souvenirs d'un enfant de paris, Émile bergerat

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A

000 664 959

il Si

f

'V

f'i?

I

/g

SOUVENIRS

ENFANT DE PARIS

UVRES

D'EMILE BERGERAT

POSIE Pomes dela

Guerre de 1870-71 [Les Cuirassiers de Heichshof-

fen: Le Matre d'cole, elC;.

La Lyre comique. La Lyre brise. Ballades et Sonnets (Eug. Kasqueile, diteur).

THTREThtre complet 6 volumes Une Amie, Pre et Mari. Ange Bosani, Spars de I. corps, Le iWoni. Herminie, Flore de Frileuse, Enguerrande. II. lil. La A'uil Berganiasqiie, Myrane, Le Premier Baiser^ Le Capitaine Fracasse. l\'. Manon Roland, Plus que Reine. V. La Pompadour, Le Capitaine Blomet. La Fontaine de Jouvence, Petite Mre. Le Combat de VI.

;

:

Cerfs.

Enguerrande, La Nuit Bergamasque. Le Thtre en vers Capitaine Fracasse Eus;. Fasquelle, diteur). Le Capitaine Fracasse, comdie hroque en 5 actes et uu prologue, en vers (Eug. Fasquelle, diteur).:

ROMANS ET CONTESLe Faublas malgr lui Le Petit Moreau. Le Viol. Le Chque, ou liane. La Vierge. Le Cruel Vatenguerre (Premire partie). Bb et C '. contfs. Contes de Caliban (Eug. Fasquelle, diteur).

DIVERS

CRITIQUE

-

VOYAGES

Thophile Gautier, Entretiens. Prface d'EoMO.ND de GOiNCOurt (Eiii:. FasquiMlo, diteur).Paul Baudry l'Opra. La Chasse au mouflon. L Amour en Rpublique. Vie et Aventures de Caliban. Mes Moulins. Le Livre de Caliban. Prface d'LEXANDRE Dimas. Figarismes de Caliban. Le Rire de Caliban. Prface d'LPiio.NSE Daidet (Eug. Fasquelle, dilcm-)..

Chroniques de l'Homme masqu. Prface de Jules Valls. Les Soires de Calibangrve.

EMILE BERGERAT

SOUVENIRSD UN

ENFANT DE PARISLES ANNES DE BOHME

TROISIEME MILLE

PARIS BIBLIOTHQUE-CHARPENTIEREUGNE FASQUELLE. DITEUR

11,

RUE DE GRENELLE,1911Tousdroits rservs

11

IL

A T TIBR DE CET OUVRAGE

:

iO exemplaires numcrols sur papier de Hollande5 exemplaires numrots sur papier du Japon

AUX LECTEURS

L'automne venu,

le

philosophe ramasse

les

feuilles mortes de son Jardin.

Sous

lesil

dents du rteau bruissant quil tire les

reculons,

amoncelle par petits tas mordorsalles familires dont elles ont t

aux coins desla

parure.

Aula

souffle

du

vent, perfide complice,et

quelques-unes se rvoltent encore

tentent de

remonter

branche o

elles

ombrageaient deset,

nids d'amour, vides

Jamais

comme

elles,

desschs. Les autres sersignentau sort universel

des choses

et

des tres. Mourir, pourrir. Elles

redeviendront de la matire vgtale, du terreaude choix tout au plus, dont l'humus vivifiera lesjeunes arbustes de l'anne prochaine que losophe ne verra pas fleurir peut-tre.le

phi-

Et

voil pourquoi, pass soixante ans, on crit

ses Souvenirs. Question d'engrais. Je ratissefeuilles mortes.

mes

E. B.

Digitized by the Internet Archivein

2009

witii

funding from

University of Ottawa

littp://www.arcliive.org/details/souvenirsdunenfaOOberg

AVERTISSEMENTDE LA NOUVELLE DITION

plus sensible que personne,

Dfrant des scrupules de famille auxquels je suis j'ai volontiers relranch

Il

de cette nouvelle dition deux chapitres des premires. ne m'tait point d'ailleurs malais de les remplacer,

au gr des lecteurs, par deux autres indits, d'intrt quivalent au moins, s'il en est dans ces Souvenirs dun homme qui n'a jarnais t et voulu tre qu'unartiste.Il

est peut-tre impossible,

au plus optimiste mme,

dcrire ses Mmoires, non seulement sans mentir,

mais en mentant,la

et le

reur philosophique de sa recherche.

genre se condamne, par TerIl met le rel dansil

convention deil

l'histoire,

extrait

figure reue,telle sorteil

le

dconsacrele

l'homme de la pour ainsi dire, de

que plus

mmorialiste est sincre, plus

nuit cette sainte illusion de la vie sans laquelle le

plus courageux ne resterait pas une heure sur la terre.

Reste cette lchet de ne causer que d'outre-tombe,

avec

la

voix

posthume des revenants, auxquelsIl

il

n'y a

plus qu'amen rpondre. Je n'aime gure ce bruit de

chanes au fond du corridor.

n'a

jamais guid per-

V/II

SOUVENIRS Dla

UxN

ENFANT DE PARISla vrit,

sonne dansparce queAlors ?la

recherche du trsor depas de trsor de(jue parlent ces

d'abordensuite,

l>arce qu'il'n'y a

la vrit, et

langue

fantmes n'est dj

plus entendue par les nouveaux coureurs de torches.

Alors le mieux est, je crois, de suivre le convoi de son temps en sonnant sa sonnette, le moins mlancoliquement possible et son vieux bouquet la boutonnire.

Emile Bergekat.

SOUVENIRS D'UN ENFANT DE PARIS

PREMIERE PARTIE

1

MON

V. H.

Les tours de Notre-Dame taient

l'H

de son nom.

AUGUSTE VACQUERIE.

V. H., c'est Victor Hugo.

D'un crivain franais, ayant dbut sous le Second Empire, on n'attend pas des souvenirs plus intressants que ceux qu'il peut avoir sur ce pote des potes du dix-neuvime sicle. Ah Jove principium.

Nous l'appelions Le Pre. Chacun de nous a eu son:

V. H., conforme

ladti

sensation proprement reue, soit du

commerce

l'homme, soit du coup de foudre de sa gloire. Voici donc le mien , tel qu'il vibre dans ma mmoire. A l'poque o nous sommes, dpourvue, comme disait Flaubert, de tout sens hirarchique et passionnment irrespectueuse, il n'est pas ais d'expli1

2

SOUVENIRS D UN ENFANT DE

PAFilS

quer aux jeunes le fanatisme que, de 1860 1H70, de Guernesey inspirait aux intellectuels de ma gnration. Je ne lui vois de comparable que le culte napolonien, sous la Restauration, chez les demi-soldes. Je me rappelle qu'au lyce Charlemagne, o je terminais mes tudes, en 1864, nousl agitions gravement le projet d aller l'arracher de son roc anglais, autre Sainte-Hlne, et de le ramener sur le pavois la tribune de TAssemble nationale. Il m'a avou plus tard qu'il ne nous aurait pas suivis, d'abord parce qu'il tait tenu par son sermentl'exil

fameux [EtMais

s'il

nen

reste qu'un, je serai celui-l) et

ensuite parce qu'il avaittelle tait

mieux

faire.

videmment.

notre politique, celle de nos vingt

ans, faite d'enthousiasme et d'illusions, qui sait, la

bonne peut-tre

?

trange lyce vraiment que ce collge aux quatre pensions de la rue Saint-Antoine Je dois!

Un

m'y reporter pour vous faire comprendre mon V. M., n en moi du milieu influent o je m'ouvrais aux connaissances humaines. Il peut tre documentaire d'ailleurs, pour les historiographes futurs de la Dmocratie, d'tablir, sur le tmoignage de l'un de ses vtrans, comment s'en formaient les conscrits, la fin du rgime d'aventure dont un Jrcmieprophtisa dix-huit ansle dsastre.

Des quatre lyces dede

Paris, celui qui porte le

noml,

l'Hlmpereur la barbe flewrie

a toujours

et traditionnellement,

un foyer de

libralisme.Il

De

mon

temps,

il

flambait

d'opposition.

recrutait

d'ailleurs la plupart de ses lves

dons cette petite

bourgeoisie frondeuse, joviale, folle des libelles, qui venait de jeter Rochefort aux mollets des gens du

.

MON

V.

H.

3

Coup d'tat. Le proltariat y tait reprsent par quelques boursiers et tout y tait de roture. Aussi dans cette ppinire d'mes, n'en avions-nous que pour les ennemis dclars de l'Empire el, entre tous, pour le flagellateur sublime dont le verbe leur jetait le mot d'ordre, travers l'espace, sur le vent de la mer. Que de fois, la pension Favarl, qui fui la mienne, debout sur le banc de pierre de la cour de rcration n'ai-je pas dclam devant mes camarades groups 1'^^ strophes vengeresse de ces Chtiments dont un exemplaire m'avait t prt par l'aumnier luimme Oui, l'aumnier, et Dieu sait pourtant si, avec nous, sa fonction sacerdotale tait une sincure Mais, lui aussi, il tait hugoltre. Tout le monde l'tait, Favart, jusqu'au portier. Lorsque j'avais termin l'ode au milieu des hurrahs, j'arrachais d'un geste hroque les feuilles d'un vieil arbre de Jude qui ombrageait le banc et, tel Camille Desmoulins au Palais-Royal, je les semais poignes!

!

sur l'auditoire en vocifrantil

:

A!

Guerneseyl...

comme

Les surveillants feignaient de ne rien voir ni entendre, ou s'ils interrenaienl, c'tait pour achever la strophe. Alors, ou"vrantla porte de son cabinet, le directeur de l'institution, gros homme bnin et toujours en sueur, s'lanait le mouchoir la main, et s'affalait sans l'arbre de Jude. Mes enfants, pleurait-il, vous voulez donc faire f e rmer ma bote Mais comme il tait pote lui-mme el portait mme le nom de David, le harpiste de Sail, nous le couronnions de feuilles tresses, et nous le hissionsavait cri:

A

la

Bastille

I

.

.

4

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PARIS

banc de pierre, d'o il nous rcitait son chef-d'uvre, un hymne... qui ?... Victor son tour sur le

Hugosi

!...

C'est ainsi qu'aux jours radieux delointains dj etsi

ma

jeunesse,

proches,

le

bouddhisme hugol-

tre avait, dans un vieil htel du Marais transform en pensionnat carolingien, son collge de derviches tourneurs, hurleurs et mangeurs de feu. Le voisinage de la maison historique o le grand homme avait tenu, en i83o, son lit de justice romantique, localisait notre foi et lui donnait un temple. Quand, le dimanche, nous avions ador au soleil couchant TH majuscule et symbolique des tours de Notre-Dame et dment constat qu'il embtait l'Empire , nous nous retrouvions, place Royale, devant cette maison alors occupe par l'une des de Marion Delorme quatre pensions du lyce, et devenue aujourd'hui, grce la pit de Paul Meurice,le muse de l'art du

et nous y attendions l'heure matre et de sa gloire de la rentre au bahut . C'tait l, derrire ces hautes fentres Louis-Treize, que sa voix avait parl aux disciples de la premire heure, les Thophile Vigny et Musset Gautier, les deux Alfred les deux Deschamps, Nodier, Mry, Gozlan, George Sand, tous ceux de l'initiation Il s'tait accoud stir les balustres de ce balcon pour contempler les toiles semes comme des vers luisants dans le feuillage. Il s'tait promen, pensif, sous les arcades dont les piliers lourds et bas, profils par la lune, dcoupaient un clotre sur les dalles. Sans doute, fantme vivant, il y revenait encore par la pense, l-bas, de son belvdre sinaque de Marine Terrace.Il tait au milieu de nous comme le Christ ressuscit entre les

!

MON

V. H.

plerins d'Emmas... C'tait lui qui tournait Tan-

gle de...

Mais, jem'arrte, car je vous entends rire. Hommes de 1910, vous tes clos ou rebelles un ftichisme prim dont la chre folie est, comme disent les magistrats, classe. L'hugoltrie, c'est une vieille lune, provenance, provinciale peut-tre. Je l'avais engage pour une heure par jour, dix sous l'heure, rothschilderaent, aprs nos premires Cluny

Cluny

en Pactole, disait Georges. Elle nous en donnait le double^ le triple souvent, aux grands reproches ducharron, pour qui nous n'tions que des propres rien, et qui

ne s'expliquait pas sa sollicitude. Sonla

prfr tait Zizi, qui, toujours sait

gaudriole,

lui fai-

drlement|,u

comme

cour et l'embrassait goulment, village, ce dont elle se dfendait pour lela

principe, mais peine.lui dclarait le jeune fou, charron et je vous porise Nous verrons a, monsieur Georges, nous verrons a djeunez d'abord, car il faut que je m'en aille, l'heure est passe, mon mari attend sa soupe. Lorsque son compte fut rgl, ou peu prs, je me demandai ce que nous allions devenir, car, malgr mon tat pindarique, j'avais les plus sombres pressentiments sur cette guerre, et je ne me dissimulais pas que la charge hroque des Cuirassiers de Reischojfen n'tait qu'un pisode d'une sanglante dfaite. Alexandre Grand, mon hte, tait plus pes-

Mre Cabajoutis,le

divorcez d'avec

!

;

simiste encore.

Il

mchonnait-il dans sa barbe de druide, les Prussiens seront Paris, et dans trois

Avant huit jours,le dis,

avait les papillons noirs.

nous serons tous Allemands que tu m'embtes. Je me rappelle qu'un matin, je fus rveill par une odeur de brl dont le logis tait rempli. C'tait monmois, jet!

El

moi

je te dis

188

SOL'Vli.MRS D

UN ENFANT DE PARISla

prophte de malheur qui griHaiL sur de pain de six livres par tranches.fais l ?le

braise

un

Ils

Qu'est-ce que lu Des provisions de bouche pour sige. Quel sige Le sige de Paris. temps de prendre. sont Saint-Denis Oui?Il

est

s'y

!

?!

Eux J'entends leurs bottes. Tu perds la tte Non.!

Et

il

continua sa grillade.il

Il

piquait les tranches

rties avec son couteau, et

les

emmagasinait dans

un bureau-toilette, quevait d'armoire linge.

j'ai

encore, et qui nous ser

pain?

Crois-tu

que nous en viendrons

manquer de

Nous en viendrons manquer de tout.

alla

Et la miche de six livres entirement torrfie, il en chercher une autre, avec des gestes dsesprs de Cassandre. Maurice Drcyfous nous surprit dans cette occupation et il en demeura bant et confondu. Il venait de Saint-James, son patelin familial, mais sans babouches cette fois, et correct comme un notaire, pour m'emmener chez un diteur qui il avait plac monodo.

Je ne sais pas ce qu'il t'en donnera, ni mmet'en

s'il

donnera quelque chose, mais il te la prend, et tout est l. Les vers ne sont faits que pour tre publis. Je ne te cache pas que j'ai eu du mal le convaincre, mais je lui ai montr l'article de Thophile Gautier dans \e'Monileuf\ et l'affaire est faite.

LES CUIRASSIERS DE REISCHOFFEN

))

189

qu'un matre avait consacr mon Comdie-Franaise sans me douter qu'il allait dominer ma vie etm'ouvrir sa famille. L'diteur tait Alphonse Lemerre, chez qui s'assemblaient dj ceux du Parnasse. I! me prit, en efet, mon pome, et il le dbita quarante ditions.J'appris ainsi la

succs

La guerre franco-allemande, qui mit fin l'Empire du grand devin des Chtimenls, a modifi profondment le caractre franais. Est-ce un bien, est-ce un mal, les avis diffrent ce sujet. On peut toutefois se demander ce que nous avons gagn nous dmunir de cette philosophie gaie, taxe de lgret par les peuples de sang lourd et qui avait son expression ethnique dans l'ironie. Mon opinion, si vous la voulez, est que l surtout fut le dsastre. Sous les coups ritrs des dfaites successives, nous ne smes pas conserver le courage du rire, qui est l'arme tenir tte aux dieux. Surpris, pour ainsi dire, dans notre histoire, dus de toute la lgende de victoires qui la compose, nous avonset ralisa tous les oracles

trop cru la puissance de la gravit, au prchi-prcha des solennels et, tranchons le mot, la politique. Elle nous a fait la Rpublique presbytrienne et sans joie, en attristant la race sans profit. Le rgime de pnitence abonde en Jean-Jacques, mais Voltaire y

manque.Loin de moi de dire par l qu'il n'y ait plus de gens d'esprit en France. La fusion gographique des races dpose encore ce prcipit dans l'alambic parisien et notre soleil le distille. Mais le produit est de moins bonne qualit le Champagne s'vente, mousse peine et ne fait plus sauter le bouchon.;

l'JO

SOCVliMHS d'un enfant DE PMtlS

C'est, mon senliment,le rsultat le plus nfaste du coup de botte de Bismarck. La force a, de tout temps prim le droit et son lieu commun est vieux comme le monde, mais l'esprit primait la force et on se sentait, chez nous, en quilibre. Que Dieu nous rende cette ironie dont Franscisque Sarcey a pu dire, si terriblement, qu'elle n'tait plus comprise en France et que Paris mme n'en voulait plus. Les tyrans n'ont peur que d'elle, et de tous les instruments de musique militaire le fifre est celui qui domine les autres. La crise morose se dtermina le i" septembre 1870. la nouvelle de la droute de Sedan, Elle nous avait

nuque la suite d'une d'une victoire de Mac-Mahon cueillie encore la franaise, blag-ue mles. Mais Sedan nous dmonta.t assne sur lacelle

fausse joie^

Landau, acet crdulit

La

raillerie

boulevardire passale

la

torche Toulrage. Les jour-

naux commencrent

dtonner,le

ou plutt donnerla frousse.

ton de l'invective surles

diapason de

Dansdu

runions et dans les rues, les violents s'emils

paraient du crachoir etstyle d'meute, dit:

y salivaient l'imprcation des mauvais jours de notre

histoire. L'impratrice rgente copait

durement, et,

toute galanterie cessante, on

la

balafrait

du surnom

de de

:

l'Espagnole,

comme;

Marie-Antoinette de celui

du modle car, on vrit, des gens fort doux h l'habitude demandaient sa tte. Une gravure d'Emile Bayard, le dessinateur de L'///us/ra//o/2, empilait les badauds aux vitrines. Elle reprsentait:

l'Autrichienne. Sa fuite la prserva peut-tre

sort de son

l'empereur en calche, allant rendre son pe au roi de Prusse, sur des morts et des mourants, en fumantsa cigarette. Et personne dj n'osait [)lus dire

que

LES CUIRASSIERS DE REISCUOI- EX

))

191

le gestela

de fumer une cigarette n'ac^grave nullement

responsabilit d'une dfaite, ni

mme,

si

on veut,d'il,et

d'une trahison...

On

s'abolissait

sensiblement,

vue

mme

on

filait

sur Bruxelles. Les rares boulevardiers

qui tranaient encore sur l'asphalte y ressemblaient des arbaltriers sans flches, et qui le carquois bat, vide, la hanche. Villemessant n'achetait plus les

mots drles caisse ouverte, et Le Gaulois canait aux nouvelles la main . Les thtres et les diteurs,

comme je vous

l'ai

cont, atermoyaient l'envi

les droits d'auteurs. C'tait la fin,la

ah

!

bien

la fin

de

bohme. Le cycle joyeux

tait

clos des annes

d'apprentissage.

111

LE FLINGOT

Alexandre Grand, obstinment, continuait ler des rondelles les placards, la

gril-

mismesa

tait tel

emmagasiner dans toilette en tant pleine. Son pessiqu'il s'tait dcid , mettre au cloude pain et les

montre en

or,

son ftiche, seul souvenir qui:

lui

restt de sa famille

me

Il

nous faut unjambon,

et

mme deux

jambons,

disait-il.

Comme Mayence,Il

soupirais-je, envahi par ses

papillons noirs.

eut trois louis

pourquoi, au lieu de jambons,qu'il torrfia

de sa tocante, et, je ne sais il acheta des gigots,le jardinet,

en silence dans

comme

les

tartines de pain.

Pourquoita

Le jambon

des gigots ? faisais-je, et quelle est pense ? Et, sublime de prvoyance, il me rpondait:

altre

!...

LE FLINGOT

193

Uncore.

jour

il

rentra plus sombre qu' l'ordinaife en-

a va

plus vite que je ne pensais, dciara-t-il.d'allerfusil la mairie.

Paris perd la tramontane. L'heure est venue

demander notre

Viens-tu

?

Et celte fois il avait raison. La chasse aux espions commenait. Le moment o l'anxit publique sonne les tayauts absurdes de la chasse aux espions est l'instant de la dsesprance. C'est le ^^'aterloo psychologique. Tout est perdu, mme l'honneur. La terreur visionnaire de l'espion, qui serait si comique si elle n'tait pas contagieuse, n'atteignit que plus lard, aprs Metz et pendant l'investissement de Paris, au degr de dmence charentonnesque. Mais la retraite du gnral Vinoy, elle battait dj sa folie. Il ne passait pas de jour qu'il ne fallt tirer de la Seine, ou de ses canaux, d'inoftensifs passants ayant la tte ou l'accent . Sur les hauteurs de Montmartre, une lumire, le soir, tremblante la vitre d'un grenier ou d'un galetas sous la toiture, justifiait d'une visite domiciliaire, qui, quoique vaine, laissait encore des doutes aux braves duquartier.

Zizi,

Il

faitsi

bon

d'tre

brun, tout hasard, disait

ou

l'on est blond,

comme

eux, de se teindre.soulignaitcri

En

tous

cas,

c'est plus prudent,

Alexandre, qui ne nous faisait pas grce d'unchouette.

de

Puisqu'on en taitplus quele flingot.

l,

videmment,

il

ne

restaitlesfai-

Nous allmes donc rclamerBatignolles.

ntres la maison de ville desait

On

y

et, le

queue, entre des barrires, comme au thtre, premier jour, nous revnmes bjaunes, sans tre17

19J

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PARIS

arrivs au guichet.

Le gouvernement tait, du reste conome de chassepots jusqu' l'avarice. Soit qu'ilen manqut, enraleffet,

malgr

la

dclaration du gn-

Lebuf,

soit qu'il et le

pressentiment de l'usage

que devait en faire la Commune, il les marchandait la garde nationale et n'en dlivrait qu'un sur quatre ou cinq citoyens. A la mairie du dix-septime, il fallait se fcher pour l'obtenir. Aussi l'employ, prpos aux inscriptions, et seul remplir cette fonc tion, tait-il dbord et ne savait-il plus qui entendre. Agoni d'injures par les plus bruyamment patriotes, assomm par la monotonie de sa besogne, il semblait un hrisson en cage, et passait tout moment sa tte convulse par le guichet, comme pour y humer de l'air respirable. Le troisime jour seulement, nous pmes, monhte et moi, atteindre notre tour, cet orifice.

Votre nom et prnom et vos qualits ? demanda-t il pour la cinq centime fois de la journepeut-tre.

Je les lui dclinai.idiot

Il

se leva, s'encadra, suant, haet d'un

gard, abruti, dans le guichet,:

ton d'enfant

don?

que j'entends encore Est-ce que vous tes parent de!

mon ami Tan-

Non pourquoi Ah je croyais... Excusez... Qui vous croire?!

le fait

?

Mon ami TandonEh bien Eh bien?!

est aussi

un pote. Son volume

de vers s'appelle: Belligera...

ricana-t-il,il

comme

sous

la

douche,!..

Belligera... Bergerat...

y a un air de famille

LE FLINGOTEt voil O Ton tait arriv, aprs Sedan.

195^

En

voici toujours un,la table le

me

dit

Alexandre Grand

en plaant surBatignolles.

flingot qu'il rapportait de

C'tait d'ailleurs

un

fusil tabatire

transform et

qui avait d figurer dans une panoplie pierre.Il

comme

fusil

et t dj ridicule sous Louis-Philippe;.

en septembre 1870 il tait navrani Mais tous les chassepots avaient t dirigs sur l'Est. Les francstireurs s'armaient leur

compte chez les armuriers. Je vois encore ce fusil pour deux, sarbacane

moineaux, longue comme un jour de sige, c'est la mtaphore de circonstance, et qui, sans baonnette,dpassait dj d'un quart de mtrela tte

de

mon

camarade.

EtIl

le

n'y en a pas

tournebroche? pour?

le

moment.achet

Et l'uniforme

Mme

jeu,

fit-il.

J'ai

deux kpis eul'une, troplui et vice

attendant.

Choisis.

Surpetite

les deux casquettes symboliques, pour moi, tait trop grande pour

versa.

de

Il

y a un moyen, coupe tes cheveux sur l'autel

la patrie.

Oui, mais lu prendras perruque pour elle. la place des Ternes, devant l'glise, il y avait tous les jours un gros garon boucher, taill en her-

Sur

cule, qui

remplissait l'office de sergent instructeur

et enseignait l'exercice. les autres

Les uns arms de cannes, de manches balais, quelques-uns, mais rares, du tube meurtrier , comme dit Chteau-

196

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PARIS

briand dans Les Natchez; mais tous graves et rsolument disciplins, ils eussent en un autre temps soulev le rire et dchan la blague parisienne, carn vrit,ils

taient drisoires. Mais devant le zle

de ces braves gens toute la gaiet de la race s'tei-

gnait et les mnagres contenaient mal leurs larmes.

me disait Alexandre, que je me fibourgeois flamands d'Artevelde. la note tait juste, en effet. On tait sous le coup de ce combat de Chtillon d'o le gnral Ducrot avait jur, la manire romaine, de ne revenir que victorieux ou mort. Il n'tait revenu ni l'un ni l'autre et le cercle de fer se rtrcissait autour de la ville, de telle sorte qu'on ne savait plus o on allait.C'est ainsi,

gure Et

les

IV

LE MAITRE D'COLE

Ce

n'est pas

amusant de

faire

de

l'histoire ,

m'crivait Georges, qui venait d'entrer chez

Trochu

dans les bureaux de l'tat-major. Ds que le boucher instructeur nous vit venir avec la sarbacane pour deux, il s'empara de Grand qui la portait et le campa au premier rang, tel un soldat d'lite et comme s'il et voulu le dcorer de sa main. Mon professeur de franais pour dames anglaises avait, entre tous ses mtiers, exerc le militaire. Il savait le maniement du flingot et l'exemple qu'il en donna appuya d'une bonne dmonstration les leons de l'hercule. Chacun, son tour, lui reprit le fusil pour en tirer son air de flte, en solod'abord, puis l'orchestre,teur nous pria de leet,

finalement, l'instruc-

pour l'aider l'enseignement martial des citoyens du dix-neuvime sicle. J'ai su depuis que cette arme modle ne laissa pas de faire quelque besogne ptaradante et trucidante entre les mains du boucher lui-mme, pendant la Commune. L'ost de M. Thiers reut, hlas du tabaclui prter,!

de cette

tabatire

.17.

lj^

SOUVEMRS D UN ENFANT DE IWUISnoire retour de lexercice, je trouvai chez moinational en fleur dans

A

un gardetrait,

mon

jardin.

11

m'y

attendait en causant avec

Mme

Labit, qui lui

mon-

sa forte stupeur, les provisions dela toilette.

bouche

emmagasines dans

NousI

n'en avons pas autant au Thtre-Fran-

ais

claironnait-il.

C'tait Coquelin.

Vite, l'ouvrage,

bile laquelle je n'ai

fit-il avec son autorit volujamais su rsister ils en rede;

mandent.

veux-tu qu'on ait une ode en des jours pareils o l'on marche de tatouille en tatouille,sans arrt et sans esprance?

Qui, Des vers, une ode Commentils,

et

de quoi? pour nos pauvres matines. As-tu

?

Ce

n'est pas

un Tyrteil

qui s'impose, c'est un Jrmie de remparts.

Sois ce Jrmie de remparts, voil tout,

me

faut quelque chose dire pour

dimanche. Tu seras

en bonne compagnie, Mlle Favart rcitera Slella,de Victor Hugo, Oust!...Je n'ai pas de sujet... Veux-tu le Viclorieux ou mort de Ducrot? Non, fichtre Je t'ai apport des journaux. Cherche, trouve, et samedi matin. Je viendrai prendre ton travail. Dis donc? soulignai-je d'un regard.

!

Quoi Toujours aux mmes conditions? Pas de droits d'auteur sur recette? Et gloire? D'ailleurs, lu as des rties et de?

la

la

la grillade

pour

six

mois.

((

LE MAITRE D ECOLE

)

I99

C'est pour mon chieu et mon chat.Le samedi matin, enReischoffenporte:

effet,

mon

Cuirassier de

carillonnait

imprieusement

ma

l, sur la table, une jrmiade. Et Coquelin emporta Le Matre d'cole. S'il y a des lecteurs qui s'intressent aux souvenirs d'un vieux pote dont la vie n'offre d'autre drame que celui du labeur dans toutes ses luttes, je les renvoie, pour cette lgie du Matre d'Ecole, aux lignes que lui a consacres l'administrateur mme de la Comdie-Franaise, Edouard Thierry, dans son mmorandum directorial. Ce qu'il ne dit point de la russite du pome, c'est qu'ells faillit me fcher avec Coquelin. A l'issue de la matine, Mlle Favart, alors l'toile du thtre, tait accourue m'embrasser

C'est hein Naturellement,fait,

?

dansle

le

couloir du foyer et m'avait

command,

c'est

et

mot, une autre pice lyrique, spciale pour elle, rserve, dont seule elle aurait le privilge. Mmele

au prix dont

caissier les rtribuait, je gagnais

la lui offrir, car elle tait la

Muse mme.

J'crivis

donc un hymne la France que je lui apportai le jour o elle tait de service l'ambulance cre par les dames socitaires. Coquelin m'attendait dansl'escalier.

Trs jaloux dedplaisir sa

ses

potes,

il

charmantefit-il,

et illustre

vu sans camarade marchern'avait pas

sur les plates-bandes de

si tu n'es pas faon de dire tes vers, je te lche. Plus de Cuirassiers, plus de Matre d'cole. Je ne

son

jardin.

Tu

sais,

c'est bien

simple,

satisfait

de

ma

vois pas ce que tu y gagnes.

200

SOUVENIRS d'un ENFANT DE PARIS

J'eus beau lui expliquer qu'un dithyrambe

aux

beauts de

la terre natale se plaait

sur les lvres d'une

femme

ncessairement franaise, il n'y voulut

conclure qu'

mon

ingratitude, et

comme

je l'aimais

infiniment, je renonai la commande. Mlle Favart ne me l'a jamais pardonn et elle ne me rendait plus mon salut lorsque je la rencontrais dans son empire. Il ne s'est peut-tre pas donn de runions pen-

dant

le

sige de Paris o quelque amateur de diccV cole.

que l'ode mac-mahonienne, Les acteurs de profession le jouaient en manire de monologue, costums en instituteur alsacien, quelquefois avec une figuration prussienne. Je ne sais comment, malgr l'investissement, le pome se rpandit en province, o sans doute des pigeons voyageurs l'emportrent. Ma mre, qui habitait Veules-en-Caux, eut par lui de mes nouvelles. Les Allemands qu'elle logeait, par ordre, en remirent un exemplaire, et leur chef, le lui prince de Lichtenstein, en complimenta ironiquement la pauvre femme. Deux ans plus tard, chez Thophile Gautier, Neuilly, une professeuse de dclamation, Mme Ernst, rcitait encore l'lgie du Matre d'Ecole dans la famille mme o je venais d'entrer, et devant le matre. Et comme il la flicitait C'est, fit-elle, de tous les pomes de Franois Coppe celui que je prfre. Vous rtonneriez un peu, souris-je, en l'ention n'ait, plus encore

dbit

Le Matre

:

assurant.

Sic vos non vobis, desort de Virgile.

Et Gautier conclut

:

quoi te plains-tu

?

C'est le

V

L'AMBULANCE DU THTRE-FRANAIS

Le seul lieu o il fut possible de se soustraire ua peu au cauchemar de l'investissement, c'tait le Thtre-Franais, l'administration, soit dans le cabinet

du Comit de lecLes habitus et amis de la maison, auteurs, acteurs, artistes, abonns et hommes politiques, se retrouvaient l dans l'intervalle des gardes. On y venait aux nouvelles, on en apportait, de vraies, de fausses, de contradictoires, et l'on y passait de la joie au dcouragement, mais on finissait toujours par se drider quelque drlerie parisienne, bon mot, anecdote, calembredaine, et c'tait tout ce qu'il fallait pour gagner un jour sur ce temps de dsolation. Chez le pre Verteuil, secrtaire gnral, se taillaient les bavettes masculines, celles o l'on jure, sacre et se chamaille. Les gros bonnets du Socitariat taient diviss en deux camps politiques, d'uneVerteuil, soit dans la salle le

du pre

ture, dit

salon vert

>:.

202

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PARIS

pari les fidles au rgime sombr, cl de Taulre leszlateurs de la Rpublique rendue au peuple souverain le4 septembre.

Got,

Maubant

et

Coquelin

taient de ces derniers, mais Dressant, Leroux, De-

>launay, Febvreet Lafontaine se tenaient encore obsti-

nment pour comdiens ordinaires de l'empereur, et ils ne lchaient pas la partie. Le fin Rgnier ne seprononait pas, et pour Barr, plus

vu que

la

fin encore, pourSeine coult toujours entre ses berges et

qu'on pt y pcher tait tout petit et six

la

ligne, tout

quivalait sauver la France.

gouvernement Le cabinet de Verteuil

personnes l'emplissaient.

A

on s'asseyait parterre, sur le bureau du secrtaire, ou l'on se prtait les genoux les uns aux autres. Le triumvirat Got, Maubant et Coquelin y jouait au naturel la scne de Danton, Marat et Robespierre de Charlotte Corday, et ils la tragdie ponsardienne en ralisaient peu prs les personnages redoutables. Maubant tait farouche. Avec des gestes courts, casss et cassants, il demandait des ttes et il avait l'air de les couper dans l'encrier de Verteuil. Monhuit,,

crasait les

cher Coquelin, toujours agit, enjambait les chaises, pieds, et politiquait des choses et des

gens tour de bras. Doctrinaire, rudit et profesGot giboyait avec des mots concentrs, forts en philosophie, chargs d'histoire, o Tacite le disputait Beaumarchais. Nous les coutions du couloir menant au cabinet du secrtariat, ou d'un petit salon d'attente qui le sparait du bureau d'Edouard Thierry et formait terrain neutre. C'est dans ce petit salon que le pauvre Bressant, le soir du 4 Septembre, la nouvelle que j'apportais de la proclamation de la Rpublique la Chambre, s'afsoral,

l'ambulance du THEATRE-FRANAISfala surn'ai

203

un divan, et comme frapp de la foudre. Je jamais vu d'homme aimer moins la libert que cet homme femmes. Les Dangeaux du dix-neuvime sicle porteraient tort le nom de Marianne sur la liste des mille et trois que ce Don Juan allaitbientt remettre aului fit l'efTet

Commandeur, car son

apparition

del tte de Gorgone au poing de Perse, et je crois bien qu'il en est mort. Je dois la vrit de dire que l'administrateur, sans tre aussi mdus par elle que son Almaviva, ne

pas d'tre assez inquiet du sort de l'institunapolonienne laquelle il prsidait. Il la croyait mme condamne et, comme on dit dans les Eaux et Forts, ratiboise. Elle n'est pas, en efTet, base trs dmocratique. Il y a des heures o il en cuit d'tre des privilgis officiels d'un art cassettelaissait

tion

Maubant-Marat tait le seul de la troupe subventionne qui n'et jamais jou Compigne. Encore, disait Madeleine Brohan, est-ce parce que le neveu a la tragdie en sainte horreur. Edouard Thierry redoutait donc, et non sans raiimpriale, et

son, que la cassette disparue, le crdit alimentaire,

dont le culte de Molire est le prtexte, ft affect des dpenses nationales plus urgentes. D'autre part, les reprsentations intermittentes, mme avec les tyrlennes des potes, ne rendaient plus le prix des chandelles. La sagesse conseillait de fermer la bote et de se terrer jusqu' nouvel ordre de choses. Le vieux Corneille lui-mme n'avait plus un' soldat donner la patrie, tous tant sous les armes. C'tait le

Messieurs, on ferme

!

des ftes termines et des

lampions

teints. Qu'allait-on, faire

du monument?la

Ce

fut

Madeleine Brohan qui fournit

rponse.

201

SOUVENIRS d'un ENFANT DE PARISest

Elle

commmore,la

celte rponse, par la petitele

statue du comdien

Seveste, qui orne

foyer pris

surl'on

remplacement de

communique

loge de Talma et par o aujourd'hui de la salle aux cou-

Seveste, en efTet, nul ne l'ignore, bless mortellement Montretout, revint mourir au ThtreFranais, dans l'ambulance qu'y avaient organiselisses.

les

dames

socitaires.

Il

expira d'ailleurs dans lesle

bras de Mlle dile Riquier, l'une d'elles, concluantainsi

roman amoureux qui conduire le jeune homme au suicide. L'ambulance del Comdie-Franaise, dont l'ide, je le rpte, revient Madeleine Brohan, l'a peuttre prserve des obus du bombardement, mais certainement des incendies del Commune.rante ans bienttavaitfailli

je crois qu'on peut un doux

dire au bout de qua-

Ouverte presque aussitt que fonde, c'est--dire seconde quinzaine de septembre, elle fut bientt pourvue d'une quarantaine de lits dresssvers la

deux foyers, celui des artistes d'abord, et du public ensuite. On n'en dcrocha aucun tableau, et dplaa aucun buste, de telle sorte quedansles

celui

jamais

salle d'hpital

ne fut

si

riante et

si

richement

pare. Seule, la statue de "/oltaire, par Houdon, fut, sur l'ordre d'Edouard Thierry, masque d'un cha-

faudage de planches. Edouard Thierry tait croyant, il allait la messe et il tait mme marguillier de sa paroisse, Bagneux, o il avait une maison de campagne. Il avait craint que le rictus fameux du philosophe ne scandalist les malades levs chrtiennement et fidles

l'enseignement de leurs curs. C'est pour les Bretons, disait-il, qu'on peut

L

AMBULANCE DU

TII1:ATUE-1-

UaNAIS

205

nous amener,

un jour ou

l'aulre,

du champ de

bataille, et qui ont droit leur

ignorance.

OnMaubant,

n'a

jamais droit l'ignorance, tranchaits'criaitla

irrit.

Je

le

leur expliquerai, moi, Voltaire,et je leur

en lirai. On ne confisque pas gloire, on ne voile pas les grands hommesCoquelin,!

Qu'est-ce

que

tu leur liras,

demandait Got,

Zare ou

Je leur Candide Candide toi-mmeliiai!

La

Piicelle ?!

Ils

n'entendent que

le

bas-

breton. Laisse donc les gens mourir dansleur langue.

Et le Voltaire resta ainsi sous les planches pendant toute la guerre. Il n'avait pas mrit cet emprisonnement, mme par la Ilenriade, o il y a un autre sige de Paris, embtant, mais patriotique. Les dames ambulancires, Madeleine Brohan,Favart,

Jouassain, Victoria

Lafontaine,le

dile Ri-

quier et Emilie Dubois s'taient rserv

salon vert,

d'o elles allaient prendre tour de rle leur service

de gardes-malades. C'tait autour de

la

grande table

de lecture, encombre de corbeilles de laine et d'ouvrages de femme, qu'on les trouvait runies, avec leurs tabliers blancs d'infirmires, le d au doigt, avenantes, jolies, et comme radieuses de leuravatar. Elles avaient l'air d'avoir pris le voile. Elles

rendaient des gestes de nonnes, tournaient

comme

sous

les

arcades d'un clotre, souriaient en dessous, lala

commeTil de

drobe, et caquetaient mi-voix, sousjour.disaitici,

mre abbesse du

Il

ne manque

mes surs,

galamment!...

M. de Tillancourt, que Molire mourant

18

VI

FAMINE

Les vivres ne manquaient pas encore: mais ils se plus rares. L're de l'hippophagie commenait. On ne dbitait plus gure, auxfaisaient chers et dj

boucheries municipales, que des morceaux deplus noble conqute de

la

l'homme , mais sans rationnement et selon la demande. L'un de nos ciamarades, le peintre Emile Pinchart, dirigeait Tune de cesboucheries, rue des Saints-Pres, etil

pouvait libre-

ment nous

ravitailler

de cette carne.

Il

en apportait

des pot-au-feu chez

la

maman

Glaize pour sa petite

colonie d'artistes. Mnagre admirable, elle accom-

modait le coursier des sauces qui eussent ^romp Brillt-Savarin, Monseletet le baron Brisse, gloire oublie. J'ai souvenance de certain pt, dit:

pt

de palefroiIl

,

qui en laissait au chevreuil

mme.de

y avait encore, les dimanches, des salmis et des godiveaux Rossinante qui signaient le gnie culinaire la fois et ia bont de

haquenes

cette douce et vaillante crature.

La

maman

Glaize

FAMINEtirait

20r

la

langue, et

meilleur parti cent fois du cheval qu'sope de le soir, quand, par le boulevard des

Invalides, je m'en allais retrouver, aux Ternes, les deux btes du bon Dieu dont j'avais la garde, Bistuet Point-et- Virgule, je leur apportais

encore des roga-

tons et des dchets qu'elle m'avait fourrs pour euxla poche. l'ambulance du Thtre-Franais, dans le salon vert, sous le Regnard de Largilire, autour des corbeilles ouvrage des infirmires, on ne traitait que Avec quoi avez-vous des choses de gueule Comment votre cuisinire djeun aujourd'hui ?

dans

A

:

accommode-t-elle le destrier ? Nous apportezvous quelque chose pour les blesss de Molire ? Avez-vous du beurre ?... Rien de plus drle et de plus touchant la fois que ces conversations de bonnes au march entre Climne, Phdre et Sylvia. Dans un coin de la salle, le nez dans son Iricot,Mlle Jouassain, l'esprit mme, caquetait, potinait avec M. de Tillancourt, pre conscrit, terrible en calembours, et par qui l'on avait des nouvelles sreset

o son mari s'adossait, basques releves, en cariatide de chenets, Mme Victoria Lafontaine, petite bourgeoise l'arithmtique infaillible, tenait les comptes journaliers de l'ambulance. La bonne Madeleine prsidait. De sa voix veloute et prenante, elle menait le chur et jetait le d des causeries, quelquefois un peu trop bruyantes pour un hpital, el que Mlle Favart, une tasse la main, venait modrer entre les tentures. Entre temps, Mlle dile Riquier apparaissait un

Au

de moins en moins consolantes. bout de la table, devant la chemine

208

SOUVENIRS d'lN ENFANT DE PARIS

panier au bras. Elle venait des Halles, o elle avaitenlev pour rien , prtendait-elle, bonnes choses manger .

des tas de

natures mortes, lui criait Madeleine. Et l'on jouait les disposer en pyramides comme des Jordaens, en tableau de victuailles. Vous voyez bien, lanait firement Mlle Riquier,

tale les

que

cela

sert

dis-je, tenez, le

d'tre socitaire Pour rien, vous jambon, trente francs seulement!

!

Des

six

ambulancires,et la

la

plus active et

la

prfles

re des malades tait Mlle Emilie

Dubois, dont

manires douces

radieuse beaut blonde sem-

blaient hter la gurison. Elle avait conscience de

son charme et elle se prodiguait en vritable sur de charit autour des lits des deux foyers. Aussi la voyait-on peu au salon vert. Elle venait s'y reposer quelques minutes et s'envolait aussitt, rclame par les internes ou les mdecins du thtre. Les visiteurs de l'ambulance payaient leur droit d'entre par une redevance de fleurs et de bouquets, car, fait authentique autant que singulier, pendant le sige, malgr l'investissement et la froidure, non seulement Paris n'a jamais manqu de fleurs, mais elles y foisonnaient. Explique qui pourra ce phnomne. Il n'en allait pas de mme pour les denres dites alimentaires, mme de premire ncessit. Lade terre commenait le disputer un peu pour la raret du moins, et le son doubler, dans le pain, te rle de la farine. Les bonnes histoires qu'on se contait, boulevardires encore, h ce sujet, sonnaient la blague de famine, et l'on n'eu riait, comme le veut Figaro, que pour ne pas en la trutre,

pomme

FAMINEpleurer.

209

Hugo

Un jour, le bruit se rpandit que Victor en tait rduit sacrifier Pgase et qu'il en11

;

une aile la fille ane de Thophile ne s'agissait que d'un sonnet, et l'offre tait mtaphorique. Un autre jour, c'tait le directeur e L'Illustration, M. Auguste Marc, qui paissait dans sa cour tout un troupeau de vaches laitires. Comme l'accusation de cacher leurs jambons par milliers dans leurs caves svissait contre les piciers, la garde nationale tait utilise btement des visites domiciliaires dont on riait encore, quoique unavait offert

Gautier.

peu jaune. Le fils du comdien Rgnier qui, depuis, fut censeur, je crois, vint une fois, l'ambulance, pouvanter les dames par le rcit d'une chose vue qu'il avait d'ailleurs invente ou rve. Chez Nol et Peters, passage des Princes, aprs les repas, on promenait, entre les tables, un moutonde pr-sal vivantet

blant,

cravat d'une faveurle droit,

rose, qui devait tre tir en loterie et sur la toison

duquel, en attendant, on avaitlet,

de frotter son pain. Le

billet tait

pour le bilde cinquante

centimes.

commencement de la fivre obsidionale. aprs-midi, en sortant de chez l'diteur Lemerre, au coin du passage Choiseul, dans wneC'tait le

Un

vitrine, d'ailleurs vide, de charcutier, mes regards furent attirs par une boite de fer-blanc perdue sous

un amas de copeaux de papiers multicolores. C'tait un pt de bcassines. A toute chance, j'entrai dansboutique, plus dserte encore que d'une servante qui la gardait, j'obtins vingt sous.lala

vitrine, et,

la bote

pour

18.

210

SOUVENIRS d'un ENFANT DE PARISIl

n'y a pasle

que Mlle dile Riquier,

fis-je

en

entrant dans

salon vert, qui dcouvre prix d'or

des bonnes choses manger dans les ruines de la France, et voici de la bcassine.

Madeleine s'tait dresse, toute ple: De la b !... cas ?... sine! affirmai-je. Ah! mon dieu, mais je l'adore Ma chre marquise, vous m'avez cr, il y a cinq ans, ma premire pice, et il me fallait un Sige pour vous donner toute la mesure de ma re-

!

connaissance.

Elle dpasse le service, fit-elle.elle l'quilibra

Et

en

me

tendant

la

joue.

Tels taient les romans d'alors.

manire que je pus encore saque Mlle Emilie Dubois avait de se dlecter d'un fromage. Elle l'avait exprime devant moi, et, plein d'admiration pour cette charmante ambulancire, je m'tais jur de lui en faire la surfut

Ce

del

mme

tisfaire l'envie

prise.

On

avait retrouv sur les quais de

la

Seine,

dans des chalands, oublis l je ne sais comment, plusieurs chargements de ravitaillement importants,, notamment trois bateaux de pommes de terre. Un quatrime contenait des fromages de Hollande, dits tte de-mort. Le maire de Vaugirard, M. Cambon, s'en tait empar d'autorit pour les administrs de son arrondissement. Il les changeait contre des vtements de laine, bas, chemises, jerseys, qu'il distribuait aux enfants pauvres et leurs mres. On n'en avait pas autrement, et la mesure tait radicale, je ne savais pas tricoter, mais je mis la maman Glaize au courant de mon pedt projet. Elle s'y prta en riant et me munit bientt de chauds lainages que

FAMi:>Ej'allai

21

porter la mairie. Ils valaient, au taux d change, une tte-de-mort et demie . Je gardai la demie et dposai l'entire chez la concierge de

Mlle Dubois, quai de l'Ecole, o elle demeurait, sans

y joindre de carte. Le lendemain, au thtre, je m'enquis auprs d'elle, par un dtour, du sort de mon prsent anonyme. Elle avait appporl le fromage au thtre, pour les convalescents, sans y toucher.

Mon

chat, Point-et- Virgule,

commenait

s'ab-

senter plusieurs jours de suite, et un soir je l'attenIl ne revint plus jamais, Nevermore, corbeau d'Edgar Poe. O vont les petites mes de ces tres fidles ? Quant leurs corps, en temps de sige, il ri'ya pas le demander.

dis vainement.

comme

dit le

pourtant bien tique. y avait en face, dans une courette, un galetas en soupente o gtait un tailleur hoffmannesque, qui rapetassait sans fin une culotte verte. C'tait un vieux quarante-huitard chevelu, bancroche et qui tait allIl taitIl

avec Cabet en Icarie. On n'en savait pas davantage, chez la pipelette. Il vivait l, seul, jamais visit, et ne prenant pas de commandes. Le dimanche, il touchait de la flte, non sans agrment

mme

du

reste.

Ce

petit

talent

exerait

irrsistible sur

mon compagnonlui

fourr et

une attraction la semaine

rgulirement sur le concert musique de chambre dans la chambre mme et pelotonn sur la culotte verte de Pnlope. Je patientai donc jusqu'au dimanche suivant pour tre assur du sort de la pauvre bte. Si elle n'tait pas morte, elle ne manquerait certainement pas son Pasdeloup hebdomadaire. Hlas elle le manqua et je connus ainsi que la fes'achevait

pourIl

dominical.

s'en payait la

!

212

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PARIS

Gibelotte, carabosse allemande, l'avait emporte au

paradis des matous.Je perdis Bistu de la mme manire. Ce fut par excs de dlicatesse qu'il me quitta, ayant observ que les conserves alimentaires d'Alexandre Grandtant depuis longtemps puises, on en tait l'tiip-

pophagie.

Il

aimait

le

cheval vivant,

et,

sous cette

forme, il l'escortait joyeusement, en jappant autour des omnibus et des sapins, mais, en bifteck, il l'abominait. De telle sorte, je l'ai toujours pens, qu'ils'en alla se suicider par les rues

du

quartier, hon-

teux aussi peut-tre d'tre le dernier chien qui restt aux Ternes. L'heure tait venue oii l'on mettait enpts les bouches inutiles, ou dites telles par les

lches et les ingrats.

Bistu fut l'ami toutou de notre bohme. Il la vcut avec nous, dans nos jambes, il en connut les escargots et les ufs durs, il assista nos rptitions, il

mordit nos cranciers,

il

ma

jeunesse. Je

l'ai

offert

ne pouvait pas survivre en holocauste aux dieuxet

par un pome de mille vers,m'attend,l'autre.

je

compte

qu'il

comme Argos

attendit Ulysse, au seuil del'un et

l'Ithaque ternelle.

Nous nous reconnatrons

Une bizarrerie, que je ne m'explique que par la mtempsychose, voulait que Bistu et horreur de Voltaire. J'en avais une vieille dition en soixantedix volumes, trouve d'occasion sur un tapis, au march, dans de la ferraille, et qui formait, au propre et au figur, la base de ma bibliothque. Toutes les fois que, pour une cause ou pour une autre, je laissais cette bte trange la garde du pavillon, j'tais sr de trouver, en rentrant, un tome

FAMINE

213

nouveau de l'uvre dchiquet et demi boulotte sur le plancher, voire dans le jardin, o Point-etVirgule s'en faisait des papillotles. Les soixante-dix volumes y passrent, jusqu' l'index, qu'il me laissa on lambeaux, comme adieu, son dpart. Qu'est-ce que Voltaire avait fait Bistu dans une vie antri(Mire ? Oh que de problmes insolubles en ce!

inonde

!

VI

CROCODILE

Alexandre Grand, lui aussi, disparut sans me dcuner de ses nouvelles. Je ne le revis que plus" tard, pendant la Commune, transform en employ aux Postes et Tlgraphes, dans le bureau de l'avenuedela

Grande-Arme.

Il

lui

arriva l

une

terrible

aventure, que je vous conterai au temps voulu. Zizi

chez Trochu, au Palais-Royal, o il paperastous les camarades bastionnaient l'envi sur fortifs en attendant la troue, toujours promise les et toujours diffre, qui devait nous rallier l'arme de province et oprer la jonction victorieuse. Enerv moi-mme d'une inaction que trompait mal le jeutaitsait, et

de la lyre, j'avais obtenu d'tre incorpor dans un corps de canonniers volontaires, form par des polytechniciens, command par M. de Beauchamp, etqui s'exerait la.

porte Sainl-Ouen.

On m'yla

avait

accept

la

condition que j'abandonnerais aux dessolde quo-

servants de pices les quarante sous detidienne, mais

comme, par

privilge, j'avais droit

mon

couvert au mess hippophagique des officiers

CROCODILE

215

dont plusieurs taient de mes amis, le poste tait ncore enviable. Si, vierge de tout service militaire titre de fils unique de veuve, i'ig-norais dj le flingot, qu'taitce pour le canon ei quel artilleur dessinais-je sur la neige des remparts Mais les pipos, tout en s'amusant follement de mon embarras, me rassuraient sur!

l'apprentissage.

:;oup.

Savez-vous

tirer

une

ficelle ? riaient-ils.

Un peu mieux que

la

nouer, mais pas beau-

Alors, vous tes artilleur. Le tube de bronze, en pratique du moins, car en thorie c'est plus difficile, ressemble en ceci la loge de votre concierge que, pour l'ouvrir, on n'a qu' tirer le cordon. Oui, blaguait un autre, mais il y a le pointage et le recul. Pour le recul on passe vivement droite ou gauche, et tout est dit. Quant au pointage, nous avons des marins de la flotte qui sont spciaux. Ils se chargent de la hausse et de la baisse et mettent tout coup dans un casque pointe, s'il en

passe.

Alors, qu'est-ce que faire? Djeuner avec nous d'abord, puis nousj'ai

et

vous

prsenterons votre pice.Elle s'appelait Crocodile. Elle tait brune et tait

sous sa culasse que je fis connaissance avec Edouard Manet, qui tait l'un de ses serviteurs, et je dois l'histoire de dclarer

Toe Saint-tienne. C'est

beaucoup moins mazelte que moi au service bombarde, mais i\ y fumait plus de cigarettes. L'ami qui m'avait introduit dans celte compagnie, dont M. de Beauchamp, dcourag, passa bientt lequ'il tait

de

la

216

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PARIS M. Huart, taitIl

commandementet,

lui-mme unpipo,

Frdric Andr, au sortir de l'cole, il avait, selon son droit, acquis par le rang de sortie, choisi la carrire d'ingnieur. C'tait un labadens du ngre blanc et de Zizi, Louis-le-Grand, qui me l'avaient amen au castel Turquet. Frdric Andr, enfant chri et gt d'une riche famille protestante de la rue SaintGeorges, tait curieux des choses et des gens de la bohme, et ce qu'on lui avait dit de la ntre excitait son intrt, qui fleurit bientt en vive sympathie. Il s'attacha notre petit groupe et lorsque le sigeet des plus distingus.

avait

nom

nous dissmina, comme le vent d'hiver les cigales, soucieux de tous et de chacun, le cur et la bourse galement ouverts, il courut l'un et l'autre et nous allgea de bien des misres. Sous des apparencestiques, le cher petit

menteusement sceptiques, et mme caushuguenot dfendait une me!

bont aims en ce bas-monde, dont il est parti trop tt, au moment o tout le dsignait la succession de M. Alphand, comme ingnieur en chef de la Ville Lumire. Frdric Andr, en sus de ses dons scientifiques et de sa supriorit d'X, tait fou de tous les arts et dvot leurs matres. Il avait t l'un des premiers deviner le gnie du peintre Degas et il l'avait, comme de force, men dans sa famille. J'y vis aussi Paul Verlaine, qui n'en tait encore qu' l'aurore obscure de sa gloire, et j'ai entendu le pre Ambroise Thomas nous jouer et nous expliquer Robert Schumami, qu'il se dfendait mal d'adorer. Mais le cultefort tendre et trop accessible parfois la

C'est l'un des tres

que

j'aurai le plus

de Frdric,

c'tait Flaubert, et, surtout,

UEduca-

CROCODILEtioT.

217

senlimentale^ son livre de chevet, qu'il poss-

dait par

cur.

Il

nous donnait des rendez-vous au

caf des Varits pour le lire ensemble.

Nous grim.

pions dansetet

du haut, presque toujours dserte, nous nous enfermions pour dclamer, commenter admirer le Wilhelm Meisler franais.la salle!

Le pain du Sige Quand je pense qu'il y a des gens qui sont parvenus en garder, car j'en ai vu, quinze ans aprs, des morceaux, sous des vitrines.

Deuxdansvier,

raisonsles

expliquent

maet

stupeur.

D'abord,

jours suprmes,

il n'y en avait plus, qu'une ration de souris, trois cents grammes au plus. Or, c'tait la franche famine. Le Parisien est grand mangeur de pain, ainsi qu'on sait, et de tout autre aliment il peut se priver, mais de celui-l, non. Il lui en faut, l'ordinaire, ses quatre cent cinquante grammes en moyenne. Encore dans la classe ouvrire en trouverait-on peu qui s'en contentent. C'est ce qu'Emile Zola a parfaitement exprim par la boulimie de son Mes Boites, qui va, son pain de six livres sous le bras. Je me demande donc comment, sur leur part des trois cents grammes, les collectionneurs ont pu s'y prendre pour conserver la postrit un spcimen de cette boulangerie effroyable. Il doit coter plus cher que le radium. Mais ce qui m'tonne plus encore, c'est que cette... comment dire?... substance ait pu survivre l'armistice. Dj, chez le boulanger, elle dconcertait la chimie. Le savant Berthelot en jetait ses lunettes au

du i5 janpour chaque bouche, partir

chat.

Je

mange

sans comprendrele

, dclarait-il

il

Thophile Gautier, qui m'a cont

mot. Si encore19

218

SOUVEMBS d'un ENFANT DE PARISyeux en mchant ce masticle

n'y avait eu qu' fermer les

trange, mais l'odorat refusait son service, et l'imagination, surexcite parpeut-tre. C'est certainement ce pain inanalysable et dan-/

bombardement,

prtait

des origines affreuses au produit, non sans raison^

tesque qui a ouvert aux PrussiensParis lei*""

les

portes de

mars

1871. S'il y tait entr

un grain de1

bl par livre, on y serait peut-tre encore O ? A Metz au moins, sinon Strasbourg, A la place de

Jules Favre, Ferrires, j'aurais tout simplementjet sur la table, devant

Bismarck, un biscuit de:

cette matire, et je lui aurais dit

Reniflez,Il

!a ville est

vous.

l'amertume des larmes. du Sige, c'est ce que personne, sur la terre ou dans les cieux, ne dira, ne saura ou n'avouera jamais. Cru, on le prfrait cuit; cuit, on le regrettait cru. Voil tout ce que je me rappelle. En vrit, la nourriture tait d'aspect et de got abominables. D'aspect, il ressemblait ce rsidu olagineux que les olives crases laissent dans le pressoir et qu'on nomme, en Provence, le pain de trouille. Comme saveur, sauf une seule, celle du froment, il les avait toutes, mais mles en celle que prisent les scatophages, diptres vidangeurs. C'tait le pain de Nabuchodonosor, tel que d'aprs la Bible on se le figure. Les meilleures organisationstait inutile d'y ajouteril

De quoi

tait fait le pain

le

rendaient

comme

elles l'avaient assimil, engrais

avant, engrais aprs, sans diffrence.

En

gy[>te, lorsque l'on ouvre les

tombeaux pha-

raoniques, on y trouve quelquefois des galettes de farine places l depuis trois raille ans et qui, au

CROCODILE

219

bout de ce temps, fermentent encore. J'en donne mille de plus au pain du Sige pour rendre des chnes d'un bon gland dans sa poudrette. Aux dbuts du rationnement, ce fui d'abord un gteau de jene o le seigle disputait encore au son la prdominance. Puis le son rgna seul et sans rel dsagrment. Ensuite, on y pila du riz que l'on avait encore en abondance. Au riz succda le lin, gruau des cataplasmes, enfin la paille hache, les feuilles sches et l'corce des platanes. Et cette borne franchie, on entra dans l'insondable. Tout fut enfourn dans les fours, tout fut ptri dans les ptrins, et Ton s'lana dans le cannibalisme. Lesgindres aux torses nus taient formidables voir par les soupiraux. Ils malaxaient, n'importe quoi, et dans leurs ptes glatineuses, l'appoint de l'ordre vgtal tait fourni par l'ordre animal, l'ordre minral aussi, et mmel'ordre social.

Sur l'avenue des Ternes, dans

la

boulangerie o

mon pregneur

y a cinquante-huit ans, et qui,> l'heure o j'cris, n'a pas chang, il y avait un geiil

est mort,

de pain exalt paret

le

patriotisme qui dpas-

sait toute fantaisie et unissait

en

lui

Macbethplus,il

un cyclope de Vulcain.

une sorcire de Il ne ptrissait base de corne

forgeait. Je

me

suis cass des dents sur des

clous dans

mes

trois cents

grammes

et de papier chifTon.

Le

bruit courut

un

jour, et je

meque

rappelle fort bien l'avoir lu dans les journaux,l'on

commenait utiliser, dans cette alimentaRadeau de la Mduse, les ossements des catacombes Je ne l'ai jamais cru, mais il est certain ffue les derniers jours le pain du Sige avait comme un ffot de calcaire.tion de!

220

SOUVENIRS d'un ENFANT DE PARIS

1

!

est l'excuse, je le rpte, du Gouvernement de Dfense Nationale. Les gens de Paris ont Ihrosme naturel, invulnrable et joyeux, mais quand le pain manque, tout s'croule et Gavroche ne rigole plus courir aprs les clats d'obus. Il fallait se

L

la

rendre, Napolon l'et'

fait.

Un

matin, c'tait

la

dernire semaine de janvier,

l'excellente

Mme Labit, ma femme de mnage, qui ne m'abandonna jamais, me prvenait qu'une de mes parentes mourait littralement de faim dans son logis. C'tait une cousine de ma grand'mre.

l'appelions: tante lisa, et nous l'aimions tous pour sa bont candide. J'ai cont jadis, sous le titre de Tante Lise , l'histoire douloureuse de cette dans une chronique du Figaro, que vieille fdle M. Mac a d'ailleurs recueillie en l'un de ses ouvrages. Tante lisa, qui avait hi'it de son frre d'un chantier de bois et qui se dbattait, comme l'agneau contre les loups, dans ce rude commerce, avait fini par vendre son fonds bas prix pour une petite rente mensuelle. L'acqureur, assez brave homme, lui avait en sus laiss le droit d'habiter un petit pavillon, perdu sous les piles de troncs quarris et de bches. Elle s'teignait l doucement en compagnie d'une vieille qui avait t la matresse de

Nous

son frre et qu'elle avait innocemment recueillie

pour ne pas tre seule sur terre. Je courus au chantier et je trouvai, en effet, ces pauvres femmes affames et demi folles de besoin. Le successeur n'avait pu faire honneur la redevance du mois, eu tant lui-mme ses pices. Tout manquait l depuis trois jours, sauf le combustible qu'on prenait mme.

CROCODILE

221

Sauve-nous,pain.!

me

criait

lanle lisa.

Apporte-

nous du

Oh du bon pain blanc, pleurait Vous en aurez, ou je nefs-je,

l'autre.

suis

pas un

enfant de Paris.J'avais entendu conter l'ambulance du ThtreFranais que des malins en trouvaient encore la Manutention, sous forme de biscuit militaire et mme de boules de munition, et l'on s'en confiait le

secret l'oreille. Mlle dile Riquier en avait eu pourses blesss.J'allai

rsolument quai de Billy et je

demandai parler au directeur. Ce fut, Providence, amie des potes, l'un de ses employs qui vint merecevoir.

levs;

Comment, c'est toi? s'tait-il cri, les bras il faut un Sige pour se revoir. C'tait un de mes camarades de Charlemagne, unle fort

labadcns,

en thme de

ma

classe,

il

s'appelait

du palmars des grands concours. 'Voici ce qui m'amne, fis-je impudemment. La Comdie-Franaise manque de pain, et, tel que tud'tivaud, et sonest l'une des gloires

nom

me vois, je viens... Il ne me laissa pas

finir.!

Mlle Riquier sort d'ici !... Et il clata de rire. Puis il m'entrana dans les magasins et, m'ayant fait jurer le secret, d"o dpendait sa place, il me fourra sous le manteau une boule de munition, me glissa deux biscuits dans les pocher et me fit sortir par une porte de derrire qui ouvrai,

Tu en as, un

toupet

sur une ruelle.

Ma

chre tante lisa eut du pain blanc.19.

VI I

LES CINQ MILLIARDS

A ceux qui regrettent TEmpire, comme ceux qui maudissent encore la Commune, il convient de mettre peut-tre sous les yeux un petit tableau officiel, et maintenant historique, du bilan vritable de nos dsastres. Je lai trouv, au hasard de mes lectures, dans un vieux numro de la Revue des Deux Mondes, et, pour prciser, dans celui du i5 fvrier 1875.

Commela dfaite

tout

le

monde,

et

depuis

Irente-sept

annes, j'avais toujours cru et crit que les frais des'arrondissaient aux cinq milliards, d'ailleurs lgendaires, auxquelset qui furent, ainsi

Bismarck

l'avait

taxe

qu'on

sait,

couverts quarante fois

par l'enthousiasme national d'un emprunt o le capitalisme dcrocha son Austerlitz. Cette somme en dmence de cinq milliards qui devait tre paye enespces sonnantes et trbuchantes , comme on dit chez les notaires, dbordait le concept numrique des plus forts en chiffres de la bohme ternoise. Nous n'arrivions pas l'imaginer, ni en hauteur ni

LES CINQ MILLIARDS

223

en largeur. C'tait rHimalaya des monts de l'hyperbole. Nous restions crass d y penser seulement, comme des bergers devant les toiles.

Commentdisait

te

reprsentes-tu a,

toi, le

millrard ?

Georges, bouche be. nous Et l'un lui rpondait avec accablement Comme un Mont-de-Pit immense qui aurait:

dfinition joviale mais les lunettes de M. Thiers, charentonnesque, qui ne se prtait aucune ralisation graphique.

Le milliard, essayait un autre, est

le

nom

scien-

tifiqueje

de l'Impalpable. Dieu est milliardaire, mais

m'en fous, voil. Pipo minent, Frdric Andr s'efTorait de nous dsobnubiler reulendement par des images objectives la fois et prcises:

Le milliard est, en pices de dix sous empiles,distance exacte de la Terre la Lune, aller et

la

retour.

Qu'est-ce que a?

fait

en chanes de montres

ngociables

soupirait Alexandre.

a fait six fois l'anneau de Saturne, moins trois mtres cinquante, mais on n'en est pas trs sur l'Observatoire. Tout dpend de la longueur des chanes de montres, d'abord, et ensuite de la propret du verre de l'astrolabe. Ainsi parlait le ngreblanc.

Quellejamais de

diffrence y a-t-il entre milliard et bil-

lion ? insistait Zizi effar.

Aucune, mais on ditetla

de la monnaie de (cbillion monnaie de milliard, car telles sont:

les singularitsl'utilit

de la langue franaise. Elles prouvent passionnante de l'Acadmie.

221

SOUVENIRS d'un ENFANT DE PAKIS

C'est de la sorte, et de bien d'autres encore, que,

profanes, nous devisions de l'indemnit de guerre et

de son problme financier. Maurice Dreyfous, qui de naissance, coreligionnaire de Rothschild, et qui avait vu, de ses yeux vu, de l'or en barre, prtendait que, dans son culte, le milliard pouvait affec-i ter la forme d'une simple signature sur un papier. Nous appelons a, en hbreu un chque, et Salomon, chez nous, en parafait tout le temps la reine de Saba qui s'en faisait des papillottes. Devant une pareille documentation, nous exigemes de cet conomiste sa dmission de pote lyrique, dont il nous refusa d'ailleurs le sacrifice. Il prparait dans l'ombre un volume de vers, donttait,

:

Jules Glaretie avait dj crit la prface, et qui avait

pour

titre:

Bouffonneries lugubres ou Lugubreriesdisait-il

bouffonnes, au choix, mais l'un ou l'autre.

C'est pour le retour des affaires

!

avec

une foi candide et contagieuse. Oui n'en et t embras lorsque, aux guichets detous les tablissements de crdit, s'empilaient en effetles pices

sure

le

chemin de

de cinquante centimes dont la colonne mela Lune? Cette Allemagne, avec

sa guerre, elle avait fait une

bonne

affaire,

un coup

de cinq milliards ou billions, sans compter les penricanait-on dans les ateliers o s'tait forme lgende du butin des horloges. Eh bien ce n'est pas cinq milliards que se chiffre le cot de la dfaite et le prix du Second Empire, c'est au double. Soit dix milliards. On en apprend tous les jours. Il suffit de lire la Revue des Deux Mondes, trente-

dules

,

cette

!

sept ans aprs, la campagne. Voicirelev sur

le

compte,in-

un grand

livre officiel,

deux volumes

LES CINQ MILLIARDS

225

octavo, publis par l'Imprimerie Nationale, Liigubreries bouffonnes

ou Bouffonneries lugubres^

et sans

prface de Jules Claretie.les cinq milliards nets, purs et simples de Francfort, payables en espces sonnantes et trbuchantes, et dont les intrts 5 p. loo font encore sonner en deux ans et trbucher trois

D'abordtrait

du

cents millions.

Pour r(mtretien des troupes de l'armesurle territoire

victorieuse

des vaincus,i'"'

la

somme exactementune ardoiseet

verse se totalisa, aulaisss.

juillet 1872,

de 278.637.000 francs, horlogerie part,

centimes

trente-neuf millions et cinquante plus les impts perus sur lesdils dpartements, soit cinquante millions, dpartements,trois mille francssi

Aux

contributions, dites de guerre, payes parles

vous ajoutez

les trois cent trente jolis

millions des

rquisitions opres sur nos provinces, les cent quarante-deux millions de dgts et deux cent soixantecinq autres millions pour les vols de titres, de meubles et du reste, joies du soldat, main arme, vous quilibrerez comme un comptable une colonne dont le ft repose sur une base granitique de huit cent vingt-six millions et quelque cinquantaine demille livres.

Pourguerre

Paris,fleurit

ville

lumire,

la

contribution de;

deux cents

raillions;

les

pertes et

dommages

soixante-dix autres

le

retard des impts

parfume le Fisc, immortel comme la nature, d'un retour du printemps de sept millions de pquerettes, et je relve encore avec amour un bouquet de trois millions pour fter la gendarmerie enfin solde.

226

SOUVENIRS d'un EJS'FANT DE PARIS

Ce n'est pas tout. Il y a le rglement des pensions nationales en souffrance, le montant des rquisitionsles rparations ple, les

franaises rembourser selon la loi du i5 juin 1871, des proprits d'tat, biens du Peu-

dpenses de guerre de nos armes, celles de de la rorganisation militaire, et vingt autres charges et dettes d'honneur national o j'omets celle contracte par la Comdie-Franaise envers ses potes. C'est dix milliards. Et au bas mot , dit la Revue des Deux Mondes^ o les calculs en laissent Barrme. Alors, et puisqu'il en est ainsi, bien des choses s'expliquent o l'histoire n'y voyait que du feu, et notamment cette insurrection du Dix-Huit Mars, connue sous le titre de la Commune, et qui ne fut sans doute qu'un recul violent devant un tel rglement du rgime tomb. 11 est certain que dix milliards pour un ensemble de victoires qui, de l'aveu de l'tat-major allemand, ne revinrent aux tats confdrs qu' 1 milliard 420 millions de dbours, sont une compensation un peu usuraire, et que le peuple hroque de Paris avait lieu de juger svrement ceux qui, chez Rothschild mme, Ferrires en signaient l'affront son courage. Oui, tout de mme, ce brillant marquis de Galliffet qui vient de s'en aller dans un concert de louanges mrites, aurait pu avoir la main moins lourde et moins expditive quand il rentra, l'pe au poing,^ dans sa bonne ville de joie et son Grand Seize dorOn a le droit de ne pas endetter ses enfants et ses petits-enfants de dix milliards lorsqu'il y a encore deux armes qui combattent sur le sol de la patrie,,l'elfectif,:

dites,

mon

gnral

?

IX

L'ALSGE-LORRAINE

L'un des drames, ns de

la

grande tragdie,

rw'i

murent

le

plus les potes, fut celui de l'annexion

violente de l'Alsace et de la Lorraine l'empire gerla dfaite, ajout aux dix milnous parut tous outrepasser les droits de la victoire et les murs mmes de la guerre moderne. Ce Bismarck refoulait sur la barbarie. Il dshonorait cette Allemagne philosophique qu'on nous avait appris, dans nos collges, rvrer en ses grands esprits, les Gthe, les Kant, les Hegel, conducteurs de libert 4iumaine. Non, vraiment, ce dmembrement de la patrie, unifie par nosrois avec tant de peines et dont l'difice avait t ciment par le sang des hros de 92, ce n'tait mme plus une revanche d'Ina, et toute la civilisation europenne en tait soufflete. La botte sanglante du retre pomranien lacrait de ses perons tous les drapeaux del chrtient. En outre, il faut se souvenir que, la fin du second

manique. Ce prix de

liards de la ranon,

228

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PARIStait,

Empire, l'Alsacevinceetla

grce ses

artistes, la pro-

seulement, de concert avec la Lorraine mme, elle nous avait fourni le tiers de i'tat-major de l'Iliade napolonnienne, toujours chre anx chantres de gloire, mais c'tait le temps o les romans d'Erckmann-Chatrianplus populaire de France.fleurissaient leur succs

Non

immense. Toute une cole

de peintres, entre lesquels Gustave Brion, avait mis la mode les choses et les gens du pays de Klberet

de Kellermann, ses

jolis

costumes, ses ftes de

fa-

mille, ses intrieurs

pittoresques, la grce rose de

ses

femmes endimanches. Jean-Jacques Henner,tait,

notre Corrge,

entre tous les matres de la pa-

lette franaise, celui

qui accordait sur son gnieil

l'admiration universelle, et

nous venait d'Alsace. fer, grand sonneur d'heures psychologiques, avait mal rgl celle-l son horloge politique pour en tinter le glas de l'annexion, et ce coup, le cri de douleur atteignait au hurlement. Si nous avions eu alors un Danton, la guerre et repris d'elle-mme cette injure dmesure. Lon Gambetta pouvait l'tre ce Danton, et il est certain qu'il le voulut. L'hommage que JeanJacques Henner lui fit de sa clbre Alsacienne parat en tmoigner, et on se demande encore ce qui dcouragea le tribun de relever le dfi suprme. Je mets en fait qu'aucune injure, ou, si l'on veut, aucun v viciis, ne nous mordit autant aux entrailles que ce vol gographique et ethnographique de nos provinces rhnanes, etqu'aujourd'huiencore, quoi qu'on en dise, la plaie demeure ouverte et fait l'abme. Du reste, ds cette poque, les Allemands les plus sages en prsagrent les consquences fatales. Ils

En

vrit,

le

chancelier

de

l'aisace-lohiaine

22!)

virent l'erreur bismarekienne et plusieurs crivainss'en dsolrent juste raison.

C'est de cette faute

plus grave qu'an crime,

comme

on

dit

dans

l'art

de

Tallevrand, que l'homme de Varzin est mort. D'elle seule vient, qu'au bout de quarante ans, laps norme

en

hi'toire,

deux peuple^; de races

fraternelles n'arri-

vent pas se rconcilier. L'internationalisme

mme

y dfaille et le socialiimie univer>3el retire ses mains tendues au mot Alsace- Lorraine, qui en toutes laniniquit. gues, se traduit par Vous le voyez, mon chancelier, que la force ne prime pas toujours le droit. Il l'opprime, et voil::

tout.

Deles

l vient

que

Paris, ville des villts, accueillela

tous

souverains des peuples contre iesquels

France a soutenu des guerres de sept, de trente, voire de cent ans, mais qu'elle ne reoit pas et ne peut recevoir le chef de la ntition qui, lourdement, a grei sur un trait de paix, aprs six mois de conflit seulement, un fruit empoisonn de rancune ternelle.JI

n'y a plus discuter la thorie qui base les uni-

ts elhni({ues

sur la siioililude des idiomj^s.S'ans tenir

compte de

la

course historique parcourue par les(^ette

mmes

sei'vanls d'une patrie ni les dlimitations na-

turelles,

orographiques, maritimes ou fluviales,

thorie est paradoxale et arbitraire. Elle distribue laterre d'aprs les

donnes d'un principe

contresens

de migration qu^ mnent et f jcmnent l'espce au gr des bouleversernerits confiants de la pladesksis

nte. Lepuis eon origine obscure, leest

genre humain en tat perptuel de colonisation. La patrie est ua campeirjent, plus ou moins sculaire, mais un ccmpeinenl en somme, et l'on peut dire que l'intrt seul, l'habitude et le sentiment nous y attachent.20

^30

SOUVENIRS

d'uIS

ENFANT DE PARIS

.

Que prouve la Ic.ngue pour des cl&s&ernenls politiques? Rien. Leszingaris elles juifs, rests nomades, parlent leur langue transmise sur tous les chemins AliIS

tait

marqu de

la grille

Viclor

Hugo

l'avait olVert

du lion. Comme en oulre bon litre d'authenticit,l'un

on

n'avait pas douter d'une telle caution, et

n'en doutait pas.

A lavoulutsait

vente de Gautier, en janvierle ravoir.

187.3,

Alice O/.y

Or,

si

riche qu'elle ft, elle ne laiset,

pas d'tre conome,

quitte dprcier le bai-

ser dont elle lavait pay, elle imagina, pour l'acqu-

bas prix, d'en contester elle-mme l'attribution chez l'expert. J'tais chez cet expert, o de concert avec mon beau-frre, Thophile Gautier fils, je rdirir

geais

le

catalogue del vente, lorsqu'elle se prsentadit-elle.

fort agite.

C'est ma conscience qui m'amne, nousLe Combat du Giaoursais

n'est pas de Delacroix, et j'en

quelque chose, peut-tre puisqu'il m'avait t \'ictor Hugo, aprs avoir appartenu son fils Charles. Tous mes amis l'ont vu chez moi et c'est parce que Tho en raffolait que, pour lui faire plaisir, je lui ai dit un jour Emporte-le. !Mais, s'il n'est pas de Delacroix, madame, avait fait Thophile, de qui est-il, car je l'ai toujours vu. chez mon pre, et trait avec les honneurs dus son illustre auteur ?

donn par

:

Du reste, confirmai-je,mme!...

comment

N'ictor

Hugo,

la probit

Il

n'y a qu'

jurer que c'est un Delacroix et

vous regarder pour mme l'un de ses

chefs-d'uvre!

!...

?. Je connais tous les peintres passs, prsents et futurs, mais je n'en connais pas du nom de Poterlet.

Eh bien non! C'est un Poterlcl. Un Poterlet avait relev l'expert.Poterlet est

mort, reprit-elle, mais c'tait un

LA COLLECTION

?Metii

amilait

(le

Charles.

Il

Iravaillait

chez DelacroixC'tait

excel s'y

contrefaire sa

manire.

mme

tromper,

un jour qu'il avait besoin d'argent, et moi aussi, Charles vendit son pre, Victor Hugo, Le Combat de G iaour, qui tait de Polerlet. C'est comme a que je l'ai eu. Voil Et nous nous regardmes, Thophile, l'expert et moi, extasis de cette comdie de vieux rpertoire. Mais comme Alice Ozy nous menaait de tout dire en pleine salle de l'htel des Ventes, nous!

Eh bien

comme vous le voyez vous-mme. Eh bien madame ?!

!

dmes

enregistrer

le

nom

n'en monta pas moins au vent de l'encan tre

de Poterletla pice, qui 3, 4oo francs,

la grande fureur de l'acqureur, lequel n'tait au-

Ozy en personne. du cabinet d'art de Thophile Gautier tait, non seulement une raret, mais une pice unique. C'tait un bronze, moule perdu,quela

mme

Alice

La deuxime

curiosit

de 66 centimtres de haut sur 3o centimtres de large, o Auguste Prault avait symbolis la Comdie Humaine, d'Honor de Balzac par une figure de femme assise, un coude sur les genoux. Ravage par toutes les passions, la tte en exprimait tous les dsespoirs, et de la main gauche elle laissait tomber d'un geste de lassitude infinie, le masque comique rappelant le titre de l'uvre colossale du grand Tourangeau. En vrit, la pice tait superbe et l'amateur qui l'acquit la vente pour huit cents,

francs peut se vanter d'avoir chez

lui, s'il vit

encore,

un chef-d'uvre de statuaire romantique. pas vendu ma chemise pour le garder,doute parce queje

Si je n'aic'est

sans

n'en avais qu'une.

332

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PARIS

Pour obir la volont expresse de l'artiste, le bronze tait pos terre, comme sur une dalle funraire, et, Theure d'entre chien et loup, on s'y heurtait, mais c'tait son heure, et l'ef'et dans la pnom-; bre en tait saisissant. J'ai souvent pens que ceteffet se reproduirait,

dcupl,

si

on

le plaait

en

all-

gorie dcorative au pied de la statue de Balzac mme, avenue Friedland. Mais o est-il, et qui l'a,

depuis trente-huit ans ? Auguste Prault tait un fort beau gnie de cette cole moderne de sculpture de mouvement qui se

cherche en Pierre Pujet d'abord, puis en Rude, en Barye, en Carpeaux, et s'exprime prsent en Auguste Rodin. Il est certain qu'on n'idalise pas Balzac ou Victor Hugo comme Homre ou Virgile, et qu'ily a dans leurs uvres un geste nouveau qu'il faut rendre sous peine de les trahir. Ce qui a nui la gloire de Prault, c'est son ind-

pendance et surtout son esprit. Il en avait revendu courant seul de ses mots, il se crait plus d'ennemis par jour qu'il n'en faudrait pour touffer un jMichel-Ange. En France, l'esprit est un mtier propre et divis il ne peut venir en surcrot aucundre, et,;

art. Peintres,

musiciens et potes, tous doivent tre btes, ou le paratre, de peur de troubler la Critique. Mais un statuaire spirituel, c'est le monstre, et Au-

guste Prault fut ce monstre.

JeIl

t'en supplie, disait-il

attribue

mes motsfaire.

Thophile Silvestre, Chamfort. Je ne trouve plus un

buste

contait

l'anecdote,

un jour Bracquemond, de qui je tiens que prsent y }.i. de Nieuwerkerque, ceavait

confrre

lui

demand

s'il

tait

parent de

LA COLLECTIONcette

333

mauvaisele

g-ale ?

de Prault, qui en vomissait

sur tout

Parent,comte.

monde

moi-mme. Maistion,le

non, avait-il rpondu, c'est un autre il ne vomit que les jours d'indigesl'Institut

aux sances de

par exemple, monsieuret

Avec La Comdie Humaine de Prault du Giaour de Delacroix-Poterlet, il ydansle

Le Combat

avait encore

salon de Neuilly certaine toile singulire qui,

dshonorait franchement le petit muse. Ainsi du moins en jugeaient la plupart des visiteurs du pote. La composition mettait en uvre la scne vanglique de la piti du Christ pour Madeleine etcelle-l,elle

semblait peinte par un Giotto, dpourvu de

couleurs, avec une brosse faite du poil de ses chvres.

Tu

devrais ter a de chez

toi, lui

disaient ses

amis du jury annuel des Salons. Entre ton Delacroix et ton Ingres, cette vague bauche a l'air de l'un de ces peu prs de formes que les nues dessinent dans le ciel en septembre. Mais Gautier secouait la tte, sans cder ni rpondre, etporte etaussi,ilil

maintenaitle

bonne place, dansla fentre.

le Jesu et Magdalena sa demi-jour favorable, entre lail

Car

savait bien ce qu'il faisait, ld'art, et, le

commen'est

en toutes choses

premier,

avait devin Puvis de Chavannes.

Rien

amusant pour ceux

qui, ayant

un peu

dur, survivent aux volutions du got et del mode,

comme.

les palinodies

o se jouent

les gloires artis-

tiques.

Ce sont

les plus contestes

qui deviennenttoujours. Mais

les plus incontestables, et vice versa,si la

critique se distingue au jeu des mprises, les

334

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PARIS

experls et marchands y atteignent au sublime de la ccit professionnelle, et, l'on peut dire, qu'au mar-

ch des

toiles, c'est l'aberration

mme

qui tient le

manche du marteau des commissaires priseurs. A l'htel des ventes, il y a un moyen infaillible de nejamais se tromper sur la valeur relle d'un tableau moderne, c'estd'acqurir celui dont personne ne veut, qu'on a pour le prix du cadre, s'il est consacr par les gorges chaudes des connaisseurs patents. Le problme est celui-ci, dans tous les arts Donne-moi une premire du Tannhuser Qi je te:

donnerai un Richard Wagner. Il n'y a pas dix Et voici l'axiome du problme hommes par gnration, assez, je ne dis pas intelligents, mais assez honntes, pour saluer un gnie nouveau son aurore. Demandez aujourd'hui aux matres de la place ce:

pour

aux hritiers du prince Slirbey Magdalena de Puvis de Chavannes que cet aventureux seigneur mit, en 1878, sous son bras pourqu'ils

offriraient

cette

douze cents francs, et erudimini, gentes ! Il y a deux ou trois ans, je reus d'un des plus clbres ngociants d'art de Paris une lettre o il me priait de lui faire savoir, si j'en avais la souvenance, ce qu'tait devenue une dcoration de thtre excute par Puvis de Chavannes chez Thophile Gautier, el dont il tait question dons une ode de Thodore de Banville. Renseignements pris bonne source, il me fut confirm, en efet, qu'en i863, pour clbrer l'anniversaire du pre de famille, ses enfants avaient organis une reprsentation du Tricorne Enchant sur la terrasse de la maison, qu'ils en avaient jou les rles et que c'tait Puvis de Chavannes qui

LA COLLECTION

335

en avait bross

la toile de fond, une place publique de rpertoire avec l'habitation de Gronte. Cette toile de fond avait t, aprs la fte, roule sur son bton de traverse et jete dans un coin, la

cave, o les rats l'avaient probablement dchiquete

mange, car il n'en restait pas trace. Et le chagrin du marchand de tableaux fut immense, mais bien plus comique encore, car cet expert tait de ceux qui, en cette mme anne 1866, dirigeaient l'htel Drouot le chur des gorges chaudes contre l'auteur de La Guerre et la Paix. Pourquoi, lui disais-je, la vente de Gautier, n'avez-vous pas disput la Magdalena au prince Stirbey?et

Ah Quoi!

si

j'avais su

I

? fs-je.

en effet, que pouvait- il savoir? Est-ce qu'on dans ce ngoce, o l'cri^teau devrait tre A la mort Puvis de Chavannes fut, jusqu' la dernire heure, le plus fidle des fervents du matre. Il ne se passait pas un jour qu'il ne vint prendre de ses nouvelles, car il l'avait en adoration perptuelle. Il arrivait de bon matin, de la place Pigalle, o il avait son petit atelier, se glissait par la porte de la salle manger, s'y asseyait et attendait que l'on ft rveill pour savoir, de l'un ou de l'autre, comment Tho avait passEt,sait,: !

nuit? Je l'ai trouv l bien souvent, la chatte ponine sur les genoux, et en train de peler la rave dontla

faisait son djeuner asctique du matin, le seul repas qu'il prt jusqu'au dner du soir, car il travailil

lait

et les

jeun, et non autrement, comme fra Angelico moines peintres de la Renaissance.

336

SOUVENIRS D UN ENFANT DE PADIS

Dans Tune de ses fresques, la plus belle peut-tre, que l'on voit Poitiers, o il a reprsent sainte Radegonde, en son abbaye de Sainte-Croix, au milieu de sa cour de lettrs et de clercs du gai savoir, le pote debout qui dbite une ode est l'image la fois vivante et idale de Thophile Gautier. Il n'en sera jamais fait de portrait plus ressemblant, par une main plus dvole et par un art plus magnifique.

Vlll

A TABLE

Il

toiles,

y avait dans la salle dont trois de Jadin,

manger dele

Neuilly, cinq

peintre de

chiens,

Larousse reproche si drlement de ne pas C'tait trois ttes de avoir eu d'opinion politique lvriers qui prsidaient ainsi aux repas du pote. Thophile Gautier aimait les chiens, mais il les craignait, cause de la rage, dont Pasteur n'avait pas encore trouv le remde. Il s'en confesse nettement du reste dans Mnagerie Intime, l'un de ses livres les plus dlicieux et qui est le roman de ses bles. Ensuite leurs yeux l'inquitaient. Ils ont des regards si profonds, si intenses, ils se posent devant vous avec un air si interrogateur, qu'ils vous embarrassent. Gthe n'aimait pas ce regard qui semble vouloir s'assimiler l'me de l'homme et il Tu as beau faire, chassait l'animal en lui disantquileI

:

tu n'avaleras pas

ma monade

!

29

:^38

.

SOLVKMliS D UN ENFANT DE

PAIilS

Il

nele

fallut rien

moins que sa

lendres.se paternelle

poursa

fille

dcider hospitaliser celui qu'avait ado|>l cadette, et qui fut baptis Dash, probablela

ment en souvenir de

comtesse Dash, qui, ne Poi-

lou de Saint-NIars, avait pris elle-mme ce pseudo-

nyme

d'un petit chien, afin de ne pas dshonorer sa

famille en prenant la plume. Un jour, un marchand de verres casss passa devant notre porte, demandant des morceaux de vitre et des tessons de bouteille. Il avait dans sa voiture un jeune chien de trois ou quatre mois qu'on l'avait charg d'aller noyer, ce qui faisait de la peine ce brave homm