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1 Histoire médiévale Sociétés, Cultures et Pouvoirs dans les Villes en Occident XIIIe - XVe Martine Charageat - Sophie Coussemacker Université Michel de Montaigne janvier - avril 2006

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Sociétés, Cultures et Pouvoirs dans

les Villes en OccidentXIIIe - XVe

Martine Charageat - Sophie CoussemackerUniversité Michel de Montaigne

janvier - avril 2006

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Sommaire

Introductionpar Martine Charageat

Gouverner la Ville par Martine Charageat

Se disputer et se réconcilier en Villepar Martine Charageat

Identité et Mémoire urbaine par Martine Charageat

Éducations et Cultures en Ville par Martine Charageat

Fiscalités dans les Villespar Sophie Coussemacker

La production, la consommation et les échangespar Sophie Coussemacker

Les structures sociales de la Production et de l´Échange par Sophie Coussemacker

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Cours introductifLe sujet n’est pas une approche sur les villes. Les villes sont un cadre qui englobe la société, la culture, le pouvoir. Le problème est que la notion d’urbanité est insuffisante.

Le cadre d’étude : la ville

Définir la villeComment définir la ville1 ? Comment expliquer et désigner la ville ? Comment rendre

comte de la ville : de sa nature, de sa fonction ? Quelle définition simple, globalisante et unitaire ? Le problème étant que nous n’avons pas une ville mais des villes, qui présentent toutes différents aspects.

Une définition topographique ? On définirait alors la ville par ces murailles, son architecture, ... par l’histoire des formes urbaines. Mais cela est insuffisant car il existe des bourgs fortifiés.

En Italie, La ville se définit par la présence de l’évêque, personnage clef de la société urbaine, occupant des fonctions à la fois religieuses et civiles, premier représentant de la ville. J. de Voragine2 dit : “Une ville ne peut être une ville si elle n’est pas dotée de la dignité épiscopale”. Bartolde (un juriste du XIVe) redit la même chose. Mais cette définition n’est vrai que pour l’Italie.

Une définition démographique ? La ville est plus peuplée... Mais avec la peste de 1348/1349, les villes se dépeuplent. Ce n’est donc pas un critère qui est pertinent à lui seul.

Une définition économique ? P. Boucheron avance un critère économique : La ville se définit par une forte présence d’activité secondaire et tertiaire. Le fait urbain se caractérise donc par l’essor des classes marchandes et le triomphe de l’argent.

Les progrès de la recherche historique mettent en avant de nouvelles méthodes tirées de l’anthropologie et de la sociologie : La ville est avant tout une perception, un vécu. Les citadins forment un corps qui a conscience de lui même et qui se pense comme tel. C’est une communauté de droit et de souvenir. Ils ont la conscience de se démarquer des ruraux. Cette approche tend à faire des hommes du passé des acteurs de l’histoire. Les citadins ne subissent pas la ville, ils l’ont forgé, ils ont forgé une identité urbaine.3 notions clefs : URBAIN, SOUVENIR, CULTURE.

Pierre Monnet définit la ville : “Elle est un corps composée d’individus et de groupes variées mais partageant une culture commune, la culture urbaine qui sert de ciment à cette communauté. Cette culture urbaine qui se démarque de la culture rurale repose sur le souvenir, la représentation que les habitants ont de leur ville, sur l’existence d’un droit urbain, sur ces élites urbaines, sur la communication de chaque ville avec l’extérieur.”

1 Définir l’objet d’étude est le cœur du travail de l’historien. A. Prost : “C’est la question qui construit l’objet historique” in Douze leçons sur l’histoire, p.79.2 Jacques de Voragine (v 1228 - 1298) : Né près de Gênes, il a pris l’habit dominicain en 1244. Brillant orateur et théologien, il exerce de haute fonction dans l’ordre et devient même archevêque de Gênes. Auteur de Légende dorée, le plus illustre et célèbre légendier médiéval.

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P. Boucheron (concernant les villes d’Italie) : “Un état d’esprit collectif il existe une auto conscience de la ville, elle découle de l’orgueil monumental3 , par la capacité d’identification par les monuments, par le culte des saints - patrons4 , l’auto conscience par le sentiment d’appartenir à la res publica. Au XIIIe, le sens de la liberté, du bien commun et de la concorde reprend vie.”Cette auto conscience découle d’une mémoire collective, d’un passé urbain commun ou d’un passé urbain collectif.

- Le passé commun concerne les habitants de “souche”.- Le passé collectif est la capacité d’adhésion des nouveaux habitants, qui participe ainsi à la

cohésion et qui la perpétue

La ville n’est pas autonome ni indépendante, elle s’inscrit dans un réseau. Les espaces urbains s’inscrivent dans un système emboîté de territoire. (Travaux de la nouvelle historiographie Philip Jones et Hagen Keller).Réseau de rapports et de relations. Réseau de pouvoir, Réseau vertical (Empereur, Pape, Roi), Réseau horizontal avec d’autres villes.

La vision de la ville au M.-A. par un sociologue historienT. Dutour :

- Toute définition de la ville doit être faite au pluriel- Le M.A. est la période de réinvention de LA ville, mais c’est aussi la période DES villes.

Il adopte une définition sociologique : ‘La ville est un être de discours”. Ie, elle est ce que l’on dit qu’elle est, elle est le discours produit par l’activité et les croyances des hommes, par leur relation au monde.La raison d’être des villes est la nécessité d’organiser le vivre ensemble. Les hommes sont des acteurs responsables et la ville est un phénomène social, en tant que phénomène social elle est le cadre de développement d’une culture qui lui est propre : une culture urbaine.

3 qui s’exprime par les monuments4 Rome : Saint-Pierre et Saint-Paul ; Venise : Saint-Marc

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Comment comprendre le sujet ?

Les questions qui vont articuler le sujetDes questions élémentaires : - Qu’est ce que vivre ?

- Qu’est ce que travailler ?- Qu’est ce que soigner ?- Meurt on à la ville comme l’on meurt à la campagne ?

Des questions plus complexes :- Réflexion sur l’identité, la représentation de la ville.- La conscience et la mémoire dite urbaine.- Circonscrire une culture urbaine commune même à ceux qui n’ont ni accès à la culture

ni au pouvoir.- Identifier les acteurs que sont les élites.- Identifier les corps, les confréries, (les nouveaux types de lien entre les habitants des

villes).- En quoi ces acteurs sont plus urbains ? Sont-ils très différent de ceux du monde rural ?- T. Dutour : Quel est selon lui la manière dont il faut aborder les hommes et les femmes ?- Comment appréhender le choix d’aller vivre en ville ? Comment comprendre les

comportements ?- Comment analyser leurs objectifs ? Être un bon chrétien, dormir, se nourrir, se vêtir.- Quels acteurs sociaux ? (Quels groupes ?)

Thierry Dutour dit qu’il ne faut pas confondre l’animal mort (qui serait la ville du passé) et sa coquille (qui serait le cadre matériel) : les édifices permettent de nous renseigner sur les hommes qui les ont construits mais autant qu’un cadavre qui ne peut nous révéler su l’homme était gai, jovial, renfrogné,...5

Organisation des coursM. Charageat.- C. No.1 : Introduction- C. No. 2 : Gouverner les villes XIIIe - XVe- C. No. 3 : Se disputer, se réconcilier en ville- C. No. 4 : L’identité, la mémoire urbaine- C. No. 5 : L’éducation et la transmission du savoir en villeS. Coussemacker.- C. No. 6 : La fiscalité- C. No. 7 : L’économie- C. No. 8 : L’économie- C. No. 9 : L’habitat- C. No. 10 : La médecine- C. No. 11 :M. Charageat.- C. No. 12 : Le rapport à autrui

5 // douteux... l’homme n’est pas une création, hors la création est instructive sur l’homme qui l’a bâti car en créant, il s’exprime. L’animal ne choisit pas sa coquille, l’homme si.

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L’historiographie urbaine : bilan rapide

Historiographie60’ - 70’ : L’historiographie a confondu histoire urbaine avec histoire de l’urbanisme, elle s’est donc limitée à l’étude des formes urbaines.Ainsi à la suite de Pirenne, les historiens ont cherché à démontrer comment les villes au XIe s’inscrivaient en continuité avec les villes de l’antiquité. L’historiographie accumulait donc les exemples. Un des facteurs de renaissance, c’est le commerce, le développement du commerce a dynamisé la fixation de noyau préurbain, primitif. On s’inscrivait là dans une approche généalogiste.

80’ : L’historiographie prend désormais en compte les aspects politiques. En appuyant sur les libertés urbaines des XIe et XIIe siècle. Essor productif et essor de l’autonomie. Les travaux de A. Rigaudière.

Auj.’: Les villes sont considérées comme une mémoire, une conscience, détentrice d’une identité urbaine. Les villes sont prises dans un présent.Le thème associatif, le thème de la fête et des réjouissances, l’iconographie autant de fronts de la recherche sur les villes.Les principes et ressorts du lien social, la sociabilité : voilà la recherche historique contemporaine.

BibliographiePour une première approche :

- Le Goff J., Pour l’amour des villes, Point, Seuil, Paris, 1982 - Rossiaud J., « Le citadin », L’Homme Médiéval, sous la dir. de J Le Goff, p. 159 - 201.

Ouvrages de référence :- Coulet N. et Guyotjeannin O. ( dir.), La ville au Moyen Âge, Paris, CTHS, 1998. - Dutour T., La ville médiévale. Origines et triomphe de l’Europe urbaine, Paris, O. Jacob, 2003. - Jehel G., Racinet P., La ville médiévale. De l’Occident chrétien à l’Orient musulman, Paris, Colin, 1996. - Lavedan P., L’urbanisme au Moyen Âge, Genève, Droz, 1974.- Pinol J.-L., Histoire de l’Europe urbaine, vol. 1, de l’Antiquité au XVIII e siècle, Paris, Seuil, 2003. - Roux S., Le monde des villes au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1994 - Religion et société urbaine au Moyen Âge, Études offertes à Jean-Louis Biget, Jacques Chiffoleau et Patrick Boucheron, Paris, Publication de la Sorbonne, 2000. - Villes et Sociétés urbaines au Moyen Âge. Études offertes à Jacques Heers, Paris , PUF, 1994.

Par pays pour une première approche :Allemagne

- Monnet P., Villes d’Allemagne au Moyen Âge, Paris, Picard, Les Médiévistes Français, 2004. Italie

- Franceschi F., Taddei I., Les villes d’Italie du milieu du XII au milieu du XIVe siècle, Paris, Bréal, 2004. Espagne

- Les sociétés urbaines en France méridionale et en péninsule Ibérique au Moyen Âge, Paris, CNRS, 1991. Angleterre

- Cassagne Brouquet S., Histoire de l’Angleterre médiévale, Paris, Ophrys, 2000.

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Gouverner les villesEntre Liberté, Autonomie et Centralisme étatique

Ce chapitre n’est pas un tableau des institutions urbaines. Gouverner la ville nécessite une triple approches : une approche institutionnelle certes, une approche sociale qui nous oblige à définir la notion complexe d’élite et une approche culturelle.

Entre libertés urbaines et autogouvernement

Rappels historiques

1. Les débuts de l’autonomie des villesLe XIe - XIIe est marqué par une évolution des villes, par un processus d’acquisition des

moyens d’autogouvernement. Un certains nombres de villes acquièrent alors une autonomie contre la tutelle seigneuriale. Autonomie sur le plan fiscal, sur le plan judiciaire (contre l’arbitraire de la justice seigneurial). Ce phénomène touche en premier lieu les villes d’Italie du Nord, de Flandres, de France du nord, bref les zones les plus urbanisées.

Contrairement aux préjugés répandus, cette acquisition c’est rarement fait avec la force, mais plus souvent par la négociation avec le seigneur. Le fait que les citadins s’organisent en conjuratio a mis les habitants en position de négocier.Une conjuratio est un serment unissant les citadins, une sorte de pacte volontaire entre les habitants pour organiser la paix à l’intérieur et à l’extérieur de la cité.

Dans un premier temps, les villes obtiennent des libertés urbaines octroyée par des Chartes de commune ou des Chartes de franchises. Ces chartes concèdent aux habitants des privilèges, des libertés fort divers. Par exemple : la restriction voir l’abolition des droits seigneuriaux, de l’ost, du paiement de la taille, voir même délègue une partie de la justice (la justice inférieure), ...

Mais tout cela ne fait pas l’autonomie, il faut plus qu’une conjuratio, il faut que les habitants forment une comunitas. La comunitas n’a pas de droit ou de personnalité propre.

2. Former une communauté : une universitasÀ partir de quand une cité peut elle prétendre à devenir autonome ?

Quand les habitants veulent dépasser la communauté pour devenir une univer s i tas , soit un interlocuteur efficace face au seigneur.

Une universitas se caractérise par un serment reconnu par le seigneur, le Roi, l’Empereur.Cette reconnaissance donne à l’universitas une personnalité juridique, une personnalité morale. Une universitas se caractérise aussi par le fait que les citadins obtiennent ainsi le droit de se réunir librement dans avoir l’accord du seigneur, droit de se réunir afin de délibérer sur les affaires de la cité. Ce droit de réunion est la base de la liberté de l’universitas.

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On comprend aisément que les seigneurs se soient montrés réticents, par conséquent, le phénomène est limité : parfois le seigneur n’a octroyé qu’un droit limité.En Espagne, avec la Reconquista qui au XIIIe atteint les 2/3 de la péninsule ibérique, les villes participent au repeuplement. L’objectif poursuivit est l’arrivée en masse de chrétien pour peupler les terres. Pour cela, le Roi octroie des Fueros qui donne des conditions de vie très favorable.

Résultats du regroupement des gens en villeAu XIXe, les historiens français avaient bâtis une typologie :

- Au Nord : des communes jurées, les bourgeois s’étaient révoltés contre les seigneurs pour obtenir la paix et s’affranchir de la tutelle seigneuriale. Le terme de commune ne désigne aucune institution précise, mais plus un régime de liberté.

- Au Sud : des régimes consulaires de partagent du pouvoir entre seigneurs et nobles- Au Centre : des prévôtés (des seigneuries) en retard dans lesquelles les villes n’auraient

eues que de maigres franchises.

En 1977, J. Schneider est revenu sur cette typologie en montrant que derrière des noms parfois communs se dissimulaient des institutions très différentes et que derrière des noms très différents, se cachaient parfois des institutions identiques. Cette typologie n’est que le fruit de la volonté de classer des historiens du XIXe.

Les villes du nord de l’Italie sont celles qui ont réussis par la voie des armes à s’affranchir de l’Empereur. En 1183, lors de la conclusion de la Paix de Constance, l’Empereur Frédéric Ier reconnaît aux villes de l’Italie du nord le droit de s’administrer et notamment le droit de justice des crimes de sang6 .Le XIIIe est donc un siècle d’épanouissement des villes libres d’Italie mais dès le XIV, elles connaissent un déclin : les villes sont intégrées dans des régimes oligarchiques, perdant la délibération commune et la représentativité au profit de puissantes familles7 .

Résultats institutionnels et symboliques de l’autonomie politique

1. Être représentéÊtre représenté par des représentants est la première conséquence institutionnelle de

l’autonomie politique, l’universitas se caractérise par des représentants. Cette représentation s’exerce à trois niveaux :

- L’Assemblée d’habitant. Y sont présents tous ceux qui disposent du droit de bourgeoisie. À partir du XIIIe, l’assemblé d’habitant décline en terme de force, d’impact et d’utilité politique ; son rôle est alors de prendre des décisions de circonstances : assurer la défense de la ville, accueillir le souverain, élire le Conseil de ville, etc.

- Le Conseil de ville. Il est doté d’un pouvoir délibérant et législatif. On le nomme Conseil des échevins, Jurades (Aquitaine), Consejo (Esp.).

6 Justice supérieure ou Haute justice concernant les crimes entraînant la possibilité de mise à mort.7 Tels les Visconti, les Médicis

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Il est compétent en matière de sécurité, d’entretien de la muraille, de surveillance des marchés, de justice, ...

- Les magistrats chargés de l’exécutif. Parfois cette tâche revient à un seul homme que l’on nomme le maire, le bourgmestre c’est le cas dans le Nord de la France, en Angleterre, en Flandres. Ou alors elle est collégiale on les nomme alors capitouls (Toulouse), consuls (Provence, Italie), jurados, alcades, pahers (Esp.). Leurs nombres étaient variables et variaient.La durée du mandat est diverse mais généralement courte, en Allemagne dans certaines villes, des magistrats étaient élus pour plusieurs années.La désignation se fait soit par élection : dans ce cas, ils peuvent être élus par un scrutin indirect, par les représentants d’un quartier, d’une paroisse, etc. les circonscriptions peuvent prendre la forme de n’importe quelle réalité urbaine ;

par cooptation avec présentation d’une liste de personnes ; par tirage au sort (tel en Aragon).

En ce qui est de la désignation, la diversité la plus extrême règne.

Le système du podestat. Bien sur, l’accès à la gestion de la ville est l’enjeu de luttes de clans, de conflits locaux. En Italie, le système du Podestat permettait de passer outre les luttes internes : elle faisait appel à un magistrat étranger à la ville avec l’aide d’un personnel lui aussi étranger. Mais ce système à ses limites et il n’est guère plus pratiqué après le milieu du XIIIe.

Le contrôle des magistrats. Tout magistrat prête serment avant toute entrée en charge : le serment de bien gouverner la ville. Parallèlement, se met en place des procédures pour mettre sur le banc des accusés des magistrats ayant mal gérée la ville ou ayant eut une action nuisible. S’il y a gain en autonomie, la création de ce type de procédure révèle des défauts dans la représentation.

L’oligarchisation du pouvoir municipal. Fin XIIIe, on constate une monopolisation des magistratures par quelques puissantes familles. On assiste donc à la mise en place de gouvernements oligarchiques n’ayant aucun rapport avec la démocratie. Si dans les premiers temps aux XIe - XIIe, on pouvait croire à un soucis de représentativité, au XIIIe, le gouvernement est confisqué par les familles les plus puissantes. Désormais les magistrats gouvernent d’avantage les habitants de la ville qu’ils ne gouvernent la ville au nom des habitants. L’évolution politique est une diminution de la représentativité.

2. Se réunir et délibérer : une pratique de gouvernementAttention ! Ce n’est pas parce que la ville est autonome qu’il n’y a pas de représentants du seigneur. Se réunir et délibérer sans le consentement du seigneur, c’est la base de l’autogouvernement répondant au principe : Quod omnes tangit ab omnibus tractari et approbari debet8 .

Ainsi, il existe des registres de délibérations urbaines. Mais quels sont les mécanismes de la délibération ? Si les villes ne sont pas complètement autonome, les pratiques délibératives marquent l’arrivé de la ville en tant qu’entité autonome.

Par la délibération, les villes deviennent des acteurs politiques ayant une autogestion interne et externe. Ainsi, le roi de France va s’appuyer sur les villes durant la guerre de 100 ans.

Par la délibération, les villes s’insèrent dans le jeu du pouvoir, dans des relations verticales avec des entités supérieures comme le Roi, l’Empereur, le Seigneur et horizontales avec d’autres villes, formant des ligues urbaines. Car la ligue urbaine n’est pas seulement une ligue marchande, elle est aussi une ligue politique. Ainsi, émerge un véritable contre-pouvoir urbain.Se réunir et délibérer est le fondement de la gouvernance urbaine interne et externe.

8 Ce qui concerne tous doit être traité et approuvé par tous.

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En Italie émerge au XIIIe et au XIVe la notion de bien commun et d’utilité publique dans l’art d’administrer les villes. Cette conception hérité du droit romain a pour but la concorde, la paix.

3. Les signes de l’autonomie politiqueLes symboles de l’administration urbaine :

Des monuments symbolisant l’autorité municipale : palais communaux en Italie du Nord, maison commune (domus comunis), etc.Des arches où l’on conservait les archives.Les Sceaux qui donnent une lisibilité matériel, iconographique à la ville.Les Cloches qui donnent une sonorité politique à la ville.

Les hommes et les moyens de la gouvernance urbaine

Le droit urbain de légiférer et la naissance du droit urbain

1. Les lois sont-elles le produit exclusif de la ville où elles s’appliquent ?La législation émane-t-elle uniquement des citadins ou bien existe-t-il des lois émanant

d’une autre volonté ?

Des lois héritées. Un certain nombre de villes intègrent des privilèges ou des représailles octroyés ou imposés par le Seigneur, le Roi, l’Empereur. En 1440, la ville de Daroca, obtient de la Reine Maria un privilège, un statut indiquant comment la ville de Daroca devra châtier les concubins infidèles.Un partage de la capacité législative. Mais la capacité à légiférer n’est pas entièrement aux mains du souverain. Ainsi à Namur, les magistrats ne légifèrent que sur une partie du droit, l’autre étant réservée au seigneur qui légifère en accord avec les citadins.Il existe une extrême diversité en matière de législation.

De plus, O. Krammener a montré comment les villes s’inspiraient les unes des autres en matière de législation. Il existe donc des échanges en matière par exemple de législation sur le mariage, sur le port des vêtements.

Le corpus législatif est révélateur des préoccupations de gouvernement, le but des lois est d’affirmer l’identité des villes. Les lois sont nommés de diverses manières : ordonnance municipale, statut urbain, édit, ban, ...La source du droit, la plupart des villes s’inspirent des franchises, des lois anciennes, de l’usage, de la coutume. L’autre source du droit est la nécessité du moment.

2. Les lois ont-elles force de droit ? Que faire lorsqu’il existe un conflit entre une loi municipale et des lois émanant d’autre pouvoir ?

Le droit urbain italien est un droit statutaire. Mais autour du droit, il y a tout un travail de légitimation et de validation qui est l’oeuvre des juristes. Il y a donc eut des conflits entre les juristes pour savoir si les lois municipales étaient des droits.

Les villes n’étant pas des entités autonomes déconnectées de la réalité, la capacité à légiférer

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n’est pas définitivement acquise et l’activité législative urbaine est un enjeux de pouvoir. L’autonomie ne prémunit en aucun cas d’une intervention de l’Empereur, du roi, du seigneur.

L’évolution générale est d’ailleurs un déclin progressif de l’autonomie politique des villes, une diminution de leur capacité à légiférer. Les villes subissent de plein fouet les effets de la logique centralisatrice des États modernes naissant. Le Roi comme les Seigneurs s’efforcent de centraliser les pouvoirs ce qui conduit à un déclin du pouvoir de l’autonomie urbaine et l’autonomie elle même. Cette étatisation et cette territorialisation intègrent progressivement les villes au sein de l’État.

Mais qu’est-ce qui a fait la force de l’autorité urbaine ?

La mémoire administrative et l’art de gouvernerLes villes conservaient par écrit aux archives municipales toutes les décisions prises. Il

existe un lien fort ( et précoce en Italie) avec une culture de l’écrit de plus en plus laïque. L’apparition d’une mémoire administrative, d’une culture pratique de l’écrit, correspond à la nécessité d’inventer de nouvelles méthodes de gouvernement. Cette culture de l’écrit est au cœur du développement institutionnel de la ville, elle est essentielle au fonctionnement de la celle-ci.

Comment les villes ont elles eut les moyens de rédiger ces registres ? Grâce à l’émergence de groupes socioprofessionnels dans lesquels la pratique de l’écrit est essentiel et se fait quotidiennement. Ces acteurs ont transposé dans le domaine administratif leur pratique usuelle.Ainsi, les juges, les marchands, les notaires (au XIIIe en Italie du Nord, en Flandres, au XIVe - XVe dans le reste de l’Occident.) etc. sont les lettrés qui ont rédigé cette mémoire administrative et ont fait cette nouvelle façon de gouverner.

Mais qui sont ces hommes ?

Les hommes ou la définition des élites politiquesLa notion d’élite est une notion complexe qui renvoie à une réalité complexe. Alors la

notion d’élite politique est encore plus difficile à définir.

L’élite est une fraction de la population urbaine, elle est une forme de supériorité. Mais en quoi sont-elles supérieures ? Comment expriment-elles leur supériorité ?La notion d’élite s’articule sur l’exercice du pouvoir, la détention d’une fortune et d’un prestige social. Mais est-ce là l’élite politique ?

L’élite au XIIIe, c’est le bon bourgeois. Le bourgeois est celui qui habite dans un bourg, celui qui réside dans la ville. Le bourgeois incarne l’élite urbaine, il est supérieur de par son statut. Après le XIIIe, le bourgeois n’est plus l’élite, le bourgeois est une distinction honorifique qui a une connotation sociale.

Au XIVe - XVe, l’élite c’est la qualité de notable : un individu d’une famille connue, honorable, de bonne réputation et apte à participer au gouvernement. S’il existe des échanges entre nobles et notables, les deux ne se confondent pas.

L’élite politique se recrute dans les rangs de la bourgeoisie, dans les rangs des riches mais ne se contente pas de cela. L’élite politique, c’est le patriciat, une élite dirigeante urbaine qui englobe nobles embourgeoisés et les bourgeois enrichis par le commerce et la banque.

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De cette composition variée ressort un trait : la force de l’argent. Le gouvernement des villes est donc une ploutocratie.Une famille de Metz, les Louves sont une famille de notables issues de la noblesse et dont le patrimoine est multiple : le commerce du bois, l’activité de change et les revenus de leur seigneurie.

Mais le patriciat va être décimé par les effets de la peste noire au XIVe (1348/1349) et arrive donc sur la scène de nouvelles élites : des juristes, des avocats, des médecins, des détenteurs d’un savoir, des experts qui ont acquis leurs connaissances à l’Université ; des techniciens qui vont se mettre au service de l’État en favorisant l’intégration des villes dans un processus centralisateur.

Les élites urbaines ont une obsession : paraître noble. Il existe une véritable acculturation aristocratique qui fait que les élites urbains vont chercher à acquérir la culture, le genre de vie noble. Car les élites sont élites par la di s t in c t i on , par la manifestation d’une supériorité. Ainsi les élites urbaines vont se parer de titre (“honorable”, “maître”), multiplier les libéralités (dons,...). Elles vont donner une lisibilité extérieures à leur supériorité ce qui va par exemple se traduire dans la construction de leurs palais, etc...

Mais ce n’est pas suffisant, l’élite s’est aussi celle qui se reconnaît élite. L’élite se définit non seulement par la distinction mais aussi par la r e c onna i s sanc e mutuelle. Les critères de reconnaissance de l’élite sont multiples, ainsi le genre de vie (dans les villes allemandes, on organise des tournois), dans l’habillement, dans les associations (les abbayes de jeunesse).Les élites urbaines voient donc leurs mœurs s’aristocratiser.

La ville et les autres pouvoirsEn occident, toutes les villes n’ont pas eut la même autonomie que les villes italiennes.

Nombre sont celles qui doivent composer en fonction des seigneurs, à commencer par les princes et le roi pour ce qui est des villes françaises dont l’autonomie se réduit à mesure que grandit l’État. Cela se traduit parfois par des conflits entre les différentes autorités.

Étudions le cas des bonnes villes en France qui occupe une position privilégiée. Voir à ce sujet les travaux de Bernard Chevalier.

Les villes comme appui et relais d’un pouvoir supérieur :Les bonnes villes en FranceL’expression “bonne ville” prend corps au XIIe et intègre le vocabulaire juridique et

politique au XIIIe. La royauté use de cette expression pour distinguer des villes d’autres. Dans la littérature courtoise, la bonne ville occupe une place de choix, elle est caractérisée

par sa grandeur, sa richesse, sa sûreté, soit une ville où il fait bon vivre. En réalité, on ne sait pas exactement ce qui fait qu’une ville reçoit cette distinction plutôt qu’une autre.

1. Au XIIIe siècleSous Saint-Louis, les bonnes villes deviennent des agents administratifs de plus en plus

étroitement liées aux affaires du royaume. Ce sont des alliés important contre des nobles révoltés, elles sont une sorte de contre-pouvoir local sur lequel le roi s’appuie.

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Après le traité de Paris de 1229, les bonnes villes de toutes les régions méridionales deviennent des points d’appui de la politique royale. Lors de la paix de Lorris de 1243 qui réitère les terme du traité de Paris, le comte de Toulouse s’engage à ce que les bonnes villes de ses terres prêtent serment au Roi, ce sont les garantes des accords conclus. Saint-Louis associe progressivement les bonnes villes à la consultation féodale qui était auparavant limitée aux barons et prélats. Les bonnes villes deviennent par là même un moyen pour le troisième ordre de participer à la concertation. Les bonnes villes sont une force politique qu’il faut aussi ménager et protéger. La tutelle royale s’exerce sur leurs deniers et sur la nomination de leurs magistrats.

Si Beaumanoir9 a réfléchi sur les bonnes villes, il ne la définit que du point de vue institutionnelle dans son organisation et dans ses rapports avec le seigneur ou le roi. La bonne ville ne jouit pas nécessairement d’une autonomie complète et même lorsque c’est le cas, l’autorité supérieure s’impose dans bien des cas. Le seigneur a aussi un rôle d’arbitre dans la vie quotidienne de ces bonnes villes, servant la paix sociale. Le seigneur peut donc user du droit de police dont il dispose toujours pour arrêter les coupables de troubles jusqu’à ce que la paix revienne.

L’expression bonne ville devient ainsi de plus en plus courante au XIIIe, son sens se précise : grande, riche, sécurisée et agent politique du roi.

2. Au XIVe et au XVe, la bonne ville et le RoiAu XIVe, XVe, la bonne ville se définie de plus en plus par rapport au roi ou au prince,

relevant directement de l’autorité qui lui donne ce titre. Les critères ne sont toujours par clairement définis et aucun n’est exclusif. Au XIVe, en pleine guerre de Cent ans (1337 - 1453), les villes fortifiées sont susceptibles d’obtenir ce titre mais cela ne suffit pas. La ville capable de se gérer sur un plan militaire et administratif, mais aussi prospère économiquement peut être dite bonne ville comme en Bourgogne.

La contrepartie de cette distinction, ce sont les lourdes charges financières et les emprunts notamment pour financer la guerre auxquelles sont assujetties les bonnes villes. Bien sur, elle sont les premières informées des grands événements et ont pour charge de les diffuser dans la région. On voit là le rôle d’intermédiaire qu’elles jouent. Les bonnes villes doivent aussi réserver à ces nouvelles royales un accueil particulier et surtout public (processions et réjouissances). Elles sont en cela bien des relais, des centres actifs de la propagande royale et constituent en soi la mémoire vivante de la monarchie.

À partir du XIVe, le roi leur délègue de plus en plus de pouvoir comme veiller sur la monnaie (implantation d’un atelier monétaire), faire régner la paix et la sécurité (présence d’un capitaine représentant du roi aux frais de la ville) et assurer la justice (présence d’un tribunal royal). En outre, le roi les convoque aux États Généraux mais toutes les villes convoquées ne sont pas des bonnes villes. Si au début, elles défendent leurs intérêts stricts, elles tendent à défendre de plus en plus ceux de leur arrière-pays à partir du XIVe. C’est un changement de taille, puisque auparavant, barons et prélats représentaient le plat pays.

Ces bonnes villes sont des centres privilégiés et des relais de la politique du roi. Elles se définissent par rapport au pouvoir royal : en fonction de ce que leur demande, leur impose et leur accorde le roi. Aussi peu importe la forme que prend le gouvernement, c’est la fidélité

9 Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir, (vers 1250, dans le Beauvoisis - 7 juin 1296), jurisconsulte français :Étant le fils cadet de Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir, il n'a pas possédé la seigneurie de Beaumanoir mais est passé à la postérité sous le nom de Philippe de Beaumanoir. Il fut successivement bailli à Senlis, à Clermont (en Beauvoisis), à Tours et dans le Vermandois, et jouit de la confiance de Saint-Louis et de son fils Robert, comte de Clermont.Il recueillit en 1283, en les accompagnant d'un commentaire, les Coutumes du Beauvoisis, le monument le plus précieux selon Marie-Nicolas Bouillet de l'ancien droit français; ouvrage publié pour la première fois en 1690 par Gaspard Thaumas de La Thaumassière, éditée avec beaucoup plus de soin par le comte Auguste-Arthur Beugnot en 1842.Montesquieu regarde Beaumanoir comme la lumière de son temps. M. Morel a donné une Étude historique sur Beaumanoir en 1851.

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qui compte.

3. Au XIVe et au XVe, la bonne et ville et le plat paysLorsque le roi accorde ce titre, c’est souvent pour une ville qui joue un rôle clef au sein de

sa province, rôle reconnu par les autres villes. La bonne ville n’existe donc pas seulement en vertu d’une reconnaissance royale, mais aussi en vertu d’une reconnaissance des autres cités de la province, reconnaissance dans ce tissu urbain dont elle dépend et qu’elle contribue à créer.

On assiste d’ailleurs à une véritable compétition entre les villes pour obtenir le titre de bonne ville. La bonne ville fait souvent l’objet de consultation de la part des autres villes de la région : pour prendre des décisions concernant les relations avec le souverain, sur le plan fiscal, pour adopter une position commune, pour des question internes, etc. Les bonnes villes d’une même province rivalisent pour occuper une position dominante.

Des villes en conflits avec les autres pouvoirsLes villes ont aussi des rapports conflictuels : entre les villes de Flandres et le duc de

Bourgogne par exemple, celui-ci les domine en concurrence avec le roi de France. Les villes flamandes savent jouer de cette compétition pour monnayer des avantages en échange de leur fidélité, mais parfois cela se retourne contre elles. Les villes sont donc un enjeu entre les puissants et elles ne sont pas toujours en mesure de contrôler toutes les règles de l’affrontement.

Ainsi, Bruxelles qui avait obtenu une charte de privilèges accordée par Philippe le Bel (1268 - 1314) assiste au spectacle public pendant lequel le chancelier d Bourgogne casse la charte de la ville en novembre 1301, humiliation publique de la communauté urbaine et marque de la soumission au nouveau pouvoir. C’est aussi une façon de dissuader les villes des Pays-Bas de toutes velléités hostiles au prince et sert de démonstration publique et ostentatoire du pouvoir. À abuser de cet politique de force, le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire (1433 - 1477 ) a provoqué sa chute davantage due à l’opposition du monde urbain qu’aux armées du roi de France. Lors de la mort du duc, la réaction est violente dans les villes flamandes. Le règlement de compte est d’abord interne : des mouvements populaires ont provoqué le départ des officiers bourguignons. A Gand, les échevins mis en place par le duc sont décapités. La duchesse qui prend la suite de Charles doit faire face en même temps au soulèvement des villes et à la guerre contre le roi de France.

Ces événements montrent comment les villes s’insèrent parfois malgré elles dans des rapports de pouvoir avec les autorités supérieures et comment elles agissent ensemble pour réagir et se protéger. Les villes de Flandres sont d’autant plus intéressantes qu’elles forment une ligue puissante qui constitue un contre-pouvoir important dans cette partie de l’Occident.

Toutes les villes ne bénéficient donc pas du même degré d’autonomie politique, les communautés politiques qu’elles forment sont des interlocuteurs à part entière qui doivent se battre pour maintenir la paix dans les murs et hors des murs. L’autonomie n’est pas toujours fermement acquise et plus on avance dans le temps et plus elles sont mises à contribution de gré ou de force dans la construction des états modernes ie centralisateurs.

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Se disputer et se réconcilierLa Justice dans les villes

La Justice se trouve au cœur de la vie urbaine. De plus au XIIIe, se développe l’idéal du bon gouvernement qui a le souci de la concorde et de l’harmonie. Comment règle-t-on ces conflits qui perturbent la vie publique ?

Il faut distinguer la justice urbaine dans laquelle la ville n’est que le théâtre des exécutions et la justice municipale qui est la justice émanant de l’autorité municipale.I. Quels étaient les moyens de préserver et de restaurer la paix civile ?II. Comment la justice se donne en spectacle en ville ?III. La peine de mort: comment les exécutions de peine capitale devenaient des cérémonies ?

Restaurer la paix La concorde dans les villes

La rupture de l’ordre public dans les villesAbordons cette question au travers du problème des maris cocus :

À Saragosse en 1448, une crida10 annonce que les juges et les jurados de Saragosse ont décidés que les femmes mariées de Saragosse ayant des amis avec lesquelles elles vivent publiquement et qui les défendent de leur maris et qui refusent de porter l’affaire devant un juge. (Ce qui veut dire que les maris cocus ne vont pas dénoncer leur femme aux juges et pratiquent la vengeance, tuant l’amant et parfois même leur femme). Les juges et jurados menacent les maris de la peine d’exil (qui était extrêmement rare au Moyen Âge) s’ils se vengent.Là le problème n’est pas tant la tromperie des femmes que la pratique de la vengeance afin de venger l’honneur blessé. La préservation de l’ordre public a nécessité la prise en charge de ce problème.

La vengeance joue un rôle central, elle sert à rétablir l’honneur blessé. Le problème qui se pose aux historiens c’est qu’elle ne laisse pas de traces écrites sauf pour rétablir la paix.

En France, l’homicide est le crime commis pour rétablir son honneur. Et au Moyen Âge, tout le monde a un honneur, mais tout le monde n’a pas les mêmes moyens pour réparer son honneur.L’homicide ne laisse une trace écrite que parce que celui qui le commet peut obtenir le pardon du Roi par une lettre de rémission, lettre qui ne peut être obtenue que sur la demande des parents de la victime de la vengeance. La lettre de rémission permet de rétablir la paix après l’homicide.

En Italie, la vengeance est tellement présente que ce n’est pas une réaction à chaud. C’est une pratique culturelle, un élément de la culture urbaine. La culture de la vengeance fait partie intégrante de l’éducation des citoyens. La vengeance est particulièrement présente dans les lignages aristocratiques qu’elle entraîne la

1 0 Une loi criée

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f a i d e11 . Elle est dans ces milieux un raffinement culturel : on convoque ses obligés, on se concerte pour savoir par qui et de quelle manière elle va être obtenue.

Les conflits sont donc en quelque sorte auto-régulés. Mais aussi encadré par le droit urbain.Ainsi à Florence, on ne peut envisager la paix entre les ennemis tant que la vengeance n’a pas été consommée selon les règles admises. Et si on ne respecte pas les règles de la vengeance, alors là on encoure le risque d’une sanction judiciaire.

Comment se réconcilier avec la partie adverse ?Le Moyen Âge a le goût de la procédure, le goût du procès, on y faisait plus de procès

qu’aujourd’hui et pas seulement les plus riches, et pas seulement les hommes.Il n’y a que deux solutions : le recours à l’infra judiciaire et le recours au juge. Le choix ne se fait pas sur des critères économiques, les gens choisissaient la solution qui leur semblait la mieux pour l’emporter.

Les recours de l’infra judiciaire. Deux méthodes, la médiation et l’arbitrage.- La médiation met en œuvre une justice négociée avec l’aide d’un tiers, d’un voisin, d’un ami, d’un membre de la corporation, etc. sur des questions diverses telle une agression, la limite d’un champs, etc. Une fois parvenu à un compromis, les deux parties concluaient une charte de paix rédigée par un notaire. Bien souvent la charte bloque la vengeance pour une durée déterminée.- L’arbitrage est une autre méthode. Chaque partie choisissait un arbitre. Les deux arbitres rencontraient les deux parties et ensemble ils décidaient d’un compromis, d’une solution.Le problème de l’arbitrage est que l’arbitre choisit par les parties est contestable car son objectivité peut être douteuse. De plus, les arbitres ont peu de pouvoir pour faire respecter leur décision. Donc l’arbitrage ne clôt pas forcément le conflit.

Aller voir un juge. Le règlement du litige se faisait selon la procédure accusatoire : trois partis sont en jeu, l’accusateur, l’accusé et le juge. L’accusé doit prouver son innocence et pour cela, il doit prêter serment et amener des co-jureurs qui prêtent serment en faveur de l’accusé.Le juge nommé par la ville est lui objectif.La particularité de ces négociations est qu’elles n’aboutissent pas à une punition. La procédure accusatoire n’amène pas à la punition de l’accusé.

Quand la ville fait justice elle mêmeQuand la ville prend l’initiative de régler les conflits, apparaît une nouvelle procédure : le

procédure inquisitoire. Une procédure qui est dépendante des magistrats urbains, puisque c’est eux qui ont l’initiative du jugement. Il n’y a donc plus que deux personnes : le juge et l’accusé.

Comment s’engage la procédure ? Soit par la rumeur12 soit par dénonciation qui est partout anonyme (en Italie par un système de boite).

Cette nouvelle manière de juger correspond à une nouvelle approche de la vérité, la vérité émane désormais de l’enquête et de ses moyens : le témoignage, la preuve, l’aveu. Aveu qui est une sorte de confession judiciaire. Et s’il n’avoue pas, on utilise la torture.La procédure inquisitoire est basée sur le secret de l’enquête.

1 1 La guerre privée1 2 La rumeur est un bruit urbain, un bruit qui court et qui est un bruit représentatif de la ville

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Les avantages de cette nouvelle méthode sont que la justice agît d’office, par elle même et qu’elle punit. C’est une justice qui produit désormais des condamnés pour rétablir la paix.Cette procédure ne s’installe pas sans réticences tout au long des XIVe - XVe siècles.

Mais c’est une innovation qui satisfait tout le monde : l’autorité urbaine comme le peuple, traduisant une nouvelle aspiration sociale pour la paix et la concorde.

La peine devient publique et cesse d’être privée.Donc, aucun crime ne doit rester impuni.Donc, les pouvoirs publics sont les garants de la paix publique et cette démarche permet de justifier leur position.

Cette nouvelle procédure plaît en définitive aux justiciables. Et tout crime commis devient une offense contre tous les habitants et non plus seulement contre une personne, la punition n’intervient pas pour réparer l’offense commis envers une personne mais pour réparer le bien commun.Les magistrats urbains deviennent les outils d’une vengeance publique.

Quand la justice se montre en spectacle

Les châtiments publicsCes châtiments publics recquierent tout un équipement pour exécuter et bien sur un

bourreau. Le bourreau a une place spéciale dans la communauté urbaine : une place importante et pourtant marginale, en raison de son contact avec le sang et la mort, deux éléments tabous. En Languedoc et en Espagne, le bourreau ne doit pas toucher les aliments de peur que sa souillure ne souille les aliments. Le bourreau peut-il être la victime de la vengeance de la famille ? Parfois le condamné crie son pardon au bourreau pour éviter la vengeance.

La présence de la foule est nécessaire pour que la peine soit publique. On la tient donc informée de l’exécution. Si c’est en périphérie (ce qui est humiliant car matérialise l’exclusion, ce qui n’est pas le cas pour les nobles), si c’est sur la place publique. Et on l’invite à participer, par ses quolibets, par ses injures, etc...

Les peines afflictives corporelles. Ce sont des peines qui n’entraînent pas la mort mais elles sont douloureuses, humiliantes et qui laissent les stigmates de votre crime, permettant par la suite de vous identifier comme criminel.- Marquer au fer rouge- Ébouillanter (mortel !) qui concerne entre autre les faux-monnayeurs (crime de lèse majesté) - Couper la main (vols, la rédaction de faux, ...)On voit que bien souvent, il existe un mimétisme entre la peine et la nature du crime. De plus, l’iconographie s’attache à mettre en évidence la souffrance.Les peines infamantes non mutilantes. Ce sont des peines qui stigmatisent non pas physiquement mais plus mentalement la personne qui la subit. - La pilorisation13 avec au dessous une inscription indiquant la nature du crime. Peine profondément humiliante permettant à la foule d’insulter le coupable, de l’humilier, c’est une dégradation physique.- Peine de la course (dans la France méridionale et au Nord de l’Espagne), peine condamnant

1 3 la mise au pilori

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les amants pris en flagrant délit d’adultère à courir nu dans la ville. La nudité est déshumanisante et réduit l’homme au rang d’animal. C’est un parcourt qui est ritualisé, la course est précédée par un trompette qui par son bruit averti la foule.

La publicité des châtimentsPourquoi la publicité des châtiments ?

Pour l’exemple, pour la mémoire et parce que la publicité est un enjeu de pouvoir.Par exemple en 1477, à la mort de Charles le Téméraire, Roi de Bourgogne, les villes flamandes qui avaient perdu leur autonomie judiciaire et politique, ont mené procès ultra rapide contre ceux qui avaient géré la ville sous Charles et les ont exécuté sur la place du marché (lieu public, lieu de la rencontre ville, campagne, aboutissement des routes comtales lors du règne des Comtes de Flandres). Par ce moyen, les villes se sont : vengées et se sont réappropriées le pouvoir judiciaire

La peinture infamante en ItalieLorsque l’on a pas le coupable, on le condamne en image, en Italie surtout au XIIIe, puis en

France.On a deux types de peinture infamante :

La peinture d’image d’une personne afin de dénoncé un crime. Cette peinture est affiché sur la place publique, dans tous les lieux publics et même parfois les lupanars. L’image rend le crime public et infamant. La personne concernée est donc ruinée dans toute entreprise qu’elle souhaite mener dans la vie publique.

La peinture d’image d’une personne qui s’est enfui pour échapper à sa peine. La personne est donc représentée en train de subir son châtiment ou alors on brûle son effigie. Ou encore, on la peint dans un environnement diabolique (la sirène, le basilique) particulièrement en se qui concerne la trahison et les crimes politiques.Ces images ont un impact terrible qui équivaut à un déshonneur public.

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Quand la peine de mort devient une cérémonie d’exécution publique

La peine de mort est théâtralisée et dans le rôle principal : le condamné. Cette théâtralisation de la peine de mort introduit une dimension religieuse et contient des références sacrées, symbolisant la transition de la vie à la mort. La peine de mort est donc ambivalente : à la fois profane et religieuse. Elle donne lieu à un spectacle public, spectacle public qui est nécessaire car exprimant le consentement de la société. La présence du public permet de légitimer la décision. Si le châtiment public a un but dissuasif, celui-ci n’est nullement terrorisant.

Au Moyen Âge, la justice est la rencontre des consensus, rencontre entre l’autorité et le peuple.

L’exécution d’un laïc : - Emprisonnement- Parcours dans la ville qui passe devant les lieux symboliques avec

toute un procession bruyante qui injurie, ces injures, cette procession sont humiliants et sont une vengeance symbolique exprimant le consentement de la foule. Cette sonorité judiciaire des autorités qui annoncent la nature du crime et du peuple est fondamentale.En général, le condamné est nu sauf si est un noble.

- Si l’on brûle le condamné, on le fait en dehors de la ville à la fois pour des raisons de sécurité mais aussi pour symboliser l’exclusion puisque l’on brûle les sorcières, les hérétiques et les sodomites.

Le condamné peut se confesser et ainsi son âme réintégrer la communauté chrétienne, cette réintégration de l’âme permet aussi de protéger la communauté des vivants contre les morts vivants...

L’exécution d’un clerc : Il faut rendre le clerc exécutable donc laïc. Le cas en 1398 de l’exécution de deux moines qui prétendant posséder des pouvoirs surnaturels avaient prétendus que la folie du Roi (Charles VII) serait du à un ensorcellement du frère du Roi. Accusé des paribus crimes, ils sont condamnés.

Cérémonie religieuse : - Prison de l’Évêque- Vêtu d’une mitre en papier avec inscrit leur nom, et d’un

parchemin en bandoulière sur lequel est inscrit leurs crimes.- Place de Grève, présence d’un docteur en théologie. l’Évêque les

destitue en leur retirant leur chasuble, leur missel, on leur lave les doigts et on leur rase la tête.Cérémonie laïc : - Ils suivent alors le même parcours que le laïc.

Que fait-on du corps ? On ne sait pas trop, mais ce n’est pas n’importe qui, qui s’occupe du corps. De plus parfois, les corps ne pouvaient être enterrés en terre bénite.En cas d’erreur judiciaire ? Le juge en habit de pénitent fait amende honorable, vient détacher le cadavre, le ramène à l’Église, lui enlève la corde du coup et baise le cadavre (contre la vengeance de la famille) et afin de lui insuffler le souffle de la vie, le mort lui accordant par là son pardon.

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Identité et Mémoire urbaineAuto conscience et Patriotisme civique

Les habitants et les villes sont-ils les acteurs de leur identité ? Ont-ils conscience de leur identité, de leur mémoire ? En sont-ils les acteurs ?Le problème en ce qui concerne ce qui est un front de la recherche historique en France et en Europe, c’est l’absence de synthèses.

L’auto conscience et le patriotisme peuvent être traqué au travers de :L’élaboration d’un patrimoine mémorial, de lieux de mémoire qui développent un langage tel l’élaboration d’une mémoire historiographique. Quelle mémoire du passé ? Quel contenu et quelle est la manière dont cette mémoire est construite ? Une mémoire construite par qui et pour qui ?La religion civique, le sentiment d’appartenir à une communauté.L’orgueil monumental et les représentations de la ville.

La mémoire est une identité, mais l’identité est une mémoire en devenir.

L’élaboration d’une mémoire historique Une mémoire du passé

Pourquoi la mémoire urbaine ? Quelle mémoire urbaine ?Toutes les villes sont des lieux d’élaboration d’une mémoire qui est la composante d’une

identité urbaine.C’est une mémoire historique qui au Moyen Âge reconstruit et réinvente le passé pour qu’il

soit le plus glorieux, c’est l’invention de la tradition. Lorsqu’elles se construisent une mémoire, c’est sur le thème de leur origine, de leur fondation. Il existe des mémoires urbaines qui ne sont pas exclusivement municipale. Wermer Paravicini fait une distinction entre deux manières d’accéder à la mémoire :- Une mémoire pour la ville qui est la réécriture du passé urbain rattaché à une origine prestigieuse.- Une mémoire par la ville qui est une mise par écrit de la mémoire urbaine par certains individus des élites dirigeantes. C’est une forme d’écriture conjointe de la mémoire.

Quand les villes s’inventent des origines glorieusesPour une ville, lorsqu’elle va bâtir son histoire, il est au XIIIe - XVe valorisant de se donner

une origine mythique. On parle à ce sujet de mythographie urbaine.

Les origines antiques. En Espagne, beaucoup de villes prétendent avoir des origines romaines et avoir été fondées par Romulus et Remus. Tel à Saragosse César Auguste.Au XIIIe, le roi d’Espagne, Alphonse X le Sage (1221 - 1284), fait rédiger l’histoire de la plus part des villes de la péninsule, dispensant des origines mythiques :

- Le long de l’Èbre, c’est Tubal (le petit-fils de Noé) qui aurait fondé ces villes

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- Pour Cadix, c’est Hercule- Lisbonne aurait quant à elle était fondée par le petit-fils d’Ulysse

Ici, la mémoire n’est pas écrite par les villes mais par les Rois car c’est valorisant pour le Roi.Les villes ne sont pas ici les investigatrices de leur mémoire.

Les origines carolingiennes. Elles sont un autre mythe récurrent en Occident. Ainsi Francfort aurait été fondé par Charlemagne. Celui-ci est donc le saint - patron et le protecteur des lois de la ville. Chaque année, le conseil municipal commémore la fondation par un rite civique : un banquet.

Le rite civique permet une identification des citoyens. Le banquet a une double fonction : identitaire et mémorielle.

Héros et suivants. Souvent à l’origine de la fondation on trouve un héros :- Pérouse commande une chronique municipale (on voit là la ville actrice de sa mémoire) à Boniface de Véronne qui la rédige moitié en vers, moitié en prose. Le héros fondateur de Pérouse est un héros troyen nommé Euliste. Mais tout l’intérêt est de savoir qui va venir après ?

Lorsqu’elles se construisent leur mémoire, les villes construisent un mythe glorieux puis insèrent à sa suite des personnages historiques, réels. La mémoire est stratifiée par des couches de héros, souvent un évêque.- À Pérouse suit donc Herculien, un évêque ayant défendu la ville contre les Goths. Puis Olivier, un paladin franc, compagnon de Charlemagne.On voit là la stratification de héros signifiant la gloire de la ville dans la durée. L’écriture d’un passé repose sur la longue durée et par l’accumulation de couches successifs de gloire et de puissance. Car la mémoire n’est pas figée, elle est construite pour agir dans le présent14 .

Qui écrit cette mémoire et comment ?À condition que les villes se dotent d’une mémoire, ces mémoire sont rédigées par les

élites.

En Espagne, il n’y a pas de mémoire spécifique aux villes, la mémoire des communautés urbaines d’Espagne se confondent avec celles des royaumes auxquels elles appartiennent.- L’absence de chronique urbaine ne signifie ni un manque d’imagination ni une absence d’autonomie. Jusque les villes n’ont pas ressentis le besoin de rédiger une histoire qui leur soit propre.À l’exception d’Avila qui au XIIIe commande une chronique extrêmement terre à terre.- Cette absence ne signifie ni une absence de mémoire urbaine ni d’orgueil urbain. Car on peut les constater dans les actes de la pratiqueAinsi les magistrats de Séville ont engagé en 1400 le poète Alfonso Alvarez de Villasantiano pour rédiger un éloge urbain qui octroi à Séville le titre de Dame d’Espagne.

En Espagne, l’orgueil urbain s’articule autour d’une valeur (au XVe - XVIe) : la noblesse. Dans le cadre de cette construction mémorielle, la noblesse signifie l’état antérieur de perfection au péché originel. Lorsque la péninsule ibérique devient un royaume monoconfessionel sous l’action royale, se développe cette valeur.

En Italie du Nord et du Centre, on a une mémoire pour la ville. Des villes puissantes qui, depuis la Paix de Constance en 1183, ont construit la commune sur l’aspect collectif. La mémoire est tellement autocentré que la chronique tourne à l’autobiographie.

Au XIIIe, elles vantent les libertés urbaines contre la tyrannie. Puis au XIVe, suite à la prise de pouvoir d’une famille, les chroniques vont devenir la construction d’une mémoire conforme aux dirigeants.

1 4 // Auj. le devoir de mémoire qui a une fonction de non oubli, de souvenir mais aussi de commémoration

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Ainsi à Naples, Cronaca di Partenope écrit un passé rapporté a présent et vente la sujétion des napolitains à leurs maîtres. C’est un écrit mémoriel stratégique qui ne va pas à l’encontre de ses dirigeants.

C’est une écriture qui est à la fois une ressource identitaire (pour tous les habitants de la ville ) et une propagande politique.

Qui écrit ? Des professionnels de l’écriture et de l’administration : notaires, chanceliers, consuls, etc. Mais aussi des écrivains religieux : Frères de ordres mendiants, etc. Ou encore des nobles, des hommes d’affaires, etc.Si au début, ils écrivent en latin, très vite, ils écrivent en langue vulgaire.

En Allemagne, on a une mémoire par la ville. Une nouvelle façon pour une nouvelle raison de recourir à la mémoire de la ville. Sur la base des travaux de Pierre Monnet on peut dire que dans les villes allemandes, une grande partie de la mémoire des villes existent parce que les élites ont écrits leur mémoire à elle. Dans les archives, il n’y a donc pas de chroniques urbaines mais des chroniques familiales (des “livres de mémoire”). Dans ces livres, on va trouver intimement mêlé la vie de l’auteur, de sa famille, de sa ville.Pourquoi ce mélange ? Les villes n’ont peut être pas ressenti le besoin de le faire, mais les élites oui. La mémoire de ces élites est enracinée dans le territoire de leur ville.

Ainsi, Burkard Zilk qui arrive à Augsbourg en 1414, va rédiger un récit qui commence en 1415, à sa 2ème naissance. Burkard Zilk s’approprie ainsi la mémoire de la ville pour soutenir et légitimer le souvenir de sa propre vie qui est réussie.Cette écriture qui entremêle mémoire urbaine et mémoire personnelle permet de justifier sa position sociale dans la ville d’Augsbourg.

On a bien là une mémoire par la ville au service du narrateur. La mémoire de la ville est donc utilisée par l’élite. Mais dans tous les cas de figure cette mémoire est une ressource identitaire pour tous les habitants de la ville.

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L’identité collectiveIdentité du présent ou la mémoire du futur

La religion civique : phénomène propre à l’ItalieLa religion civique est un culte collectif des habitants de la ville, culte placé sous le

pouvoir des autorités séculières et non religieuses. Le culte civique est un sentiment et une pratique émotionnelle.

La religion civique est marquée par l’irruption des autorités séculières dans le sacré, du politique dans le religieux. Ce contrôle de la population est la base identitaire du collectif.

Les saints - patrons. Le culte est géré comme un service public. Le but est de forcer la main aux Saints en faveur du salut des âmes des habitants. Ce culte permet une protection civile par les saints patrons de la commune. Ces saints patrons sont politisés et instrumentalisés.

Ainsi à côté des saints traditionnels (St Marc pour Venise, St Ambroise pour Milan), émergent des saints contemporains qui cristallisent un patriotisme citadin au travers de ce culte civique.- St Antoine de Padoue, un prédicateur franciscain d’origine étrangère est mort à Padoue en 1231. Autour de sa tombe se développe de longue procession et en 1232, il est canonisé, et devient un saint patron de la ville. La commune met en place un jour spécifique destiné au culte de St Antoine, le 19 juin. La ville organise une liturgie spécifique avec des cierges et des réjouissances profanes autour d’un banquet et la course du Pallio.- André Gallerani mort en 1251 avait fondé un hôpital de la miséricorde à Sienne, il devient Saint Patron de la ville mais il n’a jamais été pas canonisé. Ainsi son culte n’est pas licite religieusement mais il est du point de vue de la municipalité.- Antoine Amandola remplace en 1477 le saint local.

On voit bien que le panthéon des saints de la commune n’est pas figé, bien au contraire, le culte civique est évolutif.

Le caractère identitaire des saints patrons est tellement important que les milanais sont surnommés partout les ambrosiens et que Bologne en guerre avec Milan retire en 1348 St Ambroise de son culte.

Les manifestations du culte civique. Comment se manifeste-t-il ? Quelle visibilité du culte civique ?Les manifestations publiques cimentent le sentiment d’appartenance, la conscience civique. Le culte civique négocié avec les autorités ecclésiastiques se manifeste :- Dans des lieux consacrés au culte des patrons : cathédrale, église, ...- Dans l’organisation de rites cultuels publics constitutif de cette dévotion : de simple messe, des offrandes de cire, des processions qui unissent tous les espaces symboliques de la ville en suivant un itinéraire bien construit qui uni symboliquement la ville, etc. mais aussi des réjouissances profanes.

Le culte civique participe à la construction politique d’une identité commune. La religion civique n’est pas que instrumentalisation, elle est aussi la preuve que les villes sont capables de produire des croyances et des éléments de solidarité d’ordre spirituel.

Dans les autres villes de l’occident, on n’a pas de culte civique à l’italienne, mais on a des processions religieuses avec un culte à vocation identitaire.

Par exemple la fête de Dieu le 7 juin permet de célébrer l’unité urbaine dans la célébration du

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Christ et d’une foi mystique, une unité de ton indépendamment du clergé. En France et en Espagne, ces processions mettent en avant les clivages de la société urbaine.Ces processions ont une vocation identitaire mais aussi unitaire, les juifs en sont exclus en Espagne par exemple.Le culte civique est le rassemblement de la ville chrétienne.

Le sentiment de former une communauté urbainePeut on traquer ce sentiment, cette conscience ? Les habitants d’une ville ont le sentiment

d’appartenir à une communauté et ce à diverses échelles (paroisse, confrérie, métiers, etc.). La spécificité du droit urbain est l’un des éléments qui forge ce sentiment identitaire.

Le sentiment d’appartenance, d’intégration à un groupe ne peut exister que par conscience de l’altérité, de la différence, de l’exclusion. L’intérieur n’existe que parce qu’il y a une limite et donc un extérieur. Appartenir à une communauté urbain se ressent face à l’inférieur, au rival.

Le rural, l’inférieur.Selon Boucheron, la manière de s’appeler, l’anthroponymie marquerait le fossé identitaire entre urbain et rural : Le paysan ne possède que le seul nomen et le nom du père alors qu’en ville, on a le nomen plus le cognomen plus le nom du père et le métier.Autre élément d’anthroponymie : En Toscane, les citadins hommes se prénommaient Jacques (du dernier chic) alors qu’à la campagne, Jean (démodé) et les plus ploucs Martin qui était devenu un terme générique pour désigner le paysan.

Le rival, l’autre citadin.À Paris, les parisiens formaient ils une communauté de parisien ?Ex. : St Germain des Près, en 1174, les habitants reçoivent une charte de franchise. En 1251, des marchands siennois vont-ils être des étranger ou vont ils être inclus ?Ils reçoivent un statut spécial qui est une restriction de la citoyenneté : “ces bourgeois spéciaux”.Les bourgeois de Paris ont longtemps été les bourgeois du Roi, à partir du XIIIe, ils deviennent les bourgeois de Paris. C’est l’acte de naissance de la communauté de Parisien, communauté ancrée dans l’espace parisien, dans l’espace urbain.

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Éducations et Cultures en VilleBibl iographie :

- Verger J., Les universités au Moyen Âge- Moulin L., Les étudiants au Moyen Âge- Poirion D., Milieux universitaires et mentalité urbaine au Moyen Âge, Cultures et Civilisations Médiévales VI, Paris, 1987- Boudet J.-P., Guerreau Jalabert A.., Sot M., Histoire culturelle de la France t.1 : Le Moyen Âge, Seuil, Paris, 1997

La ville est le lieu d’élaboration, de transmission et de diffusion d’un savoir fait de valeurs, de connaissances et de compétences variées.

Les sociétés urbaines se modèlent sur une culture dite urbaine et dont l’une des composantes se dessine à travers les enseignements et les apprentissages. L’éducation existe donc sous différentes formes :- Familiale : pour les jeunes enfants et ce dans tout les milieux.- Professionnelle : pour les marchands, les artisans mais aussi les chevaliers et les princes.- Scolaire et universitaire.- Religieuse.Toutes ces formes ne sont pas spécifiquement urbaines (sauf l’université) mais en ville elles se distinguent en raison du public à la fois plus nombreux et plus varié.En outre, toutes structures d’association et d’encadrement sont des vecteurs d’éducation et d’enseignement (les confréries, les métiers) mais aussi les processions publiques.

1. Culture : Les cultures sont l’ensemble des connaissances, des savoirs, des représentations du monde, des valeurs, des pratiques sociales et des comportements dont dispose une société, un groupe social, un individu. On peut distinguer :- La culture scolaire et universitaire, la culture savante de la culture non - scolaire (historiques, géographique, politique, littéraire, religieuse, ...).- Les cultures écrites des cultures orales.

2. Éduca t i on s : Les éducations sont les différents modes d’acquisitions des cultures. Le rapport fondamentale est la façon dont l’individu apprend la vie sociale. Cela passe par :- Apprendre à lire et à écrire (quand et comment ?).- L’acquisition des connaissances (comment et où ?)

Une série de questions : Comment apprend-on un métier ? Comment apprend-on à se comporter en bon chrétien ? Comment apprend-on à se comporter selon son rang ? Cela ne passe pas seulement par la famille.

La question est en fait de comprendre la façon dont les savoirs, les connaissances, les valeurs, les représentations sont acquis, comment sont-ils transmis : volontairement (familles, clercs, outils, intermédiaires, institutions) et involontairement.

Mais aussi quel est le résultat de cette transmission (réception par le public, usage fait de ces savoirs, ... ) ?

Enfin, quels sont les rapports entre les différentes cultures ? Quelles interactions culturelles entre les différents groupes socioprofessionnels ? Partagent-ils des savoirs communs ?

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Ville et Culture savante Lieux, Acteurs et Enjeux

Les villes sont le lieu d’implantation des universités mais elles ont d’abord connu un réseau d’école dont l’évolution a créé un contexte favorable à la naissance des universités. Le développement des écoles urbaines au XIIe s’est ralenti à la fin du même siècle mais sans cesser d’exister.

L’exemple des écoles urbaines en ItalieVers 1100 en Italie (comme ailleurs), deux sortes d’écoles ecclésiastiques :

- Les écoles monastiques qui dispensent aux novices ou à des enfants vivant au monastère ou qui y viennent chaque jour.- Les écoles capitulaires, épiscopales ou cathédrales.

L’évolution majeure en ce qui concerne les villes est l’apparition et le succès des maîtres laïcs.Au XIIIe et au XIVe, dans les villes d’Italie du nord et du centre, se développe l’enseignement “privé” ie indépendant de l’Église. Celui-ci est du aux nouveaux besoins en matière d’éducation de la vie politique et économique, particulièrement l’écrit : écriture, calcul, techniques comptables, notions juridiques, rudiments d’art notarié, art de rédiger des lettres convenables et efficaces. Hors l’Église n’est pas en mesure de répondre à ces besoins et à ces nouvelles normes trop éloignées de l’ars dictamini (art de rédiger des lettres).Le maître d’école est souvent choisi par le podestat et le conseil de la commune, à la fin du XIIIe, l’idée de rémunérer un maître pour enseigner est entrée dans les mœurs.

1. Qui sont ces maîtres ? Au XIIIe, beaucoup sont des notaires qui cumulent les deux fonctions. Mais ils déclinent en raison de l’apparition des maîtres laïcs qui grâce à la hausse de la demande peuvent vivre exclusivement de leur enseignement. Ils s’organisent en “art” ou en collège qui veille au respect des droits et des obligations des maîtres mais pas de leur formation.

2. Comment devient-on maître ? À Gênes, le candidat devait passer un examen au cours d’une cérémonie publique : soit il soutenait une disputatio soit il prononçait un sermon dans une église. Sinon, des maîtres pouvaient s’associer entre eux pour fonder une école.

3. Quand la commune prend en charge les écoles. L’ultime évolution est la prise en charge de l’enseignement par la commune au XIVe. On peut alors parler d’écoles publiques lorsque la commune intervient directement pour payer les maîtres. Deux facteurs ont déterminé cette évolution :- La société communale et l’administration de la commune ont eut de plus en plus besoin qu’un enseignement permanent soit dispenser pour former ses élites et ses cadres.- La peste noire de 1348 - 1350 a tué un grand nombre d’élèves et le nombre d’élève n’était plus suffisant pour permettre à un maître de vivre. (Ex. : San Giminiano, la commune paie 50 livres par an un maître sans quoi l’école n’ouvrirai pas).

Mais la mainmise de la commune sur le maître reste faible : les salaires sont souvent minimes et les écoles restent indépendantes, le maître enseignait dans sa propre demeure avec son propre matériel. À Venise, les maîtres exerçaient fréquemment d’autres métiers pour

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arrondir la fin du mois (et non l’inverse) : notaire, médecin, copiste, vendeur de livre.Les maîtres sont majoritairement des hommes, la présence des femmes est sporadique dans

la documentation.

4. Une grande diversité de statuts. Fin XIVe et durant la première moitié du XVe, la diversité est de règle : écoles financées toute ou partie par la commune, écoles de maîtres privés, écoles gérées par des maîtres associés ou encore écoles créées par des citoyens associés entre eux.

Naissance et affirmation des universités du XIIIe au XVeLes universités apparaissent au XIIIe, une douzaine en Occident, absorbant les écoles

existantes et créant un nouveau type d’institutions scolaires. La grammaire occupe une place singulière, elle reste enseignée dans les écoles et absentes

de l’Université car touchant à l’apprentissage de la lecture et étant ouverte à toutes les couches sociales.

1. La mutation du XIIIeEn réponse aux nouvelles solidarités émergentes ( politique : communes - économique :

guildes ou corporations de métiers - religieuse : confréries ), l’université naît sur les bases de nouvelles solidarités entre étudiants voire entre étudiants et maîtres.

L’Université s’affirme comme un corps ayant conscience de lui même et doté d’une personnalité morale :

- Production d’actes authentiques scellés de son sceau.- Capacité de se produire en justice.- Dotation de statuts et capacité à les faire respecter moyennant un serment d’obéissance à

ces statuts.

L’exemple de l’Université de Paris : Qu’est ce qu’une université ?- Une organisation d’entraide et de protection des maîtres et des étudiants : organisation

confraternelle, elle assure une assistance médicale au malades et aux défunts - organisation de défense mutuelle, elle offre à ses membres des garanties judiciaires : la protection du roi et celle du pape.

- Une organisation professionnelle, un métier, une corporation : elle entend imposer à tous ces membres le respect de principes, de règles s’occupant du recrutement.

- Une institution d’enseignement.- L’université est un enjeu de pouvoir entre les autorités urbaines en particulier

ecclésiastique (l’archevêque). L’université est un centre de pouvoir et d’influence politique à l’échelle de la ville et du royaume. Aspirant à la liberté, elle subit la contrainte des autorités : imposition des programmes, cursus obligatoires, examens, limitation du nombre de maître.

- L’université est l’aboutissement d’une idée née au XIIe selon laquelle l’enseignement peut être une fin en soi. Mais dominé par la théologie, elle est un instrument de défense de la foi.

L’exemple de l’Université de Paris : Pourquoi l’université de Paris est-elle née ?

- Pour des raisons intellectuelles : en réponse aux attentes des artiens15 face à la diffusion d’Aristote et grâce au développement des études de droit.

- Réponse à une demande sociale ? Peut être celle des magistri (maîtres) selon Peter Classe, les gens d’écoles voulaient plus d’indépendance dans une corporation pour pouvoir se mettre au service des cours et des administrations leur offrant des carrières (peu probable).

- En revanche, il y a une influence du milieu urbain sur la naissance de l’université, le 1 5 Membres de la faculté des Arts.

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milieu urbain offre des modèles : ceux des métiers et des associations jurées. La ville, c’est la redécouverte des valeurs dédaignées par l’Église et donc par l’ancien système scolaire : le travail, la liberté individuelle, la technique, les discussions libres.

Les méthodes et les conceptions de travail et d’organisation du travail nées sur le chantier urbain influencent les gens d’écoles : l’activité scolaire est aussi un labor qui peut prêter à discussion (disputatio et quaestio). Cet ensemble d’aspirations a favorisé la création des universités dans un climat de liberté nouvelle.

Mais l’Université n’est pas parfaitement autonome et l’Université de Paris n’a pas de monopole. Elle est dès le début une communauté coupée de la population urbaine, souvent en conflit avec elle et c’est aussi une institution d’Église qui, comme certains monastères, est coupée de la société par une sorte d’exemption.

D’autres facteurs ont favorisé l’émergence de l’Université :-L’afflux des étudiants à Paris est le fruit de la volonté politique du Roi et du surtout du Pape d’en faire la capitale.Ailleurs, cette émergence est le fruit de conflits entre étudiants maîtres et autorités locales tel à Orléans en 1229-1231 et à Cambridge en 1209.D’autres sont fondés par volonté politique tel celle de Toulouse en 1229, résultat de la volonté Pontificale de lutter contre les hérétiques du Sud ou celle de Naples par volonté impérial en 1224 pour fournir des lettrés pour administrer le royaume de Sicile.

En Italie, le lien avec les communes est patent, les villes ont contribué à leur essor :À Padoue, les privilèges sont promulgués pour mieux retenir les maîtres et les étudiants qui avaient quitté Bologne.À Bologne,e les étudiants étrangers reçoivent tous les privilèges de la citoyenneté. On prend d’ailleurs l’habitude de célébrer les maîtres de la ville.

2. Le développement du réseau universitaire (XIIIe - XVe)Le réseau des universités s’est développé au XIIIe - XVe grâce au Pape, à l’Empereur, aux

Rois et aux autorités municipales. Mais il sera difficile de rivaliser avec les vieilles universités nées au XIIIe et dont les effectifs sont plus importants (Paris milieu XIVe : 3 à 4 000 étudiants, 2 à 3 000 à Bologne, 2 000 à Oxford).

Milieu XIVe, une vingtaine d’universités sont actives au sud d’une ligne Toulouse - Padoue. La papauté a préservé les monopoles de Paris et Oxford au nord de cette ligne. Ces deux universités développent des réseaux : Paris a pour satellites Angers et Orléans pour l’enseignement du droit civil (interdit à Paris depuis 1219 et la bulle super speculam), et Cambridge est dans l’orbite d’Oxford.

Du milieu XIVe au milieu XVe, le réseau s’enrichit (60 à 70 universités), notamment à l’Est et au Nord16 .

Alors que les universités n’ont pas toujours été bien accueillies, on assiste à un rapprochement si ce n’est une fusion à la fin du Moyen Âge entre les autorités locales, les populations et les universités. Cela prend la forme d’une cohabitation pacifique, de gestes d’entraides qui traduisent l’enracinement local de l’institution.

L’Université s’insère dans la ville par la masse d’étudiants qu’elle draine, sur place ou issus d’ailleurs et dont le comportement peut être l’objet de conflits17 avec la population.

1 6 15 en France, 12 en Italie, 10 dans la péninsule ibérique, 17 dans les pays germaniques.1 7

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Les aspects sociaux de l’histoires des universités :Naissance et développement des collègesLes étudiants viennent de milieux sociaux variés : depuis les plus riches et les nobles aux

paysans aisés en passant par la petite noblesse et la bourgeoisie. Mais l’étudiant pauvre est d’abord celui qui n’a pas de ressources régulières ou suffisantes pour faire face aux frais de logements, de livres, des honoraires des professeurs, des frais d’examens, etc...Ceux qui n’ont donc pas les moyens suffisants cherche à obtenir un bénéfice ecclésiastique ou un protecteur. La naissance des collèges accompagne cette nécessité.

1. Les collèges au XIIIe siècleÀ la base d’un collège, on a un riche fondateur - souvent ecclésiastique - qui laisse des

revenus pour la création et l’entretien de bâtiments où logent quelques étudiants pauvres recevant une bourse.

Le mouvement de fondation commence à Paris, on parle alors plus de maison (domus) que de collège. Celui de Dix-Huit est fondé à Paris par un anglais en 1180. À Montpellier, un collège est fondé en 1263 ; à Toulouse en 1243 par Vidal Gautier.

La Sorbonne. Le collège de la Sorbonne est fondé en 1257 par Robert de Sorbon. Il est destiné à accueillir une vingtaine d’étudiants en théologie et est soutenu financièrement par de nombreuses personnalité dont Louis IX. Les règles de vie sont proches d’un mode de vie monastique en terme de discipline collective à l’intérieur des murs : repas en commun, offices journaliers, habillement austère.

Oxford (1264) et Cambridge (1284). Le collège reprend le modèle de Robert de Sorbon, celui d’une communauté de boursier gouvernée de façon relativement démocratique :- Au début, libre choix par l’assemblée des boursiers du gouverneur, du proviseur, du maître qui est ensuite validé par une autorité extérieur comme l’évêque ou le chancelier.- Possibilité de révocation par les boursiers d’un maître.- Cooptation des boursiers.

À la fin du XIIIe, le réseau des collèges est à peine esquissés mais le collège fait parti du paysage urbain. Aucun de ces collèges n’est une institution d’enseignement. En outre, il faut signaler que seule une minorité d’étudiants font parti des collèges. Ces collèges sont des communautés d’étudiants qui s’autogouvernent et qui vont quotidiennement aux écoles, en cours.

2. Les collèges aux XIVe - XVe siècleVers 1300, il existe 19 collèges à Paris, 6 à Oxford et 1 à Cambridge. Leur progression est

sensible au XIVe avec 87 fondations.Qu’est-ce qui explique cette augmentation ? Cette répartition des fondations coïncide avec la transformation de la carte universitaire. L’impact des crises a conduit à un accroissement du nombre de fondations tel à Paris dans les années 1350 - 1360, juste après la peste noire. On voit là l’indice d’un regain de piété chez les survivants de la peste.

Les donateurs. Les fondateurs sont d’origines sociales variées : membres de la familles royale, prélats, clercs universitaires, etc... Les seuls absents sont les bourgeois mais ils sont dans les rangs des donateurs pour accroître les ressources ou pour fonder de nouvelles bourses.

Les motivations des donateurs. La première motivation est le salut de l’âme, à la fois pour soit mais aussi pour sa famille. Les collèges prennent donc souvent leur nom et prévoient une chapelle pour célébrer des messes à leur intention. Le milieu de l’enseignement est donc un lieu d’exercice de la piété urbaine. D’autres sont motivés par un intérêt purement intellectuel tel

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Pierre de Montaigu18 .

La solidarité. Au sein des collèges, la solidarité entre les membres étaient facilités par le mode de recrutement basé sur des critères géographiques pour les étudiants voir les maîtres : par nationalité, en fonction de la région du fondateur voir son village.

Un esprit de corps. Quelquefois, le port d’un vêtement de couleur marquait l’appartenance des boursiers à leur collège : rouge au Queen’s College, noir au Collège de Navarre. Un esprit de corps est aussi créé par la gestion collective du collège et le partage des responsabilités.

La vie au Collège. En dehors des études, les moments de détente ont leur place : jeux de carte, dés, échecs bien que cela ne soit pas très bien vu. Bien sur, on ne devait pas jouer de l’argent. Les fêtes urbaines attirent les étudiants mais ils organisent aussi des festivités au sein du collège comme des repas en la mémoire du fondateur.

La discipline. La discipline pose problème, l’insubordination des martinets à Paris, des chamberdeacons à Oxford ou encore les pseudo-étudiants qui dorment le jour et hantent tavernes et bordels la nuit. Les collèges mettent donc un point d’honneur à instaurer une règle de vie rythmée par la cloche qui marque les heures de repas, de messes, de prières, de couvre-feu. Les normes de bonne moralité sont omniprésentes :

- éviter les contacts avec les femmes- ne pas porter d’armes- ne pas suivre la mode- ne pas insulter les étudiants et les professeurs ni en propos ni en action.

Ces règles de bonnes conduites sont une question d’honneur et de paix sociale. Enfin, des exigences religieuses comme l’assiduité à la prière et la pratique de l’aumône.Les collèges ont donc joué un rôle formateur dans la promotion d’une discipline rigoureuse.

Les collèges ont aussi été des familles de substitution, les liens noués ne se défaisaient pas après le collège, créant de nouvelles solidarités et de nouveaux réseaux.

Au-delà de la culture savante, il est des formations pragmatiques.

1 8 Il fonde son collège en 1402.

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L’instruction à buts professionnelsL’exemple des marchands

Les marchands et les hommes d’affairesL’activité des marchands est à la source d’une production littéraire particulière en vue

d’instruire sur les besoins spécifiques de ceux-ci. En effet, leur métier associe en permanence écriture et calcul.

La pratique de l’écrit. Des manuels ont été écrits pour préparer au métier de marchand tel ce manuel de 1415 écrit en français. Au XIVe apparaît des traités d’arithmétique. S’il existe, cela signifie que les enfants avaient reçues une instruction élémentaire.En outre, les marchands maniaient quotidiennement l’écriture au travers de livres de dettes et d’avoirs, de recettes et de dépenses, de contrats, de correspondances, etc... Tous savaient donc lire et écrire.

L’instruction des marchands. Les marchands recevaient une instruction dépassant les besoins de la profession et distincte de celle dispensée aux clercs. Ils ont recours à des précepteurs qui dispense un enseignement laïc propre aux marchands.Au premier niveau (avant 10 ans) : l’instruction est claire, rapide.Au deuxième niveau (10 - 14/15) : l’instruction s’axe sur l’apprentissage du calcul19 , sur l’apprentissage des outils du marchands: abaques et systèmes de calcul.La pratique des langues reposent encore sur le latin mais les dictionnaires se développent. L’apprentissage des langues étrangères se fait sur le tard lors de voyages à l’étranger.

Les manuels de commerceÀ la croisée de l’instruction et de l’exercice de leur métier, le monde des marchands à

donner naissance à un genre littéraire qui lui est propre : l’ars mercatoria ou traité de marchandise dès le XIIIe en Italie et après les années 1470 en pays germaniques.

Ce sont des guides commerciaux qui énumèrent les places commerciales, les routes, les distances, les prix des transports, les impôts, les marchandises, les monnaies.

La culture marchande est riche et originale car restant enracinée dans la tradition par la présence du latin bien qu’elle face place aux langues étrangères, au calcul, à la connaissance des pays étrangers.

1 9 Si les chiffres arabes se diffusent au XIIIe, les marchands utilisent encore les chiffres romains.

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Cultures et Éducations religieusesLes modalités urbaines de leur transmission et de leur réception

Au-delà des manuels d’éducation, des images, de l’art, le message et l’instruction qui sont accessibles au plus grand nombre sont ceux que dispense le prédicateur, dans la rue, sur le parvis, dans l’église. C’est là une activité qui rassemble les habitants des villes autour d’une parole et dont l’enjeu est le salut. Par prédication on entend tout ce qui concerne la transmission par la parole du message chrétien en dehors du texte canonique. C’est le moyen de communication le plus développé et surtout le plus efficace pour modeler le comportement des auditeurs souvent illiterati ie non savants ou ne sachant pas le latin.

Au XIIIe, la prédication devient populaire et plus seulement réservée aux clercs. Le sermon devient le moyen de base de l’instruction des laïcs en leur enseignant la vrai religion en opposition aux hérésies et aux superstitions.

Le métier de prédicateur

1. Qui a le droit de prêcher ?Pour Innocent III, il faut être envoyer, avoir reçu l’agrément de l’institution ecclésiale. La

prédication devient rapidement une fonction spécifiquement cléricale. Pour prêcher, il faut donc l’autorisation de l’évêque. Les curés prêchent dans leur paroisse mais ne peuvent au dehors qu’avec une autorisation. Les clercs n’ont cependant pas le monopole, certains laïcs peuvent l’obtenir tel François d’Assise.

Un corps de prédicateurs spécialisé se met en place dans les grandes villes. À Paris, on compte en 1273 61 prédicateurs. Il faut noter aussi le rôle des séculiers servis par leur formation universitaire tel Robert de Sorbon qui voulait créer une école de prédication.

2. L’essor du rôle des ordres mendiantsLa prédication n’est plus le monopole des curés et évêques, au XIIIe, elle est surtout menée

par les frères mendiants, Franciscains et Dominicains.On assiste également à une professionnalisation : les prédicateurs mendiants préparent leur

métier dans les studia qui se créent au sein des couvents : un studium préparatoire ar couvent et deux sutdia par province. Les dominicains sont les premiers à considérer qu’un bon enseignement théologique (3 ans) est essentiel.Les Ordres mendiants installent progressivement un réseau de studia soit à côtés soit aux seins des universités ce qui ne va pas sans querelles de natures administratives.Querelles aussi avec les curés qui perçoivent les mendiants comme des concurrents directs. Pour régler ce problème, la bulle super cathedram de Boniface VIII en 1300 et le concil de Vienne de 1311/1312 décident que Franciscains et Dominicains ne peuvent prêcher que dans leurs églises, sur les places publiques en dehors des heures retenues par le clergé local et dans les églises paroissiales avec l’autorisation du curé.

L’itinérance caractérise la plupart des prédicateurs tel Vincent Ferrier qui entre 1399 et 1419 sillonne l’Espagne, la France du sud et l’Italie du nord.

Si au début, ils sont soutenus financièrement par l’institution ecclésiale et leurs ordres, à partir de 1420, les villes commencent à rétribuer le prédicateur plus ou moins régulièrement tel Vincent Ferrier à Moulins.

La multiplication des prédicateurs entraînent une “cacophonie” (Bromyard) des paroles. Au milieu de tant de discours, les techniques se renouvellent : le sermon se théâtralise aux XIVe - XVe.

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Le sermon

1. Sa structureÀ partir du XIIe, les sermons se spécialisent selon les fêtes liturgiques (ad tempore), des saints,

des événements comme les obsèques. Certains sont constitués de commentaires bibliques, d’autres se spécialisent en fonction du public visé (les femmes, les bourgeois, les malades, ... ), ce sont des sermons ad status. La prédication est difficile car le prédicateur s’adresse à un auditoire dont l’univers mental est différent du sien. Les prêcheurs s’adaptent donc à leur auditoire.

Les mendiants ont mis en place un système simple de règles rhétoriques pour le sermon :Un thème ie une citation scripturaire qui sert de point de départ. Une interprétation du sens du passage : rationes et la citation de nombreuses auctoritas. Une illustration par l’exemple (exemplum) qui sert de morale finale au message. Historiettes dans lesquelles le bien et le mal sont mis en balance. L’exemplum a trois sens : modèle de comportement et de vertu, une citation, un type de récit employé pour persuader.Jacques Le Goff définit l’exemplum comme étant un “récit bref donné comme véridique et destiné à être inséré dans un discours pour convaincre un auditoire par une leçon salutaire.”Ces exempla sont tirés de la culture la plus commune et aident à étudier les croyances délivrées aux fidèles et aux laïcs.

2. La langue de la prédicationPrêcher en langue vulgaire est devenu très tôt une nécessité, c’était la seule façon pour le

peuple d’accéder à la Bible. Cette prédication constitue un élément essentiel de la culture médiévale.À partir du XIVe - XVe, la langue vernaculaire devient de plus en plus la règle. Par ailleurs, latin et langue vulgaire sont associés. Il faut signaler l’influence majeure des mendiants dans le développement de la prédication en langue vulgaire.Enfin, les prédicateurs se faisaient parfois accompagner d’interprètes.

L’auditoire et le lieuLe lieu privilégié est l’église paroissiale. Dès le XIIIe, les chaires mobiles apparaissent puis

fixer à un pilier. La cathédrale et son parvis, les chapelles des couvents mais aussi les halles, les places, les cimetières sont utilisés pour prêcher.

L’auditoire était trié dans le cadre des chapelles royales ou des sermons universitaires. Généralement le public restait debout ou bien assis par terre.Le sermon était court généralement (10 m) mais parfois plus (1h) dans les grandes occasions.On assiste donc à une extériorisation de la piété qui joue de la terreur et d’une certaine familiarité.Les sermons sont un moyen privilégié d’accès des laïcs en ville à la connaissance religieuse : le dogme et l’Écriture, le bon et le mauvais comportement, une vision du monde et de son histoire, les modèles à suivre.Le sermon est à l’intersection de la culture savante et de la culture populaire, façonnant les mentalités et la pensée globale d’une société.

Les sociétés urbaines ont accès à une culture plurielle, en sont le public mais aussi, pour certains, les décideurs. La culture est un enjeu et un instrument du pouvoir.

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Fiscalités dans les villesBibliographie :

- FAVIER J., Finance et fiscalité au bas Moyen Âge, CDU-SEDES, Paris, 1971- RIGAUDIERE A., L’assiette de l’impôt direct à la fin du XIVe s., PUF, Paris, 1977- RIGAUDIERE A., Gouverner la ville au Moyen Âge, 1993 - RIGAUDIERE A., Penser et construire l’Etat dans la France du MA, 2004- MENJOT D., SANCHEZ MARTINEZ, La fiscalité des villes au Moyen Âge (France méridionale, Catalogne et Castille), Privat, Toulouse, 2004- MENJOT D., RIGAUDIERE A. et SANCHEZ MARTINEZ M. (sous la dir.), L’impôt dans les villes de l’Occident méditerranéen XIIIe – XVe s., Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2005

Trois types d’impositions : - Un impôt que les villes lèvent par autorisation royale/seigneuriale.- Un impôt que les princes territoriaux lèvent.- Un impôt que l’État lève sur la population urbaine.

Deux modes d’impositions : - Imposition directe- Imposition indirecte

Quelle est l’articulation entre fiscalité urbaine et royale ? Quelle assiette ? Quelle évaluation des biens ? Comment est géré la levée fiscale : directement, par affermage ? Comment l’impôt est-il redistribué ? Comment l’impôt est-il ressenti par les populations ?

L’impôt est un enjeu politique, stratégique qui repose sur des fondements idéologiques, l’impôt est un instrument de domination pour maintenir la paix sociale, pour maintenir le pouvoir économique. L’impôt est le lieu d’un échange permanent entre les pouvoirs.

Les ressources fiscales des villesLes villes peuvent disposer de deux ou trois types de ressources fiscales auxquelles peuvent

s’ajouter des expédients. Bien sur la diversité est la règle la plus absolue.

Les ressources traditionnelles

1. Le proprio (propre) de la villeCe sont les ressources anciennes, traditionnelles de la ville qui proviennent des rentes

seigneuriales dont elle a obtenu la levée soit par délégation soit par usurpation. La ville les prélève sur son domaine public sous la forme de cens, de loyers, de droits de monnayage sur les appareils municipaux, etc. Ce sont des rentes de faible rapport.

S’y ajoute le profit qu’elle tire de son action judiciaire son la forme d’amende, de confiscation de biens, etc. Cette récupération des rentes seigneuriales fut précoce en Italie

Ces droits sur les biens patrimoniaux suffisaient pour couvrir les dépenses de certaines villes (telle la petite ville de Pérouse). En Castille au XIIIe, c’est le Roi qui a délégué aux villes les droits de péages, les impôts fonciers, le patrimoine immobilier, le cens, le droit sur les partages, ...

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Le proprio jouait un rôle fiscal dans les villes moyennes.

2. Les taxes commercialesElles sont plus que nécessaire pour les grandes villes. Ces taxes les plus rentables prennent la

forme de taxes sur la production, sur la circulation (sur les charrettes, les bêtes de somme, etc.) ou la commercialisation des produits. Elles sont là encore héritées de droit seigneuriaux (aides, accises, etc.). La variété de ces taxes est infinie.À la fin du XIIe, la circulation et la consommation sont en très net progrès, ces taxes sont donc de très bon rapport, malgré les abus qui sont sources d’innombrables procès. Il arrive aussi que le Roi abandonne aux villes des taxes telle la gabelle en France à charge de revanche, la ville devant allouer les rentrés d’argent à des charges précises, déterminées par le Roi.

En Castille, les impôts indirects sont une sources très importantes pour les villes (par ex. :Burgos). Le Roi a cédé ses droits telle l’alcobale et tout un panel de taxes indirects.

La circulation, les échanges, le courtage, le mesurage, etc. sont des sources de revenus pour les villes. Les villes ne taxent pas tous les produits au même moment et durant une même durée. Les taxes ne portent que sur les produits les plus consommés en fonction de la saison, tel le vin, la viande, le poisson. Par contre, le grain n’est pas taxé car il est essentiel pour la survie.

Dans les grandes villes, les droits commerciaux représentent les 3/4 des entrées fiscales si bien qu’au XIVe, voir au XVe, certaines villes renoncent à tous les impôts directs pour conserver les seuls impôts indirects.Les villes de l’occident médiévale si elles doivent faire face à un gros impôt (réclamé par exemple pour une rançon) ont le réflexe de créer un nouvel impôt indirect.

Les taux de prélèvement s’ils varient sont parfois fixes, mais souvent indexer sur la valeur réelle du produit à hauteur de 12 à 17% de la valeur (à noter que la valeur marchande est en hausse au long de la période). Ces impôts indirects sont considérés comme injustes, car ils s’ajoutent aux taxes urbaines et aux taxes royales, se répercutant lourdement sur les plus modestes.

Les prélèvements directs

1. Types de levées ; définitions et destinationsLes prélèvements directs portent sur les biens, sur les revenus des personnes ou sur les

personnes elles mêmes. En France, la taille , le fouage20 .Là encore, il s’agit au départ d’une concession royale, concession à titre exceptionnel

autorisant la ville à lever des impôts directs sur tout ou partie de ses citoyens pour financer un intérêt collectif, l’impôt direct est justifié le plus souvent par la défense de la ville.

Ces impôts directs peuvent être levés par la ville à son propre profit, pour ses dépenses internes sans avoir à demander l’autorisation du Roi jusqu’à une certaine somme.Mais le plus souvent, l’impôt est prélevé au nom du Roi pour financer les armées royales, pour payer la rançon du Roi, etc. Ils portent alors le nom de subside ou d’aide (France).

L’impôt direct est bien souvent détourné par la ville. Ainsi Barcelone entre 1320 et 1330 perçoit 25 mille Livres d’impôts dont seulement 5 mille partent pour le Roi. Les villes

2 0 Impôt direct réparti par feu pour aider le roi à supporter ses dépenses notamment militaire. Cet impôt de quotité qui frappait au début du XIVe les feux réels (famille) devint progressivement un impôt de répartition. Le montant global était du par élection était alors réparti entre les diverses paroisses puis au sein de chaque paroisse entre les différents feux n fonction de la faculté contributive estimée de chacun.

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lorsqu’elles doivent lever une taille royale prennent une marge sur la taxe qu’elle lève.

Impôt de quotité ou de répartition ? L’impôt de quotité : prélèvement fixée dès le départ que tout le monde paye une même somme ou qu’il y ait un barème de réajustement tenant compte de la valeur du patrimoine de chaque contribuable. Le fouage est le type même de l’impôt de quotité. Dans un impôt de quotité, les autorités ne peuvent nullement savoir le montant qu’elles récolteront.L’impôt de répartition : une levée dont le montant final est fixé à l’avance. Il s’agit surtout des levées effectuées pour les subsides royaux. Il reste donc à répartir la somme soit de façon égalitaire soit en fonction du patrimoine de chacun selon l’adage le fort porte le faible. La somme globale fait toujours l’objet de négociation, parfois au cas par cas. La taille est l’exemple même d’un impôt de répartition.

2. Des impôts directs inégalement répartis dans l’espaceLes impôts ne sont pas répartis équitablement entre les habitants de la ville et son arrière-

pays, la ville fait en effet payer l’ensemble des personnes sous sont autorités : citadins comme paysans de l’arrière pays, ces derniers étant généralement frappés d’un impôt plus important. C’est particulièrement le cas en Italie. De plus cette forte taxation directe est un moyen pour la ville de marquer son autorité et sa domination sur l’arrière-pays. Cet impôt frappant le monde rural est d’autant plus lourd que ce milieu vit sur une très forte autoconsommation.Ces particulièrement le cas sur les contadi italiens que les villes imposent lourdement.

En fait, il y a une logique à privilégier les impôts indirects en ville et les impôts directs en campagne : étant donné la forte autoconsommation des campagnes, un impôt indirect n’y aurait été n’y auraient pas été rentable. D’autre part, l’impôt direct n’est pas tellement plus “démocratique”, en fait il montre surtout que les dirigeants qui en font le choix ne veulent pas paralyser un commerce déjà lourdement grevé par les taxes royales.

L’impôt direct, s’il représente une part importante des recettes fiscales dans les villes moyennes, est en revanche marginal dans les grosses villes : Florence, c’est complètement passée de taxe directe. À Sienne, l’impôt direct est moins rentable que les gabelles (taxes commerciales), l’impôt direct n’alimente donc les finances que de façon marginale (entre 5 et 10%).

Les expédients : crédits et emprunts forcésLes expédients sont en théorie exceptionnels mais ils prolifèrent : plutôt que de créer une

nouvelle taxe, les villes préfèrent s’endetter. C’est le cas en Italie et en Catalogne.

En Italie, les Caisses, les Chambres, etc. à Pise, Venise, Florence, etc. traduisent ce recours à l’emprunt : la ville empruntant une somme puis la remboursant sur ses recettes ordinaires soit aux prêteurs initiaux soit aux personnes ayant racheté le prêt.

Toutes les créances font l’objet de négociation : durant la contraction du prêt et avant le remboursement. La dette est flottante21 tant que la ville rembourse dans un délais raisonnable. Si la ville doit contracter un nouvel emprunt alors que l’autre n’est pas encore remboursé, la ville vivant à crédit, la dette devient consolidée22 . Certaines villes vivent totalement à crédit. Ainsi Gènes à la fin des années 1330 a accumulé un total de 3 millions de Livres de dettes alors que le montant annuel de ses recettes est de 200 000 Livres. La ville négocie alors en permanence avec ses créanciers en avançant la menace de

2 1 dette flottante : dette à court terme, remboursée avec les intérêts au terme d’une échéance.2 2 dette consolidée : dette à long terme, remboursée progressivement par un versement régulier.

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faire faillite. La dette est alors réévaluer, le taux d’intérêt uniformisé en les différents créanciers, modifié, etc...

Mais la dette atteint parfois de tel montant, que la ville pour sortir de ce gouffre se voit contrainte de créer des Caisses de remboursement ou “monts” (à Venise23 , à Florence24 , etc...) qui perçoivent les ressources affectés à la dette et versent les intérêts aux banques.Ces caisses sont contrôlées par les élites financières qui par là décident des choix politiques de la ville, les caisses deviennent de véritables États dans l’État.Et si la situation se dégrade trop, la ville doit faire faillite. D’ailleurs, la situation est devenue tellement insoutenable dans la seconde moitié du XIVe que sous la menace d’une faillite, les banquiers ont du accepter de passer de 10% à 5% d’intérêt voir moins. Le faible rapport de ces caisses explique que les patriciens italiens se soient résolus à repasser partout à l’impôt direct.

En Catalogne, l’autre terre d’élection de la dette publique, Barcelone vend des censals dès 1340, contre une somme d’argent, la ville cède aux particuliers des rentes annelles, perpétuelles garanties sur les propriétés immobilières ou les rentrées fiscales. Les impôts municipaux semblent ici avoir été créé dans le seul but de gager ces rentes.

Puis Barcelone a été imité. On distingue deux types de censals :- Les censals morts, la rente perpétuelle dont l’intérêt est de 7,12 %. - Les censals violaris dont l’engagement est moins long (2 vies humaines) mais l’intérêt versé est de 14,24 %.Si la ville peut théoriquement racheter à tous moments ces prêts, elle n’en a jamais les moyens. Comme ces rentes sont négociables, ce sont les riches bourgeois de Barcelone qui ont vite racheté ces titres et les rentes ce sont donc retrouvées concentrés entre les mains de quelques riches honrats qui ont souvent délaissé l’activité du grand commerce au profit de ces rentes sans risques.

Dans ces conditions, les villes durent créer de nouvelles taxes, vendre de nouveaux censals, etc. Elles ne pouvaient donc à terme que faire faillite.

Les procédures d’impositions et de répartitions Les taxes indirectes sont traditionnelles donc facile à mettre en œuvre d’autant plus qu’elles

sont prélevées à des points de passage obligés (ponts, entrées dans les villes, sur les marchés, etc.).

Par contre, l’impôt direct est plus délicat et donne lieu à de nombreuses stratégies. Comment déterminer les contribuables ? Comment déterminer le barème ?

Contribuables et exemptésTous ne sont pas égaux face à l’impôt : autochtones ou étrangers ; citadins ou ruraux ;

clercs, nobles ou bourgeois tous n’ont pas le même statut fiscal. Parfois cette inégalité est proclamé, alors que d’autre fois, c’est l’égalité qui est proclamé alors que dans les faits, l’inégalité est criante. La principale inégalité face à l’impôt concerne l’existence de catégories exemptées que cela soit en droit ou en fait.

Des clercs et des nobles exemptés en théorie, contribuables dans les faits. Si en théorie les clercs25 et les

2 3 La Cameri degli Imprestiti en 1340 puis d’autres sont créées, rassemblées en 1407 en Compere ou Casa di San Giorgio.2 4 Le Monte comune en 1343-47.2 5 Exemptés car ils servent Dieu et payent le Pape.

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nobles26 ne payent pas l’impôt, ils sont en réalités assujettis à des impôts mais qui souvent échappe à l’autorité communale.

Les clercs doivent verser les décimes au Pape. Mais ceux-ci sont reversés au Roi de France dès 1190 (sous prétexte de financer les croisade) et au Roi de Castille dès le XIIIe (le tiers de la dîme). Mais cet argent échappe aux autorités municipales. De plus si les clercs ne payent pas les impôts directs, mais certains (moines, chanoines) se font exemptés de certaines taxes indirectes sur les transactions.

Mais les villes essayent de soumettre progressivement ces populations à l’impôt général. Dans les villes italiennes, nobles et clercs, dans un contexte hostile à l’aristocratie, voient leurs exemptions réduites. Ils sont donc imposé sur les biens qu’ils possèdent en ville mais aussi les biens fonciers qu’ils possèdent dans l’arrière pays et ce pour financer la construction de muraille, de pont, ...Il en va de même en France, Philippe le Bel et ses successeurs ont essayé d’imposer les nobles en 1302, 1347, en 1357, mais face à la virulente opposition, le roi a du reconnaître en 1360 le droit d’exemption des nobles. En Castille, Alphonse X oblige les nobles à payer les tailles royales. En Castille, comme tout le monde participe à la guerre, personne ne peut se targuer de payer l’impôt du sang. Mais ces décisions ont des répercussions, les nobles obtiennent des droits au niveau national. Les clercs, les nobles et les autorités se livrent à une guerre d’usure.

De nouveaux exemptés. De façon coutumière, tous les propriétaires fonciers, quels qu’ils soient, avaient le droit de faire

rentrer en ville tout ce qui était destiné à leur consommation particulière sans payer de taxe. Certaines professions tels les bouchers parviennent eux aussi à se faire octroyer des quotas détaxés au motif de leur consommation personnelle.

Partout, une multitude d’officiers municipaux, de notaires, etc. obtiennent du roi des exemptions surtout pour les impôts indirects.

Dans les années 1380, les officiers royaux obtiennent des détaxes sur les produits destinés à leur consommation propre, étudiants et universitaires obtiennent eux aussi le même privilège. Certains se livrent donc à une activité de revente organisée. De même en ce qui concerne les impôts directs, officiers royaux, universitaires, etc... parviennent à obtenir à la fin du XIVe une exemption de fait.

En contrepartie, le Roi leur impose bien souvent des emprunts forcés qui ne sont pas toujours remboursés. Finalement, ils s’acquittent de l’impôt mais par un autre biais.

Nombre de roturier parviennent donc à être exempté d’une façon ou d’une autre. Mais à ce petit jeu des exemptions, les villes, notamment Paris, sont les grandes perdantes.

Les exemptés par pauvreté.Exemptés, les pauvres (nihil habentes, ceux qui ne possèdent rien), les vieillards, les veuves,

les petits artisans, les infirmes, etc. Mais au cours du XIVe en raison des crises économiques et de l’effondrement

démographique, pour éviter une hémorragie fiscale, les feux miséreux sont regroupés en un feux fiscal devenu alors solvable.

L’Assiette de l’impôt

1. Stratégies initiales- Quelle sera l’assiette de l’impôt ? C’est à dire quel objet imposer ? L’individu ie la “tête” ou alors le foyer fiscal ie le feu ? La différence peut être importante en cas de frérèche. Mais la cellule

2 6 Exemptés car ils payent l’impôt du sang.

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familiale en ville étant plutôt nucléaire, la différence est minime et les autorités optent le plus souvent pour une imposition des feux.- Comment recenser les feux ? Avec les personnes ou les biens ? Les villes disposent en cette matière un savoir faire. Si à l’échelle d’une nation, la tâche est impossible, en ce concerne les villes, il en va tout autrement et celles-ci disposent des connaissances requises à la mise en place d’un recensement.- Impôt différencié ou indifférencié ? Doit-on tenir compte ou pas de la fortune réelle du foyer pour déterminer le montant à payer ?

- Le système de l’impôt de quotité à quotité indifférencié fut le premier système mis en place, il était pratiqué dans les villes italiennes jusqu’au XIIe sous le nom de libra. De même en Castille, mais le système a parfois perduré dans certains endroits jusqu’au XVe. Mais ce système trop générateur de révoltes fut vite abandonné au profit d’un autre système.

- L’impôt de quotité à quotité différencié a été mis en place un peu partout en Europe pour corrigé les défauts du système précédent en introduisant une dose de proportionnalité. Mais les problèmes ne disparaissent pas pour autant, qu’est ce qui va rentrer en compte dans l’évaluation de la fortune ?

2. Recenser les contribuables et leurs biensLes villes vont donc établir des registres comptabilisant les biens des personnes et leur

valeur globale estimée. Ces registres sont nommés estimes, vaillant ou “nommées” à Lyon, estimo et catasto en Italie, etc. Là encore l’Italie a montré la voie : on en connaît à Pise dès 1162 à Sienne en 1168, etc. Les premiers registres italiens étaient assez fantaisistes : il n’y a aucune indication du capital ou du revenu de chaque foyer, juste une valeur globale estimée en fonction de la réputation de chacun et bien sur de ce que la ville veut collecter.

Modalités de l’élaboration. Ces recensements se font pour la plus part sur la base d’une déclaration publique orale, voir écrite, sous serment des contribuables, auto estimant leurs biens et leurs revenus. Le recensement est plus rarement effectué par des enquêtes d’officiers municipaux.

Éléments de la fortune. On assiste à un perfectionnement des techniques et désormais est détaillé les divers éléments de la fortune : avoirs fonciers, avoirs mobiliers, rentes, loyers, revenus commerciaux et artisanaux, dettes, créances, personnes à charge, etc. Mais attention, ce qui est surtout mis en avant, ce sont les biens fonciers dont la valeur marchande est la plus aisée à saisir. En outre, les revenus financiers ne sont en général pas du tout pris en compte.

Les contre-enquêtes. Lorsque l’estimation est laissée à l’appréciation du contribuable, la tendance générale est, bien évidemment, à la sous évaluation du patrimoine. Mais après la déclaration, les autorités procèdent à des vérifications, à des contre-enquêtes. En cas de fausses déclarations, les contrevenants sont taxés au plus fort taux. Généralement, les enquêtes interviennent après plainte.

Révision du registre. La révision périodique du registre dépend de l’évolution démographique, économique et politique. Mais généralement elles sont rares. À Bologne, 1230 - 1296. À Séville, 20 ans entre 2 révision. Ces recensements étaient coûteux et les révisions arbitraires, liées aux évolutions politiques. D’autre part, les contribuables étaient bien souvent opposés à l’idée d’une révision et d’une nouvelle estimation.

3. Les cadastres ou confrontsOn assiste aussi au cours de la période à la création d’un nouveau système : l’inscription

dans l’espace du patrimoine, quartier par quartier avec l’enregistrement des confronts. Ainsi les autorités disposent d’une image plus précise des patrimoines et peuvent donc effectuer des vérifications plus fines.

Ainsi à Florence en 1427, on ajoute aux registres la mention des confronts et du quartier, si l’évolution est sommaire et l’enregistrement se fait toujours quartier par quartier, l’évolution

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est là.En France, le cadastre inventorie les biens selon un ordre topographique. Ce nouveau

système apparaît dans la seconde moitié du XVe.

L’allivrement2 7

1. Le calcul de la base fiscale.Une opération mathématique est faite par les allivrateurs, il s’agit de réduire la valeur du

patrimoine à une somme exprimée en livres. Cette somme va servir de base imposable et c’est sur elle que les gens vont être imposé.

Chacun est examiné individuellement et bénéficie d’un abattement variable qui dépend de choix locaux, de politique locale. Le plus souvent, c’est à la tête du client, en fonction du résultat des négociations menées par le contribuable. Ce système favorise bien sur les magouilles et le clientélisme car il existe une solidarité politique et sociale entre ceux qui fixent l’impôt et les groupes dominants.

Les estimateurs doivent fixer un seuil minimum en dessous duquel le patrimoine allivré n’est pas susceptible d’être imposé. Bien sur ce seuil varie en fonction des événements, des épidémies, des personnes.

Les fraudes sont nombreuses et la ville, lorsqu’elle en a la volonté, peut mener des enquêtes sur la base des précédents registres. Le système est occulte, arbitraire et il réduit parfois à néant la contribution des plus riches.

2. Le barème d’impositionAprès le calcul de base, il faut déterminer des échelles d’allivrement. En principe dans la

plupart des villes, le système est fait en sorte que la contribution est proportionnel au nombre de livre d’allivrement. Mais la réalité est plus complexe, surtout si les contribuables sont classés par tranche. On a donc deux système, un à barème progressif et l’autre dégressif.

Dans un barème progressif, aux échelles sont associées une somme dont la part sur le revenu du contribuable est croissante. Ainsi en bas de l’échelle, on paiera moins (par ex. : 1%) qu’en haut (par ex. : 5%).

Dans un barème dégressif, aux échelles sont associés une somme dont la part sur le revenu du contribuable est décroissante. Tel à Montpellier où au bas de l’échelle par ex. on paiera 25 livres soit 1%, mais au sommet on paiera 500 livres soit 0,5%. Les riches payent proportionnellement moins que les pauvres.

Mais on trouve également des systèmes d’égalisation au plafond supérieur. C’est un système mixte à la fois par quotité et répartition dans lequel on fixe au préalable un plafond maximum au-delà duquel les biens ne seront plus taxés, c’est le cas à Séville. Après avoir fixer le plafond, elle détermine le minimum et répartit entre chaque tranche le montant à acquitter en fonction du montant total qu’elle souhaite collecter. L’avantage de ce système est qu’il n’y a pas besoin de déterminer très précisément la fortune de chacun.

2 7 Opération d’ajustement du montant de l’impôt intervenant avant son calcul par déduction des charges du capital et par abattement sur la base du montant brut des biens et des revenus imposables, selon un coefficient tenant compte de la nature du patrimoine et exceptionnellement de la situation de la personne imposée.

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Lever l’impôt

Régie directe ou affermage

1. Régie directeDes agents de la ville, nommés ou élus au sein du conseil, voir des officiers municipaux

lèvent les taxes en faisant du porte à porte. Souvent se sont les mêmes qui ont été chargés auparavant de faire l’enquête et l’allivrement. En Italie, les personnes ayant payés sont enregistrées sur le registre, les italiens ont mis au point une bureaucratie fiscale plus poussée.Comme receveur, les autorités essayent de choisir des hommes neutres, ne pouvant être critiqué tels les ordres mendiants.

Bien que le système soit rôdé, l’impôt rapporte toujours moins que ce qui était prévu, lorsque l’on atteint entre 20 et 40% du montant prévu, c’est bien ! Ceci est du aux évasions fiscales, aux réticences à payer, etc. De plus une levée fiscale, c’est long (parfois 2 ou 3 ans).

La régie directe n’est donc pas très rentable. La ville a donc deux solutions : le crédit ou l’affermage.

2. L’affermageEn Italie et ailleurs, les taxes indirectes (gabelles it.) sont affermées à un fermier. La

détermination du fermier (un financier, un groupement, une banque, etc.) se fait par enchère publique : en fonction de ce qui a été collecté précédemment, les divers prétendants annoncent la somme qu’ils verseront aux autorités afin d’obtenir ce marché public. Il existe bien sur de nombreuses malversations pour obtenir ce juteux marché.

Le fermier une fois déterminé verse alors en une fois ou en plusieurs échéance la somme promise. Tandis que les agents de ce consortium commence la levée des diverses taxes. Les fermiers collectent bien sûr plus de fonds que ce qu’ils n’en donnent à la ville, c’est un commerce des plus rentables.

L’intérêt pour la ville est que l’argent rentre plus vite et que c’est une source de fond sûre. Mais ce système est propice aux magouilles et autres malversations. D’autant plus que les fermiers ne cessent de se plaindre et de négocier à la baisse la somme qu’ils doivent acquitter. Sans compter les problèmes que cela génère avec les contribuables, les fermiers étant on ne peut plus zélés sur la collecte.

A quoi sert l’impôt urbain ?Il y a bien sur une diversité d’utilisation. Les taxes peuvent être affectées ou non à une

dépense spécifique.L’effort de guerre vient bien sur en premier lieu que cela soit des subsides destinés au roi ou

des subsides levées par la ville pour financer l’équipement d’une milice, la construction ou l’entretien des murailles, le paiement des hommes, l’achats de matériel de guerre, d’arcs, d’arbalètes et même les premières armes à feux à la fin de la période, etc., etc.Ainsi à Florence en 1336 - 1338, c’est la quasi totalité des impôts qui est affectée à l’effort militaire.

Le paiement des officiers municipaux et les dépenses courantes viennent ensuite : gages du maire, représentants, ambassadeurs, juristes, etc. de plus s’ils doivent se déplacer, il faut leur payer les frais de voyage, de logement et bien sur des fonds pour faciliter l’accès à certaines places, etc.

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Bref la bureaucratie municipale dans son propre fonctionnement et dans ses relations horizontales et verticales avec les autres est génératrice de frais.

Il faut aussi ajouter à ces frais, ceux générés par les bâtiments publics : réparation du clocher, du beffroi, du palais, travaux publics, etc. Bref des imprévus qu’il faut financer.

Et dans bien des villes, un très lourd poste budgétaire est le service de la dette..

Il faudrait là revenir sur la pression fiscale réelle et ressentie par les citadins et les dépendants de l’arrière pays. Était-elle tellement insupportable au point de déclencher les émeutes urbaines du XIVe ?

En fait, il est difficile de se prononcer globalement sur le poids de la pression fiscale puisque de très nombreux impôts se chevauchent : directs et indirects, communaux, seigneuriaux et royaux, etc. et que chacun d’eux pris séparément ne représente pas une pression fiscale énorme.Ainsi à Florence, l’impôt direct est estimé à 3% des revenus en 1290 et 5% en 1338. Il faut cependant nuancer en précisant qu’il n’est qu’une toute petite partie des prélèvements.

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La Ville : lieu de Production, de Consommation et d’Échanges

Les villes débordent d’activités, le visiteur ne peut être que frappé par l’omniprésence des boutiques et des ateliers. À Sienne, on dénombre 133 boutiques et échoppes au XVIe.

L’activité de production artisanale ou proto-industrielle n’est spécifiquement urbaine, de même les échanges ne se limitent pas aux seules villes. Mais la ville concentre et réunit un tel nombre de producteurs, de consommateurs, de redistributeurs, que l’on peut affirmer que les activités de production et d’échanges sont la première activité urbaine en nombre de personnes qui en vivent. Chacune unité de production, d’échanges, ne regroupe que quelques personnes, au mieux une dizaine de personnes. À Florence, sur 90 000 habitants, environ 30 000 hommes et femmes étaient engagés dans la production lainière.

La question de la ville comme centre de production et d’échange peut donner lieu à deux angles d’approche : l’une technique et économique (ce cours) et l’autre social et politique (le suivant). Nous développerons donc les activités artisanales, portuaires, commerciales, leur développement, leur implantation topographique, les conséquences de leur présence en ville.

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Typologie des activités artisanalesL’éventail des activités urbaines dépend de nombreux facteurs comme la taille de la ville ou

les orientations prioritaires prises au détriment d’autres. La hiérarchie des arts peut donner une indication des types d’activités urbaines, mais n’étant identique dans toutes les villes, on choisira plutôt de les classer selon deux critères :D’abord un critère numérique en fonction de la plus ou moins grande présence.Ensuite en fonction des besoins auxquelles elles répondent (vitaux ou secondaire).

Bien sur, ces deux critères se chevauchent.

Les métiers omniprésents, liés à la couverture des besoins élémentairesLes activités de production et d’échange liées aux besoins quotidiens se retrouvent dans

toutes les villes d’occident indépendamment de leurs tailles.Ces besoins vitaux sont se loger, se nourrir et se vêtir.Si en campagne, ils sont couverts par une auto production, en ville, on assiste à une division et une spécialisation du travail qui touche donc les métiers de la construction et de l’équipement domestique courant, les métiers de l’alimentation, les métiers du vêtement hors draperie de laine.

11 %27,7 %

37 %39 %

Construction

Textile

12 %33,23 %Alimentation

Bruges en 1340Pise en 1228Métiers

1. Les métiers de l’alimentationa. Le secteur de la production alimentaire n’est nullement absent des villes, celles-ci abritent en leurs murs une production : champs et vignes surtout en zones périurbaines et dans la banlieue immédiate, une ceinture maraîchère. Sur les fleuves, outre les roues de moulin à eau, des pêcheriesOn trouve aussi dans les villes un petit élevage domestique : volailles, chèvres ou brebis pour le laitage et surtout des porcs. Les statuts urbains essayent d’endiguer les divagations de ce petit bétail.À Troye, au XVe, 15 % des habitants sont jardiniers, laboureurs, brassiers, faneurs. À Toulouse, 25 % au XVe et à Aix 50 %. Cependant, plus la ville est grande, moins les activités rurales y occupent de monde. Mais l’idée à retenir est que même les villes moyennes ne peuvent pourvoir intégralement à leur subsistance que grâce à cette production d’appoint, une production familiale.

b. La ville doit donc faire venir l’essentiel de son ravitaillement : Soit de son arrière-pays pour ce qui est fruits, légumes, gibier, poisson, bétail de boucherie ;Soit de plus loin pour les grains et parfois le vin. Les régions qui ont très tôt misé sur la monoactivité industrielle (la draperie en Flandres) ou qui ont un arrière-pays peu productif doivent faire venir leurs grains de loin.

L’approvisionnement de la ville peut être le fait :Des petits producteurs paysans locaux qui vendent leurs denrées aux marchés hebdomadaires ;

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Soit plus souvent des grands marchands internationaux, des propriétaires citadins ayant investi dans le foncier rural. Ils contrôlent et choisissent les productions les plus rentables puis importent en ville les produits fermiers soit pour leur autoconsommation, soit surtout pour les revendre sur le marché urbain. Ils contrôlent ainsi toute la filière de la production à la vente et font les prix.

c. Les villes abritent aussi un secteur de transformation des produits agro-alimentaires bruts : moulins, meuniers, fours, entrepôts de stockage et d’affinage de sel, raffinage du sucre, pressoirs et caves à vin, abattoirs. Ces ateliers peuvent appartenir à des particuliers comme à des transformateurs professionnels.On trouve dans les villes nombre de vendeur alimentaire au détail, brut ou déjà transformés. Les colporteurs vendent non seulement des oublis (gâteaux) mais aussi des plats à emporter sur leur éventaire28 . À Londres, on trouvait sur les bords de la Tamise dès la fin du XIIe, une “cuisine publique”.

Il existe une certaine spécialisation alimentaire : marchands d’huile,de sel et de fromage ; fourniers (boulangers), marchands de vin et tavernier, hôteliers : métiers peu valorisant (à Florence ils font partis des arts mineurs). Les petits vendeurs de produits alimentaires sont plus ou moins désorganisés en fonction des villes.À l’opposé, certains métiers sont très bien considérés et peuvent conduire à la constitution de belle fortune. Tels les bouchers, art intermédiaire à Florence et qui sont à Paris parmi les plus fortunés des maîtres artisans. Cela est du notamment à la sensible augmentation de la consommation de viande de boucherie à partir de la fin du XIIIe. Ou encore, les épiciers, encore plus côté (Art majeur à Florence) vendent des épices extrêmement chères plus liées à la pharmacopée qu’à l’alimentation.

2. Les métiers liés à la construction de l’habitatLe secteur du bâtiment est l’un des plus gros employeurs de main d’oeuvre qu’il s’agisse de

construire, de réparer les murailles, les palais publics, les églises et couvents, les tours, les maisons, les ponts et aqueducs, les rues, etc. Le bâtiment au sens large emploie une foule d’artisans.

a. Les métiers du bois restent les plus important, menuisiers et charpentiers demeurent essentiels pour des villes où les constructions des particuliers sont encore pour l’essentiel en bois. Même pour les villes où la pierre et la brique ont une grande place, le bois d’oeuvre reste indispensable pour les charpentes, toitures et échafaudages.

Le défrichement étant bien avancé, le coût du bois est élevé. Par ailleurs, ces métiers assez techniques sont bien payés. À Florence, maçons et charpentiers réunis en un même métier appartiennent aux arts moyens.

b. Les métiers de la pierre. Si la pierre n’est pas le matériau dominant, elle est le matériau des belles constructions (palais, églises, hôtels seigneuriaux). Les villes emploies donc une myriade de tailleurs de pierre ou de marbre, de maçons, de plâtriers, de mortelliers, de carriers, de sculpteurs de bas-reliefs et d’inscriptions.

Dans les villes au passé antique, on réutilise la pierre des monuments antiques. Mais plus souvent, il faut tailler de nouvelles pierres dans des carrières.

Il y a aussi dans toutes les villes du sud, les métiers liés à la construction en adobe29 , en briques, en tuiles, en céramiques etc.L’argile est une matière premières abondante qui produit un matériau solide.

Enfin, les métiers de “finition” : couvreurs, vitriers, peintres, etc. s’ajoutent à ces métiers.Les rues et les places publiques bénéficient elles aussi de cette frénésie de l’aménagement

quand les villes en ont les moyens. Fin XIIIe, des paveurs commencent à remplacer les 2 8 Plateau tenu au cou par une courroie.2 9 Adobe :

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chemins boueux ou poussiéreux par des pavages de dalles, de briques.

c. Tous ces hommes constituent une main d’oeuvre flottante, en général peu qualifié et fortement hiérarchisé :- Les plus humbles sont les troupes mal payés de manœuvres et de voituriers.- Puis viennent les maçons, tailleurs de pierre, charpentiers - menuisiers etc.- Et en haut, les maîtres d'oeuvre, les architectes plus spécialisés nommé operarii.Au début du XIVe, en Italie, un maître d’oeuvre touche 8 sous par jour alors qu’un manœuvre touche 1 sous par semaine.Cette hiérarchie salariale est liée aussi à la place occupée au sein de l’organisation du métier.

3. Les métiers liés à l’habillement et à l’équipement personnel ou domestique

En dehors de la production quasi - industrielle de drap de laine, les villes offrent une large gamme de métiers liés à l’équipement de la maison et au vêtement, du plus modeste au plus coûteux.

a. L’équipement domestique, ce sont les productions de toute une gamme de petits métiers artisanaux, surtout des travailleurs du fer et du bois : Serruriers, taillandiers, chaudronniers, etc. (arts mineurs). Artisans du fer (arts moyen) : fondeurs de cloches, orfèvres, couteliers, etc.Pour le bois : fabricants de sabots, de meubles (coffres, tabourets, etc.)Les chantiers navals (Venise ou Séville) génèrent tout un artisanat : corderie, voilerie, fûts, tonneaux, tonnelets, etc. Il existe encore bien d’autres domaines tel le verre à Venise puis à Murano, l’argile (poteries, jarres, céramiques alimentaires), les parcheminiers, les cergiers30 , les fabricants de savon31 , les artisans du papier qui travaillent sur des fibres végétales ou des chiffons de récupérations (à noter, la mécanisation grâce au moulin à foulon a permis de fournir la quantité de papier nécessité par une nouvelle pratique du pouvoir), les fabricants de lunettes (fin XIIIe), fabricants d’horloges mécaniques, etc.

b. La production de pièce de tissu ordinaire est assez répandue dans tout l’occident notamment pour les matières premières tel le coton et le lin. Les futaines32 sont produits assez largement en Italie et vont l’objet d’un large commerce internationale, la production excédant les besoins des villes.C’est une production très ordinaire, commune mais qui dépasse souvent les besoins du marché local.

c. La production artisanale de vêtement est très répandue au Moyen Âge même si les femmes fabriquent aussi à domicile des vêtements (chemises, linge de corps, ceintures, bourses, etc.). Ces métiers sont très dispersés et souvent hiérarchisés. Ainsi à Florence, les tanneurs et fabrications de cuirasses font partis des arts mineurs tandis que chaussetiers et bonnetiers, fripiers et lingiers font partis des arts moyens, alors que fourreurs et pelletiers sont inscrits dans les arts majeurs (comme le fabricant de draps de laine). Tanneurs et corroyeurs33. Chaussetiers et bonnetiers34 . Lingiers35 . Chapeliers. Fripiers36 . Tailleurs37 . Fourreurs.

3 0 Fabricants de bougies à base de suif.3 1 Là encore, à base de suif ou d’huile d’olive dans le sud, et de cendre de bois.3 2 Tissus de coton mêlés de lin ou de chanvre.3 3 Le corroyeur intervient après le tannage pour assouplir le cuir et fabriquer des courroies, harnais, fourreaux, bâts, mors, rênes, bottes, ceintures, gants, etc.3 4 Font le linge de corps cousu ou tricoté3 5 Fabriquent et travaillent les fins tissus de lin3 6 Revendent des vêtements.3 7 Là encore ce ne sont pas les mêmes artisans qui taillent et cousent les vêtements

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Les métiers “rares” ou spécialisés Produits pour une élite et Gloire de quelques villesAvec la pelleterie, on est déjà dans une activité qui réserve ses produits à une élite et qui ne

peut donc se rencontrer que dans les villes où il peut y avoir une existence potentielle. Il peut en aller de même pour certains artisans spécialisés qui vont faire la réputation de leur ville.

La draperie si elle est assez fréquente, se distingue par une grande spécialisation technologique et sa clientèle de luxe.

1. Les productions spécialisées ou luxueusesDans un nombre limité de villes se sont développés des activités de haut rapport produisant

des objets d’art ou de luxe qui peuvent s’adresser à la clientèle aisée locale et surtout au grand commerce internationale. Dans ces activités, les artisans entrepreneurs ont souvent pied dans des activités commerciales et bancaires en parallèle, car leur métier rapporte assez pour investir leurs gains.

Il s’agit de la fabrication d’armures à Milan, de la verrerie à Venise, des draps tissés de fils d’or à Gênes etc. Si l’activité minière et métallurgique de base n’est pas en général urbaine, la transformation en produits de luxe est le fait de villes spécialisées en la matière.

Le travail de la soie est aussi une production de luxe.

2. L’industrie drapièreLa draperie est un artisanat qui a atteint le niveau “industriel” en raison du morcellement des

tâches, mais aussi parce que l’ensemble de la filière est au main de marchands entrepreneurs qui achètent et importent de la matière première, la font travailler successivement par différends corps de métiers puis revendent le produit fini en tirant le plus de bénéfice de toute l’opération.

a. La division du travail est bien connue, une esquisse :- Préparation et tri de la laine effectué par les éliseresses à la campagne.- La laine est battue sur des claies, dessuintée de sa graisse, puis peignée ou cardée afin

d’allonger et de démêler la fibre. Le cardage, technique plus rapide est parfois condamnée voir interdite car la laine est au final moins belle et résistante.

- La laine est ensuite filée au fuseau, puis à partir du XIIIe au rouet.- Ensuite, elle est confiée à des liceurs qui à l’aide de métiers à tisser et de navettes, est filée

en écheveau. Le tisserand est le technicien le plus respecté, c’est lui qui emploie les liceurs.- Le drap tissé est confié à des foulons pour que le tissu feutré deviennent uniforme. Ce

travail est mécanisé dès le XIIIe, là encore non pas sans réticences.- La teinture intervient en général après. Les teinturiers sont nommés “ongles bleus” par

mépris. Ils teignent les draps avec diverses plantes tinctoriales (guède, pastel) et un mordant (alun, fiente, urine).

- Enfin, il faut tendre à nouveau le drap sur des lices pour lui donner une dimension définitive et le tondre pour racler les nœuds.Au total, ces opérations peuvent avoir duré un mois.

b. La draperie de laine est au XIIIe surtout une spécialité des villes flamandes (Douai, Ypres, Gand, Bruxelles, etc.). Elles ont acquis tôt leurs caractéristiques : l’épaisseur du tissu, la qualité de la teinture (écarlate de Douai et Ypres) et la qualité de leurs belles laines anglaises des Cotswolds ou du Yorkshire.La zone de production s’étend ensuite à toute la Hollande, au Brabant, etc. Jusqu’au XIIIe, les villes italiennes se contentent juste d’acheter à Bruges, à Paris, aux foires de Champagne ces beaux draps, de les importer en Italie, d’y ajouter une finition et de les réexporter vers l’Orient. (C’est la base de la fortune de l’art de Calimala avant de se tourner vers la Banque).

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Dès le début du XIVe, les villes italiennes commencent à leur tour à importer en masse des laines anglaises, évinçant les flamands qui pâtissent du conflit franco-anglais et sombrent dans les crises. Florence, Milan, Côme, Vérone et un grand nombre de centres plus modestes se mettent dans le commerce du drap. Si la qualité est en générale plus médiocre, certaines villes développent des spécialités telle Gênes avec ses velours enrichis de brocarts d’or. Même Venise développe au XIVe une production, faisant sous-traité une partie de la fabrication dans les villes environnantes.

En fait, à partir du XIVe, la production lainière envahit la totalité des villes d’Occident : on en trouve du Languedoc (Narbonne) jusqu’au Pays-Bas, et même en Castille. La draperie devient l’activité la plus caractéristique du monde urbain.

Les impacts sur la physionomie de la VilleBien des facteurs peuvent expliquer la morphologie de la ville médiévale : l’histoire, le site,

la topographie, la bipolarisation autour d’une église et d’un château, etc. Mais souvent, les quartiers et les rues sont organisés, structurés par les activités artisanales ou marchandes auxquels ils sont voués en priorité.

Des quartiers plus ou moins spécialisés dans une production artisanale

Si les activités “primaires” (alimentation, vêtement, bâtiment) sont souvent disséminées dans toute la ville, de même que les auberges et hôtellerie peuvent être dispersées38 ; pour le reste, il y a souvent une forme d’organisation de l’espace urbain autour des activités dominantes ou un zonage social, plus ou moins spontané.

1. La colonisation d’un quartier par un secteur d’activitéL’addition de boutiques pratiquant le même type d’activité donne son identité à une rue, à un

quartier, à une paroisse.À Pise où le travail des cuirs et pelleteries est une spécialité, tout un quartier au sud de l’Arno est phagocyté par le métier qui y a ses ateliers, ses entrepôts, sa propre église, ses sous-traitants.À Londres, les rues médiévales évoquent l’activité dominante : Fish Market, Bread Street, Wood Street, Milk Street, etc.À Marseille, la rue des Fustiers est quasiment entièrement dédié au travail du bois.

Les quartiers centraux sont souvent voués à l’activité bancaire ou aux marchés.À Florence, la portion qui va de la via Francesca au mercato Vecchio est truffé au XIIIe de boutiques, d’ateliers, mais est remplacé très vite par des banquiers, des changeurs, des marchands d’épices et de parfum dont la corporation prend le nom de cette rue : Calimala.

À Paris, les Champeaux (Les Halles) donnent une physionomie particulière à tout le quartier nord de l’île autour de la rue Saint-Martin.À Londres, les activités économiques sont concentrées sur trois secteurs : - La zone de Guildhall (orfèvres, changeurs, drapiers, épiciers, artisans du cuir, etc.).- La zone au sud-est de Guildhall (changeurs, entrepôts et sièges des communautés de marchands étrangers : échanges sur les produits de luxe).- Au nord ouest de la ville, hors des murs : la plaine de Smithfield.

3 8 Même si on les trouve plutôt aux abords des portes et des ponts.

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2. Un zonage spatial plus ou moins spontanéCe regroupement d’une rue ou d’un quartier autour d’une activité dominante répond

souvent de façon naturelle à des impératifs techniques : le besoin d’eau ou d’espace39 , par affinités professionnelles afin d’être plus près de leurs sources d’approvisionnement40 ou encore pour être proche de leur clientèle41 .En outre, le regroupement est souvent voulu par les organisations corporatistes de métier afin de faciliter le contrôle du travail de leurs membres.

Les espaces urbains tendent à se distinguer par un zonage sociologique “spontané” : des quartiers plutôt peuplé d’artisans (et leurs ateliers) et de gens plus honorables.L’installation d’ateliers bruyants et polluants dans un quartier suffit à lui donner un caractère répulsif et à éloigner les élites, favorisant donc l’implantation du même type d’activités.Les populations fraîchement arrivées en ville se regroupent dans les quartiers périphériques, pauvres et insalubres, dans les partis basses de la ville qui abritent ces mêmes activités polluantes. C’est dans ces mêmes quartiers périphériques que l’on voit se développer des activités rurales d’élevage, de vignes, de vergers, etc. avec les industries polluantes qui leurs sont associés.À l’opposé, les populations aisés se pressent autour de la cathédrale, du château seigneurial ou du palais communal ou encore dans les quartiers neufs à la mode.

Ce qui est sur, sauf exception (telle Paris), c’est que riches et pauvres ne se mélangent pas.

Ces regroupements d’activités et de milieux sociaux homogènes peut aussi être le fruit d’une politique moins “spontanée”, plus dirigiste menées par les autorités soit pour des raisons politiques et fiscales (faciliter la collecte des taxe sur un type d’activité) soit pour écarter des centres les métiers les plus polluants et ainsi récupérer des terrains de haute valeur.Ainsi l’exemple de Paris, où les rois de France (d’abord Louis VI) regroupe les activités marchandes dans la zone de Champeaux, ou encore les changeurs sur le Grand Pont.Mais le second motif est le plus fréquent, certains métiers nécessitent tellement d’espace et sont si polluants, que la ville fait le choix de les exiler le plus loin possible tels à Venise les tanneurs sur l’île de la Giudecca et les verriers à Murano.

Cependant, le zonage socioprofessionnel tend à s’atténuer durant notre période, les artisans se dispersent dans toute la ville.

Les ports et chantiers navals : une ville dans la villeLa plupart des grandes viles d’occident se sont établies sur un littoral, les bords d’un fleuve ;

la voie d’eau est indispensable à l’approvisionnement et au ravitaillement en pondéreux. Il est donc nécessaire d’aménager des quais mais aussi des chantiers navals, indispensables à la production de navires de commerce ou de guerre.

1. Les ports et les quaisIl faut bien sur distinguer ports fluviaux (situation de fond d’estuaire : Bordeaux, Londres,

Bruges, etc. ; ports plus en amont Paris) et ports de mer (Gênes, Venise, Naples, Séville, Barcelone, Marseille; etc.).Dans tous les cas, les ports n’étaient pas très aménagés : on construit parfois sur le littoral des

3 9 Tanneurs et écorcheurs s’installent près des cours d’eau, marchands de bois et de chevaux ont besoin de vastes espaces.4 0 Peaussiers, corroyeurs, selliers se pressent autour des boucheries et des abattoirs.4 1 À Paris, rive droite se concentre les commerces du luxe à proximité des hôtels princiers ; alors que rive gauche se pressent les libraires, relieurs et écrivains public à proximité de l’Université.

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môles pour protéger la rade, on divise la baie en darses42, etc. mais le plus souvent pour amarrer les bateaux, il n’y a que de simples piles, les quasi-maçonnés sont rares (mais pas inconnues). En dépit du faible nombre d’aménagements, l’espace portuaire fait toujours l’objet de mesures protectrices.

Lorsque l’on parle de port, il s’agit en fait d’un espace de contact entre l’espace maritime (littoral ou fluvial) et l’espace terrestre, ensemble fonctionnel et technique assurant le transit des marchandises.Tout port génère nécessairement des infrastructures :- Infrastructures nécessaires pour la création et l’entretien des navires : arsenaux, ateliers de voilage et corderie, etc.- Infrastructures relatives au stockage et à la vente des marchandises : entrepôts pour les marchandises en transit, magasins de grains, zones marchandes, marché au poisson, etc.- Infrastructures liées à la vie des marchands : logements pour les marchands et les marins étrangers, etc.- Des bâtiments officiels : douanes, maison du pesage, loge de l’octroi ou de la tonlieu, églises dédiées aux gens de mer. Dans les grandes villes portuaires, les rues partent du port ; l’activité portuaire structure toute la morphologie de la cité.

2. Les chantiers navals et la production de naviresLa “révolution nautique”. Le développement des échanges au XIIIe est largement imputable à la

“révolution nautique” ie la construction de navires novateurs, plus lourds, tenant mieux la haute mer. Alors que l’activité navale devient un gros secteur d’activité dans les villes disposant de chantiers navals (Gênes, Séville, Venise, et plus tard Barcelone, La Rochelle, ...).

Trois types de navires :1. La galère, principalement utilisée en Méditerranée : c’est un vaisseau long équipé de rames (birèmes ou trirèmes), plus ou moins effilés avec aussi 2 à 3 mats et des voiles. La centaine de rameur étant là pour pallier l’absence de vent.Ce sont des navires rapides qui peuvent transporter une moyenne de 130 tonneaux de charges (à Gênes et moins à Venise qui pallie sa faible capacité par la navigation en convois).2. Les nefs latines : vaisseaux plus ronds, plus ventrus dotés de deux ponts, d’un gaillard d’avant et d’un château arrière et bien de sur d’au minimum deux mâts gréés de voiles latines.Ces gros navires atteignent souvent 200 à 300 tonneaux de jauge voir parfois 500 tonneaux. C’est l’instrument idéal pour transporter aussi bien des hommes que des pondéreux tel du grain, du sel, de l’alun.3. La kogge (ou coque en Méditerranée) originaire des mers du nord et de l’Atlantique sont des navires aussi gros que les nefs mais beaucoup plus manœuvrables grâce au gouvernail d’étambot remplaçant les anciens timons latéraux. Les voiles sont rectangulaires, souvent deux qui sont superposés. À tonnage égal, la kogge nécessite deux fois moins de marins, la kogge permet donc une diminution du coût du transport maritime.Au cours du XVe, la kogge a évolué en caravelle, navire encore plus imposant. Mais à côté de ses gros navires, les chantiers maritimes produisent une foule de barges, de barques, de sandales italiennes, de gabares, navires à fond plus ou moins plat destinés au cabotage et à la navigation fluviale.La construction de ces navires se faisaient dans des arsenaux.

L’arsenal de Venise. C’est le plus bel exemple de ce qu’est un arsenal. Venise dispose d’un arsenal d’État à la fin du XIIe mais il est agrandit au XIIIe en raison des besoins générés par le transport des croisés.L’Arsenal est entouré d’une muraille de briques avec une double entrée :

4 2 Bassins à flots

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- La porte de terre pour les ouvriers.- La porte d’eau reliée à la lagune par un chenal artificiel passant sous l’arc de l’arsenal est

défendu par deux tours carrées.L’Arsenal comporte une dizaine de bassins de 50 m de long sur 17 m de large et couverts sur une hauteur de 7 m.Autour de l’Arsenal, gravite tout un quartier artisanal : quais de déchargement, douanes, dépôts de bois, stockage de corderie, ateliers d’armes ou encore logements d’un millier d’arsenalotti. Une vrai ville à part entière.L’Arsenal est agrandi au XIVe et au XVe : sa surface est multipliée par 4, le nouvel arsenal comprend 25 chantiers couverts et de nombreux plans inclinés. Au total, il peut produire près de 80 navires simultanément. Le quartier s’agrandit également : magasins, dépôts, greniers, fours, etc. C’est une entreprise qui produit tout ce qui est nécessaire à une véritable marine d’État. Vers 1450, les arsenaux employaient plus de 1500 ouvriers, c’était la plus grande entreprise d’Europe.

Marchés, foires et halles : Lieux et modalités des Échanges

En dehors des colporteurs qui trafiquent un peu partout dans les rues et sur les places, mis à part les ateliers artisanaux qui servent aussi de boutiques, les échanges ordinaires ou plus spécialisés peuvent se concentrer dans différents types de structures qui leur sont entièrement voués : les halles, les marchés et les foires.

1. Marchés et foiresLe marché est le lieu de la rencontre du vendeur et de l’acheteur. En général, les marchés sont hebdomadaires et s’il l’on peut y acheter de tout, ils sont le plus souvent spécialisés.À Londres, au marché de Smithfield si l’on y trouve tous les vendredis des grains, des bovins, des porcs, des produits de l’artisanat local, on y vend surtout des moutons laineux et des chevaux : Smithfield est un place très importante dans le commerce internationale de la laine.

Les foires sont moins fréquentes, elles ne s’installent dans une ville en général qu’une ou deux fois dans l’année. Mais comme elles organisent en cycles et sur une durée assez longue (parfois jusqu’à 6 semaines), au total, elles constituent une forme de marché quasi permanent, réparti sur plusieurs sites et par roulement. C’est notamment le cas des célèbres foires de Champagnes :

- Dès Janvier à Lagny-sur-Marne,- Le mardi avant la mi-carême à Bar-sur-Aube,- En mai, la foire de Provins,- En juin, la foire chaude de Troyes,- En septembre, la 2e foire de Provins,- En octobre, la foire froide de Troyes.

Ces foires sont cependant en déclin dès le XIIIe.En Flandres : les cinq “fiestes” Ypres, Bruges, Torhout, Lille, Messines. Il existe des cycles identiques dans le Brabant (important au XVe), en Angleterre, à Genève, en Allemagne, Louis XI a développé les foires de Lyon à la fin du XVe, etc.

Ces grandes foires attirent des marchands de tout l’occident, mais il existe aussi des foires plus modestes qui attirent seulement des redistributeurs locaux, elles ont cependant un rôle fondamental dans l’économie.

Marchés et foires étant de bons rapports pour leur détenteurs, ils sont sévèrement encadrés et parfois déplacés arbitrairement.

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Par exemple, à Paris, il existait au XIIe, 3 foires dispersées, Philippe Auguste les déplacent toutes place des Champeaux, la foire devient alors marché hebdomadaire, le samedi. Par cette action, le roi récupère des fonds importants grâce aux droits d’étals, aux amendes de justice, etc.

2. Halles, fondouksLa plupart des grandes villes d’occident disposent de lieux voués au commerce permanent

destiné à la vente des produits venus de l’arrière-pays ou venus d’horizons plus lointain : ce sont les Halles.Les Halles sont des lieus d’échanges entre grossiste où les détaillants viennent s’approvisionner. On y trouve des draps de laine, du fer, de la poix, du charbon, du bois d’oeuvre, des grands et plus rarement d’autres produits alimentaires (en raison des problèmes de conservation). Les halles sont souvent l’évolution des anciennes foires qui se trouvent pérennisées en fixant les échanges dans un lieu unique et ouvert toute l’année. Ces halles sont aussi le siège des corporations de métiers.

Dans les villes du sud de l’occident, Italie et Espagne, le système est un peu différent (on le retrouve d’ailleurs sous des formes variés dans la France du sud, à Londres, Bruges ou dans la Hanse). Ici, les marchands étrangers, de passage ou installés, bénéficient de sortes d’auberges - entrepôts que l’on nomme fondouks. Ils s’y logent et y déposent leurs marchandises en vu de transactions. Ces zones bénéficient souvent d’une forme d’extraterritorialité : les échanges internes aux communautés de marchands ne sont pas taxés.

Très vite, le milieu des échanges a été dominé par quelques gros marchands spécialisés dans les productions les plus rentables. Au cours du XIIIe, on assiste à un détachement entre la production artisanale et la vente dans ces activités. Si la majorité des marchands urbains restent des artisans, certains non plus rien à voir avec l’artisanat : ils sont banquiers, changeurs, négociants et plus guère producteur

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Les structures sociales de la Production et de l’Échange

Les structures sociales de la production et de l’échange sont des structures corporatives de métier43 . Les métiers sont liés aux villes, il n’y en a pas dans les campagnes. Quelles relations entre le salariat et les employeurs ? Quelles strates sociales dans la villes ? Quelle hiérarchisation ? Quelles organisations et dans quels buts ?

Le monde des métiersLes métiers sont des organisations professionnelles qui structurent les activités de la

production et de l’échange. Mais il n’y a pas de frontière nette entre producteur et négociant, au M.-A. on cherche à limiter au maximum les intermédiaires. Particuièrement dans le secteur des victuailles, de la confection, du bâtiment, quelques secteurs tels le textile et la métallurgie connaissent l’emploi d’intermédiaire.

Les métiers se limitent à une ville, c’est une structure qui est éclatée tant du point de vue professionnel (rassemblant les professionnels d’un secteur précis d’activité) que géographique. On nomme les métiers aussi arti en Italie, guilde ou handwerke dans le monde germanique. Les métiers organisent la production en mettant en place des contraintes, des protocoles sur l’exercice de la fonction.

Structuration des métiers dans le temps et l’espace

1. Les métiers réglés puis les métiers jurésLa croissance urbaine a créé des besoins nouveaux dans l’alimentation, les vêtements, le

bâtiment et a donc entraîné une forte croissance économique et une division très poussée du travail, caractéristique des villes.Des structures antérieurs au XIe, certaines remontent à l’époque romaine, d’autres à l’époque carolingienne, des traces de l’encadrement de la production artisanale.

Mais la vrai rupture intervient au XIe, où apparaît une volonté dirigiste, marchands et seigneurs veulent tirer un meilleur profit de la prospère activité marchande et assurer leur mainmise sur les producteurs.

Au XIe, il faut souligner le rôle déterminant des seigneurs. dans la création des métiers. Avant la création des métiers, les seigneurs avaient pris des ordonnances à caractère réglementaire pour encadrer le ravitaillement des villes. L’objet est bien sur politique, empêcher l’accaparement par quelques personnes, des spéculateurs, entraînant des risques d’émeutes. Ces règlements définissaient de façon précise l’acheminement des denrées en ville, l’expédition, la qualité des produits, mettaient en place une police des marchés. Tous ces éléments ont été repris en main dans les statuts des métiers.

Au XIIe, les métiers s’étendent aux secteurs non victuaillers.- De normes dispersées, on est passé à des règlements organisés régissant une profession. On a un métier quand tous les membres de la profession sont obligés de respecter ces normes

4 3 Le terme de corporation est anachronique.

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pour pouvoir exercé ça profession. Les métiers reçoivent leurs normes de l’extérieur après des négociations, il s’agit donc de métiers réglés. Ces métiers réglés se trouvent dans les zones précoces où les institutions urbaines ont acquis une indépendance précoce et une forte personnalité : Flandres, Italie.- Parfois aussi, des métiers s’autorégulent pour prévenir toute ingérence seigneuriale dans leurs affaires. Ce sont des métiers jurés ou jurandes. Il s’agit d’une réunion spontanée des professionnel qui prêtent serment. Ces serments sont prêtés devant le chef du métier et devant le chef de l’autorité seigneurial qui se réserve d’approuver le règlement ou l’intégration d’un nouveau membre. Cela concerne les villes de langue d’oil.

2. Des retards à l’allumageAu XIIIe, les villes détenus par un patriciat d’origine marchande avait intérêt à maintenir

leurs employés dans une relative soumission en raison du poids numérique des employés, les patrons auraient été dépasser s’ils n’avaient pas réussi à les diviser.Les marchands veulent contrôler que ce soit en Italie, en Angl., en France. Ces grands marchands qui contrôlent le capital ont retardé le plus possible la création de “syndicat” (anachronique mais renvoyant à un même phénomène social) dans le domaine de la draperie. Lorqu’ils s’y sont résolus sous la pression, ils ont morcelé à l’extrême la filière pour éviter tout regroupement sectoriel.

La division du travail, la division des métiers permet d’éviter les regroupements. Et ce sont donc les régions les plus dynamiques économiquement qui furent frappé le plus tard par le phénomène de la constitution de métier.

La draperie n’est pas le seul secteur dirigé et morcelé par les marchands. Les marchands ont inventé les métiers ie l’éclatement des structures pour maintenir leur pouvoir et donc l’émergence d’une élite économique au sein des producteurs manuels.

3. Des villes et des secteurs sans métiersLes petites villes ne sont pas concernées par le mouvement de constitution de métiers, soit

qu’il s’agisse de toutes petites villes, à l’écart des grands courants commerciaux, soit qu’il s’agisse d’un choix délibéré tel Lyon.

Certaines villes très structurées font aussi le choix délibéré de se passer de ces structures dans certains secteurs tel le cas du faubourg Saint - Antoine pour l’activité de ravitaillement à Paris par exemple.

Dans certains secteurs enfin, l’activité artisanale et commerçante n’a jamais été structurée et reste complètement libre, c’est généralement le cas des secteurs demandant une main d’oeuvre peu qualifiée, les secteurs employant des suppôts.

Les contraintes sociales et productives

1. Une structure patronaleUn métier est constitué par un certain nombre de structures professionnelles ou

financières qui s’associent pour mettre en œuvre un but commun. Lorsqu’il a été reconnu par les autorités, le métier dispose alors d’une personnalité juridique avec pour conséquence la capacité à produire des normes de droit et de façon concrète, la détention d’un sceaux ; ses compétences sont principalement une capacité à réglementer la profession.

À sa tête, une structure collégiale (le plus souvent) portant des noms variés évoquant la seigneurie, le pouvoir communal ou encore des termes neutres signifiant leur prud’homie, leur respectabilité. Les hommes de ce collège sont choisis parmi les propriétaires d’ateliers (nommés maîtres), les directeurs de Compagnie, etc. c’est une structure résolument patronale. Ils sont choisis par cooptation pour une période variable généralement 1 à 2 ans. Parfois, c’est

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le Seigneur ou l’autorité communale qui nomme le maître du métier.Les propriétaires d’ateliers sont cependant des artisans, ce sont eux les seuls membres des

métiers, les seuls également à pouvoir changer les statuts, les structures, les seuls à pouvoir prendre des décisions judiciaires internes au groupe. Le métier peut aussi établir une hiérarchie entre les maîtres anciens et les maîtres nouvellement acceptés. Les patrons sont généralement désignés de façon extrêmement laudative (les honorables), alors que les employés sont désignés par des termes péjoratifs signifiant leur condition résolument inférieure tel le terme de valet. Le terme de compagnon, laudatif lui, n’apparaît que plus tard, au XVe.

Les ouvriers sont dévalorisés, ils n’ont aucun poids mais cependant, la situation n’est pas tout de même celle d’une majorité brimée par une minorité ; la plupart des maîtres n’ont pas de valet, il y a souvent plus de maîtres que de valets, le maître travaillant souvent seul avec un apprenti, sa femme et ses enfants. L’exception est les ateliers de métallurgie, les arsenaux, extrêmement gourmand en main d’oeuvre.

2. Une organisation mutualisteLe métier fonctionne comme une confrérie d’entraide, une société de secours mutuel : les

cotisations sont versées dans des caisses communes qui remplissent diverses fonctions : - Financer une force militaire qui va prendre place dans la milice urbaine derrière la bannière du métier. C’est le cas en Italie et en Flandres.- Financer les fêtes du métier que cela soit pour les grands dîners ou de simples repas.- Aider les membres dans le besoin : économiquement ou judiciairement. Ainsi la caisse joue le rôle d’assurances mutualistes, de finance d’obsèques, de soutien aux veuves, etc. ou encore il faut témoigner en justice pour le collègue, participer aux frais du procès, etc.- Assistance spirituel : les membres doivent aussi soutenir l’âme du défunt en suivant le cortège funéraire. Se met en place au sein de ses métiers des solidarités juridiques, économiques, spirituelles entre les membres.

Les métiers peuvent aussi financer les bonnes actions, les actions charitables. Certains métiers sont même associés à des confréries soutenant ses actions, etc. Parfois même, il est obligatoire de participer aux activités de la confrérie pour pouvoir intégrer le métier. Ainsi, bien des métiers ont été des fraternités voués à la piété et à l’entraide mutuel avant de devenir des organisations professionnels. Il se met donc en place une spiritualité commune, singulière partager par tous les membres.

3. Des normes de production et des règles économiquesEn tant que structure d’encadrement patronal, le métier est bien sur destiné à protéger les

intérêts des propriétaires d’ateliers ou dirigeants des cie marchandes contre leurs salariés, contre la concurrence d’artisans extérieurs au métier ou contre celle de leurs homologues d’autres villes. Les métier défend un monopole sur tel marché. Il s’agit bien d’un cartel de producteurs défendant leur marché. Chaque métier est soumis à des contraintes fortes enserrant les individus dans des normes sévères.

Le contrôle de la qualité produite. Le métier impose de strictes normes de production et en particulier concernant la qualité de la production. De cette défense de la qualité, il en va de l’honneur du métier et de la défense du consommateur. Il faut faire de la bonne marchandise et la qualité prime sur la quantité. Le juste prix exige une qualité. Les jurés enquêtent donc pour contrôler la qualité et tous les contrevenants sont sévèrement punis. Pour être approuvé, un bien doit être de qualité et fabriqué selon des recettes éprouvées et qui doivent rester le monopole du métier. Le métier vérifie donc strictement les conditions de la production, si elles sont oui ou non conformes aux règles du métiers. L’objet doit être produit selon des recettes anciennes, les innovations qui permettraient de produire plus vite et moins cher sont rejetés si elles ne respectent pas les critères de qualité.

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Le contrôles des conditions économiques et sociales. Chaque atelier doit produire dans les mêmes conditions sociales et économiques que ses concurrents. Il interdit de faire de la publicité pour ses produits. Le métier vérifie que les maîtres ne pratiquent pas de dumping social en sous-payant leurs employés ou au contraire s’ils ne pratiquent pas un concurrence déloyale à l’embauche en augmentant les salaires. Ou bien encore s’ils n’emploient pas plus de valets et d’apprentis qu’ils n’y sont autorisés. On contrôle également la qualité d’apprentissage d’un maître à son apprenti. L’idéal social du temps est un marchand artisan étant humble et laborieux possédant une petite exploitation dans laquelle règne une ambiance familiale de travail peu propice aux revendications sociales.

Le contrôle des prix est le troisième objet de contrôle des métiers. Toute hausse des prix étant être préjudiciable à tous, est conçue comme immorale. Le XIIIe voit la théorisation du “juste prix” St Th. d’Aquin. La valeur du produit est fonction de la capacité et du besoin de l’acheteur. Le profit doit être limité par la morale et la compétition est condamnée.

En cas de manquement à ces règles, ou de litige entre maîtres ou pire entre un maître et ses employés, le métier condamne par ses propres instances judiciaires et par ses propres forces de police.

La hiérarchieLe métier est une structure hiérarchisée, mais il existe aussi une hiérarchie sociale,

économique entre les métiers :- En haut, les professions de l’échange à longue distance, les Grands Marchands, dans la draperie, la fourrure, les épices, ... Les banquiers, les changeurs, les courtiers,- Les orfèvres, les artisans du luxe...- En dessous, les maîtres moyens, les maîtres suppôts, les maîtres qui échappent au monde des affaires (les métiers de bouche).

Dans toute l’Europe, seuls les gros commerçants ont des fonctions politiques. Mas les marchands entrepreneurs ne se contentent pas du métier, ce qui fait la cohérence de ce groupe, ce sont les Cie, les Sociétés, bref les réseaux qu’ils tissent entre eux.L’évolution des métiers va vers un accroissement et une concentration des richesses au main des gros, des grands.

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Le monde des métiers et des maîtres en mutation XIVe - XVe

Quels sont les évolutions de cette structure dans une période de marasme économique et de crise politique ? Les différentes évolutions peuvent sembler paradoxales : d’un côté certaines montrent une forme de sclérose et de l’autre certaines évolutions témoignent d’une vitalité.

Le repli des métiersLa crise économique et démographie a entraîné un repli des métiers sur eux mêmes, une

fermeture sur eux mêmes et leurs traditions, un accroissement du protectionnisme, du patriotisme local.

1. Le repli des métiers face aux nouveaux venus. La porte se ferme à ceux qui veulent rentrer dans le métier. La raison en est la crise de surproduction. Les métiers sont sclérosés et s’arqueboutent sur leurs privilèges.

- Le nombre de valet et d’apprenti est sévèrement réduit.- Le contrôle strict de la répartition de la matière première entre ateliers- Le refus de tout nouveau maître voulant s’établir (particulièrement à partir de la fin du

XIVe). L’admission devient de plus en plus restreinte. Une protection qui s’établit contre la venue d’étranger : les nouveaux venus devaient offrir un banquet à tous les membres du métier, ainsi que toute une multitude de nouvelles barrières pour restreindre l’accès à la maîtrise ; contre les apprentis désireux de s’établir : la durée du stage chez le maître s’allonge, pour s’établir est désormais exigé la production d’un chef d’oeuvre, les examens sont de plus en plus dur et méticuleux. Hors les fils de maîtres sont exemptés de ce système. L’accès à la maîtrise tend à devenir de plus en plus héréditaire. Par ailleurs des quotas sont fixés.

2. L’emprise du capital. L’emprise énorme de marchands entrepreneurs sur le secteur de la production est remise en cause par certains métiers artisanaux plus autonomes tel les tisserands de Flandres qui disposent du capital suffisant pour remettre en cause le primat des marchands entrepreneurs. Ils cherchent donc à reprendre le secteur en main en imposant par exemple aux grands marchands de s’inscrire dans leur métier. Mais leur est échec est patent, d'autant plus qu’au XVe, le marché est de plus en plus passé aux mains de grands marchands italiens ou hanséates.

On assiste donc à une aggravation de l’emprise du capital sur l’ensemble de la production. L’emprise des marchands devient de plus en plus prégnante, ils contrôlent de plus en plus des filières entières, du produit brut au consommateur. C’est particulièrement vrai dans le textile mais aussi dans les victuailles contrairement à l’idéologie qui voudrait que ce secteur soit préservé de toute spéculation.

3. Le repli des villes. Ce mouvement de repli des métiers s’inscrit dans un cadre plus global, les villes aussi se replient sur elles mêmes, les autorités communales se rétractent sur leur ego.

Les manifestations de se replient sont diverses : interdiction de l’accès aux marchés des étrangers, le droit de bourgeoisie voit son montant augmenter et devient nécessaire pour commercer, les droits de péages sont en hausses, interdiction des activités commerçantes en dehors des remparts ie dans les faubourgs, interdiction de produire en dehors de la ville (les commerçants avaient coutumes d’exploiter la différence de coûts de main d’oeuvre entre les villes et entre la ville et la campagne) etc. Les marchés communaux restreignent leur accès.

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Des signes de renouvellement1. Accroissement du système corporatiste. Le système corporatiste s’étend à de nouvelles filières qui jusqu’alors n’étaient pas concernées. Extension aussi à de nouvelles régions tels les pays slaves, les pays allemands, la normandie, ... Dans ces régions, on passe d’un artisanat à des métiers réglés, réglementation élaborée communément avec l’autorité publique.

L’extension à de nouvelles filières intervient par exemple avec l’apparition de nouvelles technologies et d’un artisanat de pointe qui se dote de métiers. Tel est le cas de l’armurerie avec des métiers dans l’arbalètes, les épées, les cuirasses ; mais aussi dans la taille du vêtement où prolifère une extraordinaire diversité : draps, parmentier, couture, cuir (le tannage, ...), ... ; mais encore dans le secteur victuailler en fonction des capacités avec les boulanges, les pâtissiers, ... Cette division est liée autant à une volonté de performance qu’a une volonté de diviser pour asseoir le contrôle.

Mais cette évolution a ses limites, les métiers ne s’imposent pas partout : nombre d’activités dans les villes de taille moyenne en France restent en dehors des métiers. Si ces artisans restent libres, ils sont aussi en dehors de la protection qu’offre un métier.

2. Apparition de structures nouvelles :- Des ateliers plus vastes dans la draperie par exemple qui cassent la microstructure.

L’entrepreneur veut bien sur rationaliser sa production et diminuer ses coûts de transport. Pour cela, il installe donc tout le monde dans un même lieu, on a là des protofabriques (ex : Lille au milieu du XVe).

- Les monopoles des métiers ont été cassé par des marchands à l’esprit capitaliste et libéral, parfois même par les autorités municipales elles mêmes. Ces le cas par exemple des entreprises de soieries lyonnaise, de l’imprimerie, etc. qui sont très largement ouvertes aux capitaux extérieurs à ceux de la ville.

- Certains métiers débordent du cadre étroit de la ville, se met en place des cadres régionaux de métiers. Les marchands ont été les premiers à créer des consulats. Par exemple, La Hanse dans l’espace germanique qui s’étend de Osterlin aux Flandres. Ce sont des associations corporatistes mais régionalistes.Une volonté de contrôle se fait sentir aussi dans les métiers itinérants tels les ouvriers du bâtiment et les tailleurs de pierre qui couvrent des ensembles géographiques vaste. En Rhénanie, en allemagne, ils sont unifiés par un règlement commun. Ce règlement évolutif, globalisant joue un rôle essentiel en allemagne.

3. L’émergence de l’individu. Des individualités contournent bien sur le règlement, les structures en vu de les faire éclater. Il existe aussi des maîtres artisans pas toujours respectueux des règlements. Les métiers s’ils ont mis en place des règlements, cela n’empêche en aucun cas des acteurs d’essayer de les contourner, de les détourner. C’est notamment le cas dans les métiers du luxe. Dans le bâtiments, existe des ententes illégales. L’esprit d’entreprise libéral existe, à côté des métiers, il existe des travailleurs indépendants mais aussi des économies souterraines.

Le succès économique et politique des maîtres de métiers1. Le succès économique. Le succès économique et social varie bien sûr en fonction des profession.

Ainsi, l’essentiel de la fortune des villes est concentrée entre les mains des grossis, marchands de draps et de soie, changeurs, épiciers, officiers de la monnaie. À ces riches marchands s’additionnent les anciennes élites sociales (les chanoines, les officiers municipaux et royaux, les nobles, etc...). La concentration des richesses est impressionnante, bien souvent, c’est 5 % de la population qui détient près de 50 % des richesses.

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À Florence par exemple, 100 familles détiennent 1/4 des richesses, les moyens (bouchers, cabaretiers, ...) détiennent entre 1/3 et 1/2 des richesses.

Les moyens viennent en suivant, ce sont les marchands intermédiaires, cabaretiers, bouchers, maîtres des métiers qui peuvent parfois accumuler près 1/3 de la richesse urbaine.

Cet enrichissement indéniable pour ces métiers se manifeste dans l’espace tels les hôtels très confortables, mais cette richesse se manifeste aussi par des symboles ainsi lors des visites royales, dans la procession, ils occupent les premières places, symbole leur puissance financière et politique.Ces hommes riches et reconnus voulaient cependant conquérir le pouvoir politique dans leur ville mais aussi dans les assemblées représentatives.

2. Des élites à la conquête du pouvoir politique. Au XIIIe, des oligarchies marchandes s’imposent en Flandres, en Italie. Mais ce n’est pas toujours le cas et leur pouvoir n’est pas toujours absolu : parfois ils intégraient les institutions de la cité dans des rôles secondaires mais pas forcément dénué d’intérêt tel le contrôle de la police des marchés, des prélèvements fiscaux, etc.

Les métiers secondaires ont eux aussi réclamer une place dans le jeu politique. Face à ces revendications, les réponses sont variées : dans les villes à forte dominante marchande, les métiers artisanaux ne sont que rarement parvenus à leurs fins par contre dans les villes alors qu’ailleurs, ils ont pu réussir.À Venise, la veille aristocratie n’a laissé personne rentré. À Florence, où les Arts ont mis la main sur le pouvoir à la fin du XIIIe, seuls les arts majeurs détiennent le pouvoir, notamment les marchands de Calimal. Les arts moyens sont parvenus à obtenir des postes au conseil, mais très rapidement, les places destinées aux métiers secondaires sont supprimées et étouffées.Les artisans plus modestes s’ils disposent de sièges n’ont jamais de réels moyens d’expression.

3. Le succès politique. Les marchands ont donc bien intégré les anciennes élites aristocratiques si l’on prend comme critère leur participation au pouvoir. Leur réussite n’est pas seulement au sein de leur ville, elle est aussi parfois jusqu’au conseil du roi.

En revanche, les métiers inférieurs, n’ont que rarement réussi leur percée politique. Certains sont donc frustrés, privés de reconnaissance et exclus de la croissance. Certains ont donc participé aux émeutes du XIVe. La frontière entre les petits maîtres de métiers manuels et les ouvriers est mince.

La fortune urbaine urbaine se concentre entre les mains d’une minorité de banquiers, d’entrepreneurs, des maîtres de métiers les plus côtés qui parviennent à acquérir un poids politique. En revanche, en bas de l’échelle sociale, les salariés, les ouvriers, les artisans indépendants etc. qui constituent la majorité numérique ne détiennent qu’une toute petite part de la richesse urbain. Comment leur situation a-t-elle évolué ? Et comment l’ont-ils ressentie ?

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Dégradation ou Amélioration de la

Condition Ouvrière ?Non seulement apprentis et valets se voient de plus en plus refuser l’accès à la maîtrise, mais

ils connaissent aussi bien d’autres difficultés qui ont parfois conduits à des explosions sociales violentes dans les villes des le XIVe - XVe avec des prémices en Flandres et en Italie au milieu du XIIIe. Pourtant, si l’on regarde les indices économiques, ils ne sont pas tout aussi défavorables. Les salariés ont surtout ressenti le mépris croissant des élites économiques et politiques à leur égard conjugué à la pression fiscale royale croissante plus qu’une réelle dégradation de leur niveau de vie.

Les salaires ouvriers et leur réglementation drastiques dans les années 1350

Si les salaires sont en principe fixés par le métier, leur éventail est très large et dépend du degré de qualification, de l’âge, de la ville et de la masse de main d’oeuvre disponible. Les salaires varient surtout dans le temps.

La crise démographique du milieu du XIVe (peste noire) e eut un effet en apparence positif sur les salaires : la chute de la main d’oeuvre disponible a généré dans un premier temps une hausse des salaires, les salariés se trouvant en position de force pour négocier.Mais la crise démographique intervient dans un monde qui est plein : les années 1320 - 1340 étant celles de l’apogée démographique de l’Europe qui avait conduit à une déflation des salaires. L’augmentation brutale après la peste n’a souvent fait que pallier le tassement antérieur et elle a été suivie par une longue période de stagnation.

En effet, les autorités politiques ont vite compris que cette brusque hausse des salaires pouvaient déstabiliser l’équilibre des prix : la hausse du salaire se répercutant nécessairement sur les prix. Hors la crise démographique a conduit à une chute de la demande, une récession et donc un tassement des prix.C’est particulièrement vrai pour les produits agricoles : le cours des grains s’effondrent en moyenne de 25% au cours du siècle.Le prix des biens industriels ne suivent pas la même évolution sur le long terme : ils se maintiennent voir augmentent.

Mais dans les années 1350, les producteurs se voient confrontés à un double problème :- La chute relative de la demande en produits finis ce qui ne permet d’augmenter les prix.- Les réclamations salariales des ouvriers.La marge de profit des maîtres (environ 10% du prix) est donc nécessairement compressée. Pour ne pas à avoir à trop diminuer leur marge, les patrons n’ont d’autre choix que de baisser leur coût de production et donc de miser sur les innovations technologique.C’est le cas dans al draperie avec le passage foulage au martinets hydrauliques. Mais cela ne va pas sans des oppositions telle la draperie flamande.Le pouvoir royal (France, Castille et Angleterre) était prêt à les soutenir pour des raisons politiques et fiscales : les souverains décident donc d’une limitation arbitraire des salaires qui va de pair avec l’interdiction de toute forme de mendicité.

Jean II en France ramène donc de force les salaires à ce qu’ils étaient avant 1348 et interdit à toute personne valide la mendicité. En conséquence, les salaires en valeur réelle était très

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inférieurs à ce qu’il était nécessaire d’avoir pour vivre. En outre, il “libéralisa” le statut du travail, bafouant les anciens règlements : non limitation du nombre d’apprentis, allongement de la journée de travail au-delà du coucher du soleil.Les patrons pouvaient désormais faire travailler plus les ouvriers en les payant moins. L’ordonnance fut au final peu appliquée, mais l’exemple fut suivi.

La crispation politique des années 1350 n’est pas le seul facteur de la stagnation salariale. Ainsi en Catalogne qui n’a pas connu de mesures restrictives autoritaires, les salaires augmentent lentement entre 1348 et 1374 avant qu’ils ne s’effondrent suite à de graves disettes et de faillites bancaires en cascade entraînant une montée de la misère et du chômage affectant patrons et salariés. Pour relancer un marché moribond, les patrons font baisser les prix industriels.La situation est parfois encore plus catastrophique tel en Flandres où la crise de l’industrie drapière est aiguë, la baisse des salaires est telle que nombreux ouvriers émigrent.

Entre la fin du XIVe et le début du XVe, on voit se produire une légère et lente remontée des salaires, hausse globale entre 1340 et 1400 constatée partout en Europe. Mais lorsque l’on regarde les courbes de près, il faut nuancer, il s’agit là surtout d’un rattrapage de la période de réduction de salaire des 20 années antérieures. En outre cette période est suivie d’une période de stagnation salariale. Ainsi à Paris en 1490, les salaires sont bloqués au niveau de 1410. Or les produits finis suivent une courbe parallèle mais qui augmente nettement plus vite et plus fortement au XVe grâce à une reprise de la demande et à une hausse générale du niveau de vie d’environ 3,5 points environ.Les ouvriers ont donc pu se sentir démunis d’autant que les inégalités dans le monde salariale reste grande.

Niveaux de fortune et niveau de vie des ouvriers salariésLe salaire n’est cependant pas le seulement à apprécier pour évaluer le niveau de vie des

ouvriers de métiers. Il faut aussi prendre en compte le prix des loyers et le coût des denrées ordinaires indispensables à la vie : aliments, charbon de bois, etc. Tous ces produits connaissent une hausse même si elle reste limitée. Il faut aussi prendre en compte le nombre de jour travailler puisque le salaire est journalier et aussi la part des jours chômés que cela soit institutionnels ou conjoncturels.Les plus chanceux sont ceux qui trouvent une embauche à la longue d’autant qu’ils sont logés par leur maître et mangent à sa table. Mais la contrepartie de la sécurité est la rémunération qui est souvent en nature.La situation varie aussi selon divers facteurs. Ainsi un jeune célibataire s’en sort assez bien n’ayant que lui à nourrir. En revanche, la situation est souvent plus compliquée pour les personnes mariés et ayant des enfants à nourrir. Devant assurer les ressources d’une famille, il risque rapidement l’endettement auprès de son propre patron. D’autant plus que ceux-ci pratiquent souvent des prêts usuraires à des taux très élevés, jusqu’à 38%. On connaît le cas de Jean Boinebroke de Douai. Et celui de Jean Pyot à Paris qui du se rabattre sur un métier inférieur à sa condition.Le ressenti de la précarité n’est donc pas uniquement affaire de chiffres et d’indices.

À partir de données sérielles, les historiens ont cherché à calculer des indices de pouvoir d’achat.

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Crises ouvrières et premières coalitionsMalgré cette relative amélioration de leurs conditions, les salariés ont eu le sentiment qu’ils

étaient confrontés à des maîtres de plus en plus exigeant en matière de temps de travail et de plus en plus rapiats sur les salaires. Les ouvriers ont donc tenté d’arracher à leurs employeurs de meilleures conditions de travail, parfois par la négociation, parfois par la violence avec des résultats souvent inégaux.

1. Les premières coalitions ouvrièresEn théorie, les statuts des métiers interdisaient aux ouvriers toute forme d’organisation

séparée. Mais dès le XIIIe apparaît les premières “coalitions” ouvrières, aussi nommées collegatio, conclues entre ouvriers d’une même filière et d’une même ville dont le but est d’arracher aux maîtres de meilleurs salaires. En France, la première attestée est celle de Figeac en 1255.Les métiers ont généralement répondu par la violence violemment en ajoutant aux statuts des clauses fixant les salaires arbitrairement. Les ouvriers ont parfois tenté de protester devant les autorités urbaines mais ils n’ont que rarement obtenu gain de cause en raison de la collusion des autorités urbaines avec les métiers. Certaines exceptions sont notables tel à Strasbourg qui a vu la création d’une commission mixte paritaire.

Les ouvriers ont alors accru leurs tentatives de groupement défensif sous la forme de fraternités ou de confréries religieuses et charitables, caisses de secours dotées de fond, de chefs et d’une organisation disciplinaire aussi stricte que celles des métiers patronaux. Par exemple à Provins en 1320 ou encore à Amiens en 1340.Ces fraternités ne sont tolérées qu’à condition de ne pas organiser de grèves ce qu’elles font quand même. On commence par appelé ces organisation compagnonnages pour souligner leur caractère confraternelle.Dans les métiers où la main d’oeuvre est importante tels les foulons, les ouvriers ont réussis à faire pression sur leurs patrons. D’autant plus que certains on réussi à dépasser le cadre de leur ville pour s’organiser à l’échelle régionale voir nationale. Du coup, ils ont réussi à obtenir le soutien des autorités urbaines qui ont vu dans ces organisations le moyen d’apaiser les tensions et de maintenir l’ordre. Ainsi à Bâle en 1400, c’est la ville qui interdit aux maîtres de passer des ententes sur les salaires. Mais la négociation atteint vite ses limites et les explosions sont fréquentes.

2. Les explosionsContre les salaires trop faibles, le travail de nuit, les vexations patronales, les villes

connaissent des phases de conflit de travail et de grèves, parfois violentes. On en rencontre dès les années 1240 - 1250 à Douai ou Arras pour les tisserands et les foulons. Ils réclament une réduction du temps de travail à 9h en hiver ou qu’un ouvrier ne puisse pas être expulsé de son atelier au seul gré de son maître mais seulement après jugement du collège des gardes jurés du métier.Certaines émeutes s’en prennent aux autorités municipales qui ne jouent pas leur rôle de régulateur tel à Provins en 1279 où le maire avait imposé une heure de travail journalier en plus : il est massacré.Au XIIIe, les émeutes se propagent un peu partout. On y pratique le takehan ou bris de machine (luddisme). Bien entendu, les autorités réagissent vivement : interdiction de grève, condamnation des grévistes , etc. On voit aussi parfois des conflits entre métiers dominants et dominés tel celui entre foulons et tisserands à Gand en 1340. Mais l’apogée de ces revendications sociales et professionnelles, fut atteint entre 1376 et 1381 où toute l’Europe se soulève quasi simultanément. L’Europe s’embrase, mais ce mouvement fut un échec et la répression fut féroce. Cet échec sonna le glas de ces grands mouvements ouvriers même si d’autres émeutes éclatent sporadiquement.

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Les artisans n’avaient tiré aucun bénéfice de leurs mouvements revendicatifs. Mais ils ont au moins appris à être plus solidaires et ont appris à former des ententes. les ouvriers ont alors choisis la voie du compagnonnage et de la négociation pacifique qui a mis bien longtemps à produire quelques fruits.

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