“songes-y, mon âme” - accueil · par le mystérieux pyromane s’imposent avec une évidence...

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1 HMA 1951882 Hugo Wolf avait une véritable vénération pour les poèmes d’Eduard Mörike, au point qu’il “ne pouvait même pas s’en séparer seulement une heure”. Presque tous les Mörike- Lieder jaillirent miraculeusement entre février et mai 1888 et c’est en les composant que Wolf s’est révélé à lui-même. Ils sont incontournables pour comprendre l’art subtil et si accompli de celui qui s’imposa comme le dernier des grands maîtres du lied avec piano. Hugo Wolf (1860-1903) Mörike-Lieder “Songes-y, mon âme” “Œuvre d’art totale.” Tel est le maître-mot du progressisme esthétique en cette seconde moitié du XIX e siècle. Cette idée a des précurseurs chez les romantiques, avant que Franz Liszt, Richard Wagner et Hugo Wolf ne montent en première ligne pour la défendre. Liszt voulait faire du poème symphonique une forme d’art nouvelle, combinant pour les dépasser musique et littérature, sans paroles il est vrai. Wagner écrivit ses opéras comme un ensemble indissociable intégrant musique, poésie et scénographie. Hugo Wolf, cas rarissime, a composé presque exclusivement des lieder. Peut-on qualifier d’œuvre d’art totale cette forme intime de la communication ? L’idée de l’œuvre d’art totale n’implique pas nécessairement que l’ensemble – musique, vision, paroles – soit effectivement présent, mais que tout cela coexiste dans l’imagination du compositeur et trouve un écho dans l’imagination du destinataire. La composition intègre des grandeurs variables. Personne ne met Wagner en scène exactement comme il l’a prescrit dans ses partitions, et pourtant, ses indications constituent une base de réfle- xion indispensable. Si les lieder de Hugo Wolf évoquent chez chaque auditeur des images différentes, cela ne signifie pas que le compositeur ne les ait pas voulues ou créées. Quand on écoute la ballade du Feuerreiter (“Le Cavalier du feu”), les scènes d’épouvante suscitées par le mystérieux pyromane s’imposent avec une évidence visuelle et même, véritablement, olfactive. En prêtant l’oreille à la “Prière” (Gebet), on est transporté dans un espace de ferveur et de paix – mais sans nulle fadeur narrative, sans la moindre plate bondieuserie ; on comprendra que cette voix qui reste en suspens ouvre une porte sur l’infini, on comprendra que le temps interrompt un bref instant son cours avant que le piano, avec une géniale simplicité, ne constate son arrêt définitif. Dans l’accompagnement du “Jardinier” (Der Gärtner), le rythme de la chevauchée se mêle à la grâce de la mélodie pour brosser le portrait envoûtant de la princesse à cheval dans le parc. Parce que Wolf veut suggérer des images à son auditeur, ses lieder comportent tous les ingrédients de l’œuvre d’art totale ; simplement, leurs proportions et leur style ne relèvent pas du genre dramatique, mais de la poésie lyrique et de la ballade. Alors que les opéras de Wagner s’étirent en longueur, Wolf mise sur la concentration. Lui-même soulignait la dimension synesthétique de ses pièces chantées. Lors des récitals, il aimait à les faire d’abord déclamer. Il dit un jour à un de ses amis qu’il imaginait pour chacun de ses lieder un fond de scène particulier, un tableau qui servirait de décor. À de rares exceptions près, il n’a jamais abordé de poèmes dont d’autres compositeurs avaient déjà donné une version qu’il trouvait bonne, car il estimait qu’à chaque texte ne pouvait correspondre idéalement qu’une seule musique, de même que le livret de Tristan serait impensable sur des notes différentes. Même si Wolf n’écrivait pas ses textes lui-même, “il se plongeait si profondément dans l’étude d’un poète qu’il se dissolvait en quelque sorte dans sa personnalité avant d’illuminer et de sublimer ses vers avec les moyens qui lui étaient propres”. (Hans Jancik)

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HMA 1951882

Hugo Wolf avait une véritable vénéra tion pour les poèmes

d’Eduard Mörike, au point qu’il “ne pouvait même pas s’en

séparer seulement une heure”. Presque tous les Mörike-

Lieder jaillirent mira culeusement entre février et mai 1888

et c’est en les composant que Wolf s’est révélé à lui-même.

Ils sont incon tour nables pour com prendre l’art subtil et si

accompli de celui qui s’imposa comme le dernier des

grands maîtres du lied avec piano.

Hugo Wolf (1860-1903)

Mörike-Lieder

“Songes-y, mon âme”

“Œuvre d’art totale.” Tel est le maître-mot du progressisme esthé tique en cette seconde moitié du xixe siècle. Cette idée a des précurseurs chez les romantiques, avant que Franz Liszt, Richard Wagner et Hugo Wolf ne montent en première ligne pour la défendre. Liszt voulait faire du poème symphonique une forme d’art nouvelle, combinant pour les dépasser musique et littérature, sans paroles il est vrai. Wagner écrivit ses opéras comme un ensemble indissociable intégrant musique, poésie et scénographie. Hugo Wolf, cas rarissime, a composé presque exclusivement des lieder. Peut-on qualifier d’œuvre d’art totale cette forme intime de la communication ? L’idée de l’œuvre d’art totale n’implique pas nécessairement que l’ensemble – musique, vision, paroles – soit effectivement présent, mais que tout cela coexiste dans l’imagination du com po siteur et trouve un écho dans l’imagination du destinataire. La composition intègre des grandeurs variables. Personne ne met Wagner en scène exactement comme il l’a prescrit dans ses par ti tions, et pourtant, ses indications constituent une base de réfle-xion indispensable. Si les lieder de Hugo Wolf évoquent chez chaque auditeur des images différentes, cela ne signifie pas que le compositeur ne les ait pas voulues ou créées. Quand on écoute la ballade du Feuerreiter (“Le Cavalier du feu”), les scènes d’épouvante suscitées par le mystérieux pyromane s’imposent avec une évidence visuelle et même, véritablement, olfactive. En prêtant l’oreille à la “Prière” (Gebet), on est transporté dans un espace de ferveur et de paix – mais sans nulle fadeur narrative, sans la moindre plate bondieuserie ; on comprendra que cette voix qui reste en suspens ouvre une porte sur l’infini, on comprendra que le temps interrompt un bref instant son cours avant que le piano, avec une géniale simplicité, ne constate son arrêt définitif. Dans l’accompagnement du “Jardinier” (Der Gär tner), le rythme de la chevauchée se mêle à la grâce de la mélodie pour brosser le portrait envoûtant de la princesse à cheval dans le parc. Parce que Wolf veut suggérer des images à son auditeur, ses lieder comportent tous les ingrédients de l’œuvre d’art totale ; simplement, leurs proportions et leur style ne relèvent pas du genre dramatique, mais de la poésie lyrique et de la ballade. Alors que les opéras de Wagner s’étirent en longueur, Wolf mise sur la concentration. Lui-même soulignait la dimension synesthétique de ses pièces chantées. Lors des récitals, il aimait à les faire d’abord déclamer. Il dit un jour à un de ses amis qu’il imaginait pour chacun de ses lieder un fond de scène particulier, un tableau qui servirait de décor. À de rares exceptions près, il n’a jamais abordé de poèmes dont d’autres compositeurs avaient déjà donné une ver sion qu’il trouvait bonne, car il estimait qu’à chaque texte ne pouvait correspondre idéalement qu’une seule musique, de mê me que le livret de Tristan serait impensable sur des notes diffé rentes. Même si Wolf n’écrivait pas ses textes lui-même, “il se plon geait si profondément dans l’étude d’un poète qu’il se dissolvait en quelque sorte dans sa personnalité avant d’illumi ner et de sublimer ses vers avec les moyens qui lui étaient propres”. (Hans Jancik)

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Les Mörike-Lieder

Parmi les quelque trois cents lieder composés par Hugo Wolf, les cinquante-trois pièces sur des poèmes d’Eduard Mörike, écrites entre le 16 février et le 26 novembre 1888, représentent le cycle le plus important par leur nombre. Depuis l’âge de dix-huit ans, Wolf possédait les œuvres du poète souabe et avait fini par leur attacher un tel prix qu’il confessait en 1886 ne pas pouvoir s’en séparer fût-ce même une heure. Grâce à ces poè mes, écrit encore Hans Jancik, “il s’était enfin trouvé, il avait trou vé son style après avoir longuement erré et cherché”. Eduard Mörike, théologien originaire de Ludwigsburg, est sou vent qualifié de poétaillon bourgeois. Jugement pour le moins inexact, car on rencontre chez lui, à côté d’une piété fervente, des fantasmes érotiques qui ne cadrent guère avec ses fonctions pas torales et, à côté de l’éloge des petits bonheurs quotidiens, une robus te ironie et un sens aigu du récit “noir”, incluant la même couleur d’humour. La plupart des poèmes de Mörike, même quand il s’agit de formes rigoureuses comme les sonnets, ne se laissent pas enfer mer dans une idée unique. À l’exception de quelques ballades, ils ne comportent pas de message ou d’intrigue univoques, ne sont pas tendus vers un objectif précis. Ils se présentent bien plutôt comme des fragments arrachés à un contexte plus vaste, des instantanés qui laissent deviner plus qu’ils ne montrent. Cette ouverture, ainsi que les sonorités de la langue de Mörike et son art d’évoquer une atmosphère, avaient déjà inspiré plusieurs compositeurs. Mais aucun d’eux, avant ce Viennois d’adoption qu’était Hugo Wolf, ne s’était encore attaqué à tout un cycle de plus de cinquante poèmes dont l’audition intégrale durerait aussi longtemps qu’un drame musical.Car ces cinquante-trois lieder sont bel et bien conçus comme une œuvre d’art totale. Wolf les a encadrés d’une introduction et d’un épilogue, tous deux subjectifs. L’“Ode du convalescent à l’espérance” (dont le titre, Der Genesene an die Hoffnung, rappelle le quatuor en la mineur de Beethoven) est aussi un témoignage de gratitude à l’adresse de Mörike, qui avait libéré la créativité de Wolf en lui imprimant une nouvelle direction. Quant à la conclusion burlesque du cycle, loin de représenter un adieu mélancolique dans la tradition romantique, elle boute hors avec énergie un représentant de cette corporation honnie qui faisait beaucoup souffrir Wolf : un critique. Le morceau com men ce comme le chœur que Schumann avait consacré à une rage de dents et se termine, après que le critique a dégringolé les escaliers, sur une allègre valse (la rumeur courait à Vienne que c’était là le genre favori du très fameux critique Eduard Hanslick). Les artistes ont choisi d’enregistrer ici une sélection de lieder qui reflètent, sous une forme concentrée, la structure et les carac tères essentiels du cycle tout entier.Les Mörike-Lieder se terminent sur une série d’humoresques annon cées dans Begegnung (“Rencontre”) et Nimmersatte Liebe (“Amour insatiable”). Le groupe conclusif proprement dit commence avec Storchenbotschaft (“Le Message des cigog nes”) : ces oiseaux qui, comme on le fait croire aux enfants, apportent les bébés, confrontent le berger avec les conséquences de son bel amour (insatiable ?). Wolf en fait un scher zo qui joue capricieusement avec les dissonances et les mo tifs. Des ballades précèdent les humoresques. L’alliance des leit-motive et d’une peinture sonore stylisée, les entrecroisements mé lo diques qui, reliant entre elles des strophes apparemment hé térogènes, en dévoilent par intermittence les arrière-plans se crets, l’intensité des descriptions qui créent l’ambiance, font du Feuerreiter (“Le Cavalier du feu”) un chef-d’œuvre du genre. An die Geliebte (“À la bien-aimée”), Peregrina I et II et Lebewohl (“Adieu”) forment un groupe relativement homo gène à l’intérieur du cycle. Directement apparentés par leur tonalité, ces quatre lieder progressent sur une semblable pulsa tion tranquille, selon des lignes mélodiques voisines à l’intérieur d’un ambitus harmonique comparable. Peregrina II commence et se termine par le postlude de Peregrina I, qui varie les premières mesures de la voix chantée. Le développement de Lebewohl est fondé sur les mêmes traits chromatiques qui carac térisaient les deux Peregrina et dont l’importance n’avait cessé de croître dans An die Geliebte. Ces quatre pièces sont autant d’éclairages portés sur une idée unique  : la tension entre l’amour sublimé et le désir érotique. L’intensité émotionnelle de ces vers dans lesquels Mörike transfigure un moment clef de sa vie se re trouve dans une musique d’une formidable densité. Elles sont, elles aussi, préfigurées dans Im Frühling (“Au Printemps”), un de ces poèmes dédiés à la nature qui s’intercalent entre les autres compositions sans se mêler à elles. Tel un commentaire élargissant la perspective, ces pièces recentrent le cycle tout entier, tant sur plan de la musique que sur celui des poèmes, car elles aussi parlent toujours de l’homme. Chacun de ces lieder porte en lui-même son propre sens et sa propre valeur. Pourtant, le travail du compositeur concernait aussi leur suite et leur agencement. La structure du cycle laisse trans paraître des idées d’exposition et de développement, l’esquisse, la reprise et la progression d’une pensée tant littéraire que musicale. Ces morceaux sont des œuvres d’art totales au sens humain et subjectif du terme. Mörike en personne avait trouvé la formule : “Songes-y, mon âme !”

Habakuk Traber

Traduction : Brigitte Hébert

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1 | Gebet

Herr, schicke was du willst,Ein Liebes oder Leides;Ich bin vergnügt, daß beidesAus deinen Händen quillt.

Wollest mit FreudenUnd wollest mit LeidenMich nicht überschütten!Doch in der Mitten,Liegt holdes Bescheiden.

2 | Fußreise

Am frischgeschnittnen Wanderstab,Wenn ich in der FrüheSo durch Wälder ziehe,Hügel auf und ab:Dann, wie’s Vöglein im LaubeSinget und sich rührt,Oder wie die gold’ne TraubeWonnegeister spürt In der ersten Morgensonne:So fühlt auch mein alter, lieberAdam Herbst- und Frühlingsfieber,Gottbeherzte,Nie verscherzteErstlings-Paradieseswonne.

Also bist du nicht so schlimm, o alterAdam, wie die strengen Lehrer sagen;Liebst und lobst du immer doch,Singst und preisest immer noch,Wie an ewig neuen Schöpfungstagen,Deinen lieben Schöpfer und Erhalter.Möcht’ es dieser geben Und mein ganzes LebenWär’ im leichten WanderschweißeEine solche Morgenreise!

3 | Er ist’s

Frühling läßt sein blaues BandWieder flattern durch die Lüfte;Süße, wohlbekannte DüfteStreifen ahnungsvoll das Land.Veilchen träumen schon,Wollen balde kommen.– Horch, von fern ein leiser Harfenton!Frühling, ja du bist’s!Dich hab ich vernommen!

4 | Im Frühling

Hier lieg’ ich auf dem Frühlingshügel:Die Wolke wird mein Flügel,Ein Vogel fliegt mir voraus.Ach, sag’ mir, all einzige Liebe,Wo du bleibst, daß ich bei dir bliebe!Doch du und die Lüfte, ihr habt kein Haus.Der Sonnenblume gleich steht mein Gemüte offen,Sehnend,Sich dehnendIn Lieben und Hoffen.Frühling, was bist du gewillt?Wenn werd ich gestillt?

Prière

Seigneur, envoie ce qu’il te plaît,Amour ou bien souffrance ;Je me réjouis que tous deuxAient eu leur source dans tes mains.

Ne me submerge pasDe trop de joiesEt de trop de peines !Car c’est entre les deuxQu’est le doux renoncement.

Voyage à pied Lorsqu’en début de matinée,À la main, un bâton fraîchement coupé,Je marche en traversant des forêts,Des collines, des vallées :Alors, comme l’oiseau dans la feuilléeQui chante et s’agite,Ou comme le raisin doréQui s’enivre de soleilDans les premiers rayons du matin :Ce vieil et cher Adam ressent ainsi la fièvreDe l’automne et du printemps,La plénitude divine,Jamais perdue,Du premier homme au paradis.

Ainsi, n’es-tu pas aussi mauvais,Ô vieil Adam, que le disent les maîtres sévères, Tu aimes et louanges toujours,Tu chantes encore la gloire,Comme aux premiers jours du monde,De ton Créateur et ton Dieu aimé.Puisse m’être accordée la grâceDe vivre ma vie entièreComme un gai pèlerin,Dans cette marche splendide du matin !

Le voici

Revoici le ruban bleu du printempsQui flotte dans les airs ;Suaves et familiers, ses effluves Sur la terre s’exhalent comme un pressentiment.Déjà rêvent les violettesDe pouvoir bientôt éclore.Écoute, les doux arpèges de la harpe viennent de loin !Printemps, oui c’est toi !C’est toi que j’ai reconnu !

Au printemps

Me voici étendu sur la colline au printemps :Le nuage devient mon aile,Un oiseau vole devant moi.Ah, dis-moi, amour unique,Où tu gîtes, que je reste auprès de toi !Mais toi et les airs n’avez point de demeure. Pareil au tournesol mon cœur est ouvert,Il désire,Et s’étire,D’amour et d’espoir.Printemps, que me veux-tu ?Quand trouverai-je la paix ?

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Die Wolke seh ich wandeln und den Fluß,Es dringt der Sonne goldner KußMir tief bis ins Geblüt hinein;Die Augen, wunderbar berauschet,Tun, als schliefen sie ein,Nur noch das Ohr dem Ton der Biene lauschet.

Ich denke dies und denke das,ich sehne mich, und weiß nicht recht, nach was:Halb ist es Lust, halb ist es Klage:Mein Herz, o sage,Was webst du für ErinnerungIn golden grünen Zweige Dämmerung?Alte unnennbare Tage!

5 | Auf ein altes Bild

In grüner Landschaft Sommerflor,Bei kühlem Wasser, Schilf und Rohr,Schau, wie das Knäblein SündelosFrei spielet auf der Jungfrau Schoss!Und dort im Walde wonnesam,Ach, grünet schon des Kreuzes Stamm!

6 | Der Genesene an die Hoffnung

Tödlich graute mir der Morgen:Doch schon lag mein Haupt, wie süß!Hoffnung, dir im Schoß verborgen, Bis der Sieg gewonnen hieß.

Opfer bracht’ ich allen Göttern,Doch vergessen warest du;Seitwärts von den ew’gen RetternSahest du dem Feste zu.

O, vergib, du Vielgetreue!Tritt aus deinem Dämmerlicht,Daß ich dir in’s ewig neue,Mondenhelle Angesicht

Einmal schaue, recht von Herzen,Wie ein Kind und sonder Harm;Ach, nur einmal ohne SchmerzenSchließe mich in deinen Arm!

7 | Auf einer Wanderung

In ein freundliches Städtchen tret’ ich ein,In den Straßen liegt roter Abendschein.Aus einem offnen Fenster eben, Über den reichsten BlumenflorHinweg, hört man Goldglockentöne schweben,Und eine Stimme scheint ein Nachtigallenchor,Daß die Blüten beben,Daß die Lüfte leben,Daß in höherem Rot die Rosen leuchten vor.

Lang hielt ich staunend, lustbeklommen.Wie ich hinaus vor’s Tor gekommen,Ich weiß es wahrlich selber nicht.Ach hier, wie liegt die Welt so licht!Der Himmel wogt in purpurnem Gewühle,Rückwärts die Stadt in goldnem Rauch:Wie rauscht der Erlenbach,Wie rauscht im Grund die Mühle,Ich bin wie trunken, irrgeführt - O Muse, du hast mein Herz berührtMit einem Liebeshauch!

Je vois couler nuages et fleuve,Le baiser doré du soleil,Profond, me pénètre les sangs ;Mes yeux, dans une étrange ivresse,Font comme s’ils s’endormaient,Seule mon oreille épie encore le chant des abeilles.

Je songe à ceci, et puis à cela,Je me languis sans trop savoir de quoi :Moitié plaisir, moitié crainte,Mon cœur, oh, dis-moi,Quels souvenirs tisses-tu Dans les rameaux verts et or de la brune ?Jours anciens, indicibles !

Sur une vieille image

Dans la floraison estivale d’un vert paysage,Près du frais ruisseau, des joncs et des roseaux,Regardez comme le petit enfant sans péchéJoue hardiment près du sein de la Vierge !Tandis qu’au loin dans l’enchantement de la forêt,Ah, verdit déjà le bois de la croix !

Ode du convalescent à l’espérance

L’aube me faisait frémir mortellement :Mais déjà ma tête reposait, ô espérance,En ton sein délicieux, Attendant que la victoire fut acquise.

Je sacrifiais à tous les Dieux,Mais toi, je t’oubliais ;Tu contemplais la fête,À l’écart des sauveurs éternels.

Ô, pardonne, toi ma fidèle !Quitte ton crépuscule,Laisse-moi contempler ton visage,Incertain, et de lune rayonnant.

Le voir une fois, du fond du cœur,Comme un enfant, en toute candeur ;Ah, une seule fois sans douleur, Ouvre-moi tes bras !

D’un voyage à pied

J’entre dans une gentille petite ville,Au rouge du soir qui tombe dans les rues,D’une fenêtre qui vient de s’ouvrir,Par dessus la plus luxuriante abondance de fleurs,On entend sonner les cloches d’or,Et comme un chœur de rossignols une voix s’élève,Qui fait frémir les fleurs,Qui fait s’exhaler les effluves,Qui fait chatoyer les roses dans la pourpre divine.

Longtemps, je suis resté là, charmé, étreint de volupté,Comment ai-je passé les portes de la ville ?Je ne le sais nullement.Ah, comme le monde ici resplendit !Le ciel ondoie comme une houle de braise,La ville est au loin dans une brume dorée :Comme murmure le ruisseau sous les aulnes,Comme murmure le moulin au vallon,Je suis comme enivré, égaré – Ô Muse, tu as touché mon cœurD’un souffle d’amour !

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8 | Zitronenfalter im April

Grausame Frühlingssonne, Du weckst mich vor der Zeit,dem nur in Maienwonne Die zarte Kost gedeiht!Ist nicht ein liebes Mädchen hier,Das auf der Rosenlippe mirEin Tröpfchen Honig beut,So muß ich jämmerlich vergehnUnd wird der Mai mich nimmer sehnIn meinem gelben Kleid.

9 | Der Gärtner

Auf ihrem LeibrößleinSo weiß wie der Schnee,Die schönste PrinzessinReit’t durch die Allee.

Der Weg, den das RößleinHintanzet so hold,Der Sand, den ich streute,Er blinket wie Gold!

Du rosenfarb’s HütleinWohl auf und wohl ab,O wirf eine Feder,Verstohlen herab!

Und willst du dagegenEine Blüte von mir,Nimm tausend für eine,Nimm alle dafür!

10 | Begegnung

Was doch heut Nacht ein Sturm gewesen,Bis erst der Morgen sich geregt!Wie hat der ungebetne BesenKamin und Gassen ausgefegt!

Da kommt ein Mädchen schon die Straßen,Das halb verschüchtert um sich sieht;Wie Rosen, die der Wind zerblasen,So unstet ihr Gesichtchen glüht.

Ein schöner Bursch tritt ihr entgegen,Er will ihr voll Entzücken nahn:Wie sehn sich freudig und verlegenDie ungewohnten Schelme an!

Er scheint zu fragen, ob das LiebchenDie Zöpfe schon zurecht gemacht,Die heute Nacht im offnen StübchenEin Sturm in Unordnung gebracht.

Der Bursche träumt noch von den Küssen, Die ihm das süße Kind getauscht,Er steht, von Anmut hingerissen, Derweil sie um die Ecke rauscht.

Le papillon jaune en avril

Cruel soleil de printemps,Tu m’éveilles avant l’heure,Car c’est seulement dans l’ivresse de maiQue croissent les mets délicats !Si nulle aimable jeune filleNe me tend ici sa lèvre rose,Où perle une gouttelette de miel,Je mourrais lamentablement,Et jamais le mois de maiNe me verra dans mon habit jaune.

Le jardinier

Sur son petit chevalAussi blanc que neige,La plus belle des princessesChevauche dans l’allée.

Sur le chemin où le petit chevalCaracole avec grâce,Le sable que j’ai seméÉtincelle comme l’or !

Toi, petit chapeau roseQui va montant et descendant,Oh, laisse une plumeTomber à la dérobée !

Et si en échangeTu me demandes une fleur,Prends-en mille pour une,Prends-les toutes !

Rencontre

Quelle est donc cette tempêteQui, jusqu’à l’aube, étreignit la nuit !Quel importun balai a brosséRues et cheminées !

Une fillette parcourt déjà les rues,Et regarde autour d’elle, à demi apeurée ;Comme les roses dans le vent effeuillées,Ses joues s’empourprent de reflets changeants.

Un beau garçon vient à sa rencontre,Et s’approche d’elle émerveillé :Comme ils se regardent joyeux et confus,Ces deux étranges petits coquins !

Il semble se demander si sa mignonneA déjà refait ses nattes,Que cette nuit, dans la chambre ouverte,La tempête avait défaites.

Le garçon songe encore aux baisersQue la douce enfant lui avait rendus,Il reste là, par son charme fasciné,Alors qu’au coin de la rue, elle a déjà disparu.

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11 | Der Tambour

Wenn meine Mutter hexen könnt’,Da müßt’ sie mit dem Regiment,Nach Frankreich, überall mit hin,Und wär’ die Marketenderin.

Im Lager wohl um Mitternacht,Wenn niemand auf ist als die Wacht,Und alles schnarchet, Roß und Mann,Vor meiner Trommel säß’ ich dann:

Die Trommel müßt’ eine Schüssel sein;Ein warmes Sauerkraut darein;Die Schlegel Messer und Gabel,Eine lange Wurst mein Sabel,

Mein Tschako wär’ ein Humpen gut,Den füll’ ich mit Burgunderblut.Und weil es mir an Lichte fehlt,Da scheint der Mond in mein Gezelt ;

Scheint er auch auf franzö’sch herein,Mir fällt doch meine Liebste ein:Ach weh! Jetzt hat der Spaß ein End’!– Wenn nur meine Mutter hexen könnt’!

12 | Jägerlied

Zierlich ist des Vogels Tritt im Schnee,Wenn er wandelt auf des Berges Höh:Zierlicher schreibt Liebchens liebe Hand,Schreibt ein Brieflein mir in ferne Land’.

In die Lüfte hoch ein Reiher steigt,Dahin weder Pfeil noch Kugel fleugt:Tausendmal so hoch und so geschwindDie Gedanken treuer Liebe sind.

13 | Nimmersatte Liebe

So ist die Lieb’! So ist die Lieb’!Mit Küssen nicht zu stillen:Wer ist der Tor und will ein SiebMit eitel Wasser füllen?Und schöpfst du an die tausend Jahr;Und küssest ewig, ewig gar,Du tust ihr nie zu Willen.

Die Lieb’, die Lieb’ hat alle StundNeu wunderlich Gelüsten;Wir bissen uns die Lippen wund, Da wir uns heute küßten.Das Mädchen hielt in guter Ruh’,Wie’s Lämmlein unterm Messer;Ihr Auge bat: nur immer zu,Je weher desto besser!

So ist die Lieb’, und war auch so,Wie lang es Liebe gibt, Und anders war Herr Salomo,Der Weise, nicht verliebt.

Le tambour Si ma mère était sorcière,Alors elle devrait suivre le régiment,Partout en France,Et serait la vivandière.

À minuit au campement,Lorsque seule la garde veille,Et que tous ronflent, hommes et chevaux,Je m’assiérais alors devant mon tambour :

Mon tambour serait un platRempli de choucroute chaude ;Les baguettes, le couteau et la fourchette,Mon sabre, une énorme saucisse,

Mon shako serait un bon hanap,Que je remplirais avec du sang de Bourgogne,Et comme je suis sans lumière,La lune luit dans ma tente ;

Bien qu’elle éclaire à la française,Ma mie me manque pourtant :Hélas ! Le rêve s’est dissipé !– Si ma mère était une sorcière !

Chant du veneur

Gracieuse est la trace de l’oiseau dans la neige,Lorsqu’il se promène sur les sommets ;Mais plus gracieuse encor est celle que la mainDe ma mie laisse sur la petite lettre qu’elle m’écrit au loin.

Un héron prend son envol et s’élève dans les airs,Où ne peuvent l’atteindre ni la flèche ni la balle :Mille fois plus haut et plus rapidesVolent les pensées d’un amour fidèle.

Amour insatiable

L’amour est ainsi ! L’amour est ainsi !Avec ses baisers à n’en plus finir :Quel est le fou qui pourrait prétendreRemplir d’eau une passoire ?Tu puiserais pendant mille ansEt embrasserais éternellement,Jamais tu ne l’assouvirais.

À toute heure, l’amour, l’amourFait naître d’étranges désirs ;Nous nous sommes mordus les lèvres au sang,Aujourd’hui en nous embrassant.La jeune fille attendait calmementComme l’agneau sous la lame,Et ses yeux disaient encore :Car c’est bien meilleur avec la douleur !

L’amour est ainsi, et l’était jadis,Depuis que l’amour existe,Et le roi Salomon, le Sage,N’aima pas autrement.

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14 | In der Frühe

Kein Schlaf noch kühlt das Auge mir,Dort gehet schon der Tag herfürAn meinem Kammerfenster.Es wühlet mein verstörter SinnNoch zwischen Zweifeln her und hinUnd schaffet Nachtgespenster.– Ängste, quäleDich nicht länger, meine Seele!Freu dich! schon sind da und dortenMorgenglocken wach geworden

15 | Denk’ es, o Seele

Ein Tännlein grünet wo,Wer weiß, im Walde,Ein Rosenstrauch, wer sagt,In welchem Garten?Sie sind erlesen schon,Denk’ es, o Seele,Auf deinem Grab zu wurzelnUnd zu wachsen.

Zwei schwarze Rößlein weidenAuf der Wiese,Sie kehren heim zur StadtIn muntern Sprüngen.Sie werden schrittweis gehnMit deiner Leiche;Vielleicht, vielleicht noch eh’An ihren HufenDas Eisen los wird,Das ich blitzen sehe!

16 | An die Geliebte

Wenn ich, von deinem Anschaun tief gestillt,Mich stumm an deinem heilgen Wert vergnüge,Dann hör ich recht die leisen AtemzügeDes Engels, welcher sich in dir verhüllt.

Und ein erstaunt, ein fragend Lächeln quilltAuf meinem Mund, ob mich kein Traum betrüge,Daß nun in dir, zu ewiger Genüge,Mein kühnster Wunsch, mein einzger, sich erfüllt?

Von Tiefe dann zu Tiefen stürzt mein Sinn,Ich höre aus der Gottheit nächtger FerneDie Quellen des Geschicks melodisch rauschen.

Betäubt kehr ich den Blick nach oben hin,Zum Himmel auf – da lächeln alle Sterne;Ich kniee, ihrem Lichtgesang zu lauschen.

Peregrina

17 | IDer Spiegel dieser treuen, braunen AugenIst wie von innerm Gold ein Widerschein;Tief aus dem Busen scheint er’s anzusaugen,Dort mag solch Gold in heil’gem Gram gedeihn.

In diese Nacht des Blickes mich zu tauchen,Unwissend Kind, du selber lädst mich ein –Willst, ich soll kecklich mich und dich entzünden,Reichst lächelnd mir den Tod im Kelch der Sünden!

À l’aurore

Aucun sommeil n’a rafraîchi mes yeux,Là-bas point déjà le jourÀ la fenêtre de ma chambre.Mon esprit hagard se mine,Va sans cesse d’un doute à l’autreEt s’invente de nocturnes chimères.– Ces angoisses, ces tourments,Qu’ils se dissipent maintenant, ô mon âme !Réjouis-toi ! Écoute ici et là-basS’éveiller déjà les cloches matinales.

Songes-y, mon âme

Un petit sapin verdit quelque part,Dans la forêt, qui sait où ?Un rosier pousse, qui dira,Dans quel jardin ?Ils ont été choisis déjà,Songes-y, mon âme,Pour s’enraciner sur ta tombeEt y croître.

Deux poulains noirs paissentL’herbe du pré,Ils rentrent chez eux à la ville,En bondissant gaiement.Ils marcheront au pas,Traînant ta dépouille,Peut-être, peut-être même avantQue ne soit perduLe fer à leurs sabots,Que soudain je vois briller !

À la bien-aimée

Lorsque, profondément apaisé par ton image,Muet je me réjouis de ta chère sainteté,J’entends alors très bien comme doucement respireL’ange qui demeure au plus secret de toi-même.

Un sourire étonné, interrogateur, éclôt sur mes lèvres,Demandant si nul rêve ne m’abuse,Quand en toi s’accomplit désormais, à jamais assouvi,Mon vœu le plus hardi, mon unique désir.

Mon esprit plonge alors d’abîme en abîme,Des lointains nocturnes de la divinité, j’entendsLe murmure mélodieux des sources du destin.

Enivré, je lève les yeux vers le ciel,Où rient toutes les étoiles ;J’écoute à genoux leur chant étincelant.

Peregrina

ILe miroir de ces yeux bruns et fidèlesEst pareil au reflet d’un or caché,Qui semble émaner du plus profond d’elle.Un tel or peut naître d’un tourment sacré.

À plonger dans la nuit de ce regard,Innocent enfant, tu m’y invites toi-même,Tu veux qu’hardiment nous nous enflammions,Et en souriant, tu me tends la mort dans le calice du péché !

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18 | IIWarum, Geliebte, denk’ ich deinAuf einmal nun mit tausend Tränen,Und kann gar nicht zufrieden sein,Und will die Brust in alle Weite dehnen?Ach, gestern in den hellen Kindersaal,Beim Flimmer zierlich aufgesteckter Kerzen,Wo ich mein selbst vergaß in Lärm und Scherzen,Tratst du, o Bildnis mitleidschöner Qual;Es war dein Geist, er setzte sich ans Mahl,Fremd saßen wir mit stumm verhalt’nen Schmerzen;Zuletzt brach ich in lautes Schluchzen aus,Und Hand in Hand verließen wir das Haus.

19 | Lebewohl

„Lebe wohl“ – Du fühlest nicht,Was es heißt, dies Wort der Schmerzen;Mit getrostem AngesichtSagtest du’s und leichtem Herzen.

Lebe wohl! – Ach! tausendmalHab’ ich mir es vorgesprochen,Und in nimmersatter QualMir das Herz damit gebrochen!

20 | Verborgenheit

Laß, o Welt, o laß mich sein!Locket nicht mit Liebesgaben,Laßt dies Herz alleine habenSeine Wonne, seine Pein!

Was ich traure weiß ich nicht,Es ist unbekanntes Wehe;Immerdar durch Tränen seheIch der Sonne liebes Licht.

Oft bin ich mir kaum bewußt,Und die helle Freude zücketDurch die Schwere, so mich drücket,Wonniglich in meiner Brust.

Laß, o Welt, o laß mich sein!Locket nicht mit Liebesgaben,Laßt dies Herz alleine habenSeine Wonne, seine Pein!

21 | Der Feuerreiter

Sehet ihr am FensterleinDort die rote Mütze wieder ?Nicht geheuer muß es sein,Denn er geht schon auf und nieder.Und auf einmal welch GewühleBei der Brücke, nach dem Feld!Horch! das Feuerglöcklein gellt:Hinterm Berg,Hinterm BergBrennt es in der Mühle!

Schaut! da sprengt er wütend schierDurch das Tor, der Feuerreiter,Auf dem rippendürren Tier,Als auf einer Feuerleiter!Querfeldein! Durch Qualm und SchwüleRennt er schon und ist am Ort!Drüben schallt es fort und fort:Hinterm Berg,Hinterm Berg,Brennt es in der Mühle.

IIPourquoi, bien-aimée, ton souvenirInonde-t-il mes yeux de mille larmes,Et pourquoi ne suis-je pas heureux,Pourquoi mon cœur soupire-t-il sans fin ?Ah, hier dans la chambre claire des enfants,À la lueur des bougies disposées avec grâce,Où je m’oubliais dans le bruit des jeux,Tu entras, ô belle image de mon pitoyable tourment ;C’était ton ombre qui s’assit à la table du repas,Nous étions assis là, étrangers, taisant notre douleur ;Enfin, j’éclatai en de bruyants sanglots,Et main dans la main nous quittâmes la maison.

Adieu

“Adieu” – Comment pourrais-tu sentirCe que signifie le mot douleur ;Tu le prononças d’un visage sereinEt le cœur léger.

Adieu ! Ah, mille foisMe suis-je redis ce mot,Et dans ce tourment dévorant,Mon cœur s’est brisé !

À l’écart

Laisse, ô monde, oh laisse-moi !Ne me soumets pas aux dons de l’amour,Laisse ce cœur solitaireÀ sa joie et à sa peine !

Je ne sais pas ce que je pleure, C’est une douleur inconnue ;Derrière mes larmes toujours je voisLa chère lumière du soleil.

Souvent je suis à peine conscient,Et la joie claire tressailleDélicieusement en mon cœur,À travers l’angoisse qui m’oppresse.

Laisse, ô monde, oh laisse-moi !Ne me soumets pas aux dons de l’amour,Laisse ce cœur solitaireÀ sa joie et à sa peine !

Le cavalier du feu

Voyez-vous par la fenêtre,Là-bas, le béret rouge reparaître ?Ce n’est pas de bon augure,Lorsque déjà il va et vient.Et soudain la cohue se répandPrès du pont, vers le champ !Oyez ! La cloche sonne l’alarmeDerrière la montagne,Derrière la montagneLe moulin s’enflamme !

Voyez ! Il bondit comme hors de lui,Le cavalier du feu s’élance hors des murs,Juché sur sa bête efflanquéeComme sur une échelle de pompier !À travers champs ! Dans la fumée et la chaleur,Il court, il est déjà dans la place !Là-bas s’amplifie la clameur :Derrière la montagne,Derrière la montagne,Le moulin s’enflamme.

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Der so oft den roten HahnMeilenweit von fern gerochen,Mit des heil’gen Kreuzes SpanFreventlich die Glut besprochen –Weh! dir grinst vom DachgestühleDort der Feind im Höllenschein.Gnade Gott der Seele dein!Hinterm Berg.Hinterm BergRast er in der Mühle!

Keine Stunde hielt es an,Bis die Mühle barst in Trümmer;Doch den kecken ReitersmannSah man von der Stunde nimmer.Volk und Wagen im GewühleKehren heim von all dem Graus;Auch das Glöcklein klinget aus:Hinterm Berg,Hinterm BergBrennt’s! –

Nach der Zeit ein Müller fandEin Gerippe samt der MützenAufrecht an der KellerwandAuf der beinern Mähren sitzen:Feuerreiter, wie so kühleReitest du in deinem Grab!Husch! da fällt’s in Asche ab.Ruhe wohl,Ruhe wohlDrunten in der Mühle!

22 | Storchenbotschaft

Des Schäfers sein Haus und das steht auf zwei Rad,Steht hoch auf der Heiden, so frühe, wie spat;Und wenn nur ein mancher so’n Nachtquartier hätt’!Ein Schäfer tauscht nicht mit dem König sein Bett.

Und käm’ ihm zur Nacht auch was Seltsames vor,Er betet sein Sprüchel und legt sich auf’s Ohr;Ein Geistlein, ein Hexlein, so lustige Wicht’,Sie klopfen ihm wohl, doch er antwortet nicht.

Einmal doch, da ward es ihm wirklich zu bunt:Es knopert am Laden, es winselt der Hund;Nun ziehet mein Schäfer den Riegel – ei schau!Da stehen zwei Störche, der Mann und die Frau.

Das Pärchen, es machet ein schön Kompliment,Es möchte gern reden, ach, wenn es nur könnt!Was will mir das Ziefer? – ist so was erhört?Doch ist mir wohl fröhliche Botschaft beschert.

Ihr seid wohl dahinten zu Hause am Rhein?Ihr habt wohl mein Mädel gebissen ins Bein?Nun weinet das Kind und die Mutter noch mehr, Sie wünschet den Herzallerliebsten sich her?

Und wünschet daneben die Taufe bestellt:Ein Lämmlein, ein Würstlein, ein Beutelein Geld?So sagt nur, ich käm in zwei Tag oder drei,Und grüßt mir mein Bübel und rührt ihm den Brei!

Toi qui souvent, à des lieues de distance, As flairé l’odeur du feu,Qui, avec le bois de la Sainte-Croix,Ô sacrilège, a conjuré la flamme, Malheur à toi ! Sous la charpente,L’ennemi infernal ricane et te raille.Dieu ait pitié de ton âme !Derrière la montagne,Derrière la montagneLe moulin s’embrase !

Une heure ne s’était pas écouléeQue le moulin s’était écroulé ;Cependant, dès cet instant,Nul ne revit jamais le hardi cavalier.La foule des gens et des voituresRentra chez elle, loin de ces horreurs ;La petite cloche aussi s’arrêta :Derrière la montagne,Derrière la montagneBrûle-le…

Bien plus tard, un meunier découvritUn squelette avec un béretAu mur de la cave adossé,Assis sur les os de sa rosse :Cavalier du feu, comme tu chevauchesDans le frais du tombeau !Husch ! Ses restes tombent en cendres.Repose en paix,Repose en paixLà-bas, dans le moulin !

Le message des cigognes

La maison du berger est juchée sur deux roues,Perchée là-haut sur la lande, le matin, le soir ;Ah, si tout homme avait un tel abri pour la nuit !Le berger ne l’échangerait pas avec le lit du roi.

Quand de nuit il lui arrive quelque étrange aventure,Il dit une courte prière et s’endort sur ses deux oreilles,De petits fantômes, une petite sorcière, de gais lutins,Tous frappent à sa porte, mais il ne répond point.

Un jour cependant, il en fut vraiment excédé :Les grattements au volet, les couinements du chien ;Notre berger tire le verrou : Hé, voyez cela !Deux cigognes, mâle et femelle, se tenaient là.

Le couple mignon fit une jolie révérence,Il aurait bien parlé, ah, si seulement il avait pu !Que me veulent ces volailles ? A-t-on jamais ouï ceci ?Mais sans doute est-ce une bonne nouvelle.

Vous venez sans doute de chez vous sur le Rhin ?Vous avez sans doute pincé le mollet de ma mie ?Maintenant l’enfant pleure et la mère plus encore,Elle aimerait que l’élu de son cœur soit près d’elle ?

Elle souhaite que soit décidé le baptême :Un agnelet, un saucisson, une petite bourse ?Dites-lui donc que j’arriverai dans deux ou trois jours,Saluez mon petit garçon et faites-lui sa bouillie !

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Doch halt! warum stellt ihr zu zweien euch ein?Es werden doch, hoff ich, nicht Zwillinge sein?Da klappern die Störche im lustigsten Ton,Sie nicken und knicksen und fliegen davon.

23 | Abschied

Unangeklopft ein Herr tritt Abends bei mir ein:„Ich habe die Ehr, Ihr Rezensent zu sein!“Sofort nimmt er das Licht in die Hand,Besieht lang meinen Schatten an der Wand,Rückt nah und fern: „Nun, lieber junger Mann,Sehn Sie doch gefälligst mal Ihre Nas’ so von der SeiteSie geben zu, daß das ein Auswuchs is’.” [ an!– Das? Alle Wetter – gewiß!Ei Hasen! ich dachte nicht,All’ mein Lebtage nicht,Daß ich so eine Weltsnase führt’ im Gesicht!

Der Mann sprach noch verschiednes hin und her,Ich weiß, auf meine Ehre, nicht mehr;Meinte vielleicht, ich sollt’ ihm beichten.Zuletzt stand er auf; ich tat ihm leuchten.Wie wir nun an der Treppe sind,Da geb’ ich ihm, ganz frohgesinnt,Einen kleinen Tritt, Nur so von hinten aufs Gesäße mit –Alle Hagel! ward das ein Gerumpel,Ein Gepurzel, ein Gehumpel!Dergleichen hab’ ich nie gesehn,All mein Lebtage nicht gesehnEinen Menschen so rasch die Trepp’ hinabgehn!

Mais attendez ! Pourquoi êtes-vous là toutes deux ?Ne serait-ce pas, j’espère bien, des jumeaux ?Les cigognes approuvent d’un claquement joyeux,Elles s’inclinent, font une courbette et s’envolent.

Adieu

Sans frapper un Monsieur entre un soir chez moi :“J’ai l’honneur d’être le critique de votre œuvre !”Aussitôt, il prend la lampe en main,Considère longuement mon ombre sur le mur,S’approche puis recule : “Eh bien, mon jeune ami,Ayez l’obligeance de regarder votre nez de ce côté !Vous conviendrez que c’est une excroissance.”Ceci ? Mille tonnerres – certainement !Diantre ! Je n’avais pas pensé,Jamais de toute ma vie,Que j’avais un nez aussi extraordinaire !

L’homme dit encore diverses choses,Sur mon honneur, je les ai oubliées ;Sans doute pensait-il que j’allais me confier.Enfin, il se leva et je l’éclairai.Alors que nous arrivions dans l’escalier,Je lui donnai, de fort bonne grâce,Un petit coup de pied,Par derrière dans le fondement –Sacrebleu ! Cela produisit un grondement,Une dégringolade, un boitillement !Je n’avais jamais vu,Jamais de toute ma vie,Un homme descendre aussi vite l’escalier !

Traduction Pierre-André Bruhns