silvio trentin, un européen en résistance (1919-1943)

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SILVIO TRENTIN PAUL ARRIGHI LOUBATIÈRES H ISTOIRE Un Européen en résistance 1919-1943 préface de rémy pech

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Silvio Trentin était de ces êtres rares qui savent relier la pensée et l’action. Lamontée du fascisme en Italie, puis la guerre, vont servir de cadre à son engagementpolitique. Universitaire, juriste, homme politique, combattant, Européen,il fut tout cela à la fois.Son opposition à l’oppression le conduit à quitter l’Italie pour la Gascogneen 1926, puis Toulouse ou il ouvre une librairie. Celle-ci, 46 rue du Languedoc,devient vite un foyer ouvert aux idées progressistes. Son soutien aux républicainsespagnols l’amène à se rendre à plusieurs occasions à Barcelone. La Deuxièmeguerre mondiale survient et son engagement devient résistance. Il soutient,organise, théorise la Résistance ; son organisation – Libérer et Fédérer – sera unmouvement original de reconquête de la liberté dans le Sud de la France.Mais la lutte a lieu aussi en Italie et Silvio Trentin ne peut pas ne pas y participer.Il retourne dans son pays, il combat, il est fait prisonnier. Il meurt en détention en 1944

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Page 1: Silvio Trentin, un Européen en résistance (1919-1943)

SILVIOTRENTIN

PAUL ARRIGHI

LOUBATIÈRES HISTOIRE

Un Européen en résistance1919-1943

préface de

rémy pech

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CET OUVRAGE A ÉTÉ PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS

DU CENTRE RÉGIONAL DES LETTRES DE LA RÉGION MIDI-PYRÉNÉES

© Nouvelles Éditions Loubatières, 2007 10bis, boulevard de l’Europe, BP 27

31122 Portet-sur-Garonne [email protected]

www.loubatieres.fr

ISBN 978-2-86266-521-4

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Paul Arrighi

SILVIO TRENTINUn Européen en résistance

(1919-1943)

LOUBATIÈRES

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À Élisabeth, Fiammetta Lazzarini,Daniel Latapie, Rémy Pech,

Jean-Pierre Pignot, Frank Rosengarten,à mes parents, à la famille Trentin,

et à toutes celles et ceuxqui eurent l’ardent courage de résister

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Préface

Issu d’une thèse soutenue il y a peu à l’Université de Toulouse-Le Mirail,l’ouvrage que voici vient à point nommé.

Avec Jean-Pierre Vernant, intimement lié à la Résistance et à la Libé-ration de Toulouse, et Lucie Aubrac, l’année 2007 aura vu disparaîtredeux résistants emblématiques, deux intellectuels qui avaient su se mueren combattants intrépides et parfois téméraires sans jamais perdre devue le ressort profond de leur engagement : dresser contre la bestialitéles forces de l’esprit.

Silvio Trentin était de la même trempe. De celles et ceux qui jamaisne renoncent. De celles et ceux qui pensent et agissent, appliquant àl’action collective le meilleur d’eux-mêmes.

Il quitta l’Italie dès 1926. Juriste et universitaire reconnu, il lui étaitdevenu insupportable de travailler et de militer dans le climat de fasci-sation accentuée qui le désignait, lui et ses pareils comme des ennemisà abattre sans merci. Son exil ne fut en rien une fuite, un repli, maisbien plutôt un accomplissement. Après des efforts méritoires, mais peuconcluants, pour se transformer en exploitant agricole dans une campagnegersoise alors en crise, et un emploi précaire assumé avec modestie etcourage à Auch, il se fixa en tant que libraire à Toulouse. En peu detemps, sa boutique devint un vivant foyer pour tous ceux qui, dès lespremières années trente, entendaient s’opposer à ce reniement de toutecivilisation qu’incarnaient alors les dictatures européennes. Ainsi, soncombat pour l’Espagne républicaine ne se limita pas à une solidarité deprincipe. Il se rendit à plusieurs reprises à Barcelone, et loin d’assisterpassivement aux déchirements internes des forces de résistance au fran-quisme, il sut se forger une conscience aiguë de l’urgence d’une largeunité populaire, d’abord pour faire face au péril mortel qui menaçaitalors toutes les démocraties européennes, ensuite pour promouvoir desvaleurs nouvelles de progrès pour une humanité à la dérive.

Enfin, et dès l’été 1940, il fut le support matériel et l’âme intellec-tuelle et morale des réseaux de résistance du Sud-Ouest, marqué au sceaud’un antifascisme politique préexistant au réflexe patriotique communà tous les mouvements. Mieux, avec Libérer et Fédérer, il réussit à ébau-cher un mouvement de résistance sans équivalent, à la fois résolument

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engagé dans la transformation sociale et animé d’une forte volonté inter-nationaliste et démocratique. Enfin, il connut une fin pathétique, alorsqu’il était parti en Italie prendre sa part des ultimes combats contre lefascisme.

Paul Arrighi, avec toute la rigueur de l’historien accompli retrace cetéclatant destin et analyse avec finesse la pensée d’un homme qui ne cessade mûrir au feu d’une actualité tragique, pour évoluer du libéralismedémocratique vers des positions libertaires, exemptes de tout sectarisme.Cela suffirait à motiver l’intérêt pour cette haute figure, honorée àToulouse mais dont la force et la diversité des engagements sont parfoisméconnues.

Au moment où les valeurs élémentaires de la citoyenneté européennesont bousculées par la détérioration du tissu économique, la propaga-tion de la précarité de l’emploi et du logement, la montée des fanatismeset de la xénophobie, la vie de Trentin est un précieux talisman pour tousceux qui aspirent à relever les défis les plus brûlants du temps présent.

Non, l’Europe ne peut se limiter à la gestion concurrentielle d’unespace pacifié.

Oui, elle peut et doit reprendre sa marche en avant en apportant àses citoyens l’espoir du mieux-être et l’ardente exigence de la solidarité.

Enfin, elle se doit de répandre dans un monde tourmenté le messageuniversel de la démocratie et de la paix, sans cesse appuyé par des actionsgénéreuses qui sont le gage de sa crédibilité.

Merci, Silvio Trentin, par vos écrits et par vos actes, de nous l’avoirmontré.

Merci, Paul Arrighi, de nous faire connaître cet homme qui reste, etqui devient, chaque jour davantage, notre contemporain.

Rémy Pech

Professeur des Universités,

Chaire Jean Monnet.

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avant-propos

Au confluent du hasard et de la nécessité

La première question d’un d’historien, lorsqu’il s’engage dans le projet d’unerecherche, c’est d’indiquer les éléments de son choix. Alors pourquoi cechoix d’un travail sur Silvio Trentin et les réfugiés politiques de l’immigra-tion italienne en Gascogne et dans le Midi toulousain ?

La réponse n’est pas évidente, puisque bien souvent elle se situe auconfluent de la curiosité intellectuelle et du besoin profond, de ce que, s’ins-crivant dans une tradition philosophique durable, le biologiste JacquesMonod a judicieusement nommé Le Hasard et la nécessité. La figure duhasard, ce fut mon ami, l’historien du mouvement de résistance Libérer etFédérer, Jean-Pierre Pignot, qui me remit la copie d’une biographie de SilvioTrentin rédigée par le professeur américain, Frank Rosengarten. J’y décou-vris Silvio Trentin, jeune professeur de droit, en révolte devant la passivitéde la société italienne des années vingt, où s’était, non sans le consentementde certains et la lassitude des affrontements politiques du plus grand nombre,installé un mouvement violent, nommé fascisme, alors paré du sceau de lamodernité. Ma curiosité intellectuelle pour ce thème et ma recherche étaientamorcées.

La qualité essentielle du juriste Trentin, qui me rendit ses écrits encoreplus intéressants, fut son authentique souci de la justice qu’il n’hésita pas àfaire passer avant le formalisme même qui est constitutif au droit. Il n’estcertes pas courant de lire sous la plume d’un professionnel du droit, la profes-sion de foi suivante :

« L’idée du Droit, somme toute, se ramène toujours, lorsqu’on essaiede le saisir dans ses réalisations concrètes, à l’idée de justice. […]Nul mieux que la victime de l’injustice n’a le sens de la justice. C’estpourquoi aujourd’hui le Droit, que la force essaie de bannir de plusen plus des législations officielles et des décisions judiciaires, trouveson rempart inviolable et son foyer dans la conscience intime de tousles opprimés. »

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L’autre préoccupation récurrente de Trentin, comme en témoigne le filconducteur qui guida l’un de ses premiers articles, dès 1911, dans la revueRivista di diritto pubblico e della pubblica amministrazione in Italia, jusqu’àses dernières œuvres, fut le thème de la démocratie locale et de la part dedécentralisation souhaitable qu’il convenait d’inclure dans le dispositif despouvoirs. Cette interrogation récurrente était pour Trentin la traductionpolitique de l’exigence philosophique de l’autonomie humaine. Il est à noterque Silvio Trentin renouait avec une tradition de fédéralisme particulière-ment vivante en Italie et liée aux enjeux et au processus même du dévelop-pement de l’État unitaire. Cette pensée favorable au fédéralisme, illustréeen Italie par l’économiste et linguiste milanais, Carlo Cattaneo, se trouveaussi, à maintes reprises, dans les écrits du penseur libéral français Alexis deTocqueville notamment dans son ouvrage De la Démocratie en Amérique. Ilest passionnant de constater que sur l’un des points essentiels de la sciencepolitique, relatif à la nature et aux degrés souhaitables de décentralisation,ces notions échappent aux clivages habituels de « droite » et de « gauche »et opposent plutôt des tempéraments et des visions de l’avenir des sociétésentre d’une part, les théoriciens et les politiques qui font confiance à l’ap-profondissement de la démocratie locale et d’autre part, ceux qui prônentdes solutions à caractère plus centralisées et « étatiques ».

Un autre fil conducteur dans la pensée et l’œuvre de Silvio Trentin estlié à son combat précurseur pour l’unité européenne. Ce mouvement, futd’abord initié de la fin du XVIIIe et durant le XIXe siècle, par quelques penseursprophètes, tel Victor Hugo, puis au lendemain de la première guerre mondiale,des intellectuels européens réputés tels Guglielmo Ferrero, Johann Huizinga,Thomas Mann, Selma Lagerlöf, José Ortega y Gasset, Paul Valéry et StephanZweig reprirent cette thématique. Or, après cette floraison intellectuelle dela fin des années 1920 et l’engagement d’une partie de la jeunesse dans lesmouvements européens directement après la seconde guerre mondiale, pour-quoi ce retard, au début des années 1970 jusqu’à la fin des années 1980, àcomprendre l’importance de l’enjeu de l’unification européenne ?

Mon premier éveil au dessein européen se réalisa lors du premier semes-tre de 1984, à Strasbourg, durant une expérience professionnelle menée à lareprésentation française auprès du Conseil de l’Europe. C’est dans le Palaisde l’Europe que j’entendis parler pour la première fois Altiero Spinelli. J’as-sistais, aussi, non sans émotion, au discours de François Mitterrand, prononcédevant le Parlement Européen, le 24 mai 1984, prélude à la création d’uneconférence intergouvernementale (CIG) appelée à « mettre au point un traitéd’Union européenne ». Or, François Mitterrand avait déjà participé avec JacquesChaban-Delmas, mais aussi Carlo Sforza et Altiero Spinelli, au congrès deLa Haye, le vendredi 7 mai 1948, parmi 775 délégués de 24 États européens.

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Ma curiosité s’ouvrit alors au « débat européen dans l’entre-deux-guerres »comme l’a nommé Yannick Muet. Les mémoires d’Altiero Spinelli intitu-lées, Come ho tentato di diventare saggio, me permirent de comparer sonparcours politique si original et presque inverse, au regard de son engage-ment communiste initial, à celui de Silvio Trentin qui lui venait du libéra-lisme politique radical. La maturation de cette recherche et les questionne-ments, qu’elle induisait, se sont cristallisés lors de la préparation de monDEA, intitulé, avec un « clin d’œil » voulu à Lucien Febvre, Silvio Trentin :un destin européen, en référence à l’un des fondateurs de l’École des Annales,qui n’hésita pas à braver les réticences qui pesaient sur le genre biographique,pourtant si riche, lorsque l’on réussit à se défier suffisamment des pièges dece que Pierre Bourdieu a appelé L’Illusion biographique. Il me fallait désor-mais rechercher, dans la vie de Silvio Trentin, les étapes, les ruptures, leséventuelles contradictions, en fait, tous les moments forts d’une vie, d’uneaction et d’une œuvre qui entrent en résonance avec une époque de débatstumultueux et de guerres.

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Introduction

Silvio Trentin est né le 11 novembre 1885 à San Donà di Piave, petite citéde Vénétie. Ce professeur de droit administratif, irréductible adversaire deMussolini, est mort le 12 mars 1944, à 59 ans, à quelques mois de la libé-ration de l’Italie du Nord. Cette vie s’est trouvée placée au cœur des contra-dictions qui ont marqué, ce que l’historien anglais Eric J. Hobsbawm anommé L’Âge des extrêmes. C’est durant cette période « pleine de fracas etde furie » que prend naissance l’engagement de Silvio Trentin qui va donnerlieu à une vie politique tourmentée et à l’élaboration d’une œuvre de juriste,de penseur politique et de journaliste, qui comprend au moins dix-neufouvrages et d’innombrables articles et discours.

Après avoir participé à la première guerre mondiale, Silvio Trentin s’estengagé en politique et a été élu député de la Démocratie sociale. Il s’estopposé à l’instauration du fascisme et décida, lors de la consolidation durégime de Mussolini, de partir en exil en France. Trentin a vécu en Francedurant dix-sept années, d’abord, lors de son arrivée en France, de 1926 à1927, à Pavie dans le Gers, puis de 1927 à l’été 1934, à Auch au cœur dela capitale de la Gascogne, ensuite, jusqu’au mois d’avril 1943, à Toulouse.Il s’est vite fait un nom dans les milieux politiques et intellectuels où ildéploya une activité politique avec ses compatriotes, les fuorusciti 1.

Après, le 17 juillet 1936, il s’engagea avec force en faveur des républicains espa-gnols. Durant toute la période de sa vie à Toulouse, ses activités politiques n’éclip-sèrent pas le rayonnement acquis dans son métier de libraire. À compter de 1942,Trentin fut à l’origine de la fondation du mouvement de résistance Libérer et Fédé-rer, implanté dans le Midi toulousain. Après l’invasion, en novembre 1942, parles Allemands de la Zone libre, Silvio Trentin a dû prendre la clandestinité. Il ad’abord été caché à Auriac-sur-Vendinelle par le maire et résistant Nino de Bonne-foy, puis, toujours dans le Lauragais, à Nailloux, sous la protection du maîtred’école, Maurice Roulleau, avant d’être hébergé dans le quartier toulousain de

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1. Pierre Milza a donné cette définition de ce terme : « Les fuorusciti – littérale-ment ceux qui sont “sortis au-dehors”, appellation utilisée au XIXe siècle pour désignerles opposants aux régimes autoritaires de la péninsule réfugiés à l’étranger, puis appli-quée par les fascistes à leurs adversaires et finalement revendiquée par ces derniers. »MILZA (Pierre), Voyage en Ritalie, Plon, 1993, p. 218.

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Croix-Daurade par le docteur Mazelier, le courageux médecin de la Résistancetoulousaine. Il resta cependant, autant que possible, en contact avec ses compa-triotes, exilés politiques italiens et ses amis résistants de Libérer et Fédérer.

La première question posée par ce destin, hors du commun, concernela signification même de la révolte d’un jeune homme, issu de la bourgeoi-sie terrienne de la plaine du Pô, devenu un éminent professeur de droit, quiengagea une lutte sans merci contre l’instauration du fascisme. Puis, il préféral’incertitude et les souffrances de l’exil à la quiétude que lui aurait appor-tée, non pas même un consentement au nouveau régime fasciste, mais unerésignation discrète. Quelle nécessité intérieure et quel aiguillon ont pousséet aidé Silvio Trentin à assumer, à quarante et un ans, un destin de proscrit,un rôle d’un « Cassandre » dénonçant, dans la quasi-indifférence, les méfaitsantidémocratiques et les dangers bellicistes du régime fasciste ? Comment,alors que le plus grand nombre recherchait la survie, ou tout au moins latranquillité, en empruntant cette démarche que l’historien Philippe Burrina nommé « l’accommodement », Silvio Trentin et la plupart des fuoruscitirefusèrent-ils, allant jusqu’à changer le cours de leur vie, de cautionner l’or-dre instauré par les nouveaux maîtres de l’Italie ?

La deuxième question concernant Silvio Trentin renvoie à l’apparentretournement de sa pensée qui s’accomplit entre 1931 et 1933. Commentse fait-il que l’éloquent défenseur du libéralisme démocratique, s’exprimantavec conviction dans le livre intitulé Antidémocratie et, en avril 1931, à l’oc-casion de l’analyse de la politique étrangère du régime fasciste, dans l’ou-vrage sur Le Fascisme à Genève, se transforme-t-il en pourfendeur du systèmecapitaliste, sans toutefois jamais basculer dans le communisme ?

L’importance de cette volte-face théorique est-elle due aux vicissitudesde son destin personnel et à sa découverte de la condition ouvrière ou à laperte de confiance dans les vertus économiques du système capitaliste, alorsque la crise économique frappe la France ? Cette rupture est-elle liée au choccréé par l’accession d’Hitler au pouvoir, qui n’a pu qu’accroître ses doutessur l’aptitude et la volonté de se défendre des démocraties libérales et desélites dirigeantes qui étaient censées en former l’armature ?

La troisième interrogation porte sur la nature des relations qu’il a entre-tenues avec ses compatriotes exilés 2. Cette enquête, sur un groupe certes

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2. Depuis le début des années 1920, un peuplement récent de propriétaires terriens,de métayers et d’agriculteurs provenant principalement d’Italie du Nord, venait de seconstituer dans la vallée de la Garonne, surtout dans des départements du Gers, de laHaute-Garonne et du Lot-et-Garonne.

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restreint de près de 60 militants fuorusciti venus d’Italie et insérés progres-sivement dans la vie politique, sociale et économique du Gers et du Miditoulousain, a été menée à l’aide de la méthode de la prosopographie. Cescercles de relations ont constitué les réseaux d’influence qui permettent demieux situer le rôle que Silvio Trentin a pu jouer durant la guerre d’Espagnepuis lors de la constitution du mouvement de résistance toulousain Libé-rer et Fédérer. L’ambition de cette recherche vise à replacer l’individu aucœur de son temps, tout en lui restituant sa capacité propre d’infléchisse-ment de l’histoire. Entre les vastes catégories conceptuelles que sont lesnations, les États, les classes sociales, il existe un premier humus de l’indi-vidu formé par sa famille, son groupe d’amis, ses réseaux de relations, quiappuient ses projets et parfois ses défis. L’étude des fuorusciti fait bien appa-raître la liaison qui s’est établie entre un intellectuel en prise avec son tempset la lutte obstinée d’un groupe courageux de femmes et d’hommes qui s’ef-forçaient, eux aussi, d’infléchir le cours des choses. L’impact de Silvio Tren-tin, dans l’histoire des années trente et quarante du XXe siècle, a été permiset amplifié par l’action de l’ensemble de ses compagnons fuorusciti venus,durant cette même période, en Gascogne et dans le Midi toulousain.

La quatrième piste de recherches correspond à la notion développée parTrentin, lors des années les plus intenses du combat politique et militairecontre l’ordre nazi et son allié mussolinien, et porte sur les fondements etla nature de son fédéralisme que Norberto Bobbio a qualifié de « fédéra-lisme interne ». Le primat donné à cette idée et à cette stratégie, face auxperspectives encore bien incertaines de reconstruction de l’Europe, prolonge-t-il l’intuition de Proudhon ou doit-il s’interpréter comme une nouvellestratégie visant à faire contrepoids à l’étatisme en sauvegardant la libertéindividuelle ? N’y a-t-il pas lieu de considérer que la pensée fédéraliste deTrentin a amplifié sa révolte libérale de ses années de jeunesse, et s’est déve-loppée, dans un contexte nouveau, de 1940 à 1944, au « cœur des ténè-bres » dans les heures où la civilisation menaçait de basculer ?

Cette réflexion est prolongée par l’analyse de l’intuition devenue unprojet développé par Silvio Trentin d’une construction européenne à meneren vue de la création des États-Unis d’Europe.

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chapitre i

Pourquoi une biographie sur Silvio Trentin ?

Le choix d’une biographie

LES QUESTIONS POSÉES PAR LE RETOUR À LA BIOGRAPHIE

L’écriture de l’histoire en France est marquée, depuis le milieu des annéessoixante-dix, par le retour de la biographie, illustrée par le succès du livrede Paul Murray Kendall sur Louis XI. Plus tard, en 1996, le médiévisteJacques Le Goff n’a pas hésité à illustrer ce genre en écrivant un Saint Louisqui renouvelle la méthode d’exposition et donne ses lettres de « noblesseuniversitaire » à la biographie qui avait souffert d’un apparent discréditprovenant de l’École des Annales. Jacques Le Goff reconnaît par ailleursque le genre de « la biographie historique est une des plus difficiles façonde faire de l’histoire ». Cet exil relatif, hors de l’université, d’un genre oùs’illustrèrent des écrivains réputés tels Lytton Strachey, André Maurois ouStefan Zweig ne perdit jamais son public, et a même su garder l’intérêt desmilieux cultivés puisque Lucien Febvre, l’un des fondateurs de cette École,n’hésita pas, à écrire, en 1927, une biographie intitulée Martin Luther, undestin, œuvre qu’il ne séparait pas, dans la préface qu’il donna à cet ouvrage,de sa volonté de découvrir, au travers de l’homme, « l’époque, la prodigieuseépoque de Luther, si proche et si lointaine de la nôtre ». En 1998, AlainCorbin a réussi le pari intellectuel de donner vie à un obscur parmi lesobscurs, en réalisant une étude historique sur une époque, au travers duprisme d’un sabotier qui vécut dans l’Orne, de 1798 à 1876, en écrivant LeMonde retrouvé de Louis-François Pinagot.

La biographie, depuis le milieu des années 1970, tel le phénix de la mytho-logie, renaît de ses cendres et connaît une nouvelle jouvence. En témoignent,pour s’en tenir au seul thème de la Résistance, les biographies écrites par JeanCordier ou Jean-Pierre Azéma sur Jean Moulin, par Guillaume Piketty sur PierreBrossolette ou par Robert Belot sur Henri Frenay. Philippe Levillain a noté, danssa contribution à l’ouvrage Pour une Histoire politique, que le développement del’individualisme était l’un des éléments explicatifs du retour à la biographie:

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« La conjonction de la réflexion historiographique et du goût dupublic pour la biographie s’est opérée en vertu d’un facteur plusdéterminant : le renouveau de l’individualisme. »

Ce retour à la biographie prospère et attire dans les archives, d’excellentshistoriens. Belle revanche pour un domaine de la connaissance humainequi avait su retenir l’attention, entre autres, de Suétone, Joinville, Voltaire,Lucien Febvre et captiver l’intérêt des penseurs par l’approche globale qu’ilrend possible.

LA TENTATION D’UNE BIOGRAPHIE PLURIELLE

À moins de renoncer à nourrir la soif de connaissances qui la sous-tend, labiographie ne peut qu’être plurielle et ressemble, par cela, à la figure du« macroscope » dont a traité Joël de Rosnay :

« Microscope, télescope: ces mots évoquent les grandes percées scien-tifiques vers l’infiniment petit et vers l’infiniment grand… »

Dans un mouvement analogue, l’historien est lui aussi amené à recou-rir au « microscope » conceptuel que lui fournit la psychanalyse pour dévoi-ler les ressorts secrets du comportement de la personne. Ainsi, la dispari-tion de son père, alors qu’il n’avait que huit ans, a-t-elle pu susciter, chezSilvio Trentin, le besoin de se sacrifier pour un idéal ?

Mais, l’élan initial n’explique pas tout dans la trajectoire et doit être croiséavec la multiplicité des déterminations, et au premier chef d’entre elles, laformation intellectuelle, qui est le terreau de la pensée et de l’action. Ainsinaît, avec une nouvelle vigueur, la recherche menée sur la « culture poli-tique » dont témoigne l’ouvrage intitulé Pour une Histoire culturelle parusous la direction de Jean Pierre Rioux et de Jean-François Sirinelli.

De même, l’histoire peut recourir au modèle du « macroscope » pourincorporer dans ses champs d’étude, les glissements que les ruptures socialesentraînent parfois dans les sociétés ainsi que leur interpénétration avec lemonde de la formation des idées.

De 1930 à 1933, durant la période où se situe l’une des ruptures profondesdans la pensée de Trentin, ont pu se conjuguer les effets de la nouvelle « crisede conscience européenne » initiée par la guerre de 1914-1918, le désarroides masses causé par l’ébranlement de la « grande guerre » et accru par lesrépercussions sociales catastrophiques de la crise économique de 1929.

Ce n’est pas un hasard si l’humaniste, pétri de culture juridique, qu’estSilvio Trentin au début des années 1930, a été comme « saisi » par un besoinde se plonger dans l’économie politique et de lire avec ferveur les deux inter-prètes antagonistes que sont Pierre Joseph Proudhon et Karl Marx. La criseéconomique des années trente a, pour Pierre Andreu « brusquement accé-

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léré la mutation de la crise intellectuelle, elle a montré qu’il n’était plus possi-ble d’attendre ».

Si l’individu a, bien entendu, toujours la possibilité d’infléchir le coursde sa vie, l’exercice concret de cette liberté reste cadré par l’imaginaire et lesrapports des peuples et des nations dans lesquels l’action humaine se trouveemportée par le jeu des groupes sociaux. Sans cette terrible « forge » qu’aconstituée la guerre de 1914-1918, dans ce début d’un si tempétueuxXXe siècle, le brillant professeur Trentin, qui fit, en 1918, ce que l’on peutnommer « une belle guerre » et fut bouleversé par les souffrances et lesdestructions qu’elle causa, se serait-il lancé dans l’action politique ?

Aurait-il été amené, sans le bouleversement provoqué dans la sociétéitalienne par la contre-révolution fasciste, à sortir de ses amphithéâtres et del’écriture d’ouvrages savants sur la théorie juridique et le droit administratif ?

Cependant, bien que le premier conflit mondial ait favorisé la genèse del’éclipse de l’État libéral, le surgissement des masses, canalisé par le fascismea, en réaction, suscité le début de la révolte de Trentin et de nombre de sescamarades. Elle s’est exprimée au travers du prisme de sa culture nourriepar les épopées de Mazzini, de Cattaneo et l’idéalisme de Croce.

Ainsi, « microscope et macroscope » historiques s’entremêlent-ils, dansla panoplie de l’historien biographe, qui doit en fin de compte entrecroiserles approches, en promenant le miroir de son sujet sur l’époque dans laquellecelui-ci a vécu, tout en ayant conscience que cette époque a imprégné, elleaussi, le regard et les actions de son sujet.

POUR UNE PRISE EN CONSIDÉRATION DE LA VIRTUALITÉ DES UTOPIES

La biographie intellectuelle de Trentin, penseur du fédéralisme, nousoblige à dépasser la stricte observation des faits pour s’ouvrir aux virtuali-tés de l’histoire des idéaux. En effet, les destins humains ne sont pas seule-ment façonnés par l’art du possible et la réalisation du probable, mais encore,par la tension entre le réel et la force propulsive des utopies. L’histoire de lapremière moitié du XXe siècle a certes été forgée par la première guerremondiale, mais également par l’utopie communiste et les réactions en chaîneque celle-ci a enclenchées. François Furet n’a d’ailleurs pas hésité à intitu-ler Le Passé d’une illusion son essai sur l’idée communiste au XXe siècle. L’his-torien, s’il ne veut pas laisser de côté la puissance des passions collectives etla force d’entraînement de ce qui n’apparaît, qu’après coup, comme des« illusions », doit savoir démêler, dans les actions des hommes, l’écheveauque tisse la logique des utopies. François Furet a d’ailleurs constaté, à cesujet, que « L’histoire de l’URSS, comme les autres histoires, est grosse d’évé-nements qui auraient pu avoir lieu. »

pourquoi une biographie sur s ilvio trentin ?

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Mais le propre des utopies est de ne pas apparaître comme telles à ceuxqui les partagent. Or, la grande leçon de Lucien Febvre est que « si leshommes font l’Histoire, seul l’historien sait l’Histoire qu’ils font et qui, parconséquent, est la leur ». Au début des années quarante, Silvio Trentin aentrepris de tempérer, par le choix d’une démocratie fédéraliste, les risquesd’un passage à la propriété collective des moyens de production, qu’il croitréalisable. Il partage une conviction que nous pouvons peut-être aujourd’huiqualifier d’illusion. Mais cette croyance s’inscrit dans l’idée que l’étiolementde la civilisation bourgeoise est inéluctable et cette idée est, à la fin desannées trente, répandue bien au-delà des cercles marxistes, puisqu’elle estnotamment partagée par le grand maître de l’économie viennoise JosephSchumpeter ainsi que par nombre de ceux qui furent appelés « Les non-conformistes des années trente ». Si l’historien veut éviter les graves écueilsque sont l’anachronisme et l’incompréhension, il doit aussi pénétrer le voilequi obscurcissait la vision de son sujet et acquérir la conscience de son propreprisme. Ainsi, Edgar Morin a bien perçu la difficulté de se situer dans unenvironnement donné et toutes les incertitudes qui en résultent :

« L’incertitude s’aggrave avec la perte de Sirius, c’est-à-dire la perteirrémédiable de l’idée qu’il puisse exister un point de vue suprême[…]. Dès lors l’absence d’un point de vue objectif fait surgir laprésence du point de vue subjectif dans toute vision du monde. Etnous sommes contraints d’examiner le sujet, de nous retourner surl’observateur caché et sur ce qui est caché derrière lui. »

L’historien doit également redonner vie à l’imaginaire et à la puissancedes mythes. Le pari d’une « Histoire globale », centrée sur l’individu et sesaffects, passe aussi par la reviviscence de l’imaginaire et l’incorporation dansle champ de l’histoire de toute la palette des utopies.

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chapitre ii

L’instauration du fascisme dans la société italienne

Les causes

La période du 18 novembre 1918, date de l’armistice, au 2 février 1926,exil politique de Silvio Trentin en France, se caractérise par un ébranle-ment profond de la société italienne et même européenne. Ces boule-versements sont avant tout la conséquence des ruptures consécutives àla première guerre mondiale et à l’irruption de la violence dans le champde l’imaginaire collectif.

En Italie, une partie de l’opinion estima que les traités de paix avaientété mal négociés et ne prenaient pas suffisamment en compte les consé-quences d’une guerre qui avait fait 750000 morts, un million et demide blessés et de mutilés et dévastée une partie de la Vénétie.

Aux souffrances des paysans devenus soldats se sont ajouté les aspi-rations nées des promesses de distribution des terres faites par les diri-geants de l’Italie au lendemain de la bataille de Caporetto (24 octobreau 9 novembre 1917), qui s’était soldée par une lourde défaite des Italiensface aux armées austro-allemandes, moment crucial précédent le ressai-sissement, où la patrie parut s’effondrer.

Dans l’armée italienne, les jeunes officiers et sous-officiers, pour laplupart issus des classes moyennes, avaient relevé l’impéritie des gouver-nants qui avaient décidé de l’entrée en guerre sans s’assurer de la prépa-ration suffisante de l’armée. La guerre leur fit prendre conscience d’unesolidarité de destin et de la nécessité de changements profonds.

L’expérience paroxystique de la guerre, analysée par l’historien améri-cain George L. Mossé comme « la brutalisation des sociétés européennes »a fait émerger dans la conscience des soldats démobilisés la nécessité dechangements. Les soldats et plus généralement la jeunesses eurent soifd’être écoutés par un pouvoir jusqu’ici beaucoup trop étroit et refermésur lui-même, malgré les tentatives d’ouverture des dirigeants les plus

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conscients tels Agostino Depretis (1813-1887), Giovanni Giolitti (1842-1928) et même Francesco Saverio Nitti (1868-1953).

Dans une société italienne profondément bouleversée par la guerre,la confluence entre les aspirations au changement démocratique, lespeurs bien réelles de déclassement social, l’imaginaire lié à la toutenouvelle expérience bolchevique menée en Russie, la vigueur des mouve-ments syndicalistes et coopératifs et les idées socialistes en pleine ascen-sion, eut pour conséquence le « grand tumulte » des années 1919-1920.Cette période d’effervescence et de dynamique révolutionnaire, nomméeBiennio Rosso – littéralement « les deux années rouges » qui correspon-dent aux années 1919-1920 –, amena les grandes villes d’Italie du nordau bord de la révolution. Mais celle-ci n’eut pas lieu et une forte dyna-mique en sens inverse s’enclencha, utilisée de manière démagogique parun mouvement nouveau, par ses hommes sinon par ses idées, le fascisme.

Sa création date du 23 mars 1919, lors du congrès qui se tint à Milan,piazza San Sepolcro. Il s’organisa autour de l’ancien dirigeant socialiste,Benito Mussolini, doté d’une personnalité complexe et d’une intelli-gence essentiellement politique. Il avait rompu, en 1915, avec les diri-geants socialistes sur le thème de l’entrée en guerre de l’Italie puis il avaitlancé un journal, Il Popolo d’Italia, favorable au courant intervention-niste. Ce mouvement politique n’était formé à son début, que d’un grou-puscule recrutant surtout auprès des sous-officiers des corps spéciaux ;les arditi – habitués aux coups de mains – et parmi quelques esprits exal-tés par le futurisme ou le syndicalisme révolutionnaire. Dans le contexted’une société en état d’explosion, le fascisme a agi comme une allumetteet a réussi à mettre à bas l’ancienne société politique, la démocratie libé-rale et le mouvement socialiste et syndicaliste.

UNE SOCIÉTÉ « TOURNEBOULÉE » PAR LA GUERRE

L’entrée en guerre de l’Italie avait été décidée par le roi Victor-Emma-nuel III et un cercle étroit de dirigeants en utilisant habilement l’en-thousiasme de la jeunesse étudiante et des minorités politiques bruyantespartisanes de l’intervention. Le mouvement de mai 1915, appelé « mairadieux » fut utilisé pour forcer la main du pays et le faire entrer enguerre.

À la fin de la guerre, bien que faisant partie des vainqueurs, l’Italien’a pas obtenu les territoires qui lui avaient été initialement promis parla France et la Grande-Bretagne lors de la conclusion du Pacte de Londres,le 26 avril 1915.

Des centaines de milliers d’officiers et de soldats se trouvèrent confron-tées à de nombreuses insatisfactions. Ces jeunes hommes rendus à une

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vie civile ou leur réinsertion s’avérait très difficile étaient révoltés parce qu’ils percevaient comme une humiliation infligée par les Alliés àl’Italie.

Quant aux paysans devenus soldats puis démobilisés, ils aspiraientavec force à ce que soient tenues les promesses de partage et de distri-bution des terres qui leur avaient été faites après Caporeto, au momentoù l’État italien avait eu besoin d’un sursaut de vigueur.

L’expérience vécue sur le front par les soldats et les officiers, la nostal-gie de la fraternité, le souvenir douloureux des souffrances partagéesconjuguées avec une réinsertion rendue difficile par le contexte écono-mique constitua le cadre politique d’une situation politique explosive.

Les évolutions psychologiques dans les consciences des combattantsne cessèrent pas le jour de la signature de l’armistice, mais, au contraire,comme l’a montré l’historien George L. Mossé « la terrible confronta-tion avec la mort avait modifié l’appréciation de l’existence humaine ».

Les conséquences dans le champ de la vie politique et sociale furentdoubles :

– Le tabou sur l’usage des formes extrêmes de violence tomba puisqueles hommes s’étaient habitués à les pratiquer contre l’ennemi « exté-rieur ». Étudiant le phénomène à partir de cas allemands mais en tirantdes conséquences pour les sociétés européennes, George L. Mossé fit leconstat suivant :

« La guerre, en quelque sorte se poursuivait. Son lexique étaittoujours en vigueur, ainsi que la volonté d’anéantir totalementl’adversaire à cette différence près qu’il n’était plus étranger, maisintérieur. »

La violence provenant de la guerre se déchaîna à l’encontre des compa-triotes italiens, syndicalistes ou socialistes, alors qu’ils faisaient partie dela même nation. Cette lame de fond surgie de la violence et de duretéde la guerre fut portée par les « générations du feu » qui ne compre-naient pas pourquoi l’État leur avait infligé de telles souffrances pourdes résultats qu’ils ressentaient comme bien insuffisants par rapport auxillusions et promesses qui leur avaient été faites.

– Cette violente rancœur et cette volonté d’apporter de profondschangements à la société politique italienne se sont nourries aussi duthème de la « victoire mutilée » qui émergea après les résultats diploma-tiques qui n’accordèrent pas à l’Italie la totalité des provinces situées surla côte dalmate.

En 1919, le poète et écrivain Gabriele d’Annunzio tenta de renou-veler la geste des « Mille » de Garibaldi en occupant la ville de Fiume

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Silvio Trentin était de ces êtres rares qui savent relier la pensée et l’action. Lamontée du fascisme en Italie, puis la guerre, vont servir de cadre à son enga-gement politique. Universitaire, juriste, homme politique, combattant, Européen,il fut tout cela à la fois.

Son opposition à l’oppression le conduit à quitter l’Italie pour la Gascogneen 1926, puis Toulouse ou il ouvre une librairie. Celle-ci, 46 rue du Languedoc,devient vite un foyer ouvert aux idées progressistes. Son soutien aux républicainsespagnols l’amène à se rendre à plusieurs occasions à Barcelone. La deuxièmeguerre mondiale survient et son engagement devient résistance. Il soutient,organise, théorise la Résistance ; son organisation – Libérer et Fédérer – sera unmouvement original de reconquête de la liberté dans le Sud de la France.

Mais la lutte a lieu aussi en Italie et Silvio Trentin ne peut pas ne pas y parti-ciper. Il retourne dans son pays, il combat, il est fait prisonnier. Il meurt endétention en 1944.

Dans cette dense biographie – écrite à partir de sa thèse soutenue en 2005 –, Paul Arrighi rend hommage à ce grand Européen dont l’action et la penséecontinuent aujourd’hui encore à servir d’exemple.

Corse et Pyrénéen, né en Kabylie en 1954 et ayant fait toutes ses études à Toulouse,Paul Arrighi a mené un double cursus universitaire, en histoire et en sciences politiques,jusqu’à l'obtention de la maîtrise d'histoire réalisée sur Les Origines et la créationdu PSU dans la Haute-Garonne (1952-1968). Ayant réussi ultérieurement leconcours d'entrée à l'ENA, il poursuit de 1979 à 1992 une carrière d'inspecteurdes affaires sanitaires et sociales puis d'administrateur avant de choisir les fonctionsde magistrat. Détaché en qualité d'enseignant l'histoire de 1995 à 2000 à l'Universitéde Toulouse-le-Mirail, il a soutenu en 2005 sa thèse de doctorat d'histoire sur labiographie du juriste combattant et député devenu exilé politique et libraire àToulouse, Silvio Trentin.

ISBN 978-2-86266-521-4

24,90 €Document de couverture : Droits réservés.

www.loubatieres.fr

diffusion Dilisudwww.dilisud.fr

SILVIOTRENTIN Un Européen

en résistance1919-1943

préface de rémy pech