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Être socialiste au 21ème siècle Le constat Le Congrès de Poitiers doit être utile. Rien ne serait pire qu’un congrès pour rien. Les attentats de janvier 2015 ont ressoudé les Français autour des valeurs de la République. Les Français ont rappelé leur attachement aux trois principes, inscrits au fronton de nos écoles : Liberté, Egalité, Fraternité. Le pacte républicain réaffirmé, l’enjeu est maintenant d’écrire une nouvelle page de notre histoire en revivifiant notre pacte social : quel modèle de société voulonsnous ? Réécrire ce pacte social pour le XXIe siècle nécessite de dire ce qui relève du marché et ce qui est de la responsabilité de la puissance publique. C’est ce nouveau pacte social que le congrès du Parti Socialiste doit porter et mettre sur la place publique, sans rien cacher des contraintes. “Ne dissimulez pas le vrai visage du socialisme” disait Léon Blum au Congrès de 1946, en exhortant les socialistes à n’avoir peur ni des militants qui votent les investitures, ni de l’opinion publique ou des électeurs. Face à la crise économique, la plus grave depuis 1929, les militants socialistes ne peuvent pas se satisfaire de demimesures. Nous ne pouvons pas nous nous satisfaire de discours où la communication prime sur les conséquences directes de nos mesures pour les Français. Pour retrouver de la pertinence et donc de la force, le parti socialiste doit redonner de la fierté aux militants. Le Congrès doit redonner l’envie aux militants de participer aux travaux. Le Congrès doit donner aux militants l’assurance d’être écoutés et entendus. Le congrès doit donner l’envie aux militants de diffuser le projet des socialistes dans la société. Nos échecs font le succès de l’extrême droite, On entend dire dans les réunions publiques : “pourquoi voter socialiste, si nos représentants se détournent de leur promesse sitôt élus ?” Comment en eston arrivés là ? Depuis 10 ans, les communicants prônent l’action politique par le buzz : peu importent les idées, seul compte l’impact médiatique. Depuis Nicolas Sarkozy, les communicants semblent avoir trouvé une martingale pour faire causer : la triangulation ou l’art de reprendre les idées de l’autre camp politique pour faire parler de soi. Il n’y a rien de plus pénible pour un militant que de voir ses élus succomber à ces techniques de communication, qui plaisent tant aux médias en recherche d’audience par le clivage permanent. Il n’y a rien de plus pénible pour un électeur que des élus versatiles, changeant de discours au gré du vent ou sous la pression bruyante des auditeurs. Les électeurs votent, puis découvrent que la majorité applique une autre ligne politique, sous le

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Être socialiste au 21ème siècle

Le constat Le Congrès de Poitiers doit être utile. Rien ne serait pire qu’un congrès pour rien. Les attentats de janvier 2015 ont ressoudé les Français autour des valeurs de la République. Les Français ont rappelé leur attachement aux trois principes, inscrits au fronton de nos écoles : Liberté, Egalité, Fraternité. Le pacte républicain réaffirmé, l’enjeu est maintenant d’écrire une nouvelle page de notre histoire en revivifiant notre pacte social : quel modèle de société voulons­nous ? Réécrire ce pacte social pour le XXIe siècle nécessite de dire ce qui relève du marché et ce qui est de la responsabilité de la puissance publique. C’est ce nouveau pacte social que le congrès du Parti Socialiste doit porter et mettre sur la place publique, sans rien cacher des contraintes. “Ne dissimulez pas le vrai visage du socialisme” disait Léon Blum au Congrès de 1946, en exhortant les socialistes à n’avoir peur ni des militants qui votent les investitures, ni de l’opinion publique ou des électeurs. Face à la crise économique, la plus grave depuis 1929, les militants socialistes ne peuvent pas se satisfaire de demi­mesures. Nous ne pouvons pas nous nous satisfaire de discours où la communication prime sur les conséquences directes de nos mesures pour les Français. Pour retrouver de la pertinence et donc de la force, le parti socialiste doit redonner de la fierté aux militants. Le Congrès doit redonner l’envie aux militants de participer aux travaux. Le Congrès doit donner aux militants l’assurance d’être écoutés et entendus. Le congrès doit donner l’envie aux militants de diffuser le projet des socialistes dans la société. Nos échecs font le succès de l’extrême droite, On entend dire dans les réunions publiques : “pourquoi voter socialiste, si nos représentants se détournent de leur promesse sitôt élus ?” Comment en est­on arrivés là ? Depuis 10 ans, les communicants prônent l’action politique par le buzz : peu importent les idées, seul compte l’impact médiatique. Depuis Nicolas Sarkozy, les communicants semblent avoir trouvé une martingale pour faire causer : la triangulation ou l’art de reprendre les idées de l’autre camp politique pour faire parler de soi.

­ Il n’y a rien de plus pénible pour un militant que de voir ses élus succomber à ces techniques de communication, qui plaisent tant aux médias en recherche d’audience par le clivage permanent.

­ Il n’y a rien de plus pénible pour un électeur que des élus versatiles, changeant de discours au gré du vent ou sous la pression bruyante des auditeurs. Les électeurs votent, puis découvrent que la majorité applique une autre ligne politique, sous le

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prétexte de bonne gestion. La droite vendait la suppression des 35 heures et de l’ISF, mais elle n’a jamais voté ces promesses. Il y a 10 ans, le Parti Socialiste portait un projet de régulation de la spéculation financière. Aujourd’hui, la place du lobby bancaire au sein de l’appareil d’Etat a pesé sur les projets de loi de notre majorité et rogné nos promesses.

Nous ne pouvons plus continuer comme cela. Il faut que les politiques reprennent le contrôle de leur communication en coupant les ponts avec les boutiques de communicants qui se sont immiscées dans tous les cercles du pouvoir, alors qu’ils vendent leurs prestations et leurs conseils tantôt aux élus (de droite comme de gauche), tantôt aux multinationales et les groupes d’influence. Il faut aussi prendre de la distance avec des groupes issus de la haute fonction publique qui recyclent la même soupe indigeste à la droite et à la gauche en la présentant comme la seule voie possible estampillée de droite ou de gauche suivant qui tient le pouvoir. La pensée unique triomphe sur l’audace. Le conservatisme et le conformisme endorment toute velléité de réforme, de changement et d’innovation dans les politiques publiques et la structure de notre économie. Nous choisissons de nommer ces problèmes, parce que le politique doit aujourd’hui assumer pleinement son rôle et ne peut plus se dessaisir du pouvoir que lui confie le peuple. Et l’actualité de scandales qui éclaboussent des personnalités de droite comme de gauche nous conduit aussi à poser le problème de la corruption. La confusion des principes et le doute qui pèsent sur des lois sous influence nous scandalisent . 1

Ce doute est mortifère pour toute démocratie. Chaque scandale politique sème le doute dans la population. On dit souvent que le FN s’est nourri de l’incapacité des politiques à lutter contre la montée du chômage de masse, car le chômage est le comburant de l’explosion électorale du FN en 2014, mais le danger vient aussi de ces scandales à répétition, qui mettent le feu aux poudres. Après les scandales du quinquennat Sarkozy, nous souhaitions une république exemplaire; nous avons fait des progrès, mais les marches à gravir sont encore hautes et nombreuses. Nous avons toute confiance dans la probité et le sens du sacrifice du Président de la république, mais la sélection des proches qui devaient concourir à l’exercice du pouvoir a effacé ces atouts. Malgré l’importance des lois sur le non­cumul des mandats et sur la transparence de la vie politique, nous porterons longtemps la tâche indélébile de ces ministres ou de ces conseillers qui voulaient se servir avant de servir la république, de ceux qui se servent sur le dos du pays au lieu de servir et d’être utiles au pays. Cela nourrit durablement les rangs du FN. Une partie de plus en plus importante de la population revendique le vote FN en étant parfaitement

1 François Perroux : “ Toute société capitaliste fonctionne régulièrement grâce à des services publics , qui ne sont ni imprégnés, ni animés de l’esprit de gain. Lorsque le haut fonctionnaire, le soldat, le magistrat, le prêtre, l’artiste, le savant sont dominés par cet esprit du gain, la société s’écroule et toute forme d’économie est menacée.” Le capitalisme,

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consciente des conséquences : un parti d’extrême­droite au pouvoir se traduirait immédiatement par une restriction des libertés publiques et une forme de violence d’Etat vis­à­vis des immigrés et des plus pauvres. Parce que le front républicain semble avoir vécu dans les urnes, il va falloir inventer un nouveau mode d’action : faute de pouvoir agir sur les conséquences électorales, il faut agir sur les causes. La lutte contre le FN doit s’incarner dans l’action plutôt que se limiter aux discours. Les socialistes doivent répondre au FN en activant deux leviers :

­ Le premier est le levier économique et il s’agit du combat permanent que nos dirigeants doivent mener contre le chômage. Combien de ministres nous ont couverts de belles et de vaines paroles ? Le peuple français est rationnel, il juge l’action d’un gouvernement sur les résultats : Pas de blabla, ni de longs discours, seulement des résultats, notamment dans l’accompagnement des chômeurs pour les aider à retrouver du boulot. La politique est un art de l’exécution.

­ Le second est le levier moral : il s’agit de réaffirmer nos valeurs républicaines pour

mieux contrer les peurs. Les dirigeants politiques devraient arrêter de brouiller les repères idéologiques et consacrer une plus grande partie de leur temps à promouvoir nos valeurs républicaines sur tout le territoire, et surtout dans les territoires les plus fragiles. Pour réaffirmer nos principes républicains, il faut travailler, travailler, travailler et puis faire un effort de clarté : réenchanter la République, dire où l’on doit aller, expliquer comment on va y aller, faire ce que l’on dit et dire ce que chacun doit apporter au bien commun.

Ressouder les militants avec l’exécutif, enjeu du congrès Le pouvoir a éloigné les élus socialistes de leurs électeurs. La férocité de l’arithmétique fiscale nous a permis de sortir les comptes publics de la zone de danger, mais le feuilleton budgétaire quotidien a usé nos ambitions : difficile de changer la vie des français, lorsque ce sont des milliards d’économie, qu’il faut trouver chaque mois. Le doute s’est installé en premier lieu parmi les français les plus fragiles. Ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi et qui doutent de notre capacité à améliorer leur vie et celle de leur famille. Il faut ressouder les militants socialistes avec le pouvoir exécutif et contrairement à ceux qui disent “ne pas prendre de risque, ne pas faire de vagues”, nous pensons que ressouder les militants et l’exécutif passe par un devoir d’inventaire et ensuite par la réécriture d’une ligne politique, ancrée dans la réalité. Le devoir d’inventaire, le discours de vérité, c’est une exigence que nous devons à ceux qui se mobilisent à chaque élection, dans le but de porter encore plus haut le projet des socialistes. La modernité en politique, c’est la transparence. Il faut parfois revenir sur nos erreurs pour analyser les causes et les effets.

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Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître les contraintes et les rapports de force qui se nouent entre un ministre et un appareil d’Etat inamovible, entre un ministre et la commission européenne, entre un ministre et la tutelle budgétaire, toujours aussi prompts à rappeler qu’il ne faut pas ignorer la puissance économique de ceux qui détiennent notre dette. La lucidité doit aussi nous pousser à reconnaître que parfois notre programme électoral n’était pas suffisamment réaliste. L’analyse des erreurs est un des fondements de l’apprentissage du pouvoir, que nous devons faire, même si ce faisant nous risquons les critiques sur le manque d’expertise de nos promesses.

En politique comme dans la vie, le fait de regarder en face son bilan, ses erreurs et ses échecs est un signe de maturité. Les socialistes peuvent être fiers de François Hollande, qui n’a jamais refusé l’examen critique de l’action du gouvernement, quitte à corriger régulièrement le mouvement. Il ne sert à rien de tenter de réécrire l’histoire après coup. Ressouder les militants avec l’exécutif passe enfin par l’écriture d’une ligne politique claire et compréhensible de tous. Nous souhaitons proposer aux militants de réaffirmer notre attachement à la social­démocratie. Retrouver le vrai visage du socialisme Le congrès de Poitiers va nous permettre de dire clairement quels sont nos projets, nos contraintes et nos choix pour la France. La parole publique des dirigeants socialistes doit systématiquement porter un message de transformation sociale au bénéfice de tous. 2

François Mitterrand était conscient que “chaque effort demandé à la nation devait avoir pour contrepartie un progrès social au bénéfice de tous”. Ce message de transformation sociale ne peut que s’ancrer dans le réel. Il n’y a rien de plus absurde que de vouloir moderniser un pays en s’enfermant dans un monde de chimères ou d’utopies. Les sociaux­démocrates ont longtemps combattu les chimères marxistes, ils doivent aujourd’hui apprendre à lutter contre les utopies technocratiques et la pensée unique des énarques ou des technocrates de Bruxelles. La caricature d’une élite déconnectée est donnée par ceux qui nous expliquent qu’un gouvernement socialiste moderne doit donner l’espoir aux jeunes de devenir milliardaires. On a envie de se pincer ! Les Français ont montré en marchant massivement le 11 janvier 2015 leur attachement à la Fraternité en défendant des valeurs fondamentales qui n’ont rien à voir avec la cupidité.

2 Jacques Julliard : “L’individualisme moderne d’essence néocapitaliste, destructeur de toute espèce de solidarités Pour la gauche, il n’y a pas de tâche intellectuelle et politique plus importante que de réconcilier le progrès avec la justice sociale”La gauche et le peuple,

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Cela peut paraître un simple détail, une petite maladresse, mais nous voulons dire au Président de la République l’effet dévastateur de ces saillies à répétition. Que dirons­nous aux Français lorsque l’UMP proposera de travailler 52 dimanches par an, alors que nous aurons totalement baissé les armes auparavant? Est­ce le rôle d’un gouvernement socialiste d’encourager les jeunes à rêver l’accumulation d’un patrimoine d’un milliard d’euros , alors 3

que ils ont tellement de mal à trouver un petit boulot, même précaire et un logement digne ? Il faut rompre avec les habitudes héritées de l’Ancien Régime de laisser se constituer des courtisans. La haute fonction publique doit retrouver sa place et rien que sa place : servir l’Etat et mettre en oeuvre le projet politique porté par l’Exécutif. Si le pays va mal depuis plus de 15 ans, malgré les alternances politiques, c’est peut­être aussi parce que l’appareil d’Etat n’est plus au niveau des enjeux et des crises que nous affrontons. L’ENA n’est pas le temple sacré de la méritocratie républicaine, mais un outil d’auto­reproduction d’élites, “trustant” et confisquant les mêmes fonctions au sein de l’appareil d’Etat sur plusieurs générations. Lorsqu’un haut fonctionnaire rencontre un député, le message peut être parfois direct : “Vous serez déjà parti, mais nous, nous serons toujours là”. La technocratie ne doit pas supplanter la démocratie. C’est pour cela que les socialistes et d’abord les élus socialistes doivent retrouver une nouvelle exigence de travail. Nous avons déjà largement récrit en grande partie le logiciel du parti socialiste, mais les élus doivent prendre en main ce nouveau logiciel. Pas un seul guide du nouvel élus ne devrait commencer par un autre de ces mots : “vivre les pieds ancrés dans le réel, écouter, se poser les bonnes questions, triturer les idées, confronter son action aux principes socialistes, développer son sens critique pour mieux évaluer les préconisations technocratiques”. Pour bâtir une transformation efficace du pays, Léon Blum prônait lors du Congrès de 1946 une mobilisation pour le changement réel de la société : “Vous invoquez la nécessité du renouveau. Mais plus que tout le reste vous avez peur de la nouveauté.” Alors nous reprendrons à notre compte cette recommandation pour condamner ceux qui se croient modernes en faisant systématiquement référence à Tony Blair et Gerhard Schröder, deux dirigeants politiques des années 90. Est­ce que la modernité, c’est de reprendre de vieilles recettes, dont on sait aujourd’hui, qu’elles ont profondément fragilisé la social­démocratie européenne, au point d’installer durablement les conservateurs allemands et anglais au pouvoir ? Est­ce que pour être

3 Emmanuel Macron : “Il faut des jeunes français qui aient envie de devenir des milliardaires” Interview du journal Les Echos du 06 janvier 2015

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moderne, il faut oublier le progrès social pour tous et transformer nos militants en une force 4

supplétive du patronat et des conservateurs néo­libéraux ? Être moderne, c’est d’abord vouloir innover en politique et sur tous les sujets. Aucune action ne devrait pouvoir se faire, sans explorer toutes les pistes possibles d’amélioration. Aucune action ne devrait être réalisée, sans s’interroger sur la cohérence du système avec les grands principes du socialisme. Est­ce que la modernité, c’est de changer le nom du parti ? Franchement, lorsque presque 3,5 millions de nos compatriotes sont confrontés au chômage de masse, il y a bien d’autres priorités que de changer le nom du parti ou de le dissoudre dans une maison commune, qui ne peut avoir de sens que si l’objectif est de porter un projet de société encore plus fort et de porter un projet bien défini. Disons­le clairement et sans peur de la polémique avec une partie des socialistes : passé le vernis de la communication, nous ne voyons, aujourd’hui, aucune vision d’avenir derrière le concept de maison commune. La modernité ce n’est pas l’aventure, mais c’est de renouveler nos méthodes de travail. L’alliance des forces de gauche est souhaitable, mais elle ne sera pas possible sans un respect mutuel entre les partenaires et surtout sans un immense travail sur les principes, sur les valeurs et sur le projet de société. Toute notre énergie doit aller dans le même sens : recréer le lien entre les socialistes et le peuple de gauche, redonner de la visibilité aux valeurs socialistes et de la fierté aux militants. Pour cela il faut lever une partie du voile qui a brouillé nos repères. Tant qu’il y aura des inégalités, le mot “socialiste” sera d’un cruel présent. Les récents chiffres sur l’accumulation de richesses par une frange sans cesse plus étroite au détriment du reste de la planète confortent malheureusement son actualité. Il faut donc répondre à la question :Qu’est­ce que veut dire “être socialiste” au 21ème siècle ?

Être socialiste au 21ème siècle ? Au gré des événements qui ont façonné le mouvement socialiste depuis le congrès de Tours en 1920, c’est la social­démocratie, qui s’est progressivement installée au coeur du mouvement socialiste français. Certains réclament un aggiornamento, un Congrès à la Bad­Godesberg, parce qu’ils ne connaissent pas notre histoire, nos statuts et nos déclarations de principes. Notre contribution aux débats s’inscrit dans le cadre d’une ligne claire : 1/ Nous sommes attachés à la social­démocratie,

4 Jacques Julliard : “La gauche a perdu la confiance du peuple et elle a perdu sa propre confiance dans le progrès, en se laissant entraîner sur les terrains du libéralisme au détriment de l’exigence d’une société solidaire et responsable.” La gauche et le peuple,

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2/ Nous rejetons dos­à­dos les théories marxistes ou libérales, deux pensées du 19e siècle, apparemment opposées, mais qui partagent une même vision d’un rapport de force et de violence permanent entre les individus . 5

Au contraire des théories de l’affrontement, notre vision du socialisme est directement inspirée de trois piliers de la tradition grecque, que l’on retrouve chez Aristote : “L’homme est un animal social”, “la communauté est affective” et “toute mise en commun se fonde sur la justice”. Cela signifie que contrairement aux thèses libérales, l’individu n’est pas qu’un être égoïste, qui se regroupe en société par calcul opportuniste. La société n’est donc pas un poids ou une contrainte pour les individus, mais un espace d’échanges, d’épanouissement et de fratermité, qui permet aux femmes et aux hommes de se reconnaitre en tant que citoyens et membres d’une même communauté affective. La vision de l’individu des socialistes n’est pas celle des libéraux, car elle conçoit que les individus peuvent se réunir autour de projets et de grandes causes, sans être dans le calcul et la marchandisation systématique des relations et des liens avec les autres. Être socialiste, c’est faire le pari d’un individu éduqué et autonome, acteur éclairé d’une société apaisée et juste propice à une multiplication des liens de solidarité et de coopération entre les citoyens. C’est pourquoi nous devons rester vigilants et combatifs pour ne pas sacrifier notre projet de société, et préserver la place de l’éducation et de la justice dans la pays.

“Être socialiste, c’est ne pas se satisfaire du monde tel qu’il est, c’est vouloir changer la société. L’idée socialiste relève, à la fois, d’une révolte contre les injustices et du combat pour une vie meilleure”. Cette déclaration de principe est celle du parti socialiste, inscrite dans nos statuts depuis 2008. Le socialisme est donc une volonté d’élévation de l’individu et de la société par l’émancipation. Le socialisme est une révolte. “De quoi est né le socialisme ? De la révolte de tous ces sentiments blessés par la vie”, écrivait Léon Blum, un des plus grands réformateurs socialistes, qui a su impulser une dynamique de progrès social au bénéfice de tous, dans un pays ravagé par les suites de la crise financière de 1929. Léon Blum écrit cette phrase pour son fils en 1919, à quelques mois d’une terrible guerre, dans une lettre intitulée “Pour être socialiste”. La révolte est une respiration nécessaire de la démocratie, car la révolte contre l’injustice permet d’activer une dynamique de changement. Face à ce besoin de révolte et d’indignation, on ne doit pas abdiquer chaque jour devant les impératifs d’une gestion technocratique. Bien

5 Jacques Juliard : “La pensée du XIXe siècle est dominée par deux grands courants opposés ­ libéralisme et marxisme ­ qui en vérité disent la même chose, à savoir que l’homme est exclusivement conduit par ses intérêts” La gauche et le peuple,

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sûr, “l’Etat ne peut pas tout”. Bien sûr, les indignations successives non­suivies de mesures correctrices sont vaines. Pourtant, il est nécessaire pour un dirigeant socialiste de porter la voix et la révolte de ceux qui n’ont rien ou si peu, dans le but de créer une société plus juste

Être socialiste, c’est se révolter contre les injustices. Pour Léon Blum, “On est socialiste à partir du moment où l’on a cessé de dire : Bah ! c’est dans l’ordre des choses ; il en a toujours été ainsi, et nous n’y changerons rien ! On est socialiste à partir du moment où l’on a senti que ce soi­disant ordre des choses était en contradiction flagrante avec la volonté de justice, d’égalité, de solidarité ”. Le socialisme est une transgression de femmes et d’hommes qui ne veulent pas se résigner à l’injustice. Les socialistes doivent avoir à coeur de défendre partout la justice parce que c’est le meilleur moyen de consolider le vivre­ensemble. Pas une seule action ne peut se revendiquer de la morale laïque socialiste, si elle fait reculer dans la société l’idée de la justice. Et c’est par exemple pour construire une société plus juste, que les pères de la République ont décidé d’ériger notre système d’éducation, comme le premier pilier de la République. Éducation, qui ne veut pas dire instruire ou faire un cours, mais qui, en cohérence avec sa racine latine, signifie “conduire vers le haut”, “faire grandir”. Les pères de la république ont choisi de donner une mission primordiale aux enseignants, celle de transformer l’enfant en un être autonome, par un lent et progressif apprentissage des grands principes de la société, dans le but de leur permettre de devenir de vrais citoyens de la république, dans le but de distribuer les places et les fonctions dans la société en fonction des aptitudes et des mérites, plutôt qu’en raison des seuls caractéristiques de la naissance et du lignage. C’est pour cette raison que les socialistes doivent se révolter contre la paupérisation de l’éducation nationale, qui fragilise nos citoyens en devenir, dans les territoires les plus 6

pauvres et qui s'accommode de ne plus être qu’un outil de sélection dans une mécanique de reproduction sociale. Être socialiste, c’est ainsi réfuter tout vocable d’égalité des chances. La République n’est pas une affaire de hasard, mais bien le résultat d’une volonté commune et le prix de longs efforts pour faire travailler ensemble des citoyens. L’égalité des chances, c’est une mauvaise réponse à une vraie question, car cela suppose l’abdication permanente de la république devant des facteurs de déterminisme social comme le lieu de résidence, la coloration du patronyme, l’école délivrant un diplôme. La réintroduction de la morale laïque républicaine et de l’instruction civique à l’école dépasse ce voeu de faire de chaque enfant un milliardaire pour leur permettre d’être avant tout des citoyens éclairés et libres.

“Le socialisme est une morale laïque”, Léon Blum.

6 Adam Smith : “Tels sont les inconvénients de l’esprit d’entreprise. Les intelligences se rétrécissent, l’élévation d’esprit devient impossible. L’instruction est méprisée ou du moins négligée.” The theory of moral sentiments,

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Le socialisme est une morale moderne et laïque. Ce n’est pas le moralisme des dames patronnesses du XIXe siècle, mais une éthique, qui doit être partagée par les socialistes. Les débats du 20ème siècle faisaient du socialisme une question sociale sur la place des classes populaires et sur celle des classes moyennes . Les débats de ce début du 21ème 7

siècle font du socialisme une question économique sur le rôle de l’Etat dans la production. La perte de repères vient de ce que l’on pose de mauvaises questions : le socialisme est d’abord la morale laïque d’un citoyen et l’éthique collective d’un groupe d’individus, qui ont plaisir à partager une même vision de la société. Cette morale, cette éthique, ces principes vont permettre d’éclairer chaque décision ou chaque action au travers d’une grille de lecture partagée entre militants, élus et électeurs. Le socialisme se meurt lorsque la morale n’est plus au coeur de l’action des socialistes. C’est pour cela que les scandales, les soupçons d’affairisme et les situations de conflits d’intérêts que l’on détecte dans les sphères du pouvoir, nous font tant de mal et font gonfler le vote pour les candidats du FN. La morale des socialistes est le fruit d’une longue histoire depuis Aristote pour permettre notamment aux élus de mesurer chaque action, chaque intervention, chaque vote au regard du critère suivant : “Que dois­je faire ? Que puis­je espérer ? Est­ce que ma décision va avoir pour effet d’encourager le vivre­ensemble et l’ouverture sur l‘autre ? Est­ce que ma décision va encourager le retour à l’individualisme et au repli sur soi ?”.

La morale socialiste est singulière et se distingue fortement de la morale libérale. Les socialistes portent une conception fraternelle de la société, dans laquelle l’homme est un “animal social”. Loin des égoïsmes primaires, l’homme moderne trouve du plaisir et de la reconnaissance dans la vie en société. Dans le recueil Pour être socialiste, Léon Blum pose clairement l’enjeu. Les libéraux justifient l’égoïsme et le calcul de l’intérêt particulier; la morale socialiste a pour seul idéal l’intérêt général qui permet de construire une société fraternelle et plus solidaire : “Nous sentons que la vertu véritable, celle que procure la pleine satisfaction du coeur, c’est de pouvoir sacrifier fût­ce notre intérêt commun et notre profit égoïste, au bonheur commun”. Le socialisme est un avenir commun Être socialiste, c’est vouloir lier des individus dés­associés, alors que les libéraux pensent qu’il faut protéger les individus de la société pour ne pas gâcher leurs talents d’entrepreneurs 8

. C’est une différence fondamentale avec les libéraux, qui semble invalider les tentatives visant à unir sous une une même bannière le socialisme et le libéralisme.

7 Léon Blum : “Le socialisme est né du contraste, à la fois scandaleux et désolant, entre le faste des uns et le dénuement des autres” Pour être socialiste, 8 Pierre Rosenvallon : “L’individualisme puissant dissolvant de la société” Refaire société,

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Être socialiste, c’est mettre le respect de la loi républicaine au coeur du contrat social. Cela passe par des lois, fabriquées pour être comprises et respectées. Les socialistes lorsqu’ils sont au pouvoir doivent donc veiller à voter des lois utiles, pleines et entières : les lois d’intention, qui provoquent le débat puis s’oublient dès la fin de la seconde lecture, fragilisent le contrat social. Les lois techniques, qui construisent des usines à gaz, fragilisent le droit. Pour être légitimes et respectées, les lois doivent être rares mais efficaces à produire du bien commun. La loi doit être forte pour éviter l’usage de la force brute, qui soumet aveuglément les individus. Nous l’avons écrit plus haut, le socialisme français s’est construit en renvoyant dos à dos les libéraux et les marxistes, les libéraux parce qu’ils justifient la force et la soumission des individus au pouvoir de l’argent, les marxistes parce qu’ils prônent l’utilisation de la force pour soumettre une partie de la population. Les socialistes doivent organiser le fonctionnement de l’Etat pour garantir le respect de la loi républicaine et moderniser l’Etat Providence, modernisation indispensable à la solidarité entre les générations . 9

Lors des dernières primaires socialistes, les concepts de Fraternité et de Care portés respectivement par Ségolène Royal et Martine Aubry ont été raillés par ceux qui s’affichent aujourd’hui comme des “socialistes modernes et pragmatiques”. Ils ont eu tort. Au nom du modernisme, certains socialistes ont abandonné toute velléité d’améliorer la vie des français alors que les projets de Fraternité et de Care ouvraient bien une voie à la réconciliation entre l’individu et la société. Les dirigeants de la droite ont tenté d’écrire un projet qui mettait en son centre ce qu’ils identifiaient comme une crise identitaire. Or en faisant cela, elle a ouvert la porte aux débats les plus nauséabonds sur le rejet de l’autre. Nous avons tenté de répondre au concept de l’identité par des arguments sur l’immigration, sans comprendre que nous faisions fausse route. Cette crise de la société n’est pas une crise de l’identité française, c’est une crise du modèle 10

de production, qui met à mal l’ensemble des mécanismes de financement de nos institutions. La fragilité des institutions républicaines attaquées jusqu’à l’os par des décennies de coupes budgétaires risque de briser les reins de notre modèle républicain. Or le débat artificiel sur l’identité et l’immigration est une mauvaise réponse à apporter à la crise qui existe sur la place des individus dans la société.

9 Pierre Rosenvallon : “Débloquer l’Etat­providence, c’est aussi réanimer des espaces publics et démocratiques dans lesquels la société puisse faire travailler sur elle­même de la façon lucide ces questions essentielles” La crise de l’Etat­providence, 10 Ulrich Beck : “La société moderne se scinde en deux avec d’un côté la représentation, toujours valable au sein des institutions, reflétant les anciennes sécurités et figures de la normalité d’une société industrielle, et de l’autre une multitude de modes de vie qui s’en éloignent de plus en plus. En adaptant librement Brecht on pourrait dire que les partis politiques, les syndicats pourraient bientôt se voir contraints à se séparer de leurs électeurs et de leurs adhérents, car ceux­ci ne veulent plus se conforter à l’image institutionnelle qu’ils véhiculent.” Le conflit des deux modernités et la question de la disparition de la solidarité,

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La crise doit être mieux identifiée, les mauvaises questions doivent être écartées du débat public et les socialistes doivent mettre en avant leur projet, parce qu’il est capable d’apporter des réponses efficaces, en puisant dans l’histoire de notre mouvement. Le socialisme s’est construit au cours de la 3ème république dans le rejet des ligues. Notre vision d’une société dans laquelle les individus coopèrent les uns avec les autres est particulièrement adaptée aux temps de crise, parce que nous pouvons alors mettre en lumière les incohérences et les limites du modèle libéral. Ce qui manque à la France, c’est de dire comment s’organisent les rapports entre les français et le monde globalisé. Ce qui manque à la République, c’est de dire comment s’organisent les rapports entre les individus face à la montée du repli identitaire et des communautés. Ces questions sont déterminantes, parce qu’elles réclament des réponses qui prennent en compte le changement de société et la fin du modèle industriel de l’après­guerre. Le monde et le pays ont changé et nous devons bâtir le nouveau modèle français, sans sacrifier nos valeurs socialistes et nos principes républicains qui sécurisent les citoyens. L’élan républicain du début de l’année nous montre la voie : c’est en puisant aux sources de notre idéal, que l’on pourra régénérer la France et la rendre plus forte dans le concert des nations. Et le PS? Quel parti, pour quels militants? Pour bâtir ce monde émergent, il faut un Parti socialiste debout. La volatilité des électeurs, la fin des idéologies et une forme de repli sur soi observé dans tous les milieux contraignent à réinventer le rôle et la place des militants, ainsi que leur pouvoir dans le fonctionnement du parti. D’abord, le Parti socialiste doit assumer d’être à nouveau une école militante et un lieu où se pensent les réponses politiques. La perte du monopole de désignation du candidat socialiste à l’élection présidentielle avec le système des primaires doit conduire à repenser la fonction des militants. Ils ne peuvent être uniquement les bras armés d’un candidat qui distribuent des tracts et frappent aux portes aux veilles d’élections. Les militants ont un ancrage territorial et sont chacun un capteur de ce qui se passe dans notre société. C’est d’abord aux élus socialistes d’associer leurs camarades à l’exercice du pouvoir à tous les niveaux pour préparer un projet, à chaque élection, pensé collectivement. Le digital offre des pistes pour mieux associer les militants à la décision. Nous ne pouvons pas éluder non plus la question de la diversité des militants (âge, origine sociale, présence sur l’ensemble des territoires) et nous ne pouvons pas nous contenter de nous lamenter de la quasi­disparition des classes populaires parmi les militants ainsi que notre faible capacité à politiser les quartiers les plus défavorisés. Le non cumul des mandats dans le temps et en nombre de mandats détenu doit être un outil pour que le PS retrouve son rôle d’émancipation, de révélation et de promotion sociale par la politique. L’institutionnalisation des élus socialistes dans les bassins ouvriers pendant 30 ans a enlevé toute perspective de porter les couleurs du PS aux élections pour de nombreux camarades.

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Ceux qui détiennent un mandat ne doivent plus oublier que leur candidature n’est que la somme des renoncements des autres camarades à se présenter eux­mêmes. Le PS doit à nouveau s’adresser aux classes populaires, reprendre ce discours d’émancipation, de formation. Un parti doit être aussi utile à ses adhérents, les élever, les former et leur apporter une raison de militer et d’être fiers. Le PS doit renouer avec sa fonction d’université populaire et permanente pour aider ses membres à avancer en se construisant individuellement dans le collectif. C’est à ce prix seulement que nous pourrons renouer avec le vote des catégories populaires et créer un effet d’entraînement profond et durable dans la société française.