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SOUFFRANCE IDENTITAIRE DE MÉTIER Des conseillères et des conseillers d’orientation s’interrogent sur le présent et l’avenir de leur profession en milieu scolaire Thèse Simon Viviers Doctorat en sciences de l’orientation Philosophiæ doctor (Ph.D.) Québec, Canada © Simon Viviers, 2014

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SOUFFRANCE IDENTITAIRE DE MÉTIER

Des conseillères et des conseillers d’orientation s’interrogent

sur le présent et l’avenir de leur profession en milieu scolaire

Thèse

Simon Viviers

Doctorat en sciences de l’orientation

Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Simon Viviers, 2014

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Résumé

Cinquante ans après son institutionnalisation au sein du système professionnel au Québec et

après que l’État lui ait fait une place centrale au fondement de l’école québécoise, la

profession de conseiller d’orientation (c.o.) est toujours en lutte pour une reconnaissance de

sa pertinence au sein de la société. Tout se passe comme si la professionnalisation, entendue

comme un processus permettant à un métier de se faire reconnaître une identité propre liée à

l’exercice de responsabilités nécessitant des qualifications élevées, était toujours en question.

Au rythme où s’enchaînent les réformes dans le monde scolaire, la reconfiguration constante

des pratiques rend difficile la revendication d’une identité professionnelle de métier claire.

Les c.o. ont été touchés au cœur de leur métier par les transformations institutionnelles ces

dernières années. C’est du moins ce que propose d’explorer cette thèse qui appréhende une

dynamique de souffrance identitaire de métier.

Fondée sur le savoir théorique et méthodologique de la clinique de l’activité (Clot, 1999;

Oddone, Re & Briante, 1981) et de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008), cette

thèse vise à analyser les tensions entre les pratiques prescrites par le système scolaire et la

profession, celles désirées par les c.o. et les pratiques effectives qui s’incarnent dans le travail

au quotidien. Il s’agit d’éclairer la dynamique entre le plaisir, la souffrance au travail et les

stratégies de défense, à la lumière des règles de métier issues du « genre professionnel » et

du collectif de travail.

Conduite auprès de deux groupes de c.o. (n=10 et 11) rencontrés à quatre reprises au cours

de séances de trois heures chacune, la recherche révèle des axes de souffrance identitaire de

métier : une désincarnation du cœur de métier; une déprofessionnalisation du travail; une

déconsidération professionnelle; et un déficit de collégialité. Pour faire face à une souffrance

liée à une dégradation de l’importance de leur profession dans les écoles, des c.o. mettent en

place des stratégies inscrites dans un « désir du métier », tout en participant à le redéfinir. Il

apparaît que cette voie d’entrée de la souffrance identitaire de métier et sa mise en discussion

au sein de collectifs de c.o. peuvent être une voie de réappropriation et de développement de

la profession au sein de la société.

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Abstract

Fifty years after it has been institutionalized within the professional system in Quebec

province and after it has been given a key function within the provincial education system,

the profession of vocational guidance counselor (v.g.c.) is still struggling for the recognition

of its social relevance. It is as if the professionalization, which is understood as a process that

allows a trade to be recognized with its own identity linked to the exercise of responsibilities

requiring high qualifications, was still being questioned. As the education system is

frequently being reformed, the constant reconfiguration of practices makes the claim of a

clear occupational identity difficult. The v.g.c have been affected deep into their professional

core by the institutional transformations of the recent years. At least that is what this thesis

wants to explore by apprehending a dynamic of occupational identity suffering.

Based on the theoretical and methodological framework of the clinic of the activity (Clot,

1999; Oddone, Re & Briante, 1981) and of the psychodynamics of work (Dejours, 2008),

this dissertation aims to analyze the tensions between the practices prescribed by the

education system and the profession, those desired by the v.g.c. and the actual practices

which are embodied in the daily work. It is to enlighten the dynamics between pleasure,

suffering at work and defensive strategies, in the light of the professional rules derived from

the occupational “genre” and the work collective.

Conducted with two groups of v.g.c. (n=10 and 11) encountered each on four occasions, the

research reveals these main lines of occupational identity suffering: a disembodiment of the

professional core; a deprofessionalization of work; a professional disrepute; and a deficit of

collegiality. To protect from this suffering, the v.g.c. use strategies derived from their “trade

desire” that participate in its redefinition. It appears that this way to understand the

occupational identity suffering and its discussion within collective of v.g.c. can lead to a

reappropriation and a development of the profession in the society.

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Table des matières

Résumé .................................................................................................................................. iii

Abstract ................................................................................................................................... v

Table des matières ............................................................................................................... vii

Remerciements ...................................................................................................................... xv

Introduction ............................................................................................................................. 1

PARTIE 1 Problématique et cadre théorique ...................................................................... 11

Chapitre 1 – Conseiller d’orientation en milieu scolaire au Québec : une profession

en souffrance? ............................................................................................. 15

1.1. Conseiller d’orientation : un métier professionnalisé? ......................................... 16 1.1.1. La professionnalisation : entre métier et profession ................................... 17

1.1.2. Qu’en est-il maintenant de la profession de conseiller d’orientation? ........ 22

1.2. Une histoire de métier marquée par les changements du système scolaire .......... 24

1.3. La réforme des années 2000 : le « nouvel esprit » du système scolaire

québécois .............................................................................................................. 29

1.4. Le renouveau pédagogique : une vision renouvelée de l’orientation? ................. 34

1.4.1. Les nouveaux ancrages formels de l’orientation dans l’organisation

du travail à l’école ....................................................................................... 34 1.4.2. L’approche orientante : l’actualisation, en orientation, des principes

de la Réforme .............................................................................................. 39

1.4.3. Vers de nouvelles pratiques en orientation en milieu scolaire? .................. 43

1.5. État de la pratique de l’orientation dans les écoles aujourd’hui : l’Ordre

professionnel est préoccupé ................................................................................. 44

1.5.1. Quelle est la tâche des c.o. en milieu scolaire selon la classification

officielle? .................................................................................................... 44

1.5.2. Un aperçu du réel : l’Ordre professionnel constate des ratés de la

réorganisation du travail d’orientation issue du Renouveau

pédagogique ................................................................................................ 46 1.5.2. Comment l’Ordre professionnel a-t-il tenté de réorienter la pratique? ....... 50

1.6. Synthèse : entre les prescriptions institutionnelles et le réel du travail, une

profession en souffrance? ..................................................................................... 53

Chapitre 2 – Examen critique des approches explicatives de la souffrance

au travail des conseillers d’orientation en milieu scolaire .......................... 57

2.1. Portait statistique des manifestations de souffrance au travail chez les c.o. ........ 58

2.2. Les approches psychologiques-individuelles ....................................................... 60 2.2.1. Caractéristiques psychologiques individuelles ........................................... 60

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2.2.2. Stratégies de coping .................................................................................... 63

2.2.3. Culture du bien-être .................................................................................... 67

2.3. Les approches psychosociales ............................................................................. 72 2.3.1. Soutien social et articulation travail-famille ............................................... 73 2.3.2. Estime de soi collectif et reconnaissance ................................................... 75 2.3.3. Ambiguïté et conflits de rôles ..................................................................... 79

2.4. Approches axées sur le travail ............................................................................. 84

2.4.1. Nature du travail ......................................................................................... 85 2.4.2. Environnement de travail, organisation du travail et pratiques

de gestion .................................................................................................... 88 2.4.3. Analyse psychodynamique des situations de travail en milieu scolaire :

des pistes de compréhension du travail vécu par les conseillers

d’orientation ............................................................................................... 91

2.6. Synthèse de l’examen critique de la recension des écrits .................................... 96

Chapitre 3 – Dynamique de la souffrance identitaire de métier dans le travail des

conseillers d’orientation ............................................................................. 99

3.1. Qu’est-ce que l’« identité professionnelle de métier »? .................................... 100 3.1.1. Positionnement théorique de l’identité professionnelle de métier ............ 100

3.1.2. Exploration des écrits sur l’identité professionnelle des conseillers

d’orientation ............................................................................................. 105

3.2. Qu’est-ce que la « pratique professionnelle »? .................................................. 111

3.3. La clinique du travail : une posture pour « soigner le travail » ......................... 114

3.3.1. La théorie de la psychodynamique du travail ........................................... 116 3.3.2. La théorie de l’activité dirigée .................................................................. 126

3.4. Modèle conceptuel : dynamique de souffrance identitaire de métier ................ 132

3.5. Synthèse de la position de problème : vers une compréhension de la

souffrance identitaire de métier ......................................................................... 136

3.6. Question et objectifs de recherche ..................................................................... 137

PARTIE 2 Cadre méthodologique .................................................................................... 139

Chapitre 4 – Examen des méthodes possibles pour l’investigation............................... 141

4.1. Une praxéologie socio-constructiviste ............................................................... 142

4.2. L’analyse groupale des pratiques professionnelles ............................................ 144 4.2.1. L’analyse groupale des pratiques professionnelles d’orientation

Balint ........................................................................................................ 145

4.2.2. L’analyse groupale des pratiques professionnelles d’orientation

psychosociologique .................................................................................. 147 4.2.3. De l’utilité des dispositifs d’analyse des pratiques professionnelles ....... 148 4.2.4. De l’analyse des pratiques à l’analyse du travail en situation? ................ 150

4.3. Synthèse de l’examen critique des méthodes envisageables ............................. 152

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Chapitre 5 – Choix d’une méthode combinée d’analyse clinique du travail ................. 155

5.1. Une clinique de l’activité : l’instruction au sosie ............................................... 155

5.1.1. Constitution du groupe de conseillers d’orientation : démarches de

recrutement ............................................................................................... 158 5.1.2. Le déroulement du dispositif ..................................................................... 160 5.1.3. Démarche d’analyse des données .............................................................. 166 5.1.4. Restitution / validation .............................................................................. 169

5.2. L’enquête de psychodynamique du travail ......................................................... 169 5.2.1. Constitution du groupe d’enquête : démarches de recrutement ................ 171 5.2.2. La pré-enquête et l’analyse de la demande ............................................... 173 5.2.3. Le déroulement de l’enquête ..................................................................... 174

5.2.4. Démarche d’analyse de psychodynamique du travail ............................... 175 5.2.5. Rencontre de restitution/ validation .......................................................... 178

5.3. Stratégie de triangulation des résultats des deux méthodes ............................... 179

5.4. Critères scientifiques et éthiques dans une telle recherche ................................ 180

PARTIE 3 Résultats et analyse .......................................................................................... 183

Chapitre 6 – L’expérience du travail de conseiller d’orientation en milieu

scolaire : à la recherche d’un chœur de métier ......................................... 185

6.1. Présentation des participants .............................................................................. 186 6.1.1. Instructrice #1 : Maryse ............................................................................ 187

6.1.2. Instructrice #2 : Geneviève ....................................................................... 188 6.1.3. Instructeur #3 : Pierre ................................................................................ 190

6.2. Description des pratiques effectives ................................................................... 192 6.2.1. Admissions / Inscriptions .......................................................................... 193 6.2.2. Choix de cours........................................................................................... 196

6.2.3. Répondre aux besoins généraux d’information et d’orientation

scolaire et professionnelle ......................................................................... 199

6.2.4. Rencontres individuelles ........................................................................... 204 6.2.5. Rôle-conseil et approche orientante .......................................................... 209 6.2.6. Synthèse des pratiques effectives .............................................................. 212

6.3. L’expérience du travail de conseillers d’orientation .......................................... 214

6.3.1. Le rapport à la tâche .................................................................................. 215 6.3.2. Le rapport aux élèves ................................................................................ 219 6.3.3. Le rapport aux pairs .................................................................................. 222

6.3.4. Le rapport aux parents ............................................................................... 225 6.3.5. Le rapport à la hiérarchie .......................................................................... 227 6.3.6. Le rapport aux organisations formelles et informelles du monde

du travail ................................................................................................... 230 6.3.7. Synthèse de l’expérience du travail des trois instructeurs ........................ 235

6.4. Les stratégies pour faire face au réel et à la souffrance au travail :

entre genre et style professionnels ..................................................................... 237

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6.4.1. Maryse : le recadrage de l’importance de son emploi .............................. 239

6.4.2. Geneviève : le « prendre soin » des relations interpersonnelles ............... 240

6.4.3. Pierre : la résistance diplomatique ............................................................ 242 6.4.4. Synthèse des stratégies employées par les trois instructeurs .................... 245

6.5. Le chœur de métier face à l’organisation du travail .......................................... 245 6.5.1. Le « réel de l’activité » des c.o. : l’investigation des pratiques

désirées à la recherche d’un cœur de métier ............................................ 246

6.5.2. Les contraintes d’organisation du travail des c.o. : comprendre

les sources de souffrance identitaire de métier ......................................... 249 6.5.3. Les stratégies de protection : entre adaptation et résistance, entre

protection de soi et protection du métier .................................................. 257

6.6. Conclusion de la démarche de clinique de l’activité ......................................... 263

Chapitre 7 – Psychodynamique du travail de conseillers d’orientation en milieu

scolaire ..................................................................................................... 265

7.1. Présentation des participants .............................................................................. 266

7.2. Quelle est la place du conseiller d’orientation dans le travail effectif à

l’école? ............................................................................................................... 267 7.2.1. Composer avec les directions d’école ...................................................... 268

7.2.2. Assurer une « clientèle » suffisante aux centres de formation

professionnelle ......................................................................................... 270 7.2.3. Administrer adéquatement le cheminement scolaire des élèves .............. 272

7.2.4. Compenser l’impensé organisationnel ...................................................... 274

7.3. Comment se traduit la dynamique souffrance / plaisir dans le travail? ............. 277 7.3.1. Accompagner les jeunes dans leur démarche d’orientation scolaire

et professionnelle : encore possible en milieu scolaire? .......................... 278

7.3.2. Rencontrer des jeunes dans le cadre de son travail de c.o. : est-ce

encore possible en milieu scolaire? .......................................................... 282

7.3.3. Être reconnu comme professionnel spécialiste de la relation individu-

travail-formation : est-ce possible en milieu scolaire? ............................. 283 7.3.4. Garder sa place de professionnels dans le contexte scolaire actuel :

est-ce possible? ......................................................................................... 287 7.3.5. Souffrir de sa profession : une identité professionnelle de métier

menacée par une déqualification opérationnelle et statutaire ................... 290

7.4. Comment les conseillers et conseillères d’orientation font-ils face à ces

situations de travail? .......................................................................................... 292 7.4.1. Des stratégies d’adaptation : de la normalité vers la défense

proprement dite ........................................................................................ 293 7.4.2. Adhérer au modèle du c.o. « entrepreneur de soi » .................................. 296 7.4.3. Apprendre à aimer son travail .................................................................. 301

7.4.4. Une culture professionnelle marquée par l’adaptation : à la source

des règles défensives ................................................................................ 305 7.4.5. De l’adaptation à la transformation? ........................................................ 307

7.5. Conclusion de l’enquête .................................................................................... 308

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7.6. Épilogue ............................................................................................................. 310

PARTIE 4 Clinique du travail et souffrance identitaire de métier : une discussion

synthèse ............................................................................................................ 313

Chapitre 8 – Vers une compréhension intégrée de la souffrance identitaire de

métier des conseillers d’orientation en milieu scolaire ............................. 315

8.1. La désincarnation du cœur de métier : une mise à mal du sens de

l’orientation en milieu scolaire ........................................................................... 316

8.1.1. La relation d’aide et l’accompagnement personnalisé : des activités

empêchées ................................................................................................. 316 8.1.2. Le travail direct avec les élèves menacé ................................................... 318

8.2.3. Le développement vocationnel des jeunes non systématisé ..................... 319

8.2. La déprofessionnalisation du travail : l’expertise professionnelle déniée .......... 323

8.3. La déconsidération professionnelle : entre reconnaissance sociale et

banalisation du travail d’orientation à l’école .................................................... 328

8.4. Le déficit collégial : entre convivialité et isolement professionnel .................... 332

8.5. Synthèse de la compréhension de la souffrance identitaire de métier ................ 335

Chapitre 9 – Des stratégies pour faire face à la souffrance identitaire de métier ........... 341

9.1. Les stratégies d’« adaptation » défensive ........................................................... 343

9.1.1. Les stratégies de retrait et de repli ............................................................. 344

9.1.2. Les stratégies de déplacement du désir de métier ..................................... 346

9.2. La stratégie de résistance à la dérive du cœur de métier .................................... 350

9.3. Synthèse des stratégies pour faire face au réel et à la souffrance ...................... 352

9.4. Discussion des forces et limites de cette méthodologie combinée de

clinique du travail ............................................................................................... 354 9.4.1. La clinique de l’activité par instruction au sosie en groupe ...................... 354

9.4.2. L’enquête de psychodynamique du travail ............................................... 357 9.4.3. La combinaison des deux dispositifs et sa contribution à la clinique

du travail ................................................................................................... 358 9.4.4. Retour sur les critères scientifiques de la recherche ................................. 359

Conclusion .......................................................................................................................... 363

Bibliographie ...................................................................................................................... 381

Annexes .............................................................................................................................. 397

Annexe 1 ............................................................................................................................. 399

Annexe 2 ............................................................................................................................. 401

Annexe 4 ............................................................................................................................. 405

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Annexe 5 ............................................................................................................................ 411

Annexe 6 ............................................................................................................................ 417

Annexe 7 ............................................................................................................................ 419

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À ma famille, qui constitue pour moi une

source d’inspiration, d’appartenance, de

soutien, de reconnaissance et d’amour.

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Remerciements

Comment remercier et surtout reconnaitre avec justesse et justice l’apport de ceux et celles

qui ont contribué à leur manière à la réalisation de cette thèse? Difficile de trouver les mots.

Pour l’essentiel, sachez que je n’aurais pu achever cet ouvrage sans le travail, la confiance,

le soutien, voire l’existence même de plusieurs d’entre vous. J’aimerais partager quelques

mots pour mettre en visibilité votre apport à ce travail colossal.

D’abord, cette recherche de terrain a impliqué une participation engagée et engageante de la

part de plusieurs conseillers et conseillères d’orientation. J’aimerais donc adresser un

remerciement spécial à celles et ceux qui ont accepté de partager leur expérience du travail

au sein des collectifs de recherche. Un merci particulier aux personnes qui m’ont aidé à

mettre en place cette recherche sur le plan logistique. Sans vous tous et toutes, cette recherche

doctorale n’aurait pu être tenue. J’espère par ailleurs que cette démarche aura contribué à une

meilleure compréhension individuelle et collective de votre expérience du travail de

conseillers d’orientation en milieu scolaire.

Cette thèse de doctorat est le fruit d’un travail de longue haleine soutenu par une équipe de

direction sans laquelle je n’aurais pu arriver au bout. Merci à ma directrice, Marie-France

Maranda, de m’avoir offert ces occasions de développement de mon esprit de chercheur.

Votre authenticité dans votre posture de chercheure, notamment au regard de votre

engagement avec les milieux, est admirable. Vous êtes devenue qui vous étiez, une

intellectuelle, et vous m’avez transmis votre épistémophilie. Merci enfin pour l’encadrement

à la fois souple et structurant dont vous avez fait preuve pour m’aider à réaliser cette thèse.

Jacques Rhéaume, l’air frais que vous apportiez lors de nos rencontres arrivait toujours à

point. Votre culture immense et cette humilité qui vous traverse sont inspirantes. Ce fut un

plaisir et un honneur pour moi que vous vous engagiez dans la codirection de mon doctorat.

Je souhaite également remercier les professeurs et professeures qui se sont impliqués dans

mon projet de doctorat. Jonas Masdonati pour la prélecture rigoureuse et pédagogique et pour

sa participation au comité d’accompagnement et au jury de thèse. Liette Goyer pour avoir

cru en moi comme chercheur pouvant contribuer au champ de l’orientation et pour sa

participation au comité d’accompagnement et au jury de thèse aussi. Marcelle Gingras pour

avoir si généreusement accepté d’évaluer ma thèse, avec la grande rigueur et la bonne humeur

qui lui sont caractéristiques.

En plus d’un encadrement académique de grande qualité, j’ai eu l’occasion de recevoir des

appuis de plusieurs organismes, appuis fort structurants à différents niveaux. Merci à la

Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation (FPPE-CSQ), qui a montré

de l’intérêt pour ma recherche dès ses premiers balbutiements et m’a été de bon secours lors

du recrutement. Merci aussi aux syndicats affiliés pour avoir relayé mes appels à participer

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à la recherche. Merci à l’Ordre professionnel des conseillères et des conseillers d’orientation

(OCCOQ) pour avoir soutenu ma recherche à des moments particulièrement importants.

Je suis profondément reconnaissant envers le Conseil de recherche du Canada en sciences

humaines (CRSH) pour le financement accordé, pendant trois ans via, la bourse Joseph-

Armand Bombardier. En espérant que vous continuiez de soutenir la recherche étudiante dans

le plus grand respect de la liberté académique et le développement des savoirs désintéressés.

Ont aussi contribué au soutien financier de cette thèse : l’OCCOQ, la Faculté des sciences de

l’éducation de l’Université Laval, le Centre recherche et d’intervention sur l’éducation et la

vie au travail (CRIEVAT), le Fonds Desjardins, le Groupe de recherche sur l’insertion et

l’intégration en emploi, et Marie-France Maranda avec de nombreux contrats de recherche.

Au cours de la réalisation de cette thèse, j’ai eu l’occasion d’être affilié au CRIEVAT, à titre

de membre étudiant. La structure intellectuelle et matérielle offerte par le CRIEVAT a

favorisé le développement de mes compétences de chercheur étudiant. Chercheures et

chercheurs du CRIEVAT, ce fut et c’est encore un honneur de vous côtoyer. Merci aussi à

tous mes collègues étudiants du CRIEVAT qui ont passé au cours des années. Salutations

particulières à Jean-Simon, Christine, Anne, Annie, Mathieu, Michael, Christian, Mariève,

Manon, Isabelle et Karine. Nous avons fait de beaux efforts pour maintenir une vie étudiante

stimulante intellectuellement au sein de notre centre de recherche. J’en profite aussi pour

remercier mes collègues des associations étudiantes (ACCESE et AEEScO) et plus

particulièrement Matthias, Rosalie et Marie-Pierre.

Cette thèse s’inscrit dans un questionnement issu à la fois de mon expérience de recherche et

de ma pratique de conseiller d’orientation. J’aimerais remercier tous ceux et celles qui se sont

impliqués dans le cadre de la recherche-action en psychodynamique du travail que nous

avons mené au cours des dernières années et de laquelle cette thèse a pris naissance. J’ai été

réjoui de travailler avec vous. Votre dévouement est noble. Vous m’avez inspiré. Merci aussi

à Lucie Héon, avec qui j’ai eu du plaisir à travailler sur cette recherche. Dans le monde de

l’intervention, merci aux conseillères et conseillers d’orientation qui m’ont inspiré au fil de

mon parcours. Je pense particulièrement à Suzanne LaVallée, Yvon Pépin à l’Université

Laval, mais aussi à mes collègues Érick Beaulieu, Eddy Supeno, Patricia Dionne et Louis

Cournoyer avec qui j’ai pu discuter de la fonction politique de la profession. Salutations aussi

à mes collègues du Cégep Ste-Foy, qui ont vu naitre le projet de cette thèse.

J’aimerais, en terminant, exprimer toute ma gratitude envers ma famille. Mes parents, pour

leur soutien indéfectible, pour m’avoir légué les gènes de l’orientation, Jules pour nos

discussions inspirantes, et Nicole pour son travail de révision méticuleux. Salutations à mon

grand-père Gérard, aussi conseiller d’orientation, et ma grand-mère Thérèse, épistémophile,

s’il en est. Mon frère Alex pour m’avoir épaulé dans la trame axiologique qui traverse ma

posture de chercheur. Merci à mes amis « mapiens », ma confrérie; il y a un peu de vous

aussi dans cette thèse. Merci à mes grandes filles, Coralie, Emmanuelle et Lili-Maude d’avoir

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compris que leur père travaillait même s’il était étudiant (Antoine, trop petit pour

comprendre!)… Enfin, un merci spécial à la femme de ma vie, Catherine, pour t’être occupée

des enfants durant le temps où j’étais plongé dans ma thèse, pour m’avoir écouté dans les

bons comme dans les moins bons moments, pour t’être efforcée de comprendre les exigences

de la culture universitaire, bref, merci d’avoir accepté d’intégrer ce projet personnel et

professionnel dans notre projet familial.

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Introduction

Cinquante ans après son institutionnalisation au sein du système professionnel au Québec et

après que l’État lui ait fait une place centrale au fondement de l’école québécoise, la

profession de conseiller d’orientation (c.o.) est toujours en lutte pour une reconnaissance de

sa pertinence au sein de la société. Tout se passe comme si la professionnalisation, entendue

comme un processus permettant à un métier de se faire reconnaître une identité propre liée à

l’exercice de responsabilités nécessitant des qualifications élevées, était toujours en question.

Au rythme où s’enchaînent les réformes dans le monde scolaire, la reconfiguration constante

des pratiques rend difficile la revendication d’une identité professionnelle de métier claire.

Les c.o. ont été touchés au cœur de leur métier par les transformations institutionnelles ces

dernières années. C’est du moins ce que propose d’explorer cette thèse qui appréhende une

dynamique de souffrance identitaire de métier.

En effet, à l’heure actuelle où le travail prend une place si importante dans la vie des gens –

que ce soit pour ceux et celles qui ont un emploi ou ceux qui n’en ont pas – (Davoine &

Méda, 2008), l’identité professionnelle apparaît comme un enjeu capital sur le plan de la vie

sociale et psychique étant donné son caractère structurant pour le sentiment d’appartenance

et pour la reconnaissance sociale liée au fait de jouer un rôle important dans la société. Or,

ceux-là mêmes qui ont pour objet d’aider les jeunes à choisir la place qu’ils désirent occuper

dans la société, les conseillers d’orientation (c.o.) en milieu scolaire, expriment un malaise

sur le plan de l’identité professionnelle.

Les jeunes vivent à une époque où les choix d’orientation sont plus complexes qu’ils l’étaient

autrefois. On n’a qu’à penser aux pressions sociales pour « exceller » dans l’ensemble des

sphères de sa vie, à l’éclatement des repères identitaires ou à la multiplication de l’offre de

programmes de formation portée par la compétition entre établissements scolaires désireux

d’attirer une « clientèle ». La pression augmente lorsque l’on considère la dévolution de la

responsabilité du développement de carrière de l’organisation vers les individus, la

flexibilisation de la main-d’œuvre et la mouvance imprévisible du marché du travail (p. ex.,

le développement de nouvelles technologies, les délocalisations, les mouvements financiers

générant des ouvertures et fermetures soudaines de secteurs d’emploi). Cette complexité rend

les services spécialisés d’aide à l’orientation plus pertinents que jamais pour aider les jeunes

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à se retrouver et à se préparer à faire face à cette réalité. Pourtant, la profession de conseiller

d’orientation connaît une difficulté à voir son expertise effectivement reconnue à la fois dans

l’opinion publique et dans le système scolaire au Québec.

Porteurs d’une histoire professionnelle bigarrée, marquée tant par la religion (conseiller à la

« vocation ») que par la psychologie différentielle (psychotechnicien), par l’éducation à la

carrière que par la psychologie humaniste ou encore par les pratiques socioconstructivistes,

les conseillers d’orientation peinent à définir et à faire reconnaître leur place dans le spectre

des identités professionnelles dans le monde scolaire. Au Québec, la profession de c.o. a

connu un certain « âge d’or » dans les années 1970 après qu’elle se soit vu attribuer une place

centrale dans le système scolaire québécois. Au fil des années, toutefois, comme nous le

verrons dans la revue de la littérature, cette place s’est étiolée de sorte que des conseillers

d’orientation s’interrogent actuellement sur le présent et l’avenir de leur profession, en milieu

scolaire du moins. Quelle est leur pertinence sociale dans ce monde où les professions se

multiplient et plus spécifiquement dans le monde scolaire où les professionnels sont appelés

à être plus diversifiés, dans une organisation du travail où semble exister une confusion des

rôles au sein de l’« équipe-école », selon des recherches qui seront présentées ici? Qu’est-ce

qui distingue les c.o. des autres professionnels de l’éducation, notamment des enseignants

qui s’occupent des « cours » d’orientation? N’importe quel personnel scolaire peut-il faire de

l’orientation? Est-il nécessaire d’être « conseiller d’orientation » patenté pour faire de

l’orientation? Les conseillers d’orientation peuvent-ils s’entendre sur un ensemble de tâches,

d’activités, qui définissent leur pratique professionnelle de manière distinctive au regard de

celle d’autres professionnels? Autrement dit, les c.o. peuvent-ils définir plus spécifiquement

leur contribution au travail en milieu scolaire? De même, les autres acteurs peuvent-ils définir

et reconnaître cette contribution?

Bref, ce dont il est question en fin de compte, c’est de mieux comprendre le rapport au travail

à travers l’exercice d’une profession, la pratique professionnelle. Comment les conseillers

d’orientation vivent-ils leur identité professionnelle de métier à travers leur travail en milieu

scolaire?

Parallèlement au malaise identitaire décelé par plusieurs chercheurs et observateurs du milieu

scolaire, cette thèse prend pour point de départ la multiplication de manifestations de

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problèmes de santé mentale révélant une souffrance au travail devenue pathogène : détresse

psychologique, épuisement professionnel, consommation de substances psychoactives,

réduction volontaire du temps de travail et absentéisme, décrochage professionnel même. Les

conseillers d’orientation ne semblent pas y échapper. Est-ce à mettre en lien avec le malaise

identitaire évoqué?

Si l’on se fie aux écrits scientifiques qui sont intéressés à la santé mentale au travail des

conseillers d’orientation, le fait, pour un c.o., de pouvoir se construire une identité

professionnelle claire et de sentir que son apport professionnel est utile compte pour

beaucoup dans le maintien d’une bonne santé mentale au travail. Des résultats des recherches

à propos de l’estime de soi collectif et de la reconnaissance posent, de fait, la question de la

valeur de la contribution de la profession de conseiller d’orientation aux yeux des autres et

aux yeux des conseillers d’orientation eux-mêmes. Mais pour estimer cette valeur, encore

faut-il être en mesure de définir la contribution attendue du professionnel de l’orientation.

Or, les écrits recensés montrent que les problèmes dans la définition, la détermination et la

conjugaison des rôles des conseillers d’orientation en milieu scolaire sont liés à certaines

manifestations de détérioration de la santé mentale (p. ex, épuisement professionnel). Bref,

l’analyse de la littérature scientifique permet effectivement de poser l’hypothèse d’un

malaise identitaire vécu par les c.o. du milieu scolaire québécois qui participe à une

dynamique de souffrance au travail.

Cette thèse ne vise toutefois pas à « vérifier » cette hypothèse, mais plutôt à « comprendre »

la dynamique de la souffrance identitaire de métier qui se joue dans l’expérience du travail

de conseillers d’orientation en milieu scolaire. La pertinence scientifique de cette thèse prend

toute sa portée dans le cadre théorique et méthodologique de la clinique du travail. Cette

dernière s’inscrit dans un courant épistémologique « historico-herméneutique ». Elle se situe

dans un paradigme compréhensif, tout en partageant des valeurs avec le paradigme critique.

Sur le plan ontologique, cette position paradigmatique pose la réalité comme étant de l’ordre

de la subjectivité et de l’intersubjectivité, étant construite socialement et historiquement.

Aussi, ce qui est recherché ici, c’est une compréhension du sens des phénomènes humains et

sociaux plutôt qu’une explication objective de ces phénomènes.

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La clinique du travail aborde la question de la souffrance au travail par la mise en discussion

collective de l’activité, i.e. du travail effectif, vécu. Cette porte d’entrée par l’expérience

subjective et intersubjective permet d’appréhender les aspects dynamique et collectif du

phénomène qui n’ont pas été repérés jusqu’à ce jour dans la littérature scientifique. Cette

articulation théorique et méthodologique est fondée sur une position clinique au sens d’« être

au chevet de… ». Or, il ne s’agit pas ici d’être au chevet d’une personne malade, comme le

serait un médecin dans une clinique médicale, mais plutôt au chevet du « travail » : d’un

travail potentiellement malade. Il s’agit donc essentiellement de « soigner le travail » pour

restaurer un pouvoir d’agir (Clot, 2010) et rétablir un rapport subjectif et intersubjectif que

les personnes et les collectifs peuvent entretenir par la suite. La clinique du travail est donc

à la fois une action de transformation et production de connaissances (Clot & Lhuilier, 2010)

sur un double objet d’investigation dans le travail : la souffrance et les mécanismes pour y

faire face ou pour y résister (Lhuilier, 2006).

La thèse s’appuie plus précisément sur un cadre théorique et méthodologique mobilisant les

théories de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008) et de l’activité dirigée (Clot,

1999). Sur le plan théorique, la souffrance identitaire de métier, concept central de cette thèse,

est définie à partir d’une intégration des définitions de la « souffrance » issues de ces théories,

mais aussi de la conceptualisation de l’identité professionnelle de métier inspirée également

des travaux de Osty (2002, 2006, 2008). Suivant la théorie de l’activité dirigée (Clot, 1999),

la souffrance au travail peut se définir comme une «amputation du pouvoir d’agir»,

l’empêchement d’un développement humanisant à travers le travail, «ressentie comme

atteinte à l’intégrité de soi» (Lhuilier, 2008, p. 170). La théorie de la psychodynamique du

travail traite de la souffrance comme un espace de lutte psychique entre le désir, ou une

« attente par rapport à l’accomplissement de soi » (Dejours et Molinier, dans Molinier 2008,

p. 60), et le réel qui fait obstacle. Dans le cadre de notre questionnement, nous avons fait

appel à Osty (2002) pour traiter la question d’un désir non pas individuel, mais d’un « désir

de métier » défini comme une « intense dynamique de construction d’une identité au travail

dans l’entreprise [qui] s’inscrit dans une filiation ancestrale des gens de métier, cherchant à

travers la production d’une œuvre, les voies d’un accomplissement de soi. » (Osty, 2002,

p. 233). Suivant ces définitions, nous avons défini le concept de souffrance identitaire de

métier comme un espace de lutte psychique entre un désir de métier ou d’accomplissement

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du soi professionnel, et le réel du travail qui fait obstacle. Elle est un vécu subjectif partagé

traduisant un empêchement d’agir professionnel individuel et collectif, i.e. un empêchement

de transformer le monde en continuité avec le cœur de son métier qui fait qu’on ne reconnaît

plus sa profession dans ce que l’on fait.

Au regard du corpus des écrits scientifiques ayant tenté d’expliquer les problèmes de santé

mentale au travail chez les c.o. en milieu scolaire, le concept de souffrance identitaire de

métier permet d’appréhender le phénomène sous un angle nouveau à plusieurs égards. D’une

part, il a l’avantage de traduire l’aspect « dynamique » du phénomène de la souffrance, plutôt

que de considérer celle-ci comme un état statique pouvant donner lieu à un diagnostic.

D’autre part, le concept de souffrance identitaire de métier et la définition que nous proposons

soutiennent la « centralité du travail » au regard de la santé mentale. Enfin, ce concept permet

de « situer » le travail dans les trois ordres de contraintes faisant écho à la « triade vivante »

de Yves Clot (1999) et aux trois types de rationalités du travail utilisées par Christophe

Dejours (1995) : la rationalité subjective (Soi) ; la rationalité axiologique (Autrui) ; et la

rationalité de production (Objet). En outre, ce concept ouvre la voie à une méthodologie

abordant la complexité de l’expérience concrète du travail des conseillers d’orientation en

tenant compte des contraintes professionnelles, culturelles, institutionnelles, structurelles.

Au final, cette manière d’approcher le problème permettra, à titre d’objectif général, de

comprendre la dynamique de la souffrance identitaire de métier des conseillers d’orientation

en milieu scolaire en analysant les tensions entre des pratiques prescrites par le système

scolaire et la profession, des pratiques professionnelles désirées par les c.o. participant à cette

recherche et des pratiques effectives qui s’incarnent dans l’exercice du travail au quotidien.

Nous tenterons d’éclairer la relation entre le plaisir, la souffrance au travail et les stratégies

défensives, à la lumière de règles de métier issues du « genre professionnel » et du collectif

de travail. Les objectifs spécifiques suivants sont ainsi poursuivis :

Décrire et analyser les pratiques effectives des conseillers d’orientation au sein de

l’organisation actuelle en milieu scolaire.

Comprendre et décrire l’expérience du travail au regard du rapport à la tâche

(pratiques prescrites) et aux destinataires de l’activité (élèves, pairs, hiérarchie,

organisations professionnelles), les sources de souffrance et de plaisir au travail, et

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aussi les stratégies pour faire face au réel de l’organisation du travail et à la souffrance

qu’il engendre.

Comprendre la place de l’identité professionnelle de métier dans cette dynamique,

notamment au regard des concepts de collectif de travail et de genre professionnel.

Sur le plan de la méthodologie, le paradigme compréhensif, comme le paradigme critique,

soutient un processus de recherche marqué par une interaction intense entre les chercheurs et

les participants, idéalement dans un contexte se rapprochant de la vie quotidienne

(Ponterotto, 2005). Ainsi cette recherche a-t-elle été conduite auprès de deux groupes de

conseillers d’orientation en milieu scolaire, rencontrés chacun à quatre reprises (rencontres

de 3 h, pour un total de 24 h d’entretiens enregistrés sur bande audio). Un premier groupe de

dix c.o. d’une même commission scolaire a accepté de participer à une clinique de l’activité

par instruction au sosie (Clot, 1999 ; Oddone, Re & Briante, 1981). Une enquête de

psychodynamique du travail (Dejours, 2008) a quant à elle été tenue auprès d’un deuxième

groupe, composé de onze c.o. provenant de deux commissions scolaires voisines.

La clinique du travail inhérente aux méthodes employées dans cette thèse comporte une visée

émancipatoire puisqu’elle considère que la construction des savoirs est non seulement située

socialement et historiquement, mais également fondée sur des relations de pouvoir. En

conséquence, les résultats de cette thèse devraient ouvrir des perspectives pour une

réappropriation de la profession par les conseillers d’orientation eux-mêmes afin qu’ils

puissent interpeller les institutions qui contribuent à réguler l’exercice de leur métier. La mise

en débat collectif de la pratique professionnelle à partir de l’expérience du travail réel pourrait

éventuellement soutenir une amélioration des programmes de formation universitaire en

orientation, une meilleure prise en compte du réel du travail par l’Ordre professionnel, une

clarification du rôle des c.o. au sein des établissements scolaires, pour donner ces exemples.

Plan de la thèse

La thèse est présentée en quatre parties : 1) la problématique de recherche et le cadre

théorique ; 2) le cadre méthodologique ; 3) les résultats de chacun des volets de la recherche ;

4) la discussion-synthèse des résultats.

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La première partie comprend trois chapitres. Le premier chapitre définit le contexte

particulier dans lequel se situe la profession de conseiller d’orientation en milieu scolaire au

Québec. D’une part, au Québec, la profession est encadrée par un Ordre professionnel dont

la mission est de protéger le public en mettant en place des dispositions pour s’assurer de la

compétence de ceux et celles qui portent le titre professionnel. Cette caractéristique propre

au Québec permet de mettre en évidence les dimensions relatives au statut de la « profession »

par rapport au « métier »1 ; le système professionnel québécois est fondé sur une conception

fonctionnaliste qui accorde un niveau de reconnaissance sociale formelle supplémentaire à

la profession. Ce chapitre est d’ailleurs l’occasion de définir le champ légal d’exercice de la

profession, de même que les activités « réservées » par la loi. D’autre part, l’histoire de la

profession au Québec montre une multiplication des modèles de pratique qui a, selon certains

chercheurs, mené la profession à une « crise identitaire » dans les années 1990 (Mellouki &

Beauchemin, 1994a), crise qui a d’ailleurs mené à des États généraux de la profession en

2000 (Landry, 2000). Enfin, le système scolaire québécois a subi, au début des années 2000,

une réforme articulant à la fois des principes pédagogiques issus d’une pédagogie

socioconstructiviste et des principes gestionnaires issus de la Nouvelle Gestion Publique.

Cette réforme proposait une réorganisation des services d’orientation fondée sur une

approche « orientante » de l’école impliquant une collaboration de l’ensemble des acteurs de

l’école pour favoriser l’orientation des jeunes. Malgré le potentiel de cette approche (OCDE,

2002), les résultats ne semblent malheureusement pas avoir été à la hauteur de ses ambitions,

du moins si l’on se fie aux constats révélés par l’Ordre professionnel dans les dernières

années (OCCOPPQ, 2010a, 2010b). L’état de la pratique actuelle des c.o. en milieu scolaire

dressé en conclusion permet de croire que le travail des c.o., voire la profession elle-même,

est « en souffrance ».

Le deuxième chapitre dresse un examen critique des écrits scientifiques qui se sont intéressés

aux différentes manifestations d’une souffrance au travail. L’analyse du corpus d’écrits

1 Un rapport de l’OCDE (2004) sur la situation de l’orientation professionnelle dans plusieurs des pays membres

rapporte que : « Selon les critères habituellement utilisés pour évaluer une profession, l’orientation

professionnelle est, dans la plupart des pays, peu professionnalisée. » (p.99).

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permet de classer les explications en trois types d’approches : psychologique-individuelles,

psychosociales, et celles qui sont axées sur le travail. Cet examen critique montre les forces

et les limites de chacune de ces approches. Au final, la réflexion permet de cibler les enjeux

les plus importants à considérer dans l’investigation de la souffrance au travail des c.o. :

l’identité professionnelle et la pratique professionnelle. Ce chapitre met en perspective la

contribution de la thèse au regard de ce champ de connaissances scientifiques.

Le troisième chapitre clôt cette première partie de la thèse en détaillant le cadre théorique et

analytique qui y est mis à profit. Après avoir exploré les notions d’identité professionnelle et

de pratique professionnelle, un éclairage sera porté sur ces notions à partir des deux théories

mises à profit dans le cadre de cette thèse : la théorie de la psychodynamique du travail

(Dejours, 2008) et celle de l’activité dirigée (Clot, 1999). Cet exposé mène à la présentation

du modèle conceptuel utilisé pour comprendre la dynamique de souffrance identitaire de

métier. Le chapitre se termine sur la question de recherche et les objectifs de la thèse

découlant de cette problématique et du cadre théorique.

La deuxième partie de la thèse comprend deux chapitres qui circonscrivent le cadre

méthodologique de la thèse. Le chapitre 4 examine les méthodes possibles pour réaliser

l’investigation. Plus précisément, ce chapitre explore les courants d’analyse des pratiques

professionnelles souvent utilisés ces années-ci en éducation à la fois pour des fins de

recherche et de formation. Ces dispositifs permettent aux praticiens une meilleure

compréhension de ce qu’ils font, et de l’expérience qu’ils en font, et de mieux « saisir » ainsi

leur identité professionnelle ancrée dans leurs pratiques et expériences (Barbier, 1996). Les

différents courants d’analyse des pratiques professionnelles méritent donc d’être considérés

à titre exploratoire pour investiguer la souffrance au travail à l’interface de l’identité

professionnelle et des différentes dimensions de la pratique professionnelle. Nous retiendrons

de cette exploration des critères justifiant la méthode retenue pour la thèse.

Le cinquième chapitre détaille la méthode combinée de la clinique du travail mise en place

pour l’investigation, méthode comportant deux volets : une clinique de l’activité par

instruction au sosie (Clot, 1999 ; Oddone, Re & Briante, 1981) et une enquête de

psychodynamique du travail (Dejours, 2008), chacune des méthodes réalisée avec un groupe

différent. Le chapitre décrit ensuite chacun de ces deux dispositifs de recherche. Le mode de

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recrutement et de constitution du groupe et les critères de participation, le déroulement des

rencontres et la stratégie d’analyse y sont présentés. Nous traitons par la suite des modalités

de restitution des résultats auprès des groupes participants, modalités importantes à

considérer compte tenu l’ancrage épistémologique de ce type de recherche. Enfin, une

discussion des critères éthiques poursuivis dans la réalisation de la recherche doctorale

termine ce chapitre et l’ensemble de la partie « cadre méthodologique ».

La troisième partie de la thèse traite des résultats obtenus grâce aux deux méthodes

d’investigation retenues. Grâce à la clinique de l’activité, les instructions au sosie ont permis

de donner un aperçu de la pratique effective des c.o. en milieu scolaire en décrivant les

activités poursuivies au quotidien. L’expérience du travail des instructeurs est ensuite

analysée à partir des catégories issues de la théorie d’Oddone, Re et Briante (1981). Sont

ensuite décrites les stratégies utilisées pour faire face au réel du travail et à l’expérience qui

en découle. Les discussions tenues par le groupe sont mises à profit pour mettre ces résultats

en perspective sur le plan collectif et recréer ainsi un « chœur de métier » de c.o. en milieu

scolaire. Elles permettent de discuter de l’organisation du travail dans laquelle ils doivent

œuvrer et la manière dont ils arrivent ou non à se protéger, se défendre ou résister aux

situations difficiles vécues.

L’analyse issue de l’enquête de psychodynamique du travail est ensuite présentée au

chapitre 7. Les résultats reprennent les thèmes habituellement retrouvés dans les rapports de

psychodynamique du travail : un écart entre le travail prescrit et le travail réel ; la dynamique

entre le plaisir et la souffrance au travail ; et les stratégies défensives mises en place pour se

protéger de la souffrance. Ce chapitre donne lieu à un épilogue qui fait un retour sur la

manière dont les participants souhaitent s’approprier, diffuser, donner suite à l’analyse

réalisée dans cette enquête, dans une perspective de réduction de la souffrance pathogène au

travail.

La quatrième et dernière partie de la thèse constitue un retour sur la combinaison des

méthodes employées et une synthèse des résultats de la recherche au regard du modèle

conceptuel élaboré dans le cadre théorique. Après avoir exposé les forces et les limites de la

méthodologie utilisée, le chapitre 8 analyse les thèmes forts dégagés de la méthode combinée

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au regard des différentes dimensions du modèle conceptuel. Au final, ce chapitre vise une

compréhension intégrée de la dynamique de souffrance identitaire de métier.

Le dernier chapitre (chapitre 9) fait une place particulière aux stratégies « défensives » pour

faire face à la souffrance identitaire de métier. C’est ici que l’on saisit particulièrement la

pleine portée d’une approche de clinique du travail. Ce chapitre montre de manière encore

plus évidente le caractère dynamique et complexe du phénomène de souffrance identitaire de

métier appréhendé à travers le travail effectif.

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PARTIE 1

Problématique et cadre théorique

Cinquante ans après s’être vu attribuer le statut de profession institutionnalisée et avoir

obtenu une place centrale dans le système scolaire moderne par le Rapport Parent, dans quel

état se trouve aujourd’hui la profession de conseiller d’orientation dans les écoles du Québec?

L’histoire de la profession montre que sa place dans la société, de même que ses pratiques et

règles de métier sont passablement perméables aux changements sociaux et politiques

incarnés notamment par des réformes des systèmes éducatifs (Mellouki & Beauchemin,

1994a et 1994b). Ainsi, depuis les années 1970, la place de l’orientation dans les écoles au

Québec s’est plutôt dégradée au fil des années si l’on en juge par les critiques sévères,

exprimées dans les années 1990, à l’égard de l’insuffisance des services d’orientation dans

les écoles (MEQ, 2000). Devant ce constat, la dernière réforme au début des années 2000

avait pour objectif explicite de redonner une place de choix à l’orientation : on voulait faire

de l’école québécoise une école « orientante ». L’implantation d’une telle approche

impliquait toutefois une réorganisation des rôles de tous les acteurs qui rendait chacun d’eux

responsable de soutenir les jeunes dans leur orientation. Quelle place alors pour la pratique

spécialisée des c.o.? Inspirés notamment par les principes de la Nouvelle Gestion Publique

(Fortier, 2010a), les autorités scolaires ont voulu instaurer une plus grande polyvalence dans

le travail des conseillers d’orientation en les amenant à exercer moins de leur « tâche

spécifique » (counseling d’orientation avec les élèves) et plus de travail en concertation.

Quelles incidences sur la professionnalité du métier? Comment la place occupée par les

conseillers d’orientation dans les écoles a-t-elle affectée? Et leur manière d’exercer leur

profession? Et leur identité professionnelle?

En contrepartie, l’Ordre professionnel milite depuis longtemps pour la reconnaissance de

l’expertise des conseillers d’orientation en matière d’aide psychologique et de relation d’aide

et régit la pratique en ce sens. L’application de la Loi modifiant le Code des professions et

d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations

humaines (appelée communément le « Projet de Loi 21 ») adoptée en 2009, qui réserve aux

conseillers d’orientation l’acte d’évaluation individuelle des difficultés d’orientation des

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élèves dits « vulnérables », renforcera la responsabilité des conseillers d’orientation à cet

égard. Comment les c.o. pourront-ils tenir compte de ces nouvelles obligations légales dans

leur travail au jour le jour dans les écoles? Comment ces nouvelles applications

influenceront-t-elles la place que les c.o. occuperont dans l’école, leur rôle et, plus largement,

leur identité professionnelle?

Entre le « rôle-conseil » que les autorités scolaires veulent faire jouer aux c.o. et le rôle

clinique que la loi leur attribue, ce sont sans doute les conseillers d’orientation qui,

individuellement, doivent arbitrer les éventuelles contradictions dans le travail au

quotidien… Comment y arrivent-ils? Et à quel prix, pour soi, pour la profession? Nombre de

recherches montrent que de telles situations de tensions, de paradoxes et de contradictions,

au cœur de la mise en œuvre des réformes éducatives, génèrent de la souffrance au travail.

Peut-on penser que les conseillers d’orientation font partie, aux côtés des enseignants

notamment, de ceux qui vivent de la souffrance au travail en milieu scolaire? Que dit la

littérature scientifique à ce sujet?

Les écrits scientifiques abordant la situation spécifique des conseillers d’orientation traitent

de plusieurs phénomènes symptomatiques d’une souffrance pathogène : de l’insatisfaction

au travail, au stress et à la détresse psychologique, en passant par l’incapacité de travail

(impairment), jusqu’à des troubles cliniques comme l’épuisement professionnel et la

dépression. Les approches explicatives de ces effets de la souffrance pathogène abordent le

problème principalement sous trois angles : psychologique/individuel, psychosocial, et sous

l’angle du travail (nature du travail, environnement, organisation, etc.). Cette analyse de la

littérature scientifique montre que l’absence de clarté, de cohérence et de reconnaissance des

rôles et de l’identité professionnelle de conseiller d’orientation en milieu scolaire et son

corollaire, la définition des pratiques professionnelles propres au métier, constituent des

enjeux majeurs pour expliquer les manifestations de souffrance au travail au sein de cette

profession.

Toutefois, aucune recherche, à notre connaissance, ne fournit une théorisation des liens entre

la souffrance au travail, l’identité professionnelle et les pratiques professionnelles chez les

conseillers d’orientation en milieu scolaire. Or, ces liens méritent d’être mieux éclairés pour

comprendre comment sont vécus le travail au quotidien et l’avenir de la profession. Les c.o.

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se trouvent peut-être à un carrefour peut-être historique dans l’évolution de leur profession

aux incidences à la fois sociologiques (l’avenir de la profession) et personnelles (le plaisir ou

la souffrance et les incidences du côté de leur santé mentale au travail).

Nous proposons d’aborder le problème du rapport à la profession et au travail des conseillers

d’orientation dans le monde scolaire sous l’angle de la souffrance identitaire de métier, avec

une cadre théorique qui intègre deux théories issues du courant de la clinique du travail : la

théorie de l’activité dirigée (Clot, 1999) et la psychodynamique du travail (Dejours, 2008).

Le modèle conceptuel découlant de ce cadre théorique permet de poser des objectifs de

recherche visant à mieux comprendre la dynamique de la souffrance identitaire de métier qui

se joue dans l’expérience du travail des conseillers d’orientation en milieu scolaire.

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Chapitre 1 – Conseiller d’orientation en milieu scolaire au

Québec : une profession en souffrance?

Si l’on suit la distinction entre « métier » et « profession » issue de la sociologie

fonctionnaliste (Bourdoncle, 1991), le métier de conseiller d’orientation aurait atteint le statut

de profession légitimée avec son institutionnalisation en 1963. Depuis ce temps, le champ

professionnel est défini dans la loi au Québec. Les savoirs liés à l’exercice du métier, tout

comme les activités elles-mêmes, sont régulés par un Ordre professionnel qui accrédite les

formations universitaires donnant accès au permis de pratique et au titre professionnel

protégé. Cette institutionnalisation devrait permettre la protection d’une identité

professionnelle fondée sur ces savoirs, et aussi la protection du statut lié à la condition de

« professionnel » (p. ex., autonomie professionnelle, pratique individuelle basée sur un

corpus de connaissances). Or, plusieurs travaux sur la professionnalisation montrent qu’il

s’agit d’un processus dynamique, avec des avancées et des reculs (p. ex., une prolétarisation

possible). Nous explorerons la situation des conseillers d’orientation à cet effet dans la

première partie de ce chapitre.

Retracer l’histoire de la profession nous permettra ensuite de montrer comment les contextes

sociaux et politiques ont contribué à façonner et à refaçonner le métier de conseiller

d’orientation, notamment via les réformes des systèmes éducatifs. Ces changements ont

contribué à une diversification des pratiques et des règles de métier qui génèrent des tensions

au sein de la profession et rendent difficile le maintien de la revendication d’une identité

professionnelle définie.

La dernière réforme de l’éducation au Québec a ajouté un jalon à cette histoire en instaurant

une nouvelle organisation du travail ayant pour objectif de « décloisonner » les pratiques

professionnelles. Appliqué aux services d’orientation, ce décloisonnement des pratiques

professionnelles devait amener les conseillers d’orientation à occuper un nouveau rôle dans

l’organisation; un rôle d’expert-conseil visant à soutenir l’ensemble des acteurs scolaires

pour faire en sorte que tous puissent aider les élèves à s’orienter. Quel effet cette

réorganisation a-t-elle eu sur les services d’orientation offerts aux jeunes à l’école?

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À la lumière des sources disponibles, nous dresserons un bilan de ce que nous savons sur la

situation actuelle de l’orientation dans les écoles du Québec et de la pratique de conseillers

d’orientation. Nous montrerons que l’Ordre professionnel, tout en considérant les nouvelles

balises d’organisation du travail à l’école, milite pour l’utilisation de l’expertise des

conseillers d’orientation en relation d’aide directe avec les élèves.

Compte tenu des pressions institutionnelles (l’école, la profession) possiblement divergentes

sur la pratique de conseiller d’orientation en milieu scolaire, comment les c.o. arrivent-ils à

exercer leur métier de manière « professionnelle »? À quel point leur est-il possible d’exercer

leur profession selon leurs attentes et selon leur formation dans le contexte actuel en milieu

scolaire? Considérant notre définition de la souffrance au travail, appuyée sur la

psychodynamique du travail, c’est-à-dire un vécu subjectif qui découle de la confrontation

du désir d’accomplissement de soi des travailleurs face au réel du travail qui y fait obstacle,

peut-on penser que les conseillers d’orientation vivent une telle souffrance? Et si cette

souffrance est liée à la profession, et non pas aux individus en soi, n’est-il pas pertinent de

s’interroger sur l’historique des transformations de la pratique des c.o. et l’avenir de cette

profession dans le secteur scolaire?

1.1. Conseiller d’orientation : un métier professionnalisé?

Au-delà de la définition minimale du terme comme « occupation dont on peut tirer ses

moyens d’existence »2, le concept de profession a fait l’objet de multiples travaux

académiques dans le domaine de la sociologie des professions. Plusieurs de ces travaux ont

été réalisés auprès de la profession enseignante (p. ex., Bourdoncle, 1991, Lessard, 2000).

Ces travaux ont documenté la difficulté pour les enseignants de se voir reconnaître comme

« profession », compte tenu des contraintes institutionnelles et organisationnelles issues du

monde scolaire. Or, un bon nombre de ces contraintes du monde scolaire s’applique aussi à

la profession de conseiller d’orientation. En ce sens, les nombreux travaux de recherche

effectués auprès des enseignants permettront de mettre en perspective la situation actuelle

2 Profession (1996). Le Nouveau Petit Robert. Montréal : DICOROBERT.

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des conseillers d’orientation en milieu scolaire au Québec au regard des différences et

ressemblances que la profession de c.o. partage avec celle d’enseignant.

1.1.1. La professionnalisation : entre métier et profession

D’abord, comme le souligne Bourdoncle (1991), la distinction entre profession et métier est

beaucoup moins franche en français qu’en anglais. Selon lui, dans le monde francophone,

être « professionnel » fait référence principalement, dans le sens courant, au fait de se

distinguer de l’« amateur ». Toutefois, en anglais, le « professionnal » bénéficie d’un prestige

social qui, dans le monde francophone, faisait autrefois référence aux « professions

libérales » : avocat, médecin, etc. C’est à ce dernier sens que nous nous attarderons ici,

puisqu’il permet de rendre compte de la distinction qu’il peut y avoir sur le plan des attentes

et des responsabilités liées à l’exercice d’une profession ou d’un métier, ainsi qu’à la

légitimité de l’expertise.

S’appuyant sur Rey (2002), Adam (2012) retrace l’origine étymologique du mot « métier »

au latin « ministerium », qui signifie fonction, serviteur, en référence notamment au service

divin. Selon Adam (2012), il est probable que cette racine étymologique ait également croisé

celle de « misterium », mystère, en référence à la perpétuation du mystère de Dieu. Le terme

profession, pour sa part, prendrait racine dans le mot latin « professio » qui réfère à une

déclaration publique à l’effet que l’on « se donne comme ». Nous suivrons Adam (2012) dans

cette distinction comme piste d’exploration heuristique : « Le métier apparaît lié à une

transcendance ou puissance tutélaire, mystérieuse, à ce qui à la fois s’impose à lui et le

dépasse. La profession apparaît dans un autre registre, public, déclaratif, révélant l’univers

de la forme et du formel, de l’état et de la condition. » (p. 19). Selon cette distinction réalisée

par Adam (2012), le métier fait référence à une manière d’être, à une pratique, à l’exercice,

à une expérience, à une activité répétée, alors que la profession fait référence à une

déclaration publique de ses convictions, de ses idées, de son engagement, déclaration qui ne

laisse que peu de place au « mystère » et qui relève davantage d’une certitude.

Cette déclaration publique, propre à la profession, s’actualise dans un contrat social

formalisé entre le groupe de « professionnels » et la société. La société, via des instances

étatiques, « mandate » (Hughes, 1958, dans Lessard, 2000) un groupe de gens disposant

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d’une expertise spécialisée et de haut niveau pour exercer et régir des activités

professionnelles considérées « essentielles » pour la société ou qui posent des risques de

préjudices (Lessard, 2000). Supposant que seuls les professionnels possédant ces savoirs

spécialisés peuvent juger de la qualité des services rendus, l’État accorde à cette profession

le « droit collectif de définir non seulement ce qu’est son exercice autorisé, mais aussi ce qui

est bien et mal pour l’individu et la société dans sa sphère de compétence » (Bourdoncle,

1991, p. 79). Si les professionnels sont supposés être conduits par un idéal de service, par un

goût de répondre à des besoins sociaux, et non par des intérêts égoïstes ou par l’appât

financier (Lessard, 2000; Bourdoncle, 1991), ils doivent néanmoins mettre en place des

mécanismes de régulation en prévoyant un code déontologique formalisé et des dispositifs

légaux pour les rendre individuellement imputables de la qualité de leur pratique (p. ex.,

inspection, syndic, conseil de discipline) (Lessard, 2000; Beckers, 2007). Ce contrat garantit

« au moins formellement, la protection de la société contre le charlatanisme, l’incompétence

ou l’exploitation » (Lessard, 2000, p. 94), ce qui implique une clarification du titre et de l’acte

professionnel. Ultimement, les professionnels qui répondent aux qualifications se voient

accorder une « licence » (Hughes, 1958, dans Lessard, 2000), i.e. un permis pour exercer leur

profession, permis exclusif délivré par une corporation professionnelle dont les pouvoirs sont

délégués par l’État. Ce permis vient normalement avec une autonomie professionnelle qui

devrait permettre aux professionnels d’exercer leurs activités professionnelles sans pressions

visant à infléchir leur pratique (Bourdoncle, 1991).

Cette autonomie professionnelle est accordée sur la base d’une confiance relative à

l’expertise développée par cette profession. Cette expertise est fondée sur des savoirs et

savoir-faire bien identifiés, contrôlés par la profession (Bourdoncle, 1991). L’exercice

d’une profession implique non seulement des savoirs spécialisés (comme pour un métier),

mais des savoirs de « haut niveau », y ajoutant par là un certain prestige social et intellectuel

(Bourdoncle, 1991). La qualification élevée des professionnels s’acquiert par une longue

formation prodiguée dans un cadre universitaire. Bourdoncle (1991; 2000) rapporte d’ailleurs

la distinction retrouvée chez certains sociologues américains entre le mode de transmission

des savoirs des professions, l’étude (learning), et celui des métiers, l’apprentissage (training).

La profession est fondée sur des savoirs savants, complexes, abstraits, rationnels, voire

scientifiques, savoirs codifiés et « professés » dans les universités (Lessard, 2000;

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Bourdoncle, 2000). A contrario, le métier est fondé sur une transmission de l’expérience par

imitation, par l’exemple, par pratique, en situation (Bourdoncle, 1991; 2000). On retrouve ici

l’esprit de la distinction étymologique établie par Adam (2012), présentée ci-avant. En

somme, plutôt que de former à appliquer des techniques, les programmes universitaires

transmettent des savoirs qui ont pour objectif de permettre aux professionnels de porter un

jugement éclairé sur les situations, jugement duquel relèvent leur « virtuosité », leurs

innovations et une prise de risque qui implique une confiance importante dans les résultats

de leur pratique et une volonté de formation continue (Beckers, 2007; Bourdoncle, 1991;

Lessard, 2000).

Si l’on suit cette distinction, retrouvée surtout dans le monde anglo-saxon et dans la

sociologie fonctionnaliste (Bourdoncle, 1991), la profession constitue un métier qui est

parvenu à se faire reconnaître une identité propre et un certain prestige social lié, entre autres,

à l’exercice de responsabilités nécessitant des qualifications élevées. La profession ne naîtrait

donc pas de facto « profession », mais le deviendrait, via un processus appelé

« professionnalisation ». Ce mouvement, la professionnalisation, peut se définir ainsi, selon

Lessard (2000) :

[…] processus historique au cours duquel un groupe occupationnel se constitue

et se mobilise dans le but de faire reconnaître l’activité à laquelle il se consacre,

ainsi que lui-même en tant qu’expert, maître d’un savoir et d’un savoir-faire, et

en tant que porteur des valeurs générales liées à cette activité. (p. 93)

Lui aussi dans une perspective socio-historique, Danvers (1994) définit la

professionnalisation comme « un processus dynamique et dialectique de conquête et de

conservation d’un territoire de savoirs et de pratiques en mettant en évidence les tensions et

les évolutions » (p. 130). Ces deux définitions (Danvers, 1994; Lessard, 2000) permettent de

montrer que la professionnalisation est une entreprise de persuasion du public, un jeu de

pouvoir entre différentes instances de la société, jeu de pouvoir qui peut varier en fonction

du contexte socio-historique. Ainsi, une profession peut répondre à certains critères définis

par la sociologie fonctionnaliste à un moment donné dans l’histoire, dans un système donné,

mais essuyer des reculs sur certains aspects dans un avenir rapproché. Comme le souligne

Lessard (2000), la professionnalisation n’est donc pas univoque ni irréversible, et doit plutôt

être considérée comme un mouvement avec des avancées et des reculs.

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D’ailleurs, plusieurs sociologues se sont intéressés au mouvement de déprofessionnalisation.

Selon Lessard (2000), la déprofessionnalisation a été étudiée sous deux angles : la

déqualification (« deskiling ») et la prolétarisation des professions. La déqualification est

définie comme « une réorganisation du travail qui a pour effet de limiter la sphère d’activité

traditionnellement reconnue au groupe et donc de réduire les exigences nécessaires à

l’accomplissement d’une tâche ainsi moins sous le contrôle du groupe » (p. 97). À titre

d’exemple, l’auteur avance que les enseignants ont, au fil des années, perdu le contrôle de la

conception des programmes scolaires et se sont vus réduits à devenir des « applicateurs de

programmes » développés par d’autres, perdant là certaines compétences qui leur étaient

propres et réduisant ainsi leur champ d’activité professionnelle. Peut-on penser qu’il en est

ainsi pour les conseillers d’orientation?

D’autres chercheurs (p. ex., Densmore, 1987 dans Lessard, 2000) se sont penchés sur la thèse

de la prolétarisation pour rendre compte du processus de déprofessionnalisation.

D’inspiration marxiste, cette thèse soutient que le développement du capitalisme tend à faire

disparaître les métiers au profit d’une taylorisation des tâches qui, au final, peut conduire au

remplacement des hommes par des machines ou des ordinateurs. Dans le domaine de

l’éducation, cela se traduit par une division du travail dans laquelle il y a multiplication des

exécutants soumis aux exigences d’une poignée de gens qui pensent le travail sans l’exécuter.

Enfin, la prolétarisation se caractériserait également par une intensification du travail et une

détérioration des conditions de travail (Hargreaves, 1992, dans Lessard, 2000).

Toute cette analyse fait dire à plusieurs chercheurs que la profession enseignante n’est pas

parvenue au bout de son mouvement de professionnalisation, du moins au Québec (Tardif,

2013). Les enseignants ont certes une base commune de connaissances et de compétences3

qui s’acquiert à l’occasion d’une formation universitaire. Cependant, la profession

enseignante n’est pas régie par un contrat social formalisé comme le sont les professions

qui font partie prenante du « système professionnel québécois »4, via un Ordre professionnel.

3 Les enseignants québécois disposent depuis une dizaine d’années d’un référentiel de compétences, produit par

le Ministère de l’Éducation, réalisé en collaboration avec des chercheurs des Facultés d’éducation.

4 Issu du Code des professions du Québec (1973) et régi par celui-ci, le système professionnel québécois est

composé de l’ensemble des institutions qui encadrent l'exercice des 52 professions aujourd’hui réglementées

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Les enseignants n’ont pas de code de déontologie et leur responsabilité individuelle au

regard de leur pratique n’est pas soumise à des mécanismes de régulation par les pairs. Enfin,

comme l’ont montré nombre de recherches, dont une enquête de psychodynamique du travail

que nous avons mené dans les dernières années (Maranda, Viviers & Deslauriers, 2014),

l’autonomie professionnelle des enseignants est grandement limitée, notamment par les

prescriptions provenant des autorités scolaires. D’ailleurs, le contrôle et la coordination par

la série de supérieurs hiérarchiques auxquels ils sont soumis, comme dans plusieurs grandes

organisations, font dire à certains chercheurs que l’enseignement ne peut être qu’une « semi-

profession » ou une « quasi-profession » (Bourdoncle, 1991).

Si elle ne répond pas à plusieurs critères pour en faire une « profession », certains chercheurs

mettent en évidence les conditions d’exercice des enseignants, qui ne favorisent

certainement pas la professionnalisation (Tardif, 2013). De fait, certains enseignants se

retrouvent dans des conditions où l’insertion en emploi est particulièrement pénible : ils

doivent enseigner dans plusieurs écoles, plusieurs classes différentes, de niveaux différents

et de matières différentes, enseigner des matières pour lesquelles ils n’ont pas été formés,

dans des groupes qualifiés comme les plus difficiles (p. ex., beaucoup d’élèves avec des

troubles d’apprentissage ou de comportement). De surcroît, plusieurs demeurent dans la

précarité d’emploi (45 % des enseignants actuellement, selon Tardif, 2013) pendant de

longues années. Ces conditions, en plus des salaires qui stagnent depuis des années,

contribuent à faire de l’enseignement un métier peu enviable, désirable ou prestigieux, ce

qui constitue habituellement un bénéfice lié à la professionnalisation. La mouvance du travail

des enseignants est-elle similaire à celle que vivent les c.o.?

Bref, cet avant-propos permet de mettre en évidence plusieurs dimensions à considérer pour

comprendre l’évolution des concepts de métier et de profession et d’en tirer des conclusions

au regard de la situation spécifique des conseillers d’orientation.

au Québec. Ces institutions sont l’Assemblée nationale, le ministre responsable de l’application des lois

professionnelles, l'Office des professions du Québec, le Conseil interprofessionnel du Québec, et les 44 ordres

professionnels.

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1.1.2. Qu’en est-il maintenant de la profession de conseiller d’orientation?

Contrairement à l’enseignement, le métier de conseiller d’orientation est une profession

dûment constituée au Québec, c’est-à-dire qu’elle est inscrite légalement dans le « système

professionnel » québécois, qui formalise le contrat social entre la société et la profession. En

fait, la profession était déjà organisée en « corporation professionnelle » (en 1963), ancêtre

de l’Ordre professionnel, avant même la création du système professionnel (en 1973).

Depuis, les conseillers d’orientation québécois font partie d’un Ordre professionnel5 qui a

pour mission d’assurer la protection du public au regard de leurs activités professionnelles,

telles que définies dans la loi. C’est d’ailleurs la seule province canadienne où la pratique de

l’orientation est institutionnalisée de la sorte (OCDE, 2002).

Initialement, le Code des professions du Québec (Gouvernement du Québec, 1973)

définissait l’activité professionnelle des c.o. de cette manière : « Guider les individus dans

le choix d’une profession et des études qui y préparent, de manière que ce choix soit fait à la

lumière d’une analyse systématique et d’une évaluation objective de leurs aptitudes et de

leurs goûts » (article 37-g). Par ailleurs, le Gouvernement du Québec a redéfini les activités

professionnelles des conseillers d’orientation depuis l’adoption du Code des professions. La

description la plus récente est celle-ci :

Fournir des services d’orientation et de développement professionnel, en

procédant notamment par l’évaluation du fonctionnement psychologique de la

personne et de ses ressources personnelles, en utilisant, au besoin, des tests

psychométriques, pour évaluer les intérêts, les aptitudes, la personnalité et les

fonctions intellectuelles, cognitives et affectives, en intervenant dans le but de

5 Selon l’article 25 du Code des professions du Québec, la création d’un Ordre professionnel doit tenir compte

de l’ensemble des facteurs suivant : « 1° les connaissances requises pour exercer les activités des personnes

qui seraient régies par l'ordre dont la constitution est proposée; 2° le degré d'autonomie dont jouissent les

personnes qui seraient membres de l'ordre dans l'exercice des activités dont il s'agit, et la difficulté de porter un

jugement sur ces activités pour des gens ne possédant pas une formation et une qualification de même nature;

3° le caractère personnel des rapports entre ces personnes et les gens recourant à leurs services, en raison de

la confiance particulière que ces derniers sont appelés à leur témoigner, par le fait notamment qu'elles leur

dispensent des soins ou qu'elles administrent leurs biens; 4° la gravité du préjudice qui pourrait être subi par

les gens recourant aux services de ces personnes par suite du fait que leur compétence ou leur intégrité ne

seraient pas contrôlées par l'ordre; 5° le caractère confidentiel des renseignements que ces personnes sont

appelées à connaître dans l'exercice de leur profession. » (Article 25 du Code des professions du Québec).

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clarifier l’identité de la personne afin de développer sa capacité de s’orienter et

de réaliser ses projets de carrière (tiré du site de l’Ordre des conseillers et

conseillères d’orientation du Québec [OCCOQ], le 10 février 2011).

Quant au « champ d’exercice » de l’orientation, il a été redéfini comme suit avec l’adoption

de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le

domaine de la santé mentale et des relations humaines (« Projet de Loi 21 » adopté le 18 juin

2009) :

L’exercice de l’orientation consiste à évaluer le fonctionnement psychologique,

les ressources personnelles et les conditions du milieu, à intervenir sur l’identité,

à développer et à maintenir des stratégies actives d’adaptation dans le but de faire

des choix personnels et professionnels tout au long de la vie, de rétablir

l’autonomie socioprofessionnelle et de réaliser des projets de carrière chez l’être

humain en interaction avec son environnement. (tiré du site de l’Ordre des

conseillers et conseillères d’orientation du Québec [OCCOQ], le 10 février 2011)

L’Ordre professionnel a donc la responsabilité de mettre en place des mécanismes visant à

s’assurer de la compétence individuelle de ses membres au regard de ces activités

professionnelles et dans le cadre de ce champ d’exercice. Elle assume cette responsabilité via

une obligation de formation continue, mais surtout via des mécanismes de surveillance et de

contrôle (p. ex., inspection, syndic) qui permettent également de s’assurer du respect du code

de déontologie. L’Ordre professionnel a aussi pour responsabilité d’accréditer les

programmes universitaires pouvant mener à l’exercice de la profession, s’assurant de cette

manière l’acquisition d’une base commune de connaissances et de compétences. Ainsi, il est

nécessaire d’avoir obtenu un diplôme de maîtrise (ce qui représente un minimum de cinq

années de formation universitaire) pour exercer cette profession.

Compte tenu de cette formalisation, on devrait s’attendre à ce que le contrat social permette

aux conseillers d’orientation d’en recevoir les bénéfices, en termes d’autonomie

professionnelle liée à leur domaine de spécialisation, de conditions de travail, au sens large,

et de prestige social.

Or, plusieurs indices laissent croire que les conseillers d’orientation ne bénéficient

malheureusement pas des bénéfices liés à ce contrat social. De fait, en termes de prestige

social, les conseillers d’orientation se plaignent depuis de nombreuses années du manque de

reconnaissance sociale de leur profession (OCCOPPQ, 2009). Ces griefs ont d’ailleurs donné

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lieu, il y a quelques années, à une démarche initiée par l’Ordre professionnel pour définir

clairement l’utilité de la profession au sein de la société (OCCOPPQ, 2009). Malgré tout,

encore aujourd’hui, les plaintes liées à la méconnaissance de la profession et à sa

dévalorisation sociale (p. ex., l’orienteur « passeux de tests » qui donne des résultats farfelus)

sont récurrentes, plusieurs allant même jusqu’à plaider pour une campagne publicitaire de

valorisation de la profession6. À première vue, on peut donc exclure le prestige social comme

bénéfice de la professionnalisation. Il y a néanmoins lieu de s’interroger sur la manière dont

cette dévalorisation s’actualise dans le travail au quotidien en milieu scolaire.

Cela étant dit, nous nous intéressons ici davantage à la question des conditions d’exercice de

la profession, notamment en termes de respect de la délégation de l’expertise liée à leur

domaine de spécialisation et à l’autonomie professionnelle qui en découle, à la liberté de

pratiquer son métier selon les règles de l’art et selon sa « virtuosité », pour reprendre

l’expression de Lessard (2000). Si, a priori, on pouvait penser que le fait d’appartenir à une

« profession » dûment constituée protège contre des conditions d’exercice

déprofessionnalisantes, nous verrons dans la prochaine section que la profession de conseiller

d’orientation, de par la nature même de son expertise, est particulièrement propice à subir

des transformations pour servir des fins socio-politiques.

1.2. Une histoire de métier marquée par les changements du système

scolaire

Comme le soulignent Lessard (2000) et Danvers (1994), il importe de porter un regard socio-

historique pour comprendre le phénomène de professionnalisation comme processus durant

lequel une collectivité de gens de métier tente de faire reconnaître la spécificité et l’utilité

sociale de ses savoirs et ses pratiques. Le cas des conseillers d’orientation est

particulièrement intéressant à cet égard puisque, participant de l’articulation entre le système

d’éducation et le marché du travail, il est perméable aux tendances sociales et politiques

d’une société qui, souvent, se traduisent par des réformes scolaires (Herr, 2002). Examiner

6 Ces plaintes reviennent fréquemment sur les groupes de discussion virtuels des conseillers d’orientation.

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l’histoire du métier permet de comprendre comment les pratiques professionnelles ont pu être

infléchies par les mouvements sociaux et politiques, d’une part, mais aussi de voir comment

la profession arrive à se faire reconnaître comme base d’expertises nécessaires au

développement des individus et de la société.

La fonction de conseiller d’orientation n’a pas toujours existé. Elle est largement issue du

passage, au tournant du 19ème siècle, d’une économie basée sur l’agriculture à une économie

industrielle et des transformations sociales engendrées : exode rural, développement de

centres urbains, accueil massif d’immigrants, développement d’une classe ouvrière,

spécialisation du travail, etc. (Herr, 2001). Les entreprises ayant besoin d’un nombre

important de travailleurs qualifiés, il y avait alors nécessité de développer des manières

d’optimiser l’arrimage entre les dispositifs de formation et les demandes des entreprises.

Considéré comme le « père » de l’orientation en Amérique du Nord, Frank Parsons (1909)

plaidait la nécessité que l’école passe d’un apprentissage de « livres » à des apprentissages

utiles pour répondre aux besoins de l’industrie (Herr, 2001). Il y avait là un besoin que le

système d’éducation puisse former des travailleurs compétents rapidement.

C’est dans cette optique que l’orientation au Québec a pris son envol, dans les années 1940,

avec la fondation, par l’abbé Wilfrid Éthier, de deux Instituts d’orientation professionnelle,

à Montréal et à Québec. Jusque-là, l’orientation se faisait à travers les réseaux individuels :

la famille, la rue, la paroisse (Mellouki & Beauchemin, 1994b). L’abbé Éthier et ses collègues

ont été parmi les premiers au Québec à se servir de leurs connaissances en psychologie

différentielle pour orienter les aptitudes et les aspirations des individus en fonction du marché

du travail. Mellouki et Beauchemin (1994b) soulignent :

À l’instar des autres disciplines des sciences sociales qui se constituent

graduellement à cette époque, l’orientation professionnelle se veut une réponse

scientifique, donc positiviste et quantitative, aux problèmes pratiques posés par

les transformations sociales, et dont la résolution ne peut plus reposer uniquement

sur la seule tradition ou sur la doctrine religieuse (p. 223).

Au milieu des années 1950, l’urbanisation rapide et la croissance industrielle au Québec ont

entraîné une forte demande en travailleurs qualifiés (Mellouki & Beauchemin, 1994b).

Plusieurs liaient alors l’orientation au destin socioéconomique de la nation : il était nécessaire

de gérer rationnellement le réservoir des talents et des aptitudes de la société canadienne-

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française en les distribuant aux endroits où ils seraient susceptibles d’offrir un rendement

maximum. En conséquence, un appel fut fait aux institutions scolaires et aux orienteurs pour

que le Québec produise davantage de diplômés dans les carrières professionnelles,

notamment scientifiques, économiques et sociales. Les compétences en psychométrie des

experts en orientation permettaient alors une orientation méthodique et une sélection des

meilleurs candidats pour les études de haut niveau. Un scénario similaire se retrouvait aux

États-Unis, les décideurs désirant pour leur part former plus de mathématiciens et de

scientifiques afin de développer les technologies pour conduire efficacement la Guerre

froide, notamment sur le plan de la Conquête de l’espace (Herr, 2002).

Aux États-Unis, dans les années 1960, la théorie développementale de Donald Super et

l’apparition graduelle de la perspective du counseling rogérien ont changé le visage de

l’orientation. L’influence de l’approche développementale s’est fait sentir dans plusieurs lois

qui ont été adoptées au Congrès américain (Herr, 2002). Au Québec, toujours d’après

Mellouki et Beauchemin (1994a), c’est davantage dans les années 1970, après la prise en

charge du système d’éducation par l’État, que les théories développementale et rogérienne

ont commencé, dans les universités, à prendre le pas sur les théories utilitariste et

psychométrique pour infléchir les règles de métier. Dans les années 1960, l’arrivée de la

génération d’après-guerre dans les écoles avait nécessité une réforme en profondeur du

système d’éducation, dans laquelle les conseillers d’orientation se sont vus confier un rôle de

tout premier plan. On a alors assisté à l’introduction massive de ces derniers dans les écoles

du Québec : entre 1965 et 1979, l’augmentation du nombre de c.o. autorisés à pratiquer au

Québec fut de 592 % (Mellouki & Beauchemin, 1994a). Cela a concordé avec la création, en

1963, de la Corporation des conseillers d’orientation professionnelle du Québec, ancêtre de

l’Ordre professionnel actuel, qui formalisait le processus de professionnalisation

« officielle » de la fonction. Le statut professionnel des c.o. sera réitéré par l’adoption du

nouveau Code des professions, fruit de la réforme du système professionnel de 1972. Les

années 1960 et 1970 constitueront en quelque sorte l’âge d’or de la profession (Mellouki &

Beauchemin, 1994a).

En fait, le Rapport Parent (1963-1964), pierre d’assise du système d’éducation québécois

moderne, a passablement contribué à cet âge d’or en donnant un rôle de première importance

aux conseillers d’orientation au sein même de l’école québécoise. De fait, le document en

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parlait alors en ces termes : « Le service d’orientation constituera une pierre d’angle du

système d’éducation que nous avons proposé » (Commission royale d’enquête sur

l’enseignement, 1964, p. 263). La vision de l’orientation scolaire et professionnelle proposée

dans ce fameux rapport était claire : il fallait renforcer et consolider la fonction d’orientation

du système d’enseignement, de l’école primaire aux études universitaires, en s’étendant

jusqu’à l’éducation permanente. De l’avis des commissaires, des services d’orientation

devaient être intégrés dans chaque école et faire l’objet d’une collaboration étroite entre tous

les acteurs concernés : parents, enseignants, conseillers d’orientation, autres spécialistes.

Globalement, l’« orienteur » devait s’assurer de la direction et de la coordination de l’équipe

participant au service d’orientation dans l’école. Les tâches spécifiques d’orientation dans

l’école étaient les suivantes : accumuler des renseignements systématiques par

l’administration de tests psychométriques, réaliser des entrevues individuelles avec les élèves

qui le souhaitaient, conduire et participer à des recherches scientifiques, maintenir à jour sa

connaissance du marché du travail global et local.

Depuis ce temps, l’eau a coulé sous les ponts et la situation de l’orientation a profondément

changé. Les compressions budgétaires du début des années 1980 dans le système d’éducation

ont affecté grandement les c.o., qui ont investi graduellement de nouveaux lieux de pratique

(p. ex., organismes d’emploi, centre de réadaptation, cabinet-conseils, etc.)7 (Mellouki &

Beauchemin, 1994a). En plus de participer à un éparpillement des pratiques qui aurait généré

une certaine confusion identitaire au sein de la profession (Landry, 1999; Malouin, 1998;

Mellouki & Beauchemin, 1994a), cette désertion du milieu scolaire a peut-être fait perdre

aux c.o. un poids politique important dans ce secteur de pratique; entre les divers

professionnels de la relation d’aide – notamment les psychologues –, et les enseignants.

Délaissant la pratique d’information scolaire et professionnelle au profit de la pratique du

7 Alors qu’autrefois, la vaste majorité des c.o. oeuvraient dans le monde de l’éducation, c’est aujourd’hui un

peu moins de la moitié d’entre eux qui travaillent dans ce secteur. Plus spécifiquement, près d’un tiers travaillent

dans des écoles de niveau secondaire ou primaire ou dans des commissions scolaires. Les autres travaillent dans

le domaine de l’emploi, de la réadaptation, de la santé et des services sociaux, de la fonction publique ou

parapublique, dans des entreprises ou dans des cabinets-conseils. (OCCOQ, 2013).

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counseling8, les c.o. ont laissé une partie importante de leur champ professionnel aux

spécialistes de l’information scolaire et professionnelle (Dupont, 2001). C’est de cette

fonction spécifique qu’est né le programme Éducation au choix de carrière (ECC) (Ministère

de l’Éducation du Québec — MEQ, 1981), dont les cours étaient dispensés par ailleurs par

des enseignants qui n’étaient pas formés à l’orientation (Dupont, 2001)9. Ce programme a

fait l’objet de nombreuses critiques au fil des années, notamment de la part des élèves.

Dans les années 1990, les jeunes ont réclamé à maintes reprises, via différentes instances de

représentation, une augmentation et une amélioration des services d’orientation dans les

écoles du Québec, que ce soit via le Conseil permanent de la jeunesse (1992), lors des États

généraux sur l’éducation (1996) ou lors du Sommet du Québec et de la jeunesse (2000). Non

seulement les jeunes étaient insatisfaits au regard de la dispense des cours du programme

d’ECC, mais l’accès à un conseiller d’orientation se révélait très difficile (MEQ, 2000). Ce

constat s’appuyait sur des faits avérés puisque la diminution du ratio conseiller

d’orientation/élèves entre 1976 et 1996 a été constante : il était autour de 1 pour 550 élèves

en 1976, passé à 1 pour 875 en 1988, à 1 pour 1033 élèves en 1996 (MEQ, 2000). Les jeunes

étaient donc de plus en plus laissés à eux-mêmes face à cette insuffisance de ressources. Bref,

le MEQ (2000) lui-même constate alors que les compressions budgétaires ont

particulièrement affecté les services d’orientation dans les écoles.

Or, l’orientation des élèves constitue un enjeu fondamental pour faire face à deux défis

importants auxquels était confrontée la société québécoise : le décrochage scolaire et

l’intégration au marché du travail. C’est pourquoi la Commission des États généraux (1996)

suggérait d’introduire l’orientation dans la mission éducative de l’école québécoise afin de

mieux lier les apprentissages scolaires avec un projet professionnel et préparer les jeunes au

marché du travail (MEQ, 2000). Il fallait donc, selon la Commission, s’assurer à la fois que

8 À partir d’une enquête sur les pratiques des conseillers d’orientation dans les écoles réalisée en 1981, Beaudry

(1981) révèle les préférences des c.o. en termes de modalités d’intervention dans leurs activités

professionnelles. Les trois plus populaires sont : l’entrevue individuelle (93,2 %); l’approche rogérienne

(70,8 %); l’approche A.D.V.P. (57,1 %).

9 Selon l’Association québécoise d’information scolaire et professionnelle (AQISEP) (dans Dupont, 2001), les

deux tiers des enseignants de ce programme n’avaient pas la formation requise pour dispenser ce cours.

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l’orientation soit une préoccupation majeure de l’école dans son ensemble et que les jeunes

soient également amenés à être en contact avec les milieux de travail, le tout encadré par un

service de « conseillance » renforcé. Ces recommandations de la Commission ont

grandement inspiré le Groupe de travail sur le curriculum qui devait redéfinir la place de

l’orientation dans le système scolaire.

On peut donc voir qu’encore une fois la réforme qui découlera de ces États généraux (1996)

répond à des tendances sociales et politiques au point d’articulation entre l’école et le marché

du travail. Au final, ces tendances viendront affecter de nouveau la pratique de la profession

de conseiller d’orientation dans les écoles.

1.3. La réforme des années 2000 : le « nouvel esprit » du système scolaire

québécois

La réforme de l’éducation des années 2000 au Québec s’inscrit dans un vaste mouvement de

réforme des systèmes éducatifs dans les pays occidentaux misant sur des politiques de

l’éducation axées sur la performance individuelle des acteurs scolaires et l’efficience du

système à produire la « réussite scolaire ». De fait, sous la pression des grandes institutions

internationales, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque Mondiale (BM) et plus

particulièrement l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),

nombre de pays industrialisés ont opéré des réformes importantes de leur système éducatif

depuis les années 1980. Cette mouvance en éducation est ancrée dans une conception

politique « managérialiste » (Fortier, 2010a) qui vise à introduire dans les organismes publics

des méthodes d’organisation du travail issues des entreprises privées : « L’idée de base est

que les formes de gestion des entreprises publiques et de l’État sont bureaucratiques,

archaïques, coûteuses, inefficaces. Il convient donc de “moderniser” les administrations et

les institutions […] » (De Gaulejac, 2011 p. 147).

Au Québec, la réforme a été pensée dans un contexte politique (fin des années 1990) marqué

par un virage radical opéré par le gouvernement du Parti québécois dans les organismes

publics pour arriver à l’objectif gouvernemental du « déficit zéro » (Fortier, 2010a). C’est

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l’arrivée en force au Québec de la Nouvelle Gestion Publique (Fortier, 2010a), laquelle se

caractérise, selon De Gaulejac (2011), par les principes suivants :

Réduire le coût des fonctions de l’État, notamment en sous-traitant au privé les tâches

qui ne doivent pas absolument être sous son contrôle (selon une conception

minimaliste).

Appliquer le principe d’efficience productive à tous les niveaux de l’organisation.

Remplacer la culture « usager » par une culture « client »; favoriser le contact direct

entre employés et clients.

Compte tenu de leur effet stimulant et efficace, favoriser la compétition à l’interne et

la concurrence à l’externe.

Remplacer la culture des moyens par une culture du résultat, en favorisant une plus

grande autonomie sur les moyens, mais plus de redditions de compte sur les résultats.

Fonder l’évaluation sur la performance plutôt que sur le contrôle de la régularité.

Évaluer les résultats de manière continue pour ajuster la conduite de l’activité.

Introduire la flexibilité et la mobilité dans la gestion du personnel, de manière à éviter

la rigidité de l’attribution et le maintien en poste selon l’ancienneté; favoriser plutôt

l’avancement au mérite.

Remplacer la culture hiérarchique par une culture entrepreneuriale.

Mettre en place un management par l’incitation plutôt que par l’obéissance.

Ainsi a-t-on assisté, au courant des dernières décennies, à l’introduction progressive de ces

principes dans la gestion des organisations publiques, y compris au Québec (Fortier, 2010a).

« Les écoles ne font pas exception : elles sont plus ou moins inspirées ou aspirées par ce

“nouvel esprit” des organisations » (Maulini & Gather Thurler, 2007, p. 431). Lessard (2011)

rapporte les incitations de l’OCDE à mettre en place cette Nouvelle Gestion Publique dans

les écoles de manière à « améliorer la qualité de l’éducation » (p. 318), c’est-à-dire, pour

l’OCDE, son efficacité et son efficience. À titre d’exemple, l’OCDE (2005, dans Lessard,

2011) s’est attardée particulièrement à l’importance du facteur « enseignant » au regard de la

qualité de l’éducation. Ainsi, cet organisme propose aux systèmes d’éducation différents

moyens pour attirer les meilleurs candidats et s’assurer de les garder.

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Ces moyens sont en droite ligne avec la théorie du capital humain, qui constitue le socle de

la Nouvelle Gestion Publique, selon De Gaulejac (2011). Selon la théorie du capital humain,

chacun est responsable de développer, de maintenir, de prendre soin, et de « vendre » ses

facultés sur le marché du travail (De Gaulejac, 2011). Le travailleur sera embauché selon des

conditions qui respectent la valeur de son « capital humain » sur le marché. Lessard (2011)

corrobore ce point de vue : l’OCDE veut modifier le contrat social avec les enseignants de

manière à ce que les directions d’école puissent avoir le loisir de les embaucher selon les

besoins de l’établissement et des parents (clients). En échange, les enseignants pourraient

bénéficier d’une rémunération qui suivrait l’évaluation de leur rendement (leur contribution

à la réussite de l’élève).

Bref, la logique gestionnaire appliquée au système d’éducation veut opérer un mouvement

de décentralisation des décisions et des responsabilités afin de favoriser à la fois l’autonomie

des établissements (p. ex., embaucher les enseignants) et celle des enseignants (p. ex.,

possibilité de mettre en œuvre des pratiques correspondant aux diverses formations issues de

leur « capital humain »). Toutefois, en contrepartie de la liberté de moyens dans la poursuite

des objectifs, les instances centrales demandent un bilan régulier de l’efficacité des actions

décidées et mises en œuvre sur le terrain (Maulini & Gather Thurler, 2007), au regard

notamment de la satisfaction des « clients » que sont les parents et les élèves. Cette situation

est-elle aussi celle des professionnels de l’éducation comme les conseillers d’orientation?

Sur ces deux aspects – autonomie et satisfaction des besoins élèves et des parents – la logique

gestionnaire s’articule très bien avec la logique pédagogique que l’on retrouve souvent dans

les réformes mises en place dans les pays industrialisés (avec pourtant des finalités

radicalement divergentes, i.e. productivisme et création de richesses privées vs. humanisme

et justice sociale, comme le souligne Pelletier, 2001). Maulini et Gather Thurler (2007)

rapportent que les réformes se sont passablement inspirées, sur le plan pédagogique, du

mouvement de l’« éducation nouvelle ». Ayant pour objectif de construire une école plus

équitable, ce mouvement, dans lequel s’inscrivaient nombre d’écoles autrefois

« alternatives », vise à mieux répondre aux besoins des élèves et de leur famille, en tenant

compte des contraintes locales particulières (Maulini & Gather Thurler, 2007). Ainsi, les

pédagogues issus de ce mouvement prônent une grande souplesse et une diversification des

dispositifs pédagogiques de manière à s’adapter à chaque élève et favoriser son

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développement global (Maulini & Gather Thurler, 2007). En ce sens, ce type de pédagogie

est fondé sur le jugement de l’enseignant au regard des moyens à mettre en place pour arriver

à ses fins, laissant une place importante à son autonomie et à son expertise. Dans le cadre des

réformes, les États ont donc récupéré des pratiques existantes (autrefois marginales, voire

répudiées…) pour refonder le système éducatif. Comment ces dispositifs pédagogiques

affecteront-ils les pratiques des conseillers d’orientation?

Au Québec, la réforme entamée dans les suites des États généraux sur l’éducation (1996) et

qui s’est poursuivie sur une dizaine d’années (avec des avancées et des reculs ici et là)

s’inscrit dans cette mouvance globale et répond à plusieurs des principes gestionnaires et

pédagogiques énoncés qui pourrait bien avoir eu des incidences sur l’exercice de la

profession de c.o. dans les écoles.

Décentralisation des pouvoirs vers les établissements (p. ex., projet éducatif), avec

une plus grande reddition de compte par ailleurs (introduction des « plans de

réussite »);

Rapprochement entre les employés et la clientèle (création des Conseils

d’établissement, au sein desquels les parents ont voix au chapitre);

Individualisation des parcours de formation des élèves et différenciation

pédagogique.

Introduction de la culture « entrepreneuriale » dans les programmes;

Accent sur la pédagogie par projet, la pédagogie entrepreneuriale;

Introduction de la gestion axée sur les résultats (convention de gestion, convention de

partenariat), par l’évaluation de la performance selon des cibles

déterminées (chiffrées).

Pour plusieurs, cette réforme devait favoriser la professionnalisation de l’enseignement

puisqu’elle sous-tendait une décentralisation des responsabilités vers les principaux acteurs

de l’éducation, notamment les enseignants (Gaudreault, 2008). L’autonomie professionnelle

et l’utilisation d’une gamme plus vaste de leurs compétences, sollicitant leur expertise

notamment en pédagogie, devaient être déployées. Selon Lessard (2011), la réforme a plutôt

été reçue par les enseignants comme une atteinte à leur autonomie traditionnelle parce que

non seulement les savoirs étaient-ils déterminés (ce qui est légitime), mais les façons de faire

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aussi (p. ex., pédagogie par projet, différenciation pédagogique). Aussi, la réforme était

perçue comme provenant de la « noosphère, sphère de gens qui pensent les pratiques

pédagogiques et prétendent les rationaliser » (Perrenoud, 1995, dans Lessard, 2011, p. 317),

sans tenir compte du contexte d’exercice du métier ni des savoirs d’expérience. Maulini et

Gather Thurler (2007) résument bien cette situation :

Il arrive que des initiatives intéressantes et intelligentes du côté des enseignants

se heurtent au double discours des autorités scolaires qui, tout en affirmant

vouloir développer l’esprit d’entreprise, la pratique réflexive et la

professionnalisation, exigent de respecter à la lettre les nouveaux principes de la

gestion publique et l’ensemble des procédures didactiques. Le tout sans accorder

le temps matériel, la latitude de décision ni le soutien institutionnel permettant

de viser, dans le travail et par l’analyse du travail, la maîtrise conceptuelle,

technique et déontologique caractérisant les professions. (p. 434).

Ainsi ces auteurs ajoutent-ils : « L’autonomie des enseignants et celle des établissements sont

valorisées tant qu’elles vont dans le sens qui convient au Ministère. » (Maulini & Gather

Thurler, 2007, p. 434).

En somme, cette réforme pensée dans les années 1990 et appliquée dans les années 2000

insuffle le « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski & Chiapello, 1999) dans les écoles

québécoises. L’entreprise de mise en œuvre de la Nouvelle Gestion Publique entamée sous

le Parti québécois à la fin des années 1990 s’est poursuivie sous le gouvernement libéral dans

les années 2000 (Fortier, 2010a). Ainsi, la dernière trace visible constitue la mise en

application d’une « gestion axée sur les résultats » (GAR) qui rend obligatoires des contrats

de performance entre les différents paliers du système scolaire. Cette méthode de gestion a

été perçue comme une pression indue par les enseignants selon Lessard (2011), ceux-ci

craignant d’être effectivement tenus responsables de la réussite de leurs élèves et d’être

blâmés pour les échecs du système.

La prochaine section permettra de mieux comprendre comment ces nouveaux principes

d’organisation du travail ont pu avoir affecté les pratiques d’orientation dans les écoles.

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1.4. Le renouveau pédagogique : une vision renouvelée de l’orientation?

Désirant répondre aux problèmes documentés lors des États généraux (1996), la réforme qui

a suivi, ce que le MELS a appelé le « Renouveau pédagogique », a mis en place un nouveau

cadre de travail pour tenter de redéfinir la place de l’orientation dans les écoles. Ce cadre de

travail s’est opérationnalisé dans le nouveau programme de l’école québécoise, la révision

du régime pédagogique (p. ex., la sanction des études, les nouveaux bulletins, les heures de

formation), le cadre de référence pour les services complémentaires et la politique de

l’adaptation scolaire (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec — MELS,

2005). Nous synthétisons ici les changements opérés de manière à présenter la vision globale

de l’orientation et de l’organisation du travail qu’elle sous-tend et montrer comment cela a

pu affecter les pratiques professionnelles des c.o.. Ces changements ont été effectués au début

des années 200010.

1.4.1. Les nouveaux ancrages formels de l’orientation dans l’organisation du travail à

l’école

Globalement, les choix ministériels qui se sont traduits dans ce Renouveau pédagogique

réitéraient la place centrale que devait occuper l’orientation dans le système scolaire,

notamment pour favoriser la réussite et la persévérance scolaire pour tous, objectif ultime de

ce Renouveau (passer de l’« accès pour tous » au « succès pour tous »). Cela s’est traduit

d’abord par l’inclusion, dans la mission même de l’école québécoise, d’une finalité de

« qualification » des élèves aux côtés de celle d’« instruction » et de « socialisation » (MEQ,

2001). Dans l’énoncé de politique éducative à la base de cette réforme, la description de la

mission « qualifier » s’écrivait comme suit :

QUALIFIER, selon des voies diverses : L’école a le devoir de rendre tous les

élèves aptes à entreprendre et à réussir un parcours scolaire ou à s’intégrer à la

société par la maîtrise de compétences professionnelles. Pour qu’elle remplisse

cette mission, l’État doit définir le curriculum national de base, et les

10 Le Renouveau pédagogique a été implanté de manière progressive à partir de 2000, en commençant par les

écoles primaires. Puis, sa mise en œuvre s’est poursuivie officiellement dans les écoles à partir de 2005.

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établissements doivent offrir des cheminements scolaires différenciés selon les

intérêts et aptitudes de chaque élève, particulièrement au-delà de l’éducation de

base. Il est temps d’accorder une attention plus soutenue à l’orientation des élèves

et de réhabiliter la formation professionnelle comme voie normale de

scolarisation. (MEQ, 1997, p. 9)

Cette mission a été renforcée par un nouveau régime pédagogique de l’éducation préscolaire,

de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire, qui définissait les services qui

devaient être mis en œuvre par les commissions scolaires (MEQ, 2002a). Ce régime

pédagogique est toujours en vigueur. D’une part, on y stipule la nécessité, pour les services

d’enseignement au secondaire, de « faciliter l’orientation personnelle et professionnelle [de

l’élève] » (Article 2)11. D’autre part, on y oblige les commissions scolaires à se doter d’un

programme pour chacun des services complémentaires, dont un service « d’aide à l’élève qui

vise à l’accompagner dans son cheminement scolaire et dans son orientation scolaire et

professionnelle ainsi que dans la recherche de solutions aux difficultés qu’il rencontre »

(Article 4), programme qui doit inclure obligatoirement des services « d’information et

d’orientation scolaires et professionnelles » (Article 5).

Au niveau des écoles, le Renouveau préconisait l’intégration de l’orientation dans le Projet

éducatif dont doit désormais se doter chacune d’entre elles. Ayant pour objectif de tenir

compte des spécificités locales dans la mise en œuvre des programmes ministériels, ce projet

éducatif est « élaboré, réalisé et évalué périodiquement avec la participation des élèves, des

parents, du directeur de l’école, des enseignants, des autres membres du personnel de l’école,

des représentants de la communauté et de la commission scolaire » (Loi sur l’instruction

publique, Art. 36). À ce Projet éducatif se greffe un « Plan de réussite » qui doit déterminer

1) « des objectifs de réussite clairs et mesurables » relativement à l’ensemble des aspects de

la vie scolaire, 2) définir les « moyens concrets » que l’équipe-école doit mettre en œuvre

pour les atteindre, et 3) prévoir des manières « de mesurer périodiquement les résultats

obtenus […] tant sur le plan quantitatif que qualitatif ». Ce Projet éducatif et ce Plan de

11 Le Régime pédagogique peut être consulté sur le site des Publications du Gouvernement du Québec :

http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=//I_13_3/I13_3R

8.htm

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réussite sont élaborés par l’équipe-école, en collaboration avec le Conseil d’établissement,

auquel siègent plusieurs parents d’élèves (MEQ, 2002a).

On voit bien, déjà, la volonté du MELS d’intégrer l’orientation dans l’ensemble des efforts

des écoles afin d’en faire une préoccupation transversale. Au-delà de la suppression des cours

du programme d’ECC du cursus obligatoire, cette volonté de décloisonner l’aide à

l’orientation des élèves s’est également traduite par l’inclusion, dans le programme même de

l’école québécoise, de plusieurs ancrages visant à développer, chez les élèves, des

compétences liées spécifiquement à leur orientation scolaire et professionnelle. Ces ancrages

sont répartis dans les trois éléments constitutifs du Programme de formation de l’école

québécoise (MELS, 2007) : 1) les domaines d’apprentissage, qui regroupent les disciplines

du savoir et de la culture ayant des affinités communes, disciplines à la source des

connaissances sur lesquelles reposent les compétences12 à développer par les élèves; 2) les

domaines généraux de formation, qui regroupent les « grandes problématiques que les

jeunes doivent affronter » (MELS, 2007, chapitre 2, p. 1) et au sein desquels ils doivent

exercer leurs compétences; et 3) les compétences transversales, qui constituent des

compétences qui traversent les frontières disciplinaires et peuvent s’actualiser dans

différentes situations de la vie courante.

D’une part, parmi les six domaines d’apprentissages identifiés par le Programme de

formation de l’école québécoise du deuxième cycle du secondaire, l’un concerne le

« développement professionnel »13. Ce domaine regroupe des programmes qui ont pour

objectif commun de « préparer les jeunes à leur insertion socioprofessionnelle […] les aider

à entrevoir les possibilités qui s’ouvrent à eux et à anticiper ce que pourrait être leur vie de

travailleurs et de citoyens, dans un futur immédiat ou plus lointain » (MELS, 2007, chapitre 4,

p. 16). Ces programmes sont divisés selon deux types de parcours :

12 La compétence y est définie comme : « un savoir-agir fondé sur la mobilisation et l’utilisation efficaces d’un

ensemble de ressources » (MELS, 2006, p. 5).

13 Les autres domaines d’apprentissages sont : le domaine des langues; le domaine de la mathématique, de la

science et de la technologie; le domaine de l’univers social; le domaine des arts; et le développement de la

personne.

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1) Parcours de formation générale et de formation générale appliquée :

Exploration de la formation professionnelle;

Projet personnel d’orientation;

Sensibilisation à l’entrepreneuriat.

2) Parcours de formation axée sur l’emploi :

Formation préparatoire au travail (Préparation au marché du travail,

Sensibilisation au monde du travail, Insertion professionnelle);

Formation menant à l’exercice d’un métier semi-spécialisé (Préparation au

marché du travail, Préparation à l’exercice d’un métier semi-spécialisé).

Dans les parcours de formation axée sur l’emploi, qui s’adressent spécialement aux élèves

qui éprouvent des difficultés scolaires, les programmes relatifs au « développement

professionnel » font partie des matières obligatoires. Par contre, dans les parcours de

formation générale et générale appliquée, suivis par la majorité des élèves du niveau

secondaire, les programmes relatifs à ce domaine d’apprentissage ne font pas partie des

matières obligatoires, à une exception près14. Ainsi, malgré l’existence de plusieurs ancrages

de l’orientation scolaire et professionnelle dans ce domaine d’apprentissages du Programme

de formation de l’école québécoise au deuxième cycle du secondaire, on peut penser qu’une

faible proportion seulement des élèves du secondaire sont effectivement exposés aux

programmes qui leur permettraient de faire ces apprentissages.

D’autre part, parmi les cinq domaines généraux de formation dans lesquels doivent

s’actualiser les compétences des élèves selon le nouveau programme, on y retrouve celui qui

s’intitule « Orientation et entrepreneuriat »15. Ce domaine de formation a pour

objectif d’« offrir à l’élève des situations éducatives lui permettant d’entreprendre et de

mener à terme des projets orientés vers la réalisation de soi et l’insertion dans la société »

(MEQ, 2001, p. 45). Plus spécifiquement, ce domaine doit amener l’élève à développer des

14 Pour les élèves qui suivent le parcours de formation générale appliquée, le programme Projet personnel

d’orientation est obligatoire.

15 Les autres domaines généraux de formation sont : Santé et bien-être; Environnement et consommation;

Médias; Vivre-ensemble et citoyenneté.

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savoirs relatifs à trois axes de développement : 1) Conscience de soi, de son potentiel et de

ses modes d’actualisation; 2) Appropriation des stratégies liées à un projet; et

3) Connaissance du monde du travail, des rôles sociaux, des métiers et des professions (MEQ,

2001, p. 45). S’inscrivant dans un domaine général de formation, ces axes de développement

peuvent faire l’objet de situations d’apprentissage dans l’ensemble des cours dispensés et des

activités parascolaires réalisées. Ainsi s’agit-il, pour l’ensemble des acteurs de l’école, autant

les enseignants que les professionnels des services complémentaires, de contribuer au

développement des compétences des jeunes pour s’orienter et mener des projets à terme.

Enfin, si les neuf compétences transversales initialement identifiées16 par le programme de

formation de l’école québécoise17 constituent des compétences pouvant contribuer à la

capacité des jeunes à s’orienter, l’une d’entre elles concerne directement l’orientation, i.e.

celle qui s’intitule « Actualiser son potentiel ». Plus spécifiquement, cette compétence

transversale doit s’actualiser par le développement de savoirs autour des trois composantes

suivantes : 1) Reconnaître ses caractéristiques personnelles; 2) Prendre sa place parmi les

autres; et 3) Mettre à profit ses ressources personnelles. Ici encore, ces compétences peuvent

faire l’objet de situations d’apprentissages dans l’ensemble des cours dispensés et des

activités parascolaires, tous les acteurs de l’école ayant la responsabilité de contribuer au

développement de la capacité des jeunes à structurer leur identité.

Sans discuter ici de la pertinence de ces ancrages ou de leur mise en œuvre, on peut constater

que le MELS avait effectivement pour objectif de faire en sorte que l’ensemble des acteurs

de l’école contribue à aider les élèves à développer leur compétence à s’orienter. Selon ces

transformations institutionnelles, la responsabilité d’aider les jeunes à s’orienter ne relèverait

16 L’introduction de compétences transversales dans le programme de l’école québécoise a fait l’objet de

nombreuses contestations, notamment au regard de leur évaluation. La référence à ces compétences

transversales aurait été éliminée du régime pédagogique en 2011. Sans vouloir faire le point sur cette situation,

il s’agit ici de montrer l’intention de départ du MELS d’ancrer l’orientation dans les différentes composantes

du Programme des programmes, y compris au sein des compétences transversales.

17 Les compétences transversales sont : exploiter l’information; résoudre des problèmes; exercer son jugement

critique; mettre en oeuvre sa pensée créatrice; se donner des méthodes de travail efficaces; exploiter les

technologies de l’information et de la communication; actualiser son potentiel; coopérer; et communiquer de

façon appropriée.

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donc plus, désormais, seulement des conseillers d’orientation ou des enseignants du

programme d’ECC, mais de l’école dans son ensemble. Il s’agit là de l’expression d’une

nouvelle manière d’organiser le travail dans les écoles, qui vise à ce que l’ensemble du

personnel – l’« équipe-école » – contribue, en collaboration avec les parents et les acteurs de

la communauté, au développement des compétences des élèves en matière d’orientation

(MEQ, 2001). Ainsi, comme le spécifie le Cadre de référence des services complémentaires

(MEQ, 2002a), les services d’orientation, comme l’ensemble des services professionnels

complémentaires, doivent maintenant contribuer en étroite collaboration avec les services

d’enseignement à la mise en œuvre du programme de l’école québécoise.

1.4.2. L’approche orientante : l’actualisation, en orientation, des principes de la

Réforme

C’est dans cet esprit que s’est développé, de manière concomitante à la réflexion sur la

réforme du système d’éducation, le concept d’« école orientante ». L’idée de l’instauration

d’une « école orientante », qui s’est transformée plus tard en « approche orientante », était

dans l’air dans les années 1990, notamment au sein de l’Ordre professionnel des conseillers

d’orientation. Elle s’inscrivait dans la foulée de la préparation du Renouveau pédagogique.

De fait, dès 1993, l’Ordre professionnel, désireux de prendre part au projet de réforme de

l’éducation au Québec, soumettait l’idée d’une « école orientante », idée qu’il a continué de

développer en collaboration avec différents organismes et partenaires du milieu de

l’éducation18 (Landry, 1999; MEQ, 2002b). Une des visées de cette « école orientante » était

de préparer le remplacement du programme d’ECC par une approche de l’orientation plus

concertée, mieux intégrée et préparant les élèves aux exigences de la société contemporaine

(Gingras, 2001). Ainsi, sans faire partie du Renouveau pédagogique en tant que tel – il n’y a

pas d’obligation légale de mise en œuvre –, l’approche orientante s’est développée dans le

18 Un comité consultatif sur la réforme des services d’orientation a été formé par le ministère de l’Éducation à

l’occasion des États généraux. Étaient représentés sur ce comité : les directeurs généraux d’écoles, l’Ordre

professionnel des c.o., la Fédération des syndicats de l’enseignement, la Conférence des recteurs des universités,

l’Association québécoise d’information scolaire et professionnelle, le Conseil permanent de la jeunesse, la

Fédération des comités de parents, et bien d’autres. (Dupont, 2001)

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même esprit, comme en témoigne le principal document de référence du MEQ (2002b) à cet

effet, À chacun son rêve, qui la définit comme suit :

[…] une démarche concertée entre une équipe-école et ses partenaires, dans le

cadre de laquelle on fixe des objectifs et met en place des services (individuels et

collectifs), des outils et des activités pédagogiques visant à accompagner l’élève

dans le développement de son identité et dans son cheminement vocationnel. Il

s’agit donc d’activités et de services intégrés au plan de réussite et au projet

éducatif d’un établissement. (MEQ, 2002b, p. 18).

L’approche orientante se veut une nouvelle philosophie de base du système d’éducation,

visant à mieux répondre aux besoins d’orientation des jeunes, certes, mais aussi à contribuer

à donner un sens aux études dans une perspective de réussite scolaire et éducative. Ses

fondements théoriques et pratiques ont été fortement alimentés par un groupe de chercheurs,

le Groupe provincial de soutien pour une approche orientante à l’école, qui avait pour

mandat, dans le cadre du Renouveau pédagogique, d’offrir du soutien aux milieux scolaires

désirant améliorer leurs pratiques en matière d’information et d’orientation scolaire et

professionnelle. Sur le plan conceptuel, cette approche se situe en droite ligne avec le concept

de career education développé notoirement par Kenneth Hoyt dans les années 1970 (Dupont,

2001). Cette « éducation à la carrière » vise à : 1) mettre l’accent sur la carrière dans le

curriculum et l’ensemble des activités scolaires; 2) élargir les efforts de soutien à l’orientation

des jeunes à l’ensemble de la communauté, au-delà des acteurs scolaires; et 3) soutenir

l’acquisition d’habiletés d’« employabilité » et d’« adaptabilité » qui permettront aux

individus de faire face aux changements socioéconomiques affectant leur carrière (Dupont,

Gingras & Marceau, 2002). Deux principes caractérisant l’« éducation à la carrière » ont été

repris dans la conceptualisation de l’approche orientante : l’infusion et la collaboration

(Gingras, 2001). L’infusion réfère à l’intégration dans les cours et dans les activités

parascolaires de notions relatives au développement de carrière. Ce principe a à la fois des

visées vocationnelles (connaissance de soi, du monde scolaire et du monde du travail) et

pédagogiques par la mise en contexte des compétences (Pelletier, 2004). La collaboration

réfère au partenariat établi entre les divers acteurs du milieu scolaire, des parents et des

membres de la communauté pour favoriser le développement de carrière des élèves (p.ex.,

par le soutien des parents, ou par la visite d’entreprises). Enfin, Pelletier (2004) ajoute à ces

deux principes celui de mobilisation, qui réfère aux interventions par lesquels l’élève adopte

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une attitude motivée à réussir et à s’orienter. Ces principes sont le socle d’un système de

services qui se veut intégré et qui considère le cheminement de l’élève comme un processus

orientant, ou du moins qui outille l’élève pour qu’il en arrive à s’orienter lui-même, à se

construire lui-même un projet professionnel et à le mener à terme, dans une logique

d’entrepreneuriat.

À la lumière de la description de cette approche, on peut se demander : quelle est la place du

conseiller d’orientation, comme professionnel spécialisé de l’aide à l’orientation, dans cette

vision « renouvelée » de l’orientation offerte par le Renouveau pédagogique? Si on trouve

écho, dans cette nouvelle approche, à de nombreuses recommandations énoncées dans le

Rapport Parent une trentaine d’années plus tôt (p.ex., l’intégration de l’orientation dans

l’ensemble de l’école, collaboration étroite entre les différents acteurs), on ne semble pas y

retrouver une place aussi centrale pour les c.o. dans l’organisation du travail d’orientation

(p.ex., la direction et de la coordination des services d’orientation dans l’école). Qu’en est-il

donc du rôle du c.o. dans cette nouvelle organisation du travail d’orientation recommandée

par l’approche orientante?

En fait, l’approche orientante répond à l’ensemble des principes de réorganisation du travail

issus du Renouveau pédagogique, réorganisation qui, pour les conseillers d’orientation, se

traduit par différents principes énoncés dans le Cadre de référence des services

complémentaires (MEQ, 2002a).

En parfaite concordance avec l’esprit général de la Réforme qui, comme nous l’avons montré

dans la section 1.3., articule la logique pédagogique et la logique gestionnaire, ce cadre de

référence plaide pour une réorganisation des services de manière à répondre à la nécessité de

revoir les pratiques pour être plus efficaces, comme en témoigne cette citation : « L’ajout de

ressources a amélioré les conditions19 pour faciliter l’atteinte de cet objectif certes, mais il

faudra également apprendre à travailler autrement pour maximiser les résultats. » (MEQ,

19 Il n’est toutefois pas précisé de quel ajout de ressources il est question.

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2002a, p. 38). Cette manière de « travailler autrement »20 suppose d’abord d’organiser le

travail autour des besoins des bénéficiaires (les élèves et leurs parents) plutôt que de

l’organiser par « service », comme ce l’était avant la Réforme. Il s’agit, selon notre analyse,

d’une traduction de l’esprit de la Nouvelle Gestion Publique, qui honnit la division

hiérarchique du travail et l’attribution supposée « rigide » des tâches : l’organisation du

travail « par service » entraînerait un corporatisme néfaste au regard de l’efficacité et de

l’efficience. Afin de favoriser un « décloisonnement » des pratiques professionnelles, pour

reprendre les termes du MELS (2002a) (p.57), le cadre de référence indique qu’il y aura

moins de travail disciplinaire, plus d’« interdisciplinarité ». Les professionnels des services

complémentaires devront consacrer plus de temps à la concertation qu’à leur « tâche

spécifique ». L’approche orientante exige ce travail en collaboration avec les autres

professionnels et suppose de plus en plus pour le c.o. l’exercice d’un « rôle-conseil », de

passer davantage de temps à partager ses savoirs sur l’orientation avec les autres intervenants

de l’école qu’à pratiquer l’aide à l’orientation auprès des élèves. En fait, si l’on se fie au

Cadre de référence des services professionnels complémentaires (MEQ, 2002a), les c.o.

doivent non seulement conseiller les autres acteurs de l’école sur la manière d’aider les jeunes

à développer leur compétence à s’orienter, mais ils doivent aussi le faire avec les parents et

certains acteurs de la communauté. Les auteurs du cadre de référence semblent conscients

qu’ils bousculent ainsi les manières de pratiquer :

L’intégration de ces nouveaux principes exigera de revoir les rôles de chaque

intervenant. Une participation accentuée aux décisions de l’équipe-école et un

besoin accru de partager l’expertise avec les parents et les membres de la

communauté éducative modifient les habitudes, demandent plus d’ouverture et

une certaine polyvalence (MEQ, 2002a, p. 55).

20 Un de nos rapports d’enquête de psychodynamique du travail des professionnels de l’éducation s’intitule

justement « Le travail des professionnels de l’éducation : quand “faire autrement” rime avec “faire plus”? »

(Viviers, Maranda, Deslauriers & Héon, 2011).

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1.4.3. Vers de nouvelles pratiques en orientation en milieu scolaire?

En somme, par la réorganisation du travail qu’elle sous-tend, cette Réforme a fait subir des

pressions importantes à la pratique de l’orientation. En fait, elle comportait l’intention quasi

explicite de « dé-corporatiser » le travail d’orientation. Quelle place revient-il alors aux

conseillers d’orientation et à leur expertise en tant que « professionnels » au sens où nous

l’avons détaillé plus tôt (p.ex., territoire reconnu et respecté de savoirs et de pratiques

hautement spécialisés)? Cette place apparaît paradoxale. D’un côté, la Réforme et l’approche

orientante renforcent la posture « professionnelle » du conseiller d’orientation, en prévoyant

lui faire jouer un rôle, relativement nouveau, d’« expert-conseil » auprès des différents

acteurs de l’école, accentuant la posture de spécialiste reconnu. De l’autre, cette

réorganisation du travail d’orientation tend à déprofessionnaliser les c.o. en plaidant pour une

plus grande polyvalence et pour une diminution du temps accordé au travail de terrain (la

« tâche spécifique ») qui, disons-le, constitue l’expertise première des c.o. et sur laquelle

reposent les règles de métier. Cette situation paradoxale au regard de la professionnalisation

du métier ne risque-t-elle pas de générer une nouvelle « crise identitaire »21 au sein de la

profession en milieu scolaire ? De fait, cette approche orientante ne laisse-t-elle pas sous-

entendre que le travail de terrain peut se faire par tout un chacun? Par ailleurs, certains diront

que la délégation de ce travail d’orientation devrait permettre aux c.o. de se voir attribuer des

situations d’élèves qui demandent justement une expertise plus pointue, par exemple auprès

des élèves handicapés ou en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation (EHDAA), mais est-

ce vraiment ce qui se produit dans la réalité d’une majorité de c.o.? Comment les c.o. arrivent-

ils ou non à se faire une place professionnelle dans le contexte d’une telle organisation du

travail d’orientation dans les écoles ?

Compte tenu des multiples voies que ce changement laisse entrevoir sur le développement

de la pratique professionnelle de l’orientation en milieu scolaire, il y a lieu de se demander

comment l’Ordre professionnel, comme instance de régulation de la pratique par les pairs, a

21 Mellouki et Beauchemin (1994a) ont utilisé cette expression pour exprimer le constat qu’ils faisaient au

regard de l’éparpillement des pratiques issu des développements de la profession en réaction aux tendances

sociales et politiques. Des chercheurs américains ont fait un constat similaire avec la profession aux États-Unis

(p. ex., Morrissette, 2000; Scarborough & Culbreth, 2008)

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composé avec cette réorganisation du travail dans les écoles. De fait, à titre de garant de la

professionnalisation du métier, comment l’Ordre professionnel se positionne-t-il face à cette

situation qui apparait comme un terreau fertile pour voir éclore une nouvelle « crise

identitaire » au sein de la profession si les paradoxes se traduisent en contradictions

effectives ? Et qu’en est-il de l’idéal de service de la profession et de la « protection du

public » dont l’Ordre professionnel est légalement responsable : les élèves trouvent-ils une

réponse de qualité à leurs besoins d’orientation dans les établissements scolaires

actuellement?

1.5. État de la pratique de l’orientation dans les écoles aujourd’hui :

l’Ordre professionnel est préoccupé

Le secteur scolaire constitue le secteur de pratique de l’orientation où l’on retrouve le plus

de conseillers d’orientation. Selon les informations fournies par l’Ordre professionnel, 45 %

des conseillers d’orientation pratiquent dans le milieu de l’éducation (OCCOQ, 2013). Plus

spécifiquement, près d’un tiers (c’est-à-dire autour de 775 c.o.) travaillent dans des écoles de

niveau secondaire ou primaire ou dans des commissions scolaires. Qu’en est-il de l’état actuel

de la pratique de ce nombre important de c.o. au Québec? Après avoir décrit la tâche formelle

des c.o. dans les commissions scolaires selon le plan de classification, nous verrons comment,

au-delà du travail prescrit, se porte la pratique de l’orientation aujourd’hui dans les écoles

dans les suites de la mise en œuvre du Renouveau pédagogique et de l’approche orientante.

Enfin, nous verrons comment l’Ordre professionnel a tenté de préserver/restaurer un cadre

professionnel pour la pratique des c.o. dans ce secteur.

1.5.1. Quelle est la tâche des c.o. en milieu scolaire selon la classification officielle?

Si le travail prescrit des conseillers d’orientation relève d’un cadre général défini par leur

Ordre professionnel, c’est le plan de classification adopté dans les Commissions scolaires

francophones qui détermine plus spécifiquement leur tâche en milieu scolaire (Comité

patronal de négociation pour les commissions scolaires francophones — CPNCF, 2011).

Selon le dernier plan de classification, la nature du travail des conseillers d’orientation

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comporte « des fonctions d’aide, d’évaluation, de conseil et d’accompagnement auprès des

élèves jeunes et adultes en ce qui a trait au développement de leur carrière et au choix d’un

profil de formation adapté à leurs caractéristiques individuelles » (CPNCF, 2011, p. 15)22.

Ceux-ci ont pour tâche d’élaborer et de mettre en œuvre des services d’orientation à

l’intérieur des cadres institutionnels.

Un premier axe des services couverts par le conseiller d’orientation en milieu scolaire

concerne l’évaluation des élèves dans le but de les aider à préciser leurs intérêts, aptitudes,

capacités, personnalité, expériences professionnelles et besoins personnels. Cette évaluation

peut se faire à l’occasion de rencontres individuelles ou de groupe, à l’aide de méthodes

variant de l’utilisation de tests psychométriques, à l’observation directe, en passant par

l’information obtenue des acteurs scolaires (dont les enseignants) ou encore des parents.

Le deuxième axe de services du conseiller d’orientation concerne l’intervention auprès des

élèves. Ainsi, comme l’expose la citation suivante, celui-ci intervient de diverses manières

auprès des élèves, interventions qu’il doit consigner dans des dossiers tenus à jour selon les

normes professionnelles et institutionnelles :

Elle ou il, par des entrevues d’aide individuelle ou de groupe (counselling),

amène l’élève à se questionner et à se bâtir une image globale de lui-même, à

explorer et clarifier sa situation et établir des objectifs personnels et

professionnels, à saisir la signification des renseignements reçus, comprendre,

assumer et surmonter ses problèmes personnels et sociaux.

Elle ou il supporte les élèves dans la recherche de moyens visant à leur permettre

de surmonter les difficultés inhérentes à la réalisation de leur projet de formation

ainsi qu’à leur insertion sociale et professionnelle. (CPNCF, 2011, p. 15)

Le conseiller d’orientation est également amené, selon un troisième axe de services, à

conseiller les personnes impliquées dans le cheminement vocationnel et académique des

élèves. En plus de soutenir les parents dans l’accompagnement de leur enfant à propos de son

22 Cette description respecte dans l’ensemble le profil des compétences générales des conseillers d’orientation

établi par l’Ordre professionnel (OCCOPPQ, 2004) : 1) Évaluer la situation de manière rigoureuse;

2) Concevoir l’intervention en orientation; 3) Intervenir directement; 4) Exercer un rôle-conseil auprès d’autres

acteurs; 5) Évaluer l’impact des interventions en orientation; 6) Gérer sa pratique de manière à en assurer la

rigueur et la pertinence, en conformité avec les normes en vigueur.

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projet d’orientation, il contribue au dépistage des élèves en difficulté dans une visée de

prévention et d’intervention. Il participe à cet effet à l’élaboration et la mise en œuvre des

plans d’intervention de ces élèves, dans le cadre d’une équipe multidisciplinaire. De plus, le

conseiller d’orientation conseille le personnel d’encadrement pour soutenir la prise de

décision concernant son domaine d’expertise. Il représente d’ailleurs une personne-ressource

primordiale pour l’approche orientante. Il collabore avec des représentants du marché du

travail et des autres organismes pouvant être impliqués dans l’orientation scolaire et

professionnelle des élèves.

Enfin, le conseiller d’orientation est chargé de fournir des informations scolaires et

professionnelles (p. ex., structure du système scolaire, programmes de formation offerts par

les établissements scolaires, description de professions, perspectives sur le marché du travail,

etc.). Il veille à répondre aux besoins des élèves et du personnel scolaire à cet effet. Dans

cette optique, il doit s’assurer de maintenir une information à jour.

À première vue, le Renouveau pédagogique ne semble pas avoir modifié substantiellement

la description de tâches des c.o., le travail qui leur est prescrit. Mais au-delà de cette

description formelle, qu’en est-il du travail réalisé quotidiennement par les c.o.? La

réorganisation des services d’orientation prévue dans le Renouveau pédagogique a-t-elle

modifié la manière dont les c.o. répondent effectivement aux différents besoins d’orientation

des élèves? Quel est, aujourd’hui, l’état de la pratique réelle dans les écoles et qu’en dit

l’Ordre professionnel, responsable de s’assurer de la qualité des pratiques de ses membres?

1.5.2. Un aperçu du réel : l’Ordre professionnel constate des ratés de la réorganisation

du travail d’orientation issue du Renouveau pédagogique

Comme nous l’avons spécifié plus tôt, l’Ordre professionnel des conseillers d’orientation a

participé à l’élaboration du concept d’« école orientante » (Landry, 1999). L’Ordre a siégé

au comité consultatif qui a réfléchi à l’établissement des balises de l’approche orientante

(MEQ, 2002b), aux côtés de l’Association québécoise d’information scolaire et

professionnelle (AQISEP) et des syndicats des enseignants et des professionnels de

l’éducation. Le déploiement de l’approche orientante par le MELS n’était donc pas une

surprise pour la profession. Toutefois, la mise en œuvre de cette nouvelle approche ne relevait

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pas hiérarchiquement de l’Ordre professionnel en tant que tel, mais plutôt de l’école comme

institution. Néanmoins, l’Ordre devait prendre acte de cette réorganisation des services et

s’assurer tout de même de la compétence de ses membres dans ce contexte. Ainsi, l’Ordre

professionnel a dû faire de multiples représentations auprès du Ministère de l’Éducation pour

assurer la protection du public en matière d’orientation dans les écoles. À titre d’exemple,

dans une lettre adressée au ministre de l’Éducation en 2006, la présidente de l’Ordre se

montrait préoccupée par l’application variable de l’approche orientante dans les commissions

scolaires et relevait les risques de tout miser sur cette nouvelle approche en matière

d’orientation, comme en témoigne cette citation :

Par contre, il ne faudrait en aucun temps que le développement de l’approche

orientante se fasse au détriment des services de counseling également dispensés

par les conseillères et conseillers d’orientation. Nous croyons que ces deux

formes d’intervention ne doivent pas être opposées, mais bien considérées en

complémentarité et au service du jeune23.

À la fin des années 2000, avec l’arrivée au deuxième cycle du secondaire de la première

cohorte d’élèves ayant vécu la Réforme depuis leur première année du primaire24, il semble

que des problèmes relatifs à l’orientation dans les écoles soient survenus, ou du moins sont

apparus sur la place publique (Dion-Viens, 2009). En 2010, une étude interne de l’Ordre

indiquait que dans 62 % des milieux, les conseillers d’orientation ne parvenaient pas à

rencontrer l’ensemble des élèves qui faisaient appel à leurs services (OCCOPPQ, 2010a).

Devant ce constat, l’Ordre a fait parvenir un communiqué à l’ensemble des instances

scolaires concernées par l’orientation dans les écoles secondaires. Voici une citation qui

traduit l’esprit du communiqué :

Nous sommes inquiets de constater à quel point les besoins ne sont pas couverts,

en nature et en nombre, par ce qui est mis en place pour y répondre en milieu

scolaire, et étonnés du peu de préoccupations que cela suscite; particulièrement

23 Tirée d’une lettre de la présidente de l’OCCOPPQ envoyée au ministre de l’Éducation le 8 mars 2006.

Disponible au :

http://www.orientation.qc.ca/Communications/~/media/BA2B6EE7EECB40F2BB90F4DB357B85E8.ashx

24 Le Renouveau pédagogique a été appliqué aux différents niveaux scolaires au fur et à mesure que la première

cohorte d’élèves progressait.

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en cette année de promotion de la première cohorte du Renouveau pédagogique

qui répond à des défis lui étant propres (OCCOPPQ, 2010b, p. 1).

Il y avait là des préoccupations quant à l’incapacité des écoles de répondre aux besoins

d’orientation des élèves, alors même qu’elles devaient maintenant s’avérer « orientantes ».

L’approche orientante, qui devait s’avérer une certaine planche de salut pour la profession

en milieu scolaire si l’on se fie aux intentions initiales de l’Ordre professionnel, ne semblait

malheureusement pas avoir amélioré la condition de l’orientation dans les écoles.

Les ratés de cette réorganisation du travail d’orientation dans les écoles, constatés par l’Ordre

professionnel (Letarte, 2010), n’apparaissent pas nécessairement étonnants si l’on se fie aux

conditions de succès répertoriées par Savard, Gingras et Beaudoin (2007) pour l’implantation

de l’approche orientante. Selon ces chercheurs, les facteurs favorisant une implantation

réussie de l’approche orientante sont : une compréhension univoque du projet; une direction

qui démontre du leadership et de la volonté pour implanter l’approche; un responsable du

projet qui soit crédible; des membres du personnel (les enseignants au premier chef) qui

collaborent et ont une participation engagée; un climat d’école qui favorise le développement,

la créativité, le leadership et la coopération vs. un climat de résistance au changement; une

formation adéquate; des ressources humaines en information et en orientation scolaires et

professionnelles disponibles et accessibles; des élèves motivés et impliqués dans leur

processus d’orientation; des parents qui s’impliquent.

Or, selon notre connaissance de la réalité du travail en milieu scolaire, basée sur l’expérience

des acteurs, il est fort peu probable que ces conditions puissent être réunies (Maranda &

Viviers, 2011); cela relèverait plutôt d’un idéal leurrant. Dans les faits, en plus d’être

surchargées de travail, nombre de directions d’école ont elles-mêmes de la difficulté à se

faire reconnaître un leadership, les membres du personnel vivent une intensification du

travail, la formation continue est souvent dispensée de manière déconnectée du réel du

travail, sans compter que les conseillers d’orientation n’ont pas tous reçu une formation

initiale sur l’approche orientante.

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En ce qui concerne les ressources humaines en orientation et en information scolaire et

professionnelle, les données les plus récentes obtenues du MELS25 indiquent que le nombre

de conseillers d’orientation a varié passablement dans les dernières années dans les

établissements scolaires. En fait, après des coupures en 1998-1999, le MELS a réinvesti de

manière importante dans l’embauche de conseillers d’orientation au début des années 2000,

le nombre d’« équivalents temps complet » atteignant son apogée dans les années 2002-2004

(augmentation d’environ 20 % en termes d’« équivalents à temps complet » entre 1999 et

2004). Cette embauche s’est toutefois traduite, globalement, par une proportion plus élevée

d’emplois à temps partiel, et possiblement contractuels26. Puis, il y a eu une baisse

considérable du nombre de conseillers d’orientation dans les commissions scolaires à partir

de 2006-2007 (chute de 10 % en 2006 seulement). Le nombre de c.o. a atteint son plus bas

niveau en 2009, le même qu’au moment des coupures en 1998, et encore plus bas qu’en

1990... En ce moment, les ratios conseiller d’orientation/élèves dépasseraient largement le

1 pour 100027. Pas surprenant donc que, selon un sondage interne de l’OCCOQ réalisé en

2008 (OCCOQ, 2008), 80 % des conseillers d’orientation dans les commissions scolaires

estimaient les ressources insuffisantes (60 %) ou très insuffisantes (20 %)…

Enfin, pour compléter le portrait, non seulement le nombre de conseillers d’orientation est

peu élevé par rapport aux besoins des élèves, mais les c.o. sont occupés à réaliser des tâches

essentiellement administratives au lieu de répondre aux besoins d’orientation des élèves.

Selon une étude interne de l’Ordre professionnel (OCCOQ, 2012), la réalisation de telles

tâches administratives par des c.o. se fait dans une proportion très importante de commissions

scolaires :

25 Données non publiées, obtenues directement du service de la statistique du MELS.

26 En plus d’être contractuels, il semble que les c.o. soient amenés à pratiquer dans plusieurs écoles pour combler

une tâche. Une étude de Soares (2006) indique que 44 % seulement des c.o. oeuvrent dans un seul lieu de travail;

20,3 % travaillent dans cinq lieux de travail ou plus.

27 Selon l’OCCOQ, de tels ratios ne seraient pas calculés systématiquement dans les commissions scolaires. Au

contraire, ce serait une petite minorité des commissions scolaires qui calculeraient des ratios formels. Nous ne

disposons donc pas de données complètes et fiables sur la question. Toutefois, selon le président de l’OCCOQ,

les ratios actuels iraient jusqu’à 2500 élèves par conseiller d’orientation.

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tâches administratives liées à l’inscription = 78 %;

répondre à des appels de demande de renseignements (p. ex., uniforme scolaire) =

78 %;

communiquer avec des écoles pour les enquêtes scolaires = 83 %;

joindre les parents pour des documents manquants = 80 %;

photocopier des documents = 70 %.

Si la réalisation de ces tâches par des c.o. n’est pas nécessairement nouvelle – déjà dans le

Rapport Parent (Commission royale d’enquête sur l’enseignement, 1964) on parlait du risque

que les c.o. se retrouvent avec un rôle administratif –, la proportion de c.o. qui s’y adonnent,

selon ce sondage, est préoccupante autant pour le devenir de la profession, le sens du travail

professionnel, que la réponse des besoins d’orientation des élèves dans les écoles… Du

moins, il y a là des indices sérieux d’un élargissement de tâches qui ne va pas dans le sens

d’un respect de l’expertise professionnelle hautement spécialisée des conseillers

d’orientation.

1.5.2. Comment l’Ordre professionnel a-t-il tenté de réorienter la pratique?

Devant ce constat, l’Ordre professionnel a tenté de promouvoir une « stratégie » pour mieux

répondre aux besoins d’orientation des élèves dans les écoles. Afin que chacun des milieux

puisse examiner dans quelle mesure il répond ou non aux besoins d’orientation des élèves,

l’Ordre a fourni aux différentes instances du milieu scolaire un « Modèle des besoins

d’orientation »28. Ce modèle doit permettre, selon l’Ordre, à tous les acteurs scolaires de faire

un état de situation des services d’orientation dans leur milieu. Le modèle identifie des

besoins « généraux », présents chez tous les élèves, des besoins d’« intervention », partagés

par la plupart des élèves, et des besoins « particuliers », retrouvés chez certains élèves plus

vulnérables. Répondre à ces différents besoins implique différents types d’intervention

nécessitant différents niveaux d’expertise. Sans qu’il s’adresse spécifiquement aux

28 Voir annexe 1.

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conseillers d’orientation, ce modèle permet de situer la pratique des c.o. au regard de ces

différents besoins.

Avec la proposition de ce modèle, l’Ordre a donc trouvé une manière d’intégrer les deux axes

d’« expertise » professionnelle que les conseillers d’orientation peuvent être amenés à

investir dans le cadre de la réorganisation du travail d’orientation dans les écoles : 1) le « rôle-

conseil », relatif notamment à l’approche orientante; et 2) l’accompagnement des élèves

ayant des besoins particuliers (p. ex., les EHDAA).

Si l’approche orientante a amené les c.o. vers un nouveau « rôle-conseil » qui infléchit leur

pratique professionnelle dans le sens de services indirects aux élèves (via les enseignants, les

directions, les parents, etc.), la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions

législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines a contribué à

diriger la pratique dans le sens de services cliniques auprès de populations vulnérables.

Adoptée en 2009, cette loi est le fruit d’un travail de plusieurs années visant à mieux protéger

les personnes vulnérables dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. En

plus de régir l’accès au titre de psychothérapeute, cette loi a mené à la redéfinition des champs

de pratique de neuf professions : ergothérapeutes, infirmières, médecins, orthophonistes et

audiologistes, psychologues, psychoéducateurs, thérapeutes conjugaux et familiaux,

travailleurs sociaux, et conseillers d’orientation. Ces professions se sont vues réserver

certaines activités professionnelles « à haut risque de préjudice ». Outre l’évaluation des

troubles mentaux et la psychothérapie, qui demandent des attestations supplémentaires, les

activités réservées d’office aux conseillers d’orientation sont :

Évaluer (en orientation) une personne atteinte d’un trouble mental ou

neuropsychologique attesté par un diagnostic ou par une évaluation effectuée par un

professionnel habilité;

Évaluer le retard mental;

Évaluer (en orientation) un élève handicapé ou en difficulté d’adaptation dans le cadre

de la détermination d’un plan d’intervention en application de la Loi sur l’instruction

publique (LIP).

Si, théoriquement, cette nouvelle loi participe à la professionnalisation du métier de c.o., on

ne connaît pas l’impact qu’elle aura sur la pratique des c.o. dans le contexte actuel en milieu

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scolaire, étant donné que sa mise en vigueur est encore toute récente. Néanmoins, plusieurs

questions se posent. Comment, avec la description du contexte que nous venons de voir, les

c.o. arriveront-ils à répondre à ces nouvelles responsabilités qui leur incombent? Comment

intégrer à la fois les exigences de polyvalence et de spécialisation? Comment pourront-ils

tirer leur épingle du jeu dans le champ de pratique spécialisée auprès des « élèves

vulnérables », aux côtés des psychologues et des psychoéducateurs, notamment? Par ailleurs,

compte tenu des méthodes d’organisation du travail issues de la Nouvelle Gestion Publique,

devront-ils assumer, vis-à-vis les instances, une double imputabilité au regard de cette

pratique clinique : au regard de l’Ordre professionnel, et au regard de la gestion axée sur les

résultats en termes d’atteinte d’« objectifs mesurables »29? Comment feront-ils face à cette

imputabilité dans le contexte de compressions budgétaires?

En somme, l’Ordre professionnel apparaît grandement préoccupé par la situation de

l’orientation dans les écoles. Devenue la responsabilité de tous, il y a un risque qu’elle ne

devienne la responsabilité de personne (OCCOPPQ, 2010b). Or, l’Ordre a une obligation

légale de veiller à la protection du public en matière de pratique d’orientation. Mais quelle

est la responsabilité spécifique du c.o. dans son milieu au regard de la réponse aux besoins

d’orientation des jeunes? Sans se prononcer spécifiquement sur le rôle que devraient jouer

les c.o. dans les écoles, l’arrivée de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres

dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines donne

une direction explicite à leur pratique professionnelle – autour de l’évaluation d’élèves

présentant des vulnérabilités particulières –, direction qui risque d’être difficile à assumer

dans le contexte d’une organisation du travail dans les établissements scolaires qui tend à

éloigner les c.o. du travail avec les jeunes et à leur faire jouer un rôle plus « polyvalent », un

rôle « conseil » auprès des autres acteurs. Il y a là une situation évidente où la pratique

professionnelle de l’orientation est mise en tension entre une « transformation »30 imposée

29 Plusieurs chercheurs s’inquiètent actuellement de l’omniprésence de la rationalité instrumentale dans les

milieux de travail des métiers fondés sur la clinique. Voir à ce propos Cifali, M., & Périlleux, T. (2012). Les

métiers de la relation malmenés : Répliques cliniques. Collection Savoir et Formation, Série Psychanalyse et

Éducation. Paris : Éditions l’Harmattan.

30 La pratique des « school counselors » aux États-Unis a subi des pressions similaires dans la suite des réformes

du système scolaire visant, là aussi, une plus grande imputabilité des professionnels et une réorientation de la

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du côté de l’institution scolaire, et une « transformation » plus ou moins imposée du côté de

l’Ordre professionnel. Une fois de plus, la profession pourrait être tiraillée, voire déchirée

sur le plan identitaire, entre ces transformations prescrites qui sont difficilement conciliables

entre elles et qui oublient peut-être les contraintes du travail réel de c.o. dans les écoles.

1.6. Synthèse : entre les prescriptions institutionnelles et le réel du

travail, une profession en souffrance?

Le métier de c.o. est, au Québec, considéré comme une profession au sens des critères de la

sociologie fonctionnaliste : contrat social formalisé par des instances professionnelles qui

régulent la pratique avec assises légales, en échange de bénéfices sur le plan de l’autonomie

professionnelle et du prestige social, etc. On pourrait donc penser que ce statut protège les

c.o. contre des atteintes à leur profession. Toutefois, suivant une conception socio-historique

de la professionnalisation (Lessard, 2000; Danvers, 1994), il semble que les professionnels

de l’orientation, les c.o., ne bénéficient pas nécessairement des avantages liés à leur contrat

social. La professionnalisation est donc toujours en question.

La protection contre les atteintes à la profession est d’autant plus fragile que le métier de c.o.

est particulièrement sujet à subir des pressions politiques, étant donné que son expertise se

situe à l’interface de deux sphères fondamentales de la vie humaine : le travail et l’éducation.

Ainsi, suivant les tendances sociales et politiques et les réformes scolaires qui en découlent,

les pratiques professionnelles de l’orientation se sont diversifiées passablement au fil des

années, ce qui rend difficile de circonscrire l’identité de la profession (Morrisset, 2000; Herr,

2001; Mellouki & Beauchemin, 1994a). Ce fut un des constats des États généraux de la

profession tenus en 1999 (Landry, 1999).

Or, à la fin des années 1990, la réforme du système d’éducation au Québec a prescrit une

nouvelle manière de pratiquer (« travailler autrement »), passablement en concordance avec

les principes de la Nouvelle Gestion Publique (p. ex., dé-corporatiser les pratiques,

pratique vers des services « indirects » aux élèves. Plusieurs chercheurs parlent maintenant du « transformed

school counselor » (p. ex., Stone & Dahir, 2006).

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rationaliser l’organisation), sans en faire état de façon explicite. La vision renouvelée de

l’orientation portée par la réforme a néanmoins bousculé la pratique des c.o. : moins de travail

de terrain, de tâche spécifique, et plus de polyvalence, de travail en

concertation/collaboration, qui se traduit par l’exercice de services indirects à l’élève, via un

« rôle-conseil ». En plus de participer à la diversification des pratiques qui peut rendre

difficile la revendication d’une identité professionnelle dans une optique de

professionnalisation, cette nouvelle vision de l’orientation a ouvert la voie à ce que tout un

chacun s’autorise à pratiquer l’orientation. C’est du moins un danger qui guette, à notre avis.

Selon une prémisse de cette thèse, la réorganisation du travail d’orientation ne semble pas

avoir porté les fruits escomptés et la réponse aux besoins d’orientation des jeunes, censée

être devenue la responsabilité de tous, s’est peut-être diluée au risque de devenir la

responsabilité de personne. Certains indices laissent croire que les c.o. eux-mêmes ne sont

pas en posture de pouvoir répondre aux besoins d’orientation des jeunes dans le contexte

actuel : 1) le nombre de c.o. dans les écoles aujourd’hui est peu élevé, si l’on se fie à ce qu’il

a déjà été; et 2) selon l’Ordre professionnel, une grande proportion de ces c.o. sont amenés à

exercer des tâches administratives. Bref, la réorganisation du travail à laquelle a contribué

l’approche orientante ne semble pas, dans l’ensemble, avoir contribué, comme le présageait

Dupont (2001), à « redonner à nos conseillers d’orientation la place importante qui leur

revient dans nos écoles » (p.569).

Prenant acte de la situation problématique à la fin des années 2000, l’Ordre professionnel a

proposé un « modèle des besoins d’orientation » qui vise à outiller les milieux dans leur

réponse à ces besoins. Sans définir explicitement le rôle du c.o. dans cette réponse aux

besoins, ce modèle intégrait à la fois les pratiques de « rôle-conseil » et d’intervention

« clinique » auprès d’élèves les plus vulnérables. Or, la mise en vigueur d’une nouvelle loi

réservant légalement aux c.o. des activités professionnelles auprès des élèves vulnérables

infléchit la pratique dans une direction (l’intervention clinique) plus que dans l’autre (le rôle-

conseil), sans compter qu’elle implique un niveau supplémentaire d’imputabilité.

Toutes ces considérations incitent à penser que les transformations de la profession

commandées tant par l’institution scolaire que par l’Ordre professionnel génèrent des

tensions sur le plan de l’identité professionnelle qui se peuvent se traduire en souffrance

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prenant diverses formes. C’est du moins l’hypothèse générale de cette recherche. Ces

tensions peuvent provenir de divergences, d’incompatibilités, voire d’impossibilités à

assumer, qui doivent être arbitrées par les conseillers d’orientation, individuellement et

collectivement, dans le réel de la pratique. Ce sont sans doute les c.o., individuellement qui

doivent arbitrer tout cela, avec les contraintes auxquelles ils doivent faire face dans le travail

réel… En plus de devoir composer avec les différentes prescriptions et les différentes visions

de la pratique en orientation, ils doivent tenir compte de leurs propres aspirations, de leur

propre « désir d’accomplissement de soi », de leur propre « désir de métier », pour reprendre

l’expression d’Osty (2002). C’est sur la base de ces ordres d’inquiétudes que cette thèse s’est

intéressée plus particulièrement à la question de la souffrance au travail dans la profession

de conseiller d’orientation en milieu scolaire.

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Chapitre 2 – Examen critique des approches explicatives de la

souffrance au travail des conseillers d’orientation en milieu

scolaire

Si l’on admet que la profession de conseiller d’orientation en milieu scolaire au Québec est

possiblement en « souffrance », peut-on penser que les conseillers d’orientation eux-mêmes

puissent vivre de la souffrance au travail? Si oui, comment cette souffrance se manifeste-t-

elle et quelles sont explications fournies par les écrits scientifiques? Ce chapitre vise à faire

état des recherches qui se sont intéressées à cette question chez les conseillers d’orientation

et à faire un examen critique des explications qui sont attribuées à ces phénomènes qui

résultent en détresse psychologique, épuisement et usure.

Selon la théorie de la psychodynamique du travail, au fondement de notre questionnement,

la souffrance constitue un « vécu subjectif intermédiaire entre d’un côté la maladie mentale

décompensée, de l’autre le confort (ou le bien-être) psychique » (Dejours et Abdouchelli,

1990, p. 133). Elle ne désigne donc pas un état figé que l’on pourrait diagnostiquer, mais

plutôt un espace de lutte psychique entre le désir, ou une « attente par rapport à

l’accomplissement de soi » (Dejours et Molinier, dans Molinier 2008, p. 60), et le réel qui

fait obstacle. En tant que vécu subjectif, elle se situe à un point de rencontre entre l’histoire

du sujet et une situation de travail, source d’épreuve pour soi (Dejours et Abdouchelli, 1990).

La souffrance au travail n’a donc pas la maladie pour seul destin (Molinier, 2008). Elle peut

être créatrice dans le développement de l’identité professionnelle, s’il y a possibilité d’utiliser

son intelligence, son ingéniosité, sa débrouillardise pour faire face au réel. Toutefois, lorsque

l’organisation du travail ne permet pas cet espace, lorsque « les contraintes […] ne laissent

plus aucune perspective de leur échapper » (Marché-Paillé, 2011, p. 159), la souffrance

devient « pathogène » au sens où elle engendre différents symptômes qui peuvent conduire

à la maladie.

Après avoir dressé un aperçu de l’état de la situation en ce qui concerne les différentes

manifestations de la souffrance au travail vécue par les conseillers d’orientation, nous

présenterons trois grands types d’approches qui ont été utilisées pour expliquer ces problèmes

dans la littérature scientifique, soit les approches psychologiques-individuelles,

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psychosociales et les approches axées sur le travail (nature et environnement du travail,

organisation, etc.). La section se terminera par une synthèse de la critique théorique et

méthodologique adressée à ces différents courants.

2.1. Portait statistique des manifestations de souffrance au travail chez

les c.o.

Au Québec, une seule recherche s’est attardée à appréhender les manifestations de souffrance

au travail des conseillers d’orientation en termes de prévalence. L’étude recensée est celle de

Soares (2006a), réalisée en fait auprès des professionnels de l’éducation, dont font partie les

conseillers d’orientation. Selon cette étude conduite auprès des 1873 professionnels de

l’éducation, 41,3 % des répondants éprouvent un niveau élevé de détresse psychologique,

telle que mesurée par l’Indice de détresse psychologique de Santé Québec. Chez les 244

conseillers d’orientation ayant participé à cette étude (Soares, 2006b), ce taux de détresse

psychologique s’élève à 45,3 %. Par ailleurs, les résultats à l’échelle d’épuisement

professionnel laissent supposer que si les c.o. sont épuisés émotionnellement (33,3 % ayant

un niveau élevé), ils ne montrent pas de dépersonnalisation (4,6 % ayant un niveau élevé) et

sentent toujours qu’ils s’accomplissent dans leur travail (99,2 % ayant un niveau élevé).

L’écart entre les deux dernières échelles et les échelles d’épuisement émotionnel et de

détresse psychologique est surprenant, mais il est impossible de l’interpréter étant donné le

manque d’informations sur cette recherche de Soares (2006b). Il y a pourtant une piste

importante à explorer ici. Par ailleurs, cette recherche indique que près du quart des c.o.

répondants présentent des symptômes « légers », « moyens » ou « sévères » de dépression

(23,3 %) et d’anxiété (28,2 %). Enfin, il semble que 11,6 % des conseillers d’orientation

vivent un niveau moyen ou élevé de désespoir, c’est-à-dire un sentiment que des situations

négatives affectent les domaines importants de leur vie, sans espoir de changement. Malgré

le faible taux de réponse de cette recherche (autour de 35 %) qui incite à prendre ces résultats

avec précautions, les informations disponibles laissent croire qu’il y a une pertinence à

investiguer du côté de la souffrance au travail des conseillers d’orientation.

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Aux États-Unis, le problème de la souffrance au travail des conseillers a été posé en termes

d’impairment31. Dans leur introduction à un numéro spécial portant sur la question en 1996,

Kottler et Hazler (1996) estimaient à 6000 le nombre de conseillers aux États-Unis qui

pratiquaient tout en ayant une forme d’invalidité émotionnelle ou mentale. Dix ans plus tard,

d’autres chercheurs se sont attardés à cette question dans un nouveau numéro spécial de la

revue Journal of Humanistic Counseling, Education & Development, mais en l’abordant sous

l’angle de la promotion du bien-être (Scholl, 2007). Lawson (2007) y rapporte les résultats

d’une recherche menée auprès de 1000 membres de l’American Counseling Association.

Dans l’ensemble, les résultats indiquent que la grande majorité des conseillers sont satisfaits

du travail qu’ils font, que ce soit sur le plan de la profession de counseling, de leur

productivité, de leur nombre de clients, de leur charge de travail en général ou de leurs

revenus. Or, les conseillers dans le secteur scolaire sont les moins satisfaits, ce qui

s’expliquerait, selon l’auteur, par une autonomie moins grande que celle des conseillers en

pratique privée. En ce qui concerne l’appréciation de leur santé mentale, 80,7 % de

l’ensemble des répondants se sentaient « bien », 15 % stressés, 4,3 % en détresse, et 0 % en

impairment, alors que leurs collègues seraient, selon eux, dans une moins bonne posture : ils

considéraient que 50,42 % étaient « bien », 33,29 % stressés, 12,24 % en détresse et 4,05 %

en impairment. Enfin, les résultats indiquent que 14,2 % se sentent peu satisfaits en lien avec

la compassion32, 5,2 % expriment un niveau élevé d’épuisement professionnel et 10,8 %

ressentent de la fatigue de compassion liée à un traumatisme vicariant.

Il est difficile de dégager un constat sur la souffrance au travail des conseillers à partir de ces

études étant donné leurs limites méthodologiques. L’étude de Soares (2006b) présente un

taux de réponse trop faible pour pouvoir dégager des constats généralisables, d’autant plus

qu’il n’y a pas eu de tests statistiques quant à la représentativité de l’échantillon. En ce qui

concerne spécifiquement la recherche de Lawson (2007), elle a été réalisée sous l’égide de

l’American Counseling Association et a été réalisée sous l’angle de l’impairment, ce qui a pu

31 La traduction fonctionnelle de ce terme est délicate. C’est pourquoi nous utiliserons pour le moment le terme

anglais, qui définit une altération / diminution de la compétence, voire incapacité, d’un professionnel à offrir

des soins de qualité en raison de troubles de santé physique ou mentale qui l’affligent.

32 Malheureusement, les auteurs ne précisent pas ce que signifie ce concept.

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générer des inquiétudes sur l’utilisation des résultats et ainsi biaiser les réponses offertes par

les participants. Ni cette étude ni celle de Soares (2006b) n’incluaient, à notre connaissance,

d’échelle visant à évaluer la désirabilité sociale. Nous adresserons la critique plus large des

questionnaires autorapportés à l’occasion de la synthèse des critiques méthodologiques, à la

toute fin de cette section.

Enfin, si les recherches de ce type permettent de faire un tour d’horizon des « facteurs

explicatifs » ou des problèmes vécus par les participants, elles ne permettent pas, selon nous,

une explication théorique cohérente de ces problèmes. De fait, comme la majorité des

recherches rapportées dans les sections qui suivent, ces recherches ont été construites au

moyen de questionnaires permettant de mesurer les facteurs reconnus dans les écrits

scientifiques pour affecter la santé mentale des travailleurs. Or, il est parfois difficile de

dégager une cohérence théorique entre les concepts. En conséquence, nous avons traité le

corpus des écrits en fonction du type de variables ciblées pour expliquer les manifestations

de la souffrance au travail. Cette manière de traiter les écrits permet d’examiner de manière

critique des courants théoriques généralement retrouvés dans la littérature scientifique en

santé mentale au travail. À la suite de la présentation de chacune des approches, un début de

critique est formulé de manière à faire ressortir la pertinence scientifique de l’approche

utilisée dans le cadre de cette thèse.

2.2. Les approches psychologiques-individuelles

Nous avons regroupé sous la catégorie des « approches psychologiques-individuelles » de la

souffrance au travail les recherches qui tentent d’en expliquer les manifestations en termes

de caractéristiques ou de compétences individuelles. Les approches présentées ici sont celles

fondées sur les caractéristiques psychologiques individuelles, sur les stratégies de coping

ainsi que sur la culture du bien-être.

2.2.1. Caractéristiques psychologiques individuelles

Plusieurs recherches menées dans les dernières décennies dans le champ de la santé mentale

au travail ont adopté une approche fondée sur l’identification de caractéristiques

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psychologiques individuelles (p. ex., type de personnalité) qui expliqueraient les problèmes

vécus.

Chez une population des conseillers d’orientation en milieu scolaire aux États-Unis33,

Watcher, Clemens et Lewis (2008) ont mené une étude sur l’épuisement professionnel qui

s’inscrit explicitement dans le cadre de la « psychologie individuelle »34. Utilisant plus

spécifiquement la théorie adlérienne de la personnalité, cette recherche menée auprès de 249

conseillers a investigué le lien entre les quatre sous-échelles représentant des « lifestyle

themes » de ladite théorie : Contrôle (besoin de contrôler ses émotions, de contrôler les

autres), Perfectionnisme (besoin d’organiser sa vie pour éviter les erreurs à tout prix), Besoin

de faire plaisir (besoin d’éviter les problèmes dans les relations interpersonnelles), et Estime

de soi (confiance dans ses moyens de faire face aux problèmes de la vie). Les chercheurs en

sont arrivés à la conclusion que l’épuisement professionnel des conseillers était

significativement lié aux thèmes « perfectionniste » et « estime de soi ».

Toujours aux États-Unis, Lee, Cho, Kissinger et Ogle (2010) se sont eux aussi intéressés à

l’estime de soi comme variable possiblement explicative de l’épuisement professionnel. En

fait, dans une recherche conduite auprès de 132 conseillers d’orientation en milieu scolaire,

ces chercheurs ont tenté de déterminer une typologie de conseillers selon leur pattern

d’épuisement professionnel mis en lien avec trois variables indépendantes : la satisfaction au

travail, l’estime de soi et le locus de contrôle. Selon les résultats obtenus, les trois types de

conseillers identifiés sont : Bien ajusté (faible niveau à l’ensemble des échelles

d’épuisement); Persévérant (niveau élevé à la majorité des échelles d’épuisement, sauf

dépersonnalisation); et Déconnecté (niveau moyen à la majorité des échelles d’épuisement,

mais dépersonnalisation élevée). Or, il semble que ce soit le niveau d’estime de soi qui puisse

le mieux distinguer les types les uns des autres. En effet, le type « déconnecté » présenterait

33 Nous utiliserons cette dénomination pour traduire l'expression consacrée aux États-Unis de "professional

school counselors".

34 Les auteurs la définissent ainsi : « Individual Psychology is a comprehensive psychological theory that

emphasizes the teleological nature of human behavior: Human behavior is largely purposive and directed by

psychological goals […]. In addition, an individual's "movement" in life is often geared toward overcoming

perceived inadequacies or weaknesses. » (p. 435)

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un niveau d’estime de soi particulièrement faible, suivi du type « persévérant », le type « bien

ajusté » présentant pour sa part une estime de soi élevée.

Dans une autre étude conduite au niveau national aux États-Unis, Lambie (2007) voulait

vérifier l’hypothèse à l’effet qu’un niveau supérieur de développement de l’ego contribuerait

à un niveau plus faible d’épuisement professionnel chez les conseillers d’orientation en

milieu scolaire. Lambie (2007) appuie son hypothèse sur la théorie développementale de

Loevinger (1976) (dans Lambie, 2007) qui soutient que le développement de l’ego,

composante centrale de la personnalité d’un individu, permet d’atteindre des niveaux

d’interprétation du sens, de maîtrise et d’intégration plus « sophistiqués ». Ce développement

se ferait par paliers, l’individu différenciant de plus en plus son soi des autres et du monde,

lui permettant ainsi de mieux se définir. Les stades identifiés par Loevinger (1976) (dans

Lambie, 2007) allant du plus immature au plus mature sont : le stade impulsif (axé sur ses

besoins et impulsions), protecteur de soi (opportuniste et axé sur les traditions), conformiste

(désirabilité sociale et respect absolu des règles), conscient de soi (reconnaît l’individualité

des autres), consciencieux (capacité de réflexivité), individualiste (plus grande tolérance à la

différence et conscience de son incongruence), autonome (respect des choix des autres et

tolérance à l’ambigüité) et intégré (congruence et actualisation de soi). Ainsi, selon

l’hypothèse de l’auteur, les conseillers montrant une plus grande maturité sur le plan du

développement de l’ego seraient plus aptes à prendre soin d’eux-mêmes et réduiraient

d’autant les risques de subir un épuisement professionnel. Les résultats descriptifs des

analyses statistiques effectuées auprès des 218 questionnaires retournés ont permis de situer

les niveaux des différentes composantes de l’épuisement professionnel et de maturation de

l’ego : en moyenne, les participants sont modérément épuisés émotionnellement, faiblement

cyniques (dépersonnalisation), très accomplis personnellement et au niveau 5 de maturation

de l’ego, la « conscience de soi ». Les résultats de l’analyse de coefficient de directions ("path

analysis") ont réfuté l’hypothèse du chercheur : un développement de l’ego plus élevé ne

prédit pas un plus faible niveau d’épuisement professionnel. L’analyse corrélationnelle a

permis par ailleurs de faire un lien entre l’accomplissement personnel et un niveau élevé de

maturité de l’ego.

Malgré la réfutation de son hypothèse, Lambie (2007) estime que ces résultats sont

encourageants, puisque le niveau moyen de maturité de l’ego obtenu par les conseillers

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d’orientation ayant participé à son étude est adéquat pour exercer cette profession (Zinn, 1995

dans Lambie, 2007). Selon l’interprétation du chercheur, la corrélation entre un niveau élevé

de maturité de l’ego et l’accomplissement personnel indiquerait que les conseillers

« matures » maintiennent leurs frontières personnelles et prennent soin d’eux-mêmes

suffisamment pour entretenir des sentiments affirmatifs à l’endroit de leur travail.

Ces recherches s’attardant aux caractéristiques psychologiques individuelles permettent de

mettre en lumière un certain type d’explications grandement présent dans le champ de la

santé mentale au travail : l’explication fondée sur les carences individuelles, le plus souvent

psychologiques (p. ex., personnalité de type A ou encore névrotique, le manque de

hardiness), qui pourraient expliquer l’émergence de problèmes de santé mentale. Dans le cas

des c.o., les recherches recensées suggèrent que les individus ayant une faible estime de soi,

un niveau élevé de perfectionnisme et un faible niveau de maturité de l’ego sont plus enclins

à vivre de l’épuisement professionnel.

Faisant abstraction des dimensions de l’écologie de la personne (dimensions relationnelles,

sociales, structurelles, institutionnelles, professionnelles organisationnelles, etc.), ce type

d’approche contribue, à notre avis, à une individualisation de la question de la souffrance au

travail. Lambie (2007) estime néanmoins qu’il est possible d’agir en prévention en favorisant,

par exemple, le développement de la maturité de l’ego chez les étudiants qui se destinent à

devenir conseillers d’orientation. Toutefois, en aval, cette conceptualisation du problème

comme étant de l’ordre du « personnel » suggère que les individus ayant ces caractéristiques

sont responsables de « se » changer ou de « se » développer pour se sentir mieux, que ce soit

par une session de croissance personnelle ou une thérapie. D’ailleurs, une recherche de

Wiseman et Egozi (2005), conduite selon ce point de vue, en arrive à la conclusion que les

conseillers d’orientation en milieu scolaire qui ont suivi une thérapie sont

proportionnellement moins nombreux à vivre des difficultés professionnelles et de

l’épuisement professionnel que leurs collègues qui n’en ont pas suivi.

2.2.2. Stratégies de coping

Un autre courant important dans le champ de la santé mentale au travail qui s’inscrit lui aussi

dans la lignée de ce que Wilkerson (2009) appelle les « variables intrapersonnelles » est le

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courant basé sur les stratégies de coping, notamment sur la théorie transactionnelle du stress.

Ce type d’explication des manifestations de la souffrance au travail s’attarde à identifier les

stratégies efficaces (ou néfastes) pour faire face aux stresseurs vécus par les travailleurs.

Nous avons repéré quatre recherches s’étant attardées particulièrement aux stratégies de

coping des conseillers d’orientation.

D’abord, dans les résultats de l’enquête de Lawson (2007) dont nous avons fait mention

précédemment, le chercheur rapporte un certain nombre de stratégies identifiées par les

conseillers d’orientation permettant de fonctionner efficacement et de maintenir une attitude

positive, ce que l’auteur nomme "career-sustaining behaviors". À partir des résultats des

analyses descriptives, l’auteur a pu identifier des stratégies majoritairement utilisées par les

conseillers les plus satisfaits de leur carrière, ceux qui ont un niveau élevé de satisfaction liée

à la compassion et ceux qui ont un faible niveau d’épuisement professionnel. Ces stratégies

sont : le maintien d’un sens de l’humour, le temps passé avec son conjoint/sa famille, le

maintien d’un équilibre entre les sphères de vie personnelle et professionnelle, une bonne

conscience de soi, et le sens du contrôle sur les responsabilités du travail, notamment. Lawson

(2007) en vient à la conclusion que les stratégies pour aider les conseillers à maintenir leur

bien-être devraient être de maintenir leur travail en perspective, de valoriser leurs clients et

leur professionnalisme, d’équilibrer le travail avec la famille et les amis, et rester centrés

spirituellement.

Ce type de stratégies de coping a beaucoup été étudié dans les écrits scientifiques, notamment

via le modèle transactionnel du stress de Lazarus et Folkman (1984). Une étude récente

réalisée auprès de 482 membres de l’American School Counseling Association aux États-

Unis a privilégié ce cadre théorique, entre autres (Wilkerson, 2009). Les résultats des

analyses de régression hiérarchique effectuées à partir des réponses des 198 répondants au

questionnaire autorapporté montrent que les variables liées aux stresseurs organisationnels

(conflits et incongruité de rôles, stresseurs occupationnels) et celles liées aux stratégies de

coping contribuent indépendamment les unes des autres aux trois composantes de

l’épuisement professionnel (épuisement émotionnel, dépersonnalisation, accomplissement

personnel). Selon ces résultats, on ne peut donc réduire l’explication de l’épuisement

professionnel aux seules variables de coping, ni aux seules variables organisationnelles. Des

analyses plus fines montrent que, pour la dimension « épuisement émotionnel », ce sont les

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stresseurs organisationnels qui importent davantage, alors que pour la dimension

« accomplissement personnel », ce sont les stratégies de coping. Selon l’auteur, ce résultat

respecterait le modèle transactionnel de Lazarus et Folkman (1984). De fait, selon ce modèle,

le phénomène du stress se divise en deux phases. Une première phase d’appréciation primaire

de la situation pour évaluer son niveau de dangerosité, puis une phase d’appréciation

secondaire sur la manière de réagir à cette situation. Wilkerson (2009) en conclut que

l’épuisement émotionnel résulterait de l’appréciation primaire alors que l’accomplissement

personnel résulterait des stratégies de coping.

Les résultats obtenus par Wilkerson (2009) suggèrent enfin quelques variables qui sont

particulièrement significatives dans un contexte d’analyse multivariée. En ce qui a trait

spécifiquement aux stratégies de coping, il constate que les conseillers qui utilisent davantage

la stratégie orientée sur les émotions (p.ex., tenter de réduire son anxiété) ont des niveaux

plus élevés de dépersonnalisation et d’épuisement émotionnel, alors que ceux qui utilisent la

stratégie orientée sur la tâche se sentent plus accomplis personnellement. Finalement,

contrairement à ce qui était attendu, la stratégie orientée vers l’évitement est corrélée

positivement à l’accomplissement personnel, ce qui signifie que les conseillers d’orientation

qui l’utilisent davantage se sentent plus accomplis. Pour expliquer ce dernier résultat, l’auteur

avance l’hypothèse que les conseillers qui utilisent cette stratégie s’accomplissent

possiblement en dehors du travail.

Dans une recherche similaire effectuée quelques années auparavant auprès de 78 répondants

(taux de réponse de 47 %), Wilkerson et Bellini (2006) arrivent à des conclusions similaires,

où les variables « intrapersonnelles », plus précisément les stratégies de coping, expliquent

une part importante de variance de l’épuisement professionnel. C’est la stratégie orientée

vers les émotions qui contribue le plus à l’explication de la variance pour les trois modèles

statistiques de l’épuisement professionnel. Ils en déduisent donc qu’il faut considérer

davantage la manière dont les conseillers d’orientation gèrent leur stress et ils suggèrent

d’investiguer du côté des variables intrapersonnelles (personnalité, auto-efficacité,

développement de l’ego, résilience) pour les futures recherches.

Enfin, dans sa thèse de doctorat, Stephan (2005) a lui aussi utilisé un cadre théorique fondé

sur une lecture transactionnelle (environnement-stimulus vs. stratégies de coping) de

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66

l’épuisement professionnel. Les données recueillies auprès de 414 conseillers d’orientation

en milieu scolaire ne permettent toutefois pas de valider l’hypothèse du chercheur voulant

que les ressources de coping atténuent l’effet des stresseurs environnementaux sur

l’épuisement professionnel. Ces ressources stratégiques seraient donc inefficaces pour

protéger les c.o. des stresseurs environnementaux.

De ces recherches axées sur les stratégies de coping, quelques limites théoriques et

méthodologiques peuvent être mises en lumière. Sur le plan théorique, ce type d’approche

semble intéressant puisqu’il considère à la fois des dimensions organisationnelles (p.ex.,

charge de travail élevée), psychosociales (p.ex., conflits interpersonnels) et personnelles. Par

contre, les dimensions organisationnelles et psychosociales sont considérées essentiellement

comme des stimuli auxquels les individus réagissent et non comme des composantes d’une

réalité sociale qui détermine en partie l’interprétation de ces « stresseurs » (p.ex., les normes

d’endurance que l’on retrouve dans certaines professions). Au final, la résolution des

problèmes passe nécessairement par des stratégies individuelles de coping, laissant dans

l’ombre les réalités collectives et institutionnelles (p.ex., les enjeux de pouvoir). Sur le plan

méthodologique, la passation de questionnaires limite la possibilité de savoir comment

s’opérationnalisent les stratégies concrètement et limite ainsi la prise en compte de la

complexité de la réalité et des stratégies utilisées. Cela amène parfois les chercheurs à

interpréter de manière hasardeuse des résultats qui ne sont pas attendus. Par exemple, en ce

qui concerne la corrélation positive inattendue entre la stratégie de coping orientée vers

l’évitement et l’accomplissement personnel, Wilkerson (2009) suggère l’hypothèse que les

conseillers d’orientation qui utilisent cette stratégie s’accomplissent possiblement en dehors

de leur travail. Toutefois, lorsque l’on retourne au sens de l’échelle d’accomplissement

personnel, l’ensemble des énoncés concerne le sentiment de compétence dans le travail et

non l’accomplissement au sens large. Enfin, sur le plan pratique, ce type d’explication fondée

sur les stratégies de coping donne lieu à des mesures individuelles (p.ex., formations sur la

gestion du stress) qui ont montré leurs limites en termes de prévention des problèmes de santé

mentale au travail (Harvey et al., 2006).

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2.2.3. Culture du bien-être

De plus en plus de recherches dans le champ de la santé mentale au travail appellent à

s’intéresser à ses manifestations dites « positives ». Considérant qu’il constitue une manière

de prévenir l’épuisement professionnel (Puig et al., 2012), plusieurs chercheurs se sont

intéressés à la question du bien-être (wellness35) chez les conseillers d’orientation. En

comparaison avec les deux approches précédentes, l’approche axée sur la culture du bien-

être ne s’attarde pas aux « variables intrapersonnelles », mais plutôt aux compétences

individuelles des conseillers d’orientation pour prendre soin de leur santé mentale et de leur

santé en général. Dans un numéro spécial de la revue Journal of Humanistic Counseling,

Education & Development publié en 2007 (Scholl, 2007), plusieurs chercheurs dans le

domaine du counseling ont lancé un appel au développement d’une culture du bien-être chez

les conseillers d’orientation. Cet appel s’inscrit en continuité avec celui lancé dix ans

auparavant en vue d’une prise de conscience du phénomène d’impairment chez les

conseillers (Kottler & Hazler, 1996). Puisque la profession de counseling a pour principal

instrument de travail le conseiller lui-même, les chercheurs sont préoccupés du « bon

fonctionnement professionnel » du conseiller : le travail d’un conseiller en impairment risque

d’avoir des effets néfastes pour ses clients, tel que démontré par plusieurs recherches (p. ex.,

Maslach, 2003, dans Lawson, Venart, Hazler & Kottler, 2007). Ainsi considèrent-ils que les

conseillers sont responsables de prendre soin d’eux-mêmes dans une optique d’éthique

professionnelle et de protection du public. Dans leur introduction, Lawson et ses

collaborateurs (2007) rapportent qu’il y a eu un tournant dans la manière de poser ce

problème depuis quelques années, passant de l’impairment au bien-être. C’est pourquoi les

articles qu’ils suggèrent dans leur numéro se fondent sur ces deux directions de recherche.

Examinons ces deux revers du même problème (bien-être vs. impairment).

35 Sans entrer dans les distinctions fines des concepts, le terme wellness est compris, dans le monde scientifique,

de manière distincte du terme wellbeing et fait référence à des corpus théoriques différents. Cependant, nous

n’avons pas trouvé de termes français pour rendre compte de cette distinction. C’est pourquoi nous utiliserons

ici le terme bien-être pour traduire wellness.

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2.2.3.1. L’angle de l’impairment36

Tout d’abord, Kottler et Hazler (1996) estiment que, si la profession de counseling se

professionnalise de plus en plus, elle doit se préoccuper de la question de l’impairment

comme l’ont fait les psychologues et les médecins, par exemple. C’est dans cette optique que

Emerson et Markos (1996) rapportent différentes définitions de l’impairment provenant de

professions déjà institutionnalisées. Ils constatent que la définition d’un tel concept peut être

vaste. De fait, selon leur revue des écrits, l’impairment inclut les problèmes suivants :

l’épuisement professionnel, la dépression, un déséquilibre émotionnel temporaire, le stress

et l’anxiété, l’abus de substances psychoactives, l’exploitation (notamment sexuelle) des

clients, le sur-engagement et le sur-travail, et la contagion des problèmes. Même si ce sont

deux réalités qui peuvent s’interpénétrer, Emerson et Markos (1996) distinguent la détresse

de l’impairment, soulignant qu’un conseiller en détresse se sent clairement affecté par ses

problèmes, alors que le conseiller impaired peut ne pas en être conscient. En effet, selon ces

auteurs, les conseillers peuvent avoir de la difficulté à voir leurs problèmes, étant donné qu’ils

sont immergés dans la réalité de leurs clients.

Lawson, Venart, Hazler et Kottler (2007) s’appuient sur le « Groupe de travail sur la

promotion des pratiques exemplaires en termes de bien-être » (American Counseling

Association), dont ils font partie, pour définir l’impairment. La définition proposée fait, elle

aussi, la distinction entre la détresse et l’impairment, mais distingue également les

comportements non éthiques de l’impairment, nuance qui n’est pas toujours évidente dans

les écrits consultés. Elle met vraiment l’accent sur une diminution significative du

fonctionnement professionnel, de la compétence du conseiller :

Therapeutic impairment occurs when there is a significant negative impact on a

counselor's professional functioning which compromises client care or poses the

potential for harm to the client. Impairment may be due to:

• substance abuse or chemical dependency;

36 Rappelons que la traduction fonctionnelle de ce terme est délicate. C’est pourquoi nous utiliserons pour le

moment le terme anglais, qui définit une altération / diminution de la compétence, voire incapacité, d’un

professionnel à offrir des soins de qualité en raison de troubles de santé physique ou mentale qui l’affligent.

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• mental illness;

• personal crisis (traumatic events or vicarious trauma, burnout, life crisis); and

• physical illness or debilitation.

Impairment in and of itself does not imply unethical behavior. Such behavior

may occur as a symptom of impairment, or may occur in counselors who are not

impaired. Counselors who are impaired are distinguished from stressed or

distressed counselors who are experiencing significant stressors, but whose work

is not significantly impacted. Similarly, it is assumed that an impaired counselor

has at some point had a sufficient level of clinical competence, which has become

diminished as described above. (Lawson & Venart, 2005, p. 243, dans Lawson,

Venart, Hazler, & Kottler, 2007, p. 12-13)

À l’instar de Hazler et Kottler (1996), Sheffield (1998) place la prévention et la gestion de

l’impairment comme cible pour la prochaine étape pour la professionnalisation du

counseling. Dans leur article du numéro spécial de 1996, Witmer et Young (1996) font une

série de recommandations pour prévenir cet état, recommandations allant de l’instauration

de mesures plus ou moins contraignantes visant le développement d’une culture de la

croissance personnelle et du bien-être chez les étudiants et au sein de la communauté

professionnelle, au développement de son réseau social, en passant par une pratique clinique

axée sur la formation continue et la supervision clinique. Si les chercheurs proposent quand

même des mesures organisationnelles de prévention (p. ex., Programme d’aide aux

employés, horaire flexible, garderie en mieux de travail), ils enjoignent également les

conseillers à prendre leurs responsabilités en évitant de pratiquer s’ils sont épuisés et en

dénonçant les comportements non éthiques de leurs collègues. Enfin, ils suggéraient déjà à

l’époque la mise en place d’un modèle de bien-être pouvant être utilisé pour des auto-

évaluations et le développement de programme.

2.2.3.2. L’angle du bien-être

Lawson, Venart, Hazler et Kottler (2007) rapportent une forte résistance de la part des

conseillers à parler d’impairment. Il suggère donc d’aborder la question par l’autre bout du

continuum, c’est-à-dire le bien-être. Dans le numéro spécial du Journal of Humanistic

Counseling, Education & Development (Scholl, 2007), les éditeurs invités avaient pour

objectif de donner de l’information pratique et accessible pour favoriser une culture du bien-

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être. Ainsi, tous les articles sont axés sur les stratégies pour favoriser le bien-être des

conseillers. Seul l’article de Young et Lambie (2007) s’attarde à des dimensions qui

dépassent la question d’une culture du « soin de soi », en évoquant les incidences des facteurs

organisationnels sur le bien-être. Nous aborderons ce dernier point dans les approches axées

sur l’environnement de travail.

Pour revenir aux stratégies de bien-être chez les conseillers d’orientation, Venart, Vassos et

Pitcher-Heft (2007) résument bien le rationnel derrière cette approche de la santé mentale :

« Sustaining the counseling profession begins with the efforts of each counselor, and actions

taken to promote their individual wellness begin one step at a time. » (p. 50). La nécessité

pour les conseillers de prendre soin d’eux-mêmes est accentuée par la présupposition d’un

processus de croissance personnelle nécessaire à quiconque voulant faciliter la croissance

personnelle d’un autre. Venart et ses collaborateurs (2007) estiment essentiel que chaque

conseiller prenne la responsabilité de sa propre santé pour que la profession dans son

ensemble puisse bien se porter.

La conception du bien-être sous-jacente aux articles publiés dans ce numéro spécial repose

sur les travaux de Myers et Sweeney (2005) (dans Venart, Vassos, & Pitcher-Heft, 2007).

Lawson, Venart, Hazler et Kottler (2007) prennent appui sur Myers, Sweeney et Witmer

(2000) qui définissent le bien-être comme suit :

a way of life oriented towards optimal health and well-being in which body,

mind, and spirit are integrated by the individual to live life more fully within the

human and natural community. Ideally, it is the optimum state of health and well-

being that each individual is capable of achieving, (Myers, Sweeney & Witmer,

2000, p. 252 dans Lawson, Venart, Hazler & Kottler, 2007, p. 12)

Suivant cette définition, Venart, Vassos et Pitcher-Heft (2007) ainsi que Cummins, Massey

et Jones (2007) s’appuient sur les travaux de Myers et Sweeney (2005). Leur modèle du bien-

être « basé sur des évidences scientifiques » affirme que le soi est indivisible : tous les aspects

du bien-être y contribuent à leur façon et doivent être en équilibre. Le soi est constitué de

cinq composantes : le soi essentiel (spiritualité, soins de soi, identité de genre, identité

culturelle), le soi social (amitié et amour), le soi créatif (pensée, émotions, contrôle, humour

positif, travail), le soi physique (exercice et nutrition), le soi de coping (croyances réalistes,

gestion du stress, importance de soi et loisirs). À partir de la revue des écrits scientifiques,

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Venart et ses collaborateurs (2007) proposent quant à eux les domaines suivants pour définir

le bien-être : physique (relaxer, bien se nourrir, être centré sur nos sens, guérir avec le

mouvement et la musique), émotionnel (vivre ses émotions, conscience de soi et réflexivité,

exprimer ses émotions), cognitif (apprentissage, estime de soi, etc.), interpersonnel (amis et

famille, thérapie, groupe d’entraide, supervision, etc.). Cummins et ses collaborateurs (2007)

font des propositions similaires (mode de vie sain, soins de soi, supervision, thérapie), en

plus de relever la nature du travail et l’environnement de travail comme aspects importants à

considérer pour le bien-être des conseillers. Toutefois, les chercheurs envisagent ces derniers

facteurs (relatifs au travail) comme des données de facto et supposent ainsi que les conseillers

doivent apprendre à s’y adapter (savoir reconnaître les signes de stress et savoir comment le

gérer), ce qui les rapproche du courant transactionnel axé sur les stratégies de coping, dont

nous avons traité dans la section précédente.

Malgré sa finalité instrumentale (contrer l’impairment), ce courant axé sur la « culture du

bien-être » s’inscrit dans la tradition de l’humanisme rogérien, qui est au fondement même

du counseling. La perspective holistique qu’elle promeut dépasse le psychologisme du

courant fondé sur les seules caractéristiques de la personnalité et considère tous les domaines

de la vie d’une personne humaine, la spiritualité étant l’un des plus importants, voire le

domaine central selon certains chercheurs dans le domaine de la recherche sur le bien-être

(Cashwell, Bentley & Bigbee, 2007; Sumerlin & Littrell, 2011). Malgré ce rattachement à

l’esprit holiste, c’est toutefois un type d’approche qui ne tient pas compte des contraintes

systémiques et organisationnelles de tout ordre qui peuvent peser sur les individus et s’avérer

potentiellement pathogènes. De fait, ce courant fait lui aussi porter la responsabilité de la

santé sur le conseiller lui-même. Les chercheurs s’inscrivant dans ce courant de pensée

développent, certes, des propositions pour que les institutions soient impliquées (p. ex., offrir

des espaces de spiritualité, des abonnements à des centres de conditionnement physique),

mais essentiellement dans le but de promouvoir une culture du « soin de soi », culture que

Evans et Payne (2008) relèvent comme discours idéologique, nous le verrons ci-après.

En guise de prévention, les chercheurs inscrits dans ce courant incitent les conseillers à

adopter des « pratiques exemplaires en termes de bien-être », pratiques qui peuvent

facilement devenir prescriptives voire obligatoires, d’autant plus qu’elles sont promues dans

un contexte coercitif (protection du public). Si certains chercheurs semblent reconnaître qu’il

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n’existe pas de bien-être complet en tout temps, ce type d’écrits fondés sur des facteurs à se

doter ou à éviter pour atteindre l’idéal (p. ex., le modèle de Myers et Sweeney), donnent à

penser que l’on peut être soit totalement « bien » ou « fautif »37.

La réalité est beaucoup plus nuancée, mais ce genre d’approche visant à mesurer les domaines

de vie ne permet pas ces nuances et rend difficile l’appréhension de la réalité concrète, telle

qu’elle se vit par les conseillers. La seule recherche dans ce courant, réalisée à l’aide d’une

étude de cas fictif (Hendrick, Bradley, Brogan, & Brogan, 2009), est d’ailleurs éloquente à

cet effet. En effet, ces chercheurs montrent que, dans le quotidien des conseillers, la réalité

est beaucoup plus complexe et nuancée. L’auteur décrit une situation fictive d’une conseillère

qui, contente de pouvoir arriver à 8h du matin au travail pour rattraper des tâches de

« paperasse », croise en chemin les clients qu’elle devait rencontrer à 8h… Non seulement

avait-elle oublié ce rendez-vous – le deuxième en peu de temps –, mais, une fois entrée dans

son bureau pour se préparer en vitesse, elle prend un message sur sa boîte vocale d’un huissier

qui la menace de prendre une action drastique si elle ne s’acquitte pas de son paiement de

voiture, dû quelques mois plus tôt… Si, avec ce type de méthode, les auteurs ont pu montrer

une réalité plus nuancée que celle des questionnaires mesurant le bien-être, le plan de

traitement fictif qu’ils suggèrent pour cette conseillère en situation d’invalidité demeure axé

exclusivement sur « les soins de soi » : meilleure nutrition, exercice physique, médication

pour son hypertension, et des stratégies de gestion du stress. Le rapport entre travail et santé

mentale n’est pas pris en compte à sa juste mesure, à notre avis.

2.3. Les approches psychosociales

En principe, les approches psychosociales ne ciblent pas exclusivement les variables

individuelles quant à la compréhension des manifestations de souffrance au travail. De fait,

elles considèrent ces problèmes comme étant de l’ordre, non pas du personnel, mais d’un

37 Cette manière dichotomique d’appréhender le phénomène (bien vs. fautif) explique peut-être une certaine

désirabilité sociale observée dans les résultats d’enquête de Lawson (2007), discutés précédemment; les taux

de détresse (4,3 %) et d’impairment (0 %) autorapportés par les répondants diffèrent passablement des taux

déclarés pour leurs collègues (12,24 % en détresse et 4,05 % en impairment).

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espace situé entre les dimensions psychologiques et sociales. Ainsi, les dimensions sociales

de la réalité du travail sont davantage considérées dans ces approches. Un premier type

d’approches s’intéresse particulièrement au manque de soutien social et à l’articulation

problématique entre le travail et la famille pour expliquer la détérioration de la santé mentale

au travail des conseillers d’orientation. Puis, nous présenterons les approches qui tentent

d’expliquer la souffrance au travail des conseillers d’orientation par des relations soi-autrui

dans une perspective identitaire, nommément par l’estime de soi collectif et la

reconnaissance. Enfin, nous nous intéresserons au type d’approche qui a été le plus

documenté selon notre recension des écrits, soit l’explication de la souffrance au travail des

conseillers d’orientation par le stress de rôle.

2.3.1. Soutien social et articulation travail-famille

Plusieurs des recherches répertoriées dans les approches psychologiques individuelles

soulignent l’importance du soutien social pour la prévention des problèmes de santé mentale

au travail, principalement sous la forme de la supervision clinique (Cummins, Massey &

Jones, 2007; Lawson, 2007; Moyer, 2010; Sheffield & Baker, 2005; Thomas, 2010; Venart,

Vassos & Pitcher-Heft, 2007; Witmer & Young, 1996). Il s’agit, dans cette perspective

psychologique individuelle, de solliciter une relation d’aide avec un collègue plus

expérimenté pour arriver à mieux gérer ses émotions, à faire face à ses impasses personnelles,

à développer de meilleures stratégies pour faire face aux stresseurs, etc. D’autres formes de

soutien social peuvent toutefois s’avérer pertinentes pour soutenir la santé mentale au travail.

Dans une recherche réalisée auprès de 90 conseillers des écoles publiques de la Jordanie du

Nord ayant pour projet de déterminer la source de soutien social la plus efficace pour réduire

l’épuisement professionnel (superviseur, collègue, ami, conjoint, famille), Haddad (1998) a

constaté que c’est le soutien de la famille qui est le plus souhaitable pour éviter l’épuisement.

Il souligne l’importance de la famille dans la société jordanienne, qui, écrit-il, satisfait les

besoins d’affiliation, mais aussi d’amour, d’affection, d’argent, matériels, de conseils, de

rétroaction, etc. Aussi est-il nécessaire, selon Haddad (1998) de souligner que dans la culture

arabe, la famille occupe une telle importance que les problèmes personnels sont interprétés

comme le symptôme d’une famille inadéquate. On retrouve d’ailleurs des résultats similaires

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dans une recherche réalisée dans un pays adjacent au monde arabe, la Turquie : dans une

recherche réalisée auprès de 214 conseillers d’orientation en milieu scolaire en Turquie,

Yıldırım (2008) montre que le manque de soutien social provenant de la famille est corrélé

particulièrement à l’épuisement professionnel (dimensions « épuisement émotionnel » et

« accomplissement personnel »).

En Nouvelle-Zélande, Evans et Payne (2008) font un exercice similaire de contextualisation

culturelle en posant les discours collectifs concernant l’augmentation du stress dans les pays

occidentaux comme issus d’une culture dans laquelle il y a augmentation des rythmes de vie,

un nouvel idéal de réussite d’équilibre travail-famille et une vision déficitaire de l’échec

personnel. Leur recherche qualitative réalisée à partir du récit professionnel de six conseillers

avait pour objectif de documenter les sources de satisfaction dans le travail et les éléments

qui y font obstacle. Elle a permis de dresser un portrait nuancé du soutien social et de

l’articulation travail-famille. En ce qui concerne le soutien social, les participants

reconnaissent les bénéfices d’avoir des collègues qui peuvent comprendre leur réalité et les

aider à mettre les choses en perspective. Ils trouvent, à l’inverse, difficile d’avoir des

collègues qui ne comprennent pas la réalité professionnelle du counseling, notamment en

termes d’exigences émotionnelles. Ils soulignent par ailleurs que le soutien doit être

entretenu, qu’il ne va pas de soi. De plus, les participants ne sont pas unanimes quant à la

nécessité — institutionnalisée en Nouvelle-Zélande — de la supervision clinique, certains

estimant suffisante l’aide des collègues.

En ce qui a trait à cette articulation travail-famille, les résultats ne sont pas monolithiques et

dépassent le simple énoncé de satisfaction quant à l’équilibre entre les deux sphères de vie.

Certains participants se font un devoir, voire une exigence éthique de séparer le travail et la

famille, alors que d’autres soulignent le plaisir et les bénéfices de leur « personnalité » de

conseiller dans leur vie personnelle, par exemple pour résoudre leurs propres problèmes ou

encore pour aider des amis. Evans et Payne (2008) montrent ainsi des effets bénéfiques d’une

sphère de vie sur l’autre, ce qui avait d’ailleurs été révélé chez des conseillères d’orientation

des États-Unis, par Bryant et Constantine (2006). Evans et Payne (2008) donnent l’exemple

d’une participante qui souligne que le travail est une occasion de « fuir » sa vie familiale, et

inversement. Les auteurs relèvent la notion de « ME time » pour traduire l’importance de

garder du temps pour soi dans sa vie en général. Cette notion s’inscrit dans la « rhétorique

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contemporaine du soin de soi » (traduction libre, p.327), qui fait écho à la « culture du bien-

être » dont nous avons discuté précédemment, idéologie que les auteurs voient comme un

contrebalancement au discours d’augmentation du stress social, qu’ils qualifient de

« mythologie moderne ». Bref, Evans et Payne (2008) estiment que ces récits doivent être

interprétés dans le contexte politique et culturel promouvant la responsabilité personnelle et

du choix. Ils soutiennent que cette promotion du soin de soi devrait être problématisée dans

les politiques publiques, mais aussi en supervision et en formation des conseillers.

Ces recherches permettent d’avoir un portrait nuancé de la question du soutien social et de

l’articulation travail-famille en montrant, notamment, comment la famille et, plus largement,

les relations sociales peuvent aussi être importantes dans le maintien d’une bonne santé

mentale. Ces recherches sont aussi pertinentes dans la mesure où elles considèrent le contexte

culturel dans lequel elles s’inscrivent et dans lequel les résultats scientifiques sont interprétés.

Par contre, elles n’offrent pas d’explication théorique étoffée pour mieux comprendre

comment se joue la santé mentale dans le travail, comme le font les théories fondées sur

l’estime de soi collectif abordées dans la prochaine section.

2.3.2. Estime de soi collectif et reconnaissance

Dans les dernières années, certains chercheurs ont convoqué le concept d’estime de soi

collectif38 pour appréhender la souffrance au travail des conseillers d’orientation. Les

premiers à publier sur cette question à notre connaissance sont Butler et Constantine (2005);

ils définissent le concept comme suit : « the extent to which school counselors possess

favorable perceptions of their professional or social group » (p. 55). En d’autres mots, il s’agit

de l’estime que les conseillers portent envers leur « soi collectif ». D’ailleurs, les auteurs lient

directement ce concept avec celui d’« identité collective ».

Collective self-esteem refers to individuals' perceptions of themselves as

members of a social group, along with the value and emotional significance of

membership in this group […]. Unlike personal identity, which concerns

38 Ce concept est la traduction libre de collective self-esteem.

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individual characteristics, collective identity relates to the characteristics of

indviduals' social groups and how they identify with those groups […]. (p. 2).

L’estime de soi collectif se décline en quatre composantes :

estime de soi collectif privée : sentiment positif à propos de son groupe social

estime de soi collectif publique : croyance à l’effet que les autres perçoivent

positivement son groupe social

estime de soi collectif d’adhésion (membership) : sentiment d’être un bon membre de

son groupe social

estime de soi collectif d’identité : l’adhésion au groupe est une part importante de la

perception de soi-même.

Selon la recension des écrits réalisée par Butler et Constantine (2005), les composantes de

l’estime de soi collectif ont été associées au bien-être psychologique chez certains groupes

sociaux plus « collectivistes » et chez les femmes. Si ce concept a été utilisé auprès de groupes

sociaux caractérisés selon leur race, leur ethnie ou leur sexe, les auteurs suggèrent

d’investiguer un groupe social ayant une identité professionnelle associée à des rôles et des

habiletés dans le contexte éducationnel : les conseillers d’orientation en milieu scolaire. Leurs

hypothèses sont à l’effet que les dimensions de l’estime de soi collectif seront

significativement prédictives des composantes de l’épuisement professionnel, i.e.

négativement liées à l’épuisement émotionnel et à la dépersonnalisation, et positivement liées

à l’accomplissement personnel. À partir des analyses de régression multiple effectuées sur

les données obtenues auprès des 538 conseillers (54 %) ayant répondu au questionnaire

constitué de la Collective Self-Esteem Scale et le MBI-ES, et quelques variables

démographiques, Butler et Constantine (2005) arrivent à la conclusion que plus les

conseillers perçoivent positivement leur groupe professionnel, plus ils se sentent accomplis

personnellement. Yu, Lee et Lee (2007) ont montré par la suite que cette estime de soi

collectif privée médiatise partiellement la relation entre l’insatisfaction professionnelle et la

qualité de la relation avec les clients. Cela signifie que les conseillers insatisfaits

professionnellement, mais percevant positivement leur groupe social, n’étaient pas portés à

réduire la qualité de leur relation avec les élèves. En ce qui a trait à l’estime de soi collectif

publique, les résultats de Butler et Constantine (2005) montrent que plus les conseillers

croient que les autres perçoivent positivement leur groupe social, moins ils se sentent

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émotionnellement épuisés, et plus ils se sentent accomplis personnellement. Enfin, plus les

conseillers d’orientation ont une estime de soi d’identité élevée, moins ils éprouvent de

dépersonnalisation et plus ils éprouvent d’accomplissement personnel. Les auteurs précisent

toutefois que la contribution, même si elle est statistiquement significative, n’explique pas

beaucoup de variance. Dans l’ensemble, ces résultats vont dans la même direction que ceux

de Lee (2008) qui confirment l’importance de considérer les enjeux de l’identité

professionnelle pour les trois dimensions de l’épuisement professionnel.

Dans le même esprit, Rayle (2006) a investigué la contribution de la variable « compter pour

les autres » ("mattering to others") au stress et à la satisfaction au travail. Il définit cette

variable ainsi : « individuals' personal, intrapersonal perceptions that they are important to

others and make a difference in others' lives » (p. 3). La recherche réalisée par questionnaire

autorapporté auprès de 388 conseillers d’orientation en milieu scolaire, à travers les États-

Unis, montre que plus les conseillers d’orientation sentent qu’ils comptent pour les autres,

plus ils sont satisfaits de leur travail et moins ils se sentent stressés. Partant du fait que les

conseillers ayant mis en place un programme d’orientation axé sur les compétences sentent

qu’ils comptent davantage pour les autres, en plus d’être plus satisfaits de leur travail, Rayle

(2006) suggère de promouvoir le guide de l’American School Counseling Association

(ASCA). Selon ce chercheur, cela permettrait de faciliter la définition et la défense de la

profession, lesquels sont nécessaires compte tenu des différentes recherches sur les conflits

de rôle, recherches que nous aborderons dans la section suivante.

Les résultats de la recherche de Rayle (2006) vont dans le même sens que ceux de

Lamontagne (2006) qui, dans son mémoire de maîtrise réalisé au Québec auprès de

conseillers d’orientation, a montré que le manque de reconnaissance contribue directement à

la détresse psychologique et indirectement à la motivation autodéterminée via la satisfaction

des besoins psychologiques fondamentaux. Lamontagne (2006) suggère que les pratiques de

gestion devraient être plus humaines, axées sur la satisfaction des besoins psychologiques

fondamentaux comme le sentiment d’appartenance, d’autonomie et de compétence, ainsi que

sur la reconnaissance.

Ce type d’approches psychosociales fondées sur l’estime de soi collectif et la reconnaissance

fournit une explication théorique intéressante, de notre point de vue, puisque ces notions

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intègrent des dimensions psychologiques (estime de soi, besoins psychologiques), qui

relèvent aussi de dimensions sociales, que ce soit des dimensions interactionnelles (compter

pour les autres) ou institutionnelles (appartenance à un corps social constitué). La manière

de conceptualiser l’estime de soi collectif (Butler & Constantine, 2005 ; Yu, Lee & Lee,

2007) est particulièrement porteuse puisqu’elle permet de faire ressortir les différentes

composantes de l’appréciation de soi comme membre d’un groupe social. En effet, ces

composantes concernent l’identité collective – dans ce cas-ci, professionnelle –

contrairement aux concepts utilisés dans le cadre des recherches de Rayle (2006) et de

Lamontagne (2006) qui s’attardent uniquement à la reconnaissance du conseiller comme

individu et non comme membre d’une profession donnée. De leur côté, Rayle (2006) et

Lamontagne (2006) dépassent la question de la perception positive de soi (estime de soi

collectif) et renvoient à une reconnaissance perçue dans le milieu de travail, reconnaissance

qui confirme l’importance que l’on a aux yeux des autres. Rayle (2006) utilise d’ailleurs la

notion de « compter pour les autres ». Lamontagne (2006) reprend, quant à elle, la perspective

de la reconnaissance de Siegrist (1996) en la définissant comme l’estime et le soutien perçus

« de la part du supérieur et des collègues de travail, mais également en termes d’adéquation

du salaire, de possibilité de promotion et de sécurité d’emploi » (Lamontagne, 2006, p. 11).

Ces concepts d’estime de soi collectif et de reconnaissance nous paraissent fondamentaux au

regard de la compréhension de la souffrance au travail. Nous les reprendrons, les nuancerons

et les détaillerons dans le cadre de la présentation de notre cadre d’analyse, au chapitre 3.

Toutefois, les approches utilisées par Butler et Constantine (2005), Yu, Lee et Lee (2007),

Lamontagne (2006) et Rayle (2006) ne considèrent pas assez, à notre avis, la question de la

construction de l’identité « à travers le travail », tel que réalisé par les conseillers

d’orientation. De plus, sur le plan méthodologique, l’appréhension de ces concepts par des

méthodes quantitatives ne permet pas, à notre avis, de considérer la dynamique sociale ou

organisationnelle plus large, le contexte plus précis dans lequel s’inscrivent les conseillers

d’orientation qui pourraient fournir une explication plus parlante, plus précise. À ce propos,

la question des « rôles » peut être pertinente à examiner.

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2.3.3. Ambiguïté et conflits de rôles

Au cours de deux dernières décennies, la question de la souffrance au travail des conseillers

d’orientation a beaucoup plus été étudiée sous l’angle de la théorie des rôles. Les conseillers

d’orientation se retrouvent, à un niveau macro (institutionnellement) comme à un niveau

micro (organisationnellement), dans un carrefour d’attentes quant aux tâches et mandats à

réaliser, ainsi qu’à la manière de les réaliser. Les balises offertes par leurs différentes

associations professionnelles quant aux rôles à jouer en milieu scolaire peuvent paraître

contradictoires (p. ex., rôle d’évaluation systématique des pratiques scolaires, rôle de

counseling individuel, de groupe, de consultant auprès des parents, des enseignants des

directions, etc.), ce qui peut s’expliquer par la diversité des traditions qui composent l’histoire

de la profession (Scarborough & Culbreth, 2008). Morrissette (2000) rejoint l’analyse de

Herr (2002) soulignant que la profession est constamment en transition, étant attachée au

changement dans le système éducatif. Il rappelle que la profession est passée du paradigme

vocationnel (test et counseling individuel), au paradigme clinique (évaluation et counseling)

puis développemental (consultation et coordination). Avec le paradigme développemental,

les conseillers d’orientation sont campés dans un rôle de consultation et de coordination où

ils se retrouvent soumis à de nombreuses influences : celle des directions, des enseignants,

des acteurs de la communauté, des parents, sans compter celle des élèves. De surcroît, les

conseillers d’orientation arrivent eux aussi dans le monde du travail avec leurs attentes telles

que forgées entre autres par leur formation professionnelle qui peut différer d’une université

à l’autre. La théorie des rôles suggère que ces différentes attentes contribuent à générer de

l’ambiguïté, des conflits, de la surcharge ou de l’incongruence de rôle, qui peuvent mener à

une diminution de l’engagement au travail, à une moins bonne performance au travail, à de

l’insatisfaction au travail, à l’épuisement professionnel, à l’absentéisme ou au roulement de

personnel (Coll & Freeman, 1997; Culbreth, Scarborough, Banks-Johnson & Solomon,

2005).

L’étude de Culbreth, Scarborough, Banks-Johnson et Solomon (2005) pose le problème sous

un angle institutionnel et organisationnel. Les conseillers d’orientation sont influencés par

les gens de qui ils relèvent, qui souvent ne connaissent pas leur profession et divergent de

point de vue en termes philosophiques (p. ex., valeurs) et méthodologiques (p. ex., manières

de faire le travail). La réalité du travail des conseillers d’orientation est donc soumise à aléas

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et des contingences qui font qu’elle peut différer de ce qu’ils ont reçu comme informations

venant de la formation initiale et de ce qui est suggéré par leur association professionnelle.

Les conseillers d’orientation doivent ainsi négocier sans cesse cet écart, souvent

individuellement. La définition de leur rôle constitue encore aujourd’hui un enjeu selon

Culbreth et ses collaborateurs (2005). Ces derniers s’appuient sur Van Sell, Brief, et Schuler

(1981) pour définir ce qu’est un rôle : « a set of expectations placed on an individual

occupying a particular position in an organization. These expectations are defined and

applied by the individual, as well as by others within and beyond the organization's

boundaries. » (p. 59).

Les deux principales composantes étudiées dans le cadre de cette théorie sont le conflit de

rôle et l’ambiguïté de rôle. Les définitions du conflit de rôle sont diverses. Selon Culbreth

et ses collaborateurs (2005), il peut résulter des demandes de rôle qui ne sont pas congruentes,

provenant de deux personnes ou plus, ou encore de la différence entre les attentes de

l’individu et celles associées à son poste. Pourtant, les auteurs de la recherche sur laquelle ils

s’appuient principalement pour faire ces remarques, Coll et Freeman (1997), définissent le

conflit de rôle comme « the sense of being pushed and pulled between conflicting messages

from various role senders » (p. 3). Dans cet article, ils traitent le conflit de rôle comme étant

de deux ordres : du « conflit structurel et de ressources » provenant des contraintes des figures

d’autorité, des politiques ou du manque de financement qui rendent l’accomplissement du

rôle assigné difficile; de la « surcharge et l’incongruence de rôle », i.e. une surcharge de rôles

qui peut engendrer des conflits entre plusieurs d’entre eux. La définition de Bryant et

Constantine (2006) va dans ce sens : le conflit survient quand la réalisation d’un rôle empêche

la réalisation d’un autre. Quant à la définition de Rizzo et ses collaborateurs (1970) rapportée

par Freeman et Coll (1997), elle stipule que ce sont des attentes inconsistantes et concurrentes

associées à un même rôle.

L’ambiguïté de rôle est, quant à elle, définie comme une articulation floue des rôles en

termes de responsabilités et de performance attendue (Culbreth, Scarborough, Banks-

Johnson & Solomon, 2005). Freeman et Coll (1997) s’appuient sur Rizzo et ses

collaborateurs (1970) pour la définir comme un manque d’informations claires en ce qui a

trait aux responsabilités d’un rôle et à la manière dont il peut être le mieux accompli. Ils

ajoutent qu’il y a alors confusion quant aux priorités du travail.

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Selon l’analyse factorielle conduite par Freeman et Coll (1997) sur le questionnaire utilisé

pour mesurer les conflits et l’ambiguïté de rôle, le Role Questionnaire, une troisième

dimension ressortirait : l’incongruité de rôle. Cette dimension, possiblement propre aux

conseillers d’orientation du milieu scolaire selon Freeman et Coll (1997), recouvre

apparemment ce qu’ils appelaient dans un précédent article un « conflit structurel et de

ressource » et qu’ils assimilaient au conflit de rôle. Il s’agit de conflits relatifs à l’attribution

inefficace des tâches au regard des ressources allouées.

Malgré une apparente confusion conceptuelle entre ces différentes dimensions existe un

problème sous-jacent, que Culbreth, Scarborough, Banks-Johnson et Solomon (2005)

nomment stress de rôle39. Selon la recension d’écrits de ces auteurs, ce stress serait corrélé

à l’insatisfaction au travail, à un engagement moindre, à de la tension au travail, à de la

fatigue, à une faible performance et une faible efficacité. Dans la recherche empirique par

questionnaire autorapporté qu’ils ont réalisée auprès de 512 conseillers du milieu scolaire des

différents niveaux, les chercheurs ont constaté que la perception d’incongruence entre les

attentes initiales des conseillers d’orientation envers l’emploi et leur expérience actuelle

constitue la variable qui prédit le mieux les trois dimensions du stress de rôle. Cette

explication, qui trouve écho dans une recherche récente de Mathews (2012), avait déjà été

proposée par Warnath et Shelton en 1976. La recherche de Stephan (2005) confirme elle

aussi l’importance du stress de rôle (conflit et ambiguïté de rôle) au regard de l’épuisement

professionnel, et plus précisément des dimensions d’épuisement émotionnel et de

dépersonnalisation, de là l’importance d’investiguer du côté de la définition des rôles en

termes de tâches à accomplir.

Il semble exister une tension majeure entre les conseillers d’orientation, les associations

professionnelles et les acteurs du milieu scolaire en ce qui concerne la détermination de ce

que sont des « tâches appropriées » au regard des rôles que devraient tenir les conseillers

d’orientation en milieu scolaire.

39 Les auteurs conçoivent le stress de rôle comme un phénomène comprenant les trois dimensions discutées ci-

avant : le conflit de rôle, l’ambiguïté de rôle et l’incongruité de rôle.

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Selon la recherche de Baggerly et Osborn (2006), menée auprès de 1280 conseillers

d’orientation en milieu scolaire en Floride, le temps passé à accomplir des « tâches

appropriées », selon le modèle de l’ASCA40, est le seul prédicteur, avec le stress perçu, de

l’engagement et de la satisfaction de carrière. Néanmoins, toutes les « tâches appropriées »

ne se valent pas au regard de la satisfaction au travail des conseillers d’orientation : celles

qui impliquent une interaction directe et un engagement envers les élèves sont les plus

importantes pour préserver un bon rapport au travail (Bardhoshi, 2012; Cervoni & DeLucia-

Waack, 2011 ; DeMato & Curcio, 2004; Evans & Payne, 2008; Harris, 2009 ; Kolodinsky,

Draves, Schroder, Lindsey & Zlatev, 2009 ; Mathews, 2012). Plus précisément, le counseling

auprès des élèves semble occuper une place de choix parmi les tâches qui soutiennent le

plaisir au travail des conseillers. De fait, plusieurs études montrent que les sources

d’insatisfaction et de frustration les plus grandes sont la trop grande quantité de temps passé

à des tâches autres que le counseling (Demato & Curcio, 2004 ), notamment à « soutenir le

système », à répondre à des crises et à travailler avec les administrateurs de district

(Kolodinsky, Draves, Schroder, Lindsey & Zlatev, 2009). Selon plusieurs auteurs, cette

situation pourrait être attribuable au climat d’imputabilité qui prévaut en milieu scolaire

américain depuis la loi « No child left behind », qui commande une mesure systématique des

résultats dans le milieu scolaire.

Les conseillers d’orientation ne refusent pas, en soi, de remplir des tâches connexes à leur

travail. Le volet qualitatif de la recherche de Bardhoshi (2012) montre que les conseillers

d’orientation consentent à partager le fardeau de certaines tâches dans une perspective de

répartition du travail en équipe, ou encore pour leur permettre de mieux faire leur travail de

counseling. C’est le caractère d’« assignement » des tâches qui, lorsqu’il se fait au détriment

du travail de counseling, constitue une source d’épuisement professionnel.

Cet assignement des tâches se fait en grande partie par les directions d’école. C’est pourquoi

Clemens, Milsom et Cashwell (2009) se sont intéressés aux relations entre la direction

40 Selon le modèle de l'ASCA, les tâches appropriées sont : faire du counseling auprès des élèves, donner des

leçons d'orientation, faire de la consultation pour les enseignants et la direction, préparer des programmes

académiques individuels pour les élèves. Les tâches inappropriées sont : inscrire les étudiants, administrer des

tests de réussite, tenir des registres, faire de la discipline.

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d’école et les conseillers pour comprendre l’insatisfaction au travail et l’intention de quitter

la profession. L’étude menée auprès de 188 conseillers d’orientation en milieu scolaire

montre que cette relation a effectivement un impact direct sur ces deux variables

dépendantes. Selon eux, la qualité de la relation direction / conseiller, tout comme les

capacités d’« advocacy » des conseillers, permet une meilleure définition de rôle, notamment

au regard du modèle de l’ASCA, et génèrerait ainsi une plus grande satisfaction au travail.

De bons rapports de communication expliquent peut-être la convergence de ces résultats de

recherche avec ceux indiquant que le soutien social de la part de la direction d’école est une

variable qui permet de prévenir l’épuisement professionnel (Bardhoshi, 2012 ; Yildirim,

2008), et particulièrement la dimension épuisement émotionnel (Lee, 2008; Thomas, 2010).

L’analyse phénoménologique de l’épuisement professionnel chez des conseillers

d’orientation, réalisée par Sheffield et Baker (2005), a permis de mettre en lumière, à partir

des mots des participants, la manière dont peuvent se traduire les conflits de rôle dans

l’expérience et le rôle qu’ils ont joué dans la genèse de l’épuisement vécu. À l’aide d’une

série de deux entrevues semi-structurées réalisées avec trois conseillères d’orientation du

milieu scolaire ayant vécu un épuisement professionnel, les chercheurs ont dégagé quatre

thèmes communs et huit sous-thèmes qui pouvaient différer d’une participante à l’autre.

D’une part, les auteurs ont dégagé un thème appelé « les croyances importantes » dans

lesquelles ils regroupent ce qu’ils interprètent comme des attentes irréalistes auto-imposées

(Freudenberger & Richelson, 1980, dans Sheffield & Baker, 2005), par exemple, vouloir

faire des choses extraordinaires pour les enfants, mais être contraints par des tâches qui ne

sont pas reliées au counseling, sans avoir assez de temps pour les réaliser. D’autre part, ils

rapportent deux thèmes directement relatifs à l’épuisement professionnel – les sentiments qui

y sont liés et les attitudes caractéristiques – qui se traduisent par de la frustration, de l’ennui,

de l’incompétence, un sentiment d’inutilité, un manque de contrôle et du désespoir, au point

de ne pas vouloir revenir au travail ou de vouloir quitter la profession. Sur ce dernier point,

ils estiment que le manque d’autoefficacité personnelle par rapport à leur profession est

effectivement une caractéristique de l’épuisement professionnel (Cherniss, 1993, dans

Sheffield & Baker, 2005). Enfin, la nécessité du soutien des collègues pour éviter

l’épuisement a émergé comme un dernier thème commun des entrevues.

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En somme, considérant à la fois des dimensions personnelles (p. ex., les attentes des

conseillers d’orientation quant au type de rôle à remplir) et des dimensions de l’organisation

du travail (p. ex., attentes des acteurs du milieu scolaire au regard du rôle que les conseillers

d’orientation doivent jouer), ce type d’approche permet de faire de meilleurs liens entre le

travail et les différentes manifestations de souffrance au travail. Toutefois, le présupposé de

cette explication semble reposer sur l’idée que, pour éviter les conflits et l’ambiguïté de rôle,

il devrait y avoir adéquation entre les rôles suggérés par la formation initiale des conseillers

d’orientation, ceux promus par leurs associations professionnelles, et les demandes du milieu

scolaire. Cette articulation conduit à des recommandations comme celle de Bryant et

Constantine (2006), qui suggèrent aux associations professionnelles de fournir une définition

de rôle claire et forte qui pourrait être défendue dans les milieux de travail par les conseillers

d’orientation. C’est d’ailleurs dans cette optique que se sont développés les nombreux

modèles de pratique nationaux aux États-Unis, notamment celui de l’American School

Counseling Association (ASCA). Si cette voie d’action institutionnelle apparaît pertinente

pour fournir des appuis et des balises aux conseillers d’orientation en milieu scolaire, elle

peut cependant avoir pour revers de sceller les débats professionnels et de promouvoir une

vision unique des pratiques d’orientation dans une optique de prescription unilatérale du haut

vers le bas, risquant ainsi d’amoindrir la marge de liberté des conseillers d’orientation dans

leur travail.

Enfin, si ce type d’approche axée sur la théorie des rôles s’attarde à l’adéquation ou non entre

les tâches dites « appropriées » et les tâches effectivement réalisées dans leur explication des

problèmes de santé mentale au travail, elle ne prend pas suffisamment en compte le

« travailler », la mise à l’épreuve de la subjectivité dans la réalisation du travail de c.o. (p.ex.,

l’intensité émotionnelle que le travail relationnel exige), ni l’environnement de travail en tant

que tel, dimensions qui seront abordées dans la prochaine section.

2.4. Approches axées sur le travail

Les approches axées sur le travail pour expliquer les diverses manifestations de souffrance

au travail ne s’intéressent pas tant aux caractéristiques ou compétences individuelles, ni aux

phénomènes psychosociaux, mais plutôt à la matérialité du travail compris comme activité

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spécifique réalisée dans un cadre organisé en vue de la transformation ou de la production

d’un objet ou d’un service. Il s’agit dès lors de porter attention à la nature de l’activité, mais

aussi au contexte dans lequel elle se déploie afin de comprendre les ressorts de la souffrance

au travail.

Si la nature du travail relationnel est reconnue pour avoir un impact notable sur la santé

mentale, notamment via l’épuisement professionnel (Freudenberger, 1980), peu de

recherches s’y sont penchées de manière définitive et concluante dans le cas des conseillers

d’orientation. Toutefois, plusieurs recherches ont montré que la nature du travail des

conseillers d’orientation est en changement depuis plusieurs années, en raison notamment de

l’alourdissement des problèmes des élèves à leur charge, mais aussi en raison de

l’implantation à grande échelle de nouveaux modèles de pratique. Au-delà de la nature du

travail, peu de recherches empiriques se sont attardées à l’école comme environnement de

travail pouvant avoir des impacts délétères sur la santé mentale des conseillers d’orientation.

Pourtant, selon la recherche de Bardhoshi (2012), tout comme celle de Soares (2006b), c’est

le contexte organisationnel qui serait le plus en cause dans la survenue de l’épuisement

professionnel. Ainsi, pour rendre compte et critiquer cette dernière approche, nous nous

appuierons entre autres sur une recension des écrits publiée à l’intention des conseillers

d’orientation, pour les sensibiliser à l’environnement de travail dans la compréhension des

problèmes de santé mentale au travail (Young & Lambie, 2007). Enfin, nous terminerons

cette section en relevant les résultats d’une analyse psychodynamique des situations de travail

vécues par les professionnels de l’éducation, dont font partie des conseillers d’orientation.

2.4.1. Nature du travail

Dans une revue des écrits scientifiques sur le « bien-être » des conseillers d’orientation en

milieu scolaire, publiée en 2000, Morrissette remarquait qu’il y avait eu peu de recherches

empiriques investiguant les enjeux psychologiques du travail chez les conseillers

d’orientation (stress, épuisement professionnel, stress relié à des incidents critiques, décalage

et fatigue). Toutefois, il décrivait, déjà à ce moment, un ensemble de changements affectant

leur travail, changements pouvant générer de la souffrance au travail chez les conseillers

d’orientation. De fait, selon ce qu’il rapporte, il y a eu augmentation des responsabilités du

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conseiller d’orientation en milieu scolaire au cours des dernières années. Parmi ces

responsabilités, les conseillers d’orientation sont amenés à rencontrer davantage d’élèves

ayant des problèmes plus complexes nuisibles à leur fonctionnement (p. ex., troubles de santé

mentale, consommation accrue de substances psychoactives). Cela s’inscrit dans un contexte

où s’est institutionnalisé depuis quelques années un nouveau paradigme lié au changement

du système éducatif états-unien, paradigme visant le développement de l’élève non seulement

comme « entité individuelle », mais comme s’inscrivant dans différents systèmes où il est

aussi important d’intervenir (familial, communautaire, etc.). En conséquence, les demandes

augmentent, les rôles s’entremêlent alors que les ratios élèves / conseiller ne diminuent pas.

La complexité des problématiques rencontrées est donc difficile à appréhender, d’autant plus

que la formation à la l’université, à ce sujet, est également remise en question à cet égard.

L’ensemble de ces constats est corroboré par une récente recherche menée en Irlande

(Hearne, 2012), ce qui laisse croire que cette situation dépasse les frontières nationales.

Malgré les nombreuses contraintes liées à l’organisation du travail, les problèmes de bien-

être au travail des conseillers d’orientation sont principalement liés, selon Morrissette (2000),

à l’intensité émotionnelle qu’implique leur travail : entendre constamment des histoires de

souffrance peut engendrer de la souffrance chez le conseiller lui-même s’il ne maintient pas

une bonne conscience de soi. Les stratégies « proactives » suggérées par le chercheur

s’inscrivent donc dans cette optique : anticiper la détresse émotionnelle, maintenir la

conscience de soi, identifier les populations étudiantes pour lesquelles le conseiller est plus

sensible personnellement, s’assurer d’être supervisé, maintenir un réseau de soutien,

consulter un autre professionnel pour sa santé mentale au besoin.

Auparavant, Kendrick, Chandler et Hatcher, (1994) avaient constaté que les conseillers

d’orientation en milieu scolaire faisaient face, dans leur pratique, à des problèmes que

rencontrent habituellement des conseillers d’orientation spécialisés en santé mentale. En

effet, les résultats de cette enquête par questionnaire maison, où 245 conseillers de tous les

niveaux scolaires des écoles de l’est de la Caroline du Nord se sont prononcés, indiquent que

les conseillers font face, sur une base hebdomadaire ou mensuelle, à des problèmes tels l’abus

de drogues et d’alcool, la dépression et divers problèmes émotionnels ou familiaux. Devant

ces résultats, Kendrick et ses collaborateurs (1994) prônent une formation plus complète des

conseillers d’orientation en milieu scolaire sur la santé mentale, incluant des cours sur les

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théories de la personnalité, la psychologie anormale, les systèmes familiaux, l’intervention

de crise, suivis d’un internat ou d’un practicum.

Compte tenu de cette complexification et de cet alourdissement des problèmes rencontrés

chez les élèves par les conseillers d’orientation en milieu scolaire, il n’est pas surprenant que,

selon une recherche de Fitch, Newby, Ballestero et Marshall (2001) (dans Watcher, Clemens

et Lewis, 2008), le rôle principal des conseillers revu par les administrateurs scolaires et les

conseillers eux-mêmes soit l’intervention de crise.

Par ailleurs, avec les changements opérés ces dernières années dans les modèles de pratique

des conseillers d’orientation en milieu scolaire, l’intervention auprès des élèves n’est plus

nécessairement la principale tâche. Avec la généralisation du modèle de l’ASCA adopté dans

les années 2000, beaucoup d’études se sont attardées à vérifier si les pratiques mises en place

par les conseillers étaient conformes à ce modèle du « transformed school counselor ». Ces

études se sont attardées à la question dans le but : de comparer des pratiques effectives aux

« meilleures pratiques » promues par les associations professionnelles (Burnham & Jackson,

2000; Dahir, Burnham & Stone, 2009; Walsh, Barrett, & DePaul, 2007); d’exemplifier ces

« meilleures pratiques » (Scarborough & Luke, 2008); et de mettre au jour de ce qui amène

les conseillers d’orientation à adopter les « meilleures pratiques » (Scarborough & Culbreth,

2008). Selon ces recherches, les conseillers d’orientation en milieu scolaire passeraient

« trop » de temps en counseling individuel (Burnham & Jackson, 2000) et en développement

de carrière (Dahir, Burnham & Stone, 2009). Le counseling individuel représenterait une

pratique « confortable » pour les conseillers d’orientation puisqu’ils ont traditionnellement

été formés en ce sens. C’est ce qui expliquerait la tendance des c.o. à accorder beaucoup de

temps à cette pratique, selon Burnham et Jackson (2000). Or, il semble que cette insistance

sur le counseling individuel soit appelée à diminuer puisque selon une étude de Sumerlin et

Littrell (2011), le fait « d’être en dehors du bureau » serait maintenant un ancrage pour donner

sens au travail chez les conseillers d’orientation en milieu scolaire. Bref, plusieurs recherches

en viennent à la conclusion que les conseillers d’orientation qui pratiquent avec le modèle

des « meilleures pratiques » sont les plus satisfaits (Baggerly & Osborn, 2006 ; Pyne, 2011;

Scarborough & Culbreth, 2008), ce qui demande à être mieux compris au regard des

contradictions repérées dans les recherches conduites avec la théorie des rôles (p.ex.,

surcharge de rôles, insatisfaction vis-à-vis des tâches demandant à « soutenir le système »).

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Ces recherches montrent que la nature du travail des conseillers d’orientation est en

changement à la fois en raison d’une réalité sociologique et psychosociale qui alourdit les

problèmes des élèves rencontrés et en raison de pressions politiques à la productivité qui

complexifient la nature de la tâche. Comment alors se trouver « satisfait » selon de telles

prémisses? Le rapport subjectif au travail s’en trouve affecté et peut engendrer des

manifestations de souffrance au travail. Mais au-delà de l’activité, le contexte organisationnel

dans lequel s’opère ce travail émotionnel exigeant peut amplifier ces difficultés, comme le

souligne d’ailleurs précisément Morrissette (2000). Ainsi est-il pertinent d’envisager la

dynamique des dimensions organisationnelles telles que l’environnement de travail,

l’organisation du travail et les pratiques de gestion comme éléments explicatifs de la

souffrance au travail.

2.4.2. Environnement de travail, organisation du travail et pratiques de gestion

L’environnement, l’organisation du travail et les pratiques de gestion peuvent passablement

influencer la nature même du travail (de la tâche). Ces éléments peuvent également agir

favorablement ou défavorablement en tant que « conditions » d’exercice du travail. Plusieurs

recherches dans le domaine de la santé mentale au travail se sont d’ailleurs conduites sous

l’angle des déterminants du stress au travail, notamment à partir des modèles de Karasek et

de Siegrist. Le modèle de Karasek (1979) se fonde, à la base, sur deux variables principales :

la demande psychologique et la latitude décisionnelle41. La combinaison d’un niveau élevé

de demandes psychologiques et d’une faible latitude décisionnelle entraîne une tension qui a

des effets délétères sur la santé mentale des travailleurs. Certaines recherches ont montré la

complémentarité du modèle de Karasek (1979) avec celui de Siegrist (1996) pour prédire

certains problèmes de santé mentale (Stansfeld & Candy, 2006). Le modèle de Siegrist (1996)

suggère qu’un déséquilibre entre les efforts et les récompenses au travail constitue un facteur

41 La latitude décisionnelle réfère à l’autonomie décisionnelle (possibilité de prendre des décisions par soi-

même, liberté sur la manière de faire son travail, possibilité d’avoir son mot à dire) et l’utilisation des

compétences (apprendre des choses nouvelles, tâches répétitives, créativité, etc.). La demande psychologique

réfère à un travail très rapide, très fort, une somme de travail excessive, pas assez de temps pour accomplir le

travail, des demandes contradictoires, etc. (Niedhammer,Chastang, Gendrey, David, & Degioanni., 2006).

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de risque important. Les recherches conduites avec les modèles en épidémiologie ont montré

qu’il existe des conditions pathogènes et des facteurs de risque à la santé mentale, comme il

en existe pour la santé physique (p. ex., présence d’agents chimiques en milieu de travail,

ergonomie inadéquate, conditions de sécurité inadéquates, etc.).

Chez les conseillers d’orientation en milieu scolaire, McCarthy, Van Horn Kerne, Calfa,

Lambert et Guzmán (2010) ont documenté les problèmes d’équilibre entre les demandes et

les ressources organisationnelles42 avec un échantillon de 227 répondants. Selon les résultats

de leur recherche, les conseillers se trouvant dans le groupe dont les demandes dépassent les

ressources présentent les caractéristiques suivantes : ils vivent davantage de stress au travail

et sont plus susceptibles de quitter la profession; ils connaissent une surcharge de cas

(caseload) d’élèves en situation de handicap, de faibles résultats scolaires et d’absentéisme

scolaire. La « paperasse » constitue quant à elle l’aspect du travail qui est le plus

« demandant » sur le plan des ressources psychologiques selon cette recherche.

L’étude de Hearne (2012) démontre, elle aussi, une augmentation de la charge de travail

(entre autres des « caseloads ») et la nécessité grandissante de tenir différents registres

administratifs. Sa recherche qualitative montre que les conseillers d’orientation43 ont le

sentiment d’être une « courroie de transmission du système » (« conveyor belt system »)

plutôt que des cliniciens réalisant un travail de relation d’aide. La pression relative à la

mesure des résultats, notamment en termes quantitatifs, augmente la pression. La chercheure

en vient à la conclusion qu’il y a « sur-régulation » du travail par ceux qui financent les

services et par les décideurs politiques, laissant moins d’autonomie aux praticiens. Devant ce

qu’elle appelle des « défis », la chercheure recommande de développer des habiletés de

résilience chez les conseillers d’orientation, délaissant ainsi les dimensions

42 Les chercheurs s’appuient explicitement sur la théorie transactionnelle de Lazarus et Folkman (1984), que

nous avons plutôt présentée à la section 2.2.2. Toutefois, compte tenu de la nature des résultats présentés, cette

recherche permettait de montrer l’importance des dimensions organisationnelles dans la compréhension des

manifestations de la souffrance au travail.

43 Sa recherche a par ailleurs été réalisée avec dix conseillers d’orientation œuvrant dans le milieu de

l’éducation, mais aussi dans des services d’emploi.

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organisationnelles du problème à l’étude, ce qui tend à faire porter le poids des variables

organisationnelles sur les épaules des individus.

En France, Amici et Lemoigne (2007) rapportent également un contexte de pratique où les

conseillers d’orientation psychologues (c.o.p.) subissent des « attaques » à leur métier,

attaques qui sont ressenties jusque dans l’activité de travail. D’un côté, des déclarations

politiques soutiennent le service public d’orientation, de l’autre, les c.o.p. observent une

réduction des effectifs, des coupures dans leurs budgets, en même temps qu’une injonction à

l’élargissement du champ de compétence (Amici & Lemoigne, 2007; Bournel Bosson, 2009).

Leur travail s’en trouve affecté : « sentiment de saupoudrage de nos interventions;

accumulation de missions prioritaires, morcellement de notre activité sur un nombre croissant

de lieux; course après le temps… » (Amici & Lemoigne, 2007, p.46). Cette « course contre

la montre » s’est avérée centrale dans la souffrance à la source de la demande d’une clinique

de l’activité qui a été poursuivie sur plusieurs années avec un groupe de c.o.p. (Amici &

Lemoigne, 2007; Bournel Bosson, 2009; Fernandez & Malherbe, 2007). Bien qu’ils fassent

état de ce constat d’une surcharge de travail, ces écrits ne permettent pas de repérer clairement

ce qui pose problème dans l’organisation du travail, puisqu’ils sont principalement centrés

sur l’analyse des mouvements dialogiques dans la mise en discussion de l’activité.

Young et Lambie (2007) sont les seuls, à notre connaissance, à avoir envisagé la question de

la santé mentale des conseillers d’orientation d’un point de vue explicitement

organisationnel. Leur article publié dans le numéro spécial sur la culture du bien-être chez

les conseillers d’orientation, du Journal of Humanistic Counseling, Education &

Development (Scholl, 2007), vise à aider les conseillers à comprendre la question de la santé

mentale au travail autrement que par l’adoption de comportements sains (perspective utilisée

dans le reste de ce numéro spécial). Les auteurs estiment que les conseillers d’orientation

pourraient utiliser leurs connaissances professionnelles afin d’améliorer les procédures de

travail, la structure organisationnelle et le style de gestion de manière à augmenter le bien-

être des employés. En conséquence, Young et Lambie (2007) ont relevé des écrits

scientifiques décrivant des manières de rendre l’environnement de travail plus sain. Ils citent

Maslach (2001) à ce propos : « Just as an individual can be characterized as 'healthy' in terms

of their physical and emotional well-being, organizations may be judged as 'healthy' in terms

of the social interactions among their members. » (p. 610 dans Young & Lambie, p. 100).

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Young et Lambie (2007) rapportent que, en 1999, le National Institute for Occupational

Safety and Health (NIOSH) a changé son orientation de recherche, axée jusque-là sur les

programmes de réduction du stress qui enseignent des techniques de coping aux employés,

pour se concentrer sur les pratiques des milieux de travail qui tentent de réduire le stress des

employés par l’organisation du travail. Les recommandations du NIOSH s’articulent autour

de six axes d’intervention, repris par Young et Lambie (2007), pour guider les organisations

dans l’amélioration du bien-être au travail des conseillers d’orientation : améliorer

l’aménagement des tâches; adopter un style de management collaboratif; contribuer à

l’amélioration des relations interpersonnelles et du travail d’équipe; développer des façons

de réduire le stress de rôle; soutenir le développement professionnel; améliorer les conditions

environnementales pour prévenir la violence et créer un environnement sain. Reconnues

comme des organisations rigides, les écoles auraient tout avantage, selon Young et Lambie

(2007) à intégrer la promotion du bien-être dans leur institution : « We strongly recommend

that counselors in mental health systems and schools become both creative and assertive

about protecting themselves and their coworkers by advocating for policies that protect and

promote wellness. » (p. 110)

En somme, les recherches s’inscrivant dans une approche qui cible l’environnement de travail

montrent l’importance de s’attarder au contexte dans lequel se pratique le travail des

conseillers d’orientation en milieu scolaire pour comprendre les manifestations de la

souffrance au sein de cette profession. C’est pourquoi nous reprendrons cette position dans

le cadre théorique de notre recherche, au chapitre suivant. Néanmoins, il nous apparaît

fondamental d’aborder ces dimensions organisationnelles dans une perspective dynamique,

afin de comprendre ce que font les conseillers d’orientation de la souffrance engendrée par

l’organisation du travail.

2.4.3. Analyse psychodynamique des situations de travail en milieu scolaire : des pistes

de compréhension du travail vécu par les conseillers d’orientation

Parmi les approches axées sur le travail, l’une d’entre elles s’attarde à comprendre la

souffrance au travail dans une perspective dynamique, en éclairant comment l’activité et

l’organisation du travail peuvent s’avérer sources de souffrance, certes, mais également

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comment les travailleurs s’en défendent individuellement et collectivement dans le cadre

même de leur activité. Selon l’approche de la psychodynamique du travail, la souffrance est

partiellement endiguée par des stratégies défensives qui contribuent paradoxalement, au

final, au maintien des sources organisationnelles de la souffrance. Cette dynamique s’inscrit

dans des « situations de travail » qui peuvent devenir à risque pour la santé mentale.

À ce jour, à noter connaissance, cette approche n’a pas été utilisée pour comprendre la

souffrance au travail des conseillers d’orientation, spécifiquement. Toutefois, une vaste

enquête de psychodynamique du travail menée dans deux écoles secondaires du Québec a

permis d’identifier des situations de travail à risque pour la santé mentale du personnel

scolaire provenant de quatre catégories professionnelles travaillant dans une école : les

enseignants, les professionnels de l’éducation (non-enseignants), le personnel de soutien et

les directions adjointes (Maranda & Viviers, 2011). Nous rapportons ici une description du

vécu des professionnels de l’éducation ayant participé à cette recherche (dont font partie les

conseillers d’orientation), présentée sous l’angle de six situations caractérisées par des

éléments organisationnels pathogènes, alimentées par deux blocs de stratégies défensives.

La lourdeur du travail :

Dans les dernières années, les professionnels se sont vus ajouter plusieurs mandats au sein

de l’organisation du travail scolaire. Avec l’augmentation des élèves en difficulté autant sur

le plan scolaire que psychosocial, on a invité les professionnels à « faire autrement », mais

cela s’est traduit dans les faits par une consigne de « faire plus avec moins » : plus de tâches

à faire, certes, mais aussi rencontrer des élèves plus demandants. Aussi, la lourdeur des

dossiers renvoie les professionnels au sentiment de ne pas pouvoir faire suffisamment, voire

de ne pas être compétents. Dépassés, ils sont pris pour être témoins de situations sur

lesquelles ils auraient aimé intervenir sans toutefois le pouvoir.

Les pressions du temps sur le mode de l’urgence :

L’accompagnement nécessite un travail qui se fait sur du temps « long ». Actuellement, deux

logiques attaquent de front ce prérequis du travail d’accompagnement. D’un côté, le temps

du travail en milieu scolaire est soumis à la logique de l’urgence des situations humaines

tendues. De l’autre, la logique « comptable » semble infiltrer depuis plusieurs années le

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monde scolaire, ce qui entraîne entre autres des exigences accrues d’« efficacité ». Ces

logiques convergent vers des demandes d’« exécuter » des commandes discutables quant au

besoin de l’élève, de fournir une solution immédiate… et d’être jugé sur les résultats… Le

travail nécessaire pour exercer leur profession selon leur conscience professionnelle est ainsi

méconnu, voire occulté.

La complexité du travail et la confusion des rôles :

Il semble que le travail en milieu scolaire se soit complexifié. Les différentes politiques

régissant le travail soutiennent le décloisonnement des pratiques professionnelles, dans une

optique de concertation, entre autres. Plusieurs intervenants sont ainsi appelés à intervenir

dans les dossiers des élèves. Or, les professionnels relèvent une méconnaissance des rôles

professionnels par les différents acteurs de l’école, y compris les directions d’école, qui sont

censées organiser le travail. La confusion des rôles engendre des situations où les

professionnels sont confrontés à une sorte de non-choix : soit ils acceptent de jouer un rôle

qui n’est pas le leur pour pouvoir faire leur travail, soit ils laissent l’élève avec ses

problèmes… Bref, cette complexification du travail et la multiplication des intervenants qui

en découle viennent questionner la « place » que les professionnels ont dans l’école.

Les tensions sociales et la violence :

Si les professionnels de l’éducation constatent, comme les autres catégories professionnelles,

des conduites de violence de plus en plus fréquentes dans les écoles, c’est une forme de

violence « organisationnelle », envers leur profession, qui les affecte plus directement. De

fait, ils ont le sentiment d’être « instrumentalisés » à des fins organisationnelles, sans qu’il

n’y ait de considération et de reconnaissance de leur expertise, de leur métier, de leurs

manières de faire, et des exigences qu’elles sous-tendent.

La précarité d’emploi et du travail :

Enfin, les professionnels de l’éducation rencontrés rapportent que le début de carrière est

particulièrement éprouvant étant donné qu’ils doivent souvent travailler dans plusieurs écoles

différentes au sein d’un même contrat. Ils doivent donc travailler avec plusieurs directions

d’école ayant chacune leurs attentes et leur style, et aussi avec le personnel de ces différentes

écoles. Cette situation exacerbe l’intensité des autres situations décrites, tout en augmentant

la tolérance à ces situations difficiles, en plus de favoriser l’isolement.

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La bureaucratie et la désorganisation

Les professionnels de l’éducation vivent les désavantages de la bureaucratie sans pouvoir

bénéficier des avantages qu’ils pourraient en attendre… D’une part, ils vivent une

désorganisation du travail : ils relèvent chaque année les mêmes problèmes organisationnels

sans que rien ne change. Aussi, ils ne reçoivent pas toutes les informations et les procédures

pour pouvoir réaliser leur travail adéquatement, tout en portant la responsabilité

professionnelle de leurs gestes. Ce sont eux qui, par défaut, constituent la mémoire

organisationnelle des écoles, ce qui est lourd à porter dans un contexte où les directions

changent maximum aux cinq ans… Sans compter les mesures de bureaucratie tatillonne qui

alourdissent considérablement le travail (p. ex., multiplication des formulaires). Cette

situation fait augmenter la tension de plusieurs crans.

Des stratégies défensives entre le surinvestissement et le retrait

Ces situations sont marquées par une organisation du travail menaçante pour la santé mentale

du personnel scolaire. Aussi, compte tenu de la souffrance qu’elles engendrent, comment se

fait-il que ces situations se perpétuent? Selon la psychodynamique du travail, face à la

souffrance, les travailleurs mettent en place dans le travail des stratégies défensives

individuelles et collectives visant à endiguer la souffrance, mais contribuant insidieusement

à la persistance des problèmes de l’organisation du travail à la source de la souffrance. Or,

deux blocs de stratégies défensives ont été repérés dans cette recherche.

D’une part, nous avons repéré une adaptation à la mission de l’école « réparatrice » qui

consiste à pallier personnellement des manques sociaux, éducatifs, organisationnels par un

travail en douce ou en catimini qui se joue dans l’ombre, dans l’invisibilité ou au contraire

« au front » sans que cela soit reconnu toutefois. Cela peut se traduire par exemple par le fait

de remplacer une direction d’école systématiquement absente pour que les élèves n’en soient

pas pénalisés, ou encore en s’adonnant à l’hypertravail lorsque les normes de performance

incitent à se dédier totalement à l’école, sept jours sur sept en une sorte de « moi héroïque »

qui prend tout sur ses épaules. Enfin, pour encourager les troupes à faire face aux déboires

du système d’éducation contre vents et marées, plusieurs recourent à un « discours positif »

pour accepter la réalité qui se présente et ainsi faire taire la souffrance.

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L’autre stratégie défensive est une réaction à l’envahissement du travail et incite : a) à

reproduire un impossible « discours des limites », rappel maintes fois entendu par les

professionnels de l’éducation dont c’est une règle de métier, règle toutefois impossible à

pratiquer dans le travail effectif lorsque les moyens ou les ressources sont absents; b) ou

finalement, en bout de piste, ou à bout de souffle, à se retirer du travail au plan physique et

psychique notamment par la prise de congés (de toutes natures). Se replier ou se retrancher

de la ligne de feu pour éviter l’envahissement du travail dans sa vie privée en sont des

exemples.

En résumé, les professions en relation d’aide requièrent un don de soi, un engagement

souvent hors du commun compensé par le plaisir du travail. Lorsque les stratégies défensives

d’adaptation palliative ont échoué et que l’on est forcé de pratiquer du retrait, ce dernier peut

se transformer subrepticement en clivage, i.e. en coupures avec une réalité souffrante. En se

coupant de cette réalité, on se coupe aussi du plaisir dans le travail. Bref, ces stratégies

défensives individuelles sont un pis aller qui peut tenir un temps, mais elles ne modifient en

rien les conditions à la source de la souffrance pathogène. Elles contribuent à

l’individualisation du rapport au travail entamée par l’organisation du travail. De plus, selon

notre analyse, ces stratégies défensives contribuent au maintien d’un « risque » pour la santé

mentale du personnel scolaire puisqu’elles jouent un rôle de « conservation » de la contrainte

qui peut, à terme, mener à des problèmes de santé mentale plus importants, sans compter les

conséquences de ces stratégies sur le travail réalisé, dont les conséquences sur les élèves.

Une telle approche dynamique de la souffrance au travail permet de rendre compte de la

complexité des situations de travail vécues et des enjeux à la fois sur le plan du travail et de

l’expérience subjective et intersubjective. Elle permet à la fois de tenir compte de la

matérialité du travail, de sa dimension collective et organisationnelle, tout en permettant une

description riche de l’expérience du travail qui permet de mieux comprendre le sens de la

souffrance au travail. C’est pourquoi il nous semble que l’approche de la psychodynamique

pourrait être mise à profit pour enrichir la compréhension des problèmes de souffrance au

travail chez les conseillers d’orientation en milieu scolaire.

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2.6. Synthèse de l’examen critique de la recension des écrits

Ce chapitre visait à faire état des recherches qui se sont intéressées aux différentes

manifestations de la souffrance au travail au sein de la profession de conseiller d’orientation

en milieu scolaire et aux explications qu’elles proposent. L’analyse de la recension des écrits

révèle trois grands courants de pensée pour aborder cette problématique : psychologique-

individuel, psychosocial et axé sur le travail. Le courant psychologique-individuel permet

d’identifier des caractéristiques ou des compétences individuelles nécessaires pour avoir une

bonne santé mentale. Nous ne retiendrons pas les approches relevées dans ce courant dans la

mesure où elles induisent une individualisation du rapport au travail et de la santé mentale et

minimisent ainsi des enjeux sociaux, culturels et collectifs déterminants dans la

compréhension de ce phénomène.

Le courant psychosocial prend en compte l’inscription des conseillers d’orientation dans un

contexte social soutenant (ou non) pour la santé mentale. Nous retiendrons de ce courant que

la question de la reconnaissance du travail et de la profession est un enjeu majeur à considérer

dans l’étude de la problématique de la souffrance au travail chez les conseillers d’orientation.

Toutefois, ces études axées sur la reconnaissance et l’estime de soi collectif ne se sont pas

attardées à la construction de l’identité à travers le travail concret inscrit dans des pratiques

professionnelles au quotidien, dans lequel il y aurait des savoirs-faire de métier. Pourtant, les

recherches adossées à la théorie des rôles montrent l’importance d’aligner des « tâches

appropriées » au rôle professionnel des c.o. et en cohérence avec la vision qu’ils en ont.

Cependant, cette approche des rôles a tendance à prioriser la prescription de facto du travail

telle que comprise lors de la formation initiale, par les associations professionnelles ou encore

par des acteurs décisionnels du milieu scolaire, et fait généralement silence sur le travail réel

effectué au quotidien.

Cette recension des écrits indique donc l’importance de tenir compte des transformations de

la profession en milieu scolaire pour comprendre les tensions au sein de l’identité

professionnelle, comme le suggèrent d’ailleurs Lambie et Williamson (2004). Certaines

recherches qualitatives ont permis de montrer cette pertinence en attirant l’attention sur

l’expérience concrète du travail afin de mieux comprendre comment les c.o.,

individuellement, peuvent réussir ou non à arbitrer les différentes contraintes

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professionnelles, culturelles, institutionnelles, structurelles, de manière à répondre à leur

propre « désir d’accomplissement de soi », pour reprendre les termes de Molinier (2008,

p. 60). De fait, comme nous l’avons souligné en début de chapitre, la souffrance est un espace

de lutte psychique entre le désir, ou une « attente par rapport à l’accomplissement de soi »

(Dejours & Molinier, 1994, dans Molinier, 2008, p. 60), et le réel qui fait obstacle, se situant

ainsi au point de rencontre entre l’histoire du sujet et une situation de travail (Dejours et

Abdouchelli, 1990).

Toutefois, à notre connaissance, aucune recherche n’a utilisé un cadre théorique considérant

à la fois l’expérience technique et pathique44 du travail tout en tenant compte du caractère

collectif et délibératif du métier soutenant la construction d’un « soi professionnel ».

L’enquête de psychodynamique du travail en milieu scolaire (Maranda & Viviers, 2011)

présentée dans la dernière section a montré la portée heuristique d’une approche qui part de

l’expérience des sujets pour analyser la conquête de l’identité dans la dynamique souffrance

/ plaisir / stratégies défensives. Les résultats de cette enquête font voir entre autres que la

manière dont le travail est organisé dans cette école secondaire amène souvent les

professionnels à jouer un rôle qui n’est pas le leur (p. ex., un conseiller d’orientation doit

faire office d’adjoint à la direction adjointe) ou à jouer leur rôle d’une manière qui contrevient

à leur éthique professionnelle et à leurs règles de métier (p. ex., injonction informelle à

« trouver illico une voie de sortie » à un décrocheur). Bref, cette enquête de psychodynamique

nous a incité à poursuivre la piste des tensions entre organisation du travail et pratiques

professionnelles pour comprendre la souffrance identitaire de métier chez les conseillers

d’orientation en milieu scolaire au Québec.

44 Dejours (1995) fait référence à la « rationalité pathique » dans le travail, à titre de synonyme de la « rationalité

subjective », pour comprendre la manière dont les sujets s’investissent dans le travail en rapport avec

l’expérience de la souffrance. Le terme pathique sera utilisé dans cette thèse en référence au caractère

« éprouvant » (au sens d’épreuve) ou encore « affectant » de l’expérience du réel.

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Chapitre 3 – Dynamique de la souffrance identitaire de métier

dans le travail des conseillers d’orientation

La recension des écrits scientifiques a permis d’examiner différents angles utilisés pour

aborder la souffrance au travail des conseillers d’orientation. À travers cet examen critique,

deux enjeux sont apparus particulièrement importants à investiguer davantage. D’une part,

la définition, la détermination et la conjugaison des rôles des conseillers d’orientation en

milieu scolaire comportent des problèmes. Les conseillers d’orientation sont confrontés à des

conflits entre les pratiques désirées, leurs pratiques réelles et les pratiques prescrites, conflits

qui génèrent des tensions se traduisant par différentes manifestations de souffrance au

travail : stress, insatisfaction au travail, épuisement professionnel. Un premier enjeu majeur

à considérer dans l’étude de la souffrance au travail des c.o. se dégage : leurs pratiques

professionnelles. Liée à d’éventuels conflits de rôle et tensions dans la définition de la

pratique professionnelle, la question de la reconnaissance et de l’identité professionnelle –

abordée indirectement via l’estime de soi collectif – paraît également avoir une grande

importance dans la compréhension des problèmes de santé mentale au travail des c.o. en

milieu scolaire. Aucune des recherches recensées ne s’est attardée toutefois, comme nous

prévoyons le faire, aux relations dynamiques entre les pratiques professionnelles et l’identité

professionnelle, dans la perspective d’une meilleure compréhension de la souffrance au

travail des conseillers d’orientation en milieu scolaire.

Deux théories, la théorie de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008) et la théorie de

l’activité dirigée (Clot, 1999), sont apparues complémentaires pour arriver à une

compréhension approfondie et cohérente de ce que nous appellerons, ultimement, la

souffrance identitaire de métier des conseillers d’orientation, en référence à une dynamique

de la souffrance au travail se jouant à l’interface de l’identité professionnelle et des pratiques

professionnelles. Pour chacune des théories, nous montrerons comment elle permet d’éclairer

ces concepts.

Mais avant de présenter l’articulation théorique sous-jacente à la thèse, nous nous attarderons

d’abord à situer et définir la notion d’identité professionnelle de métier au regard de quelques

travaux de référence dans ce domaine, pour ensuite examiner comment l’identité

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professionnelle des conseillers d’orientation a été étudiée à ce jour. Nous verrons mieux, dès

lors, l’importance d’investiguer les pratiques professionnelles pour comprendre les ressorts

de l’identification à une profession. C’est pourquoi nous tâcherons ensuite de définir le

concept de pratique professionnelle avant de décrire la contribution des théories de la

psychodynamique du travail et de l’activité dirigée.

3.1. Qu’est-ce que l’« identité professionnelle de métier »?

Il y a lieu, à ce stade-ci, de mieux circonscrire l’angle avec lequel nous aborderons la question

de l’« identité professionnelle » dans le cadre de notre recherche. Nous jetterons ici les bases

de notre réflexion en situant quelques balises au regard des notions d’identité, identité au

travail, identité professionnelle et identité de métier, pour en arriver à déterminer un angle

d’approche, celui de l’identité professionnelle de métier, qui se réfère de façon spécifique à

l’exercice d’une profession reconnue et reconnaissable facilement au regard d’une pratique

distinctive. Cette réflexion s’appuie en bonne partie sur la problématisation des dynamiques

identitaires de métier dans les organisations du travail actuelles issue des travaux de Florence

Osty (2002, 2006, 2008). Puis, nous relèverons quelques écrits concernant spécifiquement

l’identité professionnelle des conseillers d’orientation et situerons notre angle d’approche.

3.1.1. Positionnement théorique de l’identité professionnelle de métier

L’identité est un phénomène et une notion ayant donné lieu à une littérature philosophique et

scientifique foisonnante à travers l’histoire (Kaddouri, Lespessailles, Maillebouis &

Vasconcellos, 2008). En donner une définition exhaustive serait une entreprise démesurée,

voire périlleuse, compte tenu de la multiplicité des points de vue disciplinaires (psychologie,

sociologie, anthropologie, etc.) et des champs d’application (orientation, éducation, travail

social, etc.). Néanmoins, relevons ici quelques éléments définitionnels qui nous permettront

de mieux situer la notion qui nous intéresse dans le cadre de cette thèse, celle d’identité

professionnelle de métier. Comme le souligne Martucelli (2008), deux processus

caractérisent l’identité :

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En tout premier lieu, elle renvoie à ce qui est censé garantir la permanence dans

le temps d’un individu, ce qui fait que, malgré tous les changements qu’il connaît,

il est toujours ce même individu. En deuxième lieu, elle fait référence à une série

de profils sociaux et culturels propres aux individus dans les sociétés modernes.

[…] L’identité est donc ce qui permet à la fois de souligner la singularité d’un

individu, et de nous rendre, au sein d’une culture ou d’une société, semblable à

d’autres. (p. 25)

Osty (2002) abonde dans le même sens : « Le concept d'identité renvoie à une représentation

subjective individuelle, c'est-à-dire à la manière dont l'individu se perçoit le même tout au

long de son histoire, se manifestant par un “sentiment d'identité”. Mais c'est aussi ce par quoi

il se rend semblable à lui-même et se distingue des autres. » (Osty, 2002, p. 104-105).

L’identité se joue ainsi entre le sentiment d'être unique, autonome, et le sentiment

d'appartenir à un groupe social.

Le travail constitue un espace dans lequel se jouent ces deux grands processus. De fait, selon

Osty (2008), le travail « représente, encore de nos jours, une instance de socialisation majeure

par l’intensité de la vie relationnelle qui s’y déroule, mais aussi une condition d’accès à une

identité sociale » (p. 69). Cette chercheure relève deux grands courants rendant compte des

formes d'identité au travail, vue comme l'articulation des dimensions psychologique et

sociale de la personne : le courant fonctionnaliste et le courant interactionniste (Osty, 2002).

Le courant sociologique fonctionnaliste pose l'identification comme relevant principalement

des modes de transmission contribuant à façonner les comportements et attitudes des

individus pour qu'ils se conforment aux normes collectives d'un groupe professionnel. Le

courant interactionniste s'intéresse quant à lui aux interactions sociales soutenant les

dynamiques d'identification et de différenciation menant à la définition de soi. Ce courant

envisage l'identité comme le résultat temporaire d'un ajustement entre l'identité que les autres

nous accordent et l'identité que l'on s'accorde.

Inscrits dans une perspective interactionniste, selon Osty (2002), les travaux de Sainsaulieu

(1988) ont été marquants dans l’étude de l’« identité au travail » et des « effets culturels de

l’organisation ». Ce chercheur s’est attardé à explorer la dynamique identitaire dans les

entreprises. Il a mis en lumière l’importance de « l’expérience relationnelle du pouvoir » dans

la constitution des identités au travail. De fait, pour Sainsaulieu, le pouvoir que confère

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l’expertise dans une entreprise est déterminant puisqu’il permet de développer un « jeu

stratégique » pour « imposer et faire respecter sa différence » (Osty, 2002, p. 106).

À cette étude de l’identité au travail du point de vue des acteurs dans un système culturel

d’action, Dubar (1991) ajoute l’importance de s’intéresser à la dimension biographique de la

construction identitaire : « L’identité est définie comme “le résultat à la fois stable et

provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers

processus de socialisation qui, conjointement, construisent des individus et définissent des

institutions.” » (p. 113, dans Osty, 2002, p. 109). Dubar retient donc deux processus de

socialisation : relationnel et biographique. Le processus relationnel se traduit par des

« transactions objectives » dans un espace où se négocie la légitimation (reconnaissance ou

non) des savoirs et des compétences : l’identité pour soi (issue de l’histoire personnelle)

s’accommode à l’identité pour autrui (attributions par les autres) et mène à une identité dite

« professionnelle »45. Le processus biographique s’appuie quant à lui sur des « transactions

subjectives » entre l’identité héritée et l’identité visée, dont le résultat mène à l’identité

sociale46. On trouve écho à ce concept de « transaction subjective » dans une formule souvent

utilisée par les sociologues cliniciens et qui traduit une position plus existentialiste :

« l’individu est le produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet » (De Gaulejac,

2001, p.358)47.

45 « L’identité professionnelle ne se confond pas avec l’identité sociale même si elle entretient des rapports

étroits avec elle : la première renvoie au domaine de l’emploi et des activités économiques alors que la seconde

concerne le statut social. » (Dubar, 1992, p. 523)

46 Dubar (1992) s’appuie sur Durkeim pour définir l’identité sociale : « Définie comme “un système d'idées, de

sentiments, d'habitudes qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes

différents dont nous faisons partie”, l'identité sociale résulte d'une transmission, d'une génération à l'autre, des

“croyances religieuses, pratiques morales, traditions nationales ou professionnelles, opinions collectives de

toute sorte” » (p. 506)

47 Dans ce texte, De Gaulejac (2001) discute justement de la théorie de Dubar (2000) exposée dans l’ouvrage

« La crise des identités. L’interprétation d’une mutation ». Pour De Gaulejac (2001), il ne s’agit pas tant pour

l’individu de rompre ou non avec son héritage (i.e. de s’arracher des déterminants généalogiques) pour

construire sa propre histoire autonome, comme le suggère Dubar, mais plutôt de reconnaitre en quoi cet héritage

est agissant en soi, afin de pouvoir maîtriser la trame de son histoire (p.356).

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103

En fonction des résultats positifs ou non des transactions objectives (reconnaissance ou non)

et subjectives (continuité ou rupture), les individus adoptent, selon Dubar (1992), des modes

d’investissement professionnel ayant pour fonction de justifier une certaine cohérence dans

les choix ayant guidé leur trajectoire de formation et d’emploi. Les deux mécanismes

transactionnels de la socialisation professionnelle résultent ainsi en « formes identitaires »,

définies comme « configurations socialement pertinentes et subjectivement significatives de

nouvelles catégorisations indigènes permettant aux individus de se définir eux-mêmes et

d’identifier autrui lorsque les catégories officielles deviennent davantage problématiques »

(p. 523). À partir de ses recherches empiriques, Dubar (1992) identifie quatre formes

identitaires en lien avec le vécu des personnes au travail : l’identité d’entreprise (espace

d’identification = l’entreprise), l’identité catégorielle (espace d’identification = le métier),

l’identité de réseau (espace d’identification = le diplôme et le réseau) et l’identité de hors

travail (espace d’identification = la sphère domestique).

Avec leur théorie respective sur l’expérience de l’« identité au travail » au sein des

organisations et sur les « formes identitaires » résultant de la socialisation professionnelle,

Sainsaulieu et de Dubar ont permis de mieux comprendre comment l’identité se construit en

lien avec le travail, ou du moins avec l’espace « travail ». On réfère souvent à ces travaux

comme ayant contribué à mieux comprendre le processus de construction des « identités

professionnelles ». Or, il nous semble qu’il peut y avoir malentendu lorsqu’il est question

d’« identité professionnelle » : est-il question de l’identité d’un individu dans le monde

professionnel, dans le monde du travail, ou encore de l’identité relative à une

profession spécifique, un métier, avec ses us et coutumes, son histoire et ses aléas, identité

qui ferait alors référence à ce que Dubar appelle « l’identité catégorielle »? Osty (2002)

résume le problème de cette façon :

Si le thème de l’identité au travail est devenu au fil du temps un registre d’analyse

classique, impulsé par les travaux de R. Sainsaulieu, l’identité de métier ne

constitue qu’un cas de figure parmi d’autres des modes d’identification par le

travail. La revendication d’une identité de métier révèle un mode de socialisation,

où l’activité de travail occupe une place prépondérante dans le mode de définition

de soi. L’expérience collective de ce travail de métier fait alors l’objet d’un

processus d’identification spécifique. (p. 95)

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104

Dans le cadre de cette thèse, nous nous intéresserons plus particulièrement à cette dernière

acception de l’identité professionnelle, i.e. une identité de métier, fondée sur un « désir de

métier » pour reprendre l’expression d’Osty (2002). « Le désir de métier correspond à une

intense dynamique de construction d’une identité au travail dans l’entreprise et s’inscrit dans

une filiation ancestrale des gens de métier, cherchant à travers la production d’une œuvre, les

voies d’un accomplissement de soi. » (Osty, 2002, p. 233)

Comme nous l’avons présenté au chapitre 1, le métier fait référence à une manière d’être, à

une pratique, des savoirs issus d’un apprentissage par l’expérience qui s’inscrit dans une

culture issue d’une histoire commune. En ce sens, il peut constituer une source

d’identification importante : « La puissance de l’identification à un groupe social résulte alors

de l’existence de traditions, expression du socle culturel, préservant la cohésion du milieu de

métier. » (Osty, 2002, p. 101). On pourrait dire que, de manière analogue à l’identité en

général, la construction de l’identité de métier s’appuie à la fois sur une force de continuité

du « même » dans le temps et sur un mouvement de singularisation au sein d’une société, en

référence aux autres groupes sociaux qui la traversent.

Enfin, cette référence à l’identité de métier ne saurait, à elle seule, rendre compte de la

spécificité de la profession choisie : celle de conseiller d’orientation. De fait, comme nous

l’avons montré au chapitre 1, le métier de conseiller d’orientation se veut un métier

« professionnalisé » dans la mesure où il s’inscrit dans le cadre du système professionnel

québécois qui s’appuie sur une vision « fonctionnaliste » de la profession (p. ex., base

commune de connaissances et compétences, formation hautement spécialisée, contrat social

formalisé, code de déontologie, responsabilité individuelle de sa pratique professionnelle

autonome). Ainsi, pour rendre compte de l’importance, au regard de l’identité de métier, de

ces dimensions liées au fait d’appartenir à une « profession », nous utiliserons l’expression

« identité professionnelle de métier ». La prochaine section s’attarde d’ailleurs à l’identité

professionnelle au sein du métier spécifique de conseiller d’orientation.

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105

3.1.2. Exploration des écrits sur l’identité professionnelle48 des conseillers

d’orientation

La construction de l’identité tout au long de la vie apparait depuis plusieurs années comme

une préoccupation majeure des sciences et des pratiques de l’orientation (Cohen-Scali &

Guichard, 2008). Mais qu’en est-il des conseillers d’orientation eux-mêmes? Que sait-on des

processus de construction de leur identité professionnelle?

Pour traiter des écrits sur l’identité professionnelle des conseillers d’orientation, nous allons

reprendre les trois perspectives théoriques repérées par Cohen-Scali et Guichard (2008) à

propos la construction de l’identité dans le champ de l’orientation : les théories

1) développementales, 2) constructivistes et constructionnistes, et 3) contextuelles. Les

théories développementales portent attention aux processus par lesquels les individus arrivent

à se créer une représentation de soi qui intègre leur histoire personnelle et leurs aspirations.

Les théories constructivistes et constructionnistes tentent d’éclairer la manière dont les

individus se construisent une représentation d’eux-mêmes en interaction avec les contextes

dans lesquels ils s’insèrent, la manière dont ils négocient cette représentation en fonction de

leur groupe d’appartenance et celui des autres. Enfin, les théories contextuelles accordent

une place centrale au poids des contextes sociaux dans la construction des identités

professionnelles. Sans se situer exclusivement dans un de ces groupes de théories (p.ex., la

plupart des écrits recensés intègrent un aspect développemental), chacun des écrits recensés

sur l’identité professionnelle des conseillers d’orientation trouve des familiarités plus grandes

avec une perspective théorique ou avec une autre.

48 Dans cette section nous nous en tiendrons au vocable « identité professionnelle » pour respecter la pensée

des auteurs de ces recherches. En anglais, les auteurs utilisent le terme « professional identity ». L’étude de

Bacon (2007) utilise quant à elle l’expression « identité professionnelle ».

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3.1.2.1. Des perspectives développementales

D’abord, Alves et Gazzola (2011) se sont intéressés à l’identité professionnelle dite

« individuelle » de conseillers d’orientation49, comprenant « les valeurs personnelles d’un

individu, ses habiletés et connaissances, sa croissance comme personne, son succès et ses

améliorations au travail, son imagination et son innovation » (traduction libre, p.190). À

partir de la théorisation ancrée issue des entretiens tenus avec neuf conseillers

« expérimentés », les chercheurs ont créé un modèle traduisant les principales influences sur

le développement de leur identité professionnelle individuelle. Selon ce modèle, l’identité

personnelle des conseillers serait au cœur du développement de leur identité professionnelle

individuelle; cette dernière dépend d’abord et avant tout de qui ils sont comme personnes.

Au fil du temps, l’expérience du travail de conseiller et les rôles qu’ils sont appelés à jouer

dans les organisations contribuent à façonner leur identité professionnelle individuelle. Ainsi,

l’identité professionnelle individuelle se développe à travers les années, ce qui est une idée

phare, présente dans plusieurs autres recherches. Enfin, l’engagement envers la profession,

se traduisant entre autres par le sentiment de faire partie d’une collectivité professionnelle et

aussi par le soin apporté à « soi » comme instrument de travail, constitue également une

dimension importante de la construction de l’identité professionnelle individuelle, selon cette

recherche.

Ce modèle d’Alves et Gazzola (2011) résonne fortement avec les résultats obtenus par

Henderson, Cook, Libby et Zambrano (2007) dans leur « étude de soi » via une investigation

heuristique, une forme d’investigation phénoménologique. Selon ces auteurs, l'identité

professionnelle est claire lorsque la perception de ce que l’on fait, comme conseiller

d’orientation, est convergente avec celle des autres. Ils soulignent que l'identité

professionnelle implique un attachement valorisé entre l'individu et sa profession. Cela

suppose d'accepter le système de croyances professionnelles tel que véhiculé par les

standards professionnels. Quatre dimensions essentielles à une identité professionnelle

« forte » sont à prendre en compte : être hautement engagé à travailler avec les élèves; remplir

49 Dans ce cas-ci, il s’agissait de « counsellors » provenant de plusieurs milieux de pratique : communautaire,

scolaire, pratique privée, universitaire et collégiale (comme «personal» ou «career counsellor»).

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des rôles appropriés; augmenter sa compétence; et s'associer avec d'autres conseillers pour

former une communauté professionnelle. Ils estiment, eux aussi, que l'identité

professionnelle se développe tout au long de la carrière, selon des stades comparés à ceux du

processus de maturation humain.

3.1.2.2. Des perspectives constructivistes ou constructionnistes

La recherche récente de Moss, Gibson et Dollarhide (2014) intègre une perspective plus

constructiviste à leur compréhension du processus de développement de l’identité

professionnelle des conseillers d’orientation. À partir des entretiens focalisés tenus auprès de

trois groupes de conseillers de niveaux d’expérience distincts (débutant, expérimenté,

expert), les chercheurs ont construit un modèle théorique qui identifie trois « tâches

transformationnelles » nécessaires à l’évolution de l’identité professionnelle des conseillers

d’orientation : 1) de l’idéalisme au réalisme; 2) du burnout au ressourcement; et 3) du

cloisonnement à la congruence de soi. Par ce concept de « tâche transformationnelle », ces

chercheurs mettent en évidence le travail que doivent accomplir les conseillers pour se

construire une représentation de soi de plus en plus cohérente et confortable, au fil de

l’avancement dans la carrière. Aussi montrent-ils que la réalisation de ces tâches

transformationnelles dépend également de l’environnement de travail dans lequel les

conseillers doivent œuvrer. Ainsi, les trois processus nécessaires à la réalisation de ces tâches

– la formation continue, le travail avec les clients, l’aide de personnes plus expérimentées –

peuvent être soutenus ou non par l’environnement de travail. Néanmoins, le modèle théorique

de Moss, Gibson et Dollarhide (2014) met, globalement, l’accent sur la capacité des

conseillers à prendre conscience des processus soutenant le développement de leur identité

professionnelle afin de travailler à les activer.

Se situant eux aussi dans une perspective plutôt constructiviste, Brott et Myers (1999)

définissent l'identité professionnelle comme la conceptualisation de soi à titre de

professionnel résultant d'un processus interactif continu entre des changements structurels et

attitudinaux. L’identité professionnelle sert, selon eux, de référence pour établir son rôle

professionnel, pour prendre des décisions significatives et se développer

professionnellement. Brott et Myers (1999) ont donc entrepris de mieux comprendre le cadre

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108

de création de sens de ces décisions significatives, en prenant appui sur des décisions

conflictuelles. Selon la théorie ancrée ainsi obtenue, le principal problème relevé est le besoin

de balises personnelles pour remplir son rôle professionnel, balises confrontées constamment

à une série d'influences diverses. Se rapprochant d’une perspective développementale, les

chercheurs ont identifié quatre phases qui traduisent le développement d’une manière de plus

en plus évoluée de tenir compte de ces influences : la phase structurelle (référence à des

perspectives externes), interactive (gestion des diverses influences auxquelles le conseiller

d’orientation est soumis), distinctive (nommer son rôle et la manière dont il le remplit par

rapport aux autres) et enfin, évolutive (consolidation de sa perspective personnelle). Brott et

Myers (1999) soulignent l’importance de la présence des pairs pour la confrontation,

l’arbitrage et la collaboration, qui font partie du processus d'interaction dynamique ayant

pour conséquence l'identité professionnelle.

3.1.2.3. Des perspectives contextuelles

Dans sa recherche tentant de comprendre comment les conseillers d’orientation prennent leur

place dans le milieu éducationnel, Harris (2009) met l’accent sur l’importance de comprendre

comment le contexte du milieu éducationnel peut affecter l’identité professionnelle des

conseillers d'orientation. L’analyse interprétative phénoménologique suggère que le

counseling est une profession en quête d'une identité à l'intérieur du système scolaire

britannique, quête d’identité influencée par des arrangements pratiques et contractuels, la

compatibilité counseling / institution, et le type de leadership scolaire. Selon Harris (2009),

la capacité des conseillers d’orientation à réfléchir à leurs pratiques professionnelles est très

importante pour qu’ils puissent donner du sens à leur travail et développer leur identité

professionnelle. À la suite de Brott et Myers (1999) et Johnson (2000), Harris (2009) rappelle

le caractère dynamique du processus de développement de l’identité professionnelle « dans

lequel les expériences personnelles des rôles, des relations et de la structure sont racontées,

au sein d’une situation spécifique, dans un récit plus large de la vie de la personne »

(traduction libre, p. 178). La formation de l'identité serait un phénomène relationnel

survenant dans l'espace intersubjectif, lequel serait particulièrement persuasif, demandant et

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restrictif en contexte scolaire. Harris (2009) met donc en évidence le poids du contexte dans

le processus de construction de l’identité professionnelle.

Alimentée par des entretiens menés auprès de trente-cinq conseillers d’orientation

néozélandais provenant de différents secteurs de pratique, la recherche de Douglas (2011)

montre comment les politiques publiques néolibérales affectent l’exercice de cette

profession, dans ses finalités comme dans ses résultats, et comment les conseillers mobilisent

et reconstruisent leur identité professionnelle dans ce contexte. S’appuyant sur les concepts

de technologies de domination et de soi (Foucault, 1980, 1997, dans Douglas, 2011), la

chercheure conçoit la construction de l’identité professionnelle comme un réajustement

constant de la position d’un sujet entre les différents discours auxquels il est confronté –

dominants ou non – à propos du « faire » et du « devenir » de sa profession. Ainsi constate-

t-elle que, face au discours du « nouveau professionnalisme » promu par les orientations

ministérielles et les documents politiques qui traitent de la profession de conseiller

d’orientation, plusieurs conseillers adoptent une position subjective de résistance en

s’identifiant à un modèle professionnel plus « traditionnel » appelé « universitaire réflexif »

(academic reflector). Elle montre ainsi les tensions vécues par les praticiens coincés entre,

d’un côté, un nouveau « modèle » valorisé de professionnel de l’orientation axé sur la

démonstration comportementale et mesurable de ses compétences et de sa productivité, et de

l’autre, un modèle traditionnel qui confère une autonomie critique de pensée, appuyée sur

des connaissances universitaires, un jugement éthique et des valeurs axées sur le bien

commun. Cette recherche met en évidence à quel point il peut être périlleux d’actualiser

(enact) certaines positions identitaires, dépendant du contexte dans lequel s’inscrit la pratique

d’un conseiller d’orientation.

Enfin, au Québec, Bacon (2007) a étudié, à partir d’une posture interprétative compréhensive,

la question du professionnalisme chez les conseillers d’orientation, professionnalisme qui

relève, selon sa perspective, de l'interrelation entre l'identité professionnelle et l'éthique

professionnelle. Sa conceptualisation de l'identité professionnelle, en quatre dimensions, est

particulièrement intéressante :

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intra-individuelle : « ce qui touche une identité professionnelle dans sa singularité »

(Bacon, p. 124) (p. ex., intérêt de la personne pour la profession, sens du projet

professionnel dans la vie de la personne);

positionnelle-sociale : « ce qui touche la manière qu’a une personne de se voir dans

le jeu des acteurs sociaux qui participent à la réalité de sa pratique professionnelle »

(Bacon, p. 124) (p. ex., rapports Nous-Eux, lieu de travail, position sociale, rapport à

l’organisation du travail);

interpersonnelle-collective : « apport de la collectivité occupationnelle à l’identité

professionnelle qui se dit et, réciproquement, la contribution d’une personne à

l’identité de son groupe d’appartenance ou de référence » (Bacon, 2007, p. 126)

(p. ex., rapport Je-Nous, attachement professionnel);

institutionnelle : « touche aux rapports ou aux relations de la personne avec les

instances qui légitiment les noyaux durs de son identité professionnelle » (Bacon,

2007, p. 126-127) (p. ex., rapports aux universités, à l’Ordre professionnel, à

l’organisation professionnelle).

Cette approche a pour mérite de montrer plusieurs niveaux à partir desquels on peut

interroger l’identité professionnelle des conseillers d’orientation.

3.1.2.4. Synthèse et prise de position

La construction de l’identité professionnelle des conseillers d’orientation a été approchée de

plusieurs manières dans les écrits scientifiques. Les perspectives développementales ont été

particulièrement mises à profit, à ce jour. Ces perspectives conçoivent que l’identité

professionnelle se développe, se nuance, se précise, évolue au fur et à mesure que le

conseiller d’orientation prend de l’expérience. Lorsque l’on s’intéresse au développement de

l’identité professionnelle individuelle, ces perspectives s’avèrent particulièrement

heuristiques. Par ailleurs, comme nous l’avons souligné à la section 3.1.1., nous nous

intéressons plutôt, dans le cadre de cette thèse, à la construction de l’identité professionnelle

de métier, qui s’actualise dans des activités issues d’une culture et d’une histoire

professionnelles, activités qui s’inscrivent aussi dans un cadre institutionnel et

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organisationnel. À cet effet, nous rejoignons davantage les perspectives constructivistes /

constructionnistes et contextuelles.

Selon les perspectives constructivistes / constructionnistes, la conceptualisation du soi

professionnel est le résultat des ajustements entre l’identité que les Autres significatifs nous

accordent et celle que l’on s’accorde, individuellement et collectivement. Par ailleurs, les

perspectives contextuelles montrent que l’environnement social, économique et politique

joue un rôle important dans la « dialectique individu-contexte » (Dumora et al., 2008) ou,

pourrait-on dire, dans la dialectique « profession-contexte ». En bref, l’identité

professionnelle se joue dans le réel de la pratique, dans ses dimensions intersubjective,

sociale et aussi institutionnelle. Comme le suggère Barbier (1996), l’identité professionnelle

donne un sens aux pratiques et inversement, d’où l’importance d’examiner les incidences des

pratiques professionnelles.

3.2. Qu’est-ce que la « pratique professionnelle »?

Comme le concept d’« identité », le concept de « pratique » est un concept riche en histoire

et complexe à analyser pour en saisir toute la portée. Il s’agit d’un terme relativement

polysémique recouvrant les notions de technique, de poïesis et de praxis. Sa signification

dépend des auteurs qui la convoquent. Barbier (1996) en a proposé une définition structurée.

Il définit la « pratique » comme un « processus de transformation d’une réalité en une autre

réalité, requérant l’intervention d’un opérateur humain » (p. 31). Selon lui, la pratique a une

fonction manifeste, définie par un résultat attendu au regard d’un usage explicite (p. ex.,

pratique médicale). En ce sens, une pratique est « professionnelle » au sens où elle « s’attache

à un métier et qu’il s’agit toujours d’une activité de transformation dans des conditions

économiques et sociales déterminées; l’activité dont il est question contribuant alors à la vie

productive d’un ensemble social » (Blanchard-Laville & Fablet, 1998, p. 21).

« La » pratique fait référence, à des règles d’action individuelles ou collectives, plus ou

moins stables ou stabilisées, plus ou moins formalisées, plus ou moins normées (Blanchard-

Laville & Fablet, 1998; Nélisse, 1997). Déployée dans le monde du travail, une pratique

« professionnelle » est définie par des règles d’action issues d’un cadre professionnel plus ou

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moins formel. Les règles sont transmises au fil du temps, entre travailleurs, ou encore

apprises au cours de la formation préalable pour exercer ce métier, par exemple. Le cadre

professionnel peut aussi être défini légalement dans le cas des professions régies par les lois.

Cette partie de la définition d’une pratique professionnelle fait référence à ce que l’on

pourrait désigner comme sa dimension « prescrite », du moins en partie, car il resterait à

examiner les tâches qui s’y rattachent.

Par ailleurs, en concordance ou non avec la dimension « prescrite » de la pratique

professionnelle, il semble également y avoir une dimension « désirée » par les sujets,

dimension fort importante dans l’exercice d’une profession, comme celle de conseillers

d’orientation, qui revendiquent une autonomie professionnelle liée à des savoir-faire

spécifiques, guidée par une éthique professionnelle et un Code de déontologie50. Dans ses

recherches avec des travailleurs sociaux, Nélisse (1997) a constaté que ces derniers réfèrent

à leur pratique comme à des activités exercées dans un cadre d’autonomie professionnelle et

de liberté quant au choix de la clientèle, de la charge, du rythme et des moyens, des outils,

afin de respecter son indépendance de jugement et son éthique professionnelle. Ces « règles

d’action » désirées s’inscrivent dans des valeurs, des modèles d’intervention, une histoire de

pratique, etc., ayant des couleurs à la fois collectives, reliées au métier ou à un collectif de

travail, et singulières liées à la personne qui exerce ledit métier.

En plus de désigner des « règles d’action » prescrites ou désirées par les membres d’une

profession, la notion de pratique professionnelle fait aussi référence, selon Barbier (1996) et

Blanchard-Laville et Fablet (1998), à la « mise en œuvre » de ces règles, au sens de

l’expression « mettre en pratique ». L’angle de la « pratique » pour étudier l’activité

professionnelle comporte cependant deux pièges lorsque l’on s’intéresse aux interrelations

avec l’identité professionnelle et le contexte de travail. D’une part, il y a risque de s’inscrire

dans une vision purement « praxéologique » – trouver le moyen le plus efficient pour arriver

à une fin donnée (Daval, 2006) – qui se limiterait à l’étude de la dimension opératoire de

50 Pour la profession de conseiller d’orientation, cette autonomie professionnelle fait partie intégrante du Code

de déontologie, dont l’article 28 qui s’inscrit dans la section IV « Indépendance et désintéressement » et dont

le libellé est : « Le membre doit sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle. »

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l’activité professionnelle. Or, Barbier (1996) estime important de ne pas dissocier cette

dimension opératoire des phénomènes représentationnels (p. ex., objectifs, intentions, motifs,

projets) et affectifs (p. ex., plaisir, souffrance) qui accompagnent la pratique. Ces

phénomènes contribuent à orienter les conduites et se développent en « itération » avec elle.

Ils sont « indissociablement liés à l’image de soi, individuelle ou collective, au sein de cette

pratique » (Barbier, 1996, p. 34), ce qui apparaît fondamental au regard de notre

questionnement.

D’autre part, étudiée sous l’angle de la « pratique », l’activité professionnelle peut paraître

décontextualisée, comme s’il suffisait d’appliquer ces règles d’action – souvent dictées par

la théorie – pour arriver à ses fins. Cette vision applicationniste de l’activité professionnelle

fait abstraction des contraintes des situations de travail à la source de l’écart entre l’acte de

travail idéal (prescrit ou désiré) et ce que les praticiens arrivent à faire sur le terrain. C’est

pourquoi certains chercheurs, dont Nélisse (1997) et Perrenoud (2004), estiment qu’il est

préférable d’appréhender les pratiques en analysant le « travail » tel qu’il est effectué

réellement par des « travailleurs concrets ». Investiguer le travail effectif permet, selon eux,

de situer la pratique dans des ordres de contraintes autant organisationnelles

qu’institutionnelles, culturelles qu’historiques. Or, il apparaît primordial, lorsque l’on

s’intéresse à l’exercice de la profession de conseiller d’orientation en milieu scolaire, de tenir

compte qu’il s’agit d’une pratique réalisée dans une organisation. Elle est donc soumise à

une division du travail aux plans technique (p. ex., marge entre la conception et l’exécution,

degré de standardisation, contrôle), social (p. ex., division selon les catégories

professionnelles) et humain (p. ex., rapports hiérarchiques et horizontaux) dans une optique

de production d’un bien ou d’un service.

C’est pourquoi, pour éclairer la dimension « effective » des pratiques professionnelles en lien

avec les deux autres dimensions (prescrite et désirée), nous mettrons à profit un cadre

théorique et méthodologique qui pourra appréhender le « travail », défini comme :

l’ensemble des actes posés, l’agir existentiel d’un sujet humain, réalisé avec

d’autres, dans un contexte organisé pour modifier ou transformer un objet

matériel ou symbolique, pour produire une œuvre ou, dans le cas d’activités de

service, pour produire un effet sur d’autres sujets humains. (Rhéaume, 2006,

p. 20).

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Cette définition nous apparaît reprendre les éléments essentiels qui recouvrent notre

conception du travail : des actes, organisés / coordonnés (donc inscrits dans un ensemble

social) en vue de la transformation ou la production d’un objet ou d’un service. Nous nous

intéresserons notamment à l’organisation du travail dans une perspective critique de remise

en question de la séparation entre conception et exécution du travail. Pour ce faire, nous nous

attarderons, à l’aide de la théorie de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008), à

l’écart significatif entre le travail prescrit et le travail effectif, ce qui devrait nous permettre

« de mettre au jour à la fois les processus de création à l’œuvre dans la réalisation du travail

et les obstacles rencontrés par ce processus de création quand il est méconnu par les

concepteurs » (Molinier, 2008, p. 87). De même, nous mettrons à profit la théorie de

l’activité (Clot, 1999) pour explorer plus particulièrement l’écart entre ce que nous avons

appelé les « pratiques désirées » et les « pratiques effectives ». Avant de montrer comment

ces théories combinées peuvent apporter un éclairage de notre questionnement sur l’identité

professionnelle de métier et la souffrance au travail à travers des pratiques professionnelles,

voyons d’abord la posture épistémologique spécifique dans laquelle s’inscrivent ces deux

théories retenues, en l’occurrence la clinique du travail.

3.3. La clinique du travail : une posture pour « soigner le travail »

Une fois explorées les deux notions qui nous guideront dans la compréhension de la

souffrance au travail des conseillers d’orientation, il reste à montrer plus spécifiquement sous

quel angle nous souhaitons aborder ces deux notions. L’angle choisi s’inscrit dans la suite de

la problématisation du « désir de métier » proposée par Florence Osty (2002). Ainsi, nous

nous attarderons à l’expérience du travail comme source identitaire de métier, comme

expérience du soi professionnel. Pour ce faire, nous inscrirons notre positionnement dans une

« clinique du travail ».

Cette posture théorique, méthodologique, voire épistémologique, est fondée sur une position

clinique au sens d’« être au chevet de… ». Or, il ne s’agit pas ici d’être au chevet d’une

personne malade, comme le serait un médecin dans une clinique médicale, mais plutôt au

chevet du « travail », d’un travail possiblement malade. Il s’agit donc essentiellement de

« soigner le travail » pour restaurer un pouvoir d’agir (Clot, 2010) et rétablir un rapport

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subjectif et intersubjectif que les personnes et les collectifs entretiennent avec lui. La clinique

du travail est à la fois action de transformation et production de connaissances (Clot &

Lhuilier, 2010) sur un double objet d’investigation dans le travail : la souffrance et les

mécanismes pour y faire face ou pour y résister (Lhuilier, 2006). En ce sens, Clot reprend

une formule de Le Blanc (2007/2009) en affirmant que la clinique est « une sorte de

bienveillance dans le travail de restauration des capacités créatrices des sujets » (Clot, 2010,

p. 17).

Si la clinique du travail s’inscrit d’office dans un courant « historico-herméneutique »

(Dejours, 2008; Clot, 1999), elle se situe également dans le paradigme critique, puisqu’elle

considère que la construction des savoirs est non seulement située socialement et

historiquement, mais est également fondée sur des relations de pouvoir. Les recherches

effectuées dans ce paradigme ont, à cet effet, une visée émancipatoire. Ce type de méthodes

qui soutient l’« agir ensemble permet de s’engager dans des formes de coopération et

d’échange, de retrouver une répartition des places et des tâches, de se dégager de son histoire

propre pour assurer des activités qui rattachent aux autres et qui concernent le monde

commun. » (Lhuilier, 2010, p. 221). Lhuilier (2010) se montre toutefois prudente par rapport

à une perspective critique victimisante en clinique du travail puisque, selon elle, il ne s’agit

pas de « démontrer la force des processus de précarisation, domination, exclusion,

aliénation » (p. 222), mais plutôt de chercher, avec les sujets eux-mêmes, à comprendre et

éventuellement reconfigurer le sens de leur pratique et d’étudier quelles actions peuvent être

mises en place contre une interprétation sclérosante, y compris la leur, de la réalité (Lhuilier,

2010).

La clinique du travail trouve ses racines en psychopathologie du travail, en psychothérapie

institutionnelle, dans le courant d’ergonomie de langue française et la psychologie du travail.

Elle s’est développée notamment51 du côté de la psychodynamique du travail et de la clinique

51 Comme le soulignent Clot et Lhuilier (2010), la clinique du travail s’inspire et se développe à l’interface de

nombreuses disciplines, au-delà de la psychodynamique du travail et de la clinique de l’activité : psychologie

sociale clinique, clinique médicale du travail, ergonomie, et encore philosophie, sociologie et anthropologie,

pour en nommer quelques-unes.

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116

de l’activité (Clot & Lhuilier, 2010), c’est-à-dire les deux approches théoriques et

méthodologiques convoquées dans le cadre de ce projet de recherche doctorale.

3.3.1. La théorie de la psychodynamique du travail

La psychodynamique du travail est une approche ancrée dans une épistémologie

compréhensive qui tente de cerner la dynamique des processus psychiques mobilisés par la

confrontation de l’individu à une réalité de travail structurante ou déstructurante sur le plan

de l’identité, identité qui constitue l’« armature » de la santé mentale (Dejours, 2008; IPDTQ,

2006; Carpentier-Roy & Vézina, 2000). Plus spécifiquement, cette approche étudie le travail

sous l’angle de la dynamique entre plaisir, souffrance et stratégies défensives de métier.

En psychodynamique du travail, le plaisir et la souffrance sont directement liés aux

possibilités de structurer son identité, de trouver un sens pour soi. Le plaisir au travail est

une dimension individuelle dérivée du désir; il comprend la confiance, la reconnaissance, la

coopération, la solidarité, la convivialité (Dejours, 1988a). Il résulte, en effet, de la possibilité

de conjuguer son histoire singulière avec une organisation du travail structurante (Dejours,

1993). Lorsque l’organisation du travail n’offre aucun espace de contribution au travailleur,

ou lorsque cette contribution n’est pas reconnue, la souffrance augmente.

Comme nous l’avons spécifié, la souffrance constitue un « vécu subjectif intermédiaire entre

d’un côté la maladie mentale décompensée, de l’autre le confort (ou le bien-être) psychique »

(Dejours & Abdouchelli, 1990, p. 133). La souffrance désigne un espace de lutte psychique

entre le désir, ou une « attente par rapport à l’accomplissement de soi » (Dejours et Molinier,

dans Molinier, 2008, p. 60), et le réel qui fait obstacle. La souffrance se situe au point de

rencontre entre l’histoire du sujet et une situation de travail, source d’épreuve pour soi

(Dejours et Abdouchelli, 1990). Cette épreuve appelle le travail, nécessaire pour résoudre la

tension psychique. S’il y a possibilité de « travailler », i.e. utiliser son intelligence, son

ingéniosité, sa débrouillardise pour faire face au réel et résoudre cette tension, la souffrance

peut s’avérer créatrice et peut générer des bénéfices identitaires. Toutefois, lorsque « les

contraintes […] ne laissent plus aucune perspective de leur échapper » (Marché-Paillé, 2011,

p. 159), la souffrance devient « pathogène » puisqu’il devient nécessaire de la « tolérer », de

la supporter, de s’y résigner. Du malaise initial, elle prend alors la voie de la compensation

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par des stratégies de défense pour s’en protéger et risque éventuellement de prendre la forme

de la maladie.

Pour faire face à la souffrance, les travailleurs mettent en place des stratégies défensives.

Selon Dejours et Abdoucheli (1990), les stratégies défensives constituent un processus

d’adaptation, de sélection, d’automatismes mis en place par un sujet pour contenir l’angoisse,

pour endiguer la souffrance engendrée par les effets néfastes du travail. Elles réfèrent

paradoxalement à un élément d’intentionnalité (stratégies) tout en relevant d’un « impensé

collectif » (défense)52. Elles permettent à celui ou celle qui se défend de mieux tolérer la

souffrance. Elles jouent ainsi un rôle conservateur du fonctionnement psychique et aussi de

la contrainte dont les effets pathiques sont assourdis (anesthésie) (Dejours, 2008). En

répondant ainsi à certaines prescriptions organisationnelles et professionnelles, l’individu

peut rester « normal » et continuer à travailler durant une certaine période de temps.

Toutefois, la cristallisation de ces défenses dans des conduites à risques (p. ex.,

l’hyperactivité, la surconsommation de drogues ou d’alcool) peut entraîner l’individu dans

une spirale descendante vers des pathologies du travail, comme l’épuisement professionnel

ou la dépression. Bref, la psychodynamique du travail étudie, d’une part, ce qui est pathogène

dans l’organisation du travail, que ce soit sur le plan de la division technique ou humaine du

travail, et d’autre part, la manière dont les personnes et les collectifs font face à la souffrance

générée.

Voyons maintenant comment la psychodynamique du travail se positionne en rapport aux

notions plus spécifiques à l’étude dans le cadre de cette recherche, soit les concepts d’identité

professionnelle de métier et de pratique professionnelle.

52 À la différence des stratégies d'ajustement, les stratégies défensives ne sont pas mises en place de façon

pleinement consciente.

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3.3.1.1. Comment le concept d’identité professionnelle de métier peut-il être éclairé par la

théorie de la psychodynamique du travail?

L’identité occupe une place centrale dans la théorie de la psychodynamique du travail

(Dejours, 2008). Elle constitue en fait l’« armature de la santé mentale ». Malgré ce que peut

laisser penser le terme « armature », l’identité n’est cependant pas un état stable sur lequel

repose la santé mentale; elle est plutôt l’objet d’une conquête d’acquis identitaires élaborés

au fil du temps dans l’épreuve du travail au quotidien. Appuyant sa théorisation de l’identité

sur le triangle de Sigault, Dejours (2008) estime que l’identité découle d’un rapport étroit

entre les trois pôles de ce triangle « ego-réel-autrui »; l’isolement ou le détachement d’un de

ces trois pôles trace, à l’inverse, la voie vers l’aliénation et la folie. Face à cette menace

d’aliénation, le sujet lutte pour arriver à faire reconnaître par autrui son expérience ou son

action sur le réel. Citons ici Molinier (2008) pour illustrer plus précisément la définition de

l’identité en psychodynamique du travail :

L’identité est donc cette partie du sujet qui n’est jamais définitivement stabilisée

et qui nécessite une confirmation réitérée chaque jour, sans laquelle peut survenir

une crise – d’identité – au cours de laquelle le sujet ne parvient plus à se

reconnaître lui-même et sent sa propre continuité menacée. (Molinier, 2008,

p. 132)

Selon la psychodynamique du travail, l’identité est le support nécessaire pour penser cette

« imprédictibilité du devenir du sujet » (Molinier, 2008, p. 132) en termes de cohésion et de

cohérence du soi à travers le temps, tout en permettant d’intégrer les transformations qui

surviennent.

Cette conception de l’identité reprend les deux significations de l’identité personnelle selon

Paul Ricœur avec l’identité-idem et l’identité-ipse. D’un côté, l’identité-idem pose la

problématique de la permanence du « même » dans le temps, de ce que Ricœur (1990) appelle

le caractère. De l’autre, l’identité-ipse s’exprime en terme de permanence du soi dans le

temps, de promesse de maintien du soi dans le temps, de fidélité à soi-même, de la parole

tenue. Ricœur (1990) illustre bien ces deux volets dans la citation qui suit : « Une chose est

la persévération du caractère; une autre, la persévérance de la fidélité à la parole donnée. Une

chose est la continuation du caractère; une autre, la constance dans l’amitié. » (Ricœur, 1990,

p. 148).

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Pour la psychodynamique du travail, cette conquête de l’identité se situe certes dans le champ

érotique (de l’amour), mais aussi dans le champ social, par le travail (Dejours, 2009). Et c’est

dans ce champ d’objectivation de l’identité que la psychodynamique du travail inscrit son

investigation. La théorie ne s’intéresse pas seulement aux identifications, aux « autres

internes », mais plutôt aux « autres externes », de qui chacun dépend pour la « confirmation

réitérée » de l’identité à travers le travail (Molinier, 2008). La construction de l’identité en

psychodynamique du travail passe donc par une psychodynamique de la reconnaissance des

« autres significatifs ».

À l’inverse du déni de la réalité, la reconnaissance (de l’employeur, du public, des pairs) est

un constat que les efforts déployés, pour faire face aux impasses du travail, sont remarqués

et appréciés (Maranda, 1999). La reconnaissance, en psychodynamique du travail, s’appuie

sur deux types de jugement : le jugement d’utilité au regard de l’accomplissement de la

mission de l’organisation, porté par la hiérarchie, ou de la finalité de la pratique

professionnelle en soi, porté par les bénéficiaires; et le jugement de beauté au regard des

règles de métier, en termes de respect de la tradition (appartenance) et d’innovation

(singularité), porté dans ce cas par les professionnels du même métier, qui connaissent les

règles de l’art (Carpentier-Roy, 1995). La construction de l’identité en psychodynamique du

travail passe donc d’abord par le travail en tant qu’expérience du réel et, dans un deuxième

temps, par un effort pour faire reconnaître ce travail dans l’agir communicationnel (Molinier,

2008). La reconnaissance porte sur le « faire », sur le travail, et non sur l’être, la personne.

C’est à travers ces jugements que peut se construire l’identité dans ses deux volets : la

singularité, ce qui fait qu’une personne est unique, et l’appartenance, qui rattache la personne

à ses groupes de référence dans le champ social.

Si ce deuxième volet de l’identité prend une place importante dans la théorie de la

reconnaissance, les chercheurs en psychodynamique du travail se sont longtemps tenus loin

de la notion d’identité sociale, collective, et, par conséquent, professionnelle. La

psychodynamique du travail s’inspire en même temps qu’elle se démarque de la notion

d’identité sociale, telle que conçue en sociologie, selon Molinier (2008). Toutefois, la

psychodynamique du travail a fait le choix théorique de considérer la notion d’identité dans

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sa dimension « personnelle »53. Par conséquent, si l’identité constitue l’armature de la santé

mentale pour la théorie de la psychodynamique du travail, c’est au sens d’une expérience

singulière dans un espace collectif, comme l’est d’ailleurs l’expérience de la souffrance et du

plaisir (Dejours, 1995a).

La notion d’identité professionnelle a donc été peu mobilisée en psychodynamique du travail.

Nous proposons, dans le cadre de cette recherche doctorale, d’explorer le potentiel

heuristique de cette notion, telle que définie précédemment en lien avec l’exercice d’un

métier, au regard de ses liens avec les pratiques professionnelles et la souffrance au travail.

Selon nous, il y a dans la théorie de la psychodynamique, des concepts tout à fait pertinent

pour explorer et comprendre comment se joue l’identité professionnelle de métier dans le

travail et son rôle dans la dynamique plaisir / souffrance / stratégies défensives. Prenons

quelques lignes pour entrevoir ce potentiel.

Dans sa théorie de la reconnaissance, la psychodynamique du travail a mis beaucoup

d’importance sur le collectif de travail, comme contributeur au jugement de beauté. De fait,

les membres d’un collectif de travail partagent ce qui nous apparaît comme étant les deux

conditions essentielles pour qu’il puisse y avoir un jugement de beauté : la connaissance des

« règles de l’art » et la connaissance du « travail réel » au sein d’une organisation du travail.

Toutefois, ce positionnement soulève plusieurs questions : peut-il exister des « règles de

métier » (« règles de l’art ») au sein de professions qui, historiquement, ne travaillent pas en

« collectif de travail »? Peut-il y avoir l’équivalent d’un « jugement de beauté » entre

membres d’une même profession, malgré une organisation du travail et un travail réel qui

soient dissemblables, voire les séparent ou les isolent dans des espaces géographiques

différents ou éloignés? Il nous apparaît que le concept d’identité professionnelle de métier,

conjointement avec celui de « pratique professionnelle » (nous reviendrons sur ce concept

ci-après), pourrait permettre d’investiguer ces questions chez les conseillers d’orientation

travaillant dans des écoles.

53 Molinier (2008) rapporte d’ailleurs que, dans les années 1980, Dejours avait reproché à Sainsaulieu sa notion

d’« identité professionnelle », notion qui faisait impasse selon lui sur la singularité du sujet.

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Une enquête de psychodynamique du travail de Maranda et ses collaborateurs (2006)

effectuée non pas auprès d’une organisation spécifique, mais au sein d’un corps professionnel

– les médecins – a montré la portée heuristique et pratique de l’utilisation du concept

d’identité professionnelle, à travers la référence à trois pôles qui encadrent leur activité : des

normes et des exigences professionnelles, des attentes de la société et un idéal vocationnel.

Les chercheurs ont pu repérer, à travers la socialisation et la formation professionnelle des

participants, que certaines conditions favorisent l’émergence d’une idéologie défensive de

métier dans le travail des médecins54. De fait, une des contributions de la psychodynamique

du travail est d’avoir mis au jour le caractère parfois « collectif » – dans ce cas-ci

professionnel – des stratégies de défense. La psychodynamique du travail peut apporter, à cet

effet, un éclairage fort intéressant sur la compréhension de l’identité professionnelle de

métier.

Il est fondamental de nous attarder à ce stade-ci à la constitution de l’essence du métier : les

savoir-faire professionnels. C’est dans ce sens qu’une recherche de Molinier (2008) auprès

des infirmières a abordé la problématique de l’identité professionnelle. Chez ces

professionnelles de la santé, c’est la technique qui leur a permis de construire et de légitimer

leur métier.

Pour ces femmes (en majorité), faire la promotion de leur identité professionnelle

ne signifiait pas vouloir devenir toutes semblables en adhérant à une identité

défensive qui viendrait se substituer à la singularité des individues (sic). La

problématique de l’identité professionnelle rend compte de la nécessité, pour ces

nouveaux métiers, de devoir simultanément constituer une éthique, des

techniques, des règles de métier partagées et de devoir justifier leur utilité sociale.

(Molinier, 2008, p. 257-258)

Molinier (2008) fait référence à la nécessité, pour certains métiers, de « justifier l’utilité

sociale » de leur communauté de métier par des actes professionnels. De fait, elle constate

que certaines professions ont plus de difficultés à se faire reconnaître dans la constitution de

leur identité professionnelle, notamment celles qui se différencient difficilement du

bénévolat ou de formes de soutien social plutôt naturel (p. ex., l’écoute prodiguée par des

54 En l’occurrence, chez les médecins, il s’agissait de l’idéologie défensive de l’endurance.

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parents ou des amis face à un vécu pénible, ou encore des conseils donnés par des amis à

propos de la recherche d’emploi). Ce constat de Molinier sur la difficulté de certains métiers

à se faire reconnaître une utilité sociale s’inscrit dans la même perspective que la thèse de

Darré (1999) à l’effet que les savoir-faire spécifiques, les compétences, ont une valeur cadrée

socialement. Il apparaît que la profession de conseiller d’orientation se situe dans cet ordre

de difficulté, à faire reconnaître socialement son utilité sociale, malgré qu’elle soit dûment

inscrite depuis près de cinquante ans dans le système professionnel et le système d’éducation

québécois, comme nous l’avons vu précédemment.

Cet enjeu de la reconnaissance d’un groupe social est abordé de front par la théorie critique

de Honneth, avec laquelle la psychodynamique du travail entretient des affinités évidentes55.

Selon l’analyse de Renault (2007), le travail constitue, pour Honneth, un théâtre de lutte entre

différents groupes pour faire valoir l’utilité sociale de sa contribution : c’est par le travail que

l’utilité sociale de nos compétences peut être démontrée. C’est ainsi que cette forme de

reconnaissance dépend de l’insertion de son métier dans la division sociale du travail.

Comme on le sait, ce qui est en jeu dans le travail, ce n’est pas seulement la réalité

du travail et son utilité pour l’entreprise, mais aussi la compétence et l’utilité

sociale, ces derniers éléments définissant l’identité professionnelle ou de métier.

(Renault, 2007, p. 135)

Si l’on suit Renault (2007) dans sa critique de Honneth à partir d’un point de vue de

psychodynamique du travail, il faut toutefois tenir compte non seulement de la division

sociale du travail, mais aussi de sa division technique qui conditionne beaucoup plus

directement les possibilités de faire reconnaître ou non ses compétences et d’en tirer des

bénéfices sur le plan identitaire. Par division technique, nous entendons la manière dont le

travail est divisé au sein d’une organisation afin que celle-ci puisse arriver à répondre à sa

mission. Elle peut se formaliser par exemple dans les dispositions des contrats de travail

(description de fonction, liste de tâches, etc.).

En somme, compte tenu de la centralité de l’identité dans la théorie de la psychodyamique

du travail et des ressources conceptuelles qu’elle fournit pour comprendre le sentiment

55 Voir le dossier spécial, sur la reconnaissance, de la revue Travailler, 18(2).

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d’appartenance à une collectivité (p. ex., règles de métier, collectif de travail,

psychodynamique de la reconnaissance), cette approche nous apparaît tout à fait pertinente

pour éclairer le rôle de l’identité professionnelle de métier dans la dynamique de souffrance

au travail des conseillers d’orientation en milieu scolaire. Or, pour ce faire, on ne peut faire

l’impasse de la théorisation du travail en tant qu’activité singulière et collective au fondement

de l’identité de métier.

3.3.1.2. Comment la pratique professionnelle peut-elle être éclairée par la théorie de la

psychodynamique du travail?

La psychodynamique du travail porte son regard principalement sur l’« expérience du

travail », sur le travail « vécu », sur le « travailler » pour reprendre l’expression de Christophe

Dejours. Reprenant la distinction issue de l’ergonomie entre le travail « prescrit » et le travail

« effectif », la psychodynamique s’intéresse particulièrement à « l’activité déployée par les

hommes et les femmes pour faire face à ce qui n’est pas déjà donné par l’organisation

prescrite du travail » (Davezies, 1991, dans Dejours, 2008). Aussi, dans cette perspective, il

s’agit de repérer ce qui est mis en place par les travailleurs pour « contribuer » au travail

comme activité de production.

Travailler, qu’il s’agisse d’une activité salariée ou bénévole, domestique ou

professionnelle, de manœuvre ou de cadre, du public ou du privé, industrielle ou

de service, d’agriculture ou de commerce, travailler c’est mobiliser son corps,

son intelligence, sa personne, pour une production ayant valeur d’usage.

(Dejours, cité dans Molinier, 2008, p. 87-88)

Ce concept de travail est issu de la clinique du travail, au sens d’« être au chevet de… » : on

peut voir, sentir, entendre le travailleur à travers une telle définition. C’est un travail

« vivant » pour reprendre l’expression de Dejours (2009), qui passe par la subjectivité et

l’intersubjectivité s’opérationnalisant dans des activités concrètes, des manières de faire

subtiles qui ne peuvent se comprendre d’un point de vue plus macroscopique. Dejours (2009)

décrit finement ce dont il est question :

Pour nous, à partir du regard clinique, le travail c’est ce qu’implique, du point de

vue humain, le fait de travailler : des gestes, des savoir-faire, un engagement du

corps, la mobilisation de l’intelligence, la capacité de réfléchir, d’interpréter et

de réagir à des situations, c’est le pouvoir de sentir, de penser et d’inventer, etc.

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En d’autres termes, pour le clinicien, le travail ce n’est pas en première instance

le rapport salarial ou l’emploi, c’est le « travailler », c’est-à-dire un certain mode

d’engagement de la personnalité pour faire face à une tâche encadrée par des

contraintes (matérielles et sociales). (Dejours, 2009, p. 20)

Ce n’est donc pas le travail-objet, contractualisé dans un temps de travail précis, qui intéresse

la psychodynamique du travail, mais les processus humains, subjectifs, et souvent invisibles

qui le composent : « les efforts, l’ingéniosité, les souffrances ne se voient pas » (Molinier,

2008, p. 88). Or, ce sont ces processus qui constituent les ressorts de ce qu’elle appelle les

« trois pouvoirs du travailler : transformer le monde, objectiver l’intelligence, transformer le

sujet » (p. 88).

Les enquêtes de psychodynamique du travail ont permis de procéder à un renversement

épistémologique du travail par rapport aux sciences de l’ingénieur, pour lesquelles le travail

est conçu par certains et exécuté par des machines au mieux, des humains au pire. Au

contraire des sciences de l’ingénieur, pour qui le facteur humain (Dejours, 1995b) est la

source de l’erreur dans les procédés de production, la psychodynamique du travail a montré

que c’est précisément l’intelligence déployée dans le travail humain ordinaire qui permet de

maintenir la production et d’éviter les catastrophes. Dejours (1993) réfère à cette intelligence

comme une intelligence « rusée » qui a six caractéristiques : elle est enracinée dans le corps;

le résultat est plus important que le chemin pour y arriver; elle est présente dans toutes les

tâches et activités de travail; elle a un pouvoir créateur, et de subversion; elle est répartie

entre les hommes, tant qu’ils ont « assez de santé ». Comme il le souligne :

Le cheminement de la pensée est un fait capital, mais il se moque de la rigueur.

Ici règnent le bricolage, le bidouillage, la tricherie, l’espièglerie, l’astuce. La

justification, l’explication, l’élucidation, la légitimation, l’analyse

n’interviennent que dans l’après-coup de la réussite. L’expérience précède le

savoir. (Dejours, 1993, p. 53)

Cette intelligence « rusée », ou intelligence pratique, est une intelligence collective aussi. Les

« trouvailles » individuelles peuvent, s’il y a présence d’un espace public de délibération sur

le travail réel, se transmettre au sein d’un collectif, puis d’un métier (Dejours, 1993). La

trouvaille acquiert le statut de « technique » lorsqu’elle est incorporée dans les règles de

métier (Molinier, 2008).

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Quant aux règles de métier, elles se situent à la fois dans les registres social, technique,

langagier et éthique. Elles constituent le résultat d’accords normatifs, certes, mais elles ne

sont pas prescrites ou inculquées ipso facto. Elles sont plutôt élaborées, réinterprétées,

modifiées quotidiennement par le collectif de travail, qui est le meilleur juge de ce qui est

« valide, correct, juste ou légitime » (Molinier, 2008, p. 113), compte tenu des circonstances,

des aléas de la production, de l’inattendu, de la panne, etc. Ces règles de travail résultent de

discussions et arbitrages entre gens de métier et déterminent les manières acceptables de faire

le travail, en termes de ce qui est juste ou bien de faire (Vézina, 1999). C’est grâce à ces

règles de métier que l’on peut « reconnaître » une femme ou un homme de métier par cette

incorporation de certains « tours de main » particulièrement réussis.

En somme, les règles de métier ont été étudiées essentiellement dans le cadre de collectifs de

travail, au sens précis du terme. En psychodynamique du travail, il existe un collectif de

travail lorsque plusieurs concourent à une œuvre commune dans le respect de règles

intériorisées et transmises (Carpentier-Roy, 1989; Cru, 1988). La présence d’un collectif de

travail implique une coopération découlant de la confiance, du respect et de l’estime des

autres (Vézina, 1999). Étant donné le caractère construit et évolutif de ces règles, le collectif

de travail découle nécessairement d’une expérience commune d’une certaine durabilité qui

entraîne une cohésion contre la menace extérieure ou intérieure (Maranda & Leclerc, 1997).

Il constitue donc une communauté d’appartenance source d’identification et de

reconnaissance sociale (Maranda, Vézina, Gilbert & St-Arnaud, 2006).

Dans la foulée des questions soulevées plus tôt en ce qui concerne le travail des conseillers

d’orientation, peut-on penser qu’il soit possible de repérer des « règles de métier » hors d’un

« collectif de travail » œuvrant au sein d’une même organisation, mais plus largement à

l’intérieur d’une profession? Si oui, dans quelles conditions? Et comment se situeraient ces

« règles de métier » par rapport aux « règles d’action » d’une pratique professionnelle régie

par différentes instances (p.ex., l’Ordre professionnel des conseillers d’orientation) qui

prescrivent ce que doivent être ces « règles d’action »?

Si les enquêtes de psychodynamique du travail traitent spécifiquement du travail à partir d’un

regard clinique, elles sont souvent commandées dans un contexte où les gens vivent une

souffrance importante au travail, souffrance qui prend une telle place qu’il est difficile

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d’entrer rapidement dans le cœur du travail au quotidien. Ce fut le cas de l’enquête menée en

milieu scolaire (Maranda & Viviers, 2011) au cours de laquelle il fut difficile d’avoir accès

à la manière dont les professionnels de l’éducation « font » leur travail. Derrière la plainte,

on perdait alors les spécificités professionnelles liées à leur pratique effective, spécificités

qui auraient permis de saisir comment le travail, comme activité, est contributoire ou non à

la structuration de l’identité professionnelle de métier. C’est pour cette raison que nous

proposons de mettre à profit, chez les conseillers d’orientation sujets de cette thèse, la théorie

de l’activité dirigée développée par Clot (1999), qui se centre sur la recréation d’un « chœur

de métier », pour reprendre son expression, d’un travail de métier vivant.

3.3.2. La théorie de l’activité dirigée

La théorie de l’activité dirigée (Clot, 1999) s’inscrit, comme la psychodynamique du travail,

dans la poursuite des travaux fondateurs de la psychopathologie du travail (p. ex., Le

Guillant, Sivadon, Veil, voir Billiard, 2001), mais s’inspire plus directement, dans son cas,

des travaux de Tosquelles en psychothérapie institutionnelle, qui selon Clot (2010) a donné

« ses lettres de noblesse à l’activité pratique comme ressort de la vie mentale » (p. 14).

D’aucuns pourraient exprimer des réserves quant à l’incidence de l’activité pratique, prise

comme mouvement opératoire, sur la santé mentale. Clot (2010) cite Tosquelles (2009, p. 47)

pour exprimer la différence nette entre « activité » et « affairement » :

[…] il ne faut pas confondre le concept d’activité avec la simple prestation de

mouvements, voire d’efforts consentants d’application et d’endurance, soumis au

désir du maître d’école ou du maître d’œuvre […]. Activité veut dire activité

propre : activité qui part et s’enracine dans le sujet actif pour s’épanouir le cas

échéant, dans un contexte social. (Clot, 2010, p. 14).

Pratique ou psychique, l’activité est ce que font les hommes56, individuellement et

collectivement, pour transformer la « nature » en « monde », ou dit autrement, c’est ce qui

permet à l’homme de s’adapter en adaptant le contexte pour le faire sien, pour l’humaniser

(Clot, 2010). Lorsque cette possibilité de « produire du contexte pour exister » est menacée,

56 Au sens générique d’humain.

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127

ou lorsqu’il y a « amputation du pouvoir d’agir » des sujets sur leur activité, l’activité s’en

trouve désaffectée, le sujet diminué, et le monde désœuvré (Clot, 2006). Clot (1999) s’appuie

d’ailleurs sur Ricœur (1990) pour définir la souffrance comme un empêchement du pouvoir

d’agir. C’est pourquoi la clinique du travail qu’il propose – appelée clinique de l’activité –

vise la restauration du pouvoir d’agir des travailleurs sur leur activité et, plus précisément,

« une prise en charge de leur métier par ceux qui le font » (Clot, 2010, p. 23).

Pour ce faire, Clot (2010) suggère une « clinique du travail bien fait ». Il ne s’agit évidemment

pas « d’aboutir à la sacro-sainte “bonne pratique” derrière laquelle il faudrait se ranger en

file indienne » (Clot, 2010, p. 23), mais plutôt de mettre en place un cadre qui permet de

rendre le travail bien fait justement « discutable ». Citons encore Clot (2010) sur la nécessité

de la discussion sur le métier pour « soigner le travail » et entretenir ainsi la santé au travail :

« […] la meilleure façon de défendre le métier, c’est encore de s’y attaquer en cultivant les

affects et les techniques qui le gardent vivant. C’est en tout cas la voie la moins mauvaise

que nous avons trouvée pour réhabiliter le collectif. » (p. 24). Pour réhabiliter la vitalité

collective d’un métier, il apparaît nécessaire de passer par un certain déplaisir lié à la mise

en délibération des manières de faire différentes souvent maintenues sous silence par des

discours « autorisés ». Ces « accords de façades » peuvent en apparence protéger un groupe,

comme agrégat d’individus, en permettant de passer les tricheries sous silence, mais ils

nuisent à la construction et au maintien d’un collectif réel, empreint de relations de confiance

(Clot, 2010). Cette discussion sur le métier est d’ailleurs le meilleur moyen de pouvoir

critiquer l’organisation du travail, selon Clot (2010). Nous aurons l’occasion de discuter de

cette question dans le cadre de ce projet de recherche.

On voit que le rapport au métier est fondamental dans la théorie de l’activité de Clot (2010).

Nous y reviendrons plus en détail un peu plus loin pour le mettre en rapport avec la question

de l’identité professionnelle de métier, mais attardons-nous d’abord à une définition plus fine

de la notion d’activité et voyons comment elle peut éclairer la notion de pratique

professionnelle.

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128

3.3.2.1. Comment la pratique professionnelle peut-elle être éclairée par la théorie de

l’activité?

Soyons clair d’emblée : Clot n’aborde pas, à notre connaissance, la question de la « pratique

professionnelle » en tant que telle. Par contre, comme nous venons de le montrer, il accorde

une grande importance au métier dans la régulation de l’activité de travail.

Dans l’analyse du travail, Clot (1999) s’attarde spécifiquement à l’activité puisqu’il la

conçoit comme l’unité élémentaire d’analyse. Pour cet auteur, l’activité ne se limite pas à sa

dimension opératoire, dirigée vers « l’objet », comme nous l’avons précisé ci-haut; en

situation réelle, elle est triplement dirigée. D’une part, l’activité est certes dirigée vers un

objet, à travers un objet, pour transformer la « nature » en « monde ». D’autre part, l’activité

est dirigée vers soi, sur soi, par soi, pour faire prévaloir à l’activité un sens pour son existence

personnelle (Clot, 1999). Enfin, l’activité est dirigée vers les autres, vers leurs activités, mais

aussi par leurs activités. « L’activité de travail leur est adressée après avoir été destinataire

de la leur et avant de l’être à nouveau. Elle est toujours réponse à l’activité des autres, écho

des autres activités. Elle prend place dans une chaîne d’activités dont elle forme un maillon. »

(Clot, 1999, p. 98) L’activité s’inscrit ainsi dans ce que Clot (1999) appelle un « genre »,

concept sur lequel nous reviendrons ci-après pour éclairer l’identité professionnelle de métier

à partir de cette théorie.

Une dernière caractéristique de l’activité apparaît fondamentale dans la théorie de Clot

(1999) et nous soutiendra dans la constitution de notre modèle conceptuel : le « réel de

l’activité »57 ne se limite pas à ce qui est « réalisé », à ce qui est fait concrètement, il

comprend aussi ce qui aurait pu ou dû se faire. Ainsi, Clot (1999) distingue non seulement le

travail prescrit du travail effectif, mais soutient l’importance de s’attarder au « réel de

l’activité ». Voici comment il exprime ces distinctions :

[…] le réel de l’activité, c’est aussi ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas

faire, ce qu’on cherche à faire sans y parvenir – les échecs – ce qu’on aurait voulu

ou pu faire, ce qu’on pense ou qu’on rêve pouvoir faire ailleurs. Il faut ajouter –

57 Compte tenu de l’aspect potentiellement ambigu de cette expression utilisée par Clot, nous la placerons

systématiquement en guillemets pour respecter la pensée de l’auteur tout en évitant la mystification.

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paradoxe fréquent – ce qu’on fait pour ne pas faire ou encore ce qu’on fait sans

vouloir le faire. Sans compter ce qui est à refaire. (Clot, 1999, p. 119)

Ainsi, pour restaurer le pouvoir d’agir aux membres d’une communauté professionnelle et

redonner une vitalité à l’activité, il est nécessaire de « rapatrier le possible et l’impossible

dans le réel » (Clot, 1999, p. 120). Cette proposition nous paraît particulièrement porteuse

pour appréhender une dimension de notre objet de recherche, à savoir la tension qui peut

exister entre les pratiques professionnelles « désirées » et « effectives ». En se servant du

groupe de pairs pour déployer le « réel de l’activité » à partir d’une description de l’« activité

réalisée » (effective), il y a à la fois possibilité de prendre conscience des contraintes qui

empêchent d’« être qui je veux être » comme professionnel et, potentiellement, d’agir en

conséquence pour reconquérir son identité professionnelle de métier dans l’organisation du

travail.

3.3.2.2. Comment le concept d’identité professionnelle de métier peut-il être éclairé par la

théorie de l’activité?

Pour Clot (2010), l’activité est le trait d’union entre le sujet et le collectif, celui-ci servant de

« répondant » à celui-là. Elle s’inscrit « dans une histoire qui n’est pas seulement celle des

sujets concernés, mais celle d’un “métier” qui n’appartient à personne en particulier, mais

dont chacun est pourtant comptable » (Clot, 2006, p. 167). Cette histoire, Clot (2006) la

désigne comme une « mémoire transpersonnelle » qui constitue un « genre professionnel »,

une des quatre dimensions du métier selon cet auteur. Les trois autres dimensions sont : le

personnel, désignant l’intime, l’incorporé du métier; l’interpersonnel, désignant ceux à qui

est « destiné » le travail; l’impersonnel, désignant la tâche prescrite qui suppose que chacun

est interchangeable par un autre (Clot, 2006).

Le genre professionnel peut constituer, à nos yeux, un ressort important de l’identité

professionnelle de métier puisqu’il permet de situer, dans l’activité, ce qui est de l’ordre de

la singularité et de l’appartenance. C’est en se référant au genre professionnel que chacun

peut dire qu’il est « unique en son genre » (Clot, 2006). Le genre professionnel rend compte

de la dimension « transpersonnelle » du métier qui agit comme contrainte structurante, à

partir de laquelle on peut comprendre la souffrance identitaire. Il représente un « patrimoine »

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130

de faits et gestes relatifs à une collectivité de métier, qui définit « les frontières mouvantes

de l’acceptable et de l’inacceptable dans le travail » (Clot, 1999, p. 43). Le genre

professionnel s’intercale entre l’organisation du travail et le sujet lui-même et permet un

certain réaménagement de la tâche de manière à ce que le sujet puisse réussir à travailler

malgré les contraintes en place. En ce sens, on pourrait dire que le genre professionnel

constitue un patrimoine de « règles de métier » opérantes, pour reprendre les termes de la

psychodynamique du travail. Clot et Faïta (2000) résument bien son caractère structurant :

« [les genres] marquent l’appartenance à un groupe et orientent l’action en lui offrant,

en dehors d’elle, une forme sociale qui la représente, la précède, la préfigure, et, du

coup, la signifie. Ils désignent des faisabilités tramées dans des façons de voir et

d’agir sur le monde considérées comme justes dans le groupe des pairs à un moment

donné. » (p. 14)

Le genre professionnel est un système souple et évolutif (stabilité transitoire) de

repères qui permet de se retrouver dans le monde et de savoir agir (et s’abstenir d’agir)

en situation.

Ces repères sont à la fois techniques et langagiers. Ils sont généralement implicites,

incorporés, et donc parfois difficilement explicitables.

Le genre professionnel soutient l’« évaluation » mutuelle de ceux qui s’y inscrivent

et permet ainsi aux uns et aux autres de se reconnaître et de se distinguer dans ce

qu’ils font.

Bref, la mémoire transpersonnelle que constitue le genre professionnel offre des possibilités

d’inscrire son travail dans une histoire autre que son histoire personnelle : dans celle d’un

métier. Ce patrimoine de faits et gestes du métier transcende en même temps qu’il se nourrit

des autres dimensions du métier : l’impersonnel (p.ex., le métier tel qu’il est prescrit),

l’interpersonnel (p.ex., le métier tel que ses proches collègues l’exercent) et le personnel

(p.ex., le métier in-corporé, intime). Au fil du temps et de l’expérience, chaque sujet

développe ses propres manières de faire face au réel, là où l’impersonnel, l’interpersonnel et

même le transpersonnel échouent à le faire : « Pour répondre aux convocations du réel où se

marient l’impossible et le possible, il faut qu’il puisse poursuivre l’histoire du métier [le

genre] dans sa propre activité, par sa propre activité. » (Clot, 2008, p.264).

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Ainsi, parmi le générique, chacun peut trouver un « style » qui lui est propre. Sans être un

invariant psychologique, le style constitue pour le sujet un espace d’ajustement en cours

d’action face aux imprévus du travail, espace qui lui permet de « signer » la qualité du travail

(Clot & Faïta, 2000). Adressé au collectif, le style vivifie le genre en le poussant dans ses

retranchements (Clot, 1999). En ce sens, l’activité permet à la fois de poursuivre l’histoire

du genre professionnel, que le sujet peut faire sienne ou non, précisément en y mettant du

sien (Clot, 2006). Par ailleurs, « la non-maîtrise du genre et de ses variantes interdit

l’élaboration du style. Prendre des libertés avec les genres implique une fine appropriation

de ces derniers. » (Clot & Faïta, 2000, p. 15). En bref, le style permet l’expression de la

singularité du sujet, mais ne peut être pensé indépendamment du genre.

À travers les dispositifs de la clinique de l’activité, qui consistent à générer des discussions

sur le métier, le « réel de l’activité » peut être exploré et développer ainsi une multiplicité de

possibles et d’impossibles du genre professionnel (Clot, 2006). Fernandez et Malherbe

(2007) illustrent bien ce principe dans un écrit rapportant des résultats d’une clinique de

l’activité par autoconfrontation croisée menée auprès de conseillers-d’orientation-

psychologues (c. o.p.) en France. Une première c. o.p. commente un entretien réalisé avec un

élève pour se rendre compte, au fil de la conversation avec le clinicien, qu’elle avait « raté »

cet entretien. Puis, dans une rencontre subséquente avec le clinicien et une deuxième c. o.p.,

cette dernière décrit ce qu’elle aurait fait différemment dans la même situation d’entretien.

La discussion prend alors pour point focal l’activité et les deux collègues en arrivent à définir

ce qui « aurait dû » être fait dans ce genre de situation. Enfin, les rôles sont inversés et

l’activité d’entretien de la deuxième c. o.p. est analysée à partir des critères élaborés au fil du

dispositif, qui expriment le genre professionnel. Fernandez et Malherbe (2007) montrent

ainsi comment le dispositif a permis de déployer la richesse de l’activité et de vivifier le

métier.

On voit dans cet exemple comment l’activité réalisée de l’un, prise comme un des possibles,

est reprise par l’autre et ainsi de suite, liant et déliant genre et style professionnels. « À force

de passer de main en main et de bouche en bouche, l’activité répétée prend une dimension

générique qui fait “parler le métier” entre les sujets et en chacun d’eux […]. » (Clot, 2006,

p. 170). L’activité dialogique démultipliée permet ainsi de constituer un « chœur de métier »,

pour reprendre cette expression de Clot (2006), et ainsi de développer le pouvoir d’agir des

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professionnels (qui repose sur une identité professionnelle de métier conscientisée) à la fois

sur « l’architecture d’ensemble de leur métier », mais aussi sur l’organisation du travail. Clot

(1999) définissant la souffrance comme l’empêchement d’agir en participant au façonnement

du monde, cela laisse entrevoir dans l’analyse de l’activité de possibles bénéfices non

seulement sur le plan identitaire, mais aussi sur le plan de la santé mentale.

3.4. Modèle conceptuel : dynamique de souffrance identitaire de métier

Étant donné l’ampleur de l’appareillage théorique convoqué dans le cadre de notre recherche,

le défi est de construire un modèle conceptuel intégré. De même, le lecteur aura compris qu’il

ne s’agit pas de tester des liens statistiques entre des variables. Ainsi, comme le souligne

Dejours (2008), dans ce type de recherche, comme le suppose une enquête de

psychodynamique du travail, c’est l’ensemble de la théorie qui est confrontée par le réel de

la recherche et constamment remise en question. La figure 1 tente de rendre compte le plus

justement possible de la complexité des relations entre les dimensions traitées du problème

jusqu’à maintenant. Le modèle est expliqué après la présentation de la figure.

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133

Figure 1

Modèle conceptuel intégré de la dynamique de souffrance identitaire de métier des c.o. en milieu scolaire

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134

Tel que le conçoit notre approche théorique, la souffrance identitaire de métier se joue dans

le réel de la pratique. Suivant la théorie de l’activité dirigée et celle de la psychodynamique

du travail, nous nous intéresserons à quatre dimensions de la pratique professionnelle. Au

pourtour de la pratique existe d’une part des prescriptions professionnelles provenant des

instances qui structurent la profession et contribuent à la socialisation et à la régulation

professionnelles. D’autres prescriptions proviennent quant à elles de l’organisation pour

laquelle travaillent les c.o. (prescriptions organisationnelles). Déjà à ce niveau, les

prescriptions provenant de la profession et celles provenant de l’organisation peuvent entrer

en contradiction. Par exemple, l’exigence du milieu scolaire que les c.o. aient une pratique

polyvalente pourrait éventuellement entrer en contradiction avec l’exigence de l’Ordre

professionnel d’une pratique spécialisée en relation d’aide. C’est dans le « travail effectif »

(pratiques effectives) que les c.o. doivent arbitrer ces prescriptions, en fonction des

contingences des situations, mais aussi en fonction de leur propre désir de métier, qui

correspond à la quatrième dimension de la pratique professionnelle. Ces pratiques désirées

s’inscrivent dans des valeurs, des modèles d’intervention, une histoire de pratique, etc., ayant

des couleurs à la fois collectives, reliées au métier ou à un collectif de travail, et aussi

singulières, c’est-à-dire liées à la personne qui exerce ledit métier. C’est par la mise en

perspective des écarts qualitatifs entre l’acte professionnel idéal (prescrit ou désiré) et ce que

les c.o. arrivent à faire (effectif) que l’on peut mieux comprendre la dynamique entre le plaisir

et la souffrance au travail. Comme le souligne Lhuilier (2009), « l’expérience de la pratique

place toujours les sujets en position critique par rapport aux pratiques discursives de l’institué

ou de l’ensemble organisationnel, qu’elles fonctionnent à la prescription (l’ordre et l’interdit)

ou la promesse (l’idéal et le virtuel). » (p. 119)

Entre les pratiques prescrites, désirées et effectives s’intercale la dimension collective du

travail qui permet de mieux saisir encore la souffrance liée à l’identité professionnelle de

métier. D’un côté, les prescriptions organisationnelles sont, théoriquement, mises en

discussion au sein d’un collectif de travail qui permet de définir des règles de métier afin de

réguler les pratiques effectives. Les règles de métier se situent à la fois dans les registres

social, technique, langagier et éthique. Elles constituent le résultat d’accords normatifs,

élaborés, réinterprétés, modifiés quotidiennement par le collectif de travail, qui est le seul

juge de ce qui est « valide, correct, juste ou légitime » (Molinier, 2008, p. 113). En

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135

psychodynamique du travail, il existe un collectif de travail lorsque plusieurs concourent à

une œuvre commune dans le respect des règles telles qu’intériorisées (Carpentier-Roy, 1989;

Cru, 1988). Étant donné le caractère construit et évolutif de ces règles, le collectif de travail

découle nécessairement d’une expérience commune d’une certaine durabilité qui entraîne

une cohésion contre la menace extérieure ou intérieure (Maranda & Leclerc, 1997). La

présence d’un collectif de travail implique une coopération découlant de la confiance, du

respect et de l’estime des autres (Vézina, 1999). De l’autre côté, entre les prescriptions

professionnelles et les pratiques effectives s’intercale le genre professionnel. Le genre

professionnel représente un « patrimoine » de faits et gestes relatifs à une collectivité de

métier, qui définit « les frontières mouvantes de l’acceptable et de l’inacceptable dans le

travail » (Clot, 1999, p. 43-44). En ce sens, on pourrait dire qu’il constitue, ici encore, un

patrimoine de « règles de métier », pour reprendre les termes de la psychodynamique du

travail. Toutefois, contrairement au « collectif de travail », qui réfère à des travailleurs

incarnés œuvrant ensemble sur une base régulière, le genre professionnel fait référence à une

« forme sociale » qui représente, précède, préfigure et donne une signification à l’« action »

au regard de l’appartenance à une collectivité donnée (Clot & Faïta, 2000, p. 14). Le genre

professionnel est un système souple et évolutif de repères qui permet de se retrouver dans le

monde et de savoir agir (et s’abstenir d’agir) en situation. Ces repères sont à la fois techniques

et langagiers. Ils sont généralement implicites, incorporés, et donc parfois difficilement

explicitables.

Enfin, si les c.o. s’alimentent au collectif de travail et au genre professionnel pour réorganiser

la tâche de manière à pouvoir travailler malgré les contraintes (règles de métier), ils y tirent

également des « règles défensives » qui permettent de se protéger de la souffrance d’une

manière qui respecte la rationalité professionnelle. Ces règles défensives se déploient dans

des stratégies mises en place par les c.o. dans leurs pratiques effectives. En ce sens, elles

contribuent non seulement à se protéger, mais également à refaçonner l’identité de métier,

avec les effets pervers ou avatars possibles qui résultent de la non conscientisation des effets

qu’elles produisent sur le travail et le développement du métier.

En somme, la figure 1 veut illustrer les tensions générées en termes d’oppositions,

d’impossibilités, de contradictions, entre les pratiques professionnelles désirées, prescrites et

réelles, et aussi entre la pratique professionnelle et l’organisation du travail, tensions au sein

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136

desquelles les conseillers d’orientation luttent pour conquérir leur identité professionnelle de

métier dans le travail. Nous sommes alors ici directement dans ce que nous appellerons une

dynamique de la « souffrance identitaire de métier » que nous définissons comme suit, à

partir des définitions des deux théories présentées et des travaux de Osty (2002, 2006, 2008).

La souffrance identitaire de métier constitue un espace de lutte psychique entre un désir de

métier ou d’accomplissement du soi professionnel, et le réel du travail qui fait obstacle. Elle

est un vécu subjectif partagé traduisant un empêchement d’agir professionnel individuel et

collectif, i.e. un empêchement de transformer le monde en continuité avec le cœur de son

métier qui fait qu’on ne reconnaît plus sa profession dans ce que l’on fait.

3.5. Synthèse de la position de problème : vers une compréhension de la

souffrance identitaire de métier

Comme il a été dit précédemment, selon la théorie de la psychodynamique du travail

(Dejours, 2008), l’identité constitue l’armature de la santé mentale. Or, selon cette théorie, le

travail constitue le principal vecteur identitaire. Les épreuves du travail permettent

d’objectiver la subjectivité dans une manière de faire, dans une œuvre ou dans une

production, à la fois individuelles et collectives. La dynamique intersubjective de la

reconnaissance permet au sujet de voir cet objet (manière de faire, œuvre, production)

reconnu, ce qui s’avère structurant pour son identité (Dejours, 2008). Cette reconnaissance

passe par un jugement d’utilité émis par la hiérarchie et par les bénéficiaires du travail sur

l’utilité sociale, économique et technologique de son travail, et un jugement de beauté émis

par des pairs sur la qualité particulière d’exécution du travail réalisé.

L’émission de ce jugement suppose qu’il y ait une visibilité de la pratique, notamment auprès

des pairs, les seuls à connaître les règles d’art du métier. Ces règles d’art mobilisent une

culture professionnelle et le partage d’un sens qui permettent l’identification à un métier, à

une profession (Osty, 2002). Cette dimension collective de l’identité, soit l’identité

professionnelle de métier, se construit par l’intelligibilité des pratiques professionnelles

(Barbier, 1996), laquelle peut se faire notamment au regard du « genre professionnel » (Clot,

2006), qui autorise chacun à « se » reconnaître dans « ce qu’il fait ». « C’est pourquoi,

l’analyse des processus par lesquels l’individu développe une identité de métier par son

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137

activité de travail d’une part, par une confrontation à des Autrui significatifs de l’autre (les

pairs et la hiérarchie), est pertinente pour comprendre au plus près de l’action, les ressorts

d’une telle identification au métier. » (Osty, 2002, p. 112).

3.6. Question et objectifs de recherche

Considérant cette position du problème, le projet de recherche doctorale propose de répondre

à la question suivante :

Comment les conseillers d’orientation vivent-ils leur identité de métier à travers leur travail

au quotidien en milieu scolaire?

Cette thèse a pour objectif général de comprendre et d’analyser la dynamique de la

souffrance identitaire de métier qui peut se jouer dans l’expérience du travail des conseillers

d’orientation en milieu scolaire. Il s’agira d’analyser les tensions entre les pratiques prescrites

par le système scolaire et la profession, les pratiques professionnelles désirées par les c.o. et

les pratiques effectives qui s’incarnent dans l’exercice du travail au quotidien. Nous tenterons

d’éclairer la dynamique entre le plaisir, la souffrance au travail et les stratégies défensives, à

la lumière des règles de métier issues du « genre professionnel » et du collectif de travail.

Les objectifs spécifiques sont :

Décrire et analyser les pratiques effectives des conseillers d’orientation au sein de

l’organisation actuelle en milieu scolaire.

Comprendre, décrire et analyser l’expérience du travail au regard du rapport à la tâche

(pratiques prescrites) et aux destinataires de l’activité (élèves, pairs, hiérarchie,

organisations professionnelles), les sources de souffrance et de plaisir au travail, et

aussi les stratégies pour faire face au réel de l’organisation du travail et à la souffrance

qu’il engendre.

Analyser la place de l’identité professionnelle de métier dans cette dynamique,

notamment au regard des concepts de collectif de travail et de genre professionnel.

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139

PARTIE 2

Cadre méthodologique

Parmi les différents paradigmes utilisés en recherche dans le domaine du counseling

(Ponterotto, 2005), cette thèse s’inscrit dans un paradigme de recherche compréhensif, tout

en partageant des valeurs avec le paradigme critique. Posant la réalité comme une

construction subjective et intersubjective inscrite dans un cadre social et historique, la

production de connaissances passe ici par la compréhension du sens des phénomènes

humains et sociaux plutôt que par une explication objective de ces phénomènes. En ce sens,

le paradigme compréhensif se fonde sur l’herméneutique, art de l’interprétation, prenant pour

postulat épistémologique que le sens des phénomènes peut être accessible grâce à une

réflexion analytique intersubjective construite sur un dialogue chercheur-participant

(Ponterotto, 2005). Il s’agit de confronter les « concepts quotidiens » que les sujets mobilisent

pour comprendre le sens de leur travail, avec les « concepts scientifiques » (Clot, 1999). Cette

confrontation permet de juguler les risques de l’un et de l’autre, i.e. dans un cas se refermer

sur « les rhétoriques narratives » et dans l’autre « s’isoler dans l’exercice logique et

catégoriel » (Clot, 1999, p. 135). Notre recherche se situe donc essentiellement dans une

épistémologie « de terrain » (Dejours, 2008).

Sur le plan de la méthodologie, le paradigme compréhensif, comme le paradigme critique,

soutient un processus de recherche marqué par une interaction intense entre les chercheurs et

les participants, idéalement dans des interactions qui se rapprochent de la vie quotidienne

(Ponterotto, 2005). Il n’y a pas d’objectif de généralisation d’une explication pour qu’elle

devienne « vérité »; l’objectif visé est plutôt celui d’une « véracité » ancrée dans l’expérience

humaine. L’étude de la souffrance identitaire implique l’accès à une part intime des

personnes. À cet effet, Dejours (2008) souligne l’importance de la mise en place d’un cadre

qui permette à la fois une « parole risquée », c’est-à-dire que les participants puissent se sentir

à l’aise de dévoiler une part relativement intime de leur expérience, et une « écoute risquée »,

c’est-à-dire que le chercheur accepte de « prendre le risque de comprendre l’autre » (p. 292)

et d’être ainsi transformé par le témoignage de l’expérience vécue. C’est la seule façon de

pouvoir constituer une connaissance authentique selon Dejours (2008).

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Le cadre méthodologique mis en place vise à permettre une analyse intersubjective des

pratiques professionnelles des c.o. en milieu scolaire et de la dynamique qui en découle en

termes de souffrance identitaire de métier. Le chapitre 4 explore différentes méthodes

d’investigation possibles pour ce faire et permet de distinguer les critères plus précis qui sont

apparus nécessaires pour arriver à répondre aux objectifs de recherche. Ces critères mettent

en évidence la pertinence d’utiliser une méthode de clinique du travail pour réaliser la

recherche doctorale. Le chapitre 5 détaille quant à lui la méthode combinée d’analyse

clinique du travail. Il décrit la mise en œuvre de chacun des volets de la recherche, en

commençant par la clinique de l’activité par instruction au sosie pour ensuite présenter

l’enquête de psychodynamique du travail. Enfin, les critères scientifiques et éthiques sur

lesquels repose un tel type de recherche seront discutés au regard de la manière dont ils ont

été répondus.

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141

Chapitre 4 – Examen des méthodes possibles pour l’investigation

Cette thèse prend le parti d’étudier les pratiques professionnelles des conseillers d’orientation

en milieu scolaire pour comprendre la dynamique de souffrance identitaire de métier. Étant

donné la posture de recherche compréhensive, nous ne nous attarderons pas aux méthodes

cherchant à mesurer ou à observer objectivement les pratiques, mais plutôt à celles qui

cherchent à les analyser en partant de l’expérience subjective et intersubjective du travail.

Pour ce faire, ce chapitre explore le courant d’analyse des pratiques professionnelles.

En effet, l’analyse des pratiques professionnelles constitue une pratique en vogue depuis les

quinze dernières années dans le domaine des sciences de l’éducation. Elle peut avoir pour

finalités : 1) une production de savoirs visant l’intelligibilité des pratiques et débouchant sur

des concepts originaux qui permettent de dépasser les pratiques actuelles; 2) la

professionnalisation par une formation des professionnels impliquant un questionnement sur

leur démarche et une acquisition des gestes et attitudes nécessaires à leur profession; et 3) une

évolution des pratiques vers leur optimisation et leur amélioration (Marcel, Olry, Rothier-

Bautzer, & Sonntag, 2002). Un certain nombre d’objets sont privilégiés dans l’analyse des

pratiques professionnelles en sciences de l’éducation : 1) l’activité du sujet, pour retracer les

éléments de subjectivité dans l’action; 2) le statut des situations, comme produit d’une

convention, comme point d’ancrage de la cognition ou comme accès à une conceptualisation;

3) les interfaces des communications décelables dans la construction d’une activité ou d’une

situation; et 4) l’action, telle que comprise dans une perspective comportementaliste, avec

des indicateurs (Marcel, Olry, Rothier-Bautzer & Sonntag, 2002). Dans certains dispositifs,

les matériaux empiriques privilégiés sont les discours sur les pratiques alors que dans

d’autres, il s’agit plutôt d’observer des pratiques. Pour chacune de ces catégories de

matériaux, il existe différentes méthodes, dont l’entretien réflexif, l’auto-confrontation

croisée, le groupe de parole, etc. (Marcel, Olry, Rothier-Bautzer & Sonntag, 2002).

Ce chapitre s’attarde plus précisément à explorer deux traditions dans le domaine de l’analyse

des pratiques professionnelles, dans le but de dresser un bilan de leurs mérites et leurs limites

pour ensuite justifier notre choix quant à la méthode retenue. Ces deux traditions plus ou

moins mutuellement exclusives, l’une provenant principalement de l’Amérique du Nord (ce

que nous avons appelé la « praxéologie socio-constructiviste ») et l’autre d’Europe (l’analyse

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142

groupale des pratiques professionnelles), partagent définitivement une parenté d’objectifs en

ligne droite avec la posture de notre recherche, i.e. la constitution de savoirs sur la pratique

professionnelle, professionnalisation, formation/apprentissage. Reste à les examiner plus

finement pour distinguer les éléments pertinents au regard du questionnement de la thèse

portant sur les pratiques de conseillers d’orientation en milieu scolaire.

4.1. Une praxéologie socio-constructiviste

D’origine nord-américaine, le courant que nous avons qualifié de « praxéologie socio-

constructiviste » s’attarde principalement à l’efficacité des pratiques professionnelles en

termes de résolutions de problèmes concrets. Fondé principalement sur les travaux de Schön

(1994), en continuité avec ceux d’Argyris, Dewey et Lewin (Miron & Presseau, 2001), ce

courant s’intéresse à la pratique réflexive comme mode de pratique permettant d’y intégrer

la recherche et de sortir ainsi du modèle de la science appliquée dans lequel les connaissances

produites par les scientifiques sont appliquées par les praticiens. Ce dernier modèle prescrit

par exemple des programmes, des protocoles, des gestes et des attitudes supposément

éprouvés scientifiquement, mais qui ne tiennent pas toujours compte des contingences du

réel de la pratique professionnelle, « une pratique qui abrite dans son sein même complexité,

instabilité, particularisme et conflit de valeurs » (Schön, 1994, p. 34).

Schön (1994) part du présupposé que les praticiens expérimentés en savent plus que ce qu’ils

peuvent en dire. C’est pourquoi ce chercheur propose la recherche de ce savoir tacite et

intuitif, un savoir « caché dans l’agir professionnel ». Le praticien est habituellement

incapable de décrire son savoir, selon Schön (1994). Ce dernier estime que c’est à partir de

la réflexion en cours et sur l’action qu’il peut arriver à le faire. « C’est tout ce processus de

réflexion en cours d’action et sur l’action qui se situe au cœur de l’“art” qui permet aux

praticiens de bien tirer leur épingle du jeu dans des situations d’incertitude, d’instabilité, de

singularité et de conflit de valeurs. » (p. 77). Ainsi, dans son ouvrage « Le praticien réflexif,

à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel », Schön (1994) présente sa méthode

à partir d’un échantillon de pratiques de cinq professions, s’attardant spécifiquement à des

moments où un praticien d’expérience tente de montrer à un novice comment réaliser une

tâche. Les recherches fondées sur cette approche visent à accompagner un praticien dans sa

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réflexion sur sa pratique (p. ex., en situation de mentorat) permettant ainsi de dégager les

savoirs « cachés dans l’agir professionnel », i.e. issus de l’expérience, de les formaliser, de

les modéliser, afin de pouvoir les investir de manière plus efficace dans sa pratique

professionnelle. Les objets de la réflexion peuvent être divers : normes tacites, stratégies ou

théories derrière tels ou tels comportements, sentiments ressentis, façon de s’y prendre pour

résoudre un problème, rôle dans l’institution (Schön, 1994).

Ce type de recherche pratique ne part pas des théories et techniques canoniques, mais

construit plutôt une nouvelle théorie « du cas particulier » (Schön, 1994). Pour ce faire, le

praticien est amené à faire de l’expérimentation. Toutefois, ce n’est pas une expérimentation

telle qu’on la retrouve dans la « méthode expérimentale », par vérification d’hypothèses,

contrôle, objectivité et distanciation. Dans le champ de la pratique professionnelle, les

expérimentations cessent lorsque les changements produits sont satisfaisants, même si des

hypothèses explicatives plausibles demeurent (Schön, 1994). Contrairement à la recherche

dite « scientifique », les hypothèses en milieu de pratique doivent être vérifiables

immédiatement, incorporées dans un geste pour en vérifier la validité. Les critères des

praticiens pour évaluer leur modèle nouvellement établi se basent sur sa capacité à résoudre

le problème, la désirabilité des résultats, la compatibilité avec leurs théories et valeurs, ainsi

que sur leur potentiel heuristique (Schön, 1994).

S’inscrivant à la suite des travaux de Schön (1994)58, Lhotellier et St-Arnaud (1994)

proposent trois principes méthodologiques pour mettre en œuvre une telle démarche

praxéologique : 1) le principe de la connaissance par l’action; 2) le principe de coopération

dialogique; 3) le principe d’autorégulation. Le principe de la connaissance par l’action

suggère que c’est l’acteur qui est le maître d’œuvre de la démarche, qui peut seul interpréter

son agir, son savoir implicite innovateur, et il ne doit pas être soumis au savoir homologué.

Le principe de coopération dialogique s’appuie sur le fait que la praxéologie vise à articuler,

donner plus de rigueur au dialogue entre l’acteur et la situation, pour enrichir éventuellement

le savoir homologué. De fait, la « Loi d’Argyris et Schön » (St-Arnaud, 1992, dans Lhotellier

& St-Arnaud, 1994) stipule qu’il y a systématiquement un écart entre la théorie professée et

58 L’ouvrage original de Schön est paru en anglais en 1983.

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144

la théorie mise en pratique à l’insu de l’acteur, écart auquel le praticien doit être confronté

pour pouvoir déployer le sens d’une action selon le contexte culturel et historique dans lequel

il s’insère. Enfin, le principe de régulation consiste à retenir ce qui contribue à la progression

de l’action, un processus accéléré de la démarche d’essais-erreurs.

Dans sa critique de ce courant praxéologique, Couturier (2000) pose l’hypothèse d’une

« postmodernisation du discours professionnaliste fondant sa légitimité non plus sur une

expertise positive et rationnelle, mais bien sur la capacité professionnelle en situation de

produire du sens, au-delà de son efficacité réelle ou non » (p. 140). De fait, le type de

réflexivité proposé par les auteurs de ce courant praxéologique engendre un discours et des

représentations de soi en contexte qui permettent la découverte de soi, la transparence à soi,

non pas dans une perspective développementale, mais dans une perspective praxéologique,

pour améliorer l’action professionnelle. Bref, le praticien colonise sa vie tacite et en fait une

« technologie de soi », pour reprendre l’expression de Couturier (2000). De fait, l’auteur

affirme que les praxéologues ont le projet de « modéliser », d’objectiver, donc de décrire et

de prescrire l’action professionnelle pour constituer un savoir pratique tacite (p. ex.,

métamodèles, Test personnel d’efficacité). C’est une perspective qui vise « le mieux,

l’efficient, l’explicite dans son action professionnelle » (p. 141) : la vérité se trouve dans

l’efficacité, dans la pratique et non dans la théorie. De fait, pour l’auteur, les praxéologues

semblent poser l’efficacité de l’action comme mesure et horizon de tout. Il y a à cet effet une

filiation évidente entre d’une part le projet praxéologique et d’autre part la philosophie

managériale et certains économistes libéraux, filiation que relève d’ailleurs Ardoino (1994) :

tout se passe comme si la finalité de la pratique était l’efficacité, en soi.

4.2. L’analyse groupale des pratiques professionnelles

Il s’est développé en Europe une forme différente d’analyse réflexive des pratiques

professionnelles se fondant entre autres sur les travaux de Michael Balint, mais aussi sur la

psychosociologie. Issue pour une large part du monde des praticiens, l’analyse groupale des

pratiques professionnelles (Blanchard-Laville & Fablet, 2001) est beaucoup utilisée dans

le champ de la formation initiale ou continue, pour des professions dont l’activité principale

concerne la relation à autrui (p. ex., enseignants, travailleurs sociaux). Bien que l’efficacité

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145

(dimension instrumentale) de la pratique soit aussi mise en cause, ce sont les dimensions

psychiques, affectives, relationnelles et institutionnelles qui sont principalement l’objet des

groupes d’analyse des pratiques professionnelles. Ce type de dispositif a pour objectif

l’évolution des personnes sur le plan professionnel, notamment par le remaniement de

l’identité professionnelle. Selon Blanchard-Laville et Fablet (1998), pour qu’il y ait

changement des conduites, il faut qu’il y ait collaboration libre du sujet, qui, par la conscience

et la compréhension des situations, peut transformer le réel. Par ailleurs, ils insistent pour

rappeler le principe, opposé au mécanicisme, qui « affirme que le caché et le latent constituent

aussi l’existence » (p. 23). Pour s’y adresser, l’analyse des pratiques professionnelles doit se

déployer dans un travail de longue haleine. Ce dispositif implique une voie hybride,

s’effectuant à la fois avec d’autres « auteurs » d’une pratique et un « animateur », et porte à

la fois sur les discours et les « sujets discourants (sic) » à propos de leurs pratiques

professionnelles.

Mosconi (2001) souligne que l’analyse des pratiques professionnelles, comme la pratique

réflexive, renverse le rapport théorie-pratique : c’est la pratique qui commande. Les savoirs

théoriques servent de médiateurs, d’opérateurs de transformation. Par contre, à la différence

de la pratique réflexive, la présence du groupe dans l’analyse des pratiques professionnelles

est essentielle (Leclerc, Bourrassa & Filteau, 2010). C’est à travers la verbalisation de sa

pratique, transformée en récit adressé aux autres membres du groupe, que le praticien peut,

d’une part, donner sens à ses actes et, d’autre part, élargir son savoir et sa prise en compte de

la réalité en ajoutant des dimensions interpersonnelles et institutionnelles aux dimensions

personnelles déjà présentes.

4.2.1. L’analyse groupale des pratiques professionnelles d’orientation Balint

Le dispositif Balint consiste à réunir un groupe de médecins généralistes, avec un leader

(souvent un psychiatre), afin de discuter d’un cas préoccupant pour un participant. Le récit

de cas est utilisé comme modalité d’exploration de manière analogue à l’utilisation du rêve

en psychanalyse : l’accent y est mis sur les aspects émotionnels, affectifs et relationnels plutôt

que sur l’exactitude de la réalité extérieure. Le but du dispositif est d’étudier, en « équipe de

recherche », ce que le médecin fait au patient sur le plan émotionnel et inversement, afin

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d’étudier « le médecin-médicament » (Balint, 1957, dans Blanchard-Laville & Pestre, 2001),

notamment en travaillant le « contre-transfert ». Blanchard-Laville et Pestre (2001) estiment

que le même problème se pose en enseignement, i.e. que « […] les réponses qui ignorent les

dimensions affectives, psychologiques et relationnelles dans la transmission des savoirs

apparaissent la plupart du temps insuffisantes » (p. 39). Un mode de formation analogue est

donc indiqué, selon les auteurs.

Sans entrer dans la comparaison systématique que les auteurs font entre le dispositif Balint

utilisé en médecine et l’analyse des pratiques professionnelles qui s’en inspire auprès

d’enseignants, il est intéressant de souligner quelques différences entre les deux dispositifs.

D’une part, selon Blanchard-Laville et Pestre (2001), le « poids institutionnel » – propre à

l’école – est beaucoup plus présent chez les enseignants que chez les médecins : environ la

moitié des situations rapportées dans les groupes d’analyse de pratiques concerne non pas les

relations avec les élèves, mais les relations avec les supérieurs, les collègues ou les parents.

Il est important de mettre en perspective, selon Blanchard-Laville et Pestre (2001), que les

enseignants sont de plus en plus confrontés à des situations qui les poussent aux limites de

leurs capacités psychiques (p. ex., groupes de plus en plus hétérogènes intégrant des élèves

ayant de lourdes difficultés, tout en ayant l’obligation de différencier leur pédagogie).

D’autre part, Balint ne favorisait pas le « travail » sur la dimension « privée » (ou subjective)

des participants alors que Blanchard-Laville et Pestre (2001) le voient d’un bon œil, dans la

mesure où il part d’une situation professionnelle et où les limites du travail du praticien

concerné sont respectées. À cet égard, le travail des animateurs de ce type de groupe

d’analyse se trouve toujours entre deux pôles : 1) une intrusion trop rapide dans une

investigation personnelle; 2) une exploration trop superficielle empêchant le travail clinique.

Cela étant dit, malgré leur ouverture, voire leur insistance sur le travail de la dimension

« privée » des participants, Blanchard-Laville et Pestre (2001) situent l’analyse des pratiques

dans une optique de formation et non de travail thérapeutique en soi.

En somme, ce qui est traité dans ce type de groupe, c’est la pratique individuelle de chacun.

Le groupe constitue un outil pour fournir une analyse plus juste, mais aussi pour créer une

« dynamique psychique », pouvant par exemple créer des insights chez les autres, par

l’« influence des élaborations des uns pour les autres » (p. 57). Cependant, il n’y a pas

d’éléments à proprement parler « collectifs », d’un travail d’équipe, ou d’un malaise collectif,

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du moins a priori. Aussi, contrairement au courant praxéologique, qui s’attarde

principalement à l’efficacité de la pratique – démarche structurée et réfléchie d’essais/erreurs

–, le travail d’analyse de la pratique d’orientation Balint se fait essentiellement dans les

registres relationnel, affectif et psychique.

4.2.2. L’analyse groupale des pratiques professionnelles d’orientation

psychosociologique

L’analyse des pratiques professionnelles peut s’appliquer à deux grands domaines de la

psychosociologie : la formation et l’intervention. Du côté de la formation, Fablet (2001)

positionne l’analyse des pratiques professionnelles plus près de la formule de « stages de

formation psychosociale » que de la formule de « groupe centré sur le groupe ». Ces stages

visent « l’évolution des attitudes des participants, par rapport aux autres et à eux-mêmes,

ainsi que la transformation du regard qu’ils portent sur leurs activités professionnelles et le

contexte organisationnel et institutionnel au sein duquel elles se déroulent » (p. 157). Le rôle

du formateur est de fournir des occasions de déclencher l’initiative des participants vers

l’exploration, l’observation et l’interrogation, en fonction des objectifs déterminés par les

participants au sein même du stage. La session se déroule en fonction des thèmes que les

participants veulent aborder. Plusieurs modalités pédagogiques peuvent être mises à profit

(p. ex., jeux de rôles, exercices de communication, de diagnostic, études de cas, travail de

sous-groupes) dans l’analyse des pratiques professionnelles, pourvu qu’elles puissent

permettre de faire des liens entre les notions explorées en groupe et les situations rencontrées

en milieu de travail. Ce cadre de travail crée un espace suffisamment distancé pour permettre

aux participants de questionner et de penser leurs façons de faire, d’identifier et de discuter

les traits déterminants du contexte organisationnel. Cette prise de distance favorise le

remaniement de l’identité professionnelle, qui constitue, selon Fablet (2001), une des

finalités des dispositifs d’analyse des pratiques.

Le travail conduit dans les dispositifs d’analyse des pratiques vise, entre autres

finalités, l’évolution de l’identité professionnelle des praticiens dans ses

différentes composantes : renforcer les compétences requises dans les activités

professionnelles exercées, accroître le degré d’expertise, faciliter l’élucidation

des contraintes et enjeux spécifiques de leurs univers socioprofessionnels,

développer des capacités de compréhension et d’ajustement à autrui…(p. 7)

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148

Si cette visée peut s’actualiser en situation de formation, elle peut aussi, selon Fablet (2001),

s’actualiser en situation d’intervention, i.e. « dans les cas où le travail [d’analyse de pratiques]

s’engage à partir d’une demande qui concerne des agents appartenant à une même

organisation, à un collectif de travail qui leur est commun » (p. 164). La nature des liens entre

les personnes - œuvrant dans un même milieu - change la perspective d’action qui n’est plus

centrée exclusivement sur l’évolution de la personne, mais aussi sur le collectif de travail.

Dans ce cas-ci, il peut exister des conflits ou des désaccords entre les personnes au sujet d’un

même objet d’analyse, réel et non représentationnel. De plus, le changement concerne certes

les sujets, mais aussi les structures organisationnelles dans lesquelles ils s’inscrivent. Ainsi,

lorsqu’il est question d’intervention par l’analyse des pratiques, Fablet (2001) estime qu’il y

a plusieurs paramètres à prendre en compte : l’appartenance à un collectif de travail en

référence à la catégorie de personnel et au type d’activité; la mission du service; les

caractéristiques des clients; la position interne ou externe de l’intervenant; son identité

professionnelle; son inscription institutionnelle (s’il est externe); ses références théoriques;

les options techniques et règles de fonctionnement qu’il privilégie.

En somme, selon Fablet (2001), qu’ils soient utilisés en formation ou en intervention, les

dispositifs d’analyse des pratiques d’orientation psychosociologique peuvent non seulement

favoriser la construction de l’identité professionnelle de ceux qui y participent, mais aussi

améliorer leurs pratiques professionnelles, contribuant à leur qualification professionnelle ou

au développement institutionnel de l’organisation à laquelle ils appartiennent. Selon cet

auteur, ces dispositifs seraient particulièrement indiqués pour les praticiens dont l’activité

principale relève de la relation à autrui puisqu’ils permettent de bien situer la spécificité de

leur pratique.

4.2.3. De l’utilité des dispositifs d’analyse des pratiques professionnelles

Comme le souligne Barbier (1996), l’analyse des pratiques professionnelles était,

initialement, un outil de formation avant tout : il est devenu au fil des années un outil pour

l’action et pour la recherche. Pour l’action, notamment en milieu de travail, puisque, comme

le suggère à juste titre Barbier (1996), certains nouveaux modes d’organisation du travail

sont « pensés » par ceux-là mêmes qui réalisent l’activité, ce qui requiert des connaissances

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auxquelles l’analyse des pratiques professionnelles peut grandement contribuer. Pour la

recherche, notamment en éducation, puisque les chercheurs s’intéressent de plus en plus à

l’intelligibilité des processus, des histoires, des dynamiques et des conditions de production

du changement.

L’analyse des pratiques professionnelles est promue par les praticiens eux-mêmes qui y

voient notamment « une affirmation de leur pouvoir et de leur identité de professionnels »

(Barbier, 1996, p. 28). En effet, générant une meilleure compréhension de ce qu’ils font et

de l’expérience qu’ils en font, l’analyse des pratiques permet aux praticiens de mieux

« saisir » leur identité professionnelle – ancrée dans leurs pratiques et expériences – et confère

ainsi un plus grand pouvoir sur leur développement comme professionnel. C’est l’hypothèse

de Barbier (1996) pour expliquer que les praticiens interpellent maintenant les chercheurs

afin de produire des outils intellectuels favorisant « l’intelligibilité » et/ou la « finalisation »

des pratiques, alors que le discours sur les pratiques était traditionnellement descriptif et

prescriptif.

Au-delà de l’intelligibilité des pratiques, Leclerc, Bourrassa et Filteau (2011) soutiennent que

l’analyse des pratiques professionnelles peut s’avérer un levier d’émancipation individuelle

et collective en plus de soutenir la « légitimation sociale de certaines compétences

professionnelles » (p. 19). Ces chercheurs inscrivent l’analyse des pratiques professionnelles

en groupe dans une perspective de recherche collaborative qui vise à soutenir un

apprentissage collectif transformateur et critique (Leclerc & Bourrassa, 2004).

Le groupe d’analyse des pratiques est un espace de prise de conscience et

d’émancipation, mais aussi un espace intermédiaire entre l’individu et les

grandes structures sociales, entre les expériences professionnelles vécues dans un

isolement relatif et les représentations sociales d’une profession. (Leclerc,

Bourrassa & Filteau, 2011, p. 19)

Pour ce faire, il est nécessaire, à notre avis également, de mettre en discussion collectivement

les situations de travail vécues par les praticiens, afin de favoriser « la prise en compte des

conditions concrètes d’exercice du travail » (Leclerc, Bourrassa & Filteau, 2011, p. 17).

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4.2.4. De l’analyse des pratiques à l’analyse du travail en situation?

Nélisse (1997) illustre, avec le cas des travailleurs sociaux, ce besoin qu’expriment des

praticiens d’être mieux outillés pour comprendre leur travail, pour trouver « qui ils sont » à

travers « ce qu’ils font », ce qu’ils « produisent ». Les travailleurs sociaux exercent, comme

les conseillers d’orientation, un métier dont la pratique ne s’épuise pas dans un objet et,

incidemment, dont l’efficacité et l’utilité sont difficilement objectivables, reconnaissables.

C’est en réaction au « malaise identitaire », apparemment « bien connu », des travailleurs

sociaux que Nélisse (1997) propose une démarche d’analyse du travail, définie comme suit :

[…] une démarche intellectuelle visant à rendre explicite une représentation

fidèle de ces opérations (avec leurs enchaînements et structurations), de leurs

multiples conditions de possibilité ainsi que de leurs divers effets réels et

probables. Méthodologiquement, il s’agit d’une certaine manière d’observer les

comportements, de recueillir ce que disent les praticiens dans leur travail et de

leur travail et de les voir interagir avec les usagers, leurs collègues, les cadres,

etc. (p. 139)

De fait, Nélisse (1997) constate que, lorsqu’ils parlent d’organisation du travail, les

travailleurs sociaux parlent de leurs activités à l’aide d’une analyse macrosociale basée

principalement sur deux dimensions : la pratique et le travail. Nous l’avons noté dans notre

cadre conceptuel : selon Nélisse (1997), les travailleurs sociaux placent, d’un côté, la pratique

référant à des activités exercées dans un cadre d’autonomie professionnelle et de liberté quant

au choix de la clientèle, de la charge, du rythme, des moyens et des outils, afin de respecter

son indépendance de jugement et son éthique professionnelle. De l’autre côté, les travailleurs

sociaux placent le travail entendu comme « l’effort, l’engagement et l’initiative du sujet,

bien sûr, mais aussi la nécessité et surtout les diverses contraintes données et reçues comme

incontournables » (p. 137). Cette problématisation amène un raisonnement que Nélisse

(1997) schématise ainsi :

Œuvrant majoritairement dans des établissements publics et dans le cadre de

politiques publiques centralisées, nous [les travailleurs sociaux] dépendons de

l’État. Comme salariés, nous dépendons de nos employeurs. Ces dépendances

briment notre autonomie professionnelle. Conséquence : nous devenons – voire

nous sommes – des exécutants. Finie, la pratique professionnelle. Nous

rejoignons, lentement mais sûrement, le vaste monde des employés et des

travailleurs postés. (p. 137)

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151

C’est pour sortir de cette lecture déterministe, ou du moins éviter de la prendre pour une

évidence, que Nélisse (1997) propose une démarche d’analyse du travail concret, du travail

effectif. Pour adopter un regard « proche » plutôt qu’un regard « haut », ou « lointain », qui

ne permet pas de naviguer dans le flot de la vie quotidienne, Nélisse (1997) propose d’utiliser

la notion de « situation » qui constitue une :

[…] charnière entre les pratiques définies comme manières de faire et de dire

stables et normées, particulières à chaque groupe professionnel et le travail

comme activité située (c’est-à-dire la conduite socialisée, volontaire et réfléchie

d’un ensemble d’opérations à travers un dédale d’opportunités et de contraintes

diverses selon une intention dominante ou en vue d’un résultat convenu et

observable). (p. 139)

Le praticien doit donc « aménager sa situation de travail », et pour ce faire, l’analyser au

préalable. La justesse de l’analyse sera garante de la possibilité d’agir sur la situation. Ainsi,

en plus de permettre une explicitation des modes opératoires et leurs conditions de possibilité

et effets, ce type de recherche peut aussi permettre, selon Nélisse (1997), de mieux connaître

les plaisirs et souffrances vécus par le praticien dans son investissement subjectif dans la

tâche et prévenir ainsi l’épuisement professionnel, par exemple, en favorisant une meilleure

compréhension des processus qui y mènent. Cette démarche peut aussi aider à mieux

comprendre l’appropriation de nouvelles règles de travail, techniques, ou encore à expliciter

les modalités de coordination du travail entre les différents professionnels au sein d’une

équipe multidisciplinaire et leur servir ainsi de support pour redéfinir leur fonction.

Bref, Nélisse (1997) propose une analyse du travail dans l’optique d’une « (re)conception du

travail »; de mieux l’organiser compte tenu des multiples cadres normatifs et des conditions

matérielles. En ce sens, ce type d’analyse ne concerne pas le professionnel, seul avec sa

pratique, mais sollicite également des dimensions collectives et organisationnelles. La

démarche proposée se rapproche ainsi de l’analyse des pratiques professionnelles comme

« intervention », telle que définie par Fablet (2001) et présentée précédemment, mais se

concentre sur l’activité effective des travailleurs.

Perrenoud (2004), chercheur en sciences de l’éducation, va dans le même sens que Nélisse

(1997) : si l’expression n’évoquait pas une méthodologie de recherche en ergonomie,

psychologie et microsociologie, il proposerait d’ailleurs d’appeler la pratique réflexive

« analyse du travail », le travail étant compris comme « l’activité effective de travailleurs

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152

concrets » (p. 14). Une telle analyse ne peut toutefois se baser exclusivement sur le sens

commun du praticien : elle doit s’adosser sur les sciences sociales, en particulier les

sciences de l’action et du travail. Il propose de s’appuyer sur des travaux des sciences

sociales, tels ceux d’Yves Clot, Guy Jobert et Christophe Dejours. Si ces chercheurs

proposent des méthodes intéressantes qui pourraient être utilisées pour une formation à la

pratique réflexive, leur apport théorique est encore plus important selon Perrenoud (2004)

(p. ex., explication de l’écart entre le travail prescrit et le travail réel, la notion d’intelligence

au travail, l’attention portée à l’investissement subjectif au travail et aux mécanismes de

défense). Perrenoud (2004) propose d’ailleurs une intégration de ces sciences dans les

curriculums en sciences de l’éducation, notamment pour la formation initiale des

enseignants, question de mieux outiller l’analyse réflexive. De même, si la didactique peut

être une science de l’action intéressante dans la mesure où elle s’en tient au registre explicatif

et non prescriptif, il suggère de faire une plus grande place à la « démarche clinique » (p. ex.,

Cifali, Imbert, Perrenoud), i.e. une démarche visant à « faire construire des savoirs à partir

de cas particuliers, de situations complexes et de problèmes » (p. 17).

4.3. Synthèse de l’examen critique des méthodes envisageables

En somme, nous pouvons retirer quelques éléments importants de cet examen critique. D’une

part, nous n’adopterons pas la perspective de la praxéologie socio-constructiviste puisque

nous rejoignons la critique de Couturier (2000) envers ce courant; il ne s’agit pas, dans le

cadre de cette thèse, de « coloniser la vie tacite » des praticiens dans l’optique de générer un

savoir « efficace », à l’abri de toute théorie extérieure. Il s’agit plutôt de comprendre leur

expérience du travail professionnel au regard des contraintes vécues à la fois dans le registre

« technique », certes, mais aussi dans les registres « axiologique » (p. ex., les valeurs

communes) et « pathique » (p. ex., le vécu) (Dejours, 1995a).

D’autre part, nous rejoignons en plusieurs points l’analyse groupale des pratiques

professionnelles, surtout dans son orientation psychosociologique. Tout d’abord, la démarche

de recherche en groupe nous apparaît comme incontournable pour aborder notre objet de

recherche. Comme le soulignent à juste titre Blanchard-Laville et Pestre (2001), le groupe

constitue en soi un outil pour créer une « dynamique psychique » permettant aux participants

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153

à la fois de se reconnaître dans ce que les autres disent et de s’en distinguer. Comme nous le

proposons, l’identité professionnelle de métier et la santé mentale se construisent en bonne

partie dans l’espace social. L’utilisation du groupe permet de ramener au niveau collectif ce

qui se vit au niveau subjectif et ainsi d’opérer une mise en perspective qui peut ouvrir des

ordres de possibles (Leclerc & Bourrassa, 2004). Il s’agit donc de « recomposer les

conditions intersubjectives d’une discussion sur le travail, à partir de laquelle les personnes

concernées auront la possibilité de transformer entre elles les contraintes qui génèrent de la

souffrance » (Molinier, 2008, p. 299). À titre d’exemple, il apparaît difficile, voire impossible

d’analyser des défenses collectives sans la confrontation au collectif, qui permet de saisir ce

qui se dit et ne se dit pas collectivement (Molinier, 2008). Contrairement à l’analyse des

pratiques professionnelles d’orientation Balint, dans laquelle le groupe sert essentiellement

comme « moyen » d’amélioration de la pratique de chacun, le groupe fait office, dans

l’approche que nous proposons, d’espace qui favorise une ouverture vers un « destin politique

de la souffrance » (Périlleux & Cultiaux, 2008), au sens où ce qui ressort de la parole publique

prend dès lors une vie dans l’espace collectif, au niveau du vivre-ensemble. Nous rejoignons

en ce sens l’analyse des pratiques professionnelles de type « intervention » en

psychosociologie. Bref, l’utilisation du groupe est une modalité très importante de notre

méthodologie.

Nous nous distinguons aussi de la praxéologie socio-constructiviste sur le plan du rapport à

la théorie. De fait, nous reprenons la critique adressée par Perrenoud (2004) à plusieurs

dispositifs d’analyse de pratiques, i.e. qu’ils ne se servent pas de la théorie pour éclairer leur

analyse des pratiques professionnelles. Ainsi, contrairement à son application dans les

métiers techniques où elle sert à réhabiliter le bon sens et l’intuition, l’analyse réflexive de la

pratique dans les métiers « humains » devrait s’adosser sur des « savoirs partagés et validés

à propos des processus en jeu » (p. 2), et non pas se construire « contre ». C’est pourquoi le

dispositif méthodologique proposé pour la réalisation de cette thèse s’appuie sur les théories

de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008) et de l’activité dirigée (Clot, 1999).

En effet, comme nous le spécifiions au chapitre 3, nous rejoignons la proposition de Nélisse

(1997) de mettre à profit une analyse du travail qui permet de regarder le travail « de près »,

dans sa dimension effective, et situé dans un ordre de contraintes organisationnelles,

institutionnelles, culturelles et historiques. C’est d’ailleurs de cette posture que peut survenir

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154

la « critique » propre à une démarche de recherche inscrite dans une perspective

émancipatoire, comme celles proposées explicitement par Dejours (2008) et Oddone, Re et

Briante (1981). Si cette perspective émancipatoire est également adoptée par Leclerc,

Bourrassa et Filteau (2011), nous nous distinguerons des recherches de ces derniers dans la

mesure où le point focal de notre méthode se situera non pas au niveau des « incidents

critiques » 59 qui marquent la pratique, mais plutôt de l’expérience « ordinaire » du travail au

quotidien; la souffrance traversant les situations ordinaires de travail (Molinier, 2008) et non

seulement des situations « critiques ».

Considérant cet examen critique des méthodes envisageables pour réaliser notre

investigation, il nous apparaît particulièrement pertinent d’inscrire cette recherche à l’aune

de la « clinique du travail » qui, en bref, se distingue par quatre caractéristiques :

[…] l’importance de la demande et de son analyse, la dimension collective des

cadres d’élaboration, la centralité du travail sous la double face de l’organisation

sociale du travail et du rapport subjectif au travail, l’intervention comme

processus de changement au plus près des situations concrètes de travail.

(Lhuilier, 2006, p. 217)

59 Les auteurs définissent ainsi l’incident critique : « Dans nos pratiques, un incident critique est un événement

qui peut sembler anodin de prime abord, mais qui s’avère marquant pour le sujet et pour les personnes avec

lesquelles ce sujet interagit dans son espace professionnel; cet événement, généralement inscrit dans une

situation délicate, est perçu comme pouvant changer le cours des choses. » (Leclerc, Bourrassa & Filteau, 2011,

p. 17)

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155

Chapitre 5 – Choix d’une méthode combinée d’analyse clinique

du travail

Ce chapitre précisera les choix méthodologiques pour réaliser cette thèse. L’analyse clinique

du travail de conseillers d’orientation en milieu scolaire s’appuiera sur une méthode de

groupe combinant deux volets, chacun réalisé avec un groupe différent. Une clinique de

l’activité par instruction au sosie en groupe (Clot, 1999 ; Oddone, Re & Briante, 1981) a

été mise en place pour répondre au premier objectif spécifique de recherche, axé sur la mise

en tension du « réel de l’activité » avec l’activité réalisée dans l’expérience du travail pour

explorer la souffrance identitaire de métier. Une enquête de psychodynamique du travail

(Dejours, 2008) a, quant à elle, été mise à profit pour répondre au deuxième objectif

spécifique de recherche axé sur la dynamique souffrance / plaisir / stratégies défensives se

jouant dans l’écart entre le travail prescrit et le travail effectif. Pour chacun des volets de

cette méthode combinée, nous décrirons d’abord la méthode elle-même. Puis, nous décrirons

le mode de recrutement et de constitution du groupe de participants et les critères de

participation, le déroulement des rencontres et la stratégie d’analyse, pour ensuite détailler

les modalités de restitution des résultats auprès des groupes participants. Enfin, nous

discuterons des critères éthiques qui ont été observés pour la conduite de la recherche.

5.1. Une clinique de l’activité : l’instruction au sosie

L’analyse de l’activité dirigée (Clot, 1999) s’inscrit dans une perspective d’analyse clinique

du travail visant à « soigner le travail ». Elle le fait sous un angle différent de la

psychodynamique du travail, i.e. en partant d’une description de l’« activité » elle-même pour

déployer l’expérience subjective des travailleurs. Cet angle permettra d’enrichir la

perspective de compréhension de notre objet de recherche. Les dispositifs utilisés en analyse

de l’activité dirigée, l’autoconfrontation croisée et l’instruction au sosie, ont pour objectif

premier de mettre en discussion les critères de qualité du travail du point de vue de ceux et

celles éprouvent le travail. Ces dispositifs font passer une activité réalisée (telle qu’elle se

fait) « de main en main et de bouche en bouche » (Clot, 2006, p. 170) pour que le « réel de

l’activité » (ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire, ou que l’on est incapable de faire,

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156

ce qu’on aurait voulu faire, etc.) puisse se développer, dans le sens fort du terme (se

transformer pour pouvoir exister). C’est par une telle mise en débat de l’activité, dans des

conditions d’intersubjectivité, que l’on peut comprendre la dynamique de la souffrance au

travail. La théorie de l’activité dirigée (Clot, 1999) conçoit la souffrance au travail comme

une « amputation du pouvoir d’agir », l’empêchement de la possibilité d’un développement

humanisant à travers le travail, « ressentie comme atteinte à l’intégrité de soi » (Lhuilier,

2008, p. 170). Le plaisir résulte quant à lui du travail bien fait, s’inscrivant dans « l’entretien

et la contribution à une histoire commune, celle du métier » (Lhuilier, 2006, p. 216), qui

permet de situer son existence personnelle. Elle traite plus spécifiquement de l’activité

comme ressource possible de développement du sens d’une pratique professionnelle. Par la

mise en débat des activités entre pairs, elle vise le développement de collectifs

professionnels : pour Clot (2006), la seule manière de garder le métier vivant, c’est en

cultivant la controverse entre ceux qui le connaissent.

Le but des dispositifs d’analyse de l’activité dirigée est essentiellement de mettre en place

des « moyens détournés » d’accéder à ce « réel de l’activité », inaccessible directement. Il

s’agit donc de générer des « traces » pour que le « réel de l’activité » puisse se déployer et

puisse être mis en discussion à la lumière de l’expérience des sujets et de l’expertise du

chercheur (Clot, 1999). Le langage occupe donc une place fondamentale dans ces

dispositifs60, comme espace de médiatisation entre l’activité vécue et les possibles du métier.

Selon Clot (2008), c’est précisément l’organisation des dialogues qui représente la puissance

première des méthodologies d’autoconfrontation pour le développement de l’activité des

sujets et des métiers.

Dans le cadre de notre recherche, nous avons utilisé la méthode de l’instruction au sosie

auprès d’un groupe de dix conseillers d’orientation d’une même commission scolaire pour

amener les participants à prendre la parole sur leur pratique professionnelle, sur leur travail.

Ce dispositif, « plus léger » que l’autoconfrontation croisée61, aux dires de Clot (1999), est

60 L’historien de la littérature Mikhail Bakhtine constitue d’ailleurs l’un des théoriciens sur lesquels Clot s’est

le plus appuyé pour développer sa théorie (p.ex., concept de genre, importance du dialogisme).

61 L’autoconfrontation croisée est une méthodologie de co-analyse de l’activité qui utilise la vidéo comme

matériau premier de l’analyse. Dans un premier temps, elle amène chacun des membres d’un collectif de travail

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157

utilisé en formation dans une optique de « transformation du travail du sujet par un

déplacement de ses activités » (Clot, 1999, p. 152). À l’origine, cette méthode a été

développée par l’équipe d’Ivar Oddone, psychologue italien, dans le cadre de séminaires de

formation ouvrière à l’Université de Turin, dans les années 1970. Le projet d’Oddone, Re et

Briante (1981) était de « redécouvrir l’expérience ouvrière » – pour faire contrepoids aux

méthodes d’organisation scientifique du travail – et de nouvelles formes de démocratie

participative. La méthode d’Oddone et ses collaborateurs implique un travail de groupe où

un volontaire reçoit cette consigne :

S’il existait une autre personne parfaitement identique à toi-même du point de

vue physique, comment lui dirais-tu de se comporter dans l’usine, par rapport à

sa tâche, à ses camarades de travail, à la hiérarchie et à l’organisation syndicale

(ou à d’autres organisations de travailleurs) de façon à ce qu’on ne s’aperçoive

pas qu’il s’agit d’un autre que toi? (p. 57)

Oddone et ses collaborateurs (1981) s’inscrivaient dans un mouvement scientifique visant à

dénoncer les risques à la santé dans les usines Fiat. C’est dans la foulée des travaux en

psychopathologie du travail, courant s’intéressant lui aussi aux effets du travail sur la santé,

que Clot (1999) a repris cette méthode. Dès lors, on peut concevoir que cette méthode soit

non seulement utilisée en formation, mais également dans un cadre de clinique du travail.

L’instruction au sosie peut apparaître parfois sur le mode de la relation un à un, participant-

instructeur et chercheur-sosie, mais nous estimons plus porteuse la formule de groupe

adoptée par Oddone, Re et Briante (1981) et aussi utilisée par certains chercheurs plus

contemporains (p. ex., Bournel Bosson, 2006). Nous avons donc constitué un groupe de

conseillers d’orientation volontaires, intéressés à « soigner leur travail ». Aucun repère n’a

été trouvé quant au nombre de participants que devrait normalement constituer un groupe

d’instruction au sosie. Toutefois, nous désirions former un groupe restreint, donc de huit à

douze participants, suffisamment nombreux pour rendre compte d’une variété d’expériences

et pour soutenir l’intersubjectivité, tout en s’assurant que le climat est suffisamment

à commenter, en compagnie du chercheur, une séquence de travail filmée. Dans un deuxième temps, elle réunit

les membres du collectif en binômes afin que chacun de ceux-ci commente, en présence du chercheur, la

séquence d’activité de leur collègue de binôme. Dans un troisième temps, un montage vidéo de l’ensemble des

séquences filmées est présenté au groupe et mis en discussion. Voir Clot (1999) pour plus de détails.

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158

confortable pour que les personnes acceptent d’exprimer leur vécu de manière relativement

spontanée (sans modes de structuration formelle) (Leclerc, 1999), ce qui permet « de discuter,

en toute sérénité, des aspects qui les opposent, qui les relient, des nuances entre leurs visions,

leurs croyances ou leurs opinions » (Baribeau, 2009, p. 135-136).

5.1.1. Constitution du groupe de conseillers d’orientation : démarches de recrutement

S’inscrivant dans un dispositif de « clinique du travail », le critère de volontariat est premier

par rapport à tout autre critère pour la participation à ce volet de la recherche. De fait, étant

donné qu’il s’agit d’une approche qui s’appuie sur la subjectivité et l’intersubjectivité des

participants, la clinique du travail implique une demande initiale explicite de professionnels

adressée à des chercheurs pour les seconder dans une démarche d’intelligibilité de leurs

situations de travail. Il s’agit d’une condition sine qua non d’un tel dispositif, afin de

constituer une connaissance authentique. Il a donc été nécessaire, dans ce cas-ci, de susciter

cette demande62 pour recruter un groupe de participants volontaires. L’appel à participer,

sous forme d’annonce pour le recrutement, présentait les objectifs de la recherche et les

grandes lignes de son déroulement (voir Annexe 2). Nous cherchions à constituer un groupe

de conseillers d’orientation travaillant au sein d’une même commission scolaire dans le but

d’explorer in vivo des dynamiques collectives liées à la pratique professionnelle de

conseillers d’orientation partageant une organisation du travail semblable.

Ainsi, à la suite de l’approbation du projet de thèse par le Comité d’éthique de l’Université

Laval (CÉRUL), nous avons contacté63 l’Ordre professionnel des c.o. et la Fédération des

professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec, l’instance syndicale provinciale

des conseillers d’orientation en milieu scolaire dans les commissions scolaires, qui avaient

déjà offert leur soutien à notre recherche, pour vérifier les modalités possibles pour le

62 Pour plus de détails sur le travail de la demande dans des recherches en « clinique du social », voir Rhéaume

(2007).

63 Mai-juin 2010.

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159

recrutement d’un groupe de participants. Ces démarches ont donné lieu à une collaboration

avec ces deux organismes pour le recrutement, de même que pour la diffusion des résultats.

D’une part, l’Ordre professionnel a envoyé un courriel64 à tous les c.o. œuvrant dans les

commissions scolaires (environ 700 c.o.) pour les inviter à participer à cette démarche de

clinique de l’activité (voir Annexe 3). Le libellé de ce courriel affirmait de façon tangible un

soutien au projet de thèse dans son ensemble en précisant que les heures investies dans la

participation à cette recherche (clinique de l’activité et enquête de psychodynamique du

travail) seraient reconnues à titre d’heures de formation continue obligatoires.

D’autre part, la Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec

(FPPE) a fait parvenir une invitation65 à tous les présidents des syndicats affiliés afin qu’ils

envoient l’appel de participation aux c.o. des commissions scolaires qu’ils représentent.

À la suite de ces deux invitations, une représentante d’un groupe de c.o. d’une même

commission scolaire a pris contact avec nous pour manifester un intérêt à participer. Après

avoir clarifié le cadre de réalisation et les objectifs de la recherche avec cette première

représentante, un groupe de douze66 conseillères et conseillers d’orientation de sa

commission scolaire fut constitué. Cette étape de clarification du cadre de la recherche était

importante dans l’analyse de la demande puisque celle-ci émergeait d’une « offre » de la part

du chercheur. Il fallait donc être vigilant à cet effet afin d’offrir des conditions propices à

l’élaboration du désir des c.o. de participer à une telle clinique de l’activité, ce que nous

avons fait en démarrant la démarche de recherche.

64 Septembre 2011.

65 Septembre 2011.

66 Le groupe était finalement constitué de dix personnes. En fait, onze personnes se sont présentées lors de la

première rencontre. Une personne s’est désistée à la suite de la première rencontre. Les caractéristiques des

participants se retrouvent au début du chapitre 6.

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160

5.1.2. Le déroulement du dispositif

Le dispositif de clinique de l’activité par instruction au sosie ne prévoit pas un nombre

prédéterminé de rencontres, comme c’est généralement le cas pour l’enquête de

psychodynamique du travail. Notre recherche prévoyait néanmoins tenir quatre rencontres

de trois heures, de manière à disposer de temps suffisant pour que plusieurs participants

puissent se porter volontaires pour tenir le rôle d’« instructeur » et ainsi pouvoir faire passer

l’activité professionnelle « de bouche en bouche » et tenter de recréer un « chœur de métier »

(Clot, 1999). Cette condition a été acceptée par le groupe de participants.

Lors de la première rencontre67, nous avons d’abord utilisé le formulaire de consentement

(voir Annexe 4) pour présenter le cadre de réalisation de cette recherche aux participants et

pour discuter de ce cadre avec eux. Cette étape a permis de s’assurer que les rôles soient

clairs entre les participants et le chercheur et que le groupe connaisse ce qui est attendu de

lui et ce qu’il peut attendre de la participation à cette recherche. Dans le but d’installer un

climat de confiance, favorable à la prise de parole, nous avons ensuite fait un tour de table

afin que chacun puisse exprimer ses attentes personnelles à l’égard de cette démarche de

recherche. Une fois cette étape réalisée et le consentement des participants obtenu, nous

avons entamé ladite démarche.

Dans un premier temps, nous avons expliqué plus en détail ce dispositif à l’aide de deux

documents distribués : l’un définissait les différents rôles (instructeur, sosie, groupe) et les

attentes liées à ces rôles pour mener à bien la recherche; l’autre définissait en détail les

différentes étapes (voir Annexe 5 et Tableau 1). Une fois le dispositif détaillé, nous avons

demandé aux participants si l’un d’entre eux désirait se porter volontaire en premier pour

jouer le rôle de l’« instructeur ». Une première personne s’est portée volontaire.

67 Décembre 2011

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161

Tableau 1. Résumé des étapes de déroulement du dispositif de clinique de l’activité

Durant la rencontre Après la rencontre

Formulaire et consentement

et explication du dispositif.

Instruction entre le sosie

(chercheur) et l’instructeur

#1.

Complément de

l’instruction entre

l’instructeur #1 et le groupe

de pairs.

À partir de la bande audio et de la

transcription, rédaction, par

l’instructeur #1, d’un commentaire

sur l’instruction réalisée.

Envoi du commentaire écrit au

groupe et au chercheur.

Discussion du groupe sur le

commentaire écrit de

l’instructeur #1.

Instruction entre le sosie

(chercheur) et l’instructeur

#2.

Complément de

l’instruction entre

l’instructeur #2 et le groupe

de pairs.

À partir de la bande audio et de la

transcription, rédaction, par

l’instructeur #2, d’un commentaire

sur l’instruction réalisée.

Envoi du commentaire écrit au

groupe et au chercheur.

Discussion du groupe sur le

commentaire écrit de

l’instructeur #2.

Instruction entre le sosie

(chercheur) et l’instructeur

#3.

Complément de

l’instruction entre

l’instructeur #3 et le groupe

de pairs.

À partir de la bande audio et de la

transcription, rédaction, par

l’instructeur #3, d’un commentaire

sur l’instruction réalisée.

Envoi du commentaire écrit au

groupe et au chercheur.

À partir de la lecture du dernier

commentaire et des résultats du

dispositif, réflexion de chacun des

participants en vue de retenir les

points importants de l’analyse co-

construite entre le groupe et le

chercheur.

Discussion du groupe sur le

commentaire écrit de

l’instructeur #3.

Retour sur les points

d’analyse clinique de

l’activité de travail réalisée

et bilan de la démarche.

Transcription intégrale des

instructions et des propos échangés

lors de la rencontre.

Rédaction du rapport par le

chercheur, transmis aux participants.

Ren

contr

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162

5.1.2.1. Instruction entre l’instructeur-participant et le sosie-chercheur

L’instruction au sosie débute par une consigne générale. Elle n’utilise pas de questionnaire

ou de canevas d’entrevue dirigée ou semi-dirigée et s’appuie essentiellement sur l’expérience

des sujets. Le rôle du chercheur est de soutenir le propos selon les modalités de la technique

du jeu de rôle. Nous avons utilisé la consigne générale utilisée par Clot (1999), qui l’a lui-

même adaptée de celle d’Oddone et ses collaborateurs (1981). La consigne utilisée par Clot

(1999) se lit ainsi : « Suppose que je sois ton sosie et que demain je me trouve en situation

de devoir te remplacer dans ton travail. Quelles sont les instructions que tu devrais me

transmettre afin que personne ne s’avise de la substitution?». Cette adaptation de la consigne

d’instruction au sosie nous paraissait plus intéressante que l’originale pour différentes

raisons :

En utilisant le « je » et le « tu »68, elle permet aux deux protagonistes, l’instructeur et

le sosie, de s’inscrire plus directement dans leur rôle respectif.

Elle ne focalise pas sur la dimension « physique » du sosie, laissant place à d’autres

dimensions de la « mêmeté » du sosie.

Elle ne focalise pas sur le « comportement », laissant la possibilité à d’autres

dimensions de l’activité d’émerger (p. ex., cognitive, affective).

Elle décontextualise la consigne de son utilisation originale qui visait spécifiquement

l’expérience ouvrière (référence à l’usine, aux « camarades » de travail, accent sur le

syndicat comme organisation).

La question d’Oddone et ses collaborateurs (1981) avait toutefois le mérite d’aborder

directement les quatre champs de l’expérience de travail qui doivent être traités dans

l’instruction au sosie. Nous avons donc ajouté ce complément à la question de Clot (1999) :

« Ces instructions doivent couvrir le rapport à la tâche, à tes pairs, à la ligne hiérarchique, et

aux organisations formelles ou informelles dans le monde du travail.».

68 À noter que, pour notre part, nous utiliserons plus spécifiquement le « vous » plutôt que le « tu » pour respecter

une distance de politesse.

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163

À partir de cette consigne générale, l’instructeur a lui-même délimité une séquence de travail

(p. ex., une journée type à partir de l’arrivée au bureau) pour permettre une focalisation sur

les « détails », en s’intéressant au « comment » plutôt qu’au « pourquoi » de l’activité (Clot,

1999). Souvent, le point de départ est axé sur l’arrivée au travail (Bournel Bosson, 2006),

mais il a été laissé à la discrétion des instructeurs volontaires de le situer comme bon leur

semblait. Par la suite, nous avons commencé le dialogue entre l’instructeur et le sosie (rôle

joué par le chercheur), ce dernier questionnant le premier dans le détail dans le but d’arriver

à une description la plus fine possible pour qu’il puisse le remplacer le plus fidèlement

possible. Le rôle de l’instructeur était de générer des repères suffisamment précis pour

permettre au sosie de se retrouver dans une situation avec laquelle il n’est pas familier, en lui

expliquant « non pas seulement ce qu’il fait habituellement, mais ce qu’il ne fait pas dans

cette situation, ce qu’il ne faudrait surtout pas faire si on le remplaçait, ce qu’il pourrait faire,

mais qu’on ne fera pas, etc. » (Clot, 1999, p. 155). Une des conditions de révélation de

l’activité est l’attitude naïve du sosie (Clot, 1999). Son rôle était donc de « résister » à la

version de l’instructeur, en lui objectant une version « non naturalisée » de son activité et en

imaginant les obstacles qu’il pourrait avoir dans la réalisation de son activité (Clot, 1999).

En fin de compte, le chercheur (sosie) devait obtenir de l’instructeur une double description :

celle de la situation, et celle de la conduite à adopter dans cette situation.

5.1.2.2. Complément de l’instruction entre l’instructeur et le groupe de pairs

À l’occasion de cette instruction, les autres participants étaient invités à prendre des notes

pour identifier les zones de convergence et de divergence en rapport avec leur expérience

professionnelle. Une fois l’instruction terminée, les autres participants ont été amenés à

questionner à leur tour l’instructeur afin d’approfondir et de préciser les consignes à son

« sosie » (Bournel Bosson, 2006). Il s’agit d’un espace de discussion possible de leurs règles

de métier. Le rôle du chercheur était donc d’animer la discussion et de tenir un cadre pour

préserver la possibilité pour chacun de tenir une « parole risquée », pour reprendre les termes

de Dejours (2008). En ce sens, Clot (1999) enjoint à la prudence dans les interprétations :

« Des interprétations trop directes du discours des opérateurs peuvent, par exemple, rejeter

dans le silence l’irréductible polyvalence et la polyphonie de l’activité réelle. » (p. 135).

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164

5.1.2.3. Production d’un commentaire par l’instructeur

À la suite de cette première rencontre, la méthode telle qu’élaborée par Clot (1999) prévoit

que l’instructeur retranscrive lui-même la transmission et produise un commentaire. Dans le

cas de notre recherche, nous nous sommes occupé nous-même de transcrire les propos qui

avaient été enregistrés sur bande audio, pour éviter un surcroit de travail aux participants.

L’autoconfrontation du sujet, visée par Clot (1999), a pu tout de même se réaliser sur les

deux temps convenus : 1) lors de l’instruction; 2) lors du « travail » sur les traces

objectivables de l’échange. De fait, les instructeurs ont reçu la bande audio et la transcription

des verbatim (les « traces objectivables »), ce qui leur a permis de rédiger un commentaire.

Pour ce faire, nous avions fourni des consignes dans les documents remis aux participants

(voir Annexe 5). Ce retour sur les échanges par l’écoute de la bande audio (et une relecture

des propos au besoin), de même que le travail d’écriture du commentaire, ont fourni une

occasion importante de réflexion de l’instructeur sur son activité via la transmission de son

expérience. C’est d’ailleurs cette réflexion, matérialisée par un commentaire écrit, qui a fait

l’objet d’un retour en groupe à la séance suivante, et non l’instruction en tant que telle

(Bournel Bosson, 2006).

Ce travail nécessaire pour la production d’un commentaire a pour objectif de permettre à

l’instructeur de cibler la genèse de ses choix, de constater ses hésitations, d’envisager les

alternatives qui auraient pu être possibles, et de prendre conscience des contradictions

pouvant générer un malaise (Clot, 1999). Il offre ainsi à l’instructeur l’occasion de remettre

en question certaines habitudes mises en place dans le travail, de réfléchir à leur origine, de

révéler des blocages, voire des stratégies défensives qui se sont installées à son insu. Selon

Clot (1999), en permettant au sujet « d’être » ce qu’il « pourrait être », cette exploration du

« réel de l’activité » met parfois au jour « l’aliénation que constitue l’acceptation de se laisser

déterminer par certaines contraintes alors que d’autres engagements de soi étaient et sont

envisageables » (p. 157).

Après avoir rédigé son commentaire, l’instructeur devait le faire parvenir à l’ensemble

des participants du groupe ainsi qu’au chercheur avant la rencontre suivante, afin qu’ils

puissent en prendre connaissance.

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165

5.1.2.4. Discussion de groupe sur le commentaire et l’instruction

Nous avons donc entamé la deuxième rencontre69 en demandant à l’instructeur #1 de

présenter brièvement son commentaire. Puis, les autres participants du groupe furent invités

à poser des questions à l’instructeur #1, à faire part de leur réaction face à ce commentaire.

Le groupe disposait autour d’une heure pour discuter des enjeux soulevés par ce

commentaire. Cette discussion bouclait la boucle d’un premier cycle lié à cette première

instruction.

5.1.2.5. Répétition du cycle d’instruction

La deuxième rencontre s’est poursuivie en amorçant un nouveau cycle avec un autre

instructeur : dialogue entre un instructeur et le sosie (chercheur), complément de l’instruction

avec le groupe, rédaction d’un commentaire et envoi du commentaire aux autres participants

du groupe et au chercheur, retour à la rencontre suivante sur ce commentaire avec une

discussion en groupe. La troisième rencontre70 a permis de boucler le deuxième cycle et

d’entamer le troisième cycle.

5.1.2.6. Bilan de la démarche d’analyse clinique de l’activité

Enfin, la quatrième rencontre71 a servi non seulement à boucler le troisième cycle, mais

également à faire un bilan, en groupe, de la démarche réalisée, comme cela était prévu dès le

début du dispositif. Pour ce faire, entre la troisième et la quatrième rencontre, il a été demandé

à l’ensemble des participants du groupe de s’adonner à un travail de réflexion afin de mettre

en lumière différents points. Le chercheur a invité, par courriel, les participants à préparer la

69 Janvier 2012

70 Mars 2012

71 Juin 2012

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166

discussion sur le bilan du dispositif en réfléchissant aux questions suivantes, inspirées des

objectifs et du cadre de la recherche, tels qu’énoncés dans le formulaire de consentement :

« À partir des instructions auxquelles vous avez participé, des commentaires rédigés

et des discussions qui ont suivi : 1) quels points communs constatez-vous entre vous

en termes de travail désiré / effectif / prescrit, de manières de faire, de règles de

métier, de contexte de travail, de difficultés et plaisirs?; 2) sur quels points y a-t-il des

spécificités et de quel ordre sont-elles?

Que retirez-vous personnellement de votre expérience de cette démarche (zone

personnelle de développement professionnel)?

Comme groupe, que retirez-vous de l’expérience collective de cette démarche (zone

collective de développement professionnel)?

Comment l’organisation du travail scolaire, l’institution, participe-t-elle au non à la

réalisation de la mission de la profession de conseiller d’orientation? »

C’est l’ensemble du matériel ainsi recueilli dans le cadre des différentes étapes de ce

dispositif qui a servi à l’analyse globale ayant mené à des résultats pour ce volet de la

recherche doctorale.

5.1.3. Démarche d’analyse des données

Contrairement à la psychodynamique du travail, dont la méthode commande une analyse en

cours d’enquête, l’analyse de cette clinique de l’activité par instruction au sosie a été réalisée

après avoir recueilli les données. Nous avons d’abord réorganisé le matériel recueilli et

regroupé chaque « cycle » d’instruction dans un même fichier : les verbatim du dialogue

instructeur / sosie et du dialogue élargi avec le groupe de participants; le commentaire rédigé

par l’instructeur; et les verbatim de la discussion du groupe en réaction au commentaire

rédigé par l’instructeur.

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167

Une fois constitué, ce corpus de données a d’abord fait l’objet d’une analyse verticale72 à

partir d’une grille fondée sur les catégories suivantes issues de Clot (1999) et Oddone, Re et

Briante (1981) : le travail effectif (activité réalisée); les quatre domaines d’expérience

(rapport à la tâche, aux pairs, à la hiérarchie, et aux organisations formelles et informelles du

monde du travail); et le « réel de l’activité ». Pour chacune de ces catégories, nous avons

codé le matériel en fonction des unités informationnelles et les avons regroupées en thèmes

couvrant l’essentiel des propos des participants au regard des objectifs de la recherche

(L’Écuyer, 1990). Pour ce faire, nous nous sommes familiarisé avec le matériel en lisant et

en relisant les transcriptions, afin d’en développer une connaissance approfondie. Ces

lectures ont permis d’avoir à la fois une vue d’ensemble des discussions tenues à chacune

des rencontres et d’y repérer les éléments significatifs au regard de nos questionnements. Ces

éléments significatifs, unités informationnelles, ont ensuite été organisés en thème, classés

au sein des catégories susmentionnées.

Par ailleurs, en cohérence avec notre position épistémologique, nous sommes demeuré ouvert

à l’émergence de nouvelles catégories qui permettraient de mieux saisir la complexité des

propos des participants, tout en considérant le cadre théorique retenu. Dans cette optique, il

nous est apparu fondamental de créer deux nouvelles catégories même si Clot (1999) et

Oddone, Re et Briante (1981) n’y font pas référence : 1) des caractéristiques du contexte de

travail conditionné en partie par l’organisation du travail des conseillers d’orientation; 2) les

stratégies mises en place pour faire face aux contraintes du travail et à la souffrance. Selon

nous, ces stratégies, déployées dans le travail au quotidien, marquent à la fois le style et le

genre professionnel, concepts centraux de la théorie de Clot (1999) qui sont susceptibles

d’éclairer l’identité professionnelle de métier. De plus, cette catégorie de « stratégies » avait

un potentiel heuristique au regard des résultats de l’enquête de psychodynamique du travail

qui investigue les stratégies défensives pour faire face à la souffrance dans le travail. Enfin,

une troisième catégorie a été retenue pour rendre compte des « domaines d’expérience

professionnelle » théorisés par Oddone et ses collaborateurs (1981), domaines qui permettent

de documenter la « triade vivante » de l’activité dirigée selon Clot (1999) : l’objet, soi, les

72 Cette analyse a été réalisée à l’aide du logiciel QDA Miner.

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168

autres. Ainsi, parmi les Autres envers qui l’activité est dirigée, les élèves sont apparus comme

des destinataires de première importance, compte tenu notamment de la nature du travail de

conseillers d’orientation. C’est pourquoi nous nous sommes intéressé plus particulièrement

au « rapport aux élèves » comme cinquième domaine d’expérience73.

C’est avec cette grille, complétée par ces trois nouvelles catégories, que nous avons procédé

à l’analyse finale de chacune des instructions, ce qui a donné une réalité découpée « par

instructeur ». Toutefois, au-delà de représenter une ressource pour élaborer l’expérience du

travail de chaque instructeur, le groupe n’était pas véritablement considéré avec cette grille

d’analyse, ce qui constituait un problème important. De fait, compte tenu de la nature de

notre objet d’investigation, il était impensable de ne pas considérer la richesse de l’apport

des réactions du groupe en termes de vécu subjectif issu de l’épreuve de l’accomplissement

du soi professionnel face aux contraintes du travail. Il y avait là une réalité collective de

première importance pour l’analyse. C’est pourquoi nous avons créé une dernière catégorie

« effet de l’instruction sur le groupe » pour rendre compte de ce vécu subjectif partagé.

Enfin, c’est en réalisant une analyse horizontale que nous avons pu générer quelques pistes

d’interprétation quant au « genre professionnel » et à certains « styles » qui peuvent se

dégager dans la pratique professionnelle de conseillers d’orientation en milieu scolaire. Pour

chacune des catégories (travail effectif, quatre domaines d’expérience du travail, et

stratégies), les thèmes identifiés dans l’analyse verticale ont été comparés d’une instruction

à l’autre, en vue de repérer les convergences et les divergences dans une synthèse qui tienne

compte à la fois de la singularité des cas et de ce qui est commun. Cette procédure s’apparente

à l’analyse « inter-cas » détaillée par Miles et Huberman (2003).

73 C’est dans la même optique où nous avons considéré, pour un des instructeurs, un sixième domaine

d’expérience concernant le « rapport aux parents », afin de rendre compte de son expérience certes singulière,

mais significative au regard du travail réalisé.

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169

5.1.4. Restitution / validation

À la fin de la quatrième rencontre, le groupe de participants s’est montré intéressé à ce que

nous organisions, une fois l’analyse complétée, une rencontre de restitution / validation, ce

qui a été fait74. Nous avions également convenu de leur faire parvenir un rapport écrit

consignant cette analyse de manière à ce que les participants puissent garder la trace écrite

de cette démarche.

5.2. L’enquête de psychodynamique du travail75

L’autre volet de notre méthode combinée prévoyait la mise en œuvre d’une enquête de

psychodynamique du travail. Une telle enquête se réalise habituellement avec un groupe de

participants volontaires d’une douzaine de travailleurs (10 à 15). Le volontariat a, encore plus

particulièrement dans cette approche, une importance clinique et scientifique : clinique, pour

s’assurer du caractère significatif de l’analyse produite pour l’expérience des sujets; et

scientifique, parce que la validité d’une telle recherche passe par une parole libre et éclairée

(Dejours, 2008). Le volontariat constitue en fait le fondement de l’accès à une parole libre et

authentique, matériau de base pour la production de connaissances en psychodynamique du

travail, notamment au regard de la souffrance et des stratégies défensives.

Le principe méthodologique à la base de l’accès à une parole authentique s’appuie sur

l’analyse de la demande émise par un groupe de travailleurs pour comprendre et analyser leur

situation de travail. Les enquêtes de psychodynamique du travail sont habituellement

sollicitées dans des situations où le travail est source de souffrance pathogène. Dans le cas

74 Novembre 2012

75 Cette section se fonde essentiellement sur un texte méthodologique de Christophe Dejours publié à l’origine

en 1987, portant sur la méthodologie en « psychopathologie » du travail, dont le projet était de révéler les

éléments pathogènes dans l’organisation du travail à laquelle les travailleurs étaient soumis. En 1993, lors du

passage de la psychopathologie du travail à la psychodynamique du travail, en fondant l’analyse sur le plaisir,

la souffrance et les stratégies défensives mises en place pour tenir au travail malgré les contraintes, Dejours a

publié son texte de 1987 exposant la méthodologie en psychopathologie du travail dans la nouvelle édition de

« Travail, usure mentale », en ajoutant quelques remarques dans un addendum. Pour l’essentiel toutefois, cet

addendum ne modifiait en rien la méthodologie exposée en 1987. Voir Dejours (2008).

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170

qui nous occupe, une demande de présenter un exposé sur la santé mentale au travail avait

été formulée par un représentant d’un groupe de conseillers d’orientation d’une commission

scolaire76 dans l’espoir de trouver des solutions aux problèmes vécus à cet égard. Voici un

extrait du courriel reçu :

Est-il possible de présenter une synthèse de votre communication sur La Santé mentale

des conseillers d’orientation que vous avez présentée lors du colloque du 4 juin

dernier? Je pensais particulièrement à votre hypothèse de travail à l’effet que « ’la

modification des pratiques peut affecter l’identité et, par voie de conséquence, la santé

mentale »’. Selon ce que je perçois, l’Orientation scolaire vit une certaine crise au

Québec à cause du nouveau rôle qu’on attend de nous en lien avec l’approche

orientante. Est-ce que j’ai raison?

Je sens aussi chez plusieurs membres du Service d’Orientation de ma Commission

scolaire de l’essoufflement, de la fatigue et même un certain désarroi face aux

nombreuses tâches à accomplir. Plusieurs c.o. prennent des congés de maladie de

longue durée. La modification des pratiques face à l’approche orientante vient

compliquer la situation. Si plusieurs d’entre nous peuvent comprendre ce qui arrive

présentement dans les pratiques attendues en Orientation, ils pourront probablement

y trouver un certain réconfort et même des pistes de solution ou de résilience. C’est un

peu ce qui motive ma demande auprès de vous et de vos travaux.

Il nous est apparu par ce courriel et les préoccupations exprimées un point de départ d’une

demande qui pouvait se traduire en une recherche en bonne et due forme. Or, les chercheurs

en psychodynamique du travail relèvent l’importance du travail d’« élaboration de la

demande ».

Ainsi, à la suite de la réception de ce courriel, nous avons présenté une communication sur

la santé psychologique au travail des conseillers d’orientation auprès de la vingtaine de

conseillers d’orientation de cette commission scolaire77. Étant donné que le projet de thèse

n’était pas encore complété à ce jour, cette communication s’est limitée principalement à

76 Ce représentant d’une Table de concertation de c.o. d’une commission scolaire a fait cette demande à la suite

d’une communication donnée dans le cadre d’un Colloque de c.o., mais aussi après avoir diffusé les résultats

de la recherche sous le titre « L’école en souffrance. Psychodynamique du travail en milieu scolaire » (Maranda

& Viviers, 2011). Cette recherche a fait l’objet d’une série de communications présentées au sein du réseau de

Santé et de sécurité du travail de la Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec

(FPPE-CSQ) sur la psychodynamique du travail du personnel professionnel en milieu scolaire (Viviers,

Maranda, Héon, & Deslauriers, 2013).

77 Novembre 2010

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171

présenter l’équivalent du premier examen de doctorat (cadre théorique et grandes lignes de

la proposition méthodologique). Plusieurs participants s’étaient par ailleurs montrés

intéressés à participer à la recherche lorsque celle-ci serait mise en œuvre.

Or, quelques mois plus tard, une fois le projet de thèse complété et approuvé par le Comité

d’éthique de l’Université Laval (CÉRUL), nous avons repris contact avec le responsable de

la Table de concertation des c.o. de cette commission scolaire afin de vérifier s’il y avait

toujours de l’intérêt pour réaliser cette enquête, en l’occurrence de psychodynamique du

travail. Le recrutement des participants commençait officiellement.

5.2.1. Constitution du groupe d’enquête : démarches de recrutement

Lors de cette reprise de contact avec le responsable de la Table de concertation des c.o. de

cette commission scolaire78, nous avons clarifié le cadre et les objectifs de la recherche et

exploré les modalités de sa mise en œuvre. Habituellement, il appartient au représentant des

participants potentiels de constituer un groupe pour la réalisation d’une enquête de

psychodynamique du travail. En conséquence, ce représentant a invité des collègues à y

prendre part en leur transmettant l’annonce approuvée par le CÉRUL, annonce précisant les

objectifs de la recherche, les critères de sélection des participants et une brève description de

ce qui était attendu d’eux (voir Annexe 6).

Tel qu’il vient d’être fait mention, le premier critère de sélection fut le volontariat, une

condition sine qua non pour la tenue d’une telle enquête clinique. En fait, puisque la demande

provenait du représentant d’un groupe de conseillers d’orientation d’une commission

scolaire, il ne nous apparaissait pas nécessaire d’ajouter d’autres critères de sélection. Si ce

sont essentiellement des conseillers d’orientation du niveau secondaire qui risquaient d’être,

en nombre, les plus affectés par le contexte de réorganisation du travail dans les écoles, nous

ne voulions pas nous y limiter de façon à ne pas exclure du problème certaines dynamiques

organisationnelles ou professionnelles vécues au sein de cette commission scolaire. Ainsi,

l’appel à participer fut transmis aux c.o. de tous les milieux confondus (p.ex., écoles

78 Avril 2011

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172

secondaires, écoles de formation professionnelle, etc.), ce qui représente autour d’une

vingtaine de participants potentiels.

Après une relance par courriel79, le répondant a pu réunir huit personnes. Toutefois, nous

aurions espéré réunir un groupe de douze participants, afin de prévoir le maintien du

minimum de huit pour l’ensemble de la recherche. Considérant les réticences évoquées par

certains participants potentiels quant au nombre de « demi-journées » de libération que ce

dispositif de recherche requérait (quatre), nous avons offert aux c.o. de cette commission

scolaire de tenir seulement trois rencontres au lieu de quatre, mais cela n’a pas permis de

recruter davantage de participants au sein de cette commission scolaire. Il a donc été convenu

de reporter le début de l’enquête à l’automne, de manière à trouver une solution alternative.

À la fin de l’été 2011, des démarches ont donc été entreprises80 en collaboration avec la

nouvelle personne répondante de cette commission scolaire81, pour élargir la participation

aux c.o. des commissions scolaires avoisinantes. Deux appels ont été lancés à l’ensemble des

c.o. relevant du même syndicat régional, en vain. Il semble que ces envois par courriel soient

passés inaperçus, notamment en raison du contexte de début d’année scolaire. C’est lorsque

nous avons été invité à présenter, en personne, le projet de recherche aux c.o. d’une deuxième

commission scolaire82 que le recrutement a pu être complété; un nombre suffisant de

conseillers d’orientation étaient réunis pour tenir l’enquête (onze)83.

Il est à noter que nous avions réussi, au cours de l’été 2011, à obtenir un appui de l’Ordre

professionnel des conseillères et des conseillers d’orientation, comme nous l’avons spécifié

à la section 5.2.1. En plus d’apporter publiquement son appui à notre recherche (les deux

79 Mai 2011

80 Septembre 2011. Modifiant le projet initial (en élargissant le recrutement aux commissions scolaire

avoisinantes), ces nouvelles démarches ont dû être approuvées par le CÉRUL.

81 Le répondant initial a quitté son poste à la fin de l’année scolaire 2011.

82 Octobre 2011

83 Les caractéristiques des participants se retrouvent au début du chapitre 7.

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173

volets) à l’ensemble des c.o. œuvrant en milieu scolaire84, l’Ordre a spécifié que les heures

de participation seraient reconnues dans les heures d’activités de formation continue que les

c.o. doivent accumuler annuellement. Nous n’avons toutefois aucun indice qui nous laisse

croire explicitement que cet appui ait permis de susciter un plus grand intérêt envers notre

recherche.

5.2.2. La pré-enquête et l’analyse de la demande

À partir du moment où la demande fut reçue et un groupe d’enquête constitué, il devait y

avoir préparation de ce que l’on appelle pré-enquête. À cette occasion, lors des enquêtes

habituelles en psychodynamique du travail, il y a d’abord mise sur pied d’une équipe de

chercheurs, deux ou trois suggère Dejours (2008), pour réaliser la recherche sur le terrain.

Par ailleurs, en plus de cette équipe, il y a normalement constitution d’un « collectif de

contrôle », composé d’autres chercheurs si possible provenant de disciplines différentes, dans

le but de soutenir une analyse clinique fondée sur une intersubjectivité la plus féconde

possible en termes de visions du monde.

Dans le cadre de notre démarche doctorale, le doctorant était le seul chercheur présent à

proprement parler sur le terrain et l’analyse intersubjective entre chercheurs s’est réalisée

essentiellement en « collectif de contrôle », composé de l’équipe de direction de thèse du

doctorant, rassemblant des professeurs en sociologie, en psychosociologie et en sciences de

l’orientation. L’intersubjectivité multidisciplinaire fut particulièrement importante dans une

perspective éthique, sur laquelle nous nous attarderons ci-après.

Une fois constituée l’équipe de recherche, la préenquête implique une analyse de la demande,

que nous avons évoquée précédemment. L’analyse de la demande vise à clarifier le cadre de

réalisation de l’enquête pour les différents acteurs impliqués. Dans le cas qui nous occupe,

nous avons utilisé le formulaire de consentement voir Annexe 7) comme outil d’élaboration

de la demande lors de la première rencontre d’enquête. Après avoir lu à haute voix le

formulaire avec les participants, nous l’avons mis en discussion de manière à ce que tous et

84 Septembre 2011

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174

toutes soient au clair avec les enjeux de leur participation. Cet exercice a permis de répondre

aux exigences de l’analyse d’une demande (Dejours, 2008) :

S’assurer que tous et toutes participent de manière volontaire à cette recherche (vs.

obligation à participer);

Cerner la nature de la demande et sa correspondance avec les objectifs de recherche;

Expliquer plus précisément ce qu’est une enquête de psychodynamique du travail, ce

qui est attendu ou non des participants, les bénéfices escomptés et les risques

possibles;

Présenter le chercheur, son rôle et le contexte de réalisation de cette recherche.

Compte tenu des incidences que peut avoir une telle enquête clinique sur le rapport au travail

et aussi sur l’organisation du travail et les rapports sociaux, les risques et responsabilités

devaient être ainsi discutés et assumés autant de la part des participants que du chercheur.

C’était une étape cruciale pour que puisse se dérouler l’enquête dans un contexte à la fois

éthique et heuristique.

5.2.3. Le déroulement de l’enquête

Comme le prévoit la méthodologie (Dejours, 2008), l’enquête de psychodynamique du

travail s’étend habituellement sur quatre rencontres de trois heures. À l’occasion des deux

premières rencontres, le rôle du chercheur est de soutenir la parole du groupe de participants

à propos du problème à l’étude, à partir d’une question générale de départ. En effet, l’enquête

de psychodynamique du travail ne procède pas à l’aide de questionnaires ou d’entrevues

dirigées ou semi-dirigées. Le seul questionnement prévu à l’avance est la question générale

sur laquelle sera lancée la discussion. Cette question devait à la fois tenir compte de nos

objectifs scientifiques, mais également de la demande, telle qu’exprimée par la personne

répondante initialement. Or, la demande exprimée dans le courriel initial faisait état d’une

« crise de l’Orientation scolaire au Québec », d’un « essoufflement, de la fatigue et même un

certain désarroi face aux nombreuses tâches à accomplir », qui se traduisait apparemment

pour plusieurs en « congés de maladie de longue durée ». Enfin, la demande exprimait un

désir de « comprendre ce qui arrive présentement dans les pratiques attendues en

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175

orientation ». Ainsi, lors de la première rencontre, après avoir lu et discuté le formulaire de

consentement, nous avons soumis au groupe la question suivante :

Comment comprenez-vous votre travail et vos pratiques actuelles de conseillers

d’orientation en milieu scolaire en termes de dynamique plaisir / souffrance?

Au début de la deuxième rencontre, la question générale a été soumise de nouveau au groupe

afin d’obtenir des clarifications descriptives supplémentaires. À la suite de cette deuxième

rencontre, nous avons fait une première analyse des propos des participants, enregistrés sur

bandes audio et transcrits en verbatim, à partir de la grille théorique de la psychodynamique

du travail (voir section 5.2.4. pour la méthode spécifique d’analyse). À la troisième

rencontre, nous avons livré aux participants une synthèse verbale de cette première analyse

afin de la mettre en discussion. Entre la troisième et la quatrième rencontre, nous avons

produit un rapport écrit consignant l’analyse co-produite à ce jour. À la quatrième

rencontre, ce rapport a été lu et discuté avec les participants dans l’optique de le nuancer, de

le corriger, de le valider. Une fois les corrections intégrées, une version finale du rapport a

été transmise aux participants. Lors de cette dernière rencontre, nous avons réitéré aux

participants qu’ils sont codétenteurs des connaissances produites dans le cadre de ce

dispositif de recherche et nous avons également clarifié le statut de ce rapport de manière à

mettre en place les conditions qui pourront permettre « la socialisation des résultats de

l’enquête. » (Molinier, 2008, p. 299).

5.2.4. Démarche d’analyse de psychodynamique du travail

La clinique de la psychodynamique du travail consiste à soutenir l’analyse des processus de

résistance qui entravent l’accès des sujets à leur détermination consciente au travail. Le

propre de la psychodynamique du travail est l’étude des stratégies défensives individuelles,

partagées et collectives qui permettent aux individus et aux collectifs d’endiguer la

souffrance au travail. Paradoxalement, les stratégies défensives contribuent au maintien des

problèmes à la source de la souffrance et peuvent ainsi faire perdurer le caractère pathogène

d’une organisation du travail.

Cela étant, quels sont les principes techniques et théoriques qui ont dirigé notre analyse?

Telle que présenté par Dejours (1988b; 2008) dans les écrits méthodologiques en

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176

psychodynamique du travail, le travail d’analyse clinique passe essentiellement par la

subjectivité et l’intersubjectivité des chercheurs. L’analyse se fonde véritablement sur une

herméneutique, à la différence de la clinique de l’activité, qui fait davantage place à la

description. Quelle balise donner alors à l’interprétation?

La théorie sert de guide à l’interprétation, mais l’interprétation doit demeurer ouverte à ce

qui se présente au sein du collectif d’enquête. La méthode de recherche est fondée sur

l’intersubjectivité, comme nous l’avons dit. Il s’agit donc de « mobiliser sa propre

subjectivité comme accès à la subjectivité de l’autre » (Molinier, 2008, p. 293). Pour avoir

accès à la souffrance d’autrui, le chercheur doit mobiliser son propre corps en entier pour être

en mesure de comprendre dans le registre de l’éprouvé (Molinier, 2008). En ce sens, la

capacité d’étonnement, d’ouverture, de pratiquer l’écoute risquée est au fondement de

l’attitude clinique nécessaire à la réalisation de ce type d’enquête. Dejours (2008) explique :

« Le but est de mettre en forme ici ce qui, pour le chercheur, dans la rencontre avec les

travailleurs, lui paraît étonnant, surprenant, incompréhensible, pénible, angoissant, agressant,

etc., par rapport à l’expérience qu’il possède […] » (p. 208). Toutefois, comme le spécifie

Molinier (2008), « la subjectivité seule […] ne sert à rien, elle doit être armée par l’expérience

du terrain et armée par le concept. » (p. 297). Ainsi, nous nous sommes fondé à la fois sur

notre expérience professionnelle dans le registre de l’intervention en counseling et en

psychodynamique du travail, et sur notre connaissance de la psychodynamique du travail

pour guider notre interprétation.

Selon Molinier (2008), l’interprétation en psychodynamique du travail se passe en trois

temps :

[…] un temps proprement subjectif; un temps d’analyse, réflexif et délibératif,

qui implique à la fois des connaissances conceptuelles sur le monde du travail et

en psychologie; un temps de restitution-validation auprès des enquêtés pour

mettre à l’épreuve les interprétations des chercheurs. (p. 297)

Se pose maintenant la question de la « validité » de cette interprétation. La méthode de

l’enquête de psychodynamique du travail prévoit des modalités d’analyse qui s’effectuent

dans une perspective d’intersubjectivité élargie, en commençant avec les participants de

l’enquête. De fait, nous l’avons dit, une analyse interprétative appuyée sur la grille théorique

de la psychodynamique du travail a été effectuée entre la deuxième et la troisième rencontre.

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177

Cette analyse a été soumise au « collectif de contrôle », dans ce cas-ci l’équipe de direction

du doctorant, ajoutant un deuxième niveau d’intersubjectivité (entre le doctorant et les

participants). Puis, cette première analyse interprétative concernant les stratégies défensives

est présentée sous forme d’hypothèses au groupe de participants au début de la troisième

rencontre. Pour Dejours (2008), une interprétation juste est une interprétation « heuristique »,

qui suscite la poursuite d’un investissement soutenu dans l’investigation. À la suite de la

troisième rencontre, le chercheur poursuit son analyse interprétative à partir des

commentaires du groupe de participants sur la première interprétation. Il produit ainsi une

deuxième analyse qu’il consigne par écrit. Cette analyse a encore une fois été discutée avec

le collectif de contrôle « élargi »85, puis soumise finalement aux participants via le rapport

écrit lors de la quatrième et dernière rencontre, afin qu’ils puissent le valider, le nuancer,

voire le corriger au besoin.

En définitive, lorsque l’on envisage la validité de l’analyse interprétative consignée dans le

rapport final, Cru (1988) propose que le critère général soit la « libération du sens », qu’il

distingue en deux temps : en libération de sens pour les travailleurs (critère opérant) et

libération de sens pour la connaissance (critère heuristique).

[...] le critère opérant doit pouvoir se vérifier dès la transmission de

l’interprétation; il peut être plus ou moins important et se traduire après coup par

une nouvelle demande aux chercheurs ou une nouvelle revendication ouvrière.

Ce critère opérant existe si quelque chose a changé, si l’après-interprétation se

distingue de l’avant, dans le groupe ouvrier. Le deuxième, le critère heuristique,

désigne la capacité d’une interprétation à s’insérer ou à ouvrir une théorie rendant

compte d’un maximum de phénomènes. (p. 31)

En plus de l’analyse clinique intersubjective, nous nous sommes également appuyé sur une

pratique en psychodynamique du travail, du moins au Québec, pour procéder à une analyse

plus systématique des traces « objectivables », pour reprendre les termes de Clot (1999), à

partir de l’enregistrement des rencontres et la transcription des verbatim. L’appareillage

théorique et conceptuel de la psychodynamique du travail fut convoqué pour réaliser une

85 En plus de l’équipe de direction de thèse, cette analyse a été présentée et discutée avec quelques autres

chercheurs, dont deux membres du comité d’accompagnement de thèse, professeurs en sciences de l’orientation.

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178

analyse de contenu86 à partir de catégories issues de la psychodynamique du travail : le travail

effectif vs. le travail prescrit, la dynamique souffrance /plaisir, puis les stratégies défensives.

Pour chacune de ces catégories, nous avons codé les propos des participants en fonction des

unités informationnelles et les avons regroupées en thèmes au regard des objectifs de la

recherche (L’Écuyer, 1990). Pour ce faire, encore une fois, nous nous sommes familiarisé

avec le matériel en lisant et en relisant les transcriptions, afin d’en développer une

connaissance approfondie. Ces lectures ont permis d’avoir à la fois une vue d’ensemble des

discussions tenues à chacune des rencontres et d’y repérer les éléments significatifs au regard

de nos questionnements. Ces éléments significatifs, unités informationnelles, ont ensuite été

organisés en thèmes, classés au sein des catégories susmentionnées. Cette procédure est

venue enrichir le point d’entrée subjectif de l’analyse clinique de psychodynamique du

travail.

5.2.5. Rencontre de restitution/ validation

Tel que montré, la validation des analyses s’est faite tout au long de l’enquête de

psychodynamique du travail. Les participants du groupe ont approuvé le rapport final et ils

ont été informés qu’ils avaient le loisir de l’utiliser comme bon leur semble dans les suites

de l’enquête. Comme le souligne Dejours (2008), le rapport constitue la trace écrite, figée,

d’une forme de récit interprétatif du rapport subjectif à l’organisation du travail. S’appuyant

sur Ricoeur (1986), Dejours (2008) spécifie que le texte ainsi produit est « doué d’une vie

propre qui transcende son auteur et produit des effets qui échappent à son intention initiale »

(p. 250). À cet effet, les participants à l’enquête sont les seuls responsables d’y donner suite

au besoin. Cet aspect a été discuté, comme en témoigne l’« épilogue » du chapitre 7.

Cela étant dit, nous avons offert au groupe la possibilité de présenter les résultats de l’enquête

dans les tribunes qu’ils jugeaient opportunes. En conséquence, des représentants provenant

de chacune des commissions scolaires impliquées dans le groupe d’enquête nous ont invité

86 Cette analyse a été réalisée à l’aide du logiciel QDA Miner.

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179

à présenter les résultats de l’enquête à leur table respective de concertation de c.o.87. Les

résultats ont été bien reçus par les c.o. rencontrés.

5.3. Stratégie de triangulation des résultats des deux méthodes

Afin de répondre à l’ensemble des objectifs de la recherche, nous avons opéré une

triangulation des résultats obtenus avec chacune des deux méthodes. Cette démarche a été

réalisée plusieurs mois après avoir conclu chacun des dispositifs (instruction au sosie et

enquête de psychodynamique du travail). Ce croisement des résultats fut nécessaire en

fonction du modèle conceptuel visant à comprendre la dynamique de souffrance identitaire

des c.o., modèle construit à partir des concepts retenus pour chacune des théories mises à

contribution : la théorie de l’activité dirigée (Clot, 1999) et la théorie de la psychodynamique

du travail (voir figure 1 au chapitre 3).

Plus précisément, nous avons procédé à une analyse horizontale (inter-cas; Miles &

Huberman, 2003) en fonction des trois catégories suivantes, qui recoupaient les catégories

existantes dans les résultats de chacune des méthodes : pratiques effectives, expérience

pathique du travail, stratégies pour faire face au réel du travail et à la souffrance. Dans

l’optique de nourrir la réflexion à partir du modèle conceptuel, nous avons retracé, dans les

résultats de chaque volet, ce qui était également de l’ordre des « pratiques prescrites » et des

« pratiques désirées », ajoutant ainsi deux nouvelles catégories. Nous avons, ici encore,

analysé les convergences et divergences pour chacune des catégories. Toutefois, cette

analyse ne s’est pas avérée suffisamment évocatrice de la nature « dynamique » du

phénomène de souffrance identitaire de métier.

C’est ainsi que nous avons alors élevé le niveau d’abstraction en tentant d’identifier, à partir

de l’analyse horizontale effectuée, des thèmes évocateurs qui expriment la souffrance

identitaire de métier vécue par les conseillers d’orientation. Nous avons alors pu repérer

quatre sources de souffrance identitaire de métier et deux types de stratégies pour faire face

87 Septembre 2012 et Mars 2013

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180

au réel du travail et à la souffrance vécue. Les résultats de ce processus de triangulation des

méthodes sont présentés à la Partie 4 de la thèse.

5.4. Critères scientifiques et éthiques dans une telle recherche

Avant de passer aux résultats comme tels de la recherche, il importe d’insister sur

l’observance de critères scientifiques et éthiques dans la bonne conduite d’une telle

démarche. Pour rendre compte de la « validité » d’une recherche comme la nôtre, qui s’inscrit

dans un paradigme constructiviste-interprétatif, Gohier (2004) suggère d’ajouter aux critères

de rigueur méthodologiques des critères relationnels, essentiellement d’ordre éthique. Nous

avons repris cette proposition pour mettre en œuvre notre dispositif de recherche.

D’abord, sur le plan scientifique, Gohier (2004) suggère de s’assurer de la crédibilité de la

démarche de recherche, critère qu’elle définit ainsi :

La crédibilité traduit un souci de « validation » interne, sur le plan de la saisie

des données, par l’utilisation de la technique de triangulation des sources et des

méthodes ainsi qu’un souci d’établir la validité de signifiance de l’observation

(accord entre le langage et les valeurs du chercheur et ceux de l’acteur) et la

validité de signifiance des interprétations (corroboration de l’interprétation du

chercheur avec d’autres personnes, voir l’acteur lui-même). (p. 6-7).

Ce critère a été rempli par la présente recherche de différentes manières : l’utilisation d’une

méthode combinée pour éclairer notre objet de recherche; production de synthèses verbales

et d’un rapport écrit (pour l’enquête de psychodynamique du travail); ainsi que la présence

d’un « collectif de contrôle » pour discuter les interprétations.

La transférabilité constitue quant à elle un critère de « validité externe » (Gohier, 2004). Il

s’agit d’assurer une saturation des données au regard du contexte spécifique dans lequel s’est

déroulée la recherche. À cet effet, une description du contexte de la recherche et des

participants a été produite, tout en préservant l’anonymat des personnes et des institutions.

Par ailleurs, il est important de noter que nous ne prétendons pas à la généralisation des

résultats. Ce type de recherche génère des savoirs sur le « sens d’une expérience » de travail,

sens qui peut faire écho chez d’autres sujets, dans des contextes similaires. Par exemple, dans

le cadre de la récente enquête de psychodynamique du travail en milieu scolaire, les

présentations de résultats que nous avons faites auprès de différents milieux nous suggèrent

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181

que l’analyse produite dans une école secondaire peut être juste et signifiante pour des gens

travaillant dans d’autres écoles secondaires (Maranda & Viviers, 2011).

La constance interne, ou l’indépendance des observations et des interprétations (Gohier,

2004), a constitué le troisième critère d’ordre scientifique. Les observations et interprétations

ont été soumises à l’intersubjectivité à fois avec les groupes de participants et avec le

« collectif de contrôle ». Ce sont les discussions au sein de ce « collectif de contrôle », en

mesure de comparer nos résultats avec ceux d’autres recherches, qui ont permis de tenir

compte de variations accidentelles ou systématiques des milieux ou de la personnalité du

chercheur-acteur de la démarche.

Enfin, la fiabilité cherche, quant à elle, une transparence des analyses par rapport à

l’idéologie des chercheurs (Gohier, 2004). En ce sens, la fiabilité passe par une énonciation

des présupposés et orientations épistémologiques d’une part – ce que nous avons fait via le

formulaire de consentement – mais aussi par une implication à long terme auprès des

participants – notre dispositif prévoyait plusieurs rencontres s’étalant dans le temps – et une

triangulation des données – que nous a permis notre méthode combinée.

En plus de ces critères d’ordre scientifique, Gohier (2004) suggère d’apprécier la qualité

d’une recherche interprétative par d’autres critères, d’ordre relationnel, éthique et

démocratique. Les critères relationnels concernent l’équilibre, l’authenticité et le respect

entre participants et chercheur. Les critères éthiques et démocratiques ont trait, quant à eux,

à la qualité des échanges, la dignité des personnes, le souci de l’autre et de tous et la prise en

compte du contexte économique, politique et social. L’approche de la clinique du travail,

telle que nous l’avons exposée, nous apparaît bien répondre à ces critères.

En somme, en plus d’avoir observé les engagements contractés au Comité d’éthique de

l’Université Laval, nous avons été soucieux d’adopter, dans la conduite de cette recherche,

une posture éthique de « sollicitude » (Gilligan, 1986). Comme le suggère Laplante (2005)

pour la réalisation de recherches collaboratives en sciences de l’éducation, il est nécessaire

d’être constamment préoccupé par des considérations éthiques dans l’ensemble des étapes de

la recherche et non pas uniquement dans la conception du devis de recherche : « En ce sens,

le chercheur collaboratif devrait en arriver à réaliser que les questions relatives à l’éthique ne

sont pas réglées une fois pour toutes lorsque le comité d’éthique de la recherche a donné son

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approbation au projet. » (Laplante, 2005, p. 435). C’est dans cette optique où nous avons,

tout au long de la recherche avec les groupes de participants, été vigilant pour nous assurer

de tenir le cadre de la recherche, tout en considérant les « aspérités du terrain » (Lhuilier,

2010) et la réalité subjective et professionnelle des participants.

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183

PARTIE 3

Résultats et analyse

Cette troisième partie de la thèse présente les résultats de la réalisation de chacune des

méthodes de recherche décrites au chapitre 5. Les deux volets méthodologiques cherchent, à

leur manière et à partir de leur approche théorique et conceptuelle propre, à répondre aux

objectifs spécifiques de cette recherche :

Décrire et analyser les pratiques effectives des conseillers d’orientation au sein de

l’organisation actuelle en milieu scolaire.

Comprendre, décrire et analyser l’expérience du travail au regard du rapport à la tâche

(pratiques prescrites) et aux destinataires de l’activité (élèves, pairs, hiérarchie,

organisations professionnelles), les sources de souffrance et de plaisir au travail, et

aussi les stratégies pour faire face au réel de l’organisation du travail et à la souffrance

qu’il engendre.

Analyser la place de l’identité professionnelle de métier dans cette dynamique,

notamment au regard des concepts de collectif de travail et de genre professionnel.

Le chapitre 6 détaille les résultats issus de l’analyse réalisée à partir du corpus de données

généré par la démarche de clinique de l’activité par instruction au sosie (Clot, 1999; Oddone,

Re & Briante, 1981). L’analyse s’attarde ainsi à décrire l’activité de travail mise en visibilité

par les instructions réalisées avec trois c.o. qui se sont prêtés au jeu de rôle avec leur « sosie »

(le chercheur). Les instructions permettent également de « redécouvrir l’expérience

professionnelle »88 et de mettre ainsi en évidence le rapport subjectif au travail de ces

instructeurs à partir des quatre domaines d’expérience identifiés par Oddone, Re et Briante

(1981) et les stratégies mises en place pour réguler ce rapport au travail. Ces instructions

offrent des pistes pour mieux comprendre le « genre professionnel » à partir du travail réalisé.

88 Rappelons que l’objectif d’Oddone et ses collaborateurs (1981) était de fonder une nouvelle psychologie du

travail en soutenant la redécouverte de l’expérience du travail des ouvriers et de faire ainsi contrepoids à

l’organisation scientifique du travail mise en place dans les usines où les chercheurs intervenaient. D’où le titre

de leur ouvrage : Redécouvrir l’expérience ouvrière : vers une autre psychologie du travail ?

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184

Enfin, nous mettons en évidence, pour conclure, les points saillants de l’expérience partagée

par les autres participants du groupe, en écho aux instructions au sosie, points saillants qui

permettent d’enrichir la compréhension collective de la souffrance identitaire de métier.

Le chapitre 7 présente quant à lui les résultats de l’analyse intersubjective réalisée par le

chercheur, les participants à l’enquête et le collectif de contrôle, à partir de la grille

conceptuelle et théorique de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008). Ce chapitre rend

compte, à quelques modifications près, du rapport clinique issu de la démarche d’enquête.

Cette manière de procéder nous apparaît en cohérence avec la posture scientifique et éthique

détaillée à la section 5.4. Le travail effectif y est d’abord décrit à partir des témoignages du

groupe de participants. Puis est exposée une analyse de la dynamique souffrance / plaisir

repérée dans l’expérience du travail des c.o. rencontrés. Les contours des stratégies

défensives dégagées de l’analyse interprétative sont ensuite définis, de manière à mieux saisir

la complexité de l’expérience de souffrance identitaire de métier dont les c.o. ont témoigné.

Le chapitre se termine finalement sur une conclusion qui traduit les efforts de « socialisation

des résultats de l’enquête » (Molinier, 2008, p. 299), en concordance avec la perspective

émancipatoire au fondement de cette approche.

En somme, cette troisième partie de la thèse jette les bases d’une discussion plus approfondie

sur la dynamique de souffrance identitaire de métier chez les c.o. en milieu scolaire qui fera

l’objet de la quatrième et dernière partie de la thèse.

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Chapitre 6 – L’expérience du travail de conseiller d’orientation

en milieu scolaire : à la recherche d’un chœur de métier

La clinique de l’activité par instruction au sosie (Clot, 1999 ; Oddone, Re & Briante, 1981)

s’appuie sur une description fine de l’activité pour mettre le métier en débat, dans l’optique

de recréer un « chœur de métier » (Clot, 1999); de revitaliser le travail de métier. Plus

précisément, cette méthode vise à mieux comprendre les tensions existant entre les pratiques

mises en œuvre actuellement par les c.o. (l’« activité réalisée ») et ce qu’on appelle le « réel

de l’activité », i.e. ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire, ou est incapable de faire,

ce qu’on aurait voulu faire, etc.

Afin de rendre compte des résultats de cette analyse, nous détaillerons d’abord la composition

du groupe de participants et présenterons plus spécifiquement chacun des instructeurs89 afin

de tenir compte du contexte de travail dans la compréhension de leur expérience. Puis, nous

décrirons les pratiques effectives relatées par les instructeurs selon le type d’activités

réalisées afin de dégager des lignes de force quant à la manière de pratiquer la profession de

c.o. en milieu scolaire, selon ces instructions. Nous dresserons ensuite un portrait de

l’expérience du travail des instructeurs selon les différents domaines formalisés par Oddone

et ses collaborateurs (1981) : rapport à la tâche, aux pairs, à la ligne hiérarchique, et aux

organisations formelles ou informelles du monde du travail. Par la suite, nous nous

attarderons aux stratégies mises en place par les instructeurs pour faire face au réel. Ces

sections permettront de relever les points communs et les divergences dans l’expérience du

travail des instructeurs, afin d’en arriver à une compréhension synthétique de l’expérience

du métier de c.o. au quotidien. Enfin, nous rapporterons comment ces instructions font écho

89 À titre de rappel, le rôle d’instructeur est joué par un participant du groupe de volontaires, rôle pour lequel il

a le mandat de décrire le plus précisément possible son activité de travail. Le rôle du sosie, joué par le chercheur,

consiste à sous-questionner l’instructeur de manière à ce que celui-ci arrive à être le plus précis possible dans

ses instructions. La consigne de départ est libellée ainsi : « Suppose que je sois ton sosie et que demain je me

trouve en situation de devoir te remplacer dans ton travail, quelles sont les instructions que tu devrais me

transmettre afin que personne ne s’aperçoive de la substitution? Ces instructions doivent couvrir le rapport à la

tâche, à tes pairs, à la ligne hiérarchique, et aux organisations formelles ou informelles dans le monde du

travail. »

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dans l’expérience du groupe de participants, en analysant la souffrance identitaire de métier

et les stratégies partagées des c.o. pour y faire face.

En somme, cette démarche avait pour ambition de contribuer à redonner du sens à

l’expérience du travail des participants, à identifier des pistes de développement potentiel de

la pratique professionnelle et d’amélioration de l’organisation du travail dans une optique de

mieux-être et de santé. Les rencontres de groupe prévues pour cette méthode ont constitué

une occasion de parler de son métier avec des collègues conseillers d’orientation, de « soigner

son travail », individuellement et collectivement.

6.1. Présentation des participants

Le groupe de c.o. ayant répondu positivement à cet appel de participation est composé de

huit conseillères et deux conseillers d’orientation provenant d’une commission scolaire d’un

milieu urbain. Quatre participants ont une expérience de plus d’une dizaine d’années en

milieu scolaire. Les autres ont cinq ans ou moins d’expérience dans ce secteur de pratique.

Trois occupent un poste permanent tandis que les trois autres ont un statut de « contractuel

en voie de permanence ». Outre les plus anciens, la majorité des participants ont œuvré

plusieurs années dans un autre secteur, principalement dans le communautaire, avant

d’intégrer le milieu scolaire. Actuellement, la majorité des c.o. participants travaillent dans

des écoles secondaires offrant des programmes réguliers ou enrichis (p. ex., programme

d’éducation internationale). Deux c.o. œuvrent dans des écoles 16-21 ans et une c.o. est

rattachée principalement à la commission scolaire (au premier cycle et en adaptation

scolaire). Quatre c.o. ont mentionné explicitement avoir travaillé à la mise en œuvre de

l’approche orientante au cours des dernières années.

Comme le prévoyait le déroulement de la méthode, trois personnes se sont portées volontaires

pour jouer le rôle d’instructeur. Nous ferons ici une brève présentation de chaque instructeur

et de son contexte de travail, de manière à permettre une mise en perspective de sa pratique

et de son expérience du travail.

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6.1.1. Instructrice #1 : Maryse

La première participante porte le nom fictif de Maryse. Cette conseillère d’orientation

pratique depuis près de vingt ans. Elle a travaillé dans différentes régions, surtout dans des

écoles secondaires, mais aussi à l’éducation des adultes et dans un cégep. Elle œuvre depuis

maintenant six ans à cette commission scolaire.

Maryse travaille au sein d’une école secondaire accueillant autour de 1000 élèves, dans

laquelle deux c.o. œuvrent à temps complet. Il s’agit d’une école à vocation particulière

puisqu’elle s’adresse spécifiquement aux élèves de 16 à 21 ans qui ont éprouvé des difficultés

diverses au plan académique ou personnel et qui, pour la poursuite de leurs études,

nécessitent une approche pédagogique différente de celle préconisée dans les écoles

secondaires dites normales. Les élèves sont donc souvent de jeunes adultes, ce qui teinte

l’esprit d’intervention de Maryse, nous le verrons.

Par ailleurs, cet établissement est caractérisé par son organisation scolaire qui fonctionne par

« semestre », c’est-à-dire que le calendrier comprend deux années scolaires en une. Pour les

c.o., cela implique, d’une part, la réalisation de deux « cycles de service » par année, et,

d’autre part, de devoir travailler avec une offre restreinte de voies de sortie au collégial pour

les élèves terminant leurs études secondaires au mois de décembre, puisque plusieurs

programmes d’études collégiales n’admettent pas de nouveaux étudiants au mois de janvier.

Enfin, il faut souligner l’organisation physique particulière des lieux de travail afin de bien

saisir l’esprit dans lequel Maryse situe « sa » place dans cette école. D’une part, pour le plus

clair de son temps, elle œuvre dans un lieu qui constitue le « centre de l’action »90 de l’école,

un « point stratégique » puisque « tout le monde passe par là ». Il s’agit d’une classe

aménagée en « centre de documentation » où, avec sa collègue c.o., elle accueille les élèves

la grande majorité du temps. Lorsqu’elles doivent les recevoir pour des consultations

individuelles (pour une « rencontre spéciale »91), Maryse et sa collègue ont accès à un « petit

bureau » fermé, bureau qui a toutefois pour principale fonction de servir de vestiaire... Elles

90 La police italique sera utilisée pour indiquer qu’il s’agit de verbatim.

91 Ce qui laisse supposer que les consultations individuelles sont rares.

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doivent se partager ces deux lieux de travail, ce qui implique une grande proximité physique.

Comme Maryse le souligne elle-même : « on est proches proches», à « 1,5 mètre de

distance ».

Bref, compte tenu de la mission de cette école (aider au « raccrochage » en vue d’une

diplomation), il semble que les conseillères d’orientation y occupent une fonction

relativement centrale, comme le laisse entendre l’organisation physique de leurs lieux de

travail.

L’instruction de Maryse a été réalisée au début du mois de décembre 201192. Son choix de

séquence de travail pour décrire sa pratique fut la période précédant tout juste le moment de

l’instruction, i.e. la période du mois de novembre, au cours de laquelle Maryse a pour

principale tâche d’aider les élèves à préparer le prochain semestre. Ainsi, le travail à réaliser

est principalement axé sur la révision et la validation des choix de cours de ceux et celles qui

demeurent à l’école à l’hiver. Par ailleurs, Maryse accompagne les élèves qui se préparent à

entrer au cégep par des rencontres plus ou moins formelles, tenues au centre de

documentation. À cela s’ajoutent des tâches qui se déroulent tout au long de l’année, à savoir

l’admission des futurs élèves, les rencontres d’orientation en individuel et l’exercice d’un

rôle-conseil auprès de la direction et des enseignants.

6.1.2. Instructrice #2 : Geneviève

Geneviève (nom fictif) a été la deuxième participante du groupe à se porter volontaire. Elle

pratique la profession de conseillère d’orientation depuis une dizaine d’années et se considère

à un moment charnière de sa carrière. C’est pourquoi elle a décidé de se prêter à l’exercice :

« Parce que je me sens dans un “entre-deux” : plus tout à fait junior dans ma pratique, mais

pas encore senior. Je sais que j’ai encore plusieurs années de travail devant moi. » Elle a

travaillé dans différents secteurs de pratique (communautaire et organisationnel) et œuvre

dans cette commission scolaire depuis cinq ans. Normalement, elle occupe un poste à temps

complet, dans lequel elle partage son temps entre deux écoles (quatre jours dans une école et

92 Le « cycle » d’instruction (voir Méthode) s’est achevé avec le retour en groupe à la mi-janvier 2012.

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une journée dans une autre). Au moment de l’instruction, elle était en processus de retour au

travail (congé de maternité), pratiquant pour le moment exclusivement dans son école

principale, à quatre jours par semaine.

Cette école secondaire accueille entre 1300 et 1500 élèves (selon les années) provenant d’un

milieu de la classe moyenne. Elle offre des programmes réguliers du niveau 1 au niveau 5,

ainsi qu’un programme enrichi et des classes d’adaptation scolaire. Seule c.o. (4 jours par

semaine) travaillant à cette école, elle concentre sa pratique avec les élèves de 5ème

secondaire, mais s’occupe aussi, lors de périodes particulières dans l’année, des élèves de

3ème secondaire (surtout pour les choix de séquences mathématiques93) et 4ème secondaire

(après le 1er mars94). Elle n’a malheureusement pas le temps de s’occuper des élèves des

autres niveaux.

Seule c.o. dans cette école, Geneviève doit travailler avec les cinq directions adjointes qui

couvrent l’ensemble des programmes dispensés à cette école, ce qui complexifie parfois son

travail. Le personnel de l’école est relativement stable. Trois techniciens en éducation

spécialisée et une psychoéducatrice sont disponibles pour les problèmes de retards scolaires

et de comportement, mais Geneviève ne travaille pas avec eux véritablement. Par contre, elle

collabore étroitement avec une « agente de motivation » qui provient d’un organisme externe.

Enfin, sur le plan de l’organisation physique de son lieu de travail, soulignons que Geneviève

a un « beau grand bureau » situé au 2ème étage de l’établissement, à portée des élèves. Elle

est donc relativement éloignée des bureaux de la direction et de la réception. Cette place

semble assez bien refléter la relative autonomie dont Geneviève bénéficie, notamment dans

son travail avec les élèves.

93 Les élèves de troisième secondaire doivent choisir la « séquence de mathématiques » (« Culture, société et

technique », « Technico-sciences », ou « Sciences naturelles ») qu’ils suivront pour la quatrième et la cinquième

année du secondaire.

94 Le 1er mars est une date butoir pour faire une demande d’admission dans un programme de formation

professionnelle ou collégiale.

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L’instruction a été réalisée au milieu du mois de janvier 201295. La séquence temporelle de

travail choisie par Geneviève est la période du mois de janvier. Il s’agit d’une période assez

représentative de l’ensemble de l’année (« à part le mois de mai qui est plus calme »). Sa

pratique comprend plusieurs tâches qui, au quotidien, s’entremêlent les unes aux autres : les

rencontres individuelles avec les élèves; les opérations administratives (inscriptions, choix

de cours); et les activités collectives (tournées de classes, journée carrière, approche

orientante).

6.1.3. Instructeur #3 : Pierre

Pierre (nom fictif) a été le troisième participant à se prêter à l’exercice d’instruction au sosie.

Conseiller d’orientation depuis plus de vingt ans, il a réalisé l’essentiel de sa carrière dans le

milieu scolaire, œuvrant dans différentes écoles avec différentes clientèles : décrocheurs,

élèves réguliers, élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage

(EHDAA). Actuellement, il pratique dans une école régulière ayant un programme enrichi,

« pour compétitionner avec le privé », dit-il.

Cette école secondaire accueille entre 1400 et 1500 élèves. Si les programmes offerts n’ont

pas de vocation particulière, cette école a néanmoins une bonne réputation qui fait d’elle une

école prisée dans le secteur atteignant souvent sa capacité d’accueil maximale. Les demandes

d’admission sont particulièrement nombreuses et laissent peu de marge de manœuvre pour

les changements d’école de plus en plus fréquents compte tenu de la multiplication des

familles « éclatées » et des déménagements qui en découlent.

Or, Pierre observe de plus en plus de parents d’élèves adoptant une posture clientéliste face

à l’école. Plusieurs estiment non seulement avoir le droit de choisir leur école comme bon

leur semble, sans égard aux contraintes organisationnelles, mais aussi avoir le droit de

recevoir des « services » qui les satisfassent. Ainsi, certains parents, qui veulent absolument

que leur enfant soit inscrit à cette école, sont passablement insistants, voire font preuve d’une

95 Le « cycle » d’instruction (voir Section 5.1.) s’est achevé avec le retour en groupe à la mi-mars 2012.

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grande imagination en usant de stratagèmes pour arriver à leurs fins (p. ex., inscrire l’adresse

de résidence d’un proche parent qui demeure, lui, sur le territoire desservi par cette école)…

Les parents vont très loin : ils vont mentir au niveau des preuves d’adresse, ils vont

raconter toutes sortes d’histoires, très touchantes (rires) pour aller à ton école,

jusqu’aux crises assez existentielles dans le hall d’entrée (I2 : Oh my Lord) étant donné

que « l’école publique doit desservir leur enfant et que nous sommes la cause de son

futur décrochage si on ne le prend pas à notre école » [ton dramatique, ironie].

Quand ce n’est pas le cas, certains parents se plaignent directement aux commissaires

d’école, faisant abstraction de la ligne hiérarchique régulière. Cette approche « client » de

plusieurs parents met une pression importante sur l’école, pression que Pierre subit

directement dans le cas spécifique des admissions.

Cette pression s’observe aussi de la part de parents provenant de certaines communautés

culturelles (p. ex., religieuses, ou relatives à une région du monde) qui ont pour coutume

d’être très présents dans la vie scolaire de leur enfant, en plus d’avoir une pratique

d’argumentation soutenue. La majorité des élèves de cette école étant issus de communautés

culturelles diverses, Pierre doit souvent composer avec cette réalité relativement nouvelle

dans sa pratique.

Pierre souligne que, sur le plan organisationnel, la commission scolaire est dans un contexte

de restrictions budgétaires avec des incidences sur les services offerts dans les écoles. En ce

qui a trait spécifiquement aux services d’orientation, son école dispose essentiellement de la

présence d’un seul c.o. (équivalent temps complet) : pas de conseiller en information scolaire

et professionnelle, peu de groupes qui reçoivent le cours Projet personnel d’orientation

(PPO), pas d’Approche orientante, ni de cours relatifs au programme d’Éducation au choix

de carrière (ECC). En fin de compte, Pierre dispose de 4 jours par semaine96 pour s’occuper

des 3ème, 4ème et 5ème secondaire, ce qui représente entre 25 et 30 groupes de 30 à 35 élèves

chacun.

Enfin, il est important de spécifier l’organisation physique des lieux de travail de Pierre

puisqu’elle traduit certaines contraintes vécues dans sa pratique au quotidien. De fait,

96 Occupant des responsabilités institutionnelles, Pierre est remplacé par un autre c.o. une journée par semaine.

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auparavant, le bureau de Pierre était adjacent à la réception, avec une porte directe pour y

accéder et une porte donnant sur la boîte de messagerie interne... Soulignons que Pierre a

pour consigne, de la direction, de garder sa porte de bureau ouverte. On comprendra mieux

pourquoi les demandes de la direction et de la réception affluaient à son bureau. Cette année,

son bureau est plus éloigné des locaux administratifs, ce qui a amélioré sa situation, dit-il.

L’instruction a été réalisée au milieu du mois de mars 201297. Elle a permis de faire un tour

d’horizon de l’ensemble de sa pratique effective. Le principal de son travail concerne

l’admission et les choix de cours. Pierre est lui aussi amené à réaliser des « tournées de

classes » et à organiser des activités d’information scolaire et professionnelle. Il effectue

également des rencontres d’orientation avec un certain nombre d’élèves. Enfin, Pierre a la

particularité d’inclure, dans sa pratique, des rôles de représentation de ses collègues,

notamment au « Conseil d’établissement » de l’école.

6.2. Description des pratiques effectives

À partir de l’analyse verticale de ces trois instructions, nous proposons d’examiner les types

d’activités qui composent le travail effectif de ces c.o. : 1) les admissions et les inscriptions;

2) le choix de cours; 3) la réponse aux besoins généraux d’information et d’orientation

scolaire et professionnelle; 4) les rencontres individuelles d’orientation; et 5) le rôle-conseil,

marqué principalement par la mise en œuvre de l’approche orientante. Ces types d’activités

constituent des regroupements d’activités de même nature. Nous décrirons ici ces activités,

en notant au passage les particularités de l’expérience de chacun des instructeurs, afin de

dégager certaines spécificités des situations des uns et des autres. Cette description des

activités des c.o. permettra de mieux situer leur expérience du travail à la section 6.3.

97 Le « cycle » d’instruction (voir Section 5.1.) s’est achevé avec le retour en groupe à la mi-juin 2012.

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6.2.1. Admissions / Inscriptions

Procéder aux admissions et aux inscriptions des élèves constitue une activité récurrente dans

la pratique des trois instructeurs, à différents niveaux toutefois. Pour Geneviève, il s’agit

certes d’une tâche importante, mais elle n’y accorde pas beaucoup de temps dans une

journée : analyse de dossiers une demi-heure le matin et retour d’appels aux parents dans la

journée. Quant à Maryse, cette tâche se réalise véritablement dans les interstices…

Quand on a un petit cinq minutes, là. (rires) On fait de l’analyse de dossiers. Il faut

répondre aux élèves : « T’es admis. Tu n’es pas admis.». On donne un rendez-vous à

une date au mois de décembre.

La pratique de Pierre est la plus marquée par cette activité : le travail relatif aux processus

d’admission y occupe une grande part. La direction de son école estime d’ailleurs qu’il s’agit

du premier mandat du c.o.. Il est « l’expert relié à ça » dans son école et il en a « l’entière

responsabilité ». Cette tâche est donc particulièrement envahissante puisque « ça ne prend

pas des questions très très pointues pour qu’un “oh, le c.o. va te répondre” se fasse

entendre ». Cela étant dit, cette direction d’école tient, paradoxalement, à superviser le c.o.

dans la réalisation de cette tâche. La pression est forte pour que Pierre demeure disponible

pour effectuer cette tâche d’admission.

Tu relèves d’elle [la directrice d’école] et elle te dit quoi faire, par rapport à la

demande d’admission. […] C’est elle qui confirme chacune des inscriptions. […]Tout

passe par là.

Lorsque des parents se présentent à l’école, avec ou sans-rendez-vous, pour inscrire leur

enfant à cette école, c’est d’abord la réceptionniste qui, habituellement98, s’occupe de

présenter le processus d’admission aux parents et de « monter » le dossier (faire les

photocopies des documents requis). C’est d’ailleurs le cas pour Geneviève et Maryse. Dans

le cas de Pierre, toutefois, il arrive fréquemment que des parents lui soient référés, par

exemple s’il y a un problème dans le montage du dossier, que la réceptionniste ne peut

répondre aux questions des parents, ou que ceux-ci soient trop insistants. Pierre constitue une

98 « Habituellement », parce que le roulement est relativement élevé à cette fonction. Or, lorsque la

réceptionniste n’est pas en mesure de monter le dossier (p. ex., elle est nouvelle, elle est absente de manière

circonstancielle ou à plus long terme), c’est le c.o. qui s’occupe de cette tâche.

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référence pour le personnel administratif puisqu’il dispose souvent de toutes les informations

nécessaires pour répondre aux parents, mais aussi de qualités de « médiateur » qui lui

permettent de désamorcer des situations tendues.

Une fois le dossier monté, les c.o. sont responsables de vérifier l’admissibilité de l’élève

selon son lieu de résidence, d’analyser son dossier, de collecter les informations relatives aux

particularités de son cheminement (p. ex., appeler son ancienne école pour faire certaines

vérifications). Ils doivent aussi vérifier si le dossier de l’élève présente des particularités. Or,

de nos jours, les dossiers sans particularités sont devenus l’exception, selon Pierre…

Un dossier simple, c’est rare : 5 % du temps. C’est toujours compliqué, toujours,

toujours compliqué, toujours, toujours. Il n’est jamais complet le dossier. Ah, c’est

incroyable, incroyable.

Toujours selon Pierre, traiter les dossiers d’admission est de plus en plus complexe avec les

années, en raison notamment de l’individualisation des parcours scolaires des élèves. Si,

autrefois, un parent enregistrait une admission pour plusieurs enfants à la fois – ce qui

diminuait la quantité d’admissions à réaliser –, aujourd’hui, il s’agit non seulement de faire

un processus d’admission par enfant, mais de particulariser son parcours scolaire. Ne serait-

ce que sur le plan des apprentissages (et non des comportements, p. ex. les plans

d’intervention), avec la « promotion par matière », les dossiers académiques des élèves sont

beaucoup plus hétérogènes qu’ils ne l’étaient. Par exemple, un élève peut être en première

secondaire dans une matière, en troisième dans une autre et en quatrième pour la majorité

des autres. Il ne s’agit donc pas de classer un élève dans un groupe uniforme de quatrième

secondaire. De même, Pierre souligne la rigidité du contexte réglementaire quant au territoire

d’appartenance99 et au classement, rigidité qui diminue la marge de manœuvre dont il

pourrait disposer pour faciliter le placement des élèves. Or, la priorité est justement de

trouver une place aux élèves le plus rapidement possible. Cette pression est particulièrement

forte dans le contexte de l’école où travaille Pierre (école très prisée dont la capacité d’accueil

maximale est toujours atteinte).

99 Le lieu de résidence des parents détermine l’école à laquelle ils doivent inscrire leur enfant.

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Ainsi, les trois c.o.-instructeurs indiquent que, une fois le dossier complété et analysé, ils sont

responsables de faire un choix de cours en fonction du cheminement scolaire de l’élève et

d’en vérifier la disponibilité avec la technicienne en organisation scolaire. Dépendant de cette

disponibilité, soit l’élève est admis et les c.o. procèdent à la validation de son choix de cours

avec ses parents et lui, soit il est référé à une autre école si les groupes sont pleins. Dans ce

dernier cas, qui concerne seulement Geneviève et Pierre, il arrive que des parents insistent

pour que leur enfant soit inscrit à une école spécifique, quoique la plupart « ne s’obstinent

pas ». Cela dit, pour éviter aux parents de « courir » afin de dénicher une école à leur enfant

et pour éviter de surcharger ses collègues des écoles avoisinantes, Pierre appelle lui-même

dans les écoles voisines (où personne ne veut aller… ce qui augmente l’insatisfaction des

parents) pour vérifier s’ils ont une place disponible. Or, puisqu’il a « l’entière

responsabilité » des admissions, il doit parfois contacter des écoles hors-réseau, ce qui

complexifie d’autant son travail.

Dans ce cas, tu es obligé de faire affaire avec les directeurs-adjoints [au lieu des

collègues c.o.]. Et ils t’attendent… […]C’est très politique. Ils ne diront pas : « non,

je ne le prends pas » ou « non, on n’a pas de place ». Ils veulent t’échanger un élève,

mais un élève qui est « trouble ». […] Il y a comme un jeu d’échange. (SF2100 : Ils

appellent ça : « échange culturel ») Toi, tu te fais embarquer là-dedans alors que tu

n’as plus rapport là-dedans : ça devrait se faire entre directeurs.

Cette tâche d’admission des élèves est évidemment plus imposante au cours des mois de

juillet et août. Cependant, une fois ce « rush » passé, la pression augmente avec la rentrée

puisque les élèves doivent absolument fréquenter une école. Or, Pierre constate que les

parents s’y prennent de plus en plus à la « dernière minute » pour procéder à l’admission de

leur enfant, rendant le mois de septembre particulièrement intense. Cela dit, au-delà de cette

période, il demeure des admissions à faire à longueur d’année.

100 À l’occasion des extraits de verbatim, nous identifierons les participants qui interviennent de manière à situer

le lecteur à l’effet qu’il s’agit de personnes différentes qui parlent à ce moment. Il ne s’agit pas, pour autant, de

suivre les différents participants dans leurs interventions, puisque nous ne procédons pas à une analyse des

témoignes de chacun des participants, outre les intructeurs, mais à une analyse de groupe. Nous utiliserons

« SF » pour indiquer qu’il s’agit d’un « sujet féminin » et « SM » pour « sujet masculin », avec un numéro

correspondant.

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Dans le cas de Maryse, les admissions sont plus réparties dans l’année étant donné qu’il s’agit

d’une école de « raccrocheurs » qui fonctionne à semestre (deux années scolaires en une).

Puisqu’elle travaille avec une clientèle majoritairement adulte, elle rencontre directement les

nouveaux élèves admis pour les aider à faire leur choix de cours en fonction de leurs objectifs.

Elle en profite pour s’informer sur les particularités de leur situation (p. ex., pour déterminer

s’ils font partie de la catégorie « jeune » ou « adulte », ce qui a une incidence sur le

financement de l’école). À la suite de cette rencontre, Maryse établit une liste de personnes

ayant des situations qui nécessitent une attention ou des services particuliers (p. ex., abandon

scolaire, suivi médical, dépression, deuil, comportement, suivi pédagogique...) et transmet

l’information aux intervenants concernés, sans toutefois aller davantage en profondeur quant

aux difficultés particulières du jeune (« Moi je suis juste la boîte postale »).

6.2.2. Choix de cours

Dans leur instruction, chacun des trois c.o. a mentionné le choix de cours des élèves comme

activité prenante de son mandat. Compte tenu du fonctionnement par semestre de l’école où

elle œuvre, Maryse y consacre une grande partie de son temps, plus particulièrement au mois

de novembre, moment où s’est déroulée l’instruction. Pour Geneviève il s’agit

essentiellement d’une « opération » à laquelle elle participe une fois par année. Enfin, Pierre

s’est attardé davantage à décrire ce qu’il fait pour accompagner le choix de cours des élèves

lors de leur admission. Voyons comment chacun réalise cette activité.

Étendue sur cinq semaines, cette « opération » consiste, pour Maryse, à rencontrer chacun

des 1000 élèves de l’école pour réviser et valider leur choix de cours pour le prochain

semestre. Travaillant en étroite collaboration avec sa collègue c.o., elle fonctionne d’une

manière très organisée pour rendre cette opération efficace. Installées côte à côte dans le

centre de documentation avec leur ordinateur et leur classeur à roulettes contenant les

dossiers administratifs des élèves, elles vont chercher les élèves dans leur classe pour les

rencontrer un à un. Elles prennent autour de cinq minutes avec chacun d’eux pour analyser

leur dossier, ce qui les occupe cette session-ci, ce qu’ils feront la session prochaine, leurs

résultats scolaires. « On parle de diplomation, beaucoup, beaucoup, avec nos élèves

puisqu’ils sont là pour terminer ». Il faut « maîtriser les informations sur l’organisation de

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l’école, la sanction, les services, les différentes listes à gérer des autres intervenants…». À

la fin de cette courte rencontre, les élèves doivent signer leur feuille de validation de choix

de cours, qui est ensuite transmise à la technicienne en organisation scolaire (T.O.S.).

Si, pour Maryse, cette opération est particulièrement accaparante en termes de temps et peut

paraître essentiellement administrative et répétitive, il semble primordial pour elle de donner

un sens à cette tâche au regard de sa fonction de conseillère d’orientation, en essayant de

rendre ces rencontres « le plus possible orientantes ». Elle profite donc de ces rencontres

pour « discuter un petit peu [avec l’élève], mais il ne faut pas que ce soit long ». Ainsi, au-

delà de son choix de cours, elle lui explique certains aspects importants du système scolaire

ou professionnel et lui remet des documents informatifs, en fonction du besoin identifié.

Malgré le caractère redondant et expéditif de l’opération, la manière de la réaliser permet

néanmoins, selon cette c.o., de rendre accessible le service d’orientation et d’engager les

élèves dans leur cheminement :

J’estime qu’en donnant un petit moment à chacun d’eux, je travaille à les rendre plus

enclins à venir chercher conseil au local d’orientation. Par cet exercice obligatoire, je

peux les amener à se positionner dans une réflexion qui, selon moi, est nécessaire et

difficile, mais stimulante.

C’est dans ce même esprit « orientant » que Pierre réalise cette activité d’aide au choix de

cours des élèves. De fait, cette période est, pour Pierre, une belle occasion de « donner du

sens aux études », ce qui est très important pour lui. Dans la réalité de son milieu scolaire,

les choix de cours se font à deux périodes importantes : lors de l’admission de l’élève; et en

cours d’année, au mois de janvier ou février, en vue de planifier le choix de cours pour

l’année suivante.

Au moment de l’admission, les parents viennent souvent rencontrer le c.o. avec leur enfant.

C’est une belle occasion, pour lui, d’observer la dynamique familiale qui peut ou non induire

des problèmes d’orientation chez les élèves et de tenter d’y intervenir, pour soutenir le

« pouvoir d’agir » du jeune dans sa démarche. Ainsi, il est fréquent, spécialement dans

certaines communautés culturelles, que les parents prennent beaucoup de place dans les choix

de cours de leurs jeunes et que le c.o. doive intervenir. À titre d’exemple, certains accordent

une importance quasi démesurée aux maths et aux sciences au regard du cheminement

scolaire et ont des idées très arrêtées sur le sujet, idées qu’ils argumentent parfois avec

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insistance. Comment Pierre arrive-t-il, dans ce contexte, à développer le « pouvoir d’agir »

des élèves? « S’adresser [directement] à l’élève », tel est son leitmotiv dans ce genre de

situation.

Le parent parle souvent beaucoup et je l’écoute. Mais moi, ma préoccupation est de

savoir ce qui se passe dans la tête de l’élève; comment il voit ça? Je veux partir de

l’élève, vraiment. Je veux lui faire dire des choses. Je vais l’emmener à ce que ce soit

lui qui parle.

Si, au final, c’est le parent qui a le dernier mot, Pierre veut s’assurer d’entendre parler l’élève

sur sa situation, même si le parent est très directif (« Tu prends ça… »). De plus, lorsqu’il

travaille avec des élèves provenant de communautés culturelles, Pierre insiste pour vérifier

leur compréhension du système scolaire québécois, voire vérifier leur compréhension du

français.

Même si le choix de cours relève de l’« organisation scolaire » et non de l’« orientation » à

proprement parler, Pierre consent à réaliser cette tâche dans la mesure où il profite de ces

occasions pour « pousser l’élève à faire des réflexions, et faire un cheminement […] l’inviter

à faire d’autres démarches », bref y mettre « sa petite couleur » c.o.. Sans cette « couleur »,

il n’est pas pertinent, selon lui, que ce soit le c.o. qui accomplisse cette tâche : ce pourrait

tout aussi bien être la secrétaire, la T.O.S. ou la direction. Or, mettre la « couleur » c.o.

demande plus de temps (« Donc on est lents ») et cela irrite la direction de l’école…

Malgré qu’elle soit, elle aussi, dans une école secondaire, Geneviève réalise l’activité de

validation de choix de cours dans un tout autre contexte. Ce sont les directions adjointes qui

en sont responsables. Elle s’occupe d’aider les directions adjointes dans cette opération

annuelle ayant lieu au mois de février ou au début du mois de mars. Installé à l’auditorium

de l’école, chacun des cinq adjoints s’occupe de rencontrer les élèves des niveaux dont ils

sont responsables. Geneviève s’occupe des situations particulières.

Moi, je suis là pour les niveaux trois, quatre et cinq, en « back-up », et pour les cas

particuliers. Quand l’élève a trop de questions, les directions disent : […]« Okay, va

faire la file pour voir madame Geneviève » (rire) et c’est moi qui fais ce choix de cours

là. C’est un travail d’équipe et ça roule bien!

Bref, on peut voir que chaque c.o. réalise cette activité dans un contexte qui lui est propre

(p. ex., le choix de cours occupe l’ensemble de la tâche durant un mois ou lors de moments

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ponctuels dans l’année), avec les motifs qui lui sont propres (p. ex., rendre accessible le

service d’orientation ou encore comprendre la dynamique parents-enfant).

6.2.3. Répondre aux besoins généraux d’information et d’orientation scolaire et

professionnelle

Avec la disparition du programme d’Éducation au choix de carrière (ECC) du cursus scolaire

au secondaire, les élèves ne disposent plus d’espace formel pour recevoir de l’information

sur le système scolaire québécois (ni sur le marché du travail d’ailleurs) et pour poser leurs

questions concernant leur orientation scolaire et professionnelle. Ainsi y a-t-il nécessité de

répondre autrement à ce que l’on pourrait appeler les « besoins généraux » d’information et

d’orientation scolaire et professionnelle. Dans le cas des écoles secondaires régulières,

comme celles où travaillent Geneviève et Pierre, ces questions seront traitées essentiellement

via des « tournées de classes » et une « journée carrière ». Dans l’école particulière où elle

travaille101, Maryse répond un peu à la manière d’un « service à la clientèle », en se rendant

disponible pour répondre aux questions au centre de documentation. Voyons plus en détail

comment cela se présente pour chacun des trois instructeurs.

6.2.3.1. Tournées de classes

Geneviève et Pierre réalisent plusieurs tournées de classe dans l’année, chacune des

rencontres ayant des objectifs différents (p. ex., la première rencontre de l’année est

principalement axée sur la présentation générale du service d’orientation). Dans le cas de

Pierre, la direction commande explicitement de faire trois tournées de classe par année,

commande qui ne lui plaît pas, a priori, étant donné qu’il s’agit, selon lui, d’une activité plus

« technique » que « professionnelle ».

101 Rappelons qu’il s’agit d’une école recevant principalement des élèves adultes, dans un contexte

d’organisation scolaire par « semestre ».

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Au début, tu n’aimes pas ça, tu entends ça, et tu te dis, tu as comme une réaction,

« coudonc, service d’orientation = CISEP102 là? », c’est sûr que tu amènes ta couleur

de c.o. au-delà… mais ça fait CISEP pas mal.

Cela dit, dans un contexte où il n’y a plus de cours du programme d’ECC ni d’approche

orientante et où très peu de groupes suivent un cours PPO (projet personnel d’orientation),

Pierre est conscient de l’importance de ces tournées de classe. Aussi tente-t-il d’en profiter

pour « stimuler » les élèves dans leur réflexion sur leur orientation.

Ainsi, dès le début de l’année, Pierre, comme Geneviève, planifie une première rencontre

avec les groupes d’élèves de 4ème et 5ème secondaire, en priorisant ces derniers puisque selon

Pierre, ils sont à la « dernière minute » et ne réalisent pas la complexité d’une prise de

décision d’orientation. À cette occasion, Pierre et Geneviève prennent le temps de se

présenter clairement comme conseillers d’orientation : leur rôle, leur approche, ce qu’ils

peuvent offrir comme services, etc.

« Je suis conseillère en orientation. Mon rôle, c’est de vous aider à vous choisir une

orientation quelconque, à vous donner de l’information, à essayer de vous aider à

réfléchir à ce que vous êtes, à ce que vous avez le goût de faire plus tard en fonction

de vos capacités, de vos notes. » J’affiche très vite mes couleurs : « Je serai toujours

réaliste avec vous ».

Pierre et Geneviève annoncent aux élèves la possibilité de les rencontrer individuellement,

en spécifiant non seulement le fonctionnement de ce service (p. ex., pour la prise de rendez-

vous), mais aussi leurs disponibilités relativement restreintes, selon les périodes de l’année

scolaire (p. ex., Pierre peut rencontrer les élèves au cours des mois de novembre et décembre

seulement). Compte tenu de ces restrictions, Pierre et Geneviève s’assurent que tous les

élèves notent bien, dans leur agenda, les différentes activités auxquelles ils peuvent participer

pour les aider dans leur choix d’orientation : « journée carrière », « journées portes ouvertes »,

projet « Jeune explorateur d’un jour », etc.

102 Les CISEP sont des conseillers en information scolaire et professionnelle. Leur mandat n’est pas axé sur une

relation d’aide aux élèves concernant leur orientation, mais sur la diffusion et la vulgarisation de l’information

scolaire (p. ex., particularités des différents programmes) et professionnelle (p. ex., connaissance du marché du

travail). Contrairement à la profession de conseiller d’orientation qui nécessite une maîtrise universitaire, un

baccalauréat est suffisant pour exercer cet emploi.

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Ce dernier aspect est particulièrement important, selon Pierre, compte tenu de la position

souvent passive dans laquelle se retrouvent les élèves face à leur orientation. Plusieurs élèves

aimeraient en effet que leur démarche d’orientation se limite à la passation d’un « test

d’orientation ». C’est pourquoi il les amène à se « préoccuper » de leur orientation; à « ouvrir

leurs horizons », à être actifs dans leur démarche. Ainsi, pour Pierre, cette première rencontre

a pour objectif d’« informer [les élèves], pour les déstabiliser […] pour les sortir de leur

zone de confort », pour leur faire prendre conscience qu’« il est minuit moins une ». Il invite

les élèves à se « mettre en projet », promouvant l’action et l’implication dans leur propre

démarche. Ainsi leur propose-t-il des actions à poser, des lectures à faire, des sites web à

visiter, en plus de leur donner les coordonnées d’activités telles « Élève d’un jour » et des

API103 au cégep.

En plus de cette mise en mouvement de l’élève, cette première rencontre a pour objectif de

l’informer sur certains aspects importants du fonctionnement du système scolaire au regard

de leur choix d’orientation. Au niveau de l’organisation de l’école, les élèves doivent par

exemple savoir quels bulletins scolaires seront comptabilisés pour déterminer leur

admissibilité à certains programmes. Pierre et Geneviève expliquent aussi le fonctionnement

des processus d’admission dans des programmes d’études collégiales : service régional

d’admission, cote de classement, liste des programmes contingentés au collégial, raisons d’un

refus d’admission. Ils en profitent pour faire un « petit rappel » quant aux exigences pour

recevoir un diplôme d’études secondaires, « parce qu’ils sont toujours un peu surpris, même

en secondaire 5 ». Si Pierre fournit parfois ces informations dès la première rencontre en

classe, Geneviève s’assure de les réitérer lors d’une deuxième rencontre, au début du mois

de février, à l’approche de la date limite pour faire une demande d’admission au cégep, au

premier tour104 (1er mars).

En fait, au-delà de ces rencontres jugées prioritaires pour les élèves de cinquième secondaire,

Pierre aimerait beaucoup stimuler les élèves plus tôt dans leur cheminement scolaire, pour

103 Aide pédagogique individuelle (API).

104 L’admission dans les cégeps se fait en trois « tours » successifs qui permettent aux élèves de tenter leur

chance dans un autre programme s’ils ne sont pas admis au(x) premier(s) tour(s).

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« les sortir de la passivité » et leur éviter les prises de conscience de dernière minute. Sa

manière de faire donne de bons résultats et il aimerait pouvoir l’appliquer plus tôt dans le

cheminement des jeunes. Ainsi, dans sa pratique, il tente d’agir de manière « systémique »,

par exemple en prévoyant des activités en quatrième secondaire qui permettent d’« alléger

le 5 et ainsi de suite ». Or, le réel le rattrape puisque, cette année, il n’a tout simplement pas

eu le temps de réaliser une tournée de classe…

Geneviève a pour sa part l’occasion de rencontrer les élèves de troisième secondaire. La

tournée de classes auprès d’eux vise à expliquer les séquences de mathématiques et de

sciences : leurs exigences, mais surtout les implications de ces choix sur le cheminement

scolaire subséquent (ouvertures à tel ou tel autre programme). En fait, cette tournée se fait

dans les classes de mathématiques, avec les enseignants de cette matière qui, eux, traitent du

contenu des différents cours offerts. Actuellement, Geneviève travaille en collaboration avec

les enseignants et la direction-adjointe de troisième secondaire à l’élaboration d’un

questionnaire « maison » visant à aider les élèves à choisir la séquence de mathématiques la

plus convenable pour eux, en prévision des choix de cours à faire au mois de février.

Comme nous venons de le voir, ces tournées de classe nécessitent la collaboration des

enseignants, ne serait-ce que pour « entrer en classe ». Or, ce ne sont pas tous les enseignants,

de toutes les matières, qui sont disposés à laisser du temps de classe aux c.o. pour ces

présentations. Les c.o. doivent apprendre à jauger la charge de travail des enseignants (selon

la période de l’année) ainsi que leur degré d’ouverture à ce type de présentation. Si Geneviève

n’éprouve pas de difficulté à entrer dans les classes de mathématiques – « Les profs de maths

vont te laisser entrer en classe, ils sont bien contents. » – il semble que, pour le reste, ce soit

les enseignants des cours d’Éthique et culture religieuse qui soient les plus ouverts à laisser

les c.o. venir dans leur classe.

6.2.3.2. « Journées carrière »

Pierre et Geneviève organisent une activité au cours de laquelle ils invitent les institutions

scolaires à participer à des « Journées carrière ». Ces « journées carrière » ont pour objectif

de mettre les élèves en contact avec différents acteurs du monde scolaire et du marché du

travail. Pour sa part, Geneviève invite les cégeps de la région, quelques centres de formation

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professionnelle et certains collèges privés à tenir un kiosque d’information à l’occasion d’une

journée de classe. Quant à Pierre, il organise, dans le cadre de la « Semaine de l’orientation »,

une « Soirée Cégep » où il invite les cégeps « les plus populaires » ainsi que leur service

régional d’admission. Il convie les parents à accompagner leur enfant à cette soirée, afin de

stimuler les un et les autres à se préoccuper d’orientation. Cette soirée est positive au regard

de l’implication des parents.

6.2.3.3. « Service à la clientèle »

De son côté, Maryse procède différemment pour répondre aux besoins généraux des élèves

en termes d’information et d’orientation scolaire et professionnelle. Même si ces besoins se

manifestent souvent durant une période de surcharge de travail – en novembre, en même

temps que la validation des choix de cours – , elle tente de trouver le temps pour accompagner

les finissants dans la préparation de leur projet postsecondaire. Ainsi, à la suite de leur

demande d’admission au cégep pour le mois de janvier105, Maryse invite les élèves à

l’informer de l’issue de leur demande d’admission, sans trop les solliciter pour autant,

puisque la charge de travail est déjà élevée... Cela lui permet d’assurer un certain suivi. Cet

accompagnement se fait toutefois dans « l’antichambre », pour reprendre ses mots, c’est-à-

dire essentiellement dans les pauses de quinze minutes (une l’avant-midi et une l’après-midi).

Il s’agit d’une tâche qui, certes, fait partie du mandat de c.o. dans cette école, mais qui ne

semble pas aussi prioritaire aux yeux de la direction, comme le souhaiterait Maryse.

Dans mon rôle idéal d’une conseillère d’orientation, j’aimerais bien plus avoir le

temps d’accompagner ces élèves-là dans cette réflexion : « Pourquoi j’ai été refusé?

Qu’est-ce qu’il me reste à faire? Est-ce qu’il y a d’autres chemins? Est-ce qu’il y a ci,

est-ce qu’il y a ça?».

Maryse doit prodiguer ce suivi comme un « service à la clientèle » plutôt qu’un

accompagnement en profondeur. De fait, les étudiants attendent presque « avec des numéros

[…] pour me parler, me poser une question, me parler de n’importe quoi. » Compte tenu du

cadre forcément informel de cet accompagnement, elle ne peut répondre qu’à des besoins de

105 Pour laquelle la date limite est le 1er novembre.

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nature plutôt générale, par exemple : « J’ai reçu mes papiers du cégep, madame, et je ne sais

pas quoi faire », ou encore « Madame, j’ai besoin d’argent pour les prêts et bourses.

Comment on fait ça?».

Plus spécifiquement, elle doit aider ceux qui sont acceptés à compléter leur démarche

d’admission et à procéder à leur choix de cours. Quant à ceux qui se trouvent refusés, elle

tente d’explorer avec eux les raisons invoquées par le cégep et les aide à analyser la situation

au regard de la manière dont les dossiers sont choisis par les institutions collégiales. Enfin,

certains élèves consultent Maryse lorsqu’ils s’inquiètent de n’avoir pas reçu de réponse alors

que leurs camarades en ont reçu une… et, de fait, « souvent c’est plus un non qu’un oui ».

Elle aide alors les élèves refusés à envisager des choix alternatifs.

En somme, ces rencontres constituent, ici encore, une belle occasion, selon Maryse, de faire

cheminer les jeunes à propos de leur orientation. Ces rencontres sont certes courtes, mais

répondent indéniablement à un besoin, comme en témoigne le nombre élevé d’élèves qui la

sollicitent. Elle tente de les faire réfléchir sur leurs préjugés, positifs ou négatifs, envers

certains métiers ou certaines formations scolaires, de manière à ouvrir des horizons. Elle

amène également les élèves à se mettre en action, en les incitant à assister aux « Journées

portes ouvertes » des collèges et à participer aux activités d’« Étudiant d’un jour »106.

Enfin elle invite les élèves dont la situation nécessite des rencontres de counseling à prendre

rendez-vous pour une consultation individuelle.

6.2.4. Rencontres individuelles

Les trois c.o. offrent la possibilité aux élèves qui éprouvent des difficultés d’orientation

scolaire et professionnelle de les rencontrer individuellement, sur une base volontaire. Le

temps accordé à ces rencontres est toutefois variable d’un c.o. à l’autre : ces rencontres

constituent la plus grande partie du travail de Geneviève, alors que Pierre et Maryse ont des

mandats d’organisation scolaire qui restreignent cette possibilité. Par exemple, pour Maryse,

106 Dans le cadre de ces activités, organisées par les cégeps, les élèves du secondaire ont l’occasion de passer

une journée dans un cégep, comme s’ils y étaient étudiants.

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205

une seule période de 50 minutes est disponible, par jour, pour réaliser des rencontres

individuelles d’orientation107. Ce court laps de temps contraste avec la pratique décrite par

Geneviève qui accorde trois périodes de 75 minutes sur quatre par jour à ce type de

rencontres.

En fait, les trois c.o. rapportent devoir faire de l’« orientation rapide », pour reprendre les

mots de Geneviève, compte tenu du nombre important d’effectifs d’élèves prévus dans leur

charge de travail et des délais pour faire les choix de programmes (p. ex., 1er mars). Aussi

s’entendent-ils pour dire qu’il est quasi impensable, dans leur milieu, de réaliser réellement

un « processus » d’orientation complet. La réalisation d’un tel « processus » nécessiterait une

quantité de temps dont ils ne disposent pas : ils n’ont pas la possibilité de rencontrer les élèves

réellement plus d’une ou deux fois.

Étonnamment, leurs principes généraux d’accompagnement des élèves en orientation

semblent s’accommoder de ces contraintes. De fait, pour compenser le manque de temps, ces

c.o. ont développé une manière de faire qui mise beaucoup sur l’autonomie des élèves et sur

les vertus de la mise en action pour favoriser la réflexion. Voyons pour chacun d’eux

comment ces principes s’opérationnalisent dans leur manière d’envisager l’orientation avec

les élèves.

La très grande partie du travail de Geneviève est constituée de ces rencontres individuelles.

Malgré que les rencontres soient le plus souvent motivées par des difficultés d’orientation et

des problèmes dans les méthodes d’études et de travail scolaire, les motifs de consultation

peuvent être divers. C’est pourquoi Geneviève initie chacune de ces rencontres individuelles

« table blanche », en spécifiant à l’élève qu’il a « 75 minutes avec [elle] » et en posant une

question générale telle que : « Qu’est-ce que je peux faire pour toi? Pourquoi tu viens me

voir aujourd’hui?». Il est important pour elle de faire sentir à l’élève qu’elle est

complètement disponible pour lui. Les besoins d’orientation des élèves varient

considérablement de l’un à l’autre, tout comme les avenues auxquelles ils songent, qui

107 À noter qu’un seul bureau fermé dédié à cette activité est disponible pour sa collègue et elle-même.

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peuvent être autant du côté du cégep, de la formation professionnelle que des écoles de

« raccrocheurs » (comme l’école où Maryse travaille d’ailleurs).

Geneviève a une approche générale de l’orientation axée sur le concret, pour « être plus

efficace », compte tenu des contraintes évoquées qui ne lui permettent pas de rencontrer les

élèves à plusieurs reprises, surtout à partir du mois de janvier. Ainsi, en est-elle venue à se

considérer comme « spécialiste du court terme ». Elle adapte sa manière de pratiquer. À titre

d’exemple, étant donné que les élèves ne connaissent habituellement pas leurs notes scolaires

au moment où elle les voit, elle doit prévoir avec eux plusieurs scénarios, au cas où elle ne

pourrait les rencontrer de nouveau. En conséquence, ces contraintes l’amènent à utiliser des

outils pour travailler « ici, maintenant, présent, vite » : « Situation réaliste : tu n’as pas tout

le temps le temps. […] Donc, tu y vas avec les moyens du bord ». Plutôt que des tests

psychométriques qui demanderaient un travail d’interprétation délicat qui ne peut se faire

dans l’immédiateté, Geneviève utilise des outils visuels (p. ex., le « napperon » développé

par le Cégep de Maisonneuve, ou le Guide pour s’orienter [GPS]) pour soutenir son

accompagnement. Ces outils permettent aux élèves de se situer rapidement, de comprendre

plus facilement les options qui s’offrent à eux. Elle utilise ces outils pour aider le jeune à

parler de lui, de ses expériences, de ses aspirations, etc., modulant le travail en fonction de la

capacité d’introspection de chacun.

Geneviève a pour principe, dans ses interventions en orientation, d’aider les élèves à être le

plus réaliste possible. À cet égard, elle leur fait la promesse de toujours « donner l’heure

juste », de ne pas faire miroiter des possibilités qu’ils n’ont pas. Aussi, elle tente de ramener

les élèves à « des objectifs courts, précis, dans le concret ». Ainsi, à la fin de ses entretiens

d’orientation, qui peuvent durer entre 5 et 75 minutes, Geneviève recommande aux élèves de

valider leur choix le plus vite possible à l’aide de différentes activités : « Étudiant d’un jour »,

« Journées portes ouvertes », visite des établissements scolaires envisagés et de

l’environnement dans lequel il se trouve (p. ex., milieu urbain ou non).

Or, dans la poursuite de l’idée de l’autonomie, Geneviève ne fait pas de suivi formel à savoir

si les élèves rencontrés ont réellement effectué les démarches convenues. Elle a pour

prémisse que les élèves sont responsables de leur orientation. Elle évite d’être plus proactive

que les élèves le sont eux-mêmes au regard de leur propre démarche. Elle agit selon le

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principe : « Aide-toi et le ciel t’aidera. Je ne suis pas le ciel, mais aide-toi. Si tu ne t’aides

pas, je ne peux pas tout faire pour toi. »

Cette devise vaut aussi pour les élèves dont les méthodes de travail et d’étude sont

défaillantes. Ici aussi, son approche est assez pragmatique et axée sur la responsabilité des

jeunes eux-mêmes. Elle leur demande de retracer leurs activités quotidiennes, heure par

heure, de manière à être le plus précis, le plus près du réel possible. Elle est particulièrement

attentive à leur utilisation des nouvelles technologies de communication (p. ex., Facebook,

textos, MSN) au regard des conséquences sur les conditions d’étude, notamment sur le plan

de la concentration. Sans adopter une approche prescriptive, elle leur conseille néanmoins :

« Fais donc ce que tu veux, mais ne viens pas me dire que tu es concentré, quand tu

textes aux trois minutes, ou quand tu regardes le nouveau statut Facebook de tes amis

aux cinq minutes. Ne viens pas me dire que c’est de l’étude! » « Oui, mais. » « Non,

non. Non, non. »

Je le vois dans leur visage qu’ils comprennent où je veux en venir… Ils sont assez

grands pour le comprendre.

Sans vouloir débattre, elle axe son intervention de manière à ce que l’élève introduise un

« petit changement » dans sa manière d’étudier, « juste pour voir si ça fonctionne ».

Si cette approche pragmatique de l’orientation trouve écho également dans l’approche

adoptée par Pierre, celui-ci semble accorder une plus grande importance, au départ, à

l’évaluation des capacités de l’élève à s’orienter lui-même et à la connaissance de soi. Il s’agit

de sa priorité. De fait, malgré qu’il reçoive essentiellement des élèves de cinquième

secondaire, pour beaucoup d’élèves, il constate que c’est « très très difficile [la capacité de

s’orienter]. On part de loin ». Pierre tente aussi d’évaluer les « capacités d’inférence » de

l’élève, sa « capacité de faire des liens », ou sa « capacité aussi de voir qu’il peut faire des

erreurs dans son orientation » sur le facteur de réalité notamment (p. ex., l’élève envisage

de devenir architecte avec des échecs en maths et en sciences). Il tente également de repérer

« les valeurs absolues, les préjugés, les fausses croyances » et de déterminer son type de

« locus de contrôle », interne ou externe.

Pierre fournit ensuite des outils « qui vont aider l’élève à parler de soi-même », à faire une

« introspection », une réflexion : « Je lui donne une pile de documents qui va l’aider à mettre

des mots, à trouver des mots sur “qui il est” ». Il veut ainsi faciliter la communication avec

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l’élève. Il lui explique l’objectif de ces exercices et lui demande de réaliser le tout pour le

prochain rendez-vous qu’il fixe la semaine suivante, lorsque c’est possible. La réalisation de

ces exercices peut en dire long sur le profil de l’élève et Pierre prend cela comme point de

départ pour bâtir son intervention. Aussi faut-il, selon lui, s’adapter à la situation de chaque

élève pour l’accompagner adéquatement.

Je vois son implication dans ses démarches; je peux faire plein de reflets. […]Je le vois

dans l’action. Je fais des liens avec ce qu’il fait. Est-ce qu’il est capable d’engagement

cet élève-là, dans cette démarche? Et là, ça suscite plein de choses donc je peux

intervenir beaucoup, beaucoup, et finalement, ça donne de bons résultats au-delà du

test d’intérêts.

Comme nous l’avons vu, l’approche de Pierre mise beaucoup sur la capacité des élèves à

s’orienter eux-mêmes. Pour ce faire, il les aide à mieux se connaître en soutenant leur

réflexion sur leur engagement dans l’action. Pour lui, cette manière de faire contribue à la

mission « qualifier » de l’école québécoise, puisqu’elle contribue à « former des citoyens et

des citoyennes autonomes et responsables ».

Malgré que son approche cadre relativement bien avec le contexte actuel de sa pratique –

dans la mesure où il ne peut se permettre de rencontrer beaucoup d’élèves, il vaut mieux

tenter de rendre les élèves autonomes – Pierre est conscient des limites qu’elle présente. Il

aimerait bien pouvoir offrir de meilleurs services d’orientation, que ce soit par une approche

systémique qui permettrait aux élèves de développer une maturité vocationnelle tout au long

de leurs études secondaires, ou en ayant la possibilité d’accompagner un plus grand nombre

d’élèves.

Maryse, elle non plus, n’a pas beaucoup d’occasions de rencontrer les élèves

individuellement pour les accompagner dans leur démarche d’orientation. Ce n’est pas non

plus la modalité d’intervention qu’elle privilégie. Toutefois, lorsqu’un élève est dans

l’indécision complète quant à son orientation scolaire, ne sachant absolument pas quel

programme poursuivre à la suite de l’obtention de son diplôme d’études secondaires, Maryse

procède alors d’une manière relativement structurée pour l’amener à préciser une orientation

générale. Dans un premier temps, elle investigue les « représentations » que l’élève se fait

de lui-même, de son futur, mais aussi du monde scolaire et professionnel. À cet effet, elle

explore, d’une part, ses rêves de jeunesse et son expérience de vie en termes de réalisations,

d’aptitudes et de sources de fierté. Elle l’amène ensuite à se projeter dans le futur, naïvement,

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mais concrètement. Puis, elle utilise une liste d’intérêts pour examiner ce que les mots veulent

dire, pour lui, en se faisant l’avocat du diable de manière à ce que l’élève explicite ses

représentations et corrige celles qui peuvent être erronées. Cet exercice permet à l’élève de

hiérarchiser ensuite ses intérêts de manière à identifier des programmes d’études qui puissent

y répondre. Enfin, Maryse aborde les « facteurs de réalité » avec l’élève, c’est-à-dire les

préalables des programmes convoités, ses résultats scolaires, etc. Selon les résultats de cette

rencontre, elle lui donne un devoir à faire, des pistes à explorer, sans par ailleurs préciser

d’échéance précise, de façon à respecter sa disposition à s’impliquer dans une telle entreprise.

« Je ne cours pas après mes élèves pour fermer un dossier d’orientation qui, quant à moi,

n’est jamais fermé ».

Si Maryse est disposée à rencontrer individuellement les élèves qui présentent des difficultés

d’orientation, elle estime que, dans le contexte dans lequel elle œuvre (une école de jeunes

adultes), il n’est souvent pas nécessaire de rencontrer les élèves à plusieurs reprises, dans le

cadre d’une démarche structurée, pour les aider dans leur orientation. Elle aussi a pour

conviction que son rôle dans la démarche d’orientation des élèves est principalement de les

amener à « réfléchir » à leur orientation, à ouvrir leurs horizons et déconstruire certaines

idées reçues sur le monde scolaire et professionnel, et à les aider à se « mettre en action »

pour bien s’orienter. Étant donné qu’elle travaille auprès d’« adultes », il est important pour

elle de laisser de la latitude aux élèves de manière à ce qu’ils puissent devenir autonomes

dans la construction de leur projet de vie, ce qui nécessite également, par ailleurs, une

organisation du travail scolaire axée sur l’orientation.

6.2.5. Rôle-conseil et approche orientante

Le rôle-conseil amène justement les c.o. à se servir de leur expertise en matière d’orientation

scolaire et professionnelle pour influer sur l’organisation du travail scolaire de manière à la

rendre plus « orientante » pour les élèves. L’exercice du « rôle-conseil » fait partie de leur

champ de compétences selon le Profil des compétences générales des c.o. réalisé par l’Ordre

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professionnel108. Ce rôle s’actualise différemment dans la réalité du travail de chacun des

instructeurs : dans le cas de Maryse et Geneviève, il se réalise principalement autour de

l’approche orientante, alors que dans le cas de Pierre, il concerne la participation à des

instances démocratiques.

Le rôle-conseil joué par les c.o. dans l’approche orientante implique un important travail de

collaboration avec les enseignants et la direction. La nature du travail dépend cependant du

degré d’implantation de l’approche dans l’école. Œuvrant dans une école où l’approche

orientante est à l’état embryonnaire, Geneviève travaille avec une direction adjointe et deux

enseignants sur un comité qui a pour mandat actuel de consulter le personnel de l’école sur

leur compréhension de cette approche. Elle estime qu’il s’agit du principal travail : de

s’assurer d’une vision commune de l’approche. Elle considère qu’elle doit procéder avec la

« stratégie des petits pas » pour avancer dans la mise en œuvre de l’approche. Elle avoue

toutefois que le temps manque pour s’occuper de ce projet. Aussi, admet-elle que : « Au

niveau de l’école orientante, au niveau par rapport à ce qui se fait ailleurs et ce que moi, je

fais, je ne me sens pas du tout ferrée, mais pas du tout, pas du tout, pas du tout! »

L’implantation de l’approche orientante apparaît un peu plus avancée dans l’école de Maryse.

La direction et les enseignants sollicitent son expertise en matière d’orientation scolaire et

professionnelle dans ce cadre spécifique. Maryse fait partie du « comité de la persévérance

scolaire » et, à ce titre, est interpellée pour procéder à la validation et à l’opérationnalisation

du projet éducatif de l’école. Cela l’amène à travailler de concert avec l’enseignant qui porte

le dossier de l’approche orientante. Ils se réunissent quelques fois dans l’année pour réfléchir

à des moyens qui permettraient d’opérationnaliser un des objectifs du projet éducatif : « tenter

de permettre à l’élève de se construire un projet de vie ». Par exemple, les questions portent

sur : l’utilité éventuelle d’un portfolio; les actions à poser lors du choix de séquences de

mathématiques; la pertinence d’établir une tâche développementale d’orientation à réaliser

selon le niveau (secondaire 3-4-5) de l’élève.

108 Il s’agit d’exercer un rôle de consultant-expert auprès d’autres acteurs d’une organisation sur certaines

questions qui concernent l’orientation scolaire et professionnelle. Voir :

http://www.orientation.qc.ca/ProtectionPublic/~/media/DB01E8579927461E938DDF9F9863703E.ashx

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En plus de ce travail en comité, Maryse est amenée à collaborer directement avec les

enseignants pour soutenir les jeunes dans leur orientation. À cet effet, elle aide les

enseignants qui le souhaitent dans le préparation de « situations d’apprentissage

orientantes ». Elle sollicite à son tour l’aide des enseignants pour être vigilants quant aux

difficultés d’orientation qui peuvent émerger chez les élèves. À titre d’exemple, lorsque les

élèves reçoivent leur réponse à leur demande d’admission dans un programme collégial,

Maryse incite les enseignants (via un bulletin d’information interne) à être attentifs aux

réactions des élèves et, au besoin, à les référer au service d’orientation.

Le rôle-conseil se traduit, pour Pierre, par une participation à des instances démocratiques,

dimension peu connue de la pratique de conseiller d’orientation. En plus d’être impliqué dans

des activités pour la défense de sa profession, Pierre représente en effet les professionnels de

son école au sein du Conseil d’établissement. Cela lui permet notamment de prendre

conscience de l’importance de l’orientation aux yeux des parents. Ainsi a-t-il été

agréablement surpris de constater, cette année, que les parents voulaient savoir ce qui se

passait à l’école en termes de services d’orientation et ont dès lors inscrit ce point à l’ordre

du jour de chacune des réunions.

Ils sont préoccupés par l’orientation de leurs enfants. Ils trouvent qu’il n’y a pas

suffisamment de services, pas suffisamment de temps de service. On devrait engager

une deuxième personne.

Toutefois, Pierre rapporte que « la direction n’aime pas ça », « ça dérange » que les parents

veuillent constamment revenir sur la question de l’orientation. Ainsi, la direction « prend la

main » afin que ce point soit épuisé rapidement, en montrant ce qui se fait pour l’ensemble

des élèves, i.e. les trois rencontres de la tournée des classes.

Donc, « voici, les choses qui sont faites, il y a une planification, il y a trois rencontres

par classe, trois rencontres ». Tu sais, tu comprends. (SV109 : Donc ça se dit bien) Ça

passe très bien et ça calme la pression des parents.

Néanmoins, Pierre profite des questions des parents pour faire une certaine éducation à

l’orientation, par exemple en distinguant les besoins d’information (p. ex., journée carrière)

109 Nous utiliserons « SV » pour « Simon Viviers » pour identifier les interventions du chercheur lors des extraits

de verbatim.

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des besoins d’orientation (p. ex., accompagnement dans le choix scolaire). Pour Pierre, il ne

s’agit pas tant de partir en guerre pour obtenir plus de ressources, mais plutôt d’opérer une

certaine sensibilisation auprès des parents.

En somme, chacun à sa manière et avec une intensité variable, les trois c.o. rencontrés

exercent des activités visant à favoriser indirectement l’orientation des élèves.

6.2.6. Synthèse des pratiques effectives

Cette description des activités des trois instructeurs permet de faire ressortir quelques

convergences et divergences quant à la pratique des uns et des autres.

Alors que Geneviève est appelée à faire davantage de rencontres individuelles d’orientation

avec les élèves, Maryse et Pierre ont pour principal mandat une tâche qui relève

principalement de l’organisation scolaire (Maryse : révision des choix de cours; Pierre :

admissions). Tous sont d’accord pour dire qu’ils ne peuvent pas, compte tenu des contraintes

du contexte de pratique actuel, faire de « vrais » processus d’orientation. Qu’entendent-ils

par « vrais » processus d’orientation? Les instructeurs réfèrent aux processus d’orientation

appris dans leur formation universitaire, qui nécessitent un accompagnement des élèves sur

plusieurs rencontres. Ainsi commence à se déployer ce que Clot (1999) appelle le « réel de

l’activité »110 et qui révèle une tension sur le plan de l’identité professionnelle de métier,

entre ce qui devrait être fait et ce qui est fait dans le travail effectif.

Cette description des pratiques effectives des instructeurs permet de montrer comment, à

défaut de pouvoir réaliser de « vrais » processus d’orientation, les c.o. font pour soutenir

l’orientation des élèves dans leur travail au quotidien. Portés par leur désir d’aider les élèves

dans leur orientation, les c.o. profitent de toutes les occasions possibles : admissions, choix

de cours, tournées de classes, journées carrière, service à la clientèle (dans les pauses), rôle-

110 Rappelons ici une partie de la définition du « réel de l’activité », selon Clot (1999) : « […] le réel de

l’activité, c’est aussi ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire, ce qu’on cherche à faire sans y parvenir –

les échecs —, ce qu’on aurait voulu ou pu faire, ce qu’on pense ou qu’on rêve pouvoir faire ailleurs. Il faut

ajouter – paradoxe fréquent – ce qu’on fait pour ne pas faire ou encore ce qu’on fait sans vouloir le faire. Sans

compter ce qui est à refaire. » (p. 119)

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conseil. On a pu voir qu’ils investissent la « tâche » (travail prescrit) en tentant de lui donner

une « couleur c.o. » ou pour reprendre les termes de Clot (1999) en donnant le « genre

c.o. »111 à l’activité réalisée.

Les instructions ont permis de dégager certains principes qui orientent les pratiques effectives

des c.o.-instructeurs et participent ainsi au refaçonnement du « genre professionnel ». Selon

notre analyse, ces principes sont des pistes de compréhension des repères professionnelles

pour la réalisation d’un travail « bien fait » (Clot, 2008) à titre de c.o. en milieu scolaire, qui

peut soutenir la reconnaissance du métier dans l’activité. Ces principes pourraient se résumer

ainsi :

amener les élèves à réfléchir à leur orientation, leur montrer l’importance de s’en

préoccuper;

questionner les élèves, voire les déstabiliser de manière à ce qu’ils ouvrent leurs

horizons, déconstruire leurs préjugés sur le monde scolaire et professionnel;

inviter les élèves à se mettre en action, en projet, avec des objectifs concrets, à court

et moyen terme;

agir de manière à ce que les élèves se responsabilisent davantage, à ce qu’ils

deviennent plus autonomes;

lorsqu’ils peuvent faire de plus longs « processus », axer les interventions sur la

connaissance de soi.

Ces principes constituent apparemment, pour les c.o., des balises pour tracer un espace de

faisabilité pour leur agir professionnel, compte tenu de l’organisation réelle du travail en

milieu scolaire. Ils agissent, en ce sens, comme ressource transpersonnelle du métier,

soutenant la reconnaissance d’une manière particulière d’exercer leur métier en situation de

travail scolaire.

111 Rappelons ici une partie de la définition du genre professionnel, selon Clot et Faïta (2000) : « [les genres]

marquent l’appartenance à un groupe et orientent l’action en lui offrant, en dehors d’elle, une forme sociale qui

la représente, la précède, la préfigure, et, du coup, la signifie. Ils désignent des faisabilités tramées dans des

façons de voir et d’agir sur le monde considérées comme justes dans le groupe des pairs à un moment donné. »

(p. 14)

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214

Cela étant dit, peut-on dire pour autant que le genre professionnel se limite à ces principes,

dégagés de l’activité réalisée? Les pratiques effectives épuisent-t-elles le « désir de

métier » des c.o.? Rien n’est moins sûr, si l’on suit le rationnel de la théorie de l’activité

dirigée de Clot (1999; 2008). De fait, cette description des pratiques effectives des c.o. met

en visibilité le résultat d’un compromis, l’option réalisée parmi l’ensemble des possibles.

Mais l’activité réalisée n’a pas le monopole du réel, comme le répète souvent Clot, et le genre

professionnel ne s’y limite pas. Pour avoir une idée plus juste et complète des attendus

génériques du métier, il est impératif de « développer » davantage le « réel de l’activité » :

ce que l’on ne peut pas faire, ce que l’ont aurait voulu faire, ce qu’on projette de faire, etc.

C’est ce que permet le dispositif de clinique de l’activité par instruction au sosie en soutenant

l’élaboration de l’expérience de la confrontation des pratiques désirées aux contraintes de

l’organisation réelle du travail. On peut dès lors entrer dans le vif du sujet (et des sujets);

dans la dynamique de souffrance identitaire de métier.

6.3. L’expérience du travail de conseillers d’orientation

Au-delà de la description des pratiques effectives, cette démarche de clinique de l’activité

par instruction au sosie s’intéresse à l’expérience vécue du travail pour comprendre la

souffrance identitaire de métier. Selon Oddone, Re et Briante (1981), l’expérience du travail

se décline essentiellement – mais pas nécessairement exclusivement – selon quatre

dimensions : 1) le rapport à la tâche, 2) aux pairs, 3) à la hiérarchie et 4) aux organisations

formelles et informelles du monde du travail. Comme nous l’avons spécifié au chapitre 5,

deux dimensions ont émergé de l’analyse de contenu : le rapport aux élèves et le rapport aux

parents. Le « rapport à… » permet de saisir la dimension subjective ou pathique du travail :

la manière dont les conseillers d’orientation vivent leur travail. Pour chacune de ces

dimensions, nous avons relevé des thèmes qui expriment l’expérience de chacun des

instructeurs.

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6.3.1. Le rapport à la tâche

Le rapport à la tâche traduit la réalité subjective (vécue) d’une personne au regard de ce

qu’elle doit accomplir comme travail ou de ce qui est prescrit par l’organisation, mais aussi

de ses préoccupations quant à l’exercice de sa profession, telle qu’institutionnalisée. Elle

permet de situer le vécu de chacun face aux contraintes qui lui sont imposées. Les trois

thèmes dégagés pour rendre compte de l’analyse verticale réalisée pour les trois instructions

sont : le manque de temps et ses incidences sur la qualité du travail; l’effervescence du milieu;

et les pressions à l’efficacité.

6.3.1.1. Le manque de temps de Geneviève : une contrainte à la qualité de son travail?

Geneviève se sent coincée dans le temps pour réaliser son travail, impression

particulièrement aigüe lors des périodes intenses comme celle du mois de février. Ainsi,

globalement, elle sent qu’elle pourrait « faire plus » et elle aimerait faire mieux.

Ce que je déplore le plus, c’est d’avoir trop de tâches pour pouvoir les aborder en

profondeur. Je n’aime pas tourner les coins ronds et parfois, ma situation fait que je

dois le faire!

La pression du temps affecte l’ensemble de sa pratique de c.o., telle qu’elle est conçue par

l’organisation du travail de son école. Du côté des tâches administratives, il est difficile de

rendre « orientantes » des opérations de choix de cours compte tenu du peu de temps

disponible pour chacun des élèves : « c’est tellement garroché, envoye, go, go, go! ». Elle

sent donc que son potentiel professionnel n’est pas mis à profit dans un contexte où les

rythmes sont précipités.

C’est néanmoins le fait de ne pas pouvoir faire « aussi bien qu’[elle] le voudrait » dans les

rencontres individuelles qui affecte le plus le rapport à la tâche de Geneviève, compte tenu

de l’importance de ces rencontres, à ses yeux. De fait, elle aimerait bénéficier d’une plus

grande marge de manœuvre dans le temps pour éviter de « prioriser » certaines catégories

d’élèves, peut-être au détriment des autres, mais surtout pour se sentir moins « pressée » dans

les démarches d’orientation. Geneviève a certes ajusté sa pratique à ce contexte au fil des

années – elle se sent « spécialiste » dans son approche court terme –, mais elle aimerait

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vraiment avoir la possibilité de réaliser des processus de counseling d’orientation, sur du plus

long terme.

J’aimerais beaucoup me sentir plus à l’aise de faire des processus d’orientation réels,

i.e. plus longs ou surtout amener l’élève à approfondir son questionnement, l’amener

plus loin dans la connaissance de lui-même. Par moment, même trop souvent, je me

sens davantage comme une CISEP qu’une C.O.

Mais comme on peut le voir dans l’extrait rapporté ci-après, elle ne se sent pas

nécessairement confiante pour réaliser des processus d’orientation sur du plus « long terme »,

processus qu’elle qualifie de « réels ». C’est pourquoi elle se demande si, d’une certaine

manière, le manque de temps qui caractérise son contexte de pratique ne lui fournit pas un

prétexte pour « éviter » de se confronter à son malaise relatif dans ce genre de processus plus

en profondeur, qui distingue les c.o. par rapport aux CISEP. Le manque de temps agirait

comme justification pour ne pas chercher à atteindre un certain idéal professionnel.

J’en viens à me demander si, malgré la véracité du fait que je n’ai pas beaucoup de

temps, je ne prends pas le temps comme excuse de ne pas pousser plus loin les

processus avec mes élèves.

Aussi aimerait-elle pouvoir s’investir dans des formations qui lui permettraient de se sentir

plus à l’aise avec ce type de pratique, mais, encore ici, les multiples tâches et sollicitations

envahissent le quotidien et permettent difficilement le développement professionnel souhaité

et la réalisation de projets à long terme qu’elle désirerait mettre en œuvre.

6.3.1.2. L’« effervescence » du contexte de travail de Maryse : entre essoufflement et fierté

C’est « l’effervescence » qui caractérise principalement le rapport à la tâche de Maryse,

particulièrement dans la séquence de travail choisie, en novembre (mais dans l’année au

complet, reconnaît-elle). On l’a vu dans la description du travail effectif, les tâches

s’accumulent et le temps se fait rare. Tout au long de l’instruction, Maryse a donné des

consignes au sosie à l’effet qu’il faut se dépêcher… « Mais il ne faut pas que ce soit long,

là ». « Oui, oui, il faut que ça roule! » « Ça n’arrête pas. » « Donc je ne l’attends pas, moi

là, en me tournant les pouces! [SV : Ah non?] Non, c’est interdit ça!».

Dès l’entrée à l’école, le temps de prendre un café… « Prends le temps, mais pas trop […]

parce qu’une fois le café versé, la journée commence! » De même, non seulement il n’y a

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pas de pause, mais « on essaye de sortir du bureau pour aller dîner […] “Non, non, lâchez-

moi, il faut que j’aille dîner!” ».

Maryse dit « travailler fort » et semble trouver dans cette effervescence une certaine fierté à

se révéler efficace, sorte de récompense face aux efforts consentis. Par ailleurs, elle reconnaît

que ce « rythme effréné » est, d’un certain point de vue, insensé (« je cours après ma queue »)

et constitue un contexte à risque d’essoufflement. Non seulement elle-même se sent « envahie

par le nombre », « bousculée », mais elle sent également qu’elle « bouscule » ses élèves.

Malgré son « consentement » à œuvrer dans le contexte actuel d’une organisation du travail

intense, il n’en demeure pas moins qu’elle aimerait bénéficier de plus de temps pour

accompagner les élèves dans leur questionnement et réfléchir aux modalités de son travail,

« penser » sa pratique, en somme.

Il semble néanmoins que l’énergie déployée pour répondre aux diverses sollicitations en

vaille la peine, car, non seulement bénéficie-t-elle d’une reconnaissance de son expertise et

de l’utilité de son travail par les enseignants et la direction, dit-elle, mais elle a le sentiment

d’influencer le fonctionnement de l’école par son travail. Sa personnalité cadre bien avec la

« personnalité de l’école », croit-elle. Bref, dans l’ensemble, Maryse trouve certes son travail

épuisant, mais son rapport à la tâche ne paraît pas s’en trouver dégradé : « Je me sens à l’aise

dans le travail de conseiller d’orientation et je sens que je suis à ma place dans cette école. »

6.3.1.3. Les pressions à l’efficacité subies par Pierre : entre résistance et absurdité

Pierre vit un rapport à la tâche particulièrement tendu, opposant une résistance à la forte

pression au travail et aux situations absurdes, une résistance qui l’épuise par ailleurs. Il est

conscient d’être sur le fil du rasoir.

Je joue souvent à la limite aussi. Dans le sens où, dans l’escalier, je cours toujours. Je

pars de l’école en courant pour être sûr d’arriver à l’autobus pour aller chercher ma

fille. Tout ce qui est à faire, je n’ai pas le choix, il faut que ça soit fait, il faut que ça

soit fait, il faut que ça soit fait constamment, constamment.

Seul dans son école pour s’occuper des services d’orientation et recevant de multiples

demandes qui ne concernent pas directement son travail de c.o., Pierre a une charge de travail

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particulièrement élevée. Il ressent beaucoup de pression à l’efficacité et, de fait, il reçoit des

directives explicites de la part de sa supérieure immédiate de faire vite.

Mais à chaque fois, la pression est énorme. Je suis toujours en train de courir et c’est

très représentatif, je cours dans les escaliers, j’arrive dans les classes – je vieillis –

(rires) je viens pour parler, et (bruit d’essoufflement) « excusez-moi ». Dans le contexte

de vie personnelle aussi : « Je n’ai pas le choix, il faut que ce soit fait. »

Pierre consent à faire des efforts pour « être efficace », à revoir ses manières de faire pour

répondre aux objectifs de l’organisation, mais cela lui demande une énergie hors du commun,

dit-il. Il tente de « simplifier » sa tâche, mais ce n’est pas aussi simple que cela peut paraître.

SV : Quelque part, le fais-tu, simplifies-tu un peu, essaies-tu d’aller plus vite?

Pierre : Constamment, constamment, Simon, tu te casses la tête pour essayer de trouver

des façons. Trouver des façons d’être (I2112 : rentable), tu veux le meilleur de tous les

mondes (SV : Tu veux pouvoir répondre aux exigences de la direction) et c’est très

fatigant d’être… constamment, tu te poses la question, tu te casses la tête par rapport

à ça.

Si cette pression à l’efficacité se fait sentir dans l’accompagnement individuel des élèves en

orientation – « J’ai le sentiment d’être pressé et de presser les élèves. Je ne suis pas à l’aise

la majorité du temps avec cette situation. » – c’est principalement face aux tâches

administratives que Pierre vit une exaspération : « L’organisation scolaire nous siphonne

notre énergie.». D’autant plus que ces tâches ne devraient pas revenir à un c.o. (p. ex., devoir

trouver une école à un jeune qui ne peut être admis), selon lui.

Mais la situation dans laquelle il se trouve, même si elle est « malsaine » selon ses mots, est

« complexe » et difficile à faire changer. Ainsi accepte-t-il de faire des admissions et des

choix de cours, tout en jugeant important de réaliser ces tâches avec sa couleur de c.o., en

faisant de ces moments des occasions pour aider, malgré tout, les élèves à « donner du sens

à leurs études ». Or, dans ce contexte de travail pressurisant, cela semble extrêmement

difficile, ce qui plombe évidemment son rapport à la tâche…

Tu n’aimes pas ça [en parlant au sosie]. (SF2 : Ben là!) Et j’entends… « Ta tâche

actuellement, ce n’est pas de faire de l’orientation, c’est de faire des inscriptions, et il

112 Pour les instructeurs, nous indiquerons « I » pour « Instructeur » avec le numéro correspondant : Maryse =

1, Geneviève = 2, Pierre = 3.

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faut que ça opère, parce qu’il y en a d’autres qui attendent ». Tu es « rushé » et la

pression, tu l’as : ils coupent ton temps.

Dans ce contexte, Pierre préfèrerait ne plus faire du tout de tâches d’organisation scolaire.

Mais en réalité, ça ne veut pas dire que je n’aime pas mon travail pour autant. Ces

tâches-là [montage de dossier, information] par exemple je m’en passerais! Vraiment,

radicalement!

Mais il choisit ses combats et tente plutôt de « résister », en continuant de faire son travail

avec sa couleur et en essayant de convaincre la direction de l’importance de tenir compte du

sens que les élèves donnent à leurs études afin de favoriser leur réussite.

Cette résistance a des effets paradoxaux dans la mesure où elle est énergivore, certes, mais

lui permet de préserver du sens à son travail. Ainsi, parmi les « points d’appui pour trouver

la motivation » se trouvent les petites victoires qu’il réussit à obtenir pour soulager sa

situation, et celle de ses collègues (p. ex., faire reconnaître la pertinence de l’orientation

auprès des parents au Conseil d’établissement ou au sein de la Commission scolaire).

Lorsqu’il regarde le portrait général, Pierre est tout de même fier du bilan du travail accompli

par rapport à l’énergie déployée. De fait, sa situation s’est améliorée cette année, mais « il ne

faut pas perdre de terrain », spécifie-t-il, pour éviter de se retrouver dans une situation

pénible sur le plan de la santé psychologique : « Il faut survivre. […] À ne pas revivre svp. »

6.3.2. Le rapport aux élèves

Dans la catégorisation d’Oddone, Re et Briante (1981), le « rapport aux élèves » n’était

évidemment pas présent compte tenu de la nature des investigations de cette équipe de

recherche (l’expérience ouvrière). Or, il nous est apparu important de créer cette

catégorisation dans la mesure où, comme le souligne Clot (1999), l’activité de travail est

dirigée vers un « autre », un destinataire, qui occupe ainsi une place fondamentale à

considérer dans le rapport au travail plus général. Dans ce cas-ci, les élèves sont les

principaux « destinataires » du travail des conseillers d’orientation. Pour comprendre

l’expérience du travail, il nous est donc apparu fondamental de traiter du rapport aux élèves,

i.e. la place que ces derniers prennent dans la réalité subjective du travail des c.o. Ce rapport

aux élèves s’exprime par la manière dont les c.o. comprennent les élèves, les considèrent et

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agissent avec eux. Dans ce cas-ci, l’expérience des trois instructeurs était à ce point

convergente que nous avons opté pour présenter les deux thèmes – « accueillir la réalité de

ces jeunes attachants » et « susciter la prise en charge de ces jeunes passifs et insouciants »

– en ne spécifiant pas si le thème relevait plus de l’expérience de l’un ou de l’autre.

6.3.2.1. Ces jeunes uniques et attachants : accueillir leur réalité

Au-delà du contexte d’« effervescence » qui caractérise son rapport à la tâche et fait en sorte

que Maryse n’a pas le sentiment d’aider les élèves autant qu’elle le pourrait, elle semble

apprécier sa relation avec eux. « Ils sont tous charmants mes élèves. Je les adore. Ils sont

tous formidables. Ils ont tous une histoire formidable. » « Ils sont polis. » « Ils sont attachants

[…] ils sont magnifiques. » Cet attachement envers les élèves et cet intérêt pour leur histoire

singulière sont partagés par les autres c.o. du groupe de recherche. Ainsi, pour Geneviève,

lors des rencontres individuelles, il est très important de s’assurer d’une disponibilité entière

pour l’élève, puisqu’il s’agit d’un moment qui lui est totalement consacré, comme « être

unique », pour reprendre les mots d’une participante du groupe.

Moi je le fais parce que l’élève qui est devant moi, pour moi, c’est la petite personne

la plus importante au monde quand il est dans mon bureau parce que je suis embauchée

pour lui, pas pour le directeur, pas pour la feuille de choix de cours. Pour lui.

Les trois instructeurs estiment entretenir un bon lien avec les élèves en général : Pierre estime

qu’il a un « discours très accrocheur » qui rejoint les jeunes dans leur réalité; Maryse

s’efforce d’être « gentille », « chaleureuse », et « accueillante » avec les élèves, qui sont

ainsi plus à l’aise de venir la rencontrer au « service à la clientèle »; enfin, il est important

pour Geneviève de personnaliser sa relation avec les jeunes côtoyés (p. ex., se rappeler leur

prénom pour les saluer), même dans les corridors, afin de rendre le service plus accessible.

« Je ne sens pas que j’ai à me vendre.[…] le service est là. Ils sont contents. Je suis

contente. »

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6.3.2.2. Ces jeunes « passifs » et « insouciants » : susciter leur propre prise en charge

Les élèves sont souvent « dans la pensée magique », selon les trois c.o. instructeurs. Or, les

c.o. estiment qu’ils sont « assez grands pour comprendre », pour se sortir de cette « pensée

magique ». Les c.o. constatent que les jeunes ont, pour beaucoup, une vision simpliste de

l’orientation de laquelle découle une attitude de passivité face à leur propre devenir. Pierre

adopte ainsi des moyens pour leur faire prendre conscience de l’importance d’être proactifs

dans cette démarche.

En réalité, j’essaie d’amener les élèves à se préoccuper davantage de leur orientation.

Ils sont trop peu informés, d’où le peu de mobilisation. Ils suivent le troupeau. Ils se

connaissent peu.

Remettant en perspective le caractère normal d’une certaine insouciance de la jeunesse,

Geneviève estime néanmoins qu’il fait partie de son rôle professionnel de les amener à

prendre leurs responsabilités, du moins à voir les conséquences possibles de leurs choix, dans

le concret. Tout en faisant preuve d’une attitude bienveillante à l’égard des élèves, Geneviève

évite la complaisance et ne se gêne pas pour les placer devant leurs contradictions ou pour

les « ramener à la réalité », mais toujours avec humour.

Souvent, ils vont arriver dans ton bureau et ils vont dire : « Moi, je vais être PDG

d’entreprise ». Ça, je l’entends souvent. Ou médecin. Tu vas essayer le plus possible

de les ramener au court et moyen terme. Le long terme, c’est long terme. Là, ils ont 16

ans, 17 ans, le lobe frontal n’est pas fini de développer, le centre de la décision n’est

pas fini de développer (rires). Je les adore, tu les adores tes élèves!

Travaillant avec des élèves adultes, Maryse se fait un devoir de les considérer comme tels,

en agissant de manière à ce qu’ils en viennent à assumer les conséquences de leurs actions et

de leurs décisions. Elle évite de les prendre par la main de manière à leur permettre de sortir

de leur rapport de dépendance envers les adultes, dont elle incarne une figure.

Ainsi, chacun à leur manière, les c.o. tentent de susciter chez les élèves leur propre prise en

charge quant à leur cheminement scolaire et professionnel et même plus largement, quant à

leurs choix de vie en général.

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6.3.3. Le rapport aux pairs

Le rapport avec les pairs comprend le vécu des c.o. au regard de leur relation avec les autres

travailleurs, qu’ils soient ou non du même métier. Dans cette relation se jouent des rapports

à la fois professionnels et personnels. Les rapports professionnels permettent de situer

l’identité professionnelle de métier des uns et des autres via la reconnaissance qui peut être

manifestée, à la fois sur l’utilité sociale du travail et sur ses qualités relatives aux « règles de

l’art » du métier. Les rapports personnels permettent d’apprécier la convivialité et le caractère

respectueux des relations humaines dans le milieu de travail. Les thèmes dégagés de ce

domaine d’expérience sont : le plaisir de « faire équipe »; la bienveillance envers les

collègues pour faciliter la vie au travail; la pénibilité d’être « seul dans son équipe ».

6.3.3.1. Le plaisir de Maryse à « faire équipe » : s’assurer de respecter les rôles et les

manières de faire

Dans l’ensemble, Maryse a l’impression de faire partie d’une « équipe » de travail, où les

membres participent à la même « aventure ». Le respect et la reconnaissance du champ de

pratique marquent les relations avec ses collègues, notamment avec les enseignants. De fait,

Maryse respecte l’autorité des enseignants quand il s’agit de la présence des élèves à leur

cours (vs. venir la rencontrer en orientation), et de leur pédagogie (dans le contexte de

l’approche orientante). De leur côté, les autres personnels lui font confiance et lui réfèrent

des élèves.

Ses rapports avec sa collègue conseillère d’orientation sont également respectueux, mais leur

grande proximité – même physique – ajoute à l’intensité et à la complexité des relations. Les

deux c.o. sont appelées à travailler étroitement ensemble et il y a nécessité à la fois de

coordonner et d’accorder leur pratique. Cela nécessite de traiter les différends éventuels qui

peuvent survenir entre elles quant à la réalisation du travail, à l’approche de l’orientation, à

la posture d’accompagnement, etc. À cet effet, Maryse relève une différence de vision avec

sa collègue quant à la part de responsabilité qui revient aux élèves : « Elle les materne un peu

plus […] Donc des fois je taquine ma collègue […] C’est permis de faire ça.». Traiter des

différences de points de vue implique de « faire attention à l’autre et trouver les mots qui

expriment vraiment ce que l’on veut dire ».

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Au-delà du travail, la dimension sociale du milieu de travail apparaît aussi importante pour

Maryse. En ce sens, elle estime que la centralité de son lieu de travail principal dans

l’établissement constitue un avantage puisque le personnel passe souvent la saluer. Si de tels

moments de socialisation sont certes « importants » pour Maryse, elle souligne encore une

fois leur caractère pressurisé par le manque de temps : « Prends le temps, mais pas trop »…

6.3.3.2. Les relations interpersonnelles de Geneviève : pratiquer la bienveillance pour

faciliter la vie au travail

Si les élèves constituent sa principale motivation dans le travail, Geneviève a néanmoins

beaucoup de plaisir à travailler avec les autres adultes et agit de manière à préserver de bonnes

relations avec ses collègues. Que ce soit l’agente de motivation, la réceptionniste, l’adjointe

administrative, ou encore d’autres c.o. avec qui elle est appelée à collaborer à l’occasion,

Geneviève répète à plusieurs reprises durant l’instruction qu’elle les « aime beaucoup » et

leur « fait attention ».

Tout comme avec les élèves, Geneviève exprime l’importance de pratiquer la bienveillance

à l’égard de ses collègues : « Moi, j’essaie d’être fine et les gens sont fins avec moi. » En plus

de contribuer à entretenir un bon climat, le souci des autres fait en sorte que ses collègues

sont plus enclins ensuite à l’aider et à faciliter son travail (p. ex., se rendre disponible plus

rapidement). Elle sait reconnaître leur contribution à son propre travail.

Tu as une bonne relation avec les profs aussi. Les profs te laissent entrer en classe. Et

ça, ce n’est pas toujours évident parce qu’il y a eu des mauvaises expériences avec des

c.o. qui ont déjà été là. Les profs ne les laissaient pas entrer en classe. Donc, tu es

privilégié : tu le sais et tu l’entretiens. Des « bonjours », des sourires, des « mercis ».

C’est le B-A-BA.

De plus, compte tenu de la place occupée par Geneviève dans l’organisation du travail à son

école, travailler avec plusieurs catégories de personnel est fréquent. Elle doit donc se montrer

à la fois « versatile et discrète », de manière à ne pas miner la confiance que ses collègues

ont à son égard.

En somme, Geneviève entretient un bon rapport avec ses pairs et apprécie grandement

l’équipe avec laquelle elle travaille actuellement. Elle regrette d’ailleurs de ne pas pouvoir

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participer au travail en équipe multidisciplinaire et souhaite éventuellement le faire,

lorsqu’elle sera de retour à temps complet.

6.3.3.3. La pénibilité de Pierre à se voir « seul dans son équipe » : chacun est-il seul

responsable de son sort?

Pierre se sent isolé au sein de son équipe de travail. Seul à prêcher pour sa paroisse, il a

l’impression de faire face à beaucoup de fermeture et de rigidité devant l’importance de

moduler les pratiques à l’école en fonction des besoins d’orientation des jeunes. Il a ainsi

l’impression d’être constamment en mode « persuasion » avec ses collègues enseignants.

[…] quand j’entends un professeur dire, dans la grande réunion où on parlait

justement de l’approche orientante à l’école, « ouain bien ils sont trop jeunes », ça

détruit ce qu’on est en train de faire. Et quand je parle d’accompagnement tôt dans le

cheminement des élèves, c’est un mythe, une croyance que j’entends constamment,

constamment.

Cela se traduit par le sentiment d’être seul face à l’équipe-école pour faire valoir l’importance

de l’orientation pour les élèves du secondaire. Or, justifier la pertinence de l’orientation à

l’école demande du temps et de l’énergie, participant ainsi à la pénibilité du travail.

Quand tu es tout seul face à tout le personnel de l’école qui a une vision très arrêtée,

très ancrée dans la terre, solide là, ce n’est pas suffisant de dire « je ne suis pas

d’accord » pour que les choses changent. Il faut que tu élabores tes pensées, il faut que

tu changes les pensées profondes, ce qui fait que c’est très difficile, pour qui que ce

soit.

Pierre voit les limites de l’argumentation à la pièce et ressent une grande frustration face au

discours voulant qu’il revienne au c.o., individuellement, de « prendre sa place » à l’école et

de défendre son rôle auprès de l’équipe-école.

On l’entend de la part des collègues beaucoup, beaucoup. Et quand je dis « des

collègues », ça dépasse la commission scolaire : les collègues c.o. en général. Au

niveau national, dans les rencontres des grands groupes, même à l’Ordre, à quelque

part, on l’entend beaucoup. Et d’autres professionnels aussi. C’est comme si, « il va

de soi que… ». Et c’est vicieux…

Ce discours met Pierre « en colère » compte tenu des efforts investis pour s’en sortir

individuellement, certes, mais aussi pour améliorer le sort collectif. Ses collègues de l’école

voient les difficultés vécues par Pierre, mais tout se passe comme si leurs propres difficultés

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les empêchaient de lui venir en aide. Ils ne réalisent pas la portée que cela peut avoir, à la

fois sur Pierre lui-même et sur les services donnés aux élèves. « Ce n’est pas que le monde

s’en fout… on dirait que chacun est pris dans son monde… »

En somme, les qualités relationnelles et micropolitiques de Pierre facilitent certes son rapport

avec ses pairs. Toutefois, « chercher la bonne entente » malgré les désaccords semble prendre

beaucoup d’énergie, d’où la tentative d’agir à un niveau plus élevé (Conseil d’établissement,

Commission scolaire) pour éviter que ses collègues se retrouvent dans une situation comme

la sienne.

6.3.4. Le rapport aux parents

L’instruction de Pierre révèle une dimension particulière de l’expérience du travail de c.o. en

milieu scolaire que l’on ne retrouve pas dans les deux autres instructions : celle du rapport

aux parents d’élèves. Son expérience servira à documenter cet aspect de la pratique des c.o.

6.3.4.1. L’ambivalence de Pierre face aux parents d’élèves : des alliés ou des clients?

D’un côté, on sent dans la vision de Pierre l’importance de l’implication des parents au regard

de la réussite des études de leurs enfants. De l’autre côté, la posture de plusieurs parents

envers l’école choque. Nous traiterons ici de ces deux volets.

Si l’on se fie à la description du travail de Pierre, son rapport avec les parents impliqués au

Conseil d’établissement est très bon. Il sent que les parents soutiennent leurs enfants et les

services d’orientation dont il est garant.

Parce que sur le conseil d’établissement, moi, les parents ont levé les boucliers, ils

ont dit : « On veut de l’orientation! Comment ça se fait qu’on n’a pas suffisamment de

consultations? Comment ça se fait que le conseiller d’orientation fait des tâches

administratives? » C’est venu des parents. […]et t’as deux parents qui grimpent dans

les rideaux solides, qui deviennent rouges donc, il faut que tu les écoutes. C’est des

gars de la construction (rires).

Les parents vont même jusqu’à faire des suggestions pour améliorer les services, ce qui lui

donne un certain levier de pouvoir dans sa relation avec la direction pour recentrer son travail

sur une pratique plus « pure » d’orientation.

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La direction, elle est coincée. Les parents vont dire : « on va engager quelqu’un pour

faire les demandes d’admission ». […] Ils veulent faire un souper spaghetti pour

engager une nouvelle ressource (rires). Ils l’ont vraiment mentionné! […] Je dis :

« Écoutez, moi, j’adore faire de l’orientation, je ne demande pas mieux que ça! »

La présence de ces parents prêts à aller jusqu’à organiser une collecte de fonds pour permettre

l’embauche d’une nouvelle personne pour alléger sa tâche est réconfortante pour Pierre.

Toutefois, les parents avec qui il travaille au quotidien ne sont pas tous aussi soutenants. La

posture clientéliste ou consommatrice de services scolaires apparaît particulièrement irritante

pour Pierre, compte tenu des conséquences qu’elle engendre. Par exemple, les pressions des

parents pour que leur enfant soit inscrit à cette école, malgré les règles de la commission

scolaire qui l’interdisent, font en sorte que le c.o. doit rencontrer certains parents obstinés à

obtenir gain de cause. Lorsque la réceptionniste ne sait plus comment répondre aux parents,

elle les réfère à Pierre, qui doit s’organiser pour que ces parents n’aillent pas plus loin dans

des démarches revendicatrices (p. ex., vouloir rencontrer la direction, se plaindre aux

commissaires).

« Sinon j’appelle la Commission scolaire, j’appelle les commissaires ». Ils appellent

partout, partout. Et évidemment, on va avoir un appel, la direction va dire : « Qu’est-

ce qui se passe avec ce cas-là? » Ça devient une escalade de téléphones.

Le dossier risque fort de revenir alors sur le bureau de la direction, puis du c.o. à nouveau.

Plusieurs parents issus de communautés culturelles sont très argumentatifs au regard du

cheminement scolaire des élèves. Si Pierre a le souci de faciliter l’intégration des nouveaux

arrivants, il ne peut se permettre de déroger aux règles établies. Il appuie donc ses

interventions sur le bien-fondé de ces règles et recentre constamment la discussion autour

des préoccupations du cheminement de l’élève.

En somme, Pierre a un rapport particulier avec les parents qui se caractérise par des extrêmes :

d’un côté, ces derniers se placent en soutien en ouvrant des portes pour que les services

d’orientation soient mieux considérés à l’école, de l’autre, ils revendiquent des droits de

clients avec lesquels il faut composer dans un rapport institué qui place en position de

« servir ».

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6.3.5. Le rapport à la hiérarchie

Le rapport à la hiérarchie fait partie des domaines d’expérience professionnelle étudiés par

Oddone, Re et Briante (1981). Dans le cas des c.o., la hiérarchie fait référence spécifiquement

aux directions adjointes et à la direction de l’établissement scolaire. Les thèmes dégagés pour

ce domaine d’expérience apparaissent selon une certaine gradation d’une expérience plutôt

structurante à une expérience déstructurante sur le plan de l’identité professionnelle de

métier : une reconnaissance réciproque; une reconnaissance équivoque; un mépris du métier.

6.3.5.1. La reconnaissance réciproque vécue par Maryse : une exception à la règle?

La relation de Maryse avec la direction de l’établissement est marquée par la convivialité,

sur le plan personnel, et par la reconnaissance, sur le plan professionnel. Sur le plan

personnel, la direction d’école « [prend] le temps de nous demander comment nous allons et

de s’intéresser à tout et à rien nous concernant ». Cela contribue à ce que Maryse ne se sente

pas « comme un numéro ». Ce sentiment se transpose aussi sur le plan du travail, puisque la

direction lui fait confiance comme professionnelle et reconnaît son expertise. Cette

reconnaissance passe certes par une multiplication des demandes relatives à son expertise,

mais ces demandes ne prennent pas la forme de décrets : Maryse a le sentiment que la

direction demeure à son écoute, y compris quand c’est le temps de dire « non » à certaines

tâches ou certains mandats dont la réalisation lui apparaît irréaliste.

Enfin, la reconnaissance est aussi matérielle, ce qui apparaît comme une heureuse surprise

pour Maryse : « Pour une fois – moi j’ai jamais vu ça en 17 ans de carrière – je trouve qu’on

a une reconnaissance. Elle m’a dit : “Là on a de l’argent, achetez-vous des nouveaux

meubles!” ».

En somme, Maryse sent que l’échange avec la direction est juste, ce qui lui donne envie de

s’investir dans son travail : « Oui, parce que si je ne sentais pas cette affaire-là [la

reconnaissance], tu sais, une relation; ça se joue à deux aussi. Tu m’en donnes, je t’en donne.

C’est aussi ça.».

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6.3.5.2. La reconnaissance « équivoque » vécue par Geneviève : un moindre mal?

En général, les relations de Geneviève avec ses supérieurs immédiats sont relativement

bonnes. Elle se dit capable de parler franchement avec eux, ce qui est plus difficile avec la

haute direction de l’école qui est avant tout un « gestionnaire d’une business ».

À un moment donné, j’ai comme compris que : ce n’est pas avec [la haute direction]

[qu’il faut transiger]. Donc, je suis allée voir chaque adjoint. Je me promène d’adjoint,

en adjoint, en adjoint. Je crée mon lien avec chacun d’entre eux. Donc, les adjoints,

oui, ils viennent me voir.

Connaissant davantage le travail de Geneviève, les directions adjointes sont relativement

réalistes par rapport à la quantité de tâches qu’elles peuvent lui demander, ou du moins elles

acceptent les refus lorsqu’elle leur signifie être surchargée. De plus, les directions adjointes

accordent une autonomie professionnelle appréciée, tout en reconnaissant son travail et son

professionnalisme… du moins en paroles.

Je me sens reconnue comme une professionnelle et non comme une employée.

Des fois, c’est un peu… C’est plein de doubles tranchants, c’est plein de doubles

messages. Comme ici, moi, je suis très appréciée par mon équipe et on me le dit. J’aime

beaucoup mon école, j’aime beaucoup mon équipe... Mais quand je suis partie en

congé de maternité, pendant 18 mois, on ne m’a pas remplacée; on m’a remplacée

quatre mois. Alors là, le double message est : « on t’aime, on te trouve importante,

mais c’est pas grave l’orientation ».

De même, malgré un certain respect de l’autonomie professionnelle de Geneviève, cela

n’empêche pas les directions adjointes de la solliciter pour de multiples tâches qui ne relèvent

malheureusement pas de la fonction de c.o.…

Ça revient à dire que le c.o., c’est un peu le déversoir, c’est comme « on sait pas à

qui… go, le c.o., le c.o. ». Moi, des fois, j’ouvre [ma boîte de messagerie interne] et je

retrouve des choses qui me font dire : « euh! Allô? Ce n’est pas à moi, je m’en sacre!

Ce n’est pas pour moi! »

Il arrive même parfois que les directions adjointes veuillent déléguer leur propre tâche à

Geneviève, qui trouve le moyen de faire passer son message avec un certain humour…

Des fois, je me sens comme une direction adjointe, parce que les directions quand elles

ont des cas un peu trop litigieux, bien, elles m’appellent pour que je parle aux parents.

« Ok, je vais leur parler, aux parents ». Des fois, je niaise et je dis : « il est où mon

titre? » J’entre dans le bureau de la direction et je dis : « moi, je veux le titre directrice

adjointe à l’orientation et je veux le salaire, svp. » (rires)

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229

Malgré tout, Geneviève dit apprécier cette équipe de direction, installée depuis quelques

années. Aussi est-elle consciente que les bonnes relations pourraient changer du jour au

lendemain, et pas nécessairement pour le mieux…

Je l’ai toujours dit en réunion de c.o., je me sens privilégiée dans mon école parce que

j’ai une très bonne relation avec ma direction. Le jour où [la haute direction] va

quitter, dans X ans, ça pourrait « ouf » changer de cap du tout au tout, complètement.

6.3.5.3. Le mépris du métier vécu par Pierre : batailler malgré l’inégalité des armes

Le surnom donné par Pierre à sa supérieure immédiate, la « main de fer », parle de lui-même

pour exprimer son rapport à la hiérarchie. Celle-ci détermine le travail de ce c.o. en

multipliant les injonctions à l’efficacité (p. ex., « Dépêche-toi » « Il faut que tu ailles plus

vite, parce qu’il y a du monde qui attend », « Il faut que tu fasses plus vite, il faut que tu

trouves des façons d’aller plus vite. »), et va jusqu’à lui commander de ne pas fermer sa porte

de bureau lorsqu’il rencontre des élèves et des parents.

Selon Pierre, ces tentatives de contrôler sa pratique s’expliquent en partie par la différence

de « paradigme » pour considérer les services d’orientation : une pratique orientée vers les

élèves ou l’« organisation scolaire ». Dans son commentaire sur l’instruction, Pierre relève

la contradiction de cette dernière vision avec les différentes lois et politiques régissant les

services d’orientation en milieu scolaire.

Le paradigme [de la direction], c’est que le client [du c.o.] est la direction d’école au

lieu d’être l’élève, malgré la LIP [Loi sur l’instruction publique], le PFEQ

[Programme de formation de l’école québécoise], la Politique des services

complémentaires, la Politique des élèves HDAA, l’OCCOQ et la Loi 21.

Face à cette situation, Pierre est dans un certain rapport de lutte, de résistance et de défense,

sans pour autant confronter la direction de front. Ainsi, lorsqu’il parle de son travail au

Conseil d’établissement, il paraît content de rétablir en partie, via les parents, son rapport de

pouvoir avec la direction.

La direction n’aime pas ça parce que, on dérange effectivement. Ils dérangent, ils sont

fatigants ces parents-là. Ils veulent même que ça soit récurrent : on en a parlé à tous

les CÉ [conseil d’établissement], du service d’orientation. Et moi, j’adore ça (rires) et

je me sers de ça. (SF5 : C’est la douce vengeance ça! I2 : On sent le plaisir dans ses

yeux!)

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230

La résistance de Pierre ne se manifeste pas dans la confrontation directe. De fait, s’il tente

parfois de convaincre la direction de certains points importants, lorsque cela ne fonctionne

pas, il arrive parfois à ses fins, sans toutefois provoquer de vagues pour autant.

Je vais travailler autrement parce que, moi, je me dis, à quelque part, ce n’est pas moi

qui y tiens de faire des choix de cours, pas dans un contexte comme ça. Je ne veux plus

de faire des choix de cours d’ailleurs! Parce que tu n’y vois pas ta couleur. Mais tu

résistes, tu fais quand même à ta tête par rapport à ça, parce que tu y crois sincèrement

que de donner du sens aux études, c’est important. […] et ça, tu vas le dire aussi à la

directrice.

La bataille principale à mener n’est cependant pas au niveau de la direction d’école. C’est

pourquoi Pierre s’implique dans les efforts actuels des c.o. pour revoir le rôle du conseiller

d’orientation au niveau de la commission scolaire. Il s’applique donc à convaincre la haute

direction de la commission scolaire de la pertinence d’améliorer les services d’orientation

dans les écoles.

6.3.6. Le rapport aux organisations formelles et informelles du monde du travail

Développée par Oddone, Re et Briante (1981), l’instruction au sosie avait pour objectif

d’explorer entre autres la conscience de classe des ouvriers. Repris par Clot (1999) dans une

psychologie du travail plus large, celui-ci a changé le domaine « rapport aux organisations

de classe » pour le « rapport aux organisations formelles et informelles du monde du travail ».

Nous avons repris cette catégorisation dans la mesure où elle peut permettre d’y classer à la

fois des organisations associatives et syndicales, mais aussi les universités comme instance

de formation professionnelle, et l’Ordre professionnel. Ces deux derniers types

d’organisations sont passablement importants à considérer lorsque l’on s’intéresse à la

pratique d’une profession réglementée. De fait, la pratique de l’orientation est régie par

l’Ordre professionnel des conseillères et des conseillers d’orientation du Québec (OCCOQ).

L’Ordre occupe donc une certaine importance dans l’expérience de la pratique

professionnelle des c.o.. Par ailleurs, rappelons que, contrairement aux organisations de

classe auxquelles référaient Oddone et ses collaborateurs (1981), l’Ordre professionnel n’a

pas pour mission de défendre les intérêts des membres, mais plutôt de protéger le public en

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231

s’assurant de la compétence des conseillers d’orientation. Cela induit d’emblée une autre

forme de rapport que celui d’une organisation associative.

Dans les faits, au chapitre des « organisations formelles du monde du travail », les

instructeurs n’ont pratiquement abordé que l’Ordre professionnel. Il semble que cette

instance professionnelle ait pour fonction principale de prescrire un certain idéal de pratique

chez les c.o.. Or, cet idéal ne tiendrait pas nécessairement compte des contraintes du réel de

la pratique au quotidien, ce qui génèrerait un écart important que les c.o. doivent arbitrer

individuellement, c’est du moins une hypothèse qui sera discutée ici. Les thèmes dégagés

pour ce domaine d’expérience traduisent des postures adoptées face à cet écart, postures qui

font état de degrés différents d’indépendance face à l’idéal prescrit par l’Ordre : assumer sa

pratique même si l’écart avec l’idéal de l’Ordre est relativement grand; s’interroger sur sa

pratique au regard de cet écart; tenter de se fonder sur des repères théoriques partagés par

l’Ordre pour arbitrer l’écart.

6.3.6.1. Entre l’idéal de l’Ordre et les contraintes du réel : Maryse assume sa pratique

Maryse entretient un rapport plutôt assumé au regard de l’OCCOQ, compte tenu des

contraintes organisationnelles auxquelles elle est soumise (p.ex., envahissement de la tâche

des choix de cours dans son travail) et de son approche de la pratique de l’orientation décrite

ci-avant (p.ex., elle ne croit pas que les jeunes aient nécessairement besoin d’un

accompagnement de longue durée pour faire un choix scolaire ou professionnel avisé).

Par rapport à la « pyramide des besoins » d’orientation des élèves en milieu scolaire élaborée

par l’Ordre professionnel (voir Annexe 1), elle est consciente qu’une partie de cette pyramide

pourrait être qualifiée d’« anorexique ». Elle estime en effet qu’une grande partie de sa

pratique – l’organisation scolaire – ne s’adresse pas spécifiquement aux besoins d’orientation

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des élèves. Pour le reste, elle s’attarde essentiellement à des « besoins généraux », délaissant

par conséquent les « besoins distinctifs »113 et les « besoins cliniques »114.

Si ce travail-là [organisation scolaire] nous demande, je ne sais pas, 75 % de notre

temps et, le reste du temps, on a à travailler avec les besoins des élèves donc à travailler

toute la pyramide, il en reste seulement 25 %! Sur le 25 %, redivise en sections où,

finalement, peut-être 17 % répondent à des besoins généraux. Finalement, il y a peut-

être une personne que je rencontre qui a des besoins vraiment, vraiment…

Maryse adapte son approche de l’orientation pour tenir compte des contraintes

organisationnelles tout en répondant du mieux possible à sa fonction de conseillère

d’orientation dans ce type d’école. Aussi, elle assume sa pratique réelle et semble ne pas se

culpabiliser de ne pas répondre à ce que l’on pourrait interpréter comme une « pratique

prescrite » (modèle de l’OCCOQ).

De la même manière, au regard des exigences d’un formulaire de consentement à l’ouverture

d’un dossier et d’un formulaire de fermeture de dossier, Maryse ajuste sa pratique en fonction

de sa vision de l’orientation et de son contexte de travail. Dans le contexte où elle œuvre, il

est parfois difficile de déterminer si elle entame ou non véritablement un « processus

d’orientation » avec les élèves rencontrés. Quand doit-elle faire signer le formulaire de

consentement? Et quel sens prend-il alors? Si certains cas sont clairs, la majorité des

rencontres demeurent informelles et restent donc dans une certaine zone d’ambigüité. De

plus, lorsqu’elle commence une démarche d’orientation avec un jeune, il n’est pas toujours

aisé de déterminer quand celle-ci se termine… Les feuilles de fermeture de dossier sont donc

relativement rares.

113 « La plupart des élèves vivent, à un moment ou à un autre, le besoin d’un accompagnement plus ou moins

spécialisé, en raison de l’importance et de la portée du choix, de l’impression de ne pas être prêt à choisir, de la

préoccupation de ne pas se tromper ou du désir de profiter de l’avis d’un spécialiste. » (OCCOPPQ, 2010 b,

p. 3)

114 « Certains élèves vivent un « problème d’orientation » (ex. : indécision chronique, anxiété liée au choix,

problème d’identité, immaturité vocationnelle) ou encore vivent une situation particulière nécessitant une

intervention adaptée (notamment les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage –

EHDAA). » (OCCOPPQ, 2010 b, p. 3)

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233

6.3.6.2. Entre l’idéal de l’Ordre et les contraintes du réel : Geneviève s’interroge sur sa

pratique

Si Geneviève entretient elle aussi un rapport relativement assumé à l’Ordre professionnel,

elle apparaît dans une posture de doute sur le fait que sa pratique soit conforme à ce qu’est

« véritablement » une pratique de l’orientation.

Se questionnant sur le moment où commence véritablement un « processus d’orientation

réel », et face à l’exigence du code de déontologie d’ouvrir un dossier lorsque c’est le cas,

Geneviève a tracé une ligne pour faire face à l’ambigüité vécue dans sa pratique effective :

elle ouvre automatiquement un dossier lorsqu’un élève revient pour une deuxième rencontre,

ou encore lorsqu’elle fait passer un test psychométrique.

Quand tu rencontres tes étudiants, tu as une fiche, pour chaque élève en fait, où tu vas

marquer son nom, sa date de naissance, son foyer. Et là, en fait, c’est une fiche de

dossier d’orientation. Moi, je remplis le haut, mais je ne remplis pas le reste

nécessairement tout de suite parce que ça ne veut pas dire que je vais ouvrir un dossier

en orientation.

Tu as deux choses. Tu as soit le dossier en orientation; si tu as vu l’élève, que tu as

décidé de faire passer un test, ou que tu le revois et, vraiment, tu es dans un processus

avec lui. Dans ce cas, il va y avoir un dossier : tu vas avoir le motif de la consultation…

je ne me rappelle pas par cœur là, tu vas le voir sur la feuille. Tu remplis ça et tu as

des feuilles de notes évolutives pour chaque rencontre.

Mais la question persiste : « Beaucoup d’élèves n’ont qu’une fiche d’information à leur nom :

est-ce vraiment de l’orientation alors? » Or, cela renvoie Geneviève « à [son] sentiment d’être

souvent plus une CISEP qu’une c.o. ». Tout se passe comme si le fait de ne pas ouvrir un

« dossier d’orientation » laissait penser qu’elle ne fait pas de la « vraie » orientation. Il peut

être compréhensible alors que la formation offerte par l’OCCOQ sur la tenue de dossier l’ait

« franchement déçue » puisqu’elle ne voit pas la possibilité d’appliquer les savoirs

développés dans la pratique quotidienne.

6.3.6.3. Entre l’idéal de l’Ordre et les contraintes du réel : Pierre s’efforce d’appuyer sa

pratique par des repères théoriques

Si l’on se fie aux autres membres du groupe, Pierre a un rapport assez distinctif avec les

organisations formelles impliquées dans la pratique de l’orientation dans les écoles. Comme

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nous l’avons vu, il s’appuie sur les espaces (p. ex., Conseil d’établissement) et les documents

(p. ex., lois et politiques) institutionnels pour agir dans sa pratique. De même, il tente de

fonder sa pratique sur des théories, sur des apprentissages issus des universités et de la

recherche en général. Ainsi, via son instruction et le commentaire rédigé à sa suite, Pierre

révèle plusieurs points d’appui théoriques et empiriques.

Je me réfère à plein de théories, même la psychogénétique, de Luc Bégin, entre autres,

la capacité de faire des liens ou de ne pas faire des liens, d’autres ressources aussi,

même à aller jusqu’à [deux auteurs d’orientation dont les noms sont inaudibles.]

Toutefois, compte tenu des contraintes organisationnelles pesant sur le travail de conseiller

d’orientation à l’école, le réel résiste très fortement à la mise en œuvre d’une pratique

d’orientation fondée sur des approches d’orientation spécifiques et dirige le travail effectif

dans une tout autre direction… « Nous sommes très très loin de la vision du travail d’un c.o.

à la sortie de l’université. »

Se qualifiant lui-même d’« idéaliste », Pierre tente malgré tout de garder ses repères

théoriques et de les opérationnaliser dans sa pratique, du mieux qu’il le peut. Il semble

d’ailleurs entretenir un rapport similaire avec l’Ordre professionnel, duquel il tire notamment

une référence apparemment importante pour comprendre les enjeux de la pratique de c.o. en

milieu scolaire : la « pyramide des besoins », que nous avons évoquée ci-avant (voir

Annexe 1). Ainsi, comme Maryse et Geneviève, Pierre tente le plus possible de respecter les

exigences déontologiques, notamment pour les rencontres d’orientation. Mais, dans son cas

aussi, il y a orientation dans des espaces interstitiels… dans un contexte informel difficile à

baliser (p. ex., dans les choix de cours, dans les rencontres avec les parents, etc.). La

commande de la direction de garder sa porte de bureau ouverte offre un bel exemple de la

difficulté à déterminer quand commence ou non le travail d’orientation, plus « pur » pour

reprendre son expression.

Les fois où j’ai eu à le faire, dans ma période d’orientation, je la ferme ma porte. Mais

très souvent, le travail est siphonné vers l’organisation scolaire, ce qui fait que la

partie qui est informelle, où que je ne sens pas… qui ne se passe pas nécessairement

un contexte de confidentialité (SM1 : tu ne le sais pas quand ça peut arriver) je le sais,

ça je le sais, je sais tout ça.

Bref, le rapport entretenu par Pierre avec les institutions universitaires de formation des c.o.

et avec l’Ordre professionnel semble exprimer son attachement et sa volonté d’améliorer la

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pratique de la profession en milieu scolaire : « Je crois profondément en notre profession et

notre pertinence sociale. » La nature de ce rapport exprime la manière dont il tente de

préserver un certain idéal, tout en demeurant conscient des contraintes relatives au réel du

travail.

6.3.7. Synthèse de l’expérience du travail des trois instructeurs

Pour conclure cette section sur l’expérience du travail des trois instructeurs, il faut d’abord

souligner un constat commun : la charge de travail est élevée, particulièrement dans les

périodes de pointe; charge de travail à laquelle s’ajoutent des pressions à l’efficacité à la

fois « internes », ou intériorisées, et « externes » puisqu’elles sont parfois exprimées

explicitement par la direction. Cette charge de travail et ces pressions déterminent en grande

partie le rapport à la tâche. Les c.o. instructeurs se sentent eux-mêmes pressés, voire épuisés,

et ils ont le sentiment de « bousculer » les élèves, ce qui est d’autant plus dérangeant. Ils

n’ont pas l’impression d’avoir la possibilité de rendre leur travail aussi « orientant » qu’ils le

souhaiteraient et aimeraient disposer de temps supplémentaire, ou d’un temps « normal »,

pour mieux accompagner les élèves. En outre, le temps manque aussi pour « penser sa

pratique », pour investir dans un développement professionnel.

La souffrance décelée dans ce rapport étroit entre efficacité et efficience (faire plus avec

moins) est en partie compensée, ce qui leur permet de continuer de tenir le coup. Pour

Maryse, c’est la fierté de « travailler fort » et la reconnaissance dont elle bénéficie dans son

milieu qui compense. Pour Geneviève, c’est la capacité, malgré les contraintes, à maintenir

un certain équilibre sur le plan professionnel (p. ex., maintenir la diversité des tâches). Pierre,

quant à lui, s’efforce de remarquer les « petites victoires » qu’il remporte parfois face à des

situations adverses.

Le rapport aux élèves contribue à compenser un difficile rapport à la tâche. Les qualificatifs

ne manquent pas pour décrire les élèves : ils sont gentils, extraordinaires, magnifiques, etc.

Ils sont les « destinataires » (Clot, 1999) du travail des c.o. : leur « raison d’être

professionnelle ». Les c.o. s’efforcent d’accueillir leur réalité dans toute sa singularité.

Toutefois, les trois instructeurs relèvent l’insouciance et la passivité des jeunes face à leur

orientation (explicable, croient-ils, à la fois par un certain développement biologique, par la

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236

nature de la jeunesse, et par un système scolaire qui ne favorise pas le développement de la

maturité vocationnelle). Aussi doivent-ils rendre les élèves plus responsables et autonomes

face à leur orientation scolaire et professionnelle.

En ce qui concerne le rapport avec leurs pairs, Maryse et Geneviève partagent apparemment

une expérience similaire, caractérisée par le plaisir du respect des rôles des uns et des

autres, de la reconnaissance réciproque, et aussi par le plaisir de la convivialité.

Soulignons la nécessité de « prendre soin » des relations avec leurs pairs, particulièrement

relevée par Geneviève. Or, la situation de Pierre contraste fortement avec celle des autres

instructeurs. De fait, celui-ci vit de l’isolement dans son milieu de travail. « Seul dans son

équipe », il se trouve constamment en mode de faire reconnaître la pertinence de l’orientation

et sa propre pertinence comme professionnel... Ces efforts pour « prendre sa place » sont

énergivores et démoralisants. Aussi constate-t-il un certain chacun-pour-soi, où chacun, pris

dans sa propre souffrance, laisse l’autre s’organiser avec la sienne… Ce sentiment de devoir

être constamment en mode « persuasion » est accentué chez Pierre par son rapport aux

parents. En effet, Pierre doit faire face trop fréquemment à des parents-clients insistants et

argumentatifs. Il bénéficie toutefois de certains parents « leviers », qui l’appuient dans sa

défense des services d’orientation l’école.

Sur le plan du rapport à la hiérarchie, on retrouve chez les trois instructeurs, trois cas de figure

qui représentent des niveaux de reconnaissance et leur effet sur les c.o.. Ainsi, le cas de

Maryse illustre la présence d’une reconnaissance de l’expertise et du travail en paroles et

en actes, bénéfique pour le rapport au travail. Si elle peut bénéficier d’une reconnaissance

en paroles qui, malheureusement, ne se traduit pas toujours en actes, Geneviève s’estime

tout de même chanceuse d’en recevoir, consciente qu’il pourrait en être autrement avec

d’autres directions. Finalement, le cas de Pierre illustre une situation de non-

reconnaissance, voire de mépris du métier qui le place dans un rapport de force constant

où il doit batailler pour garder le terrain qu’il a gagné au fil du temps… Cette situation est

particulièrement épuisante.

Enfin, le rapport aux organisations formelles et informelles du monde du travail est

relativement convergent entre les trois instructeurs. Ainsi, devant les contraintes du réel qui

rendent parfois impossible le respect intégral de certaines balises et certaines exigences de

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l’Ordre, ils en viennent à questionner, chacun à leur manière, la pertinence de ces exigences

en contexte scolaire puisqu’ils ne peuvent pas les appliquer de facto. Face à cet écart, trois

postures se dégagent : assumer sa pratique réelle; s’interroger sur l’appartenance ou non

de sa pratique réelle à l’Orientation; s’efforcer d’appuyer sa pratique réelle sur des

repères théoriques partagés par l’Ordre. S’ils assument en partie leur manière de pratiquer

l’orientation compte tenu des contraintes de leur milieu de travail, il semble subsister un

doute, face à cette inadéquation avec les balises de l’Ordre, à savoir si leur pratique peut

effectivement être considérée de l’« orientation pure », « vraie », ou « réelle »… Quant à

l’université, comme instance de formation et de socialisation professionnelles, seul Pierre y

fait référence en tentant de trouver appui sur les apports théoriques et pratiques des

chercheurs.

En définitive, l’expérience du métier des c.o. en milieu scolaire relève des caractéristiques

d’organisation du travail qui paraissent déterminantes au regard du rapport au travail et à la

manière de pratiquer sa profession. La division technique du travail fait en sorte que les c.o.

se retrouvent avec une quantité de tâches telle qu’ils doivent réaliser un travail plus en surface

qu’ils ne le souhaiteraient, notamment au regard de la singularité de la réalité de chaque

élève. La division humaine du travail apparaît décisive quant à l’expérience du métier :

lorsque la collégialité, la confiance, la reconnaissance sont absentes, il y a nécessité de se

battre pour faire reconnaître sa place et sa pertinence professionnelle dans l’organisation, ce

qui rend particulièrement pénible l’expérience du travail. Enfin, l’idéal de pratique prescrit

par l’Ordre professionnel, dans une perspective de protection du public, ajoute une tension

supplémentaire dans la mesure où le réel du travail amène la pratique sur tout autre terrain,

ce qui peut générer un sentiment plus ou moins important d’imposture avec lequel les c.o.

doivent composer. Comment dès lors les c.o. tentent-ils de composer avec cette situation?

6.4. Les stratégies pour faire face au réel et à la souffrance au travail :

entre genre et style professionnels

Dans le cadre de cette clinique de l’activité, basée sur les théories de Clot (1999) et Oddone,

Re et Briante (1981), la catégorie analytique des « stratégies » ne figurait pas dans la grille

d’analyse. Elle a cependant émergé des témoignages des instructeurs comme une composante

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majeure dans la compréhension de la dynamique de souffrance identitaire de métier. De fait,

face aux contraintes vécues dans l’expérience du travail, les c.o. mettent en place des

stratégies pour faire face au réel du travail qui tentent de répondre à deux types de

rationalités à l’œuvre dans la dynamique de souffrance identitaire de métier : une rationalité

« professionnelle » et une rationalité « subjective ». Ainsi avons-nous observé que les c.o.

tentent de se protéger de la souffrance vécue dans l’expérience du travail (rationalité

subjective) d’une manière qui respecte l’esprit du « genre professionnel » (rationalité

professionnelle).

Si la description des pratiques effectives (section 6.2) a permis de circonscrire certains

principes115 qui marquent le « genre c.o. », les stratégies présentées ici permettent d’enrichir

ce genre, en plus de fournir certains éléments de « style ». Rappelons que le genre

professionnel représente un « patrimoine » de faits et gestes relatifs à une collectivité de

métier, patrimoine qui s’intercale entre l’organisation du travail et le sujet lui-même et permet

la réorganisation de la tâche de manière à ce que dernier puisse réussir à travailler malgré les

contraintes en place. Le genre professionnel soutient l’« évaluation » mutuelle de ceux qui

s’y inscrivent et permet ainsi aux uns et aux autres de se reconnaître et de se distinguer dans

ce qu’ils font. Le « style » constitue, pour le sujet, un espace d’ajustement en cours d’action

face aux imprévus du travail, espace qui lui permet de « signer » la qualité du travail (Clot &

Faïta, 2000). Adressé au collectif, le style vivifie le genre en le poussant dans ses

retranchements (Clot, 1999).

Selon son expérience subjective du travail et sa manière d’envisager l’exercice du métier,

chaque instructeur met donc en place des stratégies qui, certes, peuvent être source de

distinction à certains égards (dimension stylistique), mais qui parlent aussi du métier

(dimension générique), du moins c’est l’hypothèse que nous voulons explorer ici. Nous

115 Rappelons les principes dégagés : amener les élèves à réfléchir à leur orientation, leur montrer l’importance

de s’en préoccuper; questionner les élèves, voire les déstabiliser de manière à ce qu’ils ouvrent leurs horizons,

déconstruire leurs préjugés sur le monde scolaire et professionnel; inviter les élèves à se mettre en action, en

projet, avec des objectifs concrets, à court et moyen terme; agir de manière à ce que les élèves se

responsabilisent davantage, à ce qu’ils deviennent plus autonomes; et lorsqu’ils peuvent faire de plus longs

« processus », axer les interventions sur la connaissance de soi.

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allons donc dégager des thèmes de chacune des instructions : le recadrage de sa

responsabilité; le « prendre soin » des relations interpersonnelles; et la résistance

diplomatique.

6.4.1. Maryse : le recadrage de l’importance de son emploi

La stratégie utilisée par Maryse pour composer avec les contraintes vécues au travail est le

recadrage de l’importance de son travail au regard du cheminement de vie des élèves, d’une

part, et au regard de l’accomplissement de la mission de son école, d’autre part.

Avec les élèves, Maryse s’efforce de dédramatiser le choix d’un programme et d’une

profession en mettant en évidence les nombreuses bifurcations qui marquent le parcours de

vie des personnes. Sur le plan de l’accompagnement des jeunes (rationalité professionnelle),

cette pratique permet aux élèves de diminuer leur angoisse face à la nécessité de faire un

choix pour la vie et leur ouvre ainsi un plus grand éventail de choix possible. Cette vision

dédramatisant le choix d’orientation relativise l’importance de consulter un conseiller

d’orientation pour faire LE bon choix. Tout se passe comme si, quoi qu’il arrive (que les

élèves consultent ou non un c.o.), le parcours des élèves sera appelé à changer, ce qui rend

plus accessoire la réalisation d’un « processus d’orientation » en bonne et due forme. Sur le

plan de la rationalité subjective, cette vision du choix d’orientation lui permet d’endiguer la

souffrance engendrée par le fait de ne pas pouvoir accompagner les élèves dans leur réflexion

de manière aussi soutenue qu’elle le désirerait.

Dans le même esprit, Maryse estime que les élèves doivent apprendre à assumer la

responsabilité de leur vie, y compris de leur orientation scolaire et professionnelle. Selon

cette vision, ils sont les premiers responsables de leur devenir occupationnel. C’est pourquoi,

comme nous l’avons vu, elle évite de « materner » les élèves (p. ex., elle ne vérifie pas s’ils

ont fait les démarches préconisées) une fois l’aide fournie. Elle ne porte donc pas sur son dos

le sort des élèves, ce qui lui évite une certaine souffrance. « Il y a un don de soi qui est

limité ».

Maryse cadre sa responsabilité professionnelle dans le contexte spécifique de l’organisation

de l’école. Elle travaille avec d’autres personnels qui ont chacun un rôle à occuper. Aussi, si

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la direction, conformément aux pouvoirs que lui attribue sa fonction, détermine que la

réalisation des choix de cours est une opération prioritaire pour les c.o. au regard de

l’accomplissement de la mission de l’école, Maryse va respecter cette décision. Cependant,

elle n’assumera pas la responsabilité du manque d’accompagnement des élèves dans leur

orientation… En fin de compte, elle est certes déçue de ne pouvoir répondre aux besoins

directs d’orientation des jeunes, mais elle relativise sa responsabilité quant à l’échec du

système scolaire à rendre des services appropriés :

Est-ce que c’est frustrant? Je ne sais pas, je ne me sens pas frustrée par ça. […] je

travaille avec d’autres personnes aussi, je ne suis pas toute seule! Est-ce que je dois

porter le fardeau de tout? Non!

Par ailleurs, face à sa charge de travail qui s’alourdit, ce cadrage de sa responsabilité dans

l’organisation s’avère plus difficile à mettre en œuvre. Ainsi Maryse arrive-t-elle

relativement bien à « dire non » lorsque le nombre de tâches dépasse sa capacité de les

réaliser. Pour y arriver, il faut néanmoins présenter les choses « comme il le faut », être « bien

préparé » et être relativement affirmatif. À cet effet, Maryse et sa collègue ont ainsi

commencé à tenir des statistiques sur le nombre d’élèves rencontrés, afin de quantifier leur

charge de travail et de se donner un certain pouvoir de négociation avec la direction.

Enfin, pour protéger son intégrité personnelle, Maryse entretient aussi une certaine distance

envers son travail et recadre l’importance relative du travail dans la vie en général. Elle

applique ainsi à sa propre vie la vision qu’elle tente de transmettre aux élèves : « Tu sais, moi

je leur dis : “Il y a d’autres projets dans la vie que de venir à l’école.” ».

6.4.2. Geneviève : le « prendre soin » des relations interpersonnelles

Globalement, la stratégie mise en œuvre par Geneviève se déploie dans le registre

interpersonnel, ce qui est cohérent avec l’importance accordée aux relations entretenues avec

les autres dans le cadre de la réalisation de son travail. Cette c.o. a pour principe de « prendre

soin » des relations avec ses collègues et ses supérieurs, pour entretenir et préserver la qualité

de ces relations. À titre d’exemple, elle affirme, en parlant de sa relation avec une de ses

collègues :

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241

Il faut en prendre soin pour que son niveau de stress n’augmente pas trop et, en tout

cas, moi, mes demandes, je les fais toujours gentiment, poliment, ce n’est pas

« garroché ». Ce n’est pas « fais-moi ça »!

Cette stratégie permet de prévenir un certain nombre d’obstacles dans son travail qui

pourraient engendrer des difficultés supplémentaires et une certaine souffrance. Par ailleurs,

si l’on se fie aux rétroactions des autres membres du groupe, cette c.o. a une manière

particulière d’entrer en relation, avec un humour qui rate rarement sa cible et qui lui permet

de faciliter ses relations interpersonnelles.

(Un membre du groupe) Ça, je trouvais ça très drôle, c’est toi, tout craché. […] Je

trouve que tu as la façon d’exprimer les choses qui fait toujours rire et, en même temps,

qui est tellement vraie.

Son humour passe autant dans ses paroles que dans sa manière de les exprimer et dans ses

expressions faciales. Cet humour, manifeste durant son instruction et les discussions dans le

groupe, semble bien lui servir aussi dans son travail… sans être la panacée pour autant : « Il

me trouve drôle, mon boss, il me trouve bien drôle, mais... ».

Si Geneviève tente d’être agréable dans ses relations interpersonnelles et de « prendre soin »

des autres, elle ne s’empêche pas pour autant de « dire non » lorsque les demandes sont

exagérées ou ne sont pas en lien avec son rôle professionnel. Elle s’est rendu compte au cours

des années de la nécessité, pour se préserver, d’arriver à tenir tête aux directions d’école,

particulièrement portées à en demander beaucoup et de manière insistante, voire

impressionnante.

Avec madame [une direction adjointe], ça se passe bien aussi parce que tu as su dire :

« hey! » […] Tu lui as, un jour, dit : « hey! Wô!». Parce qu’elle va te faire beaucoup

de demandes. Beaucoup et encore, et plus, et plus, et plus, et des affaires qui n’ont pas

rapport. Donc, à un moment donné, tu dis : « Wô!».

Elle est rough, tout ça, mais si tu es capable de l’asseoir et de lui dire très vite : « avec

moi, ça ne marche pas ». Là, elle va être plus d’égale à égale sinon elle va te japper

dessus.

Cela dit, elle est consciente que le contexte peut être ou non facilitant pour « mettre ses

limites » face aux directions. Cela dépend de sa propre expérience du travail et de la confiance

en soi qui en découle ou non, mais également de la relation développée, au fil du temps, avec

les directions en question. De là l’importance du « prendre soin » des relations

interpersonnelles.

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242

Par ailleurs, malgré ces stratégies, Geneviève se retrouve tout de même dans un contexte de

surcharge de travail qui, comme nous l’avons vu, la renvoie à un manque de temps qui

l’empêche de faire son travail de conseillère d’orientation comme elle souhaiterait l’exercer.

Face à cette souffrance, elle en vient cependant à se protéger en se détachant du travail, elle

aussi, en recadrant son importance dans sa vie en général.

Comme le projet Jeune explorateur, cette année, je n’ai pas pu l’offrir à mes élèves.

C’est un maudit beau projet, je n’ai pas pu, je n’ai pas eu le temps. Oui, ça, ça me

frustre. Est-ce que je lâche prise? Tout à fait. Pas juste à cause de la job; ça, c’est la

famille qui m’a emmenée à lâcher prise.

6.4.3. Pierre : la résistance diplomatique

Pour composer avec la situation vécue dans son travail, caractérisée par un champ lexical

relatif à la guerre, Pierre se montre « stratégique », au sens de « tactique », axée sur la

résolution « rationnelle » des problèmes qu’il rencontre. La tactique employée est de l’ordre

de la « résistance diplomatique », dans la mesure où, pour parvenir à ses fins, pour tenter de

travailler comme il souhaiterait travailler, il estime devoir « combattre », résister, mais

toujours avec « finesse, tact et prudence […] »116. Cette stratégie, qui semble le caractériser

comme c.o., se décline de plusieurs manières, que nous explorons ici.

D’abord, Pierre tient un rôle de « médiateur » qui s’exerce, par exemple, lors de rencontres

entre un élève, ses parents et la direction adjointe concernant des difficultés scolaires. Tout

un chacun ayant des visions ou des intérêts divergents, des tensions surviennent

fréquemment. Pierre a alors la capacité de calmer le jeu, notamment en s’adressant à l’élève

et en essayant de l’« emmener à ce que soit lui [l’élève] qui parle », à lui faire exprimer son

point de vue en toute confiance. Cela permet de « susciter des réactions du parent » dans un

contexte sécurisant pour l’élève et des recadrages sont ainsi possibles à partir d’une

communication plus apaisée.

116 Tirée d’une définition lexicographique de « diplomatie » du site web du Centre national de ressources

textuelles et lexicales (http://www.cnrtl.fr/definition/diplomatie) : « Finesse, tact et prudence apportés dans la

conduite d'une affaire, dans les rapports personnels. »

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Il y a les discours très moralisateurs du père et de la direction. […] Ok, on recentre,

on part plus calmement et on va partir de l’élève. « Où tu en es là-dedans, qu’est-ce

que tu comprends de ça? » Et finalement, tu pars sur des bases plus constructives et

on va trouver une solution finalement […] tout le monde est très reconnaissant.

Par ailleurs, dans le cadre de son approche « diplomatique », Pierre estime stratégique de

tenter de concilier les intérêts entre l’organisation (représentée par la direction) et ses propres

intérêts de conseiller d’orientation. D’une part, il consent à faire certains compromis sur sa

pratique pour arriver à tenir compte des objectifs de l’organisation, question d’obtenir « le

meilleur de tous les mondes ». Ainsi tente-t-il, au quotidien, de « simplifier » du mieux qu’il

peut ses rencontres avec les élèves et les parents afin d’être en mesure de tenir un rythme

suffisant pour répondre à la demande. D’autre part, il s’assure de bien connaître les attentes

de son milieu quant aux mandats à prioriser, question d’aller à l’essentiel.

Ouf! Retroussons-nous les manches. Il faut survivre. Vaut mieux évaluer les attentes

du milieu. Bien évaluer les cordes sensibles et tâches incontournables. De toute

évidence, je ne sauverai pas tous les élèves. Je suis dans la « prise et lâcher-prise »

concernant mes combats pour un monde meilleur en orientation.

L’« approche systémique » qu’il adopte permettrait, selon lui, de faire ce qui est nécessaire,

prioritaire, sans se brûler pour autant. Il s’agit d’« anticiper les tâches à faire » pour chacun

des niveaux du secondaire et de « guider le personnel pour l’exécution du travail ». Il faut

arriver à prévoir le travail dans un niveau pour arriver à « alléger » les tâches au suivant.

Selon lui, « l’approche systémique d’un service d’orientation est vitale pour la survie ».

Si cette stratégie lui permet essentiellement de tenir le coup, elle parle aussi de la manière

rationnelle avec laquelle Pierre approche sa pratique. Lorsqu’un problème survient, pour

éviter de réagir sur le coup de l’émotion, Pierre prend un certain recul pour en quelque sorte

recadrer la situation, l’analyser, et choisir ou non de réagir. Ce temps de recul lui donne le

temps de fourbir ses armes, pour arriver à convaincre ses interlocuteurs du bien-fondé de son

point de vue. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’évaluer si un élève peut être classé dans un

niveau X dans une matière Y, Pierre tente de juger la situation de ce dernier dans son contexte

et ne s’arrête pas seulement à ses notes académiques. Or, lorsque l’élève n’a pas les notes

nécessaires, il doit documenter largement son dossier pour pouvoir le défendre.

Il faut que tu t’armes et finalement, tu vas réussir à gagner quelques combats. Mais ça

te demande de l’énergie, ça te demande énormément d’énergie! […] Cette année, c’est

la main de fer. Il peut y avoir une certaine ouverture, mais : « hey boy »! (SV : Oui,

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c’est dur.) Il faut… (toc-toc-toc sur la table) Il faut que tu sois très très… Il faut que tu

étoffes ton dossier solide.

Malgré ses bonnes capacités d’argumentation, devoir convaincre constamment le personnel

administratif de considérer son analyse du cheminement scolaire des élèves l’« écœure

royalement » et lui draine beaucoup d’énergie, ce qui l’amène à « choisir ses combats », pour

ne pas s’épuiser.

« Les besoins sont immenses », dit-il d’entrée de jeu dans son commentaire sur l’instruction.

Il est en mesure de voir ce qu’il pourrait faire pour répondre aux besoins des élèves, mais les

ressources ne sont pas suffisantes pour y arriver. Or, choisir implique toujours de faire des

deuils de mandats ou de tâches qui pourraient être aidantes pour les élèves, et peut-être

stimulantes sur le plan professionnel.

Donc, le prise et lâcher-prise n’est pas évident! Parce que, en même temps, ne pas

réaliser des choses, ça serait aussi me mettre dans l’obsolescence, dont on a parlé à

un moment donné. Je ne peux pas rester à ne rien faire, il faut que je sois combattant.

Dans un contexte de travail difficile, garder espoir, préserver un certain idéal devient

primordial : « C’est ce qui me maintient parce que sinon… ». L’idéalisme caractérise

d’ailleurs fortement le style de ce c.o. Pour garder espoir, Pierre s’implique dans des instances

de représentation et se présente au front, d’une certaine manière, pour tenter de « prendre du

pouvoir » pour améliorer la situation des c.o..

Je me dis […] « Comment je peux faire pour me donner du pouvoir et changer les

choses » parce que si je reste inerte, j’assume. (I2 : Tu vas te faire gober) Je vais

encore plus rester dans l’obsolescence, la passivité et tout ça, je me dis : « câline, il

faut se débattre ». J’ai l’impression d’avoir gagné du terrain jusqu’à maintenant et je

n’ai pas fini de travailler et ça fait partie aussi de mes raisons de m’impliquer.

Bref, la passivité serait une position insupportable pour Pierre dans sa pratique

professionnelle. Lorsque la « résistance diplomatique » ne fonctionne plus, lorsqu’il est

coincé dans une situation d’impuissance, face à l’absurdité, il reste à Pierre la possibilité

d’exprimer ses doléances à ses collègues. Pour ce faire, il utilise souvent l’ironie pour décrire

ces situations, possiblement de manière à moduler l’intensité de ses propos.

Vous savez, je suis souvent dans ce discours-là. De façon générale, c’est sûr que, [mon

collègue] dit que j’ironise, parce que, à quelque part, c’est tout absurde ces choses-là.

Mais je trouve ça important de le mentionner toujours quand je suis avec mes collègues

parce qu’il faut que j’en sorte un petit peu de ces choses-là, que je trouve tellement

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aberrantes. Mais en réalité, ça ne veut pas dire que je n’aime pas mon travail pour

autant.

6.4.4. Synthèse des stratégies employées par les trois instructeurs

Face à l’expérience vécue du travail, les c.o. mettent en place des stratégies qui, nous l’avons

vu, permettent de se protéger de la souffrance (rationalité subjective) d’une manière qui

respecte l’esprit du « genre professionnel » (rationalité professionnelle). Néanmoins, ces

stratégies permettent d’identifier certains « styles », puisqu’elles opèrent des ajustements de

l’activité face au réel du travail pour en arriver à réaliser un travail de « qualité » malgré les

contraintes. Le recadrage de l’importance du travail, illustré particulièrement par Maryse,

s’inscrit dans une logique d’équilibre de vie que les c.o. appliquent pour eux-mêmes, tout en

marquant leur discours auprès des élèves. Le « prendre soin » des relations interpersonnelles,

incarné plus spécialement par Geneviève, constitue une stratégie qui permet de préserver un

climat de travail agréable, certes, mais également de pouvoir mieux travailler ensemble, en

respectant les capacités de travail des uns et des autres. Enfin, la résistance diplomatique,

dont Pierre constitue la principale figure, se déploie dans un travail d’argumentation, de

négociation et de compromis (p. ex., choisir ses combats) pour, en fin de compte, garder le

sens du travail d’orientation scolaire et professionnelle.

Si chaque instructeur semble avoir un certain « style » dans les stratégies utilisées, on peut

néanmoins constater certaines convergences entre les instructeurs eux-mêmes (p. ex., la

nécessité du « lâcher-prise »). La prochaine section permettra d’approfondir le caractère

collectif ou non de l’expérience du travail des instructeurs décrite jusqu’à maintenant.

6.5. Le chœur de métier face à l’organisation du travail

Nous avons souligné, au chapitre 5, l’importance du « groupe » dans la méthodologie de la

recherche, notamment pour pouvoir comprendre la dimension collective du phénomène à

l’étude. Jusqu’à maintenant, dans le cadre des résultats de ce dispositif d’instruction au sosie,

nous avons considéré seulement l’expérience du travail de trois c.o.. Toutefois, la présence

du groupe aux différents moments de la démarche (pour compléter l’instruction et pour

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discuter du commentaire rédigé par l’instructeur)117 a permis, nous semble-t-il, de faire parler

le « chœur de métier » face à l’organisation du travail. Cette présence du groupe a servi de

support à l’écho de l’expérience vécue par les instructeurs, en reprenant des points d’accord

et de désaccord, en faisant parler le métier sur certains enjeux particulièrement importants

dans l’expérience des uns et des autres. Les membres du groupe ont ainsi pu contribuer à

faire parler le « genre professionnel », mais ont aussi pu s’exprimer sur le contexte

d’organisation du travail scolaire, dressant ainsi un certain portrait de la « condition de c.o. »

en milieu scolaire.

Ainsi, dans cette section, nous analyserons, à partir des discussions suscitées par les

instructions, comment le travail actuel place les c.o. participant à cette recherche dans une

situation de souffrance identitaire de métier. Selon Clot (1999), la souffrance découle de

l’empêchement d’agir, de construire un monde désirable. Or, la clinique de l’activité dans

laquelle s’inscrit cette démarche d’instruction au sosie permet de déployer le « réel de

l’activité », ou dit autrement, permet de conscientiser les possibles qui, actuellement, sont

impossibles en raison des contraintes pressurisantes de l’organisation du travail. Nous

illustrerons d’abord ce que nous avons identifié comme des « pratiques désirées » par les c.o.,

mais qui sont actuellement impossibles à mettre en œuvre. Cela permettra par la suite de

montrer comment les contraintes actuelles de l’organisation du travail empêchent ces

pratiques désirées. Puis, nous discuterons des stratégies mises en place par les c.o. qui

contribuent, en partie, à maintenir la situation telle qu’elle est.

6.5.1. Le « réel de l’activité » des c.o. : l’investigation des pratiques désirées à la

recherche d’un cœur de métier

Pour reconstituer le « chœur » de métier de conseiller d’orientation en milieu scolaire,

l’activité de travail doit être débattue entre c.o., au regard de ce qu’est fondamentalement

cette profession, ce qu’elle devrait être en milieu scolaire, de ce que chacun « désire » qu’elle

soit pour pouvoir s’y retrouver. Ainsi, devons-nous explorer le « réel de l’activité » des c.o.

117 Voir Section 5.1.

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afin d’esquisser les contours du « cœur » de métier, de ce qui devrait être au centre de la

pratique, de ce qui, collectivement, les relie affectivement à leur profession.

Des instructions réalisées et des discussions de retour qui ont suivi se dégagent quelques axes

qui constituent, selon notre analyse, un « réel de l’activité » que l’on pourrait dire « collectif ».

Il apparaît qu’il s’agit de « pratiques » ou de « conditions » désirées par les c.o. de ce groupe,

qui s’inscrivent dans le genre professionnel de conseiller d’orientation. Le genre

professionnel est une instance « transpersonnelle », i.e. qui transcende les travailleurs qui

exercent une profession, qui concerne justement le cœur de métier, l’« allure » du métier, son

développement historico-culturel, qui fait que l’on peut se reconnaître à une communauté

d’appartenance professionnelle. Or, nous avons pu identifier quatre thèmes exprimant ces

pratiques ou conditions désirées.

D’abord, il semble que la modalité d’« intervention individuelle » soit particulièrement

importante dans la pratique professionnelle de conseiller d’orientation. Une des c.o. dit à ce

propos qu’elle se « battrait pour garder [son] individuel ». Cette modalité d’intervention

permettrait de travailler plus en profondeur les problèmes d’orientation des élèves, ce qui est

très difficile dans le contexte actuel. Aussi le fait de devoir accompagner les élèves seulement

en surface fait-il en sorte que les c.o. n’ont pas l’impression de faire de « vrais » processus

d’orientation. L’expertise qui fait précisément du c.o. un « professionnel » (vs. un technicien)

serait précisément cette capacité de traiter les problèmes en profondeur aux plans

psychologique et social.

Certains c.o. voudraient, par exemple, faire du counseling plus à « long terme », sur plusieurs

rencontres, ce qui, par ailleurs, n’est pas partagé par tous. De fait, certains membres du

groupe ne sont pas convaincus que les élèves du secondaire ont la maturité, à leur âge, pour

réaliser une démarche structurée d’orientation, de questionnement sur eux-mêmes et sur leur

avenir.

Moi, par rapport aux processus, c’est sûr et certain que oui, j’aimerais en faire des

bons… mais il ne faut pas oublier non plus l’âge de nos élèves, où ils sont rendus et où

ils en sont dans leur réflexion. Donc, je me dis : faire comme dans un CJE, ou comme

lorsque je travaillais au cégep? Ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas le même

élève que tu as devant toi. On faisait vraiment des processus; 5 rencontres. C’est tout

ce que je faisais de mes journées. Mais, ils étaient rendus là. (SF3 : Ils étaient plus

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matures…)… Qu’en secondaire III, secondaire IV? (SF6 : même secondaire V!) Mets-

en.

Ces propos pourraient être compris comme une tendance à naturaliser les difficultés

d’orientation des élèves du secondaire, comme s’il n’y avait rien d’autre à faire, pour les

aider à faire des choix d’orientation, que de laisser le temps faire son œuvre. Or, la majorité

des c.o. du groupe conviennent que cette maturité vocationnelle pourrait être davantage

développée au cours des études secondaires. Il s’agit d’ailleurs d’un autre « axe » du « réel

de l’activité » : les c.o. participants aimeraient disposer de suffisamment de ressources et de

soutien pour mettre en œuvre des moyens de développer la maturité vocationnelle des

jeunes au secondaire. Actuellement, les jeunes ne sont pas préparés à réfléchir de manière

structurée à leur orientation, disent-ils. Ainsi, selon eux, au-delà de la mise en œuvre de

l’approche orientante, les jeunes ne sont tout simplement pas mis en situation de devoir

réfléchir le moindrement à leur orientation, comme c’était le cas lorsqu’existait le programme

d’Éducation au choix de carrière. Aujourd’hui, les c.o. de ce groupe constatent que les élèves

arrivent beaucoup moins bien préparés en rencontres individuelles. Des élèves font le même

constat…

Ils ne savaient rien, rien, rien [sur l’orientation]! Il y a un élève qui m’a demandé s’il

pouvait me filmer dans le but de faire un film – ok je vais peut-être être sur YouTube

(rires)! Il dit : « je n’en reviens pas comment on ne sait rien, comment on ne pense pas

à ça » et il voudrait faire un petit film et en faire la promotion dans les écoles

secondaires, dire : « pensez à votre orientation à partir de secondaire III, IV ».

Si la possibilité de développer davantage la maturité vocationnelle des jeunes pouvait

s’actualiser, cela pourrait peut-être permettre de développer un troisième axe du « réel de

l’activité », en l’occurrence de pouvoir réaliser un travail spécialisé avec des élèves ayant

des besoins particuliers (p. ex., les EHDAA). On peut supposer que les élèves ne présentant

pas de « troubles » particuliers seraient moins nombreux à vouloir consulter. Dans la foulée

de l’adoption de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives

dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, qui « réserve » aux conseillers

d’orientation l’acte d’évaluer – en orientation – les élèves HDAA, il semble s’être développé

chez plusieurs c.o. ce désir de développer leur pratique avec ce type d’élèves. Ce travail

spécialisé les amènerait à s’intégrer aux équipes multidisciplinaires qui se développent dans

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les écoles à l’heure actuelle, rejoignant par là le désir de faire partie d’une équipe en ayant

une place reconnue.

En outre, les c.o. aimeraient avoir un espace organisationnel et temporel suffisant pour

exercer leur métier de manière « professionnelle », i.e. avec une autonomie

professionnelle et une plus grande liberté de moyens pour soutenir les élèves dans leur

orientation, et aussi avec du temps réel (planifié, organisé) pour « développer » ces moyens,

innover, penser leur pratique.

L’analyse de ce « réel de l’activité » collectif définit éventuellement les contours d’un « cœur

de métier » à partir duquel on pourrait mettre en perspective l’expérience du travail effectif

des c.o. et les limites du « pragmatisme adaptatif » qui marque actuellement, selon les trois

instructions réalisées, les stratégies utilisées dans leur travail. En effet, la description du

travail effectif et de l’expérience du travail des instructeurs a bien montré dans les sections

précédentes les contraintes d’organisation du travail qui empêchent le déploiement du cœur

de métier dans l’« activité réalisée », pour reprendre les termes de Clot (1999). Ces

contraintes sont-elles partagées par les c.o. du groupe de participants? Peut-on esquisser des

sources communes d’une souffrance identitaire de métier?

6.5.2. Les contraintes d’organisation du travail des c.o. : comprendre les sources de

souffrance identitaire de métier

Les c.o. de ce groupe pratiquent au sein d’une organisation du travail où les pratiques désirées

relevées ci-avant sont souvent empêchées par des mesures contraignantes (de budget, de

temps, de vision de l’orientation), générant chez les uns et les autres une souffrance analogue.

De fait, les discussions en groupe ont révélé à tous qu’ils vivaient des situations difficiles

similaires.

Le premier participant à intervenir lors du retour en groupe sur le commentaire rédigé par

Geneviève s’est particulièrement retrouvé dans la situation décrite, s’est senti « touché » et

moins « seul » à vivre cette souffrance qu’il vit dans son école.

Quelque part, de me sentir souvent comme un CISEP, ça revient beaucoup, beaucoup,

beaucoup dans le contexte, c’est vrai. […] Ça, ça m’a interpelé beaucoup et je pense

que, dans ce sens-là, j’aurais pu signer ça. Beaucoup, beaucoup. J’ai aimé ça. Ça m’a

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permis de ne pas me sentir tout seul à vivre ça, je ne suis pas tout seul à vivre ça, même

si c’est deux milieux bien différents.

Les propos de Pierre ont aussi permis aux participants du groupe de se reconnaître dans son

expérience du travail, particulièrement sur le plan des difficultés liées à l’organisation du

travail.

Je me suis senti interpelé parce que, c’est vrai qu’en début d’année, à la rentrée

scolaire, je pense qu’on vit tous… C’est débile à quel point on est dans le… ça finit

plus, on cherche notre air, on est tout le temps en train d’essayer de mettre la tête au-

dessus de l’eau. Moi, ça m’a parlé beaucoup.

Cependant, l’intensité de la situation vécue par Pierre a trouvé écho plus particulièrement

dans l’expérience d’une autre participante du groupe qui avait déjà travaillé plusieurs années

dans cette école. Lorsque Pierre lui demande s’il « exagère », elle répond : « Tu n’exagères

pas, moi, j’ai failli y laisser ma peau. Quand je suis partie de là, c’était comme le temps que

je parte. » Elle valide en quelque sorte la réalité de travail du c.o. dans cette école…

Et en tout cas, je comprends beaucoup ce que tu disais. Les débuts d’année sont comme

ça, mais c’est toute l’année, à longueur d’année finalement. C’est quelque chose que

je ne veux pas revivre, moi, être dans une grosse école comme ça. Et même si tu as des

collègues autour de toi, tu es le seul c.o. dans l’école donc […] les gens ne peuvent

comprendre. Tu es très isolé dans ce que tu fais.

Si les c.o. se sont reconnus dans les propos de Pierre, le caractère extrême des situations

imposées par sa direction a engendré la consternation de ses collègues. Que ce soit les

pressions directes à la rapidité et l’efficacité, les prescriptions envahissant l’autonomie

professionnelle, l’obligation de laisser sa porte ouverte, les participants du groupe ont

exprimé une grande colère : « je suis un euh, pas bouche bée, je suis comme “sacrament,

esti”! », « je me dis : “pour l’amour du Bon Dieu”, il y a un manque de respect », « ça me

fait monter la pression, le presto, je trouve ça épouvantable », « ça me met en colère », « ça

vient me chercher, ce n’est pas possible », « ça me met hors de moi », « je trouve ça

inacceptable ». La situation de Pierre est même interprétée par certains comme du

harcèlement psychologique.

Tentons maintenant de décrire le plus clairement possible ces contraintes vécues par

l’ensemble des c.o. du groupe, contraintes qui entravent la réalisation du travail comme tous

le désireraient.

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6.5.2.1. Des contraintes organisationnelles qui affectent le cœur du métier

D’abord, l’instruction de Geneviève et celle de Pierre montrent à quel point les directions

d’école peuvent être déterminantes dans la réalité de travail des c.o.. Or, plusieurs des c.o. du

groupe ont constaté une méconnaissance de leur rôle de leur part. Certaines directions

s’avouent même mal prises quand vient le temps d’évaluer le travail des c.o.. Il faut dire que,

compte tenu des nombreuses responsabilités qui pèsent sur les épaules des directions – « leur

agenda craque » – la situation des c.o. n’est pas leur première préoccupation. Dans ce

contexte, les c.o. ont l’impression que, pour certaines directions d’école, c’est : « Fais ta job

pis je ne veux pas m’occuper de toi. Occupe-toi de telle, telle, telle affaire, mais je ne veux

pas m’occuper de toi ». Selon cette posture, il s’agirait essentiellement pour les c.o. de

montrer qu’ils sont actifs, qu’ils font des choses, qu’ils « donnent signe de vie ». Il est

important que l’on « voie les c.o. bouger », « animer le milieu ».

La majorité des c.o. du groupe ont cependant témoigné de directions d’école plus directives

dans les mandats attribués, voire elles les utilisent pour arriver à leurs objectifs

organisationnels. La situation de Pierre a choqué profondément le groupe à cet effet, par les

attaques de la direction envers son autonomie professionnelle. Ainsi plusieurs ont-ils exprimé

une colère envers les responsables des attaques vécues par Pierre et dirigées, indirectement,

vers l’ensemble de la profession de c.o.. De fait, les injonctions subies par leur collègue

(p. ex., « il faut que tu ailles plus vite, il y a du monde qui attend ») constituent des intrusions

dans l’autonomie professionnelle dont devraient bénéficier les c.o. dans les écoles. Les

participants conviennent qu’il revient à la direction de définir le mandat du c.o. dans le cadre

de son expertise, mais certainement pas les manières d’accomplir ledit mandat.

Or, plusieurs c.o., comme Pierre, reçoivent des injonctions quant au temps à accorder à telle

ou telle tâche et, qui plus est, de la part de gens qui n’ont ni le niveau d’expertise, ni la nature

de l’expertise des c.o.. Devant ces commandements qui font abstraction des conditions

nécessaires pour exercer un travail de relation d’aide, les c.o. ont parfois l’impression de

travailler dans « une shop de clous », disent-ils…

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Elle [la secrétaire] venait dire : « Dépêchez-vous, dépêchez-vous ». J’ai dit : « Wô!

Moi, je suis une professionnelle de la relation d’aide », j’ai dit : « j’ai un être humain

devant moi et le temps que je lui accorde, ça me regarde ».

Cette question de l’autonomie professionnelle (déterminer les moyens pour arriver à une fin)

paraît indissociable de la question du rôle professionnel (déterminer la nature du travail à

réaliser, la finalité). De fait, les c.o. du groupe ont repéré, dans l’instruction et le commentaire

de Pierre, des attaques au rôle professionnel du c.o. en milieu scolaire, attaques que tous

ressentent à des niveaux plus ou moins aigus. Il semble que les directions considèrent

l’importance des c.o., certes, mais toujours dans une perspective instrumentale : pour réaliser

les admissions, les choix de cours, répondre aux parents, ou encore référer les décrocheurs

potentiels vers des formations professionnelles. Cette situation est représentative de

l’utilisation qui est faite du c.o. dans les écoles selon l’expérience des participants de ce

groupe. Les c.o. expriment un sentiment d’être instrumentalisés au profit du fonctionnement

du système scolaire.

Nous, on est vus comme l’élément qui fait rouler la machine. On est au même titre que

la TOS. Moi, souvent, je ne pense pas qu’on est considérés comme des professionnels.

On est vus comme des techniciens, on est vus comme du monde qui sert la machine,

qui sert à ce que ça roule.

Aussi les c.o. de ce groupe ont l’impression d’être le « déversoir », de ramasser une quantité

de tâches diverses d’administration scolaire, sous prétexte qu’ils sont « capables » de les

exercer. Il y a certes une reconnaissance de l’importance du travail fourni, mais pas de leur

spécificité professionnelle. Ainsi se sentent-ils à la fois CISEP, adjoints de la direction

adjointe, techniciens en organisation scolaire, etc.

Or, toutes les tâches assumées dans ce rôle « déversoir », d’ordre plutôt technique ou

administratif, ne correspondent pas à leur niveau de qualification (maîtrise universitaire),

alimentant la représentation populaire de la profession de c.o. comme une profession

« technique », faisant des c.o. des « techniciens ».

Je pense que j’ai eu une élève qui m’a déjà demandé : « Pour devenir comme vous, que

faut-il faire? C’est le fun ce que vous faites! » (SF5 : Là, tu leur dis que tu as une

maîtrise, là, ils tombent à terre, ils pensent que tu as fait un DEP) (rire) Oui, oui,

quasiment : c’est une technique en orientation. (SF5 : « J’ai lâché en secondaire 3 et

je suis devenu conseiller d’orientation! »)

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Cette conception « technique » de la profession s’inscrit dans une histoire où les c.o. en milieu

scolaire avaient une pratique fondée sur le « testing » qui, du point de vue populaire,

apparaissait simpliste et inefficace, si l’on suit les propos des c.o. du groupe.

J’ai l’impression qu’il faut toujours que je débatte mon point : « ce n’est pas ça, ce

n’est plus ça. Peut-être qu’il y a 25 ans, c’était ça et que oui, ils passaient un GROP

ou ils passaient un whatever, que c’était ça l’orientation ». Mais je lui ai dit : « moi je

n’utilise pas de tests, je n’en utilise pratiquement pas dans mon bureau. Ce n’est pas

ça de l’orientation et ce n’est pas ça qu’on essaie de faire. Ce n’est plus ça. Jamais je

ne vais dire à un élève, “écoute, tu es un RIA118 donc deviens un architecte

artistique” ».

Tout se passe comme si, dans les représentations populaires, partagées par plusieurs

personnels en milieu scolaire, dont les gestionnaires, aider les jeunes dans leur orientation

relevait d’une relative simplicité. Les c.o. constatent à cet effet que pour plusieurs

gestionnaires, lorsqu’il est question de répondre aux besoins d’orientation des jeunes, « la

solution c’est l’AO [l’approche orientante] » comme s’il s’agissait d’une solution magique.

Pendant ce temps-là, les c.o. sont mandatés pour répondre aux besoins d’organisation

scolaire. En découle un certain sentiment de trahison ou de dépossession.

Moi, on m’a dit toute l’année : « c’est l’organisation scolaire qui passe en premier »

par rapport à un rôle d’orientation. Quand on a fait un diplôme de deuxième cycle

pour être en orientation, ça fait un peu mal de se faire dire ça…

Or, les c.o. ont l’impression que les autres « professionnels » (p.ex., psychologues) ne

subissent pas ces atteintes à leur autonomie professionnelle et à leur spécificité

professionnelle, ce qui génère un sentiment d’injustice.

Est-ce qu’ils font ça pour les psychoéducateurs ou d’autres professionnels? (SF2 :

Non, non ils ne font pas ça) Ben non, c’est ça, voyons donc!

Bref, les c.o. du groupe constatent avec déception et indignation que leur profession est ainsi

dévalorisée, voire indésirable...

118 Réaliste, Investigateur, Artiste, en référence à la typologie des préférences professionnelles de la théorie de

choix vocationnel de John L. Holland. Largement utilisée dans les pratiques d’aide à l’orientation scolaire et

professionnelle, notamment dans les tests psychométriques, cette typologie permet aux élèves d’établir leur

pattern de ressemblance avec six types de personnalité : Réaliste, Investigateur, Artiste, Social, Entreprenant,

Conventionnel.

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Je me rends compte : il n’y a pas personne qui aspire à devenir conseiller d’orientation

(SF6 : [rire]. C’est à ça que je pensais!) Mais c’est vrai! As-tu déjà entendu un jeune

de 15-16 ans de dire : « moi, un jour, je vais être conseiller d’orientation ». Non, ils

vont tous dire : « je vais être médecin, je vais être psychologue, je vais comptable »

(SF2 : Travailleur social). Il n’y a personne qui dit : « je vais être conseiller

d’orientation ». (rires) Il n’y a personne. Et la plupart vont dire : « ah moi, mon c.o.

était tellement nul, il m’a fait passer des tests, il m’a dit que j’étais chauffeur de truck,

c’était tout ce que je pouvais faire ».

Je suis allée prendre une bière avec un ancien ami, il y a deux semaines. Il m’a dit :

« écoute, ce n’est pas pour t’insulter, mais il me semble que la job de conseiller en

orientation, c’est la job la plus plate du monde! » (rires) (I3 : Ça, c’est la vision!) Hey!!

J’étais là [stupéfaite]! (SF5 : c’est parce qu’on a mauvaise presse) Et je lui ai dit :

« Non, au contraire! »

Face à ces représentations négatives de la profession, les c.o. du groupe sont confrontés à

l’obligation constante de devoir justifier ou défendre leur profession, défendre leur pertinence

en milieu scolaire, défendre leurs règles de métier. Il y a une nécessité de « convaincre » les

différents acteurs de l’utilité du c.o. et de sa spécificité.

Je suis arrivée à [l’école où je travaille] et mon directeur, la première chose qu’il m’a

dite : « vous autres, les c.o., vous êtes trop dans vos bureaux ». Les profs ont

l’impression que je ne fais rien à part être dans mon bureau. Mais même ailleurs, j’ai

toujours l’impression que je suis obligée de convaincre…

Si la nécessité de devoir convaincre tout le monde de la pertinence de son existence

professionnelle est démoralisante en soi, le temps et l’énergie nécessaire pour y arriver sont

tels que cela devient épuisant.

Mon côté « PR », je l’ai sorti, j’ai sorti tout ce que j’avais. Et pourtant je me disais,

« Coudonc, est-ce que c’est ma job? », on dirait que je suis obligée de les convaincre

que, finalement, je fais une bonne job, que l’orientation, c’est important, que je suis

belle, que je suis fine, que je donne un bon service aux élèves. C’est comme fatigant à

la longue!

Cette situation est d’autant plus préjudiciable et incapacitante pour les c.o. qui n’ont pas

d’aptitudes de « vendeurs de chars » ou qui sont moins « solides » étant donné leur expérience

limitée du travail dans le milieu scolaire ou dans la profession. À cet égard, les nouveaux c.o.

dans le milieu scolaire sont doublement pénalisés : par leur inexpérience; par la nécessité de

devoir mettre plus d’énergie pour convaincre du bien-fondé de leur pertinence / compétence.

D’autant plus que les conditions d’insertion ne sont pas des plus facilitantes…

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On nous dit : « let's go, tu as le poste, le 1er juillet toute seule dans ton école, 1400

élèves ». (I2 : Ils te garrochent là) Bravo! On est toujours toute seule.

En somme, les c.o. regrettent le manque de volonté politique des directions d’école, certes,

mais aussi de la Commission scolaire, pour mettre en place les conditions nécessaires pour

répondre aux réels besoins d’orientation des jeunes dans les écoles. Le cas de l’approche

orientante est patent à cet effet. Comme nous l’avons spécifié plus tôt, la plupart des c.o. du

groupe sont convaincus qu’il est possible de développer la maturité vocationnelle des jeunes

à cet âge. Encore faut-il que les efforts institutionnels en ce sens commencent tôt dans le

parcours scolaire, se maintiennent tout au long du parcours et soient soutenus par des

ressources suffisantes. Cela ne doit pas reposer sur la seule responsabilité du c.o., surtout

dans le contexte actuel de surcharge de travail dans cette commission scolaire. Ainsi, les

participants du groupe adhèrent globalement aux principes de l’« école orientante » dans

l’optique de développer la maturité vocationnelle, mais sont très critiques quant à sa mise en

application dans le contexte actuel de leur travail où ni la volonté politique, institutionnelle,

ni les ressources ne sont au rendez-vous. Concernant l’approche orientante, un participant

illustre :

Ils [les gestionnaires de la commission scolaire] ont créé un poste, une madame qui

était super géniale, [son prénom], une ancienne collègue à nous, qui a travaillé très

fort. On a commencé à lui donner plein de dossiers. En fin de compte, elle a sacré son

camp, elle est allée ailleurs. Elle a dit : « j’ai d’autres choses à faire, si je suis toute

seule ». Elle, elle menait ça au niveau institutionnel pour l’ensemble des écoles.

Cette situation est d’autant plus difficile à tolérer pour les c.o. du groupe qu’ils savent,

d’après l’expérience de certains collègues provenant d’autres commissions scolaires, que

l’approche orientante peut bien fonctionner lorsqu’il y a une réelle volonté politique de la

commission scolaire et des ressources suffisantes pour la mettre en œuvre119. Bref, ce n’est

pas que les c.o. n’y croient plus, mais les tentatives ratées au fil des années, en raison du peu

de soutien et d’importance qui ont été accordés dans cette commission scolaire, font en sorte

que l’expression même d’« approche orientante » ne passe plus auprès du personnel.

119 Par exemple, dans une commission scolaire avoisinante, les c.o. sont deux par école, auxquels s’ajoute une

équipe de cinq c.o. au niveau de la commission scolaire, pour aider les écoles dans la mise en œuvre de l’AO.

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Dans ça [le plan de réussite], il y a l’approche orientante qui est directement reliée,

mais ils n’ont pas mis ça comme projet parce que c’est stratégique […]. Des fois, il

faut changer de discours parce qu’il y a des mots qui sont… le mot « A.O. », approche

orientante, c’est brûlé au départ (approbation collective).

6.5.2.2. Une charge de travail qui augmente la tension

Si d’emblée, les c.o. reconnaissent que les besoins des élèves en termes d’orientation sont

déjà immenses et de plus en plus complexes, les pressions à la productivité et l’accumulation

de mandats divers sur les épaules des c.o. rendent la situation d’autant plus difficile à

supporter. Devant la description du travail des trois instructeurs, plusieurs membres du

groupe réalisaient le non-sens de leur contexte de travail, où ils doivent « courir »

constamment. La pratique de l’orientation en milieu scolaire est-elle « un sport extrême », se

demande une participante? Or, malgré qu’ils en fassent déjà énormément, plusieurs partagent

le sentiment parfois de « ne pas en faire assez » et de manquer de temps pour répondre aux

besoins des élèves... L’impossibilité de donner plus de services alors que les élèves en

auraient besoin – « je sens [moi aussi] leur stress, leur désespoir » –constitue une souffrance

partagée par le groupe.

Ça, on le vit aussi dans d’autres écoles. Alors, c’est le contexte scolaire qui fait ça et

en même temps, on sait très bien que ce n’est pas toujours évident, on veut beaucoup,

donc l’intention est là, d’aider nos clients.

Or, l’instruction de Pierre a eu pour effet sur le groupe de susciter une prise de conscience

face au risque de ce genre de situation pour la santé mentale. « Je pense que toi, l’élastique

est étiré déjà au maximum. À un moment donné, tu ne peux pas en faire plus. » Pierre lui-

même a pris conscience de l’intensité de la situation qu’il a vécue lorsqu’il est arrivé à cette

école, situation suffisamment pénible, « invivable », « inhumaine » pour l’amener à faire de

l’insomnie et penser à se retirer du travail.

Oui, ça a changé [depuis l’an dernier] sauf que, je dois vous avouer que […] quand je

pense à mes collègues qui sont en congé [d’invalidité] présentement, ça me rappelle

que, moi-même, il y a deux ans, quand je suis rentré dans mon école, j’ai réalisé que

j’avais été… pas harcelé… harcelé? Mais harcelé psychologiquement? Je pense que

j’ai des traces de ça, plus que je le pensais.

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En somme, ces contraintes d’organisation du travail vécues par les c.o. semblent mettre en

échec leur « désir du métier », la possibilité de faire passer les pratiques désirées vers des

pratiques effectives. Ces contraintes rendent particulièrement pénible l’expérience identitaire

du métier dans le travail au quotidien, au point où la santé risque d’être parfois mise en péril.

Comment dès lors arriver à faire face à ces contraintes d’organisation du travail pour s’en

protéger? Au-delà des stratégies individuelles, existe-t-il des stratégies de métier pour faire

face à ces contraintes?

6.5.3. Les stratégies de protection120 : entre adaptation et résistance, entre protection

de soi et protection du métier

Pour saisir le caractère dynamique de l’expérience du travail des c.o. et de la souffrance

identitaire de métier, il est nécessaire de comprendre comment les stratégies mises en place

pour se protéger s’inscrivent dans la culture de métier et participent à la définir.

6.5.3.1. Des stratégies d’adaptation qui façonnent le genre professionnel?

« Nous sommes très très loin de la vision du travail d’un c.o. à la sortie de l’université. En

milieu scolaire, le milieu teste constamment les limites des capacités d’adaptation des c.o..

» Tirée du commentaire de Pierre sur son instruction, cet extrait de verbatim illustre bien le

sentiment de ce groupe de c.o. d’être incités à combler l’écart entre ce qui est demandé par

le milieu et la manière dont ils ont appris à exercer leur profession à l’université. Face à une

organisation du travail qui induit des pressions du temps et à l’efficacité et qui attribue aux

c.o. des tâches d’organisation scolaire, ils ont dû, au fil de leur expérience en milieu scolaire,

adapter leurs pratiques de l’orientation pour tenir compte de ces contraintes, sans une certaine

souffrance cependant. Or, selon notre interprétation, ces stratégies d’adaptation à

l’organisation du travail en milieu scolaire contribuent à refaçonner le genre professionnel,

120 Nous nous limiterons ici à souligner le caractère « protecteur » des stratégies, sans risquer une interprétation

de leur caractère défensif ou non. Nous élaborerons sur cette question au chapitre 9.

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au sens où elles redéfinissent ce qui est acceptable ou non de faire au regard de l’exercice de

la profession en milieu scolaire et elles permettent la réorganisation de la tâche de manière à

réussir à travailler malgré les contraintes en place. Voyons plus spécifiquement comment

s’incarne cette adaptation.

D’un côté, sur le plan des représentations, leur vision de l’orientation et de

l’accompagnement en orientation (« dans le concret, », dans l’action, visant à susciter la

réflexion des élèves pour qu’ils deviennent autonomes), s’arriment aujourd’hui très bien avec

ce qui paraît être une intériorisation des exigences d’efficacité dans son travail (arriver à faire

son bout de chemin dans la logique du « faire plus avec moins »). De l’autre, ils font

constamment des efforts pour tenter de concilier les besoins des élèves avec la logique

opérationnelle de l’organisation : « simplifier » la pratique, se concentrer sur les

« incontournables », faire de l’« orientation rapide », rendre les tâches administratives

« orientantes », tenter d’agir de façon « systémique ».

Ainsi, les c.o. de ce groupe « comprennent » les exigences organisationnelles qui les

empêchent de travailler comme ils le désireraient et consentent à les prendre en considération

dans leur pratique, pas au détriment cependant de la qualité de leur travail avec les élèves, ni

du sens de leur profession. En adaptant ainsi leur pratique, ils sentent qu’ils rabattent déjà

leur idéal professionnel, dont nous avons esquissé quelques axes : réaliser des processus de

counseling d’orientation individuels, développer la maturité vocationnelle des jeunes au fil

des niveaux scolaires, réaliser un travail spécialisé dans un contexte soutenant le

professionnalisme. Les c.o. souhaiteraient donc que les directions reconnaissent ces

compromis et les laissent au minimum donner la « couleur c.o. » aux tâches qui leur sont

confiées. Or, ils ont l’impression que, suivant l’expression « donne-lui un pouce et il prendra

un pied », les directions continuent de remplir le « déversoir » de toutes sortes de tâches

connexes.

Mais jusqu’où les c.o. accepteront-ils d’adapter leur pratique sans compromettre leur

profession et leur santé?

On cherche sans cesse des solutions sur la manière dont on peut être plus efficace dans

peu de temps. Mais à un moment donné, il y a des limites à ça. Pourtant, on court, on

court constamment…

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Certains se demandent effectivement si les c.o. ne participent pas, d’une certaine manière, à

leur propre malheur en voulant être partout alors que leur cour est déjà pleine… La

polyvalence des c.o. serait-elle leur talon d’Achille?

Elle est où notre part de responsabilité à travers tout ça et est-ce qu’on en prend trop?

On dit que notre rôle n’est pas défini. Bien peut-être que notre vision est trop large.

On voit donc que les c.o. naviguent constamment entre adaptation, idéal de métier et logique

opérationnelle de l’organisation du travail. Les c.o. ont souligné l’importance de préserver

un certain idéal de pratique – p. ex., réaliser des processus d’orientation « réels » –, malgré

les contraintes du quotidien.

Je ne voudrais pas le perdre cette recherche d’idéal là. Si je suis pour jeter les armes

tout de suite, je vais changer de job l’année prochaine. Je vais m’en aller en ressources

humaines. Écoute. Je vais lâcher ma job si je n’ai plus cet idéal-là de toujours me dire :

je peux faire mieux ou je peux faire plus, pas pour le système, pas pour nos directeurs,

pour moi et pour mes élèves.

Cet idéal permet de tenir le coup, jusque-là du moins. Mais les c.o. ne sous-estimeraient-ils

pas le caractère « leurrant » de cet idéal? Ne vaudrait-il pas la peine de faire reconnaître cette

manière de pratiquer l’orientation dans toutes les activités du c.o. (admissions, choix de

cours, tournées de classes, rencontres individuelles, rôle-conseil) comme un nouveau

« genre » possible pour la profession de c.o., un genre professionnel refaçonné

spécifiquement pour la pratique en milieu scolaire? Ou devraient-ils tenter de résister à

l’organisation du travail qui attaque le cœur de leur métier pour éviter une dérive du genre

professionnel?

6.5.3.2. Stratégies de résistance : dire « non » individuellement ou collectivement?

Les instructeurs ont discuté la nécessité / possibilité de « dire non » lorsque les demandes

sont exagérées ou non pertinentes; l’importance de s’affirmer davantage, de « mettre ses

limites ». En plus de devoir actualiser les représentations que les acteurs se font de

l’orientation et de la profession de c.o. en milieu scolaire, il faudrait, selon certains c.o. de ce

groupe, arriver à « dire non » à certaines demandes qui n’ont pas de lien avec le mandat d’un

c.o., pour éviter d’entrer dans un rôle « déversoir ».

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La capacité de Pierre de maintenir le cap sur l’orientation telle qu’il la conçoit a suscité une

certaine admiration dubitative de la part de ses collègues. « En tout cas, on ne fera pas un

échange poste-à-poste certain! » Le groupe reconnaît en quelque sorte son caractère posé et

calme qui lui permet de tenir bon dans ce contexte difficile. Toutefois, cette admiration

semble avoir un certain revers et induire des reproches plus ou moins implicites. Pour

certains, il apparaît inconcevable que l’absurdité de cette situation puisse perdurer, au point

où ils remettent indirectement en question la capacité des c.o. de s’affirmer

professionnellement, comme s’il s’agissait de la seule explication rationnelle pour

comprendre l’inaction des uns et des autres.

Mais je vous crois [Pierre et sa collègue ayant déjà travaillé à cette école] et je suis

un peu bouche bée parce que je me dis, je vous connais comme collègues, je vous

connais, bien personnellement à certains égards, et je me dis : « vous n’êtes pas des

lavettes, des tapis qui ne sont pas capables de dire non, qui ne sont pas capables de

mettre leur limite ». On s’entend.

Certains c.o. du groupe laissent entendre qu’il suffit de faire preuve d’une certaine force de

caractère pour arriver à poser ses limites et à obtenir ainsi ce que l’on veut. « Moi, d’emblée

[…] J’ai dit : “non”. [..] Ils savent que quand je dis non, c’est non. » Ainsi, l’incapacité de

Pierre à s’affirmer est vue, selon certains, comme un déficit d’affirmation qui pourrait même

être passible de faute professionnelle au regard de la déontologie.

Donc, à partir du moment que ta direction, ton boss te dit : « tu laisses la porte

ouverte ». Il va à l’encontre même… et que toi, tu acceptes : tu vas à l’encontre du

code [de déontologie]. Si tu as un problème pour « dealer » ça avec ton boss, je vais

t’aider à le faire. Je vais la faire moi-même, la plainte.

Typiques d’un processus de double victimisation, ces reproches risquent de se traduire par

une intériorisation de la responsabilité individuelle de cette situation difficile. Toutefois, il y

a eu consensus, au fil de la discussion, à l’effet qu’il ne suffisait pas toujours de « dire non »,

un à un, pour que les choses s’améliorent, contrairement à cette idée qui paraît répandue dans

la profession. De fait, Pierre a réagi vivement aux reproches qui lui avaient été implicitement

adressés à cet effet. « Je trouve qu’on entend trop souvent les pressions de dire : c’est au c.o.

d’aller voir sa direction, d’arranger ça. Je ne suis plus capable d’entendre celle-là. (SF6 :

non) Je ne suis plus capable! » Il ne s’agit pas, selon ce point de vue, d’un problème

spécifique de l’un, mais d’un problème plus large qui nécessite des actions de tous les autres.

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Je pense que lorsqu’on entend, de la part d’un collègue : « Lève-toi, c’est à toi d’aller

voir ton boss ». C’est comme psychologiser, c’est individualiser une situation

problématique de système, selon moi. C’est une situation institutionnalisée. Et il est

faux de croire que ça appartient à l’individu. La preuve : puisqu’on a chacun nos

personnalités, mais que ça [la situation problématique] se poursuit avec un autre

collègue dans une même école, à quelque part, c’est l’institution, c’est le rôle du c.o.

vu par l’institution, par l’école [qui est problématique].

En outre, au-delà des personnalités individuelles, il semble que « dire non » soit difficile pour

les c.o. en général compte tenu de leur style relationnel porté sur l’empathie. « Je pense que

c’est une qualité d’être relationnel parce qu’on est en relation d’aide, mais c’est aussi notre

principal défaut […] parce que, on a bien de la misère à dire non. »

Dire « non » individuellement peut fonctionner, dans certaines circonstances, avec certaines

personnes. Toutefois, plusieurs dans le groupe estiment que cela ne suffit pas et entrevoient

la nécessité de « s’entraider », et surtout de définir collectivement ce qu’est le travail de c.o.

en milieu scolaire pour qu’il y ait une « structure solide » qui dépasse les individus. « Il est

où le rôle du c.o. au secondaire? […] C’est quoi notre spécifique en tant que c.o.? […]

Fondamentalement, il ne faut pas oublier qui on est, pourquoi on est là. »

Il y a nécessité d’être « plus ferme collectivement », d’agir « sur le système », et c’est ce que

Pierre tente de faire entre autres par son travail de représentation. Cette volonté collective de

« prendre place » dans l’organisation du travail scolaire s’opérationnalise aussi au cours des

réunions « dans notre groupe de c.o. ». Il semble que ce travail collectif ait donné de bons

résultats dans une commission scolaire avoisinante.

Dans une autre commission scolaire, ils ont mis le poing sur la table et ont dit avec la

répondante des c.o. « Non, ça suffit, les inscriptions, nous n’y touchons plus ». Il y a

vraiment eu un consensus entre les c.o., des prises de positions très claires et

communiquées à la direction des services professionnels. Il y a eu beaucoup de

changements à [ladite commission scolaire] et cela a eu pour résultante non pas de

couper des postes de c.o., mais d’en rajouter, curieusement.

Cela dit, les c.o. sont conscients que la bataille n’est pas gagnée d’avance : « C’est David

contre Goliath ». Aussi, tout en reconnaissant la nécessité de ce type d’action, certains

hésitent à s’impliquer de cette façon puisque cela ne correspond pas à leur personnalité; ils y

voient d’une trop grande ampleur qui génère chez eux un sentiment d’impuissance. Il y a

donc nécessité d’agir dans une optique de soin de soi, selon les participants du groupe. Ainsi

est-il nécessaire de recadrer la responsabilité de chacun dans l’organisation du travail, sans

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tout prendre sur ses épaules, de « lâcher prise » sur certains aspects du travail, de « choisir

ses combats » comme le dit Pierre lui-même. De là un certain retour à la case départ.

6.5.3.3. Stratégies de protection : prendre soin de soi, prendre soin des autres

En fin de compte, comme les trois instructeurs, le groupe se situe lui aussi entre la « prise et

le lâcher-prise ». Au-delà de la volonté de protéger le métier, de tenir son idéal et de tenter

de l’opérationnaliser, de convaincre, de se battre, de se débattre pour préserver le sens du

travail au regard du métier, viennent certains moments où il y a nécessité de se protéger soi-

même. Un des participants du groupe, ayant vécu un épisode d’épuisement professionnel,

témoigne de la nécessité d’en venir à se rappeler qu’être conseiller d’orientation, « c’est une

job…!».

Dans ce contexte-là, je pense qu’il faut choisir ses batailles, sinon on y laisse notre

peau, on tombe malade. Et pour moi, il n’y a pas une job au monde qui mérite que tu

sois malade.

Plusieurs adhèrent ainsi à la stratégie de recadrage de l’importance du travail au regard de la

vie en général. En tant que « spécialistes en relation individu-travail », les c.o. devraient

comprendre qu’il est important d’équilibrer d’abord les sphères de vie.

Moi qui me tue à dire à mes élèves, « c’est important de te rappeler que tu n’es pas

juste un élève dans la vie […] Il faut que tu distribues tes affaires. Et ton panier, il faut

qu’il soit rempli de toutes sortes d’affaires dans lequel tu vas être bien ». Et j’ose

espérer que je veux bien m’inculquer cette pensée ou cette philosophie de vie là.

Cela dit, en plus de prendre soin de soi, de se protéger, les c.o. devraient aussi penser à

prendre soin les uns des autres. Cette démarche de clinique de l’activité leur a rappelé les

bienfaits de l’échange; de partager sa souffrance et d’accueillir celle des autres.

Je ne comprends pas! Et si on ne fait pas attention à nous, qui va faire attention à

nous? Donc je trouve ça important des rencontres comme aujourd’hui parce que ça

brise l’isolement. Mais est-ce qu’on peut se faire des tapes sur l’épaule pour ceux qui

ne nous en donnent pas : « Fais attention à toi, tu m’inquiètes chérie ». Je pense que

ça sert à ça aussi cette table [de concertation], ça fait du bien pour ça.

Ces stratégies visant à SE protéger semblent salutaires pour la santé mentale et s’inscrivent

dans une pratique cohérente avec l’expertise du c.o. (équilibre au travail). Toutefois, pendant

que l’on SE protège, qu’arrive-t-il au métier, à l’activité de travail des c.o.? Compte tenu du

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risque que le métier soit détourné, comment arriver à tenir cet équilibre entre protéger le

métier, l’activité de travail sensée, et protéger sa santé mentale?

6.6. Conclusion de la démarche de clinique de l’activité

En somme, devant la nécessité de convaincre à répétition les autres de la pertinence de sa

place de c.o. comme professionnel dans l’école, devant la nécessité de se battre, de se

débattre, de gagner du terrain, d’avoir de petites victoires, de se protéger et enfin, de survivre,

une participante en vient à se poser cette question : « est-ce une guerre cette job-là?! »…

Dans le bilan réalisé à la quatrième rencontre de groupe, les participants ont souligné que

cette démarche a brisé leur isolement. Ils ont constaté que « la santé mentale au travail, c’est

fragile, surtout quand tu vois beaucoup de collègues qui ont quitté cette année ». Une

participante fait remarquer la possibilité, dans ce type de rencontres, de se montrer

« vulnérable ». Elle ajoute : « Moi, ça me fait du bien de pouvoir voir l’humain derrière le

professionnel. » Ainsi les c.o. de ce groupe ont-ils exprimé le désir, dans les suites de cette

démarche, de donner une dimension « groupe de soutien » à leur Table de concertation.

En plus de cette volonté de collectiviser ou de « socialiser » – et d’éviter de « psychologiser »

– les situations difficiles vécues dans leur travail de c.o., la prise de conscience de ces

situations professionnelles a suscité un désir de développement professionnel collectif et de

travailler ensemble autour de projets communs. De fait, il s’est dégagé, de ces discussions,

des enjeux qui concernent la pertinence et l’importance de l’orientation et de la profession à

l’école secondaire. Le groupe partage une volonté d’offrir une école plus orientante pour les

élèves et un désir de recentrer la pratique sur des « processus d’orientation » ou, à défaut, de

se « recentrer sur les élèves ».

Ma job, c’est les élèves. Moi, je suis un service à l’élève. Pour moi, le plus important

c’est ce qui se passe dans mon bureau avec mes élèves, ce qui se passe en classe, ce

qui se passe dans les corridors.

Attendue d’une démarche de clinique de l’activité, cette restauration de la conscience des

possibles du métier semble constituer un pas en avant pour les participants du groupe. De

fait, en parallèle avec des démarches sur le plan politique (niveau Commission scolaire) pour

redéfinir le rôle du c.o. dans l’organisation du travail scolaire, les c.o. de ce groupe ont

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264

exprimé un besoin de discuter entre eux du travail, de « partager des trucs », pour s’inspirer

les uns les autres, innover ensemble, développer des outils, afin que chacun puisse « cultiver

son jardin », pour reprendre une expression de Geneviève. Au-delà de l’action, que les c.o.

valorisent beaucoup, le groupe semble avoir la volonté de « prendre le temps », pour se

recentrer sur la qualité du travail (le métier) plutôt que sur la quantité de travail (l’efficacité).

Me donner du temps et partager, aller dans le qualitatif, alors qu’on a tendance à être

dans le quantitatif.

Si cette démarche a mis en évidence les contraintes de l’organisation du travail et les manières

dont les c.o. arrivent à pratiquer leur métier malgré tout, elle a aussi permis de mettre en

exergue le « réel de l’activité » collectif, de remettre le cœur de métier en discussion afin de

le garder vivant. Il s’agit, selon nous, d’une issue favorable aux efforts liés à la lutte pour

préserver un certain équilibre dans l’expérience du travail, efforts inhérents à la souffrance

identitaire de métier. Reste à pratiquer un chœur de métier qui fasse écho à ces réflexions.

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265

Chapitre 7 – Psychodynamique du travail de conseillers

d’orientation en milieu scolaire

L’enquête de psychodynamique du travail constitue une méthode d’investigation visant à

mieux comprendre la dynamique des processus psychiques mobilisés par la confrontation

des travailleurs à une réalité de travail structurante ou déstructurante sur le plan de l’identité;

identité qui constitue l’« armature » de la santé mentale (Dejours, 2008; IPDTQ, 2006;

Carpentier-Roy & Vézina, 2000). Cette approche est fondée sur une analyse subjective et

intersubjective du travail et cherche à cerner la dynamique entre plaisir, souffrance et

stratégies défensives de métier issue de l’écart entre le travail prescrit et le travail effectif. En

psychodynamique du travail, le plaisir et la souffrance sont directement liés aux possibilités

de structurer son identité, de trouver un sens pour soi.

À titre d’enquête-action, ce dispositif de recherche génère un savoir qui porte un éclairage

sur une situation dont le sens est disparu derrière l’opacité des processus psychiques et

organisationnels. Une enquête vise justement à résoudre une énigme, celle que constitue le

sujet ou le collectif pour lui-même, laquelle ne peut être résolue qu’à partir de la parole des

gens (Molinier, 2001). « Penser, élaborer l’expérience subjective du travail, la transmettre,

parler, justifier son opinion et, enfin, aboutir à un compromis différent de ce qu’il était

jusque-là, c’est cela même qui constitue l’action » nous dit Dejours (Maranda & Trudel,

2006, p. 197). Les rencontres de groupe ont pour ambition de permettre l’élaboration

collective de cette expérience qui amène à trouver un sens à ce qui peut paraître ne pas en

avoir, à resituer le rapport au travail, et en fin de compte, à re-penser le travail et son

organisation.

Afin de rendre compte de l’analyse de psychodynamique du travail réalisée dans le cadre de

cette enquête, nous présenterons d’abord les prescriptions auxquelles sont soumis les

conseillers d’orientation dans leur travail, prescriptions à la fois organisationnelles et

professionnelles, pour ensuite examiner comment le travail est « effectivement » organisé,

dans le réel. L’expérience vécue de ces contraintes dans le travail permettra par la suite de

constater comment les sources de plaisir et de souffrance sont intrinsèquement liées à la

construction de l’identité professionnelle de métier. Enfin, nous proposerons une analyse des

stratégies mises en place pour se protéger de la souffrance en portant une attention

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particulière à la manière dont elles participent ou non au maintien des situations de travail

difficiles et à la dynamique identitaire du métier.

7.1. Présentation des participants

Un groupe de huit conseillères et trois conseillers d’orientation, provenant de deux

commissions scolaires d’une région urbaine, a été constitué à la suite d’une demande initiale

(voir section 5.3.1.). Environ la moitié des participants volontaires ont une expérience de plus

d’une dizaine d’années en milieu scolaire, certains y œuvrant depuis plus de vingt ans. Une

seule participante avait un statut d’emploi contractuel. La majorité des c.o. participants

travaillent dans des écoles secondaires offrant des programmes réguliers ou enrichis. Deux

participants occupent un poste dans un centre de formation professionnelle et quelques autres

ont déjà œuvré dans ce secteur eux aussi.

Ce groupe de c.o. assez expérimentés peut témoigner de diverses réalités de travail en milieu

scolaire. Ils ont d’ailleurs confirmé les problèmes vécus dans le cadre de la mise en œuvre de

l’approche orientante, présentés au chapitre 1. Il est important de préciser que, dans une des

deux commissions scolaires (CS) touchées par cette recherche, l’approche orientante n’a

jamais été implantée de manière systématique et organisée, entre autres parce que les c.o. en

place n’étaient pas intéressés à ajouter ce nouveau mandat sur leurs épaules, nous disent les

participants. Dans l’autre CS, il y a eu tentative de mettre en œuvre l’approche orientante à

l’échelle de la CS : différentes formules ont été utilisées, plusieurs dizaines de personnes ont

occupé à tour de rôle les fonctions de conseiller pédagogique à l’approche orientante, dont

des c.o. mais aussi des enseignants. Les c.o. engagés à ces fins, essentiellement des jeunes

qui sortaient de l’université, ont multiplié les efforts pour défricher le mandat qui leur a été

donné puisqu’ils ont été placés, en quelque sorte, dans une situation de « cobaye » où rien

n’était nécessairement pensé sur ce qu’il y avait à faire pour mettre en œuvre cette approche.

En bout de ligne, toutefois, en plus de générer un certain nombre de tensions entre les c.o.

« approche orientante » et les c.o. plus « traditionnels », le bilan après 10 ans n’est

apparemment pas plus convaincant dans cette commission scolaire, selon les participants, se

limitant à quelques initiatives intéressantes, certes, mais isolées et demandant une énergie de

tous les instants.

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Cela étant dit, malgré cette différence entre les deux commissions scolaires impliquées quant

à l’implantation de l’approche orientante, les réalités ne sont pas apparues différentes dans le

cadre du témoignage réalisé lors de cette enquête. Enfin, rappelons que, dans le cas de cette

méthode d’enquête, nous ne relevons pas les spécificités de l’expérience des uns et des autres,

mais analysons plutôt ce qui est de l’ordre du collectif.

7.2. Quelle est la place du conseiller d’orientation dans le travail effectif

à l’école?

Entre les prescriptions organisationnelles et professionnelles et la réalité du travail au

quotidien, le fossé peut être important. Il convient donc de porter un regard sur le travail

effectif des c.o. à partir de leur expérience, afin de comprendre comment le réel définit

effectivement leur rôle, détermine la place occupée en pratique dans l’organisation du travail.

D’office, les c.o. rencontrés estiment dans l’ensemble que leur tâche réelle n’est pas définie

et que leur rôle est largement méconnu par l’ensemble du personnel, y compris par ceux et

celles qui établissent leur mandat de travail au quotidien : les directions d’école. Dans le réel,

l’organisation du travail des c.o. est fortement déterminée par les directions d’établissements,

particulièrement les directions adjointes qui représentent, dans les faits, leurs supérieurs

immédiats. Or, selon les participants, ces anciens enseignants, devenus patrons, connaissent

peu, mal, ou pas du tout la profession de c.o.. « Il y a même des directeurs qui découvrent

peut-être qu’il y a un c.o. dans leur école, ils ne le savaient même pas ». Lorsqu’ils ont une

conception du rôle de c.o. à l’école, celle-ci est souvent inadéquate ou fondée sur les pratiques

de l’ancien c.o. qui travaillait dans cette école. En découlent des mandats flous ou éclatés,

incluant parfois des tâches qui ne devraient pas relever du c.o. selon les participants.

On définit souvent notre identité par rapport aux autres. […] À un moment donné il y

a eu une période d’embauche massive de nouveaux directeurs, directeurs adjoints

d’école et je me rends compte, avec le temps, que ce sont des gens qui ne nous

connaissent pas et ils ne connaissent pas nos spécificités.

Un directeur dit : « Je vais remplacer un conseiller parce qu’on en a un. Mais j’espère

qu’il ne me demandera pas comment on peut le former par exemple. » (rire) Parce

qu’il ne le saura pas! Il va se fier vraiment qu’il y en a un autre dans le coin.

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7.2.1. Composer avec les directions d’école

Cette situation est d’autant plus tendue depuis l’arrivée des « nouvelles directions »121. De

fait, les participants de ce groupe ont remarqué qu’avec la modification de la Loi sur

l’instruction publique en 1998, qui donnait davantage de pouvoir aux directions

d’établissement, le style de gestion a changé. D’un modèle de directeur qui, après de longues

années de service à titre d’enseignant voulait mettre son expérience au profit de l’ensemble

de l’école, la profession semble être passée à un modèle de directeur qui, après un passage

obligé à titre d’enseignant, désirait diriger du personnel et gravir des échelons. C’est du moins

l’impression que laissent plusieurs « nouvelles directions » aux c.o. de ce groupe. Or, ce

modèle de direction n’inspire pas nécessairement confiance.

Il y avait [autrefois] un côté assez franc, assez direct, duquel je m’ennuie. (rires) Le

directeur qui disait : « Je suis dans le trouble, dépêche, il faut faire telle affaire ». Tu

ne l’obstinais pas, tu voyais que la personne était honnête […] et c’était le fun. Mais

là, ce n’est plus ça. Tu ne sais plus trop, trop saisir la motivation des personnes. Il y a

un petit peu plus de carriéristes que des gens avec des missions et des vocations. […]

« En mission » et non « ambition ».

Ainsi, les enseignants qui veulent faire partie de la direction y arrivent plus rapidement et

avec moins d’expérience du système scolaire, par conséquent. Pourtant, paradoxalement, ils

sont davantage portés à « donner des ordres » plutôt qu’à demander conseil aux spécialistes,

comme le faisaient leurs aïeuls. L’impression laissée est qu’à défaut d’avoir une solide

crédibilité, les directions tendent à utiliser leur pouvoir hiérarchique pour faire leur place,

voire pour « faire leur marque ».

Mais ce qu’ils ne comprennent pas les directeurs, c’est qu’il y a des gens qui sont là

dans les écoles depuis 5-10-20 ans! Eux arrivent, ils sont là depuis trois semaines et il

faut qu’ils changent les manières de faire! […] Ils aiment ça jouer au boss aussi.

Les c.o. de ce groupe constatent par ailleurs dans quel contexte doivent œuvrer les directeurs

et directrices d’école. En plus d’avoir des tâches multiples et une charge de travail très élevée

(supervision et leadership pédagogique, gestion financière et organisationnelle, etc.), les

directions sont amenées à changer de poste fréquemment (aux trois à cinq ans, semble-t-il),

121 Lorsque l’on parle de « directions », les participants font référence principalement aux directions-adjointes.

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en plus d’être relativement isolées les unes des autres. Ce contexte n’est évidemment pas

favorable à leur apprentissage des rouages du métier de direction d’école. Or, compte tenu

de leur relative stabilité dans les milieux et de leurs connaissances approfondies du système

scolaire, les c.o. sont aux premières loges pour constater les erreurs que commettent ces

directions et les conséquences que cela engendre sur les élèves.

Toi, tu vois les répercussions parce que ça fait vingt ans que tu as travaillé à ce que ça

se tienne, le système… Et les autres [les directions] enlèvent des morceaux : « Pas

grave! » Ils ne sont pas au courant de l’impact que ça peut avoir…

Avec tout l’aplomb que confère l’ignorance, ça tue des choses. Tu les vois aller, et tu

dis : « ça va tomber, ça va tomber »! Mais ça demeure ton supérieur. Et là, tu te rends

compte qu’avec la nouvelle manière de faire, ton identité s’en va un peu n’importe

comment. […]Ça peut faire partie des souffrances.

Si les participants admettent que personne n’aime se faire prendre en défaut, les directions

demeurent, selon eux, particulièrement sensibles à cet égard et admettent difficilement leurs

erreurs… Compte tenu de la relation hiérarchique dans laquelle ils se situent avec les

directions, les c.o. doivent agir délicatement pour ne pas les froisser indûment, tout en

s’assurant que le bien-être des élèves est respecté.

Ils ne connaissent pas, ils ne comprennent pas et il ne faut pas qu’ils le disent. […] Et

là, s’il y a une erreur, ce n’est pas de leur faute, jamais, jamais, jamais. Tu es comme

pris […] ils ne veulent pas avoir besoin de toi non plus. Ils sont comme confrontés à

leur propre compétence et là, la tienne.

Je m’entends très, très bien avec mes directions et elles me font confiance, mais… il y

a des choses où elles ont des lacunes et elles n’osent pas trop le dire. Elles prennent

des décisions […] et je sais les retombées, moi, et des fois, je les dis…

Or, en bout de ligne, les c.o. se retrouvent souvent à devoir réparer des erreurs commises par

les directions, notamment dans le cas du classement ou des choix de cours des élèves. Les

c.o. sont placés dans une situation où ils doivent recevoir des parents et des élèves insatisfaits,

sans avoir nécessairement la marge de manœuvre pour réparer réellement les erreurs

commises. Comment justifier une décision des directions qui paraît avoir été prise dans

l’arbitraire et dans la précipitation…?

C’est souvent nous qui ramassons ces pots cassés là. (rires) On a le parent au bout du

fil, on a l’élève aussi souvent avec qui on avait établi une relation de confiance, qui

vient et dit : « pourquoi, qu’est-ce qui fait que? ». C’est difficile de dire à un élève qui

a 15-16 ans : « ben, écoute, le directeur ou la directrice d’école, elle s’est plantée ».

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(rire) […] C’est difficile de dire ça avec des gants blancs […] Tu dis : « écoute, tu

comprends, ça arrive, on traite beaucoup de dossiers ». Tu sais, le violon! On

commence à être fort en violon!

S’il n’est pas toujours facile de composer avec les directions d’école actuelles, les c.o. n’ont

d’autres choix que de s’entendre avec elles pour déterminer leur mandat dans la division

technique et humaine du travail à l’école. Les participants le disent : les c.o. « peuvent » faire

beaucoup pour une école, mais quelles priorités les directions veulent-elles donner à

l’orientation dans les services de l’école? Et quelles priorités veulent-elles donner au travail

des c.o. dans l’école qu’elles dirigent?

Le contexte de travail dans lequel se retrouvent les directions d’école (changements d’école

aux trois à cinq ans, surcharge de travail) rend difficile, pour les c.o., d’obtenir des consignes

claires quant à la nature de leurs mandats et ce, malgré parfois de multiples sollicitations à

cet effet. Il est rarement possible pour les c.o. de s’asseoir avec les directions pour définir

clairement leur rôle effectif, si ce n’est sur le coin d’une table ou dans un corridor. Les

mandats arrivent donc au fur et à mesure, souvent dans l’implicite. Mais quelle est donc la

nature de ces mandats?

Dans l’ensemble, ce qui ressort de la description du travail effectif des c.o. rencontrés est à

l’effet que les directions organisent le travail des c.o. de manière à ce qu’ils répondent

prioritairement à des besoins organisationnels de plusieurs natures.

Et il y a […] un discours qu’on n’entend pas, ou qu’on n’ose pas nous dire, qui est moi

[le c.o.] versus la rentabilité organisationnelle du travail que je fais, qu’on perçoit que

je devrais faire.

7.2.2. Assurer une « clientèle » suffisante aux centres de formation professionnelle

La réalité des c.o. œuvrant dans les centres de formation professionnelle se distingue à

certains égards de la réalité des c.o. qui œuvrent dans les écoles secondaires. Il convient donc

d’éclairer certaines contraintes auxquelles ils sont particulièrement confrontés dans le cadre

de leur pratique.

En formation professionnelle, les directions d’établissement donnent au c.o. pour objectif

principal de « remplir des groupes ». Ainsi, les c.o. sont appelés à faire la promotion des

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programmes de leur établissement, à recruter / sélectionner les candidats en fonction des

exigences des programmes (sélectionner des candidats qui resteront dans le programme), à

contribuer à « garder les élèves » dans les classes. Les c.o. ont la responsabilité d’apporter et

d’assurer une « clientèle » suffisante aux centres pour lesquels ils travaillent.

Quand tu arrives au mois d’août, et tu prévoyais partir trois groupes de 20 personnes

et tu en perds dix pendant l’été. […]Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour les attacher?

Y a-t-il un cadenas assez solide (Autre participant : Tu fais de l’overbooking, comme

dans les avions). Donc, oui, on applique des concepts de l’entreprise.

Aux dires mêmes des participants œuvrant ou ayant œuvré dans ce secteur, les c.o. doivent

ici occuper une fonction « économique » et « organisationnelle ». Il faut dire que, dans ce

secteur, le nombre et la taille des groupes conditionnent le financement de l’établissement

duquel découlent plusieurs enjeux, dont la tâche des enseignants. Les c.o. ont donc une lourde

responsabilité à porter et la pression est forte, du côté des directions comme des enseignants,

pour qu’ils puissent faire survivre l’« entreprise »...

En FP, pour être heureux, pour être apprécié, pour être sûr qu’on est un bon c.o. :

« Fais un bon recrutement et perds-en pas, t’es notre king, t’es notre king. Tu ramènes

de l’argent. »

Et ces profs-là, ils veulent une tâche! Ils se fient au recrutement.

Le rôle du c.o. devient possiblement instrumentalisé au profit de l’école, comme entreprise.

Pour les c.o. œuvrant dans ce secteur, cette situation est particulièrement difficile puisqu’ils

ne travaillent pas à répondre aux besoins des jeunes, mais plutôt aux besoins d’un

établissement qui doit se financer. « Pendant que tu recrutes, tu ne peux pas soutenir les

jeunes. Ils t’ont dit : “L’important c’est de recruter” et on ne peut pas faire les deux. » Or,

les c.o. constatent un décalage sur l’arrimage entre la nature et le niveau de leurs

compétences, les valeurs sous-jacentes à leur profession et ce qu’on leur demande de faire…

Moi, j’ai travaillé [en formation professionnelle] cinq ans, et mon identité, je dirais

qu’elle a été touchée… « Voyons, comment ça que je fais juste répéter cinq métiers? Il

n’y a pas un problème? Je n’ai pas fait de maîtrise pour ça! » Parce que, moi, je faisais

de la promotion pour mes programmes. Envoye en coiffure, et envoye en charpenterie!

Tu sais : « envoye, envoye, c’est le bon programme! ».

Si les c.o. en formation professionnelle acceptent néanmoins de remplir ce rôle de

recrutement, ils tiennent à le faire en respectant leur profession : ils sont à la recherche d’un

« profil » d’élèves qui pourraient se plaire dans les programmes de formation offerts dans

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leur centre de formation professionnelle. Autrement dit, même si on veut leur faire jouer un

rôle de promotion et de recrutement, les c.o. refusent de jouer au vendeur et insistent pour

respecter les élèves de manière à ce qu’ils fassent un choix libre et éclairé.

Je veux qu’ils sachent dans quoi ils s’embarquent. Je vais les aider à prendre leur

décision. Je recherche un profil. (Autre participant : tu recherches un profil de jeune,

tu ne veux pas remplir tes classes) Ben, je ne peux pas faire ça! Voyons donc! Je ne

suis pas une publicitaire, moi là! Je ne veux pas accrocher mon monde… et de toute

façon, ce n’est pas à l’avantage de personne.

Si cette situation est, pour le moment, particulière au secteur de la formation professionnelle,

ce modèle de « co-soutien » à la direction pour le recrutement de clientèles ne risque-t-il pas

d’être importé au secteur jeunes, dans le contexte d’une multiplication des programmes

spéciaux par exemple? Sans avoir été abordée directement par les participants, cette question

peut se poser quand on voit à quel point la direction est déterminante dans la place et le rôle

occupés par les c.o. dans l’organisation du travail des écoles secondaires.

7.2.3. Administrer adéquatement le cheminement scolaire des élèves

Que ce soit en formation professionnelle ou dans les écoles secondaires il est clair que la

connaissance fine des c.o. du système scolaire et des règles le régissant constitue une

ressource de taille pour les directions : excellente connaissance de la sanction, des

programmes scolaires et de leurs exigences, des règles de prêts et bourses, etc. Les c.o.

rencontrés ont d’ailleurs l’impression que les directeurs d’école les voient essentiellement

dans un rôle de « validation administrative », de « spécialiste de la sanction ». De fait, ils

sont appelés à réaliser des tâches relevant de cette spécialité122 : aide à l’analyse des dossiers

des élèves (admission, cheminement scolaire, diplomation, équivalence, reconnaissance des

acquis, etc.), aide aux choix de cours, vérification des bulletins, etc. Lorsque leur expertise

est sollicitée et reconnue, plusieurs c.o. de ce groupe ne voient pas tant d’inconvénients à

accomplir de telles tâches. Au contraire, ils sentent qu’ils sont particulièrement bien placés

pour porter un regard « avisé » sur le dossier des élèves et peuvent ainsi être utiles pour

122 Certains c.o. ont un mandat composé exclusivement de ce type de tâches.

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permettre aux jeunes de bien cheminer dans leur parcours scolaire. Aussi, certains y voient

une occasion de trouver une place claire dans l’organisation du travail scolaire, une place

pour faire valoir leur jugement professionnel. Oui, mais à quels coûts?, diront d’autres…

De fait, dans la réalisation de telles tâches administratives, la ligne est mince entre « travail

clérical » et « travail professionnel ». Certains estiment que ce sont parfois des tâches qui

pourraient être confiées à des techniciens en organisation scolaire, des secrétaires, ou

carrément des logiciels… Leur « savoir » à cet égard est-il « spécialisé »?

Ce qu’on nous demande de faire dans le classement, intellectuellement, n’importe qui

est capable de le faire. Ça n’a pas rapport dans ta job. Avec un [nom d’un logiciel]

bien organisé et une TOS qui ne se met pas le doigt dans le nez, elle pèse sur le piton

et en trois minutes et demie, l’ouvrage de trois semaines est fait.

Maintenant, je me forme moi-même. J’ai le manuel des règlements de financement […]

Il faut tout que j’apprenne ça par cœur parce que dépendamment des cas, il faut que

je réponde de même (claquement de doigts) quand on me demande : « qu’est-ce qu’il

me manque comme papier? »

L’instrumentalisation de la profession peut donner prise aux directions de considérer les c.o.

comme des sous-traitants, sans qu’il y ait reconnaissance de leur jugement professionnel. La

« compétence » des c.o. en ce domaine peut être prétexte à ce que les directions se déchargent

de certaines de leurs responsabilités plus complexes. Voyant les erreurs commises et les

conséquences pour les élèves, les c.o. risquent fort d’accepter de faire ce travail malgré tout,

pour prévenir d’autres problèmes.

On peut se faire avoir là-dedans! Quand je suis entré à l’école X, il y avait une guerre

pour savoir qui s’occuperait de l’opération classement. Et le c.o. qui était là a dit :

« Elles [les directions] font ça tout croche, donc on va le faire nous autres, sinon il y a

des erreurs : des élèves qui ne sont pas diplômés, qui n’ont pas les bons cours parce

que le directeur ne sait pas ce que ça prend pour aller dans telle ou telle formation

[…] et dit : “Le cours physique est plein, on va lui enlever.” Tu viens de lui enlever la

possibilité de continuer ses études avec ce préalable-là. » Mais là, maintenant, les

directeurs font : « c’est les c.o. qui font ça maintenant. Donc si vous avez des questions,

allez voir les c.o.! ». (rires)

[À propos d’une opération de classement des élèves] On dit trois semaines, mais nous

autres, c’est un six semaines facile! Et les directeurs sont en congé à la maison. Nous

autres, on fait ça et on a besoin d’avoir des réponses parce qu’il y a des élèves qu’il

faudrait faire doubler, des élèves à qui il faudrait faire faire des cours d’été. Et c’est

nous autres qui prenons la décision de faire faire un cours d’été ou pas à l’élève. Ça

[cette tâche], ce n’est pas à moi de la faire!

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Or, effectuer des tâches relevant de la direction pourrait mettre des c.o. doublement à risque.

D’une part, compte tenu de leur appartenance à un Ordre professionnel, les c.o. pourraient

recevoir des réprimandes professionnelles dans l’éventualité où ils commettraient des erreurs

ayant des conséquences négatives pour le cheminement scolaire des élèves. D’autre part, si

les c.o. s’aventuraient à prendre des décisions ayant des conséquences négatives sur les

enseignants, cela les placerait dans une position délicate dans la dynamique « syndicale-

patronale »… Dans les deux cas, à jouer le rôle de direction, les c.o. risquent de se retrouver

en mauvaise posture, voire dans une imposture qui peut avoir des incidences pratiques,

relationnelles, mais aussi identitaires.

Ce sont les enseignants qui regimbent s’ils sentent qu’on est trop près de la direction.

On est toujours pris entre l’arbre et l’écorce, syndicalement en tout cas. Par exemple,

mettre plus d’élèves dans les groupes, mettre un groupe à trente-quatre, en bio, parce

que tant d’élèves l’avaient demandé, tu ne devrais pas… Ça veut dire qu’un prof va

avoir plus d’élèves, donc tu es mieux ne pas te mêler de ça. Laisse le directeur y mettre

plus d’élèves. (rire) Lui, il est payé pour ça.

En définitive, l’expertise des c.o. en ce qui concerne l’administration des dossiers des élèves

peut être grandement profitable aux élèves, afin qu’ils puissent se retrouver à la bonne place

au bon moment, avec les bonnes ressources (p. ex., prêts et bourses). Cependant, les c.o.

doivent demeurer en constante vigilance, voire lutter pour garder leur travail centré sur les

besoins des élèves plutôt que sur des besoins uniquement organisationnels. Or, il apparaît

que des c.o. sont souvent appelés à « com-penser » une organisation du travail qui n’est pas

toujours « bien pensée »…

7.2.4. Compenser l’impensé organisationnel

L’organisation du travail en milieu scolaire est marquée par le changement perpétuel. En plus

du roulement des directions, les écoles sont soumises à des commandes politiques venant du

ministère de l’Éducation ou de la commission scolaire qui se multiplient et dont la fréquence

s’intensifie avec les années.

Les consignes ministérielles, moi, je trouve que, dans les dix dernières années, il y en

a de plus en plus et elles arrivent de façon de plus en plus rapprochée et sans avoir de

temps pour y réagir!

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Or, les conséquences de ces changements sur les services offerts aux élèves ne sont pas

toujours examinées avec attention. Un des changements ayant affecté le plus les c.o. dans les

dernières années est, selon ce groupe de c.o., la suppression du programme d’Éducation au

choix de carrière (ECC) du cursus obligatoire à l’école secondaire. En fait, par défaut, le

mandat d’information scolaire et professionnelle (ISEP) est venu s’ajouter au mandat déjà

chargé que les c.o. avaient à remplir, avec l’assentiment de l’Ordre professionnel, sans pour

autant qu’il soit intégré dans le reste de l’organisation de l’école.

Avant, c’était comme acquis, il y avait le cours d’ECC. Les élèves avaient de

l’information scolaire là, et quand l’élève était un peu plus indécis, le prof disait : « va

voir l’orienteur ». Maintenant, l’information scolaire est rentrée dans nos bureaux, on

doit aller donner de l’info, on est responsables de ça selon notre Ordre.

Encore eut-il fallu revoir la division technique et humaine du travail de manière à reconnaître

cet ajout dans la tâche des c.o. (p. ex., en ajoutant des ressources), d’une part, et à permettre

aux c.o. de réaliser ce mandat dans des conditions facilitantes, d’autre part. Ce ne fut

apparemment pas le cas puisque les c.o. ont ajouté à leur charge de travail une multiplication

des tournées de classe (autour de quatre ou cinq par année) qui demandent énormément de

temps et d’énergie. Aussi, cette tâche est particulièrement pénible pour les c.o. qui ne sont

pas familiers avec les interventions de groupe, pénibilité qui est accentuée lorsqu’il faut se

« battre » avec les enseignants pour avoir du « temps d’antenne » dans leur classe puisque

ce temps n’est pas prévu en soi dans l’organisation du travail, contrairement à l’époque où

existaient les cours du programme d’ECC.

[Selon certaines directions,] On devrait aller plus en classe. On devrait plus faire de

l’approche orientante. Et moi, personnellement, ça… je ne suis pas un prof! Si j’ai

voulu être conseillère en orientation, ce n’est pas pour être en classe tout le temps. Et

on nous le demande de plus en plus d’être en classe. Je m’amuse en classe, je suis très

bonne en classe, mais ma force et mes intérêts, c’est beaucoup plus de l’individuel.

On faisait rien que de ça : III,IV,V, ding, ding, ding. Ça n’avait plus de sens. Je les ai

commencées les tournées et on a été trois mois sans être dans nos bureaux, à faire des

tournées, à répéter.

Tu quêtes ton temps, tu cours après le monde, tu cours pour le temps.

Si la suppression des cours d’ECC a constitué un changement pour lequel les c.o. doivent

aujourd’hui compenser, il y a au quotidien une série de « tâches connexes » pour lesquels les

c.o. se retrouvent garants par défaut.

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Finalement, il y a comme plein d’autres petites tâches qui arrivent par la bande parce

que, si tu veux faire ça [une tâche intéressante], il faut que ça [une tâche hors champ]

soit fait. Et ça [la tâche hors champ], qui le fait? Personne. Ben là, je vais le faire! Il

faut que j’arrive! […] Ou bien tu réussis à trouver quelqu’un à qui le refiler, ou bien…

La réalisation de ces « toutes autres tâches connexes » permet à l’organisation de tenir et aux

élèves de recevoir des services adéquats, malgré la perte de « mémoire organisationnelle »

due au roulement des directions d’école, notamment.

Tu te dois d’être la chasse gardée d’un paquet, paquet, paquet de données qui fait que

le système fonctionne et ton directeur d’école ne les a plus ces données-là. Donc, tu ne

peux pas laisser tomber un pan de l’organisation parce que la personne qui arrive n’a

pas l’expérience pour maintenir…

Effectivement, on va patcher, on va essayer de tenir des choses, dans le régime scolaire.

En somme, avec les années, les mandats s’accumulent sans reconnaissance du travail

nécessaire pour les réaliser. L’impression générale est qu’il y a une accumulation de « tout

ce qui reste » à assurer, tandis que les mandats qui pourraient être « pertinents » et

« intéressants » sont donnés à d’autres (p. ex., motivation et persévérance scolaires), ce qui

fait en sorte que le temps manque, qu’on doit faire le travail à moitié, ou encore couper dans

les mandats qui nous intéressent pour livrer les mandats « utiles » à la direction qui, en bout

de ligne, ne laissent plus de place à « l’essentiel », l’essentiel étant même parfois

explicitement contraint, nous le verrons ci-après.

Si l’on revient au titre de cette section, « quelle est la place du conseiller d’orientation dans

le travail effectif à l’école? », on constate que la marge est grande entre la place définie dans

les prescriptions organisationnelles et professionnelles123 et celle occupée dans le travail

effectif. De fait, dans l’organisation réelle du travail, la place « assignée » de facto aux c.o.

est une place essentiellement dans l’ombre des directions d’école, occupant un rôle

« compensateur » qui permet à l’école, en tant qu’organisation, de fonctionner. Au regard de

ce qui sera rapporté dans la section suivante, ce rôle implicite, non reconnu, place les c.o. de

ce groupe dans une situation de travail inconfortable, une mauvaise posture, voire une

123 Voir chapitre 1 à cet effet.

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imposture au regard de leur propre conception du rôle professionnel et de la place qui devrait

leur revenir dans le travail à l’école…

7.3. Comment se traduit la dynamique souffrance / plaisir dans le

travail?

Dans la théorie de la psychodynamique du travail, nous l’avons dit, le plaisir dans le travail

est étroitement relié à la construction identitaire, à la possibilité de donner du sens au travail

au regard de son histoire personnelle et de son appartenance à un collectif ou une profession.

Lorsqu’il permet de « se » réaliser à travers une activité de travail désirée (dans le champ que

l’on pourrait dire « technique »), mais également d’être reconnu par les autres pour le travail

effectué (dans le champ que l’on pourrait dire « social »), le travail est source de plaisir.

Toutefois, lorsque les sujets sont confrontés à une organisation du travail qui ne permet pas

l’accomplissement de soi, la souffrance prend le pas sur le plaisir. En fait, la souffrance se

situe dans une lutte avec les contraintes du travail, dans les empêchements de travailler, de

faire du sens avec son travail (Dejours, 1988a)

Dans la présente enquête, l’analyse de la dynamique souffrance / plaisir dans le travail a

révélé que l’identité professionnelle de métier des conseillers d’orientation est

particulièrement atteinte chez ce groupe de c.o.. « Nous avons mal à notre profession ». Sans

être exprimée explicitement par les participants, cette phrase reflète bien le sentiment que les

témoignages et discussions ont laissé sur les chercheurs124, comme si la profession de c.o.

était mise à mal par l’organisation du travail à l’école.

Nous examinerons donc cette dynamique souffrance / plaisir en mettant en rapport

l’organisation du travail au regard d’un « idéal de métier » empêché, tel que révélé dans le

témoignage des participants de cette enquête. Dans le champ « technique », la souffrance se

traduit par le sentiment de ne pas pouvoir faire un travail de qualité, de ne pas pouvoir exercer

les activités essentielles à son métier, sources de plaisir au travail. Dans le champ « social »,

124 Le doctorant et les membres du collectif de contrôle.

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la souffrance se traduit par une dévalorisation des compétences, un déni d’utilité sociale,

voire par un déni d’existence professionnelle. La prochaine section traitera de la nature de

cet idéal de métier empêché.

7.3.1. Accompagner les jeunes dans leur démarche d’orientation scolaire et

professionnelle : encore possible en milieu scolaire?

L’idéal de métier des conseillers d’orientation, en milieu scolaire, est fondé sur une expertise

pour venir en aide à des élèves présentant des difficultés à s’orienter dans le monde scolaire

et professionnel. Selon cette prémisse, les c.o. du milieu scolaire ont choisi ce secteur de

pratique pour rencontrer des jeunes, les aider à canaliser leur potentiel et se trouver une place

qui leur convient dans la société. La principale source de plaisir attendue est donc de

rencontrer des élèves, travailler concrètement / humainement avec eux pour les aider dans

leur cheminement scolaire et leur orientation scolaire et professionnelle. Si pour eux, cela

devait constituer leur rôle premier, il apparaît extrêmement difficile de l’actualiser dans le

contexte actuel, compte tenu de l’organisation du travail prescrite et réelle décrite en partie

ci-avant.

C’est le fun aussi d’être capable d’éveiller un jeune au monde du travail, au plaisir

qu’il pourra avoir à travailler et de donner un sens à son parcours scolaire dès le début

de son secondaire. Moi, en tout cas, c’est un plaisir que je prends, mais c’est un plaisir,

je dirais, que je savoure de plus en plus parce que ça arrive tellement peu souvent

maintenant que je me dis : je peux moins me permettre ça.

Mon plaisir a toujours été le service aux élèves, j’aime ça les écouter, comprendre ce

qu’ils veulent faire dans la vie, comment ils se perçoivent comme personnes. Et mes

journées présentement : je donne des papiers de prêts et bourses.

Techniquement, les c.o. de ce groupe s’attendent à pouvoir rencontrer les élèves de l’école

qui le souhaitent dans un cadre de « relation d’aide individuelle », expertise pour laquelle ils

ont investi temps et énergie lors de leur formation et particulièrement régie par leur Ordre

professionnel. C’est cela qui semble constituer le cœur de leur métier, et non strictement leurs

connaissances du système scolaire québécois.

C’est la raison pour laquelle on a étudié en orientation. Et durant la maîtrise en

orientation, on ne nous a pas parlé de système scolaire, des préalables, tout ça, on n’a

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pas parlé de ça. Ça, tu l’apprenais sur le marché de travail. La maîtrise; c’est vraiment

en relation d’aide. C’est ça qu’on a appris, nous.

Toutefois, cet idéal de métier est fortement confronté à l’organisation du travail actuelle en

milieu scolaire, à un point où il risque de devenir de l’ordre d’un « travail empêché » par des

mesures administratives qui peuvent même aller à l’encontre des règles de métier.

J’ai été en orientation et en counseling, puis j’ai de la misère à voir un élève deux fois,

trois fois! Et je rencontre ma directrice qui me dit : « Pourquoi tu rencontres mon élève

pendant une heure? Tu devrais rencontrer deux élèves par heure. »

À l’université, on nous montre qu’il faut faire tant de rencontres, et c’est important et

c’est la raison pour laquelle j’ai étudié, et quand j’arrive au scolaire, je ne peux pas

le faire.

Nous l’avons dit, les directions d’école conditionnent en bonne partie le travail des

conseillers d’orientation. Or, il semble que celles-ci ne voient pas la pratique de l’orientation

comme une pratique de « relation d’aide », au même titre que la psychologie par exemple.

Moi, je vois toujours un gros trait commun entre tous; psychologues,

psychoéducateurs, conseillers d’orientation, travailleurs sociaux. Je trouve que, à la

limite, on a tous une base et après ça, on a quelques spécificités, mais ce n’est pas

toujours reconnu comme ça, surtout pour les conseillers d’orientation. Des fois, j’ai

l’autoflagellation facile en disant : « c’est nous autres qui n’avons pas su le

défendre… ». En tout cas, peu importe d’où ça vient, moi, c’est ce bout-là que je trouve

le plus difficile.

Il faudrait qu’une direction vienne s’asseoir à notre bureau et qu’on ait un élève qui

soit peut-être sur le bord d’une crise ou qu’il soit un peu suicidaire, ou qu’il soit un

peu dépressif, bref un élève pour qui ça ne va pas… Il faudrait qu’ils soient là...

Les participants ont l’impression que plusieurs directions ne saisissent pas la complexité du

travail de counseling d’orientation, sous-estiment grandement le temps nécessaire pour le

réaliser, et remettent en question la nécessité des rencontres individuelles comme modalité

d’intervention pour faire ce travail. Selon les participants de ce groupe-témoin, les directions

ne sont apparemment pas informées que les c.o. sont formés à intervenir; qu’ils ont une

connaissance suffisante du développement de l’humain; qu’ils détiennent des connaissances

en psychologie pour pouvoir intervenir judicieusement dans ce genre de situation-là (alliant

psychologie et cheminement concret au travers des dispositifs de formation). Certaines

directions ont une vision carrément simpliste du travail nécessaire pour aider un jeune à

s’orienter.

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[Après qu’une c.o. se soit fait interdire de voir un jeune en crise] Le directeur n’avait

pas imaginé qu’un conseiller en orientation… Il a dit : « c’est la dernière personne à

qui j’aurais confié une personne en crise ». Ils nous voient comme des spécialistes de

codes de cours.

Une petite demi-heure, « s’il veut aller dans un autre programme, tu lui dis dans quel

programme aller, mais... » […]Une demi-heure, leur dire dans quoi s’en aller étudier...

Parce qu’on fait ça de même. C’est ça orienter!? T’as besoin d’une demi-heure, tu le

regardes et tu sais dans quoi il va aller étudier!? […]Qu’est-ce que tu veux répondre?!

« Pardon?! » (rire) Je suis bouchée, sans voix. Rendue là, qu’est-ce que tu veux que je

dise?!

Bref, les prescriptions des directions d’établissement quant au travail des c.o. limitent le

travail de relation d’aide (p. ex., en limitant le temps de rencontre par élève) ou, dans les cas

les plus extrêmes, l’interdisent tout simplement. Le temps requis pour établir une relation

d’aide semble entrer en contradiction avec la logique de « rentabilité » que les c.o. décèlent

chez les gestionnaires du milieu scolaire. Les modalités d’intervention individuelle ne

seraient-elles pas suffisamment « efficientes » au regard de la « gestion axée sur les résultats »

et la « reddition de comptes » que les directions doivent mettre en application?

Je n’ai pas le temps et je me suis fait dire par ma direction : « Non, tu ne fais pas

d’orientation ». (Autres participants : Tu les réfères à un CJE? C’est le

psychoéducateur qui va s’en occuper? Tu fais quoi?) « Non tu ne fais pas

d’orientation. » Ben là, je fais comme : « Ah? Mais là, s’il y a un élève… » On est

plusieurs conseillères, mais aucune n’a le droit de faire d’orientation. (Autre

participant : Ben voyons donc!) On ne fait pas d’orientation en FP.

[À mon école] les rencontres individuelles, pour eux autres [les directions], c’est une

perte de temps. On ne devrait pas faire ça, ou très, très, peu.

Si ces consignes plus ou moins explicites des directions pour limiter la relation d’aide

constituent des contraintes particulièrement agressantes et inquiétantes pour le métier, elles

se font néanmoins relativement rares, heureusement. Par ailleurs, d’autres contraintes

relatives à l’organisation du travail actuelle en milieu scolaire limitent la possibilité des

conseillers d’orientation d’accompagner les jeunes dans leur démarche d’orientation scolaire

et professionnelle. Les c.o. font face à une accumulation de mandats qui fait en sorte que le

temps manque pour rencontrer les élèves…

Étant donné qu’on est tellement axés sur la « clientèle », le recrutement, l’évaluation,

l’analyse de dossiers, bien, toute notre tâche passe là-dedans. Donc ceux qui font le

vrai suivi, pour lequel on serait formés en principe, ce sont les enseignants tuteurs et

les enseignants ressources.

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Ainsi, l’impression générale est que la cour est pleine au point où ils n’ont pas le temps de

rencontrer les élèves ou, lorsqu’ils peuvent le faire, ils ne peuvent avoir autant de temps qu’ils

le souhaiteraient pour pouvoir faire un travail de qualité, pour répondre adéquatement à leurs

besoins d’orientation.

Tu retrouves du plaisir en aidant des élèves. Moi, aussi, c’est là que je retrouve mon

plaisir, mais quand l’élève vient me voir, qu’il a besoin d’aide et que je lui dis : « Je

vais te voir dans un mois, un mois et demi, je ne peux pas te voir avant ». Regarde,

c’est un petit peu loin. Donc il a le temps de passer à autre chose, il a le temps de

partir, il a le temps de décrocher ce jeune-là. Ou un élève qui aurait besoin d’un suivi

mais finalement je n’ai pas le temps… Regarde, je me sens, je me sens impuissante des

bouts, je me sens vraiment impuissante des bouts.

Avec le temps, tu es plus sollicité par tes organisations sur autre chose que cette

relation privilégiée d’être avec ta clientèle. Des fois, c’est mérité, et des fois, j’aurais

le goût de dire : « Fais ton chiffre là. Laisse-moi travailler tranquille! »

Enfin, lorsqu’il n’est pas empêché des consignes des directions ou par une surcharge d’autres

tâches, l’accompagnement des jeunes dans une démarche d’orientation ne peut se faire de

manière aussi approfondie qu’autrefois. De fait, selon ce groupe de c.o., la suppression des

cours du programme d’ECC a eu pour conséquence de diminuer la qualité des entrevues avec

les élèves. D’une part, n’ayant plus accès à l’information scolaire et professionnelle que

fournissaient les enseignants d’ECC, les élèves sollicitent les c.o. pour obtenir cette

information et ont donc tendance à voir les c.o. davantage comme des « passeux de

brochures », selon les participants : « Ils viennent chercher la brochure et ils viennent savoir

comment peser sur le piton. » D’autre part, malgré les nombreuses critiques adressées aux

cours d’ECC, ceux-ci remplissaient une certaine fonction dans la démarche de réflexion des

élèves qui permettait de les préparer à entamer un processus d’orientation avec un c.o.

L’information qui était donnée en ECC faisait en sorte que l’élève se questionnait, se

posait des questions, faisait des recherches, s’analysait à l’aide des petits tests. Et il

avait trois ans [pour se préparer] […] Ils [les élèves] savaient c’était quoi la formation

professionnelle, ils savaient c’était quoi un pré-u [programme préuniversitaire] et une

technique. Ils n’arrivaient pas dans mon bureau, début cinquième secondaire, en me

disant : « ah oui, sciences humaines; je ne sais pas ce qu’il y a dedans ».

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7.3.2. Rencontrer des jeunes dans le cadre de son travail de c.o. : est-ce encore possible

en milieu scolaire?

Même lorsque cela ne s’inscrit pas dans une relation d’aide, rencontrer les jeunes dans le

cadre de son travail semble constituer, en soi, une source de plaisir au travail pour les c.o. qui

peut compenser pour beaucoup…

Moi, mon plaisir, je l’ai davantage quand mon bureau est plein, quand je suis en classe

avec des élèves et ça, ça compense pour pas mal… le fait que l’organisation devienne

des fois un peu lourde à gérer. Mais moi, les élèves, en tout cas, c’est ça ma priorité à

moi et me je dis : je suis prête à accepter des choses qui vont peut-être moins bien avec

la dynamique de l’organisation, parce que le plus grand plaisir d’être conseillère je

vais le chercher avec l’élève. (Intervieweur : donc ça vient compenser?) Oui. Parce

que selon ma définition à moi, mon rôle premier est là.

Mais est-ce encore possible pour tous les c.o. en milieu scolaire? La question semble se poser.

La réorganisation du travail d’orientation à l’école fait en sorte qu’il est plus difficile d’avoir

simplement accès aux jeunes. Plus précisément, il semble qu’avec l’élimination du

programme d’ECC du cursus obligatoire on ait supprimé ce qui constituait le principal canal

de communication des c.o. avec l’ensemble des jeunes. Ainsi les c.o. se retrouvent-ils

dépendants d’autres personnels pour avoir accès aux jeunes, que ce soit pour présenter leurs

services et activités ou leur donner de l’information scolaire et professionnelle, pour donner

ces exemples. Or, les enseignants ne sont pas toujours disposés à accepter de recevoir les c.o.

dans leur classe, ce qui peut placer les c.o. dans une situation frustrante.

Et là, ça devient de plus en plus compliqué parce que le droit d’être en contact avec ta

clientèle et ce que tu fais avec ta clientèle, il faut que tu passes par trois, quatre

intermédiaires. Avant, tu avais le feu vert complètement. Maintenant, c’est rendu plus

sophistiqué d’avoir accès à la clientèle (Intervieweur : D’avoir accès?) Oui carrément.

Rencontrer des élèves suffisamment, c’est plus dur qu’avant, il faut qu’ils soient à la

bonne place, au bon moment.

En tout cas, moi, je pense qu’il y a une partie de la souffrance qui vient de ça. C’est

que l’information scolaire et le passage de papiers et de pamphlets, ça se faisait en

ECC, on avait un mode de communication, quand on voulait rencontrer nos élèves, on

passait par là. C’était vraiment un canal.

Mais essaie d’entrer dans une classe pour aller donner de l’information scolaire, il

faut que tu supplies l’enseignant : « Donne-moi quinze minutes, svp ».

Évidemment, les difficultés d’accès aux jeunes varient en fonction des milieux. Dans

certaines écoles, où les services d’orientation sont bien connus et bien compris, les c.o. se

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voient référer plusieurs élèves. Les c.o. qui ont davantage de difficulté à pouvoir rencontrer

les jeunes profitent, pour leur part, de toutes les occasions pour interagir avec eux.

C’est moi qui m’occupe des prêts et bourses. Mais en même temps, ce n’est pas un gros

dossier. Ben non! C’est pas vrai! C’est ça qui fait que je vois mes élèves, et j’ai 5-6

élèves que je connais grâce à ce dossier-là!

Je me bats pour garder les présentations dans les écoles secondaires pour aller

rencontrer les jeunes… Mais en même temps, je n’ai plus le temps pour faire ça, je

sens qu’il va falloir que je dise non à tout ça. Et ça me rend même triste…

Accepter de ne pas pouvoir rencontrer les élèves voudrait dire renoncer à la poursuite du

désir d’aider les jeunes et renoncer ainsi à la source de reconnaissance la plus importante

pour les c.o… De fait, la rétroaction que les jeunes donnent aux c.o. sur l’utilité de leur travail

est particulièrement gratifiante pour eux et atteste en quelque sorte de leur pertinence

professionnelle.

J’en ai peut-être semé des fleurs et je ne le sais pas. Mais on ne l’entend pas souvent.

Tout ça pour dire que quand je vais à l’épicerie, j’entends quelqu’un : « Monsieur X,

je t’ai rencontré l’année passée, merci, je me suis inscrit là »…

7.3.3. Être reconnu comme professionnel spécialiste de la relation individu-travail-

formation : est-ce possible en milieu scolaire?

Si, pour les c.o., le sentiment d’avoir été utile pour un jeune constitue une forme de

reconnaissance particulièrement recherchée, la reconnaissance de leur expertise par leurs

collègues et par les directions est aussi une source attendue de plaisir : les c.o. ressentent du

plaisir à être mis à profit à bon escient dans l’organisation du travail scolaire, selon leurs

compétences professionnelles. Lorsqu’ils sont interpellés pour leur expertise spécifique

d’accompagnement des jeunes dans leur démarche d’orientation, cela consolide évidemment

leur identité professionnelle de métier.

Maintenant, ils savent que je suis la conseillère d’orientation, et que j’ai des projets,

et que je fais un salon... Et les profs me disent : « J’ai parlé de ça l’autre jour dans ma

classe » et « As-tu des outils? » Je sens que le vent tourne un peu. […] Les élèves

arrivent, ils me disent : « il y a tel professeur qui m’a dit de venir te voir », il y a un

surveillant éducateur qui me réfère des élèves en me disant : « lui, il ne se présente pas

à l’école, perte de motivation, mais il n’a pas d’objectif professionnel, peux-tu le

rencontrer? ». Donc j’ai l’impression d’être un peu plus reconnue dans mon milieu.

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Et [les membres du personnel] nous réfèrent régulièrement des élèves, au moins à

toutes les semaines. […] Des fois même, il [le T.E.S.] prend cinq minutes, il m’appelle,

si je suis là, il vient me le présenter, et là je prends rendez-vous avec le jeune aussi. Ici,

c’est vraiment trippant. Et même les enseignants-ressources125 me réfèrent

énormément. Même que des fois, ils nous arrivent avec une liste. (rire) Euh, ok, c’est

le fun, mais! Je dis : « Ok, mais je n’aurai pas le temps de tous les rencontrer ». Ici,

dans notre école, ça réfère énormément.

C’est ironique parce que […] je reçois des enseignants qui me disent : « Pourrais-tu

rencontrer mon fils? » Des directeurs d’école d’une autre école : « est-ce que tu

pourrais rencontrer ma fille? »

Toutefois, il semble que cette reconnaissance ne fasse pas partie du quotidien de la majorité

des c.o. rencontrés… Selon eux, avec l’avènement de l’approche orientante, plusieurs

personnels se sont en quelque sorte « autorisés » à faire de l’orientation : enseignants,

enseignants-ressources, surveillants éducateurs, éducateurs spécialisés…

Avec l’approche orientante, tout le monde avait le droit de faire tout, je pense qu’il y

a de ça aussi là-dedans. C’est que l’école [en soi] va être orientante. Donc, c’est rendu

que tout le monde a le droit, non seulement le droit, mais le devoir de se mêler de ça.

Le rôle qui devrait revenir aux c.o. dans l’organisation du travail scolaire est en quelque sorte

« usurpé », avec le plaisir qui lui est associé…

Avant, les élèves étaient en ECC, donc quand ils avaient des questions d’orientation,

ils n’allaient pas voir les surveillants éducateurs, ils allaient voir leur prof d’ECC et

le prof d’ECC nous l’envoyait! Mais maintenant cet élève-là, qui est en difficulté, va

voir le surveillant éducateur, et […] c’est là que les éducateurs ont peut-être commencé

à en faire de l’orientation. Parce qu’ils voulaient répondre aux besoins de l’élève :

« Ah ouin, l’éducation aux adultes? Ok, attends un peu, je vais me renseigner ».

Alors on s’entend que ce sont des gens [les enseignants-ressources] qui n’ont pas de

formation [en counseling]. Ce sont des enseignants! Donc ils n’ont pas de formation

en counseling, mais ils aiment bien faire du counseling. Et ça fait, évidemment, que des

élèves, souvent, à mon avis, des cas agréables à travailler, ne viennent plus nous voir

125 Les « enseignants ressources » sont des enseignants qui sont dégagés d’une partie de leur tâche

d’enseignement pour agir à titre de « ressources », notamment au regard de l’intégration des élèves en difficultés

dans les classes ordinaires. Il semble par ailleurs que le rôle de l’enseignant ressource dans l’organisation du

travail scolaire varie considérablement d’une école à l’autre et d’une commission scolaire à l’autre. Selon le

MELS, ils ont pour principales tâches : « 1) d’assurer le suivi scolaire de ces élèves [élèves en difficultés en

début d’études secondaires] au moins chaque semaine; 2) de les soutenir dans diverses facettes de leur vie

scolaire; 3) de travailler en concertation avec les autres enseignants et les intervenants requis selon les besoins. »

http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/reussitescolaire/index.asp?page=voie_8

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parce qu’ils sont gardés dans le bureau des enseignants-ressources. Ça, c’est

dommage.

Tout se passe comme si le travail d’aide à l’orientation des jeunes ne nécessitait pas

d’expertise particulière, voire pouvait s’improviser…

Mes élèves qui arrivent de la chimie avec tel prof, je sais qu’ils ont vu le RIASEC126

(rire). Et lui, les deux premiers cours, il fait le test, un petit test monté maison […] il

enseigne la chimie V et il leur fait faire le RIASEC… Mais c’est ça, on leur a donné la

permission, mais ça se fait tout croche…

…avec les conséquences que cela peut avoir sur les élèves. L’absurdité de cette situation

génère une frustration, voire une certaine colère chez les c.o..

On a des conférences, chez nous – des conférences sur la FP, sur le cégep, l’université

–, et j’ai un enseignant de maths que si, dans son groupe, ce sont des élèves de V en

reprise de secondaire IV en maths et que c’est la conférence sur l’université, il n’y ira

pas. Et s’il a des élèves de P. E.I. [programme d’éducation internationale] et c’est la

conférence de D.E.P. [diplôme d’études professionnelles], il n’y ira pas. Il juge où ses

élèves vont aller!

Il y a des techniciens en éducation spécialisée qui font beaucoup notre job aussi, et qui

ne devraient pas : des fois, ils font des erreurs, ils disent des aberrations.

Sans compter qu’au final, ce sont les conseillers d’orientation qui risquent de se voir attribuer

la responsabilité de ces pratiques nuisibles…

La semaine passée, j’ai une collègue qui s’est fait critiquer par un parent, en disant :

« vous avez dit que mon fils ne pourrait pas étudier là-dedans ». On va voir dans son

dossier : personne ne l’a rencontré en orientation. C’est un enseignant qui a dit : « tu

ne seras jamais capable d’aller étudier là-dedans ».

À défaut de se voir accorder des mandats qui permettraient de répondre aux besoins des

élèves directement, les c.o. apprécieraient recevoir une reconnaissance de la part de la ligne

hiérarchique à l’effet que leur expertise est utile au fonctionnement de l’organisation dans

l’atteinte de sa mission.

126 Le « RIASEC » fait référence à la typologie des préférences professionnelles de la théorie de choix

vocationnel de John L. Holland (voir Holland, 1966). Largement utilisée dans les pratiques d’aide à l’orientation

scolaire et professionnelle, notamment dans les tests psychométriques, cette typologie permet aux élèves

d’établir leur pattern de ressemblance avec six types de personnalité : Réaliste, Investigateur, Artiste, Social,

Entreprenant, Conventionnel.

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Il faut qu’ils [les directions] reviennent de temps en temps pour dire : « lâche pas, tu

l’as. Ce que tu as fait, c’était parfait ». Et ça, j’ai l’impression que c’est de plus en plus

absent des milieux. Tu sais, une petite tape dans le dos de temps en temps à la bonne

place. Dire admettons : « Madame X, je sais que c’est peut-être pas facile, mais […]

si ce n’était pas de toi, on ne l’aurait pas parti ce groupe-là, te rends-tu compte, tel

prof n’aurait pas cette job-là, ces élèves-là n’étudieraient pas les deux pieds ici cette

année ». Mais ce discours-là, on ne l’entend pas souvent. De moins en moins souvent.

C’est une grosse partie de notre tâche [répondre à des besoins organisationnels] à la

fois en FP, à la fois aux adultes et même aux jeunes. Mais ça, à nulle part, à

l’université, ils en parlent, à nulle part. […]C’est parce qu’il y a énormément de temps

qu’on passe à faire ça et ce n’est jamais, jamais nommé qu’on est des spécialistes de

la sanction ou très peu.

Les c.o. connaissent leurs compétences, savent ce qu’ils peuvent faire pour l’organisation et

ils ont l’impression que leur expertise devrait être beaucoup plus utilisée, ou plutôt mieux

utilisée par les directions. Somme toute, nous l’avons dit, les directions consultent peu les

c.o. à titre de « spécialistes avisés ». Certains ont l’impression d’être carrément ignorés,

malgré leurs efforts pour se faire entendre.

Il me semble que, quand on fait une maîtrise, on est rendus des professionnels, on n’est

pas des techniciens, on ne veut pas appliquer des choses, on veut toujours aller plus

loin. On veut être reconnus, on veut être sollicités.

Moi, j’ai des idées, j’envoie des courriels, je propose des choses : pas de retour, rien,

rien, rien. Tu dis : « Christie, je sers à quoi là? Je sers à quoi? »

Comme professionnels, ils s’attendraient à recevoir des mandats stimulants pour lesquels ils

pourraient mettre à profit leur expertise de la relation individu-formation-travail. Aussi, non

seulement sont-ils contraints de réaliser des tâches cléricales, mais ils ont l’impression que

ce sont les autres professionnels qui reçoivent systématiquement ces mandats intéressants.

Les psychoéducateurs vont aider, les directions prennent leurs décisions, et ce sont eux

[les psychoéducateurs] qui voient les organismes partenaires du marché du travail. Et

tout ce qui se passe, nous, on n’est pas au courant. Nous, on s’occupe des dossiers

scolaires. Et d’avoir les bons papiers, pour qu’on ait le financement…

Je me dis, c’est plate à dire, mais toi, tu es chez-vous, tu es dans ton bureau, tu fais de

l’administratif, tu fais des affaires, finalement pas très agréables, et tu vois être

déposés sur les bureaux de certaines personnes, qui ne sont pas les bonnes, à mon avis,

de ces projets-là stimulants, intéressants et rassembleurs. On s’entends-tu que je ne

suis pas dans la « game » là! Et c’est ça qui est tannant!

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Ainsi, les c.o. de ce groupe sentent très peu ce type de reconnaissance sociale de leur travail,

de leur expertise… Au contraire, ils ressentent parfois un déni d’existence ou même du

mépris.

Les secrétaires disent : « Hey, je suis c.o., je suis c.o.! », et ils signent la fiche

d’inscription et ils cochent « admis ». Ils trouvent ça bien drôle. J’avoue... c’est drôle,

c’est ça que je fais.

Et moi, ce qui me blesse le plus, c’est quand […] ils vont nous… minimiser notre rôle,

nous confiner au niveau des codes de cours.

Hier, ils [les directions] présentaient un super tableau sur le soutien scolaire. [..] Là

ils disaient : « Oui, c’est important, les psychoéducateurs, les travailleurs sociaux » –

parce que moi, je travaille dans une école plus défavorisée –, mais je me suis dit :

« pourquoi ils ne me nomment pas? Pourtant, ils me veulent partout! » Ça m’a fait

bizarre. Suis-je partout et nulle part? (Autre participant : C’est là la souffrance, hein?)

Cette déconsidération est à son comble lorsque les c.o. sentent que leur importance se

retrouve en deçà des ressources matérielles…

Avec l’approche [orientante], comme telle, ça venait donner un mandat très clair :

« on va vous donner un gros montant d’argent à la commission scolaire et faites du

développement, je dirais préventif. » […] Pour la majorité, l’argent est tombé dans les

banques de directeurs et ça n’a jamais été distribué. Et ça paie les rideaux et les

stationnements.

Je lui ai dit [à la direction] : « merci d’avoir pensé à moi, à me donner un contrat à 5

jours [de travail par semaine] ». Elle me dit : « ce n’est pas parce que je pense à toi,

c’est parce que là, je viens de recevoir de l’argent et je ne peux pas le mettre dans les

meubles ». (rires) […]On dirait que je suis un peu fâchée… pas fâchée là, mais… c’est

ça, je me dis « attends un peu là! ».

7.3.4. Garder sa place de professionnels dans le contexte scolaire actuel : est-ce

possible?

Cette souffrance risque d’être d’autant plus vive qu’elle s’inscrit dans un contexte où, compte

tenu des restrictions budgétaires que subit le système scolaire, une forme de compétition est

plus ou moins présente et menaçante selon les réalités des écoles et les professionnels en

place, compétition qui génère un climat insécurisant au regard de l’emploi.

Les c.o. de ce groupe ont remarqué un alourdissement et une diversification des problèmes

des jeunes dans la dernière décennie, notamment certains problèmes psychosociaux. Or, en

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même temps qu’il spécifiait la nécessité de « décloisonner » les pratiques professionnelles

des services complémentaires afin de répondre à cette diversité de besoins, le Renouveau

pédagogique a mis beaucoup d’accent sur la nécessité d’offrir des services de soutien à la

réussite éducative qui soient « adaptés » aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation

ou d’apprentissage (EHDAA), évaluations et plans d’intervention faisant office de reddition

de compte. Bref, l’augmentation d’EHDAA dans les établissements scolaires et ces nouvelles

prescriptions organisationnelles sur le plan des services complémentaires ont entraîné une

embauche très marquée de corps d’emploi bien spécifiques : des psychoéducateurs, des

techniciens en éducation spécialisée (T.E.S.), et des enseignants-ressources127.

Il n’en demeure pas moins que c’est une clientèle qui s’est alourdie, au niveau des

problématiques : santé mentale, problèmes psychosociaux, difficultés d’apprentissage.

Dans le fond, les chiffres parlent… Quand on parle de financement d’une école où la

gamme de services que tu vas te payer, c’est en fonction du nombre d’élèves […] Ça

finit que […] plus la lourdeur des besoins va augmenter, plus les directions vont être

amenées à faire des choix dans les services aussi.

Mais ça, quand c’est sorti [l’approche orientante], j’ai dit : « oups, on vient de se faire

tasser du curatif » et, après ça, vous avez vu entrer la psychoéducation [de façon

incroyable].

Ainsi, dans cette « compétition » pour pouvoir sauver leur emploi, les c.o. ont l’impression

de ne pas être « dans la game »… De fait, les psychoéducateurs et les T.E.S. paraissent fort

attrayants aux yeux des forces décisionnelles de l’école, les directions et les enseignants128,

puisqu’ils peuvent répondre à une diversité de problèmes.

Le directeur a vu qu’un psychoéducateur, c’était « hot », et ça fait un peu de tout.

(Autre participant : Mais ils se vendent beaucoup aussi là. Ils se vantent qu’ils sont

capables de tout faire.) Et les enseignants, ça leur permet des fois de sortir des élèves.

Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a le mot « éducateur » là-dedans qu’ils aiment ça.

Et psycho! Le titre est accrocheur!

Compte tenu de leur fonction de maintien de la discipline, les psychoéducateurs et les T.E.S.

sont à la fois très près des directions, mais aussi des élèves, ce qui leur confère des avantages

127 Entre 2005 et 2011, le MELS aurait embauché plus de 800 enseignants-ressources, selon le site web du

MELS.

128 Les enseignants ne « décident » pas comme tel, mais ils ont un poids politique important au sein de l’école.

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importants en comparaison des c.o.. Ainsi ceux-ci ont-ils l’impression de pouvoir accéder

aux jeunes seulement lorsque la situation est désespérée…

Donc eux autres [les T.E.S.], ils ne sont pas intéressés à me référer l’élève. […] (Autre

participant : Et ils ont une force de plus que tu n’as pas, c’est qu’eux autres, ils le

voient dans le quotidien l’élève, ce qui veut dire que, dans l’ancrage de la relation, tu

n’es pas de taille avec eux autres.) Et je les vois, les T.E.S. : ils sont en haut avec les

directions, je le sais, ils sont tout le temps ensemble, tout le temps ensemble. Moi, je

suis en bas. Donc moi, comme tu dis, je ne suis pas de taille avec eux autres. […] Et

quand ils me le réfèrent c’est parce qu’ils ne savent vraiment, mais vraiment plus quoi

faire. Il est trop tard même, il est parti, le jeune!

À mon école, ils [les T.E.S.] rencontrent beaucoup d’élèves qui sont démotivés, des

élèves qui pensent aller aux adultes. Ou parfois, ce sont des directions qui réfèrent

directement au T.E.S. : « j’ai un élève qui est démotivé, je te le réfère ». Et des élèves

quittent, s’en vont à l’éducation des adultes et sans jamais avoir passé dans mon

bureau. Parfois, j’ai un technicien qui m’appelle : « bien là, j’ai tout essayé, j’ai parlé

de l’éducation aux adultes, j’ai dit que ça n’avait pas de bon sens, on a regardé un peu

ce qu’il voulait faire plus tard et là, je te le réfère, je ne sais plus quoi faire ».

Bref, conjugué avec le fait que leur expertise est incomprise et inconsidérée, ce contexte de

concurrence entre les professions en milieu scolaire rend les c.o. particulièrement vulnérables

sur le plan de l’emploi.

Il y a même des c.o. qui quittent et qui sont remplacés par des T.E.S. aujourd’hui. […]

Ils mettent deux T.E.S., admettons, à la place d’un c.o.. Ou d’autre genre de techniciens

en travail social, pour du travail qui était fait déjà par des c.o..

Les c.o. de ce groupe sentent donc qu’ils doivent arriver à garder leur place dans

l’organisation, ce qui les amène à être tentés d’accepter des tâches qui répondent plus ou

moins à leur niveau et à leur champ de compétences, mais qui vont être utiles à l’organisation.

La direction d’école étant particulièrement influente, il devient tentant de répondre à ce

qu’elle demande, afin de lui démontrer son utilité, surtout dans un contexte plus large de

restrictions budgétaires dans lequel chacun des paliers de l’organisation – directeurs adjoints,

directeurs, gestionnaires des commissions scolaires – doit opérer une reddition de comptes.

J’ai été très surprise, les deux derniers conseillers d’orientation qui ont pris leur

retraite, [les directions] en ont profité pour couper le temps [d’orientation] dans les

écoles, alors qu’on crie au besoin. C’est la direction qui décide de ça, mais les

enseignants sont consultés, les assemblées générales des fois, nous autres des fois.

Mais on est toujours à la merci d’eux.

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Ils ont beaucoup coupé les dernières années, on est toujours dans cette pensée-là de

coupure, mais tout le monde a sa chasse gardée. Tout le monde pense à son poste,

autant les techniciens que les professionnels. Donc les techniciens ont pour leur dire,

si je rencontre des élèves tant mieux […] peu importe quel est le besoin parce que je

remplis ma tâche.

Autrement dit, compte tenu de cette concurrence entre les corps d’emploi des services

complémentaires pour pouvoir continuer d’être engagés (surtout chez ceux qui ont un statut

d’emploi précaire), il est tentant de prendre tout ce que les directions veulent bien accorder

sans mot dire : on se résigne à une « polyvalence de survie », ou encore on accepte des

contrats insensés (p. ex., être responsable de l’approche orientante dans plus d’une dizaine

d’écoles), dans le but de garder son emploi. Il faut en quelque sorte « démontrer » son utilité,

« se faire valoir », au risque de passer pour un « faire-valoir » soi-même…

Il y a quelque chose qui m’a beaucoup déçue aussi, c’est quand on entend qu’il faut se

faire valoir auprès de nos directions pour s’assurer qu’ils ne nous coupent pas. Tout

le temps… […] Je ne pensais pas qu’en plus, il fallait tout le temps se justifier. […]

« Si tu ne fais pas telle, telle affaire, ils vont couper dans les postes. Fais-en plus pour

t’assurer » parce qu’en même temps je travaille un peu pour ma job pour être sûre…

S’ils font des coupures, c’est moi qui vais sortir, c’est sûr.

Nous autres, il faut toujours se battre. Et c’est ça que j’ai de la misère à comprendre.

Bref, les c.o. de ce groupe se sentent à mille lieues de la place centrale que leur attribuait le

Rapport Parent dans l’organisation du travail scolaire, et de l’« âge d’or » de la profession

qui s’en est suivie, selon eux. Un des c.o. du groupe en témoigne d’ailleurs.

Moi, je l’ai vécu, le meilleur du système scolaire quand j’étais au secondaire dans les

années fin 70-80 […], je l’ai vécu comme élève. L’éducation choix de carrière et la

sexologie, j’avais ça en 72, 73, 74, 75. Tu avais des locaux spécialisés pour l’éducation

de choix de carrière, tu avais des c.o. qui étaient disponibles. Je l’ai vécu le système

utopique! Une couple d’années, et après ça, ça s’est effrité tranquillement pas vite…

7.3.5. Souffrir de sa profession : une identité professionnelle de métier menacée par

une déqualification opérationnelle et statutaire

En somme, l’organisation actuelle du travail des c.o. est particulièrement problématique

puisque non seulement sont-ils éloignés de leur idéal de métier, mais ils se retrouvent avec

des tâches qui les déqualifient, autant sur le plan opérationnel (p. ex., tâches beaucoup plus

simples que ce dont ils sont capables) que statutaire (p. ex., ils sont traités comme du

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personnel de soutien alors qu’ils ont des qualifications professionnelles particulièrement

élevées).

On était quasiment comme […] des supra-secrétaires ou sous-directeurs adjoints.

Laissez-moi réfléchir, laissez-moi! Je suis une intellectuelle! Je pense qu’on l’est tous :

on a étudié longtemps, on aime ça réfléchir, trouver la place de quelqu’un, intervenir.

Et quand je regarde dans ma journée, mon agenda, pfff, le nombre de téléphones que

je retourne : « rappelle-moi, je te rappelle, on se rappelle, nanana, tu me rappelles »…

(rires). Et là, prendre en note sur un papier, « bon, il s’appelle Jean S. il va venir telle

date, écrire un courriel à tel prof., faire une réponse à… » […]Il me semble que c’est

trop… c’est ça, c’est trop technique.

Je m’occupais du suivi pour les élèves dans les autres points de service; ben je prenais

ma voiture et j’allais porter un papier de prêts et bourses qui était rentré. […]Et là je

me disais : « Il existe des facteurs (rires), il existe un courrier interne, il existe des

secrétaires. Je ne comprends pas pourquoi ils paient un c.o. [pour faire ça]… » Et là,

je perdais une heure de mon temps. Il fallait que je me rende à l’autre bout de la ville

et que je revienne. Toi, t’es dans ton char et tu te dis : « Ah oui, moi j’aime ça être

c.o.!» (rires) Tu sais : « Qu’est-ce que je fais ici? »!

Pas de reconnaissance du statut de professionnel ni de la nature de l’expertise du c.o.,

notamment en relation d’aide aux élèves. Pas de reconnaissance non plus des efforts

nécessaires pour maintenir cette professionnalité. Le choc entre l’idéal de métier forgé lors

de la formation et l’organisation du travail en milieu scolaire est grand pour les c.o. et génère

incompréhension, désillusion, déception, colère et tristesse…

Donc, quand je me suis lancée là-dedans « Ok c’est ça au fond l’orientation! Wow!

C’est beau! » Et à l’université, il me semble que mes cours étaient intéressants, la

psychologie, ta-ta, je me voyais dans le milieu scolaire. Et il me semble que c’est, il me

semble que c’est une belle mission, c’est diversifié. Et là, quand tu arrives,

concrètement… je ne sais pas c’est quoi qui se passe!

Moi, je suis très déçue, vraiment très déçue du secteur scolaire, je ne pensais pas que

le rôle du c.o. était autant de faire des choses cléricales, très administratives. On est

peu reconnus dans notre milieu, il faut se faire valoir pour se faire connaître.

Le décalage est tel, entre leur désir de se voir reconnu comme professionnel et le peu de

crédibilité qu’on leur accorde, que certains en viennent à douter de leur valeur personnelle.

Le départage entre ce qui est de l’ordre de la profession et ce qui relève de soi peut être

difficile à réaliser.

Ce qui est fâchant, au fond, tu le sais, tu dis ton conseil, tu expliques, mais c’est comme

si, crime, tu n’as pas… ça n’a pas l’impact que ça devrait. C’est là que ça blesse

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l’identité professionnelle! Et là tu te demandes : « est-ce que c’est moi comme c.o. qui

n’arrive pas à me faire comprendre ou si c’est mon titre qui n’a pas l’impact qui devrait

avoir? ». Tu ne le sais plus. Est-ce que c’est moi qui n’arrive pas à faire valoir mes

idées à la direction? Est-ce que je ne porte pas bien mon… ou si les gens ne

comprennent pas à quel point je connais ça. Ça se peut.

Les efforts souvent vains à faire reconnaître sa pertinence et son expertise professionnelles

s’ajoutent à la pression de la charge de travail élevée. Si la situation ne change pas, les troupes

de c.o. risquent fort de s’épuiser et de se retrouver sur la touche…

Nous, c’est vraiment difficile. Moi, je suis tombée en congé de maladie, ma collègue

est tombée en congé de maladie et j’en connais d’autres qui sont allés sur la limite de

partir en congé de maladie. Je pense qu’il y a un côté surcharge et impuissance aussi.

Non-reconnaissance épouvantable! Non-reconnaissance.

Je veux dire que ça déborde dans le sens où : « écoutez, on est fatigués, on est

essoufflés ».

7.4. Comment les conseillers et conseillères d’orientation font-ils face à

ces situations de travail?

Face à une organisation du travail difficile, on « fait » des choses, on met en place des

stratégies pour se protéger, pour durer, pour endurer, pour pouvoir continuer dans le travail.

La contribution scientifique et pratique de la psychodynamique du travail est d’avoir mis au

jour l’existence de telles stratégies mises en place par les travailleurs pour se « défendre »

individuellement et collectivement contre les risques que pose le travail pour la santé

mentale. Les stratégies défensives constituent des processus psychiques et sociaux qui

orientent les manières de penser et de faire qui permettent de mieux tolérer la souffrance,

voire de l’éviter. Elles réfèrent paradoxalement à un élément d’intentionnalité (stratégies)

tout en relevant d’un « impensé collectif » (défense) (Dejours & Gernet, 2012). Elles jouent

ainsi un rôle conservateur du fonctionnement psychique et aussi de la contrainte dont les

effets pathiques (qui font souffrir) sont assourdis (anesthésiés) (Dejours, 2008). Par la mise

en œuvre de ces stratégies de défense, l’individu peut rester « normal » et continuer à

travailler durant une certaine période de temps. En ce sens, elles sont nécessaires pour

protéger sa santé mentale à court terme. Cependant, le contexte générant la souffrance risque

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de perdurer et d’engendrer, à long terme, une série de symptômes palpables de détérioration

de la santé physique et mentale.

Dans le cadre de l’enquête, nous avons pris la peine de contextualiser la présentation de ces

stratégies défensives afin de considérer le contexte d’enquête « clinique » dans lequel elles

étaient mises en discussion. Voici le préambule que nous avons adressé aux participants du

groupe lors de la lecture du rapport à la quatrième et dernière rencontre :

Nous présentons ici, à titre de pistes de réflexion, une déclinaison des stratégies,

décelées à travers les témoignages des participants, pour faire face à la souffrance

générée par les contraintes de l’organisation du travail. Elles sont présentées ici

sous forme d’hypothèses interprétatives à discuter. Malgré que les participants

puissent se reconnaître dans la mise en place d’une stratégie ou d’une autre, cette

analyse interprétative ne vise pas des personnes en particulier et doit être prise

sur le mode impersonnel. Le but de réfléchir sur les stratégies défensives est

d’amener une prise de conscience du caractère souvent pernicieux de certaines

stratégies mises en place pour se protéger individuellement des problèmes

qu’elles peuvent poser à l’échelle du grand nombre. Ainsi, nous tenterons de

mettre en évidence ce qui constitue, de notre point de vue, les risques possibles

d’utiliser telle ou telle stratégie, risques sur le travail et sur la santé mentale. Il ne

faut donc pas considérer cette analyse d’un point de vue « moralisant » en jugeant

dans une perspective manichéenne (« bien » ou « mal »), mais plutôt comme une

opportunité de recadrage permettant de conscientiser les incidences possibles de

ces stratégies, dans une optique éventuelle de repositionnement du rapport au

travail individuel et collectif. Bref, nous vous invitons à vous mettre dans le mode

de l’« écoute risquée », c’est-à-dire à être prêts à entendre et considérer une

analyse qui, au premier chef, peut être déstabilisante, mais se révéler porteuse

pour développer un meilleur rapport au travail, individuellement et

collectivement.

Le rapport écrit a donc enclenché une discussion sur les éventuelles stratégies défensives

partagées par des membres de ce groupe de laquelle une analyse a pris forme. La prochaine

section tentera de rendre compte de l’ambivalence du caractère défensif ou non des stratégies

mises en place par les c.o. pour faire face à la souffrance au travail.

7.4.1. Des stratégies d’adaptation : de la normalité vers la défense proprement dite

Les stratégies défensives portent toujours l’empreinte de l’organisation du travail. Ainsi,

devant la méconnaissance des autorités et des autres personnels à l’école du rôle et de

l’expertise de la profession de c.o., devant les difficultés à se voir reconnaître comme

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« professionnel » ou « spécialiste avisé » sur les questions relatives à la relation individu-

travail-formation, devant une organisation du travail où s’accumule une série de tâches plus

ou moins connexes au point de devoir couper sur l’essentiel, devant une organisation du

travail où l’on doit se rendre « utile » aux directions – les unes après les autres – pour pouvoir

garder sa place, les c.o. mettent en œuvre des stratégies pour se protéger, pour protéger leur

plaisir au travail, ou à tout le moins pour sauver leur emploi.

Lorsque, en cours d’enquête, nous avons posé la question « Comment on tient, comment on

continue dans le travail? », les participants ont effectivement énuméré, les unes après les

autres, une série de stratégies qualifiées par les participants comme des stratégies

d’« adaptation ». De fait, le discours des participants, en ce qui concerne les manières de faire

face à la souffrance générée par l’organisation du travail, tournait beaucoup autour de leur

« capacité d’adaptation ».

D’une tâche à l’autre […] à chaque fois je me suis dit : « Bon, là, je m’adapte. J’ai

plein de choses à apprendre ». Ça a toujours été intéressant, tous les postes et les

mandats que j’ai eus. Mais à chaque fois […] tu arrives, tu es comme tout étourdie, tu

dis « oui, oui, oui ».

Oui, une grande capacité d’adaptation les c.o., tu le nommes bien, c’est vrai! (Autre

participant : Oui, oui, capacité d’adaptation, mets-en!)

La capacité d’adaptation est une habileté fortement valorisée par les c.o.. Ceci se comprend

dans la mesure où elle fait partie intégrante de leur logique de métier, comme en témoigne

d’ailleurs le champ d’activités redéfini récemment dans la Loi modifiant le Code des

professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des

relations humaines : « […]développer et à maintenir des stratégies actives d’adaptation

dans le but de faire des choix personnels et professionnels […] ». Si elle est désirable pour

leurs clients, cette capacité d’adaptation semble l’être aussi pour eux-mêmes. Nous posons

donc l’hypothèse que cette capacité d’adaptation participe à l’identité professionnelle de

métier des c.o., s’inscrivant dans un certain idéal à atteindre, pour montrer son accord à

s’inscrire dans la volonté de l’organisateur institutionnel (p. ex., l’école, la commission

scolaire, le ministère de l’Éducation, etc.), à la limite pour faire partie de la profession qui

soutient ces valeurs d’adaptation. Ce sont là des pistes à explorer plus en profondeur et nous

y reviendrons au chapitre 9. L’enquête réalisée permet de décliner les façons dont cette

capacité d’adaptation se traduit dans des « règles de métier », ou pourrait-on dire des « règles

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défensives ». Mais avant d’examiner ces déclinaisons, voyons ce que recouvre cette notion

d’« adaptation » au regard du champ professionnel de l’orientation.

L’adaptation est à la fois un processus et un résultat129. Le résultat de l’adaptation d’un

individu est toujours fonction du milieu – de l’environnement dirait-on en orientation – dans

lequel il se situe : il s’agit d’être approprié, convenable à ce milieu de manière à être apte à

y fonctionner. Pour reprendre des termes du champ de l’orientation, on dirait qu’il s’agit

d’être en « adéquation », en concordance avec ce milieu. Cette adéquation permettrait, dans

la logique des c.o., de faire en sorte que les personnes soient heureuses dans leur travail.

Voilà pourquoi l’adaptation comme résultat est fortement valorisée et devient en quelque

sorte une valeur aux yeux des c.o.. Mais qu’en est-il lorsque l’« adéquation » n’est

vraisemblablement pas au rendez-vous, devant trop de malaises, d’inconforts? C’est là que

se met en place l’adaptation comme processus, pour tenter de réaliser cette « adéquation »

ou de la restaurer. Un participant témoigne de ce processus de mise en adéquation.

Parce que de toute manière, ça va être du donnant donnant parce que tu vas t’arrimer,

de mieux en mieux avec la clientèle et assurer un bon service mais en fonction de tes

propres compétences parce que si tu dis que tu as étudié en orientation, ce n’est pas

pour rien, c’est parce que tu avais des champs d’intérêt spécifiques donc des

compétences que tu voulais développer, que tu recherchais à développer.

Toutefois, comme nous l’avons suggéré précédemment et comme nous tenterons de le

montrer ci-après, les stratégies dites d’« adaptation » peuvent s’avérer plutôt défensives.

Face aux contraintes dans l’exercice de la profession, les c.o. se retrouvent dans une position

particulièrement inconfortable où la « lutte » pour le respect de leur identité professionnelle

de métier est difficile à mener. De fait, avant de sauver leur « travail », leur profession, ils

doivent en quelque sorte sauver leur « emploi », sauver leur place dans l’organisation, place

qui est davantage menacée ces dernières années alors que les besoins pour certains

professionnels augmentent, sans que les budgets pour engager des professionnels augmentent

pour autant… Dans ce contexte, les c.o. sont placés dans une sorte de « non-choix » : 1) soit

ils consentent aux efforts de devoir « se vendre » constamment pour tenter d’obtenir des

129 Tirée d’une définition lexicographique du terme « adaptation » du site web du Centre national de ressources

textuelles et lexicales (http://www.cnrtl.fr/definition/adaptation).

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mandats un tant soit peu intéressants; 2) soit ils acceptent, subissent et obtempèrent à une

polyvalence « de survie » qui les déqualifie et, au final, d’être confinés dans des tâches qui

sont à des lieues de leur idéal de métier, mais qui leur permettent de garder leur emploi. Dans

un cas comme dans l’autre, la souffrance est présente… Que veut dire alors l’adaptation dans

ce contexte pour les c.o.? Au regard de quoi s’adaptent-ils?

Face à la souffrance consécutive de ce « non-choix », il semble que l’adaptation consiste à

« trouver son compte » dans l’une ou l’autre des options. Voyons comment cela se traduit

dans des stratégies pour l’une ou l’autre des options.

7.4.2. Adhérer au modèle du c.o. « entrepreneur de soi »

Le premier type de stratégies vise à entreprendre des actions pour tenter d’influencer

l’environnement, de façon à pouvoir exercer son métier d’une manière convenable pour soi.

Ce type de stratégies, que les participants pourraient qualifier eux-mêmes de type

« entreprenant » en référence à la typologie de Holland (RIASEC), s’inscrit dans un univers

symbolique relatif à l’entrepreneuriat, voire aux relations d’affaires.

Ainsi, pour « trouver son compte » et à l’instar de l’image d’un entrepreneur, le c.o. doit être

proactif dans une sorte de mise en marché de soi. D’abord, le c.o. doit procéder à une analyse

de besoins dans son milieu de manière à déterminer les besoins auxquels ses services doivent

ou peuvent répondre. Puis, il s’agit, selon les mots prononcés, de « se faire voir », « se faire

connaître » dans l’école, de faire connaître son rôle, ce que l’on peut faire comme c.o.,

comme un entrepreneur qui fait la promotion de ses services, son marketing, sa mise en

marché. Selon cette vision, les c.o. devraient savoir vanter leurs mérites, savoir « se vendre »,

ou devrait-on dire vendre leurs services. Idéalement, et c’est encore plus vrai avec l’approche

orientante selon les participants, le c.o. devrait « innover », être créatif, « développer », de

manière à être le plus attrayant possible pour les décideurs. Cette innovation constitue une

stratégie qui fonctionne apparemment assez bien pour recevoir des mandats intéressants. Elle

semble permettre à tout le moins de « fuir » en partie les tâches cléricales…

Être constamment à l’affût de nouvelles approches, de nouvelles façons d’intervenir

avec les jeunes qui vont accrocher tout le monde et qui vont te permettre de te libérer

de tes « estifies » de tâches plates. C’est ça qui m’a permis de rester plus longtemps

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sain d’esprit. (rires) […] (Autre participant : et il fallait […] que tu innoves pour

pouvoir justifier le fait que tu te débarrassais des tâches cléricales) Bien oui, parce

que sinon les tâches cléricales, ils m’en auraient mis ça d’épais [beaucoup] et le

professionnel, ça de haut [très peu].

Ensuite, le c.o. doit « s’impliquer » dans le milieu, un peu à la manière d’un lobbyiste, de

façon à établir des alliances stratégiques avec les enseignants et les directions, développer un

réseau social, des « partenariats » qui lui permettent d’obtenir des mandats intéressants et

d’augmenter son pouvoir dans la négociation de sa tâche. Lorsque cela est possible, on peut

s’adjoindre d’autres ressources, comme des stagiaires ou des ressources externes (p. ex.,

partenariat avec des Carrefour-jeunesse-emploi), de manière à offrir une gamme de services

plus larges et faire connaître encore davantage les services d’orientation.

Ces gens-là, tu établis de bons partenariats et ils vont être de ton bord pour, justement,

faire avancer tes dossiers. […] Il y a de nos collègues à la commission scolaire qui

pensent qu’ils ont aidé à redorer notre image par rapport à des directions parce que,

justement, ils ont travaillé vraiment très étroitement avec des directions d’école, ce qui

fait qu’elles disent : « s’il n’est pas là ou elle n’est pas là, ça n’a pas de bon sens. »

Enfin, selon ce type de stratégies, il s’agit, comme les entrepreneurs, de faire des plans

d’action et des « bilans annuels », des rapports qui permettent aux décideurs de constater la

productivité des services et la faire reconnaître dans la prise de décisions quant aux ressources

qui seront attribuées aux services d’orientation. Il permet de mettre la tâche concrètement sur

la table de négociation.

Maintenant, les enseignants et les membres de la direction, ils savent à quoi s’attendre.

J’arrive tout le temps avec un plan d’action au début de l’année et en fin d’année, un

bilan annuel de ce que j’ai fait. À quelque part, tu te protèges aussi, des fois, on se dit :

s’il y a des coupures, ils vont savoir qu’est-ce qui ne se fera plus s’ils t’enlèvent de là,

ils vont dispatcher la job. Il y a un peu de stratégies là-dedans mais je pense que c’est

surtout de la satisfaction personnelle.

À écouter les c.o. parler de cette façon, ce type de stratégies « proactives » semble fonctionner

relativement bien pour « s’adapter » au contexte d’emploi des c.o. qui a été vulnérabilisé

dans les dix dernières années : ils arrivent individuellement à trouver un certain espace de

« négociation » dans l’organisation du travail qui permet à la fois de protéger son emploi et

d’avoir un certain nombre de tâches satisfaisantes. Certains semblent même y trouver un

plaisir, autant pour son côté grisant que pour son côté valorisant. Les changements deviennent

dès lors des défis ou des « occasions d’apprentissage » : on prend plaisir à se renouveler

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constamment, à « faire autrement », à « rebrasser les affaires », à réussir à s’adapter malgré

les multiples contraintes.

Un changement, ça emmène des fois de l’euphorie et d’autres fois, ça va amener des

grosses, grosses difficultés. Dans mon expérience, j’ai souvent réussi par contre à finir

par en trouver du plaisir.

Ce type de stratégies commande de bien connaître ses compétences, mais aussi d’avoir des

habiletés sociales et argumentatives importantes, en plus d’impliquer un investissement de

soi et de temps sans compter. Dans le concret, cela implique de « sortir de son bureau »,

d’aller vers les autres personnels afin de se faire connaître à travers le réseau social de l’école.

En ce sens, ce modèle de c.o. « entrepreneur » correspond assez bien avec le rôle du c.o.

promu par le Renouveau pédagogique et l’approche orientante.

Mais moi, je pense que, l’approche orientante, ça a quand même permis de défoncer

certaines barrières. […] Dans le sens que tu avais à travailler étroitement avec un ou

des profs pour développer un SAÉ, [situation d’apprentissage et d’évaluation] et je

pense que ça, ça a permis d’éclairer davantage ce que l’on peut faire dans la bâtisse.

[…] Moi, en tout cas, à date, toute ma carrière s’est enlignée de même : avec du

développement. Créer quelque chose de nouveau.

[Un participant s’adressant à un autre] Mais toi, tu es supérieur à moi pour ce qui est

d’aller voir un enseignant et de lui vendre l’orientation à cause que tu as fait de

l’approche orientante. [Beaucoup plus] Et l’inverse quand des enseignants ont vécu

un passage avec toi, ils ne reviennent jamais plus voir un conseiller d’orientation de

la même façon. Ils connaissent plus la job et ils voient à quel moment il peut intervenir

dans le dossier d’un jeune, entre autres, par rapport à la matière.

En ce sens, ce type de stratégies apparaît être valorisé par les c.o., à différents degrés selon

les personnes, et semble s’inscrire dans ce que l’on pourrait appeler un nouveau modèle

identitaire pour la profession plus axé sur les capacités individuelles à faire la promotion de

l’orientation. Pour ceux qui s’identifient à cette manière de faire de l’orientation, les efforts

à faire pour faire sa place dans le contexte de l’organisation actuelle du travail en milieu

scolaire sont possiblement moins pénibles que pour ceux qui s’identifient essentiellement à

un modèle de c.o. plus traditionnel. Ce dernier correspond davantage à ce que nous avons

décrit précédemment comme l’« idéal de métier » développé au cours de la formation

universitaire, c’est-à-dire un c.o. ayant des habiletés relationnelles de haut niveau mises à

profit dans un contexte d’accompagnement individuel des élèves éprouvant des difficultés à

s’orienter.

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Or, si ce type de stratégies semble relativement adaptatif pour certains, il semble

particulièrement pénible à mettre en œuvre pour d’autres. Le revers de cette stratégie est

qu’elle se met en œuvre individuellement et souvent dans un contexte où le choix n’existe

pas. En effet, le caractère « adaptatif » de ces stratégies est limité à ceux qui ont les intérêts,

les capacités, la personnalité et l’expérience pour y arriver. Il commande d’aimer « se mettre

en scène » – aller vers les autres, se vendre, argumenter, etc. –, en plus d’avoir les

compétences pour le faire, mais aussi d’avoir un contexte de travail et de vie relativement

favorable. Or, pour plusieurs, ce n’est pas le cas. Il ne s’agirait donc pas d’une simple

question de volonté ou de « capacité d’adaptation », contrairement à ce que le modèle de

« l’entrepreneur » pourrait laisser croire.

Et là, tout dépendant de ton style personnel à toi, de ta capacité d’adaptation, là, tu

peux vivre un certain plaisir ou un certain déplaisir tout dépendant de ce qui se déroule

au fil du temps là-dedans.

Il y a quand même une possibilité de s’autodéterminer, soit par ton attitude, soit par

ton expérience […]

J’ai constaté au fil du temps que ce n’est pas tous les c.o. qui sont assez entreprenants

pour être animateurs de façon fluide et volontaire. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Aussi, en plus d’être en renouvellement en ce qui concerne la nature de la tâche, de la place

et du rôle du c.o. en milieu scolaire, la profession est depuis quelques années en

renouvellement d’effectifs : les c.o. ayant le plus d’expérience prennent leur retraite et des

jeunes sont embauchés, du moins à contrat temporaire. Ces jeunes ont moins d’expérience,

se sentent moins solides, connaissent moins les rouages du système, en plus d’avoir un

emploi précaire au départ qui les amène à travailler dans plusieurs écoles à la fois. Le pouvoir

d’imposer ses idées n’est donc pas nécessairement le même que pour un ancien…

Moi, présentement, c’est plus ça mes difficultés parce que je n’en suis pas rendue à un

autre stade; je ne suis pas rendue au stade de nécessairement « dealer » avec mes

directions – parce que ce n’est jamais les mêmes, je ne travaille jamais avec les mêmes

personnes. Et par rapport à ça, moi, j’ai de la misère à leur dire non parce que je veux

faire mes preuves, je veux montrer que je suis bonne.

Dans le temps, j’étais temporaire, je me tenais les fesses serrées et je faisais ce qu’on

me disait de faire parce que je voulais être engagée pour un contrat après. J’ai été 4

ans sous contrats à me dire : « il faut que je fasse ce qu’ils me disent ».

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De plus, puisqu’il s’agit de stratégies individuelles, les efforts sont constamment à reprendre

lorsque le milieu change de directions d’école – ce qui semble-t-il est très fréquent – ou que

l’on change de milieu. Dans un cas comme dans l’autre, la direction arrive avec sa conception

de ce qu’est un c.o. et de ce qu’il fait, selon son expérience. Certains estiment qu’il faut « se

réajuster » sans cesse, d’autres qu’il faut « s’imposer ».

Mais c’est sûr que, quand tu arrives à quelque part, c’est de se réajuster par rapport

aux autres. […] C’est impossible que tu sois complètement pareil à la personne qui

était là. C’est toujours des négociations – c’est un terme qui m’est familier – avec les

gens qui sont déjà là…

Je pense qu’il faut s’imposer à eux [les directions] parce que sinon ils vont nous

imposer des affaires.

L’efficacité de telles stratégies dépend aussi du type de direction en place : les directions de

style relativement « autocratique » ne sont pas nécessairement sensibles à ce genre de

stratégies… Or, pour « négocier », argumenter, convaincre, encore faut-il avoir la possibilité

de le faire…

Si tu changes de direction, tu dis : « bien, profitons-en, il n’a pas trop d’historiques le

gars ». […] C’est sûr que ça dépend toujours de la personnalité de la personne avec

qui tu fais affaire. Peut-être que, encore là, je suis bien tombé, c’est un monsieur qui

est bien fin…

Enfin, y a-t-il des limites à « s’adapter » de cette manière? Compte tenu de la fréquence des

changements dans le milieu scolaire et de l’investissement personnel requis par ce type de

stratégie, n’y a-t-il pas un risque d’exténuation à tant vouloir s’adapter?

Les directions te demandent ça; il faut que tu réagisses. Tu leur dis que tu n’as pas le

temps de réagir parce que tu as un train qui roule aussi pendant l’année. Ça fait que

toi, tu te demandes si ce n’est pas parce que tu ne veux pas réagir et que tu es contre

le système... Mais tout ça arrive en même temps et à un moment donné!

Ça devient essoufflant à un moment donné, ce côté-là, de toujours essayer de prouver

ce qu’on fait, ce qu’on peut faire, dans l’école, à quoi on sert...

En outre, ces stratégies dites d’« adaptation » participent peut-être, à son insu, à une

individualisation de l’organisation du travail et du rapport au travail. Elles reposent sur des

individus qui, un à un, doivent se débrouiller face aux contraintes organisationnelles qui les

dépassent, selon le constat réalisé dans cette enquête. Enfin, ceux qui s’identifient et

valorisent le modèle du c.o. « entrepreneur de soi » ne participent-ils pas de manière impensée

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à la marginalisation de l’orientation plus traditionnelle, en relation d’aide individuelle à

l’élève? Ne deviennent-ils pas un argument pour les directions d’école pour imposer aux c.o.

(à tous les c.o.) des manières de « faire autrement » qui veulent dire en fait « faire plus avec

moins »?

Pourquoi, on est toujours obligé de se battre pour notre place? […] J’ai beau lui

expliquer mon, notre rôle, ce qu’on fait avec les élèves : ça ne passe pas, on n’est pas

rentables. On n’est pas rentable. (Intervieweur : Même si tu argumentes, même si tu…)

Ça ne change pas. Non, eux autres, il faut que ça soit efficace. Il faut que ce soit

efficace.

Compte tenu des limites de ces stratégies individuelles, que faire alors pour faire face aux

contraintes d’organisation du travail et face à la souffrance qu’elles génèrent?

7.4.3. Apprendre à aimer son travail

Lorsque l’on a tenté de s’adapter en « influençant » l’environnement, mais que cette tentative

s’est révélée un échec pour différentes raisons, ou simplement lorsque ce type de stratégies

« proactives » ne cadre pas avec ses possibilités personnelles ou contextuelles, comment

arriver à tenir malgré les contraintes d’organisation du travail? Le deuxième type de stratégies

dites d’« adaptation », repéré dans les propos des participants à l’enquête, a pour fonction

principale de « sauver les meubles » et de tenter de se plaire dans l’environnement tel qu’il

est, à défaut de pouvoir le changer. Il s’agit dès lors de se conformer à ce qui est donné

comme tâches par les directions, de répondre tel que tel aux attentes, de s’accommoder, ou

d’accommoder les directions, voire d’obtempérer, et de regarder le positif dans les situations

de travail130.

130 Toujours en référence à la typologie de Holland (1966), certains participants estiment que ce type de

stratégies cadre bien avec les types « Social » (préférer travailler en contact avec des personnes ou les aider) et

« Conventionnel » (préférer travailler de façon méthodique, selon des normes établies). Ce sont des

caractéristiques personnelles historiquement majoritaires dans la profession de c.o., contrairement au type

« Entreprenant » (préférer décider, superviser, influencer ou persuader des personnes), qui serait apparu plus

récemment, selon les participants.

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Et là je me dis : « okay, je vais faire ce que je peux avec ce mandat-là et je vais lui dire

ce qu’il veut entendre ». Mais je fais ce que je peux… Moi, c’est clair, tout de suite

quand ils m’ont engagée, j’ai dit : « ah, je joue un double jeu ».

Un élève me demande pour avoir un papier de fréquentation scolaire et le papier qui

prouve qu’il est bien à l’école, pour qu’il puisse obtenir sa carte d’autobus. Moi, je me

déplace, comme conseillère (Autre participant : Pour ça!) Pour ça! Et là je suis

comme : « Quand même, come on!». Mais c’est comme ça que je me fais connaître et

cela fait partie de mes tâches : on appelle la conseillère d’orientation quand on veut

avoir un papier pour les assurances […]. Je suis là, et je chiale, mais je le fais!

Conscients de jouer ce « double jeu », on est tout de même tentés d’accepter des tâches plus

ou moins en dehors de son champ professionnel pour préserver sa place dans l’organisation.

Moi je me dis : n’est-on pas mieux d’être considérés comme indispensables (Autre

participant : pour l’organisation) et qu’ils jugent que c’est juste toi qui peux faire cette

tâche, même si ce n’est pas tout à fait une tâche de c.o., mais elle est comme identifiée

au c.o. – c’est lui qui la fait le mieux dans l’organisation – plutôt que de dire « non »

et là, tu la perds.

Pourquoi on ne se met pas dans les dossiers indispensables? Ils vont nous voir

indispensables! Mais est-ce qu’on veut vraiment les faire compte tenu quand on a

décidé d’aller en orientation et qu’on veut faire de la relation d’aide?

Les c.o. nouvellement embauchés sont dans une posture d’autant plus inconfortable, compte

tenu de la précarité d’emploi qui oblige encore plus à accepter des contorsions, voire des

entorses, au métier.

Souvent, ce sont les postes en début de carrière et le c.o. veut faire sa place. Il prend

tout ce qui passe, il ne dit pas un mot. Oui, ça crée un précédent là, mais tu sais en

début de carrière… […] Je me rappelle aussi quand j’ai commencé, j’ai pris ce qui

passait. Je ne commence pas à revendiquer mon poste et mes tâches en tant que telles.

Si ces accommodements sont « adaptatifs » dans le sens où les c.o. peuvent effectivement

continuer de travailler, rester « normaux », en réduisant l’impression d’« inadéquation », ce

type de stratégies nous apparaît se situer plus clairement du côté défensif puisqu’elles visent

en quelque sorte à endiguer la souffrance générée par l’organisation du travail. En

concomitance, ces stratégies agissent subrepticement sur le plan de l’identité professionnelle

de métier, car elles constituent, dans les faits, une posture de repli, de protection par défaut.

Ou peut-être ce que je peux faire, c’est faire ma petite affaire. Dire : « je fais ça, je fais

ça, écœurez-moi pas! » Ça va être une autre possibilité parce que je ne me mettrai pas

à terre pour une organisation qui se fout complètement des professionnels. Je ne me

mettrai pas à terre. (Intervieweur : C’est comme ça que tu te sens.) Ça ne donne

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absolument rien de se mettre à terre. Je me suis mise à terre, ils m’ont remplacée, et

ils sont venus me dire un petit bonjour quand je suis revenue. Ils se foutent

complètement des professionnels. Et du monde en général dans le milieu scolaire. C’est

comme une mini entreprise.

Or, une posture où l’on sacrifie le plaisir du travail au seul profit d’avoir un emploi serait

inacceptable pour des c.o. dont l’idéal de métier vise à permettre aux gens de trouver une

formation et un métier dans lequel ils sont heureux. Ainsi, ce type de stratégies de repli

s’accompagne d’une certaine injonction à « trouver son bonheur » dans ce qui est donné, à

chercher à « aimer son emploi », en espérant repousser la souffrance derrière ce

contentement.

La satisfaction au quotidien, je trouve ça super important au travail, dans notre travail

précisément et en plus on prêche un peu par l’exemple. On dit aux gens, aux jeunes,

« il faut que tu sois heureux au travail ». Si tu ne l’es pas toi-même, il y a un petit

problème!

Ma philosophie c’est « j’essaie d’apprendre à aimer ce que je fais ».

À défaut d’avoir une tâche qui nous convient, des mandats dignes de professionnels de

l’orientation, on « relativise » le rapport à la tâche pour éviter d’être constamment en combat,

en colère, en train de « chialer »… Bref, on recadre de manière à voir le verre à moitié plein,

qui se compose essentiellement des conditions d’emploi et du climat social positif. Le climat

social joue, semble-t-il, un rôle particulièrement important pour « compenser » une

organisation du travail agressante.

Parce que quand tu te rapproches de la retraite, tu te dis : « qu’est-ce que je vais me

souvenir de ces années-là? » Tu te souviens toujours des écoles où il y avait un esprit

de corps, où il y avait du plaisir […] au niveau relationnel.

Et malgré tout, même si on vit des insatisfactions, somme toute, moi je vis plus de positif

à aller travailler que de négatif. Et j’aime ma job. Et, oui, il y a des gens agréables. Et

moi, je trouve que, dans les dernières années, même s’il y a des bouts qui ont été plus

difficiles, j’ai travaillé aussi à aller me chercher du plaisir au travail.

Ce couple « accommodement / recadrage » qui se traduit par « apprends à aimer ce qu’on te

donne » constitue le second sens donné par les c.o. à la notion d’« adaptation ». Ce type de

stratégies semble s’inscrire lui aussi dans les valeurs de la profession – trouver les moyens

pour être heureux au travail – et se transmettre entre collègues.

Je ne suis pas allée à l’université pour écrire six fois le nom d’un élève, mais dans le

moment, ça fait partie de ma tâche. (Autre participant : Exactement.) Bien, je le fais!

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Et je me dis : « pendant ce temps-là, je peux penser à d’autres choses ». (rire) Et je

fais d’autres choses que j’aime, par contre. […] J’essaie plutôt de m’adapter, d’aimer

ce que je fais.

Or, en acceptant la place assignée dans l’organisation réelle du travail, qui relève en grande

partie d’un rôle administratif, composée de tâches cléricales, on contribue au sacrifice effectif

de l’idéal d’un métier « professionnalisé ». En apprenant à « aimer la tâche qui nous est

donnée », sans égard au niveau de responsabilités et d’autonomie qui reviennent

normalement aux professionnels, on endigue certes la souffrance occasionnée par ce

sacrifice, mais on renonce au plaisir d’être un professionnel. En sacrifiant la « relation à

l’élève » et en la reléguant au rang d’idéal inatteignable, irréalisable, on renonce également

à ce qui a marqué une tradition de cette profession. A contrario, la résignation semble

s’accompagner d’une certaine « idéalisation » défensive de la « relation à l’élève » qui fait

l’économie d’une juste analyse de la relation d’aide, car il ne doit pas être toujours facile, ni

même agréable, d’accompagner des personnes – en l’occurrence des jeunes – des

adolescents, dans un cheminement ardu, pour lequel ils ne veulent pas toujours se faire aider.

Du moins, la polarisation franche et nette, dans le discours, entre « l’élève » source de plaisir,

et « l’organisation » source de souffrance, laisse croire à une telle hypothèse de défense.

Quand on est à l’université, le client c’est le jeune […] Ils [les jeunes] sont toujours

du côté du plaisir. […] Pour moi, le client est toujours source de plaisir, ou en tout

cas, je n’ai jamais eu de non-plaisir à ce niveau-là ou de souffrance.

Je suis d’accord avec toi parce que la source de plaisir vient des élèves qu’on

rencontre, qu’on voit évoluer et le déplaisir vient de l’environnement […] Ce sont des

résistances : on arrive avec des réformes, on arrive avec des changements, c’est ça qui

devient des sources de souffrance. Ce n’est pas l’élève. (Autre participant : Non, ce

n’est jamais lui.)

L’élève; on est content de l’avoir dans notre bureau donc […] ça [la souffrance] ne

vient jamais de l’élève.

Bref, compte tenu du peu d’« accès aux jeunes » dans le réel, n’y a-t-il pas une certaine

survalorisation de la relation à l’élève qui ferait office de mirage, permettant de tenir le coup,

malgré les contraintes de l’organisation du travail, et que l’on ne veut pas voir s’effriter, sous

peine de perdre espoir?

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7.4.4. Une culture professionnelle marquée par l’adaptation : à la source des règles

défensives

La découverte la plus intéressante de la psychodynamique du travail est probablement

l’existence de stratégies collectives de défense (Molinier, 2008). Si nous ne pouvons parler

ici de stratégies « collectives » proprement dites compte tenu de l’individualisation de la mise

en œuvre des stratégies (il n’y a pas de collectif de travail en tant que tel, travaillant de concert

au quotidien), la dimension collective se traduit via une culture professionnelle dans laquelle

semblent s’inscrire ces stratégies. Malgré que la souffrance s’éprouve individuellement, la

lutte contre la souffrance peut impliquer des « règles défensives » construites collectivement

autour de valeurs, croyances, conduites et attitudes à mettre en œuvre pour pouvoir incarner

le métier. Comme le souligne Molinier (2008), elles constituent une certaine forme

d’inconscience sociale propre à une culture de métier spécifique. Or, l’adaptation semble

constituer une valeur constitutive de la culture professionnelle des c.o. qui nous apparaît

comme le trait d’union entre les différentes stratégies déployées, la source à la laquelle elles

s’inspirent et qui justifie son utilisation. L’adaptation peut même devenir une norme à

laquelle il faut s’aligner sous peine d’être exclus. C’est ce qui fait en sorte que l’adaptation

en soi n’est pas remise en question au regard des effets réels qu’elle peut produire : c’est

lorsqu’elle devient en quelque sorte un angle mort du métier — s’adapter pour s’adapter —

qu’elle risque de générer des effets pervers. Cette enquête fut une occasion d’éclairer cet

angle mort pour examiner lucidement les tenants et aboutissants d’une telle norme et des

stratégies qu’elle génère.

Prises individuellement, on peut comprendre la nécessité et la portée de ces stratégies qui

permettent de trouver son compte dans son emploi. Toutefois, ce qui apparaît

individuellement comme des « adaptations » le sont-elles au regard du devenir de la

profession en milieu scolaire, de la « souffrance professionnelle » que nous avons évoquée

ci-avant? En fait, les c.o. semblent tellement bien « s’adapter » individuellement que

l’organisation à la source de la souffrance continue de persister, voire de se dégrader. Certains

entrevoient les revers de ces stratégies…

Je me dis : « Mon Dieu, qu’on est-tu fins! » (Autre participant : On s’adapte)

Je pense qu’on est fins. (Autre participant : Oui, un petit peu trop.) Naïfs aussi. Là, je

sors le mot prostitution…

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En s’adaptant personnellement (individuellement) de la sorte, on participe peut-être

inconsciemment au problème collectif de l’insertion et l’intégration du c.o. dans

l’organisation actuelle du travail scolaire. D’une part, que ce soit en adoptant le modèle du

c.o. « entrepreneur » au point de s’éloigner de ce qui apparaît être le cœur du métier

(accompagnement et relation d’aide individuelle à l’élève), ou en acceptant des tâches

« organisationnelles » qui ne devraient pas relever du c.o. (apprendre à aimer ce qu’on nous

donne), on en vient à participer à la confusion relative au rôle du c.o. en milieu scolaire,

confusion que l’on dénonce par ailleurs… D’autre part, en maintenant intacte une

organisation du travail adaptée à la pensée comptable, on camoufle les problèmes et on

empêche l’action collective de se mettre en marche (p. ex., pour avoir plus de c.o., pour avoir

plus de « temps » pour faire le travail pour lequel on devrait être réellement assigné).

Ainsi, quel prix ces stratégies d’adaptation individuelles comportent-elles sur la profession

de c.o.? Au final, l’école (orientante?) répond-elle réellement aux besoins d’orientation des

jeunes?

« Je n’envoie pas mon enfant au c.o. au secteur jeune, il n’a pas le temps de rencontrer

mon jeune, il n’a pas le temps de le rencontrer 3-4 fois ». Et il a raison! (Autre

participant : C’est-tu vrai, qu’on n’a pas le temps?!) C’est vrai qu’il n’a pas le temps!

Ces stratégies ne contribuent-elles pas indirectement à un dénigrement de ce qui se fait par

les c.o. en milieu scolaire par leurs collègues d’autres secteurs?

Mais même plus loin que ça, le côté counseling, moi, c’est rare que je peux faire 2,3, 4

rencontres avec un élève. Et quand on a nos cours en orientation, on est supposé en

faire plus. On est supposé faire 3-4 rencontres, même cinq, au besoin, mais on ne peut

pas faire ça, on ne peut pas là. Donc, moi, des fois, j’ai l’impression que dans mon

travail, je tourne les coins ronds. Et là, on entend dire que « les c.o. au secteur jeunes,

ce n’est pas fort, ils ne prennent pas le temps de rencontrer les élèves, ils sont moins

bons qu’au privé ». Ça, on l’entend, moi, je l’entends souvent et je l’entends encore.

Enfin, qu’arrive-t-il de ceux et celles qui n’arrivent pas à devenir « entrepreneurs » de leur

pratique ou à « apprendre à aimer » ce qui leur est donné comme tâches? À défaut d’y arriver,

il semble qu’il faille au moins avoir la volonté de s’adapter, de montrer aux autres c.o. que

l’adaptation constitue, pour soi aussi, une valeur importante. Et les collègues qui refusent de

s’« adapter » de la sorte, sont-ils toujours dignes d’être c.o.? Ou devraient-ils changer de

profession pour en trouver une plus « adéquate » à leurs intérêts, aptitudes, valeurs,

personnalité? Ou à tout le moins de « milieu » de travail ou de « secteur » de pratique? Ou

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ne faudrait-il pas les écouter pour mieux comprendre la souffrance incluse dans ce refus

d’être instrumentalisés, voire manipulés? Maintenir l’adaptation à tout prix comme seul

horizon possible risque de participer à l’exclusion d’un certain nombre de c.o. du secteur

scolaire.

Bref, les stratégies qui paraissent adaptatives du point de vue individuel peuvent avoir de

multiples effets pervers sur le plan collectif et de la profession… Pour sortir de cette impasse,

une prise de parole de métier apparaît nécessaire pour revendiquer collectivement une place

dans l’organisation du travail qui soit cohérente avec l’idéal de métier, au-delà des décisions

arbitraires qui n’ont pas ces préoccupations.

7.4.5. De l’adaptation à la transformation?

En concomitance avec la tenue de cette enquête de psychodynamique du travail, les c.o. d’une

des deux commissions scolaires ont décidé de participer activement à une réorganisation des

services d’orientation. Ils envisageaient d’intervenir concrètement et rapidement sur un des

aspects de l’organisation du travail qui posait particulièrement problème, c’est-à-dire de

pouvoir facilement avoir accès aux jeunes en classes et de leur fournir ainsi une occasion

formelle de transmission de l’information scolaire et professionnelle. De plus, ils ont

formellement demandé d’engager des c.o. pour diffuser l’ISEP en classes, plutôt que de miser

sur une approche orientante dans les classes qui, globalement, ne fonctionnait pas. Sans être

une panacée, cette proposition constitue une mesure afin d’éviter d’avoir constamment,

individuellement, à « quêter » du temps aux enseignants pour « accéder » aux élèves.

Dans la prochaine réorganisation, c’est ça qu’on est en train de remettre sur pied. Un

nombre X de périodes où il va falloir que les enseignants se tassent. (Autre participant :

Il faut entrer en classe là!) […] Ce n’est pas vrai qu’on va faire de l’orientation le

samedi matin!

Dans l’autre commission scolaire, des représentations ont également été faites pour informer

les gestionnaires de l’état problématique de l’orientation au secondaire, de l’essoufflement

des c.o. en raison des tâches qui s’accumulent. À suivre.

Évidemment, l’action collective de métier demande elle aussi son lot d’énergie et ne s’inscrit

peut-être pas dans la culture professionnelle des c.o.. Toutefois, compte tenu de la dynamique

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308

révélée par cette enquête, peut-être constitue-t-elle une alternative plus porteuse que

l’adaptation individuelle pour restaurer la place de l’orientation dans une école apparemment

« désorientée »...

7.5. Conclusion de l’enquête

Les témoignages réalisés dans le cadre de cette enquête de psychodynamique du travail

dressent un portrait de l’école comme une organisation de plus en plus tournée vers

l’économique, vers la reddition de comptes, un milieu où les changements se multiplient, où

les besoins se multiplient et engendrent une charge de travail qui ne s’efface pas dans un

« faire autrement », une organisation qui n’apprend pas de ses erreurs, qui n’a pas de

mécanismes de transfert des connaissances. Qu’en est-il de la profession de conseiller

d’orientation dans ce contexte? Et qu’arrivera-t-il à la profession dans un avenir rapproché?

Les participants ont dressé un portrait d’une profession frappée par des changements

successifs et rapides, passant d’une époque où elle occupait un rôle primordial, une place

centrale, au cœur de l’éducation, à une autre marquée par la prédominance du counseling

individuel, jusqu’à l’heure actuelle où l’approche orientante et le Renouveau pédagogique

prescrivent de nouvelles façons de travailler. Le portrait du contexte de travail des c.o.

dépeint dans cette enquête donne à voir les difficultés de cette profession à se faire une place

dans l’école actuelle; les participants témoignent être relégués à accomplir des tâches

cléricales et administratives et contraints à faire du travail d’orientation à moitié ou pas du

tout, ou en posture de devoir ramasser des pots cassés. Bref, d’un rôle professionnel riche et

autodéterminé et une place reconnue comme centrale, les c.o. sont peut-être passés à un rôle

instrumentalisé – qui n’est pas vraiment le leur – une place périphérique, voire accessoire,

occupée dans l’ombre.

Je pense que ça nous dévalorise, mais on a perdu notre place, notre rôle parce que

l’orientation en général est disparue. On a perdu l’ECC, l’approche orientante n’a

jamais abouti à quelque chose. Ça fait que, finalement, l’orientation, ça ne sert à rien.

Pourquoi le c.o. est là? Bien le c.o. est là pour remplir des papiers.

On est en train de se redéfinir donc le défi est là, c’est de refaire sa place.

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309

L’organisation du travail, déterminée dans la contingence et l’urgence par des directions

d’école est caractérisée par une grande polyvalence qui contribue possiblement à une

déqualification statutaire et opérationnelle de la profession de c.o., voire, ici aussi, à sa

marginalisation ou même à un déni de la place du c.o.. Si elles permettent de s’en sortir

individuellement, ou au moins de sauver sa peau, les stratégies individuelles marquées par

une volonté de s’adapter malgré tout à l’organisation du travail pour faire face à la souffrance

participent insidieusement à ce processus de marginalisation de la profession puisqu’elles

n’interviennent pas à la source du problème. L’organisation du travail et les stratégies

défensives s’alimentent ainsi dans une spirale dont les voies de sortie apparaissent

difficilement. Il semble toutefois y avoir un désir de transformation de l’organisation du

travail animé par un espoir de changement.

Plus globalement, il nous est apparu que, dans le contexte actuel, la « fonction » orientation

de l’école est en train d’être marginalisée dans l’organisation du travail scolaire, au point où

elle se réduira peut-être comme une peau de chagrin. Pourtant, les c.o. rencontrés demeurent

toujours aussi convaincus de la pertinence sociale de leur profession dans les écoles et de la

contribution riche et essentielle qu’elle apporte aux jeunes, notamment dans cette période où

l’orientation prend de multiples sens.

Dans le rapport Parent, le pilier du système scolaire, c’est le conseiller d’orientation.

Mais on a toujours ce rôle-là! Je suis convaincue! C’est juste que… les gens ne le

voient pas tout le temps. (Autre participant : Il faudrait le dépoussiérer ce rapport-là!

Ce serait intéressant) Oui, peut-être. On est toujours les piliers. […] Je suis sûre que

si on disparaissait tout à coup, il y aurait… ça branlerait! (Autres participants : il n’y

aurait plus d’inscriptions d’ici la fin de l’année. On fermerait l’année prochaine!) Il

n’y aurait plus personne dans les classes! (rires) Mais j’en suis encore convaincue : à

la fois notre rôle social, notre rôle individuel, notre rôle au niveau de l’organisation.

Dans le fait qu’on touche un petit peu à tout, et un petit peu à rien, c’est comme si, en

même temps, ce qui est intéressant c’est ce qui nous nuit. Mais on dirait qu’on est pris

là-dedans…

La profession dans son entier semble vouloir se repositionner sur l’échiquier des professions

au Québec. Si certains estiment que le « Projet de Loi 21 » (Loi modifiant le Code des

professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des

relations humaines) risque de trop restreindre la reconnaissance de leur expertise

professionnelle, d’autres y voient une opportunité de restaurer le professionnalisme qui

caractérise la profession de c.o. et de recentrer l’expertise sur la relation d’aide.

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310

Et maintenant?

Cette enquête de psychodynamique peut constituer une contribution intéressante vers une

prise de conscience collective à l’échelle de la profession à l’effet de la nécessité de

réaffirmer fermement la place de l’orientation et du counseling dans les écoles et d’insister

auprès des autorités pour qu’elle soit respectée. Pour ce faire, il faudrait qu’une prise de

conscience de l’inefficacité des stratégies défensives individuelles à l’œuvre actuellement se

fasse en concordance avec une action proactive d’affirmation identitaire dans l’organisation

du travail scolaire. Comme le souligne Dejours (2008) à propos des suites d’une enquête de

psychodynamique du travail : « C’est d’un double mouvement, de transformation de

l’organisation du travail et de dissolution des systèmes défensifs, que peut naître un meilleur

rapport santé mentale-travail. » (p. 190)

7.6. Épilogue

Lors de la quatrième rencontre de cette enquête, les participants ont lu le rapport clinique

dans une optique de valider et de nuancer l’analyse co-construite avec les chercheurs qui y

était consignée. Au-delà de quelques corrections mineures, lesquelles ont été intégrées, les

participantes et participants du groupe d’enquête ont entériné l’analyse présentée dans ce

rapport. Cela dit, la lecture des propos a néanmoins suscité son lot d’émotions au sein du

groupe, dont nous aimerions faire part ici dans une optique de transparence clinique.

Dans l’ensemble, les participants étaient à la fois enchantés et stupéfaits de voir par écrit des

situations pénibles de travail vécues par plusieurs depuis longtemps. En effet, ils ont été

enchantés que leurs propos aient été compris et rendus avec justesse par écrit, mais stupéfaits

de constater à quel point, condensé de cette manière131, leur témoignage rend compte de

manière aiguë des difficultés vécues dans leur travail. Néanmoins, la lecture de cette

description de la dynamique souffrance / plaisir dans le travail a ravivé, pour plusieurs, une

certaine souffrance liée aux situations de travail en question, souffrance prenant des

131 Rappelons que leur témoignage s’est déployé sur trois rencontres totalisant neuf (9) heures de discussion.

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manifestations diverses : fatigue, déchirement, tristesse, découragement, colère… De même,

l’analyse des stratégies défensives semble avoir conscientisé les effets pervers qu’elles

peuvent induire. Certains se sont sentis atterrés de constater que les « recettes de survie »

mises en place par les c.o. rencontrés avaient pour effet de renforcer l’opérationnalisation

d’une organisation du travail dérivée d’un système « néolibéral » fondé sur la compétition

entre les travailleurs et engendrant un « individualisme » qui vulnérabilise la santé mentale.

Triste constat pour des c.o. de réaliser qu’un métier comme le leur puisse comporter des

risques pour la santé mentale.

Par ailleurs, au-delà de cette souffrance, les participants ont exprimé un désir qu’il y ait une

suite à cette enquête pour éviter que ce rapport « reste sur une tablette ». Le groupe de

participants a ainsi discuté de plusieurs possibilités de suites à donner et aussi des

appréhensions que ces possibilités pouvaient générer.

D’abord, il y avait cette volonté, chez des participants de chacune des deux commissions

scolaires, d’intégrer les résultats de cette enquête dans une action conduite par un comité,

lequel aurait pour mission d’explorer des pistes d’amélioration des contextes de travail dans

une optique de prévention des problèmes de santé mentale au travail. Si, pour certains, cette

enquête pouvait constituer une base de réflexion sur les actions à poser pour améliorer les

contextes de travail, d’autres ont émis des réserves quant à une diffusion publique des

résultats sous forme de rapport clinique.

Du côté des directions et de leurs collègues psychoéducateurs, pris hors contexte,

ce rapport pouvait être pris sur le mode « personnel » et provoquer des réactions

qui ne sont pas souhaitables.

Du côté des ressources humaines, les probabilités s’avéraient faibles que les

responsables s’en servent de manière adéquate.

Du côté de leurs collègues conseillers d’orientation, le côté incisif du rapport

risquerait non pas de mobiliser vers une action collective, mais plutôt d’avoir

l’effet inverse, c.-à-d. raviver une souffrance à laquelle ils ne seraient pas

préparés, contrairement au groupe de participants à cette enquête.

Les participants voulaient entre autres s’assurer que la diffusion des résultats se fasse de

manière à ne pas les vulnérabiliser encore davantage et éviter aussi d’induire des effets

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indésirables pour leurs collègues et leur milieu de travail en général. Le groupe a donc

proposé de faire une synthèse du rapport afin de pouvoir diffuser des résultats à l’interne (au

sein de chacune des deux commissions scolaires). Il a aussi été suggéré que cette synthèse

soit accompagnée d’une « amorce de solutions ».

Du point de vue des chercheurs, cette délibération des participants sur le « devenir » des

résultats de cette démarche d’enquête au sein de leurs milieux de travail était tout à fait

cohérente avec l’approche conscientisante de la psychodynamique du travail. Ceci étant dit,

les participants du groupe étant codétenteurs de ce rapport sont libres de l’utiliser comme bon

leur semble. Ils pourraient effectivement s’en servir pour fonder les actions d’un comité de

travail sur cette question, ou encore en faire une synthèse pour diffuser plus largement les

résultats. En conséquence, dans la poursuite de son mandat, le chercheur a offert son soutien

au groupe pour aller présenter des résultats de l’enquête dans les instances jugées appropriées

par les participants, ce qui a été fait.

Par ailleurs, les participants du groupe ont également montré un intérêt à ce que les résultats

soient diffusés plus largement au sein de leurs commissions scolaires et ailleurs. Compte tenu

de la situation décrite dans ce rapport, certains proposaient d’une part que les résultats soient

transmis à l’Ordre professionnel des c.o.. D’autre part, les participants souhaitaient que soient

conduites des démarches qui permettraient de valider, auprès de groupes de c.o. venant

d’autres commissions scolaires, la transférabilité de cette analyse. Conduites par le chercheur

principal, ces démarches donneraient, selon les participants, une crédibilité pour les actions

à mener au sein même de leurs propres commissions scolaires.

Codétenteurs de ce rapport, les chercheurs et le groupe de participants ont leur sphère

d’action respective dans les suites d’une telle enquête de psychodynamique du travail. Pour

sa part, l’auteur de cette thèse a la responsabilité de diffuser les connaissances produites dans

le cadre de ce dispositif via des communications orales et écrites dans des tribunes

académiques et professionnelles. Quant aux participants, ils ont la possibilité de se servir de

ce document comme levier d’action de prévention des problèmes vécus dans le travail. Ainsi,

s’il peut être considéré comme « point final » à cette enquête, le rapport pourrait aussi

constituer un « point de départ », selon ce que les uns et les autres décideront d’en faire.

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313

PARTIE 4

Clinique du travail et souffrance identitaire de métier :

une discussion synthèse

Stress, détresse, épuisement, dépression, impairment, ces manifestations d’une détérioration

de l’état de santé mentale des conseillers d’orientation en milieu scolaire sont inquiétantes.

L’examen des approches explicatives recensées dans les écrits scientifiques nous a permis de

repérer des enjeux importants à explorer dans la compréhension de la souffrance au travail.

Pouvoir tenir une identité professionnelle de métier claire et reconnue, avec des rôles et des

pratiques professionnelles en concordance avec les règles du métier, voilà sans doute un

premier enjeu déterminant de la santé mentale des c.o. Restait, selon nous, à explorer la

dynamique entre l’identité professionnelle de métier et la souffrance au travail à partir d’un

point de vue qui tienne compte de la complexité de l’exercice d’une profession dans un

contexte de travail comme celui de l’école.

Étudier cette dynamique complexe nécessitait une approche qui s’attarde à l’expérience

vécue du travail dans un cadre d’élaboration qui permet l’exploration de la dimension

collective reliée à l’exercice réel de la profession. Aussi, analyser la souffrance au travail

requiert une sensibilité particulière aux dimensions éthiques de la recherche. L’approche de

recherche-action, qui sous-tend la clinique du travail, s’est révélée spécialement indiquée

compte tenu de l’éthique émancipatoire inhérente aux recherches réalisées avec des sujets

désireux que des changements s’opèrent. La clinique du travail mise en place dans le cadre

de cette thèse s’est appuyée sur une combinaison de deux corpus méthodologiques et

conceptuels : celui de la clinique de l’activité (Clot, 1999 ; Oddone, Re & Briante, 1981); et

celui de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008). Ces méthodes ont permis d’enrichir,

chacune à leur manière, la compréhension de la dynamique de souffrance identitaire de

métier.

Cette quatrième partie de la thèse (chapitres 8 et 9) est l’occasion d’opérer une triangulation

des résultats en mettant en discussion les apports respectifs et communs de chacun des corpus

théoriques et méthodologiques employés. Nous dégagerons des thèmes forts qui ressortent

de cette triangulation entre les résultats empiriques et la réflexion théorique mise en place

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dans les premiers chapitres de cette thèse. Le modèle conceptuel élaboré à la suite du cadre

théorique, au chapitre 3, servira de base pour cette triangulation visant à comprendre la

dynamique de souffrance identitaire de métier (voir figure 1). Au cœur de cette thèse se

trouve la souffrance identitaire de métier que nous avons définie comme un espace de lutte

psychique entre un désir de métier ou d’accomplissement du soi professionnel, et le réel du

travail qui fait obstacle qui fait qu’on ne reconnaît plus sa profession dans ce que l’on fait.

Le chapitre 8 discute des sources de souffrance identitaire de métier dégagées de l’analyse

de l’expérience du travail des c.o. des deux groupes, en portant une attention particulière aux

tensions entre les pratiques prescrites, les pratiques désirées et les pratiques effectives. Le

chapitre 9 examine quant à lui des stratégies mises en place pour faire face au réel du travail

et à la souffrance, permettant ainsi de compléter une lecture dynamique de l’expérience de la

souffrance identitaire de métier vécue dans le travail des conseillers d’orientation ayant

participé à cette recherche. Les forces et limites de la thèse seront également discutées au

neuvième et dernier chapitre.

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315

Chapitre 8 – Vers une compréhension intégrée de la souffrance

identitaire de métier des conseillers d’orientation en milieu

scolaire

L’objectif général de la thèse était de mieux comprendre la dynamique de la souffrance

identitaire de métier qui se joue dans l’expérience du travail des conseillers d’orientation en

milieu scolaire. Il s’agissait d’analyser les tensions entre les pratiques prescrites par le

système scolaire et la profession, les pratiques professionnelles désirées par les c.o. et les

pratiques effectives qui s’incarnent dans l’exercice du travail au quotidien. Tout ceci en

éclairant la dynamique entre le plaisir, la souffrance au travail et les stratégies défensives, à

la lumière des règles de métier issues du « genre professionnel » et du collectif de travail.

La réflexion entreprise dans cette thèse nous permet de tirer un certain nombre de points de

discussions à propos d’une dynamique potentiellement pathogène du côté de la santé mentale

au travail ou, pourrait-on dire, du côté de la santé de la profession en milieu scolaire. De fait,

lorsque l’on triangule les résultats issus de l’application des deux méthodes de recherche et

les éléments de la problématique, de la recension des écrits et le modèle conceptuel découlant

de notre cadre théorique, nous sommes en mesure de dégager quatre thèmes forts

anticipatoires de situations problématiques à ces deux niveaux (individuel et collectif) : 1) la

« désincarnation » du cœur de métier, qui traduit un « travail empêché » et une impuissance

de faire du monde une œuvre qui répond à son désir de métier; 2) la déprofessionnalisation

du travail, qui réfère au processus de dépossession effective des c.o. de leur statut de

professionnel; 3) la déconsidération professionnelle, qui renvoie aux difficiles rapports

sociaux du travail dans leur dimension positionnelle-sociale; et enfin 4) le déficit collégial,

qui montre comment les c.o. naviguent entre isolement professionnel et recherche de

convivialité.

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8.1. La désincarnation du cœur de métier : une mise à mal du sens de

l’orientation en milieu scolaire

Comme les sciences de l’orientation l’ont montré depuis nombre d’années, le bien-être au

travail passe entre autres par une activité professionnelle qui répond aux intérêts, aux

aptitudes, et aux valeurs de l’individu; bref une activité professionnelle qui a du sens pour

lui. Les conseillers d’orientation ont choisi ce métier pour des raisons qui leur sont à la fois

singulières et communes. Ainsi, la formation universitaire pour exercer ce métier contribue

à façonner des pratiques désirées. Au-delà du désir individuel, il existe des pratiques désirées

partagées par les conseillers d’orientation en milieu scolaire. L’analyse de l’expérience du

travail des c.o. par les deux démarches de clinique du travail a permis de dévoiler des

pratiques désirées partagées par les conseillers d’orientation ayant participé à la recherche.

Trois éléments importants au regard du désir de métier ont été identifiés : 1) la relation d’aide

et l’accompagnement personnalisé; 2) le travail direct avec les élèves; et 3) le développement

vocationnel des jeunes. Ces pratiques désirées partagées dressent les contours d’un « cœur

de métier ». Le cadre théorique de cette thèse soutient l’idée que la confrontation de ce désir

avec le réel du travail constitue la source première de la souffrance au travail, confrontation

qui, lorsqu’elle persiste dans le temps, peut engendrer une souffrance pathogène. Or, les

résultats de notre recherche mettent en évidence ces pratiques désirées et la manière dont

l’organisation du travail effective empêche leur réalisation. C’est pourquoi nous utilisons le

terme de « désincarnation » du cœur de métier, dans la mesure où il devient difficile pour les

c.o. d’« incarner » le cœur de métier, de le faire vivre dans une activité réelle, concrète, qui

se déploie en chair et en os. Chacun de ces axes des pratiques désirées sera mis en perspective

par rapport aux pratiques effectives et aux pratiques prescrites (professionnelles et

organisationnelles) pour comprendre l’expérience vécue du travail.

8.1.1. La relation d’aide et l’accompagnement personnalisé : des activités empêchées

Selon les résultats de notre recherche, il semble que les conseillers d’orientation aient

intériorisé la relation d’aide et l’accompagnement personnalisé des élèves comme un désir

de métier passablement partagé. La socialisation professionnelle introduit la modalité de

« relation d’aide » individuelle comme partie centrale de l’idéal de métier, ce qui apparaît

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partagé par les conseillers d’orientation psychologues en France (Fernandez & Malherbe,

2007). Cette modalité d’aide implique de prendre le temps de créer une relation qui permette

une alliance de travail suffisante pour prendre en compte le fonctionnement psychologique

des personnes afin de les aider à surmonter leurs impasses.

Il faut dire que cette modalité d’intervention prend une place significative dans l’histoire de

la profession, surtout depuis les années 1980 selon Mellouki et Beauchemin (1994a), et au

sein des institutions régulant la pratique professionnelle (pratiques prescrites), en

l’occurrence les programmes universitaires qui dispensent la formation en orientation, ainsi

que l’Ordre professionnel. Dernièrement, c’est précisément cette pratique de « relation

d’aide » qui a permis à la profession de c.o. de se voir « réserver » des actes au sein du

système professionnel québécois, ce qui, pour plusieurs, constitue une avancée considérable

en termes de professionnalisation et de reconnaissance sociale.

Dans le réel de la pratique, la clinique de l’activité et l’enquête de psychodynamique du

travail révèlent toutefois des contraintes auxquelles les c.o. font face qui rendent difficile,

voire empêchent carrément la mise en place de cette « relation d’aide » individualisée aux

élèves. Les deux volets de la recherche mettent en évidence des pressions du temps qui font

en sorte que les c.o. doivent réaliser leur accompagnement dans un temps contraint, soit par

la surcharge de travail (accumulation de mandats ou nombre très élevé d’élèves à rencontrer),

soit par des consignes explicites en ce sens (limite de 30 minutes par rencontre au lieu de 50

minutes). S’ajoutent à ces pressions du temps des pressions à l’efficacité, voire à la

rentabilité, qui s’inscrivent en droite ligne avec les orientations politiques guidant la direction

du système d’éducation actuel. L’acte de « relation d’aide », et plus encore dans sa modalité

individuelle, peut alors constituer une perte de temps aux yeux des directions d’école, les

valeurs comptables entrant en contradiction frontale avec les valeurs humanistes, ce qui est

également relevé comme source de souffrance identitaire au travail par l’étude de Harris

(2009).

Chacune à sa manière, les deux méthodes utilisées montrent comment ces pressions marquent

les pratiques effectives et l’expérience du travail des c.o. L’enquête de psychodynamique du

travail révèle une souffrance liée au fait de servir de courroies de transmission pour les

besoins du système au détriment du travail de relation d’aide. C’est un point de pénibilité

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relevé également dans l’étude de Hearne (2012). D’autre part, la clinique de l’activité montre

comment, face aux pressions du temps et à l’efficacité, les c.o. font en sorte d’ajuster leur

pratique de manière à répondre le mieux possible aux prescriptions professionnelles et à se

rapprocher des pratiques désirées. De fait, les instructions illustrent comment les c.o. tentent

de profiter de toutes les occasions possibles (p. ex., rendre orientantes les rencontres de choix

de cours) pour aider les élèves à avoir une représentation plus fidèle d’eux-mêmes et de la

vie professionnelle et à mobiliser leurs ressources pour se mettre en action. En ce sens, ils

rejoignent la définition du champ d’exercice selon laquelle les pratiques d’orientation

devraient aider à « rétablir l’autonomie socioprofessionnelle » des personnes dans la

réalisation de leur projet de carrière (ou développer leur capacité à s’orienter eux-mêmes).

Néanmoins, ils se sentent pressés dans cette manière de faire, et sentent qu’ils pressent les

élèves, ce qui n’est pas facile à porter sur le plan éthique. En fin de compte, ils aimeraient

eux aussi, pour la grande majorité, pouvoir réaliser du « beau counseling », de « vrais

processus d’orientation » qui se déploient dans un temps suffisamment long pour tenir

compte de l’expérience unique de chacun des élèves. Tout cela questionne l’applicabilité des

notions de « relation d’aide » et d’accompagnement personnalisé en orientation, supposées

caractériser la pratique des c.o., dans un contexte institutionnel et organisationnel qui n’offre

pas les conditions objectives (en temps, en autonomie) pour ce faire.

8.1.2. Le travail direct avec les élèves menacé

Le travail direct et l’engagement envers les jeunes sont reconnus pour être la principale

source de plaisir des conseillers d’orientation en milieu scolaire (Bardhoshi, 2012;Cervoni &

DeLucia-Waack, 2011; DeMato & Curcio, 2004; Evans & Payne, 2008; Harris, 2009;

Mathews, 2012). Les résultats de notre recherche abondent dans le même sens que ces écrits.

Toutefois, sur ce point, les deux volets de notre recherche mettent en évidence des types de

rapport aux élèves qui apparaissent assez distincts.

L’enquête de psychodynamique du travail révèle une situation où le plaisir du travail en

interaction directe avec les élèves apparaît menacé de disparaître. De fait, les c.o. de cette

enquête témoignent d’une situation dans laquelle ils sont : soit pris dans un ensemble de

tâches diverses qui les empêchent de rencontrer les jeunes comme il le faudrait; soit

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explicitement contraints par leurs supérieurs de ne pas rencontre d’élèves. L’enquête révèle

également un climat de compétition entre les différents corps de métier pour accéder aux

jeunes puisque cet accès est à la fois source de plaisir et de pertinence sociale (et donc,

renforce la possibilité de garder son emploi). Cette difficulté d’accès aux jeunes s’inscrit dans

un cercle vicieux installé dans les pratiques effectives. : plus ils sont occupés à diverses tâches

connexes, moins ils côtoient les élèves; moins ils côtoient les élèves, moins les élèves sont

portés à venir les rencontrer et plus ils sont occupés à diverses tâches connexes…

L’analyse clinique de l’activité des c.o. révèle, de son côté, une situation où les difficultés

d’accès aux jeunes apparaissent moins saillantes. De fait, à défaut de pouvoir établir une

« relation d’aide » avec les jeunes, les c.o. ont au moins l’occasion de les côtoyer au

quotidien, comme le montre la description des pratiques effectives : dans la salle de

documentation, dans le corridor, dans les opérations de choix de cours et d’inscription, dans

les brèves rencontres d’orientation et dans leurs tournées de classe. Ils expriment du plaisir

dans leur relation avec les élèves, puisqu’ils y retrouvent un élément des pratiques désirées.

Si l’on se fie aux pratiques prescrites, le travail direct avec les élèves devrait normalement

constituer le cœur de la pratique des c.o. Les activités professionnelles décrites dans la loi

concernent directement les élèves. Les c.o. sont imputables de leur pratique spécifiquement

sur ce travail direct avec les jeunes. Toutefois, cette imputabilité ne semble pas inquiéter les

c.o., du moins si l’on se fie à la dimension « rapport à l’Ordre professionnel » de l’expérience

du travail révélée par le dispositif de clinique de l’activité. C’est plutôt le sens de leurs

pratiques effectives au regard des pratiques désirées qui pose problème (p.ex., mieux

répondre à leurs besoins d’orientation). De son côté, l’Ordre professionnel est davantage

préoccupé par les difficultés d’accès des élèves aux services des conseillers d’orientation

plutôt que l’inverse, compte tenu de sa mission de protection du public. Dans ses dernières

interventions publiques (OCCOPPQ, 2010b), l’Ordre a interpellé la responsabilité des

décideurs à cet effet.

8.2.3. Le développement vocationnel des jeunes non systématisé

Le troisième axe des pratiques désirées couvre la prévention des problèmes d’orientation des

élèves, la réussite et la persévérance scolaire. Le travail des c.o. à ce sujet devrait participer

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au développement vocationnel des jeunes et au sens qu’ils donnent aux études. Ce type de

pratiques vise à aider les jeunes, à travers leurs activités scolaires, à s’acquitter de tâches

développementales (p. ex., exploration, cristallisation, spécification, réalisation) au fur et à

mesure de leur avancement dans les études et, plus largement, dans leur vie personnelle, dans

l’optique de les aider à s’orienter.132

Les pratiques prescrites sur le plan de l’organisation du travail scolaire et sur le plan de la

profession sont relativement convergentes sur ce point. Sans parler explicitement de la

nécessité d’activer le « développement vocationnel » des jeunes, les instances scolaires et

professionnelles estiment qu’il est de la responsabilité des c.o. d’agir à titre d’expert-conseil

auprès des différents acteurs impliqués à l’école pour arriver à rendre celle-ci « orientante »

(voir les différents documents-cadre du MELS, le plan de classification, mais aussi certains

documents produits par l’Ordre professionnel). Au regard de ce mandat, les c.o. se seraient

attendus à être sollicités au premier chef pour mettre en œuvre une approche orientante ou

encore pour des projets plus circonscrits ayant trait à la motivation, la persévérance ou la

réussite scolaire.

Or, les résultats de notre recherche montrent que, dans leurs pratiques effectives, les c.o. sont

très peu amenés à participer à ce type d’approche préventive des problèmes d’orientation des

élèves. Dans l’ensemble, les c.o. constatent que les jeunes ne sont pas préparés, dans le cadre

du cursus scolaire actuel, à réfléchir de manière structurée à leur orientation. L’application

de l’approche orientante varie considérablement d’une commission scolaire à l’autre et même

d’une direction d’école à l’autre. Le programme d’Éducation au choix de carrière permettait

une certaine réflexion structurée, mais il n’est plus inscrit dans le cursus obligatoire, ce que

les c.o. déplorent, malgré les lacunes que les cours de ce programme présentaient. Enfin, le

programme Projet personnel d’orientation, fruit du Renouveau pédagogique, est optionnel

et seulement disponible pour un faible nombre d’élèves. De plus, les c.o. ne sont, semble-t-

il, pas appelés à y contribuer, du moins ceux que nous avons rencontrés. Il reste bien les

132 Ce désir s’inscrit dans la lignée des théories développementales et éducatives, dont la figure de proue est

Donald Super, et auxquelles plusieurs chercheurs québécois ont contribué (p. ex., Denis Pelletier, Charles

Bujold, Marcelle Gingras).

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321

projets ponctuels concernant la motivation et la persévérance scolaire dans lesquels les c.o.

pourraient être impliqués. Cependant, selon les résultats de l’enquête de psychodynamique

du travail, ces mandats « intéressants » et « stimulants » sur le plan professionnel sont donnés

la plupart du temps à d’autres professionnels, voire à des intervenants externes. L’enquête

révèle certes des stratégies entrepreneuriales (voir chapitre 9) qui aident à obtenir des

mandats plus stimulants, mais globalement, on est loin d’une sollicitation systématique des

c.o. à titre d’expert-conseil à propos des questions d’orientation à l’école. Selon les

participants, il manque à la fois de ressources humaines en orientation et de volonté politique

pour que l’orientation soit réellement intégrée dans l’ensemble des niveaux scolaires comme

finalité des pratiques éducatives.

Revenons néanmoins sur la question de l’approche orientante, puisqu’il s’agit du point

central de la réorganisation des services d’orientation issue du Renouveau pédagogique.

Selon ce que l’on peut dégager des résultats de recherche, le travail relatif à l’approche

orientante peut être une source de plaisir lorsque la direction assume un leadership et une

réelle volonté de mise en œuvre du projet et lorsqu’elle sollicite le c.o. dans la mesure de ses

capacités (p. ex., tenant compte du reste de la charge de travail). Si la responsabilité de la

mise en œuvre repose seulement sur les épaules d’un c.o., non seulement cela annonce

l’échec du projet, mais cela risque aussi de placer le c.o. dans une situation d’impuissance.

C’est du moins le constat de ces deux groupes de c.o. Ainsi, dans les faits, malgré que la

finalité de l’approche orientante soit partagée par ces c.o., l’intérêt pour une pratique

intégrant l’approche orientante ne suscite ni un désir ni un enthousiasme généralisés... Au

contraire, on sent plutôt un cynisme dans leur discours vis-à-vis l’approche orientante. Ce

cynisme apparaît en réaction aux conditions qui ont présidé à son émergence et à sa mise en

œuvre au niveau global, que l’on pourrait résumer ainsi, selon le témoignage de ces deux

groupes de participants :

Au-delà de quelques exceptions, il y a généralement peu de volonté politique de la

part des commissions scolaires et des directions d’école, ou encore les ressources qui

sont accordées sont insuffisantes par rapport aux intentions.

Les ressources financières qui devraient être attribuées à l’approche orientante

(l’enveloppe versée par le MELS annuellement aux commissions scolaires) sont

parfois utilisées à des fins inadéquates (p. ex., vers des ressources matérielles).

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322

L’approche orientante est parfois vue par les directions d’école comme une solution

magique aux problèmes d’orientation des jeunes.

Beaucoup d’enseignants ne sont pas ouverts à participer à l’approche orientante,

voyant cela comme une surcharge de travail.

L’approche orientante semble avoir ouvert la porte à ce que tout le monde dans l’école

fasse de l’orientation.

L’approche orientante nécessite une énergie pour convaincre constamment les autres

acteurs de la pertinence de l’orientation.

Les c.o. semblent avoir appris, avec le temps, à ne pas trop s’investir dans la mise en œuvre

de cette approche dans leurs pratiques effectives : l’investissement en termes d’efforts et

d’énergies ne vaudrait pas le peu de reconnaissance reçue en retour, ce qui deviendrait un

terreau fertile pour l’épuisement. Pour ceux qui reçoivent ce mandat de la part de la direction,

ils y avancent prudemment, pas à pas. Les c.o. se méfient du double discours qui consiste à

affirmer tout haut l’importance de l’orientation, sans toutefois qu’il n’y ait de moyens

concrets pour actualiser cette importance133. Ce double discours a été relevé par les

participants des enquêtes de psychodynamique du travail que nous avons menées dans les

dernières années (Maranda, Viviers & Deslauriers, 2014).

Bref, le constat général, quant à cet axe des pratiques désirées relatif au « développement

vocationnel des jeunes », révèle l’impossibilité de l’« incarner » dans une pratique organisée

et structurée, faisant échec à cette partie du désir de métier.

133 Dans un texte intitulé « Être c.o., qu’est-ce que ça vaut? » publié dans la revue Orientation en 1994, le

président actuel de l’OCCOQ, Laurent Matte, écrivait déjà ceci : « L'éditorial de madame Lise Bisonnette paru

dans Le Devoir du 21 janvier dernier tombe bien à propos, mais m'amène à me demander si nous ne serions pas

le béluga des professions, dont on reconnaît les qualités et l'importance, mais qu'on continue à faire disparaître. »

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323

8.2. La déprofessionnalisation du travail : l’expertise professionnelle

déniée

La professionnalisation implique, pour un groupe occupationnel, de « faire reconnaître

l’activité à laquelle il se consacre, ainsi que lui-même en tant qu’expert, maître d’un savoir

et d’un savoir-faire » (Lessard, 2000, p. 93). La déprofessionnalisation implique, à l’inverse,

un déni de reconnaissance du statut d’expert et de maître d’un savoir et d’un savoir-faire. Or,

c’est précisément un des aspects par lequel s’exprime la souffrance identitaire de métier des

c.o. Voyons de plus près comment cette situation peut être éclairée au regard de la dynamique

entre les pratiques désirées, les pratiques prescrites et les pratiques effectives.

Les pratiques désirées par les c.o. ayant participé à la recherche sont des pratiques

« professionnelles » au sens fort du terme, i.e. relevant d’une spécialité professionnelle (que

nous avons précisée en partie dans la section précédente) et exercées dans un contexte

d’autonomie de moyens. Rappelons que, au Québec, la spécialité professionnelle des c.o. se

développe au cours d’un cursus scolaire universitaire qui s’étend jusqu’au niveau de la

« maîtrise », ce qui représente grosso modo un minimum de cinq années d’études

universitaires. Leur niveau de qualification est donc élevé. Cette qualification est reconnue

institutionnellement puisqu’elle donne accès au titre et aux actes professionnels réservés par

la loi. Ainsi, comme on peut s’y attendre, les c.o. souhaiteraient que les tâches qui leur sont

attribuées dans l’exercice de leur fonction honorent cette formation universitaire et ouvrent

la voie à l’utilisation de leur pleine expertise.

C’est précisément cette qualification qui devrait permettre aux c.o. d’obtenir des conditions

d’exercice professionnel leur donnant la liberté de pratiquer leur métier selon les règles de

l’art et selon leur « virtuosité ». Ainsi l’autonomie professionnelle est-elle apparue comme

une caractéristique importante des pratiques désirées.

Ces deux caractéristiques des pratiques désirées – l’attribution de tâches correspondant au

niveau de qualification et l’autonomie professionnelle – sont convergentes avec les pratiques

prescrites par la profession. Selon le « contrat social » sous-jacent à la conception

fonctionnaliste des professions sur laquelle se fonde le système professionnel québécois, les

professionnels œuvrant au sein d’un Ordre, comme les c.o., peuvent s’attendre à se voir

déléguer des mandats qui sollicitent un niveau de qualification conséquent et pour lesquels

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ils doivent avoir une autonomie d’action. Il s’agit d’ailleurs des deux premiers critères dont

doivent tenir compte les législateurs pour soutenir la création d’un Ordre professionnel selon

le Code des professions du Québec :

1° les connaissances requises pour exercer les activités des personnes qui seraient

régies par l’ordre dont la constitution est proposée; 2° le degré d’autonomie dont

jouissent les personnes qui seraient membres de l’ordre dans l’exercice des

activités dont il s’agit, et la difficulté de porter un jugement sur ces activités pour

des gens ne possédant pas une formation et une qualification de même nature

[…] (Article 25).

Du côté des pratiques prescrites par l’organisation du travail scolaire, il y a certes une

reconnaissance, dans les textes d’encadrement, de la dimension « spécialisée » de la pratique

des c.o. Ces textes confirment une expertise autant dans l’accompagnement des jeunes que

dans la relation « conseil » auprès des autres acteurs de l’école dans le cadre d’un travail

multidisciplinaire (en équipe-école). Paradoxalement, on s’attend également à ce que les c.o.

soient aussi polyvalents et exercent leur métier hors d’un certain corporatisme professionnel

rigide (MEQ, 2002a), ouvrant là une possible brèche vers une « déqualification ».

Au-delà des prescriptions générales des uns et des autres, les résultats de notre recherche ont

montré que la tâche et le rôle des c.o. sont, dans les faits (pratiques effectives), déterminés en

grande partie par les directions d’école, à l’échelle locale. Or, la recherche montre que

l’organisation du travail mise en place par les directions attaque la professionnalité des c.o.

sur les deux fronts des pratiques désirées en ce qui a trait à la professionnalisation : celui de

la qualification du travail et celui de l’autonomie professionnelle nécessaire pour exercer sa

profession.

Les deux volets de cette recherche documentent une situation où la qualification spécialisée

des c.o. est peu mise à profit dans l’organisation réelle du travail. Au contraire, les tâches qui

leur sont attribuées relèvent souvent de « toutes autres tâches connexes » qui ne nécessitent

pas leur niveau d’expertise. De fait, les pratiques effectives des c.o. apparaissent, au regard

de la qualification requise, très éloignées des pratiques désirées et des pratiques prescrites

par la profession et l’organisation scolaire. Ceux qui se voient attribuer le rôle prescrit de

spécialiste de l’accompagnement des élèves et d’expert-conseil dans le cadre d’un travail

multidisciplinaire paraissent constituer l’exception plutôt que la règle. Il semble que ce soit

davantage le travail « polyvalent » qui prime sur le travail « spécialisé ». On n’a qu’à penser

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au fait de devoir s’occuper de la paperasse relative aux prêts et bourses, aux appels à faire

aux parents pour compléter le dossier d’inscription des élèves, à la vérification des bulletins

et au classement des élèves, pour donner ces exemples.

Les c.o. des deux groupes ont indiqué qu’une partie trop importante de la tâche attribuée par

les directions d’école relève d’un travail qui consiste à « faire rouler le système » : un travail

administratif, voire bureaucratique, un travail de soutien aux directions. Cela converge

d’ailleurs avec le constat réalisé par l’Ordre professionnel dans son dernier inventaire de

pratiques en milieu scolaire (2012)134.

Or, les c.o. se questionnent : faut-il être « professionnel » pour réaliser des tâches comme

vérifier des bulletins, communiquer avec les parents pour recueillir des informations

nominatives pour l’inscription des élèves, transmettre en personne des formulaires

d’attribution de prêts et bourses, valider des choix de cours, etc. ? Ce travail nécessite-t-il

une spécialisation, une qualification de niveau de maîtrise universitaire?

Bref, en général, les c.o. ayant participé à l’enquête se plaignent largement des tâches

cléricales qui leur sont assignées, ce qui converge avec la littérature scientifique relevant

l’attribution de « tâches inappropriées »135 comme explication de la souffrance au travail

(p. ex., Kolodinsky, Draves, Schroder, Lindsey & Zlatev, 2009; Baggerly & Osborn, 2006 ;

Demato & Curcio, 2004). Ces études mettent l’accent sur le fait que ces tâches

134 Rappelons que la réalisation de telles tâches administratives par des c.o. se fait dans une proportion très

importante de commissions scolaires : tâches administratives liées à l’inscription = 78 %; répondre à des appels

de demande de renseignements (p. ex., uniforme scolaire) = 78 %; communiquer avec des écoles pour les

enquêtes scolaires = 83 %; joindre les parents pour des documents manquants = 80 %; photocopier des

documents = 70 % (OCCOQ, 2012).

135 Selon le modèle de pratique de l’American School Counseling Association (ASCA), voici des exemples de

« tâches inappropriées » : « coordinating paperwork and data entry of all new students; coordinating cognitive,

aptitude and achievement testing programs; signing excuses for students who are tardy or absent; performing

disciplinary actions or assigning discipline consequences; sending students home who are not appropriately

dressed; teaching classes when teachers are absent; computing grade-point averages; maintaining student

records; supervising classrooms or common areas; keeping clerical records; assisting with duties in the

principal’s office; providing therapy or long-term counseling in schools to address psychological disorders;

coordinating schoolwide individual, education plans, student study teams and school attendance review boards;

serving as a data entry clerk. » (Voir http://www.schoolcounselor.org/files/appropriate.pdf)

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« inappropriées » envahissent la pratique au détriment du counseling, sans toutefois relever

leur caractère « déqualifiant ».

Or, cette situation a toutes les apparences d’une situation de déqualification, que Lessard

(2000) définit comme « une réorganisation du travail qui a pour effet de limiter la sphère

d’activité traditionnellement reconnue au groupe et donc de réduire les exigences nécessaires

à l’accomplissement d’une tâche ainsi moins sous le contrôle du groupe » (p. 97). Bref, la

spécificité et l’expertise professionnelles des c.o. ne sont pas reconnues effectivement dans

l’organisation du travail mise en place par les directions d’école, ce qui contribue à générer

une souffrance identitaire de métier liée à la déprofessionnalisation.

En ce qui concerne l’autonomie professionnelle, les deux méthodes ont révélé que les c.o.

souhaiteraient disposer d’un espace organisationnel et temporel suffisant pour exercer leur

métier de manière « professionnelle ». Ils aimeraient pouvoir innover, créer, développer,

penser leur pratique (pratiques désirées). Toutefois, nous l’avons vu, leur pratique effective

est en grande partie déterminée par leurs supérieurs immédiats : les directions d’école. Ainsi

leur autonomie professionnelle est-elle toute relative et dépend de la personne en place à titre

de directeur. Les résultats de notre recherche révèlent deux postures des directions d’école

relativement à l’autonomie professionnelle : un contrôle excessif et l’indifférence. Ces deux

postures apparaissent déstructurantes pour les c.o. sur le plan de leur professionnalité.

D’une part, nous avons vu, dans chacun des dispositifs de recherche, le cas de certaines

directions d’école qui faisaient preuve d’un contrôle excessif au regard des conditions

d’exercice des c.o. L’enquête de psychodynamique du travail a mis en évidence les

contraintes importantes posées par certaines directions d’école quant au temps accordé pour

les entrevues individuelles, ou encore l’interdiction pure et simple de ce type d’entretiens

comme modalité d’intervention. Dans le même sens, la clinique de l’activité a montré un cas

patent de contrôle excessif d’une direction d’école (« la main de fer ») qui assigne non

seulement des tâches très spécifiques au c.o., mais tente également de déterminer les

conditions d’exercice en contraignant, elle aussi, le temps pouvant être accordé à certaines

tâches. C’est toutefois l’obligation de garder la porte ouverte lors de ses entretiens avec les

élèves qui est apparue l’atteinte la plus grave à l’autonomie professionnelle. Mettant en péril

les conditions de confidentialité, cette obligation est venue attaquer de front certaines valeurs

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qui fondent l’éthique de la profession. Les c.o. ont exprimé leur désarroi et leur colère face

aux attaques à leur autonomie professionnelle, dont cette situation spécifique constituait en

quelque sorte l’emblème. Ces résultats confirment ceux d’autres recherches qui identifient le

manque d’autonomie professionnelle comme source de souffrance au travail (Hearne, 2012;

Lamontagne, 2006; Soares, 2006b). Selon notre cadre théorique, c’est la portée identitaire de

cette autonomie qui est en jeu dans cette souffrance : le désir d’autonomie est non seulement

nécessaire à la réalisation du travail, mais correspond à une condition de pratique attendue

lorsque l’on est un « professionnel ».

D’autre part, les c.o. des deux groupes de la recherche ont soulevé une autre posture des

directions d’école au regard de l’autonomie professionnelle des c.o. qui contribue elle aussi

à leur souffrance identitaire de métier : la posture de l’indifférence. À l’opposé du contrôle

excessif, cette posture se caractérise par une insouciance, voire une ignorance quasi

intentionnelle de ce que réalise le c.o. dans sa pratique effective. En effet, les c.o. sont souvent

appelés à se débrouiller seuls, sans recevoir de consignes de la part des directions sur le travail

attendu, sur les mandats spécifiques attribués, sur les moyens et les ressources dont ils

disposent, sur la culture du milieu, etc. Malgré une multiplication des efforts pour avoir des

repères relatifs à la réalisation de leur mandat, certains c.o. n’arrivent tout simplement pas à

obtenir une réponse claire de la part de leur direction, ou à obtenir une rencontre avec elle

pour clarifier leur mandat. D’autres c.o. reçoivent pour seules consignes d’être visibles dans

l’école, de ne pas rester dans leur bureau, mais de ne pas trop faire de vagues non plus... ce

qui ne constitue évidemment pas des repères significatifs pour les c.o… Bref, ces directions,

possiblement face au peu de temps dont elles disposent, envoient un message du type :

« organise-toi pour que tout se passe bien pour que je n’aie pas à m’occuper de toi ». Faire

du bon travail, dans ce contexte, consisterait à ne pas déranger ces directions d’école. Bref,

en plus de traduire un fond de « non-reconnaissance » de l’utilité sociale de l’orientation à

l’école, sur lequel nous reviendrons à la section suivante, cette posture amène à se

questionner sur le sens de l’autonomie professionnelle attendue…

Face à ce type de directions qui ne semble pas trop se soucier des conseillers d’orientation,

certains c.o. voient l’occasion de « s’imposer », de mettre les services d’orientation à leur

couleur, de déterminer eux-mêmes les mandats à réaliser. L’enquête de psychodynamique du

travail révèle en effet un type de c.o. qui se retrouve davantage dans un modèle

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d’« entrepreneur » de la pratique professionnelle, qui est à l’aise avec le mode de la débrouille

et de la « vente » de ses services. Toutefois, des c.o. participant aux deux volets de la

recherche ont exprimé leur souffrance à devoir constamment se rendre visibles, montrer

qu’ils font du bon travail, justifier leur pertinence, bref, avoir l’impression de se transformer

en vendeur. Ces c.o. semblent sensibilisés au risque du modèle de c.o. « entrepreneur » de

tomber dans une autonomie « piégée », c’est-à-dire une autonomie sans balises pour juger de

l’« utilité » de leur travail et de sa finitude, sans moyens déterminés d’avance pour sa

réalisation et qui peuvent s’accompagner d’objectifs très élevés. Pour eux, l’autonomie

professionnelle, c’est recevoir des mandats précis avec des attentes clairement énoncées et

des priorités, avec une autonomie suffisante pour parvenir à la réalisation de ces mandats

avec des ressources en conséquence.

Bref, la situation des c.o., documentée dans notre recherche, montre que le désir des c.o. de

pratiquer dans le cadre d’une autonomie professionnelle, qui leur permettrait d’exercer leur

savoir-faire et leur créativité professionnelle, s’avère difficile à poursuivre dans les pratiques

effectives compte tenu des rapports de subordination avec les directions d’école. Entre un

contrôle excessif qui donne l’impression d’être un simple exécutant et une indifférence qui

empêche le jugement d’utilité et ouvre la porte à une autonomie « piégée », les c.o. se

retrouvent dans une situation déstructurante au regard du modèle du praticien

« professionnel » qu’ils ont intériorisé. En dernière analyse, les résultats de la recherche

montrent l’importance pour les c.o. d’avoir de bons rapports avec les directions pour prévenir

la souffrance au travail, comme l’avait d’ailleurs révélé l’étude de Clemens, Milsom et

Cashwell (2009).

8.3. La déconsidération professionnelle : entre reconnaissance sociale et

banalisation du travail d’orientation à l’école

Le cadre théorique de notre recherche inscrit clairement la souffrance au travail dans les

rapports sociaux qui s’inscrivent dans la division sociale du travail. Le troisième thème

dégagé de cette réflexion sur la souffrance identitaire de métier des conseillers d’orientation

se situe spécifiquement dans le registre des rapports sociaux du travail caractérisés dans leur

ensemble par une déconsidération professionnelle. Si la considération peut se définir d’abord

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comme le fait de tenir compte de quelqu’un, de lui porter attention, son sens est également

étendu à l’estime qui lui est portée. A contrario, la déconsidération signifie non seulement

ne pas tenir compte de cette personne, mais de « rabaisser ou de ruiner l’estime dans laquelle

[on la tient] »136. Or, malgré que la relation aux Autres puisse être souvent une source

importante de plaisir au travail selon notre recherche, la souffrance identitaire de métier est

néanmoins marquée par une déconsidération de la profession dans les rapports sociaux.

Voyons comment cet aspect de la dynamique de souffrance identitaire de métier peut être

éclairé au regard de notre modèle conceptuel mettant en tension les pratiques désirées, les

pratiques prescrites et les pratiques effectives.

Lorsqu’on a l’impression que c’est le métier et sa mission qui sont déconsidérés, la dimension

« positionnelle-sociale » de l’identité professionnelle est atteinte : « ce qui touche la manière

qu’a une personne de se voir dans le jeu des acteurs sociaux qui participent à la réalité de sa

pratique professionnelle » (Bacon, p. 124) (p. ex., rapports Nous-Eux, position sociale). Or,

la recension des écrits a montré à quel point les enjeux de reconnaissance (Lamontagne, 2006;

Rayle, 2006) et d’estime de soi collectif (Butler & Constantine, 2005; Lee, 2008; Yu, Lee &

Lee, 2007) sont importants à considérer pour comprendre la souffrance au travail des c.o.

Toutefois, ces recherches ne considèrent pas ces enjeux identitaires au regard de l’expérience

du travail effectif. En effet, selon la théorie de la psychodynamique du travail, la construction

de l’identité passe d’abord par le travail en tant qu’expérience du réel, puis par un effort pour

faire reconnaître ce travail dans l’agir communicationnel (Molinier, 2008).

Les discussions collectives sur l’expérience des pratiques effectives ont, de fait, permis de

faire ressortir non seulement des situations concrètes qui traduisent une reconnaissance

sociale ou à l’inverse un certain mépris du métier, mais aussi la manière dont les c.o. « luttent

pour la reconnaissance » en tentant de valoriser « les capacités liées à leur monde de vie

particulier et de démontrer leur importance pour la vie commune » (Honneth, dans Renault,

136 Tirée d’une définition lexicographique de « déconsidération » du site web du Centre national de ressources

textuelles et lexicales (http://www.cnrtl.fr/definition/déconsidération).

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2007, p. 124), pour reprendre les termes d’Axel Honneth137. Soulignons que c’est

précisément le jugement d’utilité sociale de la profession dont nous traitons ici et non le

jugement de beauté, dont nous traiterons dans la prochaine section. Les résultats des deux

volets de notre recherche ont permis de décrire trois types de situations de travail qui

expriment des niveaux différents de reconnaissance sociale, allant de la reconnaissance

effective à la dévalorisation de la profession, en passant par une reconnaissance

équivoque.

D’abord, la clinique de l’activité illustre le cas d’une c.o. qui décrit une situation où elle sent

effectivement une considération à l’endroit de sa fonction de c.o. Cette considération se

traduit, d’une part, par la grande quantité d’élèves qui lui sont référés pour des difficultés

d’orientation et, d’autre part, par les multiples mandats reçus de la part de la direction qui

sollicitent son expertise spécifique (p. ex., documenter la dimension « orientation » du plan

de réussite de l’école). En fin de compte, elle sent que l’orientation est un enjeu important

pour la direction comme pour les autres personnels dans l’école et que son expertise, comme

c.o., est appréciée à cet égard.

Un deuxième type de situations de travail illustre une reconnaissance « équivoque », c’est-

à-dire que des messages contradictoires sont reçus quant à l’importance de l’orientation et de

la fonction de c.o. à l’école. Certaines directions sont promptes à reconnaître, en parole,

l’importance de l’orientation à l’école, mais du même souffle assignent dans les faits des

tâches cléricales au c.o., ou encore ne remplacent pas le c.o. absent pourtant sur une longue

durée. Cette situation fait écho aux doubles discours que nous avons repérés chez des

directions d’école et de commissions scolaires dans la recherche-action menée ces dernières

années en milieu scolaire (Maranda, Viviers & Deslauriers, 2014). Comment comprendre ces

incohérences? Sont-elles le fait d’un mode de management par l’apparence de

reconnaissance qui engendre des marques de reconnaissance factices, ou d’une impossibilité

objective de donner suite à des intentions réelles? Quoi qu’il en soit, concrètement,

l’équivocité de la reconnaissance dans ce type de situations de travail est plus souffrante

137 Voir Renault (2007) pour une discussion sur la théorie de la reconnaissance de Honneth au regard de la

théorie de la psychodynamique du travail.

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qu’autre chose puisqu’elle suscite un espoir de reconnaissance sociale de la profession qui

ne se traduit jamais dans la réalité objective. Cela risque plutôt d’alimenter le cynisme.

Enfin, le troisième type de situations concerne la dévalorisation du travail professionnel

d’orientation auprès des jeunes. Chez les acteurs scolaires, cette vision réductrice se

manifeste, par exemple, lorsque les directions pensent régler des problèmes d’orientation des

jeunes simplement avec l’intégration de l’approche orientante dans le plan de réussite,

comme s’il s’agissait d’une solution magique. Selon les c.o. participant à notre recherche, la

promotion de l’approche orientante a pu laisser croire que tout un chacun pouvait faire de

l’orientation. Certains enseignants se permettent ainsi de faire passer des « tests maison »

pour déterminer les codes « Holland » et pensent de ce fait aider les jeunes à s’orienter.

D’ailleurs, cette vision de « passeux de tests » de la pratique de l’orientation colle à la peau

des c.o. et contribue à la mauvaise presse de la profession. D’aucuns confondent les tests

psychométriques avec les tests retrouvés dans des revues de divertissement populaire…

Certaines personnes en viennent à leur demander si l’exercice de la profession de c.o. requiert

une technique ou seulement un diplôme d’études professionnelles…

Tout cela tend vers une banalisation du travail d’orientation, comme si aider un jeune à

s’orienter allait de soi. En outre, non seulement les c.o. reçoivent-ils le message que leur

activité professionnelle est simpliste, mais également qu’elle est inefficace voire farfelue

(p. ex., les tests indiquaient à un jeune qu’une des seules professions qu’il pourrait exercer

était celle de clown). Tout se passe comme si la profession était une profession indésirée

(p. ex., il s’agit d’une profession « plate »), voire indésirable (p. ex., peut être nuisible compte

tenu de son inefficacité prédictive)…

Dans ce contexte, les c.o. sentent que leur importance est remise en question : pourquoi

devrait-on, dans une conjoncture de restrictions budgétaires, engager une ressource

spécialisée pour aider les jeunes à s’orienter? D’autant plus que plusieurs acteurs scolaires

croient que les élèves du secondaire sont trop jeunes pour faire des choix scolaires et

professionnels. Les ressources financières ne devraient-elles pas être investies ailleurs? Il

semble à ce propos que certaines directions préfèrent investir dans le mobilier plutôt que dans

des ressources humaines en orientation, ce qui contribue évidemment à la déconsidération

professionnelle. Bref, on peut très bien entrevoir ici l’écart considérable entre l’image que

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les c.o. aimeraient que les Autres leur envoient et celle qu’ils reçoivent effectivement. Cela

participe considérablement à la souffrance identitaire de métier vécue par les conseillers

d’orientation.

Enfin, face à cette dévalorisation et ce sentiment d’être menacé de disparition

professionnelle, la souffrance se manifeste aussi par la nécessité de justifier constamment

son utilité sociale. Comme le souligne Molinier (2008), ce sont précisément les métiers dont

l’activité professionnelle est « naturalisée » (p. ex., éducatrice à la petite enfance) qui

éprouvent le plus de difficulté à faire reconnaître leur utilité sociale et qui revendiquent donc

ardemment leur identité professionnelle de métier. Ainsi, au-delà de la démarche de

définition de l’« utilité sociale » réalisée par l’Ordre professionnel pour l’ensemble de la

profession ces dernières années, les c.o. doivent, dans leurs pratiques effectives, arriver à

justifier et à défendre eux-mêmes la pertinence de l’orientation. Or, les c.o. des deux groupes

estiment lourde et essoufflante cette nécessité de constamment prouver l’importance de ce

qu’ils font ou peuvent faire dans l’école, de devoir « vendre » leurs différentes compétences,

de convaincre les différents acteurs de leur pertinence, d’argumenter, de négocier leur place,

etc. Le climat de compétition interprofessionnelle dont nous traiterons dans la section

suivante accentue la pression en ce sens. Cet enjeu de la reconnaissance d’un groupe social

est abordé de front par la théorie critique de Honneth, pour qui le travail constitue un théâtre

de lutte entre les différents groupes pour faire valoir leur utilité sociale (Renault, 2007). Les

c.o. mettent donc en place différentes stratégies pour ne pas voir disparaître leur profession

du milieu scolaire, stratégies qui participent néanmoins à la souffrance au travail. Nous y

reviendrons dans le chapitre suivant.

8.4. Le déficit collégial : entre convivialité et isolement professionnel

En psychodynamique du travail, le plaisir au travail repose en bonne partie sur les relations

avec les autres : il comprend la confiance, la reconnaissance, la coopération, la solidarité, la

convivialité (Dejours, 1988a). De plus, un des concepts importants de la théorie de la

psychodynamique du travail, d’autant que l’on s’intéresse à la question du métier, est celui

du collectif de travail. À la fois source de production et produit des règles de métier relatives

à un milieu donné, le collectif de travail implique une expérience commune du travail sur

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333

une certaine période de temps (Maranda & Leclerc, 1997). De fait, ces règles se fondent sur

un jugement sur le travail réel qui suppose une visibilité de la pratique, laquelle ne peut se

réaliser sans qu’il y ait confiance, respect et estime entre les membres du collectif (Vézina,

1999). Le collectif de travail est un espace privilégié pour le partage de « jugements de

beauté » et occupe donc une place importante dans la psychodynamique de la reconnaissance,

à la source des bénéfices identitaires du travail. Voyons comment cet aspect de la dynamique

de souffrance identitaire de métier peut être éclairé au regard de notre modèle conceptuel

mettant en tension les pratiques désirées, les pratiques prescrites et les pratiques effectives.

Les c.o. œuvrant en milieu scolaire ont choisi ce milieu certes pour rencontrer des jeunes,

mais aussi pour participer, avec d’autres, à cette mission de les éduquer et de préparer leur

devenir. Les c.o. des deux groupes de la recherche ont témoigné leur intérêt pour œuvrer dans

un environnement de travail stimulant sur le plan des relations interpersonnelles, un milieu

marqué par la convivialité et le sentiment d’œuvrer dans la même mission, de faire équipe,

de participer à une même « aventure ». En ce sens, les pratiques désirées sont des pratiques

en collégialité, inscrites dans la confiance entre professionnels et empreintes de respect des

expertises et des rôles de chacun.

Cet axe des pratiques désirées est en partie partagé par l’institution professionnelle, mais

aussi par l’institution scolaire (pratiques prescrites). Si l’on se fie aux textes qui encadrent

le travail en milieu scolaire et la pratique professionnelle de l’orientation dans ce milieu, la

pratique en collégialité est particulièrement promue, voire prescrite par l’organisation

scolaire. De fait, avec la Réforme, le travail en « équipe-école » est devenu un leitmotiv du

ministère de l’Éducation, notamment pour faire face à l’intégration des élèves en difficulté,

mais aussi pour favoriser l’intégration transversale des compétences des élèves. L’approche

orientante a été pensée dans cette perspective de travail collaboratif. Si l’Ordre professionnel

encourage, lui aussi, le travail en équipe multidisciplinaire, il promeut par ailleurs un modèle

de praticien de l’orientation essentiellement individuel, dans lequel le c.o. est maître d’œuvre

de sa pratique et responsable de sa compétence.

Si, globalement, les pratiques désirées par les c.o. et les pratiques prescrites par l’organisation

scolaire et par la profession sont relativement convergentes pour convenir de la nécessité de

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334

pratiquer en collégialité, la réalité du travail vécu et les pratiques effectives paraissent d’un

tout autre ordre.

Au regard des critères établis par la théorie de la psychodynamique du travail, il apparaît clair

que les c.o. n’œuvrent pas au sein de collectifs de travail dans leurs pratiques effectives. Les

c.o. des deux groupes rapportent à quel point ils sont isolés, chacun dans leur milieu, seuls

avec leur pratique. La coopération entre c.o. est donc extrêmement difficile. Même lorsqu’ils

sont plusieurs dans un même milieu de travail, la coopération est compliquée par la précarité

des contrats des uns ou des autres (p. ex., contrat morcelé entre plusieurs écoles). Cet

isolement constitue une source de souffrance importante pour les c.o. Il n’est donc pas

surprenant que les participants de notre recherche aient souligné l’effet bénéfique de partager

leur réalité de travail avec leurs collègues c.o. dans le cadre des dispositifs de groupe de cette

recherche. Cela confirme les résultats de l’étude d’Evans et Payne (2008) : la présence de

collègues qui peuvent comprendre leur réalité et les aider à mettre les choses en perspective

constitue une ressource précieuse pour la santé mentale. Les c.o. disposent de quelques

moments dans l’année où ils peuvent rencontrer leurs collègues œuvrant dans leur

commission scolaire, mais ces moments ne sont pas assez fréquents pour répondre aux

fonctions d’un collectif de travail, notamment en termes de régulation des manières de faire

face à l’écart entre le travail prescrit et le travail réel. Peut-être y a-t-il là une piste de

reconstitution du métier à partir de l’expérience du travail?

Face à ce déficit de collectif de travail, et tenant compte de leur désir de convivialité et de

collégialité, les c.o. tentent d’établir des relations avec leurs collègues des autres métiers.

S’ils ne participent pas, pour la plupart, au travail multidisciplinaire réalisé dans l’équipe-

école, plusieurs vivent néanmoins des situations de travail où la confiance règne avec leurs

collègues dans l’école. Néanmoins, la clinique de l’activité montre que les c.o. doivent

déployer des efforts pour « prendre soin » de leurs relations interpersonnelles pour travailler

en coopération, ne serait-ce qu’avec quelques personnes-clés. C’est une stratégie également

repérée par Bournel Bosson (2009) auprès d’un groupe de c.o.p. en France. Lorsque la

confiance est au rendez-vous, lorsque les c.o. ont le sentiment de « faire équipe » avec les

autres personnels, cela constitue une source importante de plaisir au travail. Un des

indicateurs de cette confiance est la propension des enseignants et des autres personnels à

référer les jeunes au conseiller d’orientation lorsque leur situation l’indique. Cette confiance,

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335

ce sentiment de « faire équipe » implique toutefois une connaissance et un respect des rôles

de chacun qui ne va pas de soi (Bournel Bosson, 2009).

À l’opposé, les c.o. ont également témoigné de situations où la confiance a fait place à la

méfiance, où les rôles n’ont pas été respectés. L’enquête de psychodynamique du travail fait

notamment état d’une tendance de la part de plusieurs éducateurs spécialisés à tenter

d’intervenir en orientation auprès des jeunes et à attendre que la situation soit désespérée

avant de les référer aux c.o. Cette tendance à référer aux c.o. en dernier recours seulement

(p. ex., lorsque le jeune a pris la décision de décrocher) avait été repérée dans une enquête

précédente auprès d’un groupe de professionnels incluant des conseillers d’orientation

(Viviers, Maranda, Deslauriers & Héon, 2011).

La présente enquête de psychodynamique du travail a permis de montrer que des situations

tendues sur le plan des relations interprofessionnelles découlent entre autres d’un contexte

où les professionnels « non enseignants » sont mis en compétition les uns avec les autres. Il

s’agit d’ailleurs d’un des principes de la Nouvelle Gestion Publique qui caractérise la

réorganisation du travail depuis la mise en œuvre du Renouveau pédagogique138. Dans un

contexte de restrictions budgétaires où l’engagement de ressources humaines est limité,

chacun fait sa place comme il le peut. Ainsi, chaque corps professionnel tente de montrer sa

pertinence au regard de la réussite et du cheminement scolaires des jeunes, en plus de se

disputer les mandats intéressants et porteurs. Or, les c.o. participant à cette enquête ont

exprimé leur sentiment de n’être pas de la partie face aux techniciens en éducation spécialisée

et aux psychoéducateurs, notamment, qui ont eux la cote auprès des autres personnels, y

compris des directions.

8.5. Synthèse de la compréhension de la souffrance identitaire de métier

Selon les théories de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008) et de l’activité dirigée

(Clot, 1999), lorsqu’il existe, pour les travailleurs, un contexte de travail qui permet de faire

138 Rappelons que la Nouvelle Gestion Publique, dans l’optique de favoriser l’efficience et l’efficacité, a pour

principe de favoriser la compétition à l’interne et la concurrence à l’externe.

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un travail bien fait, bellement fait, selon les règles de l’art, l’identité professionnelle de métier

s’en trouve en quelque sorte consolidée. A contrario, lorsqu’il y a impossibilité de pratiquer

le métier selon ces règles, de faire un travail de qualité selon les critères du collectif

professionnel, le plaisir se délite et la souffrance risque d’envahir l’expérience du travail.

Un premier élément de souffrance identitaire de métier montre que les conseillers

d’orientation en milieu scolaire font face à des empêchements pour « incarner » réellement

le cœur du métier dans des pratiques effectives. Le dévoilement du « réel de l’activité » a

permis de mettre au jour ce qui constitue le cœur de métier pour les c.o. ayant participé à la

recherche, cœur de métier qui, nous l’avons vu, s’inscrit dans un désir relatif à la manière de

faire de l’orientation. Ce désir s’inscrit dans une histoire de métier, façonnée par les

orientations théoriques imprimées par les formations universitaires. On constate ainsi

l’importance du counseling, porté par la psychologie humaniste, et du développement

vocationnel des jeunes, insufflé par les théories éducatives et développementales, dans la

définition des pratiques désirées. Or, l’approche de clinique du travail a montré chez les

participants un écart marqué entre la formation reçue à l’université et le travail réel dans le

milieu scolaire, traversé par des contraintes d’organisation du travail (p. ex, pressions du

temps, pressions à l’efficacité, affectation de tâches diverses) qui empêchent d’« incarner »

les savoirs intégrés dans des pratiques effectives. Comme l’ont souligné d’autres chercheurs

avant nous (p. ex., Culbreth, Scarborough, Banks-Johnson & Solomon, 2005; Mathews,

2012), cet écart est source de souffrance au travail.

La déprofessionnalisation du travail engendre un sentiment d’être considéré comme un

technicien, comme un « semi-professionnel » (Bourdoncle, 2001) : un professionnel diminué,

alors qu’on a étudié longtemps pour pouvoir bénéficier d’un plein statut de professionnel. Se

sentir « CISEP » (conseiller d’orientation en information scolaire et professionnelle) apparaît

être une source importante de souffrance traduisant un sentiment de déprofessionnalisation.

Face à l’impensé organisationnel issu probablement de la surcharge de travail des directions

d’école, de leur mobilité extrême ou carrément de leur incompétence, les c.o. estiment qu’ils

sont amenés à devenir le « déversoir » de l’organisation du travail de l’école (prendre toutes

les tâches qui ne relèvent de personne d’autre) qui fait complètement abstraction de leur

niveau de spécialisation. Les c.o. reçoivent cela comme un mépris de leur profession. Les

deux méthodes ont révélé à quel point la direction en place dans une école peut être

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déterminante dans la dynamique de souffrance identitaire de métier. D’autres études ont

montré que la relation entre la direction d’école et les conseillers a un impact direct sur

l’insatisfaction au travail et l’intention de quitter (Clemens, Milsom & Cashwell, 2009) ou

encore sur l’épuisement professionnel (Bardhoshi, 2012; Lee, 2008; Thomas, 2010; Yildirim,

2008). Notre recherche soutient que la souffrance générée par cette relation entre les

directions d’école et les c.o. aux prises avec une déprofessionnalisation effective de leur

travail est une souffrance identitaire de métier. Elle ne relève pas tant du registre

interpersonnel, mais est plutôt liée au fait que les directions d’école déterminent à l’encontre

des juridictions professionnelles une organisation du travail déqualifiante qui engendre une

déprofessionnalisation de la pratique des c.o.

Cette déprofessionnalisation du travail des c.o. engendre un sentiment d’instrumentalisation

à des fins purement organisationnelles. Dans une enquête précédente auprès de

professionnels de l’éducation, dont des conseillers d’orientation (Maranda, Viviers &

Marché-Paillé, 2011), nous avions relevé cette instrumentalisation comme source de

souffrance au travail. Le travail administratif assigné aux c.o. restreint l’espace

d’investissement subjectif en les plaçant dans une position d’exécutant, à des lieues du statut

d’expert qui leur était promis par le contrat social de leur profession. Les c.o. ont le sentiment

de travailler dans une « shop de clous », selon leurs mots, relevant là un conflit de valeurs

qui heurte leur identité professionnelle de métier, comme le montrait d’ailleurs la recherche

de Harris (2009). Bref, sans faire de liens explicites avec l’idéologie gestionnaire issue de la

Nouvelle Gestion Publique, les c.o. sentent que le mode de gestion des directions est calqué

sur celui d’une « business », pour reprendre leurs mots, et qu’en fin de compte, leur travail

est instrumentalisé pour arriver aux objectifs gestionnaires d’atteindre l’efficience, de « faire

plus avec moins ».

Le troisième thème relevé est celui de la dévalorisation de la profession. Au-delà de la

« désincarnation » du cœur de métier et de la déprofessionnalisation, qui constituent en soi

des formes de mépris du métier ancrées dans l’organisation effective du travail, les c.o. sont

particulièrement blessés par la vision dépréciatrice et réductrice de l’orientation et de la

pratique professionnelle des c.o. en milieu scolaire qui circule autour d’eux. Notre recherche

permet de fournir un témoignage qualitatif de ce que d’autres recherches ont documenté sur

le plan quantitatif, à savoir que des attaques à l’estime de soi collectif peuvent générer une

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souffrance qui peut être génératrice d’épuisement professionnel (Butler & Constantine, 2005;

Lee, 2008; Yu, Lee & Lee, 2007). Au final, ce thème dégagé de nos résultats montre que les

pratiques désirées s’accompagnent d’une condition et d’une estime sociale désirées qui sont

mises à l’épreuve autant dans l’organisation effective du travail (p. ex., plusieurs personnels

se permettent de faire de l’orientation) que dans les représentations véhiculées dans l’agir

communicationnel (p. ex., les secrétaires qui disent qu’elles sont c.o. en cochant « admis »

sur la fiche d’inscription). Ce sentiment de non-reconnaissance sociale de la profession est

également relevé en France par Amici et Lemoigne (2007).

Selon le témoignage des deux groupes, cette dépréciation de la profession se manifeste non

seulement chez les acteurs du milieu scolaire (directions, enseignants), mais aussi chez leurs

collègues c.o. qui œuvrent dans d’autres secteurs. Les c.o. des deux groupes ont témoigné

d’un discours, circulant dans la profession, à l’effet que les c.o. du milieu scolaire n’exercent

pas leur profession selon les règles de l’art étant donné qu’ils ne prennent pas suffisamment

le temps de rencontrer les élèves. Ils se voient ainsi blâmés pour une situation dont ils ne sont

pas responsables… Or, ils se retrouvent en situation de « triple victimisation » lorsqu’ils se

font également reprocher de ne pas s’affirmer suffisamment pour protéger leurs conditions

d’exercice…

Dans ce contexte, un collectif de travail pourrait permettre d’atténuer la souffrance issue de

ces situations d’atteinte au métier, en ouvrant la voie à une reconnaissance du travail par un

jugement de beauté, jugement qui pourrait s’opérer à l’appui des règles de métier issues du

genre professionnel. Toutefois, les résultats des deux volets de la recherche mettent en

évidence l’isolement dans lequel se retrouvent les c.o., chacun dans leur école. Pas

surprenant, dès lors, que les c.o. des deux groupes aient exprimé leur plaisir de participer à

cette recherche, qui les regroupait pour parler de ce qu’ils vivent au travail, de l’exercice du

métier, de leur rapport au travail, etc. En fait, non seulement les c.o. se retrouvent seuls de

leur profession dans des écoles regroupant souvent un millier d’élèves et plusieurs dizaines

de membres du personnel, mais le travail en collaboration ou en multidisciplinarité, qui serait

supposé caractériser l’organisation du travail scolaire à la suite du Renouveau pédagogique,

constitue l’exception plutôt que la règle pour les c.o. Néanmoins, lorsque la confiance et le

respect des rôles se manifestent de la part des collègues des autres professions, cela constitue

une source de plaisir et de consolidation de l’identité professionnelle de métier. À l’inverse,

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lorsque la méfiance prend le pas, la souffrance s’en voit plutôt augmentée : pensons au climat

de compétition qui semble régner entre les différents corps de métier du personnel « non

enseignant » pour pouvoir garder sa place… En fin de compte, comment les c.o. peuvent-ils

répondre à leur désir de convivialité et de collégialité dans le travail?

Reste maintenant à montrer comment les c.o. arrivent ou non à se défendre ou à se protéger

contre cette souffrance identitaire de métier, et comment ces manières de se protéger

participent ou non à maintenir les sources de la souffrance.

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Chapitre 9 – Des stratégies pour faire face à la souffrance

identitaire de métier

Pratique ou psychique, l’activité est ce que font les humains, individuellement et

collectivement, pour transformer la « nature » en « monde », ou dit autrement, c’est ce qui

permet à l’humain de s’adapter en adaptant le contexte pour le faire sien, pour l’humaniser

(Clot, 2010). Lorsqu’il y a impossibilité de « produire du contexte pour exister », ou lorsqu’il

y a « amputation du pouvoir d’agir » des sujets sur leur activité, l’activité s’en trouve

désaffectée, le sujet diminué, et le monde désœuvré (Clot, 2006).

Selon Lhuilier (2006), la clinique du travail initie une action de transformation et de

production de connaissance sur un double objet d’investigation dans le travail : la souffrance

et les stratégies pour y faire face ou pour y résister. Jusqu’à maintenant, nous avons pu opérer

une triangulation des résultats des deux dispositifs de recherche pour répondre à notre objectif

général de mieux comprendre la dynamique de souffrance identitaire de métier à travers les

interrelations entre les pratiques prescrites, les pratiques désirées et les pratiques effectives.

Or, si l’on se fie à notre modèle conceptuel, il reste à documenter, dans cette discussion, les

stratégies mises en place par les conseillers d’orientation pour faire face à la souffrance

générée par le réel du travail, et le rôle de ces stratégies dans la dynamique de souffrance

identitaire de métier.

Le croisement des corpus théoriques de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008) et de

la théorie de l’activité dirigée (Clot, 1999) a dû forcer la réflexion sur la nature des stratégies

mises en place par les c.o. pour se protéger de la souffrance issue de la confrontation au réel

du travail. Étaient-ce des stratégies défensives, répondant à une définition souvent utilisée en

psychodynamique du travail, c’est-à-dire des processus psychiques visant à se protéger de la

menace de décompensation issue des contraintes d’organisation du travail, en agissant sur la

pensée de manière à transformer le rapport à la réalité (Dejours & Abdoucheli, 1990)? La

définition Molinier (2010) met, elle aussi, l’accent sur la dimension symbolique des stratégies

de défense.

Ces défenses orientent les façons de penser et d’agir en sorte d’éviter autant que

faire se peut la perception de ce qui fait souffrir. Les défenses n’agissent pas sur

le monde réel – en particulier elles ne transforment pas les risques ou les

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contraintes. Les défenses agissent par des moyens symboliques : occultation,

euphémisation, évitement, rationalisation, entre autres, qui modifient les affects,

les pensées et les états mentaux. (Molinier, 2010, p. 102)

Si, a priori, le côté morbide ou malsain des stratégies défensives apparaît évident, Dejours et

Gernet (2012) soulignent leur caractère ambigu. De fait, selon ces auteurs, les stratégies

défensives ont pour finalité première la protection du rapport subjectif au travail, la

« préservation de soi » (Dejours & Gernet, 2012) de manière à pouvoir continuer à travailler.

En ce sens, les stratégies de défense sont nécessaires pour protéger sa santé mentale.

Toutefois, lorsqu’elles se rigidifient, ces défenses peuvent en venir à « anesthésier la pensée »

d’une manière de plus en plus radicale, jusqu’à l’abolition de « toute prise en compte et

possibilité de discuter du réel du travail » (Dejours & Gernet, 2012, p. 21). Bref, entre une

coupure totale de la réalité qui mène à différents types d’aliénation, jusqu’à l’aliénation

mentale, et l’orientation de la pensée pour éviter certains éléments de la réalité qui font

souffrir, il y a une marge. Il faut reconnaître ces nuances ayant trait au « rapport à la réalité »

pour analyser les stratégies de défense dans leur complexité.

Les stratégies de défense réfèrent paradoxalement à une certaine intentionnalité (stratégie)

tout en relevant d’un « impensé collectif » que l’on pourrait dire « non-conscient » plutôt

qu’« inconscient » au sens psychanalytique du terme139. En permettant à celui qui se défend

de mieux tolérer la souffrance, elles jouent un rôle conservateur du fonctionnement

psychique, certes, mais aussi de la contrainte dont les effets pathiques sont assourdis, voire

anesthésiés (Dejours, 2008). En fait, Dejours et Abdoucheli (1990) suggèrent que c’est

précisément cette adaptation psychique aux contraintes de l’organisation du travail qui

participent à l’inaction sur les sources de la souffrance. De par leur fonction « adaptative »

139 « Les recherches en psychopathologie et en psychodynamique du travail ont contribué à révéler que,

conjointement aux mécanismes de défense classiquement décrits par la psychanalyse, il existe des constructions

défensives, élaborées et entretenues collectivement par les travailleurs qui ont pour visée principale de lutter

efficacement contre la souffrance générée par les contraintes réelles du travail » (Dejours et Gernet, 2012,

p. 21). Comme processus psychique de défense contre la souffrance, les stratégies défensives se distinguent

des mécanismes de défense précisément sur ces deux points : la dimension intentionnelle et la dimension

collective de leur construction.

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plutôt que « transformatrice », les stratégies défensives ont donc pour caractéristique de

participer, à son insu, au maintien de l’organisation du travail à la source de la souffrance.

Par ailleurs, aux côtés des stratégies défensives, les travailleurs peuvent mettre en place

d’autres stratégies pour se protéger de la souffrance au travail. Lhuilier (2006) parle de

« processus de résistance et de dégagement » (p. 205) pour rendre compte des stratégies

employées pour faire face à la souffrance au travail, soulignant au passage qu’« entre

défenses et ripostes, toutes les nuances sont possibles » (p. 212).

L’analyse des stratégies mises en place par les conseillers d’orientation pour se protéger de

la souffrance identitaire de métier révèle des types de stratégies qui font écho à cette

catégorisation : stratégies défensives et stratégies de résistance. D’une part, nous avons repéré

des stratégies qui permettent aux c.o. de « s’adapter » aux contraintes d’organisation du

travail. Plus ou moins salutaires pour la santé mentale, ces stratégies participent néanmoins

au maintien des sources de la souffrance identitaire de métier, en bonne partie du moins.

C’est pourquoi nous avons opté pour la dénomination de « stratégies d’adaptation

défensive ». D’autre part, l’analyse révèle également des stratégies de « résistance »,

lesquelles ont pour objectif d’éviter une adaptation plastique aux contraintes du travail au

détriment du cœur de métier.

Ces deux types de stratégies régulent à leur manière la dynamique de souffrance identitaire

de métier. L’analyse croisée des stratégies repérées dans les deux volets de la recherche

tentera de mettre en évidence comment ces stratégies s’inscrivent dans la logique du métier

et comment elles participent à leur tour à sa redéfinition. En somme, la question qui se pose

est : comment réussir à protéger son identité professionnelle de métier tout en se protégeant

de la souffrance au travail?

9.1. Les stratégies d’« adaptation » défensive

La capacité d’adaptation est fortement valorisée par les c.o. Si l’on se fie au champ d’activités

redéfini récemment dans la loi québécoise, elle constitue même une visée centrale de la

pratique de l’orientation auprès des clients : « […]développer et à maintenir des stratégies

actives d’adaptation dans le but de faire des choix personnels et professionnels […] ». Aussi

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l’adaptation semble-t-elle faire partie de l’identité professionnelle de métier des c.o., dans la

mesure où elle est, pour eux, une des caractéristiques qu’ils s’attribuent et qu’ils se voient

attribuer par les Autres. Les c.o. des deux volets de la recherche l’ont souligné. Partie

prenante du langage du métier, l’adaptation caractérise le genre professionnel des c.o. dans

la mesure où elle contribue à marquer « l’appartenance à un groupe et orientent l’action en

lui offrant, en dehors d’elle, une forme sociale qui la représente, la précède, la préfigure, et,

du coup, la signifie de manière à ce que ce dernier puisse réussir à travailler malgré les

contraintes en place » (Clot & Faïta, 2000, p. 14). Sans compter que la capacité d’adaptation

constitue une qualité fortement valorisée par les c.o. à l’aune de laquelle ils peuvent s’évaluer

les uns les autres.

La proposition défendue ici est à l’effet que, face à la souffrance identitaire de métier générée

par l’organisation effective du travail, les c.o. mettent en place des stratégies d’« adaptation »

défensive aux contraintes vécues, stratégies qui leur permettent néanmoins de garder une

image cohérente du soi professionnel. Les stratégies d’adaptation défensive sont de deux

ordres : 1) des stratégies de retrait et de repli; et 2) des stratégies de déplacement du désir de

métier.

9.1.1. Les stratégies de retrait et de repli

Devant les pressions à la productivité, l’urgence permanente, la surcharge de travail, et aussi

devant le non-sens de certaines situations de travail au regard de la nature de la profession

(p. ex., stress vicariant), une première stratégie de métier consiste à limiter le don de soi pour

ne pas s’épuiser. Cette stratégie a été repérée et illustrée par le dispositif de clinique de

l’activité. De fait, le groupe de c.o. a beaucoup discuté de la « nécessité de savoir lâcher-

prise », qui fait d’ailleurs écho aux travaux de Limoges (2001), en sciences de l’orientation,

sur les stratégies de maintien au travail140. Cette forme de retrait trouve son rationnel dans

une certaine logique de la profession.

140 Selon Limoges (2001), le maintien au travail se situe entre les deux extrêmes de l’équilibre professionnel :

le tenir-prise et le lâcher-prise.

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345

D’une part, les c.o. utilisant cette stratégie estiment qu’ils doivent relativiser l’importance de

leur rôle de conseiller d’orientation au regard du cheminement d’orientation des jeunes

(p. ex., considérer que les interventions du c.o. ne seront pas nécessairement déterminantes

pour le cheminement du jeune compte tenu de l’ensemble des facteurs en jeu) considérant

l’instabilité et l’imprévisibilité des parcours d’étude et de carrière de nos jours.

Dans cette même perspective de « recadrage », les c.o. justifient cette forme de retrait par

une remise en perspective de leur rôle au sein de l’ensemble de l’organisation du travail

scolaire (p. ex., se rappeler que chacun a sa responsabilité dans l’organisation du travail à

l’école et que ce n’est pas au c.o. à tout compenser).

Enfin, le « lâcher-prise » prend aussi son sens, pour ces c.o., au regard de l’ensemble de leurs

sphères de vie (p. ex., remettre en perspective que la vie ne se limite pas à l’exercice d’un

emploi).

A priori, les c.o. utilisant cette stratégie ne se désinvestissent pas complètement du travail et

de leur profession, ne baissent pas nécessairement les bras face aux obstacles rencontrés dans

l’organisation effective du travail, mais ils ont le souci de protéger leur santé, leur bien-être,

leur équilibre de vie et, au final, de « sauver leur peau ». Il s’agit d’une stratégie en cohérence

avec leur expertise professionnelle dans la mesure où elle permet de préserver une

relativement saine relation « individu-travail ».

Cette stratégie trouve une parenté à celles déjà identifiées dans la recension des écrits. Ainsi

retrouve-t-on ici des convergences avec les « career-sustaining behaviors » identifiés par

Lawson (2007) : le temps passé avec son conjoint/sa famille, le maintien d’un équilibre entre

les sphères de vie personnelle et professionnelle, et le sens du contrôle sur les responsabilités

du travail. L’équilibre de vie apparaît plus spécifiquement comme un principe soutenu par

les approches axées sur la culture du « soin de soi » (Venart, Vassos & Pitcher-Heft, 2007;

Cummins, Massey & Jones, 2007). Nous avions également identifié une stratégie similaire

dans nos enquêtes de psychodynamique du travail en milieu scolaire, celle qui consistait à

promouvoir le « discours des limites » (Maranda, Viviers & Deslauriers, 2014). Cette

stratégie s’était révélée particulièrement présente au sein du groupe des professionnels de

l’éducation. Elle s’inscrit en continuité avec les savoir-faire de prudence développés dans les

professions de la relation d’aide, pour maintenir ses frontières personnelles face aux histoires

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346

vécues des clients. Bref, on peut penser que ces stratégies de protection de soi s’inscrivent,

elles aussi, dans le genre professionnel des conseillers d’orientation. Mais qu’en est-il lorsque

le soin de soi nuit au « soin du travail » (Clot, 2010)? Qu’en est-il de la préservation des

« frontières professionnelles » face à l’irrespect de la profession vécu dans le travail au

quotidien?

On retrouve une forme plus radicalisée de stratégie de retrait dans l’enquête de

psychodynamique, qui entraîne un « lâcher-prise » plus important face au travail et à la

profession. Ainsi a-t-on pu constater que certains c.o., désillusionnés face à l’ensemble des

problèmes organisationnels vécus, estiment qu’ils doivent apprendre à se satisfaire de ce

qu’ils ont et tenter d’y trouver leur bonheur pour se maintenir dans leur emploi. Pour

préserver une certaine cohérence avec la finalité du métier – permettre aux gens de trouver

une formation et un métier dans lequel ils sont heureux – ces c.o. se raccrochent à d’autres

dimensions du travail que l’activité professionnelle elle-même, en l’occurrence aux

conditions d’emploi et aux relations interpersonnelles dans le milieu de travail. Cette

stratégie fait écho à celle de la nécessité de pratiquer un « discours positif » qui consiste à

recadrer constamment les situations difficiles pour « voir la moitié pleine » du verre plutôt

que la moitié vide.

Par ailleurs, nous avons montré, dans chacun des volets de la recherche, que la mise en place

de ces stratégies de retrait a un impact sur les pratiques effectives. Puisqu’elles abdiquent,

dans une mesure plus ou moins importante, sur l’actualisation des pratiques désirées, sur le

cœur du métier, elles participent indirectement au maintien de la souffrance identitaire de

métier. En ce sens, il devient intéressant d’explorer plus précisément les stratégies de

« déplacement » du désir de métier, leurs impacts sur les pratiques effectives et leurs liens

avec l’identité professionnelle, afin de mieux comprendre leur participation à la dynamique

de souffrance identitaire de métier.

9.1.2. Les stratégies de déplacement du désir de métier

Face aux contraintes organisationnelles qui empêchent les c.o. d’avoir des pratiques

effectives en concordance avec leur désir de métier, ceux-ci mettent en place des stratégies

de déplacement. Ces stratégies consistent à « déplacer » le désir de métier de manière à

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347

trouver un compromis acceptable pour trouver une cohérence entre les pratiques effectives

et son identité professionnelle de métier, du moins dans un compromis qui paraît acceptable.

Sans modifier les contraintes d’organisation du travail (p.ex., attribution de tâches cléricales,

pressions du temps) qui attaquent le cœur du métier (la relation d’aide, le travail direct avec

les élèves, et le développement vocationnel des jeunes), mais plutôt en s’y « adaptant », les

c.o. tentent de déplacer les pratiques désirées pour qu’elles correspondent mieux à ce qu’ils

peuvent mettre en place dans leurs pratiques effectives.

Une première stratégie des c.o. consiste à accepter le rôle en apparence déqualifiant

découlant de l’organisation effective du travail, celui de soutien aux directions d’école et à

l’organisation scolaire (inscription, choix de cours, information scolaire, sanction), en tentant

par ailleurs de le « requalifier » à leur manière, en l’investissant avec le plus grand

professionnalisme possible. Accepter ce rôle permet aux c.o. de demeurer d’une certaine

manière « indispensables », de « se rendre désirables » dirait Périlleux (2005), aux yeux des

directions d’école, ce qui n’est pas sans avantage dans un contexte de restrictions budgétaires.

Ils consentent ainsi à participer à l’efficience de l’organisation et trouvent même un plaisir à

se montrer « efficaces » en conciliant les exigences des directions d’école et leur finalité

professionnelle d’aider les jeunes à s’orienter.

L’enquête de psychodynamique du travail relève le caractère controversé de cette stratégie

au regard de la profession. Une première position estime que le fait de leur confier des tâches

d’organisation scolaire confirme l’excellente connaissance du système scolaire que

détiennent les c.o.. De plus, cette responsabilité peut aider les élèves à bénéficier d’un

parcours de formation sensé et sans erreur. Selon cette position, le jugement professionnel

des c.o. peut être investi dans la réalisation des tâches administratives. L’autre position argue,

quant à elle, que les tâches administratives relèvent d’un travail clérical qui doit être effectué

par des techniciens, voire parfois même par des logiciels… Selon cette position, l’excellente

connaissance des c.o. du système scolaire participe certes à la professionnalité des c.o., mais

est située en périphérie du « cœur du métier »; elle est nécessaire, mais constitue plutôt un

« outil » pour soutenir les compétences d’aide à l’orientation des élèves et doit le demeurer.

Elle ne doit pas constituer un prétexte pour attribuer aux c.o. un travail purement

administratif. De fait, selon Bardhoshi (2012), c’est le caractère d’« assignation » à ce type

de tâches qui constitue une source d’épuisement professionnel.

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348

La clinique de l’activité montre quant à elle comment les c.o., même s’ils ne « désirent » pas

réaliser ces tâches, consentent à le faire en tentant d’y « mettre du sien », lorsque lesdites

tâches peuvent concourir à un objectif d’orientation. La clinique de l’activité a mis en

visibilité certaines règles de métier qui se sont développées dans ce contexte d’organisation

du travail pressurisante, règles qui permettent apparemment de faire de l’« orientation

rapide » et de soutenir l’« auto-orientation ». Ces règles consistent à amener les élèves à

réfléchir à leur orientation, leur montrer l’importance de s’en préoccuper, les questionner,

voire les déstabiliser de manière à ce qu’ils ouvrent leurs horizons, déconstruire leurs

préjugés sur le monde scolaire et professionnel, les inviter à se mettre en action, en projet,

avec des objectifs concrets, à court et moyen terme, et enfin, à agir de manière à ce que les

élèves se responsabilisent davantage, à ce qu’ils deviennent plus autonomes. Ces règles

arrivent à rapprocher leurs pratiques effectives de leurs pratiques désirées. En ce sens, cette

stratégie de déplacement contribue à mettre à l’épreuve le « genre professionnel » (vs. une

tradition de pratique axée sur le counseling)…

De fait, si l’on peut penser que cette manière d’« adapter » sa pratique peut diminuer la

souffrance identitaire de métier, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une pratique qui

pose de sérieux problèmes sur le plan de la reconnaissance. La reconnaissance, en

psychodynamique du travail, s’appuie sur deux types de jugement : d’une part, le jugement

d’utilité au regard de l’accomplissement de la mission de l’organisation (porté par la

hiérarchie) ou de la finalité de la pratique professionnelle en soi (porté par les bénéficiaires);

et d’autre part, le jugement de beauté au regard des règles de métier, en termes de respect de

la tradition (appartenance) et d’innovation (singularité), jugement porté dans ce cas par les

professionnels du même métier, qui connaissent les règles de l’art). Sur le plan du jugement

d’utilité, les résultats montrent que cette pratique « adaptée » est soit invisible aux yeux de

la hiérarchie ou, lorsqu’elle est visible, elle est contestée puisqu’elle demande plus de temps

que normalement requis (p.ex., dans un contexte de choix de cours, le c.o. va poser plus de

questions à l’élève), ce qui est problématique dans un contexte de pressions du temps. Sur le

plan du jugement de beauté, cette pratique apparaît valorisée par les c.o. participants. On peut

poser l’hypothèse que les c.o. œuvrant dans les écoles se retrouvent dans cette manière de

composer avec les contraintes de la tâche, soutenant l’hypothèse d’un refaçonnement du

genre professionnel. Toutefois, il ne s’agit pas d’une pratique reconnue par les instances

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formelles de régulation du métier (Ordre professionnel, universités), qui continuent de

promouvoir le counseling comme mode privilégié d’intervention en orientation. En outre, on

peut se questionner sur le degré de « qualification » nécessaire pour mettre en œuvre une telle

pratique « adaptée » de l’orientation en milieu scolaire.

En bref, si elle permet, au quotidien, de continuer à pratiquer la profession d’une manière

viable, cette stratégie ne permet pas d’endiguer complètement la souffrance identitaire de

métier. De fait, les c.o. pratiquant de la sorte continuent d’éprouver un certain sentiment

d’imposture au regard de leur appartenance à la profession, au regard de la pratique de

« vrais » processus d’orientation, fondés sur la relation d’aide, le counseling, sentiment

renforcé par la moralisation de l’Ordre professionnel à propos de la pratique de tâches

administratives.

La deuxième stratégie qui s’inscrit dans le registre des stratégies de déplacement est celle

du modèle du « c.o. entrepreneur » identifié dans le cadre de l’enquête de psychodynamique

du travail. Cette stratégie « proactive » réfère au type « entreprenant » de la typologie de

Holland (RIASEC) et s’inscrit dans un univers symbolique relatif à l’entrepreneuriat. Elle

consiste à identifier des besoins relatifs à la pratique du c.o. dans le milieu où il œuvre, à

développer une offre de services innovants qui puisse répondre aux besoins, à établir des

partenariats avec les autres personnels, à faire connaître ses services, à faire des bilans

annuels, etc. Le c.o. devient dès lors entrepreneur de sa pratique professionnelle. Ce modèle

de pratique s’arrime bien avec ce qui est attendu de la part d’un certain nombre de directions

d’école qui veulent voir le c.o. « bouger », « sortir de son bureau ». Il est très bien « adapté »

à l’esprit de l’approche orientante et, plus largement, à l’esprit de la Réforme et de la Nouvelle

Gestion Publique, voire au « nouvel esprit du capitalisme » décrit par Boltanski et Chiapello

(1999; voir Périlleux, 2001)141. Ceux et celles qui mettent en œuvre cette stratégie réussissent

141 Nous pourrions également faire des rapprochements avec le nouvel éthos du travail dominant repéré par

Mercure et Vultur (2010) au sein de la population active québécoise, l’« égotéliste », qui se caractérise entre

autres par une adhésion « aux tendances contemporaines du monde du travail, plus précisément en ce qui

concerne les exigences de flexibilité, les nouvelles formes de mobilisation au travail, ainsi que la nouvelle

gestion des ressources humaines » (p. 257).

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apparemment à éviter les tâches administratives qui leur sont demandées par les directions

d’école.

Mais au-delà de la fuite des tâches cléricales, ces pratiques entrepreneuriales semblent

effectivement « désirées » par un certain nombre de c.o. qui n’ont pas nécessairement

l’impression de faire des « compromis » trop importants sur leur idéal de métier. Mais leur

idéal de métier aurait-il ainsi été « déplacé » par rapport à celui que nous avons cerné dans le

cadre de cette recherche? Ils ne semblent pas non plus ressentir de malaise par rapport à

l’Ordre professionnel qui, à l’évidence, accepte ce type de pratique dans les possibles du

métier. Ce type de stratégies permettra-t-il l’émergence d’un nouveau pôle identitaire,

spécifique à la pratique en milieu scolaire? Il s’agit d’une piste de recherche qui pourrait être

explorée en lien avec les résultats de la recherche Douglas (2011) qui, elle aussi, a repéré

cette conception « entrepreneuriale » de l’identité professionnelle de métier chez les c.o. et

ses affinités avec les orientations politiques et économiques actuelles.

Ces deux stratégies (accommodement pragmatique, et c.o. entrepreneur) permettent

d’atténuer la souffrance identitaire de métier dans une certaine mesure. Toutefois, comme

toute stratégie dite « défensive », elles contribuent paradoxalement à son renforcement en

abdiquant sur le cœur du métier, notamment la relation d’aide, l’accompagnement

personnalisé et le travail direct avec les élèves. Les stratégies défensives participent ainsi à

la reproduction d’une organisation du travail flexible qui attribue aux c.o. des rôles autres

que ceux auxquels s’attendent les finissants des programmes de maîtrise en orientation. Ainsi

augmentent-elles indirectement la souffrance identitaire de métier de la confrérie des c.o. qui

ne souhaitent pas mettre en œuvre ces stratégies et souhaiteraient plutôt pratiquer leur

profession selon un idéal de métier plus en lien avec la socialisation professionnelle.

9.2. La stratégie de résistance à la dérive du cœur de métier

Comme le souligne Lhuilier (2006), il existe, aux côtés des défenses, des stratégies de

résistance. Dans le cadre de cette recherche, ce type de stratégies a été repéré principalement

dans les résultats de la clinique de l’activité. Il s’agit d’une stratégie qui ne s’inscrit pas dans

la culture professionnelle de l’adaptation; au contraire, elle est de l’ordre de la lutte et de la

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tentative de transformation. Elle consiste à refuser de se soumettre à une organisation du

travail qui attaque le cœur de métier, qui déprofessionnalise et dévalorise le travail de

conseiller d’orientation. « Dire non » à certaines demandes farfelues au regard de l’exercice

du métier, refuser de jouer un rôle « déversoir », sensibiliser les parents siégeant au conseil

d’établissement à l’importance du rôle de conseiller d’orientation, argumenter pour faire

reconnaître la pertinence de certaines pratiques plutôt que d’autres, tels sont des exemples de

pratiques de résistance repérées susceptible de protéger le cœur du métier. La pratique du

« rôle-conseil » peut constituer une occasion de déployer une telle stratégie, si l’on se fie aux

résultats de la clinique de l’activité (p. ex., s’impliquer au Conseil d’établissement pour

influencer les décisions de manière à pouvoir réellement pratiquer l’orientation). Toutefois,

comme le soulignent à juste titre Amici et Lemoigne (2007), expliquer ce que l’on fait,

argumenter, défendre son métier, tout cela demande beaucoup d’énergie et devient épuisant

à moyen terme.

En fait, comme le souligne Dejours (dans un entretien avec Lhuilier, 2009) : « La résistance

n’a de sens que si elle a une visée d’efficacité de l’action sur l’état du monde. […] La

résistance est un travail : il faut ruser et donc chercher, tester, comment se battre contre la

domination, y compris la domination symbolique (Bourdieu). » (p. 231). Refuser de faire

dériver le métier peut permettre de garder espoir sur le rapprochement des pratiques désirées

des pratiques effectives et ainsi diminuer la souffrance identitaire de métier. Toutefois, la

résistance implique une lutte difficile à tenir, puisqu’il s’agit non seulement de fournir des

efforts constants pour ne pas abdiquer, mais également de supporter un certain niveau

d’isolement. Dejours résume bien la force dont il faut faire preuve continuellement pour tenir

ce type de stratégies (dans un entretien avec Lhuilier, 2009) :

Il faudrait être suffisamment au clair avec les questions qui se posent sur cette

capacité à assumer ce qu’on dit. Et il faut tenir face à l’adversité, aux claques

qu’on prend quelquefois. C’est très dur. La question de la reconnaissance est

fondamentale ici, à nouveau. Pouvoir s’en passer un temps, sans pour autant y

renoncer pour toujours… (p. 233).

Les participants du groupe de la clinique de l’activité en sont venus à la conclusion qu’il

pouvait être périlleux de tenter de résister seul, de « dire non » individuellement, comme le

soulignent d’ailleurs De Gaulejac et Mercier (2012). On ne peut faire reposer la

responsabilité de la résistance sur une seule personne, au risque de la fragiliser grandement.

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352

Or, à notre avis, deux obstacles apparaissent lorsque l’on entrevoit la possibilité d’une

résistance plus collective à la dérive du cœur de métier : 1) la grande difficulté, voire

l’impossibilité pour les c.o. de pratiquer en collectif de travail; 2) la culture professionnelle

marquée par la tendance à éviter les conflits pour préserver de bonnes relations avec les

autres. Nous avons traité du premier obstacle ci-avant, et notamment du fait que le modèle

de pratique promue par l’Ordre professionnel est un modèle de praticien autonome et

responsable individuellement. Si l’on s’attarde au deuxième obstacle, on peut dire que les

c.o. des deux groupes sont relativement conscients des effets pervers de leur « capacité

d’adaptation », de leur « gentillesse » caractéristique. Cette « gentillesse » notoire, qui semble

d’ailleurs marquer le « genre professionnel », a été documentée par Bemak et Chi-Ying

Chung (2008) chez les c.o.; ils ont montré les difficultés qu’engendre ce « nice counselor

syndrome » par rapport à la nécessité pour les conseillers d’orientation d’agir en tant

qu’agents de changement organisationnel et social et défenseurs des enjeux de justice sociale

à l’école. Amici et Lemoigne (2007) ont également repéré cette tendance des c.o.p. à vouloir

éviter les conflits et des limites que cette tendance pouvait engendrer sur le développement

du métier.

Néanmoins, au terme des démarches de clinique du travail que nous avons conduites dans le

cadre de cette recherche doctorale, les participants des deux groupes sont apparus conscients

de la nécessité de développer des stratégies de résistance collective pour restaurer la dignité

de la profession en milieu scolaire et diminuer la souffrance identitaire de métier. En ce sens,

l’éthique émancipatoire sous-jacente à cette recherche fut d’une certaine portée heuristique.

9.3. Synthèse des stratégies pour faire face au réel et à la souffrance

Aux fins de l’exercice intellectuel, nous avons catégorisé les différentes stratégies utilisées

dans l’exercice du travail de c.o. pour s’adapter et se défendre minimalement. Le lecteur

pourrait ainsi penser qu’une stratégie est déployée par un certain type de c.o., une autre

stratégie par un autre type de c.o., et ainsi de suite. Or, l’émergence de ces stratégies

n’apparaît pas de cette façon dans l’expérience du travail. Un même c.o. peut, à différents

moments de sa vie professionnelle, voire dans la même période, utiliser une stratégie en

même temps qu’une autre. Nous avons plutôt pris le parti, dans le cadre de cette thèse, de

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repérer et d’analyser ces stratégies et leur rôle complexe dans la dynamique de souffrance

identitaire de métier.

Si les stratégies de retrait et de repli identifiées font écho à la littérature scientifique sur le

sujet, l’analyse des incidences de ces stratégies à la lumière de la problématique de l’identité

professionnelle de métier constitue une originalité de cette recherche. Par ailleurs, ce sont les

stratégies de déplacement du désir de métier et les stratégies de résistance, s’actualisant dans

des pratiques effectives, qui sont les plus éclairantes au regard des liens entre la souffrance

au travail et l’identité professionnelle de métier. L’ensemble de ces stratégies font écho aux

deux types de stratégies « identitaires » relevés par Lhuilier (2006), dans la suite des travaux

de Camilleri et ses collaborateurs (1990) :

Les stratégies identitaires peuvent être dirigées vers soi (mécanismes de défense

visant à atténuer la souffrance, l’angoisse, mais aussi mécanismes de dégagement

tel que le travail de deuil) et vers l’extérieur en visant un changement, une

transformation de la réalité. (Lhuilier, 2006, p.218)

Le cadre théorique issu de la clinique du travail nous a permis de faire une analyse qui prend

en compte l’activité comme instance médiatrice entre l’organisation du travail et la

souffrance. En ce sens, on voit bien ce que Lhuilier (2006) appelle la « double face » de ces

stratégies : la créativité et la destructivité. Les stratégies mises en place contribuent à faire

vivre (ou survivre?) le métier, à l’orienter dans des directions qui nécessitent par ailleurs une

mise en débat collectif des incidences des unes et des autres. La mise au jour de ces stratégies

et des pratiques effectives qu’elles impliquent met la table pour des débats au sein de la

profession, sur les orientations que devraient prendre les pratiques, en cohérence avec une

identité professionnelle de métier développée dans des programmes de formation

universitaire actualisés à la lumière des transformations qui affectent le travail des c.o.. Ainsi

peut-il y avoir retour sur les pratiques désirées et les pratiques prescrites par la profession,

dans l’optique de prévenir une souffrance identitaire de métier qui, à terme, pourrait se

transformer en souffrance pathogène. Un tel débat constituerait une base pour interpeller les

pratiques prescrites par l’institution scolaire, pour développer le pouvoir d’agir (Clot, 2006)

des conseillers sur l’organisation du travail en milieu scolaire. Du moins cela ouvre des

possibles…

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9.4. Discussion des forces et limites de cette méthodologie combinée de

clinique du travail

En plus d’utiliser un cadre conceptuel intégrant des concepts de deux théories importantes

dans le champ de la clinique du travail, la théorie de l’activité dirigée (Clot, 1999) et la

psychodynamique du travail (Dejours, 2008), cette recherche a mis en place une méthode

combinant des dispositifs utilisés classiquement en lien avec ces théories. Nous revenons ici

sur les forces et les limites de chacun des dispositifs, puis sur la combinaison des deux

méthodes.

9.4.1. La clinique de l’activité par instruction au sosie en groupe

Le dispositif de clinique de l’activité mis en place constituait un hybride entre la « méthode

d’instruction au sosie », telle que mise en place par Yves Clot et son équipe de la Chaire de

psychologie du travail au Centre national des arts et métiers (CNAM) à Paris, et celle

développée initialement par Ivar Oddone et ses collaborateurs à l’Université de Turin en Italie

dans les années 1970. Typiquement, il semble que la clinique du travail développée par la

suite par Clot et son équipe s’est réalisée autour d’une analyse dialogique ou de disputes

professionnelles. Incidemment, des collaborateurs de Clot ont effectué des démarches de

clinique du travail auprès de conseillers d’orientation psychologues en France. Les écrits

issus de ces enquêtes, c’est-à-dire trois articles (Amici & Le Moigne, 2007; Fernandez &

Malherbe, 2007; Bournel Bosson, 2006) et un rapport de recherche (Bournel Bosson, 2009),

offrent une analyse du travail des conseillers d’orientation psychologues à partir de certains

extraits de dialogues produits dans le cadre de leur dispositif, extraits choisis par les auteurs,

pour illustrer comment les « mouvements dialogiques » peuvent permettre de déployer le

« réel de l’activité » à travers le collectif. Il s’agit d’une analyse sur des éléments significatifs

de controverses au sein du groupe. Ces analyses avaient pour objectif de montrer le

« développement » du métier au sein de tels dispositifs.

Or, nous avions plutôt pour objectif d’illustrer la dynamique de souffrance identitaire de

métier. C’est pourquoi nous avons opté pour une analyse qui se rapproche davantage de la

méthode d’Oddone, dont l’accent est mis sur des dimensions socio-expérientielles. Dans leur

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méthode d’instruction au sosie, Oddone, Re et Briante (1981) procèdent en opérant une

restitution sur l’expérience du travail de chaque instructeur, selon les quatre domaines

d’expérience (rapport à la tâche, rapport aux pairs, etc.). Cette restitution écrite rend compte

de l’interprétation du chercheur à propos de l’expérience du travail. Il n’y a pas de description

de l’activité en tant que telle dans l’approche d’Oddone. Compte tenu de nos objectifs de

recherche, nous avons pour notre part décidé de procéder à une description de l’activité qui

permettrait de rendre compte des pratiques effectives des c.o. et d’en dégager les

convergences et les divergences. Par ailleurs, nous avons respecté l’esprit de la méthode

d’Oddone et ses collaborateurs (1981) en réalisant une interprétation de l’expérience de

chacun des instructeurs par domaine d’expérience. Nous avons toutefois procédé en les

mettant en perspective les uns avec les autres au fur et à mesure de l’analyse. Selon nous,

grâce à cette manière de procéder nous avons pu dégager des principes soutenant des règles

de métier et des convergences en termes d’expérience du travail pour en venir à proposer les

contours d’un « genre professionnel ».

Cette innovation méthodologique – l’hybridation entre les méthodes de Clot et d’Oddone –

a posé des défis sur le plan de la conduite de l’entretien et de l’analyse des données. Sur le

plan de la conduite du dispositif, nous avons dû d’abord nous ajuster quant au point focal à

privilégier lors des instructions. Devait-on solliciter une description très fine de l’activité

comme le permet la méthode telle que conduite par l’équipe de Clot? Ou encore la prise en

compte de l’expérience plus globale dans l’instruction, qui se rapproche davantage de la

posture d’Oddone? Dans ce positionnement du sosie, il y avait également nécessité de tenir

compte de la dimension « clinique » du dispositif, au regard de la « demande » des

participants. De fait, malgré la mise à plat, dès le début de la recherche, du déroulement de

la méthode et de ses implications, les participants avaient le désir de rendre compte de leur

expérience du travail, dans son ensemble. Or, durant le premier entretien, le chercheur jouant

le rôle de sosie a dû interrompre à de très nombreuses reprises l’instructeur afin de jouer la

posture véritablement « naïve », comme on peut le constater dans la méthode

opérationnalisée par l’équipe de Clot. Toutefois, nous avons senti la nécessité de moduler

cette posture pour les entretiens subséquents afin de tenir compte des attentes des participants

au regard du dispositif, et aussi pour mettre davantage l’accent sur l’expérience du travail

plutôt que sur un requestionnement des moindres petits implicites de l’activité.

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Sur le plan de l’analyse des données, le traitement réalisé dans le cadre de notre recherche a

eu pour effet d’aplanir les différences entre les niveaux d’objectivation de l’expérience

(instruction en face à face, instruction avec le groupe, commentaire de l’instructeur, retour

sur le commentaire) qui font partie des forces du dispositif de la méthode d’instruction au

sosie. Étant donné qu’il n’était pas question d’une analyse des « mouvements dialogiques »,

la prise en compte systématique de ces niveaux perdait toutefois de sa pertinence.

Néanmoins, nous estimons que la reprise de l’expérience en différentes étapes a réellement

permis le « développement » (la construction) de discussions sur l’expérience du travail et

du métier au sein du collectif. Aussi, selon nous, notre manière de traiter les données a ouvert

la voie à une meilleure prise en compte de la dimension collective de l’expérience du travail

de métier, dans sa globalité. Comme le souligne Bournel Bosson (2006) à propos de la

méthode d’Oddone et ses collaborateurs : « l’expérience informelle, pétrie des astuces,

trouvailles, gestes professionnels trouvés par chacun, dans le quotidien de l’activité, pour

partie, se révèle [et] constitue potentiellement une ressource, des repères pour le collectif de

travail » (p. 36). La méthode a soutenu le passage par l’expérience individuelle pour traiter

du collectif, du métier, de l’expérience vécue partagée.

Au final, cette hybridation de la méthode du sosie se rapproche davantage de la méthode

d’enquête de psychodynamique du travail en ce qui concerne la prise en compte du contexte,

de l’énoncé des difficultés vécues au travail, avec un ancrage et une description plus détaillée

de l’activité. Enfin, l’ouverture à l’émergence possible de nouvelles catégories, notamment

celle des stratégies pour faire face au réel du travail, nous apparaît comme une force de la

méthode d’analyse de données mise en œuvre, compte tenu de la triangulation des données

qu’elle a autorisée avec la psychodynamique du travail à ce niveau.

Enfin, deux limites nous apparaissent quant à la méthode du sosie mise en place. D’une part,

l’hybridation entre les deux méthodes a généré une quantité imposante de catégories à traiter

dans l’analyse de données, ce qui peut avoir dilué le propos général. D’autre part, compte

tenu de l’implication de la subjectivité du chercheur dans ce type de dispositif, il se peut que

le fait d’avoir partagé les implicites de la profession – le chercheur étant lui-même conseiller

d’orientation – ait limité les possibilités de développement de l’expérience du métier, selon

une posture habituellement naïve du sosie. À ce propos, citons Bournel Bosson (2009) :

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Quant au chercheur, il ne partage pas les implicites du métier, c’est là sa force

car les conseillers peuvent ainsi regarder leur métier avec « les yeux d’autrui ».

D’une certaine façon, il ne les laisse pas s’installer dans du déjà-dit, déjà-pensé,

déjà-partagé. Sa préoccupation majeure est d’organiser les conditions pour que

les débats de métier, souvent déjà initiés dans des dialogues antérieurs (et

intérieurs), puissent se poursuivre, s’amplifier et qu’ils ne l’enlisent pas dans des

impasses. (p. 7)

Cette limite a été en partie palliée par la présence de l’équipe de direction de la thèse, qui

aurait pu déceler dès la lecture des verbatim du premier entretien si le groupe de participants

s’était installé dans du « déjà-dit, déjà-pensé, déjà-partagé » (Bournel-Bosson, 2009, p.7).

Enfin, notons que cette limite concerne l’ensemble de la méthode combinée, puisque cette

critique pourrait être adressée également à propos du dispositif d’enquête de

psychodynamique du travail lorsqu’il n’y a qu’un chercheur-animateur.

9.4.2. L’enquête de psychodynamique du travail

La mise en œuvre de la méthode d’enquête de psychodynamique du travail a été facilitée par

les repères clairs dont nous disposions pour ce faire : non seulement existe-t-il un texte

méthodologique balisant clairement la méthode (Dejours, 2008), mais le chercheur avait déjà

l’expérience de la conduite de telles enquêtes. Une des forces de l’enquête est de mettre en

évidence plus directement le vécu lié à la confrontation au réel du travail, aux contraintes

d’organisation du travail, et d’accéder donc plus facilement à la souffrance au travail. L’autre

force principale de ce dispositif fut de mettre en discussion, de façon explicite, des pistes

d’interprétation de stratégies défensives, ce qui peut s’avérer porteur autant au plan clinique

que sur le plan de la production des connaissances. Dans le cas de la présente enquête, la

question posée d’entrée de jeu a explicitement mis le métier en discussion, autant sur le plan

de la souffrance que des stratégies défensives. L’analyse interprétative a donc pu être réalisée

à l’aune des valeurs du métier. On voit l’importance de cette première question pour une

recherche ayant des visées scientifiques.

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358

9.4.3. La combinaison des deux dispositifs et sa contribution à la clinique du travail

Dans l’ensemble, la convergence des résultats obtenus avec chacun des dispositifs contribue

à donner une plus grande crédibilité à l’analyse réalisée. La méthode du sosie met en visibilité

la manière dont les conseillers d’orientation arrivent, individuellement, à composer au

quotidien avec les contraintes organisationnelles, tout en tenant compte de leur vision du

métier, en « adaptant » leur pratique. Cette méthode a permis de mettre en évidence certaines

ruses utilisées par les c.o. pour faire de l’orientation malgré tout, ce qui fait écho à

l’intelligence rusée, concept prisé par la psychodynamique du travail. Telle que mise en

œuvre, la méthode du sosie a fait ressortir des dimensions « stylistiques » et « génériques »

de ces stratégies. De son côté, l’enquête de psychodynamique du travail a rendu compte de

manière plus saillante de la dimension positionnelle-sociale de la construction de l’identité

professionnelle de métier dans l’exercice du travail, de l’importance de la reconnaissance

« sociale », au-delà de la reconnaissance du travail. Par ailleurs, elle a mis clairement en

évidence le « travail empêché », notion issue par ailleurs de la théorie de l’activité dirigée.

On voit ainsi que ces approches qui sont souvent mises dos à dos ont une parenté qui peut

soutenir une contribution synergique à la recherche en clinique du travail.

Au final, la combinaison de ces deux approches de clinique du travail est d’un grand intérêt,

autant sur le plan théorique (création d’un modèle conceptuel intégré) que méthodologique

(convergence sur l’analyse générale et complémentarité entre description de l’activité et de

l’expérience pathique du travail). Il fut intéressant de mettre les deux approches en

perspective à partir d’un objet de recherche commun et de résultats empiriques, plutôt qu’à

partir d’un dialogue théorique, certes intéressant, mais à l’abri de la mise à l’épreuve du réel.

En ce sens, nous espérons que cette thèse contribue à un décloisonnement des pratiques de

clinique du travail et au dialogue entre les différentes approches qui la composent. La reprise

de l’esprit d’Oddone, Re et Briante (1981) pour la mise en œuvre de la méthode du sosie fut,

en ce sens, un trait d’union intéressant entre les deux approches. Elle a permis de garder en

perspective le « cadre organisationnel » souvent perdu dans la clinique de l’activité, mais

auquel arrivent rapidement les enquêtes de psychodynamique du travail, tout en préservant

la prise en compte du travail comme activité.

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359

Enfin, la combinaison des deux approches avec l’apport théorique de Florence Osty (2002)

a pu donner lieu à la proposition d’un nouveau concept, celui de souffrance identitaire de

métier et au développement d’un modèle de compréhension qui traduit la complexité du

phénomène, nous semble-t-il. Il semble que ce phénomène était latent dans l’une et l’autre

des théories, mais la présente recherche fournit une première esquisse de ce qui peut en être

la phénoménologie.

9.4.4. Retour sur les critères scientifiques de la recherche

Cette recherche menée sur la souffrance identitaire de métier des conseillers d’orientation

s’inscrit dans un paradigme constructiviste interprétatif critique. Comme nous l’avons

montré au chapitre 5, ce type de recherche a développé des critères scientifiques et éthiques

qui lui sont propres afin de rendre justice à la logique propre de ce paradigme en ce qui a trait

à la production de connaissances. Selon Gohier (2004), les critères scientifiques peuvent se

décliner ainsi : la crédibilité, la transférabilité, la constance interne, la fiabilité. Revenons

sommairement sur chacun de ces critères de manière à soutenir les forces et les limites de la

recherche sur ces aspects.

La crédibilité concerne la validation interne de la recherche (p. ex, rigueur procédurale) et la

validité de signifiance (p. ex., corroboration des interprétations avec d’autres acteurs)

(Gohier, 2004). La triangulation issue de la méthode combinée pour éclairer notre objet de

recherche constitue une force à l’égard de la validation interne. La production de synthèses

verbales et d’un rapport écrit, ainsi que la présence d’un « collectif de contrôle » pour discuter

les interprétations soutiennent la validité de signifiance. Par ailleurs, a posteriori, il nous

apparaîtrait porteur pour le développement scientifique en clinique du travail de formaliser

davantage, sans pour autant perdre la force de l’analyse clinique, les démarches d’analyse

des données. De fait, peu de références existent à cet effet et il y aurait lieu de partager nos

pratiques à cet égard.

La transférabilité concerne quant à elle le critère de « validité externe » (Gohier, 2004). Il

s’agit de faire le nécessaire pour situer la recherche et les participants dans le contexte social

et historique de manière à ce que la signification des résultats puisse être discutée au regard

de contextes analogues ou non. À cet effet, une description du contexte, du déroulement de

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360

la démarche et des sujets de la recherche a été produite, tout en préservant l’anonymat des

participants. Par ailleurs, il est important de noter que nous ne prétendons pas à la

généralisation des résultats. Rappelons à cet effet qu’il s’agit d’une enquête de « clinique du

travail » et, qu’en ce sens, elle a pour point de départ une demande de mieux comprendre ce

qui pose problème dans l’expérience pathique du travail. En somme, notre recherche ne

soutient pas être représentative du rapport au travail et à l’identité professionnelle de métier

de l’ensemble des c.o. des commissions scolaires au Québec. En effet, notre recherche a été

conduite avec des c.o. œuvrant, pour la très grande majorité, dans des écoles secondaires. Or,

les contextes de travail des c.o. en milieu scolaire peuvent être très variés (p.ex., formation

professionnelle, SARCA, éducation aux adultes), sans compter la variabilité des mandats en

fonction des directions d’établissement et des organisations. Cela étant dit, ce type de

recherche qualitative génère des savoirs sur le « sens d’une expérience » de travail de

participants volontaires, sens qui peut faire écho chez d’autres sujets, dans des contextes

similaires. Des recherches pourraient être poursuivies pour approfondir les conditions de

transférabilité des résultats sur une plus grande échelle.

La constance interne, ou l’indépendance des observations et des interprétations (Gohier,

2004), constitue le troisième critère d’ordre scientifique. Les observations et interprétations

ont été soumises à l’intersubjectivité à fois avec les groupes de participants et avec le

« collectif de contrôle ». Ce sont les discussions au sein de ce « collectif de contrôle », en

mesure de comparer nos résultats avec ceux d’autres recherches, qui ont permis de tenir

compte des variations accidentelles ou systématiques des milieux ou de la personnalité du

chercheur-acteur de la démarche.

Enfin, la fiabilité cherche, quant à elle, une transparence des analyses par rapport à l’idéologie

des chercheurs (Gohier, 2004). Si, comme nous l’avons souligné, le partage par le chercheur

des implicites du métier peut s’avérer une limite sur ce plan, nous avons mis en place

certaines mesures qui risquent d’avoir atténué l’influence de cet aspect. En ce sens, nous

avons énoncé nos présupposés théoriques et épistémologiques via le formulaire de

consentement. L’implication à long terme auprès des participants, sur quatre rencontres ayant

eu lieu sur plusieurs mois, a soutenu cette transparence axiologique.

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361

En plus de ces critères d’ordre scientifique, Gohier (2004) suggère d’apprécier la qualité

d’une recherche interprétative par d’autres critères, d’ordre relationnel, éthique et

démocratique. Les critères relationnels concernent l’équilibre, l’authenticité et le respect

entre participants et chercheur. Les critères éthiques et démocratiques ont trait, quant à eux,

à la qualité des échanges, le souci de la dignité des personnes et la prise en compte du contexte

économique, politique et social. L’approche de la clinique du travail, telle que nous l’avons

exposée, nous apparaît bien répondre à ces critères, comme nous l’avons exposé à quelques

reprises au cours de la thèse.

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363

Conclusion

Cinquante ans après sa constitution formelle via la création d’un Ordre professionnel,

cinquante ans après que le Rapport Parent lui ait fait une place de choix au sein du système

scolaire québécois, la profession de conseiller d’orientation au Québec est toujours en lutte

pour une reconnaissance de sa pertinence au sein de la société et de l’école. Au moment

même où se tenaient des États généraux sur la profession pour faire le point sur son avenir,

le système d’éducation au Québec entrait, à la fin des années 1990, dans une réforme qui

allait affecter l’ensemble des personnels scolaires, certes, mais particulièrement les

conseillers d’orientation. Soucieux de rendre l’école québécoise « orientante », les décideurs

ont jeté les bases d’une organisation du travail qui, voulant « décorporatiser » les pratiques

professionnelles, a étendu la responsabilité de l’orientation des élèves à l’ensemble des

acteurs impliqués dans l’école : directions, enseignants, professionnels de tous ordres,

personnel de soutien, parents, membres de la communauté. En conséquence, les conseillers

d’orientation seraient amenés à exercer moins de travail direct auprès des élèves et davantage

de travail « conseil » auprès des différents acteurs.

Or, dans le contexte où elle s’est réalisée, cette réorganisation du travail d’orientation ne

semble pas avoir porté les fruits escomptés et plusieurs acteurs se sont montrés préoccupés,

dans les dernières années, de la réponse déficiente apportée aux besoins d’orientation des

jeunes dans les écoles. En même temps, l’Ordre professionnel constate que les c.o., déjà en

faible nombre dans les écoles aujourd’hui, sont trop souvent amenés à exercer des tâches

essentiellement administratives, alors même qu’ils se sont vu réserver, par le gouvernement

québécois, de nouvelles activités professionnelles cliniques auprès des élèves vulnérables.

Bref, la profession apparaît tiraillée d’un côté et de l’autre, dans une lutte caractérisant

typiquement une situation de souffrance. Comment, dès lors, les c.o. arrivent-ils à arbitrer

ces tensions dans le travail au quotidien? Comment arrivent-ils à composer non seulement

avec les différentes prescriptions et les différentes visions de la pratique en orientation, en

respectant leur propre « désir d’accomplissement de soi »? Cette situation donne à voir

l’importance d’investiguer la souffrance dans le travail des c.o.

Des manifestations de souffrance au travail chez les c.o. ont été repérées dans des études

provenant de divers pays : au Québec (Soares, 2006b), mais aussi aux États-Unis (Lawson,

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364

2007) et en France (Amici & Le Moigne, 2007; Fernandez & Malherbe, 2007; Bournel

Bosson, 2009). Au-delà des symptômes de cette souffrance qui, manifestement, peut prendre

des formes pathogènes (p. ex., détresse psychologique, épuisement émotionnel, anxiété,

dépression ou désespoir), comment peut-on en comprendre les subtilités? L’analyse de la

recension des écrits révèle trois grands courants de pensée pour aborder les problèmes de

santé mentale chez les conseillers d’orientation : psychologique-individuel, psychosocial, et

un courant axé sur le travail. Le courant psychologique-individuel relève chez les c.o.

certaines caractéristiques personnelles (le manque d’estime de soi, le manque de maturité de

l’ego), certaines stratégies de coping (la stratégie centrée sur les émotions) et certains

comportements (la négligence par rapport à sa santé et son bien-être) pour expliquer les

problèmes relatifs à la souffrance au travail. Le courant psychosocial retient le manque de

soutien social pouvant prendre diverses formes (absence de supervision clinique, de soutien

de la famille, ou de soutien des collègues), la difficile articulation travail-famille, le manque

de reconnaissance et d’estime de soi collectif, et difficultés dans la définition du rôle

(ambiguïté ou conflits entre les attentes initiales des c.o. et l’emploi occupé, entre des tâches

visant à « soutenir le système » et des tâches de counseling auprès des élèves, entre les

attentes du milieu scolaire et celles des instances professionnelles). Enfin, le courant axé sur

le travail explique les problèmes de santé mentale au travail, d’une part, par le fait que la

nature de leur travail amène les c.o. à entendre des histoires personnelles lourdes à porter sur

le plan des émotions et dont la complexité augmente de plus en plus, et d’autre part, par

l’existence d’un contexte organisationnel ayant des caractéristiques pathogènes

(augmentation de la charge de travail, diminution de l’autonomie professionnelle et reddition

de comptes administrative). De cette analyse critique de la littérature scientifique, les enjeux

les plus importants à considérer dans l’investigation inédite de la souffrance au travail des

c.o. ont émergé afin de formuler cette question générale de recherche : comment se vit, dans

le travail réel, l’identité professionnelle de métier des c.o. au regard du contexte

organisationnel et professionnel?

La pertinence scientifique de cette thèse prend sa portée dans le cadre théorique et

méthodologique de la clinique du travail avec lequel elle tente d’éclairer son objet de

recherche : le travail. Certaines recherches qualitatives menées auprès des c.o. ont démontré

la pertinence des approches qui s’intéressent à l’expérience concrète de leur travail pour

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365

comprendre comment ces derniers, individuellement, réussissent ou non à arbitrer les

différentes contraintes professionnelles, culturelles, institutionnelles, structurelles, de

manière à répondre à leur propre « désir d’accomplissement de soi ». Toutefois, à notre

connaissance, aucune recherche n’avait utilisé un cadre théorique considérant à la fois

l’expérience technique et pathique du travail tout en tenant compte du caractère collectif et

délibératif du métier. La clinique du travail aborde la question de la souffrance au travail par

la mise en discussion collective de l’activité, i.e. du travail effectif, vécu. Cette porte d’entrée,

par l’expérience subjective et intersubjective, permet d’appréhender les aspects dynamique

et collectif du phénomène qui n’ont pas été repérés jusqu’à ce jour dans la littérature

scientifique.

La thèse s’appuie plus précisément sur un cadre théorique et méthodologique mobilisant les

théories de l’activité dirigée (Clot, 1999) et de la psychodynamique du travail (Dejours,

2008). Sur le plan théorique, la souffrance identitaire de métier, concept central de cette thèse,

est définie à partir d’une intégration des définitions de la « souffrance » issues de ces théories,

mais aussi de la conceptualisation de l’identité professionnelle de métier inspirée également

des travaux de Osty (2002, 2006, 2008). La souffrance identitaire de métier constitue donc

un espace de lutte psychique peu investigué à ce jour entre un désir de métier ou

d’accomplissement du soi professionnel et le réel du travail qui fait obstacle. Il s’agit d’un

vécu subjectif partagé traduisant un empêchement d’agir professionnel individuel et collectif,

i.e. un empêchement de transformer le monde en continuité avec le cœur de son métier qui

fait qu’on ne reconnaît plus sa profession dans ce que l’on fait.

Pour comprendre la dynamique de souffrance identitaire de métier qui se joue dans

l’expérience du travail des c.o. en milieu scolaire, nous avons développé un modèle

conceptuel intégrant des concepts issus de la théorie de l’activité dirigée (Clot, 1999) et celle

de la psychodynamique du travail (Dejours, 2008). Ce modèle visait à répondre à l’objectif

général de cette recherche : analyser les tensions entre les pratiques prescrites par le

système scolaire et la profession, les pratiques professionnelles désirées par les c.o. et les

pratiques effectives qui s’incarnent dans l’exercice du travail au quotidien. Il s’agissait

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d’éclairer la dynamique entre le plaisir, la souffrance au travail et les stratégies défensives, à

la lumière des règles de métier issues du « genre professionnel »142 et du collectif de travail143.

Comment appréhender cette dynamique de tensions au sein de l’identité professionnelle de

métier à travers les pratiques professionnelles? L’exploration des méthodes d’investigation

expérientielle de la pratique professionnelle avait pour objectif de situer notre perspective

méthodologique au regard de deux grands courants fortement présents en sciences de

l’éducation : le courant de la praxéologie socioconstructiviste et celui de l’analyse groupale

des pratiques professionnelles. Au niveau des finalités, il ne s’agissait pas tant d’améliorer la

pratique professionnelle en termes d’efficacité, comme le visent les dispositifs

praxéologiques ou d’analyse des pratiques professionnelles d’orientation Balint, mais plutôt

d’en dégager une compréhension qui articule les dimensions technique, axiologique et

pathique (Dejours, 1995a). En ce sens, l’utilisation du groupe est apparue fondamentale

puisqu’il constitue un espace permettant aux participants à la fois de se reconnaître dans ce

que les autres disent et de s’en distinguer. L’identité professionnelle de métier peut dès lors

se discuter en actes. De manière analogue aux dispositifs d’analyse des pratiques

professionnelles de type « intervention » en psychosociologie, le groupe fait également

office, dans l’approche que nous proposons, d’espace qui favorise une ouverture vers un

« destin politique de la souffrance » (Périlleux & Cultiaux, 2008), au sens où ce qui se dégage

de la parole publique prend dès lors une vie dans l’espace collectif, du côté du vivre-

ensemble. Si elle se fonde clairement sur l’expérience, comme les deux courants discutés, la

méthodologie de cette thèse ne se limite pourtant pas à « théoriser » la pratique vécue; elle

142 Rappelons ici une partie de la définition du genre professionnel, selon Clot et Faïta (2000) : « [les genres]

marquent l’appartenance à un groupe et orientent l’action en lui offrant, en dehors d’elle, une forme sociale qui

la représente, la précède, la préfigure, et, du coup, la signifie. Ils désignent des faisabilités tramées dans des

façons de voir et d’agir sur le monde considérées comme justes dans le groupe des pairs à un moment donné. »

(p. 14)

143 Rappelons également des éléments de définition du collectif de travail. En psychodynamique du travail, il

existe un collectif de travail lorsque plusieurs concourent à une œuvre commune dans le respect des règles

telles qu’intériorisées (Carpentier-Roy, 1989; Cru, 1988). Il découle d’une expérience commune d’une certaine

durabilité qui entraîne une cohésion contre la menace extérieure ou intérieure (Maranda & Leclerc, 1997). La

présence d’un collectif de travail implique une coopération découlant de la confiance, du respect et de l’estime

des autres (Vézina, 1999).

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s’adosse plutôt à des théories du travail pour éclairer l’expérience, comme le suggère

Perrenoud (2004) au regard de l’analyse des pratiques professionnelles. Cet appui des

théories de l’activité dirigée et de la psychodynamique du travail autorise une compréhension

critique des contraintes organisationnelles, institutionnelles, culturelles et historiques

contribuant à la dynamique de la souffrance identitaire de métier. En ce sens, la méthodologie

convoquée devait s’inscrire dans une éthique émancipatoire (Dejours, 2008; Oddone, Re, &

Briante, 1981) qui répond à un désir de changement, d’amélioration, de transformation

lorsque la souffrance est exprimée, dite, nommée en groupe. Lorsque les choses sont

discutées dans l’espace public, elles ne peuvent plus être jugées privées ou refoulées dans

l’espace intime. De cet examen des méthodes possibles d’investigation, quatre

caractéristiques distinctives de la « clinique du travail » sont apparues indispensables à

observer :

[…] l’importance de la demande et de son analyse, la dimension collective des

cadres d’élaboration, la centralité du travail sous la double face de l’organisation

sociale du travail et du rapport subjectif au travail, l’intervention comme

processus de changement au plus près des situations concrètes de travail.

(Lhuilier, 2006, p. 217)

La méthode de la clinique du travail mise en œuvre pour répondre aux objectifs de cette thèse

s’est déclinée en deux dispositifs conduits auprès de deux groupes de conseillers

d’orientation en milieu scolaire, rencontrés chacun à quatre reprises (rencontres de 3 h).

D’une part, une clinique de l’activité par instruction au sosie (Clot, 1999 ; Oddone, Re &

Briante, 1981) a été conduite auprès d’un groupe de dix conseillers et conseillères

d’orientation d’une même commission scolaire. Trois cycles d’instruction ont eu lieu, avec

trois c.o. différents. Chaque cycle comportait d’abord un moment où l’instructeur décrivait

une séquence de travail à un sosie fictif (le chercheur), en ayant pour consigne de s’attarder

suffisamment aux détails pour que le sosie puisse le remplacer dans son travail sans que

personne ne s’avise de la substitution. Puis, le groupe était amené à questionner à son tour

l’instructeur de manière à préciser la description du travail. À la suite de cette rencontre,

l’instructeur devait rédiger un « commentaire » sur son expérience à partir de l’écoute de la

bande audio et de la lecture de la transcription des verbatim. Le cycle d’instruction était

complété par une discussion en groupe sur le commentaire de l’instructeur. À la suite des

trois cycles d’instruction, une discussion en groupe fut tenue dans l’optique de faire un bilan

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de la démarche et de discuter de pistes d’analyse. D’autre part, l’enquête de

psychodynamique du travail (Dejours, 2008) a été tenue auprès d’un deuxième groupe,

composé de onze c.o. provenant de deux commissions scolaires avoisinantes. À partir de la

question générale suivante, les participants devaient discuter de leur expérience du travail :

« Comment comprenez-vous votre travail et vos pratiques actuelles de conseillers

d’orientation en milieu scolaire en termes de dynamique plaisir / souffrance? » Une première

analyse réalisée par le chercheur à partir des concepts de la théorie de la psychodynamique

du travail a été mise en discussion au cours de la troisième rencontre. Puis, un rapport

consignant l’analyse de psychodynamique du travail a été lu et discuté lors de la quatrième

et dernière rencontre afin de le valider. Dans un cas comme dans l’autre, les rencontres ont

été enregistrées sur support audio, transcrites et les propos analysés de manière à répondre

aux objectifs spécifiques.

Les résultats de la clinique de l’activité par instruction au sosie révèlent, pour ce groupe

de conseillères et conseillers d’orientation, une expérience du travail marquée par un mélange

de compromis et de luttes pour tenter de préserver le sens de l’orientation dans le quotidien

de la pratique dans les écoles… La description des pratiques effectives des instructeurs révèle

cinq types d’activités auxquels les c.o. se consacrent : 1) l’admission et l’inscription des

élèves; 2) les choix de cours; 3) la réponse aux besoins généraux d’information et

d’orientation scolaire des élèves (tournées de classes, « journées carrières », et « service à la

clientèle »); 4) les rencontres individuelles avec les élèves; et 5) l’exercice du rôle-conseil et

l’approche orientante. À défaut de pouvoir faire ce qu’ils appellent de « vrais » processus

d’orientation, référant par là au counseling d’orientation, les c.o. tentent de soutenir

l’orientation des élèves dans toutes les tâches qui leur sont attribuées, en y mettant une

« couleur c.o. » fondée sur les principes suivants : amener les élèves à réfléchir à leur

orientation et leur montrer l’importance de s’en préoccuper; questionner les élèves, voire les

déstabiliser de manière à ce qu’ils ouvrent leurs horizons et déconstruisent leurs préjugés sur

le monde scolaire et professionnel; inviter les élèves à se mettre en action, en projet, avec des

objectifs concrets, à court et moyen terme; agir de manière à ce que les élèves se

responsabilisent davantage, à ce qu’ils deviennent plus autonomes; lorsqu’ils peuvent faire

de plus longs « processus », axer les interventions sur la connaissance de soi. On voit dès lors

apparaître des couleurs qui peuvent caractériser le « genre professionnel », c’est-à-dire des

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manières de réorganiser la tâche pour que les c.o. puissent arriver à travailler malgré les

contraintes en place. Ces couleurs peuvent soutenir la reconnaissance mutuelle des c.o. en

milieu scolaire.

Articulée à la dimension « technique » des pratiques des instructeurs, la clinique de l’activité

a également révélé une description de la dimension « pathique » qui s’est déclinée selon le

rapport des domaines d’expérience développés par Oddone, Re et Briante (1981) : le rapport

à la tâche (pratiques prescrites par l’organisation) et aux destinataires de l’activité (élèves,

pairs, hiérarchie, organisations professionnelles). L’expérience du métier des c.o. en milieu

scolaire révèle des caractéristiques d’organisation du travail qui paraissent déterminantes au

regard du rapport au travail et de la manière de pratiquer sa profession. La division technique

du travail fait en sorte que les c.o. se retrouvent avec une quantité de tâches telle qu’ils

doivent réaliser un travail plus en surface qu’ils ne le souhaiteraient, notamment au regard de

la singularité de la réalité de chaque élève. La division sociale du travail apparaît également

décisive quant à l’expérience du métier : lorsque la collégialité, la confiance, la

reconnaissance sont absentes, il y a nécessité de s’évertuer pour faire reconnaître sa place et

sa pertinence professionnelle dans l’organisation, ce qui rend particulièrement pénible

l’expérience du travail. Enfin, l’idéal de pratique, prescrit par l’Ordre professionnel dans une

perspective de protection du public, ajoute une tension supplémentaire dans la mesure où le

réel du travail amène la pratique sur un tout autre terrain où l’on est obligé de pratiquer

l’orientation en superficie, ce qui peut générer un sentiment plus ou moins important

d’imposture.

La mise en discussion, en groupe, de cette expérience du travail des instructeurs met en

visibilité quatre axes du « réel de l’activité »144 (Clot, 1999), révélant à la fois des conditions

et des pratiques désirées en counseling et orientation qui relient les c.o. affectivement à leur

profession, au « cœur » de leur métier : 1) la modalité d’« intervention individuelle » auprès

des élèves; 2) le développement de la maturité vocationnelle des jeunes du secondaire; 3) la

144 « […] le réel de l’activité, c’est aussi ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire, ce qu’on cherche à

faire sans y parvenir – les échecs –, ce qu’on aurait voulu ou pu faire, ce qu’on pense ou qu’on rêve pouvoir

faire ailleurs. Il faut ajouter – paradoxe fréquent – ce qu’on fait pour ne pas faire ou encore ce qu’on fait sans

vouloir le faire. Sans compter ce qui est à refaire. » (Clot, 1999, p. 119)

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réalisation d’un travail spécialisé avec des élèves ayant des besoins particuliers dans un cadre

de multidisciplinarité; et 4) un espace organisationnel et temporel suffisant pour exercer leur

métier de manière « professionnelle ». Le groupe a également identifié des contraintes qui

mettent les c.o. à l’épreuve du réel, contraintes s’articulant autour de deux points focaux :

1) « l’utilisation » organisationnelle des c.o.; 2) l’augmentation de la charge de travail. Sur

l’utilité organisationnelle du c.o., les participants ont relevé à quel point la nature du rôle et

son expertise sont méconnues, mais aussi ignorées, notamment par des directions d’école qui

instrumentalisent le c.o. pour arriver à des objectifs organisationnels. Au final, les c.o.

déplorent la dévalorisation de la profession, par l’attribution de tâches de tous ordres qui les

placent plutôt dans un rôle de technicien adjoint administratif. Dans ce contexte,

l’augmentation de la charge de travail et les pressions vécues en ce sens sont difficilement

supportables, car elles présagent d’une déqualification de la profession imméritée au regard

du travail réel que les c.o. déploient pour faire face aux besoins immenses des jeunes.

Comment dès lors les c.o. tentent-ils de composer avec cette situation? Les instructeurs ont

illustré différents « styles »145 actualisés dans des stratégies mises en place pour se protéger

de la souffrance vécue dans l’expérience du travail (rationalité subjective), d’une manière qui

respecte l’esprit du « genre professionnel » (rationalité professionnelle), caractérisé

notamment par un pragmatisme adaptatif : 1) le recadrage de l’importance de son travail;

2) le « prendre soin » des relations interpersonnelles; et 3) la résistance diplomatique. Ces

stratégies à la fois « génériques » et « stylisées » ont trouvé écho dans l’expérience du travail

des c.o. du groupe. Ainsi, les c.o. consentent-ils à « adapter » leurs pratiques professionnelles

en conciliant les besoins des élèves et la logique opérationnelle de l’organisation de manière

à faire leur bout de chemin dans la logique du « faire plus avec moins ». L’adaptation

pragmatique à l’efficience semble d’ailleurs avoir contribué à façonner le « genre

professionnel » du c.o. en milieu scolaire qui se « spécialise » dans l’orientation rapide, dans

la mise en action des élèves en une sorte d’auto orientation, dans une orientation concrète,

voire pragmatique, de façon à démontrer son efficacité. Ces stratégies sont en droite ligne

145 Le « style » constitue pour le sujet, un espace d’ajustement en cours d’action face aux imprévus du travail,

espace qui lui permet de « signer » la qualité du travail (Clot & Faïta, 2000). Adressé au collectif, le style vivifie

le genre en le poussant dans ses retranchements (Clot, 1999).

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avec les principes qui sous-tendent les règles de métier dégagées de l’analyse de leurs

pratiques effectives. Par ailleurs, plusieurs tentent de garder vivant le « cœur du métier » et

mettent en place des stratégies de résistance pour ne pas être absorbés par une idéologie

extérieure aux valeurs et principes de la profession. Il s’agit dès lors de tenter de convaincre

les personnels scolaires (et les membres des instances décisionnelles) de la pertinence et de

la compétence des conseillers d’orientation, de décliner les mandats qui ne concernent pas

leur spécificité professionnelle ou encore de refuser d’œuvrer dans des conditions qui

empêchent le professionnalisme. Enfin, en bout de ligne, les participants estiment qu’il est

important de se protéger soi-même, de protéger son équilibre mental et son équilibre de vie;

d’être prêt à « lâcher prise » et de recadrer l’importance du travail dans la vie en général avec

les risques de renoncer au désir de métier.

En somme, cette démarche de clinique de l’activité a ouvert la voie, à notre avis et à celui du

groupe de participants, à une « dépsychologisation » de la souffrance au travail, d’une part,

et a suscité un désir de développement professionnel collectif. Le groupe partage une volonté

d’offrir une école plus orientante pour les élèves et un désir de recentrer la pratique sur de

« vrais processus d’orientation » ou, à défaut, de se « recentrer sur les élèves ». Attendue

d’une démarche de clinique de l’activité, cette restauration de la conscience des possibles du

métier semble constituer un pas en avant pour les participants du groupe. Reste à dégager des

règles de métier à faire observer pour y parvenir.

Le deuxième dispositif de la méthodologie de la thèse reposait sur une enquête de

psychodynamique du travail. Ses résultats décrivent une dynamique où l’organisation du

travail à l’école alimente une souffrance liée à la marginalisation de la profession, souffrance

qui, à son tour, engendre le déploiement de stratégies défensives qui participent

insidieusement à ce processus de marginalisation... D’abord, l’analyse du travail effectif

révèle l’omniprésence de tâches répondant à des besoins relatifs au fonctionnement

organisationnel contrôlé ou édicté par les dirigeants de l’école. L’organisation du travail étant

fortement déterminée par les directions d’établissement ou directions adjointes, les c.o. se

retrouvent souvent à devoir occuper un rôle de soutien à ces directions ou se voient affectés

à des tâches répondant à des besoins estimés prioritaires par la gestion. Ainsi les c.o. en

formation professionnelle (pour donner cet exemple) ont-ils d’abord pour responsabilité

d’assurer une « clientèle » suffisante à leur centre, puisque l’inscription d’élèves conditionne

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l’attribution des budgets selon les règles du ministère de l’Éducation. Du côté du secteur des

« jeunes » (écoles secondaires), les c.o. sont principalement affectés à des tâches relatives à

l’administration du cheminement scolaire des élèves : aide à l’analyse des dossiers des élèves

(admission, cheminement scolaire, diplomation, équivalence, reconnaissance des acquis,

etc.), aide aux choix de cours, vérification des bulletins, etc. Leur expertise du système

scolaire est, de fait, une ressource de taille pour les directions. Si ces tâches peuvent permettre

d’avoir une place reconnue dans l’organisation efficace du travail à l’école, plusieurs se

posent des questions quant au risque d’instrumentalisation de la profession. Sans compter

que certains se demandent s’il s’agit réellement d’un travail « professionnalisant ». En outre,

les c.o. reçoivent quantité de tâches qui relèvent d’un impensé organisationnel (p. ex., des

tâches non assignées mais nécessaires au fonctionnement de l’école), à commencer par la

diffusion de l’information scolaire et professionnelle (pour permettre aux jeunes de faire leur

choix de programme postsecondaire par exemple), tâche qu’ils ont dû récupérer, un peu par

défaut, lorsque le programme d’Éducation au choix de carrière a été supprimé du cursus

scolaire obligatoire. Bref, les mandats plus ou moins pertinents et plus ou moins intéressants

s’accumulent et le temps manque pour l’essentiel…

La théorie de la psychodynamique du travail fournit une compréhension dynamique des liens

entre le plaisir et la souffrance au travail. Ainsi est-il nécessaire de saisir les contours du

plaisir pour comprendre la souffrance. Pour les c.o. du groupe d’enquête, le plaisir se retrouve

dans le travail avec les élèves (dans leurs interactions avec les élèves, dans la possibilité

d’établir une relation d’aide avec eux, ou de faciliter leur cheminement scolaire et leur

orientation scolaire et professionnelle), dans la possibilité d’agir comme professionnel et

spécialiste avisé dans l’organisation du travail (se voir reconnu et utilisé pour son expertise

et recevoir des mandats stimulants) et enfin, dans les contours du travail en convivialité. Or,

le plaisir est menacé par l’organisation réelle du travail (effective, efficace, efficiente), qui

empêche les c.o. d’actualiser leur désir de métier, qui leur permettrait de sentir qu’ils

s’accomplissent dans leur profession, qu’ils pratiquent selon les règles de l’art. Ce qui s’avère

économique, efficace et efficient pour l’organisation scolaire n’est pas forcément ce qui

protège le cœur de la profession. La souffrance se décline selon quatre axes de ce qui a été

relevé, selon notre analyse, de l’ordre du « travail empêché ». 1) L’accompagnement des

jeunes dans leur démarche d’orientation scolaire et professionnelle est effectivement

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empêché non seulement par une non-reconnaissance de la complexité du travail de la relation

d’aide en orientation (pensons à l’accompagnement de jeunes en difficulté sur le chemin

prévisible de l’abandon scolaire par exemple), mais aussi par des pressions à l’efficacité qui

font couper court au processus d’orientation, voire l’en empêchent. 2) L’accès aux jeunes

dans le cadre de son travail est rendu difficile (p. ex., accéder concrètement aux classes pour

donner de l’information scolaire et professionnelle aux jeunes), dans certains milieux, par la

réorganisation du travail d’orientation à l’école qui attribue aux c.o. un rôle de soutien

« indirect » à l’orientation des jeunes (p. ex., réalisation de choix de cours, rôle-conseil via

l’approche orientante). 3) La reconnaissance comme professionnel de la relation individu-

travail-formation est rare en raison de la présence d’autres professionnels qui colonisent en

quelque sorte le territoire professionnel des c.o. (p. ex., des éducateurs spécialisés ou des

enseignants ressources qui font de l’orientation avec les cas les plus « agréables à

travailler »). Et enfin, 4) la place des c.o. dans l’organisation actuelle du travail scolaire est

menacée par un contexte de restrictions budgétaires générant une compétition entre les

professionnels quant à leur pertinence professionnelle à l’école. Devant ce constat, l’enquête

de psychodynamique du travail en arrive à la conclusion que la souffrance des c.o. est liée à

une menace d’une déqualification opérationnelle et statutaire qui pèse lourd sur l’identité

professionnelle de métier en milieu scolaire.

Des stratégies défensives146 individuelles ont été identifiées dans l’expérience du travail des

c.o. rencontrés et s’inscrivent dans une culture professionnelle qui valorise la « capacité

d’adaptation » chez les personnes accompagnées (p.ex., les élèves), mais aussi pour soi. Or,

ce qui s’avère souhaitable, voire nécessaire, dans tout rapport avec le monde réel peut se

retourner contre soi lorsque « l’adaptation » est prescrite en raison de motifs extérieurs à soi

(pour des motifs de rentabilité pour donner cet exemple). L’enquête réalisée permet de

décliner les façons dont cette capacité d’adaptation se traduit dans des « règles de métier »,

146 Rappelons que les stratégies défensives constituent des processus psychiques et sociaux qui orientent les

manières de penser et de faire qui permettent de mieux tolérer la souffrance, voire de l’éviter. Elles réfèrent

paradoxalement à un élément d’intentionnalité (stratégies) tout en relevant d’un « impensé collectif » (défense).

Elles jouent ainsi un rôle conservateur du fonctionnement psychique et aussi de la contrainte dont les effets

pathiques (qui font souffrir) sont assourdis (anesthésie) (Dejours, 2008).

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ou pourrait-on dire des « règles défensives » qui constituent en quelque sorte un angle mort

propre à cette culture de métier, ce que Molinier (2008) relève comme une certaine forme

d’inconscience sociale. Face à la souffrance consécutive au constat de déqualification

opérationnelle et statutaire et de menace de disparition professionnelle, il semble que

l’adaptation consiste à « trouver son compte » dans l’une ou l’autre des stratégies suivantes

pour, à tout le moins, protéger son emploi. D’une part, cette adaptation peut s’actualiser dans

une forme de stratégie « proactive » qui consiste à agir comme « entrepreneur » de sa pratique

professionnelle, qui tente « de se faire voir », « de se vendre » (tel qu’il est souvent demandé

dans cette ère de marchandisation de soi; Boltanski & Chiapello, 1999), « d’être compétitif »

en développant des services à valeur ajoutée, en innovant de manière à être le plus attrayant

possible pour les décideurs. Individuellement, cette stratégie permet de s’en sortir

relativement bien, du moins pendant un certain temps, puisqu’à long terme, cette stratégie

s’avère épuisante (toujours être sur le mode de représentation de soi, être sur la sellette).

D’autre part, une autre stratégie d’« adaptation » consiste à apprendre à aimer les tâches

assignées, i.e. se conformer à ce qui est donné comme tâches par les directions, de répondre

tel que tel aux attentes, de s’accommoder, ou d’accommoder les directions, voire

d’obtempérer, et de regarder le positif dans les situations de travail. On renonce ainsi au

plaisir du travail comme activité professionnelle, pour sauver son emploi.

En s’adaptant personnellement (individuellement) de la sorte, on participe inconsciemment

au problème collectif de l’insertion et l’intégration du c.o. dans l’organisation actuelle du

travail scolaire. D’une part, que ce soit en adoptant le modèle du c.o. « entrepreneur » au

point de s’éloigner du cœur du métier tel qu’appris lors de la formation universitaire et promu

par l’Ordre professionnel (accompagnement et relation d’aide individuelle à l’élève), ou en

acceptant des tâches « organisationnelles » qui ne devraient pas relever du c.o. (apprendre à

aimer ce qu’on nous donne), on en vient à participer à la confusion relative du rôle du c.o. en

milieu scolaire, confusion que l’on dénonce par ailleurs… D’autre part, en maintenant intacte

une organisation du travail adaptée à la pensée comptable, on camoufle les problèmes et on

empêche l’action collective de se mettre en marche (p. ex., pour avoir plus de c.o., pour avoir

plus de « temps » pour faire le travail pour lequel il devrait être réellement assigné). Ainsi,

quel prix ces stratégies d’adaptation individuelles comportent-elles sur la profession de c.o.?

Au final, l’école (orientante?) répond-elle réellement aux besoins d’orientation des jeunes?

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En définitive, cette enquête de psychodynamique du travail a permis au groupe de

participants de prendre conscience de la nécessité de dépasser certaines stratégies défensives

individuelles pour réitérer collectivement l’importance de l’orientation et du counseling dans

les établissements scolaires. En concomitance avec la tenue de cette enquête de

psychodynamique du travail, les c.o. des deux commissions scolaires ont décidé de participer

activement à une réorganisation des services d’orientation. Évidemment, l’action collective

de métier demande son lot d’énergie et ne s’inscrit peut-être pas dans la culture

professionnelle des c.o.. Toutefois, compte tenu de la dynamique révélée par cette enquête,

peut-être constitue-t-elle une alternative plus porteuse que l’adaptation individuelle pour

restaurer la place de l’orientation dans une école apparemment « désorientée »...

Pour la compréhension du malaise identitaire des conseillers d’orientation et des problèmes

de santé mentale vécus en lien avec le travail, cette thèse apporte un éclairage heuristique par

la porte d’entrée de la souffrance identitaire de métier et le modèle conceptuel intégré qui

éclaire sa dynamique. La mise en tension des différentes dimensions du modèle (pratiques

désirées, prescrites, effectives, avec le collectif de travail, le genre professionnel et les

stratégies défensives) met au jour quatre thèmes de discussion synthèse des résultats.

Le premier thème, la désincarnation du cœur de métier, fait référence aux empêchements

d’« incarner » dans des pratiques effectives le cœur du métier provenant d’une histoire de

métier, façonnée par des orientations théoriques imprimées dans les formations

universitaires. Les pratiques désirées, au cœur du métier, sont marquées par l’importance du

counseling, porté par la psychologie humaniste, et du développement vocationnel des jeunes,

insufflé par les théories éducatives et développementales. Or, l’approche de clinique du

travail a montré un écart marqué entre la formation reçue à l’université et le travail réel dans

le milieu scolaire, traversé par des contraintes d’organisation du travail (p. ex, pressions du

temps, pressions à l’efficacité, affectation de tâches diverses).

Le deuxième thème, la déprofessionnalisation du travail, engendre un sentiment d’être

considéré comme un technicien, comme un « semi-professionnel » (Bourdoncle, 2001) : un

professionnel diminué, alors qu’on a étudié longtemps pour pouvoir bénéficier du plein statut

de professionnel. Face à l’impensé organisationnel issu de la surcharge de travail des

directions d’école, de leur mobilité extrême ou carrément de leur incompétence, les c.o.

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estiment qu’ils sont amenés à devenir le « déversoir » de l’organisation du travail de l’école

(prendre toutes les tâches qui ne relèvent de personne d’autres) qui fait complètement

abstraction de leur niveau de spécialisation. Le travail administratif assigné aux c.o. restreint

l’espace d’investissement subjectif en les plaçant dans une position d’exécutant, à des lieues

du statut d’expert qui leur était promis par le contrat social de leur profession, sans compter

le conflit de valeurs dans lequel ils se trouvent lorsqu’ils constatent que leur travail est

instrumentalisé pour arriver aux objectifs gestionnaires de « faire plus avec moins ».

Le troisième thème, la déconsidération professionnelle, révèle que les c.o. sont

particulièrement blessés par la vision dépréciatrice et réductrice de l’orientation et de la

pratique professionnelle des c.o. en milieu scolaire qui circule autour d’eux. Ce thème montre

que les pratiques désirées s’accompagnent d’une condition et une estime sociale désirées qui,

dans ce cas-ci, sont mises à l’épreuve autant dans l’organisation effective du travail (p. ex.,

plusieurs personnels se permettent de faire de l’orientation) que dans les représentations

véhiculées dans l’agir communicationnel (p. ex., les secrétaires qui disent qu’elles sont c.o.

en cochant « admis » sur la fiche d’inscription). Cette vision se manifeste non seulement chez

les acteurs du milieu scolaire (directions, enseignants), mais aussi chez leurs collègues c.o.

qui œuvrent dans d’autres secteurs dans un discours rapportant que les c.o. du milieu scolaire

n’exercent pas leur profession selon les règles de l’art (p. ex., ils ne prennent pas

suffisamment le temps de rencontrer les élèves). Ils se voient ainsi blâmer pour une situation

qui les place déjà en souffrance…

Enfin, la triangulation des résultats des deux volets de la recherche a révélé un quatrième

thème, le déficit collégial. Ce thème met en évidence non seulement que les c.o. se retrouvent

seuls de leur profession dans des écoles regroupant souvent un millier d’élèves et plusieurs

dizaines de membres du personnel, mais aussi que le travail en collaboration ou en

multidisciplinarité, qui serait supposé caractériser l’organisation du travail scolaire à la suite

du Renouveau pédagogique, constitue l’exception plutôt que la règle. Lorsque la méfiance

prend le pas sur la confiance interprofessionnelle, la souffrance s’en voit plutôt augmentée,

pensons au climat de compétition qui semble régner entre les différents corps de métier du

personnel « non enseignant » pour pouvoir garder sa place…

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Le portrait de cette dynamique est complété par l’identification de la contribution de deux

types de stratégies pour faire face à la souffrance identitaire de métier : 1) des stratégies

d’« adaptation » défensive; 2) et des stratégies de résistance à la dérive du cœur de métier.

Les premières permettent aux c.o. de « s’adapter » aux contraintes d’organisation du travail,

soit par le retrait du « lâcher-prise » sur le cœur de métier, soit par le « déplacement », plus

ou moins par défaut, du désir de métier vers des pratiques ayant des « affinités électives »

avec l’organisation du travail mise en place (économie, efficacité, efficience). Plus ou moins

salutaires pour la santé mentale, ces stratégies occasionnent maintien des sources de la

souffrance identitaire de métier, en bonne partie du moins. D’autre part, l’analyse révèle

également des stratégies de « résistance », lesquelles ont pour objectif d’éviter une adaptation

plastique aux contraintes du travail au détriment du métier. Ces stratégies sont défensives au

sens qu’elles organisent la riposte face à des attaques au cœur du métier.

Cette thèse pose la question du devenir de la profession de conseiller d’orientation en milieu

scolaire. Comme nous l’avons souligné, la professionnalisation constitue un « processus »

qui vise à faire reconnaître une profession au sein du public. Il s’agit donc d’un mouvement

réversible. On peut envisager ce mouvement selon deux « orientations » : une orientation

« top-bottom » ou une orientation « bottom-up ». Actuellement, des démarches sont

poursuivies par l’Ordre professionnel, via une voie formelle, pour re-professionnaliser en

quelque sorte la fonction de conseiller d’orientation en milieu scolaire. Les démarches

réalisées pour l’adoption et la mise en œuvre de la Loi modifiant le Code des professions et

d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations

humaines, qui réservent certaines activités aux conseillers d’orientation, s’inscrivent dans

cette optique. Cette loi ouvre de meilleures possibilités de reconnaissance de l’expertise des

c.o. auprès de clientèles dites « vulnérables ». L’Ordre professionnel travaille également,

depuis plusieurs années, sur la confection d’un « Guide de pratique en milieu scolaire ». Ce

Guide de pratique devrait fournir des balises aux conseillers d’orientation pour faire

reconnaître la pertinence de leurs services dans le cadre de l’organisation du travail scolaire.

Ces initiatives, fort intéressantes à première vue, présentent toutefois des limites prévisibles

et des pièges possibles. D’une part, il y a un risque, comme il s’agit d’une instance de

protection du public et de surveillance de la pratique, que l’Ordre professionnel, comme

institution, néglige les espaces délibératifs sur le devenir de la profession et la diversité des

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points de vue qui pourraient s’y exprimer. Si l’éparpillement des pratiques a nui à l’identité

professionnelle de métier des c.o. dans les dernières décennies, il serait périlleux de prendre

une direction complètement opposée en instaurant une vision univoque de la pratique

professionnelle en milieu scolaire. Il y a également risque de tomber dans le piège de la

pratique fondée sur les « données probantes », qui s’impose de plus en plus comme la voie à

suivre pour les professions issues de formations universitaires, comme un retour du modèle

de la science appliquée, au détriment de l’art du métier. Pour éviter ce piège, Clot (2010)

suggère une « clinique du travail bien fait ». Il ne s’agit évidemment pas « d’aboutir à la

sacro-sainte “bonne pratique” derrière laquelle il faudrait se ranger en file indienne » (Clot,

2010, p. 23), mais plutôt de mettre en place un cadre qui permet de rendre le travail bien fait

justement « discutable ». Au final, malgré les bonnes intentions de l’Ordre professionnel, les

autres instances impliquées, notamment les commissions scolaires et les universités,

emboîteront-elles le pas sur les réorientations proposées? Et les praticiens eux-mêmes…?

La deuxième orientation, « bottom-up », constitue une voie plus informelle de reprise en

main de la profession, en commençant par les praticiens eux-mêmes. S’inscrivant dans une

éthique émancipatoire, cette thèse se situe dans cette perspective et espère y contribuer. Elle

suppose une reconnaissance de l’expérience du travail des c.o. sur le terrain, en partant du

réel du travail en milieu scolaire. Plutôt que de porter un jugement sur la pratique des c.o. en

milieu scolaire, en leur reprochant de ne pas actualiser le cœur du métier, il y a nécessité de

regarder lucidement le portrait de la situation actuelle, de reconnaître les savoirs et les

aspirations des c.o. qui œuvrent au quotidien dans ce milieu, et de prendre position sur la

diversité des voix pouvant constituer le « chœur du métier ».

Cette thèse révèle quatre types de pratiques professionnelles de c.o. en cours actuellement :

1) le c.o. axé sur l’information scolaire et professionnelle et l’organisation scolaire; 2) le c.o.

« orientation rapide », qui rencontre brièvement les étudiants et procède à des démarches

d’orientation pragmatiques; 3) le c.o. « entrepreneur », qui développe des services et répond

aux besoins d’orientation de diverses manières (plus ou moins directe auprès de l’élève); et

4) le c.o. « clinicien », qui fait du counseling d’orientation une priorité. La coexistence de

ces types de pratiques professionnelles doit être débattue au regard des différents aspects qui

déterminent la pratique des c.o., notamment le champ d’activités défini dans la loi et les

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ancrages légaux dans l’organisation scolaire. Ces débats peuvent constituer une occasion

pour refonder l’action des collectifs de travail sur l’exercice du métier.

Certes serait-il bénéfique pour les c.o., dans l’optique de consolider, maintenir, réguler et

rendre vivante leur identité professionnelle de métier, de pouvoir travailler en collectif. Ainsi

pourrait-il y avoir « activité déontique », production collective de règles de métier, qui puisse

permettre de faire vivre le genre professionnel tout en fournissant un espace facilitant les

jugements de beauté, structurant pour l’identité professionnelle de métier. L’absence de

collectif accentue la vulnérabilité professionnelle des c.o. Toutefois, à défaut d’opérer en

collectif de métier, et au-delà de la stricte convivialité interpersonnelle, les c.o. ont manifesté

le désir de travailler en équipe, en collégialité avec les autres personnels de l’école. Lorsqu’il

peut être actualisé, ce travail en collégialité peut diminuer la souffrance identitaire de métier.

Cependant, les conditions actuelles d’organisation du travail marquées par une recherche

d’efficience et d’efficacité rendent cette collégialité difficile puisque chacun est pris à

s’exécuter dans la débrouille et a peu de temps à accorder au travail collectif, sans compter

la compétition induite entre les professionnels pour garder leur place.

Pour que cette voie informelle, « bottom-up » puisse s’actualiser, il y a nécessité, selon les

constats réalisés dans cette thèse, de développer, aux côtés des habiletés « relationnelles »

typiquement enseignées dans la formation des c.o., des habiletés « organisationnelles »

individuelles et collectives pour défendre les services d’orientation pour tous dans le système

scolaire au plan macro (les politiques, les directives), méso (la place des c.o. dans les écoles)

et au plan micro (le soi professionnel). Les approches interactionniste-stratégiques (p. ex., Le

Bossé, 2011) constituent, selon nous, des ressources intéressantes dans cette optique,

puisqu’elles permettent une grille de lecture des situations qui dégage une certaine marge de

pouvoir des personnes. Toutefois, les compétences liées à ces approches devraient être

davantage formalisées, comme le sont les compétences liées au « professional advocacy »

développées par quelques chercheurs nord-américains (p. ex., De La Paz, 2011; White,

2009). Il semble y avoir une voie intéressante de développement au sein de la compétence

« rôle-conseil », qui fasse partie du profil de compétences des c.o., pour dépasser le rôle

d’« expert » et embrasser celui d’« activiste » (advocate) pour la défense de l’orientation pour

tous dans les écoles. Bref, il y a là nécessité de partir du réel du travail des praticiens de

l’orientation sur le terrain pour donner un destin politique à leur souffrance identitaire de

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métier, dans l’optique d’une amélioration des services d’orientation offerts aux jeunes dans

les établissements scolaires.

Cette thèse constitue un premier pas dans la compréhension plus fine d’une dynamique de

souffrance identitaire de métier des c.o. en milieu scolaire. Réalisée avec deux groupes d’une

dizaine de conseillères et conseillers d’orientation, cette thèse ne peut prétendre à fournir un

portrait généralisable à l’ensemble des c.o. œuvrant en milieu scolaire. Les contraintes

d’organisation du travail peuvent passablement varier d’une commission scolaire à l’autre,

compte tenu de leur indépendance relative. De même, il y aurait lieu de considérer la réalité

spécifique des c.o. œuvrant dans le secteur de la formation professionnelle et celui de la

formation aux adultes; nous avons entrevu, dans le cadre de cette thèse, certains éléments

d’organisation qui paraissent plus présents dans le cas de la formation professionnelle (p. ex.,

financement de l’établissement selon le nombre de « clients »). Enfin, il y pourrait y avoir

lieu de poser un regard plus spécifique sur les c.o. qui œuvrent principalement à la mise en

application de l’approche orientante, ceux-ci étant plutôt dilués dans les groupes de

participants dans le cadre de cette thèse. La prise en considération de ces réalités spécifiques

permettrait d’étayer davantage la question de la souffrance identitaire de métier. Elle pourrait

également soutenir une meilleure description des différents « types » de pratique de c.o. qui

apparaissent en émergence et éclairer davantage les enjeux qu’ils portent avec eux.

En définitive, compte tenu de la diversité des secteurs de pratique des conseillers

d’orientation, il y aurait lieu d’investiguer la présence d’une telle dynamique de souffrance

identitaire de métier dans chacun de ces secteurs. Bref, il apparaît que cette approche par la

dynamique de souffrance identitaire de métier et sa mise en discussion au sein de collectifs

de c.o. peuvent être une voie de réappropriation et de développement de la profession de

conseillères et de conseillers d’orientation au sein de la société.

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Annexes

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Annexe 1

Tiré de OCCOPPQ (2010, p. 2)

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Annexe 2

Appel à la participation – Clinique de l’activité

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402

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403

Annexe 3

Courriel de l’OCCOQ invitant les c.o. à participer

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405

Annexe 4

Formulaire de consentement - Clinique de l’activité

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Formulaire de consentement

Groupe d’analyse de l’activité

Cette étude fait appel à votre expérience pour comprendre comment les conseillers

d’orientation arrivent ou non à conquérir leur identité professionnelle à travers le travail

actuel en milieu scolaire. Vous serez appelé(e) à participer au travail d’analyse clinique de

votre activité de travail.

Avant d’accepter de participer à cette recherche, nous allons prendre le temps de lire et de

comprendre les renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but de cette

recherche, ses objectifs, ses modalités de participation et son déroulement. Nous vous

invitons à poser toutes les questions que vous jugez utiles au chercheur.

Objectifs de la recherche

Objectif général :

Mieux comprendre comment l’expérience du travail réel des conseillers d’orientation

en milieu scolaire contribue à la dynamique de construction de leur identité

professionnelle.

Objectifs spécifiques :

Comprendre et décrire les tensions entre les pratiques professionnelles «souhaitées»,

«prescrites» et «effectives».

Comprendre et décrire les règles de métier (éthiques, techniques, langagières

sociales) repérées dans l’activité.

Présentation du chercheur et de son équipe de direction

Cette recherche est réalisée dans le cadre du projet de doctorat de Simon Viviers, étudiant en

sciences de l’orientation à l’Université Laval. Le projet est supervisé par Marie-France

Maranda, Ph.D., professeure titulaire au Département des fondements et pratiques en

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éducation (Université Laval) et Jacques Rhéaume, Ph.D., professeur associé à l’Université

Laval.

Déroulement de la participation

Vous participerez à une analyse clinique de l’activité par «instruction au sosie» qui consistera

en une série de quatre rencontres successives de groupe, échelonnées au long de quatre mois.

Ces groupes réuniront une douzaine de conseillers d’orientation volontaires, oeuvrant au

sein de votre commission scolaire. Chacune des rencontres sera enregistrée sur support audio

et durera environ trois heures.

Il s’agira de groupes d’échange et de discussion. Votre participation consistera à assister aux

rencontres et à vous engager dans la discussion, si vous le désirez. En aucun cas, vous ne

serez forcé(e) à prendre la parole ou à révéler des renseignements ou des réactions que vous

préférez garder pour vous.

L’activité centrale sur laquelle s’appuie ce dispositif se traduit sous une forme de jeu de rôles

dans lequel un membre du groupe (l’instructeur) doit donner une «instruction» à un «sosie»

(joué par le chercheur). Il s’agira en fait pour l’«instructeur» de décrire le plus fidèlement

possible une séquence de travail (p. ex., une journée ou une semaine type) de façon à ce que

le «sosie» soit en mesure de faire ce travail comme l’instructeur le fait. Pour ce faire,

l’instructeur recevra une consigne générale, puis sera sous-questionné par le sosie dans un

premier temps, et par les autres membres du groupe dans un deuxième temps.

À la suite de chaque rencontre, les propos échangés seront retranscrits et seront fournis à

l’instructeur, avec la bande audio, afin que celui-ci puisse rédiger un «commentaire» sur son

expérience de ce jeu de rôles, commentaire qui fera l’objet d’une discussion en groupe à la

rencontre suivante. Vous vous engagez donc à lire les commentaires de ceux qui se seront

portés volontaires pour jouer ce rôle d’instructeur. À noter que chaque participant au groupe

d’analyse ne jouera pas nécessairement le rôle d’instructeur.

Entre la troisième et la quatrième rencontre, vous tenterez d’identifier des éléments

importants de la démarche de recherche à ce jour, afin d’en faire une analyse en groupe lors

de la quatrième rencontre. Cette analyse devrait traduire une compréhension collective de

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votre activité de travail comme conseiller d’orientation en milieu scolaire. Elle sera consignée

dans un rapport rédigé par le chercheur après la quatrième rencontre.

Avantages et inconvénients possibles liés à la participation

Ce dispositif de recherche est une occasion de prendre du temps de recul et de réflexion sur

votre situation de travail. Il permet de mettre en perspective les difficultés rencontrées et de

partager les plaisirs du travail. Au final, cette démarche peut contribuer à redonner du sens à

votre expérience du travail et identifier des éléments sur lesquels il est possible d'agir pour

l'améliorer. Sur le plan professionnel, ces rencontres de groupe sont une occasion pour parler

de votre métier avec des collègues conseillers d’orientation.

Par ailleurs, à l’occasion des rencontres de groupes, il est possible que le récit d’expériences

pénibles au travail ravive certaines émotions chez des participants. Mise à part cette situation

pouvant être momentanément inconfortable, le seul inconvénient de la recherche concerne

le temps que vous consacrerez aux rencontres.

Droit de retrait

Vous devez savoir que vous pouvez refuser de participer à cette recherche ou vous retirer, en

tout temps, sans que cela ne vous cause préjudice et sans devoir justifier votre décision. Si

vous décidez de mettre fin à votre participation, il est important d’en prévenir le chercheur

dont les coordonnées sont incluses dans ce document. Tous les renseignements personnels

vous concernant seront alors détruits.

Confidentialité

Les rencontres de groupe seront enregistrées sur bande audio et transcrites dans des verbatims

qui seront utilisés dans les rapports, sans identification possible.

Les résultats de la recherche seront utilisés pour diffusion scientifique et professionnelle

(publications, communications...) à la condition expresse que l’anonymat des personnes et

des institutions soit assurée par les chercheurs.

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Afin d’assurer la confidentialité des données, chacune des personnes participantes se verra

attribuer un numéro d’identification auquel les chercheurs référeront tout au long de la

recherche. Seuls le chercheur et son équipe de direction auront accès aux enregistrements et

transcriptions. Les enregistrements et documents seront conservés dans un classeur verrouillé

et seront supprimés aussitôt la recherche terminée, i.e. au bout de cinq ans (automne 2016).

Outre ces mesures prises par le chercheur, la confidentialité des données recueillies dans

l’entrevue de groupe dépend également de la collaboration de tous les participants à cet égard.

Coordonnées du chercheur

Simon Viviers, M.A., doctorant

Bureau 620, Tour des Sciences de l’éducation

Téléphone : (418) 656-2131, poste 14014

Télécopieur : (418) 656-2885

Courriel : [email protected]

Remerciements

Votre collaboration est précieuse pour la réalisation d’une telle recherche. Nous vous

remercions de votre participation.

«Je soussigné(e) ___________________________ (en lettres moulées) consens librement à

participer à la recherche intitulée : «Dynamique de la construction de l’identité

professionnelle des conseillers d’orientation en milieu scolaire: contributions de la clinique

du travail». J’ai pris connaissance du formulaire et je comprends le but, la nature, les

avantages, les risques et les inconvénients du projet de recherche. Je suis satisfait(e) des

explications, précisions et réponses que le chercheur m’a fournies, le cas échéant, quant à ma

participation à ce projet.»

______________ ____________________________________

Date Signature de la personne participante

Un court résumé des résultats de la recherche doctorale sera expédié aux participants qui en

feront la demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document. Les résultats

de la thèse ne seront pas disponibles avant décembre 2013. Si cette adresse changeait d’ici

cette date, vous êtes invité(e) à informer le chercheur de la nouvelle adresse où vous

souhaitez recevoir ce document. Indiquez ci-après l’adresse (électronique ou postale) à

laquelle vous souhaitez recevoir un court résumé des résultats de la thèse de doctorat :

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410

___________________________________________

___________________________________________

___________________________________________

J’ai expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de

recherche au participant. J’ai répondu au meilleur de ma connaissance aux questions posées

et j’ai vérifié la compréhension du participant.

12/01/12

______________ ____________________________________

Date Signature du chercheur

Plaintes ou critiques

Toute plainte ou critique relativement à cette recherche pourra être adressée, en toute

confidentialité, au bureau de l’Ombudsman de l’Université Laval dont les coordonnées sont

les suivantes :

Pavillon Alphonse-Desjardins, bureau 3320

2325, rue de l’Université

Université Laval,

Québec (Québec) G1V 0A6

Renseignements - Secrétariat : (418) 656-3081

Courriel : [email protected]

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411

Annexe 5

Consignes remises aux participants à la clinique de l’activité par instruction au sosie

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412

Activité d’instruction au sosie

Déroulement des rencontres

Rencontre 1 :

Discussion autour du formulaire de consentement

Invitation à un premier volontaire pour jouer le rôle d’«instructeur».

Choix d’une séquence de focalisation de l’activité (p. ex., une journée type à partir de

l’arrivée au travail, une semaine précédant la date limite du choix des programmes

d’études au collégial).

À partir de la consigne147, l’instructeur donne une description de son activité au sosie.

Le groupe de pairs, à son tour, pose des questions à l’instructeur.

Entre la première et la deuxième rencontre :

Transcription intégrale des instructions et des propos échangés lors de la rencontre.

Rédaction d’un commentaire de l’instructeur 1 sur son expérience à partir de l’écoute

de l’enregistrement de la rencontre et de la lecture de la transcription.

Envoi du commentaire rédigé par l’instructeur 1 à l’ensemble du groupe (participants

et chercheur).

Rencontre 2 et 3 :

Discussion en groupe du commentaire rédigé par l’instructeur de la rencontre

précédente.

Invitation à un nouveau volontaire pour jouer le rôle d’«instructeur».

147 « Suppose que je sois ton sosie et que demain je me trouve en situation de devoir te remplacer dans ton

travail. Quelles sont les instructions que tu devrais me transmettre afin que personne ne s’aperçoive de la

substitution? Ces instructions doivent couvrir le rapport à la tâche, à tes pairs, à la ligne hiérarchique, et aux

organisations formelles ou informelles dans le monde du travail. »

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413

Choix d’une séquence de focalisation de l’activité (p. ex., une journée type à partir de

l’arrivée au travail, une semaine précédant la date limite du choix des programmes

d’études au collégial).

À partir de la consigne, l’instructeur donne une description de son activité au sosie.

Le groupe de pairs, à son tour, pose des questions à l’instructeur.

Entre les rencontres :

Transcription intégrale des instructions et des propos échangés lors de la rencontre.

Rédaction d’un commentaire de l’instructeur sur son expérience à partir de l’écoute

de l’enregistrement de la rencontre et de la lecture de la transcription.

Envoi du commentaire rédigé par l’instructeur à l’ensemble du groupe (participants

et chercheur).

Supplément entre la troisième et la quatrième rencontre :

À partir de la lecture du dernier commentaire et des résultats du dispositif à ce jour :

réflexion de chacun des participants en vue de retenir les points importants de

l’analyse co-construite entre le groupe et le chercheur. Ces points importants seront

l’objet d’un rapport rédigé par le chercheur.

Rencontre 4 :

Discussion en groupe du commentaire rédigé par l’instructeur 3 (1h)

Retour sur les points d’analyse clinique de l’activité de travail réalisée (2h)

Suivi :

Transcription intégrale des instructions et des propos échangés lors de la rencontre.

Rédaction du rapport par le chercheur, qui sera transmis aux participants.

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414

Rôles au sein du dispositif

Instructeur

Durant l’instruction

Comment choisir la séquence de travail?

o Point de départ : souvent l’arrivée au travail.

o Peut choisir une période spécifique dans l’année, dans la journée, dans une

semaine, un moment plus ou moins satisfaisant, important, ou difficile.

Le rôle de l’instructeur est de générer des repères suffisamment précis pour permettre

au sosie de se retrouver dans une situation avec laquelle il n’est pas familier, en lui

expliquant «non pas seulement ce qu’il fait habituellement mais ce qu’il ne fait pas

dans cette situation, ce qu’il ne faudrait surtout pas faire si on le remplaçait, ce qu’il

pourrait faire mais qu’on ne fera pas, etc.» (Clot, 1999, p. 155).

Les quatre domaines de l’expérience professionnelle :

1. Rapports à la tâche;

2. Rapports aux pairs dans les collectifs;

3. Rapports à la ligne hiérarchique;

4. Rapports aux organisations formelles ou informelles dans le monde du travail.

Focaliser sur le comment plutôt que le pourquoi.

Description de la situation + la manière de se comporter dans cette situation.

Travail sur l’instruction : rédiger un commentaire

Écouter la bande audio et lire la transcription au besoin

Prendre des notes au fur et à mesure pour commenter l’instruction ET rendre compte

de son expérience. Ces notes peuvent servir de support à la réflexion et à la rédaction

du commentaire.

Ce travail permet à l’instructeur de cibler la genèse de ses choix, de constater ses

hésitations, d’envisager les alternatives qui auraient pu être possibles, et des

contradictions pouvant générer un malaise.

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Chercheur

Durant l’instruction (rôle de sosie)

Doit obtenir une description la plus fine possible de l’activité de travail de

l’instructeur, telle qu’il la réalise.

Doit adopter une attitude naïve et résister à la version «naturelle» de l’instructeur.

Durant les discussions

Soutenir une «parole risquée» et une «écoute risquée»

Groupe

Durant l’instruction au sosie

Prendre des notes pour identifier les zones de convergence et de divergence en rapport

avec votre expérience professionnelle.

Une fois l’instruction terminée, questionner à votre tour l’instructeur afin

d’approfondir la transmission de ses connaissances à son «sosie» et de discuter ainsi

de vos règles de métier.

Pour la discussion sur le commentaire

Prendre des notes sur vos réactions face au commentaire écrit de l’instructeur.

Participer à la discussion sur le commentaire.

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Annexe 6

Appel à la participation – Enquête de psychodynamique du travail

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Annexe 7

Formulaire de consentement – Enquête de psychodynamique du travail

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Formulaire de consentement

Groupe de psychodynamique du travail

Cette étude fait appel à votre expérience pour comprendre comment les conseillers

d’orientation arrivent ou non à conquérir leur identité professionnelle à travers le travail

actuel en milieu scolaire. Vous serez appelé(e) à participer au travail d’analyse de la

psychodynamique de votre travail.

Avant d’accepter de participer à cette recherche, nous allons prendre le temps de lire et de

comprendre les renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but de cette

recherche, ses objectifs, ses modalités de participation et son déroulement. Nous vous

invitons à poser toutes les questions que vous jugez utiles au chercheur.

Objectifs de la recherche

Objectif général :

Mieux comprendre comment l’expérience du travail réel des conseillers d’orientation

en milieu scolaire contribue à la dynamique de construction de leur identité

professionnelle.

Objectifs spécifiques :

Comprendre et décrire les tensions entre les prescriptions provenant de l’organisation

du travail, de la profession, et les pratiques effectives.

Comprendre et décrire les sources de souffrance et de plaisir dans le travail, ainsi que

les stratégies défensives mises en place pour se défendre contre la souffrance et

«tenir» dans le travail.

Présentation du chercheur et de son équipe de direction

Cette recherche est réalisée dans le cadre du projet de doctorat de Simon Viviers, étudiant en

sciences de l’orientation à l’Université Laval. Le projet est supervisé par Marie-France

Maranda, Ph.D., professeure titulaire au Département des fondements et pratiques en

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éducation (Université Laval) et Jacques Rhéaume, Ph.D., professeur associé à l’Université

Laval.

Déroulement de la participation

Vous participerez à une enquête de psychodynamique du travail qui consistera en une série

de quatre rencontres successives de groupe, échelonnées au long de six mois. Ces groupes

réuniront une douzaine de conseillers d’orientation volontaires, oeuvrant au sein de votre

commission scolaire. Chacune des rencontres sera enregistrée sur support audio et durera

environ trois heures.

Il s’agira de groupes d’échange et de discussion. Votre participation consistera à assister aux

rencontres et à vous engager dans la discussion, si vous le désirez. En aucun cas, vous ne

serez forcé(e) à prendre la parole ou à révéler des renseignements ou des réactions que vous

préférez garder pour vous.

Lors des deux premières rencontres, vous serez invité(e) à participer à des échanges sur le

contexte de votre travail, sur votre pratique professionnelle et ses difficultés, sur les plaisirs

et les souffrances liés à votre fonction ainsi que sur les moyens individuels ou collectifs

auxquels vous avez recours pour faire face aux difficultés rencontrées ou anticipées.

À la suite de cette première étape, le chercheur analysera les témoignages et produira un

rapport verbal. Ce rapport verbal, qui sera présenté au groupe lors de la troisième rencontre,

rendra compte de l’interprétation que le chercheur aura faite du sens des témoignages. Il

servira d’élément déclencheur à une discussion lors de laquelle vous serez invité(e), avec les

autres, à réagir à l’analyse livrée et à contribuer à l’élaboration d’une compréhension

intersubjective et collective de votre organisation du travail et de la culture qui y est associée.

Pour la quatrième rencontre, un rapport écrit sera acheminé au préalable à chaque membre

du groupe pour le corriger, le nuancer, le valider, de façon à ce qu’il traduise une

compréhension de votre situation. Avec les autres personnes participantes et le chercheur,

vous serez donc invité(e) à contribuer à la dernière révision du document dans une

perspective d’appropriation collective des résultats.

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Avantages et inconvénients possibles liés à la participation

Ce dispositif de recherche est une occasion de prendre du temps de recul et de réflexion sur

votre situation de travail et ses implications sur le plan de la santé psychologique. Il permet

de mettre en perspective les difficultés rencontrées et de partager les plaisirs du travail. Au

final, cette démarche peut contribuer à redonner du sens à votre expérience du travail et

identifier des éléments sur lesquels il est possible d'agir pour l'améliorer. Sur le plan

professionnel, ces rencontres de groupe sont une occasion pour parler de votre métier avec

des collègues conseillers d’orientation.

Par ailleurs, à l’occasion des rencontres de groupes, il est possible que le récit des expériences

pénibles au travail ravive certaines émotions chez des participants. Mise à part cette situation

pouvant être momentanément inconfortable, le seul inconvénient de la recherche concerne le

temps que vous consacrerez aux rencontres.

Droit de retrait

Vous devez savoir que vous pouvez refuser de participer à cette recherche ou vous retirer, en

tout temps, sans que cela ne vous cause préjudice et sans devoir justifier votre décision. Si

vous décidez de mettre fin à votre participation, il est important d’en prévenir le chercheur

dont les coordonnées sont incluses dans ce document. Tous les renseignements personnels

vous concernant seront alors détruits.

Confidentialité

Les rencontres de groupe seront enregistrées sur bande audio et transcrites dans des verbatims

qui seront utilisés dans les rapports, sans identification possible.

Les résultats de la recherche seront utilisés pour diffusion scientifique et professionnelle

(publications, communications...) à la condition expresse que l’anonymat des personnes et

des institutions soit assurée par le chercheur.

Afin d’assurer la confidentialité des données, chacune des personnes participantes se verra

attribuer un numéro d’identification auquel le chercheur référera tout au long de la recherche.

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Seuls le chercheur et son équipe de direction auront accès aux enregistrements et

transcriptions. Les enregistrements et documents seront conservés dans un classeur verrouillé

et seront supprimés aussitôt la recherche terminée, i.e. au bout de cinq ans (automne 2016).

Outre ces mesures prises par le chercheur, la confidentialité des données recueillies dans

l’entrevue de groupe dépend également de la collaboration de tous les participants à cet égard.

Coordonnées du chercheur

Simon Viviers, M.A., doctorant

Bureau 620, Tour des Sciences de l’éducation

Téléphone : (418) 656-2131, poste 14014

Télécopieur : (418) 656-2885

Courriel : [email protected]

Remerciements

Votre collaboration est précieuse pour la réalisation d’une telle recherche. Nous vous

remercions de votre participation.

«Je soussigné(e) ___________________________ (en lettres moulées) consens librement à

participer à la recherche intitulée : «Dynamique de la construction de l’identité

professionnelle des conseillers d’orientation en milieu scolaire: contributions de la clinique

du travail». J’ai pris connaissance du formulaire et je comprends le but, la nature, les

avantages, les risques et les inconvénients du projet de recherche. Je suis satisfait(e) des

explications, précisions et réponses que le chercheur m’a fournies, le cas échéant, quant à ma

participation à ce projet.»

______________ ____________________________________

Date Signature de la personne participante

Un court résumé des résultats de la recherche doctorale sera expédié aux participants qui en

feront la demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document. Les résultats

de la thèse ne seront pas disponibles avant décembre 2013. Si cette adresse changeait d’ici

cette date, vous êtes invité(e) à informer le chercheur de la nouvelle adresse où vous

souhaitez recevoir ce document. Indiquez ci-après l’adresse (électronique ou postale) à

laquelle vous souhaitez recevoir un court résumé des résultats de la thèse de doctorat :

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___________________________________________

___________________________________________

___________________________________________

J’ai expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de

recherche au participant. J’ai répondu au meilleur de ma connaissance aux questions posées

et j’ai vérifié la compréhension du participant.

______________ ____________________________________

Date Signature du chercheur

Plaintes ou critiques

Toute plainte ou critique relativement à cette recherche pourra être adressée, en toute

confidentialité, au bureau de l’Ombudsman de l’Université Laval dont les coordonnées sont

les suivantes :

Pavillon Alphonse-Desjardins, bureau 3320

2325, rue de l’Université

Université Laval,

Québec (Québec) G1V 0A6

Renseignements - Secrétariat : (418) 656-3081

Courriel : [email protected]