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Séquence 3 : Le personnage de roman au combat Objet d’étude : Le personnage de roman, du XVII e siècle à nos jours. v Etudes d’ensemble : - Histoire du roman, du Moyen Âge à nos jours. - L’épopée et le registre épique. - Le personnage de roman : héros et antihéros. I. Etude d’une œuvre intégrale : Laurent Gaudé, La Mort du roi Tsongor (2002). Ø Problématique : En quoi ce roman met-il en scène des personnages épiques et tragiques ? Ø Etudes transversales du roman : o Les sources antiques du roman de Laurent Gaudé. o Les personnages épiques et tragiques dans La Mort du roi Tsongor. Ø Extraits du roman étudiés en lecture analytique : 8. Extrait 1 : La mort du roi. 9. Extrait 2 : La mort de Liboko. 10. Extrait 3 : Le départ de Samilia. II. Etude d’un groupement de textes : L’antihéros sur le champ de bataille. Ø Problématique : Comment le personnage de roman est-il présenté sur le champ de bataille et pourquoi ? Ø Textes étudiés en lecture analytique : 11. Stendhal, La Chartreuse de Parme (1839). Pour les lectures analytiques n°12 et 13, les élèves ont eu à choisir deux extraits de textes parmi les œuvres suivantes : Gustave Flaubert, L’Education sentimentale (1869) ; Emile Zola, La Débâcle (1892) ; Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) ; Boris Vian, Les Fourmis (1946) ; Claude Simon, La Route des Flandres (1960) ; Pierre Lemaître, Au Revoir là-haut (2013). 12. .......................................................................................................................... 13. .......................................................................................................................... v Documents complémentaires : o Corpus sur le héros épique : Homère, L’Iliade (VIII e siècle av. J.-C.) ; Anonyme, La Chanson de Roland (XI e siècle) ; François Fénelon, Les Aventures de Télémaque (1699). o Corpus sur les parodies d’épopées : Rabelais, Gargantua, chapitre XVII (1532), Cervantès, Dom Quichotte, chapitre VIII (1605), Voltaire, Candide, chapitre 3 (1759). v Activités complémentaires : - Lecture d’une œuvre intégrale : Erich Maria Remarque, A l’ouest rien de nouveau (1929). - Histoire des arts : Otto dix, La Guerre (1929-1932). - Lycéens au cinéma : Paul Verhoeven, Starship Troopers, 1997.

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Page 1: Séquence 3 : Le personnage de roman au combatblog.ac-versailles.fr/corneille/public/PES2SEQ3.pdf · Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) ; Boris Vian, Les Fourmis (1946) ; Claude

Séquence 3 : Le personnage de roman au combat

Objet d’étude : Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours.

v Etudes d’ensemble :

- Histoire du roman, du Moyen Âge à nos jours.

- L’épopée et le registre épique.

- Le personnage de roman : héros et antihéros.

I. Etude d’une œuvre intégrale : Laurent Gaudé, La Mort du roi Tsongor (2002).

Ø Problématique : En quoi ce roman met-il en scène des personnages épiques et tragiques ?

Ø Etudes transversales du roman :

o Les sources antiques du roman de Laurent Gaudé.

o Les personnages épiques et tragiques dans La Mort du roi Tsongor.

Ø Extraits du roman étudiés en lecture analytique : 8. Extrait 1 : La mort du roi.

9. Extrait 2 : La mort de Liboko.

10. Extrait 3 : Le départ de Samilia.

II. Etude d’un groupement de textes : L’antihéros sur le champ de bataille.

Ø Problématique : Comment le personnage de roman est-il présenté sur le champ de bataille et

pourquoi ?

Ø Textes étudiés en lecture analytique :

11. Stendhal, La Chartreuse de Parme (1839). Pour les lectures analytiques n°12 et 13, les élèves ont eu à choisir deux extraits de textes parmi les œuvres

suivantes : Gustave Flaubert, L’Education sentimentale (1869) ; Emile Zola, La Débâcle (1892) ; Louis-Ferdinand

Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) ; Boris Vian, Les Fourmis (1946) ; Claude Simon, La Route des Flandres

(1960) ; Pierre Lemaître, Au Revoir là-haut (2013).

12. ..........................................................................................................................

13. ..........................................................................................................................

v Documents complémentaires :

o Corpus sur le héros épique : Homère, L’Iliade (VIIIe siècle av. J.-C.) ; Anonyme, La Chanson de

Roland (XIe siècle) ; François Fénelon, Les Aventures de Télémaque (1699). o Corpus sur les parodies d’épopées : Rabelais, Gargantua, chapitre XVII (1532), Cervantès,

Dom Quichotte, chapitre VIII (1605), Voltaire, Candide, chapitre 3 (1759).

v Activités complémentaires :

- Lecture d’une œuvre intégrale : Erich Maria Remarque, A l’ouest rien de nouveau (1929).

- Histoire des arts : Otto dix, La Guerre (1929-1932).

- Lycéens au cinéma : Paul Verhoeven, Starship Troopers, 1997.

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Laurent Gaudé, La Mort du roi Tsongor (2002).

Extrait 1 : La mort du roi. Le roi Tsongor et Katabolonga sont liés par un serment ancien : le fidèle serviteur, dernier guerrier à avoir affronté le roi alors jeune et conquérant, pourra disposer de sa vie quand il le voudra. Désespéré par l’affrontement qui se prépare entre Kouame, à qui il a promis sa fille, et Sango Kerim, à qui celle-ci a promis fidélité dans l’enfance, Tsongor demande à son ami de le tuer. Celui-ci n’y parvient pas.

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Katabolonga dominait le roi de toute sa taille. Le visage fermé, les mâchoires serrées, il pleurait. [...] Il laissa tomber le poignard à ses pieds. Il se tenait là, les bras ballants, incapable de rien faire. Le roi Tsongor aurait voulu étreindre son vieil ami, mais il ne le fit pas. Il se baissa, rapidement, prit le couteau et, sans que Katabolonga ait le temps de comprendre, il s'entailla les veines de deux gestes coupants. Des poignets du roi coulait un sang sombre qui se mêlait à la nuit. La voix du roi Tsongor rententit à nouveau. Calme et douce. « Voilà. Je meurs. Tu vois. Cela mettra un peu de temps. Le sang s’écoulera hors de moi. Je resterai ici jusqu’à la fin. Je meurs. Tu n’as rien fait. Maintenant, je te demande un service. » Tandis qu’il parlait, son sang continuait à se répandre. Une flaque, déjà, coulait à ses pieds. « Le jour va se lever. Regarde. Il ne tardera pas. La lumière paraîtra sur la cime des collines avant que je sois mort. Car il faut du temps pour que mon sang coule hors de moi. Des gens accourront. On se précipitera sur moi. J’entendrai, dans mon agonie, les cris de mes proches et le vacarme lointain des armées impatientes. Je ne veux pas cela. La nuit va finir. Et je ne veux pas aller au-delà. Mais le sang coule lentement. Tu es le seul, Katabolonga. Le seul à pouvoir faire cela. Il ne s’agit plus de me tuer. Je l’ai fait pour toi. Il s’agit de m’épargner ce nouveau jour qui se lève et dont je ne veux pas. Aide-moi. » Katabolonga pleurait toujours. Il ne comprenait pas. Il n’avait plus le temps de penser. Tout se bousculait en lui. Il sentait le sang du roi lui baigner les pieds. Il entendait sa voix douce couler en lui. Il entendait un homme qu’il aimait le supplier de l’aider. Il prit délicatement le poignard des mains du roi. La lune brillait de ses dernières lueurs. D’un geste brusque, il planta le poignard dans le ventre du vieillard. Il retira son arme. Et porta un nouveau coup. Le roi Tsongor eut un hoquet et s’affaissa. Le sang, maintenant, s’échappait de son ventre. Il était couché dans une flaque noire qui inondait la terrasse. Katabolonga s’agenouilla, prit la tête du roi sur ses genoux. Dans un dernier moment de lucidité, le roi Tsongor contempla le visage de son ami. Mais il n'eut pas le temps de dire merci. La mort, d'un coup, lui fit chavirer les yeux. Il se figea dans une dernière contraction des muscles et resta ainsi, la tête renversée, comme s'il voulait boire l'immensité du ciel. Le roi Tsongor était mort. Katabolonga entendit, dans le trouble de son esprit, des voix lointaines rire en lui. C’étaient les voix vengeresses de la vie d’autrefois. Elles lui murmuraient dans sa langue maternelle qu’il avait vengé ses morts et qu’il pouvait être fier de cela. Le corps du roi était sur ses genoux. Raidi dans la mort. Alors, dans les dernières minutes de cette grande nuit de Massaba, Katabolonga hurla. Et sa plainte d’animal fit trembler les sept collines de Massaba. Ses pleurs réveillèrent le palais et la ville entière. Ses pleurs firent vaciller les feux de Sango Kerim. La nuit s’achevait aux sons horribles des hurlements de Katabolonga. Et lorsqu’il referma les yeux du roi en passant doucement la main dessus, c’est une époque entière qu’il referma. C’est sa vie à lui aussi qu’il enterrait. Et comme un homme que l’on enterre vivant, il continua à hurler jusqu’à ce que le soleil se lève sur ce premier jour où il serait seul. A jamais seul. Et plein d’effroi.

Chapitre 1, p.48-49 éditions Babel.

TEXTE BAC N°8

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Laurent Gaudé, La Mort du roi Tsongor (2002).

Extrait 2 : La mort de Liboko.

Après la mort du roi, ses fils jumeaux se déchirent. L’aîné, Sako, décide de rallier Kouame avec un autre de ses frères, Liboko. Le second jumeau, Danga, rejoint Sango Kerim avec sa sœur Samilia. Dès lors, les deux camps se livrent une guerre sans merci. 5 10 15 20 25 30 35 40

La bataille s'engagea et à nouveau, ce furent les cris d'hommes blessés, les hurlements poussés pour se donner du courage, les appels à l'aide, les insultes et le cliquetis des armes. À nouveau la sueur perla sur les fronts. L’huile ruissela sur les corps. Des cadavres cloqués gisaient au pied des murailles. Les Cendrés se ruèrent sur la porte de la Chouette comme des ogres. Ils étaient une cinquantaine mais rien ne semblait pouvoir leur résister. Ils éventrèrent les tenants de la porte cloutée et écrasèrent les gardes surpris de se trouver face à de tels géants. Pour la seconde fois, les nomades pénétrèrent dans Massaba, et pour la seconde fois la panique gagna les rues de la ville. La nouvelle courut de maison en maison. Que les cendrés avançaient. Qu'ils tuaient tout sur leur passage. Lorsqu’elle parvint jusqu'à lui, le jeune Liboko se précipita au devant des ennemis. Une poignée d'hommes de la garde spéciale de Tsongor le suivit. La rage illuminait son visage. Ils tombèrent sur la troupe des cendrés au moment où ces derniers envahissaient la place de la Lune – une petite place où se réunissaient autrefois les diseurs de bonne aventure et où bruissait, les nuits d'été, le doux murmure des fontaines. Liboko, comme un démon, se rua sur l'ennemi. Il perça des ventres, sectionna des membres. Il transperça des torses et défigura des hommes. Liboko se battait sur son sol, pour défendre sa ville et l'ardeur qui l'animait semblait ne jamais devoir le quitter. Il frappait sans cesse. Éventrant les lignes ennemies de toute sa fureur. Les ennemis tombaient à la renverse sous la force de ses charges. Soudain, il suspendit son bras. Un homme était à ses pieds. Là. À sa merci. Il pouvait lui fendre le crâne mais ne le faisait pas. Il resta ainsi. Le bras suspendu. Un temps infini. Il avait reconnu son ennemi. C'était Sango Kerim. Leurs yeux se croisèrent. Liboko regardait le visage de cet homme qui, pendant si longtemps, avait été son ami. Il ne pouvait se résoudre à frapper.

Il sourit doucement. C’est alors qu'Orios s’élança. Il avait vu toute la scène. Il voyait que Sango Kerim pouvait mourir à tout moment. Il n'hésita pas et de tout le poids de sa masse, écrasa le visage de Liboko. Son corps s'affaissa. La vie, déjà, l'avait quitté. Un puissant grognement de satisfaction sortit de la poitrine d’Orios. Sango Kerim, abattu, s'effondra à genoux. Il lâcha ses armes, enleva son casque et prit dans ses bras le corps de celui qui n'avait pas voulu le tuer. Son visage était un cratère de chair. Et c'est en vain que Sango Kerim y cherchait le regard qu'il avait croisé quelques secondes auparavant. Il pleurait sur Liboko tandis que la bataille faisait rage autour de lui. La garde spéciale avait assisté à la scène et une fureur profonde souleva les hommes. Ils poussèrent de toutes leurs forces les cendrés. Ils voulaient récupérer le corps de leur chef. Ne pas l'abandonner à l'ennemi. Ils voulaient l'enterrer avec ses armes auprès de son père. Et devant leur violente poussée, Orios dut reculer. Ils abandonnèrent le corps. Ils abandonnèrent la place de la Lune, ils prirent avec eux Sango Kerim qui n’avait plus de force et ressortirent de l’enceinte pour échapper aux hommes de la garde qui les poursuivaient en hurlant.

La nouvelle de la mort de Liboko s’abattit en même temps sur Massaba et sur le camp des nomades. Sango Kerim ordonna le repli de ses troupes. Cette journée, pour lui, était maudite et plus aucun coup ne devait être porté. Ils remontèrent au campement, lentement, sans parler, comme une armée vaincue, tête baissée, pendant qu’à Massaba, le cri aigu des pleureuses commençait à retentir.

Chapitre 4, p.126-128 éditions Babel.

TEXTE BAC N°9

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Laurent Gaudé, La Mort du roi Tsongor (2002).

Extrait 3 : Le départ de Samilia.

Après des années de combat et constatant que la guerre est sans issue, Sango Kerim et Kouame décident d’y mettre un terme, mais à une condition : que Samilia, l’objet du conflit entre les deux prétendants, se donne la mort. Chacune des armée attend alors, fébrile et pleine d’espoir, la réponse de la jeune femme.

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D'un geste de la main, Sango Kerim fit revenir le silence et tous, alors, se tournèrent vers cette femme muette. Lentement, elle remonta son voile. Tous les guerriers purent voir le visage de celle pour qui ils mouraient depuis si longtemps. Elle était belle. Elle prit la parole, et le sable de la plaine se souvient encore de ses paroles.

« Vous voulez ma mort, dit-elle. Devant vos hommes réunis, vous voulez achever la guerre. Soit. Tranchez-moi la gorge et scellez votre paix. Et si aucun de vous deux n'a ce courage, qu'un homme du rang se présente et fasse ce que son chef n'ose faire. Je suis seule. Devant des milliers d'hommes qui m'encerclent. Je ne fuirai pas et si je me débats, vous ne serez pas longs à me maîtriser. Allez. Je suis là. Qu'un d'entre vous marche sur moi et que tout s'achève. Mais non. Vous ne bougez pas. Vous ne dites rien. Ce n'est pas ce que vous voulez. Vous voulez que je me tue moi-même. Et vous osez me le demander en face. Jamais. Vous m'entendez. Je n'ai rien demandé, moi. Vous vous êtes présentés à mon père, avec des présents d'abord, puis avec des armées. La guerre a éclaté. Qu'ai-je gagné ? Des nuits de deuil, des rides et un peu de poussière. Non. Jamais je ne ferai cela. Je ne veux pas quitter la vie. Elle ne m'a rien offert. J'étais riche, ma cité est détruite. J'étais heureuse, mon père et mon frère sont enterrés. Je me suis offerte à Kouame. Oui. La veille de ce jour qui, sans la venue de Mazébu, aurait vu la chute de Massaba. Et si je l'ai fait, c'est que l'homme qui s'est présenté à moi cette nuit-là était déjà mort. Je lui ai fait l'amour comme on caresse les tempes d'un mort. Pour qu'il sente le plus longtemps possible, en avançant dans les ténèbres, l'odeur de la vie. Tu viens ici, Kouame, et tu révèles cela devant l'armée tout entière. Mais ce n'est pas à toi que je me suis offerte. C'est à ton ombre vaincue. Soyez maudits, tous les deux, d'oser vouloir que je me tue. Et vous mes frères, vous ne dites rien. Vous n'avez pas eu un mot pour vous opposer à ces deux lâches. Je le vois à votre regard, vous consentez à ma mort. Vous l'espérez. Soyez maudits vous aussi, par le roi Tsongor, votre père. Entendez bien ce que vous dit Samilia. Jamais je ne tournerai le couteau contre ma chair. Si vous voulez me voir mourir, frappez vous-mêmes et salissez vos mains. Je dis plus encore. A partir de ce jour, je ne suis plus à personne. Je crache sur toi, Sango Kerim, et sur nos souvenirs d'enfance. Je crache sur toi, Kouame, et sur la mère qui t'a donné le jour. Je crache sur vous, mes frères, qui vous détruisez l'un l'autre avec la haine de vos viscères. Je vous offre une autre solution pour cesser la guerre. Je ne serai plus à personne. Même en me tirant par les cheveux, vous ne me forcerez pas à entrer dans une de vos couches. Plus rien ne vous force à la guerre. Car à partir de ce jour, ce n'est plus pour moi que vous vous battez. »

Dans un silence profond, Samilia, sans un regard pour ses frères, tourna le dos aux deux armées et s’en alla.

Chapitre 5, p.170-171, éditions Babel.

TEXTE BAC N°10

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Stendhal, La Chartreuse de Parme (1839).

Fabrice Del Dongo, jeune noble milanais impétueux et romanesque, a fui son pays pour vivre sa vie et connaître la gloire dans la carrière militaire ; dans les premières pages du roman, il se retrouve sur le champ de bataille de Waterloo. La célèbre bataille, qui sera racontée aussi par Victor Hugo dans Les Misérables sous son angle stratégique, et qui deviendra un véritable mythe du XIXe siècle, est ici vu par le petit bout de la lorgnette, à travers le regard candide du jeune héros inexpérimenté.

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Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Toutefois, la peur ne venait chez lui qu'en seconde ligne ; il était surtout scandalisé de ce bruit1 qui lui faisait mal aux oreilles. L'escorte prit le galop ; on traversait une grande pièce de terre labourée, située au-delà du canal, et ce champ était jonché de cadavres.

- Les habits rouges ! les habits rouges2 ! criaient avec joie les hussards de l'escorte, et d'abord Fabrice ne comprenait pas ; enfin il remarqua qu'en effet presque tous les cadavres étaient vêtus de rouge. Une circonstance lui donna un frisson d'horreur ; il remarqua que beaucoup de ces malheureux habits rouges vivaient encore ; ils criaient évidemment pour demander du secours, et personne ne s'arrêtait pour leur en donner. Notre héros, fort humain, se donnait toutes les peines du monde pour que son cheval ne mît les pieds sur aucun habit rouge. L'escorte s'arrêta ; Fabrice, qui ne faisait pas assez d'attention à son devoir de soldat, galopait toujours en regardant un malheureux blessé.

- Veux-tu bien t'arrêter, blanc-bec ! lui cria le maréchal des logis. Fabrice s'aperçut qu'il était à vingt pas sur la droite en avant des généraux, et précisément du côté où ils regardaient avec leurs lorgnettes. En revenant se ranger à la queue des autres hussards restés à quelques pas en arrière, il vit le plus gros de ces généraux qui parlait à son voisin, général aussi, d'un air d'autorité et presque de réprimande ; il jurait. Fabrice ne put retenir sa curiosité ; et, malgré le conseil de ne point parler, à lui donné par son amie la geôlière, il arrangea une petite phrase bien française, bien correcte, et dit à son voisin :

- Quel est-il ce général qui gourmande son voisin ? - Pardi, c'est le maréchal ! - Quel maréchal? - Le maréchal Ney, bêta ! Ah çà ! où as-tu servi jusqu'ici ? Fabrice, quoique fort susceptible, ne songea point à se fâcher de l'injure ; il contemplait, perdu

dans une admiration enfantine, ce fameux prince de la Moskova, le brave des braves. Tout à coup on partit au grand galop. Quelques instants après, Fabrice vit, à vingt pas en avant,

une terre labourée qui était remuée d'une façon singulière. Le fond des sillons était plein d'eau, et la terre fort humide, qui formait la crête de ces sillons, volait en petits fragments noirs lancés à trois ou quatre pieds de haut. Fabrice remarqua en passant cet effet singulier ; puis sa pensée se remit à songer à la gloire du maréchal. Il entendit un cri sec auprès de lui : c'étaient deux hussards3 qui tombaient, atteints par des boulets ; et, lorsqu'il les regarda, ils étaient déjà à vingt pas de l'escorte. Ce qui lui sembla horrible, ce fut un cheval tout sanglant qui se débattait sur la terre labourée, en engageant ses pieds dans ses propres entrailles ; il voulait suivre les autres : le sang coulait dans la boue.

Ah ! m'y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J'ai vu le feu ! se répétait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire. A ce moment, l'escorte allait ventre à terre, et notre héros comprit que c'étaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il avait beau regarder du côté d'où venaient les boulets, il voyait la fumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges beaucoup plus voisines ; il n'y comprenait rien du tout.

1 Le bruit du canon. 2 L’uniforme des Anglais était rouge. 3 Soldats de cavalerie légère.

TEXTE BAC N°11

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Pour les textes n°12 et 13, les candidats présenteront deux des textes qui suivent.

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Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869

Mme Arnoux, aimée du héros, Frédéric Moreau, lui a enfin accordé un rendez-vous. Il l’attendra en vain,

pendant des heures, ce 22 février 1848, au beau milieu d’un Paris en pleine fièvre révolutionnaire.

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Les tambours battaient la charge. Des cris aigus, des hourras de triomphe s’élevaient. Un

remous continuel faisait osciller la multitude. Frédéric, pris entre deux masses profondes, ne

bougeait pas, fasciné d’ailleurs et s’amusant extrêmement. Les blessés qui tombaient, les morts

étendus n’avaient pas l’air de vrais blessés, de vrais morts. Il lui semblait assister à un spectacle.

Au milieu de la houle, par-dessus des têtes, on aperçut un vieillard en habit noir sur un cheval

blanc, à selle de velours. D’une main, il tenait un rameau vert, de l’autre un papier, et les secouait

avec obstination. Enfin, désespérant de se faire entendre, il se retira.

La troupe de ligne avait disparu et les municipaux restaient seuls à défendre le poste. Un flot

d’intrépides se rua sur le perron ; ils s’abattirent, d’autres survinrent ; et la porte, ébranlée sous des

coups de barre de fer, retentissait ; les municipaux ne cédaient pas. Mais une calèche bourrée de

foin, et qui brûlait comme une torche géante, fut traînée contre les murs. On apporta vite des

fagots, de la paille, un baril d’esprit-de-vin. Le feu monta le long des pierres ; l’édifice se mit à

fumer partout comme un solfatare4 ; et de larges flammes, au sommet, entre les balustres de la

terrasse, s’échappaient avec un bruit strident. Le premier étage du Palais-Royal s’était peuplé de

gardes nationaux. De toutes les fenêtres de la place, on tirait ; les balles sifflaient ; l’eau de la

fontaine crevée se mêlait avec le sang, faisait des flaques par terre ; on glissait dans la boue sur

des vêtements, des shakos5, des armes ; Frédéric sentit sous son pied quelque chose de mou ;

c’était la main d’un sergent en capote grise, couché la face dans le ruisseau. Des bandes

nouvelles de peuple arrivaient toujours, poussant les combattants sur le poste. La fusillade

devenait plus pressée. Les marchands de vins étaient ouverts ; on allait de temps à autre y fumer

une pipe, boire une chope, puis on retournait se battre. Un chien perdu hurlait. Cela faisait rire.

4 Terrain volcanique où se dégagent des vapeurs de soufre. 5 Coiffure militaire rigide et à visière.

TEXTE BAC N°

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Emile Zola, La Débâcle, 1892

Lors de la guerre de 1870 contre la Prusse, les hommes du lieutenant Rochas, parmi lesquels le caporal Jean Macquart et Maurice Levasseur, font retraite vers Sedan, qui capitulera quelques jours plus tard, marquant la défaite de la France. Guidés par Henriette, la sœur de Maurice, ils parviennent à une propriété, l’Ermitage. Une bataille va alors s’engager.

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Rochas, cependant, triomphait. Autour de lui, le feu des quelques soldats, qu’il excitait de sa voix tonnante, avait pris une telle vivacité, à la vue des Prussiens, que ceux-ci, reculant, rentraient dans le petit bois. « Tenez ferme, mes enfants ! ne lâchez pas !... Ah ! les capons, les voilà qui filent ! nous allons leur régler leur compte ! » Et il était gai, et il semblait repris d’une confiance immense. Il n’y avait pas eu de défaites. Cette poignée d’hommes, en face de lui, c’étaient les armées allemandes, qu’il allait culbuter d’un coup, très à l’aise. Son grand corps maigre, sa longue figure osseuse, au nez busqué, tombant dans une bouche violente et bonne, riait d’une allégresse vantarde, la joie du troupier qui a conquis le monde entre sa belle et une bouteille de bon vin. « Parbleu ! mes enfants, nous ne sommes là que pour leur foutre une raclée... Et ça ne peut pas finir autrement. Hein ? ça nous changerait trop, d’être battus !... Battus ! est-ce que c’est possible ? Encore un effort, mes enfants, et ils ficheront le camp comme des lièvres ! » Il gueulait, gesticulait, si brave homme dans l’illusion de son ignorance, que les soldats s’égayaient avec lui. Brusquement, il cria : « A coups de pied au cul ! à coups de pied au cul, jusqu’à la frontière !... Victoire, victoire ! » Mais, à ce moment, comme l’ennemi, de l’autre côté du vallon, paraissait en effet se replier, une fusillade terrible éclata sur la gauche. C’était l’éternel mouvement tournant, tout un détachement de la garde qui avait fait le tour par le Fond de Givonne. Dès lors, la défense de l’Ermitage devenait impossible, la douzaine de soldats qui en défendaient encore les terrasses se trouvaient entre deux feux, menacés d’être coupés de Sedan. Des hommes tombèrent, il y eut un instant de confusion extrême. Déjà des Prussiens franchissaient le mur du parc, accouraient par les allées, en si grand nombre, que le combat s’engagea, à la baïonnette. Tête nue, la veste arrachée, un zouave, un bel homme à barbe noire, faisait surtout une besogne effroyable, trouant les poitrines qui craquaient, les ventres qui mollissaient, essuyant sa baïonnette rouge du sang de l’un, dans le flanc de l’autre ; et, comme elle se cassa, il continua, en broyant des crânes, à coups de crosse ; et, comme un faux pas le désarma définitivement, il sauta à la gorge d’un gros Prussien, d’un tel bond, que tous deux roulèrent sur le gravier, jusqu’à la porte défoncée de la cuisine, dans une embrassade mortelle. Entre les arbres du parc, à chaque coin des pelouses, d’autres tueries entassaient les morts. Mais la lutte s’acharna devant le perron, autour du canapé et des fauteuils bleu ciel, une bousculade enragée d’hommes qui se brûlaient la face à bout portant, qui se déchiraient des dents et des ongles, faute d’un couteau pour s’ouvrir la poitrine. [...] Debout, sans pouvoir comprendre, Rochas n’avait pas fait un mouvement pour fuir. Il attendait, il bégaya : « Eh bien ! quoi donc ? quoi donc ? » Cela ne lui entrait pas dans la cervelle, que ce fût la défaite encore. On changeait tout, même la façon de se battre. Ces gens n’auraient-ils pas dû attendre, de l’autre côté du vallon, qu’on allât les vaincre ? On avait beau en tuer, il en arrivait toujours. Qu’est-ce que c’était que cette fichue guerre, où l’on se rassemblait dix pour en écraser un, où l’ennemi ne se montrait que le soir, après vous avoir mis en déroute par toute une journée de prudente canonnade ? Ahuri, éperdu, n’ayant jusque-là rien compris à la campagne, il se sentait enveloppé, emporté par quelque chose de supérieur, auquel il ne résistait plus, bien qu’il répétât machinalement, dans son obstination : « Courage, mes enfants, la victoire est là-bas ! » D’un geste prompt, cependant, il avait repris le drapeau. C’était sa pensée dernière, le cacher, pour que les Prussiens ne l’eussent pas. Mais, bien que la hampe fût rompue, elle s’embarrassa dans ses jambes, il faillit tomber. Des balles sifflaient, il sentit la mort, il arracha la soie du drapeau, la déchira, cherchant à l’anéantir. Et ce fut à ce moment que, frappé au cou, à la poitrine, aux jambes, il s’affaissa par minces lambeaux tricolores, comme vêtu d’eux. Il vécut encore une minute, les yeux élargis, voyant peut-être monter à l’horizon la vision vraie de la guerre, l’atroce lutte vitale qu’il ne faut accepter que d’un cœur résigné et grave, ainsi qu’une loi. Puis, il eut un petit hoquet, il s’en alla dans son ahurissement d’enfant, tel qu’un pauvre être borné, un insecte joyeux, écrasé sous la nécessité de l’énorme et impassible nature. Avec lui, finissait une légende.

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Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932).

Avec Voyage au bout de la nuit, Céline dénonce les horreurs de la guerre, de la colonisation, de l’exploitation capitaliste. Adepte du « parler vrai », il s’attaque aux représentations idéalisées des combats et aux idéologies. Le protagoniste du roman, Ferdinand Bardamu, incarne, en effet, un individu très ordinaire, qui séduit par une parade militaire, s’engage dans l’armée sur un coup de tête. Il se retrouve confronté aux dures réalités des combats qui se déchaînent dans l’est de la France, durant la Première Guerre mondiale.

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Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? pensais-je. Et avec quel effroi !… Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux ! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m’étais embarqué dans une croisade apocalyptique.

On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir, avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ? A présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait des profondeurs et c’était arrivé.

Le colonel ne bronchait toujours pas, je le regardais recevoir, sur le talus, des petites lettres du général qu’il déchirait ensuite menu, les ayant lues sans hâte, entre les balles. Dans aucune d’elles, il n’y avait donc l’ordre d’arrêter net cette abomination ? On ne lui disait donc pas d’en haut qu’il y avait méprise ? Abominable erreur ? Maldonne ? Qu’on s’était trompé ? Que c’était des manœuvres pour rire qu’on avait voulu faire, et pas des assassinats ! Mais non ! « Continuez, colonel, vous êtes dans la bonne voie ! » Voilà sans doute ce que lui écrivait le général des Entrayes, de la division, notre chef à tous, dont il recevait une enveloppe chaque cinq minutes, par un agent de liaison, que la peur rendait chaque fois un peu plus vert et foireux. J’en aurais fait mon frère peureux de ce garçon là ! Mais on n’avait pas le temps de fraterniser non plus.

Donc pas d’erreur ? Ce qu’on faisait à se tirer dessus, comme ça, sans même se voir, n’était pas défendu ! Cela faisait partie des choses qu’on peut faire sans mériter une bonne engueulade. C’était même reconnu, encouragé sans doute par les gens sérieux, comme le tirage au sort, les fiançailles, la chasse à courre ! … Rien à dire. Je venais de découvrir d’un coup la guerre tout entière. J’étais dépucelé. Faut être à peu près seul devant elle comme je l’étais à ce moment-là pour bien la voir la vache, en face et de profil. On venait d’allumer la guerre entre nous et ceux d’en face, et à présent ça brûlait ! Comme le courant entre les deux charbons, dans la lampe à arc. Et il n’était pas près de s’éteindre le charbon ! On y passerait tous, le colonel comme les autres, tout mariole qu’il semblerait être, et sa carne ne ferait pas plus de rôti que la mienne quand le courant d’en face lui passerait entre les deux épaules.

Il y a bien des façons d’être condamné à mort. Ah ! combien n’aurais-je pas donné à ce moment-là pour être en prison au lieu d’être ici, moi crétin ! Pour avoir, par exemple, quand c’était si facile, prévoyant, volé quelque chose, quelque part, quand il en était temps encore. On ne pense à rien ! De la prison, on en sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c’est des mots.

Si seulement j’avais encore eu le temps, mais je ne l’avais plus ! Il n’y avait plus rien à voler !

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Boris Vian, Les Fourmis (1946)

Ce texte constitue l'incipit de la nouvelle.

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On est arrivés ce matin et on n'a pas été bien reçus, car il n'y avait personne sur la plage que des tas de types morts ou des tas de morceaux de types, de tanks et de camions démolis. Il venait des balles d'un peu partout et je n'aime pas ce désordre pour le plaisir. On a sauté dans l'eau, mais elle était plus profonde qu'elle n’en avait l'air et j'ai glissé sur une boîte de conserves. Le gars qui était juste derrière moi a eu les trois quarts de la figure emportée par le pruneau qui arrivait, et j'ai gardé la boîte de conserves en souvenir. J'ai mis les morceaux de sa figure dans mon casque et je les lui ai donnés, il est reparti se faire soigner, mais il a l'air d’avoir pris le mauvais chemin parce qu'il est entré dans l'eau jusqu'à ce qu'il n'ait plus pied et je ne crois pas qu'il y voie suffisamment au fond pour ne pas se perdre. J'ai couru ensuite dans le bon sens et je suis arrivé juste pour recevoir une jambe en pleine figure. J'ai essayé d'engueuler le type, mais la mine n'en avait laissé que des morceaux pas pratiques à manœuvrer, alors j'ai ignoré son geste, et j'ai continué. Dix mètres plus loin, j'ai rejoint trois autres gars qui étaient derrière un bloc de béton et qui tiraient sur un coin de mur, plus haut. Ils étaient en sueur et trempés d'eau et je devais être comme eux, alors je me suis agenouillé et j'ai tiré aussi. Le lieutenant est revenu, il tenait sa tête à deux mains et ça coulait rouge de sa bouche. Il n'avait pas l'air content et il a vite été s'étendre sur le sable, la bouche ouverte et les bras en avant. Il a dû salir le sable pas mal. C'était un des seuls coins qui restaient propres. De là notre bateau échoué avait l'air d'abord complètement idiot, et puis il n'a plus même eu l'air d'un bateau quand les deux obus sont tombés dessus. Ça ne m'a pas plu, parce qu'il restait encore deux amis dedans, avec les balles reçues en se levant pour sauter. J'ai tapé sur l'épaule des trois qui tiraient avec moi, et je leur ai dit : « Venez, allons-y. » Bien entendu, je les ai fait passer d'abord et j'ai eu le nez creux parce que le premier et le second ont été descendus par les deux autres qui nous canardaient, et il en restait seulement un devant moi, le pauvre vieux, il n'a pas eu de veine, sitôt qu'il s'est débarrassé du plus mauvais, l'autre a juste eu le temps de le tuer avant que je m'occupe de lui. Ces deux salauds, derrière le coin du mur, ils avaient une mitrailleuse et des tas de cartouches. Je l'ai orientée dans l'autre sens et j'ai appuyé, mais j'ai vite arrêté parce que ça me cassait les oreilles et aussi elle venait de s'enrayer. Elles doivent être réglées pour ne pas tirer dans le mauvais sens. Là, j'étais à peu près tranquille. Du haut de la plage, on pouvait profiter de la vue. Sur la mer, ça fumait dans tous les coins et l'eau jaillissait très haut. On voyait aussi les éclairs des salves des gros cuirassés et leurs obus passaient au-dessus de la tête avec un drôle de bruit sourd, comme un cylindre de son grave foré dans l'air. Le capitaine est arrivé. On restait juste onze. Il a dit que c'était pas beaucoup mais qu'on se débrouillerait comme ça. Plus tard, on a été complétés. Pour l'instant, il nous a fait creuser des trous ; pour dormir, je pensais, mais non, il a fallu qu'on s'y mette et qu'on continue à tirer. Heureusement, ça s'éclaircissait. Il en débarquait maintenant de grosses fournées des bateaux, mais les poissons leur filaient entre les jambes pour se venger du remue-ménage et la plupart tombaient dans l'eau et se relevaient en râlant comme des perdus. Certains ne se relevaient pas et partaient en flottant avec les vagues et le capitaine nous a dit aussitôt de neutraliser le nid de mitrailleuses, qui venait de recommencer à taper, en progressant derrière le tank. On s'est mis derrière le tank. Moi le dernier parce que je ne me fie pas beaucoup aux freins de ces engins-là. C'est plus commode de marcher derrière un tank tout de même parce qu'on n'a plus besoin de s'empêtrer dans les barbelés et les piquets tombent tout seuls. Mais je n'aimais pas sa façon d'écrabouiller les cadavres avec une sorte de bruit qu'on a du mal à se rappeler – sur le moment, c'est assez caractéristique.

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Claude Simon, La Route des Flandres (1960), Chapitre II.

En mai 1940, la bataille des Flandres aboutit à la déroute de l’armée française contre les troupes

allemandes. George, le narrateur de ce récit, était alors soldat dans la cavalerie. Il raconte ici l’une des attaques subie par son escadron.

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[...] le groupe, le cortège hiératique6 et médiéval se dirigeant toujours vers le mur de pierre, ayant

maintenant traversé l’embranchement du huit, les chevaux de nouveau cachés jusqu'au ventre par les

haies de bordure disparaissant à demi de sorte qu’ils avaient l’air coupés à mi-corps le haut seulement

dépassant semblant glisser sur le champ de blé vert comme des canards sur l’immobile surface d’une

mare je pouvais les voir au fur et à mesure qu’ils tournaient à droite s'engageaient dans le chemin creux

lui7 en tête de la colonne comme si ç'avait été le quatorze juillet un puis deux puis trois puis le premier

peloton tout entier puis le deuxième les chevaux se suivant tranquillement au pas on aurait dit ces

chevaux-jupons avec lesquels jouaient autrefois les enfants des sortes d'animaux aquatiques flottant

sur le ventre propulsés par d'invisibles pieds palmés glissant lentement l'un après l’autre avec leurs

identiques encolures arrondies de pièces d'échecs leurs identiques cavaliers exténués aux identiques

bustes voûtés dodelinant la moitié en train de dormir sans doute quoiqu'il fit jour depuis un bon moment

le ciel tout rose de l’aurore la campagne comme molle encore à moitié endormie aussi, il y avait comme

une sorte de vaporeuse moiteur il devait y avoir de la rosée des gouttes de cristal accrochées aux brins

d’herbe que le soleil allait faire s’évaporer je pouvais facilement le reconnaître tout là-bas en tête à la

façon qu'il avait de se tenir très droit sur sa selle contrastant avec les autres silhouettes avachies

comme si pour lui la fatigue n’existait pas, la moitié à peu près de l’escadron se trouvant engagée

lorsqu’ils refluèrent vers le carrefour c'est-à-dire comme un accordéon comme sous la pression d'un

invisible piston les repoussant, les derniers continuant toujours à avancer alors que la tête de la colonne

semblait pour ainsi dire se rétracter le bruit ne parvenant qu'ensuite de sorte qu’il se passa un moment

(peut-être une fraction de seconde mais apparemment plus) pendant lequel dans le silence total il y eut

seulement ceci : les petits chevaux-jupons et leurs cavaliers rejetés en désordre les uns sur les autres

exactement comme des pièces d'échecs s’abattant en chaîne le bruit lorsqu’il arriva avec ce léger

décalage dans le temps sur l’image lui-même exactement semblable au son creux des pièces d’ivoire

tambourinant tombant les unes après les autres sur le plateau de l’échiquier comme ceci : tac-tac-tac-

tac-tac les rafales pressées se superposant s’entassant aurait-on dit puis au dessus de nous les

invisibles cordes de guitare pincées tissant l’invisible chaîne d’air froissé soyeux mortel aussi

n’entendis-je pas crier l'ordre voyant seulement les bustes devant moi basculer de proche en proche en

avant tandis que les jambes droites passaient l’une après l’autre par dessus les croupes comme les

pages d'un livre feuilleté à l’envers [...]

6 Qui est imposé ou réglé par une tradition sacrée et immuable. 7 Le narrateur parle ici du capitaine de l’escadron.

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Pierre Lemaître, Au Revoir là-haut (2013)

Le 2 novembre 1918, jour des morts, alors que des rumeurs de plus en plus pressantes commencent à parler d’armistice et que la plupart des soldats, comme Albert Maillard, veulent attendre la fin de la guerre, les chefs cherchent encore à en découdre pour tenter de passer de l’autre côté de la Meuse. C’est l’engrenage. Tandis qu’Albert monte à l’assaut, il tombe dans un trou d’obus.

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L’épuisement vient de le gagner. Parce que tout ça est tellement bête. C’est comme s’il avait posé sa valise, comme s’il était arrivé. Il voudrait remonter là-haut qu’il ne le pourrait pas. Il était à deux doigts d’en finir avec cette guerre et le voilà au fond du trou. Il s’effondre plus qu’il ne s’assoit et se prend la tête dans les mains. Il tente d’analyser correctement la situation, mais son moral vient de fondre d’un seul coup. Comme un sorbet. Un de ceux que Cécile adore, au citron, qui lui font grincer les dents avec une mimique de petit chat, qui donne à Albert l’envie de la serrer contre lui. Justement, Cécile, sa dernière lettre remonte à quand ? C’est ça aussi qui l’a épuisé. Il n’en a parlé avec personne : les lettres de Cécile sont devenues moins longues. Comme c’est bientôt fini, la guerre, elle lui écrit comme si c’était complètement fini, que ça n’était plus la peine de s’étendre. Pour certains qui ont des familles entières, ça n’est pas pareil, il y a toujours des lettres qui arrivent, mais pour lui, qui n’a que Cécile... Il y a bien sa mère aussi, mais elle est plus fatigante qu’autre chose. Ses lettres ressemblent à sa conversation, si elle pouvait tout décider à sa place... C’est tout ça qui l’a usé, rongé, Albert, en plus de tous les copains qui sont morts et auxquels il voudrait ne pas trop penser. Il en a déjà vécu, des moments de découragement, mais là, ça tombe mal. Justement à l’instant où il aurait besoin de toute son énergie. Il ne saurait pas dire pourquoi, quelque chose en lui a soudainement lâché. Il le sent dans son ventre. Ça ressemble à une immense fatigue et c’est lourd comme de la pierre. Un refus obstiné, quelque chose d’infiniment passif et serein. Comme une fin de quelque chose. Lorsqu’il s’est engagé, quand il essayait d’imaginer la guerre, comme beaucoup, il pensait secrètement qu’en cas de difficulté il n’aurait qu’à faire le mort. Il s’effondrerait ou même, dans un souci de vraisemblance, il pousserait un hurlement en faisant mine de recevoir une balle en plein cœur. Il lui suffirait ensuite de rester allongé et d’attendre que les choses se calment. La nuit venue, il ramperait jusqu’au corps d’un autre camarade, vraiment mort celui-là, dont il volerait les papiers. Après quoi, il reprendrait sa marche reptilienne, des heures et des heures, s’arrêtant et retenant sa respiration lorsque des voix se feraient entendre dans la nuit. Avec mille précautions, il avancerait jusqu’à trouver enfin une route qu’il suivrait vers le nord (ou vers le sud, selon les versions). En marchant, il apprendrait par cœur tous les éléments de sa nouvelle identité. Puis il tomberait sur une unité égarée dont le caporal-chef, un grand type avec... Bref, comme on voit, pour un caissier de banque, Albert a un esprit assez romanesque. Sans doute les fantasmes de Mme Maillard l’ont-ils influencé. Au début du conflit, cette vision sentimentale, il la partageait avec bien d’autres. Il voyait des troupes sanglées dans de beaux uniformes rouge et bleu avancer en rangs serrés vers une armée adverse saisie de panique. Les soldats pointaient devant eux leurs baïonnettes étincelantes tandis que les fumées éparses de quelques obus confirmaient la déroute de l’ennemi. Au fond, Albert s’est engagé dans une guerre stendhalienne et il s’est retrouvé dans une tuerie prosaïque et barbare qui a provoqué mille morts par jour pendant cinquante mois. Pour en avoir une idée, il suffirait de s’élever un peu, de regarder le décor autour de son trou : un sol dont la végétation a totalement disparu, criblé de milliers de trous d’obus, parsemé de centaines de corps en décomposition dont l’odeur pestilentielle vous monte au cœur toute la journée. A la première accalmie, des rats gros comme des lièvres cavalent avec sauvagerie d’un cadavre à l’autre pour disputer aux mouches les restes que les vers ont déjà entamés. Il sait tout ça, Albert, parce qu’il a été brancardier dans l’Aisne et que, lorsqu’il ne trouvait plus de blessés gémissants ou hurlants, il ramassait toutes sortes de corps, à tous les stades de la putréfaction. Il en connaît un rayon, dans ce domaine. C’était un travail ingrat pour lui qui a toujours eu le cœur pointu. Et comble de malchance pour quelqu’un qui, dans quelques instants, va être enseveli vivant, il souffre d’un petit fond de claustrophobie.

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Corpus sur le héros épique

Texte A : Homère, L’Iliade, VIIIe siècle av. J.-C. (?).

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La plaine entière, brillant sous le bronze, se remplit D’hommes et de chevaux, et le sol trembla sous leurs pieds, Tandis qu’ils s’élançaient. Deux guerriers parmi les plus braves Sortirent de leurs rangs et se heurtèrent vivement, Le vaillant fils d’Anchise, Enée, et le divin Achille. En premier s’avança Enée, hostile, secouant Son casque énorme et lourd. Par devant sa poitrine Il tenait son vaillant écu et brandissait sa lance. Le fils de Pelée, à son tour, bondit à sa rencontre. Tel un lion cruel, que tous les hommes du pays Brûlent de mettre à mort ; tout d’abord, il va, dédaigneux ; Mais qu’un gars belliqueux vienne à le toucher de sa lance, Soudain il se ramasse, gueule ouverte, écume aux dents, Et son âme vaillante gronde au fond de sa poitrine ; De la queue il se bat sans fin les hanches et les flancs, Tandis qu’ils s’excite au combat et, l’œil étincelant, Fonce droit devant lui, décidé à tuer un homme, Ou à périr lui-même alors dans les premières lignes : Tel, poussé par sa fougue et par son cœur audacieux, Achille courut au-devant du magnanime Enée.

TEXTE B : Anonyme, La Chanson de Roland, XIe siècle.

L’arrière-garde de l’armée de Charlemagne est attaquée à Roncevaux (Pyrénées) par les Sarrasins…

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Olivier sent qu’il est blessé à mort. Jamais il ne saurait assez se venger. En pleine mêlée, maintenant, il frappe comme un baron. Il tranche les épieux et les boucliers et les pieds et les poings et les selles et les poitrines. Qui l’aurait vu démembrer les Sarrasins, abattre un mort sur un autre, pourrait se souvenir d’un bon vassal. Il n’oublie pas le cri de guerre de Charles : « Monjoie ! », crie-t-il, à voix haute et claire. Il appelle Roland, son ami et son pair : « Sire compagnon, venez donc près de moi : à grande douleur nous serons aujourd’hui séparés. »

Roland regarde Olivier : il est blême et livide, décoloré et pâle. Le sang tout clair lui coule par le milieu du corps : sur la terre tombent les caillots. « Dieu ! dit le comte, je ne sais plus que faire. Sire compagnon, votre vaillance fut votre malheur ! Jamais il n’y aura homme d’aussi grande valeur. Ah ! France douce, comme aujourd’hui tu resteras dépouillée de bons vassaux, confondue et déchue ! L’empereur en aura grand dommage. » À ces mots, sur son cheval, il se pâme.

Voilà Roland, sur son cheval, pâmé, et Olivier qui est blessé à mort. Il a tant saigné que ses yeux sont troublés. Ni loin ni près il ne peut voir assez clair pour reconnaître homme mortel. Il rencontre son compagnon et le frappe sur son heaume gemmé d’or : il le lui tranche jusqu’au nasal, mais il n’a pas atteint la tête. À ce coup, Roland l’a regardé et lui demande doucement, amicalement : « Sire compagnon, l’avez-vous fait exprès ? C’est moi, Roland, qui vous aime tant ! Vous ne m’aviez pourtant pas défié ! » Olivier dit : « Maintenant je vous entends parler. Je ne vous vois pas : que le Seigneur Dieu vous voie ! Je vous ai frappé, pardonnez-le-moi ! » Roland répond : « Je n’ai pas de mal. Je vous pardonne ici et devant Dieu. » À ces mots ils s’inclinent l’un vers l’autre. C’est en tel amour qu’ils se séparent.

Olivier sent que la mort l’étreint. Les deux yeux lui tournent en la tête, il perd l’ouïe et toute la vue ; il descend de cheval, se couche contre terre. Péniblement, à haute voix, il dit sa coulpe, les deux mains jointes vers le ciel ; il prie Dieu de lui donner le paradis et de bénir Charles et France la douce, et son compagnon Roland, par-dessus tous les hommes. Le cœur lui manque, son heaume

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s’incline, tout son corps s’étend à terre. Il est mort le comte ; il ne s’attarde pas plus longtemps. Roland le baron le pleure et le regrette : jamais, sur terre, vous n’entendrez homme plus accablé de douleur.

Texte C : Fénelon, Les Aventures de Télémaque, 1699.

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Mentor montre dans ses yeux une audace qui étonne les plus fiers combattants. Il prend un bouclier, un casque, une épée, une lance; il range les soldats d'Aceste; il marche à leur tête et s'avance en bon ordre vers les ennemis. Aceste, quoique plein de courage, ne peut, dans sa vieillesse, le suivre que de loin. Je le suis de plus près ; mais je ne puis égaler sa valeur. Sa cuirasse ressemblait, dans le combat, à l'immortelle égide. La mort courait de rang en rang partout sous ses coups. Semblable à un lion de Numidie que la cruelle faim dévore, et qui entre dans un troupeau de faibles brebis: il déchire, il égorge, il nage dans le sang, et les bergers, loin de secourir le troupeau, fuient tremblants, pour se dérober à sa fureur. Ces Barbares, qui espéraient de surprendre la ville, furent eux-mêmes surpris et déconcertés. Les sujets d'Aceste, animés par l'exemple et par les ordres de Mentor, eurent une vigueur dont ils ne se croyaient point capables. De ma lance je renversai le fils du roi de ce peuple ennemi. Il était de mon âge, mais il était plus grand que moi : car ce peuple venait d'une race de géants qui étaient de la même origine que les Cyclopes. Il méprisait un ennemi aussi faible que moi : mais, sans m'étonner de sa force prodigieuse, ni de son air sauvage et brutal, je poussai ma lance contre sa poitrine, et je lui fis vomir, en expirant, des torrents d'un sang noir. Il pensa m'écraser. Dans sa chute, le bruit de ses armes retentit jusqu'aux montagnes. Je pris ses dépouilles, et je revins à Aceste avec les armes du mort que j'avais enlevées. Mentor, ayant achevé de mettre les ennemis en désordre, les tailla en pièces et poussa les fuyards jusque dans les forêts. Un succès si inespéré fit regarder Mentor comme un homme chéri et inspiré des dieux.

DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES

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Corpus sur les parodies d’épopées

Texte A : Rabelais, Gargantua, chapitre XVII, 1532.

Dans cet extrait, Frère Jean des Entommeures se bat afin de sauver le champ de vigne de l’abbaye.

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Sur ces paroles, il ôta sa grande robe et s'empara du bâton de la croix, qui était en cœur de sorbier, long comme une lance, facile à tenir en main et parsemé de fleurs de lys, presque toutes effacées. Il sortit ainsi, vêtu de sa casaque, le froc en écharpe et, avec le bâton de la croix, il attaqua si brusquement les ennemis, qui, sans ordre, ni enseigne, ni tambour ni trompette, faisaient une razzia dans l'enclos – car les porte-drapeaux et les porte-enseignes avaient posé leurs drapeaux et leurs enseignes au pied des murs, les tambourineurs avaient défoncé un côté de leurs tambours pour les emplir de raisin, les trompettes étaient chargées de branches portant des grappes et tous étaient éparpillés de tous côtés – il les chargea donc si brusquement, sans crier gare, qu'il les renversa – comme des porcs, frappant à tort et à travers, selon l'ancienne escrime. Aux uns il écrabouillait la cervelle, aux autres il rompait bras et jambes, à d'autres il démettait les spondyles, à d'autres il disloquait les reins, ravalait le nez, pochait les yeux, fendait les mandibules, enfonçait les dents dans la gueule, défonçait les omoplates, cassait les jambes, déboîtait les hanches, brisait les os des jambes et des bras. Si quelqu'un voulait se cacher sous les feuilles de vigne, il lui rabotait toute l'épine dorsale et lui cassait les reins comme à un chien. Si l'un voulait se sauver en prenant la fuite, il faisait voler sa tête en éclats à travers la suture lambdoïde. Si un autre grimpait dans un arbre, pensant y être en sûreté, avec son bâton il l'empalait par le fondement. Si une vieille connaissance lui criait : « Ha, Frère Jean, mon ami, Frère Jean, je me rends ! », « Tu y es, disait-il, bien forcé. Mais tu rendras aussi l'âme à tous les diables !» Et, soudain, il le rouait de coups. Et s'il s'en trouvait assez épris de témérité pour lui faire face et lui résister, il montrait la force de ses muscles car il leur transperçait la poitrine par le médiastin antérieur et par le cœur. À d'autres, en les frappant sur les côtes flottantes, il leur retournait l'estomac, et ils en mouraient aussitôt. D'autres, il les frappait si violemment au nombril qu'il leur faisait sortir les tripes. À d'autres, à travers les couilles il perçait le boyau culier. Croyez que c'était le plus horrible spectacle qu'on ait jamais vu. Les uns criaient : Sainte Barbe ! Les autres : Saint Georges ! Les autres : Sainte Nitouche ! Les autres : Notre-Dame de Cunault ! de Lorette ! de Bonnes Nouvelles ! de la Lenou ! de Rivière ! Les uns se vouaient à saint Jacques ; d'autres au saint Suaire de Chambéry – mais il brûla trois mois plus tard, si bien qu'on n'en put sauver un brin ; d'autres à Cadouin, d'autres à saint Jean d'Angély, les autres à saint Eutrope de Saintes, à saint Mesine de Chinon, à saint Martin de Candes, à saint Cloud de Cinay, aux reliques de Tavarsay, et mille autres bons petits saints. Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir. Les uns mouraient en parlant, les autres parlaient en mourant. Les autres criaient à pleine voix: « Confession ! Confession ! J'avoue tous mes péchés ! Accorde-moi la miséricorde ! Je me mets entre tes mains seigneur ! »

TEXTE B : Cervantès, Dom Quichotte, chapitre VIII, 1605.

Ce chapitre raconte la plus célèbre des aventures de l'ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche.

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En ce moment ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent qu'il y a dans cette plaine, et, dès que don Quichotte les vit, il dit à son écuyer : La fortune conduit nos affaires mieux que ne pourrait y réussir notre désir même. Regarde, ami Sancho ; voilà devant nous au moins trente démesurés géants, auxquels je pense livrer bataille et ôter la vie à tous tant qu'ils sont. Avec leurs dépouilles nous commencerons à nous enrichir ; car c'est prise de bonne guerre, et c'est grandement servir Dieu que de faire disparaître si mauvaise engeance de la face de la terre. Quels géants ? demanda Sancho Panza. Ceux que tu vois là-bas, lui répondit son maître, avec leurs grands bras, car il y en a qui les ont de presque deux lieues de long. Prenez donc garde, répliqua Sancho, ce que nous voyons là-bas ne sont pas des géants, mais des moulins à vent et ce qui paraît leurs bras, ce sont leurs ailes, lesquelles, tournées par le vent, font tourner à leur tour la meule du moulin.

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On voit bien, répondit don Quichotte, que tu n'es pas expert en fait d'aventures : ce sont des géants, te dis-je et, si tu as peur, ôte-toi de là et va te mettre en oraison pendant que je leur livrerai une inégale et terrible bataille. En parlant ainsi, il donna de l'éperon à son cheval Rossinante, sans prendre garde aux avis de son écuyer Sancho, qui lui criait qu'à coup sûr c'était des moulins à vent et non des géants qu'il allait attaquer. Pour lui, il s'était si bien mis dans la tête que c'était des géants que non seulement il n'entendait point les cris de son écuyer Sancho, mais qu'il ne parvenait pas, même en approchant tout près, à reconnaître la vérité. Au contraire, et tout en courant, il disait à grands cris : Ne fuyez pas lâches et viles créatures, c'est un seul chevalier qui vous attaque ! Un peu de vent s'étant alors levé, les grandes ailes de ces moulins commencèrent à se mouvoir, ce que voyant don Quichotte, il s'écria : Quand même vous remueriez plus de bras que le géant de Briarée : vous allez me le payer. En disant ces mots, il se recommanda du profond de son cœur à sa dame Dulcinée, la priant de le secourir en un tel péril ; puis, bien couvert de son écu, et la lance en arrêt, il se précipita au plus grand galop de Rossinante, contre le premier moulin qui était devant lui ; mais au moment où il perçait l'aile d'un grand coup de lance, le vent la chassa avec une telle furie qu'elle mit la lance en pièces et qu'elle emporta après elle le cheval et le chevalier, qui s'en alla rouler d’un bon dans la poussière en fort mauvais état. Sancho Panza accourut à son secours de tout le trot de son âne et trouva en arrivant près de lui qu'il ne pouvait plus remuer tant le coup et la chute avaient été rudes. Miséricorde ! s'écria Sancho ; n'avais-je pas bien dit à Votre Grâce qu'elle prît garde à ce qu'elle faisait, que ce n'était pas autre chose que des moulins à vent ? Paix, paix ! ami Sancho, répondit Don Quichotte, les choses de la guerre sont plus que d'autres sujettes à des chances continuelles ; d'autant plus que je pense que ce sage Freston, qui m'a volé les livres et mon cabinet, a changé ces géants en moulins pour m'enlever la gloire de les vaincre : tant est grande l'inimitié qu'il me porte ! Mais en fin de compte son art maudit ne prévaudra pas contre la bonté de mon épée. – Dieu le veuille, comme il le peut, répondit Sancho Panza ; et il aida son maître à remonter sur Rossinante qui avait les épaules à demi déboîtées.

Texte C : Voltaire, Candide, chapitre 3, 1759

Au début de ce chapitre, Candide, qui a été chassé du château de Thunder-ten-tronckh, découvre la guerre.

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Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque. Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés. Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde.

DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES

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Otto dix, La Guerre (1929-1932)

Triptyque (4.68 x 2.04m). Tempera sur panneaux de bois.

Gemäldegalderie Neue Meister, Dresde.

HISTOIRE DES ARTS