sous toutes rÉserves - odage.ch · le roi ubu s'invite À carl-vogt 3 une procÉdure pÉnale...

20
RÉSERVES Revue du Jeune Barreau de l'Ordre des Avocats de Genève automne 2017 / n°30 sous toutes BREXIT 6 LE ROI UBU S'INVITE À CARL-VOGT 3 UNE PROCÉDURE PÉNALE SOUS HYPNOSE 18 Cee année encore, lors de la rentrée judicaire des tribu- naux de Montréal, il n’était question que d’une chose : l’arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada de 2016, qui limite la durée des procédures judicaires en matière pénale. En se basant sur la Charte des droits et libertés - pendant canadien de la Convention européenne des droits de l’homme - qui garantit à tout inculpé le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, la Cour suprême a fixé des pla- fonds pour la durée totale d’une procédure pénale : 18 mois pour les procédures en cour provinciale et 30 mois en cour supérieure. Selon le Professeur de droit civil canadien Sébastien Gram- mond, la Cour suprême a pris cee décision en sachant qu’elle aurait des conséquences sur de nombreux procès, mais surtout qu’elle aurait pour effet de forcer les différents gouvernements à consacrer davantage de ressources au pouvoir judiciaire. Le Professeur Grammond a vu juste. Le gouvernement de la province du Québec a débloqué, fin 2016, un budget de 175 millions de dollars canadiens sur 4 ans pour réduire les délais de justice, prévoyant notamment de nommer dix-huit juges et une cinquantaine de procureurs supplémentaires, et d’engager plus de 200 employés administratifs. Une année après cet arrêt, les résultats sont tangibles. Tous les intervenants du monde judicaire s’accordent à dire que des progrès considérables et inimaginables il y a un peu plus d’un an ont été accomplis, de sorte que la problématique des lenteurs judiciaires excessives en procédure pénale est désormais quasiment résolue. A ce stade, un constat s’impose : mis devant le fait accom- pli par la Cour suprême, tous les participants du système judiciaire canadien ont travaillé de concert pour trouver des solutions. Ma question est donc la suivante : pourquoi sommes-nous contraints d’aendre des décisions de nos instances su- prêmes pour faire respecter certains droits fondamentaux ? Il a fallu que le Tribunal fédéral soit saisi pour que les condi- tions de détention inhumaines de certains détenus de la prison de Champ-Dollon soient condamnées et que les autorités genevoises soient ainsi contraintes de prendre des mesures structurelles et/ou institutionnelles. Il a encore fallu que le Tribunal fédéral soit saisi pour que les autorités pénales genevoises meent fin à leur pratique concernant l’indemnisation pour le tort moral subi en lien avec la détention injustifiée. Devons-nous aendre que le Tribunal fédéral tranche la question de la constitutionnalité du tarif prévu par le Règle- L'édito Annee Micucci Premier Secrétaire du Jeune Barreau ment sur l’assistance juridique pour les avocats-stagiaires à Genève, alors même que tout le monde s’accorde à dire, dans les couloirs du Palais de justice, que ce tarif ridiculement bas doit être revu ? Le tarif genevois est pourtant le plus bas de Suisse, au point qu’un avocat jurassien, neuchâtelois ou ar- govien verra son avocat-stagiaire rémunéré le double, alors qu’il a des charges sensiblement moins élevées. Devons-nous aendre que le Tribunal fédéral se penche sur la pratique des tribunaux genevois en matière d’accès à la ju- risprudence, alors même que nos juges suprêmes ont défini- tivement posé le principe d’un accès général et complet aux décisions judicaires dans un arrêt récent (1C_123/2016 du 21 juin 2016) ? Le Tribunal pénal a récemment retenu, dans le cadre d’une demande d’accès à sa jurisprudence des 10 dernières années, que cela « impliquerait un travail manifestement disproportionné pour le Tribunal pénal et rendrait nécessaire l'engagement de collaborateurs supplé- mentaires, ce que le budget, voté par le Grand Conseil, ne permet pas ». Or, en matière pénale notamment, l’accès à la jurisprudence est primordial pour que l’égalité des armes soit garantie. A Genève, le Ministère public a accès à tous les jugements et arrêts rendus par les juridictions pénales, contrairement à la sélection très incomplète disponible sur le site internet du Pouvoir judiciaire pour les justiciables et leurs conseils. Nous ne devrions pas avoir à nous bare pour cela. Nous ne devrions pas avoir à saisir la juridiction suprême de notre pays pour qu’elle tranche des questions évidentes. De la même manière, les autorités judiciaires cantonales ne devraient pas avoir à aendre l’avis du Tribunal fédéral pour prendre les décisions qui lui semblent légitimes, de peur d’être tenues pour responsables d’une augmentation du budget, qui pourrait impacter d’autres postes de ce même budget. Dans l’intérêt de tous, mais avant tout du justiciable, nous devons instaurer le dialogue, partager, mere sur pieds des groupes de travail avec des représentants de tous les interve- nants de notre système judiciaire, et transmere ensemble ce message : la justice a certes un coût, mais elle n’a pas de prix. Ne travaillons pas les uns contre les autres, mais travaillons ensemble pour construire la justice de demain et lui donner les moyens nécessaires pour assurer qu’elle soit accessible par tous les justiciables. La garantie de notre Etat de droit en dépend. Questions à Me Louis Muskens participant à la compétition francophone 1. Pourquoi avoir décidé de participer ? Il est des nécessités plus douces que des choix, telle celle de participer au Prix Paris-Montréal de la francophonie. Il est des choix que l’on regree, or je savais que celui-ci n’en serait pas. 2. Comment vous êtes-vous préparé pour le discours ? Paradoxalement, par inaction. Avant d’habiller une pensée de mots rares et précieux ou de figures de style, il convient de la façonner, de lui donner corps et une idée ne naît que rarement sous la contrainte ou dans l’expectative. Je gardai donc le sujet à l’esprit jusqu’à ce que les vicissitudes du quo- tidien ne me fournissent un thème sur lequel broder. « Quel régime politique pour l’état d’ébriété ? » Tout s’éclaircit lorsque je rencontrai, au détour d’une armoire de salle de bain, un déodorant Vichy. Vichy, eau. Eau, alcool. Alcool, déshydratation. Régime politique, régime de Vichy. Régime politique, régime alimentaire. Pour simplifier et en ordonnant : Alcool, déshydratation, eau, Vichy, régime de Vichy, régime politique. L’écriture pouvait commencer. La phase de rédaction dura moins d’une semaine. S’ensui- vit l’intériorisation du texte puis de nombreuses répétitions devant ceux qui daignèrent sacrifier un peu de leur temps au Canada pour me prodiguer de précieux conseils - ils se reconnaîtront et ne douteront plus de ma gratitude en lisant ces lignes. 3. Quelle phrase retiendriez-vous de votre discours ? « Démocratie ou dictature, l’ivresse n’en a cure. » 4. Quelle phrase retiendriez-vous des autres discours ? Je retiendrai la phrase de mon Confrère des Hauts-de- Seine, Me Nicolas Etcheparre, qui, avec la finesse que je lui connais, releva l’incohérence des directives du concours qui appelaient à répondre à la question par l’affirmative ou la négative : « Quel régime politique pour l’Etat d’ébriété ? Non. Non. » (suite en page 5) Concours international de plaidoiries de Montréal

Upload: others

Post on 13-Feb-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

RÉSERVESRevue du Jeune Barreau de l'Ordre des Avocats de Genève automne 2017 / n°30

sous toutes

BREXIT

6LE ROI UBU S'INVITE À CARL-VOGT

3UNE PROCÉDURE PÉNALE SOUS HYPNOSE

18

Cette année encore, lors de la rentrée judicaire des tribu-naux de Montréal, il n’était question que d’une chose : l’arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada de 2016, qui limite la durée des procédures judicaires en matière pénale.En se basant sur la Charte des droits et libertés - pendant canadien de la Convention européenne des droits de l’homme - qui garantit à tout inculpé le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, la Cour suprême a fixé des pla-fonds pour la durée totale d’une procédure pénale : 18 mois pour les procédures en cour provinciale et 30 mois en cour supérieure.Selon le Professeur de droit civil canadien Sébastien Gram-mond, la Cour suprême a pris cette décision en sachant qu’elle aurait des conséquences sur de nombreux procès, mais surtout qu’elle aurait pour effet de forcer les différents gouvernements à consacrer davantage de ressources au pouvoir judiciaire.Le Professeur Grammond a vu juste. Le gouvernement de la province du Québec a débloqué, fin 2016, un budget de 175 millions de dollars canadiens sur 4 ans pour réduire les délais de justice, prévoyant notamment de nommer dix-huit juges et une cinquantaine de procureurs supplémentaires, et d’engager plus de 200 employés administratifs.Une année après cet arrêt, les résultats sont tangibles. Tous les intervenants du monde judicaire s’accordent à dire que des progrès considérables et inimaginables il y a un peu plus d’un an ont été accomplis, de sorte que la problématique des lenteurs judiciaires excessives en procédure pénale est désormais quasiment résolue.A ce stade, un constat s’impose : mis devant le fait accom-pli par la Cour suprême, tous les participants du système judiciaire canadien ont travaillé de concert pour trouver des solutions.Ma question est donc la suivante : pourquoi sommes-nous contraints d’attendre des décisions de nos instances su-prêmes pour faire respecter certains droits fondamentaux ?Il a fallu que le Tribunal fédéral soit saisi pour que les condi-tions de détention inhumaines de certains détenus de la prison de Champ-Dollon soient condamnées et que les autorités genevoises soient ainsi contraintes de prendre des mesures structurelles et/ou institutionnelles. Il a encore fallu que le Tribunal fédéral soit saisi pour que les autorités pénales genevoises mettent fin à leur pratique concernant l’indemnisation pour le tort moral subi en lien avec la détention injustifiée.Devons-nous attendre que le Tribunal fédéral tranche la question de la constitutionnalité du tarif prévu par le Règle-

L'édito

Annette MicucciPremier Secrétaire du Jeune Barreau

ment sur l’assistance juridique pour les avocats-stagiaires à Genève, alors même que tout le monde s’accorde à dire, dans les couloirs du Palais de justice, que ce tarif ridiculement bas doit être revu ? Le tarif genevois est pourtant le plus bas de Suisse, au point qu’un avocat jurassien, neuchâtelois ou ar-govien verra son avocat-stagiaire rémunéré le double, alors qu’il a des charges sensiblement moins élevées.Devons-nous attendre que le Tribunal fédéral se penche sur la pratique des tribunaux genevois en matière d’accès à la ju-risprudence, alors même que nos juges suprêmes ont défini-tivement posé le principe d’un accès général et complet aux décisions judicaires dans un arrêt récent (1C_123/2016 du 21 juin 2016) ? Le Tribunal pénal a récemment retenu, dans le cadre d’une demande d’accès à sa jurisprudence des 10 dernières années, que cela « impliquerait un travail manifestement disproportionné pour le Tribunal pénal et rendrait nécessaire l'engagement de collaborateurs supplé-mentaires, ce que le budget, voté par le Grand Conseil, ne permet pas ». Or, en matière pénale notamment, l’accès à la jurisprudence est primordial pour que l’égalité des armes soit garantie. A Genève, le Ministère public a accès à tous les jugements et arrêts rendus par les juridictions pénales, contrairement à la sélection très incomplète disponible sur le site internet du Pouvoir judiciaire pour les justiciables et leurs conseils. Nous ne devrions pas avoir à nous battre pour cela. Nous ne devrions pas avoir à saisir la juridiction suprême de notre pays pour qu’elle tranche des questions évidentes.De la même manière, les autorités judiciaires cantonales ne devraient pas avoir à attendre l’avis du Tribunal fédéral pour prendre les décisions qui lui semblent légitimes, de peur d’être tenues pour responsables d’une augmentation du budget, qui pourrait impacter d’autres postes de ce même budget. Dans l’intérêt de tous, mais avant tout du justiciable, nous devons instaurer le dialogue, partager, mettre sur pieds des groupes de travail avec des représentants de tous les interve-nants de notre système judiciaire, et transmettre ensemble ce message : la justice a certes un coût, mais elle n’a pas de prix.Ne travaillons pas les uns contre les autres, mais travaillons ensemble pour construire la justice de demain et lui donner les moyens nécessaires pour assurer qu’elle soit accessible par tous les justiciables. La garantie de notre Etat de droit en dépend.

Questions à Me Louis Muskens participant à la compétition francophone

1. Pourquoi avoir décidé de participer ? Il est des nécessités plus douces que des choix, telle celle de participer au Prix Paris-Montréal de la francophonie. Il est des choix que l’on regrette, or je savais que celui-ci n’en serait pas.

2. Comment vous êtes-vous préparé pour le discours ? Paradoxalement, par inaction. Avant d’habiller une pensée de mots rares et précieux ou de figures de style, il convient de la façonner, de lui donner corps et une idée ne naît que rarement sous la contrainte ou dans l’expectative. Je gardai donc le sujet à l’esprit jusqu’à ce que les vicissitudes du quo-tidien ne me fournissent un thème sur lequel broder.« Quel régime politique pour l’état d’ébriété ? » Tout s’éclaircit lorsque je rencontrai, au détour d’une armoire de salle de bain, un déodorant Vichy. Vichy, eau. Eau, alcool. Alcool, déshydratation. Régime politique, régime de Vichy. Régime politique, régime alimentaire. Pour simplifier et en ordonnant : Alcool, déshydratation, eau, Vichy, régime de Vichy, régime politique. L’écriture pouvait commencer.La phase de rédaction dura moins d’une semaine. S’ensui-vit l’intériorisation du texte puis de nombreuses répétitions devant ceux qui daignèrent sacrifier un peu de leur temps au Canada pour me prodiguer de précieux conseils - ils se reconnaîtront et ne douteront plus de ma gratitude en lisant ces lignes.

3. Quelle phrase retiendriez-vous de votre discours ?« Démocratie ou dictature, l’ivresse n’en a cure. »

4. Quelle phrase retiendriez-vous des autres discours ?Je retiendrai la phrase de mon Confrère des Hauts-de-Seine, Me Nicolas Etcheparre, qui, avec la finesse que je lui connais, releva l’incohérence des directives du concours qui appelaient à répondre à la question par l’affirmative ou la négative : « Quel régime politique pour l’Etat d’ébriété ? Non. Non. » (suite en page 5)

Concours international de plaidoiries de Montréal

CHALET ROYALP HÔTEL & SPA • Domaine de Rochegrise • CH-1884 Villars-sur-Ollon •Switzerland

T +41 24 495 90 90 • [email protected] • www.RoyAlp.ch

63 ROOMS & SUITESAND

30 RESIDENCES

3 RESTAURANTS Jardin des Alpes

One Michelin Star, 2018

BUSINESS EVENTS

1200 M2SPA BY ROYALP

3automne 2017sous toutes réserves n°30

Plusieurs de nos membres appelés à intervenir lors d’audi-tions à la police nous ont confié leur perplexité face à des comportements que l’on qualifiera de « surprenants ». On semble en effet assister à une recrudescence d’incartades, de libertés prises avec les droits de la défense et autres extra-vagances. Les exemples ci-dessous nous ont été rapportés par nos Confrères. Tous les cas connaissent un cadre similaire : en-quête, arrestation, audition à la police et M. X. se retrouva dans une cellule d’interrogatoire. Un avocat dépêché se chargea, en vingt minutes, de lui lister ses droits et de lui expliquer –sans accès au dossier1– les accusations à son encontre. Qu’allait-t-il se passer lors de l’audition ? Consultons les textes : le code de procédure pénale prédisait à M. X., entre autres choses, le droit à la présence d’un avocat (a), son droit au silence (b) et quelques droits lorsque l’audition est déléguée par le Ministère public (c).

a) Droit à la présence d’un avocat qui ne soit pas aphone (art. 158 et 159 CPP)

Tous les intervenants de la salle avaient droit à un siège muni d’un dossier, sauf M. X. : son statut précaire de pré-venu ne méritait qu’un banc. Nul doute que ce traitement différencié reposait sur des motifs neutres et objectifs2. La chaise de son avocat avait soigneusement été placée –par qui ?– derrière M. X., enfin, tout au fond de la salle, dans le coin le plus éloigné du luxueux banc. Aucune communica-tion n’était possible. Le hasard faisait bien les choses.Pourtant, l’art. 159 al. 1er CPP prévoit : « Lors d'une audi-tion menée par la police, le prévenu a droit à ce que son défenseur soit présent […]. »Aussi, l’avocat avança-t-il le meuble pour se placer à la hau-teur de M. X. « Ne vous approchez pas du prévenu ! » Puis, devant M. X., une discussion entre son défenseur et les policiers s’initia : l’échange s’envenima, le ton monta. La chose dura quinze minutes. Rien à faire : les inspecteurs insistèrent –pour quelles raisons, sur la base d’un texte légal, peut-être ?– que l’avocat demeurât à l’écart.Intéressant.

Que faire dans ces situations : faut-il insister et, si l’on n’ob-tient pas l’application du droit, inviter le client au silence, ou simplement renoncer ? La première voie est cohérente, justifiée et conforme à l’État de droit. Mais que de ralentissements ! Surtout si le prévenu risque la détention ou la subit déjà. Quelle autre option pour la défense ? « Courage, fuyons ! »Céder ! L’avocat et son client sont en réalité confrontés à une alternative : invoquer le droit avec la quasi-certitude d’une prolongation de la procédure, ou renoncer à l’essen-tiel pour écourter l’exercice. C’est la deuxième option qui est le plus souvent choisie. Il demeure : l’imposition au justiciable d’un tel dilemme

procédural est le signe même d’une pratique insatisfaisante, inacceptable.Dans le cas susmentionné, après l’audition, il avait fallu adresser une lettre à la Cheffe de la Police et au Ministère public pour rappeler que le droit de M. X. à un avocat devait être effectif.

Un autre exemple, où l’emplacement du défenseur n’était pas en cause : ce dernier pressentait une habile question propre à attirer le prévenu, M. Y., vers des déclarations, di-sons, inutilement révélatrices. L’avocat rappela à M. Y. son droit au silence. Le policier l’interrompit, s’offusqua et tam-bourina :« Vous n’avez pas à parler à votre client pendant l’audi-tion ! C’est moi qui la mène. »En pratique, il arrive de manière répétée que le corps de police s’interpose entre l’avocat et le justiciable pour empê-cher ce dernier de profiter des conseils de celui-là. Pourtant, selon l’art. 159 al. 1er CPP, « [l]orsque le prévenu fait l'objet d'une arrestation provisoire, il a le droit de com-muniquer librement avec son défenseur en cas d'audition menée par la police ».Cette relation privilégiée par la loi (cf. art. 128 CPP, art. 321 CP, art. 13 LLCA) n’a pas à connaître ces interférences.

b) Un droit au silence, mais un droit dangereux

Confronté à la scène ubuesque du banc décrite précédem-ment, M. X. décida de se taire. M. X. avait invoqué un droit, mais il ignorait que la majori-tés des autorités de poursuite ne supportent pas le silence : des explications, des confessions embarrassées ou des dé-clarations à charges, tout, sauf le silence. Surtout, comme l’a justement souligné D. Inchauspé, en pratique, invoquer le droit au silence « est une erreur : il faut toujours parler, sinon on devient suspect »3.Alors les inspecteurs insistèrent : « Pourquoi vous refusez de répondre M. X. ? », « Vous avez des choses à cacher ? », « Ne parlez pas à votre avocat, c’est moi qui pose les ques-tions ! »Un droit s’invoque ; il n’a pas à s’expliquer.Si un prévenu opte pour le silence, l’autorité doit acter la décision et procéder. C’est justement ce que prévoit l’art. 113 al. 2 CPP : « [l]a procédure est poursuivie même si le prévenu refuse de collaborer ».Les pressions pour arracher une déclaration ne sont pas acceptables.

c) Deux adresses, deux codes de procédure ?

Les audiences au Ministère public laissent, le plus souvent, une latitude suffisante à l’avocat pour intervenir, interroger les comparants et communiquer avec son client. Les rares accrochages se résolvent sans tarder, le plus souvent.En audition à la police, on assiste à un mode de procéder bien différent. Sur délégation du Ministère public, M. Y. était entendu par la brigade des stupéfiants. Il déclarait qu’il ne savait si M. Z. était venu dans la maison où les produits illicites se trouvaient. Dans le procès-verbal, on indiqua : « M. Y. : M. Z. n’est jamais venu dans la maison ». Bien sûr, la nuance

appelait rectification : M. Y. avait simplement signalé son ignorance quant à un éventuel séjour de M. Z. Il ne pouvait affirmer que cet individu n’était jamais venu. Aussi, l'avocat de M. Y. intervint-il. L’interruption policière fusa :« C’est la police ici ; on n’est pas chez le Procureur. »Malheureusement, ce type d’assertions est aussi fréquent que grotesque. Selon l’art. 312 al. 2 CPP, lorsque le Minis-tère public « charge la police d'effectuer des interrogatoires, les participants à la procédure jouissent des droits accor-dés dans le cadre des auditions effectuées par le ministère public ».Aucune différence, donc. Théoriquement.

Le type d’écarts décrits ci-dessus nous est fréquemment rapporté. Ils tendraient même à s’intensifier lorsque « l’ad-versaire » serait un stagiaire : profiterait-on d’une expé-rience moins éprouvée ? À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Que craindre alors lorsque le justiciable est dépourvu de défenseur ?Comme le lecteur l’a constaté au fil des exemples ci-dessus, un écart persiste entre le code de procédure pénale et la pra-tique : le « sein » ne coïncide pas au « sollen ».Mais au-delà de la stricte conformité à la loi, se posent les problèmes suivants :- Le principe de célérité : un acte exécuté de manière non conforme au CPP appellera une répétition et donc un pro-longement, qui aurait été évitable, de la procédure.- L’intégrité de la justice : souvent, l’erreur judiciaire trouve sa source dans les premiers interrogatoires de police (cf. affaires Dils, Outreau, Sécher). Les garanties prévues par le CPP –même si certains les conçoivent comme des en-traves : c’est dit !– résultent d’erreurs passées. C’est l’expé-rience judiciaire de l’erreur qui permet d’affiner les règles et protections au fil du temps.- Les frais et les coûts : en cas d’acquittement, survenant souvent des mois après l’incident procédural, l’État sera amené à indemniser le prévenu (frais de défense, détention, etc.). N’y aurait-il pas des façons plus efficientes d’employer le budget étatique ?

Depuis mars 2016, le Jeune Barreau a mis en place un sous-comité dédié à l’activité judiciaire. Les Confrères qui seraient confrontés à des situations problématiques sont invités à nous contacter s’ils souhaitent partager leur expé-rience. Il faut le souligner : dans les cas où nous les avons contactés, le Ministère public et la Cheffe de la Police ont réagi avec rapidité et humanité. En outre, et heureusement, la plupart des auditions de police ne connaissent pas les travers décrits ci-dessus. Avocats, magistrats, policiers, que tous œuvrent en faveur du même : le justiciable.« Le code pénal protège la société contre les coupables. Le code de procédure pénale protège les innocents. »

Le Roi Ubu s'invite à Carl-VogtQuelques interrogatoires de police surréalistes

PETIT PROTÊT

Annette Micucci, Nicolas Gurtner, Hadrien Mangeat, Olivier Adler, Félise Rouiller

1) Cf. sur cette question CARNICÉ/SAKKAL, Consultation du dossier dès la première heure, in Lettre du Conseil, avril 2014.

2) Un siège vissé au sol, pour des raisons de sécurité, oui ; mais sans dossier ?

3) D. INCHAUSPÉ, L’erreur judiciaire, Paris 2010, p. 400.

4 automne 2017sous toutes réserves n°30

D’autant plus que tous mes filleuls pourraient être mes enfants et que, il faut bien le dire, tout était effectivement mieux avant.Chassez le naturel…Et, surtout, redevenons sérieux.Maintenant.Mes chers Confrères, avec en poche le précieux brevet d’avocat vous embrassez à pleine bouche, mais cela vous le savez déjà, une des plus belles professions qui se puisse imaginer.Une des plus difficiles aussi.

Le temple de la langue française ne compte plus beaucoup de gardiens et l’avocat, maître proclamé du Verbe, se doit de faire partie de ceux-là.

C’est vrai, le métier a évolué ces dernières années, souvent pour le mieux, parfois aussi pour le pire, et si les minutes ne m’étaient pas comptées (j’imagine votre soulagement), j’aurais évoqué au chapitre des mauvaises nouvelles le nau-frage du nouveau code de procédure pénale, l’inexorable et triste érosion de la courtoisie, la flétrissure que représentent à mes yeux les études organisées en sociétés de capitaux, la méprisable tentation multidisciplinaire, ou encore, et surtout, les menaces assez effrayantes qui planent sur la confidentialité en général et sur notre secret professionnel en particulier, pour ne citer que quelques sujets d’une vive inquiétude.Libre circulation et mondialisation ont procuré à notre bar-reau un rayonnement planétaire que ternit parfois, hélas, une circulation tout aussi libre des mauvaises manières. Pas étonnant, me direz-vous, en une époque qui voit la grossièreté imbécile se piquer de diriger la plus grande puis-sance du monde et une débilité syndicale d’un autre temps caillasser les hôpitaux pour enfants, évocations clairement en dehors de mon sujet, j’en conviens, mais qui me pro-curent un bien fou. Le métier, Mesdames, Messieurs, s’est modernisé.Déjà largement numérisée, la pratique de l’avocat sera sans doute bientôt uberisée, et vous serez, mes chers Confrères, que dis-je vous êtes déjà, les femmes et les hommes de loi de la génération 2.0 avec tout ce que cela vous promet de découvertes, d’innovations et de formidables défis.En toute hypothèse, les comparaisons générationnelles oiseuses et autres contorsions ringardes perdent leur sens –à supposer qu’elles en aient jamais eu un– dès l’instant où

Monsieur le Procureur général, Monsieur le Conseiller d’Etat, Madame la Doyenne de la Faculté de Droit, Mon-sieur le Bâtonnier, mes chers confrères, Mesdames, Mes-sieurs, chers Amis, ce parrainage qui m’honore n’est pas un exercice facile.

Souvenez-vous que fondamentalement, l’avocat est un révolté, un contestataire infatigable, le grain de sable dans les rouages trop bien huilés.

Entre le paternalisme condescendant d’un Bâtonnier sur le retour et l’arrogance du « vieux con » qui trouve que tout était mieux avant (vous me pardonnerez, je le sais, cette expression extraordinairement triviale qui a le mérite de la limpidité), nombreuses sont les tentations et redoutables les pièges.

Je veux vous parler de maintenant.Maintenant !Un adverbe simple, galvaudé, presque banal, pas encore nostalgique des souvenirs d’hier, pas encore enivré des pro-messes de demain, un mot précis, instantané, magnifique, d’une sublime fragilité.Maintenant.Maintenant, avec tout ce que cela représente de glo-rieuse immédiateté, de spontanéité, de fraîcheur, célébra-tion joyeuse de l’instant présent et des réalisations qu’il contemple.Mais aussi « main tenant », tenir dans la main, « manu te-nere » pour l’étymologie, proclamation péremptoire d’une sorte de nécessaire prise de pouvoir, symbole d’une géné-ration qui empoigne les rênes et qui dans sa montée irrésis-tible et jubilatoire croise celles et ceux pour qui ce matin a déjà le goût d’hier soir.« Maintenant », mes chers Confrères, ce sera, je le pro-clame, le mot d’ordre, la devise de la volée d’avocates et d’avocats dont j’ai le privilège d’être le parrain, notre volée devrais-je dire, puisque d’une certaine manière nos destins sont désormais liés, vous pour m’éblouir, moi pour vous regarder grandir.

CÉRÉMONIE SOLENNELLE DU BREVET D'AVOCAT, ÉTÉ 2016

Allocution de Monsieur le Bâtonnier Alec Reymond, parrain de promotion

© E

lsa

Och

oa

5automne 2017sous toutes réserves n°30

c’est « maintenant » qu’il s’agit de célébrer et, paradoxale-ment, de conjuguer à tous les temps.Et maintenant, mes chers Confrères, c’est vous.Et c’est à vous.A vous de prendre en mains –« mains tenant », toujours et encore– cette profession de rêve, de l’aimer, de la croquer avec gourmandise et sans modération, de la modeler, de la faire évoluer et vivre avec vous et, surtout, de la protéger avec une énergie de chaque instant contre des prédateurs de plus en plus nombreux et déterminés.Imaginons un instant que le magnifique brevet d’avocat que ce soir vous brandissez avec une fierté légitime soit un titre de transport, un billet première classe, pour un voyage en avocature que je vous souhaite joyeux, enthousiasmant et marqué de belles réalisations.Me vient alors l’envie de me transformer un instant en mère juive, métamorphose remarquable pour un protestant vau-dois, et de vous dicter, avec une affection aussi débridée qu’envahissante, tout ce qu’il vous appartient de mettre dans votre large valise à la veille du grand départ.En vrac, sans hiérarchie des urgences, mais bien sûr en pliant joliment pour que tout entre dans le précieux bagage.Veillez tout d’abord à prendre le dictionnaire, même si l’ou-vrage est un peu encombrant.A l’heure du compréhensible découragement d’une école désormais astreinte à l’exercice du plus petit dénominateur commun, à l’époque d’une presse à l’agonie à laquelle l’ono-matopée sert de grammaire, au temps de la communication électronique, de l’émoticône, des rappeurs abscons, de la littérature abandonnée et du téléphone-roi, le temple de la langue française ne compte plus beaucoup de gardiens et l’avocat, maître proclamé du Verbe, se doit de faire partie de ceux-là. En plaidant et en écrivant, soignez les tournures, la syntaxe, l’orthographe, soyez concis et percutants dans le respect des formes, vous contribuerez alors à la survie de ce français somptueux auquel on a déjà volé les circonflexes, les points-virgules, les subjonctifs et tant d’autres trésors.

Ni compromission avec l’adversaire, ni connivence avec la presse, l’Etat ou la magistrature dont vous êtes et devez viscéralement demeurer un contre-pouvoir sans concessions.

Dans votre valise, prenez ensuite votre courage.Et à deux mains, s’il vous plaît.Ni compromission avec l’adversaire, ni connivence avec la presse, l’Etat ou la magistrature dont vous êtes et devez vis-céralement demeurer un contre-pouvoir sans concessions. Ne respirez pas l’air du temps, il est trop souvent étouffant.Souvenez-vous que fondamentalement, l’avocat est un ré-volté, un contestataire infatigable, le grain de sable dans les rouages trop bien huilés, la mouche du coche, l’empêcheur de tourner et de juger en rond, une sorte de perturbateur institutionnel parfois agaçant mais toujours infiniment né-cessaire.Ayez confiance en vous sans jamais sombrer dans l’imperti-nence, restez fermes tout en cultivant les règles de la cour-toisie, autorisez-vous un ego un brin supérieur à la moyenne car on ne peut pas exercer utilement ce métier en se cachant derrière son petit doigt. Le souci de l’indépendance doit avoir pour vous le poids d’une obsession, la crainte du conflit d’intérêts doit hanter vos nuits blanches, surtout en ces temps obscurs qui voient le Ministère public, direction partisane de la procédure, se piquer d’être meilleur juge de nos bonnes manières que la Commission du barreau, pourtant neutre et paritaire.Mes chers Confrères, je forme le vœu que de cette promo-tion, notre promotion, naisse une génération de rebelles authentiques qui ne s’en laisseront jamais conter.Des warriors, pour parler banlieue moderne.Et je reviens à notre bagage.

Dans la valise de cet avenir qui vous sourit, emportez votre secret professionnel, et protégez-le farouchement. C’est sans aucun doute votre bien le plus précieux mais aussi le plus menacé.

Le souci de l’indépendance doit avoir pour vous le poids d’une obsession, la crainte du conflit d’intérêts doit hanter vos nuits blanches.

L’air du temps, encore lui, tresse aux voleurs de données des couronnes et érige à ces délateurs anonymes que pudique-ment on baptise « donneurs d’alertes » le monument au scélérat inconnu. Une pseudo-transparence de faux-culs est devenue dogme et l’agora, emportée par les vociférations des politiciens, l’agacement des juges et les doutes d’une jurisprudence qui se cherche, oublie petit à petit qu’il n’y a de justice bien rendue, mieux de démocratie mieux ordonnée, que dans la préservation farouche d’un espace réservé à la confidence.Notre secret professionnel, votre plus grand combat désor-mais, ne faiblissez pas.Pour ne pas encombrer la soute, nous voulons, mes chers Confrères, emporter un bagage de cabine et l’espace nous est donc compté.Pour la route, prenez de la distance.Votre long voyage professionnel sera rythmé par les bat-tements de cœur d’une humanité en conflit, en colère, qui bataille, qui dispute, qui négocie, qui revendique, qui souffre et à laquelle vous donnerez le meilleur de votre âme dans un exercice de funambule qui n’a même plus le devoir d’objec-tivité pour repère. L’exercice atypique de la confrontation perpétuelle, tantôt dans le camp du faible, tantôt dans celui du fort, cet exercice disai-je, peut rendre un peu fou si l’on ne prend pas ça et là, le temps d’une respiration.En toutes circonstances gardez votre sang-froid.Enfin, et surtout, dans ce bagage merveilleux prenez du plai-sir.Beaucoup de plaisir.Kiffez à fond.Je crois sincèrement que ce métier formidable et incroya-blement varié ne peut s’accommoder que d’une approche passionnée et je sais que, dans ce registre-là, cette promo-tion, ma promotion, sera exemplaire.Mettez tout votre cœur à l’ouvrage, soyez avocats jusqu’au bout de l’âme, aimez viscéralement votre profession, elle vous procurera alors d’inoubliables vertiges.C’est avec beaucoup d’émotion que je vous accueille ce soir sur le seuil de carrières que je vous souhaite flamboyantes et je tiens à ce que les membres de vos familles, ici ou ailleurs, sachent qu’ils peuvent être fiers de vous comme je le suis moi-même.Maintenant, tenant en main.

Mettez tout votre cœur à l’ouvrage, soyez avocats jusqu’au bout de l’âme, aimez viscéralement votre profession, elle vous procurera alors d’inoubliables vertiges.

L’essentiel est rassemblé, la valise est bouclée, il règne sur le quai une impatience joyeuse.Et c’est à cet instant précis, maintenant, que la mère juive, le protestant vaudois et l’ancien Bâtonnier se réunissent en un souffle, touchés et heureux, pour vous crier : Bravo et bon voyage.

5. Qu’est-ce que vous avez le plus apprécié lors de cette expé-rience ?La rencontre avec les autres participants, au confluent de diverses traditions juridiques et oratoires.

Questions à Me Audrey Tasso participant à la compétition anglophone

1. Pourquoi avoir décidé de participer ? J’ai toujours été à la quête de défi. Participer à un concours d’éloquence en anglais en était assurément un.

2. Comment vous êtes-vous préparé pour le discours ? J’ai dans un premier temps étudié le sujet, lu des textes pour m’instruire, pour m’inspirer.Puis, au vu de la variété d’opinions rattachées à ce sujet de « peer pressure », dont le champ de réflexion est très large, j’ai passé une grande partie de ma préparation à en parler avec mon entourage. J’étais curieuse de connaître la per-ception qu’avaient les gens qui m’entourent de cette idée de « pression sociale ». Bien évidemment, m’adresser à mes pairs pour ce faire paraissait plutôt pertinent.La phase de rédaction a débuté très tardivement, mon texte ayant été revu dans son intégralité dans l’avion reliant Ge-nève à Montréal. Le dernier jour, j’ai changé le ton de mon discours et décidé de me tourner vers l’ironie. Dédramatiser le sujet m’a finale-ment paru être l’angle d’attaque le plus surprenant.

3. Quelle phrase retiendriez-vous de votre discours ?« We may think we’re running the show, but most of the time it’s the other way round. »

4. Qu’est-ce que vous avez le plus apprécié lors de cette expé-rience ?Peut-être d’avoir su dépasser mes limites dans une situation dans laquelle je n’étais pas du tout à l’aise.Mais surtout le plaisir d’avoir été confrontée à mes pairs et orateurs très talentueux venant de cinq pays différents.

Concours international de plaidoieries de Montréal(suite de la page 1)

Le prochain

‘Sous toutes

réserves’ vous

appartient,

n'hésitez pas

à nous envoyer

vos articles !

SAVE THE DATE !26-28 janvier 2018 Week-end de skidu Jeune Barreau

6 automne 2017sous toutes réserves n°30

De manière générale, l’annonce du Brexit a-t-elle modifié votre pratique ?Non, sauf à pouvoir encore mieux vanter les qualités du modèle suisse. Nous avons certainement des difficultés liées au malheureux vote du 9 février 2014, mais je reste plus opti-miste quant aux conséquences de ce vote qu’à celles du Brexit.

Cette annonce engendre-t-elle des craintes en termes de recou-vrement d’honoraires ?Une question d’intendance que le majordome Carson de Dowtown Abbey aurait trouvée peu élégante… Les bons clients paient toujours nos notes d’honoraires, les mauvais paient toujours nos demandes de provisions… Nous ne constatons pas de difficultés à ce niveau-là. La perte de valeur de la livre sterling, qui rend nos tarifs en francs suisses plus salés, a en fin de compte un impact plus considérable. Mais les taux horaires de nos Confrères anglais sont souvent en-core plus hauts qu’ici, sans compter le montant de leur TVA lorsqu’elle s’applique (20% !) : cela nous laisse de la marge !

économiques est sur le point d’être introduit, parfaitement public et accessible sur internet, pour toute société ayant son siège en Angleterre ; les entraves créées pour rendre toute détention d’immeubles sur sol anglais via des sociétés offshore sont désormais rédhibitoires ; l’éventuelle intro-duction d’un registre des trusts est dans l’air : nos chers amis-confrères anglais s’arrachent les cheveux…

Leurs clients semblent-ils avoir des velléités de se rabattre (ou de se réfugier) en Suisse ?Nous commençons à voir des marques d’intérêt accrus pour la Suisse. Selon nos informations, le durcissement du statut non-dom a entraîné la fuite de grosses fortunes vers Monaco et aussi, mais peut-être d’une manière moins forte, vers la Suisse. Le forfait fiscal suisse est en tout cas un ins-trument dont plusieurs avocats anglais parlent avec leurs clients. D’où l’importance de s’être battu pour le maintenir !Il y a aussi de bonnes raisons de croire que cet intérêt pour la Suisse ira en augmentant après la mise en vigueur de la RIE-III : les conditions fiscales très avantageuses en faveur des personnes morales suisses sont susceptibles de séduire des sociétés anglaises pouvant déplacer leurs activités faci-lement.

Savez-vous si le Brexit pourrait avoir des effets quant aux normes applicables aux fors, par exemple la Convention de Lugano ?Les Britanniques ont plutôt tendance à exporter leur droit qu’à importer le droit d’autres pays ; ils n’ont pas inventé les worldwide freezing injunctions pour rien... Je ne pense pas que le Brexit ait une influence sur la Convention de Lugano (ou sur le Règlement de Bruxelles équivalent) mais cela est bien trop tôt pour le dire ! Personne ne sait com-ment le Brexit va être géré, et dans quels délais. Le nouveau gouvernent May vient de subir de fortes critiques à la Chambre des Communes pour n’avoir toujours pas présen-té une stratégie à deux mois du référendum… alors qu’un ministre a été nommé pour cela précisément.

En matière de trusts, nourrissez-vous des craintes quant à leur reconnaissance en Suisse ?Non, la Suisse est signataire de la Convention de la Haye pour la reconnaissance des trusts, ce qui est très important dans la mesure où nous pouvons garantir aux clients et aux avocats anglais la reconnaissance de trusts par les autorités suisses (même si cela pose souvent des difficultés –mais pas forcément insurmontables– au niveau fiscal). In trust we trust, il faut défendre la souplesse et l’ouverture dont fait preuve la Suisse en la matière, cela contribue aussi et d’une manière non-négligeable à l’essor économique de Genève…

S’agissant de la concrétisation du vote en actes juridiques, avez-vous des informations de vos correspondants plus pré-cises que les dépêches librement accessibles ?Encore une fois, il est trop tôt pour répondre à cette ques-tion. Cela dit et à titre d’exemple intéressant, certains de nos correspondants londoniens semblent être convaincus du fait que le gouvernement anglais enterrera le projet d’intro-duire un registre des trusts, indiquant settlor, bénéficiaires et même protecteurs, comme conséquence directe du Brexit. Mais cet avis n’est pas partagé par tous. Affaire à suivre…

Quelle a été la réaction de vos Confrères britanniques ?A la hauteur de leur flegme légendaire ! Cela dit, en creu-sant la cuirasse britannique et au-delà de la boutade, j’ai clairement perçu de la déception et de l’incrédulité au sein des cabinets londoniens. Cela me rappelle la réaction que nous pouvons avoir ici à Genève lorsque nous subissons des décisions bien difficiles à avaler, prises par des majorités très conservatrices en provenance d’autres cantons (les charmes de la démocratie). La veille du vote, je dînais avec des confrères de Londres en visite à Genève. Ils étaient tous assez positifs malgré les craintes d’un vote pour le leave… Le lendemain leur a certainement réservé une véritable « douche écossaise » (qu’ils avaient justement cru éviter lors du vote sur l’Ecosse en 2014), ne serait-ce que sur le cours de la livre sterling ! Cela dit, il faut se rendre à une évidence : lorsque l’on tra-vaille avec des avocats anglais traitant de questions inter-nationales, on a (presque) toujours affaire à des cabinets londoniens. Si les avocats qui y travaillent ne sont pas tou-jours originaires de Londres, ils y habitent de toute manière depuis longtemps, ce qui forge sans doute une ouverture d’esprit mais aussi un détachement indéniable avec le reste du pays, qui pense différemment de la métropole… C’est un phénomène que nous connaissons.

Quelles craintes ou quels espoirs nourrissent-ils vis-à-vis de leur client, de leur clientèle ?Les craintes sont certainement liées au caractère économi-quement florissant du Royaume-Uni –et de Londres tout particulièrement– qui est désormais mis à mal par la déci-sion de quitter l’Union Européenne. Cela influence beau-coup la croissance du business des cabinets anglais.

En particulier sur le volume d’affaires, les investissements étrangers au Royaume-Uni ?Certainement, les craintes sont liées à une possible contrac-tion des investissements étrangers au Royaume-Uni. Après avoir cédé la couronne à une famille prussienne, Rolls Royce à des bavarois catholiques et Jaguar à l’ancienne colo-nie indienne, que doivent encore craindre les Britanniques ? La peur est celle d’un départ de ceux qui font la richesse de la métropole londonienne en particulier. Un Confrère anglais avec lequel je travaille régulièrement me racontait sans nostalgie ses souvenirs d’enfance sur Londres : il par-lait d’une ville souvent morne, vieillissante et grisâtre. Cela a bien changé aujourd’hui ! Mais est-ce durable ? Il faut aussi mettre le Brexit dans un contexte global qui n’est pas toujours réjouissant : cette décision est prise en des temps économiquement difficiles et de surenchère législa-tive visant notamment une transparence et une augmen-tation tangible de la pression fiscale, qui sont souvent des entraves au modèle qui a fait la gloire tardive de l’Empire. Les conditions du statut fiscal privilégié des resident non-do-miciled (ou non-doms pour les heureux initiés) sont rendues plus chères ; un registre d’actionnaires et des bénéficiaires

ENTRÉE EN MATIÈRE • INTERVIEW EFFECTUÉE EN ÉTÉ 2016

Brexit Questions à Maître Julien Tron

Julien TronLL.M., Meyerlustenberger Lachenal, Genève

ENTRÉE EN MATIÈRE

7automne 2017sous toutes réserves n°30

ment, and its replacement in a subsequent election by a par-ty with a mandate to remain in the EU (both of which are highly unlikely), the simple fact is that the UK will cease to be a member of the EU by 29 March 2019 at the latest and, in reality, this decision will not be reversed. Should any fu-ture Government wish to re-join the EU, a fresh application would have to be made and the full process of re-joining commence, which could take many years (and may well be opposed by member states).

But what does leaving the European Union mean ?« Brexit means Brexit ! » Theresa May was often heard de-claring ; « And we are going to make a success of it. » This was a brilliant new soundbite : punchy, pithy, and yet both simultaneously meaningless and full of meaning, depen-ding on the mindset of the listener. But despite the sound-bites the way forward has not been straightforward.

Constitutional difficultiesThe first difficulty was constitutional. In order to commence the process of leaving the European Union, the Govern-ment had to comply with Article 50 of the Lisbon Treaty. Its requirements include :• A decision to withdraw from the Union should be made

in accordance with the member state’s own constitutional requirements.

• Once a decision has been made, notice of the intention to withdraw should be given to the European Council.

Once the notice has been given, the various EU treaties will cease to apply to the member state two years later, unless the other member states unanimously agree to extend this time period. There is a legal debate about whether, once notice has been given, it can or cannot be retracted, with the effect that a member state who triggers Article 50, and then withdraws the notice, will remain in the EU as a full member state.The British Government’s position was that it had power to give notice under Article 50 as part of the prerogative powers of the Crown. The royal prerogative is a collection of executive powers held by the Crown since medieval times – a body of customary authority, privilege and immu-nity that pertains to the monarch as Sovereign and which are exercisable these days by the Government. Many of these historic prerogative powers have been swept away by reforming statutes over the centuries but they continue to be used in defence, national security and foreign affairs, including the power to enter into international treaties. The Government’s argument was that the Lisbon Treaty is an international treaty. The UK entered into the Lisbon Treaty (as with all the other EU treaties) by the exercise of the royal prerogative and therefore it is entitled to serve notice under the treaty withdrawing from the European Union in the same way.This position was challenged in the autumn of last year but a number of campaigners, most notably a British business woman from South America – Gina Miller. She sued the British Government in a case called R (Miller and Dos San-tos) v Secretary of State for Exiting the European Union [2017] UKSC 5, which was finally determined by the Supreme Court on 24 January 2017. She successfully argued that the Government can only serve notice under Article 50 once

ever voted for anything in the history of the UK. But the referendum – only the UK’s third ever national plebiscite – bitterly divided the country and both sides of the campaign were heavily criticised for misleading propaganda. The key themes of the campaign were immigration (i.e. ending the principle of the free movement of people), sovereignty (i.e. returning the power to make laws affecting the UK from Brussels to Westminster), and money (i.e. both the savings that would potentially be generated by not being in the EU and the greater prosperity that could potentially occur from an increased freedom to trade globally and freely).The outcome revealed a split nation, with clear geographical differences. Scotland, Northern Ireland, and London all strongly voted Remain but the rest of England and Wales voted Leave. This immediately raised arguments from Scot-tish and Northern Irish politicians that the future of their constituent countries would be better served outside the UK, but inside the EU, particularly given the strength of the Scottish nationalist movement following the independence referendum there in 2014. However, initial predictions that one consequence of voting to leave the EU might be the break-up of the UK itself have faded away, following the electoral plight of the Scottish National Party in this year’s General Election.

Are we ready ?Remarkably – some might say recklessly – the Government deliberately chose not to prepare any contingency plans in the event of a Leave victory. This meant that on the mor-ning after the referendum there was complete confusion about what the Government was going to do in response to the referendum result – compounded by the immediate resignation of the then Prime Minister, David Cameron, contrary to his own promises during the referendum that he would continue in office whatever the result. Some would argue that, notwithstanding the subsequent appointment of Theresa May as Prime Minister and her successful return to power at the General Election in May this year, the Govern-ment still does not have a clear strategy for how it should exit the European Union.In British law, the referendum was merely advisory. In other words, the outcome was not mandatory or binding on the Government, who could (at least in theory) choose to ignore it. But the obvious difficulty with ignoring the result is that there would be public uproar. The Government as-ked the people what they wanted. The people spoke and, as a matter of political reality, their voice cannot be ignored. However, in the aftermath of the referendum, many legal and political commentators expressed the hope that there would be a second referendum, either on the same ques-tion or on whatever Brexit1 deal that the Government may negotiate. That hope is now much diminished, with neither of the main political parties in the UK advocating a second referendum on the same question. On the other hand, there are louder calls for a referendum on whatever Brexit deal the Government may negotiate with the EU. But, without this being Government policy, there is little prospect of such calls being transformed into reality. And there is no clarity on what the consequence would be if the Brexit deal that had been negotiated were rejected by the people.Barring a sudden and unexpected collapse in the Govern-

The Vote to LeaveOn 23 June 2016, the citizens of the United Kingdom (and Gibraltar) took part in a referendum asking the question : Should the United Kingdom remain a member of the European Union or leave the European Union ?The result was a clear majority for Leave, with over 17.41 million votes cast in favour of exiting the EU (51.89%) compared with 16.14 million for Remain. Indeed, more people voted to Leave (and by a bigger margin) than had

The UK and the EU: the legal and political consequences of Brexit

David NichollsDavid Nicholls is a barrister at Landmark Chambers in London (www.landmarkchambers.co.uk) where he specialises in real estate, commercial law, and insolvency matters. David was Chairman of the Young Bar of England and Wales in 2012; President of the European Young Bar Asso-ciation in 2013-14. He stood for Parliament in Clwyd South in the 2015 General Election and he is currently a Councillor in the Royal Borough of Kensington & Chelsea.

© L

ukba

r

8 automne 2017sous toutes réserves n°30

trade) until its own negotiating priorities have been agreed, in the full knowledge that the UK will be bound to accede to the EU’s initial demands lest it be left with nothing at the end of the ever-reducing time period. Thus, the EU has so far refused to move on from its opening demand that the UK address should address three key issues : (i) the UK’s financial contribution (the price of Brexit) ; (ii) the rights of EU citizens living in the UK post-Brexit ; and (iii) arrange-ments on the island of Ireland. Tick-tock, tick-tock…

The fundamental conundrumSo what does the UK want ? Various models for the future of the UK’s relationship with the EU have been proposed : the Norway model, the Swiss model, even the Iceland mo-del and the Guernsey model. The Government has repea-tedly said it would like to negotiate a bespoke model that is best suited to the particular situation of the UK. But it is imperative that such an arrangement does not leave the UK in a worse situation and does not ignore some of the key elements of the referendum campaign. For instance, the Norway model leaves Norway largely subject to EU law (as a condition of being in the single market) but without giving Norway any say on how those laws are formulated, an outcome that would not satisfy many Leave campaigners.The fundamental conundrum for the British Government in any UK-EU exit negotiation is this. If the UK wants to remain in the single market, then the EU will demand that the UK retains free movement of EU citizens. But immi-gration was a major theme of the referendum campaign and Leave campaigners insist it would be a betrayal of those who voted Leave if the Government did not take steps to control immigration. That said, the British people seem only now to begin to realise that if free movement of people is restric-ted, then this cuts both ways and British holidaymakers may need visas to travel to Europe, permits to live there – and they may have to pay for the privilege.If the UK leaves the single market, then it is likely that the EU will terminate the « passporting » arrangements that permits international banks based in the City of London to sell financial services across the EU. This could seriously undermine London’s dominance as a global financial centre and it may lead to banks and other financial institutions re-locating to cities such as Paris or Frankfurt that are within the Eurozone. These cities are already touting for business from banks based in London, offering security and stability to avoid the uncertainty of the next few years. Any loss of passporting or relocation of financial institutions would have potentially drastic consequences for the British econo-my and this is likely to be an outcome that the British Go-vernment will seek to avoid in any negotiation with the EU.The prospect of a free trade deal is, in theory at least, tantali-singly close. Whenever countries have negotiated free trade deals in the past, they have had to put in place arrangements to ensure that they can achieve mutual acceptance of stan-dards and regulations or so they can work towards conver-gence. But in the context of the EU and the UK, possibly for the first time in human history, both parties to the negotia-tion are already in a state of convergence.Thus the barriers to a free trade deal are more likely to be political than commercial. The EU has set out the three

it has been authorised to do so by an Act of Parliament. Should the Government seek to serve notice without obtai-ning parliamentary consent, she contended that the notice would be legally ineffective as a matter of domestic law and would therefore fail to comply with Article 50 itself (which requires a decision to withdraw from the EU to be made in accordance with a member state’s own constitutional requi-rements). The basis for this argument was that the UK is a parliamentary democracy and a far-reaching decision such as triggering Article 50 should only be made with parlia-mentary approval. In addition, reliance was placed on the fact that the UK’s membership of the EU is given effect by the European Communities Act 1972, which incorporates EU law into British domestic law.The litigation was hugely contentious for several reasons. First, Mrs Miller and her fellow claimants suffered horren-dous and vile abuse from racist agitators who objected to any perceived challenge to the referendum. Some of these individuals were successfully prosecuted. Secondly, the case led to some outrageous attacks by the press on the judiciary. There were infamous headlines describing the judges deci-ding the case as « Enemies of the People ». Sadly, the Go-vernment failed to put forward a robust defence of the judi-ciary and its independence. Thirdly, for many people, the case was simply misunderstood. People wrongly thought that the litigation was an attempt by Remainers (i.e. people who voted to remain in the EU) to thwart Brexit and pre-vent the Government from implementing the referendum result. But nothing could have been further from the truth. As Lord Neuberger said, in opening the judgment of the Supreme Court : « Nothing we say has any bearing on the question of the merits or demerits of a withdrawal by the UK from the EU ; nor does it have any bearing on govern-ment policy, because government policy is not law. »

Political difficultiesBut once Article 50 was triggered, the difficulties were not at an end. Indeed, they increased. First, there were political difficulties. In order to strengthen her position in Parlia-ment, the Prime Minister caught the nation (although not the author) by surprise and called a snap General Election, which took place in June this year. Largely for domestic rea-sons, this did not have the desired outcome and the Prime Minister lost her small but nonetheless effective majority of 12 in the House of Commons and she now leads a minority Government. This means that she is only able to secure the passage of legislation with the agreement of Northern Irish party called the Democratic Unionist Party.

Negotiating difficultiesThe effect of calling the snap General Election was that about 3 months of valuable negotiating time was wasted and, when the negotiations formally commenced, the Bri-tish Government appeared weaker and more divided than it had done previously. The effect of triggering Article 50 was to open a two-year window at the end of which the UK will automatically leave the EU, regardless of whether any new arrangements have been agreed. This meant that the EU had the upper hand in the negotiations because it can delay discussing and agreeing topics of interest to the UK (such a

areas on which it requires agreement before it will discuss trade arrangement. To the British, these are unacceptable. Every commercial negotiator knows that usually the money is left to the end : work out the details on everything else, and then discuss the price. Why should the UK commit to paying billions of euros, without knowing what trade deal it will get in return ? But the EU feels politically driven to prevent a ‘good deal’ for the UK, because a generous offer to a departing member would encourage other member states to consider leaving as well.It is as a result of these difficulties that the UK Government is now preparing for – and negotiating on the basis of – a no-deal outcome. In one sense, this would be a remarkable failure, given the close regulatory and trading arrangements that already exist between the UK and the EU. On the other hand, given the UK’s limited leverage in the negotiations, the threat of leaving without a deal is one of the few tools at its disposal – and to be a genuine threat, then genuine pre-parations for a no-deal Brexit must be put in place.

EU lawAnother difficulty being resolved is the question of what will happen to the body of EU law that is presently incorporated into British domestic law. In the 1970s, Lord Denning, the famous British judge, graphically described EU law like « an incoming tide … it flows into the estuaries and up the rivers … it cannot be held back »2. By 1990, he took the view that the growing presence of EU law was no longer like an inco-ming tide but «… a tidal wave, bringing down our sea walls and flowing inland over fields and houses – to the dismay of all. »3

The most practical approach is to allow current EU law to remain part of domestic law, albeit subject to any future repeal or variation by Parliament, and this is indeed what the Government has proposed. To endeavour to reject the entire corpus now after 40 years would cause considerable uncertainty and massive change. To attempt to pick out the desirable bits and cast the rest aside would be practically im-possible, certainly far too time-consuming to attempt when the Government’s resources are directed to the negotiation with the EU. Much better to address this difficulty carefully and thoughtfully over time. Even then, the question would remain about the relevance of judgments of the European Court of Justice in relation to the interpretation of EU law. Of course, such judgments would not be binding after the UK has left the EU but it may be that the British courts continue to take those judgments into account in interpre-ting the corpus of EU law that is likely to remain within Bri-tish law following Brexit.

ConclusionBrexit and the UK’s negotiations with the European Union are going to dominate the domestic political and legal agen-da throughout the whole of 2018 and probably beyond. The prospect of a no-deal outcome is looming ever larger and more realistic as it becomes clear that the many in the EU wish to punish the UK for having the temerity to leave. Such an approach, of course, merely confirms those who did vote to leave that the EU is not an institution they wish to be a member of. But if the EU does not come to a sen-sible accommodation with the UK, there are some British politicians who think the UK will, in those circumstances, have no choice but to adopt a radical solution and become a low-tax, free-trade entrepôt in the style of Hong Kong or Singapore, an outcome which would not be good news for the EU as it would threaten the attractiveness of the EU as a location for business.Immigration, free trade, the single market, EU law : these are just some of the manifold difficulties the British Go-vernment will have to grapple with in the near future. As the Brexit Secretary told Parliament on 12 September 2016, leaving the European Union « will be the most complex negotiation ever » and the outcome presently looks most uncertain.

1. Brexit : a portmanteau word derived from the words Britain + exit2. H P Bulmer Ltd v J Bollinger SA [1974] Ch 401 at 4183. Introduction to the European Court of Justice : Judges or Policy

Makers ? (London: Bruges Group: 1990)

Un legs en faveur des enfants et mères défavorisés

Un legs ou une partie d’un héritage consti-tuent une aide essentielle à la réalisation des programmes de développement d’Enfants du Monde. Depuis plus de 45 ans, notre association suisse offre une éducation de qualité et l’accès à des services de santé aux enfants et mères de pays défavorisés.

Pour plus d’informations:Carlo Santarelli - Secrétaire général

Tél. 022 798 88 81 - [email protected]

www.edm.ch CCP: 12-415-4

9automne 2017sous toutes réserves n°30

besoin de réentendre ces mêmes personnes.Je suis très attaché à la manière dont les choses sont expri-mées et d’ailleurs le Tribunal fédéral a eu l’occasion de le dire : au-delà de ce qui figure sur le procès-verbal d’audition, il y a aussi la manière dont les choses ont été exprimées. Je pense que l’on devrait admettre que la manière de dire, la manière d’exprimer les choses (l’intonation, le regard, etc.), peuvent compter pour une part très importante de l’appréciation qui doit être celle du juge, quel que soit le degré d’instance.

Que pensez-vous de la justification même de ce principe d’im-médiateté limitée, c’est-à-dire des raisons pour lesquelles on a choisi de déplacer le centre de gravité de l’instruction désor-mais sur le Ministère public ? J’ai l’impression que c’est un compromis, parce qu’on vient d’un système où il n’y avait pas d’appel. On a voulu créer une voie d’appel, mais c’est une sorte d’appel un peu light, où il ne faudrait pas que tout soit simplement répété.C‘est aussi la manifestation malheureuse de l’importance croissante prise par le dossier, phénomène très bien décrit et stigmatisé par Thierry Lévy dans son Éloge de la barbarie judiciaire. Lévy décrit le dossier comme une ornière dont il est de plus en plus difficile de s’extirper. L’écrit est un confort, un oreiller de paresse au point que le dossier finit par supplanter l’oralité.

Et la question de, au fond, ce que le législateur vise en limitant l’instruction devant l’autorité de jugement (en première et en deuxième instances) ? Par exemple, est-ce que c’est pour la célérité ? Est-ce que c’est pour réduire les coûts ? Le législateur permet de se passer de la répétition de cer-tains actes. Mais il ne prescrit pas de le faire. Le juge du siège dispose à cet égard d’une grande liberté. J’observe du reste que les pratiques cantonales sont très diverses.À Genève, on ne m’ôtera pas l’idée que le manque de salles d’audience vient polluer la décision du juge du fond sur la pertinence de telle ou telle réaudition. Lorsque vous savez que pour un procès, vous ne disposez que de deux jours, parce que le jour précédent et le jour suivant la salle est occupée, vous vous exposez au risque insidieux de finir par gérer les procès avec la même rigidité que celle d’un agent d’escale EasyJet : 40 minutes pour l’interrogatoire de l’ac-cusé ; 10 minutes de questions par avocat ; 3 heures pour les témoins, pas plus, donc 5 témoins sur les 16 proposés ; et, cerise sur le gâteau, des prescriptions détestables aux avocats de la défense ou des parties plaignantes, du type : « Vous avez 4 heures en tout ; débrouillez-vous pour vous répartir ce temps de plaidoiries entre vous ! »

Est-ce que cela vous semble satisfaisant, cette diminution de l’oralité ?Non, je trouve au contraire que c’est une grande faiblesse, parce que je me fais une haute idée de l’acte de juger. La

Et un film ?Probablement Dancer in the dark, de Lars von Trier, avec une Björk au sommet de tout.Mais ces dix dernières années, c’est au théâtre ou dans les salles de danse contemporaine que j’ai le plus vibré. Celui qui tombe, de Yoann Bourgeois, est un spectacle d’une poé-sie incroyable. En avant, marche !, d’Alain Platel, Plexus, d’Aurélien Bory, ou encore Fractus V, de Sidi Larbi Cher-kaoui, sont des spectacles qui tous laissent poindre un peu du génie des chorégraphes.Cette sensation d’avoir été touché par une parcelle de génie est à la fois déroutante et délicieuse.

Une citation ou un adage ?C’est une citation de René Char justement dans la veine de ce que je disais : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». Je pense que c’est faux, mais j’aime cette forme de liberté, et la part de provo-cation qui l’augmente...

Une philosophie de vie ?Disons peut-être, tout en ayant parfaitement conscience de ne rien inventer : trouver la juste mesure entre le plaisir et une certaine exigence.

Une recommandation à l’attention du Jeune Barreau ?Bousculer tout ce qui peut l’être, en tout temps, en tous lieux.

Quel est le rôle de l’avocat dans la cité ?Mettre au service du public – entreprises et particuliers – des compétences techniques de haut niveau.Idéalement, ce pourrait aussi consister à permettre à tout un chacun un accès au droit et un accès à la justice, beaucoup plus larges qu’ils ne le sont actuellement. Du reste, la fin de l’argent facile exige des jeunes avocats qu’ils repensent le métier et sa manière de l’exercer : ces transformations sont à la fois douloureuses et excitantes.

Et quel est le rôle du procureur dans la cité ?Défendre la force du droit. Résister à la tentation du droit de la force. Porter haut l’idée de Justice et se montrer humble devant la difficulté de juger.

Que pensez-vous de l’administration restreinte des preuves par les juridictions pénales de jugement (principe d’immédia-teté limitée et restreinte) ?Elle a les atours assez détestables d’une facilité sans com-mune mesure avec l’exigence de justice.Il y a une forme de contradiction dans le fait que, pour rendre une justice sereine, en première instance, il faille passer par l’audition de témoins tandis que la justice d’appel pourrait faire son œuvre sans que ses juges n’aient jamais

Questions à Monsieur le Bâtonnier Grégoire Mangeat

Si vous deviez donner un seul conseil à un jeune avocat…Avoir pour obsession d’être capable, un jour, de susciter confiance et respect. En faire une ligne force, une idée maî-tresse, à l’aune de laquelle jauger tous ses choix d’avocat.

Et selon vous quelle qualité tout avocat devrait développer ?L’esprit critique, lequel est fait d’exigence et de rationalité. Mais aussi son antidote : une certaine rhétorique et le désir de troubler.

Quel défaut faut-il absolument éliminer pour exercer le métier d’avocat ?Le très grand contentement de soi.

Un disque ?Plutôt qu’un disque, des passages ou des morceaux, selon les circonstances. Un peu de Puccini, un duo ou certains chœurs des Troyens, de Berlioz, ou encore la mort de Juliette, mise en musique par Prokofiev, pour le trouble intense qu’ils provoquent. Mais il y a aussi le final de L’Oi-seau de feu, de Stravinsky, voire même une bonne dose de Swedish House Mafia, quelques minutes avant le discours prononcé pendant la Soirée annuelle des avocats…Du reste, pour revenir sur votre question précédente, Pro-kofiev réunit pas mal des qualités dont tout avocat pourrait souhaiter disposer : une très grande exigence personnelle ; une capacité à produire du beau ; et une étonnante moder-nité, plus de soixante ans après sa mort…

Un livre ?Plusieurs, très différents, avec cette particularité que ce sont les mots, lorsqu’ils sont si justement enfilés, qui provoquent chez moi plaisir et émerveillement. J’appartiens à la petite famille des déséquilibrés qui lisent toujours un crayon à la main. Je souligne, je fais des croix dans les marges, avec l’espoir d’en retenir un peu plus, et l’illusion d’avoir le temps de retrouver tout cela un jour, une dernière fois, avant ma mort…Disons que les livres que j’ai le plus annotés ces dernières années sont sans doute Les Choses, de Perec, Le Vampire de Ropraz, de Chessex, Au plaisir de Dieu, de Jean d’Ormes-son, ou encore les mémoires de deux très grands avocats français : Jacques Isorni et Jean-Marc Varaut.

MOMENT DE VÉRITÉ

Interview croisée de Messieurs le Bâtonnier et le Procureur général

10 automne 2017sous toutes réserves n°30

monde, juges compris, doit maintenant pouvoir documen-ter son travail pour pouvoir dire qu’il a bien fait, qu’il a tout fait. La culture du risque zéro gagne du terrain. Elle se fait au détriment des émotions et de ce que l’on appelle les instants d’audience, ceux où parfois tout peut basculer. Je crois ce-pendant qu’il faut accepter que l’exigence de rationalité, qui gagne tous les aspects de la vie et qui peut être vue comme une manifestation de vigueur démocratique, empreigne de plus en plus la vie de la Justice. Cette exigence de rationalité assèche un peu tout sur son passage, mais elle constitue une évolution sociale avec laquelle nous n’avons aujourd’hui d’autre choix que de composer.

Si vous étiez Procureur général, quelle serait votre première mesure ?Le premier jour, je passerais de bureau en bureau pour mar-quer ma confiance à l’ensemble des procureurs et collabora-teurs du ministère public.Et puis, très vite, j’essaierais d’obtenir la modification de la loi pour que je puisse choisir moi-même mes futurs procu-reurs et collaborateurs. Je ne suis pas convaincu du carac-tère indispensable de l’élection du Procureur général par le peuple, surtout depuis que le nouveau CPP a réduit la possibilité de l’opportunité des poursuites à trois fois rien, ce qui empêche la mise en œuvre d’une politique criminelle à l’exclusion d’une autre. En revanche, si le peuple m’élit Procureur général, qu’on me laisse choisir le personnel de la maison ! Et puisque le choix devrait se faire sur la base de cri-tères lisibles et pertinents, je les annoncerais d’entrée de jeu :- Se faire une haute idée de la Justice et de ses exigences ;- Avoir conscience de produire – comme magistrat – de

l’irréversible ;- Disposer de la capacité morale et intellectuelle à susciter

du respect ;- Pouvoir justifier d’une expérience d’avocat d’au moins

huit ans.Comme contrepartie de ces conditions nouvelles, je plai-derais pour l’augmentation du traitement des magistrats et pour leur nomination à vie, sous réserve d’une révocation disciplinaire.

Qu’est-ce qui vous a décidé à suivre la voie de l’avocature ?Soyons honnête, j’ai peur de l’avoir choisie un peu par dé-faut. J’ai en revanche le souvenir d’avoir eu assez tôt entre les mains L’Exécution, de Robert Badinter, sur l’affaire Buf-fet et Bontems. Et il est possible qu’il y ait eu un début de fascination pour l’univers du droit et pour certaines figures d’avocats.

Quels seront les défis de demain pour le Ministère public ?Continuer de défendre, au travers de ses réquisitoires, une justice faite de nuances, une justice du cas par cas, dans un contexte où de plus en plus de monde réclame une manière dure et schématique de sanctionner.

Quels seraient les défis de demain pour l’Ordre des Avocats ?Au sein de la maison : accompagner et susciter l’innova-tion ; à l’extérieur, s’ouvrir, expliquer et défendre.Accompagner les jeunes avocats tout d’abord, dans un environnement nouveau marqué par deux changements profonds : la fin de l’argent facile et des exigences toujours plus importantes de la part du public. Accompagner dans un monde où les seules qualités objectives de l’avocat feront bientôt la différence. Inciter ensuite les avocats à sans cesse repenser notre métier, car je suis convaincu de la coexis-tence possible de plusieurs modèles très différents : celui de l’urgentiste pénal ; celui de l’avocat de contentieux ou de conseil, proche du modèle dominant actuellement ; et, dans un avenir assez proche, celui de l’avocat mobile, déta-chable, affranchi du papier, des locaux professionnels, et des employés, beaucoup moins cher, et beaucoup plus proche de ses clients.À côté de cela, l’Ordre des avocats devra intensifier ses efforts d’explication à l’endroit du public et du politique, expliquer et expliquer encore notre rôle dans la cité. On en revient à la question de tout à l’heure : expliquer et défendre le rôle politique, économique et social que nous jouons, que ce soit dans la qualité et la sécurité du droit, dans la compé-titivité de nos entreprises, dans la préservation de l’état de

capacité technique à lire un dossier est à peu près à la portée de tous. Le grand juge est celui qui ressent au plus profond de son être le poids écrasant de la responsabilité de juger. Juger devrait à mon sens être une épreuve physique.

Pourriez-vous citer des évolutions technologiques qui seraient nécessaires à la modernisation du déroulement d’une procé-dure pénale ?La procédure pénale n’a pas un besoin étouffant de moder-nisation. La stabilité du processus judiciaire a même un effet protecteur pour les justiciables.En revanche, l’évolution de la manière de travailler des avo-cats, qui découle des exigences posées par certains dossiers et par certains clients, devrait déjà avoir conduit à la déma-térialisation totale du dossier procédural. Tous les acteurs du dossier, qu’ils soient avocats, magistrats, ou parties auto-risées, devraient avoir la possibilité d’accéder à un seul et même dossier numérique, qui fasse foi. Je ne parle pas de la simple copie électronique d’un dossier sur clé USB ; je parle

d’une plateforme avec des droits d’accès susceptibles d’évo-luer au gré de l’avancement de la procédure. Malheureusement, la volonté politique fait encore défaut. Un tel projet ne peut probablement être que fédéral, parce que les coûts sont très importants. J’estime qu’il faudra encore attendre une dizaine d’années avant que tout cela devienne réalité.

Est-ce que l’enregistrement audio pour éviter la prise parfois laborieuse de procès-verbal, dictée, etc.… qui interrompent le rythme des interrogatoires, en audience de jugement notam-ment, pourrait-il fluidifier le débat ?Je sais que l’enregistrement audio, et peut-être même vidéo, se pratique en Espagne. Je ne lis pas et n’entends pas dire que ce serait là une solution géniale, comme un remède à tous les maux de nos procédures.Le découpage technique de l’audience, de la dictée, est le reflet du souci croissant des choses bien faites. Tout le

11automne 2017sous toutes réserves n°30

chose de l’ordre de la lisibilité de la justice, avec ses acteurs spécifiques et ses rôles parfaitement assignés.

Pensez-vous qu’il faudrait promouvoir les échanges entre avo-cats et procureurs par exemple en organisant des séminaires communs pour évoquer les problématiques liées à la pratique pénale et si possible pour y remédier ?Pour tout ce qui est pratique des textes au quotidien, la plupart des séminaires et des évènements de formation continue organisés par l’Ordre des Avocats sont ouverts aux magistrats. Les magistrats les fréquentent, les animent même parfois, de façon que les regards sont souvent croisés. Les possibilités d’échange, de dialogue existent déjà, égale-ment en marge de ces séminaires. Le défi, c’est de mainte-nir et même de vivifier ces possibilités de rencontres, afin qu’en dépit du nombre, le sentiment de défiance lié au je-ne-connais-plus-personne soit tenu à distance.

Si vous deviez apporter une modification au CPP, ce serait laquelle ?J’introduirais des cas précis de nullité de procédure. Il me semble en effet que dans certaines situations illégales, la sanction de nullité d’un acte ou même de la procédure aurait le mérite de mobiliser plus sérieusement les sens des acteurs de la procédure.

Désormais le CPP confie aux procureurs la mission de l’ins-truction qui doit s’effectuer à charge et à décharge, le cas échéant le même procureur sera amené à requérir devant la juridiction de jugement avec toute la partialité qui lui sera permise en tant que partie au procès. Est-il possible de garan-tir qu’un même procureur destiné à requérir devant les juges accorde un soin égal aux éléments à charge et à décharge lors de l’instruction ? Si oui, comment et par quelle précaution ?Je suis convaincu qu’un procureur n’a pas le souci de faire condamner les gens. Le procureur doit avoir le scrupule de la parfaite application la loi, à laquelle appartiennent en bonne place l’ensemble des droits fondamentaux ; de faire en sorte que les personnes qui doivent être condamnées le soient ; mais aussi et surtout que celles qui doivent être mises hors de cause ou acquittées le soient de façon uni-voque et le plus rapidement possible.À cet égard, je trouve que le système en place depuis 2011, bien qu’il soit encore très largement critiqué par beaucoup de mes confrères pénalistes, a une vertu essentielle : le procureur instruit, mais il ne peut jamais se défausser, comme pouvait le faire le juge d’instruction, qui ne rendait jamais vraiment compte de la qualité de son instruction. Je trouve donc que ce système, dans lequel le procureur doit défendre la qualité et l’exhaustivité de son travail devant le juge du fond, est un système globalement producteur d’enquêtes, d’instructions, et d’une justice de meilleure qualité.

S'il existe des craintes de s’écarter de cette définition fonda-mentale, quelles précautions concrètes peut-on peut adopter pour s’assurer de l’équilibre obligatoire ? Dans un premier temps, le procureur est arbitre mais, après l'envoi de l’acte d’accusation, il devient l’une des parties, avec toute la par-tialité permise pour requérir. Comment garantir que, par anticipation d’un réquisitoire futur, l’instruction soit biaisée et partiale ?Le procureur qui choisirait la facilité d’une instruction biaisée, par anticipation de son réquisitoire, ferait un calcul hasardeux, pour ne pas dire dangereux. En réalité, je ne crois pas à l’idée d’un Ministère public qui ferait le choix délibéré d’une instruction incomplète ou mauvaise. Un magistrat intelligent voit dans le contradictoire, ou même dans l’excès de contradictoire, le meilleur moyen de limiter à son strict minimum le risque de la pire chose que l’on puisse un jour lui reprocher : d’être l’auteur ou le co-auteur d’une erreur judiciaire.Votre question a cependant le mérite de permettre de rap-peler le rôle fondamental de l’avocat. Rappeler inlassable-ment ce qui devrait être une évidence : la culture du doute, et donc l’exigence absolue du contradictoire. Si l’avocat considère qu’un acte doit être accompli, et que celui-ci lui est refusé, il doit par ses écrits, par ses protestations, faire en sorte que ce manque d’instruction devienne une gêne pour le procureur, puis une frustration pour le magistrat du siège.

candidatures… Je trouve par ailleurs que le rôle croissant joué par le CSM comme garant de la qualité des candidats est essentiel.

Que pensez-vous d’un système plus québécois ou montréalais, selon ce que des Confrères locaux nous en ont rapporté, c’est-à-dire que les personnes sont appelées par des magistrats déjà en place lorsque ceux-ci constatent une expérience de 10, 15, 20 ans dans un domaine particulier, soit une juridiction par-ticulière qui appelle et qui propose directement un poste ?Le système anglo-saxon a ceci de séduisant que l’accession à une fonction de magistrat est un honneur suprême. Mais cette réalité est le fruit d’une culture et d’un système judi-ciaire qui ne sont pas les nôtres.

Mais souhaitable ou pas forcément ?Ce qui est souhaitable, c’est que la fonction de juge soit valorisée, que la fonction de juge retrouve un éclat qu’elle a peut-être un peu perdu. On vilipende souvent les Français pour leur goût immodéré de la théorisation, de la conceptualisation. Les Suisses, au contraire, ne se perdraient pas dans des débats inutiles. Ils retroussent leurs manches et viennent à bout des problèmes par la force de leurs bras. Cela a sans doute du bon. Mais je ne serais pas choqué qu’une fois tous les trois ou cinq ans, les magistrats genevois prennent un peu de hauteur de vue, et organisent des Assises de la Justice, avec pour objectif de porter un regard critique sur leur propre travail et sur la jus-tice qui en est le résultat. Les rapports du pouvoir judiciaire ont beau être truffés de chiffres, ils donnent à penser que la Justice ne serait que budgets, ressources, flux, et mètres carrés. C’est un peu court. On aimerait pouvoir lire de temps en temps une ré-flexion genevoise ou romande sur la Justice : sur ce qu’elle était ; sur ce qu’elle est devenue ; sur ce qu’elle devrait être ; sur ses objectifs ; sur son intelligibilité ; sur la qualité de sa relation aux avocats ; sur celle de sa relation aux justiciables, sur sa contribution à la préservation de la paix sociale, de l’état de droit, voire au bien-être de la population.

Que penser du projet de cité judiciaire ?Je me méfie de la notion de « cité judiciaire ». Beaucoup utilisée dans les années 60-70 en France, elle a été abandon-née assez rapidement. En particulier, parce qu’en mettant l’accent sur le caractère fonctionnel de ses bâtiments, la « cité judiciaire » a conduit à une banalisation de l’architec-ture judiciaire.À Genève, il est question de construire un nouveau palais de justice, avec tout ce que cette notion commande : une cer-taine monumentalité et une position visible dans la ville, ce qui exige une forme de rupture avec le reste du tissu urbain.

L’idée de réunir toutes les juridictions au même endroit par exemple ?Le fait que la justice soit concentrée en un même endroit n’a rien de choquant. Cela dit, il y a des précautions à prendre, de façon que la cohabitation ne compromette jamais l’indé-pendance des acteurs judiciaires, ou ne serait-ce que l’image que le public peut s’en faire…S’ils avaient à concevoir seuls un nouveau palais de justice, j’espère que les magistrats exprimeraient eux-mêmes le sou-hait de ne pas être forcément confrontés à chaque coin de couloir à leurs collègues d’instances supérieures ou infé-rieures. De même, pourrait-on espérer que la magistrature debout, soucieuse de ne jamais être soupçonnée de quelque connivence avec les juges du siège, exprime elle-même le désir de disposer d’un bâtiment propre, ou au minimum d’un espace très distinct ; d’accès et de portes séparés, etc.L’architecture judiciaire doit consacrer un juste équilibre entre ce que l’on fait au nom de la commodité (l’utile) et ce que l’on se donne dans l’ordre des représentations, du symbolique (l’inutile, en apparence). Que l’on rapproche un peu la police des procureurs, cela s’est fait à Zurich et cela peut fonctionner. Mais si, à n’entendre que les argu-ments relatifs au confort et aux commodités des uns et des autres, ou ceux relatifs à la rationalisation des coûts, on finit par avoir la police, l’Ordre des avocats, la magistrature debout et celle assise dans le même bâtiment, sans espaces suffisamment distincts, on perdrait probablement quelque

droit, dans l’accès au droit et à la Justice, mais aussi dans la défense d’un cadre de vie qui soit acceptable, sinon heureux pour le plus grand nombre.

En tant que Bâtonnier de l’Ordre des Avocats, comment per-cevez-vous de manière générale, certains arrêts récents du TF relativement sévères à l’endroit de la jurisprudence de la Chambre Pénale de Recours (CPR) : calcul de surface des cellules, conditions de détention illicites, l’indemnisation pour détention injustifiée (CHF 200.- au lieu de CHF 100.-) ?Il est sans doute un peu tôt pour porter un jugement, mais le nombre d’arrêts du Tribunal fédéral qui ne partagent pas l’appréciation de la Cour de justice, notamment de la CPR, pourrait finir par laisser croire que les juges cantonaux ont le souci d’un ordre social plutôt dur, délaissant presque à des-sein au Tribunal fédéral une sorte de monopole de fait de la garantie des droits fondamentaux. Or les textes ne disent pas que cet examen devrait ne se faire avec acuité qu’in ex-tremis, au bout du bout de la chaîne pénale.

On a parlé de détention illicite, mais, plus largement, il y a aussi l’indemnisation pour procédure injustifiée, le refus d’assistance judiciaire à toute personne qui porterait plainte contre un policier et, plus largement encore, les procureurs qui confient « nous on travaille "en pilote automatique" parce qu’on sait que, quoi qu’on fasse, la CPR tend à valider ». La question c’est la perception qu’on a du contrôle pas unique-ment sur les questions de droits fondamentaux mais dans la procédure en générale.Souvenons-nous tout d’abord, même si ce n’est pas une consolation, qu’avant la réforme de 2011, la Chambre d’ac-cusation se voyait reprocher à peu près la même chose…Sur la question de l’assistance juridique ou sur celle des indemnités pour frais de défense (art. 429 CPP), ces pro-chains mois pourraient être tendus. Le politique, mais aussi quelques magistrats, du parquet comme du siège, se sont mis en tête cette curieuse idée qu’il y aurait une corrélation, sinon une causalité entre une justice efficace et une justice qui coûte moins cher. Dans cet élan, qui relève de la ges-tion budgétaire et qui se moque de la qualité de la Justice comme composante sociale essentielle, les honoraires des avocats commis d’office et les indemnités qui sont dues aux acquittés sont attaqués. Mais je pense que si cette tendance se poursuit dans la mesure excessive que nous craignons, le Tribunal fédéral désavouera sèchement Genève, au point que ceux qui auront porté trop activement ce new public management de la désunion judiciaire et sociale en subiront une forme de déshonneur.

Mais il est inquiétant que même certains procureurs ont confié leur étonnement par rapport à la validation par la CPR de certaines de leurs décisions. Un procureur qui s’étonne de la validation de sa propre décision n’est pas à sa place dans le monde de la Justice, car je ne vois pas, s’il a été juste, mesuré et respectueux du droit, qu’il puisse être surpris qu’un juge supérieur partage sa propre appréciation.

C’est une inquiétude que l’on retrouve chez beaucoup de membres de l’Ordre ; ils soulignent l’impression d’une inertie claire ; certains procureurs l’admettent. L’impression globale est qu’elle ne joue pas son rôle de contrôle.Je veillerai attentivement à l’évolution des choses, ces pro-chains mois. Mais je reste – malheureusement – convaincu que les ruptures, les évolutions majeures et les éclaircisse-ments fondamentaux continueront de venir en premier lieu du juge suprême.

Le système actuel prévu pour l’élection tacite des magistrats attire-t-il les meilleurs candidats et, le cas échéant, y change-riez-vous quelque chose ? Si je regarde un peu le travail que fait la Commission inter-partis, j’ai le sentiment que ce travail de sélection se fait plu-tôt sérieusement. Le problème est qu’il se fait souvent avec les candidatures qui sont celles disponibles à un moment donné. Le plus souvent, ce sont des candidats qui sont compétents et indiqués pour le poste ; mais parfois, à entendre ceux qui doivent choisir, on pourrait disposer de bien meilleures

12 automne 2017sous toutes réserves n°30

gain à mes yeux évident d’efficacité pour la poursuite que de pouvoir sécuriser les moyens de preuves au cours de l’ins-truction, et encore une fois ne pas les laisser aux aléas d’une phase de jugement qui peut avoir lieu très longtemps après les faits. Pour moi, c’est une justification qui vaut toutes les autres.

Pourriez-vous nous citer trois évolutions technologiques qui seraient nécessaires à la modernisation de déroulement d’une procédure pénale ?Le principal défi aujourd’hui, et c’est une innovation qui conditionne un peu toutes les autres, c’est le passage au dossier électronique, qui, contrairement à ce qu’on ima-gine parfois, ne consiste pas simplement à scanner et à faire des milliers de pdf. En réalité, c’est beaucoup plus, c’est un changement de perception important du traitement d’un dossier, parce que cela nécessite d’abord, d’un point de vue très concret, des modalités d’indexation qui impliquent beaucoup de travail. Il faut également réfléchir aux modalités de consultation. Une consultation de dossier électronique implique de pou-voir déposer un dossier sur des plateformes permettant de donner des droits d’accès limités aux parties à la procédure, et cela en garantissant une sécurité optimale.Ensuite, cela implique très concrètement une révolution complète de ce qu’est la salle d’audience, puisque tous les participants doivent avoir un accès informatique et qu'un geste aussi simple que de présenter une pièce au témoin né-cessite la possibilité de faire voir des images sur écran. Cela suppose une révolution pour nos salles d'audience.C’est un domaine dans lequel nous, les Suisses, sommes arriérés. Chez nos voisins français, qui ont un système judiciaire légèrement plus centralisé, la Cour d’appel de Chambéry est passée au dossier entièrement électronique. Je faisais récemment visiter le palais au procureur de la république de Thonon. Lorsque je lui ai présenté la salle A3, il m’a demandé où se trouvaient les prises pour les ordinateurs, consterné par le fait que même le procureur ne puisse pas brancher son ordinateur pour consulter son dossier électronique. On est donc arriéré par rapport aux autres pays et c’est un défi gigantesque. C’est un défi dont on peut se demander s’il peut être assumé par une seule justice cantonale, notamment en raison du coût. D’ail-leurs, un organe intercantonal pour l’harmonisation de l’informatique de la justice pénale travaille actuellement sur le développement du concept et sa mise en œuvre. J’en fais partie et, précisément, on construit là la justice de demain. C’est un peu pompeux de le dire comme ça mais c’est assez vrai.

Faut-il comprendre cette révolution comme un tout qui devra nécessairement s’opérer en une fois (numérisation au minis-tère public, hardware dans les salles de tribunaux) ou peut-on envisager des phases ?Un élément dont je me suis rapidement convaincu, c’est que numériser sans faire basculer le traitement complet de la procédure dans l’âge du numérique, cela ne sert à rien. On peut bien sûr, comme on le fait déjà aujourd'hui dans un certain nombre de procédures, en particulier finan-cières (dans lesquelles cela deviendra de plus en plus une façon de travailler), fournir des copies de documents aux avocats sur un CD. Mais ça, ce n’est pas une révolution technologique plus importante que l’invention de la pho-tocopieuse. Le moment déterminant sera lorsque le légis-lateur fédéral décidera du passage obligatoire, pour tous, magistrats, avocats et parties, au dossier électronique. Il faudra certes qu'il y ait des délais transitoires et il faudra aussi trouver des solutions d’exception pour les personnes qui n’auraient pas concrètement de moyens d’accès à l’électronique. Mais pour le reste, le changement devra nécessairement être brutal, car il ne sert à rien de mélanger les niveaux technologiques. Ça ne sert à rien d’alimenter un iPad avec une machine à vapeur.

En termes de délais, travaillons-nous pour des générations futures ou connaîtrons-nous l’aboutissement de la transfor-mation ?On travaille en tout cas pour votre génération. Pour la mienne, je ne suis pas tout à fait sûr. D’autres pays y sont

Un rayonnement au-delà de l’activité professionnelle est une forme de « marque de fabrique » de l’avocat.

Quel est le rôle du procureur dans la cité ?On constate également une activité qui se déploie dans plusieurs cercles. Le procureur assume d’abord le rôle du ministère public en application du code de procédure pénale. A ce titre, il doit être un combattant de la poursuite pénale, ce qui est un sacerdoce, compte tenu de la charge de travail et des sujets à aborder. Les procédures peuvent être humainement lourdes et impliquer des charges émo-tionnelles très importantes, ce qui, en réalité, conditionne encore plus le poids de la charge que la quantité de travail elle-même. Dans ce premier « cercle » d’activité, on retrouve un mé-lange très intéressant d’indépendance et d’esprit de corps. Indépendance, parce que, dans le traitement de ses dossiers, le procureur est seul, même s’il peut évidemment échanger avec ses collègues, voire venir le cas échéant chez moi pour discuter d’un cas. Esprit de corps, car le procureur appar-tient à une institution « une et indivisible », comme disent les Français, qui suit une direction et une certaine politique criminelle présidant la poursuite des infractions.Au-delà de ce premier cercle, qui est l’activité proprement dite du procureur, qui doit atteindre des objectifs, à savoir porter les affaires devant les tribunaux après les avoir ins-truites, le procureur c’est aussi un magistrat qui fait pleine-ment partie du pouvoir judiciaire et qui, de ce fait, incarne tout ce que doit incarner un magistrat. À la différence de l’avocat, le magistrat ne pourra pas autant s’impliquer dans la vie de la cité, et en particulier émettre des opinions poli-tiques. Sa part de participation à la vie de la cité correspond donc essentiellement à sa contribution au fonctionnement des institutions judiciaires. Chacun peut avoir ensuite ses violons d'Ingres, mais cela restera généralement dans des sphères intimes.

Que pensez-vous de l’administration restreinte des preuves par les juridictions de jugement et notamment de sa justifi-cation première ?J’ai vécu une situation assez curieuse : ayant fait toute ma carrière d’avocat sous l’ancien système, j’ai à peine eu le temps, pendant l’année 2011, de me familiariser avec les nouvelles procédures, puis j’ai dû les appliquer dans ma fonction de procureur dès 2012. Je n’ai donc pas eu une grande expérience du nouveau système comme avocat et aucune de l’ancien comme magistrat. Par conséquent, la comparaison est biaisée. Ce qui me paraît certain, c’est que, en tant que procureur, ce système qui a en quelque sorte déplacé le centre de gravité vers l’instruction est positif. Le magistrat instructeur n’a plus, comme cela pouvait être le cas auparavant, le sentiment que tout ce qu’il fait peut être balayé parce qu’un témoin ne vient pas à une audience de jugement ou parce qu’un autre témoin, impressionné, se met tout à coup à bégayer et affaiblit ce qu’il a pu dire auparavant. Je vis très bien avec le nou-veau système. Et je souris quand je lis certaines critiques qui lui sont faites, en particulier lorsque je vois certains avocats se plaindre de la procédure d’appel, en disant que les procès sont trop rapides, qu'on ne réentend pas les parties ou les témoins, etc. Il faudrait juste qu’ils se souviennent du système de la cassation : une procédure écrite dans laquelle on ne pouvait pas soulever n’importe quel grief et où il était absolument hors de question de donner la parole aux parties ou de réentendre qui que ce soit. Je pense donc que chaque système a ses qualités et ses défauts et qu’il faut faire attention à ne pas idéali-ser l’ancien système comme étant le royaume de l’écoute absolument parfaite des témoins et le nouveau comme étant un retour à l'inquisition. Il faut être un peu plus mesuré.

Et sur la question de la justification de ce système, pourquoi avons-nous choisi de déplacer ce centre de gravité et de ne pas répéter l’instruction de certains moyens de preuve ?Parce que c’était le système zurichois et qu'il nous a été im-posé ! Sans revenir sur les débats qui ont présidé à l'examen des modèles possibles à l’époque des groupes d’experts entre 2000 et le début des travaux parlementaires, il y a un

Questions à Monsieur le Procureur général Olivier Jornot

Si vous deviez donner un seul conseil à un jeune avocat ?Qu’il n’attende pas trop tard, s’il a envie de devenir ma-gistrat.

Selon vous, quelle est la qualité que tout avocat devrait déve-lopper ?Le sens stratégique. Beaucoup d’avocats ont un bon sens tactique, mais pas assez de sens stratégique.

Souhaitez-vous donner une précision sur la distinction que vous faites entre les deux ?Gagner une petite bataille, mettons faire récuser un ma-gistrat, cela peut faire plaisir sur le moment, mais il faut garder la vue d’ensemble et se rappeler le but final recher-ché. Parfois, cela implique de renoncer à une victoire dans l’intérêt du client. On peut remporter plein de médailles et arriver en fin de procédure avec un client dont il ne reste plus rien.

Quel défaut faut-il absolument éliminer ou réduire pour être un bon avocat ?Le dilettantisme.

Un disque ?Pas nécessairement un disque en particulier, mon goût étant éclectique et changeant souvent selon la période.Aujourd’hui, je dirais plutôt un morceau : une aria d’Haen-del intitulée « Dover, giustizia, amor ». Amusant mélange, non ?

Un livre ?J’ai traversé des cycles de goûts et d’intérêts qui ont pu pas-sablement changer. Aujourd’hui, soyons légers, ce serait un roman policier tiré de la série Les Enquêtes du département V de Jussi Adler-Olsen.

Un film ?Le dernier que j’ai vu : Interstellar. Il est non seulement question d’intrigue scientifique, mais aussi d’une histoire très touchante sur les rapports père-fille. Par ailleurs, Anne Hathaway est une de mes actrices préférées.

Une citation ou un adage ?Je ne vis pas par citation ou par adage, mais si je devais penser à une citation, ce serait la vieille maxime romaine : « Primum vivere, deinde philosophari » (« Vivre d'abord, philosopher ensuite »).

Une philosophie de vie ?L’action plus que la méditation.

Quelques mots ou un conseil à donner au Jeune Barreau comme institution ?Développer l’intégration par les symboles : rappeler aux jeunes brevetés qu’au-delà d’exercer une activité profes-sionnelle, ils font de manière plus large partie d’un contexte institutionnel et de société important.

Quelle est le rôle de l’avocat dans la cité ?L’avocat joue d'abord un rôle essentiel pour faire avancer les procédures. Au pénal, hormis les cas « bagatelles », il n’y a rien de pire que d’instruire une procédure sans avo-cat ou avec des avocats qui ne jouent pas pleinement leur rôle.L’avocat joue également souvent un rôle hors du barreau : activités politiques, para-politiques, philanthropiques, etc.

13automne 2017sous toutes réserves n°30

la justice ou de la poursuite pénale relèvent du dévelop-pement de menaces de type terroriste ou de type crime organisé de très très haut vol. Ces menaces placent notre système judiciaire face à des défis qui sont gigantesques. Je ne parle pas forcément du Ministère public genevois, mais de nos polices, nos ministères publics et nos tribu-naux suisses. On sait faire face à peu près à l’intégralité du catalogue du code pénal, mais le jour où l’on vit ce que les français ont vécu en termes d’attaques terroristes et qu’il s’agit d’avoir un système qui tient, qui apporte les réponses adéquates et qui n’apparait pas comme sim-plement dépassé par les évènements, le défi est assez effrayant.

tant la législation cantonale aux nouveaux codes. Si j’avais dû m’arrêter là et revenir à la normale, j’aurais probablement eu un sentiment de vide. Avoir ainsi vécu dans le monde judiciaire d’un point de vue théorique a rendu finalement mon passage dans la magistrature assez naturel. Ainsi, je ne suis pas quelqu’un qui rêvait déjà enfant d’entrer dans la magistrature, contrairement à ce que promettent souvent les candidats devant l'interpartis judiciaire. Simplement, à un moment de ma vie, cela m’a semblé être quelque chose que je devais faire et je ne regrette pas de l’avoir fait.

Quels seront le ou les défis de demain pour le Ministère public ?Les défis de nature à mettre vraiment à mal l’exercice de

arrivés. Pour ce qui est de la situation spécifique à Genève, c’est évidemment un projet qui n’a des chances de réalisa-tion en termes d’aménagement des salles d’audience, qu’en lien avec le nouveau palais de justice. C’est évident que l’on ne va pas investir des millions pour transformer les salles d’audience de notre vieux palais en salles 2.0, alors que le nouveau palais de justice arrive à l’horizon.

Qu’est-ce que vous pensez de l’idée d’une cité judiciaire ou d’un palais de justice dont on comprend qu’il ne sera pas au centre-ville comme nous en avons l’habitude mais aux Acacias ?Après des générations de projets abandonnés les uns après les autres par l’Etat, on a maintenant un projet sérieux et concret de création d’un palais de justice pour rassembler l’éclatement actuel, qui est un non-sens du point de vue organisationnel. La proposition a effectivement été faite par l’Etat de créer un site unique dans le secteur Praille-Acacias-Vernets, plus particulièrement dans le quartier de l’Etoile, qui a fait l’objet d’un concours d’aménagement. Evidemment, cela brisera certaines habitudes, mais le choix nous a paru parfaitement cohérent, parfaitement vivable. Le fait que le palais de justice ne soit pas exactement situé à l’emplacement des premières huttes burgondes n’est pas un drame. Au contraire, le quartier sera extrêmement dyna-mique, en pleine expansion, ce sera une nouvelle centralité qui sera connectée au centre par des transports, notamment publics, qui en font presque une extension du centre. Le pouvoir judiciaire soutient ce projet sans réserve.

L’idée est-elle de réunir toutes les juridictions, y compris le Ministère public, ou seulement les juridictions de jugement ?Toutes les juridictions. L’idée, c’est de revenir à ce qui exis-tait. Les juridictions n’auraient jamais dû être dispersées par manque de place. La situation actuelle est détestable, aussi bien du point de vue pratique, en raison des mouvements et de la logistique, que sous l’angle symbolique, en raison de l’impression donnée qu’il y a des juridictions A et des juridictions B. Tout cela doit cesser le plus vite possible.

A-t-on un horizon pour cela ?Selon la planification actuelle, l'inauguration est pour la fin des années 2020. L’horizon n’est donc pas extrêmement lointain.

Si vous étiez élu Bâtonnier de l’Ordre des avocats, quelle se-rait votre première mesure ?(Rires…) Je pense que je ferais comme tous mes prédéces-seurs et je changerais le concept du banquet pour marquer mon empreinte.

Qu’est-ce qui vous a décidé à suivre la voie de la magistrature, et avant de l’avocature ?J’ai fait des études qui ne me destinaient pas du tout ni à l’un ni à l’autre, puisque j’ai commencé par entreprendre des études de lettres. C’était ce qui m’intéressait. Et puis, au cours de ces études, je me suis rendu compte que je n’avais pas envie d’enseigner. J’ai ensuite choisi le droit comme so-lution concrète et pratique. Pour dire les choses de manière extrêmement prosaïque, ce n’était pas du tout une vocation. Mais j’ai bien aimé. Je trouvais qu’intellectuellement c’était une discipline assez intéressante. Ce qui était censé être des études finalement assez alimentaires s’est avéré au final un bon choix. Cela m’a paru logique ensuite de continuer avec le métier d’avocat, qui est un métier que j’ai beaucoup aimé pendant une quinzaine d’années, aussi bien par l’indépen-dance que cela me donnait que pour l’intérêt de la matière et des dossiers à traiter. J’ai un peu moins goûté le fait de devoir gérer la vie quotidienne des études que j'ai traver-sées… Quant à m'entendre avec des associés, ce n'était pas mon fort et j'ai beaucoup galéré avant de trouver les bons ! Je me suis rendu compte à l’époque, alors que je faisais de la politique sur mes heures de loisir, que l’aspect vie institu-tionnelle était une dimension nécessaire à ma vie. J’aurais pu briguer la présidence d'un conseil d'administration quelconque, mais j’ai préféré satisfaire ce désir-là par mon engagement politique. J'ai notamment consacré beaucoup d’énergie et de réflexion à la réforme judiciaire en tant que député chargé de rapporter sur tous les projets de lois adap-

14 automne 2017sous toutes réserves n°30

quelqu’un me dit qu'il a la vocation d’être procureur mais qu'il ne veut pas faire le pas pour telle et telle raison, c’est qu’en réalité sa vocation n’est pas suffisante. Si c’est l’horaire de travail, la rémunération ou je ne sais quel autre aspect matériel qui freine cette personne, alors il vaut effective-ment mieux qu’elle ne vienne pas.

Pensez-vous qu’il faudrait promouvoir les échanges entre avo-cats et procureurs, par exemple en organisant des séminaires pour évoquer des problématiques communes ?Je pense qu’il y a certainement des occasions qui existent déjà. Pas forcément sous une forme proclamée, mais il existe beaucoup de séminaires juridiques dans lesquels magistrats et avocats vont côte à côte se frotter à des problèmes de droit. Dans le fond, même si les magistrats, dans ces contextes-là, sont plus souvent discrets, cela montre bien qu’il y a des sujets qui concernent tout le monde et qu’il est intéressant de travailler ensemble. Je pense que c’est dans ce sens-là que les choses peuvent être développées. Il y a cependant certaines limites à l’exercice, parce qu’il y a évidemment des intérêts divergents sur certains sujets. Un magistrat, s’il est en présence d’avocats qu’il va ensuite croiser dans son cabi-net, ne va pas forcément ouvrir son cœur sur telle ou telle faiblesse qui pourrait être exploitée, ou à l’inverse exposer des éléments de stratégie susceptibles d’être utilisés. Pour pouvoir échanger sur des sujets techniques entre magistrats et avocats, il y a la CODAM (Commission de l'Ordre des Avocats et des Magistrats). Ceci n’empêche pas des contacts plus directs pour ce qui peut concerner une juridiction en particulier. Pour ma part, je reçois régu-lièrement les membres de la Commission de droit pénal de l’Ordre pour discuter d’aspects de vie quotidienne et l’on peut, tout d’un coup, sur tel ou tel sujet, résoudre des questions pratiques, ce qui est effectivement tout à fait utile.

On vous place dans la peau du législateur qui aurait tout pou-voir pour l’espace de quelques instants. Si vous deviez appor-ter une modification au CPP ?Je le traduirais en français !

Désormais le CPP confie au procureur la mission de l’instruc-tion. Le cas échéant, un même procureur est amené à requérir devant la juridiction de jugement avec toute la partialité qui lui sera permise cette fois en tant que partie au procès. Par quelle précaution garantit-on que cette partialité future ne se retrouve pas déjà au stade de l’instruction ?L’impartialité au stade de l’instruction, à charge et à décharge, pose aujourd’hui exactement les mêmes pro-blèmes qu’elle posait à l’époque du juge d’instruction. Comme jeune avocat, je me trouvais parfois dans des cabinets de juges d’instruction où je cherchais vainement la partie à décharge de l’instruction qui était menée, sim-plement parce que, lorsque le magistrat instructeur, quel que soit son titre, pense tenir la solution, il n’a aucune incitation de se disperser à essayer de combattre sa propre vision. Le risque d’une instruction à charge où l’on aurait la paresse de mettre en doute la solution apportée sur un plateau par la police a toujours existé, et ce n’est pas le nou-veau système qui l'a créé. Aujourd’hui, dans la majorité des dossiers, la police va amener une solution au procureur qui la retiendra, et il aura raison de le faire. Quand on attrape les gens la main dans le sac, dans le contexte de flagrants délits de délinquance ordinaire, on ne va pas non plus se demander s’il n’y avait je ne sais pas quelle circonstance exceptionnelle qui ferait que ce ne serait pas la bonne per-sonne. Après, dans les affaires criminelles plus complexes, ce serait une faute dont le procureur paierait lui-même les conséquences que de vouloir à tout prix s’entêter sur une piste et de fermer son intellect aux autres solutions. Pour-quoi ? Parce que le jour venu, si la chose échoue devant la juridiction, c’est lui qui en subit directement les consé-quences, alors précisément que, dans l’ancien système, le juge d’instruction n’avait pas à subir les conséquences d’une déroute de l’accusation au procès. Je pense finale-ment que, de manière peut-être paradoxale, la responsabi-lisation du procureur qui sait qu’il va devoir défendre son dossier et sa solution au procès offre probablement au jus-ticiable la meilleure garantie d'impartialité.

Ce n’est donc pas le tribunal qui se prononce. Non parce qu’il y a une répartition des compétences : compter jusqu'à 10 est l'affaire du tribunal, et statuer sur l’empêchement allé-gué est celle du ministère public.On va bien sûr pouvoir vivre avec cela, même si c’est com-plètement absurde. En matière de contraventions, cela fait près de 2000 procédures par année dans lesquelles, comme nous, le service des contraventions n’a pas suffisamment de doigts et se voit contraint d’envoyer le dossier au Tribunal pénal pour rendre des ordonnances indiquant que le délai de recours de 10 jours était dépassé.On a parfois le sentiment que le Tribunal fédéral veut mon-trer au législateur à quoi aboutit l'application à la lettre de « son » code. D'un autre côté, et c’est la vision moins posi-tive, cela montre une distance par rapport aux réalités du terrain qui est assez extraordinaire.

Le système actuel prévu pour l’élection tacite des magistrats attire-t-il les meilleurs candidats et, le cas échéant, y change-riez-vous quelque chose ? Pour employer la formule de Churchill, dont personne n’est sûr de savoir s’il l’a vraiment utilisée, notre système est le pire, à l’exception de tous les autres. L’aspect étiquette politique, l’aspect absence de presque toute évaluation objective des compétences à l’entrée au profit d’un choix par une commission judiciaire interpartis qui n’est pas offi-cielle et qui, dans le fond, tranche après des auditions d'un quart d’heure, tout cela fait apparaître ce système comme effrayant pour un observateur extérieur. Malgré tout, il pro-duit des résultats qui ne sont de loin pas pires que d’autres systèmes. Notre système se rapproche de celui qui existe pour la sélection des juges fédéraux par l’Assemblée fédé-rale. On retrouve les étiquettes partisanes, mais une com-mission officielle, au sein du parlement fédéral, entend les candidats. La différence entre l’organe parlementaire fédé-ral et l’organe extra-parlementaire genevois ne saute pas aux yeux. Si l’on compare avec des systèmes aux antipodes, que ce soit le système d’école de la magistrature à la française ou ces systèmes anglo-saxons qu’on vante toujours comme étant la quintessence du sublime, à savoir des gens qui ont été avocats pendant 40 ans et qui finalement acceptent de donner la fin de leur carrière à la magistrature, au final, on a une magistrature de qualité et qui n’est pas politisée dans son travail, une fois passé le cap de l’élection. Comme par-tout ailleurs, le choix du candidat n’est pas toujours adé-quat, notamment lorsqu'une personne pense être attirée par le métier mais n’y trouve finalement pas ce qu’elle souhai-tait. Ce sont des cas qui sont finalement très marginaux par rapport à la quantité de ceux pour lesquels le choix s’avère approprié.Je reste évidemment totalement à l’écart des discussions po-litiques qui peuvent ou pourraient avoir lieu sur l'opportu-nité de changer de système. Je me contente, lorsque les auto-rités politiques m’interpellent sur le sujet, de répondre que, dans le fond, c’est le système à Genève, que l’on se contente de s’y plier et que ce n’est d’ailleurs pas à nous de l’appli-quer. C’est soit le peuple lors des élections générales, soit le Grand Conseil entre les élections générales. Nous nous contentons donc de vivre avec ce système. Quand on me demande si j'en souffre, je réponds que non, nous n’en souf-frons pas, ni sous l’angle de la qualité des personnes choisies ni sous l’angle des étiquettes politiques, qui sont tout de suite oubliées et qui ne perturbent pas l’activité judiciaire.

Est-ce que vous estimez que le métier de procureur est une position attractive pour les candidats ? En soi, les conditions qui sont offertes sont attractives. C’est une activité qui s’exerce dans de bonnes conditions maté-rielles et la fonction, telle qu’elle est dessinée par le code de procédure pénale, est passionnante. Sans doute même davantage que les fonctions séparées à l’époque du substi-tut et du juge d’instruction. Ce qui fait la différence, ce n’est pas tellement l’attractivité des conditions de travail, mais l’envie d’exercer la profession. Ce n’est pas une profession comme une autre que d’être magistrat et ce n’est pas une fonction de magistrat comme une autre que d’être procu-reur. C’est avant tout la vocation qui fera la différence. Est-ce que, aujourd’hui, une vocation peut être contrariée par des éléments extérieurs ? Très franchement, si aujourd’hui

En ce qui me concerne, cela implique une amélioration de la coordination avec le Ministère public de la Confédéra-tion, parce qu’on a un système légal de répartition des com-pétences qui est complètement obsolète et concrètement inapplicable, ainsi que l'adoption d’une organisation du Ministère public adaptée. J’ai mis sur pied cette année des réflexions sur les réactions à adopter face à un évènement pénal d’ampleur. Ces réflexions ont notamment conduit à la mise en place d’un certain nombre de mesures, de chaînes d’alarme, de documentation et de matériel préparé à l’avance. On ne peut jamais être complètement prêt, mais on peut au moins essayer de ne pas être trop impréparé. L’autre défi, c’est celui d’une criminalité organisée de très haut niveau. Je ne parle pas de groupes tels que les mafias albanophones, qui sont certes très bien organisées, mais qui représentent une menace contenue. Je parle en revanche du crime organisé de tout haut vol, capable d’utiliser le système financier et les moyens informatiques pour faire passer des sommes colossales au nez et à la barbe des uns et des autres. Cela nous donne l’impression d’être des guerriers armés de boucliers en osier et de lances face à des chars d’assaut.

Si on devait vous poser la même question, cette fois-ci pour l’Ordre des Avocats ?Je m’intéresserais évidemment sans grande surprise à deux questions. L’une, c’est la viabilité économique du modèle tel qu’on le pratique à Genève avec des études de taille modeste, parce que je m’inquièterais d’un phénomène de concentration comme on le connait dans d’autres branches. L’autre aspect qui m’intéresserait, ce serait toutes les ques-tions liées aux conceptions complètement différentes qu’imposent les concurrents étrangers en termes de secret, d’indépendance de l’avocat, de relation avec le client, etc. Je m’intéresserais à cela parce que je n’aurais pas envie de voir se développer une espèce de supermarché du droit dans lequel on abandonne la relation privilégiée avec le client sous le couvert du secret au profit d’une espèce de vente de services juridiques dépersonnalisés.

Avec votre casquette de Procureur, de chef du parquet, com-ment percevez-vous certains arrêts du Tribunal fédéral ré-cents qui ont été assez sévères à l’égard de la Chambre pénale de recours ? Plus particulièrement, les arrêts où sont évoquées la question de la surface des cellules ou celle l’indemnisation injustifiée ?Moi j’aime assez, je dois le dire, l’indépendance d’esprit de la Chambre pénale de recours. Je trouve que c’est une juridiction qui a les pieds sur terre et qui, dans le fond, est sensible à des aspects très concrets du fonctionnement de la justice, parfois plus que d’autres. Des arrêts sévères du Tri-bunal fédéral, cela n’a jamais empêché personne de dormir et cela n’a pas empêché des avocats brillants de continuer à faire de brillantes carrières quand bien même le Tribunal fédéral leur a dit une fois ou l’autre qu’on ne comprenait rien à ce qu’ils avaient voulu dire.En revanche, dans ma vision de responsable du ministère public, il y a des arrêts du Tribunal fédéral qui m’inquiètent et qui dénotent une distance par rapport au terrain qui est hallucinante. Je donne un seul exemple. Le délai d’oppo-sition aux ordonnances pénales est de 10 jours, comme chacun sait. Le code dit que le ministère public peut rendre des décisions de constat d’entrée en force, ce qui a permis jusqu’à présent, en cas d’opposition tardive, de dire aux pré-venus qui agissaient six mois plus tard que leur opposition était tardive et par conséquent irrecevable. Le Tribunal fé-déral faisant une lecture très littérale de la loi explique qu’en fait le ministère public ne peut pas calculer le délai d’oppo-sition. Donc, pour le Tribunal fédéral, les procureurs ont 8 ou 9 doigts, et seuls les juges en ont 10. Désormais, quand quelqu’un fait opposition le 12e jour, le procureur ne peut pas dire qu’elle est irrecevable. Il doit envoyer le dossier au tribunal pour qu’il compte avec ses 10 doigts, ce qui ouvre la voie à un premier recours. Ensuite, le tribunal nous renvoie le dossier pour qu’on statue sur l’éventuel empêchement allégué. Le ministère public ne peut pas statuer sur l’empê-chement avant d’envoyer le dossier au tribunal, même s'il a envie d’accepter l'excuse et de restituer le délai, par exemple en présence d'un certificat médical disant que la personne était dans le coma pendant le délai d’opposition.

© J

erem

y S

pier

er

16 automne 2017sous toutes réserves n°30

mais d'un service juridique propre de mieux en mieux équi-pé, qui pour certains ont la taille d’une grande étude. Et qui, souvent, recense des avocats très spécialisés et mieux au fait de leur domaine que la moyenne des avocats au barreau. Autre péril plus concret encore : des mégas études ont vu le jour récemment qui ont pour but de servir des clients pré-sents dans toutes les régions du globe.Les cinq premières études d’avocats mondiales, dé-nombrent entre 3'370 à 6'560 avocats. En comparaison, les cinq plus grandes études en Suisse sont des nains qui ne comptent qu'environ 120 à 200 avocats. Aux USA, on recense environ 1’300'000 avocats, alors qu’en Suisse à peine 9'700. Ce chiffre doit encore être rela-tivisé lorsque l’on sait que la moitié des avocats en Suisse se concentre dans les trois barreaux de Zurich, Genève et du Tessin. A Genève, nous atteignons 1'730 avocats auxquels il faut ajouter 122 avocats étrangers dûment enregistrés et 330 avocats-stagiaires. Quelle taille atteindra en définitive le barreau Suisse si l’on sait que les facultés de droit de notre pays produisent en-viron 1'600 masters en droit chaque année ? Comment le marché absorbera-t-il année après année plus de 200 avo-cats qui sortent de l’école d’avocature et du brevet. Environ 300 candidats commenceront l’ECAV en 2017. Je crois, mes chers filleuls, qu’il serait déplacé de ma part de vous prodiguer des conseils, comme on me l’a demandé. Qu’il me soit permis, en présence des plus hautes Autorités de notre Ordre et des magistrats représentant l’Ordre judi-ciaire et les institutions politiques genevoises, de vous faire, de vous à moi, quelques recommandations, voire quelques franches confidences, que mon expérience m’autorise dé-sormais. Après tout, Pierre, Olivier et Grégoire, tout Conseiller d’Etat, Procureur Général ou Bâtonnier qu’ils sont, ne sont encore que des juniors. Alors place aux tempes grises. Je vous donnerai sept recommandations : En premier lieu, je voudrai vous conseiller d’être, de rester, en toute occasion, vous- même et maître de vos nerfs. Que ce soit devant un client impatient, et par définition, insa-tisfait, un magistrat colérique - cela arrive - ou un stagiaire nécessairement fautif qui a oublié de déposer le pli recom-mandé que vous lui aviez pourtant ordonné d’amener la veille directement à la poste... En deuxième lieu, ne vous embarquez pas dans une carrière d’avocat sans en avoir perçu les avantages et mérites, mais aussi les incombances et les souffrances. Dominique Poncet avait le sourire malicieux lorsqu’il rappelait que ce métier tue ceux qui peuvent en vivre. En troisième lieu, maitrisez bien la langue orale et écrite. Mais plus que le subjonctif imparfait, ce qui compte désor-mais c’est la maitrise des langues étrangères, et plus encore des cultures de ceux qui viennent parfois de loin pour nous consulter.

qui vise à vous féliciter collectivement et individuellement mais également à vous donner les pistes de votre réussite future. Il me paraît impossible de vous orienter sur votre futur sans préalablement attirer votre attention sur ce qui se produit sous nos yeux, j'allais dire en direct. Nous voyons tous une société pour partie malade d’elle-même ; rongeant son environnement ; épuisant ses res-sources ; qui se doit impérativement de parvenir sur quelques années à profondément se réformer, tout en pour-suivant son pari de mutation technologique, pour arriver à surmonter toutes les absurdités et paradoxes de notre monde contemporain. La survie à long terme paraît être à ce prix. Votre génération doit prendre le relais de la nôtre en s’atta-quant au cœur de ce qui dysfonctionne globalement et loca-lement. Elle doit affronter les contradictions majeures et les blocages de tous ordres, très souvent absurdes. Vous, mes filleuls, qui êtes le Genève de demain, vous devrez vous engager. Il vous faut stopper cette mécanique infernale. Vous le devrez, dans un univers en pleine mutation, dans lequel le Droit et la Justice ne doivent pas être oubliés, or la Justice n'est rien sans la présence et l'action de l'avocat, dont la profession connaît depuis peu une fulgurante évolution. Appartenant à une profession libérale, l’avocat faisait jusqu’à peu partie, dans chaque agglomération d’une certaine taille, de la photo des notables qui réunissait outre lui-même, l’homme d’Eglise, le médecin, l’instituteur, le notaire et le juge, parfois même le Procureur. Aujourd’hui, ces professions sont désacralisées à plus d’un titre. Le médecin comme l’avocat étaient réputés omniscients. Ils étaient infiniment respectés. Aujourd’hui l’avocat pourrait en théorie lire la quasi-totalité des 8'000 arrêts annuels du Tribunal fédéral. Il ne le peut en pratique, sauf à y consacrer l'essentiel de son temps libre, à raison de 150 arrêts chaque week-end.L'avocat doit suivre un environnement législatif qui se mo-difie comme jamais dans l’histoire du droit Suisse. Il doit immédiatement répondre à toute demande de client dans les heures, parfois les minutes qui suivent.Il doit de plus en plus souvent justifier de la quotité de ses honoraires.Il doit se confronter à une guerre des tarifs et à une concur-rence de plus en plus intense. Il doit être chaque jour meilleur, plus rapide et moins cher.L’avocat ne peut plus s’en sortir sans se spécialiser. Sans viser en permanence à l’efficience. Sans tout mettre simul-tanément en œuvre pour être de plus en plus attractif pour attirer puis retenir sa clientèle. Mais le péril, mes chers filleuls, est encore plus présent que vous ne pouvez le penser. Chaque client, un tant soit peu important, dispose désor-

S'engager, réussir sa vie *

* Je dédie ce discours à mon épouse Fabienne Proz Jeanneret, qui m'a tant apporté, ainsi qu'à nos enfants, Lionel et Ambre, dont nous sommes fiers tant de leurs personnes que de leurs parcours.

Mesdames et Messieurs les représentants des Autorités, Chers amis, chers parents, chers filleuls,Mes chers Confrères, Nous vivons dans un monde de paradoxes et de défis. Nous vivons dans un monde qui compte chaque seconde 4,3 naissances. Votre volée, forte de 59 avocats, ne repré-sente donc que 14 secondes mesurée à cette échelle plané-taire. Nous vivons dans un monde de 7,4 milliards d’êtres hu-mains qui en comptera 10 milliards en 2050, alors que dans le même temps la solitude et l’individualisme frappent nos sociétés, hantées par le retour des peurs et victimes du repli sur soi. Nous sentons confusément que nous parvenons au terme d’un cycle de développement sans précédent dans l’histoire de l’Humanité. Jamais nous n’avons accumulé autant de richesses.Jamais elles n’ont été concentrées sur si peu d’individus.Jamais la dette totale sur laquelle cette richesse s’est forgée n’a été aussi importante. A tel point que chacun sait plus ou moins consciemment que cette dette ne sera jamais rem-boursée, mais systématiquement amplifiée et reportée sur les générations futures, à commencer par vous.Jamais non plus l’état énergétique, climatique et environne-mental de notre monde n’a paru aussi préoccupant. Mais simultanément, jamais notre civilisation n’a connu en si peu de temps de tels bonds technologiques et scienti-fiques majeurs dans tous les domaines, en particulier dans la mobilité, dans la communication, dans l’accès au savoir et à la connaissance, dans la prolongation de la vie. Dans le même temps, cet essor se fait au prix d’un gaspillage forcené de nos ressources naturelles. Faut-il admettre, sur une planète qui n’offre pas l’accès à l’eau potable à un milliard d’individus, qu’il faille 8'000 litres pour produire un hamburger ?Que l’on doive utiliser 120 litres pour nous permettre de boire un café ? Doit-on tolérer que 92 % de la population mondiale vive dans des régions connaissant une qualité de l’air non conforme aux normes de l’OMS ? Peut-on plus longtemps se résigner à ce qu’une personne sur neuf souffre chroniquement de la faim ?Et que dans le même temps nous jetions 1,3 milliard de tonnes de nourriture qui permettrait d’alimenter quatre fois ces 800 millions d’affamés ? Doit-on se résoudre à la perte inexorable de notre biodiver-sité qui menace un tiers des amphibiens et un cinquième des mammifères ? Vous me direz que nous sommes éloignés du sujet de ce soir

CÉRÉMONIE SOLENNELLE DU BREVET D'AVOCAT, HIVER 2016

Allocution de Maître Vincent Jeanneret, parrain de promotion

17automne 2017sous toutes réserves n°30

En quatrième lieu, et c’est important, votre actif le plus pré-cieux est immatériel. Il n’est autre que votre crédibilité. Elle se gagne sur le long terme. Elle se perd très rapidement. Elle doit à votre compétence; à votre souci de vous tenir profes-sionnellement à jour, au point de devenir un expert et de le rester. Votre crédibilité tient à votre refus de soutenir le très improbable ; à votre refus de toute compromission dans la défense de certains principes cardinaux. Mais surtout votre crédibilité tient au respect de la parole donnée, que ce soit aux magistrats ou aux confrères. En cinquième lieu, retenez une autre qualité fondamentale, la faculté de changer d’avis. Il semblerait que ce soit parce que certains de nos ancêtres ont changé d’avis que nous sommes devenus des agriculteurs cueilleurs et non plus exclusivement des chasseurs. Ce qui a permis la création de villes, puis de sociétés, et finalement de civilisations. Imagi-nez tout ce qui a pu être achevé dans l’histoire de l’Homme parce que l'on a parfois su changer d’avis. Rentrez donc dans toute rencontre fort de vos certitudes et de vos convictions, mais ne vous interdisez pas d’être per-méable au raisonnement et aux convictions de l’autre. Si vous êtes bornés, vous n’obtiendrez rien. Cette ouverture, ce souci de comprendre l’autre fera de vous une personne que l’on voudra rencontrer, ce qui est essentiel. Sachez être généreux dans la rencontre, ne serait-ce que pour mieux

grandes études. Mes chers filleuls, vous rêvez de créer votre étude ? Alors sachez qu’il n’y a en ce domaine, comme dans tant d’autres, aucune vérité absolue, mais ce rêve peut et doit devenir réalité. Avec le recul de l’expérience (qui comme tout le monde le sait, n’est que l’addition des erreurs vécues), j’ai la faiblesse de vouloir vous confier six brèves pistes de réflexion :

1. Votre stratégieUne étude doit avoir une stratégie. Savoir quels services elle veut offrir ; à quelle catégorie de clients ; pour quels prix. Il importe de voir ce qui existe sur le marché et ce qui pour-rait manquer. Définir le profil de son étude par rapport à ce que l’on trouve réussi et inversement s’écarter de ce que l’on rejette comme modèle.

2. Vos associés et votre personnelCréer une étude c’est réfléchir à s’allier à d’autres. Il faut alors définir et choisir qui seront ceux auxquels vous vous marie-riez, et sous quelle formule de partage. Une étude compte avant tout des moyens humains, qu’il faut soigneusement sélectionner ; et instruire ; et garder, mais aussi renouveler. Vos anciens employés seront vos meilleurs ambassadeurs. Ne l’oubliez jamais!

du développement de votre étude. Avoir une longueur stra-tégique d’avance vous permet de planifier et d’être à l’affut de certaines opportunités. Et vous donner le temps de réflé-chir en permanence aux attentes de vos clients et du déve-loppement de telle ou telle activité que votre étude n’assure pas.

6. Votre étude et votre vieJ’aimerais vous accaparer encore une minute pour vous dire qu’il faut prendre le temps de comprendre ses propres moteurs. Savoir ce que l’on recherche. Quelle part de narcissisme ou d’altruisme nous pousse chaque matin à nous lever pour aller au combat. Un Professeur de Harvard nous l’avait fort bien résumé. Nous étions une centaine, tous venus du monde entier. Tous sur le point de prendre des responsabilités dans des partner-ships, plus ou moins importants. Je m’apprêtais à deve-nir le Managing Partner de Schellenberg Wittmer, qui comptait déjà plus de 120 avocats et trente Partner sur deux sites à Zurich et à Genève. J’étais assez inquiet de relever ce défi qui supposait des qualités managériales que je n’étais pas convaincu de posséder. Ces deux heures passées avec ce Professeur, qui nous a dévoilé des choses très personnelles sur lui, sur nous, et sur ce qui comptait dans la vie, furent inoubliables. J’aurais aimé être capable de vous le reproduire. J’en ai retenu que l’essentiel n’est pas la profession que l’on exerce et à quel point on est reconnu, ou que l’on a du succès... Ce qui est fondamental, c’est qui l'on est. A quel point s’aime-t-on ou se déconsidère-t-on ? Qui sont les êtres chers auxquels on tient et à qui l’on doit faire savoir qu'on les aime ? Au fait féliciterez-vous vos parents et vos proches tout à l’heure pour tout ce qu’ils vous ont donné pour arriver à décrocher votre bre-vet ? Je crois que vous pouvez tous les applaudir. Réussir sa vie est avant tout un exercice personnel et non professionnel. Réussir, c’est douter et se rassurer. Réussir, c’est se remettre personnellement en ques-tion et tout faire pour être à la hauteur, malgré ce senti-ment d’imposture qui glace et qui peut paralyser. Mais être à la hauteur, c’est aussi trouver une compatibi-lité entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Sans vie privée et sans développement personnel, aucun parcours professionnel, quel qu’il soit, ne vaudra la peine d’être poursuivi. N'oubliez jamais que vous quitterez votre bu-reau, et ce dès le premier jour ou vous l'occuperez. Relisez les mémoires de Bill Clinton et sa difficulté de quitter la Maison Blanche, pour savoir qu’à tout début, aussi bril-lant soit-il, succède naturellement une fin, qu'il faut savoir préparer. Pierre, Olivier et Grégoire quitteront eux aussi un jour leur bureau et leurs fonctions, comme nous tous... Osez être celle ou celui que vous vous voulez être, sans compromis, avec passion, pour les autres, comme pour vous-mêmes.

Voilà, vous pensiez que j’en avais fini. Pas tout à fait...

J’ai été très sensible à l’hommage qui m’a été fait de me choisir comme parrain de votre volée. Je veux en être digne sur la durée, et non pas de manière éphémère. Je vous pro-pose de tous nous retrouver dans deux ans pour échanger en ma présence, en petits groupes sur vos expériences dans le barreau. Ce sera l'occasion de nous retrouver, d’échanger sur vos espoirs et sur vos incompréhensions, voire déjà sur vos succès. Vous recevrez prochainement une communi-cation et une invitation à ce sujet. Vous êtes évidemment libres de ne pas y donner suite. Je remercie d’ores et déjà le Bâtonnier d’avoir réservé un accueil favorable à cette initia-tive inédite. Permettez-moi au terme de cette intervention de garder pour mon entourage toute mon émotion – réelle –, mais en même temps de vous témoigner ma conviction que vous êtes toutes et tous des gens de bien. Vous êtes appelés à jouer dès à présent un rôle de premier ordre.Soyez à la hauteur des défis importants – fondamentaux – qui attendent notre société. Je ne vous ai rien appris, mais je vous ai dit ce que je pensais être l’essentiel.Je vous félicite ! Vivez heureux.

© E

lsa

Och

oa

comprendre la peur et les moteurs de l’autre. Comprendre son adverse partie est le premier pas. Celui dont tout dé-coule. En sixième lieu, soyez résolument contemporains. Enga-gez-vous dans des causes qui vous valent bien. Sachez tirer parti de cette époque fondamentalement inouïe où tout est immédiatement accessible en temps réel. Préparez vous effectivement à l’avènement de l’intelligence artificielle dans votre quotidien professionnel. Son arrivée se teste déjà Outre-Atlantique. Et elle s’imposera aussi certainement que l’email a supplanté le courrier et le téléfax. Enfin vous mesdames, faites en sorte de faire rapidement voler en éclats ce plafond de verre qui empêche les femmes d’être fortement représentées dans le partnership des moyennes et grandes études genevoises. N’oubliez pas que vous représentez le 2/3 des promotions de l’ECAV depuis plusieurs années et largement plus de la moitié de la volée ce soir. Il n’y a aucune raison objective pour que les quotas auxquels certains vous condamnent pour prétendument vous défendre, ne soient pas d’ici 20 ans, destinés à protéger la représentation masculine devenue minoritaire dans ces

3. Votre budgetAucune étude ne peut survivre sans se livrer année après année à l’exercice délicat du budget. Vous devrez d’abord estimer vos revenus hypothétiques, en alliant ambition et prudence. Puis vos dépenses, la plupart certaines. Cet exer-cice vous rappellera à quel point, la maitrise de vos frais généraux est un impératif.

4. Vos valeursCe qui distingue bien souvent une étude d’une autre est la culture et le respect de certaines valeurs. Définissez qui vous êtes. Sachez vous montrer exigeants avec les autres, mais soyez le surtout avec vous-même. Il n’y a rien de pire que de professer des valeurs que vous ne respecteriez pas vous-même. N’hésitez pas à ouvrir la discussion avec vos employés et vos associés. Montrez la difficulté de concilier valeurs et performance, et quels choix vous avez su ou dû faire.

5. Votre développementVous devrez constamment avoir à l’esprit l’étape suivante

18 automne 2017sous toutes réserves n°30

JARDIN DE CULTURE

détective privé. Je suis également intervenu auprès de nom-breux hommes politiques.

Votre ouvrage est-il d’une certaine manière le procès en révi-sion qui n’a jamais eu lieu ? En médecine, lorsqu’on commet une erreur médicale, on essaie d’analyser quelle est la cause de cette erreur. J’ai l’im-pression qu’au contraire, la justice n’enquête jamais sur ses propres erreurs. Or, dans cette affaire, il y avait suffisamment d’éléments pour que l’on réexamine ce dossier. Il est vrai que cet ouvrage met en lumière un grand nombre d’éléments qui vont dans ce sens.

Pourquoi publier ce livre aujourd’hui, près de quatorze ans après la fin du procès ?Au moins, cette histoire sera publiée et les gens sauront.

Si vous deviez envoyer un message aux jeunes avocats d’au-jourd’hui, quel serait-il ? Je leur dirais : si vous lisiez un dossier comme celui-là, le laisseriez-vous passer ? Ne feriez-vous pas quelque chose ? Comment peut-on en arriver jusque-là ? Je leur dirais aussi : votre métier ne se limite pas à crier ou à utiliser des artifices rhétoriques, mais à s’indigner !

1. Pour être clair, le line-up organisé par la police comportait plusieurs individus mais seul le suspect se distinguait par une apparence maghré-bine, qualité justement mentionnée par la victime lors des séances d’hypnose.

magistral sur l'art de la digression. Quelle utilité, en effet, pour l'avocat ? En dehors d'un passage sur le comptage des moutons qui offre des réflexions surprenantes sur la validité de la preuve, au fond, aucune. Non, non.Mieux vaut se concentrer sur la Semaine Judiciaire.

Eric Chevillard, Les absences du Capitaine Cook, Les Editions de Minuit, 2001.

remis toute une procédure. C’était comme ouvrir la boîte de Pandore. Depuis ce jour, cette affaire n’a cessé de m’habiter. Ma vie aurait peut-être été beaucoup plus simple si je n’avais jamais ouvert ce dossier…

Votre métier ne se limite pas à crier ou à utiliser des artifices rhétoriques, mais à s’indigner !

Quel sentiment cette affaire évoque-t-elle encore pour vous aujourd’hui ?De l’indignation. Notre système judiciaire n’a clairement pas été à la hauteur dans cette affaire. Un nombre innom-brable d’erreurs et de contradictions se sont formées tout au long de la procédure. Le fait que les juges ne se soient jamais demandé ce qu’était l’hypnose et comment cela fonction-nait, alors que c’était une question centrale, n’en est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Pouvez-vous nous expliquer plus précisément quel a été votre rôle et votre implication dans cette affaire ?Depuis le jour où l’on m’a remis cette procédure, j’ai passé un nombre d’heures incalculable à étudier le dossier. J’ai aussi contacté plusieurs protagonistes impliqués dans cette affaire. Je voulais comprendre comment on avait pu en arri-ver jusque-là. Je me suis par ailleurs chargé de trouver un avocat à l’un des prévenus, ai engagé plusieurs experts et un

ties et rebondissements absents de l'histoire. Quant à nous, lecteurs médusés, nous apprendrons mieux comment man-ger notre soupe en utilisant une tulipe pour cuillère, com-ment redécouvrir des contrées connues en remontant le cours d'une rivière à reculons, ou pourquoi il est dangereux de vouloir fêter une cantatrice en lui offrant des fleurs, alors que nos potirons remportent des prix chaque année. Pour ce qui est du Capitaine Cook lui-même, le lecteur réa-liste trouverait son compte après les pages roses du Petit La-rousse - ou, pour les plus jeunes ou moins nostalgiques, sur Wikipédia. Le livre d'Eric Chevillard est bien plutôt à mettre entre les mains des purs amoureux du verbe et de la parole, du méandre qui effleure le sujet sans jamais l'assouvir, ceux qui suivent le chemin plus beau, mais tortueux, des histoires qu'on aime raconter, plutôt que le droit récit du fait. On se défendrait presque de recommander un tel cours

En 1995, une femme subit un viol. Elle déposa plainte trois ans plus tard. Dans cet intervalle, aucun souvenir des agres-seurs. À l’issue d’une consultation LAVI, elle se soumit à plusieurs séances d’hypnose : les visages des deux agres-seurs lui apparaissent. Jean-Dominique Vassalli, Professeur de médecine fonda-mentale et ancien Recteur de l’Université de Genève a porté son intérêt, depuis une quinzaine d’années, sur cette affaire particulière. Il a consigné ses réflexions dans un ouvrage La justice confrontée à l’hypnose : une déroute judiciaire gene-voise.L’ouvrage décrit les différentes étapes du procès, depuis la plainte jusqu’à la condamnation définitive de l’un des agres-seurs. L’auteur liste, détaille, critique les phases d’une procé-dure qu’il considère entachée de nombreuses irrégularités. On l’a dit : un seul agresseur a été condamné. L’autre suspect a été acquitté en raison d’irrégularités ayant entaché le pro-cessus de reconnaissance visuelle1.De manière générale, le Professeur Vassali jette un regard sévère sur l’emploi de l’hypnose dans le cadre d’une pro-cédure pénale. La question est posée : une discipline quali-fiée par certains de « ésotérique » est-elle apte à établir des faits ? Au-delà d’un doute raisonnable ?Sans prendre parti ici, on peut considérer que cet ouvrage constitue une invitation à aiguiser le sens critique de chacun.

Rencontre avec Jean-Dominique VassalliComment vous êtes-vous retrouvé mêlé à cette affaire ? Tout a commencé il y a seize ans, à la sortie d’une visite de prisonnier à Champ-Dollon. Une femme m’a abordé et m’a demandé si je connaissais le cas de son beau-fils. Elle m’a

Qui n'a jamais entendu parler du Capitaine Cook ? Ceux-là ne sauront pas ce qu'ils ratent en ne lisant pas l'œuvre d'Eric Chevillard. Dans Les absences du Capitaine Cook, le héros éponyme brille en effet surtout par le peu de place qu'il occupe dans le récit. Rarement un livre aura si efficacement rempli la mission annoncée par son titre.Le lecteur aura ainsi beau chercher une description du per-sonnage, le panorama d'un lieu ou le récit d'un évènement se rapportant à sa vie, peut-être même (Ô lecteur hardi !) l'ébauche d'une trame à laquelle se raccrocher, rien n'y fera. Le protagoniste qui est présent dans les vastes espaces lais-sés libre par le Capitaine, « notre homme », pour le dési-gner comme Chevillard, n'est lui-même jamais mieux décrit que son ombre, laquelle apparaîtrait projetée au sol lorsque les rayons du soleil le touchent à l'oblique.Les intitulés des chapitres suivants annonceront les péripé-

Une procédure pénale sous hypnose ?

Les absences du Capitaine Cookd'Eric Chevillard

19automne 2017sous toutes réserves n°30

◉ Prochaine parution : 02/2018 (délai rédactionnel : 01/02/2018). Le prochain STR vous appartient, n'hésitez pas à nous envoyer vos articles !

◉ Comité de rédaction : Olivier Adler, Nicolas Gurtner, Hadrien Mangeat, Federico Trabaldo Togna

◉ Tirage : 2'000 exemplaires

◉ Adresse : Jeune Barreau, rue de l'Hôtel-de-Ville 11, 1211 Genève 3 (www.jeunebarreau.ch)

◉ Conception graphique : Céline Visconti / cmavi

◉ Photographies : Elsa Ochoa / elsaochoa.com; Jeremy Spierer / jeremyspierer.com

Rue Philippe-Plantamour 34 I 1201 Geneva I Tél. 022 732 27 12 I Fax 022 738 15 37 [email protected] I www.imprimerienationale.ch

IN_annonce_192x125.indd 1 01.11.13 10:53

IMPRESSUM

Les mois déjà écoulés, nous avons cherché à ouvrir l’éven-tail des manifestations proposées. Quelques exemples :◉ 2016 : visite (à rebours) du Musée d’art et d’histoire (col-lection des Beaux-Arts), Pygmalion au Théâtre des Amis, Grand Théâtre (présentation par deux membres du sous-Comité, rencontre avec le metteur en scène, possibilité d’as-sister à une répétition), visite d’une galerie d’art, concert de la Geneva Camerata, défilé de mode de la HEAD, concert de Lisa Simone.◉ 2017 : visite de la Société de Lecture, concert de l’Or-chestre du Bolchoï, visite du Musée Barbier-Mueller, Così fan tutte à l’Opéra des Nations, etc.

À chaque occurrence, nous avons géré l’acquisition des billets (le cas échéant, avec réduction) ou les contacts avec l’institution concernée. Par exemple, Le Grand Théâtre (Labo-M), l’Orchestre de la Suisse romande (Intermezzo) et l’agence Caecilia ont manifesté leur enthousiasme pour une collaboration à long terme.

Au vu du succès rencontré par ces événements, nous nous réjouissons de poursuivre l’effort initié en 2016. Last but not least, nous accueillons, avec plaisir et curio-sité, toutes suggestions : votre inspiration peut donner du souffle à la démarche.

Fréquentons les arts et les sciences !

Nicolas Gurtner, Charles-Louis Notter, Félise Rouiller et Audrey Tasso Membres du sous-comité aux activités culturelles

Mémoires préventifs préparés dans la précipitation, due diligences vespérales, caprices de clients, audiences diurnes et nocturnes, les sollicitations à l’endroit des avocats ne manquent pas. Dans cette profusion de tâches, l’avocat peine parfois à trouver -ou à dédier- du temps pour jouir de l’offre culturelle disponible dans notre Cité.

Le jeune Barreau propose, depuis quelques années déjà, des activités culturelles aux membres désireux de rompre le rythme dicté par nos obligations professionnelles. Un Bar-reau cultivé -peut-être que certains y verraient un oxymore- se construit. Cicéron invitait tout avocat à ouvrir son esprit par la fréquentation des arts et des sciences. Pour paraphra-ser la formule de l’Orateur romain, chacun peut s’impré-gner de culture, à l’instar de celui dont la peau se hâle par la seule exposition au soleil.

Depuis le printemps 2016, le Comité du jeune Barreau a confié la mission d’organiser ces activités au sous-comité dédié composé de Mes Nicolas Gurtner (responsable), Charles-Louis Notter, Félise Rouiller et Audrey Tasso. Ces dernières ont connu comme remplaçants Adrian Häusler et Simine Sheybani. Notre équipe s’emploie donc à proposer, chaque mois, aux membres de l’Ordre des activités cultu-relles : un « midi de la culture » ou un « crépuscule de la culture ». Le premier consiste en une visite d’un musée, d’une galerie ou d’un lieu particulier à Genève, de 12h30 à 13h30. Le second peut concerner un concert, une répéti-tion, une pièce de théâtre ou, à nouveau, un musée.

◉ Mercredi 22 novembre, 18h30 Conférence Berryer avec la participation de M. Fran-çois Longchamp, Président du Conseil d’Etat (invité), et de Me Bertrand Périer (contre-critique)

◉ Jeudi 7 décembre, 19h Apéro du 1er jeudi du mois

◉ Lundi 18 décembre, 19h Cérémonie solennelle du brevet d'avocat en salle B106 - Uni Bastions

◉ Vendredi 22 décembre, 12h15 « Last Friday » à la Maison des avocats

Agenda

ACTIVITÉS CULTURELLES DU JEUNE BARREAU

Asset ManagementWealth Management Asset Services

Vous êtes indépendants. Nous

sommes indépendants.Nous sommes faits

pour nous entendre .

Genève Lausanne Zurich Bâle Luxembourg LondresAmsterdam Bruxelles Paris Francfort Madrid BarceloneTurin Milan Florence Rome Tel Aviv Dubai NassauMontréal Hong Kong Singapour Taipei Osaka Tokyowww.pictet.com