

1 Nous faisons ici davantage référence aux études épidémiologiques internationales ou aux enquêtes produits par

les sciences sociales. Nous avons réalisé notre recherche sur plusieurs bases de données (PubMed, Cairn,

Ecobost, Springer, JSTOR, Erudit, etc.) à partir de différents mots clés : jeunes sportifs/young athletes, college

athletes ; adolescence/youth, risques/risk ; dopage/doping, douleur/pain, blessure/injury. La littérature est

principalement produite sur ces sujets par les chercheurs nord-américains et scandinaves puis par des chercheurs

notamment français, allemands, néerlandais ou australiens. De manière générale, la littérature produite sur la

douleur est d’ordre médicale et diffusée dans de nombreuses revues scientifiques spécialisées en médecine du

sport, en physiologie du mouvement ou de l’exercice, ou en traumatologie sportive etc. et dont le but est de

produire expertises, diagnostics et traitements médicaux spécifiques.

2 Précision sémantique : lorsque nous employons le terme antidouleur nous faisons référence aux médicaments

antalgiques de paliersI, II et III dont les anti-inflammatoires (AINS) ainsi qu’aux traitements antalgiques

adjuvants qui peuvent leur être associés. Nous employons aussi cette expression pour évoquer les pratiques

thérapeutiques non médicamenteuses à visée antalgique (massages, hypnose, entraînement mental, etc.). Les

sportifs et leur entourage, et parfois les médecins qui les encadrent, parlent souvent de médicaments

« antidouleur » ou « d’antidouleur » sans distinguer leurs niveaux ou s’ils sont à visée analgésiques ou

antalgiques. Pour notre part, nous utiliserons, autant que faire se peut, la notion d’antalgique ou de médicaments

antalgiques dont les différents paliers ont été référencés par l’Organisation Mondiale de la Santé.

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sportive, etc.) ou avec d’autres « conduites associées » (violence, absentéisme scolaire,

suicide, etc.). La recherche des facteurs explicatifs (socioéconomiques et scolaires, familiaux,

d’environnement ou de personnalité, etc.) jouant un rôle dans la consommation de substances

psychoactives s’est complexifiée sur le plan épidémiologique pour les enfants et les

adolescents sportifs (Salla, 2014).

Ainsi, les consommations des drogues illégales ou légales (alcool, tabac, médicaments) des

adolescents engagés dans une pratique intensive ont été très souvent comparées avec celles

des jeunes de la population générale. La fameuse courbe en U décrite par l’épidémiologiste

Marie Choquet - bien que nuancée (Peretti-Watel, 2002) – a permis indéniablement d’établir

un lien entre une consommation significative de substances psychoactives (alcool, tabac,

cannabis, médicaments), des comportements déviants (violence, conduites à risques) et la

pratique intensive du sport (Peretti-Watel, 2003) : les jeunes pratiquant un sport de manière «

intensive » (plus de 8 heures par semaine) ont tendance à consommer plus de drogues et ont

plus de conduites à risques (violences) que les jeunes ne pratiquant pas de sport (Arvers,

Choquet, 2003). Progressivement, les recherches sur les adolescents se sont élargies : de

l’étude des substances interdites consommées dans le sport (stéroïdes), on a fini par aussi

s’intéresser – bien que timidement - aux usages et mésusages de médicaments prescrits et

autorisés par les sportifs (Alaranta, 2008 ; Lévy, Thoër 2008) pour, enfin, questionner les

jeunes de la population générale (non sportifs) sur la consommation de produits dopants

comme les stéroïdes anabolisants par exemple (Choquet, 2008).

Tout récemment, aux Etats-Unis, et à un bien moindre degré en Europe, le constat d’un fort

accroissement du niveau de consommation de médicaments antalgiques et des overdoses

médicamenteuses liées à la consommation d’antalgiques (opiacés) ou de substituts aux

opiacés ont permis d’engager des recherches à grande échelle pour en mesurer la prévalence

d’usage en population générale (Dowling et al. 2005, Bonar et al. 2014, Franck et al., 2015).

En particulier, depuis que les grandes enquêtes – en l’occurrence celles du National Institut on

Drug Abuse- ont identifié cette tendance chez les adolescents (NIDA 2013), de récentes

études montrent que les adolescents sportifs - parce que leur risque d’être blessé est bien

supérieur aux non pratiquants - ont plus de chances d’utiliser ces médicaments opiacés (hors

prescription et de manière abusive) que les adolescents qui ne font pas de sport (Tricker,

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1999, Lévy, Thoër, 2008 ; Selanne et al. 2014, Veliz et al. 2013, 2014). Certains sports tels

que le football américain ou le hockey sur glace (Cottler et al. 2011, King et al. 2014) sont

particulièrement scrutés. En Europe, quelques recherches commencent à appréhender les

logiques sous-tendant la consommation d’antidouleur médicalement prescrits (antalgiques ou

analgésiques) dans le hockey sur glace (Selanne et al. 2014), le football (Tscholl et al. 2009),

la lutte (Veliz, 2014). Le cyclisme semble lui aussi particulièrement concerné 3. Une enquête

avait indiqué qu’aux JO de Sydney les anti-inflammatoires non stéroïdiens étaient les

médicaments les plus utilisés par les athlètes après les vitamines (Grémion, Saugy, 2013,

Lippi et al. 2006). Toutefois, peu d’entre elles établissent un rapport direct, un « pont » entre

ces consommations et d’éventuelles pratiques dopantes (sauf Selanne et al. 2014 4 ) ou

d’éventuelles pratiques relevant des mondes de la drogue.

Les médicaments consommés par ces sportifs appartenant à la famille des antalagiques et/ou

des anti-inflammatoires ont bien souvent été relégués et maintenus aux marges de la lutte

antidopage avant d’être intégrés dans les listes. Interpellé au cours d’un colloque organisé à

Paris en 2011 5 (CNOSF, 2011) sur l’augmentation de la consommation des anti-douleurs

dans certains sports, le Dr. Olivier Rabin, directeur scientifique à l’AMA, faisait le constat

suivant :

« Vous avez rappelé la position de Michel d’Hooghe 6 soulignant que les antalgiques

n’étaient pas interdits par l’AMA. Ils permettent à un athlète d’atteindre le niveau de

performance qui est le sien et non d’aller au -delà. Le problème est donc plutôt d’ordre

médical. Pour le reste, je me méfie toujours lorsque l’on considère que la liste des

substances interdites est une liste fourre tout. Le nombre de substances consommées

3 Par exemple, les révélations de Mickael Burry co-équipier de Lance Armstrong dans son livre Shadows on the

Road: Life at the Heart of the Peloton, from US Postal to Team Sky à propos des usages du tramadol dans le

peloton cycliste professionnel. Voir aussi « Sky veut interdire le Tramadol », L’équipe avril 2014 ; Clément

Guillou « Le Tramadol, antidouleur addictif que le cyclisme aimerait interdire », Rue 89, avril 2014.

4 Une étude (Progler, 2013) à propos du développement de l’usage et du trafic de tramadol dans les tunnels des

territoires de Gaza, évoque son usage « dopant » par les travailleurs de nuit.

5 11ème colloque National de Prévention et de Lutte contre le dopage, Paris, les 1

er et 2 avril 2011. Cf en

particulier l’intervention du Dr G. Guillaume « Le sport et la douleur » et les débats qui l’on suivi. Le rapport est

disponible en ligne à l’adresse suivante :

http://franceolympique.com/files/File/actions/sante/colloques/11eme_colloque_national_010411.pdf

6 Médecin belge, Michel d’Hooghe a présidé entre 1987 et 2001 la Fédération belge de football et entre 2003 et

2009 le F.C. Bruges. Cf. A. Pellaton, « Les dangers des anti-inflammatoires », Le Temps, 18 février 2012.

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par des athlètes, à tous les niveaux, conduit nécessairement à se poser des questions.

La question doit être suscitée par des médecins et par l’encadrement des sportifs afin

de privilégier des formes d’encadrement différentes afin de ne pas tomber dans des

prescriptions incontrôlées. L’AMA peut être un partenaire dans la conduite et la

diffusion de cette réflexion. »

Tout en reconnaissant une diversité de pratiques médicamenteuses dans le sport, le Dr Oliver

Rabin renvoie la prescription et la consommation de ces produits au champ médical et il trace

une frontière assez nette entre les substances consommées à des fins d’amélioration de la

performance et celles consommées à des fins thérapeutiques, contrôlées par la médecine. La

consommation de médicaments antalgiques fait partie du second espace normatif puisqu’ils ne

permettent pas « d’aller au-delà » de ses performances. Mais, a t-on affaire à des mondes

distincts, à des types de consommations et de pratiques différenciées et sans rapport l’une

avec l’autre ?

Quand, en 2011, le Dr. Christiane Ayotte, directrice du laboratoire de contrôle du dopage chez

INRS-Institut Armand-Frappier à Laval (Canada), intervient suite à la mort (dont un par

overdose) à quelques semaines d’intervalles de trois hockeyeurs canadiens, des « durs à cuir »

et de grands consommateurs d’antidouleur 7, c’est bien pour rappeler les enjeux soulevés par

la consommation régulière de « narcotiques » dans le sport de haut niveau. Ces substances

sont autant consommées pour « masquer » la douleur inhérente au sport de haut niveau que

pour « fonctionner avec » : « Ce n'est pas des Advil®, ce n’est pas de l'aspirine, ce n’est

même pas de la codéine. On est à un niveau supérieur, au niveau des stupéfiants. C’est lié,

disons, à la morphine et à l’héroïne ». Et, Christiane Ayotte d’ajouter : « Quand tu es obligé

de fonctionner avec des douleurs importantes que tu masques avec des substances qui ont

cette puissance, il est évident que c’est invivable » 8. C’est ainsi à un autre monde que sont

rapportés ces types d’usages de médicaments : celui des drogues et de la toxicomanie.

Pourtant ces produits n’appartiennent qu’à la marge aux mondes de la drogue. En effet,

certains médicaments antalgiques ou anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont en

7 Derek Boogaard, hockeyeur aux Rangers de New York est mort d’une combinaison d’alcool et d’oxycodone

(médicament peu utilisé en Europe), un agoniste opioïde pur généralement prescrit dans le cas de douleurs

intenses ou cancéreuses. Pour Wade Belak et Rick Rypien les circonstances de la mort ne sont pas précisées mais

elles sont attribuées au rôle ingrat de bagarreur dans les équipes de hockey et à leurs états dépressifs.

8 Source : www.rds.ca, « Antidouleur : un facteur aggravant », septembre 2011.

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vente libre sans prescription médicale – type paracétamol, aspirine, ibuprofène, etc. de niveau

I (antalgiques non opiacés) – et d’autres de niveau II codéinés ou Tramadol ; ou de type III

comme les antalgiques opioïdes (morphine, oxycodone, buprénorphine) sont contrôlés

médicalement et font l’objet d’une administration et d’une diffusion réglementée à cause des

problèmes de santé et des addictions qu’ils risquent de provoquer. Toutefois, ce que suggère

le Dr Christiane Ayotte c’est que la frontière entre les mondes du sport et ceux de la drogue

est bien plus trouble qu’il n’y paraît. En effet, l’addiction aux substances incriminées n’en

serait pas la seule cause mais elle serait aussi liée au « mode de vie » du sportif de haut

niveau. C’est ce lien que fait Christiane Ayotte 9 et sur lequel il convient de se pencher : le

sport de haut niveau en tant que « mode de vie » pourrait contraindre les sportifs à un usage

abusif de substances – les médicaments antalgiques – dans le but de réduire les dommages liés

à une pratique intensive du sport. Par le recours à l’automédication, ils soulagent des douleurs

avec lesquelles ils doivent composer s’ils souhaitent faire carrière, garder leur place dans le

groupe ou tenir leur rang.

Comment, dès lors, faut-il percevoir ces types d’usages d’antalgiques dans les mondes du

sport ayant leurs propres règles de fonctionnement et leur propre relation aux substances

médicamenteuses généralement régulées par la lutte antidopage (liste des substances et des

méthodes interdites, AUT, passeport biologique, etc.) ? Quelles significations les sportifs et

leur entourage attribuent-ils à la consommation de médicaments et aux douleurs qui en sont à

l’origine ? Dans quelles circonstances prennent-ils ces substances pharmacologiques situés à

la marge des mondes du dopage et de la drogue ? Développent-ils d’autres techniques,

d’autres méthodes pour s’approprier les douleurs ? Comment, finalement, parviennent-ils à

faire la distinction entre se soigner, se doper ou se droguer (Ehrenberg, 1999) ?

9 Christiane Ayotte établira un autre rapprochement entre le dopage et la toxicomanie au cours d’une interview

télévisée : « Le dopage c’est comme l’héroïne, c’est jour et nuit (…) » et à propos des sportifs qui en fin de

carrière constituent une part non négligeable des clients des cliniques de soins, elle note que ce n’est pas

seulement une addiction liée « aux substances c’est aussi le rythme de vie, peut-être. » (2013, TVA Sports.

interviewée par Réjean Tremblay). Sur les liens entre dopage et toxicomanie, on peut aussi faire référence aux

travaux de W. Lowenstein (2000)

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Méthodes d’enquête

Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous mobiliserons des données

empiriques récoltées par le biais d’une enquête par entretiens semi-directifs auprès de sportifs

– âgés entre 12 à 35 ans - inscrits dans des carrières de haut niveau ou qui pratiquent leur

sport de manière intensive. Au total, nous avons recueilli au total 46 entretiens approfondis et

évoqué avec chacun d’entre eux leur manière de vivre, de gérer et de traiter les douleurs liées

à leur activité sportive ou professionnelle. Une liste récapitulative des personnes interviewées

est présentée en annexe de ce rapport ainsi que la grille des thématiques abordées avec les

sportifs. Les interviews se sont focalisées sur les douleurs et les blessures rencontrées par les

sportifs ainsi que sur leur prise en charge thérapeutique. Les récits recueillis traitent ainsi des

parcours de soin et des itinéraires thérapeutiques qui rythment et conditionnent pour partie la

carrière des sportifs de haut niveau. Le rapport à la performance a été volontairement abordé

de façon secondaire dans les entretiens afin d’encourager les enquêtés à la narration de leurs

expériences vécues de la douleur et des significations qu’ils leur attribuent. Cette partie

qualitative ne cherche pas à mesurer la consommation de médicaments antalgiques dans les

mondes du sport mais à « rendre intelligible la variété des relations observables » entre la

pratique intensive d’un sport et les usages de médicaments (Peretti-Watel, 2011), de

techniques ou de méthodes antidouleur. Nous n’avons pas fait de distinction a priori entre les

sports, le niveau de pratique, l’âge, le genre, le niveau socioculturel, etc. Nous le verrons,

l’approche « séquentielle » comprise dans la notion même de « carrière déviante » (Becker,

1985) a l’avantage de transcender ces variables pour saisir de façon idéal-typique ce qu’il y a

de commun entre les parcours individuels quel que soit le sport, le niveau, l’âge ou le sexe

concerné etc.. Cette approche présente des points communs avec la « théorie ancrée »

développée par Anselm Strauss et Barney Glaser au sens où la technique de collecte des

données s’est développé en fonction des « analyses provisoires » effectuées tout au long de

l’étude (Glaser, Strauss, 2012, 57). Nous le verrons (cf Partie 2) certains éléments d’analyse

qualitative ont été confirmés par l’étude statistique.

Notre recueil des données par entretien semi-directif s’est déroulé sur les deux années de la

recherche en trois phases. Lors de la première phase (a), les tous premiers entretiens étaient

réalisés avec des très jeunes sportifs (12) à des fins exploratoires dans le but de préparer

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l’élaboration du questionnaire (voir partie 2). Dans la seconde phase (b), nous avons prolongé

ce recueil de données par la recherche de témoignages d’adolescents pratiquant de manière

intensive leur sport ou aux portes du haut niveau et ayant été blessés ou ressentant des

douleurs intenses. Autant dire que nous n’avons pas eu beaucoup de difficultés pour les

rencontrer. La dernière phase de recueil des données (c) s’est déroulée lors de la deuxième

année de la recherche et les entretiens semi-directifs se sont élargis aux sportifs (adolescents,

jeunes adultes puis adultes notamment sportifs professionnels). Dans chaque phase nous

avons eu le souci d’intégrer des points de vues de professionnels intervenant directement ou

indirectement dans la carrière des sportifs (de l’enfance à l’âge adulte) : entraîneurs (de club

amateur ou professionnel), de parents d’enfants et d’adolescents sportifs (de haut niveau) et

de praticiens médicaux : médecins du sport (médecins fédéraux, médecins d’équipe,

responsables d’antennes de prévention du dopage, médecins – rhumatologues, généralistes,

etc.- ayant une capacité en médecine ou biologie du sport, etc.), kinésithérapeutes,

psychologues du sport, psychiatre. A ces entretiens semi-directifs, nous avons aussi eu de

multiples conversations informelles complémentaires avec différentes personnes qui d’une

manière ou d’une autre ont évoqué les l’expérience de la douleur chez les jeunes sportifs (par

exemple en marge des entretiens avec les jeunes sportifs nous pouvions prolonger les

discussions avec les parents, échanger avec des praticiens médicaux au cours de la passation

de questionnaires au sein des services de médecine du sport, etc.). Toutes ces discussions sont

venues infirmer ou confirmer les connaissances obtenues au cours de la recherche. Pour les

entretiens semi-directifs avec les sportifs mineurs nous avons systématiquement demandé et

obtenu l’accord des parents. La grande majorité des entretiens réalisés avec les jeunes sportifs

mineurs se sont réalisés en présence des parents, à leur domicile ou au sein de leur club

sportif.

Les noms des personnes interrogées comme les lieux et certaines situations ont été rendues

anonymes. L’anonymat a aussi été respectée pour les cliniques et les sociétés/entreprises

privées. Parfois nous avons jugé nécessaire de ne pas qualifier le sport en question – qui

peuvent compter peu de pratiquants – préférant utiliser son générique (ex : sport de combat,

sport nautique, etc.)

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Chapitre 1

L’expérience de la douleur dans les mondes du sport

C’est un fait : la pratique intensive du sport expose les athlètes au risque de blessure et à

d’inéluctables douleurs. Ceux-ci doivent faire face à des douleurs physiques et morales

récurrentes (Loland, Skristad, Waddington, 2006). Ils doivent « fonctionner avec » s’ils

souhaitent poursuivre leur carrière sportive au niveau professionnel. L’usage de médicaments

antalgiques dont les anti-inflammatoires est à mettre en rapport avec ces différents types de

douleurs dont les sportifs font l’expérience : celles sui generis, générées dans le cours même

de leur activité (la pratique de leur sport principal), ou celles relatives aux charges liées aux

programmes d’entraînements.

Le recours au médicament antalgique (qu’il soit de niveau I, II ou III) s’analyse au regard de

l’intensification de l’effort, des traumatismes 10 ou des violences corporelles liées à la pratique

sportive, provoqués ou subis dans un contexte particulièrement concurrentiel du sport de haut

niveau et caractérisé par la quête de la performance (Ehrenberg, 1991). L’accroissement du

nombre de compétitions et la quête de records contraignent les sportifs à s’entraîner plus

longtemps, plus intensément et plus durement (Loland, Skristad, Waddington 2006 ). Ce

processus peut affecter, provisoirement ou définitivement, le corps des athlètes et menacer

leur santé ou leur bien-être 11. Les problèmes de santé générés par des douleurs chroniques ou

par des blessures répétées (courbatures, crampes, élongations, claquages, déchirures, entorses,

10

Par « traumatisme », nous reprenons la définition retenue par l’INSERM Activité physique, contexte et effets

sur la santé (2008) soit : « toute blessure ayant suscité un arrêt de plusieurs jours (souvent une semaine) et

l’absence de participation à une compétition. »

11 Certains chercheurs et experts estiment que les blessures sportives constituent un problème de santé publique

plus inquiétant que le dopage lui-même (Frish et al. 2009). Ce que résume Fabien Ohl (2011) : « les blessures et

les traumatismes du corps et des âmes sont normalisés alors que la menace du dopage est proportionnellement

hypertrophiée ».

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fractures etc.) font d’ailleurs partie intégrante de la carrière des sportifs. Les douleurs ou les

blessures ne sont pas seulement des événements, des accidents affectant ponctuellement la

carrière et pris en charge par un segment particulier de la médecine. Au contraire, on peut

affirmer qu’elles constituent des épreuves structurantes dans la carrière des sportifs, des points

de passages obligés, des étapes à franchir qu’il faut apprendre à gérer et à bien « négocier »

(Strauss, 1992) et ce, dès le plus jeune âge. Les blessures plus que les résultats affectent le

déroulement d’une carrière. Dans cette perspective, on peut faire l’hypothèse selon laquelle la

réussite ou l’échec d’une carrière sportive amateur, semi-professionnelle ou professionnelle

est moins conditionnée par les résultats, ou les performances obtenues, que par le contrôle et

la gestion des douleurs et des blessures régulièrement générées par le sport intensif. L’entrée

dans le dopage pourrait alors s’appréhender au travers de la compréhension de ce processus

d’apprentissage et de gestion de la douleur. C’est à ce titre qu’il est ici proposé d’apparenter la

carrière sportive à une « carrière déviante » (Becker, 1985).

Généralement, l’engagement dans une carrière déviante se traduit par l’inscription d’une

partie de la vie de l’individu – et parfois de sa totalité - dans un milieu organisé en y assumant

successivement différentes positions hiérarchiques. Il apprend, à chaque étape, à justifier et à

légitimer certaines actions ou pratiques qui peuvent apparaître, aux yeux de la société, comme

déviantes, illégitimes ou dangereuses. De cette manière, il motive et rationalise

rétrospectivement ses « choix ». Chaque étape constitue une séquence au cours de laquelle se

réévalue l’engagement dans la carrière et où se redéfinissent un certains nombres de pratiques

et d’usages (de produits). Ces actions, ces pratiques ou certains usages, changent de

signification en fonction de ces étapes de la carrière. Dans ce processus, les relations

entretenues avec l’entourage sont déterminantes, en particulier lorsque ces relations

s’inscrivent dans des mondes sociaux (Becker, 1985) tel que celui du sport de haut niveau

avec ses codes et ses valeurs qui leurs sont propres. Chaque étape de la carrière, chaque

changement de statut, introduit des changements dans la vie de l’individu qui le conduisent à

interpréter de façon différente les éléments de sa vie quotidienne et à réorganiser son « mode

de vie ». Ce processus n’est ni irréversible ni inéluctable mais la carrière déviante peut, pour

certains, se prolonger jusqu’à l’appartenance à un monde fonctionnant à part, avec son

système de normes, clairement distinct des autres mondes sociaux. La notion de carrière a été

fort judicieusement utilisée pour décrire les carrières de sportifs dopés au sein d’un système

professionnel particulier organisé autour de normes et de valeurs sportives spécifiques «

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extra-ordinaires » (Brissonneau et al. 2008) : progressivement le sportif entre dans un

processus sélectif, modifie ses méthodes d’entraînement, rationalise et médicalise sa pratique

jusqu’à justifier et légitimer ce type de pratiques. Il apprend, par exemple, à consommer les

produits à l’abri des regards, à éviter les contrôles, à déjouer le système de surveillance qui

pourraient l’étiqueter comme déviant. Au fur et à mesure que le sportif entre dans une carrière

de haut niveau, il intègre un système de normes et de valeurs cohérent se différenciant de ceux

qu’il avait jusqu’alors fréquenté.

La notion de carrière déviante peut aussi être mobilisée pour décrire, à un autre niveau, le

processus qui conduit les sportifs, engagés dans une pratique intensive du sport, à développer

des pratiques de soin et à recourir à toute la « palette des stratégies utilisées pour rendre

signifiante [ou insignifiante] une douleur » (Young, 2007). Cette expérience de la douleur et

la signification que les sportifs et leur entourage lui attribuent ne peuvent pas être dissociées

de la réaction sociale qu’elle suscite et qui tend, en retour, à la re-qualifier (Becker, 1985 ;

Roderick 2006). La douleur ressentie et exprimée par les sportifs peut être jugée acceptable

pour les uns mais elle peut être jugée inacceptable pour les autres. Elle peut faire l’objet de

conflits d’interprétations.

« Mon coach pense que c’est bien d’avoir mal. C’est sûr que des fois c’est bien de se

faire mal dans le sens où, par exemple, quand on va faire une séance de course il

faudra aller chercher au bout de ses limites, courir jusqu’à ne plus en pouvoir.

Derrière, on va progresser, on sait que cela va être plus facile pendant le match, on

pourra courir plus longtemps. Mais je pense que mon coach évalue mal cette douleur,

la douleur physique quand on a pris un coup. On arrive à faire la différence mais lui il

ne fait pas vraiment la différence. Il aimerait plus qu’on se "déchire" dans le sens de se

faire mal. Du coup, il ne voit pas quand on se fait vraiment mal. » (Lucas, 17 ans,

handball)

Il faut donc essayer de comprendre les relations qui se tissent autour de l’expérience de la

douleur ainsi que les différentes significations attribuées à cette expérience tout au long de la

carrière sportive. Toujours subjective, cette expérience fait toutefois l’objet d’interprétations

profanes puis d’expertises par une série d’acteurs. Dès l’entrée dans une carrière sportive,

ceux-ci investissent la douleur, en évaluent la nature et la fonction, mettent en œuvre des

pratiques destinées à l’objectiver, à la surveiller, à en contrôler l’évolution et également à

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l’éradiquer ou à la dissimuler. Tatiana, âgée de 12 ans, est une jeune joueuse de tennis

prometteuse mais dont les douleurs au talon, au genou et au dos se sont accumulées au fil des

mois. Son premier grand tournoi international, Rolland Garros, se profile. Elle doit y

participer. Son entraîneur de club poursuit alors son programme d’entraînement et tente de

l’adapter en fonction des douleurs ressenties par Tatiana mais qu’il tentera d’objectiver en

utilisant un outil médical, une échelle de la douleur :

« Entraîneur : Tatiana a eu du mal au départ. On a ce système d’échelle de la douleur

de 1 à 10, quand on arrivait à 7, 8 on arrêtait mais on a eu du mal.

Tatiana : des fois des la fin de l’échauffement c’était 7, 8, et du coup je ne faisais

même pas une demi-heure d’entraînement

Entraîneur : on jouait selon la douleur de Tatiana, un quart d’heure, vingt minutes.

Cela dépendait des séances …

Tatiana : je voulais jouer ! »

Parmi les recours mobilisés par les athlètes pour faire face à la douleur peuvent figurer les

usages occasionnels ou réguliers d’antalgiques, d’anti-inflammatoires et d’autres techniques

thérapeutiques, de médecines alternatives, non conventionnelles etc.. Ces pratiques peuvent

être appréciées ou désapprouvées, légitimées ou dissimulées : tout dépend de la manière dont

on va évaluer la douleur. Dans les mondes du sport, la douleur constitue une « valeur »

(Loland, Skristad, Waddington, 2006). Dans son acception scientifique et technique, cette

valeur peut se mesurer, s’objectiver. Elle fonctionne comme un indicateur, un « paramètre », à

partir duquel s’élaborent une expertise, un processus diagnostique et un traitement

thérapeutique. Mais elle est aussi une valeur au sens moral. La douleur dans les mondes du

sport fait l’objet d’un jugement normatif : « no pain, no game » (Waddington, 2006).

L’expérience de la douleur comme les significations sociales et morales qui lui sont attribuées

évoluent tout au long de la carrière des sportifs. La « valeur d’usage » de la douleur se

complexifie au fur et à mesure que la carrière se développe au sein d’un système clos et fermé

sur lui-même avec ses propres règles et logique de fonctionnement. La dimension du temps

est essentielle pour appréhender le rapport à la douleur : certaines carrières peuvent être

écourtées ou freinées du fait de blessures répétées ou de douleurs chroniques. Elles peuvent

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remettre en cause la participation à une compétition préparée parfois depuis plusieurs

semaines, mois ou années. Elles peuvent enfin précipiter la sortie d’une carrière jusqu’alors

prometteuse. La notion de carrière déviante doit permettre de comprendre comment se

développent des usages et des techniques de gestion de la douleur propres à un monde ayant

développé ses propres référents normatifs. Cette carrière se décline en trois étapes.

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Chapitre 2

L’apprentissage de la douleur : taire et « faire avec » la douleur

La première étape correspond à l’entrée dans la carrière de haut niveau. Dès l’enfance et

l’adolescence, les jeunes sportifs qui accèdent à des filières de haut niveau - et dont le mode

de vie est déjà centré vers la performance et le dépassement de soi (horaires scolaires

aménagés, plusieurs heures d’entraînements par semaine, un mode de vie familial discipliné

organisé autour de la compétition, etc.) - sont conduits à redéfinir leur rapport à la douleur en

fonction de la réaction sociale qu’elle suscite. La douleur, intimement liée à l’activité

intensive, est alors décrite de manière positive par l’encadrement sportif et par la plupart des

sportifs de haut niveau. Souvent légitimée, valorisée voire « glorifiée » (Hughes Coakley,

1991 ; Young, 2007), la douleur est perçue comme une marque de l’effort, du dépassement de

soi et de ses limites 12

. Elle est l’expression, incarnée, de la performance sportive, son

expression « authentique ».

« Toutes les douleurs physiques type courbatures, brûlures, tout ce genre de choses qui

sont inhérentes à notre pratique, qui sont difficiles à vivre pour les jeunes - et peut-être

même pour tout athlète - le fait de sentir qu’on a les jambes qui tremblent, que les bras

nous brûlent, que les poumons sont en feu, que c'est très difficile. Ce type de douleur-

là est, au contraire, à rechercher. Il doit tester ses capacités, les rechercher non pas

pour se faire mal mais pour s’éprouver voire à dépasser. Cela doit être un des

indicateurs pour l’athlète qui va lui dire que oui il est à un niveau de performances

suffisant. » (Alain, entraîneur, sport de combat)

12

Comme dans d’autres mondes sociaux (musique, danse, etc. ) où la douleur est aussi omniprésente « l’image

romantique de la souffrance a contribué à la croyance que la douleur est nécessaire et inévitable » pour obtenir

des résultats, être performant ou devenir un virtuose. Ce « facteur est aussi lié à une culture de la virilité, à l’idéal

stoïque de contrôle du corps. » (Alford, Szanto, 1995) Dans les mondes du sport, le rapport entre la

manifestation de la douleur et la construction de la masculinité a fait l’objet d’études notamment de la part de

Kevin Young. Pour un tour d’horizon de la sociologie de la douleur sportive cf Roderick (2006)

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« La douleur, cela fait partie de moi. Si tu n’as pas mal c’est que tu ne forces pas assez

ou que tu fais mal. Cela permet de connaître sa limite. C’est toujours bien de savoir ses

limites » (Julien, 20 ans, Basket-ball)

De fait, l’expression d’une douleur incapacitante au cours d’un entraînement ou d’une

compétition fait l’objet d’un jugement moral défavorable de la part du groupe. Dire ou taire la

douleur apparaît alors comme un élément déterminant du franchissement de cette première

étape dans l’apprentissage de la douleur 13

. La désapprobation du groupe face à l’expression

(non héroïsée) de la douleur est d’ailleurs, avant l’intégration de cette injonction normative,

vécue comme une « sanction ». Etre blessé apparaît ainsi aux yeux du sportif et de son

entourage comme une « punition », le signe d’un potentiel déclassement.

« Mon fils s’est blessé au mois de décembre. Il a repris au mois de mars. C’est bien

mais il a recommencé par les coupes européennes. Donc tu es puni, tu repasses par … .

Tout le monde aimerait les faire mais c’est une punition. (…) Il y en a un autre qui

s’est installé donc il faut y retourner. C’est normal. Cela se tient à rien du tout.

Pourquoi celui qui est derrière attendrait qu’il revienne ? Il prend la place. Il est

motivé. (…) En fait, on est toujours sur la défensive. C’est permanent donc il faut

avoir le mental quand même. La blessure est pénalisante, c’est clair. » (Père de deux

jeunes sportifs de haut niveau, 15 et 17 ans, sports de combat)

C’est aussi ce que pense cette mère d’une jeune handballeuse revenant de blessure :

« Quand elle a repris le hand, l’entraîneur n’a pas voulu la faire jouer : « Non, c’est

trop chaud, j’ai peur que tu t’abîmes. » Elle était fâchée. C’est pour cela aussi qu’elles

ne se plaignent pas. Etre sur le banc, c’est une insulte. »

L’expression de la douleur devient le signe manifeste, pour les pairs ou pour l’entraîneur,

d’un désengagement et le témoin d’une faiblesse de volonté. Le sportif doit apprendre à

dépasser et à transfigurer la douleur liée à sa pratique intensive du sport. Pour certains, cette

douleur devient d’emblée pathologique – incapacitante - mais pour d’autres, il s’agit d’en

13

Dans un de ses articles, Isabelle Baszanger (1989, p.18-20) évoque l’ouvrage de J. Kotarba 1983, Chronic

pain : its social dimensions, Beverlly-Hills, Californy, Sage Publication. Dans ce livre Kotarba s’était penché sur

la perception par les athlètes professionnels de leurs douleurs chroniques et familières et la manière dont ils

expriment et socialisent ce problème (dire ou taire la douleur) dans les mondes du sport..

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explorer les « potentialités créatrices » (Molinier, 2006) et de tester les capacités à aller au-

delà de ses limites. La douleur devient donc « positive » (Howe, 2004). Le sportif doit

apprendre à se réapproprier la douleur, à s’y accoutumer s’il souhaite réussir. La douleur « se

prépare et s’apprend comme un métier » (Herzlich, 1969, 157).

« Je n’ai pas un moral d’acier donc j’ai tendance avec la douleur à m’arrêter assez vite.

Justement, cela me renforce donc je commence à plus me donner à fond. Mon moral

commence à résister en gros et là je commence à bien… j’ai envie de lâcher et mon

père me dit « allez » et je repars. Mon coach, lui, c’est encore pire ! Sur un 200 mètres

sur la piste, je vais le faire à fond, je pense que je suis à fond mais lui il va me dire que

ce n’est pas bon. Je vais descendre du vélo, il va me remettre sur le vélo et je vais

repartir. Je vais aller de plus en plus vite ; si je ralentis, il me dit : « Non, tant que tu ne

fais pas mieux, tu ne repart pas » après j’aurais tellement de haine que là je vais

envoyer et je vais avoir un bon résultat. » (Sacha, cycliste, 13 ans)

La douleur devient rapidement un enjeu entre une pluralité d’acteurs qui « tentent d’en établir

la réalité, les règles et les rôles qui s’y rattachent dans des situations sociales diverses »

(Baszanger, 1989). Elle fait l’objet d’un commerce tacite, d’une transaction, d’une gestion «

négociée » entre les sportifs, l’entraîneur et les parents.

Au cours de cette première étape, la réprobation morale de la douleur dans le sport est dans

tous les esprits : les jeunes sportifs apprennent à taire leurs douleurs physiques ou morales. Ils

apprennent à les dissimuler par le biais d’une gestion profane de la douleur. Dans ce cadre, la

prise en charge est d’abord familiale – sous forme d’automédication de médicaments

homéopathiques, antalagiques ou d’anti-inflammatoires de type paracétamol (AINS niveau I).

Ces médicaments sont pris occasionnellement, à titre curatif mais aussi à titre préventif «

avant d’entrer sur le terrain » tout comme les produits de strapping. C’est le cas de cette jeune

nageuse de 13 ans qui, avant chaque départ en stage d’entraînement, part avec plusieurs boites

de paracétamol dans son sac de sport.

« Sarah : Je prends des Doliprane® quand j’ai des courbatures, pas forcément quand je

suis mal, fatiguée."

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Mère de Sarah : En général elle en prend quand elle rentre, quand sa mère lui dit : "Tu

n’as pas des courbatures ?". Si elle dit ‘oui’, je lui en donne un ; c'est plutôt après pour

réparer et non en préventif. Tu dois en prendre toutes les deux semaines peut-être.

C'est moi qui lui donne, elle ne le prend jamais de toute façon.

Sarah (se tournant vers sa mère, surprise) : À part en stage où j’en prends ...

Mère de Sarah : Oui je lui en mets dans son sac. Si je ne lui pose pas la question, elle

n’en prend pas ; je ne lui pose pas la question à tous les entraînements mais quand elle

a fait des entraînements compet’ »

Les parents sont très souvent les pourvoyeurs de médicaments anti-douleurs donnés à titre

prophylactique (Grémion, Saugy, 2013) :

« Une fois, sur ces deux entorses, j’en ai pris, j’ai joué tout défoncé d’ailleurs, car je

m’étais blessé, pas au basket, en matchant et j’ai joué. Ma mère m’avait donné des

médicaments assez puissants quand même, des sortes d’antidouleur je ne sais plus leur

nom. Ma mère est infirmière donc elle sait ce qu’il faut. J’ai fait un des meilleurs

matches d’ailleurs. Je jouais à moitié en boitant, en plus j’ai joué super longtemps. Je

l’ai fait quelquefois de prendre des médicaments comme ça quand tu es obligé de

jouer, c’est ma mère qui me donne ces médicaments, elle sait très bien les mélanges

qu’il ne faut pas faire, elle me dit ça tu manges en même temps, c’était jamais des

trucs de fou, je pense, moi ma mère c’est ma pharmacienne, c’est mon docteur. […]

elle savait ce qu’elle me donnait, car c’étaient des médicaments sous la prescription du

médecin. » (Tom, 25 ans, baskett-ball)

C’est aussi le constat fait par ce médecin du sport :

« Quand on arrive plus vers les 14, 15 ans et jusqu’à 18 ans, il y en a déjà qui ont leurs

habitudes et on n’arrive plus à imposer notre patte. Il y en a qui ont leurs granules et

s’ils ne les ont pas, cela ne va pas. Ils commencent à avoir leurs habitudes. J’en

connaissais qui prenait un gramme de doliprane® tout le temps avant les matchs,

d’autres qui prennent un peu d’homéopathie. Pour moi, c’est toujours cet aspect un

peu magique : chez le gamin, on y arrive avec une parole, un petit coup de machin et

chez le plus grand, ils adorent l’elasto. Les trois quarts du temps, cela ne sert à rien. Ils

se sentent contenus. Cela mériterait un vrai truc car c’est incroyable comme ils

bouffent de l’élasto. Dès qu’ils ont un petit truc, un strapping et vous pouvez être sûr

qu’ils font leur match. C’est vraiment incroyable ; ils en bouffent une grande quantité.

» (Olivier, médecin du sport, football)

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Les jeunes sportifs apprennent aussi à « neutraliser » la douleur en les considérant comme «

normales ». Certaines douleurs tendent même à disparaître du champ de perception du sportif

dès lors qu’elles ne remettent pas en cause l’activité physique ou la performance. Le seuil de

tolérance à la douleur est revu à la baisse par l’entourage et par le sportif. Ce dernier en vient

à se convaincre – parfois bien malgré lui - qu’ il n’y a aucun danger en apparence à

poursuivre l’activité en cours. Le prix à payer d’une réprobation morale (sanction, discrédit,

honte, humiliation) peut être trop élevé.

« Des fois, même nous on se fait mal, on se dit : « C’est bon j’arrête » ; il y a des fois

où on n’a pas trop de mental, par exemple quand on se fait mal à l’entraînement où on

dit : « J’arrête ». Là, le coach va le faire exprès comme s’il n’en avait rien à faire, il va

dire : « Tu y retournes » exprès car il sait qu’on est largement capable mais on doute

de nous à ce moment là et c’est là qu’il entre en jeu. Quand on n’est plus capable de se

rebooster, c’est lui qui nous titille un peu ; il fait comme s’il n’en avait rien à faire

donc cela nous énerve et on repart. En fin de compte, on se rend compte qu’on pouvait

mais c’est juste que sur le moment on n’a pas été très forte mentalement. » (Astrid, 19

ans, handball)

La norme est de « ne pas s’écouter » et d’établir des distinctions entre des douleurs latentes

jugées insignifiantes, des « petites blessures » que l’on va minimiser ou cacher (Young, 2007)

et avec lesquelles il est possible de « jouer ».

« On a toutes mal aux épaules et mal au dos. J’ai tout le temps mal au dos. Une fois

que c’est chaud, je n’ai plus mal mais je suis tout le temps obligée de m’étirer. Je fais

en sorte de ne jamais jouer sans m’être échauffée. Je sais que je vais me flinguer. Ce

sont des douleurs que tu apprends à gérer au bout d’un moment. Pour mon genou, j’ai

tout le temps mal ; je suis tout le temps en train de m’étirer sinon je reste un peu

bloquée des fois. Je pense qu’on a toutes ces douleurs. Au bout d’un moment, ce n’est

même plus des douleurs, c’est juste que cela fait partie de nous. Tu sais que tu vas être

un peu gênée ; tu ne dis plus que tu as mal, tu dis que cela va te gêner si tu ne

t’échauffes pas trop. » (Astrid, 19 ans handball)

Et il y a des douleurs qui viennent interrompre, de façon radicale, le cours même de l’activité

sportive comme lorsque le sportif s’effondre sur le terrain. C’est le cas de Tatiana, jeune

joueuse de tennis :

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« Cela a commencé par les talons. J’ai des petites douleurs aux talons mais on ne

savait pas à ce moment là que ça remontait dans les genoux et dans le dos. Je n’allais

même pas à l’entraînement, j’arrêtais les matchs. Je me rappelle d’un jour aux

championnats du X en demi-finale dans le troisième set, je n’arrivais plus à marcher.

Mon père m’a porté jusqu’à la voiture. (...) C’était la première année où on devait aller

à Rolland Garros et je voulais trop y aller. Du coup j’ai continué. Mais là j’avais trop

mal donc j’ai été obligé d’arrêter. Je voulais jouer et on ne la fait pas voir la douleur en

fait (...) après le match je pleurais, j’ai pleuré toute la soirée. Je menais 6-0, 5-1 et je

devais abandonner car je n’arrivais plus à marcher »

Pour autant, les jeunes sportifs - comme les parents ou les coachs - peuvent être amenés à

réévaluer la normalité de leurs actions en fonction des risques qu’ils estiment avoir pris et

lorsqu’ils ont laissé les choses se développer au-delà de ce qu’elles auraient dû être

normalement. Ce sont alors les entraîneurs et les parents qui orientent le jeune sportif vers le

médecin généraliste et éventuellement vers un médecin du sport. Il s’agit de faire disparaître

la douleur, soigner une blessure ou d’en éliminer les symptômes soit en modifiant et en

adaptant les conditions d’exercice, soit en proposant l’arrêt - provisoire ou définitif - de la

pratique sportive. Pour les jeunes athlètes qui n’ont pas d’objectifs définis ou d’ambition

professionnelle et qui vivent la douleur comme « pathologique », cet arrêt est accepté car il est

vécu de façon salutaire. La maladie est « libératrice » (Herzlich, 1969) en ce qu’elle permet au

sportif de sortir d’une situation inconfortable voire invivable.

« J’ai un exemple d’une petite de 12 ans, très douée en gym. Elle est entrée en pôle

Espoir 14

. Elle vient me voir au cabinet accompagnée de sa maman pour des douleurs

articulaires multiples mais en lien avec la pratique de la gym, qui traînaient, qui

n’étaient pas entendues par l’entraîneur. Elle me racontait que lorsqu’elle exprimait sa

douleur, il lui demandait d’aller au vestiaire et la séance suivante, elle n’avait pas le

droit de s’entraîner. C’était la punition. Elle le vivait comme cela en tous cas. Ce

n’était pas évident car est-ce que la demande était de prendre en charge la douleur ?

Cette petite est-ce qu’elle voulait me dire que ce n’était plus possible ? qu’elle voulait

arrêter ? J’ai su après, par hasard, que la maman, quelques jours après cette

consultation, avait décidé de la sortir de la section du pôle espoir alors que la petite

était motivée visiblement. Il semblerait que cela se soit plutôt bien passée avec

14

Les pôles Espoir accueillent de jeunes sportifs de haut niveau inscrits sur la liste des sportifs Espoir. Répartis

sur l'ensemble du territoire et mis en place par chaque discipline, ils leur permettent de concilier carrière

sportive, suivi d'études et insertion professionnelle. Ils proposent un emploi du temps aménagé et des examens

établis en fonction des entraînements et des dates de compétitions. De manière identique, les pôles France

accueillent de jeunes sportifs de haut niveau inscrit sur la liste des sportifs de haut niveau des catégories Elite,

Senior ou Jeune. (source Onisep.fr)

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l’adolescente. Parfois, on a ce rôle : on ne sait pas quelles sont les réelles motivations

de l’enfant puisqu’il est pris entre l’espoir de ses parents, ses propres envies, etc.

Parfois, on a l’impression d’avoir un ado qui a envie de notre part qu’on le maintienne

dans cette activité à tout prix. Là, je me suis demandé jusqu’à quel point elle n’était

pas venue pour avoir la parole du médecin pour la libérer de ce poids et qu’elle puisse

arrêter. Elle a eu une mère qui était prête à écouter, à entendre et qui m’a dit

clairement qu’elle ne voulait pas que sa fille subisse des conséquences à long terme,

aussi bien physiques que psychologiques. » (Jérôme, médecin du sport)

Elodie, une jeune skieuse spécialisée dans le slalom géant met un terme à sa jeune carrière

après trois années dans le circuit FIS. Après une « saison blanche » liée à une blessure, elle

n’aura jamais assez de « points » pour espérer revenir et être à nouveau encadrée par un staff

technique et sportif : « j’avais fait des résultats pas mal mais pas suffisants et les préparateurs

physiques ne me suivaient plus. Mes points n’étaient pas assez bons et ils ne pouvaient plus

me suivre, les choses devenaient plus compliquées ». Sa saison blanche, elle la doit à une

fracture d’une lombaire, qui à 17 ans la conduira à être immobilisée pendant trois mois avec

un traitement médicamenteux (des « sortes d’anti-inflammatoires ou des choses comme cela » 15)), avant d’être prise en charge dans un centre de rééducation pendant un mois, loin de son

domicile, et enfin, de commencer un programme de rééducation (kinésithérapie) pendant trois

autres mois. Enfin, à la fin de saison, en mars avril, elle « ré-attaque le ski » avec néanmoins

une « ceinture lombaire ». Quand elle reprend la compétition, elle ne termine pas ses courses.

«Je n’arrivais pas à finir les manches parce que c’était trop long. Cela tapait, ça tapait

c’était horrible, cela faisait un peu mal. Je continuais toujours à faire de la kiné mais

..je me souviens qu’à un moment donné les autres s’entraînaient dans les tracés et que

moi j’étais simplement libre à côté. »

Alors qu’elle espérait « réussir à revenir », les douleurs persistent et elle est progressivement

mise à l’écart. A la fin de sa troisième saison Elodie met fin à sa carrière mais

paradoxalement, elle aura vécue cette blessure comme un « soulagement » :

15

Tous les adolescents ou jeunes adultes sportifs interrogés ont bien souvent du mal à dire les noms des

antalgiques qui leur ont été prescrits ou fournis par leurs parents. Plus ils sont jeunes et plus cela reste difficile de

les identifier comme par exemple Laetitia (13 ans, natation) : « Je prends des antidouleur quand j’ai vraiment

mal. Ma maman me les donne une fois tous les deux mois. Je ne sais pas trop ce que c’est. Je crois que c’est de

l’Efferalgan® ». Ou encore Jules (11 ans, tir à l’arc) : s’il a bien identifié l’Efferalgan® qu’il prend « avant de se

coucher, juste quand j’ai mal et quand je tremble beaucoup », il a plus de mal à identifier un autre médicament

« qui enlève les douleurs. Je ne sais pas trop comment … c’est mes parents qui me le donne. La boite c’est

comme l’Efferalgan® »

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« Ma deuxième année FIS, lors de la première course, j’ai chuté. Je me suis fracturé

une lombaire. C’est arrivé lors de la première course la saison. C’est frustrant. Tout

l’été et l’automne à skier sur les glaciers, ce n’était pas le plus marrant tout de même.

Quand on arrive, que la saison attaque enfin, et que l’on se blesse dès le début, c’est

hyper frustrant. Quand je chute, moi j’ai l’impression que cela allait. Ils m’ont

annoncé que j’avais trois mois de corset. Là je me suis rendue compte que la

compétition c’était fini. Il y a tout qui s’écroule. C’est dur mais je relativisais assez

rapidement. Ce n’est pas la fin du monde de faire une saison blanche en ski. Tout le

monde y passe à un moment ou à un autre j’ai l’impression. C’était dur car je n’ai pas

pu aller à l’école pendant un mois, je ne pouvais pas m’asseoir. On ne voit pas grand

monde. la blessure on peut la sentir parfois comme un soulagement enfin je n’avais

pas envie de m’apitoyer dessus. Je me suis dit allez profites-en, tu vas pouvoir souffler

un peu. Je pense que je ne suis pas la seule à me le dire. Je ne sais pas si c’était pour ne

pas m’apitoyer ou ne pas trop y penser. Au début cela fait du bien aussi, pour penser à

autre chose, faire autre chose »

Par contre, pour d’autres sportifs, ceux dont la douleur est vécue comme « destructrice », la

proposition d’arrêt, même provisoire, est mal vécue car elle signifie la mise entre parenthèse

de la carrière sportive. Le malaise du sportif face à l’arrêt est renforcé par le sentiment de

culpabilité d’avoir commis un impair face aux fondements normatifs des mondes du sport.

Cette première étape – l’entrée dans la carrière - est marquée par la transgression d’une

norme : la norme dominante de santé, largement répandue et relayée dans nos sociétés

contemporaines par le discours médical (Perretti Watel, Moatti, 2009) fait néanmoins l’objet

d’une réglementation pour les sportifs mineurs adaptée en fonction des disciplines sportives

16. Cette transgression conduit à percevoir la protection de la santé et de l’intégrité physique et

psychique du sportif comme secondaire par rapport au maintien de l’engagement dans la

carrière sportive, aux exigences de la compétition et de résultats, au dépassement de soi, jugé

central par différents acteurs (parents, entraîneur, sportifs). Dans le sport le « pathologique est

normal » (Atkinson, Young, 2008). L’apprentissage de la douleur consiste alors en un

16

En France, la protection juridique des mineurs sportifs place la protection de la santé comme une des missions

confiée par les pouvoirs publics aux fédérations sportives (Art. L231 1-5 code du sport). Charge aux fédérations

de veiller au respect des conventions internationales et aux législations nationales en la matière (prévention du

dopage, promotion de la santé, suivi longitudinal des sportifs Espoirs). La santé du sportif mineur est encadrée

par les conventions internationales des Nations Unies et les législations nationales en matière de droits (code du

sport, code du travail) (Pauto, 2007). Elle est renforcée par la loi de mars 1999 dite Buffet puis 2006. Certains

procès en justice plutôt médiatisés sont venus remettre en question cet agencement législatif. (cf « Les parents

d’Elodie Lussac assignent la fédération en justice », Libération, 1996 ; « Elodie Lussac gymnaste brisée », Le

Point 2007 ; le jugement a été rendu le 1 juillet 1999, TGI Paris)

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renversement des liens de causalité entre douleur et pratique sportive. En d’autres termes, si le

sport fait souffrir, le sport n’est pas pour autant à remettre en cause.

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Chapitre 3

« Vivre avec et en dépit » de la douleur : le corps et ses manipulations

La seconde étape de la carrière s’inscrit dans le prolongement de la première étape mais

introduit une discontinuité dans la signification que l’on attribue à la douleur et dans la

manière dont celle-ci va être collectivement négociée. En effet, le maintien de l’engagement

dans la carrière suppose de s’y plonger sans réserve. Le sportif (et son entourage familial

notamment) commencent à entrevoir qu’il doit « vivre avec » et « en dépit » de la douleur

(Baszanger 1989 ; Herzlich, 1969).

« À la fin de la saison, je sais que ce sont des douleurs qui vont rester. Quand le

chirurgien a vu mon genou, mes radios, il m’a dit : "Il y a une belle arthrose sur ton

genou." J’ai le ménisque fissuré. "Cela se voit c'est bien sur le ménisque" donc je sais

déjà que j’ai de l’arthrose, que j’ai le corps qui a amorti qui va rester comme cela. Je

n’y pense pas trop à vrai dire. Passer un mois et demi, deux mois à ne rien faire ou

faire le moins possible, cela me requinque et cela reprendra en août où j’aurais de

nouveau mal au genou, à l’épaule. Je le sais mais ce n’est pas grave, je n’y pense pas

trop. Je vis avec quoi finalement. » (Noah, 25 ans rugby)

Jusqu’à présent les réponses et les traitements thérapeutiques apportés à la douleur – jugée

passagère et suffisamment familière pour être traitée par l’automédication - n’ont pas eu les

effets escomptés : les médicaments antalgiques dont les anti-inflammatoires pris dans la

pharmacie familiale ont pu masquer un temps les symptômes mais avec la permanence de la

douleur, ou l’aggravation de certains symptômes devenus réguliers, le risque est dorénavant

de compromettre l’engagement dans la carrière de haut niveau. Il devient nécessaire « quand

cela commence à traîner » d’enclencher un processus diagnostique et d’avoir un suivi médical

régulier pour gérer les risques aux quels les sportifs s’exposent. C’est alors l’entraîneur qui va

prendre le relais de la famille dans le rôle d’adressage vers un segment du monde médical : la

médecine du sport.

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1. La médecine du sport et la réduction des risques

Ainsi le jeune sportif qui entre dans les filières d’accès au haut niveau (section sport étude,

CREPS, pôles Espoir, pôle France, INSEP etc.) ou qui possède le statut de sportif de haut

niveau passe périodiquement et obligatoirement (code du sport L 231-6 et R 3621-3 code de

la santé publique) toute une série d’examens cliniques et des bilans complémentaires (Laure,

Ihabbane, 2007) : analyse urinaire, prise de sang, électrocardiogramme, échocardiographie,

tests d’efforts, des examens spécialisés (orthopédie, etc.). Parfois ils commencent à recevoir

des conseils nutritionnels ou concernant leur mode de vie (sommeil etc.) et peuvent consulter

un psychologue. Cette surveillance médicale « à la frontière entre prévention et contrôle »

(Humbert, Lozach, 2013 : 112) réalisée dans les plateaux hospitaliers publics se développe à

mesure que les programmes d’entraînement s’alourdissent, que le rythme des compétitions

s’accélère tout au long de l’année et que les athlètes s’exposent à des risques de blessures ou à

des douleurs récurrentes. La médecine du sport joue un rôle prépondérant dans la détection

des pathologies. Au cours de l’enfance et de l’adolescence, plusieurs pathologies ou maladies

relatives au sport sont régulièrement diagnostiquées et prises en charge : la maladie de Sever,

le syndrome d’Osgood, mais aussi des déséquilibres hormonaux, parfois des maladies

génétiques, etc. sont présentés comme des pathologies propres à l’adolescence et à la période

de la puberté et contribuent à inscrire assez tôt le jeune sportif dans des carrières sportives

médicalisées. Mais d’autres douleurs liées à des blessures particulièrement graves peuvent

apparaître au cours des carrières – parfois au terme d’un processus diagnostic indécis et peu

probant comme l’illustre le verbatim suivant et elles peuvent être diagnostiquées puis prises

en charge par un traitement médicamenteux à base d’opiacés de niveau II ou parfois III.

« Ils m’ont dit t’inquiète pas, pas de souci, ils ne m’ont même pas donné un

doliprane®. Pour eux c’était rien, la kiné me massait le soir mais bon. On a fini le

premier stage et je leur ai demandé s’il fallait que j’aille voir mon médecin du sport en

rentrant. Ils m’ont dit « non, écoute on se revoit dans une semaine au prochain stage »

et on verra à ce moment là si tu as encore mal. Du coup pendant une semaine j’ai rien

fait et je suis retourné au deuxième stage et j’avais toujours mal au dos, ils m’ont dit «

oh non t’inquiètes pas c’est bon » et je commençai à avoir des douleurs dans la jambe

et dans le pied, tout ce qui est fourmillements et compagnie et, du coup, pendant une

semaine j’ai joué comme ça, enfin bref, ils ne m’ont pas pris au sérieux. Ils ne m’ont

toujours pas donné de Doliprane® donc j’ai joué avec des douleurs dans le dos et dans

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la jambe. Et quand je suis rentré ils m’ont dit là il faudrait quand même voir le

médecin du sport et là j’ai été voir mon médecin du sport : il m’a mis d’abord sous

antidouleur et compagnie, sous anti-inflammatoires, et au bout d’une semaine ce n’est

pas passé, du coup j’y suis retourné, il m’ a mis sous cortisone une semaine, et là cela

n’est toujours pas passé et là il a décidé de faire une IRM et c’est à ce moment là qu’ils

ont vu que j’avais une double hernie discale. » (Noémie, 19 ans, hand ball)

Au fil du temps, le sportif apprend à gérer et à contrôler les douleurs liées à son activité

sportive. Il devient parfois moins réticent à réutiliser seul des produits médicalement prescrits.

Certains sportifs disposent ainsi d’un petit stock de médicaments qui leur ont été prescrits et

qu’ils apprennent à gérer et à réguler par eux-même 17.

« Il m’arrive de prendre des granules d’arnica, des crèmes comme le Ketum®. C’est

de moins en moins mais c’est vrai qu’avant j’en avais beaucoup, comme l’arnica en

gel. Doliprane® ça m’arrive aussi mais je trouve que cela ne fait pas tant d’effets pour

la douleur. J’ai l’impression que cela ne marche que pour le mal de tête. J’ai des trucs

qui traînent chez moi comme le Tramadol. J’en avais reçu pour mon genou et ma

nuque … mais je n’en prends jamais 18 » (Noah, 25 ans, rugby)

17

Les mésusages de tramadol hors prescription médicale sont régulièrement relatés sur Internet dans les forums

de discussion. En voici un extrait parmi bien d’autres : « Bonjour, voilà j'ai 17 ans et je suis bientôt majeur. En

novembre dernier, j'ai eu un accident de sport. Suite à ça, le chirurgien m'avait prescrit une boite de tradamol

que je n'avais pas touchée. Il y a 2 semaines je retrouve cette boite et du coup je fais quelques recherches et je

découvre que le tramadol est parfois détourné pour ses effets secondaires. Donc je décide d'essayer, et avec 4

comprimés je ressens pendant toute la journée une plaisante sensation d'euphorie et une petite somnolence. J'ai

vidé une boite de 30 gélules en 1 semaine. Ce truc c'est vraiment le bonheur ! Quand je suis sous l'effet du

tramadol je suis heureux pour rien, je ne me soucis même plus de mes problèmes et c'est limite si je prends du

plaisir à étudier ! (je suis en terminale S). Mais voilà le problème c'est que je n'ai plus de tramadol et que

j'habite encore chez mes parents, du coup je ne sais pas si je dois en parler à ma mère ou si je dois lui faire

croire que je ressens des douleurs pour qu'elle me laisse aller chez mon médecin traitant.(il est assez sympas

comprendra mon problème). Voilà si vous avez des solutions ça serait sympas merci d'avance! »

18 Nous retrouvons ici ce constat établi par de nombreux chercheurs enquêtant sur le dopage et les attitudes des

sportifs vis-à-vis du dopage : globalement ceux-ci expriment un rejet du dopage en déclarant être contre l’usage

de produits améliorant la performance (beaucoup d’études montrent que les jeunes athlètes déclarent

majoritairement que le dopage est contre l’esprit du sport et dangereux pour la santé). Ils le font en raison de la

stigmatisation qui pèse sur le dopage et par souci de donner à l’enquêteur une image positive, de fournir une

réponse « socialement désirable » alors même que les réponses sont anonymes (Bloodworth, 2012). Ils sont à

chaque fois des adeptes de l’homéopathie, des médecines douces ou naturelles, et ont horreur des médicaments.

Ce rejet est aussi justifié par de nombreux sportifs par la peur des contrôles anti-dopages: « Et bien parce que

déjà, on ne veut pas être dépendant (aux médicaments), et puis on est dans un milieu où dopage etc., ce n’est pas

avec du paracétamol que l’on va se doper mais on nous inculque que la prise de médicaments etc., c’est banni

dans ce milieu. Du coup on essaye d’y avoir le moins recours possible, et même les médicaments ça y passe, et

on essaye de calmer la douleur autrement, on va dire, par du repos, etc., que par la possibilité de prendre des

médicaments. Depuis que l’on est tout petit c’est du bourrage de crâne dans ce milieu, déjà au club on avait des

réunions anti-dopage, etc., depuis toute petite, à six ans ma première réunion, c’est vrai qu’ils font un gros gros

bourrage de crâne, on en a une fois par an, plus les coachs qui en rajoutent une couche à chaque fois, dès qu’on

a la moindre douleur ils vont dire va t’allonger, va t’étirer, va boire, etc., plutôt que va vite prendre un

doliprane® ou autre chose quoi. » (Yasmina, 22 ans, athlétisme). Pourtant Yasmina, quelques minutes après,

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« Ils sont friands d’anti-inflammatoires, cela se prend comme des bonbons à des

moments donc il faut sévir. Parce que l’anti-inflammatoire casse l’inflammation,

soulage un peu la douleur. Quand ils ont une gène, ils sont très bons en pharmacologie

! Ils apprennent depuis le temps, ils savent faire, ils savent même répéter le geste du

médecin. Ils sont très à l’écoute des informations qu’on leur donne au niveau médical

et très à l’écoute de ce qu’on peut leur donner comme traitement. Ils savent que l’anti-

inflammatoire va casser l’inflammation, soulager aussi la douleur et donc ils en

prennent veille de match, jour de match parfois en fonction de certaines douleurs parce

qu’ils connaissent leur douleur. Ils peuvent nous dire : « Doc t’inquiète donne-moi un

anti-inflammatoire pour cette petit douleur que j’ai au niveau de l’articulation » le

sport de haut niveau est délétère pour les articulations au niveau du cartilage ; on a de

l’arthrose plus précoce au niveau des chevilles, des genoux, des cervicales car il ne

faut pas oublier le jeu de tête dans le foot, les hanches. Donc on peut se retrouver avec

un jeune de 30 ans qui a de l’arthrose évoluée au niveau de son genou, de sa cheville

qui peut le gêner de temps en temps dans la répétition des matchs. Donc il ne prendra

pas d’anti-inflammatoire pendant la semaine et jour de match ou veille de match il

préfèrera avoir un petit anti-inflammatoire qui va le soulager ou peut-être l’aider

psychologiquement à mieux supporter la charge donc il y a aussi l’effet placebo. »

(Henri, médecin équipe professionnelle de football, Ligue 1)

C’est aussi le cas de ce jeune champion de sport nautique qui, atteint d’une maladie génétique

rare, double lui-même son traitement médicamenteux à base de cortisone en fonction de ses

charges d’entraînement :

« En fait on prend quasi jamais de compléments alimentaires. J’ai une maladie

génétique donc je prends des médicaments tous les jours mais que pour cette raison. Je

prends ces médicaments car il faut que je les prenne. Je sais qu’il n’y a aucun effet

secondaire. Ce n’est pas un traitement difficile pour le corps. Cela passe par l’estomac

et plus tard dans le sang mais c'est tout. Le corps n’a pas du tout de difficultés à

l’encaisser. Mes médicaments c'est de la cortisone, c'est plusieurs types de cortisone.

Cela n’interfère pas sur l’entraînement … en fait si, il y a une substance que je double

parfois en cas de grosse séance parce que le corps a tendance à la surproduire

naturellement quand il y a de grosses activités. Donc grosse séance, grosse compète, je

double, et quand je suis malade aussi. Je double tout seul. Le médecin que je vois à

l’hôpital me dit qu’à partir de telle température je double et à partir de telle

admet « tourner au Powered » et évoque la prise de paracétamol : « c’est une douleur qui apparaît, l’acide

lactique c’est juste en fin d’exercice donc une fois rentré chez soi il n’y a plus rien à faire à part en cas de

courbature, mais ça ce n’est pas après les compétitions, c’est quand il y a une séance de musculation ou autre,

la oui on prend un efferalgan ou autre, pour calmer la douleur, mais sinon non, on évite le plus possible de

prendre des médicaments justement » Par contre, ils déclarent assez facilement – notamment dans les entretien

qualitatifs qu’ils ont été témoin de prise de produits dopants. La déclaration suivante est typique : « Je ne pense

pas, j’ai vu non, je ne sais même pas en toute honnêteté. Je pense que oui. Si j’ai vu une fois : les sud-africains

qui revenaient et l’avaient dit clairement : « Oui je me suis chargé » et en même temps cela se voyait : il avait

des bras comme cela, il courait plus vite que tout le monde. »

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température, je triple et, en grosse séance, que je n’hésite pas à en prendre plus. La

fédération est au courant par rapport au contrôle antidopage, il faut qu’ils aient tous les

papiers comme quoi je prends des médicaments etc.. Mais pour le médicament que je

double c'est la même molécule qui est produite naturellement par le corps. Du coup ils

ne la cherchent pas. Ce sont les médecins qui disent qu’il faut doubler. En fait la

cortisone fait un truc sur les testicules et du coup cela produit plus ou moins de

testostérone – je ne sais plus – et on peut être amené à être stérile si la prise n’est pas

régulière. En cas de grosse fatigue, si on est malade ou gros effort sportif, ils disent de

doubler les doses. » (Mathis, 17 ans, sport nautique)

Le jeune sportif est ainsi amené à s’insérer progressivement dans un système de surveillance

médicale: il consulte les médecins du sport ou des spécialistes de la traumatologie sportive qui

prennent le relais des parents et des médecins généralistes dont la pratique professionnelle

repose sur des points d’appuis normatifs et moraux distincts de ceux sur lesquels prennent

appui les médecins du sport. En effet ces derniers cherchent globalement moins à faire

respecter fermement l’éthique médicale basée sur une pratique sportive modérée et mesurée -

soucieuse de l’équilibre psychique et social du jeune sportif (Queval, 2004) - qu’à

accompagner les sportifs sans compromettre la performance, dans une logique de réduction

des risques. Les médecins du sport prennent acte du fait que la pratique du sportif de haut

niveau et intensive, la recherche de performance, engendre inévitablement et quotidiennement

des déséquilibres physiologiques et psychiques, et ceux-ci peuvent engendrer une

traumatologie spécifique avec ses répercussions somatiques (fractures, chutes, accidents etc.)

et psychiques avec son lot de lésions, de troubles (du spectre anxio-dépressif, alimentaires,

biogrexie), de syndromes (de surentraînement, de « réussite par procuration », « neuro-

inflammatoires cérébral associé à des perturbations neuro-endoctriniennes (cytokines,

neuropeptides, interleukine) ») et une « symptomatologie obsessionnelle compulsive »

spécifique à la dimension addictive de l’entraînement, etc. (Carrier, 2010, Purper-Ouakil et al.

2002, Salla , Michel, 2012 ; Seznec, 2008)

« En dehors des médecins du sport, la culture médicale, d’une manière générale,

s’inscrit très nettement en dehors de l’éthique de la performance. Comme en fait la

culture médicale revendique la santé en général et non la performance, c’est vrai que la

réponse générale des médecins par rapport à des situations où une personne se plaint

de son incapacité, de son incompétence, etc. c’est : « Objective le fait que ce n’est pas

à ton niveau, que tu ne peux pas le faire et renonce. ». L’éthique médicale ne prend pas

en compte les rêves de grandeur, d’idéal, de dépassement de performances. C’est une

éthique de la voie moyenne en fait. Cela correspond au bien vivre mais à une idée du

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bien vivre qui se situe dans la voie moyenne : ni trop, ni trop peu, pas d’excès, de la

modération en toute chose. Cette éthique de la voie moyenne qu’est l’éthique médicale

en général, il est clair qu’elle rentre en conflit par rapport à l’idéal de performance,

d’excellence, de dépassement qui correspond à l’attitude des sportifs de haut niveau,

aux rêves des sportifs de haut niveau. Après, il reste les médecins du sport et même

parmi les médecins du sport, c’est très honnête de leur part, qui s’inscrivent dans cette

voie moyenne c'est-à-dire dans une visée éthique qui n’entre pas forcément dans les

visées de la personne mais correspond à l’idée générale et dogmatique de ce qu’est un

bien vivre. On est alors dans la modération mais on n’entre simplement pas en

dialogue avec l’autre et les attentes de la personne en fait. » (Nathalie, Médecin du

sport)

L’arrêt généralement préconisé par les médecins de famille ou le repos prescrit sur de longues

périodes par certains médecins du sport pour soigner telle ou telle douleur ou blessures

traumatisantes – qui pour la grande majorité d’entre elles se résorbent naturellement sans

traitement médicamenteux ou sans techniques adjuvantes -, ou encore les évaluations et les

prises en charges psychothérapeutiques élaborées par les psychologues cliniciens 19 – et

rendues obligatoires (Seznec, 2008) pour « restaurer l’ équilibre psychique » ou pour «

contrebalancer cette négligence de l’être » (Carrier, 2010) - ne figurent pas toujours parmi les

options possibles.

« Je faisais dans les 150 kilos donc j’étais très lourd. Je faisais énormément de cardio,

footing. Mes articulations ramassaient pas mal. Je me suis fait une bonne entorse qui a

duré pendant cinq mois parce que je m’entraînais encore avec strapp’, etc. pour que

cela se maintienne. Cela a été assez difficile à ce moment-là mais je suis monté au

championnat de France quand même. J’avais le strapp’, la cheville bien accrochée

pour tenir. Je strappais à fond et cela me permettait d’éviter de trop bouger dessus et

de trop forcer. Je prenais des anti-inflammatoires, de la pommade. Comme c’était

l’année où j’avais envie de faire quelque chose, qu’il y avait les moyens de faire

quelque chose, c’est pour cela que je m’étais dit : « Cela va tenir et on va y aller ».

J’étais allé voir mon médecin. Je lui avais dit concrètement ce que j’allais faire. Dans

tous les cas, qu’il me dise : « Non, tu ne le feras pas », je l’aurais fait quand même. »

(Enzo, 21 ans, Judo)

19

En France la loi n°99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le

dopage oblige le sportif inscrit sur la liste des sportifs de haut niveau à réaliser un « bilan psychologique ». La loi

Lamour du 16 juin 2006 fixe la « nature et la périodicité » des examens médicaux prévus aux articles L.3621-2 et

R.3621-3 du Code la santé publique : deux fois par an pour les sportifs mineurs et une fois par an chez les

sportifs majeurs. Ce bilan vise à repérer les difficultés psychologiques de l’athlète et à l’orienter vers une « prise

en charge adaptée ». Selon Jean-Christophe Seznec (2008) médecin psychiatre proche de l’UCI et de la

fédération française de cyclisme, « les modalités du bilan et son contenu » ne sont pas précisées et « peut être

effectués en l’état par n’importe quel médecin, quelles que soient sa spécialité et ses compétences en

psychopathologie du sport ».

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« Pour eux le plus dur ce n’est pas la douleur, c’est le fait de ne plus faire de sport. Le

plus dur pour nous est de leur faire arrêter le sport. On a beau leur dire : « Il faut

vraiment arrêter pour bien guérir et ne pas se re blesser » vous êtes sûr que pour 90 %

ils vont continuer. Ils ne vont pas continuer pareil ; ils vont faire autre chose, moins

mais ils vont faire quelque chose. Un sportif de haut niveau ne peut pas s’arrêter 15

jours, c’est impossible et pour nous c’est le plus dur. Il y a des mecs qui traînent des

blessures depuis deux ans : « Vous avez fait quoi ? » « J’ai continué » et du coup pour

guérir cela au bout de deux ans, c’est vraiment plus dur. Les sportifs préfèreront avoir

mal mais faire leur sport et ils vont s’inquiéter quand leurs performances diminuent

car ils auront trop mal. Ce n’est pas vraiment la douleur. Le vrai facteur est la

diminution de la performance. Ils auraient mal mais ils feraient le même temps, cela ne

leur poserait pas plus de soucis que cela. » (Olivier, médecin du sport)

« Certains athlètes sont vraiment déterminés et malgré cette douleur ils pratiquent

quand même. C'est là où c'est dangereux pour nous : on sait, par exemple, qu’il a une

tendinite à un coude qui l’handicape mais il va le faire quand même. Là ce qui est

important pour moi en tant qu’entraîneur c'est de le savoir. Je peux comprendre

l’athlète, il faut simplement que je puisse adapter ce qu’on lui demande pour que cette

douleur ne s’aggrave pas et que ses douleurs ne l’empêchent pas de pratiquer. Une

tendinite c'est une tendinite, elle existe ; cela va lui faire mal mais il va vouloir faire

quand même. La grande difficulté est de savoir quand est-ce qu’il faut qu’il s’arrête. »

(Alain, entraîneur)

Il s’agit donc d’accélérer le retour à l’activité en ayant recours à des pratiques de soin

adaptées qui prennent en compte les aspirations et les attentes sociales des sportifs. La

pratique intensive du sport est alors appréhendée par les médecins du sport comme une

conduite « addictive » 20 dont elle partage beaucoup de critères définitionnels (Escriva, 2001)

: du besoin irrépressible (d’activité physique), caractérisé par la répétition des efforts et des

gestes produisant du plaisir, difficulté à se sevrer (arrêter), des symptômes de manque

(irascibilité, douleurs, etc.) et des douleurs qui finissent d’ailleurs, bien souvent, par

disparaître dans l’effort physique mais par réapparaître aussitôt à l’arrêt (Leroux, 2002). Les

médecins du sport et les autres praticiens médicaux tiennent compte des risques sociaux

20

L’expertise collective du CNRS (rapport de synthèse) mentionne ce point : le « sport pratiqué au quotidien,

comme une mécanique répétitive, empêcherait la pensée douloureuse et l’anesthésierait comme peut le faire

l’héroïne. Par ailleurs, le dépassement des limites physiques provoque chez le sujet la sécrétion d’endorphines,

véritables drogues endogènes. Si le lien sport dopage toxicomanie n’a fait l’objet d’aucune étude spécifique, il

existe un ensemble de données scientifiques laissant penser que tous les sportifs ne sont pas égaux vis à vis de

ces différents risques » (1998)

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(l’exclusion du groupe sportif, la perte d’un contrat, la titularisation) et des risques sanitaires

pris par les jeunes sportifs et leur entourage afin de ne pas perdre leur patientèle :

« Les sportifs sont très exigeants. Ils veulent une solution. S’ils ne l’ont pas ils vont

ailleurs, leur corps est leur outil de travail (...) On n’est pas là pour dire : « Arrête ton

sport il te fait mal » et de toute façon cela ne marche pas. Si on dit cela, le gars va aller

en voir un autre qui lui dira un autre discours.» (Michel, kinésithérapeute).

C’est aussi ce que déclare ce médecin d’une équipe de football professionnelle concernant les

risques dont il informe une nouvelle recrue lors de sa visite médicale au club :

« Récemment j’ai vu une recrue, j’ai été très clair avec lui et il a été surpris : "J’ai

décelé chez toi des problèmes dégénératifs sur les articulations. J’accepte que le club

t’engage. Tu peux jouer. Sache une chose importante et là c'est ton choix : plus tard tu

auras des gros soucis au niveau de ce genou, tu auras peut-être une prothèse de genou.

Mon rôle est de te signaler. Je n’ai pas d’interdiction à ce que tu pratiques le sport de

haut niveau. C'est ton choix : tu veux continuer, tu continues" "Doc on ne m’a jamais

parlé comme cela" "Je te le dis, je t’ai informé. Tu peux continuer à jouer sans aucun

problème. Moi je ne mets pas de veto pour qu’on puisse t’engager. Par contre tu as le

choix aujourd'hui de te dire : je veux à 40 ans préserver mon genou, j’en ai 27

maintenant et je veux plus tard courir avec mon fils avec ma fille, faire du sport. Sache

que peut-être qu’à 40 ans tu auras un genou qui va te gêner et tu seras peut-être opéré

» C'est l’information, c'est notre rôle en tant que médecin que d’expliquer aux gens.

C'est notre rôle aussi de les mener au plus haut dans leur carrière en les informant

éventuellement des risques pour plus tard. Là on voit du court, moyen terme mais on

voit le long terme aussi. On s’inquiète du sportif de haut niveau entre 20 et 35 ans

quand ils jouent au foot mais ils ont une vie après et ils auront des douleurs aussi

après, des douleurs d’arthrose. » (Henri)

Ils tentent ainsi de réduire les risques et le font bien souvent dans l’urgence. La question du

temps est centrale pour les sportifs et leur entourage (Viaud, Papin, 2012), puisque les

carrières sportives sont ancrées dans des « contraintes temporelles récurrentes » (Escriva,

2001), les sportifs demandent à pouvoir participer aux compétitions à venir. Ils doivent être

soignés rapidement ou, a minima, pouvoir pallier au caractère incapacitant des douleurs

auxquels ils font face, quitte à remettre à plus tard des soins éventuels.

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« On peut éventuellement proposer des solutions palliatives pour qu’ils puissent quand

même pratiquer sans effets délétères, sans aggraver le problème. On va avoir pas mal

de choses : immobilisation, strapping, orthèses. Ensuite, on peut faire de la

kinésithérapie, utiliser des antalgiques. On va également utiliser des anti-

inflammatoires en topiques ou en péri osseux avec des antalgiques simples type

paracétamol et parfois des anti-inflammatoires stéroïdiens qu’on peut utiliser dans

cette tranche d’âge [adolescent] type Ibuprofène par exemple. C’est vrai que dans cette

tranche d’âge, on rentre rarement dans des thérapeutiques plus agressives type palier 2

de la douleur, type Codéine, Tramadol. Ce sont des choses qu’on va utiliser dans la

traumatologie, sur une fracture au départ, une grosse douleur. Personnellement, je n’ai

jamais utilisé cela pour permettre à quelqu'un de faire un sport alors qu’il ne devrait

pas. Mais ce sont des choses qui peuvent se faire parfois. À la limite, on va davantage

permettre à quelqu'un de faire une compétition sous anti-inflammatoire si on pense que

la pathologie sera accessible aux anti-inflammatoires plutôt qu’en montant sur les

paliers de la douleur purs et durs. Monter en palier veut dire qu’on a, avec ces

produits, des effets neurologiques : on peut avoir des troubles de la vigilance, quelques

vertiges, des nausées, des douleurs abdominales donc souvent, on ne va pas souvent

rendre service dans le cadre d’une pratique de compétition. Encore une fois, il y en a

qui peuvent le faire mais cela va être plutôt avec les anti-inflammatoires qu’on va

pouvoir être dans cette attitude en disant : « Tu as mal au poignet, pour ton concours

de gym prends un Ibuprofène la veille et le matin et vois ce que cela donne » Cela

m’est arrivé de le faire, sans problème. » (Jérôme, médecin du sport)

« Ce qui est certain c'est que les blessures, dans une carrière sportive, elles sont vécues

comme un frein à l’avancement, une perte de temps : dès l’instant où on est en arrêt

c'est de la perte de temps sur l’entraînement par rapport aux autres qui peuvent

s’entraîner. C'est vécu comme une punition. Le comportement de base est d’essayer

par tous les moyens de réduire ce temps d’immobilisation pour arriver à compenser, à

ne pas perdre de temps. Avec un peu plus de recul, je ne parle pas de l’accident, de la

fracture liée à une chute mais d’une blessure liée à une rupture d’un faisceau

musculaire, d’une tendinite etc., ce n’est jamais vécu comme un signal d’alerte. On ne

cherche même pas la cause. On se dit : "Sur une lésion d’un muscle j’ai 6 semaines

d’immobilisation comment je vais faire pour réduire le temps d’immobilisation ? et

pendant ce temps-là comment je vais faire pour continuer à m’entraîner en

immobilisant cette jambe lésée et continuer à travailler ?" Il ne faut pas perdre de

temps. Il y a quand même un enjeu de temps sur une carrière. Il y a une deadline

quand même. Le temps est certes un rival dans la performance quand ce sont des

performances chronométrées mais c'est aussi une donnée importante de la préparation.

» (Franck, 35 ans, ancien cycliste professionnel)

Certes, la médecine du sport est peut-être une médecine orientée vers le perfectionnement et

l’optimisation des performances (Waddington 2005) mais on gagnerait aussi à l’analyser

comme une médecine palliative, arrimée au paradigme de la réduction des risques. Elle ne

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répare pas des dysfonctionnements, elle ne guérit pas, mais elle soulage la souffrance 21. Cette

caractéristique fait d’elle un des chaînage du réseau qui entoure les jeunes sportifs. Dans ce

contexte, alors que les parents jouaient un rôle central dans la gestion des douleurs et des

souffrances, ils jouent désormais un rôle d’auxiliaire et de soutien émotionnel et moral, même

s’ils peuvent aussi s’évertuer à essayer de faire taire la douleur notamment en ayant recours à

des médecines non conventionnelles ou en apportant de manière supplétive des aides

médicamenteuses, notamment quand leur enfant revient quelques jours au domicile après de

longues périodes de stages, de phases de compétition à l’étranger, ou suite à des opérations

chirurgicales etc.. Quand ils ne suivent pas eux même leur enfants ou adolescents ils sont

dépossédés.

« Mes fils sont bien suivis à partir de pôle France, c’est notre sentiment. À pôle

espoirs, cela ne valait rien en terme médical. On a des listes de médecins, de machins,

de ceci, de cela ; ce n’est que du vent. Ce n’est pas péjoratif mais je dis ce que je

pense. On nous dit : « Pôle Espoirs » c’est une institution. Dorénavant, votre gamin

sera en liste espoir donc il peut bénéficier d’un médecin en permanence, d’un

nutritionniste, de ceci, de cela. On se dit que physiquement parlant, ils vont les suivre

mais en fait non. Le toubib est malade et je n’ai jamais vu le nutritionniste pour l’un

comme pour l’autre. C’est quand même lié à la structure, c’est comme cela. S’ils ont

un bobo, on les amène chez le médecin. On a payé des ostéos, etc. On préfère les faire

suivre nous. Il y en a un qui ne savait même pas ce qu’il avait donc à un moment

donné, cela suffit. En pôle France, c’est un peu différent. C’est interne, c’est quand

même un bloc assez fermé de 20, 25 jeunes et pas plus. Il y a 3, 4 entraîneurs en

permanence donc c’est un peu mieux suivi au niveau médical. Cela ne veut pas dire

qu’il ne faut pas l’emmener chez le médecin un week-end s’il a mal là ou là. Sur place,

ils s’en inquiètent un peu plus. Après, ils listent les charges d’entraînement en fonction

de cela, s’il y a des bobos. Ils regardent quand même les choses. Il faut se méfier car

tout le monde veut aller sur le tapis, même blessé. Axel s’est fait sortir en début

d’année : il avait un truc aux cervicales ; comme il y avait le Tournoi de X qui arrivait,

il n’a pas voulu lâcher et ils l’ont sorti pendant deux mois jusqu’à ce que le toubib

accepte. Quand il est parti en Pôle France, on est allé à S. visiter, même à M. ; on est

allé voir les gens, les toubibs. J’ai voulu voir tout le monde pour voir si c’était du flan

ou pas. À S., j’ai tout visité : les installations, tout ce qui était médical. C’était bien S..

Après quand vous montez au-delà c’est encore autre chose au niveau médical. Quand

vous rentrez à l’INSEP, il y a une armada de médecins, etc. Quand vous rentrez en

équipe de France, c’est encore autre chose. Axel est en élite depuis cette année et c’est

magique là. Il n’a même pas besoin de lever le doigt : il a tout à disposition comme la

cryogénie, le toubib, etc. C’est extraordinaire et on est moins inquiet. Là, il est rentré

21

C’est par exemple ce que dit explicitement Gérard Guillaume, rhumatologue, médecin de l’équipe

professionnelle de la Française de Jeux (cyclisme) : « Un médecin d’équipe est un médecin concerné par

l’accompagnement de l’effort et de ses conséquences mais non par la performance de ses athlètes »(11e colloque

de prévention et de lutte contre le dopage, Paris, 2011, Maison du sport français, op.cit). les débats qui suivent

son intervention autour de l’anticipation des risques est éloquent.

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de Turquie et cela fait deux jours qu’il est en soins. Je lui ai dit : « Tu as mal quelque

part ? » « Non, j’ai mal à la cheville mais pas grand-chose » Il repart la semaine

prochaine. (Parents de deux jeunes sportifs de haut niveau 15 et 17 ans)

Les entraîneurs ou les représentants des clubs, forts de leur capital social et de leur propre

expérience de la douleur, aiguillent les sportifs vers ces professionnels de soins spécialisés,

disqualifiant dans le même temps la médecine conventionnelle ou même parfois les médecins

du sport ou kinés présents dans les pôles Espoirs ou France. Parfois il arrive que les athlètes

reçoivent la consigne de le pas consulter des médecins généralistes.

« On ne passe jamais par un médecin généraliste, non, et déjà dans nos structures

sportives ils ne veulent pas qu’on passe par un généraliste parce qu’ils veulent que l’on

soit très bien suivis par des spécialistes et qu’on puisse avoir IRM et scanner le plus

rapidement possible, parce qu’ils ne veulent pas que l’on attaque l’entraînement si on

n’a pas un nom sur ce que l’on a. » (Yasmina, 22 ans athlétisme)

« Moi je ne connais même pas le médecin du pôle espoir qui ne vient que le mardi. Il

se trouve que je connais un médecin du centre P. (centre de médecine du sport privé)

et des fois je lui envoie mes athlètes. Il fait un suivi avec moi par contre. Je le vois

régulièrement par exemple et il me dit « untel c’est une disjonction donc il a trois

semaines d’arrêt. Au bout de trois semaines, il reprendra doucement. Tu mobilises

l’épaule, tu fais ceci tu fais cela, tu fais en sorte que ça ne tire pas trop en technique. Il

y a une espèce de suivi. Le médecin de la structure n’est pas très compétent. Les gens

ne sont pas spécialement contents. En plus il a tendance a arrêter tout le monde assez

facilement. Moi on me demande car ils savent que j’en connais un. Il se trouve qu’il

exerce dans ce centre et qu’il s’occupe de judo, de basket féminin, etc. On me dit «

tiens tu ne peux pas m’avoir un rendez vous car j’ai toujours mal et je ne fais pas

confiance » (Fabien, entraîneur sport de combat, pôle espoir)

2. Les filières du soin

Cette seconde étape se caractérise ainsi par une réorganisation et un renouvellement des «

réseaux de normes, d’attentes, de privilèges, et de contraintes » (Bazsanger, 1989) autour de

la douleur. Le réseau de coopération et de soin du sportif s’élargit et redistribue les modes de

prise en charge pharmaco-médicale de la douleur au-delà des filières conventionnelles

classiques et des suivis obligatoires en centres hospitaliers publics. D’autres professionnels de

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santé sont mobilisés. Dès lors, la palette des stratégies destinée à masquer ou à transcender la

douleur s’élargit. Les sportifs peuvent être orientés vers des centres de soins privés aux

compétences hyper-spécialisées (orthopédiques, tendinites, etc.). Ces espaces sont présentés

comme des filières d’excellence médicale et comme des circuits de soin officieux bien que

publiquement labellisés par les fédérations sportives, ou les clubs professionnels 22. Seuls

quelques sportifs initiés sollicitent ces praticiens et accèdent à ces réseaux. Ils apprennent

ainsi à naviguer et à tisser des liens entre les « micro-mondes » de la médecine du sport, à

élaborer un réseau de coopération en dehors des circuits conventionnels : ils sont introduits

directement par leur entraîneur ou le dirigeant du club, ils entretiennent une relation basée sur

des affinités sélectives avec des professionnels les intégrant à un système de privilèges

(contact direct du médecin, rendez-vous en urgence, etc.). Ils entretiennent ainsi, sous un

mode clientéliste, des relations de familiarité avec les praticiens médicaux dont la

participation au haut niveau les rapproche de la haute performance (Fleuriel, Sallé, 2009) 23 .

« Je me suis fait les croisés en fin de saison. On était en 8ème de finale pour les

championnats de France. Je me suis blessée juste avant, à l’entraînement. Au début, ils

font tout pour que tu évites les examens. Au début, j’ai continué l’entraînement parce

qu’au bout d’un moment, je n’avais plus mal, mon genou n’avait pas gonflé. J’ai eu

mal sur le coup. Quand on se fait les ligaments, on a mal sur le coup. Après, si on est

bien musclé, cela compense et j’arrivais encore à courir. Tout ce qui était dans l’axe

déjà, cela ne posait pas de soucis. Après, on a pensé que c’était juste une petite entorse

ou quelque chose comme cela donc on a un peu attendu. En même temps, mon coach

ne voulait pas se dire que j’avais les croisés ; on n’avait pas envie de se le dire. C’était

bientôt les quarts de finale donc il a essayé de me faire rejouer. Mais cela n’allait pas,

mon genou partait. Il en a parlé au Président [du club] et j’ai obtenu un IRM dans les

deux semaines qui ont suivi. Le Président du club est médecin en plus. Il y a un pôle

de santé pas loin du lycée avec les médecins sportifs, des cardiologues. Dès qu’on a eu

l’IRM, on a eu le rendez-vous tout de suite. J’ai eu un rendez-vous chez le chirurgien

un mois après. Il fait tout pour qu’on obtienne les rendez-vous qu’il faut dans les plus

brefs délais. J’avais le choix du chirurgien. Il m’a demandé : « Lequel tu prends ? » et

il me donnait son avis. Il se trouve qu’on connaissait le chirurgien car le beau-frère

était Directeur de cette clinique, donc on le connaissait bien. Comme il côtoie les gens

22

Par exemple, ce centre de médecine du sport rend compte sur son site Internet aussi bien de l’actualité

médicale des sportifs professionnels : « O.B., sorti sur blessure hier soir à la 18ème minute du match Y-Y, a

passé ce lundi une IRM qui a confirmé la rupture du ligament croisé antérieur du genou droit. L’international

sera opéré jeudi matin à la clinique par le Docteur V-F. La durée de son indisponibilité est fixée à 6 mois. » ;

que des succès médicaux obtenus par l’équipe médicale du centre. Ainsi : « Miracle "médical" pour le médaillé

olympique P. V. Mardi 18 février, P. V. a signé un exploit en remportant sous la pluie de RK le titre olympique

(…) deux mois après une blessure si sérieuse qu'elle devait forcément le priver du rendez-vous. Son médecin

explique comment le champion s'est remis si vite... »

23 La plupart des médecins jouent d’ailleurs leur crédibilité sur ce registre en affichant aussi bien leurs titres

hospitalo-universitaires que leur fonction de médecin au sein de clubs ou d’équipes prestigieux.

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du handball, il sait qu’elles veulent vite revenir. Le chirurgien m’a donné une date

rapidement, il m’a dit : « On va tout faire, on va te remettre sur pied le plus vite

possible » Même le Président qui est un peu absent car il est axé sur l’équipe pro et

tout cela, il a tout fait pour que cela aille vite. (…) Ce sont eux qui prennent en charge

; enfin, ils s’arrangent pour les kinés. C’est au centre médical de médecine du sport à

X, il y a plein de kinés. Toutes les joueuses de X vont là. Ils nous connaissent. Même

avec le pôle espoir on allait chez le kiné quand on n’était pas blessé mais quand on

jouait le dimanche, le lundi on ne s’entraînait pas mais on allait chez le kiné avec des

séances de piscine et tout. Donc, ils nous connaissaient déjà ; pour les blessures, le

coach nous envoyait là-haut. » (Astrid, 19 ans, handball)

La blessure devient un signe distinctif du haut niveau. Au début d’une interview, la mère de

deux jeunes gymnastes évoque non sans fierté le fait que ses deux filles gymnastes de 17 et 14

ans ont des déplacements de vertèbres lombaires « comme les gymnastes chinoises ! » C’est

aussi un signe d’appartenance - « chez nous c’est les croisés [ligaments]» - et, la blessure,

initiatique, constitue un élément d’identification au champion qui devient un « semblable »

que l’on peut croiser dans son centre médical à défaut de pouvoir le fréquenter à

l’entraînement.

« Oui je me fais opérer quinze jours après ma blessure. Au centre de X car j’ai

vraiment confiance dans les médecins de X (clinique privée de médecine du sport). Le

médecin de L. [son ancien club professionnel] était en équipe de France. Il opère

beaucoup de gens, des stars notamment, et il fait les croisés. Donc il m’opère. Je me

dis que dans six mois je peux rejouer au rugby car il m’a dit six mois pour

cicatrisation. Je dis : « 6 mois c'est bon » dans ma tête j’avais 6 mois. Donc

rééducation à Y etc. » (Pierre, 27 ans rugbyman professionnel)

Ainsi l’accès à ce type de soins hyper-spécialisés s’apparente pour les jeunes sportifs à un

processus d’intégration au haut niveau. Parfois, les parcours de soin et de rééducation

constituent des groupes d’appartenance - parfois de référence - non plus constitués en fonction

de leurs résultats mais de leurs blessures.

« Tous les skieurs alpins quand ils se blessent ils vont tous au centre de X. Ils font leur

phase de rééducation là-bas et je sais que, quelque fois, il arrivait qu’ils remettent les

skis ensemble le même jour, et ceux qui avaient été blessés à peu près en même temps,

avec des sortes de groupes de travail pour se remettre sur les skis et puis eux du coup,

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ceux qui font les croisés, c’était bien parce que au moins ils sont plusieurs. » (Elodie,

24 ans, ski)

Accéder à ces réseaux de soins, circuler entre les mondes de la médecine et du sport, constitue

une manière de se distinguer de ceux qui, du fait de leur niveau, ne bénéficient pas des mêmes

soins. Inversement, les sportifs qui n’accèdent pas à ces réseaux de soins spécialisés et

privatisés – parfois mis à l’écart en raison d’une blessure ou de résultats moindres- cherchent

par eux mêmes des moyens de gérer leurs douleurs ou leurs blessures en fréquentant par

exemple les salles de musculation qui, elles aussi, peuvent aussi proposer programme

d’entraînement ou de rééducation, fournir des conseils nutritionnels, pour gérer les douleurs,

etc.. Elles sont aussi des lieux de socialisation à la douleur.

« Ma salle c’est X près du magasin de sport. Je m’entraîne là-bas, il y tout le monde ;

il y a même des gens qui ne font que cela. Il y a des culturistes. On apprend de tout le

monde. Il y a de tout. Il y a des sportifs, il y a de tout. Il y a des gens qui sont en

préparation. J’y suis allé hier : il y avait des mecs qui sont sûrement des bons du

basket. Ils parlaient de partir à l’étranger avec l’équipe nationale. Il y a le mec qui sort

de son boulot, qui veut faire son footing et qui va là-bas. (…) Les programmes de

musculation que je suivais étaient ceux que je me fixais. J’ai toujours préféré me

préparer moi-même. J’avais pris conseil auprès de certaines personnes qui étaient un

peu plus fortes que moi. Derrière, YouTube pour des renseignements. Avec Internet,

on peut se renseigner sur plein de choses, comment augmenter nos performances. Moi,

en fait, j’étais un peu comme une sorte de partenaire pour ceux qui étaient prédestinés

à X au pôle France etc. J’ai vu des jeunes qui sont passés, des cadets alors que j’étais

junior, qui sont venus, qui ont fait des résultats et quand ils se sont blessés, je leur ai

fais des programmes pour se préparer. Pour ceux qui avaient des blessures aux jambes,

je leur faisais des préparations physiques pour le haut, pour pallier, ne pas utiliser leurs

jambes. C’était des exercices training pour le haut du corps. En même temps, je me

suis entraîné avec des gens à la musculation, des gens qui connaissaient, qui en

faisaient déjà depuis quelques années. Je me suis entraîné avec eux. On a fait les

programmes ensemble. Du coup, j’ai pris les parties qui m’intéressaient le plus. Il y a

des programmes différents avec la force, l’explosivité, sur l’intensité, l’effort dans le

temps, sur des séries bien plus longues avec des charges moins lourdes. C’est un peu

compliqué.» (Enzo, 21 ans, judo)

D’ailleurs, les salles de musculation affichent elles aussi ouvertement – au sens propre comme

au sens figuré – ses liens avec le sport de haut niveau – on y trouve parfois, comme dans les

couloirs de médecine du sport des centres médicaux ou des hôpitaux publics les posters signés

des équipes de sportifs ou des champions –. Ces salles de musculation sont fréquentées par les

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sportifs qui peuvent par des exercices spécifiques continuer d’être en mouvement en

travaillant certaines parties du corps qui, elles, peuvent encore bouger. Ces salles sont des

lieux d’échanges et d’interactions.

« Quand j’ai commencé la muscu aussi, forcément tu fais un peu n’importe quoi et

j’étais cassé de partout ; avec mon pote on faisait le tour des machines. Entre 17 et 18

ans, tu ne sais pas trop comment faire. Je savais faire parce que j’en avais fait en sports

études quand j’étais à X ; on avait vraiment des préparateurs physiques en senior et tu

apprenais un peu sur le truc. Même quand tu vas dans les salles de sport les gens

voient que tu galères un peu. Moi j’écoutais les mecs mais ils n’y connaissent rien non

plus : ce sont juste des mecs qui font de la gonflette. Comme je disais, j’avais mes

séances d’EPS, mes séances d’option sport, mes séances de muscu plus les

entraînements, cela faisait quand même beaucoup sans être dans une structure mais

c'est moi qui voulais cela. » (Noah, 25 ans rugby)

La fréquentation assidue des salles de musculation ou l’application des programmes de

rééducation individualisés permettent de maintenir un engagement dans la pratique sportive et

de pallier à une mise à l’écart temporaire des terrains d’entraînements des sportifs, ou des

compétitions (Humbert, Lozach, 2013, 49). Le passage entre mondes du sport (de haut

niveau) et mondes de la médecine (du sport) ne constitue plus une rupture mais un continuum,

les salles de musculation se situant à l’interface de ces deux mondes. Elles sont « des lieux

d’approvisionnement » en produits et peuvent apparaître comme un « marché clandestin de

proximité » (Laure et al. 2005). La porosité entre ces deux mondes facilite la circulation des

pratiques thérapeutiques, des programmes d’entraînements comme des produits.

« Sur la protéine, je commence à prendre, je vois les résultats que cela donne. Tout le

monde dit en général : « C’est pour prendre du muscle, c’est pour le gonfler etc. »

C’est faux : ce n’est pas pour le gonfler, c’est un apport protéiné qui fait qu’avec

l’alimentation derrière on va avoir le muscle qui va gonfler car on va soulever. Si on

mange très protéiné, on va avoir des résultats mais la base de la protéine, c’est surtout

pour récupérer, que ton muscle récupère plus rapidement. Maintenant, je peux

m’entraîner toute la semaine, tous les jours, je ne vais pas avoir de douleurs, pas de

courbatures, rien. Ce n’est que depuis la protéine. Avant, quand je m’entraînais une

fois, si le lendemain je revenais et que je faisais le même exercice tu ne re soulevais

pas deux fois la barre, c’était fini ; tu as les courbatures, tu risques de te déchirer le

muscle, de te blesser. Avec la protéine, derrière on a une sorte de récupération. Les

produits sont efficaces aussi malgré tout. (…) Après, il y a plein de choses qui font que

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cela va servir pour tel muscle ou telle façon de travailler, etc. C’est tout un suivi et là,

je pense que c’est important.» (Enzo, 21 ans, judo)

« Il y a un temps où je pense que j’étais accroc à la muscu. Si je n’y allais pas, cela me

faisait vraiment chier. Moi, c’était dans une moindre mesure mais j’ai des potes qui

n’étaient vraiment pas bien s’ils ne faisaient pas de séance de muscu de la semaine.

Physiquement, tu ressens le manque, c'est sûr. Je pense que les bodybuilders doivent

être accrocs à cela pour se faire mal comme cela, s’astreindre à des régimes, etc. (…)

Le moment où je me suis vraiment piqué dans la muscu, c’était quand j’étais à X. Je

mangeais 5 fois par jour. On avait des repas diététiques. Le matin, je ne suis pas trop

déjeuner donc je faisais souvent de la muscu à jeun, ce n’est pas le top. (…) Je me

réveillais vers 10h, 11h. 11h30 muscu. Je revenais à 13h30, 14h, repas. Je remangeais

dans l’après-midi. Tout cela parsemé de shakers de protéines. C'est important. Tu

ressens le besoin c'est pareil. Tu progresses beaucoup plus en prenant des protéines.

Tu remanges une petite collation avant l’entraînement et le soir, je mangeais après

l’entraînement. Je ne prenais que trois shakers de protéines mais il y en avait qui

prenait 4 fois, d’autres plus – ils prenaient de la créatine, des produits. Moi c’était

shaker de protéine et cela suffisait. Il y en a qui prenait de la créatine. Un pote m’avait

fait acheter Animal Pak mais il m’a dit : « Fais gaffe tu seras peut-être contrôlé positif

» J’ai dit : « Tant pis je teste » des fois tu tentes le tout pour le tout mais j’en connais

qui ont pris des trucs bien pires. J’en ai pris un jour. Tu avais un sachet par jour avec

5, 6 gélules ; une si tu n’arrivais pas à dormir, tu devais la prendre en plus. J’ai pris un

sachet et puis j’ai revendu cela à un pote ; ce n’était pas pour moi, je n’étais pas prêt à

faire ce genre de sacrifices. J’en connais qui ont pris des trucs de chevaux vraiment

pour être bien, pour grossir, pour la compétition. Je pense que je n’ai jamais été prêt

dans ma tête à ce genre de sacrifices. Je n’étais pas prêt à me bousiller la santé, même

si je me la bousille quand même certainement avec les blessures. Je n’étais pas prêt à

ce genre de sacrifices. » (Noah, 25 ans rugby)

La salle de musculation fait parfois partie des infrastructures des clubs et des pôles espoirs ou

france. Les sportifs blessés peuvent être invités à y passer du temps pour rester en contact

avec le groupe sportif en activité et pour travailler d’autres parties du corps :

« Je prends l’exemple d’un jeune qui s’est fait mal au genou : il peut peut-être

travailler le haut du corps ! Maintenant c’est tu es blessé tu as trois semaines d’arrêt et

on verra dans trois semaines alors que moi je pense qu’il vaut mieux être sur le tapis.

Si tu as mal au genou, tu fais des abdos, les bras, des assouplissements, au moins il

garde le contact avec le groupe. Même s’il ne pratique pas, il se met en kimono et il est

sur le tapis avec les autres. Des fois ils vont un peu à la muscu mais c’est pareil : la

salle est à part du tapis, les portes sont fermées, on ne voit pas trop ce qui s’y passe.

On a des étudiants qui les gèrent mais je pense qu’il faut garder un maximum de

contact avec les autres (...) On ne s’occupe pas des blessés. Pendant des années et

encore maintenant la solution c’est la musculation : « tu as un problème d’ischio-

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jambier, tu as un claquage, va faire un peu de travail de haut, un peu les bras ». Le

gamin va en salle de muscu. S’il est tout seul il écoute la musique, il attend que le

temps passe et il finit. » (Fabien, entraîneur, pôle espoir, sport de combat)

3. « L’influence qui guérit »

Cette seconde phase de la carrière se caractérise par l’engagement progressif du sportif dans

des micro-mondes de la médecine du sport hyperspécialisés (médecine et biologie du sport,

kinésithérapie, médecine manuelle et ostéopathie, rhumatologie, etc.) faisant appel à une

rhétorique morale propre au monde du sport ainsi qu’à des schémas d’action prenant appui sur

la pratique sportive elle-même : il s’agit moins de rééduquer ou de réparer que de « ré-

athlétiser », de reprogrammer le geste, de remettre en mouvement. Alors que d’un côté, les

entraîneurs surveillent et « se font » médecins :

« Oui, c’est notre coach sportif qui nous fait nos programmes d’entraînement. Il a fait

des études spéciales et du coup, il s’y connaît bien, il nous fait plein de trucs. On a un

Google Doc qu’on doit remplir chaque jour : poids, vitesse cardiaque le matin, ce

qu’on a fait la journée. Il y a poids, cardio, le résumé de la journée, après c’est vitesse

et kilomètres qu’on a fait si on a fait du vélo. Je remplis le Google Doc et après il met

un commentaire comme "dors un peu plus car ta fréquence cardiaque est souvent

élevée" ou bien "est-ce que tu as fait quelque chose de particulier le matin ?" plein de

choses comme cela. C’est rarement des commentaires positifs ! (…) Sinon j’ai des

prises de sang tous les six mois. C’est notre coach qui regarde et qui nous dit "là il y a

trop de sel." Après je vais chez mon médecin » (Sacha, cyclisme, 13 ans)

« En fait dans le club où je suis, il y a le coach de course en ligne qui a fait pas mal

d’études. En fait, il me soigne. Il m’a massé énormément. Cela a presque créé un bleu

autour du tendon. Il faut boire beaucoup et c’est vrai qu’en deux jours c’est parti. A

force de masser, masser, cela active la circulation sanguine et cela irrite les tendons.

C’est mon coach qui me dit de le faire quand ce n’est pas très grave » (Mathis, 17 ans,

sport nautique)

D’ailleurs, certains coachs n’hésitent pas à faire des diagnostics et à aiguiller les sportifs vers

des professionnels de la santé basé sur leur propre expérience des blessures ou à rechercher

les causes d’une blessure récurrente ailleurs que dans leur sport, quitte parfois à empiéter sur

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le territoire souverain des médecins comme par exemple cet entraîneur qui demandera aux

jeunes sportives blessées la date de leur dernières menstruations :

« Il y a une étude qui a été faite la dessus, les ligaments croisés chez les filles qui ont

leurs règles. Il y a une étude qui a été faite la dessus et son coach m’a demandé la date

de ses dernières règles. Elles étaient deux filles dans l’équipe à s’être fait les croisés en

six sept mois. Moi je ne sais pas du tout. Sur Internet ils en parlent un peu comme un

facteur de risque. » (mère d’une jeune handballeuse)

D’un autre côté, les praticiens médicaux (kinésithérapeutes, ostéopathes, etc.) sont intégrés

dans la composition et la gestion des programmes d’entraînements. Ils se substituent

progressivement à l’encadrement sportif et deviennent, à leur tour, des « entraîneurs ». Ils

s’inscrivent dans les mondes du sport en participant à la rationalisation de la préparation et de

l’entraînement des athlètes et en élaborant une médecine « personnalisée » du sportif fondée

sur les différences biologiques naturalisées entre sportifs. Parfois les kinésithérapeutes

occupent une position cardinale dans les réseaux de soin et les terrains d’entraînements. Alors

qu’en temps ordinaire, c’est le médecin qui prescrit les séances de kinésithérapie, dans les

mondes du sport c’est parfois le kinésithérapeute qui « fait le tri », établi un diagnostic et

adresse éventuellement le sportif blessé au médecin:

« J’observe quand je peux prendre du temps dans la salle et j’établis de bonnes

relations avec les entraîneurs. Quand ils voient qu’il y a un problème, ils choppent le

gars et disent : « Vas voir Michel » Ils me le disent avant pourquoi ils me l’envoient.

Après je fais un peu le tri c'est-à-dire que j’envoie derrière au médecin ou pas en

fonction de la gravité. » (Michel, Kinésithérapeute, pôle France gymnastique)

Cette médecine partage les normes et les valeurs sur lesquelles s’appuie le sport moderne : la

logique du mouvement tout en s’appuyant aussi sur une logique d’accompagnement et de «

réduction des risques » 24 .

24

La politique de réduction des risques, pragmatique, a renouvelé l’approche sanitaire dans le champ des

drogues et des toxicomanies en renversant l’idée selon laquelle la toxicomanie n’est pas une « maladie » mais un

« choix ». Cette conception de la réduction des risques repose sur l’idée propre à nos sociétés modernes selon

laquelle l’individu est capable de prendre en charge, d’être autonome, responsable de ses actes. Cette conception

de l’individu correspond à celle largement diffusée dans les mondes du sport et des mondes de la médecine.

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« Les garçons sont sur la douleur en permanence : ils savent que s’ils n’ont pas mal au

coude, ils auront mal à l’épaule. Ils sont dans la douleur donc ils apprennent à la gérer.

On les aide à la gérer. Ils ont mal mais cela ne les empêche pas de faire ou l’envie de

faire est supérieure ou la promesse du titre au bout du chemin prend le dessus. On a eu

le cas d’un garçon qui, sur la blessure, malgré tout est allé aux jeux olympiques. Il y a

eu blessure, rupture au moment de monter l’agrès aux jeux et il l’a fait quand même

malgré son tendon cassé. S’ils sont sur le chemin, ils sont prêts à aller au bout ; pour

ceux qui sont au début du chemin, il y en a qui abandonnent ce qui est d’ailleurs… Le

milieu pour lequel je travaille dans le haut niveau et le très haut niveau je n’ai pas peur

des dérives car on est là pour les aider c'est-à-dire que même s’il faut donner un

produit interdit avec une autorisation médicale d’utilisation cela sera fait. Ils n’ont pas

besoin d’aller chercher des antidouleur par eux-mêmes. Si on essaie de leur apporter le

cadre, de les rassurer et leur dire : « On fait le mieux pour toi » ils ne vont pas chercher

ailleurs ou ils ont peut-être cherché ailleurs mais ils n’ont pas trouvé mieux donc ils

restent là-dedans. Je parle pour la structure (pôle France). Comme je vous disais, ceux

qui ne sont pas en structure font n’importe quoi je pense. » (Michel, kinésithérapeute)

Les préconisations médicales visent à maintenir le sportif en activité, à le remettre en action, à

lui permettre de reprendre le dessus, pour le renforcer dans ses choix et dans ses prises de

décision, plutôt que de l’éloigner de l’entraînement par la prescription d’un arrêt de leur

activité sportive.

« J’avais l’impression qu’il [le kinésithérapeute] allait m’arrêter à chaque instant, qu’il

allait me rajouter trois semaines d’arrêt à chaque fois. C’était de la méfiance. Mais

j’avais tellement eu mal que je n’avais pas le choix. Les kinés étaient axés là-dessus.

Ils savaient ce que c’était alors ils me mettaient un objectif sur le mois, ils me disaient

: "Tu fais ci, tu fais ça" et ils n’hésitaient pas à me mettre des soufflantes si jamais je

faisais n’importe quoi. Ils n’y allaient pas de main morte, ils me disaient les choses

comme elles étaient. Je fais attention quand même. (…) J’ai eu peur. Je n’ai pas réussi

à re-sauter en extension. Pourtant ce n’était pas ma jambe d’appui donc je ne sautais Voici un discours type d’un entraîneur interrogé : « Oui, un athlète pour qu’il soit performant il faut qu’il puisse

se prendre en charge. Pourquoi ? Pour qu’il puisse analyser ce qu’il a fait par rapport à ce qu’il doit faire, se

fixer des objectifs qu’il est capable d’atteindre ou en tous cas légèrement supérieurs à ce qu’il est capable

d’atteindre pour qu’il puisse établir une stratégie. Cela se fait en lien avec l’entraîneur. Il ne peut pas tout faire

non plus car il doit être encadré, accompagné mais on cherche à ce qu’il vise l’autonomie, qu’il puisse être

capable de prendre en compte ce qu’il a fait pour se situer. » Aujourd’hui, quelques experts (Kayser, Mauron,

Miah, 2007 ; Kayser, Smith, 2008) militent pour imposer cette vision sanitaire et non moralisante de la réduction

des risques dans la politique de lutte antidopage (non moralisante au sens où il s’agit pour les acteurs de santé de

ne pas juger les pratiques déviantes afin de mieux les encadrer et d’en réduire les risques sur la santé du

consommateur de substances). Ils s’appuient sur des arguments similaires à ceux déployés dans le champ de la

toxicomanie pour encadrer les pratiques de dopage : puisqu’il serait impossible d’éradiquer le dopage, il faut

apprendre à « vivre avec ». A nos yeux, cette conception–- qui consiste à appréhender le sport comme une

addiction dont il serait impossible de se sevrer - semble être d’ores et déjà mise en oeuvre par la médecine du

sport et par un grand nombre de praticiens médicaux.

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pas sur cette jambe pour tirer. J’avais tellement bossé avec le kiné … il ne faisait plus

de sentiments. Au bout d’un moment, il m’a dit : « C’est bon, maintenant il faut savoir

ce que tu veux, tu te bouges » Il me parlait comme cela donc ça t’oblige un peu ! »

(Astrid, 19 ans, handball)

Dans cette perspective, sont sollicitées non seulement les parties du corps « à rééduquer »

mais aussi les autres segments corporels qui peuvent être mobilisés pour « rééquilibrer » le

corps dans son usage sportif. C’est par un travail sur le corps même du sportif, par la

manipulation ou par le renforcement musculaire, éventuellement dans l’intensification de la

souffrance, que peut se gérer et se voir de nouveau transfigurée la douleur sportive. Les

sportifs ou leur entourage accordent une place prépondérante à ces méthodes thérapeutiques

basées sur la manipulation (ou certaines techniques supplétives type électro-stimulation)

allant parfois jusqu’à disqualifier les traitements médicamenteux qui font disparaître les

symptômes douloureux mais ne « soignent pas ».

« Cela ne suffit plus ces médicaments. Après derrière, vous faites comment car la liste

des dopants est grande comme la table ! Vous ne savez pas qui vous donne quoi, ce

que vous pouvez prendre, ne pas prendre, etc. Du coup, l’ostéopathe, c’est magique : il

n’y a pas de médicaments. Pour le sportif, on a bien vu le nombre de fois où il (son

fils) s’est blessé, où on est allé chez le toubib pour faire une radio, où ils ont dit : « Il

faut t’arrêter 3 semaines, anti-inflammatoires matin, midi et soir » C’est pourtant un

toubib que l’on connaît bien, qui est plutôt bien. On ne juge pas car on n’est pas

médecin. Mais nous on dit : « Non, grosse compète ce week-end » et ce n’est pas

possible à entendre. On l’emmène chez l’ostéo qui lui fait son bric à brac et il ressort

guéri. Cela fait une semaine d’anti-inflammatoires en moins. Et puis il y a un contact

avec l’ostéo, une discussion, il y a quelque chose. Ils en ont maintenant dans les

médecines du sport. Il y en a un à l’INSEP, ils en ont un à son club, etc. Ce n’est pas

un magicien non plus mais pour l’instant, pour les bobos de tous les jours, c’est très

bien. Cela répond à un problème sans médicament donc sans contrainte, sans risque de

dopant, de dopage, etc. Il faut vachement se méfier maintenant. » (parents de deux

jeunes sportifs de haut niveau)

C’est aussi le cas de cette jeune skieuse de haut niveau qui s’est vu prescrire des anti-

inflammatoires après sa fracture de deux vertèbres lombaires suite à une descente en

compétition.

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« Moi par rapport aux médicaments, j’ai connu des différences mais énormes. Moi je

n’aimais pas trop. Je ne vais pas trop utiliser les médicaments à part pour les trucs

banals. Quand on arrive au médicament c’est pas très bien. Par contre, il y en a

d’autres qui n’arrêtaient pas d’en prendre pour le moindre truc. Oui dans le circuit du

ski je me souviens de certains, il y a avait toujours quelque chose qui fait qu’ils

avaient besoin de prendre un médicament pour plein de trucs. Je pense que c’est

différents selon les gens. Il y en a qui avait tendance pour un moindre truc de travers,

ils se gavaient de trucs. Du moins quand on arrive à prendre autant de médicaments

c’est qu’il y a quelque chose que ne va pas quoi. Moi j’ai jamais eu envie de dépendre

de ça. Moi je commence les médocs et je vois si cela allait bien. Je dis ça parce que

après ma fracture j’ai eu d’autres soucis tendinites tout ça et je sais que quand on me

disait de prendre des anti-inflammatoires au début je ne voulais même pas.(…) Quand

j’ai été obligé d’en prendre donc j’en ai pris mais très vite j’ai essayé d’arrêter car

j’avais pas envie d’oublier de soigner l’essentiel et de compenser par des anti-

inflammatoires. Ça masque mais ça ne soigne pas. » (Elodie, 24 ans, skieuse)

« J’ai tout le temps mal. Je prends des médicaments anti-inflammatoires mais juste

avant le match car je ne veux pas le faire systématiquement non plus. J’ai plein de

collègues qui le font : tous les jours ils prennent un truc : « J’ai mal au dos je prends

un médicament » déjà je n’aime pas cela les médicaments, même quand je suis

malade. Il faut vraiment que je sois mort de chez mort. » (Pierre, 27 ans, rugbyman

professionnel)

« J’ai entendu dire que dans les centres de formation, à plus haut niveau, cela se

faisait. A mon avis à X, en nationale 2 et au pôle Espoir, je n’ai jamais vu d’anti-

douleurs sauf vraiment quand quelqu’un est blessé et qu’il a besoin d’un antidouleur

mais c’est toujours prescrit pas le médecin qui décide. On ne fait pas d’automédication

» (Lucas, 17 ans, handball)

Les discours sont ambigus et rappellent ceux relatifs à l’utilisation de substances interdites. La

prise de médicaments doit rester occasionnelle – intégrée dans un protocole médical ou

éventuellement être dissimulée - car elle met en évidence une incapacité à surmonter ou à

transcender par soi-même sa souffrance. Les médicaments, fonctionnant comme des produits

masquant. Ils risquent de faire perdre aux sportifs leurs repères familiers :

« En gymnastique, il y a des gymnastes qui me disent que même s’ils souffrent, ils ne

veulent pas prendre d’anti-inflammatoires avant une compète car ils trouvent qu’ils ne

ressentent pas leur corps de la même façon. » (Michel, Kinésithérapeute)

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La douleur doit être supportée pour les sportifs sans médication. La manipulation physique

exercée par les praticiens médicaux ou paramédicaux (kinésithérapeutes, ostéopathes,

sophrologie, médecines non conventionnelles, etc.) s’impose alors comme une évidence et

leur accompagnement est légitimé par les sportifs et leur entourage. Quand les médicaments

effacent les symptômes, c’est « l’influence qui guérit » (Nathan, 2001). En étant de nouveau «

travaillée » (Herzlich, 1969), la douleur peut redevenir « créatrice ». Les kinésithérapeutes, les

ostéopathes, la musculation ou des pratiques sportives visant la récupération ou la réparation

(la natation en particulier) sont investis comme moyen de « fonctionner avec la douleur » tout

comme la consommation de médicaments antalgiques ou de régimes protéinés. Ce choix

témoigne de la valorisation d’une « logique du mouvement » déplaçant et élargissant le

spectre de la transgression de la norme médicale dominante (s’illustrant dans l’arrêt de

l’activité) au fondement de la carrière déviante.

Pourtant, ce rejet des médicaments antalgiques n’est pas si évident. Bien que ces praticiens

médicaux (ostéopathes, kinésithérapeutes etc.) ne soient pas autorisés à en délivrer, certains

n’hésitent pas à « conseiller » la prise de médicaments analgésiques ou antalgiques de niveau

I, dont les AINS. Cela confirme l’étude de Patrick Laure (2005) sur l’offre et la demande de

substances dopantes des adolescents sportifs. Cette étude indique que les kinésithérapeutes «

fournissent » aussi des médicaments anti-inflammatoires ou antalgiques aux adolescents

sportifs.

« Le kiné va aider le sportif à se prendre en charge. Le gars va chercher une solution,

une ordonnance, un papier, une piqûre, un médicament. C'est radical le médecin

normalement : une radio, un examen. Chez nous il vient plutôt pour parler : « J’ai fait

cet examen qu’est-ce que tu penses ? Qu’est-ce qu’il y a ? Le médecin veut faire une

infiltration, tu penses que c'est bien ou pas ? » Il y a le temps qu’on passe avec eux.

Sur ceux que je suis, pour 90 % ils viennent me voir avant d’aller voir le médecin.

C'est sûr. (...) Le médicament s’il est symptomatique, il est symptomatique mais

quelque fois avant la compète c'est bien de le prendre. Par contre quand on est à

distance de la compétition il n’y a aucun intérêt, il faut travailler la cause. J’ai fait

toute ma carrière dans cette idée et cela facilite les choses avec les entraîneurs. (...)

Quand ils se font mal, c'est parfois moi qui donne des antalgiques de classe 1 et qui les

poussent à les prendre, s’ils ne les réclament pas. Un exemple : récemment un garçon

s’est fait une fracture au pouce. Je l’ai eu au téléphone et il me dit : « J’ai la radio et

j’ai une fracture » « Tu as mal ? » « Oui » « Cela s’est passé hier ? » « Oui » « Tu as

pris quelque chose ? » « Non » « Prends du paracétamol cela te soulagera » « Ah oui

d’accord » un garçon de 16 ans… après il m’a dit que cela lui avait fait du bien. La

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gymnastique est un milieu spécial face à la douleur. Sur les patients hors gym que je

vois ici, ils m’en parlent moins, j’ai moins de retours quand même. Par contre je vois

beaucoup de gymnastes ici qui ne sont pas de haut niveau et ils font n’importe quoi

avec les médicaments. Pour les antalgiques classe 1, il n’y a pas besoin d’ordonnance

et puis après ils ont tous des médecins compatissants. C'est facile cela, hyper facile. »

(Michel, Kinésithérapeute)

Parfois, ces praticiens médicaux (ostéopathes, kinésithérapeutes etc.) apparaissent comme le

dernier recours quand toutes les solutions ont été épuisées. C’est ce que dit Pierre, ce

rugbyman professionnel : à la veille d’une finale, alors qu’il n’arrive pas à mettre un terme à

ses douleurs risquant de l’empêcher de jouer et de le priver d’une finale, il consulte

« ostéopathe sur ostéopathe » jusqu’à ce qu’il trouve une solution :

« J’allais voir un ostéopathe du club de X ; quand je revenais voir ma famille, j’allais

chez l’ostéo là-bas. J’y vais quand j’ai vraiment… ce n’est pas ma dernière chance

mais le truc… pour stopper les douleurs. L’osthéo pour le dos c'est bien. Par exemple

pour la finale, j’ai deux côtes cassées et du coup je veux la jouer quand même donc

toute la semaine, je suis allé voir deux ostéos, je me suis fait piquer quatre fois. Des

antidouleur. Je suis allé voir deux, trois fois l’ostéo, un marabout ! Je voulais trop

jouer ce match. J’ai joué le match et je suis sorti en pleurs. Mais c'était une finale, tu

joues cela une fois dans ta vie. (...) Mon entraîneur le savait. C’était les côtes cassées,

ce ne sont pas les cervicales; les cervicales il m’aurait dit non. Je suis sorti avant la mi-

temps, je n’en pouvais plus. Je ne sais pas si tu connais une mêlée : tu as 700 kilos qui

poussent devant toi, sur toi, et 600 kilos derrière. J’avais aussi pris des anti-

inflammatoires, ça n’a rien de dopant, tout est légal mais des doses de cheval pour que

cela joue et voilà ! Tu joues et tu sors à la mi-temps et tu n’en peux plus, tu es dégoûté.

Ce n’est pas grave. Il y avait 30 000 personnes. Je ne regrette pas ! Tu regrettes de la

perdre mais… tu t’en fous tu l’as jouée. Tu savais que le mec qui te remplaçait ne

faisait pas… je pense que j’étais meilleur blessé que lui qui n’était pas blessé. »

Cette seconde étape ne s’accompagne donc pas forcément d’un processus de dé-

médicamentation que l’entrée en scène et la montée en puissance de ces praticiens médicaux

dans les réseaux de soins destinées aux sportifs aurait amorcé. Les médicaments antalgiques

n’ont pas pour autant disparu de la circulation. Comme l’indique cet ancien coureur cycliste

professionnel la consommation des antalgiques est cyclique. Elle a longtemps été intégrée

dans une consommation « anarchique » de médicaments ou de produits apparentés (Seznec,

2008). Pour ce sportif, cette utilisation dépend de l’actualité des produits dopants consommés

et des résultats de la lutte antidopage.

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« Les athlètes utilisaient ce qui était intéressant à l’époque comme le "Pot Belge" avec

des opiacées, des antalgiques. Finalement, je finis par avoir un regret de ne jamais les

avoir essayé pour savoir quels effets cela procurait. Cela semblait être tellement

ahurissant. Je ne suis un peu témoin sur ces aspects-là mais pour ces motifs j’ai rompu

avec le système parce que c'était l’escalade à l’époque où je l’ai vécu, notamment avec

tous les produits hormonaux. Je considère que dans les années 90 il y a eu une rupture

sur l’usage des produits dopants. Avant on était sur des antalgiques, on était sur des

excitants, des anti-inflammatoires etc. mais dès l’instant où des produits hormonaux

sont arrivés comme l’hormone de croissance, l’EPO, pour moi cela a changé la donne.

Suite à ces années 90, à un moment donné la fédération internationale du cyclisme est

venue réglementer la question de l’EPO à travers le taux de l’hématocrite. Jusque dans

les années 98, c'était une vraie découverte et après ils se sont mis à imposer un taux

d’hématocrite à 50 %. Il y a un volume de globules rouges qui était limité à 50 %. Ils

ont été obligés de diminuer les dosages. Au début des années 2000, par des biais

directs, ils sont arrivés à trouver un peu plus l’EPO synthétique exogène utilisé. Il y a

pas mal d’athlètes qui étaient obligés, parce qu’ils n’avaient pas les bons moyens de

contournement médicaux, d’arrêter ces produits-là et ils se sont rendus compte qu’en

fait c'était hyper dur de retourner à l’entraînement en hiver car ils avaient mal. Il y a

une vague d’athlètes dans ces années-là qui se sont mis à redécouvrir la douleur alors

que quand ils faisaient du vélo ils n’avaient plus mal aux jambes. Quand je vois qu’à

l’heure actuelle vous avez des polémiques sur certains produits qui sont des

antalgiques, comme le tramadol. On se rend compte que le niveau de consommation

des coureurs professionnels sur ce type de produit-là est hallucinant. (…) Je ne sais

pas à quel niveau les anti-douleurs sont devenus des substituts. Cela les a épaulés.

Mais on ne peut pas généraliser. Je vous parle strictement du cas du cyclisme où il y a

eu une déviance absolue. Mais je pense que dans d’autres sports d’endurance, de fond,

il y a à peu près le même schéma. Je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que parce que

la lutte antidopage est venue brider sur certaines choses on s’est rabattu… de toute

façon je pense que cela relève plus de la tendance d’optimisation de la performance où

on va chercher tous les moyens. Le refuge dans l’antidouleur en est un et c'est vrai

pour cette période-là, ces athlètes-là. j’ai plein de collègues qui me disaient : « Je ne

peux pas retourner m’entraîner, le vélo cela fait mal aux jambes ». Evidemment la

base du cyclisme est que cela fait mal aux jambes ! sauf qu’ils l’avaient perdues. Il y

en a plein qui ne pouvaient plus s’entraîner l’hiver parce qu’ils avaient perdu

l’habitude d’avoir mal aux jambes. Il y a eu une période un peu de grand n’importe

quoi. » (Franck, 35 ans ancien cycliste professionnel)

Au terme de cette seconde étape, la gestion de la douleur devient pour le sportif une obsession

intime occupant une grande partie de son activité, de son temps et de son énergie. Certains

sportifs, vont chercher des moyens de fonctionner avec la douleur, mettre en oeuvre des

stratégies de contrôle de la douleur, à l’intérieur d’un véritable « marché de la douleur » qu’il

conviendrait d’examiner plus précisément le négoce : aux traitements médicamenteux

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(médicaments de différents paliers), compléments alimentaires (boissons de récupération,

aliment de réparation, etc.) 25 ,

« Oui, on complémente. On donne des vitamines bien sûr mais normalement une

alimentation équilibrée suffit à apporter les vitamines nécessaires. On peut

complémenter parfois en acides aminés parce que dans le muscle, il y a de la casse

dans les entraînements, on peut mieux réparer le muscle par les apports d’acides

aminés. On en donne très peu. Il y a très peu de complémentaires alimentaires. Parfois,

j’en donne, cela fait du bien à la tête. S’il me dit je suis fatigué, prends des vitamines

! » (Henri, Médecin d’équipe, football professionnel)

à la cortisone, aux injections de plasma enrichi en plaquettes (PRP) 26

« Là, ils sont en train de sortir de nouvelles infiltrations par des techniques très

particulières. Cela se fait très peu en France mais c’est pareil : "Machin m’a dit que

cela marchait super bien …" Mais si on ne le fait pas, c’est parce que justement, pour

l’instant, on n’a pas montré que cela servait à quelque chose. L’infiltration, on vous

fait une prise de sang, on vous prend des plaquettes, on les fait tourner en

centrifugeuse et on vous les réinjecte à l’endroit où vous avez mal. C’est censé faire

des guérisons. Pour l’instant, il y a beaucoup d’études là-dessus et on n’arrive pas à

montrer que cela sert à quelque chose. Ils se font faire cela partout du coup cela se sait

de bouche à oreille et les gens sont demandeurs. C’est très rare que cela soit le

médecin qui propose cela ; c’est le patient qui va en parler. Le médecin ne le propose

pas car pour l’instant, ce n’est pas indiqué mais le patient est au courant et il va

25

Voici un exemple parmi bien d’autres d’un complément alimentaire vendu sur Internet sous une forme

galénique destiné à être consommé avant pendant et après l’effort sportif pou éviter les douleurs musculaires :

« **Evitez les contractures musculaires ! Favorise l'élimination de l'acide lactique. Contribue à une bonne

fonction musculaire. Réduit la fatigue ** est un complément alimentaire à base d’extraits de Plantes, Vitamine

B6 et Minéraux, spécialement élaboré pour permettre aux sportifs d'éviter les crampes, grâce aux actifs reconnus

pour leurs effets complémentaires : le Ginseng améliore l’endurance physique en favorisant l’élimination de

l’acide lactique. L’extrait de Quinquina contribue à la transmission de l’influx nerveux et à la contraction

musculaire. Le Magnésium participe à une fonction musculaire normale. La Vitamine B6, le Magnésium et le

Ginseng contribuent à réduire la fatigue. ** contient également de l’Arnica (extrait aromatique). ». Un autre

exemple d’aliment de réparation : « ** est un produit destiné à être absorbé le soir au coucher afin de participer

à la réparation des micro-lésions musculaires causées au cours de l'effort endurant. Cet aliment riche en glucides

et en protéines (sources d'acides aminés ramifiés), assure le bon déroulement des processus réparateurs. Il

contient également des vitamines, des minéraux et notamment du magnésium afin d'apporter à l'organisme tous

les éléments nutritifs dont il a besoin pour pallier les pertes survenues au cours de l'effort. Il convient aussi bien

en récupération qu'en cure préventive, lors d'un travail spécifique ou encore au cours d'une période de

convalescence (blessure).

26 Sur les effets antalgiques de l’injection de PRP comme alternative aux injections de corticoïdes et sur

l’injection de cellules souches cf l’article de Gina Kolata « As Sports Medicine Surges, Hope and Hype Outpace

Proven Treatments » The New York Times, 22 septembre 2011 ; Patrick Le Goux « De nouveaux traitements

contre les tendinites », Le Figaro, 22 février 2013.

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demander. (…) Chez les jeunes, ce n’est pas le cas mais quand on arrive à 17, 18 ans

oui. Avant, les piqûres, ils n’aiment pas cela donc ils évitent s’ils peuvent. Pour avoir

cela, il faut déjà avoir des blessures ; à 12, 13, 14 ans, on ne se blesse pas tant que

cela. On peut arriver à pas mal se blesser à 17, 18 ans. » (Olivier, Médecin du sport)

s’ajoutent les alternatives thérapeutiques plus ou moins sophistiquées (ostéopathie,

acuponcture, mésothérapie, hypnose) ou les outils et techniques proposées par différentes

entreprises privées (électrostimulation 27 , ultrasons, implants, produits de rééducation),

cryothérapie (cabine de « froid ») etc.) donnant un aperçu de cette palette de solutions

proposées aux sportifs pour traiter ou soulager la douleur. Inévitablement, ce marché de la

douleur ravive la concurrence entre les « groupes professionnels » :

« Quand on est au pôle, on ne parle pas trop argent car la structure soins est financée.

En club, il n’y a pas de financement. Si un mec appelle pour dire : « Si vous voulez je

viens soigner vos mecs gratuitement » le club dit oui. C’est comme cela que beaucoup

d’ostéopathes rentrent dans les clubs. J’avais dit que je n’en parlerai pas mais les

ostéopathes de formation purement ostéopathes, ce sont des gens qui font une

formation et qui n’ont pas de travail à la sortie. Ils ont des difficultés à avoir du travail

donc ils amorcent C'est un truc qui m’horripile ! Ils peuvent donc rentrer dans des

clubs qui disent : « Je mets un ostéopathe à la disposition de mes sportifs » c'est

formidable ! Le mec va leur trouver plein de problèmes : « Tu as cela, cela, il faut que

tu reviennes » Ils ne sont pas tous si mal intentionnés mais c'est quand même quelque

chose que j’ai remarqué. » (Michel, Kinésithérapeute)

27

Voici l’argument de vente d’une société : « L'électrostimulation a visée antalgique agit selon deux types de

mécanismes : soit par blocage de la transmission de la douleur (programmes de type TENS) ; soit par libération

d'une substance naturelle possédant des propriétés anti-douleur (programmes de type endorphinique). En

fonction de leur cause, certaines douleurs sont mieux soulagées par un programme de type TENS, alors que

d'autres bénéficieront mieux d'un programme de type endorphinique. Certaines situations particulières peuvent

présenter des douleurs qui nécessitent l'utilisation simultanée des 2 types de courant, ce que seul, votre

kinésithérapeute peut faire au moyen de son *** professionnel. »

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Chapitre 4

Surinvestir le « mental » pour transfigurer les maux du sport

La troisième étape est le point d’aboutissement d’un long processus d’apprentissage et

d’appropriation de la douleur. Elle se traduit généralement par une forme d’acceptation de la

douleur. Le sportif n’a en effet pas d’autres choix que d’accepter ce contre quoi il a du lutter,

durant de longues années. Il fini par être convaincu par ce que l’on a pu lui dire ou répéter

depuis son plus jeune âge : c’est le « mental », la motivation à toute épreuve qui, in fine,

permet de dépasser les douleurs.

« Ce que je constate avec le recul, c'est qu’il y a toujours un truc qui m’avait frappé

quand j’étais gamin : les anciens, les entraîneurs ou les personnes qui avaient plus de

bouteille que moi – et là je parle d’un âge de 10, 14 ans – disaient clairement : « Si tu

as mal c'est dans la tête » Quand on me disait cela, je disais grosso modo : « Tais-toi

pauvre con parce que j’ai quand même bien mal aux gens et c'est ce qui m’empêche

d’avancer. » Ce qui est assez marrant c'est qu’aujourd'hui j’ai 38 ans, j’ai arrêté il y a 3

ans donc j’ai arrêté à 35 ans. Entre 30 et 35 ans, quelque part cet adage, il prend peut-

être plus de sens par rapport au flux que l’on peut avoir de la douleur. Peut-être à tort

je finis par penser qu’il y a une part de la douleur qui se gère dans la tête, beaucoup

plus que ce qu’on pourrait le penser quand on est gamin. Je ne sais pas à quoi c'est dû

mais il y a juste de petites expériences qui m’ont toujours un peu surpris. (…) Je pense

que la force mentale peut arriver à faire faire des choses que celui qui ne l’a pas vécu

ne peut pas comprendre. On peut effacer la douleur, on peut arriver à se sublimer.

Quand j’entendais cela il y a quelques années, je n’y croyais pas. Il y a des situations

où à l’entraînement, le fait d’avoir un objectif et de se préparer pour cet objectif, on

arrive à dépasser des souffrances qu’on n’aurait pas pu envisager 10 ans plus tôt. »

(Franck, 35 ans, ancien cycliste professionnel)

« C’est tout dans la tête, c’est que du mental, se dire que l’on a pas mal, se dire que la

ligne d’arrivée est proche et qu’il y a un record à la clé ou une bonne place, et c’est

tout dans la tête, il n’y a rien physiquement que l’on puisse faire pour stopper la

douleur, c’est dans la tête. » (Yasmina, 22 ans, athlétisme)

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Contrairement aux étapes précédentes, le sportif cherche moins à agir sur son corps que sur

son « mental » pour transfigurer des douleurs que le corps ne parvient plus à contenir. C’est

par un travail spécifique sur la structure et son organisation psychique que le sportif entend

sublimer ses douleurs et contrôler le destin de sa souffrance. Ce changement de relation à la

douleur survient quand l’espoir fondé dans la médecine du corps hyperspécialisée dans le «

faire avec » valorisant le mouvement (kinésithérapeutes, ostéopathes, médecins-préparateurs

physiques) ne suffit plus à « vivre avec » la douleur. Les outils palliatifs à la douleur sont

toujours recherchés dans les mondes de la médecine mais cette fois-ci les sportifs ont non

seulement recours à des spécialistes du corps mais aussi à des spécialistes du soin psychique.

Psychologues sportifs, préparateurs mentaux, kinésiologues, les médecines non

conventionnelles (hypnoses, sophrologie, etc.) sont mobilisés pour transfigurer la douleur

physique et tenter de l’effacer par la « force du mental ». Le psychisme est alors un espace à

mettre en mouvement selon les mêmes modalités que le corps : c’est le « mental » qu’il

convient de re-mobiliser, de retravailler, de reformater pour surmonter douleurs et

souffrances. Cette étape conduit à ne plus envisager de composer avec la douleur en mettant

le corps en mouvement mais plutôt à intensifier cette mise en mouvement en l’appliquant au

psychisme pour agir non pas sur la douleur elle-même mais sur « ses chaînes de conception »

(Strauss, 1992) 28

.

Dans cette perspective, le sportif doit chercher à appréhender la douleur de manière plus

globale. Que ce travail sur la douleur s'engage par le biais d’approches dites « holistiques »

(médecine chinoise, kinesthésie, énergies, sophrologie, etc.) ou qu’il le fasse par le biais du

psychisme dans un investissement du mental (préparateur mentaux, coaches et psychologues

sportifs), le sportif est à la recherche d’une maîtrise de la douleur par l’activation de l’organe

(le cerveau, les méridiens) qui serait le maître des émotions, le lieu du contrôle du soi, de la

mémoire et de la concentration, celui dans lequel s’élabore et se contrôle la modification des

états de conscience.

28

Comme ce médecin sportif, adepte de l’hypnose, qui estime que : « Plus que la douleur, c’est la souffrance,

c’est à dire l’interprétation et la représentation que se fait le sportif de sa douleur, qui peut être gérée ». « Tour de

France 2013 : comment gérer la douleur physique et mentale par J-J. Menuet », in L’Obs. Le plus, Mars 2013.

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1. Le rêve sportif a un avenir neuronal

Le « mental » se voit doté d’une puissance phénoménale. Son investissement redonne au

sportif une capacité d’agir et lui permet de redécouvrir de nouvelles potentialités. Face aux

épreuves (peur de l’échec, blessures, douleurs, stress, angoisses, etc.) le sportif espère accéder

à cet état appelé le « flow » ou à « la Zone » 29 proche d’un état second ou de transe. S’il ne

parvient pas à y accéder seul, des coachs et des préparateurs mentaux ou entreprises privés de

mental training se proposent d’offrir aux parents, aux entraîneurs ou aux sportifs des services,

des conseils à distance 30 ; des outils et des programmes standardisés visant à surmonter les

difficultés et à se transcender, à ne plus « sentir » la douleur, par l’extase31. Aujourd’hui,

l’offre pour atteindre la « zone » et travailler l’espace du mental tend à se développer et à se

démocratiser 32. C’est notamment cet investissement du mental qui fait la différence entre les

sportifs dressant une frontière entre ceux ou celles qui « subissent » la douleur et ceux ou

celles qui agissent sous contrôle. Les sportifs trouvent dans cet espace du mental un « principe

d’individuation » (Ehrenberg, 2006), un support pour la constitution d’une « personnalité »

celle du champion. Le mental est ce qui le distingue des autres : « ils arrivent tous au même

état physique ce qui ne veut pas dire qu’ils vont être performants de la même façon : c’est le

mental qui va faire la différence c’est sur. A mon niveau je le voyais déjà, c’est dans la

tronche que cela se passait » (Elodie) Mais le travail sur le mental ne vise pas seulement

l’amélioration des performances, il engage à une redécouverte des capacités permettant

d’atteindre cet objectif.

29

La notion de « la zone » est assez comparable à une autre notion aussi controversée dans le champ de la

toxicomanie : celle de « flash » cette sensation fulgurante et intense provoquée par l’absorption ou l’injection

d’héroïne. L’analogie avait été faite par le Dr Claude Olivienstein dans « Toxicomanie et dopage », Bulletin de

liaison du CNDT, 1992, 271-280.

30 P. Jolly, « Champions sous influence » Le Monde, 8 décembre 2004.

31 Ce que dit Thomas Sammut, préparateur mental du cercle des nageurs de Marseille : « Ce n’est pas une extase

mais c’est une sorte de transe. On ne ressent plus la douleur par exemple. » in Renée Greusard, « La zone, le

mystérieux état second dont rêvent les sportifs », L’Obs, mars 2012.

32 Si ces programmes s’adressent aux sportifs, ils s’adressent aussi aux chefs d’entreprises, aux parents :

« Parents can now benefit from the same mental skills taught to athletes. »

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Ces méthodes de training mental « naturelles, sures et efficaces » font explicitement

concurrence aux pratiques de dopage. Ses promoteurs les présentent d’ailleurs comme autant

d’alternatives au dopage (« enhancement performance without drugs ») 33 et se positionnent –

comme les kinésithérapeutes et les usages de médicaments antalgiques – à l’intersection de la

performance et du thérapeutique. En redonnant le sentiment de maîtrise voire de « toute

puissance » (maîtriser et gérer totalement ses émotions, exercer un contrôle total de son corps,

prendre les bonnes décisions au bon moment etc.), ces méthodes offrent à l’athlète le

sentiment que le cerveau, la « zone » cérébrale est l’unité hégémonique de l’action 34. Cet «

entraînement du mental » et les conseils de mental training dispensés par des coaches ou

professionnels du psychisme, en face-à-face ou à distance sur les pages de sites Internet et

d’ouvrages de développement personnel figurent alors en bonne place des méthodes utilisées

pour redynamiser le corps du sportif, exercer un contrôle sur ses émotions, modifier ses états

de conscience ou pour s’émanciper des contraintes biologiques ou naturelles jusqu’à avoir le

sentiment de se « désincorporer ». Se consolide ainsi l’idée que « tout est dans la tête » et que

l’imagerie cérébrale utilisée à des fins de performance peut venir matérialiser.

« En fin de carrière quand vous avez des objectifs qui sont clairs dans votre tête, vous

avez une motivation à toute épreuve, vous êtes capable de départir totalement votre

physique de votre mental. Votre mental prend le pas sur votre physique. Quand je dis

votre physique ce sont tous les stimuli que votre corps est capable de renvoyer à votre

esprit. Quand je le dis comme cela vous avez totalement la possibilité de me prendre

pour un fou. Par exemple il y a certains exercices de préparation mentale, sur imagerie

mentale, pour des sportifs qui ont des parcours hyper millimétrés : les skieurs alpin,

pilote de formule 1 etc. Ils font de l’imagerie avec des électromyogrammes 35

. Ils

simulent une descente et l’IMG réagit alors qu’ils sont en statique. L’influx nerveux

qui est envoyé aux plaques motrices n’est pas sur le même niveau d’intensité. Par

contre sur ses variations, il a la même variation que quand ils sont en activité réelle. Ils

sont capables, sans générer la fin de la commande motrice, d’envoyer l’influx en étant

33

The mind is more powerful than most give it credit for, and is certainly more powerful than doping; especially

considering that at the end of the day, remaining in control of our thoughts and emotions while performing is the

ultimate indicator of our success. http://mentaltraininginc.com/blog/

34 C’est d’ailleurs le cerveau via ses neurotransmetteurs qui a le pouvoir de secréter ses propres substances, des

« opiacés endogènes » (dopamine, endorphine, sérotonine, système endocannabinoïde) susceptibles de d’établir

un « système de modulation » de la douleur tout en produisant du plaisir, un sensation de bien-être. Cette idée est

aussi bien affirmée dans la littérature médicale (Potvin, Grignon, 2007) que dans les posts de blogs ou dans les

forums de sportifs ou de coachs. L’addiction à l’exercice sportif a donc sa source dans l’activité

neurobiologique. On retrouve ici renouvelé le débat qui a agité il y a quelques années le milieu de la lutte

antidopage autour de l’EPO endogène/exogène.

35 Technique médicale qui permet d’enregistrer l’activité électrique qui accompagne les mouvements

musculaires.

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en imagerie. Il y a des situations aussi où on se désincorpore, on sort de son

enveloppe. Je ne vous demande pas de me croire. En fait, on a le sentiment de sortir de

son enveloppe et on se voit faire. Il y a ce processus de désincorporation. Finalement

d’un côté vous avez des informations, de l’autre vous avez votre pensée. Ce n’est pas

beaucoup de temps dans une carrière : bout à bout sur une carrière de 20 ans c'est peut-

être une heure mais vous avez le sentiment qu’en fait vous avez pris la maîtrise de

votre corps à un point où on vous dit : « Tu vois le mur en béton ? Tu pars en courant

tu le traverses » dans ces états-là je pense que 99 % des gens vont dans le mur,

s’éclatent car c'est évidemment le mur qui gagne sauf que vous avez un doute énorme

sur le fait que vous soyez plus résistant que le mur. » (Franck, 35 ans, ancien cycliste

professionnel)

2. Un processus de dé-fragmentation du corps

L’investissement du mental constitue la dernière étape dans l’apprentissage de la gestion de la

douleur chez les sportifs. D’ores et déjà pris en charge par une pluralité de segments de la

médecine qui se partagent son corps, le sportif peut se trouver en proie à une perte d’identité

pouvant s’exprimer au travers d’une « pathologie de l’effacement ». Fragmenté au sein d’un

réseau d’acteurs qui le dépasse, il part à la recherche de professionnels d’un type nouveau qui

le poussent à amorcer un processus de défragmentation visant à ré-organiser son existence, à

redonner un sens à sa douleur et à « se comporter comme des individus » (Ehrenberg, 1992).

La gestion de la douleur trouve alors une définition nouvelle. La mise en travail séparée des

différents parties du corps n’a pas fourni les résultats escomptés, il convient dès lors de «

lever » la douleur – comme on lève un sort par la sorcellerie ou un traumatisme par la

neuropharmacologie - par l’investissement du mental ou le recours à des médecines dites «

holistiques » ou non conventionnelles. C’est par ce biais que certains sportifs retrouvent

chemin faisant une prise sur leurs maux comme sur leur existence :

« En ce qui concerne ma pubalgie, j’ai épuisé un peu tous les tests possibles, les

scanners, toute la batterie des examens et puis un peu en bout de course j’ai été mis en

relation avec un gars pas loin d’ici qui est kiné mais kiné c'est sa devanture. Il est

kinéserticien [kinésiologue] ou un truc comme cela, il y a le terme énergétique dedans.

Ce mec ce n’est pas du tout ma came, j’y suis allé, il a passé les mains sur le corps

comme cela. On commence à discuter, il me pose des questions sur mon passé (…)

cela m’interpelle sur la place que j’ai laissé à la douleur pendant toute une carrière,

tout un pan de ma carrière. » (Franck, 35 ans ancien cycliste professionnel)

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65

Beaucoup d’athlètes quittent la carrière sportive de haut niveau après le franchissement de

cette ultime étape. En investissant le mental, le risque est en effet grand de relier de nouveau

le corps et les émotions. Ce faisant, les sportifs peuvent redécouvrir leurs douleurs en tant que

porteuses d’une signification primaire. Alors que la douleur avait été « intégrée dans le

fonctionnement » et qu’elle n’était qu’un « paramètre » dont il fallait tenter de diminuer les

effets néfastes, la douleur peut à nouveau se voir « revêtue d’une souffrance » (Le Breton,

2003).

Si le sens de la douleur a été dévié de sa trajectoire par le primat accordé à une logique du

mouvement, l’investissement du mental selon ces mêmes modalités nécessite de la part du

sportif de trouver les clefs à l’intérieur de lui-même pour affronter les tensions. Face à la

redécouverte de la douleur et de la pluralité de ses sens potentiels, les sportifs sont conduits à

re-questionner la place de la douleur dans leur vie quotidienne. Certains vivent alors une

forme de prise de conscience des choix qu’ils ont effectués, depuis plusieurs années, au nom

du sport.

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66

Conclusion

En faisant entrer certains médicaments antalgiques de palier II et III sur ses listes, l’AMA

semble vouloir élargir son champ de vision et questionner les frontières entre pratiques de

soin et pratiques de dopage. Les consommations de médicaments « antidouleur »

n’apparaissent dans ce cadre ni périphériques par rapport aux pratiques de dopage dans les

mondes du sport, ni marginales par rapport aux usages d’opiacés dans les mondes de la

drogue. Ils peuvent être considérés comme des « sous -produits » (byproduct) (Veliz, 2014)

utilisés en sous-main par les jeunes sportifs contraints de « faire avec » la douleur dans un

monde où on leur apprend à se l’approprier, à la taire contrairement au reste de la société où la

médicalisation de la douleur s’est progressivement enracinée et vécue comme positive,

contrairement à d’autres formes de médicalisation (Conrad, Munoz, 2010). Elles interrogent

en outre le rôle de la médecine dans le traitement de la douleur chez les sportifs tant du point

de vue des solutions qu’elle tente d’apporter que celui des circuits officiels et officieux et des

réseaux de proximité qu’elle mobilise ainsi que des idéologies sur lesquelles elle s’appuie. La

« réduction des risques », mise en œuvre par les médecins du sport et les autres praticiens

médicaux (kinésithérapeutes etc.) pour soulager les douleurs des sportifs rejoint le principe de

réalité du sport intensif en tant que pratique « addictive ». Dans cette perspective, les

médicaments ne sont pas les seuls moyens utilisés pour soulager les douleurs par les sportifs

et leur entourage. Ils s’inscrivent dans un ensemble beaucoup plus vaste de produits

consommés (protéines, homéopathies, boissons énergisantes, compléments alimentaires, etc.),

de méthodes et de techniques thérapeutiques mobilisant une pluralité de professionnels

spécialisés dans la manipulation du corps (kinés, ostéopathes, etc.) puis dans la manipulation

du psychisme (sophrologue, hypnose, kinésiologue, psychologues, préparateurs mentaux,

etc.).

Cette analyse permet de mettre en évidence comment la reconceptualisation de l’expérience

de la douleur prend la forme d’une carrière déviante en trois étapes. Chacune se réalise dans

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67

une opposition aux normes communes de santé (éthique de la modération, arrêt, équilibre

personnel de vie, bien-être). A chaque fois, la douleur comme valeur morale appelle les

sportifs à trouver les moyens leur permettant de « fonctionner avec ». C’est le « mental » du

champion qui est, dès l’entrée dans la carrière investi d’une qualité et se voit doter d’une «

valeur sociale » (Ehrenberg, 2006). De la même manière que le corps, le psychisme – lui aussi

localisé dans une partie du corps, le cerveau - est alors mis en mouvement en vue d’un

dépassement des contraintes biologiques, des inégalités pensées comme naturelles et dont les

jeunes sportifs font bien souvent l’épreuve notamment à l’âge de l’adolescence. Le corps et le

psychisme sont tour à tour investis par une série de professionnels (kinésithérapeutes,

ostéopathes, spécialistes de la traumatologie sportive ; préparateurs mentaux, coaches,

psychologues, etc.) dans le but d’augmenter les capacités d’action du sportif sur lui-même, à

s’autodéterminer. Mais le mental est aussi un « territoire psychotropique » (Fernandes, 2002)

qui peut engager une psycho- ou une neuropharmacologie 36.. Un territoire sur lequel peut

s’exercer une « souveraineté ». Cette mise en perspective ouvre alors un espace de

questionnements autour d’un processus conjoint de re-médicamentation des sportifs et d’un

déplacement des méthodes de gestion de la douleur vers des formes de « dopage mental »

(Goffette, 2012). L’émergence des techniques et des méthodes du mental training (fondées sur

un ensemble de théories neurobiologiques ou neurolinguistiques et cognitivo-

comportementales) se posent comme une alternative au dopage et joue actuellement un rôle

tout aussi ambigu que celui des médicaments antalgiques (paliers II et III), notamment dans le

fait qu’ils se situent sur la même frontière entre le naturel et de l’artificiel (opiacés «

endogènes » versus opiacés « exogènes ») ou encore le thérapeutique et la performance. En

observant la manière dont les sportifs négocient leurs douleurs, on s’aperçoit que les rapports

entre les mondes de la médecine et ceux du sport sont étroits – quasi endogames - et laissent

entrevoir toutes les combinaisons possibles. En inscrivant ces médicaments « antidouleur »

sous surveillance, l’AMA pose la question de la régulation collective du « négoce » de la

douleur : qui régule quoi ? et comment ? qui marque et protège les frontières entre ces mondes

car à la porosité des frontières entre mondes du sport et mondes de la médecine, il

conviendrait d’ajouter celles des mondes de la drogue qui fournissent, in fine, un modèle

d’interprétation du mode de vie du sportif de haut niveau chez ceux-là mêmes qui, après avoir

quitté leur carrière, font rétrospectivement le récit d’une addiction.

36

Comme par exemple les antidépresseurs, la méthadone ou encore la délivrance de Clonazépam (Rivotril®)

utilisé pour l’épilepsie mais agissant aussi comme anti-convulsivant sur les douleurs physiques.

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Partie II

Le sport intensif à l’adolescence : perceptions et évolution de la

prise en charge de la douleur.

Etude quantitative

***

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69

Introduction

Dans leur rapport remis au président du Sénat, les rapporteurs de la commission d’enquête sur

l’efficacité de la lutte antidopage laissaient entendre qu’un certain nombre d’experts

auditionnés en séance les avaient alerté sur « l’étendue du dopage chez les générations les

plus jeunes » (Sénat, 2013). Ils renvoyaient ainsi aux chiffres établis par Patrick Laure (1997,

2000) un des premiers à avoir identifié la consommation de produits dopants chez les enfants

et adolescents sportifs. A partir d’une étude de littérature internationale sur la question, il

constatait qu’en moyenne 3 à 5 % des enfants et des adolescents sportifs (8-18 ans)

déclaraient consommer des produits dopants interdits, essentiellement des stéroïdes

anabolisants, des stimulants et des compléments alimentaires, dans le but d’améliorer leur

performance. Toutes ces études, majoritairement épidémiologiques et nord-américaines,

insistaient sur la consommation précoce de ces produits bien souvent associées à d’autres

types de consommations de drogues (tabac, alcool, cannabis) ou à d’autres produits autorisés

tels que les antalgiques ou les glucocorticoïdes. Plus d’une quinzaine d’années plus tard,

malgré le développement des travaux épidémiologiques sur les stéroïdes anabolisants, les

stimulants, l’hormone de croissance, le cannabis et les compléments alimentaires consommés

parmi les adolescents sportifs, une nouvelle revue de la littérature établit, mêmes chiffres à

l’appui, un constat similaire : les connaissances sur le dopage des adolescents, en particulier

ceux qui sont engagés dans des filières d’accès au haut niveau, restent toujours lacunaires

(Salla et al, 2014).

On peut s’interroger sur cette difficulté à étudier de près ce phénomène que beaucoup juge

sous-estimé et regretter qu’en France peu d’études épidémiologiques soient à ce point sous

développées dans les mondes du sport alors même que l’adolescence constitue « une période

de risque pour le dopage et les addictions » (Rieu, Queneau, 2010 ; Schirlin et al. 2008). Par

ailleurs, ce qui attire l’attention c’est le tropisme par lequel ces enquêtes saisissent le

« dopage » des enfants et des adolescents. En effet, toutes ces études tentent de mesurer la

consommation de substances dopantes « interdites » (anabolisants, stimulants, hormones de

croissance, cannabis etc.) parmi les adolescents qu’ils soient sportifs ou non sportifs, pour

ensuite les mettre en relation avec d’autres consommations de substances (drogues légales ou

illégales) et/ou avec des troubles du comportement (anxiété, violence, etc.) (Arvers, Choquet,

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2003, Beck et al. 2002). Ces études laissent ainsi dans l’ombre d’autres consommations

notamment celles de médicaments légaux ou celles qui sont exceptionnellement autorisées

pour raisons thérapeutiques (A.U.T.) et qui peuvent s’apparenter à un « dopage légal »

(Overbye, Wagner, 2013). Parmi ces médicaments légaux et non interdits par l’Agence

Mondiale Antidopage, figurent les médicaments anti-inflammatoires et antidouleur dont la

consommation au sein de la population sportive et notamment adolescente semble

préoccupante sur le plan de la santé publique.

Comme nous l’avons vu (cf Partie I), depuis quelques années, dans un contexte de fort

accroissement d’overdoses médicamenteuses liées à la consommation d’analgésiques ou de

substituts aux opiacés dans la population générale (Dowling et al. 2005, Bonar et al. 2014,

Franck et al., 2015) le National Institut on Drug Abuse (2013) a pu identifier les usages et

mésusages de ces painkillers parmi les adolescents sportifs et impulser quelques recherches

sur le sujet (Veliz, 2014). Parce que leur risque d’être blessé est bien supérieur aux non-

pratiquants, ceux-ci ont plus de chances d’utiliser ces médicaments opiacés (hors prescription

et de manière abusive) que les adolescents qui ne font pas de sport. Certains sports, tels que le

football américain ou le hockey sur glace (Warner et al. 2002, Cottler et al. 2011, King et al.

2014) semblent particulièrement affectés du fait des violences corporelles que s’infligent les

joueurs. En Europe, quelques recherches commencent à observer la consommation d’opiacés

médicalement prescrits (antalgiques ou analgésiques) dans le hockey sur glace (Selanne et al.

2014). Le cyclisme et le football (Tscholl et al. 2009) sont eux aussi concernés par les

antidouleur. Ces médicaments peuvent être mobilisés à des fins thérapeutiques pour soulager

des douleurs, atténuer ou déplacer le seuil de tolérance à la douleur et, éventuellement, la

« contrôler ». Les médicaments antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)

sont pour la plupart en vente libre sans prescription médicale – type paracétamol, aspirine,

ibuprofène, etc. de niveau I (antalgiques non opiacés). Ces derniers, néanmoins, ne sont pas

sans effets délétères sur la santé notamment quand ils sont consommés régulièrement par les

sportifs (Laure 2011 ; Grémion, Saugy, 2013). Les autres médicaments de niveau II

antalgiques codéinés ou Tramadol, et de niveau III, comme les antalgiques opioïdes

(morphine, oxycodone, buprénorphine) sont contrôlés médicalement et font l’objet d’une

administration et d’une diffusion réglementée à cause des problèmes de santé et des

addictions qu’ils risquent d’engendrer. Ils sont généralement prescrits dans le cas de douleurs

aiguës ou cancéreuses ou dans le cadre de traitement des addictions aux opiacés.

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Que sait-on aujourd’hui des consommations d’anti-inflammatoires et d’antidouleur chez les

adolescents sportifs ? Existe-t-il un rapport entre ces consommations d’anti-inflammatoires et

d’anti-douleur et les pratiques de dopage ? En 2011, au cours d’un table ronde consacrée à la

question du « dopage chez l’enfant » le professeur Philippe-Jean Parquet évoquait

ouvertement la question. Constatant des prescriptions médicamenteuses « de plus en plus

fréquentes, diversifiées et précoces », il se demande si la prise de médicaments – il cite, entre

autre, les antidouleur ne pourrait pas être considérée comme la « préforme d’une conduite

dopante ou d’une conduite addictive ? » Notre enquête quantitative prolonge ce

questionnement et propose de documenter ces consommations d’anti-inflammatoires et

d’antidouleur au sein d’une population de jeunes engagés dans une pratique intensive de sport

ou situés aux portes du haut niveau et de déterminer le rôle et l’influence de l’entourage

(parents, entraîneur, médecins) dans la consommation de ces médicaments.

Se focaliser sur cette expérience vécue de la douleur à l’adolescence soulève des questions sur

les pratiques de soins et sur les modalités de sa prise en charge par une multitude d’acteurs

(parents, entraîneur, médecins, praticiens médicaux etc.) que nous avons essayé de saisir dans

le cadre de cette enquête quantitative. Nous allons voir que les pratiques de soins sont bien

souvent redistribuées dans plusieurs mondes sociaux (famille, médecine sportive, sport) en

fonction de l’évolution de la carrière et de l’âge des sportifs. L’adolescence est souvent

considérée comme une période de « vulnérabilité » où se produisent de profonds

changements : sociaux (le passage du statut de collégien à lycéen notamment), somatiques et

psychologiques. L’épidémiologiste Marie Choquet souligne, fort à propos, que si « les jeunes

peuvent se caractériser sur le plan social par la situation de leur famille d’origine, pour les

lycéens la filière d’enseignement suivi permet un début de caractérisation propre » (Choquet,

Lagaric, 2000). L’entrée dans les filières d’élite sportive (CREPS, pôle Espoir, pôle France,

INSEP) apparaît ainsi comme un élément décisif à prendre en compte dans la compréhension

des comportements de santé des adolescents tant elle influence leur hygiène de vie, leur prise

en charge médicale, les soins prodigués au corps tout comme les pratiques addictives. Plus les

jeunes intègrent le haut niveau, plus ils pratiquent de manière intensive leur sport, et plus leurs

pratiques de soins qui les entourent semblent se « médicaliser » (Brissonneau et al. 2008).

Nous avons fait l’hypothèse forte que les pratiques de soins peuvent glisser vers des pratiques

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pharmacologiques et/ou dopantes. Si l’on considère que soigner est un « processus » qui ne

possède pas, « contrairement aux produits, de frontières claires » (Mol, 2009), les pratiques de

dopage pourraient être une de ces pratiques de soins. En examinant, au travers de ce

questionnaire, le parcours et la construction de l’hygiène de vie des jeunes sportifs, leur

rapport à la pratique du sport, aux douleurs, à la médecine ; en étudiant leur mode de vie, nous

faisons l’hypothèse que l’on pourrait renouveler l’approche du dopage chez l’enfant et

l’adolescent et redéfinir les programmes de prévention autrement qu’en se référant aux

normes de performance.

Le questionnaire

L’enquête porte sur la genèse et le développement des consommations des médicaments anti-

inflammatoires et antidouleur au sein d’une population composée exclusivement de jeunes

sportifs âgés de 11 à 18 ans et dont l’activité sportive les amène à venir consulter, suite à un

traumatisme, des médecins du sport ou à venir au moins une fois par an effectuer un bilan

sanitaire complet dans un service de médecine du sport. Alors qu’une très grande majorité des

études sur les consommations de substances psychoactives sont réalisées en milieu scolaire,

cette enquête a été réalisée au sein de deux services hospitaliers de médecine du sport : celui

du CHU Edouard Herriot de Lyon et celui du CHU Bellevue de Saint-Étienne auxquels sont

rattachés deux Antennes Médicales de Prévention du Dopage (AMPD)37. L’étude n’a pas une

visée comparative mais prétend à l’exhaustivité. Il n’y a donc pas eu de procédure

d’échantillonnage. Le fait d’interroger deux sites comparables dans leurs missions et leurs

statuts mais historiquement et géographiquement différents a permis d’assurer une

représentativité quant aux résultats. La part de la population étudiée de la file active des deux

services de médecine du sport est relativement faible. Nous nous sommes rendus compte au

fil de nos investigations qu’une grande partie des jeunes sportifs consultaient les médecins et

praticiens médicaux (kinésithérapeutes, médecins du sport, orthopédistes etc.) des cliniques

37

Concernant le site de Nantes, en raison d'une impossibilité d'accéder au service de médecine du sport du CHU

de Nantes (dir. Dr Paruit). Bertrand Guérinaud, chercheur associé au projet et psychologue clinicien, responsable

de l’AMPD de Nantes rattaché au service d’addictologie du CHU de Nantes (dir. Pr Prétagut) ne pouvait pas

prétendre administrer le questionnaire dans le cadre de ses consultations, même avec l’aide d’un stagiaire. Qui

plus est, la file active des consultations liées à l’AMPD s’avérait bien trop faible. Nous avons décidé, après en

avoir informé l’AMA (L. Cléret ) et obtenu son accord de recentrer notre étude statistique sur le CHU de Lyon.

De fait seuls 2 questionnaires ont été administrés sur le site de Nantes.

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privées de médecine du sport ou des centres spécialisés dans certaines lésions ou

traumatismes sportifs (cf. Partie I). Certains adolescents étaient parfois « détournés » par leurs

entraîneurs ou entourage (parents, autres sportifs etc.) des suivis médicaux proposés dans le

cadre des filières d’élite (pôle Espoir ou pôle France) et liés aux hôpitaux publics.

La période de passation du questionnaire (initialement prévue sur une durée de trois mois) a

été revue à la hausse (neuf mois environ entre mars et décembre 2014) afin de récolter un

nombre de questionnaires permettant de répondre aux exigences de l’analyse quantitative. Par

ailleurs, trois critères d’inclusion ont été retenus : être âgés de 11 à 18 ans, participer à des

compétitions sportives, effectuer une consultation médicale ou participer à un bilan médical

lié à sa pratique sportive (dans le cadre d’une surveillance médicale réglementaire définie par

le Code du sport L. 231-6 ou d’accords passés avec certains clubs sportifs de la région).

Ce questionnaire anonymisé a fait l’objet d’une passation en côte à côte auprès de 191 jeunes

sportifs. A chaque début de passation du questionnaire, après une brève présentation orale de

l’enquête, a été distribuée au responsable légal de l’adolescent une notice d’information (cf.

annexe) relative à l’étude présentant ses objectifs et ses obligations conformément aux

recommandations de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). A

cette notice était joint une lettre de consentement de participation (cf annexe) devant être

signée par les parents ou responsables légaux accompagnant leurs enfants et leur garantissant

l’anonymat, le droit de retrait et le respect du secret médical. Les responsables des antennes

médicales de prévention du dopage les ont ensuite archivé au sein de leur service. Les

dossiers médicaux des jeunes sportifs interrogés n’ont pas été consultés. Cette étude a obtenu

l’accord du comité éthique du CHU de Saint-Étienne. Le questionnaire et ses documents

attenants ont été soumis et validés par le comité éthique de l’AMA. Une étude exploratoire

par entretien semi-directif auprès de jeunes sportifs (n = 12) a permis de définir une série

d’indicateurs visant à approcher l’expérience de la douleur chez les jeunes sportifs. Le

questionnaire est construit autour de plusieurs thématiques (cf annexe):

- caractéristiques sociodémographiques de l’individu interrogé

- pratique(s) sportive(s) de l’enquêté

- Place du sport dans la sphère familiale de l’enquêté

- Entraînement de l’adolescent sportif

- Scolarité menée par l’enquêté

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- Habitudes de vie de l’enquêté

- Entourage de l’enquêté

- relations à la médecine, au sport et à la douleur observées chez l’enquêté

- relations entre dopage, sport et douleur chez l’enquêté

Dans un contexte où les consommations de produits dopants sont stigmatisées et

officiellement « chassées » (Grémion, Saugy, 2013) et dans la mesure où les plus jeunes

sportifs répondaient souvent en présence de leurs parents, que ceux-ci (parents ou

adolescents) pouvaient être soucieux de fournir une réponse « socialement désirable »

(Bloodworth e al. 2012) nous sommes partis du principe que les adolescents sportifs

consommaient des médicaments pour faire face à la douleur. Nous avons donc choisi

d’orienter le questionnement en ce sens. Aussi, nous ne leur avons pas demandé s’ils

prenaient des médicaments contre les douleurs sportives mais nous leur avons demandé quand

est-ce qu’ils prenaient le plus ces médicaments contre ces douleurs.

Le temps de la passation du questionnaire était de 15 minutes environ. Cette durée ne fut en

grande majorité pas une contrainte pour les enquêtés rencontrés dans le cadre de leur attente

pour effectuer des bilans médicaux au sein de services de médecine du sport. La saisie des

données a été effectuée à l’aide d’une mise en ligne du masque de saisie sous Lime Survey©.

La gestion et l’hébergement de la page Internet du questionnaire a été réalisée par nathalie

Dejong, assistante de production et d’analyse des données au sein du laboratoire TRIANGLE

à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Le traitement des données récoltées a été produit

à l’aide du logiciel de traitement de données Modalisa©

Le nombre de questionnaires recueillis est de 191 se distribuant comme suit :

Tableau des effectifs et % de répondants selon le lieu de passation du questionnaire

Effectifs %

Lyon 112 58,6%

Nantes 2 1,0%

Saint-Étienne 77 40,3%

Total 191 100,0%

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Chapitre 1

La population des jeunes sportifs

Les données recueillies permettent une analyse statistique approfondie. Les individus

interrogés composent une population cohérente. La représentation des différentes classes

d’âge, de sexe, mais aussi de niveau de pratique sportive ou de degré d’ancienneté dans la

pratique sportive est satisfaisante. La distribution entre sports collectifs et sports individuels

est, elle aussi, bien équilibrée. D’un point de vue général, on constate une corrélation entre

l’âge des jeunes sportifs et leur niveau d’ancienneté dans la pratique sportive. Les jeunes

pratiquent majoritairement leur sport en club mais le sport à l’UNSS38

n’est pas non plus

délaissé. Un nombre non négligeable de jeunes sportifs sont surclassés ou participent à des

compétitions de niveau supérieur à leur niveau d’inscription en club.

1. La structure de la population (âge, sexe, scolarité, ancienneté dans la pratique)

Les données recueillies sur les sites étudiés (principalement Lyon et Saint-Étienne) permettent

d’observer une population bien dispersée selon les âges et les sexes. La population étudiée est

majoritairement masculine : 60,7% des enquêtés sont de sexe masculin mais la population

féminine constitue néanmoins 39,3% des répondants.

Tableau des effectifs et du % des répondants par sexe

Effectifs %

Féminin 75 39,3%

Masculin 116 60,7%

Total 191 100,0%

La pyramide des âges par sexe est plutôt équilibrée :

38

L’Union Nationale du Sport Scolaire (collège et lycée) est une association qui a pour mission d’organiser et de

développer la pratique d’activités sportives. Pour approfondir la pratique de certaines disciplines, l’UNSS

propose à ses licenciés des sections sportives et elles leur permet aussi de participer à des championnats.

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Tableau des % de réponses par classe d’âge et par sexe

Féminin Masculin Total

Moins de 13 10,5 16,2 26,7

de 13 à moins de 15 6,8 14,7 21,5

de 15 à moins de 17 13,6 21,5 35,1

17 et plus 8,4 8,4 16,8

Total 39,3 60,7 100,0

Les populations féminines et masculines sont assez ressemblantes en termes d’âge, en

particulier pour les plus petits et les plus grands. Les garçons sont toutefois deux fois plus

nombreux entre 13 et 15 ans et une fois et demi plus nombreux pour les 15-17 ans. En terme

de niveau d’étude, la population se répartit entre 48,4 % de la population au collège, 50% au

lycée et 1,6% dans le supérieur.

Tableau des % de répondants par niveau d’étude

Effectifs %

Collège 92 48,4%

Lycée 95 50,0%

Supérieur 3 1,6%

Total 190 100,0%

2. Une scolarité « aménagée » pour la pratique sportive

Les jeunes ayant une pratique sportive intensive doivent tenter de lier pratique sportive et

scolarité. Le système scolaire français permet, pour un certain nombre de jeunes athlètes,

d’aménager l’emploi du temps scolaire en fonction de leur pratique sportive.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Est-ce que tu as des horaires aménagés dans ton établissement scolaire ?

Effectifs %

Oui 105 55,0%

Non 86 45,0%

Total 191 100,0%

Ainsi, 55 % des jeunes interrogés bénéficient d’horaires aménagés dans leur établissement

scolaire. Ces horaires aménagés sont observables pour les jeunes autant au collège qu’au

lycée.

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Tableau croisé des questions :

Est-ce que tu as des horaires aménagés dans ton établissement scolaire (Recodage) / 11R1. Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)

Tableau : %. Khi2=0,162 ddl=2 p=0,922 (Val. théoriques < 5 = 2)

Collège Lycée Supérieur Total

Oui 26,3 28,4 0,5 55,3

Non 22,1 21,6 1,1 44,7

Total 48,4 50,0 1,6 100,0

L’aménagement de l’emploi du temps des jeunes sportifs semble permettre aux enquêtés de

mener de front leur double inscription.

Les absences des établissements scolaires sont peu nombreuses. Pour preuve, ces élèves ont,

en moyenne, été absents de leur établissement 1,75 jours au cours du dernier trimestre pour

des raisons « sportives ». Ces absences sont liées à la participation à une compétition, à un

entraînement ou à une sélection pour 62,4 % des cas, et à un rendez-vous médical dans 32,3

%. Seuls 4,3 % des absences le sont pour « récupérer. »

Les résultats scolaires des enquêtés sont en grande majorité bons ou excellents :

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Au dernier trimestre, ta moyenne générale était comprise entre :

Effectifs %

15 à 20 62 34,4%

10 à moins de 15 115 63,9%

5 à moins de 10 3 1,7%

Total 180 100,0%

34,4 % des jeunes avaient obtenu, au trimestre précédent l’enquête, une moyenne générale

comprise en 15/20 et 20/20, 63,9 % entre 10/20 et 15/20, 1,7 % entre 5/20 et 10/20 et aucun

entre 0/20 et 5/20. Ces bons résultats tendent d’ailleurs vers l’excellence si l’on observe la

dispersion des moyennes générales des enquêtés en fonction de leur niveau scolaire.

Tableau croisé des questions :

Au dernier trimestre, ta moyenne générale était comprise entre / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)

Page 79: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la … · Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet,

78

Khi2=18,9 ddl=4 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 5)

Collège Lycée Supérieur Total

15 à 20 45 17 62

10 à moins de 15

45 67 2 114

5 à moins de 10

2 1 3

Total 90 86 3 179

Les collégiens ont, en tendance, une moyenne générale comprise en 15/20 et 20/20 et les

lycéens comprise entre 10/20 et 15/20. En termes de filières d’études, les études générales

sont privilégiées (74,1 % des lycéens sont inscrits dans une filière générale). 14,1 % des

lycéens sont dans une filière professionnelle et 11,8 % dans une filière technologique.

3. Ancienneté de la pratique sportive

La population étudiée témoigne d’une ancienneté élevée dans la pratique sportive. Cette

ancienneté importante l’est d’autant plus au vu de l’âge des répondants.

Résumé statistique des réponses à la question : Quel est ton âge ?

Résumés statistiques

Moyenne 7,05

Ecart-type 3,31

Minimum 1

Maximum 15

Somme 1346

Nombre 191

En effet, les jeunes interrogés pratiquent en moyenne leur sport depuis 7,05 années.

L’ancienneté dans la pratique sportive est liée à l’âge :

Tableau croisé des questions :

Quel âge as-tu / Depuis combien d’années pratiques-tu ton sport principal ?

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79

Moins de 4

de 4 à moins de

7

de 7 à moins de

10

10 et plus

Total

Moins de 13 5,2 11,5 9,4 0,5 26,7

de 13 à moins de 15 3,7 3,1 8,4 6,3 21,5

de 15 à moins de 17 4,2 9,9 7,9 13,1 35,1

17 et plus 2,6 2,6 6,3 5,2 16,8

Total 15,7 27,2 31,9 25,1 100,0

Sur ce tableau croisé, les cases coloriées en vert (clair) mettent en évidence l’attraction entre

deux variables, les cases coloriées en bleu (foncé), la répulsion entre deux variables. On

observe ici un lien entre l’âge et l’ancienneté dans la pratique sportive. On peut considérer

qu’en tendance, les sportifs les plus âgés sont aussi ceux ayant la plus grande ancienneté dans

la pratique. On a ainsi une tendance à la poursuite d’une même activité sportive au fil du

temps.

4. Les jeunes et leur pratique sportive (sport, niveaux et filières d’excellence)

La population enquêtée se répartit de façon équilibrée entre pratique d’un sport collectif et

pratique d’un sport individuel. On sait que cette distinction est importante puisque quelques

travaux estiment que les sports collectifs sont plus traumatisants (sur le plan somatique) que

les sports individuels (Theisen et al. 2013)

Pourcentage recodé des répondants à la question :

Quel est ton sport principal ?

Effectifs %

Sport collectif 87 48,6%

Sport individuel 92 51,4%

Total 179 100,0%

Concernant notre étude 25 sports sont représentés, en particulier la gymnastique (23,3%), le

football (17,2%), le basket-ball (10%), l’athlétisme (7,8%), le rugby (7,2%), le handball

(6,1%), le volley-ball (5,6%) et le judo (4,4%).

Quant aux filières de haut-niveau ou d’accès aux filières de haut-niveau, elles sont bien

représentées dans cette enquête puisque 62,9 % des enquêtés font partie de ces filières d’élite

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80

sportive

Pourcentage de répondants à la question :

Fais-tu partie d’un :

Effectifs %

Section sportive scolaire 42 20,8%

CRESP 2 1,0%

Pôle Espoir 43 21,3%

Pôle France 29 14,4%

INSEP 1 0,5%

Autre 10 5,0%

Total / interrogés 202 62,9%

20,8% font partie d’une section sportive scolaire, 21,3 % des enquêtés font partie d’un Pôle

espoir, et 14,4 % ont intégré un Pôle France. En plus de l’inscription dans ces filières

spécifiques, la quasi-totalité des répondants pratiquent leur sport dans un club (95,8 %) et 20,9

% des jeunes sportifs ont déjà été en contrat avec un club.

Pourcentage de répondant à la question :

Est-ce que tu as déjà été en contrat avec un club ?

Effectifs %

Non 151 79,1%

Oui 40 20,9%

Total 191 100,0%

Par contre, très peu de jeunes sportifs ont déjà été en contrat avec un sponsor :

Pourcentage de répondant à la question :

Est-ce que tu as déjà été en contrat avec un sponsor ?

Effectifs %

Non 185 96,9%

Oui 6 3,1%

Total 191 100,0%

La population interrogée est non seulement marquée par la pratique du sport en club (95,8 %)

mais aussi par une pratique d’activité sportive en milieu scolaire avec 36,6 % des jeunes

affirmant être inscrits à l’Union nationale du sport scolaire (UNSS).

Page 82: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la … · Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet,

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Pourcentage de réponses à la question :

Es-tu inscrit à l’UNSS ?

Effectifs %

Oui 70 36,6%

Non 121 63,4%

Total 191 100,0%

La majeure partie des enquêtés n’a fréquenté que peu de clubs : captifs, 82,9 % des jeunes

interrogés affirment n’avoir fréquenté qu’un ou deux clubs depuis le début de leur activité

sportive.

Si la majeure partie des jeunes sportifs vivent chez leurs parents, 25,7 % des enquêtés sont en

internat.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Tu es en internat ?

Effectifs %

Oui 49 25,7%

Non 142 74,3%

Total 191 100,0%

L’intégration de l’internat se fait le plus souvent au lycée. Les collégiens sont ainsi plus

nombreux à vivre chez leurs parents que les lycéens.

Tableau croisé des questions :

Tu es en internat ? (Recodage) / 11R1. Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)

Khi2=14,1 ddl=2 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 2)

Collège Lycée Supérieur Total

Oui 13 36 49

Non 79 59 3 141

Total 92 95 3 190

L’intégration de l’internat témoigne le plus souvent d’une opportunité en termes de carrière

sportive professionnelle. En effet, les jeunes en internat sont en tendance davantage inscrits

dans une formation sportive d’excellence telle que le Pôle Espoir ou le Pôle France.

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Tableau croisé des questions :

Tu es en internat ? (Recodage) Recodage du Centre de Formation

Base Répondants. Khi2=27,9 ddl=5 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 5)

Section sportive scolaire

CRESP Pôle Espoir

Pôle France

INSEP Autre Total

Eff. PEM Eff. PEM Eff. PEM Eff. PEM Eff. PEM Eff. PEM Eff. PEM

Oui 6 -

65% 30 49% 12 1% 1 3 48

Non 36 65% 2 13 -

49% 17 -1% 7 72

Total 42 2 43 29 1 10

Dans tous les cas, la proximité entre le lieu d’habitation et le club dans lequel est inscrit le

jeune sportif est privilégiée.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Combien de temps mets-tu pour te rendre dans ce club ?

Effectifs %

Moins de 30 minutes 139 76,8%

De 30 minutes à moins d'une heure

29 16,0%

Une heure et plus 13 7,2%

Total 181 100,0%

En effet, 76,8 % des répondants mettent moins de 30 minutes pour se rendre dans leur club.

Concernant leur pratique sportive en club, la population se distribue de manière équilibrée

entre les niveaux départementaux et régionaux (respectivement 24,7 % et 24,1 % de la

population). Presque la moitié des enquêtés est inscrite dans un club leur permettant d’évoluer

à un niveau national (43,7 % des enquêtés). Le niveau international reste quant à lui

légèrement sous-représenté (7,5 % des enquêtés).

Tableau du pourcentage de réponses à la question:

Quel est ton niveau en club ?

Effectifs %

Départemental 43 24,7%

Régional 42 24,1%

National 76 43,7%

International 13 7,5%

Total 174 100,0%

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83

Les niveaux nationaux et internationaux sont par ailleurs amplifiés lorsqu’il s’agit de la

compétition : 47,8 % des enquêtés participent à des compétitions de niveau national et 20 % à

des compétitions de niveau international.

Tableau du pourcentage de réponses à la question:

Quel est le plus haut niveau de compétition auquel tu as participé ?

Effectifs %

Départemental 28 15,6%

Régional 30 16,7%

National 86 47,8%

International 36 20,0%

Total 180 100,0%

5. Le sur-classement

Ce tableau présente la répartition des enquêtés selon leur niveau maximum de compétition

auquel ils ont participé. L’écart entre le niveau d’inscription en club et le plus haut niveau de

compétition auquel les jeunes participent est notamment lié à la possibilité d’avoir recours au

sur-classement des jeunes afin qu’ils participent à des compétitions de niveau supérieur ou

qu’ils s’inscrivent dans une activité sportive de plus haut niveau que celui auquel ils devraient

être en fonction de leur âge et/ou de leur ancienneté. Comme nous le verrons, le sur-

classement des athlètes constitue un bon indicateur de l’investissement effectué sur

l’adolescent pour lequel on escompte une intégration dans les filières de haut niveau.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Es-tu surclassé(e) ?

Effectifs %

Oui 60 31,4%

Non 131 68,6%

Total 191 100,0%

Le sur-classement concerne 31,4 % des jeunes sportifs interrogés, en particulier les sportifs de

niveau régional et national.

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6. Une pratique du sport « intensive »

La pratique intensive du sport chez les jeunes est souvent mesurée par le nombre d’heures

d’entraînement par semaine. On trouve peu de définitions de la notion de sport intensif.

Certaines études considèrent qu’à partir de 8 heures d’entraînement par semaine, l’enfant ou

l’adolescent s’inscrit dans une pratique intensive du sport. D. Purper-Ouakil et al (2002)

notent « qu’en l’état des connaissances actuelles, il n’est pas possible de définir correctement

le seuil à partir duquel une pratique sportive devient intensive pour un enfant ou un

adolescent. De même il n’y a pas de critères opérationnels permettant de définir le caractère

pathologique d’un style d’activité physique, même si le caractère compulsif ou addictif et le

retentissement délétère sur l’adaptation psychosociale peuvent être retenus comme des signes

d’appel. » (Purper-Ouakil 2002) Il n’est d’ailleurs pas rare d’identifier rétrospectivement la

pratique intensive du sport par la survenue d’un syndrome de surentraînement ou par la

survenue d’un burn out (Prétagut, Guérineau, 2014). Si le nombre d’heures d’entraînement

par semaine constitue un indicateur de premier ordre pour saisir l’intensité de la pratique

sportive, il ne permet pas de mesurer le temps effectif que les athlètes consacrent à leur

activité sportive. Pour approcher l’emploi du temps sportif des jeunes, il convient en effet de

compléter les informations recueillies par le nombre d’heures d’entraînement par semaine à

l’aide d’autres indicateurs tels que le nombre de compétitions effectuées au cours d’un mois,

la pratique de la musculation (avec ou sans appareils, en club, en salle ou à la maison) et la

pratique d’une ou de plusieurs autre(s) activité(s) sportive(s). Il apparaît ainsi que

l’entraînement, autour duquel s’organise l’emploi du temps du jeune sportif, ne résume pas le

temps effectivement passé à la pratique d’une activité sportive.

En moyenne, les jeunes sportifs interrogés s’entraînent 10,99 heures par semaine mais de

grandes disparités sont observables (écart-type = 8,45).

Combien d’heures d’entraînement as-tu par semaine ? Recodage en classes

Heures Effectifs %

Moins de 7 74 38,7%

de 7 à 13 60 31,4%

de 13 à 19 22 11,5%

de 19 à 25 4 2,1%

de 25 à 31 27 14,1%

31 et plus 4 2,1%

Total 191 100,0%

Page 86: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la … · Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet,

85

Minimum=1 Maximum=36 Somme=2099 Moyenne=10,99 Ecart-type=8,45 Classes d'amplitude égale : 6

Si un grand nombre de jeunes s’entraînent moins de 7 heures par semaine (38,7 %), 31,4 %

des jeunes athlètes effectuent entre 7 et 13 heures d’entraînement par semaine, 11,5 % entre

19 et 25 heures par semaine et 14,1 % des jeunes sportifs s’entraînent entre 25 et 31 heures

par semaine. Cet entraînement s’organise en sessions d’entraînement. En moyenne, les jeunes

ont 4,59 sessions d’entraînement par semaine mais, là encore, les disparités sont importantes.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Combien d'entraînements as-tu en moyenne au cours d’une semaine ?

Nombre de sessions/semaine Effectifs %

Moins de 3 56 29,3%

de 3 à 5 47 24,6%

de 5 à 7 52 27,2%

de 7 à 9 12 6,3%

de 9 à 11 19 9,9%

11 et plus 5 2,6%

Total 191 100,0%

Minimum=1 Maximum=12 Somme=877 Moyenne= 4,59 Ecart-type=2,8

Classes d'amplitude égale : 6

L’emploi du temps du jeune sportif est par ailleurs marqué par la participation à des

compétitions sportives. Au cours d’un mois, les jeunes athlètes participent en moyenne à 2,76

compétitions. Le nombre de compétitions varie comme suit :

Recodage en classes des réponses à la question :

A combien de compétitions participes-tu en moyenne au cours d'un mois ?

Nombre de compétition(s)/mois Effectifs %

1 56 30,9%

2 31 17,1%

3 22 12,2%

4 58 32,0%

5 et plus 14 7,7%

Total 181 100,0%

32 % des jeunes interrogés effectuent 4 compétitions par mois, 29,3 % entre 2 et 3

compétitions par mois, et 30 % une compétition par mois. Par ailleurs, il faut ajouter aux

sessions d’entraînement et aux compétitions la pratique de la musculation qui est

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particulièrement importante au sein de la population interrogée.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Est-ce que tu pratiques la musculation ?

Effectifs %

Non 60 31,4%

Oui, avec appareils 65 34,0%

Oui, sans appareils 66 34,6%

Total 191 100,0%

68,6 % des jeunes sportifs interrogés pratiquent en effet la musculation. Cette pratique se fait

pour 34 % des athlètes sur appareils et pour 34,6 % des jeunes sportifs sans appareil. La

pratique de la musculation au sein de cette population est donc majoritaire puisque seuls

31,4% des jeunes athlètes ne font pas de musculation.

Tableau croisé des questions :

Est-ce que tu pratiques la musculation ? / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)

Tableau : %. Khi2=22,8 ddl=2 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 2)

Collège Lycée Supérieur

Total

Non 22,6 7,4 1,1 31,1

Oui 25,8 42,6 0,5 68,9

Total 48,4 50,0 1,6 100,0

Tableau croisé des questions : Est-ce que tu pratiques la musculation ? / Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?

Tableau : %. Khi2=10,5 ddl=3 p=0,015 (Très significatif)

Moins de 4

de 4 à moins de

7

de 7 à moins de

10

10 et plus

Total

Oui 7,3 19,4 21,5 20,4 68,6

Non 8,4 7,9 10,5 4,7 31,4

Total 15,7 27,2 31,9 25,1 100,0

La pratique de la musculation est liée à l’âge des sportifs. En effet, on constate que la pratique

de la musculation augmente en fonction de son âge et et de son ancienneté dans la pratique

sportive. En moyenne, les jeunes sportifs faisant de la musculation la pratiquent pendant 2,6

heures par semaine. Une fois de plus les disparités entre les individus (écart-type = 1,86) sont

importantes. La pratique de la musculation s’effectue le plus souvent au club dans lequel est

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inscrit le jeune sportif (65,1%) mais elle peut se faire à la maison (27%), dans une salle de

musculation (6,6%) ou encore dans les pôles des filières d’accès au sport de haut-niveau

(UNSS, pôle Espoir, pôle France), voire chez un kinésithérapeute.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Tu pratiques la musculation pour :

Effectifs %

Augmenter tes capacités physiques 102 77,9%

Améliorer tes performances 98 74,8%

Diminuer le risque de blessures ou de douleurs 71 54,2%

Te rééduquer 34 26,0%

Ton apparence 32 24,4%

Total / répondants 131

Les sportifs ont recours à la musculation pour plusieurs raisons : pour augmenter leurs

capacités physiques (77,9 %), pour améliorer leurs performances (74,8 %) mais aussi pour

diminuer le risque de blessures ou de douleurs (54,2 %), se rééduquer (26 %) ainsi que pour

leur apparence (24,4 %).

Enfin, aux entraînements, aux compétitions ainsi qu’à la pratique de la musculation, 32,5 %

s’ajoute la pratique d’une ou de plusieurs autres activités sportives.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Mis à part ton sport principal et éventuellement la musculation, est-ce que tu as une ou plusieurs autres activités sportives ?

Effectifs %

Oui 62 32,5%

Non 129 67,5%

Total 191 100,0%

Aux entraînements, aux compétitions ainsi qu’à la pratique de la musculation, 32,5 % de notre

population pratique occasionnellement une ou plusieurs autres activités sportives différentes

de celle pratiquée officiellement en club. Cette pratique supplétive du sport, au-delà de son

aspect ludique, peut être associée à des fins thérapeutiques (comme la natation par exemple)

destinée à apaiser des douleurs liées à la pratique sportive principale de l’athlète.

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7. Synthèse

Légèrement plus masculine que féminine, la population des jeunes athlètes engagés dans une

pratique sportive intensive voit son emploi du temps (au collège comme au lycée) organisé

autour de leur activité sportive. La pratique sportive des enquêtés est marquée par un

important nombre d’heures d’entraînement. Elle est aussi rythmée par une participation

régulière à des compétitions sportives. De plus la pratique sportive des enquêtés

s’accompagne d’autres activités sportives visant à pallier aux douleurs liées à leur sport

principal. Les pratiques sportives ont aussi une fonction thérapeutique (cf. partie I). Si

l’inscription en club est centrale, elle est souvent complétée d’une inscription à l’UNSS,

complétée pour les moins jeunes d’une pratique régulière de la musculation et parfois par la

pratique d’une autre activité sportive.

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Chapitre 2

Des différences observables entre garçons et filles

Les jeunes athlètes engagés dans une pratique sportive intensive témoignent, dans leurs

réponses, de disparités non négligeables selon le sexe. Qu’il s’agisse du type de sport

privilégié ou du mode d’engagement dans une carrière sportive (poursuite d’une même

activité sportive au fil du temps, investissement du sportif de la part de l’entraîneur ou des

autres mondes sociaux), des disparités sont observables selon le sexe des individus interrogés.

1. Les filles et les sports individuels / les sports collectifs et les garçons

On constate une proportion plus importante de garçons engagés dans la pratique de sports

collectifs et de filles dans celle de sports individuels.

Tableau croisé : pratique d’un sport individuel ou collectif / sexe

Tableau : %. Khi2=4,16 ddl=1 p=0,039 (Significatif)

Féminin Masculin Total

Sport collectif 14,0 34,6 48,6

Sport individuel 22,9 28,5 51,4

Total 36,9 63,1 100,0

Une attraction (bleu /foncé) pour les sports collectifs et une répulsion (vert/clair) pour les

sports individuels est repérable au sein de la population masculine ainsi qu’une attraction pour

les sports individuels et une répulsion pour les sports collectifs au sein de la population

féminine. Les garçons investissent donc en tendance plus aisément les sports collectifs que les

filles et les filles s’engagent tendanciellement plus dans les sports individuels que les garçons.

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2. Des sportifs « jeunes » mais un engagement « ancien »

Comme mis en évidence plus haut, bien qu’étant une population composée de jeunes sportifs

(âgés de 11 à 18 ans), on observe déjà une ancienneté importante de la pratique du sport chez

ces individus :

Tableau des effectifs, % et résumé statistique pour la question :

Depuis combien d’année pratiques-tu ton sport principal ?

Effectifs %

Moins de 4 30 15,7%

de 4 à moins de 7 52 27,2%

de 7 à moins de 10 61 31,9%

10 et plus 48 25,1%

Total 191 100,0%

Résumés statistiques

Moyenne 7,05

Ecart-type 3,31

Minimum 1

Maximum 15

Somme 1346

Nombre 191

Sans rép 11

De la même manière, il convient de rappeler que les jeunes sportifs pratiquent en moyenne

leur sport depuis sept ans. L’ancienneté de la pratique sportive est liée à l’âge des individus

interrogés.

Tableau croisé des questions (recodées) : tu as quel âge ? / depuis combien d’années pratiques-tu ton sport principal ?

Tableau : %. Khi2=28,5 ddl=9 p=0,001 (Très significatif)

Moins de 4

de 4 à moins de

7

de 7 à moins de

10

10 et plus

Total

Moins de 13 5,2 11,5 9,4 0,5 26,7

de 13 à moins de 15 3,7 3,1 8,4 6,3 21,5

de 15 à moins de 17 4,2 9,9 7,9 13,1 35,1

17 et plus 2,6 2,6 6,3 5,2 16,8

Total 15,7 27,2 31,9 25,1 100,0

En plus de leur ancienneté dans le sport principal dans lequel ils s’inscrivent, près de 60 %

des jeunes sportifs ont pratiqué une autre activité sportive avant de débuter leur activité.

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Tableau des effectifs et % à la question :

Tu pratiquais un autre sport avant de débuter celui-ci ?

Effectifs %

Oui 112 58,6%

Non 79 41,4%

Total 191 100,0%

Le lien entre âge et ancienneté est aisément compréhensible. Il signifie que les plus jeunes

ont, en tendance, débuté leur pratique sportive depuis moins longtemps que les sportifs plus

âgés. Toutefois elle nous informe aussi sur une règle guidant la carrière des jeunes sportifs.

Pour ceux-ci, la tendance à poursuivre une même activité sportive est privilégiée. Les plus

âgés étant aussi ceux présentant l’ancienneté la plus importante, la corrélation observée entre

l’âge et l’ancienneté permet de mettre en évidence que les jeunes sportifs sont, en tendance,

découragés à changer d’activité sportive ou à débuter une activité sportive tardive. En

observant cette question de l’ancienneté de la pratique sportive, on observe par ailleurs une

corrélation entre le sexe et l’ancienneté dans la pratique.

Tableau croisé : Ancienneté dans la pratique sportive / sexe

Tableau : %. Khi2=12,8 ddl=3 p=0,005 (Très significatif)

Féminin Masculin Total

Moins de 4 7,9 7,9 15,7

de 4 à moins de 7 15,2 12,0 27,2

de 7 à moins de 10 9,4 22,5 31,9

10 et plus 6,8 18,3 25,1

Total 39,3 60,7 100,0

Cette tendance est toutefois moins nette chez les filles que chez les garçons. En tendance, les

filles présentent une ancienneté moindre que les garçons. Les filles poursuivent moins souvent

que les garçons la même activité sportive au fil du temps. De ce constat d’une corrélation

entre le sexe et l’ancienneté de la pratique sportive, deux questionnements émergent. Un

premier a trait au mode de sélection des sportifs. On peut émettre l’hypothèse que les garçons

sont davantage incités à poursuivre une même activité sportive que les filles. Le second

interroge la manière dont se construit socialement une projection dans le cadre d’un possible

devenir de sportif professionnel. Pour engager une réflexion sur ces questions, croisons la

question du sexe avec d’autres variables présentes dans le questionnaire. Tout d’abord, pour la

première hypothèse d’une sélection différente selon les sexes, comparons le niveau des jeunes

sportifs interrogés en fonction de leur sexe :

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92

Tableau croisé : Quel est ton niveau en club ? / Sexe

Tableau : % Colonnes. Khi2=0,336 ddl=3 p=0,952 (Peu significatif)

Féminin Masculin Total

Départemental 23,9 25,2 24,7

International 7,5 7,5 7,5

National 46,3 42,1 43,7

Régional 22,4 25,2 24,1

Total 100,0 100,0 100,0

Le niveau en club par sexe ne nous permet pas de mettre en évidence de différence

significative entre garçons et filles dans le recrutement des sportifs de haut niveau. Toutefois,

le seul niveau en club ne permet pas de mesurer l’investissement porté sur un athlète. La

variable sur-classement (mesurant l’inscription à un niveau de pratique et de compétition

supérieur au niveau auquel un sportif devrait être inscrit en fonction de son âge ou son

ancienneté) peut être croisée avec celle du sexe des enquêtés.

Tableau croisé : Es-tu surclassé / Sexe

%. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif)

Féminin Masculin Total

Non 26,7 41,9 68,6

Oui 12,6 18,8 31,4

Total 39,3 60,7 100,0

3. Devenir sportif professionnel ?

On peut affirmer qu’en tendance, les jeunes athlètes masculins font l’objet d’un

investissement supérieur que les jeunes athlètes féminins. Cette proposition doit être

complétée par la manière dont les adolescents se projettent dans la carrière sportive selon leur

sexe. En effet, on pourrait imaginer que les jeunes filles se projettent moins aisément dans une

carrière professionnelle que les jeunes garçons du fait du plus faible degré de

professionnalisation du sport féminin. Pour mesurer la manière dont garçons et filles se

projettent de manière différenciée dans l’éventualité d’une carrière de professionnel du sport,

on peut mobiliser les réponses à la question : « Plus tard, t’imagines-tu sportif

professionnel ? » et les croiser avec la variable sexe :

Tableau croisé : Plus tard, t’imagines-tu sportif professionnel ? / Sexe

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Tableau : %. Khi2=10,8 ddl=3 p=0,013 (Très significatif)

Féminin Masculin Total

Oui, tout à fait 3,0 13,7 16,7

Plutôt oui 16,1 33,3 49,4

Plutôt non 8,3 10,1 18,5

Non pas du tout 8,9 6,5 15,5

Total 36,3 63,7 100,0

On constate des réponses très campées selon les sexes. En tendance, les garçons s’imaginent

plus sportifs professionnels que les filles. On remarque ainsi un lien entre le sexe des sportifs,

l’investissement dont ils font l’objet et leur possibilité de se projeter dans une carrière de

sportif professionnel.

Tableau croisé : A part toi, qui t'imagine sportif professionnel ? / Sexe

Tableau : % Lignes - Base Répondants. Khi2=11,9 ddl=6 p=0,063 (Val. théoriques < 5 = 1)

Féminin Masculin Total

Tes parents, ta famille 30,0 70,0 100,0

Ton coach ou ton entraîneur du club 32,7 67,3 100,0

Des copains ou des amis du club 40,0 60,0 100,0

Des copains ou des amis extérieurs au club 26,7 73,3 100,0

D’autres personnes de ton club ou de la fédération

38,5 61,5 100,0

Le personnel de ton collège ou de ton lycée 25,0 75,0 100,0

Personne 52,6 47,4 100,0

Total

La réponse à la question : « A part toi, qui t’imagine sportif professionnel ? » est tout aussi

intéressante. On observe (notamment en ramenant à 100 les effectifs de chaque ligne) à quel

point l’investissement en matière de pratique sportive de la part des représentants des mondes

sociaux sur le devenir professionnel des jeunes sportifs est différencié selon le sexe. En effet,

les garçons font l’objet d’un investissement bien supérieur à celui des filles (mesuré par la

question : « à part toi, qui t’imagine sportif professionnel ? »). C’est d’ailleurs pour la

modalité de réponse « personne » que les filles obtiennent un score supérieur à celui des

garçons.

4. Synthèse

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La pratique d’un sport intensif est en lien avec le sexe des enquêtés. Les jeunes garçons

tendent plutôt à investir les sports collectifs. Quant aux jeunes filles, elles pratiquent plus

volontiers un sport individuel. En matière de mode d’engagement dans la carrière sportive, les

garçons, plus encouragés à la performance, plus souvent surclassés et globalement plus

investis par différents mondes sociaux pour intégrer le haut niveau, poursuivent davantage

une même pratique sportive et s’imaginent plus volontiers devenir sportifs professionnels. Les

filles sont, quant à elles, moins encouragées à la performance, moins souvent surclassées et

globalement moins investies par les autres pour intégrer une carrière sportive professionnelle.

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Chapitre 3

Le sport : une affaire de famille

La pratique sportive se joue dans les clubs et au sein des pôles d’excellence des fédérations

sportives nationales. Reste que les familles des jeunes engagés dans une pratique sportive

intensive vivent au rythme de l’emploi du temps sportif des jeunes athlètes. La famille

constitue un point d’ancrage fort au moins chez les plus jeunes. En enquêtant sur la famille

des jeunes athlètes, on note la prégnance du sport au sein des foyers, faisant du sport une

« affaire de famille » (Kay, 2000). Le sport est pour ces jeunes un objet familier et nombre

d’athlètes s’inscrivent dans une lignée de sportifs. L’investissement des parents est central

dans la compréhension de la pratique sportive des jeunes interrogés.

1. La situation familiale

En matière de structure familiale, les jeunes sportifs vivent au sein de fratries légèrement

moins importantes au regard de la population française générale.

Résumé statistique pour la question :

Combien de frères et sœurs as-tu au total ?

Résumés statistiques

Moyenne 1,83

Ecart-type 1,15

Minimum 0

Maximum 8

Somme 347

Nombre 190

En moyenne, les fratries de jeunes sportifs sont de 1,83 quand d’après l’INSEE le taux de

fécondité en France est de 1,99 en 2012 (d’ailleurs en légère baisse par rapport aux années

précédentes). Les jeunes athlètes sont, par ailleurs, issus de familles majoritairement mariées

(69,5%) ou en union libre (10%).

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Tableau du pourcentage de réponses à la question : Tes parents sont

Effectifs %

Autre 7 3,7%

Célibataires 3 1,6%

Divorcés 27 14,2%

En union libre 19 10,0%

Mariés 132 69,5%

Pacsés 2 1,1%

Total 190 100,0%

Les jeunes sportifs interrogés ont majoritairement des parents mariés ou pacsés (70,6 %). 14,2

% des jeunes sportifs ont des parents divorcés, 10 % vivant en union libre, 3,7 % (catégorie

« autre » composée de parents « séparés » ou « décédés ») et 1,6 % étant célibataires. Les

jeunes sportifs font par ailleurs partie de fratries de 1,83 individu en moyenne.

2. La situation sociale des parents

Plus que la structure familiale des jeunes sportifs, c’est la place importance du sport dans les

familles qui est pertinente. Tout d’abord, en interrogeant la profession des parents, on observe

qu’une part importante des jeunes sportifs est issue de familles de sportifs.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Profession du père (mondes de la médecine et des sports)

Effectifs %

profession médicale ou paramédicale 12 6,4%

professionnel des mondes du sport 11 5,9%

autre 164 87,7%

Total 187 100,0%

Tableau du pourcentage de réponses à la question

Profession de la mère (mondes du sport et de la médecine)

Effectifs %

Profession médicale ou paramédicale 60 31,6%

Professionnel des mondes du sport 8 4,2%

Autre 122 64,2%

Total 190 100,0%

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10,1% des jeunes sportifs ont au moins un de leurs parents exerçant une activité

professionnelle dans les mondes du sport (Professeurs d’EPS, entraîneurs, etc.). En effet, des

jeunes sportifs ont un père (5,9%) et une mère (4,2 %) exerçant une activité professionnelle

dans les mondes du sport. On observe ainsi que, au-delà de l’emploi ou du statut, l’activité

professionnelle en lien avec le sport, est une composante non négligeable des familles de

jeunes sportifs. Par ailleurs, dans le cadre de notre enquête, il est pertinent d’observer une

composante secondaire des familles des athlètes. En effet, 38% des jeunes sportifs ont au

moins un de leurs parents exerçant une activité professionnelle dans les mondes de la

médecine (médecins, infirmières, aides-soignantes, secrétaires médicales etc.). 6,4 % des

pères exercent une activité professionnelle dans cette sphère d’activité et surtout, 31,6% des

mères exercent une activité professionnelle dans le monde médical. Les mondes du sport ou

de la médecine sont ainsi représentés dans 48,1 % des familles.

3. La situation sportive

Au-delà de la pratique professionnelle, la pratique sportive concerne l’ensemble des membres

de la famille des jeunes sportifs.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Qui, à part toi, pratique un sport dans ta famille ? (Recodage)

Effectifs %

Non réponse 20

Parents ou beaux-parents 105 38,7%

Fratrie 145 53,5%

Personne 21 7,7%

Total / réponses 271 100,0%

Seuls 7,7% des jeunes sportifs affirment n’avoir aucune autre personne de leur famille qui

pratique un sport. 38,7 % des jeunes disent avoir des parents ou des beaux-parents pratiquant

le sport et 53,5% un frère ou une sœur pratiquant une activité sportive. Ce qui est remarquable

c’est que les membres de la famille pratiquent souvent un sport à haut niveau (36 % des cas).

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

D'autres membres de ta famille pratiquent-ils ou ont-ils pratiqué un sport à haut-niveau ?

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Effectifs %

Oui 70 36,6%

Non 121 63,4%

Total 191 100,0%

On constate par ailleurs un lien significatif entre le fait d’avoir une personne de sa famille

pratiquant ou ayant pratiqué un sport à haut niveau et le fait de s’imaginer sportif

professionnel.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

D'autres membres de ta famille pratiquent-ils ou ont-ils pratiqué un sport à haut niveau / Plus tard,

t’imagines-tu sportif professionnel ?

Khi2=8,81 ddl=3 p=0,031 (Significatif)

Oui, tout à fait

Plutôt oui

Plutôt non

Non pas du tout

Total

Oui 12 33 14 3 62

Non 16 50 17 23 106

Total 28 83 31 26 168

On remarque en particulier que les personnes ne comptant pas de membre de la famille ayant

pratiqué un sport à haut niveau ont plus de difficulté à se projeter dans une carrière de sportif

professionnel. A contrario, ceux dont au moins un membre de la famille pratique ou a

pratiqué un sport à haut-niveau se projettent plus aisément dans un avenir de sportif

professionnel.

4. Surinvestissement parental et « conflits de loyauté »

L’investissement des parents dans la pratique sportive de leur enfant a déjà fait l’objet de

nombreux travaux issus de la psychopathologie ou de la pédiatrie. Certains ont souligné

« l’incidence des relations parents-enfants sur le processus de santé des jeunes sportifs ». Le

surinvestissement parental expose les jeunes sportifs à des risques et à de fortes répercussions

psychopathologiques (Salla, Michel 2012). Effectivement, les parents des jeunes sportifs sont

particulièrement impliqués dans la pratique sportive de leurs enfants. Ils suivent très

largement leurs compétitions et assistent aux entraînements.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Est-ce que tes parents assistent à tes compétitions?

Page 100: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la … · Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet,

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Effectifs %

Oui 175 97,2%

Non 5 2,8%

Total 180 100,0%

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Est-ce que tes parents assistent à l'entraînement ?

Effectifs %

Oui 111 58,1%

Non 80 41,9%

Total 191 100,0%

Seuls 2,8 % des parents n’assistent pas aux compétitions sportives de jeunes sportifs et 58,1%

des parents assistent à leurs entraînements. Cette implication est particulièrement remarquable

tant la fréquence des entraînements et des compétitions est élevée au sein de cette population.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Tes parents s'occupent-ils de ton entraînement ?

Effectifs %

Oui 99 52,1%

Non 91 47,9%

Total 190 100,0%

On observe même qu’à la question : « Tes parents s’occupent-ils de ton entraînement ? »,

52,1% des jeunes sportifs répondent par l’affirmative. Le sport fait ainsi partie intégrante de la

vie quotidienne des familles des jeunes sportifs.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Est-ce que tes parents sont impliqués dans la vie du club ?

Effectifs %

Oui 99 51,8%

Non 92 48,2%

Total 191 100,0%

Les parents jouent un rôle (51,8 %) dans la vie du club (trésoriers, accompagnateurs,

entraîneurs, etc.). Cette implication des parents dans la vie du sportif peut conduire, au fil de

la carrière du sportif, à des conflits de loyauté entre les différentes mondes dans lesquels il

s’inscrit et circule.

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Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Tes parents, ton entraîneur ou tes enseignants te donnent-ils des conseils opposés pour ta carrière ?

Effectifs %

Oui 65 36,3%

Non 114 63,7%

Total 179 100,0%

Si ces conflits de loyauté restent minoritaires, ils ne sont néanmoins pas négligeables puisque

36,3 % des jeunes sportifs répondent positivement à la question « Tes parents, ton entraîneur

ou tes enseignants te donnent-ils des conseils opposés pour ta carrière ? ».

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Tes parents, ton entraîneur ou tes enseignants te donnent-ils des conseils opposés pour ta carrière ?

Effectifs %

Toujours 4 2,2%

Souvent 8 4,5%

Parfois 53 29,6%

Jamais 114 63,7%

Total 179 100,0%

Les conflits de loyauté auxquels doivent faire face les jeunes sportifs font intervenir plus

spécifiquement deux figures : celle des parents et celle de l’entraîneur. L’école est exclue des

conflits de loyauté autour de la carrière du jeune sportif.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Quels conseils suis-tu la plupart du temps ?

Effectifs %

Ceux de tes parents ou de ta famille 80 50,3%

Ceux de ton entraîneur ou de ton coach 78 49,1%

Ceux de ton établissement scolaire 1 0,6%

Total 159 100,0%

Dans ces cas de conflits de loyauté, la place de l’entraîneur et celle des parents est d’égale

importance. En effet, à la question: « Quels conseils suis-tu la plupart du temps ? », 50,3 %

des jeunes sportifs affirment suivre « ceux de [leurs] parents ou de la famille » et 49,1 %

« ceux de [leur] entraîneur ou de [leur] coach ». La tendance à résoudre les conflits de loyauté

en suivant plutôt les conseils de l’entraîneur ou plutôt ceux des parents ou de la famille sont

liés à l’âge des jeunes sportifs. On constate en particulier un inversement de la tendance entre

le collège et le lycée.

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Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage) / Quels conseils suis-tu la plupart du temps ?

Tableau : %. Khi2=4,42 ddl=4 p=0,352 (Val. théoriques < 5 = 5)

Ceux de tes parents ou de ta famille

Ceux de ton entraîneur ou de ton coach

Ceux de ton établissemen

t scolaire

Total

Collège 29,7 21,5 0,6 51,9

Lycée 19,0 27,2 46,2

Supérieur 1,3 0,6 1,9

Total 50,0 49,4 0,6 100,0

Chez les plus jeunes (les collégiens), on peut noter une tendance au suivi des conseils

provenant des parents ou de la famille quand, chez les lycéens, cette tendance s’inverse. Au

lycée, les jeunes sportifs suivent davantage les conseils de leur entraîneur ou de leur coach à

propos de leur carrière sportive. La manière dont les jeunes sportifs font face à d’éventuels

conflits de loyauté entre parents et entraîneur, l’implication des parents dans la vie sportive de

leurs enfants constituent autant d’indicateurs de la présence de deux figures centrales et

d’égale importance dans la vie quotidienne du jeune sportif. Cette acceptation de deux

autorités est d’ailleurs intégrée par le jeune athlète qui craint de décevoir ses parents et / ou

son entraîneur plus que ses coéquipiers.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

A part toi, qui crains-tu de décevoir après une défaite ?

Effectifs %

Tes parents 88 49,2%

Ton entraîneur 88 49,2%

Tes coéquipiers 63 35,2%

Personne 43 24,0%

Des personnes de ton club autres que ton entraîneur 8 4,5%

Total / répondants 179

A la question « A part toi, qui crains-tu de décevoir après une défaite ? », 49,2 % des jeunes

sportifs répondent « Tes parents » et 49,2 % également « Ton entraîneur » ! Les coéquipiers

viennent après (35,2 %), des personnes du club autres que l’entraîneur enfin (4,5 %). Par

ailleurs, seuls 24 % des jeunes sportifs répondent : « Personne » à cette question.

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5. Synthèse

Les jeunes sportifs s’inscrivent d’abord prioritairement dans la sphère familiale. Du fait

notamment de leur âge, les parents ont une place centrale dans l’organisation de leur vie

quotidienne. Comme nous le verrons plus avant, les parents constituent les référents

principaux pour les jeunes sportifs au moins jusqu’à leur entrée au lycée. Pour beaucoup

d’adolescents, le sport fait l’objet d’une transmission familiale. Nombre d’enfants sportifs

sont, en effet, issus de familles comptant d’autres sportifs (frères, sœurs, père, mère, etc.),

parfois ayant pratiqué au plus haut-niveau. Cette familiarité dans la pratique sportive n’est pas

sans conséquence puisque plus cette familiarité est importante, plus les jeunes tendent à se

projeter dans une carrière de sportif professionnel. L’importance de la famille dans la pratique

sportive du jeune se traduit, en outre, par un accompagnement proximal des parents dans la

pratique sportive des jeunes. Accompagnateurs de leurs enfants à leurs compétitions ou à

leurs entraînements, les parents peuvent aussi prendre part à la vie du club ou promulguer des

conseils en matière de pratique sportive et nous le verrons des soins qui leur sont prodigués.

Cette proximité entre vie familiale et vie sportive peut toutefois conduire le jeune à devoir

faire face à des « conflits de loyauté » entre sa famille et son entraîneur. Ces conflits se

résolvent de façon différenciée selon l’âge : les collégiens privilégiant les conseils des

parents, les lycéens, ceux de leur entraîneur.

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Chapitre 4

Le suivi « médical » des jeunes sportifs

Les jeunes sportifs font l’objet d’un suivi médical particulier. Liant vie familiale et vie

sportive au prix d’éventuels conflits de loyauté, les jeunes athlètes fréquentent au fil de leur

carrière sportive un troisième monde, celui de la médecine du sport.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

La personne qui te suit généralement au niveau médical est-elle :

Effectifs %

Un médecin du sport 79 44,6%

Un médecin généraliste 42 23,7%

Un kinésithérapeute 32 18,1%

Un ostéopathe 14 7,9%

Tu n’as pas de suivi médical 4 2,3%

Autre 6 3,4%

Total 177 100 %

Seuls 2,3 % des enquêtés ne bénéficient pas de suivi médical. 44,6 % des jeunes athlètes sont

principalement suivis par un médecin du sport, 23,7 % par un médecin généraliste. Par

ailleurs, et c’est un point important, 26 % des jeunes sportifs sont principalement suivi par un

kinésithérapeute (18,1 %) ou par un ostéopathe (7,9 %). Le suivi médical des jeunes sportifs

évolue peu selon l’âge. Pour plus de lisibilité, observons comment se distribue le suivi

médical entre collège et lycée :

Tableau croisé des questions :

La personne qui te suit généralement au niveau médical est-elle / Tu es en quelle classe actuellement?

(Recodage)

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Tableau : % Colonnes. Khi2=5,39 ddl=10 p=0,864 (Val. théoriques < 5 = 10)

Collège Lycée Supérieur Total

Un médecin du sport 39,1 51,2 33,3 44,939

Un médecin généraliste 28,7 18,6 23,3

Un kinésithérapeute 17,2 19,8 18,2

Un ostéopathe 6,9 8,1 33,3 8,0

Tu n’as pas de suivi médical 3,4 1,2 2,3

Autre 4,6 1,2 33,3 3,4

Total 100,0 100,0 100,0 100,0

Dans ce tableau , la répartition du suivi médical des jeunes sportifs en fonction de leur classe,

permet de mettre en évidence que le médecin du sport est plus souvent cité par les lycéens que

par les collégiens, que le médecin généraliste est fait moins souvent partie des médecins

sollicités par les lycéens que par les collégiens et que les kinésithérapeutes et les ostéopathes

sont en tendance plus sollicités par les lycéens que par les collégiens. On peut émettre

l’hypothèse que les professionnels de santé sollicités par les jeunes athlètes évoluent au fil de

leur carrière sportive. La place du médecin généraliste tendrait à diminuer au profit de la

médecine du sport et d’acteurs paramédicaux manipulant le corps du sportif.

1. Une évolution du suivi médical sensible selon l’ancienneté dans la pratique sportive

A partir d’une analyse de la répartition de la prise en charge médicale selon l’ancienneté de la

pratique sportive, quelques constats peuvent être avancés.

Tableau croisé des questions :

La personne qui te suit généralement au niveau médical est-elle / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?

Tableau : % Lignes. Khi2=24,8 ddl=15 p=0,053 (Val. théoriques < 5 = 12)

Moins de 4 de 4 à moins de

7

de 7 à moins de

10

10 et plus

Total

Un médecin du sport 16,5 22,8 34,2 26,6 100,0

Un médecin généraliste 21,4 40,5 31,0 7,1 100,0

Un kinésithérapeute 6,3 9,4 37,5 46,9 100,0

Un ostéopathe 7,1 35,7 28,6 28,6 100,0

Tu n’as pas de suivi médical 50,0 50,0 100,0

Autre 50,0 16,7 16,7 16,7 100,0

Total 15,8 26,0 32,2 26,0 100,0

39

La variation du taux d’individus suivis par un médecin du sport est lié au croisement de deux variables n’ayant

pas recueilli le même taux de réponses.

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Tout d’abord, on observe un processus de médicalisation concernant l’ensemble de la

population interrogée. En effet, le suivi médical (qu’elle que soit la spécialité concernée) est

plus intense pour les individus déjà engagés dans la pratique sportive depuis plus de quatre

ans. Ensuite, le type de suivi médical évolue non seulement en fonction de l’âge mais aussi

selon l’ancienneté de la pratique sportive. En effet, le suivi par un médecin généraliste est en

progression entre l’entrée dans la pratique sportive (21,4 %) jusqu’au seuil de sept années de

pratique (40,5 %). Au-delà de dix ans d’ancienneté, le suivi par un médecin généraliste se

raréfie. Seuls 7,1 % des personnes suivies par un médecin généraliste pratiquent leur sport

depuis au moins dix ans. Le suivi par un médecin généraliste est, quant à lui, fréquent chez les

individus engagés depuis peu de temps dans leur activité. Le suivi par un médecin du sport est

de plus en plus fréquent à partir de quatre années de pratique sportive et fléchit au-delà de dix

années d’ancienneté dans la pratique. La prise en charge du suivi médical par un

kinésithérapeute est en progression continue au fil de l’ancienneté dans la pratique sportive

avec une augmentation particulièrement importante à partir de sept ans d’ancienneté. L’entrée

dans les filières d’élite sportive s’accompagne d’une mise à disposition d’une équipe médicale

aux compétences médicales et expertises diagnostiques diverses. Généralement les

kinésithérapeutes sont fortement inscrits dans les réseaux de soins et de rééducation. Le suivi

par un ostéopathe – suivi officieux et parfois parallèle - intervient plus tôt avec une

augmentation de près de 30 points pour une ancienneté de moins de quatre ans et de quatre à

moins de sept ans et fléchit légèrement au-delà de sept ans d’ancienneté mais reste stable par

la suite.

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Nombre de consultations par type de professionnel selon le degré d’ancienneté dans la pratique sportive

2. Le déclin de la médecine générale

A l’aide de ce graphique, on observe l’évolution du suivi médical principal des jeunes athlètes

en fonction de leur ancienneté dans la pratique sportive. On note ainsi que, si la médecine du

sport reste, tout au long de la carrière une des ressources principales ressources, la médecine

générale décline à partir de sept années de pratique et que le suivi par un kinésithérapeute tend

à se substituer au suivi par un médecin généraliste.

Pour comprendre avec plus de finesse la mutation du suivi médical des jeunes sportifs au fil

de leur ancienneté dans la pratique, il est pertinent d’interroger l’ensemble des consultations

médicales des jeunes sportifs. Si le suivi médical nous informait sur la centralité du médecin

du sport ainsi que sur la place de plus en plus importante du kinésithérapeute dans la carrière

du jeune sportif, les consultations médicales effectuées au cours de l’année écoulée par les

jeunes sportifs40 nous permettent d’accéder à la part relative des différents segments médicaux

dans la prise en charge médicale du jeune sportif.

40

Saisies par la question multiple suivante : « Au cours des douze des derniers mois, tu as consulté : [un médecin

généraliste, un médecin du sport, un kinésithérapeute, un ostéopathe, un psychologue, un psychiatre, un

acupuncteur, un homéopathe, tu n’as pas eu de consultation du cours de 12 derniers mois] ».

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107

Tableau croisé des questions :

Au cours des 12 derniers mois, tu as consulté / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?

Tableau : %. Khi2=24,5 ddl=21 p=0,27 (Val. théoriques < 5 = 13)

Moins de 4

de 4 à moins de

7

de 7 à moins de

10

10 et plus

Total

Un médecin généraliste 3,7 6,7 7,3 5,2 22,9

Un médecin du sport 4,8 7,1 10,2 7,7 29,9

Un kinésithérapeute 2,5 5,0 8,3 7,3 23,1

Un ostéopathe 0,4 3,7 4,0 5,2 13,3

Un psychologue ou un psychiatre 0,2 1,9 1,9 3,1 7,1

Un homéopathe 1,0 0,6 0,8 2,3

Un acupuncteur 0,2 0,6 0,2 1,0

Tu n’as pas eu de consultation au cours des 12 derniers mois

0,2 0,2 0,4

Total 11,9 26,0 32,8 29,3 100,0

L’évolution des consultations médicales des jeunes athlètes en fonction de leur ancienneté

dans la pratique sportive conduit à un constat renforçant les éléments précédemment évoqués.

Au fil de la carrière du sportif, la place du médecin généraliste s’amoindrit. Le médecin du

sport, présent tout au long de la carrière sportive, est toutefois sur-représenté en début de

carrière. Les kinésithérapeutes ou ostéopathes prennent au contraire une place croissante dans

la prise en charge du sportif au fil du temps. Enfin, psychologues et psychiatres sont, quoique

de façon plus secondaire, de plus en plus sollicités par les athlètes au fil de leur carrière. Pour

davantage de lisibilité, observons le tableau suivant reprenant les éléments du tableau :

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108

En regroupant kinésithérapeutes et ostéopathes, on obtient le tableau et le graphique suivants :

Tableau croisés des questions :

Au cours des 12 derniers mois, tu as consulté / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?

Tableau : %. Khi2=16,7 ddl=9 p=0,053 (Val. théoriques < 5 = 1)

Moins de 4

de 4 à moins de

7

de 7 à moins de

10

10 et plus

Total

Un médecin généraliste 3,8 7,0 7,6 5,4 23,8

Un médecin du sport 5,0 7,4 10,6 8,0 31,0

Un kinésithérapeute et/ou un ostéopathe

3,0 9,0 12,8 13,0 37,8

Un psychologue et/ ou un psychiatre

0,2 2,0 2,0 3,2 7,4

Total 12,0 25,4 33,0 29,6 100,0

On constate alors que la part relative des consultations d’un kinésithérapeute et/ou d’un

ostéopathe est très importante et que ces consultations progressent, en tendance, tout au long

de la carrière.

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109

En regroupant consultations de kinésithérapie et d’ostéopathie, on observe que l’importance

de la médecine du sport dans la carrière du jeune sportif est relative. En effet, si la

consultation en médecine du sport est privilégiée en début de carrière et que la consultation de

professionnels issus d’autres segments médicaux ou paramédicaux est plutôt faible, à partir de

quatre années de pratique sportive, cette importance est moins frappante. En effet, la part des

consultations de kinésithérapeutes ou d’ostéopathe dépasse celle des cabinets de médecine du

sport. En outre, en tendance, la médecine du sport comme la médecine générale tendent à

décliner au-delà de dix années de pratique sportive tandis que les consultations de

kinésithérapie et d’ostéopathie, mais aussi de psychologie et de psychiatrie poursuivent leur

augmentation pour des raisons qui sont autant juridiques que sociologiques (cf Partie I,

chapitre 3 et 4)

3. Synthèse

Les jeunes pratiquant une activité sportive intensive s’inscrivent simultanément dans

différentes sphères sociales. La famille occupe une place centrale et tend à être la principale

source de conseils au fil du temps. L’école semble plutôt secondaire. La population étudiée

effectue très majoritairement une scolarité excellente. La place de l’entraîneur tend à grandir

ainsi que celle des mondes de la médecine. Au fil de la carrière du sportif, les liens entre

famille, école, sport et médecine se reconfigurent. Chez les plus jeunes et en début de carrière,

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110

la famille occupe une place primordiale. Elle tend à être plus éloignée au fil de la poursuite de

la carrière mais continue de jouer un rôle d’accompagnateur.

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111

Chapitre 5

Douleurs et blessures sportives : perceptions et prises en charge plurielles

La pratique intensive d’une activité sportive conduit les jeunes à faire de façon régulière si ce

n’est continue l’expérience de la douleur. Inhérente à la pratique sportive, la douleur fait

l’objet d’un travail à part entière de la part des athlètes. La gestion de la douleur étant un point

clé de l’avancement dans la carrière sportive, douleurs et blessures font l’objet d’un traitement

différencié par le sportif et son entourage selon les étapes de la carrière dans lesquelles il est

engagé. Pour appréhender ce phénomène, il convient d’approcher non seulement la douleur

elle-même mais aussi sa caractérisation, sa prise en charge par différents segments

professionnels : la prescription des médicaments antidouleur semblent se modifier en fonction

de l’évolution de leur carrière sportive.

1. Une vie quotidienne marquée par la douleur

Les douleurs font partie de la vie quotidienne des jeunes sportifs. Lorsque l’on interroge les

sportifs sur leurs douleurs, ceux-ci énumèrent sans peine les parties de leur corps où ils ont

régulièrement mal. Ces zones sont celles qui sont le plus souvent stimulées du fait de leur

pratique sportive. Par ailleurs, les jeunes athlètes citent par ailleurs des douleurs

symptomatiques de leur pratique telles que des courbatures (49,7 %), des douleurs

musculaires (39,7 %) ou des douleurs articulaires (29,1 %).

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

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112

Où as-tu le plus régulièrement mal à cause de ton sport ?

Effectifs %

Des courbatures 89 49,7%

Des douleurs musculaires 71 39,7%

Des douleurs articulaires 52 29,1%

Une fracture 10 5,6%

Une luxation 15 8,4%

Des maux de tête 4 2,2%

Total / répondants 179

Ces douleurs font partie intégrante de la vie quotidienne du jeune sportif si bien que lorsqu’il

s’agit de qualifier ces douleurs, ceux-ci les considèrent très majoritairement comme normales

(72,3 %).

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Pour toi, ces douleurs étaient :

Effectifs %

Tout à fait normales 40 22,6%

Plutôt normales 88 49,7%

Plutôt pas normales 39 22,0%

Tout à fait anormales 10 5,6%

Total 177 100,0%

La perception de normalité de ces douleurs dans la pratique sportive est équivalente pour les

garçons et pour les filles. Pour 22,6 % des jeunes interrogés, ces douleurs sont « tout à fait

normales », pour 49,7 % d’entre eux, elles sont « plutôt normales », pour 22 % elles sont

« plutôt pas normales » et elles sont « tout à fait anormales » pour 5,6 % des adolescents. La

douleur est en outre normalisée au fil du franchissement des différents niveaux de

compétition :

Pour toi, ces douleurs étaient : / 167R2. Pour toi, ces douleurs étaient : (Recodage) (Recodage) / 43. Quel est le plus haut niveau de compétition auquel tu as participé ?

Tableau : %. Khi2=7,79 ddl=9 p=0,556 (Val. théoriques < 5 = 4)

Départemental International National Régional Total

Tout à fait normales 3,0 5,4 10,2 4,2 22,9

Plutôt normales 7,8 9,0 27,1 6,6 50,6

Plutôt pas normales 3,0 4,8 7,8 5,4 21,1

Tout à fait anormales 2,4 0,6 1,2 1,2 5,4

Total 16,3 19,9 46,4 17,5 100,0

On constate dans ce tableau que les douleurs sportives se normalisent au fil de la montée en

niveau dans la compétition. Les jeunes sportifs de niveau départemental déclarent plus

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113

volontiers que les sportifs des niveaux supérieurs (en particulier de niveau national) que leurs

douleurs sportives sont anormales. Ces douleurs sportives, minimisées par les athlètes de haut

niveau sont pourtant régulières.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

As-tu des douleurs de ce type ?

Effectifs %

Toujours 12 6,7%

Souvent 61 34,3%

Parfois 95 53,4%

Jamais 10 5,6%

Total 178 100,0%

Si seuls 5,6 % des jeunes sportifs déclarent n’avoir jamais de douleurs liées à leur activité

sportive, 6,7 % déclarent en avoir « toujours », 34,3 % « souvent ». La majorité (53,4 %) des

jeunes répondent qu’ils ont « parfois » ce type de douleurs. Les douleurs sportives,

considérées comme « normales » font ainsi partie de la vie ordinaire des athlètes.

2. Des douleurs caractérisées selon leur type

Partie liée à la vie ordinaires des sportifs, les douleurs sont caractérisées différemment selon

leur nature. La question « La dernière fois que tu as ressenti de la douleur liée à ton activité

sportive, c’était… » permet d’étudier la distribution de la douleur par type chez les jeunes

sportifs.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

La dernière fois que tu as ressenti de la douleur liée à ton activité sportive, c’était…

Effectifs %

Des courbatures 89 36,9%

Des douleurs musculaires 71 29,5%

Des douleurs articulaires 52 21,6%

Une luxation 15 6,2%

Une fracture 10 4,1%

Des maux de tête 4 1,7%

Total / réponses 241 100,0%

Les courbatures constituent la douleur la plus fréquemment citée (36,9 %) suivie des douleurs

musculaires (29,5 %) puis des douleurs articulaires (21,6 %). D’autres douleurs, moins

fréquemment citées apparaissent par ailleurs : la luxation (6,2 %), la fracture (4 ,1 %) et les

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maux de tête (1,7 %). Courbatures et douleurs musculaires (parfois difficiles à différencier

pour les jeunes sportifs) constituent les douleurs les plus fréquemment cités (68,4 % au total).

Ces douleurs ont, pour les jeunes sportifs, un statut différent des douleurs articulaires.

Tableau croisé :

Où as-tu le plus régulièrement mal à cause de ton sport ? / As-tu des douleurs de ce type ?

Tableau : %. Khi2=12,8 ddl=9 p=0,173 (Val. théoriques < 5 = 8)

Toujours Souvent Parfois Jamais Total

Des courbatures ou des douleurs musculaires

4,4 21,3 40,0 2,7 68,4

Des douleurs articulaires 4,0 9,3 8,9 22,2

Une fracture ou une luxation 3,1 3,6 0,9 7,6

Des maux de tête 1,3 0,4 1,8

Total 8,4 33,8 53,8 4,0 100,0

Si les courbatures et les douleurs musculaires sont plus ponctuelles et vécues comme telles41,

les jeunes sportifs ressentant des douleurs articulaires mettent en avant la fréquence

importante de la survenue de ces douleurs. De plus, le statut de la douleur diffère selon le type

de douleur ressentie.

Tableau croisé :

Où as-tu le plus régulièrement mal à cause de ton sport ? / Pour toi, ces douleurs étaient :

Tableau : %. Khi2=35,3 ddl=12 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 9)

Tout à fait

normales

Plutôt normales

Plutôt pas

normales

Tout à fait anormales

Total

Des courbatures 14,9 19,8 2,7 0,9 38,3

Des douleurs musculaires 4,5 15,3 8,1 1,8 29,7

Des douleurs articulaires 1,4 12,6 6,3 2,3 22,5

Une fracture ou une luxation 1,4 3,2 1,4 1,8 7,7

Des maux de tête 0,5 0,9 0,5 1,8

Total 22,5 51,8 18,9 6,8 100,0

Les courbatures sont presque exclusivement vécues comme normales : dans 90,6 % des cas,

les individus ayant ressenti des courbatures répondent que ces douleurs sont tout à fait ou

plutôt normales. Les autres types de douleurs sont perçus différemment. La majorité des

jeunes sportifs considèrent les douleurs musculaires comme « tout à fait » ou « plutôt

41

On observe une tendance chez les individus ayant des courbatures ou des douleurs musculaires à affirmer

qu’ils ressentent ce type de douleurs « parfois » et une « attraction » pour les individus ressentant des douleurs

articulaires à affirmer les ressentir « toujours ».

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115

normales » (66,7 %), et on constate par ailleurs une tendance des jeunes sportifs répondre

qu’ils considèrent les douleurs musculaires comme « plutôt pas normales » (cette seule

modalité de réponse regroupant 27, 3 % des répondants). Les douleurs articulaires, quoique

majoritairement perçues comme normales, le sont de façon plus nuancée. Les douleurs

articulaires sont perçues de façon très minoritaire comme « tout à fait normales » (6,2 %).

Elles sont majoritairement pensées (catégorisées) comme « plutôt normales » (56 %) et on

observe une inflexion des répondants à catégoriser ces douleurs comme « plutôt pas

normales » (28%). Ces douleurs sont « tout à fait anormales » pour 10,2 % des jeunes. Les

douleurs articulaires sont plus souvent pensées comme anormales (tout à fait ou plutôt pour

38,2 % des répondants). Les fractures ou les luxations sont pensées comme normales pour

59,7 % des jeunes et anormales pour 41,6 %.

En analysant la manière dont les jeunes sportifs catégorisent les douleurs liées à leur pratique

sportive, on observe une tendance à la normalisation de la douleur (Selanne, 2014). De façon

générale, les douleurs ressenties par les jeunes athlètes sont pensées comme normales (tout à

fait ou plutôt normales) à 72,3 %. Ces douleurs sont pensées comme anormales pour 25,7 %

des répondants. La perception de la douleur dans le sport témoigne néanmoins de différences

selon le type de douleurs. Si les courbatures sont des douleurs normales pour les jeunes

sportifs, les douleurs musculaires, articulaires ainsi que les luxations ou les fractures, bien que

restant majoritairement pensées comme normales font l’objet d’une catégorisation plus

nuancée.

3. La fréquence des douleurs sportives

La survenue des douleurs liées à la pratique sportive chez les jeunes sportifs est plus

importante en début de saison puisque 34,9 % des répondants disent ressentir ces douleurs

« en début de saison ». Reste que 31,1 % des répondants affirment ressentir ces douleurs

« tout le temps » et que 30,2 % des répondants les ressentent soit en milieu de saison (10,4 %)

soit en fin de saison (19.8 %). La douleur dans le sport chez les jeunes est ainsi présente tout

au long de la saison bien qu’elle soit plus présente en début de saison.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

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116

Généralement, tu as ces douleurs

Effectifs %

En début de saison 74 34,9%

En milieu de saison 22 10,4%

En fin de saison 42 19,8%

Tout le temps 66 31,1%

Jamais 8 3,8%

Total / réponses 212 100,0%

Si la douleur se présente de manière diffuse au cours d’une saison sportive, les jeunes athlètes

affirment de façon plus marquée le moment de survenue de ces douleurs en fonction de leur

emploi du temps sportif.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Ces douleurs surviennent…

Effectifs %

Avant les entraînements 21 8,6%

Après les entraînements 122 50,0%

Avant les compétitions 12 4,9%

Après les compétitions 70 28,7%

Tout le temps 19 7,8%

Total / réponses 244 100,0%

Les douleurs sportives surviennent presque exclusivement après des efforts intenses (78,7 %

des cas), majoritairement après les entraînements (50 %) et après les compétitions (28,7%).

Seuls 7,8 % des jeunes sportifs ressentent ces douleurs à n’importe quel moment, 8,6 % avant

les entraînements et 4,9 % avant les compétitions.

4. L’expérience de la blessure

Au-delà des douleurs inhérentes à la pratique sportive, la carrière des jeunes athlètes est

rythmée par l’anticipation, la survenue et la gestion - à plus ou moins court et moyen terme -

de la blessure. Les blessures concernent la majeure partie de la population des jeunes sportifs.

85,6% des sportifs de 11 à 18 ans ont déjà subi au moins une blessure.

Au cours des trois dernières années, combien de fois as-tu été blessé ?

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117

Effectifs %

0 25 14,4%

1 41 23,6%

2 33 19,0%

3 30 17,2%

4 et plus 45 25,9%

Total 174 100,0%

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Es-tu souvent blessé(e) ?

Effectifs %

Oui 44 23,0%

Non 147 77,0%

Total 191 100,0%

D’un point de vue subjectif, la plupart des sportifs considèrent ne pas être souvent blessés

(77%). Toutefois, au cours des trois dernières années, ces athlètes ont, en moyenne eu 2,97

blessures. La perception de la fréquence des blessures par les jeunes sportifs est liée à la

fréquence objective des blessures.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Es-tu souvent blessé(e) ? / Au cours des trois dernières années, combien de fois as-tu été blessé(e) /

Tableau : %. Khi2=35,7 ddl=5 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 1)

Khi2=37,5 ddl=4 p=0,001 (Très significatif)

0 1 2 3 4 et plus Total

Oui 1 3 5 9 25 43

Non 24 38 28 21 20 131

Total 25 41 33 30 45 174

Dans ce tableau croisant le nombre de blessures au cours des trois dernières années et le

sentiment d’être ou non « souvent blessé », on note en effet que les jeunes présentant le plus

grand nombre de blessures au cours des trois dernières années sont ceux qui se pensent eux-

mêmes le plus souvent blessés. Ceux qui ont le plus faible nombre de blessures se sentent le

moins fréquemment souvent blessés. Le lien entre nombre de blessures objectives et

sentiment subjectif d’être plus ou moins souvent blessé nous informe surtout sur le niveau

d’acceptation de la blessure au sein de cette population. C’est notamment au-delà de quatre

blessures au cours des trois dernières années que les individus tendent à davantage se sentir

souvent blessé. A l’opposé, les individus présentant jusqu’à deux blessures au cours des trois

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118

dernières années ne se sentent, en tendance, pas souvent blessés. Les blessures liées à

l’activité sportives ne constituent donc pas une gêne au-dessus de trois à quatre blessures au

cours des trois dernières années. En deçà de trois blessures sur cette période, les jeunes

tendent à se sentir blessés peu souvent. Au-delà de quatre, ils considèrent être souvent blessés.

Ces blessures font par ailleurs l’objet d’échanges entre le jeune athlète et les différentes

mondes sociaux dans lesquels il est inséré.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Auprès de qui trouves-tu des conseils pour gérer ces blessures ?

Effectifs %

Tes Parents 100 59,5%

Ton coach 95 56,5%

Un médecin du sport ou un médecin spécialisé

79 47,0%

Un médecin généraliste 44 26,2%

Un pharmacien 12 7,1%

Des amis 13 7,7%

Total / répondants 168

En interrogeant les jeunes sportifs sur les conseils qu’ils trouvent pour gérer leurs blessures,

on voit se dessiner les mondes sociaux dans lesquels se négocie la prise en charge des

blessures. Parmi les fournisseurs de conseils dans la gestion des blessures, les parents (59,5

%) et les entraîneurs (56,5 %) sont autant fréquemment cités. Les médecins du sport ou les

médecins spécialisés le sont légèrement moins (47 %) mais beaucoup plus que les médecins

généralistes (26,2 %) ou les pharmaciens (7,1 %) et les amis (7,7 %). Les différents

représentants des différents mondes sociaux mobilisées pour trouver des conseils dans la

gestion des blessures évoluent en fonction de l’ancienneté dans la pratique sportive comme le

met en évidence le tableau suivant :

Tableau croisé :

Auprès de qui trouves-tu des conseils pour gérer ces blessures / Classes sur Depuis combien d'années

pratiques-tu ce sport ?

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119

Tableau : % Colonnes. Khi2=18,4 ddl=15 p=0,244 (Val. théoriques < 5 = 8)

Moins de 4

de 4 à moins de

7

de 7 à moins de

10

10 et plus

Total

Tes Parents 34,8 29,2 28,3 27,5 29,2

Ton coach 21,7 23,6 30,2 31,4 27,7

Un médecin généraliste 21,7 20,2 7,5 7,8 12,8

Un médecin du sport ou un médecin spécialisé

13,0 19,1 27,4 26,5 23,0

Un pharmacien 6,5 3,4 3,8 2,0 3,5

Des amis 2,2 4,5 2,8 4,9 3,8

Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

En ramenant à 100 chaque niveau d’ancienneté dans la pratique, on repère comment évolue

l’importance des mondes sociaux auprès desquels les jeunes trouvent conseil dans la gestion

de leurs blessures sportives. On note alors que les conseils de la part des parents sont de

moins en moins fréquemment cités au fur et à mesure que l’ancienneté dans la pratique

augmente. La place du coach gagne en importance ainsi que celle du médecin du sport ou du

médecin spécialisé (bien qu’elle décline très légèrement au-delà de dix années d’ancienneté).

En ne prenant que les mondes les plus représentatifs, on obtient une évolution sur le

graphique suivant :

Les parents, principale source de conseils pour les jeunes sportifs lors de l’entrée au début de

la pratique sportive se retrouvent placés au second plan après l’entraîneur au-delà de sept

années de pratique sportive. La place de la médecine du sport est en progression jusqu’à dix

20R1. Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? / 218R1. Auprès de qui

trouves-tu des conseils pour gérer ces blessures

Tes parents (100) 

Ton coach (95) 

Un médecin généraliste

Un médecin du sport (7

Moins de 4 (42)  de 4 à moins de 7

(82) 

de 7 à moins de 10

(99) 

10 et plus (95) 

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120

années d’ancienneté pour se situer légèrement en-dessous des parents et de l’entraîneur. La

médecine générale est très faiblement citée.

5. Soigner ses blessures sans s’arrêter

Lorsque la blessure survient, l’arrêt de la pratique sportive reste majoritairement prescrit

(68,3%).

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Lors de ta dernière blessure, est-ce que tu as été obligé d’arrêter ton activité

Effectifs %

Oui 123 68,3%

Non 57 31,7%

Total 180 100,0%

Le médicament est, de prime abord, peu prescrit dans la gestion des blessures (24,6 %). Le

repos est privilégié dans 76,6 % des cas, la rééducation dans 40,9 % des cas, l’utilisation de

protections et de strapping dans 40,4 % des cas.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Quelle méthode as-tu mobilisé au cours de ta dernière blessure ?

Effectifs %

Le repos 131 76,6%

La rééducation 70 40,9%

L’utilisation de protections ou de strapping 69 40,4%

Un traitement médicamenteux 42 24,6%

Total / répondants 171

Très peu de jeunes athlètes ont déjà subi une intervention chirurgicale liée à une blessure

sportive :

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Est-ce que tu as subi une ou plusieurs interventions chirurgicales suite à une blessure sportive ?

Effectifs %

Oui 21 11,0%

Non 170 89,0%

Total 191 100,0%

Les blessures ne nécessitent donc rarement une prise en charge chirurgicale chez les jeunes

sportifs. Toutefois, si la chirurgie ou le médicament semblent être peu mobilisés, le repos et

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121

l’arrêt font partie des prescriptions mais ne sont pas nécessairement appliqués par les jeunes

athlètes. En effet, 70,1 % des jeunes ayant dû arrêter leur activité sportive se rendent au club

pendant leur arrêt. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils participent totalement aux

entraînements. Cependant, ils peuvent même blessés mobiliser ou « travailler » des parties

« valides » de leur corps.

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Est-ce que tu allais au club pendant ton arrêt ?

Effectifs %

Oui 94 70,1%

Non 40 29,9%

Total 134 70,2%

Ainsi on ne sera pas surpris que plus d’un athlète sur deux a déjà pratiqué son activité sportive

lorsqu’il était blessé ou qu’il portait un strapping (51,3 %).

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122

Chapitre 6

La consommation de médicaments anti-inflammatoires et antidouleur

Si les jeunes sportifs considèrent majoritairement leurs douleurs comme étant normales, la

majorité d’entre eux mobilisent la pharmacopée pour les gérer. C’est notamment par les

questions « Quand prends-tu le plus de médicaments contre ces douleurs » et « Ce mois-ci, tu

en as pris… » que l’on a mesuré le taux de consommation de médicaments des jeunes sportifs

pour lutter contre la douleur.

1. L’utilisation de médicaments

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Quand prends-tu le plus de médicaments contre ces douleurs

Effectifs % Cumul

En début de saison 26 13,5% 13,5%

En milieu de saison 27 14,1% 27,6%

En fin de saison 13 6,8% 34,4%

Tout le temps 21 10,9% 45,3%

Jamais 105 54,7% 100,0%

Total / réponses 192 100,0% 0,0%

Cette première question qui bénéficie d’un taux de non-réponse inférieur à la question plus

factuelle « Ce mois-ci, tu en as pris… » permet d’obtenir un taux non négligeable de jeunes

déclarant utiliser des médicaments pour lutter contre les douleurs sportives. En effet, 45,3 %

des jeunes sportifs disent consommer des médicaments contre ces douleurs. En recodant les

réponses en fonction de la déclaration de consommation de médicament contre les douleurs

liées à la pratique sportive, on obtient le tableau suivant :

Tableau du pourcentage de réponses à la question :

Quand prends-tu le plus de médicaments contre ces douleurs ?

Page 124: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la … · Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet,

123

Effectifs %

Non réponse 17

Oui 87 45,3%

Non 105 54,7%

Total / réponses 192 100,0%

Interrogés : 202 / Répondants : 185 / Réponses : 192

Pourcentages calculés sur la base des réponses

De façon générale, 45,3 % des jeunes sportifs de 11 à 18 ans déclarent consommer des

médicaments pour lutter contre les douleurs sportives.

Par ailleurs, la consommation de médicaments contre les douleurs sportives était saisie par la

question : « Ce mois-ci, tu en as pris » :

189. Ce mois-ci, tu en as pris :

Effectifs %

Une fois par semaine 7 9,6%

Deux fois par semaine 8 11,0%

Trois fois par semaine 7 9,6%

Une fois dans le mois 16 21,9%

Jamais 35 47,9%

Total 73 100,0%

Bien que cette question ait fait l’objet d’un nombre plus important de non-réponses car située

en aval d’une série de questions sur l’utilisation de médicaments contre les douleurs sportives,

52,1 % des répondants (% cumulé des modalités de réponses proposées) affirment avoir pris

des médicaments dans le but de diminuer leurs douleurs sportives au cours du mois précédent

l’enquête. Leur consommation se disperse comme suit :

189. Ce mois-ci, tu en as pris :

Effectifs % Cumul

Une fois par semaine 7 9,6% 9,6%

Deux fois par semaine 8 11,0% 20,5%

Trois fois par semaine 7 9,6% 30,1%

Une fois dans le mois 16 21,9% 52,1%

Jamais 35 47,9% 100,0%

Total 73 100,0% 0,0%

Nous proposons, pour continuer l’analyse, d’utiliser cette variable factuelle. En regroupant les

différentes modalités de réponses, on obtient le tableau suivant :

Page 125: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la … · Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet,

124

189. Ce mois-ci, tu en as pris :

Effectifs %

Oui 38 52,1%

Non 35 47,9%

Total 73 100,0%

En croisant cette nouvelle variable avec la variable sexe, on constate que, bien que la carrière

se présente de manière différente selon le sexe, la gestion de la douleur par le recours au

médicament (comme la perception de la douleur) n’est pas différente selon le sexe de

l’enquêté. Il n’y a donc pas de différence significative entre les garçons et les filles en ce qui

concerne la prise de médicament dans le but de pallier aux douleurs liées à la pratique

sportive.

La consommation de médicaments par les jeunes sportifs est cependant liée au fait d’être

engagé dans un sport collectif ou un sport individuel.

Tableau croisé :

Ce mois-ci, tu en as pris : / Sport individuel ou collectif

Tableau : %. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif)

Sport collectif

Sport individuel

Total

Oui 23,6 29,2 52,8

Non 20,8 26,4 47,2

Total 44,4 55,6 100,0

Tableau croisé :

Ce mois-ci, tu en as pris : / Sport individuel ou collectif

Tableau : % Colonnes. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif)

Sport collectif

Sport individuel

Total

Oui 53,1 52,5 52,8

Non 46,9 47,5 47,2

Total 100,0 100,0 100,0

En croisant le type de sport et la consommation de médicaments, on observe que la

consommation de médicaments est, en tendance, plus importante chez les jeunes athlètes

engagés dans un sport collectif que dans un sport individuel.

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125

Les médicaments consommés par les jeunes sportifs pour diminuer les douleurs liées à leur

activité sportive sont majoritairement des antalgiques et des anti-inflammatoires de niveau I.

Les différents types de substances utilisées par les jeunes sportifs sont les suivantes :

Tableau recodé des médicaments utilisés par les sportifs pour lutter contre les douleurs sportives

Effectifs %

Homéopathie 15 20,3%

Vitamines 3 4,1%

Complément alimentaire 4 5,4%

Antalgique niveau 1 53 71,6%

Anti inflammatoire non stéroïdien (AINS) 33 44,6%

Anti inflammatoire niveau II 2 2,7%

Antalgique adjuvant 3 4,1%

Anesthésique local niveau III 1 1,4%

Antalgique pallier III 1 1,4%

Antibiotique 1 1,4%

Total / répondants 74

Les médicaments visant à pallier aux douleurs liées à la pratique sportive que les jeunes

utilisent sont principalement des médicaments de niveau I, de l’homéopathie ou des

compléments alimentaires. On peut synthétiser le type de substances utilisées par niveaux

comme suit :

Tableau recodé des médicaments utilisés par les sportifs pour lutter contre les douleurs sportives

Effectifs %

Compléments (vitamines, compléments alimentaires et homéopathie)

22 19,0%

Niveau I (antalgiques et AINS) 86 74,1%

Niveau II (anti-inflammatoires stéroïdiens) 2 1,7%

Niveau III (antalgique, anesthésique) 2 1,7%

Adjuvants 3 2,6%

Antibiotique 1 0,9%

Total / réponses 116 100,0%

Interrogés : 202 / Répondants : 74 / Réponses : 116 Pourcentages calculés sur la base des réponses

Les médicaments antalgiques ou anti-inflammatoires de niveau I représentent 74,1 % des

médicaments cités par les jeunes sportifs. Les compléments alimentaires ou l’homéopathie

représentent 19 % des consommations. Bien qu’elles soient très marginales, on note

également la consommation d’anti-inflammatoires et d’antalgiques stéroïdiens de niveau II

(1,7 %) ainsi que 1,7 % d’antalgiques de niveau III ainsi que d’adjuvants (2,6%).

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126

L’utilisation de médicament n’est pas spécifique à une période dans la saison sportive, cette

consommation s’effectue le plus souvent après les entraînements ou les compétitions, lorsque

la douleur est perçue comme la plus significative.

Tableau des effectifs et % à la question : Et, plus précisément

Effectifs %

Avant les entraînements 7 6,5%

Après les entraînements 39 36,4%

Avant les compétitions 12 11,2%

Après les compétitions 36 33,6%

Tout le temps 13 12,1%

Total / réponses 107 100,0%

Les consommateurs de médicaments contre les douleurs sportives ne mobilisent ces

substances que rarement dans une visée préventive mais légèrement plus lorsqu’il s’agit de

prévenir ou d’empêcher la survenue de douleurs lors des compétitions (6,5 % avant les

entraînements ; 11,2 % avant les compétitions). La majeure partie des consommateurs de

médicaments déclarent les prendre après les entraînements (36,4 %) ou après les compétitions

(33,6 %). 12,1% des jeunes mobilisant ces médicaments déclarent consommer des

médicaments « tout le temps ». Reste qu’une partie d’entre eux choisit cette modalité de

réponse pour affirmer qu’ils prennent des médicaments quelle que soit la période sportive

(entraînement ou compétition).

203R6. recodage médicaments final / 184R1. Et, plus précisément

Tableau : % Lignes. Khi2=1,54 ddl=20 p=0,999 (Val. théoriques < 5 = 23)

[Avant les entraînements]

Et, plus précisément :

Oui

[Après les entraînements]

Et, plus précisément :

Oui

[Avant les compétitions]

Et, plus précisément :

Oui

[Après les compétitions]

Et, plus précisément :

Oui

[Tout le temps] Et, plus

précisément : Oui

Total

Compléments (vitamines, compléments alimentaires,

homéopathie) 6,9 41,4 6,9 34,5 10,3 100,0

Niveau I (antalgiques et AINS) 6,2 35,1 12,4 35,1 11,3 100,0

Niveau II (anti-inflammatoires stéroïdiens)

33,3 33,3 33,3 100,0

Niveau III (anesthésique et antalgique)

25,0 25,0 25,0 25,0 100,0

Adjuvants 75,0 25,0 100,0

Antibiotique 100,0 100,0

Total 6,5 37,0 10,9 34,1 11,6 100,0

La consommation d’antidouleur, visant le plus souvent à traiter la douleur et non à prévenir

son éventuelle survenue, va par ailleurs de pair avec la mobilisation de techniques ou de rituel

à visée préventive pour les sportifs.

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127

2. Les prescripteurs

La consommation de médicaments pour lutter contre les douleurs sportives des jeunes athlètes

sont à questionner. L’origine des conseils en matière d’utilisation de médicaments constitue

un enjeu central pour comprendre les mécanismes de régulation de l’usage des médicaments

au sein de cette population.

Tableau effectifs et % à la question :

Qui te conseille sur ces médicaments ?

Effectifs %

Tes Parents 65 47,8%

Ton coach ou ton entraîneur du club 21 15,4%

Un coach ou entraîneur extérieur au club

3 2,2%

Un médecin généraliste 17 12,5%

Un médecin du sport ou un médecin spécialisé

24 17,6%

Un pharmacien 5 3,7%

Des amis autres que ceux du club 1 0,7%

Total / réponses 136 100,0%

Les médicaments utilisés par les jeunes sportifs sont très majoritairement conseillés par les

parents (dans 47,8 % des cas). Ils peuvent toutefois être conseillés par les entraîneurs (dans

17,6 % des cas) ou par un médecin (30,1 % des cas) qu’il soit médecin du sport (17,6 % des

cas) ou médecin généraliste (12,5 % des cas), voire par un pharmacien (3,7 %). Les sphères

privilégiées par les jeunes sportifs concernant la mobilisation de médicaments évoluent selon

l’âge des athlètes.

Tableau croisé : Conseils médicaments / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)

Tableau : %. Khi2=8,28 ddl=8 p=0,407 (Val. théoriques < 5 = 11)

Collège Lycée Supérieur Total

Parents 30,6 31,3 0,7 62,7

Entraîneur (interne ou externe au club)

2,2 2,2

Médecin généraliste ou médecin du sport

7,5 23,1 30,6

Pharmacien 2,2 1,5 3,7

Amis 0,7 0,7

Total 40,3 59,0 0,7 100,0

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128

On constate en particulier que les conseils concernant les médicaments proviennent

principalement de la famille chez les plus jeunes. Au collège, les parents sont les principaux

promoteurs de l’utilisation du médicament contre les douleurs sportives. Plus tard, chez les

lycéens, les médecins (du sport ou généralistes) deviennent une nouvelle ressource dans la

prescription de médicaments antidouleur. Ces mondes de la médecine tendent à se substituer

au cercle parental au fil de l’avancée en âge des jeunes athlètes. Ce processus témoigne d’une

médicalisation de la douleur. Autrement dit, on passe d’un traitement profane ou familial de la

douleur à un traitement médical de la douleur. En amont de cette médicalisation, s’observe

une pharmacologisation de la douleur se traduisant par un usage du médicament chez les

jeunes qui n’est pas nécessairement lié à un diagnostic et à une prescription médicale.

Si on regarde plus précisément la manière dont les mondes sociaux (famille, entourage sportif

et médecins du sport) interviennent selon l’âge du sportif dans le conseil en matière de

médicaments, on peut repérer une transformation dans la négociation de la douleur.

Tableau croisé : Conseils médicaments / 10R1. Classes sur Tu as quel âge ?

Tableau : %. Khi2=20,4 ddl=15 p=0,158 (Val. théoriques < 5 = 14)

Moins de 13

de 13 à moins de

15

de 15 à moins de

17

17 et plus

Total

Tes Parents 11,8 13,2 14,0 8,8 47,8

Ton coach ou ton entraîneur du club

2,9 5,9 6,6 15,4

Un coach ou entraîneur extérieur au club

0,7 1,5 2,2

Un médecin généraliste ou un médecin du sport

2,9 2,2 15,4 9,6 30,1

Un pharmacien 0,7 1,5 0,7 0,7 3,7

Des amis autres que ceux du club 0,7 0,7

Total 15,4 20,6 38,2 25,7 100,0

La place des parents dans le conseil en matière de médicament est dépendante de l’âge du

jeune sportif. En effet, on constate un affaiblissement régulier de la place des conseils des

parents en matière de prise de médicaments suivant l’avancée en âge. Chez les moins de 13

ans, les parents sont les principaux référents en matière de médicaments contre les douleurs

sportives. Cette tendance s’affaiblit entre 13 et 15 ans pour, à partir de 15 ans, s’inverser.

Entre 15 et 17 ans, médecin généraliste et du sport occupent le devant de la scène du conseil

en matière de consommation de médicaments. Enfin, à partir de 17 ans, les jeunes sportifs

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129

accordent davantage de crédit à leur coach ou à leur entraîneur du club concernant leur prise

de médicaments.

3. La prise de médicaments diffère en fonction de l’âge et de l’ancienneté

La consommation de médicaments antidouleur est plus fréquente chez les plus jeunes que

parmi les athlètes plus âgés. Toutefois, cette affirmation doit être nuancée car la montée en

âge est aussi souvent liée à l’ancienneté et à l’apprentissage d’une règle tacite dans les

mondes du sport : la discrétion concernant l’utilisation de médicaments.

Tableau croisé :

Ce mois-ci, tu en as pris : (Recodage) / Classes sur Tu as quel âge ?

Tableau : %. Khi2=12,5 ddl=3 p=0,006 (Très significatif)

Moins de 13

de 13 à moins de

15

de 15 à moins de

17

17 et plus

Total

Oui 19,2 12,3 9,6 11,0 52,1

Non 4,1 12,3 24,7 6,8 47,9

Total 23,3 24,7 34,2 17,8 100,0

Dans ce tableau, on observe la manière dont la déclaration de la consommation de

médicaments évolue avec l’âge. Plutôt importante chez les moins de 13 ans (19,2 %), elle

baisse régulièrement pour atteindre 9,6 % chez les 15 à moins de 17 ans et augmente très

légèrement pour atteindre 11 % chez les plus de 17 ans.

Plusieurs hypothèses peuvent être émises face à cette énigme. La première, déjà évoquée,

consiste davantage en un changement dans la déclaration de la consommation que dans un

changement dans la consommation. La seconde consiste à envisager, à la faveur de la

transformation de l’origine des conseils en matière de gestion de la douleur par les

médicaments, une mutation plus générale dans la manière de gérer la douleur selon les âges et

selon l’ancienneté dans la pratique sportive.

La première hypothèse, souvent évoquée dans la littérature scientifique sur le dopage ou

l’utilisation de médicaments au sein de la population sportive est difficilement vérifiable. La

seconde hypothèse peut se tester à partir d’autres variables de notre questionnaire. Tout

Page 131: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la … · Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet,

130

d’abord, on peut observer que la consommation de médicaments est en tendance moins

importante chez les jeunes pratiquant la musculation que chez ceux qui ne la pratiquent pas.

Tableau croisé :

Ce mois-ci, tu en as pris : (Recodage) / 74R1. Est-ce que tu pratiques la musculation ? (Recodage)

Tableau : %. Khi2=3,18 ddl=1 p=0,071 (Assez significatif)

Non Oui Total

Oui 21,9 30,1 52,1

Non 9,6 38,4 47,9

Total 31,5 68,5 100,0

Cette consommation de médicaments plus importante chez ceux qui ne pratiquent pas la

musculation peut se comprendre au regard de la carrière du jeune sportif. En effet, au fil de sa

carrière, le jeune sportif fait l’apprentissage de la douleur et de sa gestion par une série de

pratiques de prévention des douleurs sportives.

Par ailleurs, le type de médicaments consommés évolue avec l’âge :

Tableau croisé :

Recodage médicaments / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)

Tableau : %. Khi2=2,58 ddl=10 p=0,989 (Val. théoriques < 5 = 14)

Collège Lycée Supérieur Total

Compléments (vitamines, compléments alimentaires et

homéopathie) 12,9 7,5 20,4

Niveau I (antalgiques et AINS) 36,6 33,3 1,1 71,0

Niveau II (anti-inflammatoires stéroïdiens)

2,2 2,2

Niveau III (antalgique, anesthésique)

2,2 2,2

Adjuvants 1,1 2,2 3,2

Antibiotique 1,1 1,1

Total 50,5 48,4 1,1 100,0

On observe que la consommation de médicaments de niveau I, de compléments alimentaires

et d’homéopathie est davantage représentée chez les plus jeunes (au collège). La

consommation de médicaments de niveaux II et III (bien qu’exceptionnelle) est, quant à elle,

presque exclusivement réservée aux lycéens.

Au-delà de l’âge, la consommation de médicaments contre les douleurs sportives évolue en

fonction de l’ancienneté dans la pratique sportive.

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131

Tableau croisé :

Ce mois-ci, tu en as pris : / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?

Tableau : %. Khi2=2,25 ddl=3 p=0,525 (Val. théoriques < 5 = 1)

Moins de 4 de 4 à moins de 7

de 7 à moins de 10

10 et plus

Total

Oui 8,2 11,0 21,9 11,0 52,1

Non 5,5 13,7 13,7 15,1 47,9

Total 13,7 24,7 35,6 26,0 100,0

La consommation de médicaments contre les douleurs sportives est, en tendance, plus

importante lorsque les jeunes débutent leur pratique sportive. Elle tend à diminuer entre

quatre et sept années d’ancienneté, à être la plus importante entre sept et dix ans de pratiques

sportives pour s’atténuer au-delà de dix années de pratiques professionnelle.

Le type de médicaments conseillés évolue lui aussi selon l’ancienneté dans la pratique

sportive.

20R1. Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? / 189R1. Ce mois-ci, tu en as

pris : (Recodage)

Oui (38) 

Non (35) 

Moins de 4 (10)  de 4 à moins de 7

(18) 

de 7 à moins de 10

(26) 

10 et plus (19) 

8,2%

5,5%

11,0%

13,7%

21,9%

13,7%

11,0%

15,1%

Page 133: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la … · Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet,

132

En tendance, la consommation d’AINS (antidouleur non stéroïdiens) est en augmentation tout

au long de la carrière du sportif et ne chute qu’au-delà de dix années de pratique. La

consommation de compléments alimentaires augmente en début de pratique puis reste

relativement stable à partir de quatre années de pratiques sportives. La consommation d’autres

types de médicaments reste plutôt stable et faible.

4. Des consommations différenciées selon le mode d’adressage

Si la prise de médicaments évolue en fonction de l’ancienneté dans la pratique, c’est

davantage l’adressage vers un traitement médicamenteux qui se transforme au fil de

l’ancienneté dans la pratique sportive.

20R1. Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? / 203R5. Recodage

médicaments (Recodage)

0,0

6,3

12,5

18,8

25,0

Compléments

Niveau I

Niveau II

Niveau III

Adjuvants

Antibiotique

Moins de 4 (14)  de 4 à moins de 7

(22) 

de 7 à moins de 10

(34) 

10 et plus (25) 

2,11%

10,53%

1,05%1,05%

6,32%

15,79%

1,05%

6,32%

26,32%

1,05%2,11%

6,32%

17,89%

1,05%1,05%

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133

Tableau croisé :

Conseils médicaments / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?

Tableau : %. Khi2=6,06 ddl=9 p=0,735 (Val. théoriques < 5 = 5)

Moins de 4

de 4 à moins de

7

de 7 à moins de

10

10 et plus

Total

Parents 7,7 13,8 16,2 12,3 50,0

Entraîneur 3,8 3,1 6,2 5,4 18,5

Médecin du sport 2,3 5,4 3,1 7,7 18,5

Médecin généraliste 3,1 2,3 5,4 2,3 13,1

Total 16,9 24,6 30,8 27,7 100,0

Globalement, les parents sont les premiers à donner des conseils concernant les médicaments

utilisés par les jeunes sportifs pour diminuer les douleurs liées à leur activité sportive (50 %),

suivis de l’entraîneur (18,5 %) ou du médecin du sport (18,5 %) puis du médecin généraliste

(13,1 %).

Selon l’ancienneté dans la pratique sportive, on observe deux principales mutations dans

l’émission des conseils en matière de médicaments mobilisés par les jeunes pour diminuer

leurs douleurs sportives. Une première intervient à partir de quatre années de pratique et

renforce la place de l’entraîneur dans le conseil en matière de médicaments. Entre quatre et

sept années d’ancienneté dans la pratique sportive, les jeunes sollicitent davantage

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134

l’entraîneur que les médecins (qu’il s’agisse de la médecine générale ou de la médecine du

sport) pour trouver des conseils en matière de médicaments contre les douleurs liées à

l’activité sportive. Entre 7 et 10 années de pratique sportive, la médecine du sport ainsi que la

médecine générale sont, après les parents, prioritairement mobilisés. Au-delà de dix années de

pratique, la médecine du sport tend à se substituer à la médecine générale pour devenir le

second fournisseur de conseils en matière de médicaments contre les douleurs sportives (après

les parents et avant l’entraîneur).

Selon la source du conseil en matière de médicament contre les douleurs sportives, les

produits utilisés peuvent se différencier.

Tableau croisé :

Recodage médicaments / Conseils médicaments

Tableau : %. Khi2=2,45 ddl=20 p=0,999 (Val. théoriques < 5 = 22)

Parents Entraîneur Médecin généraliste

Médecin du sport

Pharmacien Total

Compléments (vitamines, compléments alimentaires et

homéopathie) 11,7 3,4 2,8 4,8 22,8

Niveau I (antalgiques et AINS) 35,2 11,0 9,7 10,3 2,8 69,0

Niveau II (anti-inflammatoires stéroïdiens)

0,7 0,7 0,7 0,7 2,8

Niveau III (antalgique, anesthésique)

0,7 0,7 1,4

Adjuvants 1,4 0,7 0,7 2,8

Antibiotique 0,7 0,7 1,4

Total 49,7 15,2 15,2 17,2 2,8 100,0

Les compléments alimentaires et l’homéopathie sont majoritairement conseillés par les

parents. L’entraîneur conseille lui aussi, l’utilisation de compléments alimentaires. La

médecine du sport encourage parfois à l’utilisation de produits homéopathiques. Concernant

les antalgiques de niveau I ou les AINS, si les parents restent les premiers à conseiller ce type

de traitement, les seconds sont les entraîneurs ; viennent seulement ensuite les médecins du

sport et le médecin généraliste. Pour les médicaments de niveau II, parents et médecins sont

au centre de la négociation. De même, concernant la préparation des compétitions, les

conseils des différentes sphères sociales entourant le jeune sportif peuvent être multiples.

Tableau croisé :

Pour te préparer ou pendant les compétitions, du prends / Qui te le conseille ?

Page 136: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la … · Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet,

135

Tableau : % Colonnes. Khi2=13,9 ddl=36 p=0,999 (Val. théoriques < 5 = 40)

Tes Parents

Ton entraîneur

Un médecin

généraliste

Un médecin nutritionniste ou spécialisé

Un pharmacien

Amis Personne ne te le

conseille

Total

Des repas spécialement préparés (viande, poisson, pâtes...)

44,5 40,0 50,0 38,5 66,7 44,4 40,0 43,8

Des préparations à base de fruits 16,1 10,0 23,1 33,3 15,0 15,9

Des boissons énergétiques et énergisantes

10,9 15,0 15,4 11,1 30,0 13,0

Des vitamines 14,6 10,0 33,3 7,7 12,0

Des compléments alimentaires 4,4 20,0 15,4 11,1 10,0 7,2

Des antidouleurs 9,5 5,0 16,7 33,3 5,0 8,2

Tu ne prends rien

Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

On observe notamment que, pour se préparer ou pendant une compétition, les parents

conseillent majoritairement « des repas spécialement préparés », « des préparations à base de

fruits » ou « des vitamines ». Si les entraîneurs conseillent aussi la mobilisation de « repas

spécialement préparés », ils conseillent aussi de façon non négligeable l’utilisation de

« compléments alimentaires », voire de « boissons énergétiques et énergisantes ». Le médecin

généraliste conseille volontiers le « repas spécialement préparé » et les « vitamines », dans

une moindre mesure les « antidouleur ». Les amis conseillent quant à eux les « repas

spécialement préparés », les « préparations à base de fruits », les « boissons énergétiques et

énergisantes » et, dans une moindre mesure les « compléments alimentaires ». Par ailleurs, la

majeure partie des personnes consommant des « boissons énergétiques » disent ne se les être

fait conseiller par personne.

5. Synthèse

Les douleurs sportives font l’objet d’un apprentissage de méthodes ou de savoir-faire visant à

les gérer. Cette socialisation à la douleur se fait à la frontière entre différents mondes sociaux.

La famille est d’abord « activée ». Elle-même familière de la pratique sportive, elle oriente

plutôt vers une gestion profane de la douleur. Les médicaments antidouleur de type I ainsi que

les AINS sont d’abord fournis par les parents des jeunes sportifs. Dans un second temps, la

socialisation à la douleur du jeune sportif est principalement prise en charge par l’entraîneur.

La gestion profane de la douleur (celle promue par la famille) est affaiblie puis délaissée au

profit d’un travail sur la douleur à la frontière des mondes du sport et de la médecine.

L’entraîneur pourra se faire prescripteur de compléments alimentaires, de préparations

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136

vitaminées et sera surtout à l’origine de l’adressage vers une médecine spécialisée propre aux

mondes du sport. La consommation de médicaments antidouleur connaît alors une

progression ralentie et l’activation de nouvelles ressources est repérée. Médecins du sport,

kinésithérapeutes et ostéopathes constituent un nouvel espace d’apprentissage dans la gestion

(anticipation, prévention, réparation, rééducation, gestion) de la douleur. Dans un troisième

temps, la gestion de la douleur se prolonge entre sphère médicale et sphère familiale avec un

fléchissement de la consommation de médicaments antidouleur. On constate enfin dans cette

troisième phase une augmentation plus sensible du nombre de consultations de psychologie et

de psychiatrie.

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137

Chapitre 7

Entre la douleur et le dopage : existe-t-il un lien ?

Les jeunes rencontrés n’ont que très rarement fait l’objet d’un contrôle antidopage. Seuls

6,3% d’entre eux ont fait l’objet de test.

Tableau:

Est-ce que tu as déjà fait l’objet d’un contrôle antidopage ?

Effectifs %

Oui 12 6,3%

Non 179 93,7%

Total 191 100,0%

Tableau croisé :

Est-ce que tu as déjà fait l'objet d'un contrôle antidopage ? / Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?

Tableau : %. Khi2=2,53 ddl=3 p=0,472 (Val. théoriques < 5 = 4)

Moins de 4 de 4 à moins de 7 de 7 à moins de 10

10 et plus Total

Oui 1,1 2,8 2,8 6,7

Non 16,1 25,0 29,4 22,8 93,3

Total 16,1 26,1 32,2 25,6 100,0

Sont, en tendance, concernés par les tests antidopage les jeunes ayant une ancienneté

importante dans leur pratique sportive. Les jeunes pratiquant le sport depuis sept ans et plus

représentant la grande majorité des sportifs ayant fait l’objet d’un contrôle antidopage.

1. La liste des produits interdits : une double vigilance

La faible représentation des personnes ayant personnellement fait l’objet d’un contrôle

n’induit pas pour autant un manque de vigilance quant à la question du dopage, en particulier

en matière de consommation de médicaments. La majeure partie des enquêtés déclarent

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vérifier si les médicaments contre la douleur qu’ils utilisent sont autorisés dans le cadre de la

législation antidopage :

Tableau:

Quand tu prends des médicaments pour te soigner, vérifies-tu s’ils sont interdits ?

Effectifs % Cumul

Toujours 64 35,0% 35,0%

Souvent 25 13,7% 48,6%

Parfois 12 6,6% 55,2%

Jamais 82 44,8% 100,0%

Total 183 100,0% 0,0%

Ainsi, 55% des jeunes déclarent vérifier si les médicaments qu’ils utilisent sont interdits.

Reste 44,8% des athlètes de 11 à 18 ans qui disent ne jamais vérifier ces informations.

Tableau croisé :

Quand tu prends des médicaments pour te soigner, vérifies-tu s’ils sont interdits ? / Qui d'autre que toi vérifie

ces informations ?

Tableau : % - Base Répondants. Khi2=56,7 ddl=5 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 2)

Parents Entraîneur Médecin Pharmacien Autre personne du club

Personne Total

Oui 49,2 6,6 13,1 7,1 2,2 55,2

Non 18,0 2,7 8,7 0,5 0,5 19,1 44,8

Total 67,2 9,3 21,9 7,7 0,5 21,3

Parmi les jeunes qui ne vérifient pas eux-mêmes si les médicaments qu’ils prennent sont

interdits dans le cadre de la législation antidopage, 19,1 % déclarent que personne ne vérifie

ces informations pour eux. Seuls 18 % voient ces informations vérifiées par leurs parents et

8,7 % par leur médecin. Pour ceux qui vérifient eux-mêmes si les médicaments qu’ils utilisent

sont interdits, la vigilance du sportif est doublée de celle de ses parents qui vérifient, pour

49,2 % d’entre eux si ces médicaments sont autorisés. L’attention quant à la liste des

substances interdites dans le cadre de la lutte antidopage est majoritairement le fait des

sportifs eux-mêmes. Elle est toutefois doublée de la vigilance de l’environnement familial

pour ceux qui sont déjà attentifs à cette question.

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2. Une représentation du dopage fermement associée à la performance

Les représentations du dopage, malgré l’importance de la gestion de la douleur dans le

quotidien des jeunes sportifs apparaissent pour partie déconnectées de la question de la

douleur. A l’issue d’un questionnaire résolument tourné vers la liaison entre douleur et usage

de médicaments, seuls moins de la moitié des jeunes (48,4 %) déclarent « comprendre que des

sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ».

Tableau croisé :

Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ?

Effectifs %

Oui 89 48,4%

Non 95 51,6%

Total 184 100,0%

A cette question dont les jeunes pouvaient percevoir l’attente d’une réponse positive qui serait

légitime du fait de la thématique générale du questionnaire, près de 30 % des répondants

choisissent pourtant la modalité la plus franchement opposée à l’idée d’un lien entre douleur

et dopage.

Tableau:

Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ?

Effectifs %

Oui, tout à fait 24 13,0%

Plutôt oui 65 35,3%

Plutôt non 41 22,3%

Non pas du tout 54 29,3%

Total 184 100,0%

De manière générale les jeunes sportifs ne comprennent pas que l’on puisse en venir à se

« doper » pour diminuer la douleur. Au contraire, l’incompréhension du dopage comme fruit

d’une recherche de diminution de la douleur est la règle au sein de cette population. On

constate même que les sportifs qui s’entraînement le plus souvent sont paradoxalement ceux

qui récusent le plus l’idée de dopage comme étant lié à la gestion de la douleur :

Tableau croisé :

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140

Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ? /Classes sur

Combien d’heures t’entraînes-tu par semaine ? (nbre h. / sem.)

Tableau : %. Khi2=6,48 ddl=1 p=0,011 (Très significatif)

Moins de 10

heures

10 heures et

plus

Total

Oui 31,2 17,3 48,6

Non 22,5 28,9 51,4

Total 53,8 46,2 100,0

Ainsi plus les jeunes sportifs s’entraînement de manière intensive et moins le dopage est

catégorisé comme lié à la douleur. Au contraire ceux qui s’entraînement moins de 10 heures

par semaine déclarent plus facilement comprendre que des sportifs de haut niveau en viennent

à se doper pour diminuer la douleur.

Une règle de condamnation du dopage tend à s’imposer au fil du temps et de l’intensification

de la pratique sportive. En effet, les jeunes pratiquant leur activité sportive depuis moins de

sept ans déclarent plus aisément comprendre que des sportifs de haut-niveau en viennent à se

doper pour diminuer la douleur. Au fil de l’ancienneté dans la pratique sportive, cette posture

s’efface au profit d’une déconnexion du dopage et de son possible lien avec la gestion de la

douleur.

Tableau croisé :

Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ? / Classes sur

Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?

Tableau : %. Khi2=8,91 ddl=3 p=0,03 (Significatif)

Moins de 4

de 4 à moins de

7

de 7 à moins de

10

10 et plus

Total

Oui 6,9 17,3 15,0 9,2 48,6

Non 8,7 8,7 17,9 16,2 51,4

Total 15,6 26,0 32,9 25,4 100,0

La faible considération de la possibilité d’en venir à se doper pour diminuer la douleur est

pour partie liée à la reconceptualisation de l’expérience de la douleur, progressivement

intériorisée et par sa « normalisation » :

Tableau croisé :

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141

Pour toi, ces douleurs étaient : / Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour

diminuer la douleur ?

Tableau : %. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif)

Oui Non Total

Normales 35,1 36,8 71,9

Anormales 14,0 14,0 28,1

Total 49,1 50,9 100,0

Les sportifs considérant leurs douleurs sportives comme « anormales » sont légèrement moins

nombreux (1,7 points d’écart) que ceux qui considèrent leurs douleurs comme « normales » à

déclarer comprendre que des sportifs de haut-niveau en viennent à se doper pour diminuer la

douleur. La normalisation de la douleur, qui progresse de manière concomitante avec

l’ancienneté dans la pratique sportive tend à créer les conditions d’un rejet du dopage qui

serait lié directement ou indirectement à la douleur. Cette norme de condamnation du dopage

s’accompagne d’une représentation du dopage entendu comme quête effrénée de la

performance, qui, quant à elle, est partagée par l’ensemble des sportifs quelle que soit leur

ancienneté dans la pratique sportive.

Tableau:

A ton avis, qu'est-ce qui pousse au dopage ?

Effectifs %

La performance 151 80,7%

L'argent 77 41,2%

La douleur 76 40,6%

Total / répondants 187

Interrogés : 202 / Répondants : 187 / Réponses : 304 Pourcentages calculés sur la base des répondants

Le dopage est, pour les jeunes athlètes, prioritairement liée à la recherche de la performance

(80,7%). L’argent (41,2%) et la douleur (40,6%) sont selon eux des causes secondaires du

dopage des sportifs de haut niveau.

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4. Synthèse

La représentation du dopage chez les jeunes sportifs est pour partie déconnectée de pratiques

témoignant d’une gestion pharmacologisée et médicalisée des douleurs sportives. Il est

pourtant difficile de dresser une frontière étanche entre des pratiques thérapeutiques de

gestion de la douleur et des pratiques de dopage. Cette frontière fait l’objet d’un apprentissage

au fil de l’ancienneté des sportifs. Le rejet des pratiques de dopage croît en fonction de

l’élévation dans la hiérarchie des niveaux des jeunes sportifs. Par ailleurs, l’association

commune du dopage à une quête de performance nuit à une interprétation des traitements

médicamenteux sous le prisme des pratiques dopantes.

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143

Conclusion

L’étude quantitative a permis d’objectiver un certain nombre de constats effectués au cours de

l’enquête qualitative. Elle illustre, à son tour, de quelle manière les carrières des jeunes

sportifs évoluent et reconfigurent les pratiques et les réseaux de soins mis en œuvre pour lutter

contre les douleurs sportives. Initialement prise en charge par les parents, la douleur fait

l’objet d’une gestion profane avant que les entraîneurs et médecins du sport prennent la main

et s’imposent comme des interlocuteurs privilégiés des jeunes sportifs. Enfin, les données

recueillies montrent que lorsque les sportifs atteignent et se maintiennent au plus haut niveau

ceux-ci déclarent être suivis par d’autres praticiens médicaux comme les ostéopathes ou les

kinésithérapeutes. Dans ce contexte, la consommation d’antalgiques dont les AINS reste

difficile à mesurer même si nous avons pu en saisir la tendance et en décrire les modes

d’approvisionnement. A partir de là deux remarques peuvent être formulées.

En premier lieu, force est de constater que la déclaration de consommation de médicaments

contre les douleurs sportives est plus fréquente chez les plus jeunes (moins de 13 ans) que

parmi les athlètes plus âgés (de 15 à 17 ans). On peut faire l’hypothèse qu’elle baisse en

fonction de la mutation de prise en charge médicale plus orientée vers la manipulation du

corps (ostéopathes, kinésithérapeutes). Celle-ci pourrait être interprétée comme une

alternative à la prise de médicaments42

. Or, nous l’avons vu (partie 1), les kinésithérapeutes

sont particulièrement sollicités par les sportifs et ils peuvent « conseiller » la prise de

médicament. Cette hypothèse (la normalisation ou l’appropriation de la douleur dès le plus

jeune âge entraînant un processus de dé-médicamentation) doit être nuancée car la montée en

âge est aussi souvent liée à l’ancienneté et à l’apprentissage d’une règle tacite dans les

mondes du sport : la discrétion concernant l’utilisation de médicaments généralement liée au

dopage. De plus, on observe que la consommation de médicaments de niveau I, de

compléments alimentaires et d’homéopathie est davantage représentée chez les plus jeunes

(au collège). Cette baisse sensible de la consommation des AINS à l’adolescence (lycée) est à

42 Notons cependant que nous n’avons pas inclues les professions des kinésithérapeutes dans les catégories

susceptibles de conseiller la prise de médicaments.

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144

mettre en question dans un contexte où les charges d’entraînements, l’intensification de

l’effort et le processus de sélection débute majoritairement à partir du lycée (sport-étude) et

que, par ailleurs, de nombreuses études ont mis en évidence la consommation d’antalgiques

dont les AINS chez les adultes sportifs de haut niveau (Lippi et al. 2006 ; Tscholl et al.,

2009).

En second lieu, un des objectifs de notre enquête quantitative était d’identifier et

d’authentifier des consommations dont plusieurs études et médias indiquent la présence au

sein des groupes sportifs professionnels. La consommation des médicaments, crèmes et gels

anti-inflammatoires non stéroïdiens qu’ils ont déclaré prendre (Nifluril®, Voltarène®,

Dafalgan®, flectorgel®, Antadys® etc.) et, à bien moindre degré, les médicaments

antalgiques de niveau II et III (Codoliprane®, Morphine) et les traitements adjuvants

antalgiques (Osmogel®, Lumirelax®, Spasfon®, Solupred®,etc.), constituent une part non

négligeable de la pharmacopée des enfants et adolescents qui pratiquent de manière intensive

un sport. Même s’ils consomment ces médicaments à des fins thérapeutiques, pour soigner ou

soulager des douleurs parfois intenables, la question de leur régulation devient centrale sur le

plan de la santé publique. Parmi les adolescents confrontés à des douleurs dont ils peinent à se

débarrasser, soucieux d’obtenir des résultats ou de rester dans la course, la réutilisation au-

delà de la prescription et hors prescription de ces médicaments de paliers I- II ou III a déjà été

observée (Feucht, Patel 2010 ; Selanne 2014, Veliz, 2014). Se focaliser sur ces médicaments

légaux, non interdits par l’AMA permet d’élargir le large spectre des produits consommés par

les enfants et des adolescents sportifs (des antidouleur aux médicaments homéopathiques,

boissons énergisantes, compléments alimentaires « boissons de récupération » ou « aliments

de réparation » etc.). Ceux-ci sont bien souvent situés à la marge de consommations jugées

interdites et peu étudiés de manière autonome, comme un objet de recherche à part entière.

Inclure dans les études épidémiologiques et sociologiques, ainsi que dans les questionnaires

régulièrement administrés dans les différents services de médecine du sport, des items

concernant ces médicaments donnerait une idée plus large des « régimes dopants » des jeunes

sportifs. Enfin, bien qu’ils soient très peu contrôlés (seuls 6,3% ont fait l’objet d’un contrôle

anti-dopage essentiellement ceux qui pratiquent le sport depuis plus de dix ans) les

adolescents construisent une frontière entre les médicaments pris à des fins thérapeutiques

(pour soulager une douleur) et ceux qui pourraient renvoyer au dopage (« interdits » parce

qu’ils améliorent la performance). Les adolescents sont particulièrement vigilants quant à

l’usage de ces médicaments eu égard au dopage (49,2% d’entre eux vérifient avec leurs

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parents si les médicaments pris contre les douleurs sont sur la liste des produits interdits). Ils

le sont peut-être moins par rapport aux effets délétères qu’une (poly)consommation régulière

ou de longue durée de ces médicaments depuis l’enfance risque d’occasionner pour leur santé.

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Conclusion générale / reccommandations

Cette recherche a choisi de prendre le contre-pied des représentations classiques en matière de

recherche des connaissances et des causes des comportements de dopage. Il est ici présupposé

que, dès le plus jeune âge, l’expérience chronique de la douleur dans les mondes du sport

engage les enfants et les adolescents sportifs à avoir recours à des pratiques pharmacologiques

différenciées de celles des non-sportifs. Ces pratiques ne recouvrent que partiellement celles

contre lesquelles lutte la « communauté antidopage ». Cette « pharmacologie légale » utilisée

à des fins thérapeutiques par les sportifs a tendance a être occultée par l’attention portée aux

pratiques dopantes interdites et souvent médiatisées (stéroïdes, transfusion sanguine, dopage

génétique etc.). Or, nous l’avons vu, les médicaments antalgiques, bien que consommés de

manière latente par les sportifs, voient leur consommation se développer au fil de la carrière

du sportif. Cette utilisation est liée aux fondements normatifs de la carrière sportive, ceux là

même conduisant les jeunes athlètes à refuser le repos médicalement prescrit suite à une

blessure et qui risquerait de menacer son idéal de performance.

La douleur dans les mondes du sport fait l’objet de pratiques de soins variées – du

médicament antalgique (de différents paliers) aux méthodes du mental training – qui sont

dissimulées et restent des pratiques informelles. C’est un marché à l’intérieur duquel

différents acteurs (parents, entraîneurs, etc.), groupes professionnels, organisations, sociétés

privées, « entrepreneurs de l’équilibre personnel » (Ehrenberg, 2006), praticiens médicaux et

paramédicaux se font concurrence pour offrir aux sportifs des solutions à leur problème de

douleur récurrent et pour répondre à leur demande. Marché « parallèle », certes, mais qui a

tendance à s’entrecroiser avec celui des produits dopants – protéines, compléments

alimentaires, stéroïdes etc. – et avec celui des drogues dans lequel les médicaments

antalgiques et les opiacés circulent. Les traitements antalgiques adjuvants sont aussi présents

(antispasmodiques, myorelaxants, anti-convulsivants etc.). Plusieurs consommations

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coexistent et débordent, soit sur le thérapeutique (quand le complément alimentaire est pris

par le jeune sportif pour ne plus avoir de douleur), soit sur la performance (quand le

médicament analgésique permet au sportif d’assurer la performance, même blessé ; ou qu’il

lui permet de ne pas aggraver son cas). Cette porosité des mondes est à surveiller et devrait

faire l’objet d’une régulation par les pouvoirs publics. Les médicaments antalgiques

consommés sont, en effet, à appréhender à partir du point de vue des logiques, des

significations et des relations qui s’établissent entre ces mondes (Lovell, Aubisson, 2008).

Sur le plan scientifique, nos reccomandations sont de trois ordres :

1) Renforcer les études épidémiologiques et sociologiques sur les consommations d

médicaments antalgiques :

Cette enquête exploratoire nécessiterait d’être prolongée par des enquêtes épidémiologiques

ou sociologiques de plus grandes envergures afin de confirmer ou infirmer les tendances

repérées dans la présente étude auprès d’une population et d’un terrain restreints. Ces

consommations restent encore sous-estimées et contrairement à d’autres études sur les

stéroïdes anabolisants, par exemple, elles sont trop peu nombreuses. A ce titre, l’AMA

pourrait encourager ses partenaires (fédérations sportives, ministère de la santé et des sports,

agence nationale de lutte contre le dopage, société de médecine du sport, etc.) à se mobiliser

pour intégrer dans les études épidémiologiques ou questionnaires réalisées à l’intérieur des

services de médecine du sport des hôpitaux publics, des cliniques privées liées au sport de

haut niveau, des centres de rééducation, des indicateurs relatifs à la consommation de

médicaments antidouleur (de paliers I, II et III) consommés à titre d’analgésiques ou

d’antalgiques. Des enquêtes ethnographiques sur les itinéraires de soins des sportifs

professionnels dans les circuits des centres de médecine du sport privés (kinésithérapie, centre

de rééducation, cliniques médicales privées) seraient par ailleurs à mener.

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2) Renforcer la connaissance sur le dopage mental et sur l’addiction au sport :

Nous avons mentionné la consommation de médicaments antalgiques parmi les sportifs pour

lutter contre les douleurs mais nous avons aussi fait mention de la manière dont le « mental »

était investi pour surmonter les douleurs. Nous avons ainsi mis en évidence comment de

nombreux programmes de mental training (basés sur la neurobiologie ou des méthodes

cognitivo-comportementales) se développaient actuellement. S’ouvre ainsi une extension du

domaine de la lutte antidopage. A la consommation de médicaments doivent s’ajouter les

méthodes et les procédés utilisés par les parents, les coachs et les sportifs, pour transcender les

douleurs, et améliorer leurs performances physiques, sportives et cognitives (atteindre la «

zone »). Certains programmes se présentent comme des alternatives « saines et naturelles » au

dopage (lequel est lié dans la représentation des sportifs à la prise de médicaments ou de

substances interdites mais pas aux procédés ou aux méthodes). Des études devraient être

envisagées sur ce secteur d’activité ne serait-ce que pour identifier les dérives potentielles.

Très tôt les jeunes sportifs apprennent à dépasser la douleur par la force du mental. C’est le «

mental » qu’il faut mobiliser et sur lequel il faut agir pour dépasser ses limites tout au long de

sa carrière. Le « cerveau » apparaît alors comme l’organe de contrôle du corps, le lieu de

l’action, celui de la « toute puissance ». C’est en ayant une action méthodique sur le cerveau

et sur ses mécanismes qu’il est alors possible de modifier ses états de conscience, de contrôler

ses émotions, d’améliorer sa concentration, de modifier sa performance ou sa perception de la

douleur. C’est la possibilité d’être « autre » par la seule force du mental. Cependant, nous

pensons que ce phénomène peut s’accompagner d’une augmentation de l’utilisation de

substances psycho-pharmacologiques qui risquent d’être consommées par les sportifs dans le

but de produire et de contrôler les opiacés produits de manière « endogènes » par le cerveau

au cours de l’activité sportive (dopamine, endorphine, etc.). Nous pouvons avancer que

l’AMA risque, à l’avenir, de voir se renouveler un débat qui s’était constitué il y a quelques

années autour des hormones (entre l’EPO endogène/exogène) mais, cette fois-ci, au niveau

des opiacés. La question du dopage mental nous semble être, à ce titre, une piste de recherche

à explorer. Avec le développement des neurosciences et de l’addictologie, le sport est de plus

en plus apparenté à une addiction. Emmerge alors la figure du sportif addict appelant une

prise en charge psychopharmacologique paradoxalement composée de médicaments

morphiniques, de méthadone etc..

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3) Renforcer les partenariats avec des observatoires français et européens des drogues et

des toxicomanies :

De manière générale, les mondes du sport restent hermétiques aux études épidémiologiques

ou aux enquêtes quantitatives ou qualitatives relatives aux consommations de substances

psychoactives des jeunes sportifs. Nous invitons l’AMA a développer un partenariat avec des

organismes de recherche comme l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies

(OFDT) ou l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT) à l’échelle

européenne afin d’élargir ses connaissances vis-à-vis de ce type de consommations de

médicaments antalgiques (de niveau I, II et III et des traitements adjuvants). L’OFDT

(France) et l’OEDT représentent des groupements d’intérêt public qui ont pour objet

d’éclairer les pouvoirs publics, les professionnels et le grand public sur les questions relatives

aux drogues et aux addictions. Ils fournissent des dispositifs permanents d’observation et

d’enquêtes, des informations provenant de sources différentes et scientifiquement validées sur

les substances licites comme illicites. Certains espaces de consommation sont depuis

longtemps observés (festif, urbains, scolaires). Nous pensons que l’espace sportif pourrait y

être intégré.

Sur le plan de la prévention, nos préconisations sont de trois ordres :

1) Informer les jeunes sportifs sur les médicaments antalgiques – y compris les AINS - :

Un travail de prévention des risques sanitaires liés à la consommation de médicaments

antalgiques est à réaliser auprès de la population des jeunes sportifs. Peu d’entre eux

connaissent les médicaments qui leur sont prescrits ou administrés pour soulager leurs

douleurs. Leur apprendre à identifier ce type de médicaments antalgiques autorisés et justifiés

sur le plan thérapeutique permettrait de mieux les préparer à interroger les autres produits qui

pourraient, à l’avenir, leur être proposés. Si on prend au sérieux le fait que la douleur est

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omniprésente et qu’elle peut trouver une solution médicamenteuse, la connaissance de ces

médicaments, de leurs dangers potentiels sur la santé, s’avère indispensable, en particulier

dans un contexte où l’automédication est courante (dans la sphère familiale) et où la réduction

des risques semble être le cadre de référence adopté par un grand nombre de praticiens

médicaux encadrant les jeunes sportifs. De plus, il conviendrait d’avoir une vigilance sur le

fait que les opiacés prescrits (faibles ou forts : niveaux II ou III), peuvent être réutilisés hors

prescription et en dehors de tout contrôle médical en cas de résurgence de douleurs

chroniques ou identifiées comme identifiques. Certains sportifs finissent, nous l’avons vu, par

se constituer un stock de médicaments et par développer une « expertise profane » concernant

les usages de ces médicaments. Une remarque liée à la réutilisation de ce type de

médicaments antalgiques (et pas seulement la morphine) pourrait être intégrée dans des

brochures de l’AMA telles que : « Les dangers du dopage parlons-en », destinées aux

adolescents de 14 à 18 ans (à ce titre nous pensons qu’il faudrait abaisser à 12 ans l’âge de

diffusion de cette brochure qui est une des rares à évoquer la douleur). Par ailleurs, l’AMA

pourrait intégrer assez facilement sur son site (Q&R, Réseaux sociaux, etc.) des informations

médicales de base relatives aux médicaments antalgiques et à leurs effets secondaires. Le fait

que ces médicaments ne soient pas interdits ne signifie pas qu’ils soient sans effets sur la

santé. Ces informations doivent être diffusées aussi bien aux parents qu’aux adolescents.

Enfin, nous avons mentionné qu’une grande partie des adolescents vérifient par eux-même la

présence des médicaments antalgiques sur la liste des produits interdits. Nous avons montré

que cette vigilance était doublée de celle des parents. Inversement, il est remarquable de noter

que les adolescents ne vérifiant pas ces informations sont issus de famille peut sensibilisées à

ces questions. Il y aurait ici matière à réflexion pour la constitution d’un outil de

sensibilisation destiné aussi bien aux parents qu’aux enfants sportifs.

2) Un outil de sensibilisation :

La consommation de médicaments antalgiques est à mettre en lien avec la signification que le

jeune sportif attribue à sa douleur ou à celle que d’autres acteurs (parents, entraîneur, etc.) lui

attribuent. Nous proposons à l’AMA la création d’un support visuel qui pourrait être utilisé à

des fins d’éducation et de sensibilisation. Ce support – format 14.5 x 10 cm – (cf. Annexe «

carte de la douleur ») représente un schéma corporel (face/dos ; garçon/fille). Dans la mesure

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151

où les jeunes sportifs développent une aptitude à la désignation de parties douloureuses de

leur corps, ce support numérisé et diffusé à l’aide d’une tablette tactile pourrait permettre aux

jeunes sportifs, avec l’aide d’un crayon tactile de pointer les zones du corps où ils ressentent

une ou plusieurs douleur(s) persistante/chronique (avant, pendant et après la compétition par

exemple). Ce support pourrait être complété par d’autres informations supplémentaires. Nous

y avons par exemple associé une échelle de la douleur : il pourrait permettre de signifier à

l’adolescent – ou à son entourage - un seuil d’alerte indiquant la nécessité de prendre soin de

lui-même ou de respecter son corps avec des messages de prévention concernant les

médicaments antalgiques de différents paliers ou les risques liés à l’usage des compléments

alimentaires (« aliment de réparation », « de rééducation », protéines, etc.). Ce schéma

corporel pourrait être l’occasion de représenter autrement la réalité du problème. Il pourrait,

par la suite, faire l’objet d’une exploitation numérique et statistique (en croisant les points

douloureux identifiés avec les variables type âge, sport, genre, etc.). L’enjeu de ce support

reste principalement la mise en évidence de la place prépondérante qu’occupe la douleur dans

la pratique sportive ainsi que la faible place de sa mise en mot au sein des mondes du sport.

3) Les masseurs-kinésithérapeutes : acteurs de la prévention du dopage ? :

La prescription des médicaments antalgiques a été décrite. Elle évolue au fil des années et de

l’ancienneté dans la pratique sportive. Alors que les parents tentent de gérer de manière

profane les douleurs des jeunes sportifs, lorsque les douleurs persistent et que la pharmacopée

familiale ne suffisent plus à soulager, les entraîneurs et les praticiens médicaux médicalisent

la douleur du sportif sans pour autant remettre en cause la pratique intensive du sport. Les

médecins de famille ou généralistes sont écartés de la prise en charge médicale, accusés d’«

arrêter » trop souvent les sportifs et de ne pas prendre en considération leurs attentes sociales.

La transgression de la norme commune de santé est clairement partagée par un grand nombre

de praticiens médicaux qui interviennent dans les itinéraires des jeunes sportifs. Parmi ces

acteurs, nous avons indiqué que les kinésithérapeutes participent à la redéfinition des

programmes d’entraînement et personnalisent les itinéraires de soins. Ils sont particulièrement

plébiscités par les jeunes sportifs. L’espace de détente et de parole qu’ils offrent aux

adolescents sportifs est décisif. Pour nombre d’entre eux, les « kinés » et « ostéos » possèdent

une aura dont ne bénéficient pas les médecins du sport rattachés au club ou à leur structure

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152

fédérale. A ce titre, ils pourraient être mobilisés comme des acteurs de prévention de première

ligne en matière de dopage et concernant les consommations de médicaments antalgiques.

Ceci, à condition qu’ils respectent les normes et l’éthique médicale en vigueur, qu’ils ne

prescrivent ou ne conseillent pas les médicaments en question ou qu’ils ne pratiquent pas

d’injections (glucocorticoïdes, PRP etc.). Il y aurait à ce propos, un rappel à la loi à faire de la

part des autorités sanitaires (Minsitère de la santé, de la ville de la jeunesse et des sports, les

ONAD) auprès de ces groupes professionnels ou des clubs et structures fédératives qui les

emploient. L’AMA pourrait veiller à ce que dans la formation de ces professionnels du soin

soit renforcée en matière de connaissances du dopage et de lutte antidopage.

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Table des matières

Avant -propos .......................................................................................................................................... 1

Partie I : ................................................................................................................................................. 10

L’apprentissage de la douleur dans la carrière des jeunes sportifs de haut niveau : à propos des

médicaments, méthodes et techniques antidouleur dans les mondes du sport. ..................................... 10

Etude qualitative .................................................................................................................................... 10

Introduction ................................................................................................................................... 11

Chapitre 1 ...................................................................................................................................... 20

L’expérience de la douleur dans les mondes du sport ................................................................... 20

Chapitre 2 ...................................................................................................................................... 25

L’apprentissage de la douleur : taire et « faire avec » la douleur .................................................. 25

Chapitre 3 ...................................................................................................................................... 34

« Vivre avec et en dépit » de la douleur : le corps et ses manipulations ....................................... 34

Chapitre 4 ...................................................................................................................................... 60

Surinvestir le « mental » pour transfigurer les maux du sport ....................................................... 60

Conclusion ..................................................................................................................................... 66

Partie II .................................................................................................................................................. 68

Le sport intensif à l’adolescence : perceptions et évolution de la prise en charge de la douleur. ......... 68

Etude quantitative .................................................................................................................................. 68

Introduction ................................................................................................................................... 69

Chapitre 1 ...................................................................................................................................... 75

La population des jeunes sportifs .................................................................................................. 75

Chapitre 2 ...................................................................................................................................... 89

Des différences observables entre garçons et filles ....................................................................... 89

Chapitre 3 ...................................................................................................................................... 95

Le sport : une affaire de famille .................................................................................................... 95

Chapitre 4 .................................................................................................................................... 103

Le suivi « médical » des jeunes sportifs ...................................................................................... 103

Chapitre 5 .................................................................................................................................... 111

Douleurs et blessures sportives : perceptions et prises en charge plurielles ................................ 111

Chapitre 6 .................................................................................................................................... 122

La consommation de médicaments anti-inflammatoires et antidouleur ...................................... 122

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Chapitre 7 .................................................................................................................................... 137

Entre la douleur et le dopage : existe-t-il un lien ? ...................................................................... 137

Conclusion ................................................................................................................................... 143

Conclusion générale / reccommandations ........................................................................................... 146

Références ........................................................................................................................................... 153