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391 Septembre-Octobre 2007 – 6 numéro Promouvoir la santé : comparaison France/Québec Éducation du patient asthmatique : du nouveau à Marseille Cinésanté : Les Témoins, d’André Téchiné Périnatalité et parentalité :

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391Septembre-Octobre 2007 – 6 €

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Promouvoir la santé :comparaisonFrance/Québec

Éducation dupatient asthmatique :du nouveau à Marseille

Cinésanté : Les Témoins,d’André Téchiné

Périnatalité et parentalité :

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SH39

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est éditée par :L’Institut national de préventionet d’éducation pour la santé (INPES)42, boulevard de la Libération93203 Saint-Denis CedexTél. : 01 49 33 22 22Fax : 01 49 33 23 90http://www.inpes.sante.fr

Directeur de la publication : Philippe Lamoureux

RÉDACTIONRédacteur en chef : Yves Géry Secrétaire de rédaction : Marie-Frédérique Cormand Assistante de rédaction : Danielle Belpaume

RESPONSABLES DES RUBRIQUES : Qualité de vie : Christine Ferron<[email protected]>La santé à l’école : Sandrine Broussoulouxet Nathalie Houzelle<[email protected]>Débats : Éric Le Grand <[email protected]>Aide à l’action : Christine Gilles et FlorenceRostan <[email protected]>La santé en chiffres/enquête : ChristopheLéon <[email protected]>International : Jennifer Davies<[email protected]>Éducation du patient : Isabelle Vincent<[email protected]>Cinésanté : Michel Condé <[email protected]>et Alain Douiller <[email protected]>Lectures – Outils : Olivier Delmer, SandraKerzanet, Fabienne Lemonnier et Élisabeth Piquet<[email protected]>

COMITÉ DE RÉDACTION : Jean-Christophe Azorin (centre de ressour-ces prévention santé), Dr Bernard Basset(INPES), Soraya Berichi (ministère de la Santé,de la Jeunesse et des Sports), Dr Zinna Bessa(direction générale de la Santé), MohammedBoussouar (Codes de la Loire), Dr MichelDépinoy (InVS), Alain Douiller (Codes de Vau-cluse), Annick Fayard (INPES), ChristineFerron (Cres de Bretagne), Laurence Fond-Harmant (CRP-Santé, Luxembourg), JacquesFortin (professeur), Christel Fouache (Codesde la Mayenne), Myriam Fritz-Legendre(Ceméa), Sylvie Giraudo (Fédération nationalede la Mutualité française), Joëlle Kivits (SFSP),Laurence Kotobi (MCU-Université Bordeaux-3), Éric Le Grand (conseiller), Claire Méheust(INPES), Colette Ménard (INPES), FéliciaNarboni (ministère de l'Éducation nationale),Élodie Aïna-Stanojevich (INPES), Dr Sté-phane Tessier (Crésif/ Fnes).

Fondateur : Pr Pierre Delore

FABRICATION Création graphique : Frédéric VionImpression : Mame Imprimeurs – ToursADMINISTRATIONDépartement logistique (Gestion des abonne-ments) : Manuela Teixeira (01 49 33 23 52)Commission paritaire : 0508 B 06495 – N° ISSN : 0151 1998. Dépôt légal : 4e trimestre 2007.Tirage : 9 000 exemplaires.

Les titres, intertitres et chapô sont de la respon-sabilité de la rédaction

390Juillet-Août 2007 – 6 €

num

éro

Gens du voyage :développer l’accèsà la prévention

Mucoviscidose : améliorer la qualitéde vie des enfants

Lecture :antimanuel de médecine

Éducation pour la santé : les défis de l’évaluation

Tous les deux mois• l’actualité• l’expertise• les pratiques• les méthodes d’intervention

dans les domaines de la prévention et de l’éducation pour la santé

Une revue de référence et un outil documentaire pour :• les professionnels de la santé,

du social et de l’éducation• les relais d’information• les décideurs

Rédigée par des professionnels• experts et praticiens• acteurs de terrain• responsables d’associations et de réseaux• journalistes

1 an 28 €2 ans 48 €Étudiants (1 an) 19 €Autres pays et outre-mer (1 an) 38 €

� La promotion de la santé à l’hôpital,n° 360.

� Éducation pour la santé et petiteenfance, n° 361.

� L’Europe à l’heure de la promotion de la santé, n° 371.

� Nutrition, ça bouge à l’école, n° 374.� Médecins-pharmaciens :

les nouveaux éducateurs, n° 376.� Les ancrages théoriques

de l’éducation pour la santé, n° 377.� La santé à l’école, n° 380.� Mieux prévenir les chutes chez les

personnes âgées, n° 381.� Démarche participative et santé,

n° 382.

Je souhaite m’abonner pour :� 1an (6 numéros)� 2 ans (12 numéros)� Étudiants 1 an (6 numéros)Joindre copie R°/V° de la carte d’étudiant

� Autres pays et outre-mer 1 an (6 numéros)

Soit un montant de €

Ci-joint mon règlement à l’ordre de l’INPES par �chèque bancaire �chèque postal

NomPrénomOrganismeFonctionAdresse

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La revue de la préventionet de l’éducation pour la santé

52 pages d’analyses et de témoignages

Institut national de prévention et d’éducation pour la santé42, bd de la Libération – 93203 Saint-Denis Cedex – France

Abonnez-vous ! 1 an = 28 €

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sommaire

Illustrations : Vanessa Hié

391Septembre-Octobre 2007

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◗ InternationalPromotion de la santé : analyse comparativeFrance-QuébecRéal Morin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

◗ Éducation du patientDu nouveau dans l’éduction du patientasthmatique à MarseilleAurore Lamouroux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

◗ EnquêteBaromètre santé 2005 : déterminants socio-économiques de la consommation d’alcoolJuliette Guillemont, Stéphane Legleye . . . . . . . . 12

Dossier : Périnatalité etparentalité : une révolutionen marche ?IntroductionParents – professionnels de la naissance :vers une nouvelle relation ?Nathalie Houzelle, Catherine Cecchi, Emmanuel Ricard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

De la matrone à l’obstétricien :quel partage des rôles pour lesprofessionnels ?Béatrice Jacques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Périnatalité sur internet : une éthique à respecterCatherine Cecchi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

L’entretien du 4e mois de grossesse : ses atouts et ses difficultés de mise en œuvre Entretien prénatal : un tournant dans la relation futures mères/professionnelsMichel Dugnat, Marina Douzon, Danièle Capgras-Baberon . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

« J’ai pu parler de ma grossesse devantquelqu’un qui m’écoutait »Témoignages recueillis par l’équipe du Dr Michel Dugnat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

La Nièvre, département pionnier de l’entretien de grossesseDanièle Capgras-Baberon, Marina Douzon, Michel Dugnat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

« Écoutons les femmes enceintes et modifionsnos pratiques ! »Entretien avec Françoise Molénat . . . . . . . . . . . . 28

Enfants prématurés :deux programmes innovantsPrématurés : à Brest et à Montpellier, les parents acteurs des soins Jean-Charles Picaud, Jacques Sizun . . . . . . . . . . 31

À l’écoute des parents, pour réduire le stressdes grands prématurésPatricia Garcia-Méric, Marie Fabre-Grenet, ChristianeBertolozzi, Danielle Salducci-Lefort, Céline Baccous,Umberto Simeoni . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Quel rôle pour les parents face aux professionnels ? Périnatalité et toxicomanie : comment préserver la place des parents ? Corinne Chanal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

Allaitement : des femmes-relais poursoutenir les jeunes mèresDanièle Bruguières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Drépanocytose : accompagner les femmesenceintes vers un choix éclairéDoris Bonnet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

Écoute des patients et des familles : l’Ile-de-France innoveSerge Bouznah . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

Pays-Bas et Québec, d’autres approchesAccoucher à domicile ? Comparaison France/Pays-BasMadeleine Akrich . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Naissance : comment le Québec accompagneles famillesDaniel Beauregard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Pour en savoir plusCéline Deroche, Ève Gazzola, Élisabeth Piquet . . . 50

◗ CinésantéÉduquer à la santé au travers d’un film : Les Témoins, d’André TéchinéMichel Condé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

◗ Lectures-outilsOlivier Delmer, Ève Gazzola, Fabienne Lemonnier . . . 56

Dossier

Retrouvez La Santé de l’homme sur Internet : voir en page 57

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Directeur scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec, Réal Morin compareles politiques de promotion de la santé mises en œuvre au Québec et en France. Il procèdeà une analyse critique de la politique québécoise, présentée – parfois à tort – comme unmodèle, puis passe en revue les forces et faiblesses du système français1. Sa conclusion :la France a une longueur d’avance pour modifier les comportements individuels, le Québeca comme atout de savoir créer des environnements « favorables ». Mais les deux élèvesont fort à faire pour mieux prendre en compte les inégalités sociales de santé.

Il est intéressant de constater à quelpoint l’Institut national de prévention etd’éducation pour la santé et l’Institutnational de santé publique du Québec,poursuivant la mission commune deprévenir la maladie et d’améliorer lasanté de la population, exercent leurrôle de façon très différente. En France,la prévention vise à convaincre la popu-lation d’adopter des comportementssains. À cette fin, on utilise les médias,on compte sur les médecins et cabinets,on donne accès à de l’information télé-phonique, on assure une éducation à lasanté en milieu scolaire, on prépare desoutils d’information, on rédige despublications pour différents publics,etc. Pour améliorer la santé de la popu-lation, les organisations de préventionou d’éducation pour la santé, en France,mettent l’accent sur des mesures ciblantles individus.

Le Québec insiste davantage sur lesmesures ciblant les environnements. LeCanada a été le premier pays industria-lisé à mettre en lumière les limites dela médecine et des soins commemoyens d’améliorer la santé et à intro-duire la notion des habitudes de viedans sa politique de santé. Le Canadaa été l’hôte de la première conférenceinternationale en promotion de la santé,et la charte d’Ottawa demeure, aprèsplus de vingt ans, un guide phare desactions visant à améliorer la santé despopulations. Depuis, promouvoir lasanté veut dire élaborer une politiquepublique saine, créer des milieux favo-

rables, renforcer l’action communau-taire, réorienter les services de santé etacquérir des aptitudes individuelles.Cependant, malgré cette ouverture etdes actions globales pour favoriser lasanté, le développement des actionsindividuelles visant l’adoption d’habi-tudes de vie saines a fait l’objet de laplus grande attention.

Actions sur les comportementset les environnements :complémentaires

Ainsi, les années 1970 et 1980 ontconnu un développement accéléré desrecherches et des expérimentationsvisant les changements de comporte-ment (1). Selon le modèle de croyancerelatif à la santé, un individu peut fairedes gestes pour prévenir une maladies’il possède des connaissances mini-males en matière de santé, et s’il consi-dère la santé comme une dimensionimportante. Selon la théorie socialecognitive, une personne adoptera uncomportement si elle croit que ce com-portement peut contribuer à l’atteintede ses objectifs personnels, et si elle asuffisamment confiance en sa capacitéd’adopter ce comportement au momentopportun (2).

Au cours de cette même période, denombreux programmes destinés àconvaincre les gens de modifier leurcomportement ont été mis en placedans les pays industrialisés. Souvent, lesgouvernements ont été porteurs de pro-grammes ou de politique d’envergure

visant la prévention des problèmes desanté, notamment parce qu’ils deve-naient de plus en plus préoccupés parla hausse vertigineuse des coûts dessoins de santé (1).

Cependant, influencer les comporte-ments individuels est une tâche difficilequi, sans un travail parallèle sur les envi-ronnements dans lesquels les gensvivent, donne des résultats très limi-tés (3). De nos jours, autant les éduca-teurs pour la santé que les spécialistes encommunication de masse et en marke-ting social reconnaissent l’importancedes environnements favorables à l’adop-tion des comportements de santé. C’estpourquoi, dès les années 1980, pour bienintégrer actions individuelles et actionssur les environnements, tout le champqui a trait aux stratégies visant l’amé-lioration de la santé est renommé pro-motion de la santé, induisant ainsi que selimiter à changer les modes de vie indi-viduels n’est plus une option viable (3).

L’éducation à la santé et le « mur »des inégalités sociales

Dans cette nouvelle démarche, leCanada et le Québec ont joué un rôleimportant. L’appellation d’éducationpour la santé n’est réservée que pourdésigner une stratégie de promotion dela santé parmi d’autres. En France, enrevanche, l’éducation pour la santé estplus répandue que la promotion de lasanté. Cette distinction se reflète par-faitement dans les mandats confiés auxorganisations publiques françaises et

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4 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

Promotion de la santé : analyse comparative France-Québec

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5LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

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québécoises. Ainsi, en France, l’Institutnational de prévention et d’éducationpour la santé met surtout en œuvre desinterventions visant des changementsde comportements individuels alorsqu’au Québec l’Institut national desanté publique intègre, dans sa mission,toute une variété d’interventions,notamment celles qui visent directe-ment la création d’environnementsfavorables à la santé. Cela l’a conduitd’ailleurs à négliger les actions visant lescomportements individuels, comme s’ilétait inutile d’informer la population surles modes de vie sains.

Au-delà de ce débat, de nombreuxauteurs expriment des critiques acerbesà l’égard des actions individuelles. Eneffet, dans les pays industrialisés, où les principales causes de mortalité sont les maladies chroniques, la solutionavancée serait que les gens se nourris-sent mieux, qu’ils arrêtent de fumer etqu’ils fassent de l’exercice physique. Or,depuis les années 1980, la connaissancedes déterminants sociaux de la santé estvenue donner une image beaucoup plusnuancée et réaliste de la responsabilitéindividuelle en matière de santé (1).Il faut noter l’importance des études bri-tanniques sur la compréhension desinégalités sociales de santé. Ainsi, lesétudes de Marmot et de ses collabora-teurs nous ont appris que les personnesappartenant aux couches sociales supé-rieures étaient en meilleure santé quecelles se trouvant à l’échelon inférieur.Dans toutes ces études, un contrôle aété exercé sur les facteurs connus asso-ciés aux maladies, et ni le tabac, ni lecholestérol n’expliquent les différencesobservées entre les groupes sociaux.

Prendre en compte lesdéterminants sociaux de santé

Dennis Raphaël (4) a étudié la partdes problèmes de santé qu’il est possi-ble d’attribuer aux inégalités sociales auCanada. Il déplore que l’organisme gou-vernemental canadien chargé de com-piler les statistiques de population iden-tifie le tabagisme, l’exercice physique, le poids, le stress et la dépressioncomme facteurs explicatifs des diffé-rences d’état de santé entre les régionscanadiennes, alors que les données per-mettent de conclure que le revenu indi-viduel est de loin la meilleure explica-tion (4). De tous les pays développés,le Canada est l’un de ceux qui affichent

les taux de pauvreté générale et infan-tile les plus élevés. En France, moins de8 % des enfants vivent dans la pauvreté,ce taux avoisine les 15 % au Canada (4).Les pays ayant pris le virage néolibéralde façon le plus accentuée sont ceux quiont perdu le plus de terrain en matièrede santé. Ainsi, la Grande-Bretagne etles États-Unis se situaient aux 7e et 8e rangs sur 18, en 1960, quant à la mor-talité infantile. En 2000, ils sont aux 15e

et 18e rangs. Le Canada est passé du 9e au 12e rang. Les pays scandinaves,socio-démocrates, où les taux de pau-vreté sont le plus faibles, présentent desétats de santé supérieurs. Les pays d’Eu-rope du centre-ouest (France, Italie,Allemagne) sont mitoyens (5).

Le Québec et le Canada ont eu beau-coup de difficultés à mettre en pratiqueles discours très progressistes de pro-motion de la santé pour lesquels ilsavaient acquis le titre de leaders mon-diaux. Ils n’affichent plus de déficit bud-gétaire depuis des années mais ontlaissé s’effriter les filets de sécuritésociale et caracoler les écarts de reve-nus entre les riches et les pauvres. Cela

n’empêche pas le gouvernement duQuébec et les organisations de santépublique de redoubler d’ardeur pourla création d’environnements favora-bles à la santé.

Lutter contre la pauvretéCréer des environnements favora-

bles à la santé exige nécessairementd’intensifier la lutte contre la pauvreté etles écarts de santé entre les groupes dela société. Un revenu suffisant permetl’accès au logement, à l’habillement, à lanourriture, aux transports, à un envi-ronnement de qualité, mais aussi à laculture et à l’éducation. Lutter contre lapauvreté, c’est aussi combattre la déva-lorisation, le manque de soutien socialet l’exclusion. Le Québec offre unegrande variété de services pour contrerles effets de la pauvreté, notamment endirection des familles des milieux lesplus pauvres, en vue de favoriser lepouvoir d’agir des personnes (6). Néan-moins, les recherches québécoises ontdémontré depuis longtemps qu’aucunegamme de services, aussi intensifs et dequalité pourront-ils être, ne réussira àcontrer complètement les effets de la

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pauvreté, et le transfert intergénéra-tionnel maintes fois observé de ce phé-nomène de la pauvreté (7). Il faut doncs’attaquer aux causes structurelles dela pauvreté, et le Québec a fort à fairepour rejoindre les pays les plus perfor-mants en ce domaine. Il ne refuse pasde voir le problème et a récemmentadopté la loi visant à lutter contre lapauvreté et l’exclusion sociale, une loirésolument tournée vers la redistribu-tion de la richesse collective. Sera-t-ellevraiment appliquée ? Le moral des Qué-bécois et des Canadiens, à l’heureactuelle, ne va vraiment pas dans lesens de payer plus d’impôts et d’aiderdavantage les plus démunis.

Créer des environnementsfavorables

Créer des environnements favora-bles à la santé veut dire aussi créer descommunautés solidaires (6). Les effortsde redistribution des richesses sont évi-demment à la base de la solidarité entreles groupes sociaux mais certains grou-pes de la population du Québec sontfinancièrement plus riches tout en étantmoins résistants, moins résilients qued’autres collectivités moins riches maiscaractérisées par une forte cohésionsociale. Les acteurs de santé publiquedu Québec, en collégialité avec les par-tenaires régionaux et locaux, condui-sent des actions qui visent le dévelop-

pement social et le développement descommunautés. La participation descitoyens et les efforts concertés, le tra-vail en réseau sont des ingrédientsessentiels pour assurer le succès de cesdémarches de développement descommunautés. Les projets peuventconcerner la réhabilitation des vieuxquartiers, le soutien aux personnesâgées, la mise en œuvre de cuisines col-lectives, l’organisation des transports. Leréseau québécois des villes et villagesen santé, mouvement en force depuisvingt ans, est une belle illustration destratégie de promotion de la santé quiintervient sur le cadre de vie, plutôt que sur les personnes, qui s’appuie surl’idée qu’une bonne qualité de vie va depair avec une meilleure santé, qui misesur le leadership des municipalités enmatière de concertation, sur leur habi-leté à répondre aux besoins de leurscitoyens, sur la capacité des municipa-lités d’agir sur des déterminants sociauxprésents à l’échelle locale.

La lutte contre le tabagisme au Québec et contre l’insécuritéroutière en France

Le gouvernement du Québec vientde lancer son plan d’actions de promo-tion de saines habitudes de vie et de pré-vention des problèmes liés au poids (8).Ce plan est le résultat des efforts faitsau Québec, notamment par les instan-

ces de santé publique, pour faire accep-ter par le gouvernement et la populationqu’il faut agir sur les environnementspour faciliter l’adoption de compor-tements sains. Il est rarement possibled’agir sans passer par l’adoption de poli-tiques publiques affichant la santécomme valeur phare. Ainsi, après desannées d’information et de sensibilisa-tion, les politiques de taxation et laréglementation interdisant l’usage dutabac dans les lieux publics ont permisd’atteindre les plus bas niveaux de taba-gisme enregistrés. C’est aussi par despolitiques publiques que la France a faitchuter de 7 514, en 1998, à 4 857 le nom-bre des décès par accident de la route.Au Québec, de telles politiques publi-ques qui ont largement contribué, enFrance à créer des environnementsfavorables à la santé n’ont pas encoreété adoptées, alors que le bilan routiers’est détérioré depuis quelques années.Des politiques alimentaires doivent êtremises en place pour garantir l’accès àdes aliments sains et abordables dans lesdifférents milieux de vie. Encore aujour-d’hui, on trouve des boissons ou des ali-ments de faible valeur nutritionnelledans les écoles, alors qu’en France laloi du 9 août 2004 sur la politique desanté publique a imposé le retrait detous les distributeurs d’aliments et deboissons à compter de la rentrée 2005.

La lutte contre l’obésité au Québec : nouveau défi

Il importe que la population puisseavoir accès à des infrastructures sporti-ves à faible coût, à des parcs publicsattrayants, à des pistes cyclables sécuri-taires, à des transports publics, à tous cesmoyens qui rendent les gens plus actifs.Le virage est important dans une Amé-rique du Nord où la voiture est omni-présente, alors que l’embonpoint etl’obésité sont à la hausse et réclamentdes actions immédiates et vigoureuses.Pour venir à bout de cette épidémie, ilest nécessaire de consacrer toute l’éner-gie que requiert la création d’environ-nements favorables à la santé, de mettreen place des politiques saines. Au Qué-bec, en 2004, des partenaires de santépublique avaient lancé un appel à lamobilisation pour s’attaquer à l’obésitéet à la préoccupation excessive à l’égarddu poids (Groupe de travail provincialsur la problématique du poids, 2004).Il visait à engager dans l’action trois sec-teurs stratégiques (les secteurs de l’agro-alimentaire, de l’environnement bâti et

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6 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

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7LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

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du socioculturel), en vue de solutionnerce problème de société. Il ne sera paspossible de créer d’environnement favo-rable sur ce problème sans la collabo-ration intersectorielle et de nécessairespolitiques publiques saines.

Les environnements sociaux et éco-nomiques sont d’importants détermi-nants pour la santé. Les épisodes desmog et de chaleurs intenses qui devien-dront de plus en plus fréquents avec leschangements climatiques affectent lasanté de toute la population, mais ontplus de conséquences chez les plus pau-vres. Les bruits de proximité d’autorouteou les zones urbaines densément peu-plées et aux habitats de faible qualité ontaussi des impacts sur la santé.

La France et le Québec : des collaborations fructueuses

Même si les organisations françaisesorientent la prévention et l’éducationpour la santé essentiellement sur desmesures individuelles, la France est toutde même engagée depuis longtempsdans la création d’environnementsfavorables à la santé, notamment au tra-vers de mesures de redistribution desrichesses, de soutien aux familles, depolitique alimentaire ou de sécurité rou-tière. Au Québec, même si le conceptdes environnements favorables est bienintégré, les intervenants en promotionde la santé devront redoubler d’ardeur

pour convaincre les décideurs de s’en-gager sur ce terrain. Les Québécoisdevront aussi consacrer plus d’attentionet d’efforts aux mesures individuellesdestinées à convaincre la populationd’adopter de saines habitudes de vie.L’Institut national de santé publique duQuébec et ses partenaires ont récem-ment réagi au danger que représentela mise à l’écart des interventions visantles individus, et s’est vu confier le man-dat de mettre sur pied un bureau de lacommunication en santé. Les profes-sionnels de la communication réalise-ront des outils d’éducation et d’infor-mation, et l’expertise de l’Institutnational de prévention et d’éducationpour la santé sera mise à profit dans lecadre d’une convention de partenariatsignée, en juin 2007, avec l’Institut qué-bécois de santé publique. La France etle Québec ont beaucoup à partagerdans l’intérêt de leurs populations ettout est maintenant en place pour descollaborations fructueuses.

Réal Morin

Directeur scientifique,

direction du développement des individus et

des communautés,

Institut national de santé publique

du Québec, Canada.

1. Cet article a été rédigé à partir de l’interventionréalisée par Réal Morin lors des Journées de la pré-vention de l’INPES, les 29 et 30 mars 2007.

Une lettre d’information

mensuelle pour tout

savoir sur l’actualité

de la prévention

et de l’éducation

pour la santé

COMMUNIQUÉ

AAbboonnnneezz--vvoouussggrraattuuiitteemmeenntt !!wwwwww..iinnppeess..ssaannttee..ffrr

◗ Références bibliographiques(1) Baum F. The new public health. Melbourne:Oxford University Press, 2002: 607 p.(2) Godin G., Côté F. Le changement planifiédes comportements liés à la santé. In : Car-roll G. (sous la dir.). Pratiques en santé com-munautaire. Montréal : Les éditions de la Che-nelière, 2006 : 129-40.(3) O’Neill M., Stirling A. Travailler à promouvoirla santé ou travailler en promotion de la santé ?In : O’Neill M., Dupéré S., Pederson A., Root-man I. Promotion de la santé au Canada et auQuébec, perspectives critiques. Sainte-Foy(Québec) : Les presses de l’Université Laval,coll. Société, cultures et santé, 2006 : 42-61.(4) Raphaël D. Les inégalités de santé auCanada, faible préoccupation, actions insa-tisfaisantes, succès limités. In : O’Neill M.,Dupéré S., Pederson A., Rootman I. Promo-tion de la santé au Canada et au Québec, per-spectives critiques. Sainte-Foy (Québec) : Lespresses de l’Université Laval, coll. Société,cultures et santé, 2006 : 138-59.

(5) Coburn D. Health and Health Care: A Poli-tical Economy Perspective. In: Raphaël D.,Bryant T., Rioux M. Staying alive. Critical per-spectives on health, illness, and health care.Toronto: Canadian Scolars Press, 2006: 59-84.(6) Ministère de la Santé et des Servicessociaux. Rapport national sur l’état de santéde la population du Québec – Produire lasanté. Québec : Gouvernement du Québec,2005 : 131 p.(7) Boyer G., Laverdure J. Le déploiement desprogrammes de type, Naître égaux – Grandiren santé au Québec. Institut national de santépublique du Québec, 2000 : 50 p.(8) Ministère de la Santé et des Servicessociaux. Investir pour l’avenir – Plan gouver-nemental de promotion des saines habitudesde vie et de prévention des problèmes reliésau poids 2006-2012. Québec : ministère dela Santé et des Services sociaux, 2006 :49 p.

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L’asthme provoque deux mille décès par an, en France, dont une partie pourrait êtreévitée par des soins et une éducation du patient mieux adaptés. À Marseille, un pro-gramme innovant d’éducation du patient intégrant les facteurs psychologiques, sociauxet environnementaux permet de modifier les « croyances » des patients sur leur patho-logie. Les premiers résultats font apparaître une meilleure observance (le pourcentagede patients observants passe de 7 % à 65 %) et une réduction des hospitalisations (quipassent de 74 % à 7 %).

Malgré une thérapeutique efficace,l’asthme est responsable de deux milledécès annuels et de nombreux recoursinopinés aux soins (visite du médecin,hospitalisation, admission en serviced’urgence). Les différentes enquêtes(Asur, Aire) indiquent que la morbiditéassociée à l’asthme est imputable,d’une part, à une mauvaise observancede la thérapeutique prescrite, d’autrepart, à une mauvaise gestion de lamaladie (1-2). Au-delà des prescrip-tions, il importe d’encourager le maladeet son entourage à coopérer avec les

soignants. Le rôle de l’éducation théra-peutique est de parvenir à l’autonomi-sation du patient.

Bien que la définition de l’éducationthérapeutique par l’Organisation mon-diale de la santé (voir encadré ci-contre)mentionne le besoin de centrer le pro-cessus éducatif sur le patient, on cons-tate que l’éducation thérapeutique laissesouvent peu de place à la prise encompte des désirs réels des patients etde leurs pratiques de santé, notammentquand il s’agit de comportements àrisque. La démarche éducative confondcroyances et savoirs, en rappelant lepatient à la « vérité médicale » par le biaisd’informations, parfois pléthoriques, deconnaissances censées améliorer leurcoopération aux soins (4). Cette confu-sion tend à cautionner l’opinion – large-ment répandue parmi les professionnelsde santé – selon laquelle l’acquisition deconnaissances sur les risques pour lasanté ou sur les comportements sains àadopter est suffisante pour modifier uncomportement (5).

Mieux former les professionnelsLa sous-estimation du poids des

croyances de santé traduit les limitesdes formations éducatives actuelles. Ceslimites se situent à différents niveaux :• Professionnels : manque d’impli-cation de la part des médecins parmanque de temps et de valorisation del’acte éducatif, etc. ;• Patients : faible participation, diffi-culté à adapter les connaissances à l’ac-tion, etc. ;

• Programmes éducatifs : programmesaxés sur des connaissances/compéten-ces médicalement valorisées, peu dechangement de pratiques observé, lesconnaissances périclitent au bout de sixmois à un an ;• Système de santé : l’éducation théra-peutique n’est pas toujours systémati-sée, même si l’on note des efforts insti-tutionnels à l’encourager (6, 7).

Ce constat pousse certains d’entrenous au scepticisme quant au rôle quel’éducation thérapeutique peut jouerdans l’amélioration de la qualité dessoins (8). Mais il nous faut rester opti-mistes (9) malgré les freins et les limi-tes observés (10).

Une nouvelle approche de l’éduca-tion thérapeutique a été proposée pourpallier ces carences, elle met l’accent surl’acquisition de capacités d’autogestiondes patients (self-management), les-quels intègrent des outils d’auto-sur-veillance (self-monitoring). Mais cesprogrammes ne prennent pas systéma-tiquement en compte la façon dont lespatients s’approprient leur maladie dansdes situations sociales définies, élémentindispensable pour cerner les compor-tements adoptés par les patients.

Recherche-action en milieuhospitalier

Consciente des limites imputablesaux programmes éducatifs, la HauteAutorité de santé (HAS) préconise« …de développer de nouvelles stratégieset de nouvelles prises en charge, telles

éducation du patient

8 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

Du nouveau dans l’éducation du patient asthmatique à Marseille

Éducation thérapeutique :la définition officielle de l’OMSDepuis 1998, l’éducation thérapeutique estdéfinie par l’Organisation mondiale de lasanté (OMS) comme « un processus continu,intégré aux soins, et centré sur le patient. Ilcomprend des activités organisées de sen-sibilisation, information, apprentissage etd’accompagnement psychosocial concer-nant la maladie, le traitement prescrit, lessoins, l’hospitalisation et les autres institu-tions de soins concernées et les comporte-ments de santé et de maladie du patient. Ilvise à aider le patient et ses proches à com-prendre la maladie et le traitement, coopé-rer avec les soignants, vivre le plus saine-ment possible et maintenir ou améliorer laqualité de vie. L’éducation devrait rendre lepatient capable d’acquérir et maintenir lesressources nécessaires pour gérer optima-lement sa vie avec la maladie » (3).

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9LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

éducation du patient

que les accompagnements psychoso-ciaux » (7). Pour ce faire, de nouvellesrecherches-actions doivent être déve-loppées dans ce domaine. C’est dans cecontexte que nous avons lancé unerecherche-action (qui combine recher-che expérimentale et intervention deterrain). L’objectif de l’éducation théra-peutique est d’aboutir à un changementdes pratiques considérées à risque(mauvaise observance aux traitements,exposition au tabac et aux polluants,mauvaise gestion, etc.) qui conduisentà des hospitalisations, voire à des décès.

J’ai donc élaboré un modèle d’édu-cation thérapeutique selon le modèlepsychosocial. Les patients à risqueayant recours à des soins hospitaliers(urgence, hospitalisation), la validationde ce programme s’est déroulée à l’hô-pital Sainte-Marguerite de Marseille,auprès de quatre-vingt-trois patientsasthmatiques adultes (de plus de15 ans) hospitalisés à la suite d’unecrise d’asthme. Pour prendre encompte la problématique environne-mentale, une conseillère médicale en

environnement intérieur s’est rendue audomicile des patients, pour auditer sonenvironnement et parer ainsi auxécueils thérapeutiques liés à l’environ-nement.

Des résultats spectaculairesAu bout de trois ans, les principaux

résultats sont les suivants :– amélioration du bien-être psycholo-gique et de la qualité de vie : les patientsse sentent moins angoissés et plus sûrsd’eux. Ils utilisent davantage les straté-gies centrées sur la résolution de pro-blème pour faire face à la maladie ;– amélioration de l’observance : 65,1 %des patients sont observants aux traite-ments prescrits (au lieu de 7,2 %, initia-lement) et 73,5 % ont un suivi médicalrégulier contre 57,8 % avant la partici-pation au programme. Cette observances’accompagne d’une meilleure évalua-tion des symptômes et d’une meilleureadéquation symptômes-traitement. Leprogramme a permis à 65 % des patientsd’avoir un asthme « contrôlé » (évaluésur un ensemble de critères simples etaccessibles) ;

– diminution des hospitalisations et desadmissions aux urgences : les patientsutilisent efficacement les outils d’auto-surveillance puisque le pourcentaged’hospitalisations, passe de 74,2 % à7,6 % dont deux tiers sont concordantsavec le plan d’action et seulement troispatients ont été admis aux urgences.

Pourquoi une interventionpsychosociale ?

La psychologie sociale de la santés’attache tout particulièrement auxdimensions peu considérées par lesmodèles pédagogiques appliqués dansle champ de l’éducation thérapeutique.Les modèles utilisés pour une interven-tion psychosociale prennent en comptenon seulement le patient (croyances,perceptions, attitudes, capacités à « faireface » à la maladie, personnalité, etc.),mais encore l’environnement socialdans lequel il évolue (conditions etmode de vie, entourage, culture, etc.).Plutôt que de transmettre uniquementdes savoirs (connaissances sur la mal-adie et les traitements) ou des compé-tences gestuelles (habileté technique àmanipuler les sprays), il est important,pour potentialiser l’efficacité de l’édu-cation thérapeutique, de considérer lesens que le patient donne à sa maladieet la manière dont ses comportementss’inscrivent dans son vécu (histoire per-

Mieux connaître sa maladie pour mieux la gérerL’éducation et la prévention sont au cœur dela prise en charge du patient atteint de mala-die chronique. D’ailleurs, le récent Plan surl’amélioration de la qualité de vie despatients atteints de maladies chroniques,d’avril 2007, met en évidence trois axes prin-cipaux quant aux objectifs de prise encharge de ces patients :– « permettre au malade de mieux connaîtresa maladie pour mieux la gérer » ;– « élargir la pratique médicale à la préven-tion et à l’éducation thérapeutique » ;– « tout mettre en œuvre pour faciliter la vieau quotidien des malades chroniques ».Ce Plan pose comme fondamentale l’impli-cation du patient dans la gestion de sa mala-die mais aussi celle de l’équipe médicale,dont la pratique doit être axée sur la pré-vention et l’éducation dans un effort com-mun d’amélioration de la qualité de vie.

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sonnelle et/ou familiale), ses émotions(peur de mourir d’une crise d’asthme…)et ses représentations et croyances(importance accordée à la maladie, effi-cacité perçue des traitements, phobie decertains médicaments, etc.).

Aborder les logiques intimes du patient

L’intervention psychosociale (11) estcomposée de quatre séances indivi-duelles d’une heure et demie à deuxheures. Le protocole d’intervention eststandardisé mais s’adapte au patient ; laprise en charge est personnalisée : lesmodes d’intervention varient, ils sontl’apanage dont dispose le psychologue,mais peuvent être abordés par l’en-semble des professionnels formés à la relation thérapeutique. Il s’agit toutd’abord d’écoute empathique centréesur la personne, selon les attitudes défi-nies par Rogers (12) : non-jugement,non-évaluation, juste distance, etc. Cetype d’écoute crée un climat deconfiance et assure au patient un espacede libre parole. Cet espace de non-juge-ment permet d’aborder le domaine descroyances et des logiques intimes du

patient. L’écoute est utilisée en asso-ciation avec d’autres stratégies plusactives, telles que l’information ou leconseil (13), mais aussi les techniquesde relance propres à l’entretien psycho-logique (reformulation, écho, interpré-tation, etc.).

Évaluation, séances puis groupede parole

Lors de la première consultation,avant de commencer le programme,nous évaluons le contrôle que le patienta de son asthme (au moyen d’un ques-tionnaire scientifiquement validé) etmesurons son souffle. Après avoir suiviles quatre séances, les patients partici-pent à un groupe de parole qui forma-lise les connaissances grâce à la normeconstruite et partagée au sein duditgroupe : après avoir modifié leurscroyances (lorsqu’elles sont erronées) àl’égard de la maladie pendant les séan-ces individuelles, les patients, placés ensituation de groupe, vont rationaliser cechangement et produire une nouvellenorme partagée par le groupe et doncvalidée. Cette technique permet de ren-forcer et d’ancrer de nouveaux savoirs

que le patient s’approprie comme siens.Le patient qui a ainsi modifié sescroyances va ensuite modifier ses pro-pres comportements, c’est la rationali-sation en acte.

Ces séances permettent de mieuxsaisir les logiques des patients quant àleurs pratiques de santé, elles ont pourfinalité l’amélioration de leur qualité devie. Il s’agit à la fois d’un soutien infor-matif (un certain nombre d’informa-tions vont être données au patient voireà sa famille) ; d’un soutien d’estime, enrevalorisant le sentiment d’autoeffica-cité, le sentiment de contrôle et les stra-tégies de « faire face » ; d’un soutienémotionnel ou psychologique en tra-vaillant sur l’historisation de la maladiepar le patient et sur les affects impliqués(états anxieux, moments de déprime,de résignation, de non-acceptation,d’épuisement thérapeutique ou de las-situde, etc.) ; d’un soutien matériel, enapportant des outils pragmatiques àl’autogestion (plan d’action personna-lisé écrit et débitmètre de pointe). Danstous les cas, chaque séance de la priseen charge individuelle doit mobiliserl’ensemble des stratégies de soutienadaptées et structurées pour une priseen charge efficace.

Cinq règles fondamentalesNous développons notre démarche

selon les règles suivantes :

• La prise en compte des opinions,croyances, attitudes et convictionsdu patient

Les croyances des professionnels desanté et celles des patients ne se super-posent pas, les rôles et les statuts du soi-gnant et du soigné ne sont pas uni-voques. Pour les professionnels de lasanté, prendre un traitement de fond estla solution pour un bon contrôle de lamaladie, tandis que, pour le patient, ilen va autrement : « j’ai peur de la dépen-dance au traitement…, j’en prends trop(des médicaments), c’est peut-être mau-vais. Est-ce que ça n’abîme pas les bron-ches ? Trop de médicaments, ça peutfaire mal autre part… » Ces réactionspermettent de mieux saisir la logiquedu patient, d’élargir la compréhensionde ses comportements de santé.

• L’évaluation de la volonté ou dudésir du patient à vouloir changerses comportements ou sa façon deréagir à sa maladie

éducation du patient

10 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

La démarche éducative : quatre séances professionnel/patient

Le programme d’éducation du patient asthmatique – testé et validé auprès de quatre-vingt-trois patients en milieu hospitalier à Marseille – inclut quatre séances qui per-mettent notamment d’analyser les perceptions et croyances sur la maladie et deproposer des actions pour améliorer la qualité de vie de ces patients.

Séance 1• Analyser le parcours de soin : quels sont lesantécédents médicaux, le suivi médical ?• Analyser les perceptions et croyances surla maladie : que pense-t-il de la pathologie ? Quel sens donne-t-il à sa maladie ? L’histoire dela maladie selon le patient ? Comment se per-çoit-il ? Comment pense-t-il être perçu par lesautres ?• Évaluer les connaissances : qu’est-ce qu’ilsait ? (sur la maladie, les traitements, le corps,l’anatomie).• Évaluer les attentes et les objectifs dupatient quant à ces séances : quelles sont ses« motivations » ?• Évaluer la situation sociale : quels conditionsde vie, modes de vie, styles de vie ?• Proposer des actions ciblées : soutienpsychologique ; aide à l’observance et à l’au-togestion ; audit de l’environnement inté-rieur ; orientation vers des structures socia-les, etc.

Séance 2• Évaluer les pratiques de santé : évaluationde l’observance thérapeutique ; de l’adhésionthérapeutique ; des comportements d’auto-gestion ; des causes des « échappements »thérapeutiques ou des arrêts du traitement ;des craintes, des attentes, etc., vis-à-vis dela thérapeutique proposée par le médecin.

Séance 3• Évaluer les capacités d’adaptation : évalua-tion des stratégies de « faire face » plébisci-tées par le patient ; du sentiment d’auto-efficacité et de contrôle perçu ; de l’étatpsychoaffectif et émotionnel ; volonté, moti-vation, prise de décisions, etc.

Séance 4• Évaluer la qualité de vie (dimensions physique,psychologique et sociale) ; le soutien socialperçu ; le retentissement perçu de la maladie surl’entourage ; évaluer l’implication de l’entourage.

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11LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

éducation du patient

Par exemple, à un patient quiaffirme : « Je sais me gérer, je connaisbien ma maladie, je sais encore ce quej’ai à faire, j’ai suffisamment deconnaissances, je n’ai pas besoin d’édu-cation », on pourrait répondre qu’il atort puisqu’il est actuellement hospita-lisé à la suite d’un défaut de contrôlede la crise. Cette posture renforcera sesrésistances et suscitera de la « réactancepsychologique », une réaction négativeà des tentatives de contrainte du librechoix de la personne. Le degré de moti-vation et la notion de désir à changervarient d’un individu à l’autre. Aller àl’encontre du rythme de cheminementde chaque patient, c’est risquer de pas-ser à côté des objectifs propres à l’édu-cation thérapeutique. Parfois il fautremettre à plus tard notre propositionde prise en charge éducative.

• L’aide à la prise de décision sansl’imposer

En fournissant au patient des infor-mations objectives et non biaisées surson état actuel, le patient pourra inté-rioriser la décision comme sienne et noncomme une demande médicalementvalorisée. Pour ce faire, l’entretien moti-vationnel (14) exhorte la motivation dupatient à changer ou à adopter un nou-veau comportement. Or, ce changementn’est possible que s’il est consistant avecles valeurs et les croyances du patient.L’éducateur doit se faire le miroir dupatient, en mettant en lumière ses ambi-valences : « Maintenant je suis davan-tage informé, je ne savais pas que mescomportements n’étaient pas adaptés,j’ai pris conscience qu’il faut que jechange » ou encore « Il a fallu cinq ansde traitement…pour apprendre des cho-ses et apprendre les bons gestes, alors queje pensais bien faire. » Le fait d’avoirconfronté ces patients à leurs proprespratiques a permis de dégager les élé-ments freinant ou facilitant leur propredécision à changer.

• L’apport d’informations objecti-ves sur la maladie, les traitements,les conséquences des comporte-ments du patient sur son état desanté, sans jugement

Les patients peuvent autoanalyserleurs pratiques parce qu’ils reçoivent unensemble d’informations leur permet-tant de conférer du sens au change-ment. Le patient doit être le lieu d’éva-luation interne, c’est-à-dire sujet de sadécision.

• L’analyse des avantages et descoûts liés aux comportements ou à lamanière de réagir face à la maladie

Le changement s’élabore selon unebalance décisionnelle, où les bénéficesliés au changement doivent être per-çus comme plus importants que lescoûts (15). Il en va de même quant auxstratégies utilisées par les patients pourfaire face à une situation stressante, telleune crise d’asthme. Le patient a-t-il lesressources émotionnelles, intellectuel-les ou cognitives, sociales et compor-tementales suffisantes pour faire face àce qui lui arrive ? Comment évalue-t-illes ressources dont il dispose ? Et com-ment les mobilise-t-il ?

Travailler sur les facteurspsychosociaux

Pour conclure, l’éducation théra-peutique est une approche qui se veuthumaniste. Elle doit donc placer lepatient, sujet et acteur de sa santé, aucœur de la décision thérapeutique. Plu-tôt que de faire la promotion des com-portements sains que les patients sedevraient d’adopter, il est préférable decentrer notre action sur la compréhen-sion des logiques des comportementsréels des patients et sur les facteurspsychosociaux qui sous-tendent leurspratiques en matière de soins.

L’approche psychosociale, dans unpremier temps, a pour qualité de s’in-téresser aux logiques et aux parcoursde santé de ces patients, c’est-à-direaux facteurs intrinsèques (croyances,attitudes, traits de personnalité, capa-cité à « faire face », émotions, etc.) etextrinsèques (facteurs sociaux et envi-ronnementaux) qui sous-tendent lescomportements. Dans un secondtemps, elle favorise le changementdurable des comportements à risque.Les programmes d’éducation théra-peutique doivent être à l’écoute desdésirs, des besoins, des attentes, de ladimension subjective du patient, quidiffère de celle du thérapeute, et fairede la qualité de vie du point de vue dupatient son objectif principal. Aprèsavoir été testé et validé (11) en milieuhospitalier, ce programme est actuel-lement mis en pratique à l’École del’asthme de Marseille.

Aurore Lamouroux

Docteur en psychologie, psychologue,

responsable de l’École de l’asthme,

Marseille.

◗ Référencesbibliographiques

(1) Salmeron S., Liard R., Elkharrat D.,Muir J. F., Neukirch F., Ellrodt A. Asthmaseverity adequacy of management in acci-dent and emergency departments in France:a prospective study. The Lancet 2001; 358:629-35.(2) Rabe K. F., Vermeire P. A., Soriano J. B.,Maier W. C. Clinical management of asthmain 1999: the asthma insights and reality inEurope (AIRE) study. European RespiratoryJournal 2000; 16: 802-7.(3) World Health Organization Working Group.Copenhague, 1998.(4) Rouan G., Pedinielli J. L., Bertagne P. Lesthéories étiologiques des maladies. Psycho-logie française 1996 ; 41 (2) : 137-45.(5) Godin G. Le changement des comporte-ments de santé. In : Fischer G.N. Traité depsychologie de la santé. Paris : Dunod2002 : 375-88.(6) Rapport de la direction générale de laSanté (DGS), disponible sur le site :www.sante.gouv.fr(7) Agence nationale d’accréditation etd’évaluation en santé. Principes d’évaluationdes réseaux de santé. Paris : Anaes, 1999 :133 p.(8) Godard P., Bourdin A., Chanez P. Évalua-tion de la qualité des soins dans l’asthme.Revue des maladies respiratoires 2007 ;24 : 197-204.(9) Lamouroux A., Vervloët D. L’éducationthérapeutique est-elle la réponse ? Revuedes maladies respiratoires 2006 ; 23 :10S37-40.(10) Lamouroux A., Vervloët D. La démarcheéducative à la lumière de la médecine fac-tuelle. Médecine thérapeutique 2006 ; 12 :47-54.(11) Lamouroux A. Intervention psychoso-ciale et éducation thérapeutique de patientsasthmatiques. Thèse de doctorat de psycho-logie. Université de Provence, Aix-en-Pro-vence, 2006.(12) Rogers C. R. Client-centered therapy: itscurrent practice, implications and theory.Boston: Houghton Mifflin, 1951.(13) Razavi D., Delvaux N. La prise en chargemédico-psychologique du patient cancéreux.Paris : Masson, 1998 : 280 p.(14) Miller W. R, Rollnick S. Motivational inter-viewing. Preparing people for change. New-York: The Guilford Press, 2nd Ed, 2002:428 p.(15) Janis I. L, Mann L. Decision-making: apsychosocial analysis of conflict, choice,and commitment. New York: Free-Press,1977.

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Proportion de personnes déclarant avoir été ivres au cours des douze derniers mois,suivant le sexe et l’âge

La consommation d’alcool est en baisse régulière depuis quarante ans en France. Cetteévolution est fortement liée à la situation économique et sociale des individus, commel’indique le Baromètre santé 2005 de l’INPES. La baisse est en effet plus sensible dansles catégories les plus favorisées de la population. En revanche, la consommation exces-sive ne concerne pas que les classes défavorisées, et les personnes les plus privilé-giées socialement ne sont pas les moins concernées.

L’enquête Baromètre santé de l’Ins-titut national de prévention et d’éduca-tion pour la santé (INPES) mesure lescomportements, attitudes, connaissan-ces et opinions de la population fran-çaise âgée de 12 à 75 ans en matière desanté. Dans l’édition 2005, 30 514 per-sonnes ont répondu à un questionnairemultithématique qui comprend notam-ment une série de questions permettantde décrire les usages d’alcool. Le Baro-mètre santé fournit des indicateurs telsque la fréquence de consommation, lesquantités bues et la fréquence des ivres-ses ; il permet également d’évaluer leniveau d’usage à risque, à l’aide d’outils

standardisés, l’Audit-C1 et le Deta2.Nous nous attacherons ici à décrire lesdifférences de comportements d’alcoo-lisation selon la position socioécono-mique des individus, en nous concen-trant sur la tranche d’âge d’activité(15-64 ans). Les résultats qui suiventsont extraits du chapitre sur l’alcool duBaromètre santé 2005 (1).

De nets écarts entre actifsoccupés et chômeurs

Les consommations d’alcool sonttrès variables selon la situation scolaireou professionnelle des individus (fi-gure 1). Ces disparités peuvent pour

partie être expliquées par les différen-ces d’âge entre les catégories considé-rées et reflètent dans ce cas les tendan-ces selon l’âge (cf. encadré ci-dessous).Ainsi, les élèves et étudiants, plus jeu-nes, présentent le niveau de consom-mateurs quotidiens et d’usagers à risquele plus faible (ils concernent respecti-vement 1,5 % et 5,6 % d’entre eux) maisun pourcentage d’ivresses plus impor-tant (27,1 % déclarent avoir été ivres aumoins une fois dans l’année et 4,6 % aumoins dix fois). À l’inverse, les retraités,plus âgés, sont les plus concernés parl’usage quotidien ou à risque chroniqueou dépendant suivant le test Audit-C

enquête

12 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

Baromètre santé 2005 :déterminants socioéconomiques de la consommation d’alcool

La consommationd’alcool des 12-75 ansen bref – 8,4 % n’ont jamais bu de boissons alcoo-lisées au cours de leur vie ;– 13,7 % consomment quotidiennement del’alcool ; l’usage quotidien, rare chez les plusjeunes, devient de plus en plus répandulorsque l’âge augmente ;– 14,4 % déclarent avoir été ivres au coursdes douze derniers mois ; l’ivresse culmineentre 15 et 25 ans, puis décroît avec l’âge(voir figure ci-contre) ;– 8,8 % présentent un usage à risque chro-nique ou dépendant (selon l’Audit-C).

Source : Legleye S., Rosilio T., Nahon S. Alcoolisa-tion, un phénomène complexe. In : Guilbert P.,Gautier A. (sous la dir.), Baromètre santé 2005 –premiers résultats. Saint-Denis : INPES, coll. Baro-mètres santé, 2006 : 39-47.

Hommes Femmes Ensemble60 %

50 %

40 %

30 %

20 %

10 %

012-14 ans

2,4 % 3,3 %

15-19 ans

32,4 %

19,0 %

20-25 ans

48,3 %

20,1 %

26-34 ans

36,6 %

10,9 %

35-44 ans

22,1 %

6,9 %

45-54 ans

14,8 %

3,4 %

55-64 ans

6,1 %1,7 %

65-75 ans

2,3 %0,2 %

25,9 %

2,9 %

35,1 %

23,7 %

14,0 %

3,8 %

1,2 %

9,0 %

Page 13: Septembre-Octobre 2007 – 6 ET... · internationale en promotion de la santé, et la charte d’Ottawa demeure, après plus de vingt ans, un guide phare des actions visant à améliorer

13LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

enquête

(respectivement 30,8 % et 12,6 %) maisles moins concernés par les ivresses(3,4 % pour l’ivresse dans l’année, 0,3 %pour l’ivresse régulière).

Mais l’âge ne suffit évidemment pasà éclairer le constat global de ces dispa-rités. Il est particulièrement éclairant decomparer les actifs occupés aux chô-meurs, sur l’ensemble de la tranched’âge concernée (15-64 ans). Touteschoses égales par ailleurs3, le chômageest associé à des consommations d’al-cool plus importantes que chez les

actifs occupés : l’usage quotidien est1,2 fois plus fréquent chez les chô-meurs, et les usages à risque chroniqueou dépendant (selon l’Audit-C), demême que les ivresses régulières, sont1,3 fois plus fréquents. Cette relationstatistique entre chômage et alcoolisa-tion ne permet pas de conclure direc-tement que l’un de ces deux phéno-mènes est la conséquence de l’autre.Toutefois, si tel était le cas, le lien decause à effet pourrait jouer dans lesdeux sens : les buveurs excessifs cour-raient un plus grand risque de perdre

leur emploi et la situation de chômeurentraînerait une augmentation de laconsommation d’alcool (2).

Une influence du niveaud’éducation variable selon les générations

Les modes de consommation d’al-cool sont également liés au niveaud’instruction, toutes choses égales parailleurs. Le pourcentage de consom-mateurs quotidiens est moins impor-tant chez les personnes ayant unniveau d’études supérieur ou égal aubac, tandis que la fréquence des ivres-ses augmente suivant le niveau d’étu-des. En comparaison des personnesn’ayant pas le baccalauréat, les diplô-més du supérieur sont en effet 1,4 foisplus nombreux à déclarer avoir étéivres au cours de l’année, et deux foisplus nombreux à l’avoir été plus de dixfois. Cependant, les niveaux de scola-risation n’ont pas la même significationchez les générations jeunes et âgées,et les résultats varient selon la tranched’âge considérée. Par exemple, parmiles 55-64 ans, la consommation quoti-dienne ou à risque selon l’Audit-C estplus fréquente chez les titulaires d’undiplôme universitaire.

Consommation d’alcool et catégorie sociale : un lien complexe

Si l’on s’intéresse aux actifs occupés,on remarque d’importantes différencesselon les professions et catégories socio-professionnelles (PCS) (figure 2). Lesagriculteurs exploitants se distinguentpar des proportions élevées d’usagersquotidiens (27,4 %) et à risque chro-nique ou dépendant suivant le testAudit-C (16,8 %), et par un pourcentaged’ivresses dans l’année peu important(13,0 %). À l’inverse, les cadres, profes-sions intermédiaires et employés sonten proportion plus faibles consomma-teurs, quel que soit l’indicateur consi-déré. Les ouvriers et la catégorie regrou-pant artisans, commerçants et chefsd’entreprise ont un niveau de consom-mation intermédiaire, avec une pro-portion de consommateurs quotidiensmoins importante (autour de 15 %) maisd’ivresses plus élevée que chez les agri-culteurs (respectivement 25,3 % et20,8 % pour l’ivresse dans l’année).L’analyse toutes choses égales parailleurs permet d’affiner ces résultats :les différences observées entre PCS pourla consommation quotidienne, l’usage

Figure 1. Usages d’alcool au cours des douze derniers mois, suivant le statut profes-sionnel ou scolaire, parmi les 15-64 ans (en pourcentage)

Usage quotidien

Usage à risque chronique ou dépendant

Au moins une ivresse dans l’année

Au moins dix ivresses dans l’année

40 %

35 %

30 %

25 %

15 %

5 %

20 %

10 %

0actifs occupés

11,1 %8,4 %

17,0 %

1,9 %

élèves, étudiants

1,5 %

5,6 %

27,1 %

4,6 %

chômeurs

9,9 % 9,8 %

20,4 %

3,1 %

retraités

30,8 %

12,6 %

3,4 %

0,3 %

autres inactifs

9,7 %

4,4 %

6,1 %

0,1 %

Figure 2. Usages d’alcool au cours des douze derniers mois suivant la profession etla catégorie sociale, parmi les actifs occupés de 15 à 64 ans (en pourcentage)

Usage quotidien

Usage à risque chronique ou dépendant

Au moins une ivresse dans l’année

Au moins dix ivresses dans l’année

40 %

35 %

30 %

25 %

15 %

5 %

20 %

10 %

0agriculteurs

27,4 %

16,8 %

13,0 %

1,3 %

artisans, chefs d’entreprise

15,5 %

12,6 %

20,8 %

2,9 %

cadres

12,0 %

8,1 %

16,5 %

2,0 %

prof. intermédiaires

19,5 %

7,6 %

15,8 %

1,9 %

employés

7,0 %5,1 %

12,2 %

1,0 %

ouvriers

15,2 %

12,4 %

25,3 %

2,8 %

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à risque, et dans une moindre mesurel’ivresse dans l’année persistent, maiselles s’estompent pour les ivresses régu-lières. En outre, à l’issue de cette ana-lyse, les modes de consommation descadres s’avèrent plus proches de ceuxdes ouvriers, artisans, commerçants etchefs d’entreprise.

Des évolutions contrastéesLa consommation d’alcool, en

France, est en baisse régulière depuisquarante ans, passant de vingt-six litresd’alcool pur par an et par habitant deplus de 15 ans en 1961 à treize litres en2003 (3). Selon le Baromètre santé, cettediminution s’est poursuivie au coursdes dernières années, avec en particu-lier une baisse du pourcentage debuveurs quotidiens (13,7 % chez les 12-75 ans en 2005, contre 19,3 % en 2000).Mais la proportion de personnes décla-rant avoir été ivres au cours des douzederniers mois de même que la préva-lence des usages problématiques sui-vant le test Deta sont restées stablesentre 2000 et 2005, respectivement auxenvirons de 14 % et 9 %.

Cependant, la tendance générale à labaisse de la consommation d’alcool nese répartit pas de façon homogène ausein de la population. La proportion deconsommateurs quotidiens et d’usagersà risque (au sens du Deta, le test Audit-C n’était pas présent dans l’enquête en2000) chez les cadres et professionsintellectuelles a baissé entre 2000 et2005, passant de 18,3 % à 12,2 % pourl’usage quotidien et de 15,2 % à 12,5 %pour l’usage à risque ; la proportiond’individus déclarant avoir été ivresdans l’année semble stable, autour de16 %. Chez les ouvriers, en revanche,si la proportion de consommateursquotidiens a également diminué – de22,2 % à 15,2 % –, l’usage à risque estresté stable, aux alentours de 13 %, tan-dis que les ivresses dans l’année ontaugmenté, passant de 20,5 % à 25,3 %.Enfin, parmi les chômeurs, les pour-centages d’usagers à risque (10,2 % en2000, 15,8 % en 2005) et d’ivresses dansl’année (16,2 % et 20,4 % respective-ment) ont fortement augmenté, et labaisse des consommateurs quotidiens,de 12,3 % à 9,9 %, n’est pas statistique-ment significative. Ainsi, la diminutionglobale de la consommation d’alcoolprofite davantage aux catégories depopulation les plus favorisées d’unpoint de vue socioéconomique.

Les données du Baromètre santémontrent que le lien entre le niveaud’alcoolisation et le statut socioécono-mique des individus est loin d’être uni-voque. La situation en matière deconsommation d’alcool est, à ce titre,bien différente de celle que l’on ob-serve pour d’autres comportements desanté, par exemple l’alimentation.Celle-ci est en effet de plus en pluséquilibrée – riche en fruits et légumes,pauvre en produits gras, sucrés, salés –à mesure que l’on avance le long del’échelle sociale (4). Un tel gradientsocial n’existe pas pour l’alcool : laconsommation excessive n’est pas l’a-panage des classes sociales défavori-sées et les personnes les plus privilé-giées socialement ne sont pas les moinsconcernées. Ces résultats vont ainsi àl’encontre des représentations stéréoty-pées de « l’alcoolique », souvent assimi-lées au « clochard », à la « femmedéchue » dans l’imaginaire collectif.

Juliette Guillemont

Chargée d’études et de recherche, direction

des affaires scientifiques, INPES.

Stéphane Legleye

Statisticien,

OFDT, Inserm U669, université Paris-XI.

1. L’Audit-C est la version courte de l’Audit (Alcoholuse disorders identification test), test en dix questionspermettant de repérer les buveurs excessifs. L’Audit Ccombine des questions sur la fréquence de consom-mation d’alcool et les quantités bues. L’algorithme uti-lisé dans cette exploitation repère les individus à risquechronique ou à risque de dépendance. C’est-à-dire,pour les premiers, ceux qui boivent plus que les recom-mandations OMS (vingt et un verres standard parsemaine pour les hommes, quatorze pour les femmes),mais moins de quarante-huit au total et boivent aumoins une fois par semaine six verres ou plus ; et, pourles seconds, ceux qui boivent plus de quarante verrespar semaine, ou six verres et plus quotidiennement.2. Le test Deta (diminuer, entourage, trop, alcool) se

compose de quatre questions : « Avez-vous déjà res-senti le besoin de diminuer votre consommation deboissons alcoolisées ? », « Votre entourage vous a-t-ilfait des remarques au sujet de votre consommation ? »,« Avez-vous déjà eu l’impression que vous buvieztrop ? », « Avez-vous déjà eu besoin d’alcool dès lematin pour vous sentir en forme ? ». À partir de deuxréponses positives, le risque de consommation exces-sive et/ou d’une éventuelle alcoolodépendance pas-sée(s) ou présente(s) est jugé élevé.3. Lorsque l’on compare des groupes de population, ilse peut que certains facteurs, comme l’âge ou le sexe,ne soient pas répartis de façon identique dans lesgroupes considérés ; la comparaison des pourcen-tages peut alors être biaisée par ces disparités, si cesfacteurs sont liés à la variable de comparaison. Unerégression logistique, ou analyse « toutes choses éga-les par ailleurs », permet de tenir compte de ces fac-teurs et de dégager l’effet propre de l’appartenance àtel ou tel groupe. Le résultat d’une telle analyse s’ex-prime sous la forme d’un « odds ratio », qui cor-respond approximativement au ratio des pourcen-tages dans les groupes considérés.

enquête

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◗ Référencesbibliographiques

(1) Legleye S., Beck F., Spilka S. Alcool : unebaisse sensible des niveaux de consomma-tion. In : Guilbert P., Beck F., Gautier A. (sousla dir.). Baromètre santé 2005. Attitudes etcomportements de santé. Saint-Denis :INPES, coll. Baromètres santé (à paraîtreen novembre 2007).(2) Klingemann H. L’alcool et ses consé-quences sociales : la dimension oubliée.Copenhague : OMS, Bureau régional de l’Eu-rope, 2001.(3) OFDT. Drogues et dépendances, donnéesessentielles. Paris : La Découverte, coll.Guides, 2005 : 204 p.En ligne : http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/publi/ddde.html(4) Caillavet F. (coord.). L’alimentation despopulations défavorisées en France. Unerevue de la littérature dans les domaineséconomique, sociologique et nutritionnel.Rapport Corela/ Inra pour l’ONPES, 2004.

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num

éro

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Comment associer les parents aux soins prodigués aux nouveau-nés par les profession-nels ? Entre les parents et les professionnels de santé, les relations ne sont pas toujoursaisées. Cette question – et bien d’autres – nourrit ce dossier consacré à l’évolution desrelations entre les parents et les professionnels de la périnatalité.

Dans une première partie, les auteurs sollicités présentent une mise en perspective histo-rique : comment sommes-nous passés au cours des derniers siècles « de la matrone àl’obstétricien ». Ils expliquent pourquoi la périnatalité est à un tournant, la médicalisationde l’accouchement telle qu’on la connaît aujourd’hui ayant atteint ses limites. Surtout, lesfemmes enceintes et les jeunes parents expriment de nouvelles exigences face aux pro-fessionnels de santé : ils veulent être informés, participer aux soins, bref, prendre un peude pouvoir dans cette relation et la modifier.

Il ne s’agit pas seulement de satisfaire les « revendications » des futurs ou jeunes parents.L’enjeu est que les professionnels travaillent ensemble et dans une meilleure coordination,au profit de la santé physique et psychologique des familles et de leurs enfants. À ce pro-pos, les témoignages présentés dans ce dossier sont édifiants… de simplicité. Ce quedemandent les femmes enceintes ? Un professionnel qui les écoute, c’est cela qui va déclen-cher leur confiance et retentir sur leur santé et celle de leur enfant.

Être à l’écoute, prendre en compte les désirs des parents, les associer au suivi du nou-veau-né : plusieurs expériences présentées ici montrent que certaines équipes de profes-sionnels ont intégré ces demandes dans leur manière de travailler. Ainsi, l’accompagnementpluridisciplinaire et constant des femmes enceintes toxicomanes, à Montpellier, a fait chu-ter de façon spectaculaire (de 60 % à 4 %) le taux de placement de leurs nouveau-nés. À Brest, Montpellier, Marseille, les unités de prise en charge des prématurés associent lesparents à la réflexion et aux soins : tout est fait pour favoriser le lien affectif et diminuer lestress de ces bébés : contact peau à peau, lumière tamisée, prohibition de tout bruit, limi-tation au maximum de tout acte invasif… Deux experts sollicités dans le cadre de ce dos-sier résument ainsi le défi qui est posé : « Les parents et les soignants doivent apprendreà se connaître. Afin de mieux se rejoindre pour élaborer des soins de qualité, particulière-ment adaptés à chaque enfant ». Tout un programme.

Yves Géry

Périnatalité et parentalité : une révolution en marche ?

Dossier coordonné par Nathalie Houzelle,chargée de mission, direction du Développementde l’éducation pour la santé et de l’éducation thé-rapeutique, INPES, Catherine Cecchi, cadresupérieur de santé, Groupe d’étude en néonata-logie du Languedoc-Roussillon, Montpellier, vice-présidente de la Société française de santépublique et Emmanuel Ricard, médecin desanté publique, délégué général de la Sociétéfrançaise de santé publique, Nancy.

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Le désir d’enfant, la prise en charge et l’accompagnement de la grossesse, de l’accou-chement et de la naissance ont profondément évolué durant les précédentes décen-nies. Comment s’exerce la parentalité ? Quels rôles pour les parents, en interactionavec les professionnels ? C’est l’objet de ce dossier. En France, après une période de« médicalisation » majeure, on assiste à un recentrage des rôles où celui confié aux parentsdans les soins est croissant. Présentation par les coordinateurs du dossier, NathalieHouzelle, Catherine Cecchi et Emmanuel Ricard.

Comment s’exerce la parentalitéaujourd’hui ? Quels rôles prennent lesparents en interaction avec les profes-sionnels de la périnatalité (soignants,éducateurs, travailleurs sociaux, etc.) ?Ces questions, actuellement au cœur dedébats et d’expérimentations, nousconfrontent – que l’on soit profession-nels de santé, de l’éducation ouparents – à des conceptions différen-tes mais fécondes dans leurs approches.Les dimensions soignantes et éducati-ves en particulier peuvent s’entendrepour certains acteurs au sens du « pren-dre soin », pour d’autres, elles peuventprendre le sens plus restrictif du « care »(soin) au sens anglo-saxon. Ce sontdeux « cultures » différentes, parfois enopposition, qui tendent à devenir com-plémentaires. Elles partagent un objec-tif commun : mieux vivre ensemble lagrossesse, la naissance, l’arrivée de l’en-fant, la parentalité.

Désir d’enfantNous sommes actuellement dans

une période de transition : au tournantdes xxe et XXIe siècles, des bouleverse-ments profonds de la structure de notresociété se mettent en place : la relationhomme-femme, la notion de couple, laconception de parentalité changent, lesconcepts de famille, de fratrie s’élargis-sent, la place et le « signifiant » de l’arri-vée de l’enfant évoluent.

Désormais, l’enfant, le plus souventdésiré, est fréquemment vécu commeune projection, un prolongement desoi. Dans nos sociétés, il est devenu un« bien précieux ». L’âge de la maternitérecule, il n’est plus rare de voir une« jeune maman primipare » de 30 ans. Ladate de la maternité se choisit et se par-tage. Certains parents programment unbébé répondant à un certain nombred’attentes, arrivant à une date précise etparfois planifiée. La maîtrise de lacontraception et des solutions d’assis-tance à la procréation (fécondation invitro, stimulation, procréation médica-lement assistée, etc.) ont rendu souventpossible pour les couples le choix d’unegrossesse programmée.

De ce fait, parents et familles ontparfois des difficultés à accepter quela grossesse ne corresponde pas tou-jours à ce qu’ils attendaient, que l’arri-vée de l’enfant ne se fasse pas commeils le projetaient ou ne ressemble pasà l’image qu’ils s’en faisaient. Les pro-fessionnels ont un rôle essentiel pouraccompagner les parents dans l’accep-tation de leur enfant tel qu’il est et nontel qu’il a été rêvé. Ce rôle est plus fortencore si cette arrivée se confond avecla découverte d’un handicap qui peutcristalliser ou augmenter fortement ledésappointement des parents et de lafamille.

Les professionnels sont soumis à denouvelles demandes dans le suivi oul’interruption de grossesse qui confron-tent leurs représentations de l’enfantnormal à celles du couple. Par exemple,des demandes d’interruption de gros-sesse pour des anomalies morpholo-giques « mineures » comme des mainspalmées ou des doigts surnumérairesou à l’inverse la poursuite de la gros-sesse malgré des anomalies majeures ettrès invalidantes.

L’accouchement,en France et ailleurs…

Autrefois, mais encore de nos joursdans les sociétés traditionnelles, l’accou-chement « était une histoire de femmes »,il se déroulait entre femmes. Dans nossociétés, l’Église puis l’État ont cherché àremplacer la « matrone » par une femme« sage ». Celle-ci, instruite des règles élé-mentaires d’hygiène, obéissait au corpsmédical. À partir du xvIIIe siècle, l’Europeentière envoie ses sages-femmes à l’école.Une science des accouchements se cons-titue. Au xxe siècle, un tournant décisifdans l’histoire de la grossesse et de lanaissance se met en place. Le passagede la sage-femme au médecin représenteun virage dans l’histoire des femmes. Iltraduit un bouleversement de la concep-tion de la vie (1). Ainsi :– en Angleterre, les femmes peuventchoisir entre accouchement à l’hôpital,

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Parents – professionnels de la naissance : une nouvelle relation ?

intro

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à domicile ou dans les « unités de sages-femmes ou de médecins généralis-tes »… ;– aux Pays-Bas, 30 % des naissances ontlieu à domicile accompagnées par unesage-femme, 70 % des naissances sefont dans un environnement médica-lisé. Le suivi et les suites de couchessont pris en charge par une kraamver-zorgster, que l’on peut traduire par« aide de couches ». Lorsque l’accou-chement a lieu ailleurs qu’au domicileet en l’absence de complications, la mèrerentre chez elle après huit heures desurveillance avec son nouveau-né. Lakraamverzorgster participe aux tâchesfamiliales dans les jours suivant la nais-sance, elle est présente entre quatre ethuit heures par jour pendant la semainequi suit la naissance. La plupart desfamilles (80 % environ) font appel auxservices d’une kraamverzorgster, quel’accouchement ait eu lieu ou non àdomicile (2, 3) ;– en France, sur près de huit cent milleaccouchements par an, pratiquementtous se déroulent dans une maternité etplus de la moitié d’entre eux dans leshôpitaux publics. Le secteur des mater-nités a été restructuré depuis les décretsdu 9 octobre 1998, les maternités sontclassées en trois types1 en fonction duniveau de soins aux nouveau-nés. Tous

les établissements travaillent en réseau.La démarche engagée dans la mise enœuvre du réseau des maternités sedécline maintenant dans les recom-mandations professionnelles du suivide la grossesse. Dans les dernièresrecommandations de la Haute Autoritéde santé (HAS), l’accent est mis sur ladétection précoce et la régulière esti-mation des situations potentielles decomplications de la grossesse2.

Actuellement, environ 10 % desgrossesses et des naissances sont àrisques. Moins de 1 % des naissancesont lieu à domicile. Ce mode de pra-tique formalise une approche plusmédicalisée mais aussi plus « sécurisée »de la maternité et de la naissance. Cespratiques, associées à des modificationsdes modes de vie, ont contribué à ladiminution de la mortalité maternelle etinfantile. Les grossesses sont suivies parles professionnels de la périnatalité(sages-femmes, obstétriciens, anesthé-sistes, échographistes, pédiatres-néona-talogistes, etc.), ce qui peut expliquerparfois le fait que la grossesse soit vécuecomme une « maladie ».

Ces modes différents d’accouche-ment à domicile ou en milieu médica-lisé ne doivent pas faire oublier que

la géographie de terrain (montagne,plaine, obstacles naturels, climat, etc.),l’accessibilité à une maternité (réseauxautoroutiers, Samu, etc.), la démogra-phie médicale sont des facteurs impor-tants à prendre en considération lorsquel’on compare ces pratiques et les choixqui sont faits par les familles et les pro-fessionnels.

« Cultures » profanes et professionnelles

Au cours d’une grossesse normale,les examens médicaux sont nom-breux : en moyenne sept à neuf visi-tes médicales, trois à quatre échogra-phies, une prise de sang mensuellepour détecter la rubéole, la toxoplas-mose, une prise de sang au troisièmemois pour rechercher une éventuelletrisomie 21. Cet examen peut parfoisêtre complété par une amniocentèse.La future maman, pour qui la grossessedevrait être une source d’épanouisse-ment, peut se retrouver face à desinquiétudes, des interrogations et desdoutes, souvent rythmés par l’attente derésultats biologiques (4).

Le soutien autrefois apporté par lafamille au sens large (grands-parents,tantes, sœurs aînées, etc.) est en netrecul ou a disparu. La maman, avant,

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pendant et après l’arrivée de l’enfant, seretrouve parfois seule face à ses angois-ses, ses questionnements, ses peursdans la découverte d’un nouveau rôleet d’un nouveau monde pour lequelelle a peu – ou pas toujours – de réfé-rence maternelle pour se rassurer.

L’accompagnement des parents parles professionnels évolue : accès despères aux salles d’accouchement, inci-tation au contact « peau à peau » entrele nouveau-né et sa mère sont des illus-trations de pratiques oubliées désor-mais remises à l’honneur. La visite duquatrième mois, institutionnalisée enentretien du quatrième mois, réalisée leplus souvent par une sage-femme, vadans le sens d’un accompagnementplus proche des familles par les pro-fessionnels. Cet entretien a pour objec-tif de développer une « approche plushumaine » de la grossesse, de préparerla naissance dans une dimension de« projet de naissance » en intégrant lanotion de « devenir des parents » (5, 6).Cet entretien doit participer à donnerune vision moins médicale de la gros-sesse et de l’accouchement.

Les contraintes professionnellesLes professionnels de la périnatalité

voient leur charge de travail augmenterpar la chute de la démographie médicale(numerus clausus et répartition sur le ter-ritoire) et la crise des vocations, en par-ticulier dans les domaines de l’obsté-trique, l’anesthésie, la chirurgie et lapédiatrie. À cela vient s’ajouter le chan-gement de statut du « professionnel nota-ble » en « technicien de santé ».

Cette désacralisation de la profes-sion, associée à une demande de« résultat parfait » de la part des familles,a eu pour conséquence une gestion durisque médical basée sur la responsa-bilité professionnelle. Multiplication desprocès et augmentation importante desprimes d’assurance professionnelle ontété des conséquences directes de cenouveau comportement sociétal.

Les conditions de travail des profes-sionnels de la périnatalité, souvent dif-ficiles, accroissent encore leur manquede disponibilité pour développer ladimension éducative de leur métier. Lacrainte du juridique contribue à un ren-forcement de la part de l’expertise et dutechnique aux dépens de la dimensionrelationnelle. Dans le même temps, les

attentes de certains parents sont deve-nues extrêmement fortes, en particulierdans la demande d’un soutien différentde celui d’un acte purement techniquevisant à soigner. Par exemple, en cas desortie précoce après la naissance, lesprofessionnels de la périnatalité ontparfois des difficultés à accompagnerles jeunes mères qui pourraient en avoirbesoin. Les temps d’hospitalisationdiminuent : ils sont passés pour lesaccouchements « normaux » de six/huitjours à trois/cinq jours. Des systèmes derelais – assurés par les professionnelspendant cette période du post-partumimmédiat – ne sont pas toujours assuréset en place. De plus, les familles quijouaient un rôle prépondérant à cetteoccasion sont aujourd’hui souventabsentes ou éloignées.

Les demandes émergentesPar exemple, pour un certain nombre

de femmes qui souhaitent accoucherdans un contexte moins médicalisé, leprojet des Maisons de naissance, tel queprévu dans le Plan périnatalité, pourraitrépondre à certaines de ces attentes (6).En effet, les Maisons de naissance se

définissent comme des lieux d’accueil defemmes enceintes, du début de leurgrossesse jusqu’à leur accouchement,sous la responsabilité exclusive dessages-femmes. Elles permettent aux fem-mes qui le souhaitent d’accoucher dansun environnement moins médicalisé.L’équipement médical d’une Maison denaissance est celui autorisé aux sages-femmes, l’anesthésie péridurale, parexemple, n’y serait pas possible. On ypratique un accompagnement global :chaque femme enceinte a une sage-femme référente qui la suit pendant ledéroulement de la grossesse, l’accou-chement et l’après-naissance. Elles sontà ce jour inexistantes en France (cf. arti-cle de Béatrice Jacques p. 20 à 22). C’estpeut-être un nouveau mode de fonc-tionnement qui se profile, avec la dispa-rition du secteur libéral et la constructiond’un suivi de grossesse centré sur un seulindividu référent, s’appuyant sur uneéquipe constituée d’une pluralité de pro-fessionnels.

D’autres exemples illustrent cesdemandes d’une maternité moins médi-calisée et de recherche d’un accouche-

Périnatalité… Parentalité : de quoi parle-t-on ?La période périnatale a été définie initialement par l'OMS d'un point de vue épidémiologique,notamment pour permettre des comparaisons internationales en terme de mortalité. Il s'agit dela période située entre la vingt-huitième semaine de grossesse (environ 6 mois) et le septièmejour de vie après la naissance. Aujourd’hui, le terme de périnatalité – littéralement « autour dela naissance » – couvre la période « avant, pendant et après la naissance » dans une accep-tion plus large que la définition épidémiologique. Le plan périnatalité 2005-2007 conduit uneréflexion sur tous « les événements survenant pendant la grossesse, l'accouchement et lapériode néonatale ». Le terme « après la naissance » peut aller, pour certains, jusqu'à un an,pour d'autres jusqu'à 3 ans.

Quant au terme parentalité, la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval en donne les défi-nitions suivantes : « La parentalité est devenue un mot très à la mode depuis la fin du XXe siè-cle sans que soit interrogée la substance qu'il recouvre. Ce terme, encore inconnu du diction-naire, est utilisé avec des significations diverses :– dans le champ de l’action politique et sociale vers les familles (“aides matérielles et financiè-res à la parentalité”). Parentalité est là un équivalent du mot famille ;– dans le domaine législatif, le terme de coparentalité a été utilisé dans le rapport de loi surl’autorité parentale dans le sens d’un partage juridique de son exercice ;– dans le champ sociologique, il décrit plutôt les nouvelles formes de conjugalités et de vies fami-liales. C’est donc plutôt au sens de structures familiales qu’il faut alors l’entendre. On parle désor-mais de famille monoparentale, de famille homoparentale et même de famille pluri-parentale dansle cas des familles recomposées. Il peut aussi désigner un mode de filiation (parentalité adoptive,etc.) ou la situation des parents à l'arrivée d'un enfant (parentalité tardive)... ;– dans le domaine éducatif, le terme de parentalité résume les pratiques éducatives dans l'édu-cation des enfants, avec un souci de prévention de la maltraitance et de promotion d'une bien-traitance. Le paradoxe est que ces différents volets s'imposent à tout adulte chargé d'enfant sansqu'aucun lien de famille ne soit nécessaire pour les rendre souhaitables envers l'enfant ;– dans les champs psychiatriques et psychologiques où il désigne plutôt les aspects psycho-logiques du fait d’être parent et de ses défaillances pathologiques. »

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ment « plus naturel » : accouchementsdans l’eau, sans épisiotomie, retour etrecherche des savoirs des matrones autravers de l’émergence d’un nouveaumode de soutien par les doulas3, impli-cation des parents dans les soins effec-tués dans les services spécialisés denéonatologie, participations parentalesaux actes thérapeutiques, etc.

Dans le même temps, ces demandespeuvent être considérées comme para-doxales car le rejet de la médicalisationet de sa vision sécuritaire va de pairavec la montée du juridique et l’exi-gence de plus en plus forte de la non-acceptation de l’accident, qui reste biensûr insupportable. Il est vrai que, s’il estdevenu plus rare, il est d’autant plushypertrophié et médiatisé. Le risque estrejeté pour une vision idéalisée. Com-ment prendre en compte cette contra-diction dans ce contexte ?

Il semblerait aussi que nous entrionsdans une période de transition liée à lasollicitation des familles, qui, pourmieux jouer leur nouvelle parentalité,deviennent demandeuses, avant, pen-dant et après la grossesse, d’une dimen-sion éducative et informative de la partdes professionnels.

Dans les pratiques éducatives l’évo-lution est moins marquée, même si l’onobserve des changements profonds.L’échange entre professionnels etparents s’est modifié. Les parents, deplus en plus demandeurs de nouveauxmodes d’accompagnement, recher-chent en particulier des informationsconcrètes hors de leurs interlocuteurs« habituels ».

Et l’enfant ?Il est lui aussi de plus en plus pris

en compte comme un « petit homme »et non comme une ébauche d’hommenon finalisé. En cas de prématurité parexemple, la douleur qu’il peut ressen-tir lors des soins est maintenant prise enconsidération. La place du pédopsy-chiatre, qui travaille en relation étroiteavec les parents et les familles, est deplus en plus reconnue. Son rôle dansles questions d’éducation et de paren-talité s’accroît. C’est souvent celui versqui se tourner quand surgissent des dif-ficultés, même avant la naissance. Lesréseaux d’Écoute, d’Appui et d’Accom-pagnement des Parents se mettent enplace. Ils se veulent un lieu-ressource

qui regroupe des actions menées pardes associations, des collectivités. Ilsont pour objectifs de soutenir l’exercicede la parentalité, d’être un lieu dyna-mique d’échanges et de mutualisationdes expériences et des pratiques (7).

Recentrage des rôles au profitdes parents

En France, après une période de« médicalisation » majeure, on assiste àun recentrage des rôles où celui confiéaux parents dans les soins est croissant.Cette nouvelle interculturalité fait queles parents deviennent acteurs dans lesystème de soins et de santé en péri-natalité. Ils se trouvent ainsi à l’inter-section de différents modes de pra-tiques professionnelles, auxquels ilsapportent une demande et un regardnouveaux et enrichissants.

Dans ce dossier, nous vous propo-sons d’examiner :– les contraintes et les modalités du« vivre ensemble » de ces deux « cultu-res » ;– l’interaction entre « culture » des pro-fessionnels (soignants, éducatifs, etc.)et « culture » profane des parents,famille… ;– comment ces cultures cohabitent et semodifient réciproquement ;– comment les professionnels prennenten compte la « culture » profane desfamilles et inversement.

Chaque expert apportant son ana-lyse, son point de vue sur ce sujet riche,dense mais aussi complexe de la paren-talité dans la périnatalité, le débat restedonc largement ouvert.

Nathalie Houzelle

Chargée de mission, INPES.

Catherine Cecchi

Cadre supérieur de santé,

groupe d’étude en néonatalogie

du Languedoc-Roussillon, Montpellier,

vice-présidente de la Société française

de santé publique.

Emmanuel Ricard

Médecin de santé publique,

délégué général de la Société française de

santé publique, Nancy.

1. Les maternités de type I disposent d’une unité d’ob-stétrique qui prend en charge les grossesses norma-les. Une présence pédiatrique permet l’examen dunouveau-né et sa prise en charge dans un certainnombre de situations fréquentes et sans gravité.Les maternités de type II disposent d’une unité d’obsté-trique et d’une unité de néonatalogie qui prend en

charge les nouveau-nés pouvant présenter des patho-logies d’intensité modérée. Certaines disposent en plusde lits de soins intensifs permettant une surveillanceplus rapprochée et la prise en charge de pathologiesplus lourdes.Les maternités de type III disposent d’une unité d’ob-stétrique, d’une unité de néonatalogie et d’une unitéde réanimation néonatale. Elles prennent en chargeles grossesses à haut risque et les nouveau-nés présen-tant des détresses graves.2. Le suivi d’une grossesse normale ou à risque faibleest assuré par une sage-femme, un médecin généra-liste ou un gynécologue médical, au choix de lapatiente. Par contre toute détection d’une situation derisque nécessitera l’avis d’un obstétricien. Celui-ci sui-vra les grossesses à risque élevé. Une régression cons-tatée du risque peut amener un retour au suivi parl’un des professionnels initiaux (voir les recomman-dations de la Haute Autorité de santé (4)).3. Le mot doula vient du grec ancien et désignait l’es-clave des femmes ou « la femme aidant une autrefemme ». Il désigne une femme qui a pour vocationd’aider une autre femme et son entourage pendantla grossesse, l’accouchement et la période postnatale,grâce à son expérience et à sa formation. Elle incarnela figure féminine qui se tenait autrefois auprès de lafemme qui met au monde son bébé, aux côtés de lasage-femme.

◗ Référencesbibliographiques

(1) Gelis J. La sage-femme ou le médecin :une nouvelle conception de la vie. Paris :Fayard, 1988 : 560 p.(2) Anaes. Sortie précoce après accouche-ment : conditions pour proposer un retourprécoce à domicile – Recommandationspour la pratique clinique. Service des recom-mandations professionnelles, service éva-luation économique, mai 2004 : 145 p.(3) Akrich M., Pasveer B. Comment la nais-sance vient aux femmes – les techniquesde l’accouchement en France et aux Pays-Bas. Paris : Éditions Mire, coll. Les empê-cheurs de penser en rond, 1996 : 194 p.(4) Haute Autorité de santé. Recommanda-tions professionnelles, Suivi et orientationdes femmes enceintes en fonction des situa-tions à risque identifiées, recommandations,mai 2007 : 39 p. http://www.has-sante.fr/portail/display.jsp ?id=c_547976(5) Hermange M.-T. Périnatalité et parenta-lité. Rapport remis le 25 février 2006 à Phi-lippe Bas. Paris : La Documentation fran-çaise, 2006 : 45 p.(6) Le plan périnatalité 2005-2007 : Huma-nité, proximité, sécurité, qualité. Paris, 10 no-vembre 2004.(7) Bastard B., Cardia-Vonèche L. Commentla parentalité vint à l’État, retour sur l’expé-rience des Réseaux d’écoute, d’appui etd’accompagnement des parents. In :Acteurs locaux et décentralisation, Proces-sus à l’œuvre dans les domaines social etsanitaire. Revue française des affaires socia-les 2004 ; n° 4 : 155-72.

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Et si l’on octroyait à nouveau aux sages-femmes un rôle majeur lors de l’accouche-ment ? La sociologue Béatrice Jacques fait le point sur ce débat sociétal. Une partie eneffet des professionnels et des familles préconisent une humanisation de l’acte de nais-sance : moins d’actes médicaux et davantage d’écoute. Pour eux, le point haut de la médi-calisation semble avoir été atteint. Retour sur plusieurs siècles d’histoire de l’obstétrique,marquée par le bouleversement des conditions de naissance.

Réfléchir à la médicalisation de lanaissance, c’est chercher à comprendrecomment la science s’est progressive-ment emparée de la mise au monde. Ilfaut pour cela rapidement reconstruireune histoire de la naissance. Elle estprincipalement marquée par deux gran-des mutations : des découvertes scien-tifiques qui permettent des progrès bio-médicaux considérables en matière demortalité maternelle et infantile, maisaussi et surtout un bouleversement desacteurs présents lors de l’accouchement.Ces grands changements sociaux vontlargement favoriser l’entrée du médecindans le phénomène de la naissance,puis l’entrée des femmes à l’hôpital. En1950, 45 % des accouchements ontencore lieu à domicile, il n’y en a plusque 13 % dix ans plus tard. Au mêmemoment, les premières critiques sontémises contre la médicalisation de la

maternité. Les féministes en tête, sou-vent historiennes ou sociologues, dé-noncent la iatrogénicité induite par lestechniques médicales ; ou encore lapsychologie insiste particulièrement surle manque d’humanité de la part du per-sonnel à l’égard du nourrisson. Cettehistoire plus ancienne ou contempo-raine doit nous permettre de compren-dre les enjeux sous-jacents à la prise encharge médicalisée de la grossesse et del’accouchement d’aujourd’hui.

Une histoire de la maternité est-elle possible ?

La question est posée par les histo-riens. Moralistes, hommes d’Église,médecins, philosophes, à toutes lespériodes de l’histoire (voir encadré ci-dessous), ont eu pour sujet la femme,précisément dans sa fonction de repro-duction.

Du XVIe au xIXe siècle, l’histoire de lanaissance connaît les mutations les plusimportantes. Cette époque est particu-lièrement favorable au développementde la science médicale. Celle-ci connaîtun temps de progression rapide, qui aun effet concret sur la baisse du tauxde mortalité maternelle. L’État décide,au même moment, d’accentuer le rôlede la sage-femme, de mieux la formeret de renforcer l’obligation de l’appel aumédecin en cas de difficultés. L’inter-vention de l’homme médecin lors desaccouchements est dès lors de plus enplus fréquente. Il pénètre progressive-ment le domicile, la chambre, autrefoisréservés aux femmes du village et à lamatrone. C’est ainsi qu’entre le XVIe etle XVIIIe siècles, on assiste lentement aupassage de la matrone/sage-femme àl’accoucheur. Notons que jusqu’à la findu XIXe siècle, les régions rurales résis-tent au mouvement de médicalisationdes couches. La matrone reste long-temps le personnage principal de la« mise au monde » dans les campagnes.

De plus en plus présente auprès desfemmes, la médecine va dès lors cher-cher à étendre ses compétences à laprise en charge du nouveau-né. C’estla naissance de la puériculture, quiconnaît sa consécration en 1942, avecla création de la Protection maternelleet infantile (PMI). Comme l’accouche-ment, qui devient de plus en plus lemonopole de l’hôpital, le fait d’éleverun enfant doit être soumis à des règlesscientifiques. Dans le milieu médical sedéveloppe de plus en plus l’idée qu’une

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De la matrone à l’obstétricien :quel partage des rôles pour les professionnels ?

La maternité, vue au fil des sièclesMême si l’époque antique se caractérise par l’absence du mot maternité, l’image de la mère,de l’enfantement domine. Le récit mythique abonde de représentations de la femme gestante,éducatrice, et témoigne ainsi de la place de la fonction maternelle dans la société gréco-romaine.Les médecins et les philosophes s’intéressent également beaucoup à la femme et à sa fonctionde reproduction. Ils n’ont de cesse de démontrer sa faiblesse, son infériorité et la place mineurequ’elle occupe dans la conception.Au Moyen Âge, l’Église s’empare totalement de la maternité, pour lui donner une dimension« sociale, spirituelle et non charnelle » (1), incarnée par Marie, qui a accouché sans la souilluredu sang. Cette image biblique de la mère est loin de la réalité quotidienne des femmes. Les sour-ces historiques montrent qu’il existe une grande diversité des conditions sociales de la fonc-tion maternelle.

(1) Knibiehler Y. La révolution maternelle depuis 1945. Paris : Fayard, 1997 : p.12.

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meilleure surveillance des femmes pen-dant leur grossesse et qu’une meilleureprise en charge des nourrissons par lesmères sont nécessaires. Mais, pour cela,il faut que les mères et les futures mèresprennent conscience que leur rôle« suppose désormais une conscience,une éducation, une culture d’originesavante » (1). La maternité ne peut plusêtre laissée au seul « instinct » de mère,il faut désormais apprendre scientifi-quement à être une « bonne mère ».

La fin de l’indépendance des sages-femmes

La baisse significative du nombred’accouchements à domicile, la concur-rence des médecins dans le domaine dela grossesse, l’augmentation du nombrede services d’obstétrique entraînent defait une vraie crise de la profession desage-femme amorcée au lendemain desannées 1930. Le corps médical cherchealors de plus en plus à délimiter leurscompétences. La fin de l’accouchementà domicile a commencé. Avec la médi-calisation, la profession de sage-femmesubit une véritable institutionnalisation.L’indépendance qui a longtemps carac-térisé le métier de sage-femme disparaîtdéfinitivement. Cette histoire dessinele lent mouvement de médicalisation dela maternité. Les passages de la matroneà la sage-femme puis de la sage-femmeau médecin sont révélateurs d’un chan-gement progressif dans la représenta-tion de l’enfantement.

À partir de cette histoire, nous pou-vons dès lors nous questionner surnotre contexte contemporain (2). Quelest le contexte périnatal aujourd’hui enFrance ? Quelle est la place de la sage-femme, son rôle a-t-il évolué ? Qu’offrentles différentes structures (publiques/pri-vées) en matière de suivi de grossesseet de méthodes d’accouchement ? Lesfuturs parents ont-ils des possibilités dechoix et de négociation ? L’enjeu prin-cipal ici est de comprendre comment– dans la rencontre entre les futursparents et les professionnels de santé,entre profanes et experts – se construitconjointement une définition sociale del’enfantement.

Particularisme françaisPour comprendre la situation fran-

çaise, il faut tout d’abord rappeler quenotre médecine s’appuie sur une défi-nition qui lui est spécifique, notammentparmi les pays européens (Europe du

Nord), puisque la grossesse et l’accou-chement ne peuvent être définiscomme normaux qu’a posteriori. Lerisque domine donc la prise en chargemédicale et ce, d’autant plus aujour-d’hui dans un fort contexte médico-légal. Notons que cette conception dela naissance ne fait pas l’unanimitéparmi les professionnels de santé. Cer-taines sages-femmes notamment, quiont construit « historiquement » leurmétier sur la notion d’accompagne-ment, de respect de la physiologie, ontdes difficultés à se reconnaître danscette définition très médicalisée et sem-blent être particulièrement fragiliséespar cette idéologie biomédicale.

L’hôpital, « passage obligé »Le contexte français s’illustre égale-

ment par l’imposition d’un lieu pouraccoucher : une institution, l’hôpital. Ce« passage obligé » intervient donc direc-tement sur l’expérience de la femme etvient la contraindre, en imposant, parexemple, des protocoles. Entrer dansl’institution hospitalière, c’est d’abordentrer en interaction avec un profes-sionnel, c’est essayer de construire unlien avec lui. Le rapport de confiance– qui va se créer ou non – est détermi-nant pour l’expérience. Si le rapport aumédecin constitue un des pivots essen-

tiels de l’expérience, le rapport à latechnique en est un autre. Les tech-niques sont très présentes dans le suivide la grossesse et l’accouchement etfonctionnent chez les patientes commele principal moyen de réassurance (3).Face à la technologie, les femmes sontpartagées : d’un côté, elles souhaitent yavoir recours mais, de l’autre, elles nesupportent pas la iatrogénie qui lui estassociée. Les techniques (péridurale,césarienne, pose de syntocinon, déclen-chement artificiel, rupture artificielle de la poche des eaux, etc.) sont parti-culièrement présentes lors de l’accou-chement, qui reste le temps fort de l’ex-périence. Chaque patiente sembleentrer dans une phase fortement nor-mée, le protocole d’accouchement lais-sant peu de place aux demandes et àl’initiative personnelle.

Accoucher autrementLe mouvement de réflexion sur les

risques induits par la technique, né onl’a vu au milieu du siècle dernier, estparticulièrement présent aujourd’hui. Lamise en cause des progrès médicaux etde leur iatrogénicité, la dénonciationdes conséquences de la médicalisationsur l’accompagnement « humain » de lanaissance s’inscrivent dans une critiqueplus générale de la société technolo-

Maisons de naissance : un accouchement difficile

Les Maisons de naissance – structure autonome dirigée par des sages-femmes – se sont d’abord développées aux États-Unis à la fin des années 1980 puis, une dizaine d’années plustard, en Europe. On compte aujourd’hui trente-neuf Maisons de naissance en Allemagne, neufen Suisse, trois en Autriche, deux en Angleterre et une en Italie. Une Maison de naissance sedistingue tout d’abord par son lieu (peu de chambres), son personnel (les sages-femmes sonttotalement autonomes et responsables de la maison), sa philosophie de la naissance, qui reposeentièrement sur la physiologie. Les structures sont toutes rattachées au centre hospitalier leplus proche, avec lequel elles travaillent en étroite collaboration. En France, plusieurs initiati-ves ont vu le jour, sous l’impulsion de Bernard Kouchner, en 2001, ou encore du Plan périna-talité 2005-2007, qui devait permettre l’expérimentation de Maisons de naissance1. Cependant,et c’est ce qui explique les difficultés actuelles, pour ouvrir ce nouveau type de structure, le gou-vernement et le corps médical souhaitent que les Maisons de naissance soient attenantes à desplateaux techniques, alors que les sages-femmes veulent des structures indépendantes. Au nomdu principe de sécurité, les médecins français ne peuvent accepter que des accouchementsse déroulent en dehors du milieu hospitalier. Cet argument cache plus largement la difficultépour les praticiens d’abandonner la physiologie aux sages-femmes. Si ces Maisons de naissancevoyaient le jour, toutes les femmes qui connaissent une grossesse à bas risque pourraient yaccoucher. Cette forte activité des sages-femmes leur permettrait d’acquérir une représenta-tivité et un pouvoir qui pourraient venir ébranler la toute puissance médicale et la force duparadigme biomédical. Rappelons que l’histoire a montré qu’il a fallu du temps pour que les fem-mes acceptent de confier leur ventre au médecin à la place de la matrone. Il est alors difficileaujourd’hui pour eux d’envisager un partage des pouvoirs.

1. Un article du Monde, du 22 juillet 2007, nous apprenait que le projet d’expérimentations de Maisons denaissance est interrompu par l’actuel ministre de la Santé. Sandrine Blanchard, « Le projet des Maisonsde naissance est interrompu », Le Monde, 22 juillet 2007.

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Dans les années 1960-1980, le « savoir » étaitlivresque, le « savoir médical » était l’apanagedes professionnels ; il était souvent incompré-hensible pour les familles, y compris sur lesquestions de périnatalité. Des auteurs avaientcompris qu’il fallait adapter le langage au grandpublic, ce fut le cas, par exemple, de LaurencePernoud, qui avait pressenti l’importance de l’in-formation/communication dans le domaine dela périnatalité en publiant son livre J’attends unenfant.

Trente ans plus tard, l’information autour de lapérinatalité a été vulgarisée en direction dugrand public ; les parents, au-delà du savoirlivresque, attendent des informations concrè-tes et compréhensibles. Ils formulent des nou-velles demandes, sont très intéressés par larestitution d’un savoir d’expérience, de partageet de vécu d’usagers. C’est ainsi qu’est née unelittérature spécialisée de journaux santé grandpublic, de livres d’experts. D’autres médias sesont lancés dans l’aventure : émissions radio,reportages télévisés, témoignages, films, etc.Internet est lui aussi devenu un moyen d’infor-mation privilégié pour les parents sur la mater-nité, l’enfant, la périnatalité. L’information y circule librement, elle est accessible à toutmoment, elle permet aux usagers de dialoguerentre eux mais également avec les profession-

nels. Les parents recueillent ainsi des informa-tions sur la Toile, dont ils peuvent parler avecles professionnels. Mais l’information sur Inter-net a un inconvénient de taille : elle n’est pas for-cément fiable.

En régions Languedoc-Roussillon, Provence –Alpes – Côte d’Azur et Corse, le Groupe d’étudeen néonatalogie (GEN), mandaté par la directionrégionale de l’Action sanitaire et sociale et l’union régionale des caisses d’Assurance Mala-die, a développé, depuis 2002, un site Inter-net dédié à la périnatalité (1). Ce double por-tail professionnel sécurisé et grand public estlibre d’accès et s’adresse donc aussi auxparents et familles. Son contenu est rédigé parles professionnels de la périnatalité desrégions, qui travaillent en partenariat avec lesinstitutions, les organismes référents tel que lescaisses d’allocations familiales et les associa-tions d’usagers. Pour ce faire, une charte a étéétablie incluant plusieurs critères dont les plusimportants sont les suivants :– l’information mise en ligne sur le site Internetdoit être rédigée et validée non seulement pardes professionnels mais aussi par des groupesde professionnels ou des organismes réfé-rents ; puis elle doit être actualisée régulière-ment. Les sources doivent toujours être citéeset datées ;

– le site doit répondre à des critères de qua-lité. Il est indispensable que les rédacteurs dusite avec les fonctions qu’ils occupent appa-raissent, que les bilans d’activité annuels soienten ligne, que les partenaires et les institutionsqui participent à la réalisation du site soient iden-tifiés et nommés. Les liens avec les sites par-tenaires doivent être actifs. Des procéduresde codification de la labellisation des sites Inter-net dans le domaine de la santé sont en cours,elles sont menées par la Haute Autorité desanté (HAS).

C’est dans le respect de règles d’éthique et dedéontologie que l’information diffusée en lignepourra devenir un outil à part entière pour lesprofessionnels auprès des familles en complé-tant leur rôle dans la dimension éducative d’ap-prendre, expliquer, initier, éclairer, guider… et en créant entre eux lien, confiance et inter-activité.

Catherine CecchiCadre supérieur de santé,

chef de projet information-communication périnatalerégions Languedoc–Roussillon, Provence–Alpes–

Côte d’Azur et Corse, Groupe d’étude en néonatalogie Languedoc–Roussillon, Montpellier.

(1) : http://www.perinat-france.org

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gique occidentale (4). Plusieurs asso-ciations d’usagers sont nées à partir desannées 2000 dans ce contexte. Leurconception de la naissance, qui reposesur le paradigme de la physiologie,semble incompatible avec le suivi proposé par le système médical. Cer-tains professionnels – plutôt des sages-femmes – et des couples choisissentalors de « fuir » l’institution et d’accou-cher à domicile. Même si ces nouveauxacteurs de la périnatalité sont aujour-d’hui minoritaires et peu entendus, leurrassemblement en associations dedéfense a néanmoins pour effet d’ou-vrir un débat sur les conséquences dela médicalisation de la naissance etd’envisager des propositions alterna-tives, comme la création de Maisons denaissance (voir encadré page précé-dente). D’autres, soumis à l’impératif desécurité mais conscients d’une tropgrande médicalisation, proposent dansleurs services un accompagnementmoins technicisé et permettent desmodes d’accouchement plus naturels.Plusieurs innovations ont été mises en

place dans certains hôpitaux français.On peut citer, par exemple, l’accou-chement ambulatoire, qui permet à l’ac-couchée de repartir rapidement chezelle, où elle sera suivie par une sage-femme libérale. Certains expérimententla péridurale ambulatoire, qui laisse lafemme libre de se déplacer pendanttoute la période de l’effacement du col.D’autres ont ouvert des salles de nais-sance, sur le modèle du célèbre docteurOdent, à Pithiviers. Il s’agit d’offrir à lafemme un lieu d’accouchement qui res-semble le plus à son domicile, où ellepeut décider d’accoucher suspendue,accroupie, soutenue par son mari.

Si aujourd’hui la participation desusagers dans le système de soins est undes objectifs majeurs de la politique desanté, les multiples associations gravi-tant autour de la naissance ont pourtantdes difficultés à être reconnues commepartenaire légitime dans les décisions.Cependant l’arrivée, dans le champ dela santé, d’un citoyen de plus en pluséclairé en matière de connaissances

scientifiques, de plus en plus critiquesur la relation assymétrique médecin-patient, laisse augurer des changementsprofonds sur les conditions de la nais-sance en France.

Béatrice Jacques

Maître de conférences,

département de sociologie,

université Victor-Segalen-Bordeaux-2,

Lapsac, Bordeaux.

Périnatalité sur Internet : une éthique à respecter

◗ Référencesbibliographiques

(1) Knibielher Y., Fouquet C. L’histoire desmères du Moyen Âge jusqu’à nos jours. Lau-sanne : Éd. Montalba ; 1980 : p. 285.(2) Jacques B. Sociologie de l’accouche-ment. Paris : Le Monde-Puf, coll. Partagedu savoir, 2007 : 224 p.(3) Voir Jacques B. op.cit., chapitre 3.(4) Beck U. La société du risque. Sur la voied’une autre modernité. Paris : Aubier, 2001 :251 p.

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23LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

Être écoutée, évoquer ses craintes mais aussi son projet de naissance : mené par une sage-femme ou éventuellement un médecin, l’entretien prénatal précoce (également appelé« entretien du 4e mois de grossesse ») sert à cela. Recommandé par les experts, il se meten place en France. Durée : quarante-cinq minutes. Les pères sont les bienvenus. L’entre-tien est la pierre d’angle d’une relation où la femme enceinte trouve sa place face aux professionnels. Une révolution culturelle pour nombre de professionnels de la périnatalité.

L’évolution de la relation entre leprofessionnel de santé et la femmeenceinte – ainsi que le futur père – s’ins-crit dans le cadre de profondes trans-formations sociétales de la grossesse etde la naissance, de leur prise en chargemédicale et de leur prise en comptenon médicale comme de leurs repré-sentations. L’apparition de l’entretienprénatal précoce (entretien individueldit du 1er trimestre ou du 4e mois, quenous écrirons par la suite Entretien) esten train de produire progressivementune modification prometteuse dans larelation entre les professionnels desanté en périnatalité (sages-femmes,gynécologues, obstétriciens, mais aussigénéralistes engagés dans le suivi degrossesse) et les futurs parents oumieux les devenant-parents.

En cours de mise en place, l’Entre-tien est destiné au couple ou à lafemme, d’une durée de quarante-cinqminutes, réalisé par une sage-femmeformée spécifiquement. Il vise à per-mettre, tôt dans la grossesse, une ren-contre dans un climat de confianceentre la sage-femme ou le médecin etl’usagère ou la patiente. Il doit rendrepossible pour le couple l’expérienced’une rencontre avec un/une profes-sionnel(le) dans une relation singulière,contenante, empathique, permettantd’aborder dans sa globalité la grossesseavec ses trois dimensions : médicale,sociale, psychique.

Il comporte deux « versants » :– un versant d’informations au seinduquel la professionnelle va apporter– au plus près des préoccupations dela femme – des informations sur la gros-

sesse, sur son suivi et sur les différentsintervenants (sanitaires mais aussisociaux) qui peuvent en favoriser lebon déroulement. En fonction du repé-rage éventuel de fragilités (médicalesmais aussi psychiques, voire sociales),lors de la première partie de l’Entretien,un accent plus net sera mis sur certai-nes informations ;– un versant d’écoute car, en créant unesensation de sécurité pour la patientedans cet Entretien, la sage-femme (sielle est, elle-même, dans un confort detravail permis par le développement du« travail en réseau » entre professionnelsconcernés) va favoriser chez la futuremère un « éprouvé » très fréquemmentnouveau : se sentir reconnue et respec-tée par un professionnel de santé encohérence avec les autres profession-

nels dans sa façon de concevoir l’ac-compagnement de la grossesse. Lafemme enceinte et/ou le couple (puis-qu’il s’agit d’un entretien individuel ou en couple), seront alors en positiond’être davantage acteurs de leur par-cours de grossesse.

Une éthique forte à respecterCet Entretien fera ainsi place à l’ex-

périence de la valeur de la parole adres-sée ou échangée avec les profession-nels. Les femmes enceintes peuvent,plus tranquillement que lors de troprapides consultations, exprimer certai-nes de leurs préoccupations ou diffi-cultés, dont on sait qu’elles ne les évo-quent pas toujours spontanémentpendant les consultations du suivi degrossesse. On peut donc considérer

Entretien prénatal : un tournant dansla relation futures mères/professionnels

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que (compte tenu de l’adoption, enmars 2002, de la loi sur le droit despatients en médecine, favorisant unconsentement « mutuellement » éclairé),il y a là une opportunité « d’informa-tion mutuellement éclairée » qui contri-bue à une transformation en profon-deur de la relation usagère-patiente/professionnel médical favorisée par lefait que la grossesse physiologique n’estpas une maladie.

Les femmes qui ont déjà entenduparler de l’Entretien peuvent aussi com-mencer d’évoquer au-delà de leur pro-jet de grossesse leur « projet de nais-sance ». Celles qui n’ont pas idée decette démarche peuvent la découvrir.

Il y a donc, malgré les risques dedérive toujours possibles (Entretien tropsuperficiel, pas de suivi accru et de tra-vail en réseau après l’Entretien (voirl’interview de F. Molénat ci-après p. 28à 30), grâce à une attention très grandeà l’éthique de la transmission des infor-mations recueillies dans cet Entretien,la possibilité de faire évoluer deux « cul-tures » ou deux systèmes de représen-tations :– la « culture » des femmes, qui risque-raient trop souvent de renoncer à cons-truire elles-mêmes leur parcours degrossesse du fait des habitudes et deleurs représentations du système desoins ;– et la « culture » des professionnels, quiveulent si souvent avoir, en face d’eux,une patiente compliante, et qui imagi-nent la femme enceinte en individurationnel au fait de tous les implicites dusystème de santé.

La grossesse, tout un parcoursAccepter une femme enceinte actrice

est donc déjà une (r)évolution pour lesprofessionnels de la périnatalité. Sepositionner en auteur de son parcoursde grossesse en est une aussi pour desfemmes demandeuses de sécurité etsoumises aux routines médicales (par-fois iatrogènes).

Mais l’Entretien nécessite une autre(r)évolution pour les professionnels : le« travail en réseau ». La mise en place del’Entretien, en particulier dans lesréseaux locaux de périnatalité : Cla-mecy, dans la Nièvre (voir article p. 27),Orange-Valréas, Novanat dans le Vau-cluse, Versailles (Communauté périna-tale de l’agglomération versaillaise),

montre que dans cette profonde évo-lution culturelle qui commence avecl’Entretien prénatal précoce, l’offre desoins pour la femme s’ajuste à sademande grâce à une meilleure écoutesi les professionnels entre eux ontappris à dépasser les clivages tradition-nels : ville/hôpital, hôpital/PMI, sage-femme/médecin.

Comme y a insisté le docteur Fran-çoise Molénat dans un récent rapport,il est simplement et profondément gra-tifiant (ou reconstructeur) pour les fem-mes enceintes de sentir que ce n’est pasà elles de se plier aux logiques des pro-fessionnels mais que, autant que faire sepeut, ceux-ci adaptent, dans le respectdes règles de l’art, leur exercice à leursbesoins, sur le plan médical comme surle plan psychique, voire social. On peutespérer que dans un contexte difficilecela puisse aussi l’être pour les profes-sionnels...

S’il est trop tôt pour évaluer lesimpacts de cette mesure phare du Planpérinatalité (2004-2007), il paraît déjàimportant de penser que cette évalua-tion ne devra pas se limiter à une quan-tification de sa montée en puissance

mais devra tenter de décrire comment,qualitativement, il modifie le position-nement des professionnels (indivi-duellement et collectivement) et iltransforme le vécu du suivi de gros-sesse. Pour cela, la formation dessages-femmes à l’Entretien ne saurait selimiter à une découverte des modali-tés d’entretien les plus à même de créerde la confiance. Cela suppose, d’unepart, un travail régulier et collective-ment organisé de groupes de pair(e)s,d’autre part, une (re)valorisation dulien entre professionnels. Nul douteque la mobilisation croissante des asso-ciations d’usagères ne favorise ce mou-vement fécond.

Michel Dugnat

Pédopsychiatre, unité parents-enfant,

CHU Sainte-Marguerite, CHU la Conception,

Marseille, président de la commission

régionale de la naissance Paca.

Marina Douzon

Médecin, unité parents-bébé,

centre hospitalier de Montfavet, Avignon.

Danièle Capgras-Baberon

Sage-femme, formatrice pour l’entretien

prénatal précoce, ex-coordinatrice des

réseaux périnatalité de Clamecy

et du conseil général de la Nièvre.

• Bydlowski M. Je rêve un enfant. L’expérienceintérieure de la maternité. Paris : Odile Jacob,2000 : 204 p.• Capgras D., Dugnat M. Construire un réseaude périnatalité de proximité, quelle(s)méthode(s) ? L’exemple de Novanat (Haut-Vaucluse/Sud-Drôme). Vocation Sage-femme(dossier) 2006 ; n° 42 : 10-6.• Capgras D., Dugnat M. Quelques règles demise en œuvre des principes d’une conduite deprojets dans le développement d’un réseau localde périnatalité Vocation Sage-femme 2006(dossier) ; n° 46-47 : 11-6.• Circulaire DHOS/DGS/O2/6 C n° 2005-300du 4 juillet 2005 relative à la promotion de lacollaboration médico-psychologique en péri-natalité.• Circulaire DHOS/1/O3/Cnamts n° 2006-151du 30 mars 2006 relative au cahier des chargesnational des réseaux de santé en périnatalité.• Le collectif. Pas de 0 de conduite pour lesenfants de 3 ans ! Toulouse : Érès, hors coll.Enfance & parentalité, 2006 : 240 p.• Collectif Ciane. Des états généraux de la nais-sance à la plate-forme périnatalité. Revue Spi-rale 2007 ; n° 41 : 30-42.

• Collectif Ciane. Enjeux de la création de mai-sons de naissance dans le contexte français.Revue Spirale 2007 ; n° 41 : 61-74.• Dugnat M., Douzon-Bernal M. Quelques ques-tions sur les différentes figures des réseaux enpérinatalité. Revue Spirale 2007 ; n° 41 : 97-105.• Dugnat M., Douzon-Bernal M. Pas de 0 deconduite pour les femmes enceintes et lesfœtus de 3 mois : pour un entretien prénatal« prévenant ». Revue Spirale 2007 ; n° 41 : 43-60.• Dugnat M., Gouzvinski F., Douzon-Bernal M.L’éthique de la transmission des informations.Revue Sages-femmes formation, (dossier)2007 ; n° 55 : 7-19.• Molenat F. Naissances : pour une éthique dela prévention. Toulouse : Érès, coll. Préventionen maternité, 2001 : 136 p.• Neyrand G., Dugnat M., Revest G., Trouvé J. N.Famille et petite enfance. Mutations des savoirset des pratiques. Toulouse : Érès, coll. Petiteenfance & parentalité, 2006 : 320 p.• Le livre blanc de la périnatalité en France.Revue Spirale, La grande aventure de monsieurbébé, 2007 ; n° 41 : 205 p.

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Comment les femmes enceintes vivent lenouvel Entretien prénatal avec une sage-femme ? Voici une synthèse de deux témoi-gnages recueillis par l’équipe du docteurMichel Dugnat. Dans les deux cas, le rôled’explication et de réassurance de la sage-femme vis-à-vis de la femme enceinte aété essentiel.

Jenny, 35 ans, mère de deux enfants, abénéficié d’un entretien lors de sadeuxième grossesse : « Un coup de poucequi m’a grandie en tant que femme. »« Le bénéfice de cet Entretien a été tellementgrand que je trouve important de le faire par-tager ! Avec mon mari et ma fille, j’ai déménagéen début de grossesse et me suis sentie trèsisolée, loin de ma famille, de nos amis et desprofessionnels : je n’avais plus de sage-femme,plus de maternité, et j’ai ressenti le besoin derencontrer quelqu’un, d’autant que la premièregrossesse avait été difficile et que ma fille étaitnée à la suite d’une césarienne. Cet isolement

était très désagréable à vivre, très culpabilisantaussi parce que je ne montrais pas l’imaged’une femme enceinte épanouie.

Au début, j’ai pensé me rapprocher d’unedoula, j’en ai appelé une et lui ai exposé mesdifficultés, la rencontre a été chaleureuse. Jeme sentais mal, au point de vouloir accoucherà la maison avec une sage-femme, j’avais peurde la maternité et de l’hôpital mais, toujours trèsdésemparée, je n’ai pas donné suite.

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré la sage-femme pour l’entretien prénatal précoce, nonpas à l’hôpital, mais dans un bureau conforta-ble de la Maison du département : c’est la qua-lité de son accueil, de son écoute qui m’a per-mis de me confier. J’ai lâché mon fardeau, dittoutes mes difficultés, raconté que je ne voulaispas revivre une naissance similaire à celle dema fille, j’avais l’impression que le même scé-nario allait forcément se reproduire : déclen-chement obligé, obligation d’avoir une péridu-

rale, obligation de ceci, de cela, j’en garde untrès mauvais souvenir, je ne voulais pas revi-vre la même expérience. Cet Entretien m’a per-mis de me rassembler même dans mon corpsavec l’enfant que je portais, de remettre de l’or-dre dans ma tête, car nous avons concrètementabordé mes interrogations : quel projet de nais-sance, auprès de qui faire une préparation à lanaissance ?… Pendant l’entretien j’ai ri, j’aipleuré, je me suis vraiment confiée, je n’auraisjamais pensé pouvoir le faire face à un profes-sionnel.

À propos de la préparation à la naissance, lasage-femme a écouté ce que j’avais vécu pourma première grossesse (c’était une prépara-tion à l’hôpital, classique et impersonnelle,avec des diapositives). Par rapport à mon sou-hait de naissance à domicile, elle a bien com-pris que ce n’était pas profondément ancré enmoi, c’était plus par défaut que je ne voulais pasretourner à la maternité. Elle a donc pu me ras-surer sur les compétences de la structure et de

« J’ai pu parler de ma grossesse devant quelqu’un qui m’écoutait »

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l’équipe de la maternité. Pour ce faire, etpuisque nous n’avions eu qu’un seul Entretien,elle a pris contact avec une professionnelle dela maternité qu’elle connaissait. Je me suis sen-tie alors bien entourée, mise en confiance parcet entretien prénatal précoce.

En conclusion, le premier Entretien prénatal quej’évoquais plus haut m’a remise sur les rails dema grossesse. Je me suis sentie très forte ensortant de cette rencontre d’une heure, commesi j’allais pouvoir oser tout ce que je n’avais pasosé pendant la grossesse et l’accouchement dema première fille, c’est-à-dire évoquer le projetde naissance, évoquer la question de la césa-rienne. Cet Entretien a été un coup de pouce quim’a grandie en tant que femme, en tant quemère et ensuite tout s’est bien passé… »

Céline, 32 ans, a bénéficié d’un Entretienlors de ses deux grossesses : « J’avais trèspeur de revivre un deuxième accouche-ment difficile. »« Je n’arrivais pas à tomber enceinte et je levivais très mal, personne pour me rassurer. Jesuis allée voir une sage-femme que l’on m’avaitrecommandée. Elle m’a écoutée et beaucoupréconfortée dans l’attente de cette grossessequi ne venait pas. Puis je suis tombée enceinte,j’ai couru chez mon gynécologue, qui m’a dit quemédicalement tout allait bien, l’entretien a durécinq minutes, j’avais une foule de questions –qu’allait-il se passer, quelles modifications pourmon corps – il n’a pas eu le temps d’y répon-dre. Je suis alors allée voir mon médecin traitant,un professionnel très médical qui m’a suivi toutle long de ma grossesse, m’a prescrit des exa-mens, mais avec qui je n’arrivais pas non plusà dialoguer parce que la salle d’attente étaitpleine, on se sent obligée d’accélérer, on ne peutpas se confier. Donc, j’ai ressorti le numéro detéléphone de la gentille sage-femme qui m’avaitécoutée et l’ai rencontrée une seconde foisavec mon mari ; j’étais enceinte de trois mois,c’était pour l’Entretien prénatal. Cela a été ledéclic : pendant une heure, j’ai pu parler de magrossesse devant quelqu’un qui m’écoutait, c’était énorme. Face à ma grossesse, j’expri-mais aussi un excès de joie qu’il fallait tempo-riser parce qu’il y avait un suivi médical à effec-tuer, des douleurs qui apparaissaient parce queje travaillais. Elle m’a rassurée, nous avons dis-cuté “projet de naissance”. En sortant de l’En-tretien, je me suis sentie vraiment à la hauteurd’assumer mon rôle de mère et libérée de toutce fardeau de questions que j’avais en moi.

Ensuite, j’ai continué à être suivie médicalementpar mon médecin traitant et en parallèle parcette sage-femme. J’ai avec elle effectué la pré-paration à l’accouchement, elle m’a aidée à m’orienter vers la maternité qui me convenait le

mieux. J’entrais ainsi dans une grossesse où j’avais quelqu’un avec qui communiquer, quim’aidait aussi à soulager mon corps par desmouvements, ce qui m’a permis d’aller presquejusqu’au terme. Cela ne s’est pas passé sansdifficultés : dans le courant du huitième mois,j’ai été hospitalisée à la suite d’une très fortetension et j’ai donc accouché ; ma petite filleet moi nous en sommes sorties en bonne santéaprès de grosses frayeurs. Là aussi le rôle dela sage-femme a été déterminant, elle m’a ras-surée avant l’hospitalisation alors que j’étaispaniquée. Pendant mon hospitalisation, monmari était à l’extérieur, sans aucune informationen provenance du corps médical : il a eu lachance de parler en pleine nuit avec la sage-femme, qui lui a expliqué ce qui se passait, cequi l’a lui aussi rassuré.

Après tant d’émotions, nous sommes rentréesà la maison et mon médecin traitant m’a pres-crit un suivi pour ma tension, pour ma suite decésarienne, et aussi pour que la sage-femmevienne à la maison. Et là, le soulagement a étéimmense car elle qui avait été à mon écoutependant neuf mois allait pouvoir comprendrela douleur que j’avais vécue lors de cet accou-chement terrible. Elle a été la première per-sonne à qui j’ai pu me confier et livrer toutesmes souffrances. Tout est ensuite rentré dansl’ordre, pour mon bébé et moi.

Deux ans plus tard, je suis à nouveau tombéeenceinte et là, très tôt, je suis allée la voir ;mon médecin traitant a également pris lesdevants pour suivre cette tension qui avait étéun problème lors de mon premier accouche-ment. La sage-femme me connaissait et a doncpu rapidement m’aider à gérer mes angoisses :j’avais très peur de vivre un deuxième accou-

chement aussi difficile que le premier, vu le chocpsychologique que j’avais eu.Donc, j’ai été prise en charge très rapidementet rassurée dès le début de ma deuxième gros-sesse. Nous avons réfléchi à un projet de nais-sance car j’avais été très frustrée d’avoir eu unecésarienne, de ne pas pouvoir vivre la naissanced’un enfant par voie basse, comme la plupartdes femmes. Je voulais mettre un enfant aumonde par voie basse. Les médecins que je ren-contrais me disaient : “Vous ne vous rendez pascompte”, “Cela ne va pas être possible” et jevoulais trouver quelqu’un qui entende mademande. Grâce à nos Entretiens suivis avecla sage-femme, nous avons établi un projet denaissance qui prenne en compte ma demande !C’était pour moi un désir très profond pour cica-triser une blessure. Nous avons rencontré laresponsable du service de maternité danslequel ce projet était possible. Et c’est ce quis’est passé : j’ai accouché par voie basse grâceaussi à une sage-femme de l’hôpital qui m’a dit :“Nous allons prendre le temps qu’il faut maisvous accoucherez comme ça, ne vous en faitespas.” J’ai ainsi été très surveillée tout le longde ma grossesse et de l’accouchement et j’aimis au monde une petite fille par voie basse,et cela a vraiment pansé mes plaies.

La deuxième grossesse a été une expérienceextraordinaire : j’étais beaucoup plus actriceque pour la première parce que je voulais telle-ment ne pas avoir à revivre une césarienne queje me suis beaucoup investie sur ce projet denaissance. Mais sans cette sage-femme je n’au-rais pas pu trouver les chemins qui me conve-naient et je n’aurais pas bénéficié du suivi trèsrapproché qu’elle a mis en place autour de moi.Il n’y aura jamais de remerciements suffisantspour cette sage-femme ! »

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Depuis 1994, les professionnels de santédu Haut-Nivernais proposent systémati-quement aux femmes enceintes un Entre-tien au 4e mois de grossesse. Cette expé-rience pionnière a permis de valider lebien-fondé de cet Entretien, désormaisétendu à l’ensemble du territoire.

Le réseau de santé de proximité en périnata-lité du Haut-Nivernais, situé à Clamecy, dans laNièvre, réunit les professionnels hospitaliers,les libéraux, médecins, sages-femmes, gyné-cologues-obstétriciens mais aussi les profes-sionnels du secteur social ainsi que les « psys ».Dès sa mise en place, en 1994, il a proposé auxfemmes enceintes l’Entretien, intitulé à l’époque« du 4e mois », dans un but de prévention atten-tive à la globalité de la grossesse. S’il a été lepremier, il n’est plus le seul…

L’objectif d’un réseau de santé de proximité enpérinatalité est l’accompagnement et la prise encharge globale des femmes enceintes, des cou-ples, des enfants en période périnatale par undécloisonnement entre l’ensemble des profes-sionnels de la périnatalité. Son travail s’articuleautour de cet Entretien, qui permet d’activer tousles acteurs des trois champs : sanitaire, psycho-logique et social (en tant que de besoin).

L’Entretien « nourrit » le réseau et le réseauoptimise l’Entretien. Il est le moyen optimum derendre acteurs les femmes et les couples danscette aventure de la naissance, de leur per-mettre de s’approprier (ou de se réapproprier)la grossesse et la naissance de leur enfant ; illeur permet d’être en mesure de négocier avecles professionnels une prise en charge adap-tée en fonction des besoins et de leur souhaits.Il nécessite alors des professionnels d’êtrecapables de coopérer au quotidien malgré leur différence de « culture » (entre libéraux ethospitaliers, sages-femmes et médecins, spé-cialistes et généralistes, professionnels du soinphysique (somaticiens) et « psys » pour le soinpsychique, etc.).

Dans le réseau de Clamecy, ce précieux Entre-tien s’est mis en place progressivement avec unsuccès certain, puisque treize ans après son lan-cement, 98 % des patientes du secteur duréseau en bénéficient. Cet Entretien non obli-gatoire, mené par une sage-femme, est proposépar le professionnel qui déclare la grossesse.Cette démarche, après avoir été controversée

(il n’est pas si simple pour certains médecinsgénéralistes ou gynécologues-obstétriciens deproposer un entretien avec une sage-femme !),a constitué un des ciments du réseau : l’entre-tien une fois qu’il a été éprouvé par les acteursmédicaux et par les usagères a rencontré unfranc succès… grâce au bouche à oreille ! Pourcela, il a fallu que les différents professionnelssoient réassurés sur leur place dans le suivi dela grossesse, que la sage-femme en charge del’Entretien développe des qualités déontolo-giques et que tous comprennent la « philoso-phie » du travail en réseau et le changement derelation que l’esprit du travail en réseau permet.

Mais ce qui a fait la force de la mise en placede l’Entretien à Clamecy, c’est bien sa proposi-tion systématique rendue possible par leréseau : car, pour y avoir accès, nul besoin d’avoir des problèmes identifiés par un profes-sionnel… Ce temps de rencontre singulièred’une durée suffisamment longue (quarante-cinq minutes au minimum) permettant unéchange « contenant » et adapté à la femme,au couple, favorise ainsi une prévention primo-secondaire respectueuse des femmes et deleur intimité.

Les patientes qui se sont approprié cet Entre-tien, en ressentant le bien-fondé de cette démar-che, en ont parlé autour d’elles et ainsi en ontfait la « promotion ». D’ailleurs, les témoignagesdes patientes et des couples qui ont bénéficiéde cet Entretien ainsi que des professionnelsqui le proposent ont fait partie des évaluationssuccessives du réseau de santé de proximitéen périnatalité de Clamecy. Ces évaluations ontpermis de confirmer l’intérêt de l’Entretien pourles patientes, de renforcer l’activité du réseauet de promouvoir la construction de cette orga-nisation novatrice sur d’autres sites en France :réseaux Sud-Nivernais Morvan, Decize (58),Autun (71), Thann (68), Orange-Valréas (Nova-nat) (84), Versailles (Communauté périnatale del’agglomération versaillaise) (78). Le dévelop-pement de ces réseaux prouve que l’Entretienet le « travail en réseau » créent une synergiepar une double évolution : décloisonnemententre professionnels et appropriation par lesusagères de leur parcours de grossesse cons-tituent une spirale vertueuse.

Danièle Capgras-Baberon,Marina Douzon,Michel Dugnat.

La Nièvre, département pionnier de l’entretien de grossesse

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Auteur d’un rapport qui a fait date et servi de base au Plan national périnatalité, lapédopsychiatre Françoise Molénat explique pourquoi et comment les professionnels doivent améliorer leur écoute des parents et des femmes enceintes en particulier, etdoivent se mettre véritablement à travailler en réseau. F. Molénat a notamment convaincules pouvoirs publics d’instaurer un entretien long – quarante-cinq minutes – entre la sage-femme et la femme enceinte vers quatre mois de grossesse. Elle en explique l’intérêt etles difficultés de mise en place.

La Santé de l’homme : Votre propo-sition d’instaurer un Entretien pré-natal précoce est reprise dans lePlan périnatalité : quelle est votreréaction ?

Françoise Molénat : L’idée d’instaurerun Entretien prénatal précoce (EPP) n’estpas nouvelle – on en parle depuis dixans. Je l’ai réinstaurée dans mon rapportet elle a effectivement été reprise dansle Plan périnatalité. Avec l’EPP, on placedésormais la sécurité émotionnelle desfemmes enceintes au même niveau quela sécurité somatique, au centre de la pré-occupation obstétrique.

S. H. : Quel est l’intérêt de l’Entretienprénatal précoce pour les femmesenceintes ?

Que les femmes prennent la parole,qu’elles s’expriment auprès d’un pro-fessionnel de la grossesse car mettre aumonde un enfant n’est pas une mala-die ou un événement simplementphysiologique, c’est un événementémotionnel, affectif, symbolique.

Or, notre culture médicale fondéesur le dualisme a mis de côté, pendantquelques décennies, les émotions et leressenti de la femme enceinte.

S. H. : Pourquoi la sage-femme estelle seule habilitée à mener cet Entre-tien ?

L’idée est que l’Entretien soit menépar un professionnel médical de la gros-sesse et non par un professionnel dupsychosocial, psychologue ou assistantesociale. Certains estimaient que cetEntretien devait être conduit par destechniciens de l’entretien (psycholo-gues, par exemple). Nous avons bataillépour que la sage-femme soit cet inter-locuteur à qui la femme enceinte vaconfier sa parole, parce que la sage-femme est dans la proximité avec lafemme enceinte. La sage-femme va inté-grer dans le suivi médical de la grossessece registre affectif, subjectif.

Si des médecins généralistes sontintéressés pour mener l’EPP– ils sontégalement bien placés pour le faire–, ilspeuvent s’organiser pour demander lanomenclature qui reconnaîtra cette priseen charge, comme ils l’ont fait pour lesuivi de prématurés. Certains gynécolo-gues-obstétriciens également, mais l’ex-périence montre qu’un temps d’écouteorganisé en ce sens permet une autreexpression que la consultation médicaleclassique.

L’EPP est un outil peut-être transitoirepour changer l’état d’esprit, et l’on peutespérer que l’intégration des facteurs

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Entretien avec Françoise Molénat, responsable de l’unité petite-enfance au service de médecine psychologique pourenfants du CHU de Montpellier. Présidente de la Société française de médecine périnatale et de l’Association de for-mation et de recherche sur l’enfant et son environnement (Afrée).

« Écoutons les femmes enceintes et modifions nos pratiques ! »

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émotionnels sera la préoccupation detous les acteurs de santé.

S. H. : Qu’est-ce que va déclencherchez la femme enceinte un « bonEntretien » prénatal ?

Le fait qu’une femme enceinte parlede ce qu’elle ressent à un profession-nel dont le métier est le soin, le soin ducorps, est l’occasion d’une nouvelleexpérience de relation qui peut per-mettre à la femme de se consolider danssa future relation avec son enfant. Lafuture mère – mais aussi le père, danstous les cas l’EPP est destiné aux deux –,donc les parents vont découvrir qu’ilspeuvent s’exprimer face à un profes-sionnel de la grossesse qui a du temps(quarante-cinq minutes) pour écouterce qu’ils ont à dire, concernant la gros-sesse bien sûr mais aussi l’enfant à venir,leur devenir de parents. Ils vont éprou-ver que parler, cela fait du bien : dans lesenquêtes que nous avons menéesauprès des femmes enceintes, aprèsEPP, ces dernières disent leur stupéfac-tion de constater qu’un professionnelmédical prenne du temps pour les écou-ter ! (NDLR : voir les témoignages pré-sentés en pages 25-26).

En écoutant la femme enceinte, leprofessionnel donne de la valeur à cequ’elle dit. Pour les parents ou les fem-mes enceintes vulnérables parce qu’ellesont une mauvaise image d’elles-mêmes,peur de ne pas être compétentes,éprouver la qualité de cette écoute estfondamental en termes de narcissisme,de sécurité de base. En particulier pourcertaines femmes qui n’ont pas eu l’oc-casion – dans leur vie adulte ou d’en-fant – de faire l’expérience que cequ’elles disaient avait de la valeur.

S. H. : L’Entretien peut réellementprovoquer une meilleure prise encharge ?

Absolument. La femme enceinte oules parents vont constater – dans le casoù cela fonctionne bien – que le pro-fessionnel qui les écoute va prendre encompte ce qu’ils disent et que cela vamodifier le système de suivi et de soins,La femme sent qu’à partir de ce qu’ellea dit, le système et l’environnements’adaptent, que le travail en réseau desprofessionnels va provoquer un ajus-tement du suivi, et donc la prise encompte de la parole. Les parents vont

constater que cela bouge autour d’eux,ce qui signifie qu’ils ont une relativemaîtrise sur ce qui se passe, tout celaà partir d’une première relation deconfiance. C’est fondamental car l’undes grands problèmes que l’on varetrouver dans un certain nombre detroubles de l’enfant et de dépressionsd’après-accouchement (post-partum)vient de là : les mamans n’ont pasconfiance en elles, elles n’ont jamaisosé dire les choses, sont restées passi-ves, elles ont peur de ne pas savoir, età partir de là elles culpabilisent et sedévalorisent. C’est un processus fré-quent de mise en route de dépressionspost-partum ou de troubles de l’atta-chement sur fond d’anxiété. S’expri-mer, constater que sa parole est priseen compte par les professionnels, quiadaptent leur fonctionnement, est uneexpérience fondamentale qui leur apeut-être manqué dans leur propredéveloppement d’enfant, c’est l’expé-rience d’avoir une relative maîtrise surl’environnement.

Et, à leur tour, elles vont pouvoir entirer bénéfice et permettre à leur bébé –quand il enverra des signaux – de rece-voir une réponse adéquate et d’éprou-ver que l’environnement humain s’ajusteà ses besoins, sans déclenchement destress, sans mise en place de stratégiesdéfensives. Progressivement, elles vontentendre, s’adapter, s’ajuster. L’enfantpourra ainsi construire sa sécurité debase, recevoir de l’environnement desréponses ajustées à ses appels, sortir deson état d’impuissance – cette fameusedépendance qu’éprouve le bébé –, l’en-fant va découvrir qu’il acquiert lui aussiune maîtrise sur l’environnement. Onconnaît de mieux en mieux les enjeuxde cet ajustement quant au développe-ment cérébral et aux prémisses de lapensée.

Tout ce processus d’écoute ne peutpas être mis en place lors d’une simpleconsultation médicale ; l’EPP est la première étape dans la construction/reconstruction de ce sentiment de sé-curité, à condition qu’il permette auxautres professionnels de travailler euxaussi dans une meilleure sécurité. Si cen’est pas le cas, une mère vulnérablerisque, comme nos consultations ulté-rieures le démontrent trop souvent, dese retrouver seule chez elle après avoirquitté la maternité sans le soutien d’unréseau de professionnels, ou simple-

ment sans avoir pu mettre en mots desmalaises en période périnatale qui res-tent là comme un abcès.

Dans cet esprit, l’EPP peut être unoutil d’une efficacité considérable pourl’avenir de l’enfant et de sa famille, sansparler des autres gains que l’on peut enattendre. La possibilité offerte d’antici-per les moments clés (accouchement,transfert, sortie) afin d’éviter la survenuede stress parental et ses conséquencesn’a pas fini de démontrer ses effetsremarquables.

S. H. : Où en est-on dans la mise enplace de l’Entretien prénatal pré-coce ?

L’EPP se met en place doucement, de manière irrégulière, avec des profes-sionnels convaincus et d’autres très réti-cents. Il y a des obstacles, culturels, cor-poratistes, financiers. D’une manièregénérale, le corps médical est réticent :crainte de perdre de la clientèle, crainted’un regard extérieur sur leur pratique,crainte de voir faire par des sages-femmes ce qu’ils n’auraient pas su ou pufaire eux-mêmes. Toutes ces craintessont respectables, il s’agit d’un change-ment considérable de culture. Travailleren réseau n’est pas si simple (je parlede l’esprit de réseau et non des dispo-sitifs) : certains professionnels craignentle regard des autres sur leur pratique,ils y voient un danger, souvent parmanque de confiance, peut-être perted’un certain pouvoir. Il faudra du tempspour que les esprits bougent !

D’un autre côté, ce n’est pas plus malque l’EPP se mette en place doucement,et non de manière figée et autoritaire.Il faut être très clair : l’Entretien n’est pasobligatoire et il ne porte surtout pas surle psychosocial, c’est un entretien médi-cal ! Je crois que les médecins sont peuà peu en train de le comprendre. Faireentendre auprès des professionnels lebien-fondé de la prise en compte desémotions du patient est très long à fairepasser dans la pratique. Et les profes-sionnels doivent être soutenus dans cetravail : pour ce faire, il faut améliorerla collaboration entre ces professionnelsdu médical et les psychiatres/psycho-logues – je suis moi-même pédopsy-chiatre – et nous devons, égalementdans notre propre discipline, faire évo-luer notre culture, modifier nos pointsde repère, mieux respecter la place des

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soignants de l’obstétrique et de la pédia-trie, nous intéresser à leur place tech-nique et relationnelle avec les patients.Nous devons être plus proches et dispo-nibles. À ce prix, on constate la mise enœuvre de trésors d’humanité et de créa-tivité chez nombre de soignants.

S. H. : Y a-t-il des cas où l’Entretienprénatal précoce ne permet pas unmeilleur suivi de la femme enceinte ?

Ce n’est effectivement pas tout demettre en place l’EPP, il faut ensuite quecela provoque un changement des pra-tiques des professionnels avec unmeilleur suivi et un travail en réseau. Or,je vois des parents en consultation quine vont pas bien et ont pourtant eu unEPP, qui n’a rien changé à leur situation :la sage-femme les a écoutés, ils ont toutdit mais cela n’a pas modifié le systèmeen aval, parce que les professionnelsn’ont pas acquis les modalités du « pen-ser ensemble » : se relier pour offrir dela cohérence – particulièrement dans lescas les plus « à risque » qui entraînentde multiples interventions, médicales,sociales, psychiatriques.

S. H. : L’hôpital a-t-il les moyens demettre en place l’Entretien prénatalprécoce ?

Si les EPP ne se mettent pas en place,ce n’est pas par manque de moyensmatériels et financiers mais par manqued’assouplissement dans la mise à dispo-sition de toutes les ressources sur unbassin de naissance. Si l’hôpital n’a pasle personnel, des sages-femmes libéra-les et de PMI peuvent le faire, à condi-tion de se coordonner étroitement avec

celui qui suit la grossesse, si cette coor-dination s’avère nécessaire. Il faut rai-sonner à plus long terme : l’objectif del’EPP est d’améliorer le déroulement dela grossesse par la prise en compte duvécu parental, des besoins des parents ;le recueil des facteurs de stress vainduire une meilleure compliance auxsoins et confiance dans le système, unediminution des complications obstétri-cales. On sait désormais que, biologi-quement, le stress de la femme a deseffets sur l’hypertension, la prématurité,la vascularisation. La communicationsera aussi meilleure avec les parents endifficulté. Le fait que les parents aientconfiance parce qu’ils ont été entendusimplique que tout se passe mieux après.Nous retrouverons un gain après coup,mais, tant que les médecins ne l’aurontpas éprouvé, certains resteront dubita-tifs devant le fait d’ouvrir la boîte de Pan-dore sans avoir encore acquis de nou-velles règles et de nouveaux moyensde traiter ce qui vient.

S. H. : Comment former les sages-femmes ?

Certaines sages-femmes ne sont paspréparées à ce type d’entretien ainsiqu’au suivi après l’EPP : organiser le tra-vail en réseau avec les autres profes-sionnels, oser téléphoner au médecin,transmettre ce qui va être utile à l’autre,c’est toute une culture à acquérir. Toutle monde semble d’accord mais, si vousanalysez une prise en charge de famillevulnérable, vous découvrez – comme jeviens de le faire au Québec – que dessuivis parallèles se mettent en placesans communication entre le médical etle psychosocial, sans qu’on ait pris

conscience de l’effet que produisaitchez une femme enceinte le fait d’êtreainsi coupée en deux. Je parle du Qué-bec, classiquement reconnu comme le« pays du réseau », et j’ai été heureusequ’ils me demandent une formationinterdisciplinaire, c’est-à-dire rassem-blant tous les professionnels concernés,qui appartiennent à des champs encoretrès cloisonnés.

Pour en revenir à la formation, ladirection générale de la Santé nous ademandé un référentiel de « formationen réseau », pédagogie fondée sur la cli-nique et l’interdisciplinarité, utilisée unpeu partout et en voie de validation.Lors d’une formation, les professionnelsracontent – étape par étape et chacun desa place – comment ils ont travaillé ; ilsle font devant un groupe pluridiscipli-naire invité à élaborer des hypothèses,à anticiper, à mesurer les écarts d’unprofessionnel à l’autre en fonction dela place, du moment, de la discipline.Pour la formation à l’EPP, il a fallu effec-tuer un virage significatif : transmettreaux sages-femmes que ce sont les fem-mes enceintes, en s’exprimant, qui vontaider les professionnels à mieux tra-vailler, et ainsi éviter les décalages, lesmalentendus, les ruptures de confianceque nous retrouvons dans nos consul-tations ultérieures. C’est aussi d’expli-quer aux couples comment est organiséle système de soins, qui ne peut être effi-cace que s’il s’adapte aux besoins spé-cifiques de chaque famille, au-delà desrepères techniques qui gardent évi-demment leur légitimité.

Lors de formations interdisciplinaires,des psychiatres ou psychologues ont étéinterloqués par le fait que, face à untableau de grande souffrance psychique,nous proposions d’abord, en accordavec le praticien de la grossesse, un suivide proximité par une sage-femme, ouque nous insistions sur l’intérêt d’activerdès l’EPP la place du médecin généra-liste quand il existe afin de resserrer l’environnement professionnel, donchumain, et anticiper ensemble lesmoments de vulnérabilité potentielle.

Ce travail interdisciplinaire bousculenos représentations, il est la pierre d’an-gle du changement. En une phrase :écoutons les femmes enceintes et modi-fions nos pratiques !

Propos recueillis par Yves Géry

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Plusieurs hôpitaux en France – dont Montpellier et Brest – ont mis en place Nidcap, uneprise en charge innovante des grands prématurés qui associe les parents dans les soinset les décisions. Les parents ont droit d’accès au service, l’observation du nouveau-néet les soins sont prodigués en commun. Une révolution culturelle pour les professionnels,qui sont formés spécifiquement à cette fin. Ce programme diminuerait considérablementle stress du nouveau-né et améliorerait son état physique et psychique.

La néonatologie est une spécialitérelativement récente, qui a pour mis-sion de prendre en charge les nouveau-nés malades, notamment les enfantsnés prématurément. La fréquence et lagravité des complications liées à la pré-maturité des nouveau-nés ont été gran-dement réduites par la régionalisationdes soins périnatals, la généralisation dela corticothérapie anténatale (qui induitune maturation du fœtus) et du surfac-tant (qui permet de compenser l’insuf-fisance de sécrétion du surfactant endo-gène due à l’immaturité pulmonaire).Cependant une réduction parallèle deshandicaps neuro-comportementauxliés à la prématurité n’a pas été obser-vée, réel problème de santé publiqueen raison du nombre accru d’enfantssurvivants (1).

En raison de la nécessité de soinstechniques, ces nouveau-nés sont hospi-talisés pendant plusieurs semaines, voireplusieurs mois en unité de soins inten-sifs néonatals avant le retour à domicile.Durant cette hospitalisation, les enfantssont exposés à un stress important liéau bruit, à la lumière, à la douleur, à despositions non naturelles, à des manipu-lations fréquentes et à des stimulationsrépétées. Ces événements stressants, sur-venant chez des enfants au cerveauimmature, pourraient accroître la mor-bidité néonatale et avoir des consé-quences à long terme au niveau dudéveloppement cognitif et relationnel.

De plus, cette hospitalisation entraîneune séparation mère-enfant à unepériode de grande vulnérabilité et degrande souffrance des parents. Cette

séparation pourrait elle-même êtrenéfaste sur l’établissement de l’attache-ment et avoir un impact significatif surla relation parents-enfant bien au-delà dela période d’hospitalisation. La plupartdes unités de soins intensifs néonatalssont actuellement largement ouvertesaux parents sans limitation des « heuresde visites ». Cependant le rôle réel desparents, les conditions d’accès des fra-tries ou des grands-parents restent trèsvariables d’une unité à l’autre sans queles raisons d’une politique restrictive– en général basée sur une protectionpar rapport aux risques infectieux –n’aient été parfaitement démontrés.

Enfin, les personnels travaillantdans ces unités tendent actuellementvers une plus grande spécialisation.Les jeunes médecins sont le plus sou-vent titulaires d’un diplôme d’étudesspécialisées complémentaire (DESC)de réanimation néonatale qui les éloi-gne de la pratique de pédiatrie géné-rale. Leurs compétences techniquesincluent la maîtrise de la nutrition arti-ficielle, de l’hémodynamique, de l’ima-gerie cérébrale, etc.

La naissance prématurée va doncêtre à l’origine d’une rencontre non pré-parée entre des parents fragilisés, unnouveau-né à l’aspect et au comporte-ment déroutant et des professionnelshautement spécialisés. Certaines stra-tégies récemment mises en œuvre ten-dent à développer un regard communentre parents et soignants de façon àinstaurer un partenariat réel : les soinsde développement et les soins centréssur la famille.

Soins de développement, soinscentrés sur la famille

Les « soins de développement » sontl’ensemble des stratégies visant à dimi-nuer le stress de l’enfant né avant termegrâce à des interventions environne-mentales (réduction du niveau sonoreet lumineux, posture en flexion, etc.)et comportementales (respect des pha-ses de sommeil, succion non nutritive,peau à peau, etc.). L’impact positif deplusieurs de ces interventions sur lecomportement du nouveau-né, voiresur la durée de séjour, a été démontré.Malgré ces données issues de la recher-che clinique, l’utilisation de ces straté-gies est très variable d’un pays à l’au-tre, selon un gradient nord-sud évident,les pays scandinaves étant les plusavancés dans ce domaine (2).

Les « soins centrés sur la famille »peuvent être définis comme « des soinsrépondant en toute sécurité aux besoinsphysiques, psychologiques et culturelsde l’enfant et de la famille ». Cette nou-velle organisation est basée sur la com-préhension des besoins individuels desfamilles, l’acceptation de l’importancede la relation entre les soignants et lesparents et le développement de lacohérence entre professionnels afind’assurer la continuité des soins. Unprogramme de soins réellement centréssur la famille obéit aux principes sui-vants :– il met en valeur la collaboration plu-tôt que le contrôle ;– il se focalise sur les points forts et lesressources potentielles de la famille plu-tôt que sur ses déficiences ;– il reconnaît l’expertise des familles

Prématurés : à Brest et à Montpellier, les parents acteurs des soins

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comme celle des soignants ;– il encourage l’autonomie des famillesplutôt que la dépendance ;– il développe l’information partagéeentre les patients, les familles et les soi-gnants plutôt que l’information sélec-tionnée par les professionnels ;– il encourage la flexibilité et l’adaptationplutôt que la rigidité des protocoles.

Travail conjoint soignant/parentsLe programme Nidcap (Newborn

Individualized Developmental Careand Assessment Program), (voir aussil’article page suivante) est opérationnelà Brest et à Montpellier, mais aussi àValenciennes et à Toulouse. Par ailleurs,plusieurs centres – à Strasbourg, Caen etSaint-Denis de la Réunion – sont prêtsà démarrer la formation pour sa mise enœuvre.

Nidcap se propose d’implanter etd’utiliser les soins de développement defaçon individualisée et dans une per-spective familiale. L’outil de base estl’observation rationnelle du comporte-ment du nouveau-né pendant les soins,observation conjointe d’un soignant etdes parents. Cette observation permetde définir un programme de soins spé-cifique de l’enfant, afin d’obtenir lemeilleur équilibre des fonctions végéta-tives, motrices, du cycle veille-sommeilet de l’interaction avec l’environnement.Cette stratégie est mise en place de lanaissance de l’enfant à son retour àdomicile.

Cette démarche facilite le contactentre les parents et l’enfant (pratique du« peau à peau ») et la mise en place del’allaitement maternel, dont on connaîtles effets bénéfiques à court et à longterme chez les enfants les plus fragiles(prématurité, hypotrophie, etc.). Lesparents, plus proches de leur enfant etdisposant d’une meilleure connaissancede son comportement, voient leur sta-tut évoluer : de simples « visiteurs », ilsdeviennent ainsi des « partenaires » etvont donc pouvoir participer à l’orga-nisation des soins et apporter un sou-tien efficace à leur enfant lors de cessoins.

Une efficacité éprouvéeL’impact de ce programme paraît

bénéfique. Le nouveau-né présentemoins de ralentissements du rythmecardiaque (bradycardies), moins d’épi-sodes de diminution de la saturation en

oxygène du sang et des durées plus lon-gues de sommeil. Certaines équipes ontmontré une réduction de la morbiditénéonatale, une réduction de la duréed’hospitalisation et une amélioration du développement neurosensoriel àmoyen terme (9 mois) chez les enfantsprématurés pris en charge selon cesmodalités (3). Les effets bénéfiques ob-servés pendant l’hospitalisation persis-tent après le retour à domicile, puisqu’ilest constaté une amélioration des rela-tions parents-enfant, reposant sur unemeilleure connaissance de l’enfant parles parents.

L’implantation de ce programmenécessite une formation délivrée par lesNidcap Training Centers (centre fran-cophone au CHU de Brest). La forma-tion d’un nombre suffisant de profes-sionnels de santé (environ 10 % del’effectif d’une unité) est nécessaire afinque ces soins de développement indi-vidualisés deviennent un standard ausein de l’unité. La formation a un tripleobjectif :– apprentissage de la technique d’ob-servation comportementale ;– analyse réflective de la nature rela-tionnelle du soin ;

– réflexion sur les changements struc-turaux nécessaires à l’implantation duNidcap.

En effet, le Nidcap implique une inter-vention des parents dans les soins quo-tidiens au nouveau-né, voire dans le pro-cessus de décision, élément nouveau de la relation entre les parents et les soignants. Cela nécessite que l’équipesoignante médicale et para-médicaleaccepte véritablement la présence desparents en tant que partenaires de soinset leur donne une place significativedans l’unité. Cela représente souventune modification significative des pra-tiques de soins habituelles et nécessiteun accompagnement des soignantspour leur permettre une réflexion sur lebénéfice observé pour l’enfant, sur lesmodalités de guidance parentale et surl’impact émotionnel potentiel sur lessoignants.

Au total, les parents et les soignantsdoivent apprendre à se connaître afinde mieux se rejoindre pour élaborer dessoins de qualité, particulièrement adap-tés à chaque enfant. L’observation com-mune des compétences de l’enfantfavorise la vision commune permettantune véritable prise en charge globaleet individualisée.

Pr Jean-Charles Picaud

Chef du service de néonatologie,

hôpital Arnaud-de-Villeneuve, Montpellier.

Pr Jacques Sizun

Professeur des universités,

praticien hospitalier,

Pôle de la femme, de la mère et de l’enfant,

centre de formation Nidcap, CHU de Brest.

◗ Référencesbibliographiques

(1) Déficiences et handicaps d’origine péri-natale. Dépistage et prise en charge.Inserm : coll. Expertise collective, 2004 :376 p.(2) Cuttini M., Rebagliato M., Bortoli P., etal. Parental visiting, communication, and par-ticipation in ethical decisions: a comparisonof neonatal unit policies in Europe. Arch. Dis.Child Fetal Neonatal Ed. 1999; 81(2): F84-91.(3) Als H., Duffy F.H., McAnulty G.B., et al.Early experience alters brain function andstructure. Pediatrics 2004; 113(4): 846-57.

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Comment améliorer la qualité de vie des grands prématurés pour qu’ils soient moinsstressés et puissent se développer dans les meilleures conditions ? Dans plusieurs hôpi-taux de la région Paca et en Corse, des services de néonatalité associent les parentsaux soins, favorisent le contact « peau à peau » mère/enfant et permettent aux parentsde tisser des liens affectifs.

En région Provence – Alpes – Côted’Azur (Paca) et Corse-du-Sud, environsix cents enfants naissent, chaque année,très prématurément (avant trente-troissemaines). Les naissances prématuréessont en forte augmentation depuis dixans en raison, d’une part, du recours plusfréquent à la procréation médicalementassistée, d’autre part, grâce aux progrèstechniques de la prise en charge néona-tale permettant la survie d’enfants d’âgegestationnel de plus en plus bas. Face àces progrès, il est primordial de se pré-occuper du développement et de la qua-lité de vie de ces enfants. En effet, denombreuses études montrent que lestrès grands prématurés vont présenterdes difficultés du développement et desapprentissages au cours de leur évolu-tion. Nous savons que l’environnementpérinatal joue un rôle fondamental dansla « construction » de ces enfants imma-tures. La prise en charge spécifiquepour pallier le raccourcissement de« l’expérience utérine » est une prioritépour les équipes de néonatologie. Letonus musculaire du fœtus se dévelop-pant dans les deux derniers mois degrossesse, cette expérience utérine estle support d’un développement moteurharmonieux.

Le développement posturo-moteurdu fœtus dans l’utérus et du prématurédans la couveuse est très différent. Dansl’utérus, le fœtus est en position fléchie,les mains près du visage, il n’est pas sou-mis à la pesanteur et peut donc attraperses mains, sucer son pouce et explorerl’espace devant lui. Dans une couveuse,le bébé est en hyperextension, l’empê-chant de découvrir son environnement.Or, le docteur Albert Grenier (NDLR :spécialiste reconnu de la motricité chezle nouveau-né) rappelle qu’il faut pré-

server le capital physique de tout nou-veau-né afin d’éviter « le facteur addi-tionnel » des séquelles posturales. Il seréfère au nouveau-né à terme qui, à lanaissance, doit s’adapter à la pesanteuret utiliser le tonus musculaire acquis enfin de grossesse. Albert Grenier proposealors pour l’enfant prématuré un posi-tionnement des hanches, prémisse du« cocon ». Ce cocon permet de remédierà des inconvénients multiples dus à lagrande prématurité : le reflux gastro-œsophagien douloureux pour l’enfant,qui va le gêner dans ses acquisitions etretentir sur son sommeil ; les attitudesinappropriées qui, sur le plan du déve-loppement psychomoteur, entraventl’évolution naturelle du corps, qui per-met l’acquisition de la tenue de tête, duretournement, de la station assise, du« quatre pattes » et de la station debout.L’investissement de l’espace est altéré etil mettra du temps à acquérir une coor-dination, une construction du schémacorporel retentissant sur les premiersapprentissages scolaires (lecture, écritureet calcul). Sur le plan relationnel, lesyeux fixés au plafond, le bébé a du malà regarder son entourage et à tisser ainsides liens affectifs.

Le cocon reconstitue la position fœtale

Une mesure de prévention simpleest donc de « posturer » ces enfants enposition fœtale, en flexion dans des« cocons » (berceau de mousse). Lecocon devient une limite rassurante etprotectrice, il facilite la motricité dirigéeet libérée du bébé. Il maintient le bébédans des attitudes fonctionnelles et luioffre le maximum de mobilité. L’enfantest « contenu » dans ce cocon rassurant,qui lui donne des limites dans l’espace,ce qui permet de le stabiliser, jouant un

rôle antistress. Ce cocon de sortie estutilisé en moyenne jusqu’à 4 mois d’âgecorrigé (l’âge corrigé correspond à l’âgequ’il devrait avoir s’il était né à terme),quand l’enfant commence à tourner dudos sur le ventre. À l’hôpital, le cocon,par la variété de ses formes et de sesdimensions, peut être utilisé quel quesoit le poids de l’enfant, le type de cou-chage et l’unité dans laquelle il esthospitalisé. Il évolue avec le bébé ets’entretient facilement.

Le cocon procure à l’enfant préma-turé la possibilité de se rapprocher de« l’expérience utérine » interrompue.C’est un outil de réconfort dans dessituations de stress par son pouvoircontenant et est un élément précieuxqui aide à se construire en évitant lesattitudes dangereuses. Il facilite le déve-loppement. À domicile, l’intérêt ducocon se prolonge en évitant les attitu-des inappropriées qui entraveraient sondéveloppement et contribueraient à desdifficultés des apprentissages et enaméliorant le sommeil. Ces cocons ontdéjà été testés dans certains centreshospitaliers, d’autres les évaluentactuellement. Les progrès techniquesde prise en charge des enfants préma-turés ont permis d’améliorer leur tauxde survie. Cependant, les soignants nedoivent pas oublier l’importance de« l’installation » des bébés hospitalisés, etprogresser sans cesse afin d’améliorerleur qualité de vie et favoriser l’acqui-sition des apprentissages. Le servicenéonatal de l’hôpital Nord, à Marseille,a été le pionnier pour le cocon, suividepuis par d’autres hôpitaux de larégion (Conception et Saint-Joseph, à Marseille, un autre établissement àToulon) où il est en cours d’expéri-mentation.

À l’écoute des parents, pour réduire le stress des grands prématurés

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La modification des pratiquesprofessionnelles

Si le cocon est une nouvelle tech-nique d’installation du prématuré, il s’in-tègre également dans un courant depensée prônant la « bientraitance » deces enfants. Dans les années 1960, unepsychologue allemande, Heidelise Als,s’est révoltée contre les soins de routine.Son observation attentive du compor-tement des nouveau-nés l’a conduite àmettre en place un nouveau mode desoins appelé Nidcap (Newborn Indivi-dualized Developmental Care andAssessment Program, « programme indi-vidualisé de soins et d’évaluation dunouveau-né »). Il est fondé sur le respectde la compétence de l’enfant prématuréoù l’enfant est considéré comme l’ac-teur principal de son propre dévelop-pement, articulé autour de sous-systè-mes en étroite interaction et soumis àl’influence de l’environnement.

C’est l’esprit de l’approche Nidcapque nous avons mis en œuvre dans leservice de médecine néonatale de l’hô-pital de la Conception, à Marseille : lessoignants maîtrisent des techniques desoins très sophistiquées (prise de sang,radiographies, aspirations, etc.) maisqui perturbent le comportement desprématurés. S’inspirant de la théorie deAls, les soignants essaient de rendre lessoins plus humains de façon à ressem-bler aux conditions de la vie utérine :lutter contre la lumière trop vive destubes fluorescents en couvrant la cou-veuse avec des couvertures à doubleface (claire et foncée) pour reproduirel’alternance jour/nuit et rapprocherainsi l’enfant de la physiologie ; éviterles nuisances sonores en prenant gardeà ne pas poser brutalement un objet surl’incubateur, ouvrir et fermer les hublotsavec douceur car la couveuse amplifieces bruits ; réduire le niveau sonore desconversations et des alarmes dans lesbox. Afin de respecter le rythme de l’en-fant, les soins sont regroupés pour nepas surstimuler son cerveau hypersen-sible ce qui le perturberait et l’empê-cherait de se construire. En effet, lescompétences comportementales dunouveau-né prématuré sont spécifi-quement adaptées à l’environnementintra-utérin. Les stimulations excessivespeuvent entraîner des stratégies dedéfense et de retrait traduisant un étatde stress. La douleur, qu’elle soit due àune pathologie de l’enfant ou aux tech-niques de soins, est également prise en

compte ; un traitement antalgique estutilisé et son efficacité est vérifiée pardes scores de douleur adaptés au nou-veau-né. Les soignants développent desmodes d’approche de ces enfants rédui-sant le stress et favorisant leur bien-être.

Le changement des relationsparents-soignants

Le soignant en charge de l’enfantaccueille les parents lors de leur pre-mière visite, leur explique les mesuresd’hygiène (lavage de mains, port deblouse), l’organisation du service. Ildevient l’interlocuteur privilégié desparents : au chevet de leur enfant, ildonne des nouvelles de l’état de santé,leur explique le fonctionnement desdifférents appareils de surveillance, leurpropose de consulter le dossier de soinsqui est à leur disposition dans le boxde l’enfant. Les parents deviennent alorsdes partenaires de soins et non plus desimples visiteurs. Afin de lutter contreles effets de la séparation brutale de lamère et d’apaiser l’enfant, on demandeaux parents d’amener un « doudou »portant l’odeur de la mère que l’onplace près du visage de l’enfant, et ce,même dans un incubateur. La famille estencouragée à maintenir les rites de lanativité. Dès que l’état de santé de lamaman le permet ou lorsqu’elle se sentprête, les soignants lui proposent departiciper à la toilette de son bébé etde pratiquer la méthode du « peau àpeau ». Même en cas de ventilation arti-ficielle et à condition que l’enfant soitstable, ce contact peut être réalisé. Lepère peut également participer à cesoin. Ainsi, l’enfant et sa famille sontplacés au centre des préoccupationsdes soignants et leur attitude vise à« dédramatiser » la situation et à « resti-tuer » l’enfant à ses parents.

Les interactions précocesparents-enfant

En privilégiant la place des parentsauprès de leur enfant et en les encou-rageant à participer à la toilette et auxsoins de leur bébé, les parents se sen-tent restaurés dans leur rôle. Ils s’ap-proprient leur enfant qui leur avait étéen quelque sorte « dérobé » en partie parles soignants du fait de la haute tech-nicité des soins nécessaires. Ils devien-nent alors capables d’investir cet êtresi éloigné de l’enfant imaginaire et detisser des liens affectifs avec lui, dereconnaître ses besoins spécifiques etde s’adapter à sa demande.

L’intégration des parents au serviceest favorisée par un accueil au téléphoneet par une visite dans toutes les unités24 heures sur 24 depuis de nombreusesannées. Plus récemment, le service s’estdoté d’un secteur parents-enfants où lesparents sont hébergés auprès de leurenfant hospitalisé. Il s’agit d’un passagenon obligé mais souvent souhaité par lesfamilles avant la sortie définitive. Cetteétape leur permet de bénéficier d’uneautonomie mais aussi de la présence ras-surante et réconfortante du personnelsoignant qui les accompagne jusqu’auretour à domicile. Cette nouvelle philo-sophie de soins a permis de faire évoluerles pratiques professionnelles et modi-fier les relations entre parents et soi-gnants. Elle permet de favoriser les inter-actions précoces entre les parents et leurenfant. Il nous faudra en évaluer le béné-fice individuel sur le développement deces bébés à court, moyen et long termes.

Patricia Garcia-Méric

Praticien hospitalier1,

Marie Fabre-Grenet

Neurocomportementaliste2,

Christiane Bertolozzi

Cadre supérieur1,

Danielle Salducci-Lefort

Kinésithérapeute2,

Céline Baccous

Cadre de santé1,

Umberto Simeoni

Chef du service de médecine néonatale1,

1. Service de médecine néonatale, hôpital de laConception, Marseille.2. Centre d’action médico-sociale précoce (Camsp),hôpital Nord, Marseille.

◗ Bibliographie• Updike C., Rosemary E., Schmidt R.E., et al.Positional support for preterm infants. Am. J.Occup. Ther. 1986; 40: 712-5.• Amiel-Tison C., Gosselin J. Développementneurologique de la naissance à 6 ans. Mon-tréal : hôpital Sainte-Justine, coll. Intervenir,1998 : 160 p.• Salducci-Lefort D. Soins de rééducation chezles bébés à risque. J. Pédiatr. Puériculture2003 ; 16 : 70-1.• Vaivre-Douret L., Ennouri K., Jrad I., et al.Effect of positioning on the incidence ofabnormalities of muscle tone in low-risk pre-term infants. Eur. J. Paediatr. Neurol. 2003a;8: 21-34.• Amiel-Tison C. Neurologie périnatale. Paris :Masson, coll. Périnatalité, 2005 : 320 p.• XXXVIIes Journées nationales de néonatologie.Paris, 22-23 mars 2007.

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35LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

À la maternité du CHU de Montpellier, une expérience d’accompagnement des femmesenceintes toxicomanes pendant leur grossesse avec une phase d’hospitalisation a faitreculer le taux de placement de leur nouveau-né de 60 % à moins de 4 %. Ce résultatspectaculaire est le fruit d’un accompagnement collectif des professionnels, d’un accueilmédical centré sur la grossesse, d’une écoute, d’une prise en compte des difficultés etde la culpabilité exprimées par ces femmes.

La maternité du CHU de Montpel-lier effectue trois mille accouchementspar an. Elle est située en Languedoc-Roussillon, région qui a développé unedémarche de prévention en périnatalitéet du travail en réseau. Les soignants ycollaborent, depuis vingt-cinq ans, avecl’équipe de pédopsychiatrie de Fran-çoise Molénat dans un esprit de pré-vention des troubles de l’attachementparents-enfant.

Il y a dix ans, nous avions des diffi-cultés avec les femmes enceintes toxi-comanes. Elles cachaient leur toxico-manie, faisaient rarement suivre leurgrossesse, accouchaient dans un climatd’urgence, les hospitaliser était difficile.Le regard des professionnels sur cesmères était lourd, jugeant et culpabili-sant. Elles sortaient souvent rapidementde l’hôpital, sans l’accord des médecins,et avant que l’équipe de la maternitépuisse collaborer avec elles. Leur enfantétait hospitalisé dans le service depédiatrie pour la surveillance et le trai-tement d’un syndrome de sevrage(NDLR : le bébé de mère toxicomane estdépendant physiquement et doit effec-tuer un sevrage), puis il était placé à lasortie de son séjour en pédiatrie.

L’équipe de la maternité a vouluaméliorer la prise en charge des fem-mes enceintes toxicomanes. Nousavons voulu montrer qu’il était possiblede les suivre, de collaborer avec elleset d’améliorer l’état de santé de la mèreet de l’enfant. Nous avons choisi de lesrencontrer pour leur demander cequ’elles souhaitaient, afin de partir de

l’expression de leurs craintes et de leursbesoins. Ces mamans souhaitaient n’êtreni stigmatisées, ni jugées, ni étiquetées,mais prises en compte comme des fem-mes enceintes. Leur plus grande inquié-tude était le placement de l’enfant. Nousavons donc également dû sécuriser lesprofessionnels puis soutenir la com-munication entre les patientes et lesprofessionnels.

Les actions mises en place par l’équi-pe de maternité au CHU de Montpellier,depuis 1997, visaient à :– faciliter l’accès aux soins des femmesenceintes toxicomanes, en créant unaccueil spécialisé, en début de gros-sesse, par une sage-femme référente,accueil vécu comme moins stigmati-sant ;– les prendre en charge comme toutesles grossesses à risque, avec les mêmesprotocoles et les mêmes profession-nels ;– personnaliser leur accompagnementpendant toute la grossesse ;– soutenir le lien mère/enfant par unehospitalisation conjointe prolongée enmaternité.

Le premier accueil de la femmeenceinte par la sage-femme spécialisée,proposé le plus tôt possible pendantla grossesse, est un espace de rencon-tre et de dialogue. Le père est pris encompte et convié à participer. La sage-femme répond aux interrogations desparents sur les effets des drogues et/oudes médicaments sur la grossesse et lefœtus. Elle propose un suivi structuréet important afin de réduire les risques

de la toxicomanie sur la grossessecomme la maternité l’a conçu pour tou-tes les grossesses à haut risque (exem-ple : les mères diabétiques). Nous éta-blissons ensemble le planning de sonsuivi. Les choix des parents sontrespectés et valorisés. Par exemple, siles parents choisissent un gynécologuelibéral, il sera intégré dans le suivimême si cela serait plus simple pournous de choisir un gynécologue denotre service. Plus le réseau de lapatiente est ouvert sur l’extérieur del’hôpital, plus la sage-femme devracoordonner les actions.

Au fil des entretiens, un point est faitsur tous les axes, en restant bien cen-tré sur la grossesse et l’arrivée du bébé.La sage-femme recherche les contactsde la future famille avec les profes-sionnels qui les entourent afin de lesintégrer dans le dispositif (réseau per-sonnel des parents). Nous apportonsun soin particulier aux craintes, auxpeurs, aux désirs des parents, à tou-jours rester dans un état d’esprit posi-tif. Il est nécessaire de permettre auxparents de disposer de toutes les expli-cations nécessaires, voire de traduire lelangage médical afin qu’il soit com-préhensible.

Un suivi coordonné entre professionnels

Du début de la grossesse à la sortiede la maternité, une grande vigilances’impose. La sage-femme effectue un« suivi du suivi ». Lorsque les femmesenceintes ne viennent pas aux rendez-vous, elle les rappelle et réajuste la

Périnatalité et toxicomanie : commentpréserver la place des parents ?

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prise en charge. L’orientation vers unautre professionnel s’effectue en fonc-tion de l’expression d’un besoin par lesparents et non sur leurs facteurs derisque perçus a priori par les profes-sionnels. Les aides (intervention àdomicile, travailleuse familiale, aideménagère, travailleur social, soutienpsychologique) sont proposées au caspar cas, au fil du suivi. En cas d’orien-tation vers un autre professionnel, lapatiente est revue en consultation peude temps après pour évaluer la perti-nence et la qualité de cette rencontre,un réajustement est opéré si besoin(reprise des blocages dans la commu-nication, explication du fonctionne-ment des institutions, appel du profes-sionnel devant les parents, etc.).

Toutes les transmissions entre pro-fessionnels doivent avoir du sens pourles parents et être suffisantes pouraider le professionnel à travailler. Ellesne doivent pas l’encombrer mais luidonner les moyens d’être à l’aise danssa place. Pour cela, il faut aussi expli-quer aux parents les besoins des pro-fessionnels et tenter de clarifier lesbesoins des parents, sur la base duvécu de leurs antécédents, et non entermes de manques, de faiblesses, dedéficiences. Le faire devant et avec euxpermet d’avoir un langage respectantau mieux leur place. Une relation deconfiance se crée progressivement etpeut se transmettre de professionnelà professionnel de cette façon. Plus lestransmissions sont transparentes, plusles parents ressentent une maîtrise surleur environnement. Le lien entre l’in-térieur de l’hôpital et l’extérieur estcapital, notamment avec le médecingénéraliste qui, souvent, est présentauprès de la famille depuis longtempset le restera.

À partir du 6e mois de grossesse, desmonitorings seront effectués à domicile(protocole des grossesses à risque) parune sage-femme de PMI ou une sage-femme libérale. La préparation à la nais-sance est plutôt centrée sur le corps etsur la place du père. Une consultationest proposée avec un pédiatre en vue depréparer les parents au sevrage que leurenfant devra subir si la mère est dépen-dante (opiacés, tranquillisant, cocaïne,etc.). Il va en expliquer les modalités,le traitement (soins de nursing et médi-caments), l’aide capitale que la mèrepourra apporter à son enfant dans cette

épreuve et le soutien qu’elle trouvera dela part de l’équipe de maternité. Il vaégalement préparer le suivi de cetenfant.

Éviter la rupture entre l’avant et l’après-naissance

Avant la naissance, la sage-femme dePMI et le pédiatre vont préparer la placede la puéricultrice de PMI et de l’aidenécessaire au retour à la maison. Avecles parents, la sage-femme référente vapréparer tout ce qui va se passer autourde la naissance. Elle va permettre laconfrontation de la réalité de l’hospita-lisation en maternité avec leurs repré-sentations (visite de la salle d’accouche-ment, du service de suites de couches,rencontres avec les équipes). L’occasiond’effectuer des transmissions oralesdevant les parents, qui sentiront ainsi latonalité de la communication et satransparence. Quand la mère sera hospi-talisée, elle pourra vérifier les bienfaitsde cette anticipation et ce sera alors plusfacile pour préparer les aides nécessai-res au retour à domicile.

Pendant le séjour mère-enfant enmaternité, la puéricultrice de l’unitéKangourou (pédiatrie II, CHU) met touten œuvre pour assurer la continuité dusuivi et éviter ainsi toute rupture entrel’avant et l’après-naissance. Tout est faitpour favoriser la communication entreles professionnels et les parents, notam-ment la surveillance du sevrage dubébé, qui se fait en commun et dans ledialogue. La puéricultrice remplit avecla mère les scores d’évaluation dessignes de sevrage de l’enfant plusieursfois par jour, ce qui leur permet de dis-cuter de ce sevrage qui culpabilise tantces mères.

Le père est impliqué dans les soinsdu nouveau-né le plus tôt possible, lerelais n’étant pris par l’équipe quelorsque les parents en ont besoin. Ilspeuvent ainsi percevoir leurs limites etdemander de l’aide. Cela prépare l’in-troduction des aides à domicile : pué-ricultrice de PMI, travailleuse familiale,assistante maternelle, etc. Un soin estaussi apporté aux besoins exprimés etsurtout à l’expression des sentiments dela mère, en particulier la culpabilité.

Organiser le retour à domicileLa sortie est organisée, si besoin, en

collaboration avec des travailleurssociaux. Il est nécessaire d’anticiper

avec les parents le retour à la maison,ne pas leur laisser croire que tout serafacile. L’équipe insiste sur l’intérêt del’accompagnement au long court parune puéricultrice de PMI et organisesa première visite si possible dans lesquarante-huit heures qui suivent lasortie.

Depuis dix ans, au CHU de Mont-pellier, le nombre de femmes encein-tes toxicomanes désormais identifiéesà la maternité au début de leur grossessea augmenté, passant de deux à cin-quante femmes par an. Les paramètresobstétrico-pédiatriques (diminution dela prématurité et de la souffrance fœtale,c’est-à-dire défaut d’oxygénation dufœtus…) ont été améliorés, il n’y a plusde sorties contre avis médical et unemère peut être gardée trois semainesen maternité si besoin. Les rupturesmère-enfant sont en très net recul. Eneffet, le taux de placement a diminué,passant de 60 % à 4 %, en outre ces pla-cements sont préparés avec les mères,ce qui permet d’éviter la rupture com-plète du lien mère-enfant. À noter éga-lement une amélioration de la prise encompte des émotions des parents. Lepère est présent dans 75 % des cas, tauxsupérieur à ceux relevés dans d’autresdispositifs.

Pour conclure, la base de ce projetest un accueil par un professionnel dela grossesse. Ce qui est perçu par lesparents comme moins intrusif, sur labase d’un respect des choix et desbesoins des parents. Le réseau est donctrès personnalisé, avec une cohérencepluridisciplinaire coordonnée par unesage-femme. Une anticipation perma-nente doit être envisagée de la part desprofessionnels, afin de formuler despropositions aux parents au fur et àmesure de leur progression. Cet étatd’esprit a été appliqué avec succès àd’autres vulnérabilités : pathologiespsychiatriques, précarité, antécédentsobstétricaux traumatiques, etc. Il pour-rait l’être à tous les parents dans le cadredu Plan périnatalité 2005, à partir del’entretien du premier trimestre de gros-sesse.

Corinne Chanal

Sage-femme, coordinatrice

« grossesse et addictions »,

service de gynécologie-obstétrique C,

hôpital Arnaud de Villeneuve,

CHU de Montpellier.

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L’allaitement maternel est peu répandu en France, en particulier dans les populationsdéfavorisées. Des réseaux de professionnels de la périnatalité accompagnent les jeunes mères pour leur offrir des conditions plus procices à l’allaitement. Des « accom-pagnantes » spécialement formées soutiennent les mères autour d’elles, dans unedémarche de proximité et de suivi individuel. Ce soutien va au-delà de l’allaitementet concerne l’ensemble de la parentalité.

L’allaitement maternel dans lespopulations vulnérables ou économi-quement défavorisées est peu pratiqué.C’est pourtant un facteur de préventionà court, moyen et long termes pour lamère et l’enfant. La mise en place deréseaux locaux de mères informées,dénommées « accompagnantes », quisoutiennent les autres mères autourd’elles, permet une promotion efficacede l’allaitement et constitue plus large-ment une action de soutien à la paren-talité. Elle augmente la confiance en soides participantes et favorise leur inser-tion dans la vie sociale.

L’allaitement maternel est une pra-tique qui interroge les milieux des pro-fessionnels de la santé périnatale, dela petite enfance mais aussi les cher-cheurs en sociologie et en psychologie.Ses déterminants sont complexes,variant selon les régions, les milieuxsocio-économiques et l’histoire indivi-duelle des parents.

En France, le taux d’allaitement à lanaissance est parmi les plus bas d’Eu-rope (1) (56 % en 2003) (2). Les duréessont également faibles, estimées àquelques semaines (3) (taux de 15 %à 3 mois) (1). Une enquête menée dansle Val-de-Marne montre que les fem-mes les plus diplômées ou d’origineétrangère allaitent le plus (de 70 à80 %) tandis que les femmes de niveauscolaire moyen (CAP ou équivalent)allaitent peu (45 %) (4).

Dans les milieux populaires, les dis-cours savants sur les bénéfices de l’al-laitement ont peu de poids et les fem-

mes prennent principalement conseilauprès de leur famille et leur entou-rage. Le plaisir de la relation avec l’en-fant est le premier argument en faveurde l’allaitement. L’absence de référen-ces familiales, le peu de confianceaccordée au corps maternel (et au laitqu’il peut produire), la difficulté à sereposer (durée du congé de maternitéet charge des aînés) sont des élémentsdécisifs dans le choix de l’alimentationau lait artificiel (5). Ce sont donc despopulations qui bénéficient peu desdispositifs existants délivrant de l’in-formation sur l’allaitement (préparationen prénatal, brochures, livres, soutienassociatif). De plus, dans les popula-tions d’origine étrangère, l’allaitementexclusif est rarement pratiqué.

Le non-allaitement implique unemorbidité plus importante. Ainsi, uneétude (6) s’est intéressée à la demandede soins la première année de vie desenfants selon leur mode d’alimentation.En cas d’infections respiratoires hautesou de gastro-entérites, le nombred’hospitalisations est multiplié par trois ;en cas d’otites, le nombre de visitesmédicales augmente de 35 %. Le non-allaitement a aussi un coût pour lesfamilles, environ 6 % du revenu pourune famille monoparentale au Smic.Pourtant, les acteurs sociaux savent quel’argument de la gratuité du lait mater-nel est en général contre-productif : lesfamilles veulent le meilleur pour leurenfant, donc, le plus cher. Les réseauxde pairs et de professionnels promou-vant l’allaitement utilisent la comparai-son du lait maternel avec de l’or, enindiquant par exemple, le prix du lait

vendu par les lactariums (environsoixante-dix euros le litre) ; cet argu-ment aide les mères à valoriser l’alimentqu’elles peuvent produire elles-mêmespour leur enfant. Une étude réalisée enFrance (7) montre qu’une augmentationde 5 % des taux d’allaitement impli-querait une économie des dépenses desanté de 2,5 M par an (chiffres de 1997).

Vingt heures de formationCes données tendent à démontrer

que des actions permettant à des fem-mes bien informées de soutenir les au-tres femmes allaitant autour d’ellesdans un réseau de proximité serontparticulièrement efficaces, en synergieavec le travail des professionnels desanté et des acteurs sociaux. C’est ceque vise le programme PraLLL. Auniveau international, ces actions sontdésignées sous le terme de Peer Coun-selor Program et sont valorisées dansplusieurs méta-analyses (8, 9). EnFrance, les réseaux locaux de parentssont encouragés, en particulier dans lecadre des Reeap (10, 11).

Dans un programme PraLLL, lesaccompagnantes à l’allaitement sontdes mères volontaires et formées, habi-tant le même quartier, de même niveausocio-économique ou partageant lamême culture d’origine. Elles consti-tuent un réseau de proximité, coor-donné par un responsable de réseau(professionnel de santé ou de la petiteenfance, travailleur social ou respon-sable d’association).

Les responsables de réseau reçoi-vent une formation de formateur de

Allaitement : des femmes-relais pour soutenir les jeunes mères

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cinq jours afin de constituer le réseauet le faire vivre. Des outils pédago-giques pour la formation de vingt heu-res des accompagnantes et l’évaluationdu programme leur sont fournis, ainsiqu’une documentation complète surl’allaitement.

Les formatrices du PraLLL sont tou-tes consultantes en lactation1 et ont unepratique d’animation de groupes desoutien. Elles réalisent une étude préli-minaire sur la population ciblée, les pratiques d’allaitement et les possibili-tés pratiques de l’intervention, lieux,moyens de transport, contraintes horai-res, etc. À cette étape, les professionnelsen exercice libéral, les travailleurssociaux et les associations du quartiersont contactés. Il est important que tousaient un discours cohérent et puissent,si besoin, adresser les femmes à desprofessionnels spécialisés.

Des rencontres mensuelles permet-tent d’échanger autour des difficultéséventuelles, de soutenir les accompa-gnantes et d’évaluer le programme.L’équipe du PraLLL assure, pendant troisans2, la supervision des responsables,qui ont aussi besoin d’être soutenus, et participe à l’évaluation de l’action

(recueil de l’activité des accompagnan-tes, questionnaires dans la populationcible et comparaison des taux d’allaite-ment enregistrés en PMI).

Trente pays concernésLe PraLLL est la version française du

programme de Peer Counselor de laLeche League International3. Plus dequatre cents programmes ont été mis enœuvre à ce jour dans une trentaine depays (12), en particulier aux États-Unis,au Canada, en Amérique du Sud, enNouvelle-Zélande, au Royaume-Uni eten Afrique. Il est en cohérence avec lesrecommandations éditées en France surl’allaitement (13-15). Au Royaume-Uni,où le programme est largement im-planté, une étude a montré que les éco-nomies générées en termes de dépensesde santé sont bien supérieures à son coût(16).

Le programme Peer Counselor faitpartie de dispositifs coordonnés àgrande échelle aux États-Unis par leWIC Department (17), au Royaume-Uni, et par l’Organisation mondiale dela santé. Les publications mentionnentune augmentation importante des tauxd’allaitement. D’autres retombées socia-les et comportementales sont notées.

Deux exemples (Mexique et Royaume-Uni) illustrent ces tendances.

À Mexico, un tirage au sort a été faitparmi des femmes souhaitant allaiter, ettrois groupes ont été constitués ; l’un abénéficié de six visites d’une accompa-gnante à l’allaitement en pré- et postnatal, le deuxième de trois visites, et legroupe contrôle n’a eu aucune visite.Les taux d’allaitement augmentent avecle nombre de visites, et, à trois mois,67 % des bébés du groupe « six visites »sont toujours allaités contre 12 % dansle groupe contrôle (18).

Au Royaume-Uni, dans un quartierouvrier de Sheffield, quatre ans après lamise en place du programme, le tauxd’initiation de l’allaitement est passé de20 % à 50 %. 11 % des bébés étaient tou-jours allaités à six mois, contre 2,5 % àquatre mois avant l’intervention. Lesmères interrogées soulignent la com-plémentarité entre accompagnantes etprofessionnels de santé, la qualité dusoutien reçu et leur plaisir d’avoir puvivre cette expérience. Le programme acontribué à la constitution de groupesde mères proposant des animations etdes activités dans le quartier (19). L’ana-lyse de vingt-six programmes après un

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an d’existence a montré qu’il étaitimportant que :– les représentations spécifiques despopulations ciblées soient prises encompte ;– les professionnels de santé recon-naissent le rôle des accompagnantes (ycompris en maternité) et les valorisentauprès des mères ;– les responsables de réseau soutien-nent les accompagnantes pour entre-tenir leur motivation (20).

La qualité de la formation des accom-pagnantes, qui doivent faire preuve detolérance et d’empathie, est jugée essen-tielle pour éviter les situations (excep-tionnelles, dans les publications) où lesfemmes ont le sentiment d’avoir été« contraintes à allaiter ». L’allaitementtouche à une part très intime dans l’ex-périence de la maternité et il importeque le cadre éthique des interventionssoit clairement précisé aux accompa-gnantes, qu’elles l’acceptent et que la

formation leur permette de s’exercer àune communication appropriée.

La mise en place de réseaux de pro-ximité pour le soutien à l’allaitement aobtenu dans différents contextes desrésultats très positifs qui s’expliquentpar la nature même de l’intervention.Les accompagnantes font partie de lapopulation ciblée et leurs représenta-tions du bébé et de ses besoins sontcohérentes avec celles des autresfamilles, ce qui facilite les échanges etles apprentissages. Les valeurs cultu-relles et les codes de langage qu’utili-sent les accompagnantes sont perti-nents et accessibles pour les femmesqu’elles soutiennent parce qu’elles ontune proximité importante ou apparte-nance en termes de classe, d’origine,d’histoire ou de milieux de vie. Cetteproximité et ce partage leur permettentd’être particulièrement efficaces pourinformer sur les pratiques favorisant lasanté et transmettre un modèle positif

lié à leur propre expérience. En France,plusieurs conseils généraux et réseauxde périnatalité étudient la mise en placedu programme dans leur région. Uneexpérience pilote financée en partie parle Groupement régional de santépublique du Languedoc-Roussillondevrait démarrer à Montpellier en 2008.

Danièle Bruguières

Consultante en lactation,

formatrice programme PraLLL,

organisme de formation AM-F4.

1. Les consultants en lactation sont certifiés par uncomité international indépendant, l’IBLCE, à l’issued’un examen qui valide des compétences théoriqueset pratiques pour la promotion de l’allaitement et l’ac-compagnement des familles. Elles sont actuellementcent quatre-vingts en France.2. À l’issue des trois ans, les professionnels ont les outilset l’expérience pour poursuivre le programme en fonc-tion des besoins.3. Ce réseau international de soutien de mère à mèrepour l’allaitement est actif dans soixante-dix pays.4. Tél. : 01 39 76 30 83 ou 06 62 00 88 46 – Cour-riel : [email protected]

◗ Références bibliographiques

(1) Promotion of breastfeeding in Europe. EUProject Contract N. SPC 2002359. Protection,promotion and support of breastfeeding inEurope: current situation. December 2003.http://ec.europa.eu/health/ph_projects/ 2002/promotion/fp_promotion_2002_a1_18_en.pdf (2) Inserm. Enquête périnatale 2003.http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/per-inat03/enquete.pdf(3) Branger B., Cebron M., Picherot G., De Cor-nulier M. Facteurs influençant la durée de l’al-laitement maternel chez 150 femmes. Arch.Pédiatr. 1998 ; 5 (5) : 489-96.(4) Gojard S. L’allaitement : une pratiquesociale différenciée. Inra, Recherches et Pré-visions 1998 ; 53 : 23-34.(5) Tillard B. Ce qu’il en coûte de nourrir. In :Bonnet D., Le Grand-Sébille C., Morel M.-F.(sous la dir.) : Allaitements en marge. Paris :L’Harmattan, 2002 : 244 p.(6) Ball T.M., Wright A.L. Health care costs offormula-feeding in the first year of life. Pedia-trics 1999; 103: 870-6.http://www.pediatrics.org/cgi/content/full/103/4/S1/870 (7) Leclercq A.-M. L’allaitement maternel :choix personnel, problème de santé publiqueou question de finance publique ? Mémoire deDESS en économie et gestion hospitalière pri-vée. Université de Montpellier I, 1996.(8) Shealy K.R., Li R., Benton-Davis S., Grum-

mer-Strawn L.M. The CDC Guide to Breast-feeding Interventions. Atlanta: U.S. Depart-ment of Health and Human Services, Centersfor Disease Control and Prevention, 2005.http://www.cdc.gov/breastfeeding(9) Lewin S.A., Dick J., Pond P., et al. Healthworkers in primary and community health care.The Cochrane Database of Systematic Review:CD004015, 2003.(10) Soutien à la parentalité et développementsocial local : quels réseaux pour quels intérêtspartagés ? Actes de la rencontre départe-mentale du 21 octobre 2002, organisée par leRéseau d’écoute, d’appui et d’accompagne-ment des parents (Reaap) du Val-d’Oise et lePôle de ressources départemental ville etdéveloppement social.(11) Compte rendu de la journée nationaleReaap 2005. http://reaap93.free.fr/article.php3?id_article=137 (12) Leche League International. Annual report2004-2005.http://www.llli.org/docs/05_LLLI_AR.pdf (13) Anaes. Allaitement maternel, mise enœuvre et poursuite dans les six premiers moisde l’enfant. Recommandations pour la pratiqueclinique, 2002.http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/Allaitement_recos.pdf http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/Allaitement_rap.pdf

(14) Société française de pédiatrie. « Allaite-ment maternel : les bénéfices pour la santéde l’enfant et de sa mère », brochure éditéedans le cadre du Programme national nutrition-santé, 2005.http://www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/nutri-tion/allaitement.pdf (15) Haute Autorité de santé. Favoriser l’allai-tement maternel. Processus-Évaluation. HAS :2006 : 55 p.http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/allaitement_epp_guide.pdf (16) Battersby S., Aziz M., Sabin K. The cost-effectiveness of breastfeeding peer support. Bri-tish Journal of Midwifery 2004; 12(4): 201-5.(17) Kistin N., Abramson R., Dublin P. Effectof peer counselors on breastfeeding initiation,exclusivity and duration among low-incomeurban women. Journal of Human Lactation1994; 10(1): 11-5.(18) Morrow A.L., Guerrero M. L., Shults J.,Calva J. J., Lutter C., Bravo J. Efficacy of home-based peer counselling to promote exclusivebreastfeeding: a randomised controlled trial.Lancet 1999; 353: 1226-31.(19) Battersby S. An evaluation of the mergedbreastfeeding Peer Support Programmes.(20) Dykes F. Governement funded breastfee-ding peer support projects: implications forpractice. Maternal and Child Nutrition 2005; 1: 21-31.

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La drépanocytose est une maladie génétique qui touche notamment les populationsd’Afrique subsaharienne. Les mères sont souvent et injustement stigmatisées après avoirdonné naissance à leur enfant. En France, des professionnels travaillent avec ces fem-mes pour les accompagner médicalement et psychologiquement et leur donner accèsà un diagnostic prénatal, pouvant ouvrir la voie à une interruption médicale de grossesse.

En France, les femmes immigréesoriginaires d’Afrique subsahariennepeuvent découvrir à l’occasion d’unaccouchement que leur enfant est por-teur d’une maladie génétique hérédi-taire qu’on appelle la drépanocytose.Cette maladie est pratiquement in-connue en Afrique subsaharienne, etlorsqu’elle l’est, elle est associée à undiagnostic de mort de l’enfant avantl’âge de 15 ans. En Europe, un enfantatteint peut avoir une espérance de vienormale s’il bénéficie d’un suivi médi-cal adéquat et de bonnes conditions devie. L’annonce, en France, de cettemaladie, au moment heureux d’unenaissance, représente un choc psycho-logique considérable parce que cettemaladie fait office de prédiction de mal-heurs (troubles pathologiques divers,hospitalisations fréquentes, difficultésdu suivi scolaire de l’enfant, stigmati-sation ou répudiation de la mère, sou-vent jugée responsable de la maladie del’enfant, isolement social des familles,etc.). La drépanocytose met donc aujour de nombreux préjugés, des pra-tiques de discrimination, des stratégiesde dissimulation pour éviter le stigmateet met en lumière des modèles variésd’acquisition de savoirs sur la maladie.Enfin, elle fait valoir des systèmes diver-sifiés de croyances et de valeurs scien-tifiques et/ou religieuses.

La connaissance de cette maladiereste, encore aujourd’hui, essentielle-ment confinée à un milieu scientifiquespécialisé. La drépanocytose fait mêmepartie des maladies que les médecinsappellent « orphelines » (rares), alorsqu’en France elle touche un plus grandnombre de malades que ceux atteintsde la mucoviscidose. Elle est inconnue

du grand public, de la plupart desenseignants et des éducateurs encontact avec des enfants drépanocytai-res, de certains médecins (urgentistes,généralistes, ou même pédiatres), et estrarement évoquée lors des émissionstélévisées du Téléthon. L’absence deconnaissance s’associe donc à uneabsence de reconnaissance sociale decette maladie tant en Afrique qu’enFrance. Même si l’on observe l’émer-gence de mouvements associatifs, enAfrique et en France, nombre defamilles continuent à se replier sur elles-mêmes, à dissimuler leurs connaissan-ces médicales à leurs parents ou à leurentourage par crainte des stigmatisa-tions sociales évoquées ci-dessus. Dansce contexte, la connaissance médicalede la maladie est liée à sa reconnais-sance sociale : lutter contre la stigmati-sation sociale, améliorer sa prise encharge, etc.

Culture d’origine pour expliquerl’inobservance : faux débat

Compte tenu de leur méconnais-sance des sociétés africaines, les pro-fessionnels de la santé en France onttendance à attribuer à la culture d’ori-gine l’explication de tout comporte-ment d’inobservance des malades. Lapolygamie, les structures familialescomplexes, les pratiques de maternage,les représentations quelquefois persé-cutives de la maladie, le recours auxmarabouts ou aux sectes religieusesdésorientent nombre d’éducateurs,d’enseignants et de praticiens des sec-teurs médicosociaux, éducatifs et juri-diques ; et, de fait, nombre d’entre euxconsidèrent ces populations comme unbloc homogène, prisonnier de ses cou-tumes ancestrales.

Pourtant, les travaux en sciencessociales menés sur la drépanocytose ontfait valoir une grande circulation dessavoirs profanes et médicaux et unevariété des modèles familiaux. Les Afri-cains qui résident dans les mégapolesafricaines, de même que ceux de Francene s’identifient plus exclusivement àdes groupes ethniques. L’identité del’individu se construit à partir d’une plu-ralité d’appartenances à des groupes deréférence (professionnel, religieux,associatif, politique). Ainsi observe-t-onune mutation globale de la famille afri-caine, une redéfinition des rôles en sonsein, et des processus communs d’in-dividuation.

Toute la difficulté de l’interactionavec le patient réside donc dans lareprésentation de l’Autre. Il s’agit detrouver un équilibre entre le risqued’une hypertrophie de la culture de l’Au-tre et le risque de sa sous-estimation. Deplus, les migrants ne se réfèrent pas uni-quement à une « culture de socialisationdans l’enfance » mais également à une« culture des institutions » politiques etreligieuses des pays d’origine. Prenonsle cas du diagnostic prénatal : nombrede femmes y sont réticentes. À l’écho-graphie, l’enfant n’apparaît pas commeun handicapé ; alors, elles ne com-prennent pas pourquoi le médecin leurpropose une amniocentèse (prélève-ment de liquide amniotique à des finsd’analyse) qui peut être suivie d’unerecommandation d’interruption médi-cale de grossesse si le fœtus est homo-zygote. Or, les femmes viennent de paysoù l’interruption volontaire de grossesseest encore, bien souvent, un acte illé-gal ou uniquement pratiqué lorsque lasanté de la femme est en danger. Les

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Drépanocytose : accompagner lesfemmes enceintes vers un choix éclairé

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migrantes sont donc confrontées à uneautre culture des institutions, à un autremodèle de santé et aussi du handicap.Seules les femmes multipares qui ontl’expérience de la souffrance, de la mortà répétition d’enfants en bas âge, ouencore de la lourde prise en charge deshospitalisations et des transfusions sonten mesure d’anticiper le devenir de leurvie reproductive et acceptent plusvolontiers de se soumettre à ce proto-cole de dépistage.

Confrontées à un autre modèle desociété, certaines familles migrantesvont très vite s’adapter à ces nouvellesmanières de « penser le corps » et vontmême devancer les propositions médi-cales (demandes de greffe de moelleosseuse) ; d’autres vont se laisser porterpar les conseils de la médecine d’unemanière passive, d’autres encore serontpeu enclines à s’y soumettre (famillesdites inobservantes, patientes perduesde vue). Là encore, les histoires de vie,les trajectoires thérapeutiques, le par-cours religieux et les expériences de lamaladie vont orienter les attitudes desunes et des autres.

Un contrôle médical abusif du corps de la femme ou un processus d’émancipation ?

La migration engage la femme dansune gestion différente de sa vie repro-ductive, avec une plus grande médica-lisation de la grossesse et de la nais-sance. L’intégration à un nouveau corpssocial – où s’expriment de nouvelles for-mes de conscience du corps et defaçons de se soumettre à des procédu-res médicales – conduit de nombreu-ses femmes dans un processus où, d’uncôté, elles peuvent exprimer de nou-veaux désirs et besoins qui font valoirles relations entre désirs, affects et tech-nologie, mais où, de l’autre, elles sem-blent assujetties dans leur corps à ce queMichel Foucault appelait « un dispositifde production étatique d’individua-tion ». Cette situation peut favoriser l’ex-pression de mécanismes d’acquisitionde l’autonomie mais également le res-senti d’un assujettissement du corps aupouvoir médical et au pouvoir politique.

Dans le contexte de la drépanocy-tose, le diagnostic prénatal offre à lafemme à la fois la possibilité d’exprimer

un choix individuel, de négocier unedécision avec son mari, de poser unacte dans un contexte conjugal où lagestion de son corps ne lui appartenaitpas toujours « en propre » mais aussi lesentiment de vivre une intrusion dumédical dans sa vie privée, de subir unegestion « assistée » de sa fécondité.

Ces familles, confrontées au choc dela réalité d’une maladie génétique, ten-tent de reconstruire un « nouveaumonde » dans lequel la médecine peutprendre une place qui déborde large-ment du médical proprement dit. L’in-dividu va être sollicité pour réfléchirconstamment aux conséquences de sesactes et à se remémorer ses expériencespassées pour se déterminer dans seschoix reproductifs. Ainsi, la femmemigrante drépanocytaire, au momentde décider d’un diagnostic prénatal etd’une interruption médicale de gros-sesse par consentement individuel, res-sent et exprime à travers son corps tou-tes les mesures émancipatrices etnormatives du corps social.

Doris Bonnet

Anthropologue, directrice de recherches,

Institut de recherche pour le développement,

Bondy.

Contact : [email protected]

◗ Bibliographie• Bonnet D. Rupture d’alliance contre rupturede filiation. Le cas de la drépanocytose enCôte-d’Ivoire. In : Dozon J.-P., Fassin D. Cri-tique de la santé publique. Une approcheanthropologique. Paris : Balland, coll. Voix etregards, 2001.• Bonnet D. La découverte de la maladie :entre l’annonce et le conseil génétique. Lecas de la drépanocytose en Ile-de-France.In : Lainé A. (sous la dir.). La drépanocytosedans le monde. Regards croisés sur unemaladie orpheline. Paris : Karthala, 2004 :171-88.• Bonnet D. À propos d’une maladie des ori-gines : ethnicité, catégorisation et identitésen santé. In : Chauvin P., Parizot I. avec lacollaboration de S. Revet. Santé et recoursaux soins des populations vulnérables.Paris : Inserm, coll. Questions en santépublique, 2005 : 277-94.• Bonnet D. Diagnostic prénatal de la dré-panocytose et interruption médicale de gros-sesse chez les migrantes africaines. Scien-ces sociales et santé 2005 ; 23 (2) : 49-66.

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À Paris et en Seine-Saint-Denis, deux expériences innovantes placent les profession-nels de la médecine et de la protection de l’enfance à l’écoute des patients, des famillesen difficulté et des migrants. Des « professionnels médiateurs » facilitent le dialogue poursoutenir les enfants en difficulté (Seine-Saint-Denis) et mieux prendre en compte ladouleur du patient (Paris). Des rencontres entre professionnels et familles permettentde cerner les besoins et d’adapter la prise en charge médicale ou psychosociale.

Qu’y a-t-il de commun entre unpatient atteint d’une pathologie chro-nique pris en charge dans un hôpitalparisien et une famille confrontée à desdifficultés d’éducation de leur enfant etrencontrant à cette occasion les profes-sionnels de la protection de l’en-fance ? Les deux mondes, celui de lamédecine et celui de la protection del’enfance, semblent a priori très éloi-gnés l’un de l’autre. Pourtant, ils ont encommun d’être le théâtre de rencontresentre des usagers1 profanes2, très sou-vent en situation de vulnérabilité, et desprofessionnels experts aux compéten-ces de plus en plus complexes. Cesdeux mondes ont également en com-mun d’évoluer constamment vers plusde spécialisation. En médecine, ce mou-vement suit l’inflation de l’outil techno-logique, diagnostic et thérapeutique.Dans le domaine de la protection del’enfance, la spécialisation va de pairavec un cloisonnement croissant entreprofessionnels, qu’ils soient éduca-teurs, assistants sociaux, enseignants,médecins, psychologues ou encorejuges. Le risque est alors grand de voirchaque professionnel dépositaire d’unfragment de plus en plus étroit de la pro-blématique de l’usager. Le morcelle-ment, voire la dilution des responsabi-lités professionnelles rend alors difficileune approche globale des situations.Chaque jour, dans notre exercice cli-nique, nous constatons qu’une distancese creuse entre les professionnels« experts » et les réalités concrètes etquotidiennes des usagers. Cette dis-tance est particulièrement prégnanteavec les migrants, qui heurtent parfoispar leurs modes d’agir et de penserculturellement différents (1).

Une parole profane dans un monde d’expertsDeux questions se posent :– comment faire comprendre aux usa-gers les logiques d’interventions desprofessionnels et leur permettre dedevenir acteurs de leur propre prise encharge ?– comment permettre l’émergenced’une parole profane dans un monded’experts, condition indispensable pourrompre l’isolement des patients etmobiliser les potentialités locales, fami-liales ou communautaires ?

Nous faisons l’hypothèse que les obs-tacles rencontrés dans la mise en œuvred’un projet thérapeutique ou socio-édu-catif3 pour un usager peuvent être liésà une prise en compte insuffisante dupoint de vue de ce dernier. Par une priseen compte réelle et active du point devue de l’usager, nous – professionnelsimpliqués dans cette problématique –souhaitons impulser une dynamiquenouvelle et intéressante pour tous. Pouratteindre cet objectif, nous devons, pourchaque situation, construire les condi-tions d’une allianceentre professionnelset usagers. Les professionnels suscepti-bles d’être concernés sont des médecinshospitaliers – lorsqu’il s’agit de faire faceà une maladie chronique –, des éduca-teurs, des assistants sociaux ou des pro-fessionnels de la protection maternelleet infantile (PMI), dans le cas d’une pro-blématique de protection de l’enfance.

Instance « parents-professionnels »

Tentant une réponse à ces questions,nous avons créé deux dispositifs demédiation :

• le premier, l’instance de concertation« Parents-professionnels » dans le do-maine de la protection de l’enfance enSeine-Saint-Denis. Initié dans le cadred’une recherche-action, ce dispositifdépartemental a pour objectif d’associerétroitement les parents aux mesures desoutien envisagées pour leur enfantdans le cadre de la protection de l’en-fance et de renforcer ainsi leurs chan-ces de succès (voir encadré ci-contre) ;• le second dispositif est né dans ledomaine médical autour de la prise encharge hospitalière de patients atteintsde pathologies chroniques. Sur ce der-nier terrain, nous avons créé depuis1999 un dispositif spécifique : la consul-tation interculturelle, au service deséquipes spécialisées de lutte contre ladouleur (CETD) chronique (3). Mise enplace initialement en partenariat avec leCentre d’évaluation et de traitement dela douleur de la Fondation Rothschild,à Paris, cette consultation est placée àdisposition des soignants confrontés àune impasse dans l’élaboration d’unprojet thérapeutique pour leur patientmigrant de première ou deuxième géné-ration (voir également encadré p. 44).

Les deux dispositifs ont de nom-breux points en commun : le premier– peut-être le plus significatif – est quechacun d’entre eux est sous la respon-sabilité d’un professionnel de l’institu-tion qui en assure également l’anima-tion concrète. Dans un cas, il s’agit d’unprofessionnel de l’institution départe-mentale4 maîtrisant les logiques de pro-tection de l’enfance et formé aux tech-niques d’entretien de groupe. Pour laconsultation interculturelle en méde-cine, il s’agit de médecins formés aux

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Écoute des patients et des familles :l’Ile-de-France innove

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approches cliniques ethnopsychia-triques. Notre objectif est de faire évo-luer les pratiques de l’intérieur mêmede l’institution, de manière à l’adapteraux usagers concernés ainsi qu’auxprofessionnels concernés. En évitantde faire appel à un tiers spécialisé dela médiation ou du « psy », nous mar-quons, de facto, la responsabilité del’institution dans la mise en place detels dispositifs de régulation. Les dispo-sitifs sont saisis par les professionnelslorsqu’ils rencontrent une difficultédans la mise en place d’un projet, qu’ilsoit thérapeutique ou socio-éducatif.En médecine, il peut s’agir, par exem-ple, d’un patient suivi par un centre detraitement de la douleur et qui refuseles traitements proposés pour desmotifs non élucidés. En protection del’enfance, il peut s’agir de profession-nels de la petite enfance confrontés,depuis plusieurs années, à la récur-rence de problèmes éducatifs pour desenfants dans une même famille sansvéritablement parvenir à repérer ce quimet en échec les interventions profes-sionnelles successives.

Approche culturelle pour dénouer des situations

L’accord des usagers pour participerà ces dispositifs est un préalableincontournable. Il va permettre la ren-contre, dans un même lieu, des profes-sionnels et des usagers concernés par laprise en charge. Dans toutes les situa-tions ou il apparaît que l’approcheculturelle peut aider à mieux compren-dre et à dénouer une situation, nous fai-sons appel à la collaboration d’un pro-fessionnel médiateur de même origineque l’usager. Sa connaissance intimedes systèmes familiaux et des ressour-ces communautaires est alors une aideprécieuse.

Dans les deux dispositifs, le premiertemps de la rencontre permet de clari-fier devant l’usager et ses proches leprojet professionnel le concernant, qu’ilsoit médical ou socio-éducatif. En don-nant à l’usager les moyens de com-prendre les logiques qui sous-tendentle projet professionnel, nous luiouvrons la possibilité de le question-ner et d’en devenir un partenaire actif.

Dans un second temps, nous sollici-tons le point de vue de l’usager sur lesens que prend pour lui et sa famillel’événement le concernant, qu’il s’agissed’une maladie ou d’un problème deprotection de l’enfance. Il participe alorsà la production des informations, dessavoirs et des interprétations concernantsa propre problématique. Et il n’est pasrare de faire émerger une définitionbeaucoup plus large que celle que luiattribuait initialement le professionnel.

Une fois les deux points de vueexprimés, celui du ou des profession-nels, d’une part, celui de l’usager et deses proches, d’autre part, l’animateur dudispositif construit une interprétationles articulant. Il permet alors que l’in-tervention professionnelle fasse sens ets’inscrive dans le monde du patient.

En agissant ainsi, nous cherchons àmobiliser l’ensemble des ressourcespossibles, celles proposées par les pro-fessionnels mais également celles s’ap-puyant sur les potentialités de l’usageret de ses proches.

L’instance de concertation « parents-pro-fessionnels » est un dispositif mis à ladisposition des professionnels de Seine-Saint-Denis, œuvrant dans le champ dela protection de l’enfance. Initié dans lecadre d’une recherche-action, il a pourobjectif d’associer étroitement les parentsaux mesures de soutien envisagées pourleur enfant et de renforcer ainsi leurschances de succès.

Les principaux objectifs sont :– d’associer le plus en amont possible lesparents à l’élaboration des projets ou mesuresde soutien envisagés dans le cadre de la pro-tection de l’enfance ;– d’identifier et de mobiliser l’ensemble des res-sources, familiales et institutionnelles, dansune logique de coresponsabilité pour la miseen œuvre du projet.

Dans ce dispositif, inscrit dans le systèmedépartemental de protection de l’enfance, lesparents confrontés à des problèmes éduca-tifs et les professionnels spécialisés peuventtravailler ensemble, avec l’appui de tiers,

autour des difficultés rencontrées et co-cons-truire des projets de soutien. Le dispositif viseà rendre lisible le projet du professionnel etles logiques institutionnelles ; il favorise aussil’émergence des interprétations de la famillesur les difficultés rencontrées et la mobilisationdes ressources familiales disponibles. L’inten-tion est d’initier d’autres postures profession-nelles, d’autres pratiques, replaçant la familleau centre de l’élaboration des projets quechaque service, chaque professionnel estamené à construire au nom de la protectionde l’enfance.

Participent à l’instance de concertation :– la famille concernée par les difficultés : lepère et la mère de l’enfant naturellement maiségalement d’autres acteurs familiaux impliquésou susceptibles de l’être : grands-parents,oncle, tante, etc. L’enfant, lui-même, directe-ment concerné pourra, avec l’accord de sesparents participer à l’instance ;– le ou les professionnels impliqués dans lerepérage des difficultés de l’enfant et ceux impli-qués dans l’élaboration d’un projet de soutien ;– le tiers : le dispositif est sous la responsabi-

lité d’un professionnel de l’institution qui enassure également l’animation concrète. Cesprofessionnels, médecin de PMI, assistantesociale ou éducateurs spécialisés, intervien-nent en binôme. Ils maîtrisent les logiques deprotection de l’enfance et sont formés aux tech-niques d’entretien de groupe.

L’instance de concertation est conçue commeun outil technique à disposition de profession-nels volontaires. Compte tenu de son origina-lité, les promoteurs et les services départe-mentaux concernés (Aide sociale à l’enfance,PMI et service social) ont, dès son origine, enca-dré le dispositif d’une évaluation menée par unsociologue indépendant. Les résultats de cetteévaluation étant particulièrement encoura-geants, une extension du dispositif à l’échelondu département est en cours de réalisation.

S. B.

Contact : Circonscription PMI du Raincy,87, boulevard de l’Ouest – 93240 Le RaincyTél. : 01 43 02 61 18 – Courriel : [email protected]

Protection de l’enfance : une instance de concertation« parents-professionnels »

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Un besoin de « reliance »Devant les problèmes posés par la

complexification croissante des mon-des professionnels, Edgar Morin (4)introduit la notion de « reliance », pourcaractériser notre capacité à établir despasserelles ou des liens entre un sujetet ces mondes professionnels. Il l’érigeen impératif éthique de nos sociétésmodernes.

Si la distance avec ces mondes pro-fessionnels est particulièrement mise enlumière pour les migrants, elle est éga-lement vraie pour les patients dits« autochtones ». C’est donc bien l’acces-sibilité et l’intelligibilité des systèmesprofessionnels qui est questionnée etnon pas une difficulté spécifique quiserait l’apanage du migrant (5). Le typede démarche que nous proposons estune réponse possible à ces nouveauxdéfis, cependant elle ne doit pas êtredéléguée à des institutions tierces, quels

que soient leur savoir-faire et leur expé-rience dans ce domaine. C’est à l’inté-rieur même des mondes professionnelsconcernés que nous devons construiredes outils de régulation qui permettrontde répondre à ces questions. Formerdes professionnels capables d’être desmédiateurs dans leur propre institutionest une réponse originale, à la hauteurdu défi à relever.

Serge Bouznah

Médecin de santé publique,

association Ipaos, Culture et Santé, Paris.

1. Par commodité, le terme usager est employécomme catégorie générique renvoyant à ceux quiutilisent un service public, que ceux-ci soient despatients pour l’hôpital ou des familles pour les servi-ces de protection de l’enfance.2. Utilisé dans le sens de celui qui n’a a priori aucuneconnaissance dans une science par opposition à l’expert.3. Qu’il soit thérapeutique en médecine ou éducatifen protection de l’enfance.4. Il s’agit d’animateurs intervenant en binôme : méde-cin de PMI, assistante sociale ou éducateur spécialisé.

Le Centre clinique de consultation inter-culturelle est né, en 1999, d’une collabo-ration entre le Centre d’évaluation et detraitement de la douleur (CETD) de la Fon-dation Rothschild et une équipe de méde-cins et de médiateurs formés à l’approcheinterculturelle de la maladie, appartenantà l’association Ipaos Culture et Santé.Cette consultation interculturelle estactuellement mise à disposition des équi-pes hospitalières spécialisées dans laprise en charge de pathologies chro-niques et notamment les centres spécia-lisés de lutte contre la douleur chroniquede Paris et sa région.

Le Centre clinique de consultation intercultu-relle est un recours lorsqu’une équipe soi-gnante est confrontée à une impasse dans lamise en place ou dans le développement d’unprojet thérapeutique pour leur patient migrantde première ou seconde génération. Les pro-blématiques observées vont de la non-adhésionaux thérapeutiques proposées à la dépen-dance excessive vis-à-vis du système médicaldans des situations où les soignants sont sou-vent, eux-mêmes, convaincus qu’une réponseexclusivement de type médical est inadaptée.

Les objectifs poursuivis sont :– aider les équipes médicales à mieux com-

prendre les problématiques des patients resi-tuées dans leur contexte culturel ;– expliciter au patient la logique qui sous-tendl’intervention médicale afin d’éviter les malen-tendus, qui nuisent à la prise en charge, et per-mettre ainsi au patient de devenir un acteurpossible de la démarche de soin le concer-nant ;– aider à la mise en place d’un projet globalintégrant les ressources médicales mais aussifamiliales et communautaires et rompre ainsil’isolement morbide des patients ;– permettre au médecin de construire une stra-tégie thérapeutique globale et cohérente avecl’univers du patient.

Consultations interculturelles et médiationsLes moyens alloués sont les suivants : – un soutien technique aux équipes ;– des interventions auprès du patient et de sesproches, sous forme de consultations inter-culturelles et médiations. La consultation inter-culturelle associe autour du patient – accom-pagné s’il le souhaite par ses proches – sonmédecin référent hospitalier, un médiateurculturel originaire du même groupe ethnique etmaîtrisant la même langue maternelle. Unmédecin formé à l’approche interculturelle dela maladie est à la fois responsable et anima-teur du dispositif.

Les médiations culturelles visent à accompa-gner les orientations de travail préconisées ausein de la consultation interculturelle. Le média-teur est susceptible de rencontrer les prochesdu patient, le plus souvent à leur domicile, par-fois les professionnels impliqués dans la priseen charge sociale.

Ces interventions auprès du patient sont parnature limitées dans le temps. La consultationinterculturelle est intégrée au plateau techniquehospitalier et à la démarche de soin, afin d’é-viter la prise en charge des migrants dans desservices « spécialisés » hors des circuits com-muns. Elle est mobile afin d’être au plus prochedes services hospitaliers demandeurs.

S. B.

Ce projet a été retenu, en novembre 2001, par Ber-nard Kouchner, ministre de la Santé, dans le cadredu second Plan « douleur ». L’association Ipaospoursuit son action aujourd’hui en s’appuyant surle soutien financier des fondations privées (Fonda-tion de France, Fondation CNP, etc.).

Pour en savoir plusCentre clinique de consultation interculturelle :Fondation Rothschild, 21-25, rue Manin –75019 Paris – Tél. : 01 48 03 65 96 ou 06 03 54 22 69Courriel : [email protected]

Une consultation pour prendre en compte la douleur des migrants

◗ Référencesbibliographiques

(1) Patel S. Intercultural consultations. Lan-guage is not the only barrier. Br Med J 1995;310: 194.(2) Bouznah S., Lewertowski C., Samama M.,Zimini Y. Rencontre avec Agnès. Pour cons-truire avec les familles, un dispositif de pro-tection de l’enfance. Journal du droit des jeu-nes 2006 ; 256 : 41-7.(3) Bouznah S., Lewertowski C., Margot-Duclot A. Une nouvelle alliance contre la mala-die ou Quand les jinnas viennent visiter lesmédecins. Douleurs 2007 ; (8) 1 : 8-16.(4) Morin E. La méthode : tome 6. Éthique.Paris : Seuil, 2004 : 256 p.(5) Fassin D. Santé, le traitement de la diffé-rence. Hommes & migrations 2000;n° 1225 :4-12.

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Faut-il réhabiliter, en France, l’accouchement à domicile pour les grossesses sans risque ?développer les Maisons de naissance où les sages-femmes ont le premier rôle ? Les Pays-Bas l’ont fait, un accouchement sur trois se déroule à domicile. Madeleine Akrich analysele système néerlandais et conclut que la France devrait s’en inspirer. Ce qui passe parune reconnaissance des compétences des sages-femmes comme « accoucheuses natu-relles ». Et remet en cause les prérogatives des gynécologues-obstétriciens.

Quand verront le jour, en France, lesMaisons de naissance ? Lieux d’accou-chement pour les femmes ayant unegrossesse sans risque et initiative pré-conisée par la loi Kouchner en 2002, cesMaisons – au sein desquelles la sage-femme se charge de l’accouchement,comme dans d’autres pays européens –n’ont pour l’instant pas connu de réali-sation effective (NDLR : voir encadré ci-contre et article p. 20). Il est vrai quel’idée même de Maisons de naissancese trouve aux antipodes des principesqui ont, depuis vingt ans au moins,orienté les politiques liées à la périnata-lité : la médicalisation de l’accouchementest apparue comme le moyen privilégiépermettant d’améliorer la sécurité de lamère et de l’enfant.

Cette médicalisation est basée sur unpostulat partagé par la plupart des obs-tétriciens, à savoir que tout accouche-ment est potentiellement risqué, que lasurvenue d’un problème est imprévisi-ble et peut nécessiter une interventionsans délai sous peine de dommagesirréparables. Partant de là, assurer lasécurité revient à concentrer les moyenshumains (anesthésiste, pédiatre, obsté-tricien en permanence accessibles) ettechniques. Cette politique s’est traduitesur le plan organisationnel par :– la fermeture d’un grand nombre d’éta-blissements : on est passé de huit centquinze maternités en 1997 à six centonze en 2004 et le mouvement se pour-suit ;– la mise en place de réseaux hiérar-chisés de maternités, réparties en troisniveaux : les établissements de niveauIII, comportant un service de réanima-

tion néonatale, et donc capables degérer les pathologies les plus lourdes,se trouvent au sommet de la pyramide ;ceux de niveau I ne doivent a prioris’occuper que des naissances sanscomplications ; les maternités deniveau II incluent un service de néo-natologie sans réanimation. Cette poli-tique s’est aussi traduite par des inter-ventions techniques toujours plusenvahissantes : échographies, outils dediagnostic prénatal, analyses biolo-giques ponctuent le suivi de grossesse ;

le monitoring en continu du rythmecardiaque fœtal, la perfusion d’hormo-nes accélérant l’accouchement, l’anal-gésie péridurale, l’épisiotomie sontdevenus quasi incontournables pen-dant l’accouchement. À peine né, lebébé est enlevé très vite des bras de samère et soumis à toute une batterie degestes invasifs : administration de vita-mine K et d’un collyre dans les yeux,mesure, pesée et prise de température,aspiration gastrique, test de perméabi-lité anale et test à la seringue...1

Accoucher à domicile ? Comparaison France/Pays-Bas

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Une médicalisation contestéeOr, cette technicisation est aujour-

d’hui contestée à la fois par la recher-che médicale internationale et par lesusagers. De nombreux travaux mon-trent en effet que la plupart de ces inter-ventions (rupture de la poche des eaux,administration d’hormones accélérantle travail, monitoring en continu, épi-siotomie, césarienne, etc.) ne présen-tent pas d’avantages décisifs et, à l’in-verse, entraînent des conséquencesnégatives sur la santé de la mère et del’enfant. Cela commence à être reconnuen France, notre pays n’étant pas de cepoint de vue à la pointe de l’évolution :ainsi, à la demande de groupes d’usa-gers et se basant sur ces études, laHaute Autorité de santé (HAS) a publiérécemment des recommandations depratique professionnelle visant à élimi-ner une pratique en cours, l’expressionabdominale2, ou à limiter drastique-ment les accouchements déclenchés ;

de même, le Collège national des gyné-cologues-obstétriciens a rédigé, en2005, une recommandation sur la pra-tique de l’épisiotomie – qui concernela moitié des femmes et deux tiers desprimipares – afin d’inciter les profes-sionnels à la modération.

S’appuyant sur ce constat, des asso-ciations d’usagers dénoncent de plus enplus fermement cette médicalisation qui– de leur point de vue – perturbe ledéroulement de cet événement avanttout familial, nuit à l’établissement desrelations précoces entre parents et nou-veau-nés et laisse des séquelles tantphysiques que psychologiques à uneproportion importante des femmes. Laplace accrue de la médecine a d’autreseffets pervers : les parents se sententpeu sûrs d’eux, voire incompétents ; ilsont tendance à s’en remettre aux pro-fessionnels et perdent confiance dansleur capacité à mettre au monde et éle-ver leur enfant. Le Collectif interasso-ciatif autour de la naissance (Ciane)3,principal mouvement d’usagers sur lanaissance qui regroupe cent trente-septassociations, plaide depuis plusieursannées pour une reconsidération de laplace des techniques dans le suivi degrossesse et l’accouchement, et pour ledéveloppement de filières de soinsalternatives, comme les Maisons denaissance et l’accouchement à domicile,qui permettent de redonner à la familletoute sa place dans cet événement4.Démarche qui n’est pas encore cou-ronnée de succès, comme nous l’avonsvu, tant le modèle obstétrical centré surle risque reste prégnant en France…

L’exemple des Pays-BasPourtant, d’autres pays ont déjà

expérimenté ces formes de soins : auQuébec, dans les pays nordiques, enAllemagne, des Maisons de naissancefonctionnent depuis plusieurs années ;en Grande-Bretagne, l’accouchement à domicile se développe avec la béné-diction des autorités. Les Pays-Bas,quant à eux, n’ont pas eu besoin de« redécouvrir » les bienfaits d’une appro-che physiologique de la naissance :avec constance tout au long du XXe siè-cle, ils ont su maintenir des taux impor-tants d’accouchements à domicile (en-core plus de 30 % aujourd’hui) avec desindicateurs en termes de mortalité et demorbidité comparables à ceux de laFrance. Une analyse rapide de leurorganisation nous permettra de com-

prendre le chemin à parcourir enFrance.

Toute l’organisation néerlandaise estbasée sur le postulat qu’il est possible deséparer sans ambiguïté les situations nor-males des situations pathologiques ouà risque, et que, dans ces conditions, rienne s’oppose à ce que les accouchementsnormaux se déroulent dans un lieu nonmédicalisé, comme le domicile desfuturs parents. Ici, donc, la sécurité n’estpas attachée comme en France au lieu età la quantité de moyens qui s’y trouventaccumulés, mais réside dans le couplageapproprié entre une femme particulièreet un lieu : à condition que la femme lesouhaite et qu’elle habite à moins devingt minutes d’un hôpital (ce qui,compte tenu de la géographie néerlan-daise, est le cas majoritaire), un accou-chement normal sera aussi sûr à la mai-son, où le minimum de perturbations etd’interventions sont à craindre, alorsqu’un accouchement pathologique nepeut se dérouler en sécurité qu’à l’hôpi-tal. Un troisième dispositif, l’accouche-ment dit en « polyclinique », permet àune femme sans problème particulier,mais qui préfère le milieu hospitalier ouqui habite trop loin d’un hôpital, d’ac-coucher dans une maternité : après undébut de travail à la maison, elle estaccompagnée de la sage-femme qui asuivi la grossesse et qui assure l’accou-chement dans des conditions strictementidentiques à celles du domicile ; elle sortde la maternité 24 heures au maximumaprès y être entrée.

Savoir-faire des sages-femmesDans cette organisation, toute la

question est de savoir comment estgérée la frontière entre physiologie etpathologie. L’ensemble du systèmenéerlandais est articulé autour d’undispositif de coordination d’une grandesimplicité, la liste d’indications obsté-tricales (VIL) : ce document dresse l’in-ventaire d’un certain nombre de mala-dies ou de troubles divers qui peuventfaire partie du passé médical et obsté-trical de la femme enceinte, ou qui sontsusceptibles de se déclarer lors de laprésente grossesse, lors de l’accouche-ment ou en post-partum.

Les indications sont classées en troiscatégories : A, B, C ; une femme sansindications particulières ou avec desindications de type A est suivie par unesage-femme et peut accoucher à domi-

Maisons de naissance : aux Pays-Bas, enAllemagne et au Québec« Le dossier Maisons de naissance est aupoint mort, il n’y a pas d’expérimentationsprévues », indiquaient au Monde l’été dernierles collaborateurs du ministre de la Santé(article de S. Blanchard, Le Monde, éditiondu 22 juillet 2007). Le quotidien présentaitainsi ces structures : « Gérées exclusive-ment par des sages-femmes, à proximitéimmédiate d’une maternité, les Maisons denaissance – comme il en existe en Allema-gne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ouau Québec – ont pour objectif d’accompa-gner les femmes enceintes dans des condi-tions moins médicalisées et plus personna-lisées afin de mieux respecter la physiologieet de différencier la prise en charge desgrossesses à “bas risque” de celles à “hautrisque”. (…) Les Maisons de naissance,considérées par leurs défenseurs comme“une réponse à une réelle attente des fem-mes” et par les détracteurs comme un“retour en arrière” après la fermeture, depuisle milieu des années 1970, de plusieurs cen-taines de petites maternités, butent sur laréticence des gynécologues-obstétriciens etle poids d’une culture périnatale qui a toutmisé sur l’amélioration de la sécurité et latechnicisation, au détriment parfois de l’ac-compagnement humain. » (NDLR : pour d’au-tres informations sur les Maisons de la nais-sance, voir également l’encadré p. 21).

M. A.

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cile ou en « polyclinique » ; les indica-tions de type C impliquent un suivi parl’obstétricien et un accouchement àl’hôpital ; dans le cas des indications detype B, la sage-femme doit consulter unobstétricien ou envoyer sa cliente à uneconsultation obstétricale et, au vu desrésultats, elle décide soit de continuerà suivre la femme, soit de la « référer »à un spécialiste, ce qui va déterminerle choix d’un accouchement à domi-cile/polyclinique ou à l’hôpital. Au final,un peu plus de 30 % des femmes accou-chent à domicile, 20 % en mode « poly-clinique », et une petite moitié en milieuhospitalier, avec cependant une utili-sation moins importante des techniquesqu’en France : par exemple, le moni-toring n’est pas placé systématiquementen continu.

Le fonctionnement du système néer-landais se caractérise donc par uneséparation très stricte entre situationnormale et situation pathologique,séparation qui est inscrite dans les pro-fessions – les sages-femmes ne traitent

que des cas normaux, les obstétriciensque des cas pathologiques – et recou-pée dans la répartition des moyenstechniques, qui diffèrent radicalemententre les deux situations. La hiérarchi-sation des professions et des savoirs est,sinon absente, du moins beaucoup plusfaible qu’en France : les sages-femmesrevendiquent un savoir-faire spécifiqueconcernant les accouchements nor-maux. Elles n’ont que leurs mains,quelques petits instruments, leurs sens,leurs compétences sociales et leurscompétences techniques définiescomme la capacité à n’agir qu’en cas de« réelle » nécessité, et cette relative pau-vreté de moyens définit en creux l’im-portance des savoir-faire incorporésque les obstétriciens, confrontés majo-ritairement à la pathologie, ne possè-dent pas.

Assistante maternelle en renfortAu moment de la naissance, une

« assistante maternelle » prend place auxcôtés de la sage-femme : dans les pre-miers jours après l’accouchement, elle

revient s’occuper des tâches ménagèreset aider les jeunes parents dans leurspremiers contacts avec leur enfant :allaitement, bain, soins divers, etc. L’or-ganisation permet que l’arrivée de l’en-fant se fasse sans ruptures, ni rupture delieu, ni rupture « d’ambiance » : il n’y apas comme en France ce contraste siperturbant entre le séjour en milieuhospitalier pendant lequel la compé-tence médicale se déploie sans relâcheet le retour au domicile qui laisse sou-vent aux femmes un sentiment d’aban-don profond.

On le voit, les différences que l’onobserve entre les deux pays ne sont pas« superficielles » et d’organisation, ellesrenvoient à des différences profondessur la « philosophie » de l’accouche-ment, la définition des professions, lanature des savoirs professionnels.

L’expérience hollandaise montrequ’une autre voie existe in vivo ; ren-dant possible une réponse aux atten-tes exprimées par nombre de parents ;au-delà des moyens qu’elle demande,cette voie nécessite une révolutionculturelle et organisationnelle dont l’undes points est manifestement la prise encompte du point de vue des parents.Et ce, pour rendre effective une autrerévolution : celle qui place les usagersau cœur du système de soins ; des usa-gers responsables et capables de pren-dre des décisions, en interaction avecles professionnels.

Madeleine Akrich

Directrice,

Centre de sociologie de l’innovation,

associé au CNRS (UMR7185),

École nationale supérieure des mines, Paris.

Pour en savoir plusCSI : http://www.csi.ensmp.fr/

1. Voir le rapport « Pratiques autour de la naissanceen Côte-d’Or. Points de vue de professionnels et demères », étude réalisée par l’Observatoire régional dela santé à la demande de l’Observation régionale desusagers en périnatalité, 2006.2. Pratique censée aider à la sortie du bébé, quiconsiste à appuyer sur le ventre de la parturiente ; enfait, comporte des risques très importants et est ineffi-cace.3. http://ciane.info4. Voir Collectif Ciane. Des États généraux de la nais-sance à la plate-forme périnatalité. Spirale n° 41,2007 : 28-40.

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dre en considération – les besoins et lespréoccupations des familles ; l’autreaspect étant d’agir sur le sentimentd’auto-efficacité.

Pour tisser ce lien de confiance, il estnécessaire de partir de ce que les pèreset mères sont déjà en capacité de réali-ser, et de développer un sentiment decompétences. Cela peut être fait parl’action directe, en plaçant les parentsen situation d’agir. L’on constate aussique le parent tente de reproduire toutce qui est fait par les intervenants dansleur façon d’être en lien avec les parentset l’enfant. L’accompagnement et l’ini-tiation sont nécessaires pour assurer lesentiment d’auto-efficacité, et tout cequi tourne autour du plaisir, descontacts que l’on peut avoir avec lesparents. Certaines interventions portent,surtout au départ, sur des besoinsimmédiats et des résolutions de pro-blèmes (alimentation, logement, etc.).Par la suite, les parents s’ouvrent à d’au-tres types de préoccupations (habitudesde vie pendant la grossesse ou après lanaissance de l’enfant, pratiques paren-tales, développement d’un environne-ment sécurisant chez l’enfant, etc.).

Approcher les famillesen douceur

Un autre aspect de l’action concernele développement du pouvoir d’agir descommunautés, c’est-à-dire ici des struc-tures environnantes de santé, d’éduca-tion et du social, qui passe par uneaction intersectorielle locale, régionaleet nationale. Concrètement, les famillessont présentes aux regroupements inter-sectoriels (établissements du réseau dela santé, centres de services sociaux,

C’est l’un des « savoir-faire » spécifique du Québec en matière d’éducation à la santé : unprogramme innovant accompagne les familles les plus vulnérables avant et après la nais-sance de leur enfant. Avec, comme point fort, un « suivi à domicile » par un professionnel,pendant la grossesse puis plusieurs années après. Daniel Beauregard présente ce dispo-sitif avec une approche critique, évoquant les freins psychologiques et financiers que ren-contrent les professionnels mais aussi les familles.

Pour offrir des services de base enpérinatalité, le Québec a fait le choix dedévelopper des programmes spéci-fiques pour des familles dites vulnéra-bles. Ces services s’adressent aux jeu-nes femmes enceintes de moins de20 ans, aux pères et à leurs enfants de0-5 ans, aux jeunes mères adolescentes,mais aussi aux mères vivant dans dessituations d’extrême pauvreté. La basecontextuelle du programme provient :– des connaissances développées au-tour des déterminants de leur santé,autour de l’importance d’agir tôt auprèsdes enfants afin de leur assurer unmeilleur départ dans la vie ;– de plus de vingt ans d’expérimenta-tion et d’intervention en périnatalitédans des contextes de grande pauvreté.Le programme s’inspire aussi des tra-vaux de Hegel Holz, aux États-Unis,débutés dans les années 1980.

Les objectifs visent la santé et le bien-être des enfants et des parents, le déve-loppement optimal des enfants, l’amé-lioration des conditions de vie desfamilles vivant en contexte de vulnéra-bilité. Ils s’inscrivent dans le soutien plusglobal que peut obtenir la famille de lapart de sa communauté immédiate (res-sources locales, services de garde, école,etc.), ainsi que dans l’environnementglobal, des politiques pouvant êtredéveloppées pour soutenir les familles.

Suivi à domicile par un professionnel

Lorsque l’on parle du renforcementdu pouvoir d’agir des individus, onparle d’accompagnement des familles,du suivi fait par un intervenant privilé-gié. Au Québec, les structures autour de

la périnatalité et des services de la petiteenfance sont différentes, et l’on faitbeaucoup appel à ce que l’on appelaitles « centres de services communautai-res », nommés désormais « centres desanté et services sociaux ». Une autrestratégie est le renforcement du pouvoird’agir des communautés par le soutienà la création d’environnements favora-bles à la santé et au bien-être ; ce quipasse par l’action intersectorielle locale,régionale et nationale. Plus précisé-ment, l’accompagnement des famillesse fait lors d’un suivi à domicile par unintervenant privilégié. Au cours de lapériode prénatale, ce sont surtout desinfirmières soutenues par une équipeinterdisciplinaire qui assurent ce suivitoutes les deux semaines, dès la dou-zième semaine de grossesse. Par lasuite, en postnatal, ce suivi est assurétoutes les semaines de 0 à 6 semaines,toutes les 2 semaines de 7 semaines à12 mois, tous les mois de 13 mois aux5 ans de l’enfant.

Développer un sentimentde compétence

La mise en œuvre de ce programmepose toute une série de questions, elleest instructive sur ce que peut vouloirdire « intervenir en contexte de grandevulnérabilité ». D’un côté, la littératurepréconise un suivi soutenu et sur unelongue durée mais sur le terrain, en ter-mes d’application, ce suivi n’est pas tou-jours aisé à mettre en œuvre, et certainesquestions se font jour. Effectivement, lelien de confiance s’établit beaucoupautour de la question d’humanité, etcela passe par la proposition à la familled’une présence, pour faire en sorte quel’intervenante identifie – pour les pren-

Naissance : comment le Québecaccompagne les familles

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centres de protection de la jeunesse,organismes communautaires, centres dela petite enfance, municipalités, etc.) ;ces regroupements réunissent autourd’une même table ceux qui sont inté-ressés, de près ou de loin, au dévelop-pement des enfants, afin d’assurer à l’en-semble des familles un soutien adéquat.Les conditions de qualité de l’action rési-dent dans le respect des structures loca-les et de l’autonomie des acteurs, le par-tage de l’information et de la décision,et la reconnaissance et la valorisation dusavoir de chaque acteur et des différen-tes logiques d’action. Les familles nesont pas obligées de faire appel aux ser-vices, il faut donc inventer toutes sor-tes de façons d’être présent dans la com-munauté pour que les familles sententqu’elles ont droit à ces services.

On constate au départ des tensionsentre savoir scientifique (celui des pro-fessionnels) et savoir de l’action (celui dela famille). Mais, à partir du moment oùles familles se rendent compte que lesservices sont sans jugement, humains etproches de leur réalité, elles en deman-dent davantage. Dans le fond, il sepasse quelque chose entre l’intervenantet la famille. D’un côté, la famille serend compte qu’il y a beaucoup d’hu-manité au travers des gestes de l’inter-venant, et de l’autre, l’intervenant modi-

fie sa façon d’être présent auprès de lafamille.

Les limites de l’exerciceToutefois cette situation génère un

danger potentiel : si la société devientplus intolérante – et instaure en quelquesorte un « contrôle social » de la familleen question, les intervenants risquentd’être plus figés dans leur rapport auxfamilles et ces dernières vont le sentir etprendre du recul. Autre point de tensionpossible : l’importance des besoins desfamilles peut laisser penser aux interve-nants que, par exemple, cela n’aurait pasde sens de leur parler d’allaitement.Dans ce cadre, être capable de bien per-cevoir et prendre en compte la préoc-cupation du parent est excessivementimportant. Appliquer un programmegouvernemental de ce type peut placerles professionnels devant des choix dif-ficiles : en effet, si le ministère fixe unnombre de familles à rencontrer, en tantqu’intervenant, quel choix est-il possiblede faire ? Il est certain que cela peut créerdes tensions. Par ailleurs, dans le cadredes regroupements intersectoriels, lemilieu institutionnel et le milieu com-munautaire se retrouvent avec des orga-nismes communautaires qui ont leurpropre autonomie, avec des institutions,et les relations ne sont pas toujours évi-dentes entre ces partenaires. En revan-

che, ces conflits peuvent être généra-teurs de créativité, peuvent permettre dese mettre en situation d’écouter l’autredans sa différence, de trouver un ter-rain d’entente.

Aller chercher les compétencesdes parents

Il est donc nécessaire de créer desliens de confiance, de reconnaître lesavoir des parents, d’aller chercher leurscompétences, de reconnaître aussi laconnaissance et le savoir des acteurs dumilieu. Il est intéressant de constater queplus on développe un lien entre le ter-rain et la recherche, plus le terraindemande des évaluations, induisant unréel partage des connaissances. Parailleurs, l’accompagnement des interve-nants est important et demande des for-mations, du soutien, car il n’est pas évi-dent d’intervenir en contexte de grandevulnérabilité. L’évaluation et la recher-che doivent enfin être bien ancrées avecl’ensemble des acteurs, il ne faut pasfaire en dehors des acteurs, mais aveceux, y compris avec les parents.

Daniel Beauregard

Conseiller scientifique en soutien

des interventions en périnatalité/

développement des enfants de 0-1 an,

Institut national de santé publique

du Québec, Montréal, Canada.

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50 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 391 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

Pour aborder ce sujet très vaste, nous avons délibérément circonscrit nos recherches aux relations entre parents et enfants(à naître et nouveau-né) et aux relations entre professionnels et futurs ou nouveaux parents.Les résultats sont répartis dans quatre rubriques : ouvrages et rapports, revues, guides et brochures, organismes etsites Internet. Notre sélection s’est portée sur des références nationales, ou internationales francophones, et proposeune approche généraliste et psychosociologique plutôt que médicale. Nous avons choisi de citer des dossiers ciblés derevues spécialisées mais d’exclure (comme il est d’usage dans cette rubrique) les articles isolés.Dans chaque sous-rubrique, les références sont classées par ordre chronologique inversé puis par ordre alphabétiquedu nom de l’auteur. Dans la rubrique « organismes et sites Internet », le classement est établi par ordre alphabétique.Dernière visite des sites Internet mentionnés : 22/08/2007.

◗ OUVRAGES ET RAPPORTS

Rapports officiels/généralités• Hermange M.-T. Périnatalité et parentalité.Paris : La Documentation française, 2006 :45 p.En ligne : http://www.famille.gouv.fr/rapports/perinat_parent/rapport.pdf• Haute Autorité de santé (HAS). Préparation àla naissance et à la parentalité. Saint-Denis :HAS, 2005 : 56 p.En ligne : http://www.has-sante.fr/portail/dis-play.jsp?id=c_269939• Ministère de la Solidarité, de la Santé et dela Protection sociale. Plan périnatalité 2005-2007 : humanité, proximité, sécurité, qualité.Paris : ministère de la Solidarité, de la Santéet de la Protection sociale, 2004 : 42 p.En ligne : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/perinatalite04/planperinat.pdf• Martin C. La parentalité en questions, per-spectives sociologiques : rapport pour le HautConseil de la population et de la famille. Paris :Haut Conseil de la population et de la famille,2003 : 58 p.En ligne : http://lesrapports.ladocumentation-francaise.frDevenir père, devenir mère• Delassus J.-M. Le sens de la maternité. Paris :Dunod, coll. Enfances, 3e édition, 2007 : 368 p.• Godelier M. Métamorphoses de la parenté.Paris : Fayard, 2007 : 678 p.• De Gasquet B., Codacciono X., Roux-Sitruk D.,Pourchez L., D’Olier F. Bébé est là, vive maman !Les suites de couches. Paris : Robert Jauze,2005 : 319 p.• Lefebvre H., Pelchat D. Apprendre ensemble.Le Prifam : programme d’intervention interdis-ciplinaire et familiale. Montréal : Chenelière Édu-cation, coll. Gaetan Morin Éd., 2005 : 196 p.• Delaisi de Parseval G. La part du père. Paris :Seuil, coll. Points essais, 2004 : 379 p.• Knibliehler Y., Neyrand G., Martin C., et al.

Maternité et parentalité. Rennes : ENSP, 2004 :175 p.• Missonnier S., Golse B., Soulé M. La gros-sesse, l’enfant virtuel et la parentalité. Paris :Puf, 2004 : 734 p.• Tillard B. Des familles face à la naissance.Paris : L’Harmattan, 2003 : 298 p.• Coum D. (sous la dir.). Des parents ! À quoiça sert ? Paris : Érès, 2001 : 183 p.• Delassus J.-M. Devenir mère, histoire secrètede la maternité. Paris : Dunod, 2001 : 248 p.• Fivaz-Depeursinge E., Corboz-Warner Y.A. Letriangle primaire. Le père, la mère et le bébé.Paris : Odile Jacob, 2e édition, 2001 : 309 p.• Neyrand G. L’enfant, la mère et la questiondu père. Un bilan critique de l’évolution dessavoirs sur la petite enfance. Paris : Puf, coll.Éducation et formation recherches scienti-fiques, 2000 : 394 p.

Naissance et accouchement• Jacques B., Segalen M. (préf.). Sociologie del’accouchement. Paris : Puf, coll. Partage dusavoir, 2007 : 208 p.• Gamelin-Lavois S. Préparer son accouche-ment. Faire un projet de naissance. Paris : Jou-vence, 2006 : 93 p.• Delassus J.-M. Psychanalyse de la naissance.Paris : Dunod, 2005 : 391 p.• Lequien P. Le nouveau-né. Paris : ArmandColin, coll. 128, 2005 :128 p.

Précarité et « inégalités de naissance »• Eliacheff C., Szejer M. (sous la dir.), LambrichsL.L., et al. Le bébé et les ruptures. Paris : AlbinMichel, coll. La cause des bébés, 2004 : 379 p.• Ministère de la Santé et des Services sociaux.Québec. Les services intégrés en périnatalitéet pour la petite enfance à l’intention desfamilles vivant en contexte de vulnérabilité :cadre de référence. Québec : Santé et servicessociaux Québec, 2004 : 79 p.

En ligne : http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2004/04-836-02W.pdf• Poilpot M.-P. Être parents en situation degrande précarité. Paris : Fondation pour l’en-fance, 2000 :156 p.• Martin C., Boyer G. Naître égaux et grandiren santé : un programme intégré de promotionde la santé et de prévention en périnatalité. Qué-bec : Direction générale de la santé publique,1995 : 213 p.En ligne : http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/1995/95-807.pdf

Prévention précoce• Pauchet-Traversat A.-F., Dosquet P. (sous ladir.). Comment mieux informer les femmesenceintes ? Recommandations pour les profes-sionnels de santé. Paris : HAS, 2005 : 134 p.• Roussey M., Kremp O. (coord.) Pédiatriesociale ou l’enfant dans son environnement.Paris : Doin, coll. Progrès en pédiatrie, 2004 :301 p.• Dugnat M. (sous la dir.). Prévention précoce,parentalité et périnatalité. Ramonville-Saint-Agne : Érès, 2004 : 253 p.• Missonnier S., Golse B. La consultation thé-rapeutique périnatale : un psychologue à lamaternité. Paris : Érès, coll. La vie de l’enfant,2003 : 256 p.

Pour en savoir plus

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◗ ORGANISMES ET SITES INTERNET

Organismes

• Alliance francophone pour l’accouche-ment respecté (Afar)L’Afar, membre du Collectif interassociatif autourde la naissance (Ciane), réunit des parents, desprofessionnels de santé et des associations quisouhaitent que la mère, le couple et l’enfantsoient respectés dans leurs choix au moment dela naissance. L’Afar organise, chaque année, la Semaine mon-diale pour l’accouchement respecté (Smar),pendant laquelle des objectifs et des idéesconcrètes d’actions sont proposés.La banque de données de l’Afar, disponible surson site Internet depuis 2003, recense les publi-cations. Elle est alimentée par les contributionsde bénévoles intéressés par le partage desinformations scientifiques sur l’accouchementet la périnatalité.En ligne : http://afar.naissance.asso.fr/

• Association de formation et de recherchesur l’enfant et son environnement (Afrée)L’Afrée est composée de praticiens de l’enfanceengagés dans la clinique, la recherche et la for-mation, explorant tout particulièrement lechamp ouvert par le rapprochement des disci-plines concernées : obstétrique, pédiatrie etses spécialités, travail social, médecine defamille, psychologie, etc.

• La Santé de l’hommehttp://www.inpes.sante.frn° 367 - 2003 : Santé des enfants, la placedes parentsn° 343 - 1999 : Portrait de famille

• Spiralehttp://www.edition-eres.com/resultats_col-lections.php?COLLECTION=110n° 41 - 2007 : Le livre blanc de la périnatalitén° 39 - 2006 : Les dix commandements de lapérinatalitén° 37 - 2006 : Santé en périnatalité : de la pro-motion à l’illusionn° 29 - 2004 : Parentalité accompagnée…parentalité confisquéen° 26 - 2003 : Conjugalité, parentalité : quelparadoxe ?n° 15 - 2000 : Réseaux de soins en périnata-litén° 11 - 1999 : Le père, l’homme et le mascu-lin en périnatalitéetc.

• Naissances (anciennement Cahiers de l’Afrée)http://www.afree.asso.fr/prenate.htmln° 19 - 2005 : Fonction de tiers et construc-tion parentalen° 18 - 2003 : Psychanalyse et prénatalitén° 17 - 2003 : Place des émotions dans lespratiques autour de la naissance : quelle éva-luation ? Actes des VIe Journées européennes« Naissance et avenir ».n° 16 - 2001 : Les liens autour de l’enfant à naî-tre : une urgence psychique, Actes des Ve Jour-nées « Naissances et avenir ».n° 14 - 1998 : L’accès à la parentalité desfamilles vulnérables : facteur d’exclusion oud’intégration ? Actes des IVe Journées euro-péennes « Naissance et avenir ».

• Carnets de Parentelhttp://www.parentel.orgn° 24 - 2006 : Les mères, ici et ailleursn° 21 - 2004 : Partager la parentalitéetc.

• École des parentshttp://www.ecoledesparents.org/n° 563 - HS, 2007 : Mettre au monden° 557 - 2006 : Parents malgré toutn° 550 - HS, 2005 : Les nouvelles formes deparentalitén° 537 - 2003 : Parents/professionnels de l’en-fance : se faire confiancen° 535 - 2003 : Désirer un enfant ?

Et aussi :

• Les dossiers de l’obstétriqueRevue d’information et de réflexion pour lasage-femme et l’équipe de maternité.http://www.elpea.fr

• Les cahiers de la puéricultricePublication de l’Association nationale des pué-ricultrices diplômées et des étudiantes(ANPDE).http://france.elsevier.com/html/detrevue.cfm?code=BB

◗ REVUES

• Direction générale de la Santé. Carnet desanté maternité. Paris : ministère de la Santéet des Solidarités, décembre 2006 : 46 p.En ligne : http://www.sante.gouv.fr/htm/dos-siers/carnet_maternite/carnet_maternite.pdf

• Desjardins N., Dumont J., La Verdure J.,Poissant J. Les services intégrés en périna-talité et pour la petite enfance à l’intention desfamilles vivant en contexte de vulnérabilité :guide pour soutenir le développement de l’at-tachement sécurisant de la grossesse à 1 an.Québec : Santé et services sociaux Québec,2005 : 177 p.En ligne : http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2005/05-836-01.pdf

• Comité départemental d’éducation pour lasanté du Pas-de-Calais. Guide à l’usage desporteurs de projets en parentalité. Arras :CDES Pas-de-Calais, 2003 : 45 p.En ligne : http://nord-pas-de-calais.sante.gouv.fr/sante-publique/prs/guide_porteur/pdf/projparent.pdf

• L’Office de la naissance et de l’enfance estl’organisme de référence de la Communautéfrançaise de Belgique pour toutes les ques-tions relatives à l’enfance, aux politiques de

l’enfance, à la protection de la mère, au sou-tien à la parentalité et à l’accueil de l’enfant.Il édite plusieurs brochures (dont la liste com-plète est disponible en ligne sur http://www.one.be/pub/pub.htm), parmi lesquellesla série des trois carnets suivants :– Office de la naissance et de l’enfance (ONE).Devenir parents. Bruxelles [BE] : ONE, 2007 :71 p.En ligne : http://www.one.be/PDF/BROCHU-RES/carnetparents.pdf– Office de la naissance et de l’enfance (ONE).Carnet de la mère. Bruxelles [BE] : ONE,2000 : 57 p.En ligne : http://www.one.be/PDF/BROCHU-RES/carnetdelamere.pdf– Office de la naissance et de l’enfance(ONE).Carnet de l’enfant (0 à 12 ans). Bruxel-les [BE] : ONE, 2000 : 82 p.En ligne : http://www.one.be/PDF/BROCHU-RES/carnetenf.pdf

◗ GUIDES ET BROCHURES

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Dans le domaine de la prévention précoce, l’Afrée participe à des programmes euro-péens et organise les journées « Naissance etavenir ». Sous l’impulsion du ministère de laSanté, elle a mis en place des « formations deformateurs » centrées sur les pratiques péri-natales en 1989. Les échanges transdisci-plinaires sont transcrits dans les Cahiers del’Afrée, devenus début 2003, la revue Nais-sances.Afrée : BP 64164 – 34092 Montpellier Cedex 5Tél. : 04 67 33 99 12Courriel : [email protected] ligne : http://www.afree.asso.fr/

• Syndicat national des médecins de pro-tection maternelle et infantile (SNMPMI)Le Syndicat national des médecins de PMI a étécréé en 1963 dans le but de promouvoir et pro-téger la santé des enfants, des adolescents,des femmes et des familles. Il rassemble lesmédecins des services départementaux de PMIquel que soit leur statut. Le SNMPMI conçoitet inscrit son action en étroite relation avec l’en-semble des personnels de PMI et plus généra-lement des personnels territoriaux, dans uneperspective d’amélioration de l’ensemble desdéterminants de la santé.Le syndicat organise, depuis 1975, un colloquesur les différents thèmes ayant trait à la santéde la mère, de l’enfant et de la famille en géné-ral. Les actes des colloques peuvent être com-mandés au SNMPMI.SNMPMI :65/67, rue d’Amsterdam – 75008 ParisTél. : 01 40 23 04 10Fax : 01 40 23 03 12Courriel : [email protected] ligne : http://www.snmpmi.org

Autres sites (portails et collectifs)

• Banque de données de santé publiqueLe réseau BDSP propose, sur son site Internet,un annuaire critique de sites web en santépublique. On y trouve notamment, sous lesrubriques « santé de la mère et de l’enfant » et «enfance », une liste de nombreux liens dédiés auxthématiques de la périnatalité et de la parentalité.

En ligne : http://www.bdsp.tm.fr/Webs/Default.asp

• Collectif interassociatif autour de la nais-sance (Ciane)Le Ciane a émergé à l’occasion des États géné-raux de la naissance, en juin 2003, puis il s’estdoté de statuts. Il regroupe à ce jour cent qua-rante associations, soit environ cent cinquantemille usagers du système de maternité en France.Le Ciane a organisé les États généraux de lanaissance 2006 (www.quellenaissancede-main.info), dont les travaux ont permis de rédi-ger une plate-forme de propositions que leCiane soumet aux organismes professionnelset aux futurs élus.Un serveur a été mis en place pour compléterce site et ouvrir des espaces mutualisés dedocumentation et de discussion (http://nais-sance.asso.fr/wiki/index.php?pagename=PageAccueil).En ligne : http://ciane.info/

• Naissance.ws : portail des sites Internetet associations francophones pour uneapproche « citoyenne » de la naissanceCe portail a pour objectif de répertorier tous lessites web officiellement référencés et de main-tenir un répertoire général des associationsfrançaises œuvrant pour l’amélioration desconditions de la naissance. Naissance.ws réfé-rence actuellement une trentaine de sitesindexés dans son moteur de recherche, choisisen raison de leur intérêt documentaire enmatière de naissance et de périnatalité. Ilcontient également des liens vers de nombreuxautres sites et portails dans diverses langues.Le portail héberge des études scientifiquesrécentes, des extraits d’ouvrages (en versionfrançaise ou anglaise), des témoignages deparents, des textes de réflexion, ainsi que desinformations juridiques, des liens vers les réper-toires de sages-femmes pratiquant l’accompa-gnement global, une biblio/vidéographie, et unannuaire des associations françaises engagéesdans une démarche similaire.En ligne : http://portail.naissance.asso.fr/

• Périnatalité & suivi de grossesseLa création de ce site francophone est issue dela collaboration franco-québécoise de deux cen-tres hospitaliers universitaires : le CHU de Gre-noble, en France, et le CHU de Québec. Cettecollaboration s’inscrit dans un vaste projet quivise à créer « une communauté hospitalièrefrancophone centrée sur les soins, l’enseigne-ment et la recherche » autour de la santé de l’en-fant : le projet CQFD (Communauté QuébecFrance Développement). Dans ce cadre, le siteperinat.com est particulièrement axé sur laprise en charge de la femme et de l’enfant enpériode périnatale (grossesse, accouchementet suites de couches).Il permet : – de découvrir les pratiques franco-québécoisesde prise en charge de la grossesse et lesmoyens technologiques d’information et de com-munication mis à la disposition de l’échange d’in-formations médicales ;– d’accéder en ligne à un enseignement de l’ob-stétrique ;– d’être informé de l’actualité de la prise encharge de la grossesse ;– de poser des questions aux professionnels.En ligne : http://www.perinat.com/

• Portail de la santé publique de l’UnioneuropéenneLa Direction générale santé et protection desconsommateurs propose des informations etdes données sur les questions liées à la santéet sur les activités menées au niveau européenet international dans ce domaine.Une rubrique de ce portail s’intitule « Bébés etenfants » et présente, entre autres, les travauxde l’Union européenne en matière de santé péri-natale, comme le projet Indicateurs pour la sur-veillance et l’évaluation de la santé périnatale enEurope – Peristat.(http://europeristat.aphp.fr/fr/index.html)En ligne : http://ec.europa.eu/health-eu/index_fr.htm

Céline DerocheÈve Gazzola

Élisabeth PiquetDocumentalistes,

centre de documentation de l’INPES.

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cinésanté

Les Témoins, d’André Téchiné, est un film dramatique se situant au début des « annéessida ». Évitant soigneusement tout jugement, A. Téchiné montre comment l’irruption dusida a imposé une redéfinition de la sexualité, de l’amour et de la vie en général. Cefilm peut être utilisé par des professionnels dans une perspective d’éducation à la santéchez les 16-20 ans en particulier. À condition que l’animateur accepte et prenne encompte le rejet suscité chez certains adolescents d’images ou d’idées qui les heurtent,et qu’il utilise ces réactions et blocages pour nourrir le débat. Une manière de perce-voir les « points sensibles » que le réalisateur touche chez les adolescents.

Un film d’André TéchinéFrance, 2007, 1 h 52Avec Michel Blanc, EmmanuelleBéart, Sami Bouajila, JulieDepardieu, Johan Libéreau

1. Le filmComme beaucoup de films d’André

Téchiné, Les Témoins se présentecomme un drame à plusieurs voix et àplusieurs personnages : dans le Parisdes années 1980, un jeune provincialhomosexuel, Manu, croise un médecinquinquagénaire qui ne parvient cepen-dant pas à le séduire, puis un jeune cou-ple qui vient d’avoir son premier enfant.Les personnages se rapprochent, s’éloi-gnent, se retrouvent au gré de leurs pas-sions et du hasard des rencontres. Maisune maladie qui ne porte pas encore denom, le sida, va rompre brutalement lecours des choses : « Les beaux jours »,ainsi que Téchiné a nommé la premièrepartie de son film, vont alors céder laplace à « La guerre » que tous vont devoirmener d’une manière ou d’une autrecontre la maladie.

2. À quels spectateurs estdestiné le film ?

Le film de Téchiné peut s’adresser à un public d’adolescents à partir de15 ou 16 ans environ. Certains d’entreeux risquent cependant d’être heurtéspar l’évocation franche de la sexualité etnotamment de l’homosexualité. Si un telrejet de leur part (en particulier s’il traduitune attitude homophobe) ne doit pasfaire renoncer à la vision du film, l’ani-

mateur devra en tenir compte en évo-quant cette question avant même la pro-jection : les premières réactions devraientpermettre à l’animateur de mieux connaî-tre les participants et d’adapter éventuel-lement les activités proposées après lavision du film.

3. Relation à la problématiquesanté

Les intervenants en éducation à lasanté auront sans doute remarqué lasortie des Témoins, dont le sida consti-tue le thème le plus apparent. Le film ne

se réduit cependant pas à cette théma-tique (ni encore moins à un message deprévention, même s’il n’oublie nulle-ment le prix payé par d’aucuns à cettemaladie), et son propos est sans douteplus vaste et plus complexe.

On remarquera d’abord la dimensionhistorique ou mémorielle du film, quidébute en 1984, au moment où la mala-die commence à prendre la forme d’unepandémie meurtrière et où les premiè-res connaissances scientifiques émer-gent à peine et se répandent rapidement

Éduquer à la santé au travers d’un film :

Les Témoins, d’André Téchiné

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dans le public1. En cela, le film souli-gne – même si nous le « savons » bien –que le sida a (déjà) une histoire et quel’image notamment de la maladie s’esttransformée depuis son apparition :Téchiné n’hésite pas ainsi à montrer lesstigmates du sida, notamment deslésions cutanées, qui ont aujourd’huipratiquement disparu des grands médiasalors que beaucoup se souviennent sansdoute de certaines « images chocs »publiées à la fin des années 1980 et dansle courant des années 19902.

Cette dimension mémorielle estimmédiatement révélée par la voix offde la narratrice, Sarah, qui, comme écri-vain, va raconter rétrospectivement lesévénements vécus par les personnagesà travers ce qui est, d’une manière oud’une autre, une quête de sens : l’épreu-ve du deuil est au cœur de cette inter-rogation sur l’ébranlement que le sida aconstitué pour les différents personna-ges, morts ou survivants. Loin de seréduire à un problème de prévention(qui est bien entendu essentielle), lamaladie a imposé à tous une redéfini-tion de la sexualité, de l’amour et de lavie en général.

Au cours de plusieurs affrontements,on voit ainsi comment deux des per-sonnages, Adrien et Medhi, réagissentdifféremment à la maladie qui frappe lejeune Manu : bien que Téchiné main-tienne toujours une certaine ambiguïté

sur les motivations de ses personnages,le premier, Adrien, profite d’une cer-taine manière de cette maladie pour seréapproprier ce jeune homme qui s’esttoujours refusé à lui ; le second, Medhi,quant à lui, est sans doute confronté àdes émotions beaucoup plus contra-dictoires, la peur (d’être contaminé),l’attachement, le remords ou la mau-vaise conscience (en particulier d’é-chapper au destin tragique de sonamant). Les propos échangés entre cesdeux personnages – « C’est la mort quite fait bander ! »… dira Medhi, « Bai-ser ? ! vous n’avez fait que ça », accuseraAdrien – montrent bien que la maladiejoue comme un révélateur des concep-tions les plus intimes et les plus pro-fondes qu’ils se font de l’amour, de l’é-rotisme mais aussi d’eux-mêmes.

La tripartition du film – dont les sous-titres sont « Les beaux jours/La guerre /Leretour de l’été » – contribue égalementà cette distanciation à la fois historique,affective et intellectuelle par rapport àdes événements vécus de façon extrê-mement dramatique. Le procédé ad’ailleurs choqué certains spectateurstant, à la fin du film, les personnagessemblent renouer insouciamment avecleur vie ancienne, « d’avant le sida ». L’in-souciance n’est sans doute qu’apparente,et l’écriture mémorielle de Sarah pose,aussi bien aux personnages qu’aux spec-tateurs la question : « Comment vivre àprésent avec le sida ? ».

4. Suggestion d’animationComme tout film, Les Témoins a sus-

cité et suscitera des réactions contradic-toires motivées par des raisons trèsdiverses : si l’on peut craindre, commeon l’a dit, certains rejets de nature homo-phobe, d’autres spectateurs seront plusou moins sensibles aux différents per-sonnages, à l’histoire, à la narration trèsparticulière du cinéaste, mais parfoisaussi à des détails qui paraissent à pre-mière vue très secondaires. De tellesréactions, positives ou négatives, nedépendent pas nécessairement des thè-mes les plus apparents du film et peu-vent être liées à des éléments inatten-dus, notamment pour l’animateur quisouhaite utiliser ce genre de film pourune discussion en groupe dans une per-spective d’éducation à la santé.

Plutôt que de considérer de tellesréactions comme non pertinentes parrapport au contexte de l’animation, il estpossible, avec un peu d’expérience,d’utiliser certaines de ces réactions pourdépasser le niveau des simples opi-nions pour aborder des problématiquesqui touchent de façon plus personnellesinon plus intime les spectateurs,notamment adolescents. Une telledémarche devrait permettre à l’anima-teur de mieux connaître les participantsdu groupe et surtout de déterminer lesthématiques du film qui sont réellementpertinentes à leurs yeux.

On peut ainsi suggérer aux partici-pants de décrire sur un morceau depapier, de façon anonyme et indivi-duelle, d’une part, un élément du filmauquel ils ont été particulièrement sen-sibles et, d’autre part, un élément quileur a plus particulièrement déplu (sansdonc leur demander de se focaliser surune thématique de santé). Ces réactionsseront ensuite recueillies par l’anima-teur et soumises à la discussion avecl’ensemble des participants. On don-nera ici deux exemples de points quipourraient faire ainsi l’objet d’unéchange avec le groupe.

Parmi les réactions spontanées desspectateurs (relevées lors de discus-sions informelles), il y en a notammentune qui peut paraître porter sur un élé-ment très secondaire, sinon même peupertinent, mais qui permet – on espèredu moins le montrer – de dérouler une« trame » de réflexion à travers tout lefilm : il s’agit des effets des interventions

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esthétiques supposées (qu’il s’agisse dechirurgie ou d’injections) sur l’actriceprincipale, Emmanuelle Béart. Onpourrait être tenté d’éviter cette ques-tion, qui concerne d’abord sa vie pri-vée, mais de nombreux spectateurs etspectatrices signalent que cet élémenta pesé sur leur perception même dufilm (pouvant entraîner des jugementsnégatifs sur la crédibilité même du per-sonnage qu’elle incarne). Si chacunpeut avoir un avis à ce propos, onremarquera que la question de l’imagecorporelle – qui est visiblement plusimportante au cinéma qu’en littératurepar exemple – est loin d’être anodinedans le film de Téchiné : on a déjà évo-qué les stigmates corporels laissés parle sida et que le cinéaste n’hésite pasà montrer ou à nous rappeler, mais on se souviendra également de laremarque d’Adrien (Michel Blanc) qui,devant le refus de Manu, parle de l’âgecomme de la « vraie ségrégation » dansnotre société.

L’image corporelle est au cœur denos relations – et de nos malaises –,jouant un rôle important sinon décisifaussi bien dans le recours à des inter-ventions esthétiques que dans notreperception du vieillissement. Et ce n’estpas un hasard si les scénaristes desTémoins ont alors « choisi » de fairemourir le personnage le plus jeune,Manu, un adolescent dont la beautéirradie tout le début du film : l’épidé-mie du sida a touché avec cruauté tou-tes les générations, mêmes les plus jeu-nes, suscitant ainsi une angoisse que« la libération sexuelle » de la décennieprécédente croyait précisément avoirabolie. André Téchiné ne tient aucundiscours moral ni explicatif, mais il des-sine bien la (nouvelle) « configuration »dans laquelle s’inscrit aujourd’hui lasexualité (au sens large), prise aujour-d’hui entre des tensions contradictoi-res, entre plaisir et contrainte (de seprotéger), liberté et fidélité3, valorisa-tion de la jeunesse sous toutes ses for-mes et crainte du vieillissement inéluc-table (qui explique le recours de plusen plus fréquent à la chirurgie esthé-tique), et, de façon générale, entrepeur(s) et insouciance.

Les opinions à l’intérieur d’ungroupe vont effectivement osciller entreces différents pôles mais il s’agira sansdoute moins de donner raison à l’unou à l’autre que de faire prendre cons-

cience de cette configuration contra-dictoire où nous nous trouvons aujour-d’hui.

On relèvera, encore à ce propos, unaspect du film qui marque de nom-breux spectateurs, à savoir les imagesde vacances aux couleurs extrêmementsaturées qui se trouvent dans la pre-mière et la dernière partie du film : larobe jaune de Sarah, l’émeraude de laMéditerranée sous un soleil éclatantparaissent presque irréelles et contras-tent avec l’atmosphère brumeuse sinonpluvieuse de la partie centrale du film,celle que Téchiné a nommée « Laguerre ». Le retour à cette ambianceensoleillée dans l’épilogue a mêmechoqué certains spectateurs qui ont eul’impression qu’elle effaçait artificielle-ment le drame que venaient de vivre lespersonnages.

Sans doute, cette légèreté retrouvéene doit pas être mise au compte ducinéaste, mais bien des personnages etprincipalement d’Adrien, le médecinqui s’est lancé à corps perdu dans lalutte scientifique contre la maladie maisqui entame à ce moment une nouvellehistoire d’amour. La reprise, presqueartificielle, des mêmes décors, desmêmes situations, vise certainement àsouligner aussi bien l’absence de Manuque le « mensonge » de cette insou-ciance apparente. Il n’empêche que laréaction des personnages – sur lesquelsle cinéaste ne pose pas de jugement –témoigne encore une fois de ces ten-sions qui nous traversent tous peu ouprou face à une épreuve comme celledu sida, de la maladie ou de la mort.Entre compassion et indifférence, entremémoire et oubli, entre deuil et légè-reté, il est rare que nous nous en tenionsà une position unique et constante. « Leretour de l’été » que met en scèneTéchiné illustre ainsi un balancementqui ne se confond cependant pas avecl’indifférence : la photographie aux cou-leurs extrêmement saturées peut êtrevue comme un indice de « l’irréalité »dans laquelle baignent alors les person-nages (que cette irréalité soit celle dubonheur apparemment retrouvé oubien de la mémoire dont Sarah est deve-nue la dépositaire).

Les différents éléments relevés parles spectateurs permettent, comme onle voit, un parcours à travers tout le filmsans se focaliser a priori sur une thé-

matique particulière : une telle appro-che devrait favoriser une expressionplus personnelle et permettre à l’ani-mateur de mieux percevoir les « pointssensibles » que touche réellement le filmchez les participants.

Michel Condé

Docteur ès lettres, animateur,

centre culturel Les Grignoux, Liège.

1. Pour rappel, les premiers cas de sida sont décrits auxÉtats-Unis en 1981. En juillet de la même année, unarticle du New York Times donne une première infor-mation – avec toutes les incertitudes de l’époque – augrand public sur le cas de « Quarante et un homo-sexuels touchés par une forme rare de cancer ». En1982, les médecins constatent l’apparition des pre-miers cas en Europe ; en quelques mois, l’apparitionde nouveaux malades n’appartenant pas à la com-munauté homosexuelle et notamment la mort endécembre d’un enfant transfusé révèlent la natureinfectieuse de la maladie, appelée désormais sida (ouaids en anglais). L’année suivante, est créée la pre-mière association de lutte contre le sida en France,« Vaincre le sida », et le virus (qui ne recevra le nomde VIH qu’en 1986) est isolé conjointement par uneéquipe de l’Institut Pasteur sous la direction du pro-fesseur Montagnier et par une équipe américaine. Lespremiers tests de dépistage (Elisa) seront mis au pointen 1985. Le film de Téchiné se déroule pendant lesannées 1984-1985, même si plusieurs spectateurs ontrelevé des anachronismes, en particulier l’apparitiontrop précoce des tests : ces erreurs cependant sont peut-être volontaires et assumées par le cinéaste et ses scé-naristes.2. La publicité de Benetton montrant un malade dusida mourant entouré de sa famille date de 1992. Sil’on excepte les reportages sur l’Afrique, de telles ima-ges ont pratiquement disparu, semble-t-il, des médias.Ce n’est pas, bien sûr, notre propos ici de juger lavaleur de telles images.3. Sarah et Medhi forment un couple « libre » selon uneconception assez répandue dans les années 1970 maisqui paraît aujourd’hui très marginale (du moins dansl’espace public).

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lectures – outils

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Représentations de la santé et de la maladie.Actes du colloque du 12 décembre 2005, BruxellesAlain Cherbonnier (coord.)

Dans les pratiques professionnelles, les représentations que se font soignants et soignés de la santé et de la maladie sont peu prises encompte. Cette situation s’explique par de multiples raisons : carences de la formation initiale et continue, contraintes financières et institu-tionnelles, changements sociodémographiques, tant chez les patients que chez les soignants, etc. Ce document issu d’un colloque montreque les conflits de représentation entre soignants et soignés sont le plus souvent évoqués sous l’angle du « choc culturel » : les conceptionsde la santé et de la maladie, et les comportements liés à celles-ci, varieraient au point de mener à une incompréhension. Or, la premièreopposition culturelle se situe sans doute plutôt dans les positions respectives du patient et du soignant, le rapport de force pouvant être unautre aspect du conflit, du fait de représentations différentes. Les interventions du colloque traitent de l’évolution de la notion de représen-tations de la maladie dans le champ de l’anthropologie médicale, en pointant les limites et les ouvertures d’une telle approche dans la rencontreentre praticiens de la santé et usagers des soins ; des figures du « bon patient » et du « mauvais malade » ; des patients atteints de mala-dies chroniques et des difficultés qu’ils rencontrent au quotidien dans leur processus d’ajustement psychosocial à la maladie ; des problè-mes de l’adhésion à leur traitement des personnes atteintes du diabète de type 2.

Ève Gazzola

Bruxelles : Question Santé, Bruxelles Santé 2006, n° spécial, 54 pages.En ligne : http://www.questionsante.org/03publications/charger/bxlsante2006.pdf[dernière visite le 29/08/07]

Tout ce que vous ne savez pas sur la chichaBertrand Dautzenberg, Jean-Yves Nau, illustrations de Charb

Forme de consommation de tabac laplus fréquente chez les adolescentsaprès la cigarette, la chicha, ou nar-guilé, demeure très méconnue. C’estce qu’indique une enquête publiéedans le Bulletin épidémiologique heb-domadaire (n° 21, 29 mai 2007) parBertrand Dautzenberg, tabacologuecoauteur avec Jean-Yves Nau, jour-naliste au Monde, de l’ouvrage pré-senté ici. Les fumeurs de chicha inter-rogés méconnaissent largement lesdangers de la chicha, ne prennent pasde mesures d’hygiène et ne sont pasprêts à quitter la chicha. L’auteurconclut sur la nécessité d’une cam-pagne d’information destinée aux jeu-nes sur les dangers de la chicha. Toutce que vous ne savez pas sur la chi-

cha participe de cette nécessaire information. La première partie réponden termes simples aux principales questions sur la pipe à eau : son utili-sation, la composition du tabac utilisé, sa toxicité, la situation juridiquedes bars à chicha, l’aide à apporter aux fumeurs, etc. La deuxième par-tie présente les données techniques et scientifiques récentes sur l’am-pleur de la consommation chez les jeunes, la quantité de monoxyde decarbone expirée par les fumeurs ou encore la concentration en micro-particules dans les locaux enfumés par le narguilé.

Olivier Delmer

Paris : Margaux Orange, Paris : Office français de prévention dutabagisme (OFT), 2007, 144 pages, 15 €.

Alcool et adolescence : jeunes en quête d’ivressePatrice Huerre et François Marty (dir.)

Patrice Huerre et FrançoisMarty avaient dirigé, en2004, chez le même éditeurun ouvrage collectif consacréaux « liaisons dangereuses »entre cannabis et à l’adoles-cence. C’est aux liens qu’en-tretiennent les jeunes avecl’alcool qu’ils s’intéressentdans ce livre. Les textesréunis ont pour auteurs despsychiatres, psychologues,épidémiologistes, pédiatresou psychanalystes qui font

référence dans leurs domaines respectifs. Après un étatdes lieux des comportements de consommation, l’ouvrageexplore les ressorts psychologiques de l’abus d’alcool àl’adolescence. Les auteurs examinent ensuite la place de laprévention, en particulier en milieu étudiant, en mettantnotamment en lumière les logiques marchandes des pro-ducteurs d’alcool et les enjeux en termes de mortalité rou-tière. Différentes situations décrites brossent un panoramades contextes de consommation : le binge drinking ou« alcoolo-défonce » et ses conséquences médicales, l’in-fluence de la famille, les grandes écoles, les jeunes suivispar la Protection judiciaire de la jeunesse ou encore les ado-lescents migrants. La dernière partie dresse l’état des lieuxdes recherches sur le phénomène et formule des proposi-tions pour une prise en charge globale des dépendances.

O. D.Paris : Albin Michel, 2007, 409 pages, 21,50 €.

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lectures – outils

Qu’en dira-t-on ?Ministère de l’Agriculture et de la Pêche

Ce DVD est composé de films de court métrage sur l’homosexualité, sélectionnés par des élèves et étudiantsdes établissements d’enseignement agricole dans le cadre d’un projet de lutte contre les discriminations. Il com-porte trois films : Far west (17 mn), Les Résultats du bac (16 mn), réalisé par Pascal-Alex Vincent en 2001 et Ôtrouble (9 mn), réalisé par Sylvia Calle en 1998, complétés par deux bonus : Entretiens (6 mn) et Moi, moncoming out (11 mn).Ces courts métrages offrent une intéressante entrée en matière pour aborder de façon positive et sensible lethème de l’orientation sexuelle et pour permettre aux adolescents d’échanger sur la peur d’être jugé, la difficultéd’aimer ou de grandir.

Fabienne Lemonnier

Dijon : Éducagri (26, boulevard Dr-Petitjean - BP 87999 – 21079 Dijon CedexTél. : 03 80 77 26 32 - Fax : 03 80 77 26 34 - Mél : [email protected]), 2004, 19 €.

Psychologie du risque : identifier, évaluer, prévenirDongo Rémi Kouabenan, Bernard Cadet, Danièle Hermand, Maria Teresa Munoz Sastre (dir.)

Ce manuel apporte l’éclairage de la psychologie sur la façon dont un individu confronté à un risque l’appréhende,le définit, l’évalue, et décide ou non de se protéger. Rédigé dans une perspective comportementale, il met l’ac-cent sur le rôle de l’acteur humain dans la survenue et le traitement des risques ; mais il ne néglige pas le faitque cet acteur agisse dans un environnement social, technique et culturel qui influence son comportement etoriente ses choix d’action. Les auteurs se placent à la fois du point de vue des méthodologies de recherche etdes applications possibles. Par souci de pertinence, les coordinateurs de l’ouvrage ont limité les travaux sur les-quels ils se sont basés aux études comportementales qui partent des représentations et des croyances des acteursconcernés par les risques. Une importante place est accordée aux travaux sur l’évaluation subjective ou la per-ception des risques, un courant de recherche et d’action en plein essor mais généralement peu connu dans lemonde francophone.

O. D.Bruxelles : De Boeck, 2006, 346 pages, 24,50 €.

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