sorbonne art numero 4

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SORBONNE ART NUMERO 4 / NOVEMBRE/DECEMBRE 2O11 / JANVIER 2O12

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Revue culturelle étudiante

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Page 1: SORBONNE ART NUMERO 4

SORBONNE

ART

NUMERO 4 / NOVEMBRE/DECEMBRE 2O11 / JANVIER 2O12

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WWW.SORBONNE-ART.FR

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En temps de crise économique, d’instabilité politique et sociale, d’incertitude sur l’avenir et d’inquiétude généralisée, nous ne pouvons que nous réjouir de la création de la revue Sorbonne Art, entièrement conçue et rédigée par des étudiants. Chacun d’entre eux, à sa manière, pose un regard neuf sur les manifestations

culturelles parisiennes, sur la façon de traiter un sujet, de transmettre un savoir, d’exposer une œuvre d’art (peinture, sculpture, architecture, estampe, dessin, photographie ou création cinématographique). Toutes les époques sont représentées : des objets de l’Antiquité aux pièces contemporaines en passant par les chefs-d’œuvre du Moyen Age et des Temps Modernes.Cette plongée dans l’actualité artistique s’accomplit également par le biais d’un entretien avec un artiste ou avec des professionnels compétents du marché de l’art. Quoi qu’il en soit, le ton est libre, parfois critique, toujours affranchi des contraintes académiques et du discours universitaire. En un mot, il est sincère. Ces étudiants, motivés et passionnés, cherchent-ils la vérité ?Oui, puisqu’ils essayent de casser les codes sociaux, d’impliquer leurs enseignants et de dialoguer avec eux, de récuser les cloisons artificielles qui existent entre les différentes disciplines et d’accéder au contenu qui se cache derrière le contenant. Ils ressentent, je crois, le vif désir de partager leur point de vue, leurs émotions et les connaissances acquises aussi bien à la Faculté qu’en dehors du cadre universitaire. Cependant, au lieu de se lancer dans des discussions stériles et dans des interprétations spéculatives, ce groupe d’étudiants travaille avec méthode et réflexion. Le résultat est une revue où chaque article est rédigé avec clarté, puis, patiemment relu et corrigé. La lecture est agréable, la mise en page aérée, les illustrations en couleurs choisies avec goût.En tant qu’enseignante-chercheuse, je suis fière de cette initiative. Je remercie chaleureusement les étudiants qui sont à l’origine de ce beau projet et qui partagent avec générosité leur enthousiasme.

S ’il revient à l’historien de l’art de rendre compte de l’origine et des devenirs d’une œuvre, le journaliste, quant à lui, se fait l’écho du flux pressé du présent. Pour lui, l’actualité culturelle

prendrait le pas sur d’autres compréhensions de l’objet artistique. Le numéro 4 de la revue Sorbonne Art s’interroge donc sur la spécificité de ce qui appartient au moment présent. En tentant de prendre du recul, nous questionnons les divers points de vue qu’il nous est possible d’adopter pour témoigner de la vie culturelle. Alors que les liens étroits entre formation théorique et pratique sont explicités par l’intervention de rédacteurs issus d’écoles d’art, nous nous essayons, étudiants en histoire de l’art, à formuler des correspondances entre les disciplines et les mediums. Par un glissement constant d’une expression artistique à une autre, nous formons un nouveau contexte dans lequel s’exprime cette immédiateté.

ED ITO RIAL

P. 4/5,6/7P.A.CP. 8/9 FO.

P. 10/11 P.A

P. 12/13/14/15 16/17 A.E

P.18/19 P.O P.22/23 P.ARCH.

Caterina Magni, Maître de conférences en archéologie préhispanique, UFR d’histoire de l’art & archéologie, Université Paris-Sorbonne (Paris IV)

Mathilde de Croix

P.24/25 I.S

P.20/21 QU.

L’HISTOIRE DE L’ ART ?

P.26/27 F.E

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P O R T R A I T

Aurélien Gaborit devant les masques dogon du Mali (collections permanentes exposées au Musée du Quai Branly)

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On se fait bien souvent une idée étroite voire caricaturale des responsabilités liées aux métiers de la conservation patrimoniale. Peut-être plus encore lorsque l’on tâche d’imaginer celles d’un(e) spécialiste des arts « premiers ». Rencontre avec Aurélien Gaborit, Responsable des collections Afrique au Musée du Quai Branly.

Comment peut-on présenter les fon-damentaux de votre fonction ?

Aurélien Gaborit : Il m’appartient d’entretenir une proximité immédiate et permanente avec les objets, afin de les protéger, de les mettre ponctuel-lement en valeur par le biais d’expo-sitions et d’être à même de pouvoir justifier leur présence, afin qu’il devienne légitime de les considérer comme des « objets de musée ». On ne s’en rend pas toujours compte du fait de la configuration générale du Musée du Quai Branly, mais il est une circulation constante des objets au sein des collections permanentes, de sorte qu’il n’y a jamais aucun « vide » et que, discrètement, un renouvelle-ment est toujours en cours. Ma tâche relève d’abord des quelques 800 pièces d’origine africaine sur 4000 environ présentées sur le plateau, sans oublier les innombrables autres en réserve.

Comment vous appliquez-vous à l’actualisation des domaines de recherche et de travail qui sont les vôtres ? Comment combattez-vous l’image d’Epinal du « conservateur de musée d’art primitif » ?

A.G. : Il faut bien avoir à l’esprit que tout a changé ces dernières décennies. Lorsque je faisais mes études, il n’y avait non pas aucune mais sensible-ment moins d’entrées que de nos jours. A mes yeux, les expositions et les

DE DEUX ACTEURS DE L’ART CONTEMPORAIN :

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propos recueillis par Jack Tone

A U R E L I E N

G A B O R I T

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publications liées à l’art africain ont depuis été multipliées par cinq, peut-être même par dix… C’est pourquoi il faut rester en alerte, tâcher d’être continuellement au fait des nouveau-tés dans l’idée de pouvoir en discuter les enjeux le moment venu. Vis-à-vis de la question de l’art « primitif », je crois qu’il faut œuvrer en faveur d’ap-pellations plus précises… Je me re-fuse à employer ces qualificatifs tous faits tels « arts premiers » ou même « esthétiques non occidentales »… Les notions d’art et d’esthétique relèvent d’une universalité qui échappe à ces combinaisons faussement savantes.

Et qui ne sont pas sans rappeler les polémiques culturelles auxquelles le Musée du Quai Branly semble abon-né…

A.G. : Oui, à ceci près que le propos d’un musée, toute esthétique ou art confondus, ne peut être justifié que par les polémiques qui, bien souvent, sont à sa racine. Il ne faut pas stig-matiser trop hâtivement les choses. Actualisons les polémiques, rappe-lons que notre politique de sélection subit le contrecoup de véritables gels budgétaires et que c’est ce genre de décision qui, parce qu’elle nuit au bon fonctionnement du Musée du Quai Branly, fait polémique.

Vous avez récemment participé à la délocalisation de l’exposition Ciwara1, chimères africaines à

Bamako. Quelles conditions ce type d’évènement a-t-il impliquées ?

A.G. : Rappelons d’abord que l’expo-sition Ciwara avait été présentée à l’ouverture du Musée du Quai Branly en 2006 et que l’idée de la faire circu-ler date de cette période. Les musées

africains se sont montrés rapidement très demandeurs. Simplement, plu-sieurs obstacles ont dû être évités… A l’échelle de la conservation au sens strict, il faut dire que de nombreuses structures muséales ne respectent pas encore les normes de sécurité propices

à un accueil, même temporaire, de pièces anciennes. Et il ne faut jamais négliger l’aspect diplomatique pour chaque étape nécessaire à l’organisa-tion de ce genre d’évènement, afin que les projets ne soient pas « parachutés» d’un ministère de la Culture à son homologue. Avec Ciwara, ces deux conditions ont été respectées avec subtilité. Le Musée National du Mali fut notre intermédiaire direct, et c’est sur la base d’une subvention deman-dée, puis obtenue auprès du Ministère des Affaires Etrangères français que la question d’une énième « polémique culturelle » a été évacuée.

Ne croyez-vous pas que cela induit tout de même une certaine uniformi-sation ? Ne risque-t-on pas d’expé-rimenter à terme le même modèle d’exposition partout ?

A.G. : J’identifie très clairement l’idée d’une mondialisation artistique, mais je ne peux la limiter aux dérives qu’elle inspire. Une fois encore, j’agis en faveur de l’idée du musée univer-sel, et c’est pourquoi j’œuvre de sorte que chacun puisse avoir l’occasion de discuter et de jouir de sa culture, de participer à sa reconnaissance dans des conditions optimum… Nous sommes au XXIème siècle mais encore puis-samment étrangers à de nombreuses formes d’art. Il y a de quoi faire.

1- « Ciwara, collections du musée du quai Branly », du 26 janvier au 30 avril 2011 au Musée National du Mali, Bamako.

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Veerle Dobbeleir devant L’armoire pour les clés de Simona Denicolai et Ivo Provoost (présentée dans le cadre de Revo-lution is not a pique-nique au Café des Alouettes, en face du Plateau FRAC Ile-de-France).

Le FRAC Ile-de-France n’est ni un musée ni une galerie. On lui connait le Plateau, à Belleville, où sont orga-nisées la plupart des expositions liées à sa programmation, on sait qu’il ne dispose pas de réserves propres… Comment s’attelle-t-on à la gestion d’un fonds « nomade » ?

Veerle Dobbeleir : Il faut d’abord rappeler la spécificité de la mission des FRAC. Leur mission essentielle dès leur création dans les années 80 a été de constituer un fonds d’œuvres contemporaines et d’amener celles-ci près des publics qui n’ont pas accès à l’art contemporain, ce qui implique une diffusion des œuvres dans des lieux inaccoutumés (écoles, petits espaces municipaux, etc.). Dans la ré-gion Ile-de-France, il ne manque pas d’institutions montrant l’art contem-porain ; néanmoins, nous sentons même dans cette région très urbani-sée et privilégiée en ce qui concerne l’offre culturelle à quel point il est important d’aller à la rencontre des publics. Une partie de la population, plus ou moins proche de Paris, ne se déplace jamais dans les musées ou institutions culturelles, il est donc im-portant d’aller vers eux via les établis-sements scolaires ou par exemple via le projet Parade 1 une exposition iti-nérante sous tente qui a voyagé en Ile-de-France ces deux dernières années sur une idée de Guillaume Désanges, commissaire invité du FRAC IDF/Le Plateau. Diffuser l’art dans des lieux ou dans des conditions inhabituels, impose aussi des pratiques et des exigences spécifiques en termes de

conservation. Il y a souvent un conflit entre la logique patrimoniale, la lo-gique de conservation et la logique de diffusion. Il est important de protéger les œuvres mais également de les dif-fuser : une œuvre d’un jeune artiste qui n’est pas exposée, qui n’est pas diffusée, n’existe pas. Il est important d’accompagner le parcours des ar-tistes dont le fonds achète les œuvres tout en les préservant pour l’avenir.

Ensuite, nous souffrons comme la plupart des institutions d’un manque de budget spécifiquement dédié à la conservation. Il s’agit donc d’être inventif et de faire le maximum de

choses avec peu de moyens.

Parler d’art contemporain, c’est d’abord évoquer un art « premier » à l’échelle temporelle. Au regard de la conservation, cela détermine-t-il un ou plusieurs protocoles particuliers, spécifiques ?

V.D : Il faut évoquer la question de la diversité des matériaux, même si celle-ci concerne les œuvres depuis le début du XXème siècle. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes réutilisent des medias déjà fort datés, à l’exemple des films 16 mm, des diapositives, etc. Ces supports sont voués à dis-paraître, cela pose donc de vrais pro-blèmes pour leur préservation et leur monstration dans le futur. Se pose aussi de façon récurrente la question de l’original : pour des œuvres audio-visuelles qui doivent être reproduites sans cesse, pour des installations qu’on reconstruit à chaque fois ou des performances qu’on réactive d’après un protocole. On pourrait citer à titre d’exemple l’achat récent de la perfor-mance de Roman Ondak, Teaching to Walk 2. Comment conserver une performance ? En achetant son pro-tocole, puis en fixant les conditions de sa réactivation, dans ce cas précis relativement aisée (la performance de Roman Ondak nécessite la parti-cipation d’une mère et de son fils à l’heure où celui-ci apprend à mar-cher, ndlr). Une particularité pour les œuvres contemporaines est aussi la proximité avec l’artiste, on peut le consulter pour prendre son avis, voire l’impliquer dans une restauration. Le

A l’approche de leur trentième anniversaire, où en sont les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) en ma-tière de conservation ? A la croisée des perspectives temporelles, entre vieillissement inéluctable et prospection constante, rencontre avec Veerle Dobbeleir, responsable de la collection du FRAC Ile-de-France.

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propos recueillis par Jack Tone

V E E R L E

DOBBELEIR

protocole des Galets mous3 de Michel Blazy par exemple, qui date de 2003, a dû être adapté récemment par l’ar-tiste, puisqu’un type de bonbons fai-sant partie du protocole a disparu du commerce.

D’après vous, le secteur public est-il plus armé en matière de conser-vation d’art contemporain que les structures privées ?

V.D : Une politique de conservation est souvent assez différente dans une institution publique par rapport à celle d’un organisme privé ou d’une col-lection privée. Les premiers doivent répondre à un certain nombre de cri-tères en matière de conservation, le problème est que souvent les budgets ne permettent pas de répondre à ces critères. Un organisme privé mène sa politique de conservation comme il l’entend. Pour conserver de façon pré-ventive et curative, il faut un budget, qui doit être proportionnel à la taille de la collection et aux problèmes spé-cifiques soulevés par le type d’œuvre collectionné. Un grand défaut de la plupart des collections contempo-raines, c’est de ne pas suffisamment réfléchir et budgéter au moment de l’acquisition les frais de stockage, de conservation, de production qui vont forcément se poser une fois l’œuvre entrée dans la collection.

1- Parade, la collection du Frac Ile-de-France en tournée sur les routes de la région. Tous les week-ends de juin 2010. Conception et commissariat : Guil-laume Désanges2- Roman Ondak, Teaching to Walk (2002), collection du Frac Ile-de-France.3- Michel Blazy, Galet mou (2003), 800 bonbons Kréma, sucre, ø : 30 cm, collection FRAC Île de France.

Activation de la performance de Roman Ondak Teaching to walk (ici aux côtés de Agence, Assemblée (Les vigiles, les menteurs, les rêveurs), 1992 – ...) - Les samedis et dimanches du mois d’octobre 2010 - Le Plateau, FRAC Idf.courtesy Martin Argyroglo Callas Bey

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FOCUS

Un visiteur pantois devant le Leviathan d’Anish Kapoor © Ministère de la culture et de la communication, Didier Plowy

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De véritables bulles colorées, rouges et blanches, voguant dans les airs à l’aide d’un subtil accrochage et struc-turant l’espace par un jeu de reflets. C’est dans cette atmosphère singu-lière que le visiteur est plongé en entrant au cœur de l’installation de Yayoi Kusama Dots Obsession, Infini-ty Mirrored Room, présentée à l’occa-sion d’une rétrospective de son œuvre jusqu’au 9 janvier 2012. Face à une installation si fragile et dépendante de l’espace qu’elle crée et déploie, on ne peut s’empêcher de se demander quel sera le devenir d’une telle œuvre une fois démontée. Peut-on être sûr qu’elle sera réinstallée de la même fa-çon lors d’une prochaine exposition ? Ces questions soulèvent des enjeux de conservation au cœur des réflexions actuelles, et nous mènent à nous inter-roger plus généralement sur la façon dont on conserve l’art aujourd’hui.« Lorsque Ulysse rentre à Ithaque, [...] il s’accorde avec son fils Télémaque pour tendre un piège aux prétendants de sa femme. Sachant que ceux-ci sont toujours d’humeur à banqueter, le jeune prince va faire mine d’orga-niser un repas où son père et lui-même les surprendront sans armes. Or dans la grande salle qui doit servir au fes-tin sont conservées de très belle armes qu’Ulysse n’a pas prises en partant pour Troie, il ne faut pas qu’elles restent à la portée des prétendants, Télémaque va donc les faire ôter, pré-tendant que la salle est trop enfumée et que les armes de son père vont se ternir. » (L’Odyssée d’Homère, chants XVI et XIX).Il est intéressant de voir dans l’œuvre d’Homère une esquisse de pratiques et notions encore présentes dans la conservation de nos jours. En quelque sorte, à l’intérieur de l’exemple cité se profile ce que l’on appelle aujourd’hui la pratique de conservation préven-tive : on entoure d’un soin particulier

certains objets auxquels on reconnaît trop de valeur pour qu’ils relèvent de l’usage courant, et ce pour des raisons telles que l’excellence de leur réalisa-tion, leur valeur sentimentale ou sym-bolique. Par le fait même que le bien conservé précieusement soit un objet précis, surgit l’idée que le point de dé-part de la conservation est un choix. On choisit les objets que l’on souhaite transmettre aux générations futures, tel un héritage, un patrimoine.Aujourd’hui, dans un monde où les notions d’art et de patrimoine cou-vrent de nombreux domaines, les sociétés doivent en permanence éla-borer des choix en ce qui concerne la conservation de leurs biens culturels et artistiques.La démocratisation de l’accès à la culture a contribué à diversifier les critères de jugement et à mettre tous les biens sur le même plan. Ainsi, de nouveaux objets surgissent en tant qu’œuvres, digne d’être conservées et exposées. Dans cette optique de développement du patrimoine, on a vu fleurir notamment à partir des an-nées soixante-dix une nouvelle forme d’institution muséale appelée « éco-musée », ce dernier visant avant tout à valoriser le patrimoine matériel (ou-tils, habitat…) et immatériel (savoir-faire, métiers…) d’un territoire et d’une population donnés. Il semble-rait que de nos jours plus aucun « phénomène » culturel ne soit in-digne de conservation et de mise en valeur. Le musée, lieu traditionnel pour l’accueil d’œuvres d’art, s’ouvre à de nouveaux objets, prenant eux-mêmes à leur tour un statut d’œuvre qui se doit alors aussi d’être conser-vée en tant que telle. A ce titre, la ville de Sète abrite un très intéressant mu-sée international des Arts modestes, le MIAM, exposant des collections d’objets considérés autrement comme mineurs : étiquettes de camembert,

petite voiture, porte-clefs. L’installa-tion de ces objets par plusieurs artistes à l’intérieur de grandes vitrines, à la manière d’une exposition, fait qu’il s’agit dès lors d’une réelle composi-tion artistique. Reconnaître les objets qui doivent être considérés en tant qu’œuvres susceptibles d’être conser-vées se révèle alors être une affaire délicate, car les frontières de l’art de-viennent de plus en plus floues.Mais une fois ces œuvres artistiques sélectionnées surgissent de nou-veaux problèmes : quelle politique

de conservation adopter ? Diffé-rentes méthodes sont pratiquées sur les œuvres en fonction de l’époque à laquelle elles appartiennent et du lieu où elles se trouvent. D’un point de vue historique, nous pouvons déjà différencier deux grandes tendances : premièrement, la volonté de conserver une œuvre en s’attachant à restituer celle-ci telle qu’elle était dans son état

C O N S E R V E R L ’ A R T

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FOCUS

par Alix Weidner

Un visiteur pantois devant le Leviathan d’Anish Kapoor © Ministère de la culture et de la communication, Didier Plowy

NOVEMBRE/DECEMBRE 2011 / JANVIER 2012 /9

d’origine. Cette pratique a pu donner lieu, dans certains cas d’œuvres an-ciennes, à des restaurations abusives comme celle conduite par l’architecte Viollet-le-Duc au XIXème siècle, qui en restaurant la cité de Carcassonne lui a donnée une allure empreinte de romantisme. La deuxième grande ten-dance – encore d’actualité aujourd’hui – est une conservation dite archéolo-gique, laissant apparaître différentes strates de l’histoire, respectant l’œuvre et « la patine dorée des ans » comme a pu l’écrire le critique d’art anglais

John Ruskin (1819-1900). C’est ici qu’apparaît en lien étroit avec la conservation la notion de restauration des œuvres, ou comment entretenir et réparer celles-ci tout en conservant leur intégrité plastique. Aujourd’hui les professionnels doivent adopter des hypothèses de restitution réversibles : les restaurations sont réalisées à l’aide de moyens techniques qui ne modi-

fient pas définitivement l’état maté-riel de l’œuvre. Les matériaux utilisés intègrent cette notion de « réversibi-lité», si bien qu’ils peuvent être éli-minés à tout moment sans dommage pour le support originel. Cependant, nous ne pouvons négliger le fait que chaque matériau ait une sensibilité propre variable en fonction des divers facteurs de détérioration. Ainsi les techniques de conservation s’adaptent à chaque œuvre, et demandent une grande connaissance pratique et théo-rique.En lien avec ce problème de conser-vation des matériaux, surgit toute l’importance de s’interroger sur la manière dont on conserve l’art, et particulièrement l’art contemporain. La spécificité de l’art contemporain réside dans la nature extrêmement hétérogène des matériaux constitutifs des œuvres et dans le rapport para-doxal que ces dernières entretiennent avec le temps. L’avènement des arts plastiques, ainsi que l’expérimenta-tion de nouveaux matériaux au XXème siècle vont questionner à nouveaux les conservateurs dans leur rôle de préservation des œuvres. S’ajoute à cela le fait que de nombreux artistes intègrent volontairement un principe de détérioration à leur travail. Ainsi l’artiste Jana Sterbak crée en 1987 sa célèbre Robe de chair pour albinos anorexique, comme son titre l’indique une robe de viande grandeur nature au-jourd’hui exposée au centre Georges Pompidou. Sterbak confronte ici le public à l’irrémédiable décomposition de son œuvre ; cette dernière présente un réel problème pour la conserva-tion. Doit-on préserver une œuvre dont le matériau – en l’occurrence la viande – a été choisi précisément pour son caractère périssable ? En réalité, Sterbak fournit un travail avant tout conceptuel : le MNAM ne conserve pas une robe de viande séchée, mais

un patron et une notice de fabrication, ainsi qu’une description de la disposi-tion de l’œuvre exposée. La question de sa conservation semble ainsi se résoudre par la traduction de l’objet à l’état de concept. L’antinomie entre préservation et détérioration semble atteindre un point culminant en ce qui concerne les performances et ins-tallations in situ ou temporaires. Le Leviathan d’Anish Kapoor exposé au Grand Palais au printemps dernier en est un exemple particulièrement mar-quant: aussi gigantesque que le Levia-than put être, il n’en reste aujourd’hui plus aucune trace au sein même du lieu pour lequel il fut réalisé. Le seul moyen de faire perdurer ces œuvres fugitives sera d’en conserver les traces, par le biais de photogra-phies ou de vidéos. Mais avec l’inter-vention de ces médiums, les œuvres ne se présentent plus directement au public, et cette pratique pose alors le problème de la réception d’une œuvre. Nous pouvons effectivement nous demander ce que nous perce-vons d’une œuvre quand nous n’en voyons qu’une photographie, car la lecture en est déjà définie, voire ré-duite par le photographe. Conserver l’art relève ainsi d’un questionnement pratique et théorique. Non seulement on se demandera comment conserver des œuvres dont la nature est d’être mobile et fugace, mais également si une telle conservation est légitime, puisque ces œuvres sont spécialement réalisées pour être éphémères. Conserver l’art en 2011 se révèle être une activité délicate où surgissent des questionnements autant techniques qu’éthiques. La conservation, qui est à la source de l’administration de la culture dans notre société, prépare notre patrimoine de demain, et plus encore, elle met en lumière par ses choix et ses pratiques l’état et la vi-sion de l’art aujourd’hui.

C O N S E R V E R L ’ A R T

Page 10: SORBONNE ART NUMERO 4

Alger, détail, photographie lambda, caisson lumineux, 80x120 cm, Courtesy l’artiste et la galerie Odile Ouizeman

Alexandrie, détail, photographie lambda, diasec sur caisson lumineux, 120x180 cm., Courtesy l’artiste et la galerie Odile Ouizeman

Lancer une pierre, détail, photographie lambda, caisson lumineux, 120x180 cm, Courtesy l’artiste et la galerie Odile Ouizeman

Vidéaste et photographe, Mehdi Med-daci capture les images de la vie quo-tidienne. Entre poésie et politique, il nous donne à voir un monde distancié du réel où se mêlent souvenirs et dé-racinement autour d’un espace offert comme une frontière entre deux rives: la Méditerranée. Né à Montpelier en 1980, il étudie tout d’abord à l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles en 2006, avant d’intégrer le Frenoy – Studio national des arts contemporains – en 2008. Ses premières expositions nous montrent un artiste déjà préoccupé par les questions de l’origine, du récit familial, de l’individu. Corps Traversés, Lancer une Pierre et Tenir les Murs, présentées respective-ment en 2007, 2008 et 2011, consti-tuent l’apogée de son travail : trois œuvres vidéos réunies pour former un cycle, en écho au cycle des marées, la Méditerranée restant au cœur de l’œuvre de Mehdi Meddaci.

PASSER LA FRONTIERE

L’œuvre cyclique de Meddaci tente d’entretenir le souvenir des terres exi-lées en formant un amalgame entre les images d’Orient et celles d’Occident. Il tente d’affirmer symboliquement une continuité culturelle aujourd’hui menacée. Les paysages qu’il parvient à saisir façonnent sa réflexion et son univers plastique. Nous les retrou-vons dans Corps Traversés, œuvre présentant des écarts visuels entre paysages et gros plans formant alors une puissance poétique. Cette œuvre offre quatre écrans, disposés linéai-rement, sur lesquels sont projetés des séquences fixes et d’autres mobiles. Défilent sous nos yeux des images soit colorées, soit pâles, voire même

sombres, d’où surgissent des corps et des visages en flottement dans l’es-pace, sans aucune mise en scène. La série se répète trois fois, permettant au spectateur de vivre ces trois mo-ments comme trois chapitres d’un ré-cit ; celui de l’artiste. Afin de pousser plus loin les limites du cycle, l’artiste développe son œuvre au sein de trois époques et trois lieux différents : La Paillade, une agglomération de Mont-pellier, lieu d’arrivée de sa famille et ville natale, puis Beyrouth, le foyer même du morcellement et des ten-sions culturelles préparant la dernière traversée qui mène en Algérie, préci-sément à El Djazaïr, lieu d’exil oublié, mais aussi berceau de la famille de l’artiste. Le cycle s’achève là où tout a commencé, de l’autre côté de la mer Méditerranée. Il traite ainsi tous les échos de la mémoire en stimulant simultanément les souvenirs. L’idée de la mémoire des migrations et des déplacements est présente dans la plupart des œuvres de Mehdi Med-daci, et s’associe souvent à une volon-té de montrer des réalités complexes en lien avec son vécu.

Autre pièce arrivant comme une ponc-tuation dans son travail : Lancer une pierre, vidéo relatant une réflexion autour de l’espace méditerranéen. Cette installation aux images lentes joue sur les limites des choses, et crée un langage dans le champ de l’image. Le lancé de pierre est vu ici comme un geste ancré et « diégétique », comme une sorte de réaction frénétique vers ce mur si vaste que forme la Méditer-ranée. Il s’agit là d’un geste signifiant et signifié, voir symbolique, s’appro-chant d’une pratique commune, de quelque chose qui nous est familier. L’artiste a cherché à réduire un mou-

PORTRAIT

SORBONNE ART / NUMERO 4/10

D ’ U N A R T I S T E

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PORTRAITpar Anaïs Chaussebourg et Aude Rambaud

M E H D I M E D D A C I

NOVEMBRE/DECEMBRE 2011 / JANVIER 2012 /11

vement violent à une incidence, un effet.

Afin de clore ce cycle, Meddaci en-tame une dernière phase avec un nou-vel épisode : Tenir les murs. Jusqu’à présent son étude artistique restait paralysée autour de l’impossibilité à raconter une histoire, mais ici il va plus loin.La démarche de l’artiste le poussant à casser les « codes » cinématogra-phiques traditionnels, à bousculer le rythme du récit, le conduit à l’élabo-ration des images. Conçues à l’ori-gine comme des œuvres à part entière, elles forment des coupures insérées comme des fragments autonomes, tournant autour du thème de la chute (personnes, poissons se détachant sur un fond neutre). La chute, traitée ici comme l’instant entre l’acte suicidaire et la mort est laissée en suspens grâce au ralenti. Associées au silence, les ellipses de Meddaci immobilisent le temps et l’espace. Elles semblent être, comme ses personnages glissant d’un côté à un autre des écrans, l’espace intermédiaire et neutre séparant deux rives, en écho à la Méditerranée.

LE TEMPS SUSPENDU

Mehdi Meddaci tente de questionner les limites d’un cinéma. Les situa-tions, les gestes, sont saisis dans leur vérité, à la limite du documentaire, pour former un contexte nécessaire à une histoire, à un défilement du temps. L’artiste exprime son désir de vouloir faire « une histoire qui ne doit partir de rien », d’un non-mouvement, ou de ce qui subsiste encore : l’attente. Car c’est dans l’attente, contre le mur, que le besoin de « traversée », de « route », de « retour » est le plus per-

ceptible (Murs, exposé au 104 du 14 au 23 octobre 2011).

Les cadrages frontaux de ses person-nages font face au spectateur. Ce der-nier tient lieu de témoin, d’accompa-gnateur à la fois proche et distant des événements intimes qui lui sont pré-sentés. L’artiste parle, à propos de son film Tenir les murs (2011), d’« un film conçu pour s’éclater dans l’espace, afin de faire exister le territoire d’une installation ». L’immensité des lieux présentés semble vouloir surgir de l’écran de cinéma vers le spectateur, comme si le support imposé ne per-mettait de transcrire son importance.L’écran de cinéma paraît alors insuf-fisant pour traduire les sites, les his-toires, les douleurs communiqués par l’artiste. Abel Gance, réalisateur fran-çais, père du cinéma moderne et au-teur de la « polyvision », démultiplia des écrans pour agrandir l’héroïsme napoléonien et sa folie impérialiste (Napoléon, 1927). L’écran de cinéma n’est plus le seul moyen pour restituer certaines fractures, certains éloigne-ments douloureux, drames familiaux ou terre quittée dans l’exil. Les écrans juxtaposés de Meddaci tentent une passerelle visuelle et mentale : une ligne d’écrans pour franchir la mer d’entre les terres, la Méditerranée, le mouvement des images pour rappro-cher les rivages, et enfin le lancement d’une pierre pour figurer chorégra-phiquement la proximité « à-un-jet-de-pierre » de la terre natale ou fami-liale, ou provoquer une « vibration du monde » (Lancer une pierre, 2008).

Deux évidences stylistiques se dé-gagent dans les œuvres de Meddaci. En premier lieu, il parvient à traduire l’immensité d’un lieu. La mer, les ar-

chitectures, les ruines, imposent leur espace sublime, bien que les écrans démultipliés restent à une échelle hu-maine ordinaire. Dans un espace où le temps est comme suspendu, où la si-tuation est répétée, il s’agit de mettre en tension et en relation les différentes possibilités offertes par des situations réelles. Ces situations sont, pour une part essentielle, les puissances poé-tiques de ces murs d’images animées.En second lieu, Meddaci travaille subtilement le ralenti du défilement des images. Le ralenti est devenu un effet familier de l’art contemporain ; Bill Viola (The Reflecting Pool, 1979) et d’autres artistes vidéo-installation-nistes y ont recours pour conférer de la majesté à un geste quotidien, ou du moins familier. Lancer une pierre de Mehdi Meddaci et le saut dans un bas-sin de Bill Viola ont en commun un souvenir universel, une évocation liée à une mémoire collective. La beauté des étirements lents, des élongations dans les plans de Meddaci transforme le lancement d’une pierre en un geste pathétique, en une impatiente figura-tion du désir de franchir la mer. L’al-ternance de bruits et de silences suit ces gestes d’une violence sourde et muette, où le simple ralenti de l’image lui confère une dimension désespérée.

Le monde reflété et espéré dans les films-installations de Meddaci se voit alors traversé de chocs, voguant entre espace intime et continent, entre pa-norama et gros plan, entre émigration et famille, entre la bruyance du ressac des vagues et le silence du sommeil, entre l’utopie du retour et la réalité de l’exil obligé. Grâce à la mise en scène, au montage et à la sonorisation, il donne un sentiment d’étrangeté à l’image la plus banale.

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AGENDA DES EXPOSITIONSINSOLITES

John M. Armleder, dans ses meilleures installations, uti-lisait la configuration du musée aussi bien architecturale que sociale pour susciter de nouvelles liaisons entre les œuvres et celui qui les regarde. A chaque fois qu’un visi-teur entre dans la salle de All of the Above, c’est la même chose : il veut contourner cette immense estrade blanche qui s’élève sur trois niveaux et supporte une vingtaine d’œuvres contemporaines. Et puis le gardien le rappelle à l’ordre : « Madame, Monsieur, s’il vous plaît… » Lourde tâche pour Armleder – devoir clore la dynamique entre les expositions et le bâtiment, amor-cée au Palais de Tokyo il y a cinq ans. Le collectionneur et plasti-cien a choisi d’inverser None of the Above, une précédente créa-tion où les œuvres étaient outra-geusement réduites. C’est sur ce développement intellectuel bancal que repose le module. En un aplat de souvenirs, Armleder entasse les œuvres et cherche à créer de vaines dynamiques dans ce fatras vaguement « fin soixante» (une nostalgie pour son groupe artistique Ecart ?), bai-gné dans la lumière impitoyable des néons et le rock languissant de Go for it, Mike, vidéo-clip de Michael Smith réalisé en 1984; tous nos encouragements vont au gardien de la salle. Un Crâne de Xavier Veilhan, les Surrogate Paintings d’Alan McCollum, cadres béants face au vi-siteur, soulignent l’écoulement du temps. Sorte de nain sous LSD, le Guardian de Sylvie Fleury 2008 couvre l’ensemble d’un regard halluciné, quand des œuvres de Peter Schuyff ou John Tremblay (Crowd, Process/Blue, 2007) confirment le goût d’Armleder pour l’abstraction géométrique de la peinture. Les œuvres semblent se battre pour attirer l’attention du visiteur, rivalisant de détails pour faire valoir leur importance visuelle : le squelette laqué d’un énorme atome ou la typographie franche du poster religieux Dave Help Me réalisé par Scott King en

1998 attirent quelques suffrages, mais la télévision sort souvent victorieuse de ces élections visuelles… Comme toutes les « cartes blanches » du Palais de Tokyo, All of the Above est la réduction schématique des inspirations de l’artiste genevois. La madeleine, qui entendait malme-ner « l’exposition reposant habituellement sur le corps en mouvement et l’œil fixe du spectateur », s’avère rassie, indigeste. Car où John M. Armleder a-t-il saisi des yeux fixes dans un musée ? Peut-être a-t-il été aveuglé par ses propres rapports avec les œuvres – certaines proviennent

de sa collection personnelle – car il peine à les faire inte-ragir : là où l’organisation devrait faire surgir des asso-ciations inédites, elle opacifie l’aléatoire de l’inspiration. Problème de médium plus que de média, car le visiteur reste toujours en périphérie de l’installation, malgré sa volonté d’y accéder. Il contemple, ne participe pas, l’œil est fixe, peut-être, et il ne sait pas vraiment pourquoi. Jusqu’à ce qu’il baisse son regard, et voie, devant l’es-trade soulignée par une ligne blanche, qu’il est inscrit « Ne pas franchir ».

SORBONNE ART / NUMERO 4/12

Vue de l’exposition “All of the Above”, Carte Blanche à John M. Armleder, Palais de Tokyo (18 oct. - 31 déc. 2011). Crédit photo : Raphaële Mas, Palais de Tokyo, 2011

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OF T H E A B O V E

par Antoine Oury

PALAIS DE TOKYO

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NOVEMBRE/DECEMBRE 2011 / JANVIER 2012 /13

Endocrinologue de profession et collectionneur averti depuis plusieurs décennies, Thomas Olbricht a ouvert, il y a deux années de cela, un espace d’exposition à Berlin intitulé me Collectors Room, qui accueille en ce moment la collection d’Antoine de Galbert, fondateur de la Maison rouge. Juste retour des choses, une petite partie de la collection Olbricht est actuellement expo-sée à Paris, et ce jusqu’au 15 janvier 2012.Pilotée par l’un de ses amis de longue date, Wolfgang Schoppmann, l’exposition s’ouvre sur un premier es-pace, ce long couloir aux murs rouges et blancs, où le spectateur est invité à s’engouffrer et se confronter à une première toile de l’artiste américain Ryan McGuiness (We’re in This Together, 2011) qui, juxtaposée non sans raison à l’Armoirie avec crâne d’Albrecht Dürer (1503), fait des Mémoires du futur un voyage dans le temps, au travers d’œuvres d’artistes inconnus ou re-connus, balayant plus de cinq cents ans d’une histoire de l’art en perpétuelle construction.Faisant du passé une évocation du temps présent, si ce n’est de l’avenir, plusieurs œuvres sont mises en parallèle les unes aux autres, dans un jeu constant de rappels et d’actualisations. Le suicide de Lucrèce, La Pendaison de Jacques Callot ou encore La tentation de Saint Antoine viennent illustrer ces nombreux renvois, preuves que l’art du passé fait aujourd’hui toujours sens.Cultivant un goût certain pour l’hétéroclisme et l’inédit, la collection Olbricht s’aventure à plusieurs reprises sur le terrain des cabinets d’art et de curiosités (Kunst und Wunderkammern), ancêtres princiers des musées, ayant pour intérêt de lier art, nature et sciences. Artificialia et autres naturalia sont mises en valeur au sein d’alcôves

ou de vitrines, invitant le spectateur à s’y aventurer ou à se rapprocher, permettant une contemplation des plus intimistes. Le corps, la guerre ou encore la fragilité et la beauté du corps humain, thématiques développées principale-ment dans les premières salles disposées autour du pa-tio, vont peu à peu s’effacer pour laisser place à un uni-vers plus sombre, par moment quasi fantasmagorique. L’espace lui-même se fait plus obscur, les murs passent du blanc au gris, l’éclairage non naturel des spots vient tamiser des œuvres où les vanités sont nombreuses, le memento mori constant. L’espace se fait religieux, confrontant le spectateur à son destin inévitable ; l’évo-cation toute christique de néon de Kendell Geers prend alors tout son sens. Particulièrement marquant, l’un des derniers espaces de l’exposition, aux murs désormais complètement noirs, nous invite à circuler à travers une riche collec-tion de crânes, placés sur des piédestaux, et traités par des artistes contemporains aussi différents les uns des autres, de Damien Hirst à Maurizio Cattelan. Quelques marches suffisent à renverser le propos, nous projetant dans un espace à la propreté clinique, d’un blanc in-tense, nous plongeant au plus profond de notre incons-cient au milieu d’œuvres cauchemardesques, telles les figures hybrides de Patricia Piccinnini, venant illustrer à merveille le concept freudien de « l’inquiétante étran-geté ». Voyage initiatique, nous menant de la vie au trépas, de la toute matérialité des choses à notre inconscient, les Mémoires du futur s’avèrent révéler avec brio la perti-nence de la collection de Thomas Olbricht.

Détails de la Wunderkammer © me Collectors Room Berlin, Photo Bernd Borchardt

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par Cécile Merelli

SORBONNE ART / NUMERO 4/14

Moins connu du grand public que son voisin de Chantilly, le château d’Ecouen abrite pourtant le musée national de la Renaissance et dispose d’un fonds considérable de col-lections permanentes. Construit à l’origine comme une demeure seigneuriale, entre 1538 et 1555, le bâtiment n’a pas pour vocation première l’exhibition d’œuvres d’art.L’exposition sur la majolique qui s’y tient actuellement, première en France sur le sujet, a donc dû déjouer les écueils des salles oblon-gues, percées en prime de hautes fenêtres rendant l’accrochage d’autant plus ardu. Si elle a su contourner ces em-bûches en choisissant une présentation en vitrine, plaçant judi-cieusement les textes sur les voiles occul-tants des fenêtres et inscrivant le parcours dans les trois pièces en enfilade constituant les appartements de Catherine de Médicis, la mise en scène a également su tirer profit des bénéfices qui lui étaient offerts. Le « dialogue entre un décor historique et des œuvres prestigieuses » permet de transporter le visiteur dans l’époque Renaissance, contexte originel de la créa-tion de ces faïences dont le but affiché était d’approcher l’éclat de l’orfèvrerie. Contribuant à cette atmosphère,

la scénographie s’efface, composant un enrobage épu-ré qui sied parfaitement à ces céramiques chamarrées.Malgré sa faible étendue, le parcours scandé par les thèmes des décors offre un rythme très plaisant : sur la centaine d’œuvres présentée, les deux tiers sont exposés dans la Grande Salle de la Reine, des bancs opportuns facilitant leur contemplation. On peut y admirer entre autres le plat

de La mort d’une des filles de Niobé attribué au Peintre du Marsyas de Milan et la coupe du

Jugement de Pâris de l’atelier de Gior-gio Andreoli. L’antichambre qui suit

propose d’étudier gravures et textes ayant inspiré les décors de la majolique, et invite à découvrir l’origine et la technique de cet art. La Chambre de Catherine de Médicis, au décor Renais-sance plus marqué, regroupe quant à elle une quarantaine d’œuvres prestigieuses : on

peut y voir pour la première fois en France le célèbre ser-

vice Correr, ou encore quelques pièces de celui d’Isabelle d’Este.

Ainsi, assortie également d’un catalogue très complet et d’une

collection permanente de majolique de près de deux cents pièces, l’exposition

d’Ecouen propose une incursion assurément incon-tournable dans cet art méconnu, devenu au cours de la Renaissance « la quintessence des arts décoratifs ».

A L A R E N A I S S A N C EM

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Plat aux armes d’Isabelle d’Este, Histoire d’Orphée et d’Eurydice, Nicola da Urbino, Urbino, probablement 1524, diam. 39 cm, Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art © Service de presse Rmn-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi

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Quel autre écrin que le 104 pouvait mieux accueillir l’ex-position « In_Perceptions », expérience interactive qui instaure un autre rapport aux œuvres et au lieu d’exposi-tion, où dorénavant c’est le projet qui fait lieu, et le lieu qui fait lien avec le public. Ouvert depuis octobre 2008 sur le site des anciens services municipaux des Pompes funèbres, le 104 livre un espace propice à des installa-tions se mêlant à l’architecture monumentale du lieu. Les trois artistes plasticiens invités pour l’exposition créent des installations à échelle humaine comme autant d’expé-riences physiques. L’artiste belge Ann Veronica Janssens, dont la pratique pourrait se définir comme une recherche fondée sur l’expérience sensorielle de la réalité, conçoit des pièces qui attirent la lumière aux limites de l’éblouis-sement. Le visiteur accède à une grande salle blanche Détail de Bâtiment© Paul Fargues & Henriette Desjonquères

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Passer le pas de la porte du Musée de la Chasse, c’est entrer de plain-pied dans un univers merveilleux. Mer-veilleusement inquiétant. D’emblée, la surprise est au rendez-vous. Forget me not trône dans la cour de l’an-cien hôtel de Guénégaud. Bouquet aussi improbable que monumental, cette sculpture de grès émaillé et d’inox brossé est l’avant-goût d’un parcours certes onirique, mais semé d’embûches. L’apparente communion entre les hommes et les animaux dans le sein de mère Nature se disloque peu à peu pour laisser place à des rapports plus incertains, plus complexes, plus cruels.Le pari de la mise en scène est relevé haut la main par Françoise Pétrovitch. En effet, l’artiste parvient avec brio à investir l’espace pourtant très particulier du mu-sée, sans concurrencer la collection permanente. Dans chaque salle sont semées ici et là des créations amu-santes comme ces Pieds émaillés prêts à chausser les étriers ou au contraire inquiétantes : Tue-lapin rappelle le destin tragique de tout animal traqué. Mais toutes ont en commun leur caractère insolite. Ainsi, L’art d’accommoder le gibier ou « service de pique-nique de luxe » est sans doute l’œuvre qui reflète le mieux l’esprit de l’exposition. Gravées en taille douce sur du papier gaufré, pas moins de douze estampes ont atterri dans le cabinet de porcelaine. Délicatement ali-gnées à côté des autres assiettes dont elles ont la forme, elles semblent narguer le visiteur et viennent le bous-culer dans sa passivité habituelle. Scénario probable : le spectateur passe devant ce cabinet sans remarquer la substitution, tant la correspondance entre les pièces est forte. Scénario plus vraisemblable: émoustillé par le jeu implicitement instauré dès le départ, le visiteur troque ses habits de spectateur pour ceux d’explorateur : la mue est accomplie et la mission réussie. L’adéquation est véritablement parfaite entre d’une part

les sculptures, peintures, gravures contemporaines et d’autre part les salles d’un hôtel séculaire. Clin d’œil comique, harmonie thématique, écho chromatique : le visiteur à la recherche de nouveaux trésors ne peut que s’émerveiller devant tant d’intelligence de composition. Une exposition ne se subit pas, elle se vit. Conclusion d’autant plus frappante que le musée de la Chasse est le temple de la naturalisation…

.Les sentinelles, Françoise Pétrovitch, grès, 2010 , Salon Bleu du musée de la Chasse et de la Nature, © Hervé Plumet / Courtesy galerie RX.

P E T R O V I T C H

NOVEMBRE/DECEMBRE 2011 / JANVIER 2012 /15

MUSEE DE LACHASSE

par Philippine Coupard

baignée par une source lumineuse semblant jouer avec un brouillard dense. Comme une issue pour échapper à l’inten-sité du brouillard traversé, un autre, coloré, invite à une autre expérience, une nouvelle sensation où la situation est imper-ceptiblement modifiée, la lumière artificielle se confondant avec la lumière naturelle. Perdu, le visiteur peut soit chercher une issue, soit se promener en quête de nouveaux paysages. Cette œuvre est une œuvre catastrophe, le brouillard est aussi poussière, en référence aux attentats du 11 Septembre 2001. L’artiste argentin Leandro Erlich, figure majeure de la scène internationale, présente quant à lui son œuvre vertigineuseBâtiment créée pour la Nuit Blanche en 2004, jouant sur l’im-pression que le bâtiment réfléchi est en position verticale. Le public est invité à marcher sur l’œuvre, à s’y accrocher ; il a ainsi le sentiment d’y « grimper » sans effort, en ignorant

les lois de la gravité. Enfin, Lawrence Malstaf, artiste belge issu autant du design industriel que des arts de la scène, nous fait vivre la coïncidence et le chaos dans son œuvre Mir-ror, dispositif en apparence ludique mais creusant le rapport au corps. Un fauteuil fait face à un miroir : le visiteur est invité à presser un bouton rouge provocant un mouvement du miroir. Le dispositif est assez simple, mais l’expérience – individuelle – est très étonnante et fait écho aux arts forains, voire aux premières expériences photographiques. Ces trois artistes exposés ont en commun le plaisir du corps en jeu et font ainsi découvrir que l’esprit n’est pas le seul maître du « je ». Ils explorent et questionnent chacun à leur manière la relation entre les arts, les réalités et l’imaginaire.

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« Si je pouvais raconter l’histoire avec des mots, je n’aurai pas besoin de me trimbaler un appareil photo-graphique ». C’est dans ce sens que nous devons com-prendre les intentions profondes du photographe améri-cain Lewis Hine (1874-1940). Sociologue de formation, il se consacre à la photographie dès 1903 et n’a cessé de la mettre au service de la justice sociale. A l’heure où les Etats-Unis étaient en proie à la révolution industrielle, Hine a photographié ce que son humanisme le poussait

à défendre avec ferveur. De l’immigration à l’asservis-sement de l’homme par la machine, en passant par le travail des enfants et les conditions de vie précaires des ouvriers, il désirait « montrer ce qui devait être corrigé […], montrer ce qui devait être apprécié ». Moins tech-nicien qu’interprète, Hine dans ses travaux témoigne des tâtonnements de la photographie documentaire et, pour mieux éveiller les consciences, il a parfois eu recours à la pose. C’est à la Fondation Henri Cartier-Bresson (HCB) que quelques cent cinquante tirages de Lewis Hine sont pré-sentés du 7 septembre au 18 décembre 2011, consti-tuant ainsi la toute première rétrospective conséquente du photographe. Seule fondation privée dédiée à la pho-tographie en France, l’objectif premier de la fondation HCB est la conservation et la diffusion de l’œuvre de son fondateur et, dans un second temps, l’ouverture à d’autres photographes, français ou étrangers, le tout pré-senté alternativement à raison de trois expositions par an. Disposées dans les deux petits espaces d’exposition d’un ancien atelier d’artiste de Montmartre, spéciale-ment rénové pour l’ouverture de la fondation en 2003, les photographies de Hine sont présentées par thé-matiques depuis l’arrivée des immigrants dans le port d’Ellis Island en 1904, à la construction symbolique de l’Empire State Building en 1930. Près des tirages, pas de cartel, juste quelques légendes peintes à même le mur. Pas non plus de texte qui détournerait l’attention, juste un catalogue d’exposition à l’angle de la première salle. La fondation mise sur la sobriété. Serait-ce par manque d’espace ? Ou bien est-ce là la preuve d’une volonté de rendre plus floue la frontière entre photojournalisme et photographie d’art ? Peut-être les deux à la fois. L’effet n’est pourtant pas des moindres : chaque tirage raconte à lui seul sa propre histoire et saisit le visiteur d’une émotion authentique.

Mécanicien à la pompe à vapeur dans une centrale électrique-1920 ©Lewis Hine / col-lection George Eastman House, Rochester

par

Anaïs de Carvalho

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Le Laboratoire nous ouvre ses portes du 7 octobre 2011 au 9 janvier 2012 pour présenter sa treizième expérience: Cummulus. Dans son combat pour rendre l’eau potable accessible à tous, le Laboratoire s’est intéressé au travail de Ciro Najle, artiste et architecte argentin. Celui-ci s’est entouré de chercheurs et de scientifiques afin d’élaborer un système permettant de recueillir l’eau produite par les nuages et le brouillard. L’œuvre exposée au Labo-ratoire, Cummulus, est la représentation métaphorique d’un nuage. A travers ce travail, l’artiste met en valeur la présence de l’eau dans l’air.L’exposition s’articule en trois salles. La première se concentre sur la démarche scientifique du projet en ex-posant le logiciel créé pour réaliser Cummulus et les deux suivantes sur l’aboutissement de ce projet. Dans ces deux

espaces, des vidéos mettant en lumière la réalisation ma-térielle du nuage et son installation apportent une dimen-sion humaine à l’expérience. Réalisé tout en crochets, Cummulus produit un effet aérien malgré ses trois cents kilos et réussit à nous hap-per dans son univers poétique. Mêlant le calcul au tricot, les mathématiques à l’humain, cette expérience incarne l’interaction entre l’art et la science, ligne de conduite du Laboratoire.Pendant un peu plus d’un an, cet espace original s’est consacré à la question de l’eau et a tenté d’élaborer des solutions au manque d’accès à l’eau potable dans le monde. Ces recherches ont été réalisées dans le cadre d’un programme créatif international, le Prix Art Science lancé en 2009 et organisées au sein du réseau Art Science

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Labs fondé par David Edwards, le créateur du Laboratoire. Ainsi sont exposées dans la dernière salle des expériences développées par des équipes d’étudiants en design et en science grâce au pro-gramme créatif international d’Art Science Labs. Un filtre à eau potable très simple d’utilisation et facile à transporter retient par-ticulièrement l’attention.Crée entre 2005 et 2008, le Laboratoire n’est pas seulement un lieu d’exposition formidable. Espace multiple, où projets hu-manitaires cohabitent avec expériences culinaires, il fourmille d’inventions atypiques et de gadgets amusants. Le FoodLab et le tout nouveau Laboshop repoussent les limites du quotidien et nous proposent de manger la bouteille d’eau dans laquelle on vient de boire ou de repartir avec un Whif, objet permettant de se nourrir en respirant. Tous ces lieux réunis en un seul nous accueil-lent les bras ouverts dans des espaces modernes et colorés.

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Ciro Najle, Cummulus © Phase One Photography

NOVEMBRE/DECEMBRE 2011 / JANVIER 2012

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« Que du dessin » mais pas seulement ! Le musée-atelier Antoine Bourdelle, situé dans le XVème arrondissement, présente du 9 novembre 2011 au 29 janvier 2012 une exposition des dessins du sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1929). C’est la première fois qu’une sélection des dessins de l’artiste de cette envergure est exposée au musée (l’inventaire des quelques six mille deux cents feuilles conservées au musée vient d’être achevé). Le choix scé-nographique privilégie un parcours théma-tique à travers une dizaine de thèmes riches et variés: près de deux cents feuilles sont exposées. Sont développés des thèmes avec une approche technique comme le dessin pris sur le vif, ou le dessin d’après mémoire et d’autres thèmes plus personnels comme l’intime, le registre du familier, ou encore la fantaisie. Dans la première salle de l’expo-sition, on découvre un ensemble de dessins reproduisant des motifs médiévaux ainsi que des éléments d’architecture religieuse. Pour l’académicien qu’était Bourdelle, la copie était un exercice obligatoire et certainement très apprécié de l’artiste. « Je n’ai rien fait à l’école que du dessin », disait-il à son entou-rage. Bourdelle a dessiné toute sa vie. Chaque jour il pratiquait. Dans le couloir qui suit, une frise chronologique retraçant la vie de l’ar-tiste est déroulée le long du mur. Né en 1861, l’année 2011 est le 150ème anniversaire de sa naissance, un second prétexte pour faire cette exposition. Durant sa carrière, Bourdelle a été praticien pour Auguste Rodin, fut le maître d’Alberto Giacometti, a capturé les mouvements de danseurs contemporains tels Vaslav Nijinski ou Isadora Duncan, et a réalisé d’impor-tantes commandes de l’Etat. Une de ses statues monumen-

tales, la France éternelle, domine toujours l’esplanade du Palais de Tokyo. Les thèmes qui sont présentés dans les salles ultérieures nous font entrer dans le « véritable » univers de l’œuvre graphique d’Antoine Bourdelle. A la fin de l’exposition, le plaisir continue avec la visite des

collections permanentes, de l’atelier et du jardin qui ont gardé toute l’authenticité du début du XXème siècle. Du dessin, donc, mais pas seulement… De la sculpture aussi, quoique pour Bourdelle : « la sculpture, c’est du dessin dans tous les sens ». Finalement, tout est dessin !

Antoine, Léda et le cygne, s.d., crayon au graphite et aquarelle sur papier vélin, 49,2 x 63,9 cm © Musée Bour-delle / Roger-Viollet

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P O R TR A I TD ’ U N E OEUVRE

SORBONNE ART / NUMERO 4/18

N A M J U N E P A I KOLYMPE DE GOUG ES IN LA FEE ELECTRONIQUE

A l’aube des années 1960, de jeunes artistes fondent le mouvement Fluxus. Avec humour et insolence, ses membres vont remettre en cause la notion d’œuvre d’art pour tenter de réconcilier l’art et la vie sans aucun complexe. La télévision ayant réussi son intrusion dans la société, remplaçant le feu de cheminée dans nos salons, l’artiste Nam June Paik a jugé évident de l’utiliser comme un composant plastique dans ses productions, à l’instar de celle qui se trouve au Musée d’art moderne de la Ville de Paris.

A peine a-t-il franchi les portes du musée, que le spectateur est accueilli par un étrange

robot. Les ondulations colorées qui s’échappent de sa carlingue l’intri-guent. Fasciné, il s’en rapproche, tel un insecte autour de la flamme va-cillante d’une bougie… Digne des plus mauvais romans de science-fiction, cette introduction dérape à la lecture du matricule de l’automate qui apparait sous les yeux incrédules du visiteur : Olympe de Gouges in La fée électronique ! Elec-trochoc culturel et historique, car la belle Olympe n’est autre qu’une révo-lutionnaire française, féministe avant l’heure. Des idées avant-gardistes qui sont loin d’être partagées par ses contemporains. En 1793, elle aura d’ailleurs des problèmes jusqu’au cou…

C’est à se demander si l’artiste n’a pas également perdu la tête lorsqu’il a baptisé sa créature, ironise le visi-teur un peu chauvin. Le tulle tricolore placé en son centre ne suffira pas à le convaincre. Las, il quitte la pièce, laissant seule cette grande dame incomprise, exécutée par ses pairs révolutionnaires. Olympe de Gouges in La fée électronique, c’est en vérité l’histoire d’une orpheline qui fut ra-pidement abandonnée par ses frères et récemment par son défunt père, à

savoir l’artiste sud-coréen Nam June Paik (1932-2006).

AU NOM DU PERE...

… fait inévitablement écho la notion d’art vidéo. Effectivement, Paik est le pionnier et le pape prolifique de cette nouvelle expression artistique enfan-tée dans les années 1960. La munici-palité de Paris voit grand lorsqu’elle sollicite le maître pour la commémo-ration du bicentenaire de la Révolu-tion française en 1989. Bien plus qu’une petite fête nationale reposant sur la traditionnelle trilogie « saucisson-lampion-accordéon », c’est l’humanité tout entière qui est conviée à la célébration d’un événe-ment majeur de l’Histoire. Le Coréen est donc perçu par les commandi-taires comme l’artiste fédérateur par excellence, utilisant comme médium le poste de télévision qui connecte aujourd’hui tous les hommes à travers le monde.

Empilée, retournée, soudée, la petite lucarne se retrouve malaxée par l’ar-tiste pour façonner la silhouette du robot à l’image d’un sculpteur. Mais Paik est avant tout un peintre: « Si le collage a remplacé la peinture, le tube cathodique a aujourd’hui remplacé la toile », clame-t-il avec humour.

L’artiste nous rappelle ainsi ce qu’est véritablement une télévision, au-delà de sa fonction. Procédé technique dompté par l’homme pour diffuser des images figuratives, son écran va se voir méthodiquement déréglé par le Coréen. Les ondes, les couleurs sont brouillées pour devenir de pures formes plastiques.

Les images jaillissent de l’armure dans un rythme nerveux. La statue est magistralement animée par d’anodins postes de télévision ; le même que ce-lui qui trône au milieu du salon de M. et Mme Dupont. L’artiste réunit ainsi l’art et la vie avec humour. Le fluide hertzien insufflé par Dieu-le-père-de-l’art-vidéo offre à la sculpture une âme. Les bouillonnements d’images deviennent les battements de cœur de la charmante Olympe mais également ceux de ses frères révolutionnaires. En effet, Nam June Paik est l’heureux papa de la « Famille Révolution ».

QUAND PATRIE RIME AVEC FRATRIE...

Aujourd’hui orpheline, Olympe de Gouges était jadis entourée par d’autres robots révolutionnaires. Di-derot, Rousseau, Voltaire et Robes-pierre étaient également présents pour célébrer le bicentenaire. Réunis dans

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par Alexandre Michel

NOVEMBRE/DECEMBRE 2011 / JANVIER 2012 /19

© Eric Emo / Musée d’Art Moderne / Roger-Viollet

N A M J U N E P A I KOLYMPE DE GOUG ES IN LA FEE ELECTRONIQUE

la salle Dufy du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ils représentaient à leur manière un aspect de la Révolu-tion française. Olympe devenait ainsi la facette féminine de l’événement ; face cachée au regard de l’Histoire. Mais les temps ont changé, les sans-culottes ont laissé place aux soutiens-gorges brûlés et la fière Olympe de Gouges trône aujourd’hui au centre de cette salle qu’elle partage avec une autre demoiselle : La fée électricité.

En effet, l’œuvre de Paik est envelop-pée d’une gigantesque fresque réali-sée par Raoul Dufy en 1937. Sur les murs s’étalent les représentations des plus grands savants qui ont participé à « mettre en valeur le rôle de l’élec-tricité dans la vie nationale ». Subtile rencontre entre deux apologies de technologies au service d’une nation: La fée électronique de Paik scintille via ses écrans sur les parois colorées de La fée électricité de Dufy. La per-ception des deux œuvres se voit modi-fiée par cette confrontation inattendue entre deux révolutions techniques aussi importantes que celle de 1789. Des révolutions devenues mondiales.

L’œuvre d’Olympe de Gouges était également un combat universel : ce-lui de voir les femmes à l’égal des hommes, uniques représentants de la Nation en 1789. Une revendication portée par un texte fort : la Déclara-tion des droits de la femme et de la citoyenne. Orpheline de son siècle, sa pensée est aujourd’hui d’actualité. Sur sa statue, des idéogrammes chinois ont été peints : « Liberté », « Vérité», « Pas-sion », des termes encore inconnus pour beaucoup de femmes du XXIe siècle…

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QU’EST CE QUE...Qu’est-ce que l’histoire de l’art ? Quelles sont vos premières réactions face à une telle question ? Alain Mérot : En tant qu’historien de l’art, je suis pris entre deux infinis, d’un côté l’infiniment petit, les milliers d’ob-jets dont nous devons rendre compte d’un point de vue scientifique, et d’autre part l’infiniment grand, la difficulté de pro-poser, d’interpréter les œuvres et d’éla-borer une réflexion sur ces dernières. Si beaucoup d’options sont possibles, il est certain que l’option stylistique a beau-coup prévalu dans cette maison. Plus récemment des enseignements se sont ouverts sur des problèmes d’iconographie ou d’iconologie et sur la manière d’éta-blir une histoire sociale de l’art, où l’on s’interroge sur la production et la récep-tion des œuvres. L’arrivée des « études visuelles » change un peu le point de vue. Arnaud Maillet : Un peu, certes, car en tant qu’historien de l’art moi aussi, je remarque que la nature des objets étudiés fait évoluer la définition de l’histoire de l’art. Pour un objet un peu moins tradi-tionnel qu’un tableau, se posent d’autres questions menant à d’autres champs d’étude. Par exemple, les lunettes de vue, qui sont parfois de vraies œuvres d’art, nous amènent vers d’autres disciplines : le design, l’anthropologie, l’histoire des sciences et de l’imaginaire... Tout dépend donc de l’objet étudié. Et ces changements de points de vue sont peu à peu utilisés pour tenter d’aborder sous un angle dif-férent les œuvres d’art de type tableaux, sculptures, etc. AUX "SOURCES" DE L’HISTOIRE DE L’ART

Dans « histoire de l’art », il y a deux termes : « histoire » et « art ». Est-ce que, comme en histoire, nous devons partir des faits, des sources ? Quel est le point de départ de l’histoire de l’art ? Al. M : Il faut remonter aux conceptions de Vasari et de Winckelmann. Vasari considérait que l’on devait fonder l’his-toire de l’art sur la collecte de documents et de témoignages afin de constituer la vie de l’artiste, et que c’est cela qui compte. De cette manière les différents artistes sont agencés de façon à induire une pro-

gression. Winckelmann, deux siècles plus tard, casse ce schéma – il considère qu’il ne faut pas faire une histoire des artistes mais analyser une activité humaine qui doit être prise dans sa globalité, dans un contexte, qui peut-être religieux, poli-tique, social etc. D’ailleurs c’est pour cela que les Allemands parlent de Kuns-tgeschichte. En France le Ministère de l’Education a pourtant imposé à l’école l’ « histoire des arts ». Ce sont les arts plastiques qui ont prévalu alors que nous, nous avons eu une exigence qui remonte au XVIIIe, à Winckelmann, qui est celle d’une « l’histoire de l’art » universelle. Avec lui, c’est la première fois que l’ensemble des données historiques sont réunies et mises au service des œuvres, qui doivent elles-mêmes nous faire com-prendre les sociétés dans lesquelles elles évoluent. Avez-vous la même conception dans les études visuelles ? Ar. M: Les études visuelles pures et dures forment une approche culturelle de la représentation, comme la représentation de la folie par exemple. En ce sens, les études visuelles ne s’intéressent pas à la dimension matérielle, mais intellectuelle – voire politique – de l’image et forment à ce titre une iconologie, c’est-à-dire, ici, une critique de l’image conçue comme représentation. C’est pourquoi W.J.T Mit-chell dit « Je suis un iconologue : j’étudie les images à travers les différents mé-dias». Cette démarche constitue bien une histoire des représentations, comme celle de la folie, pour reprendre cet exemple.

DE LA PLURALITE DES POINTS DE VUE

Comment, en analysant une œuvre dans un contexte élargi, peut-on glisser vers une histoire visuelle ou sociale ?

Al. M : Nous n’aurons certainement pas la même réponse ! La méthode la plus féconde pour aborder une œuvre est, de mon point de vue, de partir d’un dossier suffisamment riche et bien articulé sur les œuvres, les artistes et les phénomènes socio-artistiques, pour ensuite développer une réflexion plus théorique et ambitieuse. Effectivement, nous pouvons aussi envi-sager de faire une histoire sociale de l’art. Ayant été l’élève d’André Chastel, j’ai été très impressionné par la façon dont il tra-

vaillait. Il étudiait les œuvres prises dans le cadre de circonstances, de commandes et de diffusions précises et à partir de là rassemblait les témoignages et les textes. Les questions naissaient d’elles-mêmes, voyez-vous ? J’assume un héritage que l’on caricature souvent comme une his-toire de l’art « positiviste ». Je ne crois pas que ce soit cela ; c’est une manière d’aller vers la réalité du passé, du moins ce que l’on en sait, pour essayer de voir comment on peut la penser. Il faut donc éviter de généraliser tout de suite. Selon que l’on fait de l’histoire sociale de l’art ou des études visuelles, le point de départ ne serait donc pas le même ? Al. M : Oui, vous ne répondrez pas à la même question. On peut se rejoindre sans doute sur certains points mais on ne part pas des mêmes postures. Ar. M : Ce n’est pas si sûr justement. Tout historien de l’art part effectivement d’un ob-jet, il me semble aus-si, même si cet objet devient plus ou moins théorique par la suite, comme les lunettes de vue. Et c’est au fur et à mesure, à force de tra-vailler, que les choses s’agrègent et s’orga-nisent. Même si nous avons forcément des présupposés, le but est de s’en déprendre afin de se laisser entraî-ner par son sujet. C’est véritablement la position que je revendique, et nombre de scientifiques fonctionnent eux-mêmes de la sorte, par tâtonnements, par essais et corrections, se laissant entraîner par leurs expériences ou leurs intuitions, très loin de l’idée positiviste que nous pouvons avoir de la science. Renoir (père) avait une très belle métaphore : l’artiste est comme un bouchon ballotté par la rivière, la rivière l’entraînant là où bon lui semble. Pour-quoi l’historien de l’art ne pourrait-il pas procéder de la même manière, mais tou-jours à partir de son objet d’étude, objet matériel au départ ? Quel serait alors le rôle des études vi-suelles par rapport à l’histoire de l’art ?

L’HIS TOIRE DE L’ ART ?

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QU’EST CE QUE... Ar. M : Les études visuelles s’intéressent également aux reproductions de l’œuvre, et non pas vraiment à l’œuvre elle-même.

Al. M : Mais n’est-ce pas restreindre singulièrement – je fais un peu de polé-mique– le champ d’investigation que de s’intéresser uniquement à cela ?

Ar. M : Pour André Gunthert, les études visuelles concernent les usages que l’on fait de l’image. Cette discipline complète donc pour une bonne part ce qui se fait en histoire de l’art dans l’étude de la récep-tion des œuvres. Prenons une photo de reportage, celle de Daniel Cohn-Bendit prise par Gilles Caron devant la Sorbonne le 6 Mai 68 : elle échappe aux canons esthétiques et approches habituelles de l’art, mais c’est néanmoins une image, un nouveau type d’image, que les études visuelles cherchent à prendre en charge

grâce à des approches et des outils différents. C’est ainsi que l’on commence à étudier les reproductions de l’Angelus de Millet ou de la Joconde qui sont plus importantes pour le paysan ou le touriste que l’œuvre originale appréciée seulement par l’esthète. Al. M : Alors vous estimez au fond qu’un historien de l’art formé traditionnellement ne

peut pas faire cela ? Imaginez qu’un pro-fesseur de première année veuille amener ses étudiants à parler du visuel. Il prendra peut-être une affiche publicitaire pour dé-montrer son propos. Et vous pensez qu’il y a là comme une sorte de hiatus, entre une œuvre élaborée « traditionnelle » et une œuvre plus « utilitaire»? On n’utilise-rait pas les mêmes méthodes pour l’ana-lyser ?

Ar. M : Tout dépend du point de vue adopté pour étudier cette affiche. Pour ma part, je ne postule aucun hiatus, au contraire, parce que je la considère avant tout comme une image ; mais force est de constater qu’il y a toujours ce clivage entre art noble et art populaire qui vient gêner l’approche que l’on peut avoir de

cette image. De plus, l’œuvre aujourd’hui est-elle dans le faire ou dans le résultat ? La démarche artistique aujourd’hui ques-tionne véritablement le statut de l’œuvre et de l’art. La question de la reproducti-bilité vient aussi brouiller l’idée que l’on s’en faisait traditionnellement. Le beau et l’esthétique ne permettent (malheureu-sement !) pas d’éperonner tous les types d’image ou de pratique. AUX LIMITES DE L’HISTOIRE DE L’ART : LA THEORISATION?

Quel est l’enjeu de l’histoire de l’art par rapport à la philosophie esthétique, et vice-versa ? Est-ce le rôle de l’historien de l’art que d’établir des théories ? Al. M : Je crois que nous ne sommes pas là d’abord pour théoriser. Moi je m’y refuse. La philosophie esthétique est totalement différente de l’histoire de l’art. Certains des plus grands philosophes esthéticiens n’ont pas vu beaucoup d’œuvres d’art, à l’exemple de Kant. Prendre du recul en revanche oui, nous en avons besoin. C’est un petit peu les deux infinis dont j’ai parlé tout à l’heure ; on ne doit pas avoir un regard myope. Pierre Rosenberg dit « Il y a deux espèces d’historien de l’art : il y a les analystes, et il y a les simplifica-teurs». Cela dit, on a besoin de simplifier pour y voir clair, pour savoir où l’on va et les grands historiens ont pu progresser grâce à cela.

Vous avez esquissé, un peu plus haut, les possibles rôles des études visuelles à l’intérieur de l’histoire de l’art… Est-ce que la philosophie esthétique vous sert dans vos travaux respectifs ?

Al. M : Oui ça peut avoir un intérêt. Je vais vous donner un exemple – je travaille actuellement sur la notion de grâce. Dans ce cas, la philosophie esthétique est utile. Mon but n’est cependant pas de faire une théorie de la grâce mais d’essayer de voir comment, de Raphaël à Canova, la notion de grâce a été mise en pratique par les artistes. En revanche définir la grâce m’intéresse beaucoup moins. Ar. M : Il faut voir les liens entre théorie et pratique : d’ailleurs je crois que nous sommes tout à fait d’accord là-dessus. Nous partons toujours d’un objet d’étude,

le mot objet étant à prendre dans son sens matériel. Entre l’histoire de l’art, la théo-rie de l’art etc. je ne vois pas très bien où sont les limites. Jean-Claude Lebensztejn m’a bien appris à tenter d’articuler les « différents paramètres de la recherche, documentaire, formel, théorique, fan-tasmatique ». Notre discipline ne doit pas constituer « simplement un placage théorique, ni un collage dont les éléments tiennent plus ou moins ensemble, mais un va-et-vient organique, innervant de part en part le matériau d’étude ».

UNE ESQUISSE DE DEFINITION?

Vous semblez, dans une certaine me-sure, vouloir abolir les frontières entre études visuelles, philosophie esthétique et histoire de l’art. Nous pensions, au contraire, qu’il était nécessaire de déter-miner les limites de chacune de ces disci-plines afin de leur donner une existence propre. Vous semblerait-il judicieux, à l’issue de cet entretien, de nous proposer une définition à la manière d’un diction-naire, en quelques lignes ? Ar. M: Oui bien sûr, ne serait-ce que pour essayer de situer sa pratique d’historien de l’art. Seulement quand on pratique jus-tement cette discipline, ses définitions se révèlent très limitées. J’ai du mal à vrai-ment les démêler. Il y a des définitions, mais elles ne nous conviennent pas ! Ce qui m’apparaît clair, c’est que l’histoire de l’art ne peut plus se limiter seulement à l’étude de l’œuvre d’art, mais s’étend à d’autres artefacts, ainsi qu’à d’autres pra-tiques, parce que la définition de l’art a elle-même évolué.

Al. M: On en a rappelé quelques-unes au cours de cet entretien. Sans être dogma-tique, il faut quand même faire des choix. On ne peut pas enseigner tout n’importe comment même si l’histoire de l’art est une discipline très ouverte. Elle est ini-tiatique d’une part et ouverte d’autre part. Initiatique car elle oblige à comprendre l’image, et ouverte car polyvalente. Chas-tel disait que les œuvres d’arts sont des polyèdres. On les fait tourner et l’on trouve des éclairages toujours différents.

Ar. M : Je ne connaissais pas cette définition de l’œuvre mais elle est en effet très belle.

L’HIS TOIRE DE L’ ART ?

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CONVERSATION ENTRE ALAIN MEROT ET ARNAUD MAILLET

propos recueillis par Mathilde de Croix et Geoffrey Ripert

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PORTRAITS D’ARCHITECTURES

Le contexte est un élément essen-tiel de l’architecture. Essentiel car il regroupe des paramètres imposés, irréductibles. Ces paramètres sont nombreux. Le site, l’environnement proche du projet mais aussi certaines dimensions sociales, culturelles, his-toriques, ou encore d’autres impal-pables comme son atmosphère, sa poétique. La réussite d’un projet dé-pend de son intégration totale à son contexte. Lorsqu’un projet s’avère évident dans son milieu, c’est qu’il met ce dernier en valeur. A son tour, ce milieu révèle le sens de l’Architec-ture. Comment le contexte influe-t-il sur la fabrication de l’architecture?

Analysons deux projets d’une même agence. D’une part un musée à New-York, d’autre part un centre d’appren-tissage à Lausanne. Voyons comment l’architecte contexere, tisse avec un lieu, joue avec ce dernier pour réussir à mettre en œuvre un bâtiment puis-sant de sens, une Architecture…

New-York, 235 Bowery Street. A l’angle de Prince Street se dresse le New Museum. C’est le deuxième bâ-timent sur le sol américain de l’agence japonaise SANAA (Kazuyo Sejima + Ryue Nishizawa) .Livré en 2007, il s’agit d’un empile-ment de boîtes de différentes dimen-

sions, décalées les unes des autres avec des espacements variables. Ce jeu de boîtes est la résultante de règles urbaines contraignantes ajoutée à la nécessité d’avoir des espaces d’ex-positions les plus grands possibles en tenant compte des prospects. Les décalages des boîtes permettent des apports de lumière zénithale qui dis-pensent les murs d’ouvertures pour avoir le maximum de parois dispo-nibles à l’accrochage.Le rapport du New Museum avec la ville est à la fois évident et sub-til. Le bâtiment a de prime abord une allure plutôt introvertie : peu de transparences évidentes, un matériau

uniforme sur toutes les façades, une seule couleur neutre qui s’impose. Un blanc ou un gris selon le temps. Mais cette neutralité apparente per-met de mettre la ville en valeur : l’uniformité fait ressortir les bâti-ments alentours et révèle le caractère propre de New York, ses couleurs, son atmosphère, son essence même. Dans le même temps, cette abstrac-tion, ce blanc presque pur fait res-sortir le musée parmi les autres bâti-ments et il exprime un signal dans le paysage urbain de Manhattan. Ce double effet est rendu possible grâce au matériau de façade : un maillage d’aluminium déployé. Uti-

lisé en double peau, il vibre et change avec la lumière. L’aluminium choisi permet de donner une apparence plus brillante qu’un autre métal. La pro-fondeur que permet la double-peau offre une transparence à l’édifice qui rend vivant et mouvant son aspect in-troverti. Enfin, il donne de la légèreté à l’assemblage des boîtes. La force de cette grande surface uniforme qui recouvre tout le bâti-ment réside dans la porosité qu’elle permet avec son environnement, les échanges qu’elle opère avec son contexte. Les boîtes empilées ne sont plus que des boîtes empilées qui ré-pondent à des besoins fonctionnels.

Elles expriment un ensemble qui de-vient une architecture.A l’intérieur, l’architecture sert l’art et n’est à aucun moment en compé-tition avec lui : des espaces épurés, et à chaque fois qualifiés. En effet, les boîtes sont toutes distinctes : hauteur, largeur, profondeur, forme et taille des zénithaux - cela garan-tit des espaces différenciés selon les étages, une souplesse des accrochages et des scénographies variées selon les œuvres à exposer. Le rez-de-chaussée entièrement ouvert sur la rue, sur plus de quatre mètres cinquante de hauteur, permet un lien direct entre les pas-sants et l’intérieur du musée et invite

New Museum, vue depuis Prince Street, 2007, SANAA Architectes, © Dean Kaufman Rolex Learning Center, vue dep uis le rez-de-chaussé, 2010,tSANAA Architectes, © EPFL / Alain Herzog New Museum, 2007, SANAA Archites, © Dean Kaufman

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N E W M U S E U M , N E W - Y O R K/ / R O L E X L E A R N I N G C E N T E R , L A U S A N N ESANAA ARCHITECTES

par Valérie Garachon

à la découverte de l’art contemporain.A l’extérieur, le New Museum repré-sente l’identité du musée : l’expé-rimentation et le dynamisme. Il ex-prime ainsi son caractère novateur : à mi-chemin entre une galerie d’art et un espace réservé à l’évènementiel.

A Lausanne, un autre bâtiment nova-teur de SANAA étonne : le Rolex Learning center. Le contexte ici est tout autre. Un environnement semi-urbain, des vues dégagées sur le lac Léman, des bâtiments bas : nous sommes sur le campus universitaire de l’école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Programme nou-

veau et original, sorte de « laboratoire d’apprentissage », le Rolex Learning Center abrite une bibliothèque, un amphithéâtre, des bureaux, un café et un restaurant. Le contexte culturel particulièrement fort - le campus de l’EPFL et de l’Uni-versité de Lausanne – a conduit à pro-poser un programme novateur qui soit plus qu’un lieu d’étude : un véritable espace d’échanges culturels interna-tionaux ouvert à tous – aussi bien aux étudiants et chercheurs qu’au public.La réponse des architectes est un espace unique avec une topographie organique variable qui offre différents lieux à la fois reliés et séparés. Cette

géographie artificielle permet de créer des zones plus calmes et plus intimes sans barrière visuelle : ce sont les pentes et les plateaux, les collines et les vallées, les changements de hau-teur qui règlent l’acoustique. Cette disposition innovante crée de nouvelles façons d’étudier : un espace commun très fluide qui favorise des collaborations interdisciplinaires, des rencontres, des interactions, mais qui engendre aussi des endroits plus privés pour des réflexions plus personnelles. Homogénéité dans la variété, on re-trouve – comme dans le New Museum– des espaces qui sont tous différenciés et différentiables mais ayant un langage

commun. Cette disposition organique permet aussi de façon plus métapho-rique la circulation des flux d’idées. Comme le rappellent les architectes, «les mouvements humains ne sont pas linéaires mais plutôt courbes». Les courbes du Centre provoquent des inte-ractions plus variées.La toiture et le sol de l’édifice ondoient en parallèle. Si à l’intérieur cela permet des paysages et des vues multiples, à l’extérieur, cette topographie artificielle détache le bâtiment du sol à certains endroits pour faire entrer le paysage et l’environnement proche en son sein. Quatorze patios ponctuent l’étendue du bâtiment et renforcent ce lien entre inté-

rieur et extérieur. Ils mettent aussi en va-leur les pentes et les ondulations douces du bâtiment, ses ombres et ses lumières. L’édifice a une vraie vie en sous-face: des terrasses, des espaces extérieurs qui répondent aux espaces intérieurs. On peut entrer dans le centre depuis n’importe quel endroit du site, ce qui renforce sa fonction de lieu de ren-contres. Le centre est, depuis son ouver-ture en février 2010, plus qu’un espace d’étude pour les étudiants. Ouvert sans exception tous les jours de neuf heures à minuit, il représente un repère stable et un véritable lieu de vie.

Si les formes sont différentes, si les pro-

grammes sont distincts, ces deux œuvres de SANAA montrent combien la prise en compte de leur contexte a renforcé et accompagné tant leur parti architec-tural que formel. Chaque agence a ses recherches obsédantes. Et il est évident qu’on retrouve dans les deux bâtiments des ressemblances ; souvent les théma-tiques chères à l’agence : des édifices aux concepts novateurs, les relations intérieur/extérieur, le rapport au site, des proportions très travaillées, des couleurs et des formes pures. Mais seule la totale adhésion à leur contexte donne à ces architectures une force et une pertinence rares dont la plus belle récompense est l’affluence qu’elles suscitent.

Rolex Learning Center, vue dep uis le rez-de-chaussé, 2010,tSANAA Architectes, © EPFL / Alain Herzog Rolex Learning Center, vue aérienne, 2010, SANAA Architectes, © EPFL / Alain Herzog

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SORBONNEINTRA

Izabella Budryn, une étudiante polonaise en troisième année d’histoire de l’art et à la tête d’une fondation pour l’art contemporain.

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Izabella, tu es étudiante en troisième année d’histoire de l’art et en même temps à la tête d’un projet d’art contemporain en Pologne : peux-tu nous décrire ce projet ?

Tout à fait. Je travaille pour ArtLink Foundation qui est une fondation pour l’art contemporain ; notre mission est de promouvoir l’art et la culture. On a commencé par la création d’un réseau de cinémas de plein air, en été, en Pologne. Chaque soir, pendent trois

mois, on avait deux séances paral-lèles: une salle de cinéma d’été consa-crée aux films très ambitieux (surtout le cinéma français et italien, Godard, Rivette, Fellini), et une deuxième salle où l’on pouvait voir de nouveaux films sortis au cinéma il n’y a pas longtemps. Les week-ends, après les séances, on fait des concerts, des soi-rées avec des DJs connus etc. (voir : www.facebook.com/kinowbrowarze)

Quels sont les événements à venir ?

A présent je suis en train de chercher des artistes polonais pour les exposer à Varsovie dans notre galerie, qui va ouvrir très bientôt. Après, on va pré-senter cette exposition à Paris pour créer une sorte de dialogue de la jeune génération des artistes franco-polonais. La mission suivante sera de trouver des peintres, sculpteurs, artistes vidéo français pour les inviter à exposer à Varsovie. C’est un grand

projet, mais je n’ai pas du tout peur. Pourquoi ? Parce qu’on dit que ce n’est qu’en n’étant pas conscient des difficultés qui se cachent derrière un grand événement qu’on est capable de l’organiser. Je n’avais pas beaucoup d’expérience au début, tout était très difficile. Mais heureusement, je suis très déterminée et j’ai envie d’offrir la possibilité aux autres de s’épanouir, d’admirer la culture, de s’entourer

d’art.

Quand et comment va se passer ton projet à Paris ?

J’aimerais bien commencer en avril ou en mai. En Pologne, la fondation collabore avec son sponsor principal, Perła Browary Lubelskie. C’est une marque de bière polonaise locale qui nous aide beaucoup, en sponsorisant tous nos artistes et nos événements. A Paris, je ne sais pas encore avec qui on va travailler, mais je vais bientôt chercher des gens avec qui je puisse collaborer. Pour organiser au mieux des initiatives comme celle-ci, il faut avoir un groupe très uni.

Comment arrives-tu à t’organiser entre la France et la Pologne ?

Beaucoup de café et encore plus de chocolat ! C’est mon secret… Tu en as besoin quand tu es à la Sorbonne toute la journée et que toute la nuit tu envoies des millions d’emails et de messages aux informaticiens, gra-phistes, critiques de cinéma, commis-saires d’exposition, architectes, avo-cats... De plus, je passe au moins 10 à 15 jours par mois en Pologne, parce que la voie électronique ne suffit pas. Par exemple, quand il faut voir com-ment se passent les travaux dans ta future galerie, etc.

Ce projet a-t-il modifié ta vision du monde de l’art ? Qu’apporte-t-il de plus à des études théoriques ?

Non, pas vraiment, parce qu’avant je ne connaissais pas du tout le monde de l’art... On commence toujours par la théorie, parce que la culture géné-rale et les connaissances de l’art, de

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propos recueillis Maïlys Celeux-Lanval

Page de gauche : Izabella devant l’Institut d’histoire de l’art et archéologie de la SorbonnePage de droite : Vue en 3D du cinéma en plein air

l’histoire, de la littérature sont indis-pensables pour pouvoir entrer dans le marché de l’art. Mais pour être un candidat intéressant il faut d’abord avoir l’expérience. Ce que j’ai appris, c’est qu’il faut abso-lument faire des stages pendent les études, il faut travailler dans les gale-ries, dans les enchères. Il ne suffit pas de connaitre toutes les dates de toutes les œuvres de Basquiat ou de César par exemple. Cela doit être une habi-tude de lire des journaux spécialisés, de s’abonner à Artnet, de voir toutes les expositions, d’aller au Art Basel ou à la Biennale de Venise.

Tu as fait un stage chez Sotheby’s Paris. Quelles sont les responsabili-tés que tu avais chez Sotheby’s que tu retrouves aujourd’hui ?

La possibilité d’observer le travail de grands experts français m’a appris trois choses importantes : la systéma-tique, la fiabilité, la ponctualité. Je fais également très attention à écouter et à respecter l’opinion des personnes qui sont plus expérimentées. Audi multa, loquere pauca! (écoute beaucoup et parle peu).

Penses-tu que les diplômes sont utiles dans le monde de l’art ? Ou est-ce simplement une question d’initiative et de volonté ?

Je pense beaucoup à cette question. D’un côté un diplôme d’une université réputée dans le monde entier comme la Sorbonne, Yale, Oxford, est comme la carte de visite que tu donnes au pre-mier rendez-vous. Elle est plus visible et plus prestigieuse que les autres cartes. D’un autre côté, je ne crois pas que le diplôme soit une garantie de

travail. C’est plutôt un outil, une base, un fondement stable à partir duquel tu peux créer quelque chose.

Ton année va être très chargée, n’as-tu pas peur de délaisser un peu tes études d’histoire de l’art ?

Je suis venue en France pour étudier l’histoire de l’art et mes études sont ma priorité. Cela a toujours été mon

rêve de venir dans une capitale aussi magique que Paris et de me balader dans les salles du Louvre et du musée d’Orsay. Et ca m’a coûté beaucoup de quitter mon pays, ma famille et mes amis, alors je ne peux pas imaginer détruire deux ans de travail.

IZABELLA, ETUDIANTE ETFONDATRICE D’UN CENTRE D’ART CONTEMPORAIN EN POLOGNE

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Un soir du mois d’octobre de 1924, Fritz Lang voit depuis un bateau quelque chose qui l’émerveille : les gratte-ciel du port de New York et ses rues illuminées. Rapidement, il se met à coécrire un scénario de science-fiction avec Thea von Harbou, sa femme, sur la mégalopole du XXIème

siècle. Trois années plus tard, Metro-polis est terminé. Les décors du film comptent parmi les plus grands et les plus spectaculaires jamais construits à cette date pour un projet de cinéma. Pourtant c’est avec du simple carton que s’élabore cette représentation de l’immensité et de la toute-puissance de la métropole du futur.Quatre-vingts ans plus tard, au XXIème siècle, Claire Jackel, jeune artiste installée à San Francisco (www.clairejackel.com), appartient à une génération que les médias mitraillent en permanence d’images montrant des catastrophes naturelles pouvant faire disparaître des villes entières en quelques minutes ; une génération qui, en 2001, a vu s’effondrer en di-rect deux des plus grands gratte-ciel de la ville même qui avait inspiré Fritz Lang. Dans son œuvre, Claire Jackel s’interroge ainsi sur la vulnérabilité du monde moderne et elle amène le spectateur à le faire lui aussi en repré-sentant des gratte-ciel avec de fragiles sculptures de papier.

LA VILLE DU XXIEME SIECLE

Pour Lang, la métropole de 2026 sera très différente de ses embryons urba-nistiques de 1926. Se démarquant de l’opinion générale de son époque, il conçoit la métropole du futur comme une contre-utopie. Son propos est de montrer que des projets d’urba-

nisme si ambitieux et principalement fondés sur le progrès technique vont probablement faire tripler la taille des gratte-ciel, inclure différents ni-veaux de circulation pour chacun des moyens de locomotion (train, voitures et avions) et héberger une population si nombreuse que les villes se trans-formeront en États ; or Lang estime qu’on ne peut pas aboutir à une ville-État sans que celle-ci repose sur des écarts sociaux et des injustices pro-portionnels à la magnificence de ses bâtiments. Lang nous avertit que le vice des grandes villes du XXIème siècle sera l’arrogance.Or la dénonciation du péché d’orgueil de la ville du XXIème siècle est préci-sément ce qui rapproche Fritz Lang de Claire Jackel. Dans sa sculpture Gravity Always Wins, ainsi que dans l’ensemble de son œuvre, Claire Jac-kel part du constat que les métropoles du XXIème siècle sont des icônes de la puissance et de la grandeur déme-surées. C’est pour cela que nous sommes particulièrement stupéfaits lorsque, en 2001, nous apprenons que les grandes métropoles sont fragiles comme du papier. Le titre de l’œuvre illustre parfaitement son propos : il existe toujours une force extérieure (ici, la gravité) bien supérieure à la puissance technique, et susceptible de démolir les grandes métropoles à n’importe quel instant.

LA MISE EN SCENE DE LA VILLE

Pour Lang, le New York des années 1920 n’est pas encore la ville du futur, et Metropolis a donc été tourné en studio avec des décors complètement artificiels (sans compter que la faible

F O N D U ENCHAINE

Fritz Lang, Metropolis, 1927, photogrammes extraits de chacun des trois derniers plans de la scène.

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sensibilité des pellicules de l’époque rendait difficile un tournage en exté-rieur). Ce choix permet à Lang de mettre en scène un monde radicale-ment diffèrent. Il crée ainsi une ville divisée en deux univers antithétiques: celui du sous-sol, habité par des ou-vriers presque réduits en esclavage, et celui de la surface, constitué de gratte-ciel habités par l’élite, patrons et penseurs. Lang ne montre au public la ville de la surface pour la première fois que lorsque le héros, Freder, (Gus-tav Fröhlich), après être descendu au sous-sol où il découvre les conditions de vie abominables des ouvriers, se précipite à la surface pour aller pré-venir son père, le Président-Directeur de la ville, installé dans « la nouvelle tour de Babel ». C’est alors qu’on voit la grande ville, et bien qu’on ait déjà conscience de l’injustice qui la fonde, Lang n’hésite pas à montrer les colos-saux gratte-ciel sur une bande sonore épique et grandiloquente. En faisant durer plus d’une minute cette scène composée de seulement quatre plans généraux, Lang laisse beaucoup de temps de lecture de l’image au public pour le plonger dans la contemplation émerveillée de la métropole du futur dans tous ses détails. Ces quatre plans sont statiques. Seule varie la position de la caméra, pour montrer l’espace central de la ville dans sa totalité. La mise en scène reste ainsi très sobre. Le dynamisme de l’image repose entièrement sur l’incessant mouve-ment des voitures et des avions sur les diverses voies reliant les bâtiments. Le montage des quatre plans culmine avec l’image du bâtiment de « la nou-velle tour de Babel » au fond d’une perspective éclatante de Metropolis, grande ville rationnelle, ordonnée et

impeccable. Pour développer son propos, Claire Jackel utilise une mise en scène très différente. Ses sculptures de villes sont chaotiques, un peu froissées et suspendues à l’envers ou sur des murs vides, comme une plante décorative en train d’agoniser et que le vent risque d’emporter. Ses villes sont denses et colossales, mais les bâtiments s’in-clinent et se plient. On y reconnaît les motifs architecturaux typiques des gratte-ciel de New York et Chicago : façades très planes, fenêtres rectan-gulaires, fenêtres en forme d’arche au dernier étage… L’œuvre fait réfé-rence à la majesté technique, mais sur un mode rétrospectif : la splendeur est passée. Certes, les villes sont imma-culées, mais cette blancheur n’est que celle du papier. Les symboles du pro-grès sont démystifiés.

LA FIN DU FUTUR ?

Alors que Fritz Lang doit recourir au carton pour nous donner l’illusion de voir la toute-puissante et ambivalente métropole du XXIème siècle, Claire Jackel se sert donc du papier comme d’un médium signifiant pour nous faire sentir qu’en 2011 les grandes métropoles se délitent déjà. Metropolis proposait une solution politique à ces dangers de la grande ville : un pacte entre les élites et les ouvriers, entre la main et le cerveau, unis par l’amour dans un projet coo-pératif. Mais Lang s’aperçut bientôt, à l’époque où il s’exila aux États-Unis, que ce projet avait à voir avec le national-socialisme (cette fin ayant probablement été élaborée par sa femme, sympathisante du parti nazi), et il rejeta son œuvre. Pour Claire Jac-

kel, le paradigme est autre : ce futur des grandes métropoles est aboli. Le 11 septembre a révélé la fragilité de la ville et la péremption de la modernité telle qu’elle se concevait au début du XXème siècle. Il ne s’agit plus d’élabo-rer un discours politique sur la ville, mais de prendre conscience sur un mode poétique et postmoderne de son évanescence.

Si Metropolis évoque un futur déjà passé, il a pourtant une belle actualité avec sa réédition restaurée dans la ver-sion intégrale que l’on croyait perdue, et une exposition à la Cinémathèque (jusqu’à fin janvier 2012). Deux oc-casions de se laisser émerveiller par l’œuvre comme Lang l’avait été par New York.

PAPIER, CARTON ET GRATTE-CIEL:L A M E T R O P O L E D U X X I E

C H E Z F R I T Z L A N G E T C L A I R E J A C K E L

par Marc Juvé avec la collaboration d’Isabelle d’Orsetti

Claire Jackel, Gravity Always Wins. Courtesy Claire Jackel

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E T

AUSSIC Z E S L A W M I L O S ZOU "LA POURSUITE PASSIONNÉE DE LA RÉALITÉ"

Parce qu’il a écrit un jour sur les articles enthousiastes qui lui étaient consacrés dans la presse internationale, qu’ils ont « rarement eu le mérite d’être intelligents » et qu’il n’y voyait que « l’écho de ce vacarme univer-sel où tout se confond », achevons en ce point l’article, conseillant au lecteur, suffisamment averti ou non, de lire ses recueils de poèmes Enfant d’Europe, Terre inépui-sable ; son essai Témoignage de la poésie ; et d’écouter Michael Lonsdale lire certains de ses plus beaux poèmes dans un audio-book distribué par le Magazine littéraire (octobre 2011).

CROISER LES ARTSComme nombre de poètes, Csezław Miłosz a pratiqué l’ekphrasis. Ainsi de la remémoration de ses visites au Prado, « vers la salle où le Jardin des délices / M’atten-dait. Pour que je coure au bord de ses eaux, / Pour que je m’y plonge et m’y reconnaisse. ». Pour profiter de ce très beau poème, il vous est désormais loisible de le confron-ter à la reproduction du tableau de Jérôme Bosch mise en ligne sur ARTstor. En effet, les bibliothèques de l’uni-versité viennent de se procurer les droits de cette base de données d’une très grande richesse picturale. De quoi suivre vers à vers le poème de Miłosz : retrouver dans l’Eden la Fontaine de Vie « dentée, tranchante, / D’une trompeuse innocence » ; puis les « eaux riches », la « cueillette des baies » et « les noces communes » de la vie terrestre, pour aboutir à l’éternité de l’Enfer, sa « multitude de bourreaux » aux supplices bien humains.L’université de la Sorbonne propose encore nombre de ressources en ligne passionnantes (à la rubrique « La Bibliothèque en ligne » du site de Paris IV) : grande base de textes francophones du Moyen Age au XXème siècle ; dizaines de milliers de disques en diffusion avec Music Online. De quoi nourrir vos recherches comparatistes et vous permettre à votre tour de croiser les arts.

A LA CROISÉE DES ARTS

Notre époque contemporaine a ce mérite tout particulier de mettre les différentes formes de l’expression artis-tique en perspective les unes avec les autres. La moder-nité fait des espaces cloisonnés des lieux poreux. D’un art à l’autre, mais aussi d’une époque à l’autre, un va-et-vient s’instaure, de nouveaux liens se créent, cherchant à rémunérer le défaut – peut-être la faille nécessaire – de chaque art. Si la rubrique ET AUSSI va dans ce sens, elle n’aura sans doute pas été vaine…

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par Julien Ranson

Czesław Miłosz, grand poète polonais, Prix Nobel en 1980, est né il y a cent ans, et partout dans le monde, son œuvre est remise à l’honneur. L’université de la Sorbonne n’est pas en reste et organise du 8 au 10 décembre un colloque résolument comparatiste, consacré au dialogue des cultures dans et à travers l’œuvre de Miłosz : le poète, qui vécut exilé en France puis aux Etats-Unis, observateur et fin pen-seur de l’Europe, traducteur de Simone Weil, Blake, T. S. Eliot ou de textes de la Bible, s’y prête bien.

Czesław Miłosz est un poète dont on ne saurait se passer parce qu’il a voulu intensément redonner à la poésie son rôle de « poursuite passionnée de la Réalité » et renouer le lien perdu – peut-être au XIXème siècle – entre la poésie et la destinée de « la grande famille humaine ». Pour lui, la poé-sie ne doit pas s’enfermer dans une quête solitaire de « l’art pour l’art », elle doit être accessible à tous, transmettre des valeurs universelles, comme dans ces grands moments de bouleversement historique où elle fut denrée de première nécessité (que l’on songe aux Poètes de la Résistance). Ainsi annonce-t-il dans « Dédicace » (Enfant d’Europe) :

Je le jure, mon langage n’est pas ensorceleur.Je te parle au moyen du silence,Tel un nuage, tel un arbre. […]

Que signifie une poésie qui ne sauve Ni peuple ni nation ?Une complicité avec les mensonges officiels,La chanson d’un pochard dont la gorge sera tran-chée demain, Lectures pour jeunes étudiantes.J’ai désiré sans le savoir une bonne poésie, Et découvert, tardivement, son but salvateur ; Cela, et cela seul, peut sauver les valeurs.

par Julitte Stioui

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Les œuvres de Guy de Maupassant conservent encore au-jourd’hui un renom de premier plan, renouvelé sans cesse par les nombreuses adaptations filmées. Il demeure en effet l’un des auteurs français les plus adaptés, en France comme à l’étranger. Ainsi, Bel-Ami a fait l’objet de qua-torze adaptations parlantes et de quatre adaptations muettes recensées, globalement des succès commerciaux qui font de Maupassant à bien des égards « une valeur sûre». Avec, en tête d’affiche, Robert Pattinson, Uma Thurman, et Kris-tin Scott Thomas, la nouvelle adaptation de Bel-Ami de D. Donnellan et N. Ormerod, est déjà pressentie comme un succès.Le roman, rappelons-le, retrace l’ascension sociale de Georges Duroy, homme ambitieux et séducteur qui par-vient au sommet de la pyramide sociale grâce à ses maî-tresses et à la collusion entre finance, presse et politique. Le passage de l’écrit à l’audiovisuel fixe dans la matéria-lité des personnages, des décors et des sons qui n’étaient que mots. De ce fait, l’histoire prend une nouvelle dimen-sion : l’image, imposée, devient le seul référent pictural et s’inscrit dans une histoire commune du cinéma. L’adapta-tion crée ainsi une nouvelle relation sensitive et esthétique à l’œuvre et soulève différentes problématiques. Citons la caractérisation physique des personnages, l’intonation, les dialogues et l’utilisation de thèmes musicaux, messages non verbaux que les réalisateurs « ajustent » pour le public contemporain. Qu’il s’agisse de The Private Affairs of Bel Ami de Lewin (1947) ou de cette nouvelle version à ve-nir, la transformation visuelle la plus évidente est celle du personnage principal. De fait, le Bel-Ami de Maupassant avance « la poitrine bombée, les jambes un peu entrou-vertes comme s’il venait de descendre de cheval », arbore « une moustache retroussée qui semblait mousser sur sa lèvre » et ressemble « aux mauvais sujets des romans po-pulaires ». A contrario, G. Sanders, dans la version de Lewin, incarne un Bel-Ami élégant, aux gestes précis et un peu apprêtés,

plus raffiné que l’original et départi de sa moustache, détail suranné aux yeux du public de l’époque. Donnellan et Or-merod font eux aussi le choix de s’inscrire dans l’horizon d’attente du public. Ils s’adaptent aux codes esthétiques du moment en confiant à Robert Pattinson, nouvel égérie du star system hollywoodien, le rôle du séducteur invétéré. Ces ajustements jouent, sans en avoir l’air, un rôle prépon-dérant : la séduction éprouvée par le spectateur accrédite celle de Madame de Marelle, rend crédible son amour pour Duroy. Au fondement de ces modifications, un même projet : la relecture de Maupassant et la réutilisation de son œuvre source. L’entreprise est celle d’une appropriation du texte, par opposition à une imitation, qui est une adaptation de l’œuvre pour elle-même. La cohérence de l’œuvre obte-nue se construit malgré le texte, et non sur le texte. Elle aboutit à une atténuation de ses ambiguïtés – le message politique et social chez Lewin est simplifié, le charlata-nisme de la sphère journalistique à peine suggéré –, tandis que l’origine littéraire de l’histoire se perd dans un foi-sonnement d’autres références culturelles. Plutôt qu’une modernisation, simple transposition, les adaptations sont une remotivation du texte, ils donnent un nouveau rôle au patrimoine littéraire classique : celui de faire le lien entre deux époques. On peut discuter la légitimité et l’oppor-tunité d’une telle réutilisation mais, du point de vue de la création artistique, cette entreprise est plus riche qu’une imitation. Elle repose sur un dialogue entre les œuvres, sur un échange entre deux artistes ancrés dans leurs époques, leurs situations historiques, sociologiques et artistiques, mettant à profit leur confrontation. Chercher « ce que le cinéma fait à la littérature », c’est envisager l’adaptation du point de vue de la littérature. Nous proposons donc de lire le film comme une « re-création », la re-création enga-geant de fait une nouvelle vision de l’adaptation, qui n’est plus jugée à l’aune de sa « fidélité » à l’œuvre mais selon la cohérence des transformations qu’elle opère.

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D E L ’ É C R I T A L ’ É C R A N B E L - A M I

À vingt ans, Thierry Fraysse, étudiant en Master à Paris-Sorbonne, est le plus jeune éditeur de France. Au sortir de son deuxième stage dans le monde éditorial, fort de deux années de classe préparatoire, il décida de se lancer, peut-être avec autant de culot que de folie, dans l’aventure édi-toriale. Sa maison, Callidor (« calligraphie d’or »), ouvrit sa première page d’histoire en avril 2011. Pour son pre-mier ouvrage, Callidor s’essaya au roman noir, empruntant aux classiques anglais le livre d’un auteur prolifique du XIXème siècle : James Malcolm Rymer. Inconnu au lecteur français, il est pourtant l’auteur d’une œuvre fort popu-laire: Sweeney Todd. Personnage emblématique, tueur en

série incarné à l’écran par Johnny Depp en 2007, Sweeney Todd s’était déjà fait une place de choix dans la littérature populaire anglo-saxonne, mais en France, son récit ori-ginel, jamais traduit, restait dans l’ombre. L’ambition de cette maison ne s’arrête pas là. Annonçant la future paru-tion d’ouvrages appartenant au domaine de l’imaginaire, la jeune maison d’édition est à surveiller de près sur son site (www.editions-callidor.com). Mais la tortue de Cal-lidor préférant partir à point, il faudra attendre quelque temps pour avoir l’occasion de trouver ses nouveautés : « patience et longueur de temps », aurait pu écrire La Fon-taine pour cet autre animal, « font plus que force ni que rage ».

par Juliette Gazet

T H I E R R Y F R A Y S S E É T U D I A N T - É D I T E U R

par Elric Heimdall

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FOCUS

YAYOI KUSAMA Du 10 octobre 2011 au 9 janvier 2012Musée National d’Art Moderne - Centre Georges Pompidou75001 ParisOuvert tous les jours de 11h à 21h sauf le mardi AGENDA DES EXPOSITIONS ALL OF THE ABOVE, JOHN M. ARMLEDERDu 18 octobre au 31 décembre 2011Palais de Tokyo13, Avenue du Président Wilson, 75116 ParisOuvert tous les jours de 12h à 21h sauf le lundi MEMOIRES DU FUTUR, LA COLLECTION OLBRICHTDu 22 octobre 2011 au 15 janvier 2012La Maison rouge10, Boulevard de la Bastille, 75012 ParisOuvert du mercredi au dimanche de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h MAJOLIQUE, LA FAIENCE ITALIENNE AU TEMPS DE LA RENAISSANCEDu 12 octobre 2011 au 6 février 2012Musée national de la Renaissance, Château d’EcouenChâteau d’Ecouen, 95440, EcouenOuvert tous les jours sauf le mardi de 9h30 à 12h45 et de 14h à 17h15 FRANCOISE PETROVITCHDu 2 septembre 2011 au 8 janvier 2012Musée de la Chasse et de la Nature

CONTACT:[email protected] revue recrute des rédacteurs. Pour plus d’informations, veuillez nous contacter.

REDACTRICE EN CHEF:Mathilde de Croix

REDACTEURS:Jack Tone, Alix Weidner, Anaïs Chaussebourg, Aude Rambaud, Antoine Oury, Antoine Estève, Cécile Merreli, Philippine Cou-pard, Karen Poirion, Eugénie Martinache, Anaïs de Carvalho, Florent Houel, Alexandre Michel, Mathilde de Croix, Geoffrey Ripert, Valérie Garachon, Maïlys Celeux-Lanval, Marc Juvé, Isabelle d’Orsetti, Julitte Stioui, Elric Heimdall, Juliette Gazet

RESPONSABLE RELECTURE ET ADMINISTRATION:Geoffrey Ripert

REPONSABLE COMMUNICATION: Anaïs Chaussebourg

MAQUETTISTE:Mathilde de Croix

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I N F O S P R A T I Q U E S

62, rue des Archives, 75003 ParisOuvert tous les jours de 11h à 18h sauf le lundi et jours fériés IN_PERCEPTIONSDu 24 septembre au 9 décembre 2011Le 104104, rue d’Aubervilliers , 75009 ParisOuvert du mardi au vendredi de 12h à 20h, le week-end de 11h à 20h CUMMULUSDu 7 octobre 2011 au 9 janvier 2012Le Laboratoire4, rue Bouloi, 75001 ParisOuvert du vendredi au lundi de 12h à 19h LEWIS HINEDu 7 septembre au 18 décembre 2011Fondation Herni-Cartier Bresson2 Impasse Lebouis, 75014 ParisOuvert du mardi au dimanche de 13h à 18h30, le samedi de 11h à 18h45, nocturne le mercredi jusqu’à 20h30 ANTOINE BOURDELLE/ QUE DU DESSIN ?Du 9 novembre 2011 au 29 janvier 201218, rue Antoine Bourdelle, 75015 ParisDu mardi au dimanche de 10h à 18h, fermé les jours fériés FONDU ENCHAINE

METROPOLISDu 19 octobre 2011 au 29 janvier 2012Lundi, mercredi à samedi de 12h à 19h, dimanche de 10h à 20h, nocturne le jeudi jusqu’à 22h

RESPONSABLE RUBRIQUE “ET AUSSI”:Julien Ranson

CONCEPTION DU NUMERO 0:Julien Ranson, Alexandre d’Orsetti, Mathilde de Croix

REMERCIEMENTS:Nous remercions tout particulièrement le FSDIE, l’UFR d’Histoire de l’Art et Archéologie de Paris IV, grâce auxquels la revue a pu exister.Mme Catherina Magni, M. Alain Mérot, M. Arnaud Maillet, M. Yann Migoubert, Mme Emanuelle Fournier, Mlle Isabelle d’Orsetti, M. Alexandre d’Orsetti, M. Martin Argyroglo Cal-las Bey

COUVERTURE:Dots obsession, Infinity mirrored Room, 1998 obsession Pois/points. salle des Reflets Infinis Installation. Peinture, miroirs, ballons, adhésifs, hélium. 280 x 600 x 600 cm Les Abattoirs Toulouse ©Jean-Luc Auriol

PARTENAIRES ASSOCIATIFS:

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