semestriel le monde-campus mars 2015

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Candidats/recruteurs : le new deal FORMATION | RECRUTEMENT | CARRIÈRE Supplément au Monde n° 21830, daté du 25 mars 2015. Ne peut être vendu séparément Logement J'HABITE DANS UN BUREAU Le modèle économique réinventé START-UP, COOPÉRATIVES : LES JEUNES ENTREPRENEURS INTRODUISENT DE NOUVEAUX CODES Le grand entretien PIERRE-YVES GOMEZ : LE RETOUR INATTENDU DES COMMUNAUTÉS DE TRAVAIL

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Formation, recrutement, carrière: le magazine pour l'entrée sur le marché du travail des jeunes diplômés.Au sommaire: Les jeunes entrepreneurs des start-up aux coopératives introduisent de nouveaux codes pour réinventer le modèle économique.Candidats/Recruteurs: le new deal.

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Candidats/recruteurs : le newdeal

FORMATION | RECRUTEMENT | CARRIÈRE

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LogementJ'HABITE DANS

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Lemodèleéconomique réinventé

START-UP, COOPÉRATIVES : LES JEUNES ENTREPRENEURSINTRODUISENT DE NOUVEAUX CODES

Le grand entretienPIERRE-YVES GOMEZ :

LE RETOUR INATTENDUDES COMMUNAUTÉS

DE TRAVAIL

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mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 3

Développée en France à partir des années 1980 par Bruno Latour etd’autres sociologues deMines ParisTech, la théorie de l’acteur réseauétablit que « l’émergencede la connaissance s’appuie sur trois points :le réseau, les traces (…) et la controverse. Car le cheminement de la

sciencenepeut s’opérer quepar les joutes »,préciseBrunoTeboul, directeur scien-tifiquedugroupeKeyrus.Cette théorie s’appliquerait-elleaujourd’huià l’emploi ?L’émergence de l’emploi s’appuie en effet sur ces troismêmes piliers. Le réseausocial d’abord, où sont déversés en nombre les offres d’emploi et les CV.Les traces ensuite, laissées sur LinkedIn ouViadeo par les candidats qui veulentvaloriser leur image, et par les entreprises qui y entretiennent leur marqueemployeur. « Sur ces réseaux, on contacte des personnes ayant travaillé avec lescandidats pour vérifier leur parcours et approfondir leurs candidatures », rap-porte Cristelle Jacq, responsable recrutement et diversité du groupe Assystem.La controverse enfin – elle se développe sur Twitter, Facebook et dans les com-munautés de travail qui cooptent leurs « proches ». Sur les réseaux, les recru-teurs fontdudéfrichage, recherchentdesprofilsquin’appartiennentpasà leursmétiers traditionnels et scrutent les échanges pour décrypter le savoir-être descandidats. « Dans ce type d’échanges, le candidat adopte un ton plus léger »,reconnaît Laure Rocalve, responsable de lamarque employeur digital chez BNPParibas. A ceux qui cherchent un emploi,la conversation donnedes éléments d’am-biance sur l’entreprise. Les « coopteurs »constituent, quant à eux, des fichiers depersonnes recommandables tant sur leursavoir-être que sur les compétences.Ce flux très dynamique nourrit un nou-veau rapport à l’entreprise, qui passe désormais au second plan derrière lacommunauté de travail. Face au chômage, les jeunes aspirent à la stabilité del’emploi. S’ils avaient le choix, 51 % aimeraient travailler dans unemême entre-prise toute leur vie, révèle, le 11 mars, le baromètre Prism’emploi.Mais pas à n’importe quel prix : 43%des jeunes diplômés d’écoles d’ingénieursoud’écoledecommerceontquitté leurentreprisemoinsdedeuxansaprès leurembauche parmanque d’évolution, indique une étude de l’Edhec. Le besoin deperspectives et d’engagement progresse auprès des jeunes diplômés, qui préfé-reront les start-up ou les coopératives aux grandes entreprises au nom de leurliberté oude la « valeur travail », quitte à le regretter quand la start-up semeurt.Les jeunes vont donc chercher le sens du travail non plus auprès de l’entreprise,mais de leur communauté professionnelle. Ils se font connaître sur les réseauxsociaux, où ils partagent les informations et construisent leur carrière à traversleurspropres« tribus». Côté entrepreneurs, les chaînesdevaleurs traditionnellessont bousculéespar les adeptes du« faire » soi-même. Selon la théorie de l’acteurréseau, touteaction impliquant l’ensembleduréseauaune incidencesursescom-posantespropres : à l’imagedumarchédu travail. Ladynamiquedufluxet l’espritdu « faire » ont, en effet, développé les communautés de travail à l’extérieur del’entreprise. La question reste de savoir d’où émergera l’emploi. ANNERODIER

édito

Du flux, du « faire »et de l’emploi

LES JEUNESVONTCHERCHERLESENSDUTRAVAILAUPRÈSDE LEURCOMMUNAUTÉPROFESSIONNELLE

ETCONSTRUISENTLEURCARRIÈREÀTRAVERSLEURSPROPRES «TRIBUS »

Président du directoire,directeur de la publication

LOUIS DREYFUS

Directeur du «Monde»,membre du directoire,directeur des rédactions

GILLES VAN KOTE

Secrétaire généralede la rédaction

CHRISTINE LAGET

Coordination rédactionnelleANNE RODIERPIERRE JULLIEN

Création et réalisation graphiqueLAURA RODRIGUEZVINCENT MOTRON

EditionAMÉLIE DUHAMEL

CorrectionSERVICE CORRECTION

DU « MONDE »

IllustrationJULIEN GRATALOUP

GUILLAUMITFANNY MICHAËLISJULIEN REVENU

PublicitéBRIGITTE ANTOINE

FabricationALEX MONNET

JEAN-MARC MOREAU

ImprimeurSEGO, TAVERNY

Candidats/recruteurs : le newdeal

FORMATION | RECRUTEMENT | CARRIÈRE

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Monde

n°21

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LogementJ'HABITE DANS

UN BUREAU

Lemodèleéconomique réinventé

HACKERS, COOPÉRATEURS : LES JEUNES ENTREPRENEURSINTRODUISENT DE NOUVEAUX CODES

Le grand entretienPIERRE-YVES GOMEZ :

LE RETOUR INATTENDUDES COMMUNAUTÉS

DE TRAVAIL

ILLUSTRATIONDE COUVERTURE :FANNY MICHAËLIS

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mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 5

3 Edito

6 En bref

24 LogementJ’habite dans un bureau, par Elodie ChermannQuid du droit au logement opposable

26 Reconversion professionnelleChanger de métier au virage de la trentaine, par François SchottLa seconde vie des as de la finance, par Margherita Nasi

31 FormationLe pari risqué des « Tanguy » de l’université, par Catherine Quignon

48 CarrièreContractuels à vie, les mal-aimés de la fonction publique, par Valérie Segond

50 DéontologieLa question éthique au cœur de la motivation des salariés, par Margherita Nasi

52 DiversitéLa Yump Académie, l’école qui voulait donner sa chance à chacun,par Léonor Lumineau

53 Création d’entrepriseLa terre promise se révèle parfois plus hostile que prévu, par Catherine QuignonLa Tunisie teste la voie de l’entrepreneuriat contre le chômage des jeunes,par Gabrielle Pasco (à Tunis)

56 Le grand entretienPierre-Yves Gomez : « On a oublié que le travail est communautairepar essence », propos recueillis par Sophie Péters

59 Invitation à la lecture, par Pierre Jullien

8 Lemodèle économique réinventé par François Desnoyers

12 Jamais sans mon imprimante 3D, les « makers » changent la donne,par Léonor Lumineau

14 La cybersécurité, voie royale pour les hackers, par Sophy Caulier

16 Start-up ou grand groupe, deuxmondes que tout oppose, par Valérie Segond

20 Les coopératives incarnent l’espoir de vivre le travail autrement,par François Desnoyers

22 Comment les «digital natives» vont forcer l’entreprise à bouger,par François Schott

34 Candidats/recruteurs : le new deal par Anne Rodier

36 Les réseaux concurrencent les sites d’emploi, par Camille Thomine

40 Les associations d’anciens élèves se modernisent, par Gaëlle Picut

42 5 à 10 offres d’emploi pour un seul poste… les annonces sont-elles bidons ?par Valérie Segond

44 Le service civique, une main-d’œuvre qualifiée bon marché,par Léonor Lumineau

46 Pour en finir avec la précarité des stagiaires, par Astrid Gruyelle

sommaire

Supplément auMonde n° 21830, daté du 25mars 2015

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6 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

en bref

Pôle Emploi lancera à partir de juin l’« Emploi store », unsite proposant des services, applications et formations en

ligne aux demandeurs d’emploi puis, en 2016, aux entreprises.Cette plate-forme associée au site www.pole-emploi.fr existantproposera des services inédits en ligne. Pôle emploi envisagede développer, en appui à des tutoriels expliquant commentrédiger une lettre de motivation ou construire un CV, desoutils digitaux tels que « serious game » ou des simulateursd’entretiens et même des formations en ligne (MOOC).

Pôle emploi se numérise

Combien tugagnes ?

Seuls 37 % des salariés savent combien gagnent leurs collègues,selon une étude menée par Harris, auprès de 1 002 adultes

consultés en ligne, pour Glassdoor, plate-forme consacrée àl’emploi, qui permet à chaque salarié de noter son entreprise.Parmi ceux-là, 58 % expliquent que l’information leur a été fourniepar un collègue, 16 % par bruit de couloir... et 4 % par « quelqu’unde la DRH ». 77 % des salariés estiment que les employeursdevraient être contraints de communiquer davantage sur le sujet,ce qui permettrait, pour 50 % d’entre eux, d’éliminer l’écartde rémunération entre les hommes et les femmes.

En grèvepour exigerun patronLes 11 salariés du magasinLeader Price de Vineuil,près de Blois (Loir-et-Cher),qui n’avaient plus dedirecteur depuis plusieurssemaines, se sont mis engrève fin janvier pourdemander « un patron ».« Notre direction nousdemande d’assurer destâches qui relèvent d’unmanageur de magasin, encontinuant de nous payerau smic », se plaignait unsalarié, qui devait s’occuperde la comptabilité.

51FIDÈLES AU POSTES’ils avaient le choix, 51 %des jeunes souhaiteraienttravailler dans la mêmeentreprise toute leur vie,selon le baromètrePrism’emploi-OpinionWay,publié le 11 mars. Quatre mois de « vacances » payés 2 000 euros

brut mensuels, 50 euros par jour pour les fraisde restauration... Le site de location de logement

de courte durée Sejourning, qui propose plusde 10 000 habitations de particuliers à la location

en France, lance une opération de recrutementpour « le meilleur job de l’été » consistant à testerla qualité de ses logements situés à Nice, Monaco,

Paris, Marseille, Lyon, Deauville, Strasbourg,Chamonix... Date limite de candidature,

devant comporter un CV, une lettreet une vidéo de motivation :

le 1er mai([email protected]).

Un job d’étéde tout repos

Diplômés,dites 29 !Les jeunes diplômés doivent

envoyer en moyenne 29 CVet lettres de motivation pourobtenir un poste, selon lebaromètre Deloitte, publié le27 janvier, un nombre en légèrehausse par rapport aux annéesprécédentes. Il était de 27 CVen moyenne en 2014 et de 16en 2013.En région parisienne,le nombre moyen decurriculum vitae envoyésgrimpe même à 38,selon ce baromètre. Parmiles jeunes en poste, 12 %rapportent avoir dû envoyerplus de 50 CV.Cette enquête a été réaliséedu 2 au 14 janvier, auprèsde 1 000 jeunes ayantobtenu un diplôme deniveau bac à bac + 5,il y a moins de trois anset en poste ou en recherched’emploi dans le privé.Les principales difficultésqu’ils disent rencontrer dansleur quête de poste sontde trouver des annoncescorrespondant à leur profil(54 %), d’obtenir une réponsedes recruteurs (52 %)et de manquer de réseaupersonnel (44 %).

1982 1990 2000 2010 2013

SOURCE : DARES « FEMMES ET HOMMES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL »

La parité avance à petits pasINDICE DE SÉGRÉGATION PROFESSIONNELLE

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51,6

56,3

Lecture :l’indicateur de ségrégationselon le sexe vaut 51,6 en2013, ce qui signifie que pouraboutir à une répartitionégalitaire des femmes et deshommes dans les différentsmétiers, il faudrait qu’auminimum51,6%des femmesou des hommes changentdemétier.

55,955,4

53,0

Tout va bienau pays desmilliardaires

B ill Gates reste l’hommele plus riche du monde,

selon la liste annuellepubliée le 3 mars par lemagazine Forbes. C’est la16e fois en vingt et un ansque le patron de Microsoft,arrive en tête du classement,crédité d’une fortunede 79,2 milliards de dollars(70,7 milliards d’euros). Lapart des richesses détenuespar les 1 % les plus riches dela population mondiale estpassée de 44 % en 2009 à48 % en 2014. A ce rythme,elle dépassera 50 % d’icià 2016, selon une étudesur les inégalités publiée le19 janvier par l’ONG Oxfam.

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mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 7

AGENDAContrat de générationLes entreprises de 50 à 300 salariésqui n’auront pas négocié d’accord debranche sur le contrat de génération,conclu un accord collectif ou déposéun plan d’action le 31 marss’exposent à une pénalité.

Emploi5e Semaine de l’industrie,du 30 mars au 5 avril danstoute la France.

Jobs d’étéForum emplois d’été pour étudiantsorganisé par le Crous de Paris etpar Pôle emploi, du 1er au 3 avril.

CarrièresForum de l’alternance, à Paris,les 12 et 13 mai.

Fonction publiqueSalon de l’emploi public, les 12et 13 juin, à la porte de Versailles,à Paris.

Le concours Talents des citésrécompense une quarantainede créateurs d’entreprise oud’association qui mènent leuractivité dans les zones urbainesprioritaires. Il a été créé par legouvernement de Lionel Jospinen 2002 pour « promouvoir etencourager les créateurs

d’entreprise » en banlieue. Seslauréats bénéficient d’un soutienfinancier (de 1 000 à 7 000 euros,certaines dotations étantcumulatives) et du parrainageprivilégié de l’un des partenairesdu concours. Date de clôture desinscriptions pour l’édition 2015 :le 31 mai.

62073C’EST LENOMBREDESDÉFAILLANCESD’ENTREPRISEUn total de procédures de sauvegarde, redressements ou liquidations judiciairesen baisse de 2,9%, soit 1 379 défaillances demoins qu’en 2013. Ce chiffre restecependant bien supérieur à ceux des années d’avant-crise, 2007 et 2008, où il sesituait autour de 50000. Le coût financier de ces défaillances, soit le cumul descrédits fournisseurs des entreprises concernées, a diminué plus nettement, de13,9%, à 4,1milliards d’euros.

Des salariésprêtsà bouger58% des actifs (salariés

plus chômeurs) sedisent prêts à « changercomplètement » de secteur ou demétier « compte tenu de [leur]situation professionnelle etpersonnelle » dans les années àvenir, selon une enquête TNS Sofrespour L’Expresspubliée le 21 janvier.Les plus prompts au changementse trouvent dans le secteur de laconstruction (72 %) et parmi lesjeunes de 16 à 29 ans (63 %). 63 %des actifs interrogés ont par ailleursdéjà changé de secteur ou de métier.En revanche, le désir de mobiliténe va pas jusqu’à l’expatriation :60 % des actifs interrogés neseraient pas prêts à travailler dansun autre pays (sondage réalisé enligne du 2 au 7 janvier auprès de1 000 actifs, représentatifs de lapopulation française âgée de16 ans et plus, selon la méthodedes quotas).Pour ceux prêts à partir, le Canadaest le pays qui fait le plus rêver,selon un sondage CSA réalisé pourDirect Matin publié le 3 février,suivi de la Suisse (9 %), desEtats-Unis (8 %), de l’Espagne et del’Australie (6 %).

Ma petite entreprise en zone prioritaire

JULIE

NREVENU

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8 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Il y a SamBoat, jeune société bordelaisequi a développé un service de location debateaux entre particuliers. Et puis cetteautre structure, Modizy, « marketplace »centrée sur la mode féminine et dont les

fondateurs proposent aujourd’hui une solu-tion clé en main pour créer sa propre galeriecommerciale en ligne. Enfin, OnePark, dontles solutions Web et mobile permettent aux

automobilistes de trouver et réserver leursplaces de parking. Trois idées innovantes,trois profils d’entreprises qui ont un pointcommun : elles ont toutes été cofondées parde jeunes diplômés à la fibre entrepreneu-riale, mais aussi et surtout, porteurs d’unenouvelle façon de faire de l’économie. Aveceux, avec la création de ces structures, cesont des codes et des modèles novateursqui s’immiscent dans le tissu économiquefrançais. Quels sont ces modèles, si familiersà cette nouvelle génération de créateurs ? Lesdigital natives (personnes ayant grandi dansun environnement numérique) en portentprincipalement deux.

Il y a tout d’abord celui des « GAFA » – ac-ronyme de Google, Apple, Facebook et Ama-zon –, les quatre géants de l’Ouest américainqui ont révolutionné en profondeur l’ap-proche du développement économique.

Le client, pivot du dispositifDans une étude publiée à l’automne 2014,l’agence en innovation Fabernovel s’estpenchée sur les nouvelles règles que cesmultinationales du numérique ont érigé. Ellea distingué un principe de base : le client estplacé au centre du jeu là où, dans l’ « ancienneéconomie », c’était le produit qui jouait le rôleprincipal. L’important pour l’entreprise estdonc avant tout de répondre aux besoins desconsommateurs et, ce faisant, de capter labase de clients la plus large possible.

doss i er

FANNY

MIC

HAËLIS

doss i er

Lemodèleéconomiqueréinventé

C’est par eux que lechangement arrive.

Elevés dans un universnumérique, les jeunesdiplômés apparaissentcomme les meilleurs

diffuseurs des standardséconomiques portéspar les géants duWebet de la consommation

collaborative.Des standards que l’onretrouve au cœur desstart-up qu’ils créent.

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mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 9

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10 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

C’est en fidélisant ces derniers avec desproduits ou des services dont le coût d’usagedevient une question secondaire – la gratuitéde certains d’entre eux est assumée – quel’entreprise pourra envisager de créer de lavaleur. Il s’agit là d’un second point essentielpour comprendre le modèle porté par lesGAFA : la présence de ces nombreux consom-mateurs gravitant autour de l’écosystèmede l’entreprise permet de rassembler desdonnées en grande quantité. Des donnéesdont la possession va constituer une ri-chesse stratégique apportant à leurs pro-priétaires une connaissance essentielle desmarchés mais aussi un savoir monnayable.

Une approche iconoclasteCe changement complet de paradigme s’ac-compagne de nombreuses autres spécificités.Volontiers iconoclastes, les GAFA repensenttotalement l’organisation de l’entreprise, tantdans la gestion des ressources humaines (or-ganisations plus souples et moins « vertica-les ») que dans le recrutement. « Ils ne cher-chent pas uniquement à attirer “les meilleurséléments’’, ils se concentrent également sur destalents ayant une capacité notable à appren-dre et à s’adapter », relève Sarah Nokry, seniorproject analyst chez Fabernovel. De même,une place considérable est accordée à l’inno-vation – ces sociétés comptent de 20 % à 40%d’ingénieurs parmi leurs effectifs. Dans lemême temps, elles n’hésitent pas à s’engagerdans de nouveaux secteurs économiquesn’ayant que peu de lien avec leur cœur demétier historique, comme l’a fait Google, parexemple, dans la recherchemédicale.

Le second modèle porté par les digital na-tives [enfants du numérique] vise lui aussi àcasser quelques codes établis : l’économiecollaborative possède en cela de nombreusessimilitudes avec les principes portés par lesGAFA. Là aussi, le client a une place centraleet l’entreprise se bâtit autour d’une réponseà ses attentes. Ce modèle prend appui surune évolution de l’approche qu’ont les con-sommateurs du produit. Ce n’est plus sa pos-session qui importe, mais l’usage qui va enêtre fait. L’acte d’achat n’apparaît plus com-

me une évidence. Cette nouvelle économiepermet à ces mêmes consommateurs d’êtreégalement pleinement acteurs, par le biaisdes sites de mise en relation, en louant, tro-quant, partageant un bien ou un service.Tout comme les GAFA, ce monde de la con-sommation collaborative a ses icônes, sessuccess stories, tels Airbnb pour la locationd’appartements ou BlaBlaCar pour lecovoiturage.

C’est donc dans le sillon de ces modèlesqui leur sont familiers que nombre de jeunesdiplômés se placent aujourd’hui pour déve-lopper leur entreprise. Fabernovel l’a biennoté : « La nouvelle génération de start-ups’inspire fortement des GAFA, analyse SarahNokry. Elle met le client au cœur de sa ré-flexion et s’organise comme ces géants amé-ricains. » Certaines d’entre elles se serventmême directement des outils et services mis

à disposition par les quatre géants pourstructurer leur activité (stocker chez Ama-zon, créer une communauté sur Facebook,faire de la publicité grâce à Google...). « LesGAFA deviennent des infrastructures surlesquelles des entrepreneurs prennent appuipour créer de nouveaux services », poursuitJulien Morel, directeur exécutif d’Essec Ven-tures. Son incubateur et sa pépinière d’entre-prises ont vu les vagues GAFA et économiecollaborative prendre de l’ampleur. « Celafait trois ans qu’on note que la consomma-tion collaborative progresse fortement parmiles projets que l’on abrite », note M. Morel.

Vents porteursLa plupart des entreprises traditionnellesn’ignorent rien des vents porteurs de cesnouveaux modèles. Ni de l’impératifqu’elles ont à les intégrer pour rester, à

long terme, compétitives. Le défi est detaille « tant la culture de certaines entre-prises est éloignée de l’univers digital »,relève Julien Lévy, responsable de la chaireStratégie digitale et big data à HEC. « C’estune adaptation qui prend du temps, il peutêtre très complexe de faire évoluer degrosses organisations sur des changementsaussi profonds », confirme Sarah Nokry.Pour ce faire, les entreprises tradition-nelles peuvent s’associer à des start-upmaîtrisant les codes des GAFA. D’autresont pu racheter des petites sociétés spécia-lisées dans l’économie collaborative.

Des modes de management adaptésElles cherchent dans le même temps à re-cruter des jeunes diplômés possédant cesavoir qui leur fait défaut, afin qu’ils en de-viennent le principal vecteur. « Ces talentsconstituent aux yeux de ces organisations lelevier indispensable pour prendre la vague dunumérique, poursuit Mme Nokry. L’enjeu estalors, pour elles, de donner à cette nouvellegénération du temps et des moyens pourconduire le changement. » A charge pour cesorganisations de démontrer leur capacitéd’adaptation, comme le note égalementM. Lévy : « Les grandes entreprises doiventparvenir à attirer ces jeunes diplômés maisaussi les retenir. » Et c’est précisément enadoptant les modes de management desGAFA – qui sont aussi ceux auxquels aspirentles trentenaires – qu’elles peuvent y parve-nir. « Le mouvement de transformation con-cerne aussi les process organisationnels et deressources humaines », rappelle M. Lévy.

Valoriser l’initiative individuelle, avoirune structure hiérarchique plus légère, fa-voriser la flexibilité des modes de travail, au-tant d’évolutions qui représentent de vastesdéfis pour nombre d’organisations. Des so-ciétés pour qui la « règle des deux pizzas »théorisée par le PDG d’Amazon Jeff Bezos– qui veut qu’une réunion efficace ne doitavoir plus de participants que ne peuvent ennourrir deux pizzas – demeure aujourd’huiune réalité des plus lointaines.

FRANÇOIS DESNOYERS

doss i er | lemodèle économique réinventé

TOUT COMME LES GAFA,LA CONSOMMATIONCOLLABORATIVE A SESICÔNES, SES « SUCCESSSTORIES », TELS AIRBNBPOUR LA LOCATIOND’APPARTEMENT

OU BLABLACAR POURLE COVOITURAGE

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12 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Imaginez, vous faites tomber votre tasse,elle explose au sol... Ce n’est pas grave ! Enquelques clics et grâce à votre imprimante3D, vous en fabriquez une nouvelle à votregoût... Pour les « makers » (ceux qui fa-

briquent), cette fiction est déjà une réalité.Grâce aux machines numériques et au par-tage d’informations au sein de la communau-té, ces bidouilleurs du XXIe siècle entendentsortir de la consommation passive pour inno-ver, fabriquer ou réparer eux-mêmes leurs ob-jets, luttant ainsi contre l’obsolescence pro-grammée et la standardisation.

Le mouvement est né aux Etats-Unis audébut des années 2000 et découle de la mou-vance hacker, liée à l’informatique. « L’essor dela modélisation numérique et de l’imprimante3D fait la jonction entre un monde qui vient dulogiciel libre et qui s’est importé dans celui de laproduction d’objets, avec les mêmes logiquesd’open source », explique Jacques-FrançoisMarchandise, cofondateur et directeur de larecherche et de la prospective de la FondationInternet nouvelle génération (FING).

Un festival à Paris« C’est l’addition du “do it yourself” et du Web2.0 [Web communautaire et participatif dontle contenu est généré par les utilisateurs : fo-rums, tutoriels, sites de notation, etc.] quidonne le “do it together” grâce à la technologie,l’open source, le partage, Internet et la com-munauté », ajoute Bertier Luyt, président fon-dateur du Fabshop, une entreprise spécialiséedans l’impression 3D personnelle, et organisa-teur de la première « Maker Faire » en Franceen 2013, le festival de la mouvance « maker »,dont l’édition 2015 se déroulera à Paris les 2 et

3mai prochains (www.makerfaireparis.com).Cette mouvance englobe en fait une hété-

rogénéité de personnes aux intérêts diffé-rents. Pour Jean-Baptiste Roger, directeur deLa Fonderie, agence numérique d’Ile-de-France, leur point commun est « d’être guidéespar trois idées : la capacité d’agir sur la matière,le plaisir d’apprendre et l’échange et la trans-mission ». Se reconnaissent ainsi, dans le

terme « maker », des bidouilleurs du di-manche, des techniciens passionnés d’innova-tion, des entrepreneurs, des étudiants...

Leur outil phare est l’imprimante 3D. In-ventées en 1984, ces machines deviennentdésormais accessibles au grand public, tanten termes de coûts que de facilité d’utilisa-tion. « D’autant plus qu’il y a beaucoupd’échanges sur le Net – forums, tutoriels,modes d’emploi – qui permettent d’apprendreà les utiliser rapidement », souligne QuentinChevrier, cofondateur de Makery, un médiaen ligne spécialisé dans l’actualité des es-

paces collaboratifs, « fablabs », « maker-spaces » et autres « hackerspaces ».

Ces derniers sont des ateliers de fabricationnumérique où bricolent les « makers ». Leursspécificités ou le profil de leurs utilisateurspeuvent varier, mais on y retrouve les mêmesmachines : imprimante 3D, découpeuses etgraveuses laser, fraiseuses numériques, etc.

Des aides publiquesLe nombre de « fablabs » (contraction de « la-boratoires de fabrication ») double quasimentchaque année : selon le FabWiki, un site colla-boratif consacré à ce réseau, il en existait335 dans lemonde en février 2015.

En France, « il y en a environ 130 si on prendle mot au sens large, en allant du tout petithackerspace obscur à l’atelier institutionna-lisé », estime Quentin Chevrier. Spécificitéfrançaise : beaucoup de ces espaces qui ontcommencé à se multiplier à partir de 2012 bé-néficient de subventions publiques ou de col-lectivités, et de plus en plus d’universités oud’écoles en créent en leur sein.

L’« openlab » duCentre de recherches inter-disciplinaires (CRI) hébergé par l’universitéParis-Descartes et inauguré fin 2014, est l’und’eux. Il est ouvert aux étudiants, citoyens,enseignants, entrepreneurs. « Mêler des gensqui travaillent sur des projets très différents fa-vorise l’efficacité, car le principe est aussi d’êtreen open source sur les techniques et les compé-tences, explique Artémis Llamosi, cofondateurdu lieu. Les gens qu’on a formés au départ àl’utilisation des machines ou des logiciels for-ment eux-mêmes les autres et collaborentspontanément sur la base de leurs idées. »

Ce type d’espaces favorise aussi l’essor de

Grâce aux outils numériques et à l’« open source » appliquéaux objets, le mouvement du « faire » prend de l’ampleur.Ses acteurs : des techniciens passionnés d’innovation,des entrepreneurs, des bidouilleurs du dimanche.

Jamais sansmon imprimante 3D,les «makers » changent la donne

doss i er | lemodèle économique réinventé

«MÊLER DES GENS QUITRAVAILLENT SUR DES

PROJETS TRÈS DIFFÉRENTSFAVORISE L’EFFICACITÉ

CAR LE PRINCIPE EST AUSSID’ÊTRE EN “OPEN SOURCE”

SUR LES TECHNIQUESET LES COMPÉTENCES»ARTÉMIS LLAMOSI, cofondateur de l’« openlab »duCentre de recherches interdisciplinaires (CRI)

Page 13: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

start-up industrielles : « Ces machines coûtentplusieurs dizaines de milliers d’euros, alors quelà, l’idée est de louer. Cela permet aux start-upde faire des prototypes et de passer des proto-types aux produits plus rapidement », expliqueQuentin Chevrier. « Auparavant, le processusde production industrielle était hors de portéedes petits entrepreneurs. Mais la miniaturisa-tion et la chute des prix entraînent la fin duprivilège des industriels », assure Bertier Luyt.

En France notamment, une nouvelle géné-rationde «makerspaces » consacrés aux jeunes

entrepreneurs a vu le jour, comme le soulignele rapport publié par la Direction générale desentreprises (DGE) en avril 2014 « Etat des lieuxet typologie des ateliers de fabrication numé-rique » (www.entreprises.gouv.fr/secteurs-pro-fessionnels/etat-des-lieux-et-typologie-des-ateliers-fabrication-numerique-fab-labs).Accessibles sur abonnement, ils donnent accèsauxmembres – créateurs de start-up, petites etmoyennes entreprises et parfois grandsgroupes en quête d’innovation – aux ma-chines, à l’espace de travail, à la communauté

et à l’expertise de l’équipe encadrante.Le mouvement « maker » interroge ainsi

l’industrie traditionnelle. Certains acteurs lesurveillent d’ailleurs de près. Des entreprisescomme General Electric ou Ford aux États-Unis, Renault, SEB, Air Liquide ou Alcatel-Lucent dans l’Hexagone, ont même ouvertdes « fablabs » internes réservés à leurs sala-riés, ingénieurs ou non. L’idée : favoriserl’innovation, mais aussi le bien-être de leursemployés.

LÉONOR LUMINEAU

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 13

Usine IO, l’atelier de fabrication numérique («makerspace ») des entreprises

Situé en plein cœur de Paris, cet

atelier de fabrication numérique

cible les porteurs de projet

à visée commerciale en leur

offrant espace, machines...

jusqu’aux conseils des experts

les plus pointus.

Une immense entrée noire,

un très haut couloir de même

couleur, une salle de travail

blanche au design épuré avec,

en toile de fond, des ateliers

vitrés occupés par des machines-

outils... L’originalité de l’endroit

– une ancienne galerie d’art aux

volumes étonnants – annonce

déjà la couleur : Usine IO est un

atelier de fabrication numérique

unique en son genre.

Au total, 1 500 mètres carrés,

entre la zone de conception

– des tables et une dizaine

d’ordinateurs équipés de logiciels

de conception assistée par

ordinateur (CAO) – des espaces

de fabrication et un espace de

coworking classique à l’étage.

« Une sorte de salle de sport pour

les inventeurs professionnels »,

sourit Benjamin Carlu,

cofondateur d’Usine IO avec Gary

Cigé et Agathe Fourquet.

Cet ingénieur des Arts et métiers

reçoit vêtu de la blouse blanche

obligatoire pour pénétrer dans

les ateliers. « Les porteurs

de projet peuvent venir louer

les ressources – machines,

compétences, espace – dont ils

ont besoin pour passer plus vite,

et à un coût moindre, de l’idée

au prototype, puis être guidés

sur la phase d’industrialisation,

par exemple sur le choix des

fournisseurs », explique le jeune

homme de 31 ans. La centaine de

membres sont des créateurs de

start-up, des PME, mais aussi de

grands groupes dont les équipes

viennent travailler sur une

innovation.

« Les abonnés ont aussi accès à

des experts (en électronique, en

CAO, en industrialisation, etc.)

qui peuvent donner un coup de

pouce, guider sur l’utilisation des

machines ou louer leur conseil

à la journée lorsqu’il faut aller

plus loin », détaille Benjamin

Carlu. « C’est ce qui fait d’Usine

IO un lieu unique et original

et le distingue d’un “fablab”

classique », estime Stefano Biava

Gadotti, 30 ans, qui fabrique

et reproduit des objets d’art

cinétique. L’abonnement débute

à 100 euros, auxquels peuvent

s’ajouter la location du « service

experts » à la journée.

Pour Enrick Boisdur, qui

développe des casquettes

connectées sous la marque

Capland, Usine IO est un vrai

accélérateur : « Ici, en une à

cinq semaines je peux mettre au

point un prototype. Ça m’a coûté

seulement 100 euros par mois,

alors que si j’avais eu recours à

un cabinet de R&D, j’en aurais eu

pour 15 000 à 30 000 euros et ça

aurait pris le double de temps. »

L’entrepreneur de 45 ans

apprécie aussi les synergies

entre membres : « Comme ce

sont en majorité des ingénieurs,

je les conseille sur le côté

entrepreneurial – comment

rencontrer un investisseur,

un client, négocier

un contrat – et ils me donnent

des tuyaux sur les aspects

techniques. »

La structure, privée, a

notamment levé des fonds

auprès de business angels

vedettes, comme Xavier

Niel (Iliad, et actionnaire

à titre individuel du Monde)

ou Jacques-Antoine Granjon

(Vente-privée.com).

Dans les prochains mois,

d’autres ateliers professionnels

doivent ouvrir en France

dans la lignée de l’appel à projets

d’Aide au développement

des ateliers de fabrication

numérique lancé en 2013

par le gouvernement. L. L.

Page 14: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

Alors que l’informatique touchedésormais la plupart de nos acti-vités, la grande délinquance s’esttout naturellement attaquée auxfaiblesses du système. Ainsi est

née la cybersécurité, destinée à lutter contre lacybercriminalité.

Au début de l’informatique, les pirates etautres hackers relevaient des défis purementtechnologiques. C’était à qui avait franchi lesportes dites inviolables du système d’informa-tion de telle banque ou agence de sécurité.Aujourd’hui, plus un jour ne passe sans quel’on apprenne qu’une nouvelle fraude a étédéjouée ou qu’un cybercasse a eu lieu.

« Face aux nouveaux risques d’espionnageindustriel, de terrorisme ou de sabotage, la pro-tection est devenue essentielle », constate JoëlCourtois, directeur général de l’Epita, écoled’ingénieurs informatiques. Les entreprisesont pris conscience de ces risques et elles seprotègent, cherchant à recruter toutes sortesd’experts en cybersécurité. « Nous recevonsenviron mille offres d’emploi par an pour cesmétiers, alors que nous formons une cinquan-taine d’ingénieurs spécialisés », poursuit JoëlCourtois, qui estime que le marché de l’emploien cybersécurité est de 5 000 offres par an etqu’un millier de ces offres au moins restentnon satisfaites…

Une soixantaine de métiers ont ainsi étérépertoriés, selon Alain Bouillé, président duClub des experts de la sécurité de l’informa-tion et du numérique (Cesin) : « Outre les ingé-nieurs et techniciens spécialistes des différentesbranches, de bac + 3 à bac + 5, on recrute desresponsables de la sécurité et des systèmes d’in-formation – les fameux RSSI –, des analystes,des enquêteurs “post mortem”– qui déchiffrentles attaques après coup –, des testeurs d’intru-sion, auditeurs, techniciens, développeurs, ju-ristes, architectes, formateurs… »

Les vocations sont aussi variées que les mé-tiers. C’est en réparant son ordinateur infectépar un virus que Nicolas Brulez a commencé às’intéresser à la sécurité. Après un BTS en alter-

nance dans une société d’informatique dotéed’un service sécurité et quelques années pas-sées à filtrer les sites Internet pour détecter lesmenaces pour le compte d’une société califor-nienne, il est depuis cinq ans chercheur en sé-curité informatique pour Kaspersky Lab.

Agé de 33 ans, Nicolas travaille chez lui, tra-quant les indices afin d’éviter que les entre-prises soient espionnées et se fassent déroberleurs données. « On récupère des fragmentsd’une grande histoire, on la reconstitue, puison publie ! », explique-t-il. Publier est impor-tant, car la communauté de la cybersécuritépartage ses informations pour que chacuncontinue à se former et à s’informer...

Détective version 2.0Fabien Cozic, lui, est agent de recherches pri-vées, ARP dans le jargon du secteur. A 30 ans, ildirige l’agence d’enquêtes qu’il a créée en2014. Un détective en quelque sorte. « Tous lesdétectives sont des ARP, certains font des fila-tures, d’autres des enquêtes financières, moi, jesuis spécialisé en cybercriminalité ! », précise-t-il. Après un master en intelligence écono-mique et un diplôme en criminologie à l’uni-versité de Nancy, il a travaillé dans des cabinetsd’intelligence économique avant de rejoindrela société de cybersécurité Lexsi où, détaille-t-il, il « analysait le mode opératoire des intru-sions afin d’aider les clients à se dépêtrer d’uneattaque ou d’une demande de rançon ».

Conscient que la multiplication des at-taques allait entraîner de nouveaux besoins,dont celui de la judiciarisation des affaires,

Fabien Cozic a suivi une des deux formationsreconnues par l’Etat au métier de directeurd’agence d’enquêtes privées et a obtenu l’agré-ment du Conseil national des activités privéesde sécurité (CNAPS) délivré par le ministère del’intérieur, sans lequel il ne pourrait pas exer-cer ce métier. Il ne compte pas ses heures maisreconnaît qu’il gagne bien sa vie et qu’il appré-cie de faire des choses différentes chaque jour.

François Bonvalet, 26 ans, et Cyril Alcover,25 ans, ont tous deux trouvé un emploi toutde suite après avoir obtenu leur master Sécu-rité des systèmes d’information en mêmetemps que leur diplôme d’ingénieur à l’Uni-versité de technologie de Troyes (UTT). « J’aifait un stage de six mois en dernière annéechez Lexsi et j’ai été embauché », raconte Fran-çois Bonvalet. « J’ai effectué mon stage chezSolucom, qui ne cherchait pas à recruter, maisj’ai décroché des entretiens très facilement etj’ai été recruté très vite par Atheos devenueOrange Cyberdéfense », indique pour sa partCyril Alcover. « Non seulement, nos filièressont pleines chaque année, mais les étudiantssont tous placés avant leur diplôme », affirmePierre Koch, directeur de l’UTT.

Pas assez de vraies compétencesPour les recruteurs, la tâche n’est pas toujoursfacile. « Il n’y a pas encore suffisamment devraies compétences ou elles sont cachées, alorsque les besoins explosent », constate Ludivinede Lavison, directrice des ressources humainesd’Orange Cyberdéfense. Aussi les recrutementsse font essentiellement par cooptation, réseau-tage et par l’intermédiaire de chasseurs detêtes. A noter que les experts en cybersécuritésont mieux rémunérés que les informaticiensou ingénieurs généralistes. Un ingénieur débu-tant touche ainsi entre 37 000 et 39 000 eurosbrut annuels. Et s’il est expérimenté, qu’au-cune faute éthique n’entache son parcours etque son casier judiciaire est vierge, un hackern’a même pas besoin du bac pour intégrer uneéquipe d’analystes ou d’enquêteurs !

SOPHY CAULIER

Des offres d’emploi à foison, des métiers diversifiés,des salaires attractifs, des perspectivesd’évolution rapide… Un secteur prometteur oùil n’est pas seulement question de technologie.

La cybersécurité,voie royale pour les hackers

doss i er | lemodèle économique réinventé

«NON SEULEMENT NOSFILIÈRES SONT PLEINESCHAQUE ANNÉE, MAISLES ÉTUDIANTS SONT

TOUS PLACÉS AVANT LEURDIPLÔME»

PIERREKOCH, directeur de l’Université technologiquede Troyes (UTT)

14 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Page 15: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015
Page 16: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

Que choisir ? Travailler dans unesociété établie, voire une mul-tinationale, ou tenter l’aven-ture de la start-up ? « Les grandsgroupes recrutant des profils trèsnormés, issus des mêmes gran-

des écoles, selon des critères de sélection très ri-gides, on n’a pas toujours le choix », observe Ké-vin, 28 ans, salarié d’une société de négoce devins en ligne, sous le couvert de l’anonymat.

« Il est rare de viser la start-up, reconnaît incog-nitoMarie, 25 ans, entrée chez un comparateurde prix après son diplôme de Rouen BusinessSchool. Le plus souvent, on préfère créer la sien-ne ou entrer dans une société renommée pourl’exhiber sur son CV. » En tout cas, une chose estsûre : l’alternative est loin d’être neutre, car cesont deuxmondes que tout oppose.

A commencer par les locaux. Au 18 de la rueYves-Toudic, à Paris, il faut passer par une

porte de service pour entrer dans la pépinièrede start-up Paris-République. Escalier de bétonpeint autour d’unmonte-charge pour palettes,plateaux entrepôts scindés en pièces homo-gènes fermées, petites enseignes permettantd’identifier les start-up, espace communmeu-blé de canapés et tables de bistrot, machine àsoft drinks... Et dans chacune, des tables colléesles unes aux autres, quelques papiers, des ordi-nateurs portables. Rien à voir avec les temples

Conditions de travail, rémunérations, risques : des sociétésclassiques aux jeunes pousses, quelles sont celles qui offrentles meilleures opportunités ? L’instabilité des secondes peutconduire, les années passant, les salariés à choisir de se poser.

Start-up ou grand groupe,deuxmondes que tout oppose

doss i er | lemodèle économique réinventéFANNY

MIC

HAËLIS

16 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

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Page 17: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

de verre et d’acier de La Défense, ni avec leshalls d’entrée et bureaux soignés d’une sociétéétablie ayant bâti une partie de sa « marqueemployeur » sur le design de son mobilier.Dans une start-up, tout est bricolé et cool, ycompris les jeunes en jean, chemise ou sweet àcapuche, l’air sortis tout droit de l’école. « Onest collègues et aussi amis, se réjouit Marie. Onva souvent dîner ensemble le vendredi soir. »

De cette proximité au sein d’une équipe oùl’on se tutoie, où le fondateur est à portée demain et où chacun sait ce que font les autres,se dégage l’impression d’un groupe de co-pains. Pour l’étranger qui arrive là, impossiblede voir au premier coup d’œil qui est le chef.

« Dans une société établie, on n’oublie jamaisson rang ni à qui on doit rapporter. Dans unestart-up, chacunpropose ses idées sans craindrede court-circuiter son chef ni de le voir se lesapproprier », assure Sébastien Tétard, 28 ans,directeur technique chez Artsper, un site devente en ligne d’art contemporain qui, avant,travaillait dans une société de service informa-tique pour le compte de grands groupes. « Ici,il n’y a ni cloisonnement, ni barrière. » Au prix,souvent, d’une définition de poste très floue,aux contoursmobiles.

Touche-à-tout ou hyperspécialisationEmbauchée pour monter des partenariatschez un comparateur de prix, Marie n’a pastardé à rédiger des newsletters. « Quand, dansun groupe, l’hyperspécialisation des postespermet de se construire une excellence qui serareconnue sur le marché du travail, dans unestart-up il ne faut pas avoir peur de toucher àtout, quitte à faire des choses qui n’ont rien àvoir avec ce pour quoi on a été recruté », recon-naît Pierre Josseaux, entré il y a trois ans chezQapa, une plate-forme d’offres d’emploi.« L’important, témoigne-t-il, c’est que tout le

monde est tourné vers le développement de lasociété, ce qui nourrit un fort sentiment d’ap-partenance. »

« Ce qui compte pour les jeunes diplômés,c’est d’emmagasiner de l’expérience dans desdomaines variés et inconnus pour eux, y com-pris en zone d’inconfort, remarque FrancescoKruta, un ancien de chez McKinsey, cofonda-teur d’Ubudu, qui conçoit des solutions de dé-tection de clients pour la grande distribution.C’est comme ça qu’ils apprennent. » D’où aussice sentiment d’improvisation qui désarçonneparfois les nouveaux arrivants : « Ce qui m’asurpris dans la start-up, c’est que, comme il y atrès peu de moyens, on fait les choses commeon peut, selon des processus non stabilisés,s’étonne Jean-Baptiste Quesney, recruté peuaprès son diplôme d’Epitech, par Ubudu. C’estagréable de se sentir libre... tant que la pressionn’est pas trop forte. »

Dans les start-up, le quotidien est très varié,loin des tâches délimitées et répétitives quel’on trouve parfois dans des groupes aux pro-cess très structurés. D’où aussi la facilité aveclaquelle chacun peut présenter des idées aufondateur, lequel peut démarrer sur le champsa mise en œuvre. « Dans une société établie,pour lancer un projet, il faut le présenter unepremière fois à son supérieur hiérarchique,l’ajuster, le valider, le représenter et caler tousles paramètres dans un va-et-vient intermi-nable avant le feu vert », reconnaît Elsa, char-gée de développement RH depuis un an dansun groupe familial de la parapharmacie, quipréfère ne pas dévoiler son identité. En start-up, si une idée est bonne, elle s’imposera toutde suite sans laisser la politique interne et lesproblèmes de territoire la freiner ou la défor-mer. « La différence de rythme entre une socié-té établie, où le processus de décision peut s’éta-ler sur des semaines ou desmois, et une PME oùl’on décide et exécute tout de suite, est vertigi-neuse et pose un vrai problème pour les start-up qui travaillent en B to B [business to busi-ness c’est-à-dire d’entreprise à entreprise] »,déplore Francesco Kruta.

C’est aussi un monde où l’on peut prendredes responsabilités très tôt. «Alors que dansungrand groupe, un chargé de marketing n’aurapas de mission stratégique avant plusieurs an-nées, dans une start-up, on se voit confier trèstôt des réflexions sur le cœur du métier », ex-plique Marie. « Chez Exalead, les jeunes diplô-més gèrent à 25 ans des projets qu’ils n’auraient

pas gérés avant 40 ans dans un grand groupe,renchérit son fondateur François Bourdoncle.Pour cette génération en quête de sens, l’auto-nomie sur un projet n’a pas de prix. » La recon-naissance aussi : « J’ai des responsabilités et untitre de directeur des ventes que je n’aurais pasobtenus dans une entreprise classique, constateAmaury Lanthier, directeur commercial chezArtsper. Pour moi, c’est un vrai statut qui veutdire que l’on me fait confiance. » Et de ces res-

«CE QUI COMPTE POURLES JEUNES DIPLÔMÉS,C’EST D’EMMAGASINERDE L’EXPÉRIENCE DANSDES DOMAINES VARIÉS,Y COMPRIS EN ZONE

D’INCONFORT»FRANCESCOKRUTA, cofondateur d’Ubudu

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 17

« J’aime la variétédes tâches et l’absencede formalisme »

« A la fin de mes études, j’ai

effectué deux stages, au Crédit agricole

puis à l’aéroport de Nice. Il y a trois ans,

je suis entré chez Qapa, une plate-forme

d’offres d’emploi où je suis chargé

de la satisfaction des annonceurs

et des candidats. Je ne regrette

absolument pas l’univers des grandes

sociétés. Les avantages – 13e mois,

primes, mutuelle – ne compensent

pas la diversité des tâches en start-up,

la variété du quotidien, les relations

simples et naturelles avec les collègues,

et même avec les fondateurs, toujours

accessibles, et l’absence de formalisme

et de cloisonnement. Car dans un univers

concurrentiel toujours en mouvement,

il faut sans cesse être à l’affût, donc

être au courant de tout ce qui se passe.

Suis-je inquiet de mon avenir ?

Pas vraiment. Qapa avait levé

des fonds avant mon arrivée,

son modèle économique est solide,

elle est déjà à l’équilibre et commence

à s’internationaliser. Et mes relations

avec les fondateurs sont bonnes.

Cela fait trois ans que j’y travaille,

et je me vois bien y rester jusqu’à ce

qu’un jour, peut-être, je crée ma propre

société. » V. S.

DR

Pierre Josseaux,26 ans, diplômé del’Edhec et de SkemaBusiness School

Page 18: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

18 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

ponsabilités découle la satisfaction d’avoir dupoids sur la société : « L’important, c’est quel’on m’écoute, que je sois libre de mes choixtechniques, et que mes décisions aient un im-pact visible sur la start-up », tranche Jean-Bap-tiste Quesney chez Ubudu.

En clair, quand dans les grands groupestoutpréexiste à l’arrivéedesnouvelles recrues,les start-up, en devenir, reposent intégrale-ment sur les individus et leurs initiatives :« Dans un grand groupe, le cadre, les systèmeset la culture ont été fixés avant l’arrivée desjeunes diplômés », alors que ceux-ci « peuventles changer radicalement dans une start-up »,reconnaît Fred Potter, fondateur de Netatmo.

Monde ouvert ou système pyramidalUne différence de taille qui peut tout changerdansune carrière : dans les entreprises commeAccor, Airbus, Orange, Renault, Sanofi ou Total,la carrière est très encadrée par des directionsdes ressources humaines qui repèrent très tôtles hauts potentiels pour leur proposer des for-mations au management accélérées dans leuruniversité interne.

Par exemple, la Société générale réserveaux jeunes diplômés recrutés en CDI dans lapartie banque de financement internationaldes parcours d’intégration, des sessions denetworking (réseautage) au sein du groupe, etdes séminaires de formation dès l’arrivée dansl’établissement, sans oublier des conseils decarrière pour développer leur employabilité.

Mais ces trajectoires prédessinées ne sontpas toujours perçues comme un avantage.« Dans ces sociétés, la carrière est un trajet donton est le passager, quand, dans une start-up, onconstruit soi-même ses compétences et sa car-rière, résume le fondateur d’Exalead, FrançoisBourdoncle. La certitude d’évoluer dans un sys-tème pyramidal fermé n’est pas moins anxio-gène que dans unmonde ouvert. » La liberté, làest la différence qui peut peser plus lourd quele besoin de sécurité : « Pour que ça marchedans un grand groupe, il faut y rester long-temps, analyse Jean-Baptiste Quesney, chezUbudu.Or je suis incapable demeprojeter dansun plan de carrière à dix ans. Je veux garder lasensation d’être libre et pouvoir me réorienterquand j’en aurai envie. »

Alors, bien sûr, les rémunérations ne sontpas lesmêmes.Mais les différences ne portentpas tant sur les salaires que sur les à-côtés, etpas toujours au bénéfice des grands groupes :contre toute attente, les salaires fixes ne sontpas beaucoup plus faibles dans les start-upque dans les entreprises bien établies, et lesstatuts ne sont pas nécessairement plus pré-caires, le taux de CDI y étant très élevé.« Comme elle joue sa survie, la start-up doitprendre les meilleurs, les rémunérer dans lehaut de la fourchette et leur donner le statutqu’ils demandent, assure Francesco Kruta,chezUbudu. La difficulté c’est plutôt de les fidé-liser dans cette activité à forte croissance, car ilssont naturellement attirés vers la nouveauté.

Pour cela, il faut leur donner des options sur lecapital. » Aussi y a-t-il plus de stock-optionspour les jeunes dans les start-up que dans lesgrands groupes, où elles sont réservées auxmanagers confirmés. Pour des horaires exten-sibles, comme dans les sociétés de conseil,entre quarante et cinquante heures par se-maine, selon les urgences à régler. Car dans cemonde, personne ne regarde ses horaires. Enrevanche, avantage aux sociétés établies pource qui concerne les à-côtés offerts par le comi-té d’entreprise, les titres de transport, etc.

Parmi toutes les différences entre ces deuxmondes, il y en a une qui, sans doute, entraînetoutes les autres : la start-up est un universperpétuellement instable, se modifiant au gréd’un modèle en mouvement, au gré aussi deslevées de fonds qui entraînent parfois un bru-tal changement de cap accompagné de nou-velles exigences imposées par les investis-seurs. Unmonde qui peut aussi voir l’avenir sedérober sous ses pieds. Sébastien Tétard af-firme qu’en entrant chez Artsper, il a pris desrisques car « au départ, il n’y avait pas de vraievision. Comme neuf start-up sur dix finissentparmettre la clé sous la porte, je sais au fonddemoi que tout peut s’arrêter du jour au lende-main. Mais si on a confiance dans ses compé-tences, il n’y a aucune raison d’avoir peur ».

« On ajuste en permanence le modèle, re-connaît Amaury Lanthier, chez Artsper. Pourêtre heureux dans une start-up, il ne faut pasavoir peur des remises en question. » Un pointde vue tempéré par François Bourdoncle : « Ilfaut être stable émotionnellement pour sup-porter l’incertitude. » « C’est un univers très ris-qué et il faut admettre d’entrée qu’onnepasserapas sa vie dans une start-up, trancheMarie, car,à la longue, c’est fatigant. On sait que, à 30 ans,il faudra trouver une société stable. »

VALÉRIE SEGOND

« DANS UNE SOCIÉTÉÉTABLIE, LA CARRIÈREEST UN TRAJET DONTON EST LE PASSAGER.DANS UNE START-UP,

ON CONSTRUIT SOI-MÊMESES COMPÉTENCESET SA CARRIÈRE »

FRANÇOISBOURDONCLE, fondateur d’Exalead

doss i er | lemodèle économique réinventé

« Dans un groupeles avantagesl’emportent surles inconvénients »

« Après un stage chez CGI

Business Consulting à la fin

de mes études, je suis entré

en CDI comme consultant

“organisation industries et

utilities” chez Kurt Salmon,

une société de conseil en

management et stratégie

de 1 500 personnes dans

le monde.

Intégrer un groupe de cette

importance n’est pas facile :

on est soumis à des critères

d’évaluation ultra normés.

Les processus de décision sont

très cadrés et les évaluations

sont menées selon un

formalisme qui peut rendre

l’évolution de la carrière

plus lente que dans

les plus petites structures.

Mais les avantages

l’emportent sur les

inconvénients : formation

aux meilleures pratiques

grâce aux sessions

internes préparant au

management, exonération

des innombrables tâches

annexes qui submergent

la vie en start-up. Enfin,

meilleures rémunérations

(10 % à 15 % de plus que

dans une petite structure), et

avantages tels que les titres

restaurant, la contribution

patronale aux transports,

et un comité d’entreprise

bien doté qui subventionne

les abonnements aux clubs

sportifs, les voyages dans le

monde et offre des places de

cinéma à tarif réduit, etc. »

V. S.

William Brachini,26 ans, diplôméde l’EM Lyon

DR

Page 19: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015
Page 20: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

Une entreprise avec un petitsupplément d’âme. Voilà com-ment, en écoutant Arnault Leroy,on pourrait définir une coopéra-tive. Cofondateur d’AlterBative,

une société coopérative et participative (SCOP)spécialisée dans l’écoconstruction en Poitou-Charentes, ce trentenaire se réjouit de cettestructure où « tout le monde a son mot à direlorsque des décisions sont à prendre », et danslaquelle « on est plus qu’un simple salarié. »

Déjà, voici quelques années, tout juste di-plômé d’un master en intégration de l’effica-cité énergétique et des énergies renouvelablesdans la conception des bâtiments, il était entrédans le monde professionnel en rejoignantune coopérative d’activités et d’emploi (CAE).Une telle structure lui avait permis d’être toutà la fois entrepreneur – il avait lancé une acti-vité de conseil en architecture bioclimatique –et salarié, et demutualiser la gestion adminis-trative et comptable avec les autres porteursde projet présents au sein de la CAE.

« Dans ma génération, on considère quel’économie sociale et solidaire (ESS) peut ré-pondre à notre besoin de mettre du sens dansce qu’on fait », résume-t-il. Une quête de sensque l’on retrouve chez les jeunes diplômés, deplus en plus nombreux à se tourner vers cesecteur qui abritait, en 2010, un peu plus de25 000 structures et 58 000 cadres.

Unmouvement encore minoritaireL’afflux est notamment très fort dans lesécoles. A EMLyon Business School, ChristineDi Domenico, professeur chargée des courssur l’ESS, constate qu’un « intérêt s’est progres-sivement dessiné » pour les formations qu’elledispense sur le sujet. En quelques années, lafréquentation annuelle de ces modules estpassée d’une quinzaine d’étudiants à environcent cinquante aujourd’hui. Le mouvementreste, certes, minoritaire, mais n’en est pasmoins notable. Là encore, c’est le « petit sup-plément d’âme » attribué aux établissements

de l’ESS (associations, coopératives, mu-tuelles, fondations) qui attire les étudiants.« Ils veulent trouver par ce biais une alterna-tive aux modes d’organisation classiques, re-marqueMmeDiDomenico.Ce qui leur importe,c’est de faire de la finance ou du management“autrement’’ ».

« Cela rejoint plus largement la quête desens portée par les moins de 30 ans, poursuitNathalieTouzé, directrice exécutivedeConver-gences, association qui fédère les entreprisesau service du développement dans le monde.Ses membres veulent être considérés commedes acteurs à part entière. » Et c’est justementdans les coopératives que ces jeunes diplômésvont avoir le sentiment d’être entendus. « Ilssont séduits par l’idée que leur prise de positioncompte, à la différence de ce qui peut avoir lieudans de grandes entreprises où ils n’auraientaucun poids, résume Sébastien Chaillou, étu-diant enmaster 2 de sciences politiques et pré-sident de la coopérative Solidarité étudiante.La structure coopérative, par sa forme démo-cratique ou son objet social, va correspondre àleurs aspirations. »

De fait, « la gouvernance est différente decelle des sociétés de capitaux puisque les coopé-rateurs [les salariés oumême les clients, selonle type de coopérative] constituent l’assembléegénérale de la société, indique Jean-FrançoisDraperi, directeur du Centre d’économie so-ciale (Cestes) au Conservatoire national desarts et métiers (CNAM). Ils décident des orien-tations générales, élisent leur gérant et leursadministrateurs et décident de la répartitionde l’excédent de gestion. »

« Dans une scop, une personne équivaut àune voix, qu’elle ait 100 ou 3 000 euros de capi-tal », observe Arnault Leroy. Cette gouvernancea de multiples conséquences, à commencerpar une « transparence totale,noteM.Draperi :on connaît les revenus de chacun. Et l’écart dessalaires y est inférieur aux sociétés de capitauxcomparables. Si l’entrepreneur souhaite gagnerle plus possible d’argent ou s’il veut monter uneentreprise pour la revendre ensuite, la Scop n’estpas faite pour lui », poursuit-t-il.

Les coopératives possèdent en outre desspécificités en termesde ressourceshumaines.Jean-François Draperi évoque ainsi « un ma-

Un séminaire pour promouvoir un entrepreneuriat alternatif

L’idée vient du Québec

(Canada) et a pris racine

en Poitou-Charentes en

2012. Organisé par l’union

régionale des SCOP

(sociétés coopératives et

participatives), Campus

coopératives propose tous

les deux ans aux étudiants,

salariés ou chômeurs de 18 à

35 ans un séminaire d’été sur

l’entrepreneuriat coopératif.

La dernière promotion,

en 2014, a regroupé

30 participants, sélectionnés

parmi 120 candidatures.

Au cours de ce séminaire

intensif qui a eu lieu à

l’université de Poitiers,

les participants ont bâti un

projet virtuel de coopérative.

Outil de promotion des

SCOP, l’initiative vise à

« démontrer aux jeunes qu’il

est possible de créer une

structure ex nihilo », indique

Régis Tillay, directeur de

l’union régionale des SCOP.

Elle ambitionne aussi

de transmettre l’« esprit »

d’une telle création :

« On ne va pas bâtir une

entreprise coopérative

pour la revendre dans

les cinq ans. Il s’agit

bien plus de travailler

collectivement sur un projet

de développement d’un

territoire. » F. DE

Les jeunes diplômés sont de plus en plus nombreuxà s’engager dans des structures participatives,des entreprises où ils se sentent écoutés.

Les coopératives incarnentl’espoir de vivre le travail autrement

doss i er | lemodèle économique réinventé

20 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Page 21: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

nagement plus respectueux qui laisse uneplace plus importante à la négociation ». « Lescoopératives permettent aussi de rompre lesentiment d’isolement du créateur et de tra-vailler de façon mutualisée », ajoute PatriciaLexcellent, déléguée générale de la Confédéra-tion générale des SCOP.

Dans le même temps, « l’implication dessalariés dans le travail est plus forte. Lescontraintes en termes d’adaptation, de sou-plesse, sont mieux acceptées, non de façoncontrainte mais volontaire ». Un atout quePierre-Alain Gagne apprécie pleinement. Co-fondateur de Dowino, une coopérative spé-cialisée dans les serious games, ce spécialistedu marketing a rejoint l’ESS, fuyant l’écono-mie traditionnelle où les possibilités d’évolu-tion et le sentiment de reconnaissanceétaient, à ses yeux, des plus faibles. Il a perçudans le système coopératif « une cohérence,qui renforce la motivation. Les salariés sontresponsabilisés : leurs décisions ont des réper-cutions sur le résultat financier et donc surleur argent ».

Cette implication plus grande des coopéra-teurs est d’ailleurs l’un des facteurs qui a puexpliquer le succès de certaines reprises desociétés en difficulté sous forme de SCOP parleurs salariés. Elle n’est toutefois pas une « so-lution miracle », comme le rappelle M. Drape-ri. La coopérative lancée par les ex-ouvrièresde Lejaby a ainsi été placée en liquidation judi-ciaire en février 2015. « Nous restons des entre-prises avec un impératif de rentabilité », rap-pelle M. Gagne.

Les coopératives n’en restent pas moins unsecteur porteur pour les jeunes diplômés. Le

champ de l’ESS connaîtra d’ici à 2020 une im-portante vague de départs à la retraite. Il appa-raît donc comme « un vivier d’emplois »,d’aprèsune étudepubliée en 2013par l’Associa-tion pour l’emploi des cadres. La filière coopé-rativeprésenteundouble avantage : davantageouverte aux jeunes diplômés (une offre surdeux les concerne), « c’est [aussi] le seul seg-ment de l’ESS pour lequel les salaires proposésdans les offres sont supérieurs à ceux du privé[lucratif] », selon l’étude.

Enfin, les coopératives présentent un ul-time atout pour séduire les jeunes diplômés :elles sont en parfaite connexion avec l’espritcollaboratif qui parcourt cette génération. Unegénération invitée à participer au « renouveaude la manière de coopérer à l’œuvre au-jourd’hui, comme le note Mme Di Domenico.Les coopératives ont été créées au début duXXe siècle pour mettre en commun les moyensde production. C’est à l’heure actuelle le par-tage de modes de gestion ou de développementqui est en pleine expansion. »

FRANÇOIS DESNOYERS

FANNY

MIC

HAËLIS

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 21

ULTIME ATOUT POURSÉDUIRE LES JUNIORS :

UNE PARFAITECONNEXION AVEC

L’ESPRIT COLLABORATIFQUI PARCOURT CETTE

GÉNÉRATION

Page 22: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

22 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

On l’imagine volontiers enleader étudiante. Emma-nuelle Duez a la fibre mili-tante, un enthousiasmecommunicatif et parle pour

sa génération. Ses idées, elle ne les défendpas dans la rue mais dans les comités exé-cutifs des grandes entreprises où elle tented’introduire du « fun » et du « kif », parmid’autres valeurs cardinales.

« Les jeunes sont en train d’inventer unnouvel modèle économique. En témoignela multitude de start-up créées par des di-gital natives [enfants du numérique] etrégies par des règles et des philosophiesassez inédites : leadership tournant, or-ganisation à trois niveaux hiérarchiquesmaximum, collaboration avec la concur-rence… », explique-t-elle. Les grandes en-treprises feraient bien de s’en inspirer sielles ne veulent pas voir les talents fuirvers ces nouveaux champions plus agiles.

« Un changement en profondeur »Une étude menée en 2014 par l’Edhec au-près de 1 500 jeunes diplômés d’écoles decommerce et d’ingénieurs montre que43 % d’entre eux ont quitté leur entre-

prise moins de deux ans après y être en-trés parce qu’ils n’avaient pas la possibilitéd’y acquérir de nouvelles compétences oud’évoluer vers un autre poste. D’après uneautre enquête menée par le cabinet De-loitte auprès de 7 800 jeunes actifs dansle monde, 70 % de ceux que l’on nommeles « millennials » (vingtenaires nés avecInternet) ne s’identifient pas au modèletraditionnel de l’entreprise et se verraientplutôt travailler à leur compte. Ils per-çoivent les entreprises actuelles commepeu innovantes, trop centrées sur le profità court terme et peu concernées par le dé-veloppement personnel de leurs salariés.

« L’erreur serait de ne rien faire encroyant que l’orage va passer, estime Em-manuelle Duez. Ce n’est pas un simple pro-blème de génération mais un changementen profondeur du modèle de l’entreprise,que la génération suivante va accentuer. »Composé d’une dizaine de consultants,tous âgés de moins de 30 ans, le BosonProject se place en accompagnateur de ceschangements radicaux.

Depuis 2012, le cabinet a déjà réaliséune dizaine de missions auprès de grandsgroupes (EDF, Capgemini, Havas et même

le ministère de l’économie et des finances)mais aussi de sociétés plus petites, commeAlloresto, une PME d’une soixantained’employés dont la plupart ont entre 25et 35 ans. « Un effectif jeune aux attentesfortes », souligne son PDG, Sébastien Fo-rest. « Les nouveaux arrivants n’acceptentplus automatiquement le lien hiérarchique.Ils ont besoin d’être bluffés par leurs chefset de se sentir épaulés dans leur dévelop-pement personnel », analyse-t-il. La mis-sion du Boson Project, qui a duré plusieursmois, a commencé par des entretiens indi-viduels visant à cerner les attentes de cha-cun. « Nous allons voir en premier ceux quisont arrivés les derniers dans l’entreprise,expliqueEmmanuelleDuez. Nous en tironsun “rapport d’étonnement” qui est très poli-tiquement incorrect car toutes les réponsessont anonymes. » Après une deuxième sé-rie d’entretiens avec les managers, le cabi-net formule ses propositions.

Des projets encouragésEmmanuelle Duez a créé The Boson Pro-ject dès ses études terminées car elle n’en-visageait « pas autre chose que l’entrepre-neuriat ». Elle est également à l’origine duprojet WoMen’up, un think tank qui réu-nit chefs d’entreprise et jeunes diplômésautour des questions de parité et d’équi-libre vie professionnelle-vie privée. L’as-sociation vient de lancer son propre incu-bateur, le Propulseur de potentiels, afinde faire éclore une nouvelle générationde cadres capable d’accélérer les change-ments en cours dans les entreprises.

FRANÇOIS SCHOTT

A la tête du Boson Project, un cabinet de conseil« nouvelle génération », Emmanuelle Duez sondeles salariés et explique auxmanagers pourquoiles jeunes recrues doivent être écoutées.

doss i er | lemodèle économique réinventé

Comment les « digitalnatives » vont forcerl’entreprise à bouger

Emmanuelle Duez, 28 ans,diplômée de Sciences Poet de l’Essec, a crééThe Boson Project,un cabinet de conseil« alternatif ». Elle animeaussi le think tankWoMen’up, centrésur l’équilibre vieprofessionnelle-vie privée.

DR

Page 23: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

LeMondeLeMonde

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Page 24: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

24 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

«Chambres de 16à 42 m2 en co-location dansun immeubled’époque situé

entre la place Vendôme et lejardin des Tuileries. A partirde 201 euros par personne etpar mois, toutes charges in-cluses. » Quand Rémi Sauge-ron, 26 ans, diplômé d’unmaster en activités physiqueset santé, récite fièrementl’annonce qu’il vient de dégo-ter sur Internet, tous ses amissoupçonnent l’arnaque. Etpour cause ! « D’ordinaire, unpetit studio dans le 1er arron-dissement se loue, au bas mot,1 200 euros par mois », recon-naît-il. Mais Rémi n’habite pastout à fait un logementcomme les autres. « C’est unancien bureau reconverti tem-porairement en apparte-ment », explique-t-il.

Suite royale de 16m2

On y accède par un escalier desecours qui dessert les quatreétages. Au premier, une enfi-lade de portes marquées, cha-cune, par une étiquette. « Ici, cesont les toilettes communes, ex-plique-t-il. Là, l’une des troissalles de bains », une pièce im-mense avec une cabine dedouche échouée dans un coin.Rémi fait une nouvelle halte aumilieu du couloir. « Bienvenuedansma suite royale de 16m2 »,lance-t-il avec humour.

A l’intérieur, la décorationest spartiate : des murs dénu-dés, une vieille moquette griseet, en guise de mobilier, un litdouble, un bureau, un fauteuil,des étagères en bois. Le tout

éclairé par une grande fenêtreet une rangée de néons. « Pro-fesseur en éducation physiqueadaptée, j’ai débarqué à Paris ily a six mois pour monter maboîte, raconte le jeune Marseil-lais. Faute de situation stable,j’ai été obligé, au début, desquatter chez des amis. Cette

solution me permet d’avoirmon indépendance tout en fai-sant un maximum d’écono-mies. » Comme Rémi, près dedeux cents personnes enFrance ont trouvé un logementgrâce à Camelot Property.

Fondée aux Pays-Bas en1993, cette société spécialiséedans la gestion des locaux va-cants s’est peu à peu dévelop-

pée en Angleterre, en Alle-magne, en Irlande, enBelgique puis en France, oùenviron 5 millions de mètrescarrés de bureaux sont esti-més vacants, dont 3,5 millionsdans la seule région Ile-de-France. « Sur le plan légal,nous nous appuyons sur l’ar-

ticle 101 de la loi du 25 mars2009 de mobilisation pour lelogement et la lutte contrel’exclusion (Molle), qui permet,à titre expérimental, d’instal-ler des occupants dans des lo-caux vides pour un minimumde trois mois, avec au moinsun mois de préavis avant dequitter les lieux », précise Oli-vier Berbudeau, directeur du

développement de CamelotFrance.

Tout le monde semble ygagner. Les propriétaires seprémunissent contre lesrisques de squat, de vanda-lisme, de vol ou de dégrada-tion sans casser leur tirelire –les prestations démarrent à1 000 euros par mois par bâti-ment contre près de 15000eu-ros pour une solution de gar-diennage classique. Quant aux« gardiens-résidents », ils bé-néficient de grands espacesd’habitation dans des endroitsoriginaux, à moindre prix.Une aubaine pour Elise, res-ponsable clientèle dans uneagence événementielle à Paris.« Aprèsmes études à l’ESCMar-seille, je suis revenue vivre chezmes parents à Morangis dansl’Essonne, raconte-t-elle souscouvert de l’anonymat. Uneheure et demie de transportpar jour pour aller travailler, çane m’enchantait guère, maisavec un salaire de débutanteen CDD, je n’avais pas les

Les loyers sont trop chers ? Et si vous posiez vos valises dans des locauxprofessionnels vides ? Importée de chez nos voisins anglo-saxons,cette solution économique fait ses premiers pas en France.

J’habitedansunbureau

logement

«LA LOI PERMET, À TITREEXPÉRIMENTAL, D’INSTALLER

DES OCCUPANTS DANS DES LOCAUXVIDES POUR UNMINIMUM

DE TROISMOIS»OLIVIERBERBUDEAU, directeur du développement de Camelot France

« Vivre dans deslieux insolites »« Habiter chez papa-maman,

c’est bien. Mais passé un

certain âge, on a envie

d’indépendance. Il y a deux

ans, j’ai donc commencé à me

renseigner pour louer

un studio. J’ai finalement

dû renoncer faute de budget.

J’ai découvert le principe

de la “protection par

occupation” dans la presse.

Le concept m’a tout de suite

plu. On peut se retrouver à

vivre dans des lieux aussi

insolites qu’un château,

un hôtel, une école... J’ai

donc déposé un dossier

de candidature et après à

peine un mois d’attente, j’ai

emménagé avec trois autres

résidents dans un ancien

immeuble de bureaux à

Noisy-Champs, en Seine-

Saint-Denis. Le bâtiment est

immense. Je dispose d’une

chambre de 25 m2. Plus du

double de ce que j’avais dans

la maison de mes parents à

Bobigny (Seine-Saint-Denis).

Bien sûr, il y a quelques

inconvénients : les cloisons

sont très fines, nous n’avons

pas de connexion Internet…

Mais ce n’est quand même

pas la fin du monde ! » E. C.

Florent Vandal,28 ans, agentd’exploitationà la société Sams

DR

DR

Page 25: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

moyens de me payer une loca-tion à 800 euros par mois. »Alors quand un copain de pro-mo lui a parlé de cette solu-tion, Elise a sauté sur l’occa-sion. « Tant qu’à faire, j’en aiaussi fait profiter ma sœur, quiest intermittente du spectacle !,confie-t-elle. C’est sympa, on

vit chacune chez soi mais onpeut se voir quand on veut ! »

Une odeur alléchante enva-hit soudain le couloir. Dans lacuisine, Cyprien, 22 ans, seprépare un plat de pâtes à lasauce provençale. « Quandj’énonce mon adresse, mes col-lègues me regardent souvent

avec de grands yeux !, racontele jeune fonctionnaire de po-lice, originaire de Toulouse,qui, pour des raisons profes-sionnelles, souhaite resteranonyme. Je n’aurais jamaiscru pouvoir habiter un jourl’un des plus beaux quartiersde la capitale ! Encore moins

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 25

Instauré par la loi du 5mars2007, le droit au logementopposable (DALO) impose

à l’Etat de loger toute per-sonne de nationalité fran-çaise ou disposant d’undroit ou d’un titre de séjouren cours de validité qui n’estpas enmesure de le faire parses propresmoyens.

« Sont, en principe, jugésprioritaires les ménagesdépourvus de logements,menacés d’expulsion sansrelogement, hébergés tem-porairement dans un éta-blissement de transition, en-tassés dans des locauxsuroccupés avec au moinsun enfant mineur ou unepersonne à charge présen-tant un handicap, logésdans des locaux présentantun caractère insalubre oudangereux ou bien ceux quiont fait une demande de lo-gement social restée sans ré-ponse depuis un délai anor-

malement long », énumèreJean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droitau logement (DAL).

Si vous répondez à cescritères, vous pouvez effec-tuer un recours devant unecommission de médiation.Si cette dernière vous recon-naît prioritaire, l’Etat a sixmois pour vous proposerun logement. En théorie.

En pratique, sur les131 000 ménages reconnus« prioritaires DALO » enFrance, 54 394 n’étaient pasrelogés au 1er janvier 2014,dont 42 408 au-delà des sixmois légaux. Le problème seconcentre en Ile-de-Francenotamment où 41 375 mé-nages prioritaires étaienttoujours sur le carreau au1er janvier 2014, dont 33 658hors délai.

Parmi eux, Ketty Desti-na, une élève-infirmière de28 ans, maman de deux en-

fants de 3 et 8 ans, est enpleine procédure. « J’ai reçuun avis favorable il y a plusd’un an, mais il n’a été suivid’aucune proposition de re-logement », déplore-t-elle.Elle a eu beau contacter lamairie, écrire au premierministre et au président dela République, rien n’y a fait.

Elle a donc déposé un re-cours auprès du tribunal quia condamné la préfecture àune astreinte. Mais elle n’atoujours pas de logement !« En attendant, je vis à l’hô-tel, dans une chambre de15 m2 financée par l’aide so-ciale à l’enfance, explique-t-elle.Mes enfants et moi dor-mons tous les trois dans lemême lit. Pour pouvoir révi-ser mes cours, je suis doncobligée de m’enfermer dansla salle de bains. Je ne saispas combien de temps jevais tenir dans ces condi-tions ! » E. C.

Quiddudroit aulogementopposable ?

arriver à mettre des sous decôté ! »Mais pour pouvoir bénéficierde ces avantages, encore faut-il répondre aux critères de sé-lection : n’avoir ni enfants nianimaux, justifier de revenusréguliers ou d’un garant pourles étudiants, et surtout four-nir une attestation sur l’hon-neur dans laquelle un proches’engage à vous reloger sousun mois maximum en cas devente de l’immeuble.

Pas de fête, pas de tabacUne fois son dossier accepté,le résident est tenu de respec-ter le règlement intérieur pla-cardé un peu partout sur lesmurs. Au chapitre des obliga-tions : participer à l’entretiendes parties communes, ne pasfumer dans les locaux, ne pasallumer de bougies, ne pasorganiser de fêtes, signaler laprésence d’un hôte ou encoretoute absence supérieure àtrois jours.

Pas de quoi effrayer Rémi,bien au contraire. « Ces règlesde vie sont appréciables quandon recherche une ambianceplutôt calme, témoigne-t-il. Aumoins, ici, on n’a pas l’angoisseque le voisin mette la musiqueà fond tous les soirs jusqu’aubout de la nuit. » Au départ,Alizée, 22 ans, ne voyait, elle,pas d’un très bon œil toutesles contraintes imposées.« J’avais peur de m’isoler »,confie-t-elle. Elle a fini par s’yfaire. « Comme je m’entendstrès bien avecmes colocataires,je n’éprouve plus le besoin d’in-viter plein d’amis. »

ELODIE CHERMANN

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26 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Ils étaient consultant, cher-cheur, ouvrier et ont changéde métier. A 30 ans, alorsque certains tentent de fairedécoller leur carrière,

d’autres repartent de zéro. Enraison de parcours d’insertionde plus en plus difficiles, maisaussi parce qu’ils veulent unmétier qui leur plaise, lesjeunes diplômés sont nom-breux à songer à la reconver-sion.D’aprèsun sondagemenéen 2014 par l’Association pourla formation professionnelledes adultes (AFPA), 42 % desmoins de 30 ans envisagent dechanger d’orientation dans lestrois prochaines années contreun taux de 32 % pour l’en-semble des actifs.

« Parmi les jeunes diplômés,la reconversion est moins sou-vent subie et davantage choisieque pour les autres classesd’âge. Les jeunes ont moins decontraintes personnelles, ilsfranchissent plus facilement lepas », constate IsabelleDubose,directrice de la relation sta-giaires à l’AFPA.

Si le désir de changementest largement partagé, il nedébouche pas nécessairementsur une reconversion. « Beau-coup de gens ont besoin defaire le point après quelquesannées d’expérience profes-sionnelle, remarque LaurentGamber, responsable du ser-vice information et conseil duFongecif (fonds de gestion descongés individuels de forma-tion) Pays de la Loire. Ilsveulent évoluer mais pas forcé-

ment changer demétier. » Pourles aider à y voir plus clair, larégion a créé en 2010 le conseilen évolution professionnelle(CEP), un dispositif gratuitd’accompagnement des sala-riés et des demandeurs d’em-ploi dans leur projet d’évolu-tion professionnelle.

Divers dispositifs« Cela permet demieux orienterchacun en fonction de ses be-soins : bilan de compétences,validation des acquis de l’expé-rience, éventuellement change-ment de métier. Dans ce cas, le

CEP peut aider les personnes àidentifier la bonne formation età monter le dossier de finance-ment. Les entretiens sont gra-tuits et se déroulent hors del’entreprise », précise LaurentGamber.Mis enplaceauniveaunational début 2015, le CEP estaccessible dans les principauxorganismes chargés de forma-tion et d’insertion profession-nelle : Pôle emploi, Cap emploi,les missions locales, l’Associa-tion pour l’emploi des cadres,les organismes paritaires col-lecteurs agréés gestionnairesdu congé individuel de forma-tion (Opacif) et les Fongecif.

Après cinq ans passés dansun cabinet de conseil interna-tional, Quentin Doisy a ressen-ti ce besoin de faire le point.« A la sortie de mon master enmanagement, j’étais ravi de re-joindre un grand cabinet pourdévelopper mes compétencesopérationnelles. Mais au boutd’un peu plus de cinq ans, jecommençais à m’éloigner demon objectif initial. Je voulaistravailler dans les ressourceshumaines, or j’intervenais uni-quement sur des déploiementsinformatiques en lien avec lesRH », explique-t-il.

Il décide donc de quitterson entreprise et d’effectuerun bilan de compétences. Au-jourd’hui responsable du pôleressources humaines et quali-té de vie au travail chez DS Ser-vices, un cabinet de conseil ensanté au travail et perfor-mancedes organisations d’unecinquantaine d’employés, fi-liale du Groupe Sofaxis, il pi-lote des projets d’améliorationdes conditions de travail pourdes clients principalement dusecteur public. « Cela reste duconseil, mais la dimension hu-maine est beaucoup plus pré-sente. Les attentes sont fortes

dans les administrations enmatière d’amélioration de laqualité de vie au travail, et par-ticulièrement en matière deprévention des risques psycho-sociaux », témoigne-t-il.

Elle aussi consultante enorganisation, Marine Bienai-mé espérait croiser l’entreprisede ses rêves grâce à ses mis-sions dans différents secteurs.Mais au bout de deux ans à ceposte, la jeune femme, diplô-mée d’une grande école decommerce, réalise qu’il s’agitd’un choix par défaut. Elles’inscrit alors en première an-née de licence de psychologie àl’université Paris-VIII. « J’aichoisi une formation à dis-tance qui me permettait decontinuer à travailler. J’y suisallée pour voir, ça m’a plu. A lafin de la première année, c’étaitdevenu un projet de reconver-sion », explique-t-elle. Elle ob-tient sa licence et décide d’en-chaîner sur un master enpsychopathologie psychanaly-tique. « Compte tenu des en-jeux du master (volume ho-raire, stages), je ne pouvais pascontinuer à travailler. J’ai doncfait unedemandedeCIF [congéindividuel de formation] quim’a permis de faire aboutirmon projet de reconversion,tout en étant accompagnée fi-nancièrement. »

Aujourd’hui psychologuedans un établissement publicspécialisé, en Seine-Saint-De-nis, elle ne regrette pas sonchoix. « Ce métier me corres-pond beaucoup mieux que ce-

Près d’un jeune diplômé sur deux envisagede changer d’orientation professionnelle.Mais un tel choix n’est pas sans risqueset ressemble souvent à une course d’obstacles.

Changerdemétierauviragede la trentaine

reconversion professionnelle

«LA RECONVERSION ESTMOINSSOUVENT SUBIE ET DAVANTAGE

CHOISIE PAR LES JEUNES DIPLOMÉSQUE PAR LES AUTRES CLASSES D’ÂGE»

ISABELLEDUBOSE, directrice de la relation stagiaires à l’AFPA

Page 27: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 27

lui que j’ai exercé avant. Toutn’est pas encore parfait ; àterme, j’aimerais avoir monpropre cabinet, mais pour lemoment j’ai encore besoind’apprendre au contactd’autres praticiens. »

A l’image de Marine Bienai-mé, il est possible de mener àbien un projet de reconversiontout en étant salarié d’une en-treprise, via le CIF ou le comptepersonnel de formation (CPF),qui a remplacé le droit indivi-duel à la formation (DIF) de-puis le 1er janvier. « Le DIF étaitgéré par l’employeur qui déte-nait l’information sur lenombre d’heures accumuléespar chaque salarié, les modali-tés de mise en œuvre, etc. Avecle CPF, les salariés ont accès àces informations et bâtissenteux-mêmes leur projet profes-sionnel en s’adressant directe-ment aux organismes deformation et de financement »,

souligne Laurent Gamber. Uneévolution positive qui a aussises inconvénients. « Commetoujours, ce sont les personnesqui sont déjà lesmieux forméeset les plus agiles sur le marchédu travail qui vont en bénéfi-cier », regrette Isabelle Dubose.

Deux ans pour décollerPour qu’une reconversion soitréussie, il faut bien en mesu-rer les implications finan-cières. Antoine Tacetti, un ou-vrier charpentier devenuphotographe professionnel,en sait quelque chose. A30 ans, après dix ans d’activitédans le secteur du BTP, il négo-cie une rupture convention-nelle avec son employeur pourpouvoir se consacrer à sa pas-sion, la photo, et en faire sonmétier. « A part quelquescontacts dans un studio publi-citaire, je n’avais pas de projetprécis. En tant que demandeur

d’emploi, j’ai pu suivre une for-mation de créateur d’entre-prise à l’AFPA, de six semaines.J’ai enchaîné sur un CDD d’unmois en tant que photographeau Club Med, en Martinique, etpuis plus rien », raconte-t-il.Quelques mois plus tard, il de-vient autoentrepreneur, maisc’est difficile, il ne trouve pasde clients. « Je ne savais pascomment m’y prendre. » Cen’est qu’au bout de deux ansque l’activité décolle enfin.Antoine Tacetti travaille au-jourd’hui pour des entrepriseschampenoises, parmi les-quelles de nombreux viticul-teurs qui font appel à lui pourpromouvoir leurs produits.« J’ai des demandes tous lesjours, de beaux projets », sa-voure-t-il, fier de son parcours,même si ses débuts ont étééprouvants : « J’ai mangé despâtes et du riz pendantquelques années, heureuse-

ment que mon entourage étaitlà pour me soutenir. »

Compte tenu du temps etdes sacrifices qu’elle demande,la reconversionnécessite beau-coup de motivation et une cer-taine force de caractère. Quit-ter un travail est en effetsource de stress pour soi etpour ses proches, qui ne com-prennent pas toujours cechoix très personnel. Mais lejeu en vaut bien souvent lachandelle.

D’après une étude de Pôleemploi, la mobilité profession-nelle, lorsqu’elle est choisie,conduit le plus souvent à uneamélioration des conditions detravail et à un meilleur équi-libre vie privée-vie profession-nelle. En outre, les deux tiersdes personnes concernées dé-clarent avoir davantage de pos-sibilités d’évolution dans leurnouveau métier.

FRANÇOIS SCHOTT

Etcomment

Quoi

Pour qui

Le « chèque reconversion » estdélivré par certains conseilsrégionaux sur demandedes personnes concernées parun licenciement économique.Mais l’aide doit être prescritepar une cellule dereclassement ou par Pôleemploi. La formation doitentrer dans le cadre d’un projetde reconversion défini par cesorganismes avec le salarié.

Toutes formations.

Se renseigner auprès de sonconseiller Pôle emploi sur lesaides disponibles. Attention,elles sont souvent associéesà un choix de formationsorientées vers les métiers « entension » . Ceux qui souhaitentutiliser leur compte personnelde formation (CPF) peuventcompléter leur financementgrâce à l’aide individuelleà la formation (AIF).

Formations courtes ou longuesdans le cadre de dispositifsde retour à l’emploiou de création d’entreprise ;bilan de compétences ;VAE.

Si la formation se déroule surle temps de travail, l’employeurdonne son accord dans lestrente jours à compterde la réception de la demandeet la transmet à l’organismefinanceur. Sinon, le salariés’adresse directement àl’organisme financeur dontdépend son entrepriseet n’a pas besoin de l’accordde son employeur.

Formation certifiante oudiplômante dans le cadred’un compte personnelde formation (CPF) ;validation des acquisde l’expérience (VAE).

Certains salariéset demandeurs d’emploi 3

1. Opacif : organisme paritaire, collecteur agréé, gestionnaire du congé individuel de formation. 2. Le conseil régional. 3. Salariés concernés par une procédurede licenciement économique ; demandeurs d’emploi en convention de reclassement personnalisé (CRP) ou en contrat de transition professionnelle (CTP).

Formation longue, diplômantedans le cadre d’un CIF (congéindividuel de formation) ;bilan de compétences ;validation des acquisde l’expérience (VAE).

Les candidats adressent leurdemande à l’Opacif de leurrégion (sans passer par leuremployeur).L’organisme décide d’une priseen charge totale ou partielledes frais pédagogiques, descoûts annexes (transport...)et du salaire pendant la duréede la formation.

Les demandeursd’emploi indemnisés

Les salariés du privéen activité

Les salariés du privéen activité

Le financement des aides à la formation

LA RÉGION 2PÔLE EMPLOIL’EMPLOYEURL’OPACIF 1PAR...

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28 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Ils ont tous fait des en-vieux avec leur train devie faramineux, leurssoirées bien remplies etleurs bureaux design.

Pourtant, les golden boyssont de plus en plus nom-breux à quitter, par opportu-nisme, passion ou lassitude,unmonde de la finance qui amontré ses failles avec lacrise.

Certains ont eu la chancede quitter le navire au bonmoment. C’est le cas de Lio-nel Cohen, arrivé à Londresen 2004, après une maîtriseà Paris-Dauphine et une ex-périence d’un an dans la fu-sion-acquisition. Ses pre-miers pas sur le marché dutravail britannique sont dé-cevants : la firmede courtagequi l’emploie ne le paie pasautant que prévu sur soncontrat, il rejoint une autresociété au bout d’un an.

Les années fastesAuprès de l’entreprise ICAP,le jeune broker peut exploi-ter ses connaissances : entrois ans, il réalise de bonsbénéfices : « C’étaient des an-nées fastes, je dormais peu, jesortais énormément avec lesclients, tout le monde ga-gnait plein d’argent. »

Mais sa direction finit parle pousser au départ : lecourtier est mis en compéti-tion avec une équipe concur-rente qui travaille sur lemêmemarché et commence

à lui piquer ses clients. « Jesuis parti au bon moment.J’avais 29 ans, c’était en 2008,l’année suivante l’équipeconcurrente a été licenciée. Al’époque, personne n’a com-pris mon choix. Mais au-jourd’hui, tous mes amis quisont restés dans ce milieu seplaignent des conditions quise sont détériorées. »

Lionel profite de l’argentcumulé et voyage pendantun an et demi. Puis il rentre àLondres et lance Fastoche,une chaîne de fast-food spé-cialisée dans les pâtes et lessalades. Avec l’économieréelle, il découvre aussi lestress. « Les marchés finan-ciers sont un environnement

assez protégé : on est salarié,on est très bien payé. En mon-tant mon entreprise, j’ai eubeaucoup à apprendre. Obte-nir un prêt bancaire était im-possible, j’ai donc entière-ment financé mon businesscash, c’est beaucoup de pres-sion. Au début, on perd del’argent, c’est normal, mais ilfaut éponger tout ça. Si je re-venais en arrière, je referais lamême chose, mais en m’asso-

ciant avec un partenaire quiconnaît le milieu. »

Jean Moreau, 32 ans, dé-couvre, lui, la finance avec lacrise : en 2007, il commenceune carrière en banque d’af-faires, où il s’occupe de fu-sion-acquisition. Il est viterattrapépar « la déconnexionentre le confort matériel dontil jouit et le manque de sensdans son travail ». Le jeunehomme s’ennuie devant lesprésentations PowerPoint etles tableaux Excel. Il vit dansl’attente des week-ends etdes congés annuels. Et sevoit déjà à 50 ans, avec beau-coup d’argent sur soncompte, mais sans avoir rienconstruit.

En 2012, cinq ans aprèsavoir obtenu sa jolie carte devisite « Investment Banking– M&A Analyst », il démis-sionne. Contre l’avis de toutlemonde, et c’est bien le plusdur. Entouré de gens qui ontsuivi le même parcours, Jeansubit « une forte pression ».

Il veut lancer une start-up ayant pour vocation dedonner une deuxième vieaux produits invendus.

« Quand on monte une boîte,on pense que tout va allerrapidement. En fait, il fautcompter un, deux ans. Et nepas s’essouffler. » Phenix voitle jour en 2014. L’entreprisetransforme les surplus etdéchets en dons aux associa-tions caritatives, en nour-riture animale, en revente àdes destockeurs, ou en com-post ou méthanisation. Jeantravaille plus qu’avant, lestress ne manque pas, maissa quête de sens a abouti :« Chaque soir, je peux medire que j’ai sauvé X kilos denourriture de la poubelle.C’est un impact à petiteéchelle mais c’est bien plussatisfaisant que d’être salariédans une grande structure,où nous sommes tous inter-changeables. »

Changement de capD’autres attendent plus long-temps pour franchir le pas.Christelle Meslé-Génin passeainsi une dizaine d’annéesdans la finance sans vrai-ment se poser de questions.Car elle aime sonmétier : ellecommence dans les relationsinvestisseur, s’occupe des in-troductions en Bourse, puisintègre le groupe GeneralElectric en tant que directricede la communication dansles filières financières, avantd’intégrer AON, une sociétéaméricaine de courtage.Pourtant, quand cette élèvemodèle quitte, à 38 ans, un

Construire, tel est le maître-mot de Lionel, Jean ou Christelle,qui ont quitté le monde de la Bourse et de la banque d’affairespour créer leur entreprise, parfois pour gagner moins...

reconversion professionnelle

«A L’ÉPOQUE, PERSONNE N’ACOMPRIS MON CHOIX. MAIS TOUSMES AMIS RESTÉS DANS CE MILIEU

SE PLAIGNENT AUJOURD’HUIDES CONDITIONS DÉTÉRIORÉES»LIONELCOHEN, ex-broker, à la tête de la une start-up Fastoche

La secondeviedesasde lafinance

Page 29: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

Entretien avec Philippe Sabbah : « Beaucoup de cumulards font irruption dans lemonde de la BD »

Philippe Sabbah n’est pas un

reconverti mais un observateur

averti du monde de la finance.

D’une bulle à l’autre, il montre en

BD le milieu tel qu’il est. Après

dix ans dans les salles de marché

de Madrid, Paris et Hongkong, et

un passage à la banque d’affaires

JPMorgan, il préside aujourd’hui

Robeco Gestions Paris, leader

néerlandais de la gestion d’actifs.

Il est l’un des auteurs avec

Tristan Roulot et Patrick Hénaff

(dessinateur) de la triologie

Hedge Fund (Ed. Le Lombard),

une série d’albums qui raconte

l’ascension de Franck Carvale,

petit courtier en assurance,

jusqu’au plus haut niveau de la

finance internationale. Un travail

qui l’amuse et qui lui permet de

porter un regard critique sur la

finance.

Un financier qui fait de la BD,

c’est atypique ?

Oui, mais je ne suis pas le seul. Il

y a beaucoup de cumulards, des

personnes qui font irruption dans

le monde de la BD parce qu’ils

ont un rapport technique ou

professionnel qui donne au texte

une profondeur et un réalisme

que le scénariste tout seul ne peut

pas apporter.

Dans Hedge Fund, beaucoup de

scènes font partie de mon vécu :

le bizutage de Franck Carvale avec

les fraises Tagada par exemple.

Ce sont des petites anecdotes

qui ne s’inventent pas et qui

donnent un aperçu du milieu.

Mon rôle est aussi essentiel

pour donner de la précision aux

opérations financières évoquées

ou aux dialogues : il faut que les

personnages s’expriment comme

des vrais traders.

Comment avez-vous basculé

dans la BD ?

La BD, c’est un rêve de gamin, j’en

ai toujours beaucoup lu. Il y a

cinq ans, j’ai fait la connaissance

de Tristan Roulot dans un club

d’escrime. On a sympathisé,

on allait boire des bières après

le sport. Il me montrait ses

premiers pas dans la BD et je lui

racontais ma vie dans la finance.

Avant de faire de la gestion

d’actifs, j’étais dans les salles

de marché, alors j’ai toujours

des anecdotes à raconter. Cela

passionnait Tristan, qui a fini

par me dire : pourquoi ne pas

en faire une BD ? La finance, ça

jargonne, ça se donne des grands

airs mais ça n’est jamais vraiment

très complexe. Il faut dévoiler ce

monde au grand public, et c’est

ce que nous avons voulu faire

en décrivant les tribulations de

Franck Carvale. Les Français sont

en général très mal informés en

matière d’économie et, pire, de

de finance. Ils savent tout juste

ce qu’est un taux d’intérêt. Si on

peut participer à une forme de

pédagogie, c’est déjà beaucoup.

Comment est perçue cette

activité dans votre milieu

professionnel ?

De manière variable. Pour le

tome 1 de Hedge Fund [paru en

2014], j’ai renoncé à mes avances

sur droits d’auteur : je n’en ai pas

besoin, je ne vis pas de ça. Cela

m’a permis de l’envoyer dédicacé

comme cadeau à mes clients, en

prenant soin de préciser que je ne

touchais pas de droits dessus et

qu’il n’y avait donc pas de conflit

d’intérêts. Ça a été très bien pris,

mais ça a aussi suscité quelques

jalousies et grincements de dents.

Des professionnels m’ont accusé

de me faire financer le tome 1

par la boîte. Et il y a toujours

quelqu’un pour me demander de

manière mesquine comment je

trouve le temps de m’occuper de

BD en même temps que de mon

travail.

L’album porte un regard sévère

sur la finance. Pourquoi ?

Je montre le milieu tel qu’il est.

Certains n’ont pas de scrupules.

Pas tous, mais une grande

majorité ne va pas plus loin

que le profit immédiat. C’est

d’ailleurs sur la capacité à

générer du profit immédiat

que nous sommes souvent

jugés. C’est un mal dont souffre

l’ensemble du système,

et qui le dévie complètement.

Les institutions financières ne

sont pas là pour s’engraisser sur

le dos des gens mais pour mettre

de l’huile dans les rouages.PROPOS RECUEILLIS PAR M. N.

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 29

bon salaire et un bon poste,personne n’est vraiment sur-pris. « J’ai toujours été impli-quée dans le bénévolat. Au-près des sans-domicile-fixe,des personnes en recherched’emploi. J’ai aimé conseillerles jeunes, parler de l’entre-prise, des métiers. Je me plai-sais dans mon milieu profes-sionnel mais je ne me voyaispas arriver à la retraite sansrien avoir construit autour dema passion. »

« Le vrai sujet »S’écarter des sentiers battusn’est pas facile pour la jeunefemme qui veut créer sonentreprise. Il y a d’abord lesalaire – « le vrai sujet »,admet-elle. Et puis il fauttrouver les financements, lespartenaires… L’aventure en-trepreneuriale n’est pas unevoie royale, surtout quandon part « seule, devant unepage blanche ».

En 2013, JobIRL, réseau so-cial professionnel pourl’orientation des 14-25 ans,voit le jour. Aujourd’hui, ilrassemble 13 000 membres.« Je suis bien plus occupéequ’avant : la semaine je tra-vaille non-stop, le week-end,je fais les salons. Mais j’ai sa-tisfait mon aspiration àconstruire. »

Si l’envie d’autonomie etla quête de sens relèvent duparcours personnel, la crise asans doute contribué à dété-riorer l’image de la finance.Les reconversions dans lesecteur se multiplient, maisrepenser sa vie n’est paspour autant plus facile.Stress, problèmes écono-miques, remise en question...pour un parcours de recon-version réussi, il reste indis-pensable de se munir d’unprojet solide et d’une déter-mination de fer.

MARGHERITA NASI

DR

Page 30: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

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Page 31: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 31

Pour éviter le chômage, 11 % des jeunes diplômés de 2010ont repris le chemin de la fac avant 2013. Une démarchepas toujours bien vue par les employeurs.

Le pari risqué des« Tanguy » de l’université

formation

Etudiant en masterInnovations encommunication àl’université Paris-13, Julien Hélaine a

décidé de reprendre ses étudesaprès quelques mois de galèrepour trouver un emploi. A sasortie en 2012 d’une école decinéma, le jeune homme espé-rait trouver un job d’assistantde production. Mais dans undomaine aussi bouché, difficilede percer. «Une petite sociétéde production m’a proposé detravailler pour elle,mais en tantqu’auto-entrepreneur, raconte-t-il. Elle a fini par couler. »

Pour décrocher le poste deses rêves, le jeune homme s’estfinalement décidé à repasserpar la case « fac ». « Je n’avaispas de réseau et je voyais mesamis en difficulté, témoigne-t-il. J’ai décidé de reprendre uneformation pour me construireun début de réseau et bénéfi-cier de conventions de stages. »

Julien est loin d’être le seuljeune diplômé à retourner surles bancs de la fac après despremiers pas précaires sur lemarché du travail. Une en-quête du Centre d’études et derecherches sur les qualifica-tions (Céreq) portant sur la gé-nération 2010 note une ten-dance croissante à la reprise

d’études pour les bac + 3 à bac+ 5. Alors quemoins de 8%dessortants de la génération 2004reprenaient une formationdans les trois ans suivant l’ob-tention de leur diplôme, ilssont plus de 11 % dans ce caspour la génération 2010.

Les motivations de cesjeunes « Tanguy » de l’univer-sité sont diverses : musclerleur formation, éviter un trou

sur le CV… Quelques-uns ontdu mal à quitter le rassurantstatut d’étudiant. « On voit desjeunes qui reprennent leur cur-sus après l’avoir abandonné encours de route, mais aussid’autres qui enchaînent les li-cences sans vraiment savoir oùils vont », observe BarbaraMuntaner, du Centre d’infor-mation et de documentationjeunesse (CIDJ).

En 2006, un rapport du Co-mité national d’évaluation del’université Paris-IV-Sorbonne

pointait les cas de réinscrip-tion en formation dans le seulobjectif d’obtenir des conven-tions de stage ou de bénéficierdu statut étudiant.

Mais cette stratégie com-porte des risques : retournersur les bancs de la fac n’est pastoujours bien vu par les em-ployeurs. « Si le but est unique-ment d’éviter un trou sur sonCV ou d’occuper son temps,

l’étudiant court droit à l’échec,souligne Anne-Marie De-blonde, responsabledes jeunesdiplômés au cabinet de recru-tement Alphée. Le recruteur abesoin de comprendre ce qui amotivé la reprise d’études. »

Etre surdiplômé ne permetpas toujours de tirer sonépingle du jeu. « Reprendre desétudes peut être intéressantpour des niveaux bac à bac + 2,mais pour les étudiants quisortent d’une école, c’est biensouvent reculer pour mieux

sauter, estime Ludovic D’hoo-ghe, directeur du cabinet derecrutement Alphéa Conseil.Aujourd’hui, la porte d’entréedans les entreprises se situe plu-tôt aux échelons inférieurs. »

Néanmoins, le « plafond deverre » du diplôme existe dansde nombreuses entreprises.« Quand on n’a pas fait le top 5des grandes écoles, l’employa-bilité peut se révéler plus com-pliquée, estimeMichaëlMoyal,directeur général du cabinetde recrutement Moyal & Par-tners. D’autant que les grillesde rémunération des grandesentreprises dépendent souventde la formation d’origine. C’estpourquoi il peut être bon d’en-visager des études complé-mentaires sous la forme d’uneannée de spécialisation, àcondition de viser les meilleursétablissements. »

Au demeurant, il est bienplus facile d’intégrer une écoleprestigieuse via un pro-gramme post-diplôme qu’enformation initiale. « Commeles mastères spécialisés coûtentcher, même les grandes écolesn’arrivent pas à compléter leursclasses », souffle un spécialistedu recrutement, qui préfèrerester anonyme.

C’est cette stratégie de l’ex-cellence qu’a suivie Pierre, ac-

«SI LE BUT EST D’ÉVITER UN TROU SURSON CV OU D’OCCUPER SON TEMPS,L’ÉCHEC EST ASSURÉ. LE RECRUTEURA BESOIN DE COMPRENDRE CE QUIAMOTIVÉ LA REPRISE D’ÉTUDES»

ANNE-MARIEDEBLONDE, cabinet de recrutement Alphée

Page 32: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

32 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

tuellement en mastère spécia-lisé Management urbain etimmobilier à l’Essec. Anciendiplômé de Sciences Po Bor-deaux, le jeune homme de26 ans n’a pas hésité à lâcherun CDI confortable dans uncabinet de lobbying afin de re-prendre une formation. « J’aidécouvert que l’immobilier of-frait plus de débouchés, no-tamment à l’international, ex-plique-t-il. J’ai donc négociéune rupture conventionnelleafin de compléter ma forma-tion initiale et trouver un em-ploi dans ce secteur. » Le pari

semble gagnant : alors qu’il n’apas encore achevé sa forma-tion, le jeune homme a déjàreçu deux propositions d’em-bauche. « Ce diplôme va aussime permettre de bénéficierd’un bonus au niveau du sa-laire », se réjouit-il.

Sonder les anciens élèvesAvant de suivre une nouvelleformation souvent coûteuse,l’étudiant a intérêt à se ren-seigner sur l’insertion profes-sionnelle des anciens élèveset à faire le point sur sonpropre parcours. « Le jeune

diplômé doit veiller à la cohé-rence de son projet profession-nel, précise Anne-Marie De-blonde. S’il n’arrive pas àtrouver d’emploi au bout dequelques mois de recherche, ildoit se poser les bonnes ques-tions : est-ce que le problèmevient d’un projet décalé parrapport à sa formation ? Deson manque d’expérience ?D’une formation inadaptéeaux besoins du marché ? »

A défaut de reprendre sesétudes, d’autres alternativess’offrent à lui. « Si l’étudiant afait peu de stages, je lui conseil-

lerais de développer son expé-rience de l’entreprise en trou-vant un job dans un secteurqui l’intéresse, explique Ludo-vic D’hooghe. Il y a plein depostes qui permettent d’êtreintégré dans l’entreprise et dedévelopper son réseau. »

Autre option, le séjour àl’étranger. « Partir un an per-met de développer ses compé-tences linguistiques et d’acqué-rir de la maturité », souligneAnne-Marie Deblonde. Et,peut-être, de décrocher, ail-leurs, le job tant convoité.

CATHERINE QUIGNON

Quelques pistes pour optimiser la reprise des études à moindre coût

Pas besoin de tout reprendre à zéro pour

intégrer une formation. « Les passerelles

entre les diplômes se sont multipliées au

niveau des universités et des écoles »,

fait valoir Barbara Muntaner, du CIDJ.

Il existe par exemple des concours

passerelle pour les BTS afin d’entrer en

école de commerce ou d’ingénieur.

Après une licence, s’inscrire en master est

la voie logique pour les jeunes diplômés

souhaitant reprendre leurs études.

« Le contrat d’apprentissage est aussi

une bonne option, fait valoir Ludovic

d’Hooghe, d’Alphéa Conseil. Il permet

de financer ses études tout en acquérant

une expérience en entreprise. » Après

un bac +4/5, l’étudiant peut envisager

une spécialisation par le biais d’un

mastère spécialisé ou d’un master of

science (MSc). Les admissions se font

généralement sur dossier et entretien.

Le jeune diplômé qui souhaite reprendre

ses études tout en travaillant peut

regarder du côté des formations du

Centre national d’enseignement à

distance (CNED). Quelques écoles

proposent aussi des Mooc (massive open

online courses, cours en ligne).

En ce qui concerne le financement de la

formation, les jeunes diplômés ayant

peu ou pas travaillé ne bénéficient pas

d’une prise en charge. Si l’étudiant

veut reprendre une formation dans un

établissement d’enseignement supérieur

après ses 26 ans ou si l’arrêt de ses

études remonte à plus de trois ans, il lui

faut généralement s’inscrire au titre de

la formation continue. En pratique, cela

signifie des tarifs beaucoup plus élevés :

de l’ordre de plusieurs milliers d’euros,

contre 200 à 300 euros dans le cadre de

la formation initiale. Néanmoins, des

dérogations sont possibles en fonction

des établissements et de la situation de

l’étudiant.

Des aides financières sont parfois

accordées par Pôle emploi, des

régions ou des collectivités. Mais les

formations prises en charge concernent

principalement les personnes peu

qualifiées et les métiers en tension.

Sous conditions, les personnes ayant

suffisamment travaillé pour toucher des

allocations chômage peuvent continuer

à y avoir droit. « J’ai dû prendre un crédit

pour financer ma formation à l’Essec,

indique Pierre. En revanche, j’ai pu

toucher des indemnités Pôle emploi en

remplissant une attestation d’inscription

à un stage. » Pour s’y retrouver dans

le maquis des aides financières, le

mieux est de se renseigner auprès de

l’organisme de formation envisagé. C. Q.

formation

Page 33: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015
Page 34: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

34 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

JULIE

NGRATALOUP

@AXAFrance@MBoucaud bon-jour. Serait-ce possible deconnaître les postes proposéspar votre entreprise ? Et les pro-fils recherchés ? Merci. »

« @bnpp_recrut bonjour, vous embauchezles étudiants pour l’été ? »

« @bnpp_recrut recrutez-vous en licencemarketing option digitale ? #VotreJob »

« @NahedKa 24 févr. @allianzfrance spor-tive de haut niveau et titulaire d’un master 2entrepreneuriat et événementiel sportif ne meratez pas #VotreJob »

« Bonjour @cheksab, merci beaucoup pourvotre message. Pouvez-vous nous préciser dansquel domaine vous recherchez un poste cc@MBoucaud », répondait en direct la DRH d’AxaFrance, Marine de Boucaud, à un candidat in-ternaute.

Le 24 février, ce ne sont pas moins de32 000 tweets qui ont été échangés en« contact direct » entre candidats et entre-prises, estampillés du mot dièse (hashtag)#VotreJob, à l’occasion de la première journéeeuropéenne de l’emploi organisée par le ré-seau social Twitter. Un franc succès dû no-tamment aux grandes entreprises qui, de laBNP à GDF-Suez en passant par l’Armée deterre avaient investi le champ du message en140 signes. Les processus de recrutement hy-performatés qui, durant des semaines, fontrevenir les candidats en entretien avec la RH,la DRH, la DRH groupe, le manager opération-nel, voire plus si affinités, appartiendraient-ilsau passé ? Pas si simple.

Les méthodes de recrutement changentpour intégrer la généralisation des outils In-ternet et la précarisation dumarché du travail.En janvier, les chiffres de Pôle emploi ont bienapporté quelques signaux d’un éventuel re-tournement de tendance. Et il faudrait être unbien « triste sire » pour bouder une bonnenouvelle sur le front de l’emploi, si minimesoit-elle ! Mais tant que les carnets de com-mandes ne se remplissent pas et que les entre-

prises ne reprennent pas franchement leursinvestissements, l’embellie se fait attendre etle CDD s’impose comme la norme du recrute-ment. « Le flux d’offres qui ont été publiées surMeteojob entre le 1er janvier et le 27 février est àpeuprès identiqueàceluide2014(90000offressur les deux mois). Mais le nombre d’offres enCDD a explosé : +60 % », constate PhilippeDeljurie, cofondateur de cette plate-forme derecrutement en ligne. Au niveau national, audeuxième trimestre 2014, la part des CDDavait atteint son maximum historique, à84,2 % des embauches, selon l’Insee.

La touche numériqueL’entrée sur le marché du travail passe, cha-cun le sait, outre par les stages, d’abord parles CDD. L’impact sur le processus de recrute-ment est une volonté commune des candi-dats et des recruteurs de renforcer leur visi-bilité, les uns pour être recrutés vite et bien,les autres pour trouver et garder les meil-leurs.

Les candidats vont sur les réseaux sociauxpourmultiplier leurs chances, faire de la veilleet être identifiés comme experts dans leurcommunauté professionnelle. « Il s’agit poureux d’aller là où se trouvent les recruteurs, sansêtre forcémentdansunedémarchede recherched’emploi », explique Karl Rigal, responsableéditorial de monster.fr. En avril 2013 déjà, cespécialiste du recrutement en ligne avait ins-tallé à LaDéfense un écran géant « pourmettresous les yeux des recruteurs les profils des can-didats envoyés dans un tweet #RecrutezMoi,avec un lien vers leur CV ».

De leur côté, les recruteurs favorisent lecontact direct pour faire connaître leurs mé-tiers. BNP Paribas a ainsi participé à l’opéra-tion Twitter du 24 février, « pour faire savoirqu’elle recrute aussi dans les métiers hightech », explique Laure Rocalve, responsable delamarque employeur digital de l’entreprise.

« Sur certaines fonctions, les postes de com-merciaux ou de développeurs informatiques,

les entreprises n’ont pas pléthore de candida-tures et cherchent à se rendre visibles pourtrouver les compétences qui leur manquent »,explique Karl Rigal, responsable éditorial demonster.fr. « Je ne suis pas sûr qu’on recrutesur Twitter, mais ça contribue à l’image del’entreprise. Nous sommes tous dans une com-pétition de recrutement, où on veut tous lesmeilleurs », souligne Guy Mamou-Mani, pré-sident du Syntec numérique, le syndicat de laprofession.

La hausse du quota d’alternants, entrée envigueur en 2015, a aussi incité des grandsgroupes à élargir leur palette de candidats.« Auparavant, on était sur une approche top-

doss i er

Les entreprises comme les chercheurs d’emploisoignent leur image en investissant les réseauxsociaux. Précarité et métiers en tension provoquentune inflation des CV et des annonces.

Candidats/recruteurs

Page 35: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 35

down [imposée par le haut] de diffusion desoffres. L’échange informel sur Twitter casse lesprocédés classiques et permet de toucher despersonnes qui spontanément ne penseraientpas à BNP Paribas. Pour la journée de mardi,l’objectif était de communiquer sur les alter-nants, confirme Laure Rocalve. Ces dernierstemps, je me lève alternant, je vis alternant, jene pense qu’alternant », plaisante-t-elle. En2015, BNP Paribas souhaite en effet recruter enFrance 1 850 alternants et 1 100 stagiaires. Lecas de BNP Paribas n’est pas isolé. PSA prévoitaussi de recruter 2 000 alternants, en parallèlede 1 500 départs de salariés en fin de carrière.

« Dans les groupes du CAC 40, la progres-

sion du recrutement d’alternants fait baisser leniveau de qualification exigée, remarque Phi-lippe Deljurie. Les grandes entreprises re-cherchent des bac + 2 en alternance en lieu etplace des bac + 4 ou bac + 5, car les alternants ysont vus comme des pré-embauches », dit-il.« Chez BNP Paribas, 50 % des alternants sontrecrutés à l’issue de leur formation », indiqueLaure Rocalve. L’opération Twitter était aussiune opération de séduction.

Dans ce contexte, « le numérique a amé-lioré l’efficacité des processus de recrutement »,estime Guy Mamou-Mani, grâce à l’optimisa-tion des réseaux sociaux, au renforcement dela cooptation, parfois organisée en réseaux en

ligne comme chez Keycoopt, une plus grandepersonnalisation des annonces, le tout avecun coût maîtrisé, bien sûr.

Le processus de recrutement passe tou-jours par une série d’entretiens pour atteindrele Saint-Graal de l’embauche. Twitter, commetous les réseaux sociaux, sert à faire un pre-mier tri. « En conversant en direct sur Twitter,les recruteurs obtiennent les premiers élémentsde vérification du CV, avant de repartir sur uncheminement plus classique de recrutement »,explique Karl Rigal de monster.fr. De nom-breux candidats contactés le 24 février ontd’ailleurs été invités à rejoindre le processusclassique de recrutement. « Bonjour@cheksabje vous invite à consulter toutes nos #offres#juridiques ici : http://go.axa.com/ 1FyxjAH cc@MBoucaud », écrivait ainsi la DRH d’AxaFrance le 24 février.

Tous les canaux possiblesC’est ainsi que les offres d’emploi sont désor-mais multidiffusées sur tous les canaux quipermettent de communiquer sur l’entreprise.Et à cette inflation d’offres, dont le nombre estsupérieur à celui des postes réellement va-cants, répond une inflation de CV. « Désor-mais, on traite 20 000 CV pour 600 recrute-ments réalisés », témoigne GuyMamou-Mani.

Et, « face à l’augmentation du nombre decandidatures par annonce, les entreprises de-mandent une analyse toujours plus fine desCV reçus », note Karl Rigal. C’est là que la coop-tation et les agrégateurs de profils, commeTalentBin, interviennent et inversent la rela-tion entre opportunités d’emplois et candi-dats : ce sont les entreprises qui recherchentleurs futures recrues. Serait-ce enfin le retour-nement de tendance tant attendu sur le mar-ché de l’emploi ?

ANNE RODIER

«JE NE SUIS PAS SÛR QU’ONRECRUTE SUR TWITTER,MAIS ÇA CONTRIBUE À

L’IMAGE DE L’ENTREPRISE.NOUS SOMMES TOUS ENCOMPÉTITION, ON VEUTTOUS LESMEILLEURS »

GUYMAMOU-MANI, président du Syntec numérique

s : le new deal

Page 36: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

36 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

JULIE

NGRATALOUP

«Dans un monde toujours plustransparent, internationaliséet rapide, les processus sontobligés de s’adapter », expli-que Frédérique Scavennec,

dont la nomination à la direction du recrute-ment de L’Oréal, il y a deux ans, coïncide avecl’évolution résolument digitale du groupe. Au-jourd’hui, le numérique est devenu lapremière source d’embauche du géant cos-métique : il utilise LinkedIn pour lancer descampagnes d’embauche « ciblées et chirurgi-cales », Twitter pour repérer des profils digi-taux, Facebook pour communiquer sur sesvaleurs d’entreprise et attirer les candidats ju-niors. En 2015, « l’empreinte digitale » devientmême un critère de sélection, selon Mme Sca-vennec : « Un candidat qui s’absenterait com-plètement des réseaux peut-il vraiments’adapter aumarché actuel ? »

Pour déterminée qu’elle soit, cette stratégien’est pas exceptionnelle. Selon une enquêtemenée par l’Usine nouvelle auprès de 110 en-treprises en novembre 2014, 82% des em-ployeurs déclaraient utiliser les réseaux so-ciaux professionnels pour recruter, et 40,6%les réseaux sociaux généralistes. Aujourd’hui,une simple recherche du mot-clé #job surTwitter fait apparaître entre vingt et trenteoffres d’emploi par minute, tandis que Face-book vient de lancer sa déclinaison « at work »en janvier. Une solution de réseau d’entreprisecalqué sur le modèle grand public et quiconfirme le succès actuel du site : les candidatsy suivent l’actualité des firmes convoitées etamorcent des contacts informels ; les recru-teurs y glanent des informations sur leurspostulants tout en véhiculant une image dy-namique de leur secteur.

Pionnier parmi les sites d’emploi, Monsterne s’y est pas trompé, quimultiplie depuis sixmois les incursions sur les réseaux sociaux :lancement de « Twitter cards » permettant àun recruteur la diffusion automatique de sesoffres de postes faites sur Monster sur leurcompte Twitter ; opérations « #Recrutezmoi »pour inciter employeurs et candidats à se re-trouver autour d’un même hashtag dans unlaps de temps donné et, bien sûr, présence

La dernière décennie a vu semultiplier les applicationsspécialisées et géolocalisées. Le renouveau se jouedésormais sur les terrains dumobile, de l’agrégationde données et de la personnalisation des CV.

doss i er | candidats/recruteurs : le newdeal

Les réseaux concurrencent

Page 37: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 37

renforcée sur Facebook qui a déjà valu au sited’emploi d’être désigné « marque la plus pré-sente » sur le réseau social en 2013, selon lebaromètre du cabinet Cocédal.

Ces solutions permettent aux recruteurs« de tirer profit du Web social sans avoir à y in-vestir le temps qu’ils n’ont pas », selon GillesCavallari, directeur général de Monster enFrance : à l’inverse de la « fiabilité prouvée » etde la « simplicité d’usage » des traditionnelssites d’emploi, les réseaux nécessiteraientbeaucoup de temps pour être efficaces.

Les réseaux sociaux peuvent être très chro-nophages. « Oui, si l’on démarre de zéro », ex-plique Frédérique Scavennec. Mais le tempspassé à communiquer sur la marque et àéchanger avec les candidats est « largementrécupéré par la suite, une fois augmentée laconnectivité avec eux et constitué un solide pi-peline de profils ».

Le risque d’être noyéPour Jean-Christophe Anna, directeur généralde #rmstouch, société spécialisée en recrute-ment mobile et social, l’autre risque des ré-seaux consiste, côté candidat, à se retrouver« noyé » dans la masse des concurrents. « Laplupart des gens s’inscrivent sur LinkedIn ouTwitter mais s’arrêtent à cette étape, note-t-il.Or il faut se démarquer et passer à l’action, in-terpeller des personnes, s’intégrer aux groupesde discussion, partager du contenu…» Devenusincontournables, ces outils ne sont pas ma-giques : « Il faut prendre le temps d’explorerleurs fonctions. » Alors seulement ils se ré-vèlent ce puissant levier pour « faire du ré-seau ». Une démarche somme toute tradition-nellemais « sous-exploitée », selonM. Anna.

Autre solution en vogue pour gagner enefficacité : l’agrégation de données, soit le bigdata appliqué à l’emploi. De nombreusesstart-up et outils comme Gild, Entelo ou Ke-nexa permettent d’aimanter toutes les don-nées numériques relatives à un candidat afind’identifier un profil toujours plus proche deses besoins, dans le secteur d’activité et/oul’implantation géographique d’un recruteur.

Là encore, Monster n’échappe pas à latendance : il vient de faire l’acquisition de

« J’ai trouvémonjob sur Twitter »

« En 2013, Proservia, une filiale

de Manpower, poste sur Twitter

son intention de recruter un

community manager à Nantes.

Je viens de terminer un CDD

dans un quotidien régional

et je cherche un tremplin de

conversion. Une entreprise

à la pointe de la technologie

appartenant au groupe

Manpower ? Banco, je postule...

et deux ans et demi plus tard,

je suis en CDI chez eux.

Amon sens, Twitter est un

outil formidable qui met en

avant des qualités recherchées

par les candidats comme

par les recruteurs : curiosité,

innovation, capacité de veille,

transparence... C’est une

étape très pertinente pour

rejoindre ensuite un circuit de

recrutement plus traditionnel.

Il faut jouer la complémentarité :

job boards, médias sociaux,

salons, sites de recrutement…

Avec ces deux énormes avantages

des médias sociaux : la

possibilité de jouer d’égal à égal

avec un pair ayant un carnet

d’adresse hérité “de naissance”,

et celle de pouvoir contacter

sans filtre les décideurs RH.

Profitons-en ! » C. T.

t les sites d’emploiMickaël HatonCommunityManagerchez Proservia

Page 38: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

38 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

l’agrégateur TalentBin, qui propose d’identifierdéveloppeurs Web, designers ou graphistes enscannant leurs différentes productionspartagées sur le Web public – réseaux, blogs,forums d’experts. Ces méthodes ont leursavantages, selonGilles Cavallari : appuyer l’em-bauche sur des compétences « prouvées » qui« ne reposent plus uniquement sur du déclara-tif », mais aussi dénicher les candidats passifsou profils rares « qui boudent les CV-thèques etautres réseaux sociaux professionnels où ilspeuvent être sursollicités ».

Croisement de donnéesEnfin, la diversification des modes de recrute-ment dépend aussi de celle des supports. PourJean-Christophe Anna, le canal d’avenir est lemobile, même si les applications restent peunombreuses. Parmi elles, BigCentral, qui pro-pose aux 12-25 ans de postuler depuis leursmartphone grâce à des vidéos d’une minute.Ou encore les différents « Tinder » [du nomd’un site de rencontres amoureuses] de l’em-ploi, lancés à l’été 2014 sous les noms de Jobr(Etats-Unis), Truffls (Allemagne) ou Kudoz(France).

Comme les plates-formes de rencontres,ces applications s’appuient sur un croisementde données – souvent puisées dans les CV-

thèques existantes – pour suggérer des appa-riements concrets entre recruteurs et candi-dats. A l’utilisateur de « swiper » ensuitecomme sur Tinder, en faisant glisser l’écran àdroite pour manifester son intérêt, à gauchepour afficher une autre proposition.

L’idée ? Faciliter le processus en allégeant letexte à taper. « S’inscrire, remplir ses critères,trier les annonces, il faut parfois plus d’uneheure et demie pour trouver une offre qui cor-responde sur les sites d’emploi et réseaux pro-fessionnels », explique Pierre Hervé, fondateurde Kudoz. Sans compter qu’une fois sur deux,ladite annonce renverra encore sur une autreplate-forme avec d’autres formulaires à rensei-gner. Pour lui, le défaut majeur des solutionsactuelles consiste à se mettre toujours du côtédu recruteur. En oubliant qu’un candidat pourqui la tâche devient trop complexe se tourneravers des outils parallèles.

Remettre « l’expérience candidat » au cœurdu recrutement serait donc l’enjeu de de-main ? C’est ce que pense Frédérique Scaven-nec, qui constate que la fonction RH évoluevers le marketing. « Ce n’est pas encore au re-cruteur de séduire le candidat, mais la balances’est équilibrée, remarque-t-elle. Il faut l’éton-ner, créer du lien entre lui et l’entreprise. » De-puis peu, L’Oréal expérimente des objetsconnectés, censés transformer l’entretiend’embauche en un rendez-vous interactif etultrapersonnalisé via des vidéos et des infor-mations calibrées sur l’entreprise, qui sont« poussées » sur le mobile du candidat au furet à mesure de son itinéraire jusqu’au bureaudu recruteur. Cela afin de susciter l’envie, enmontrant que les ressources humaines aussipeuvent se hisser à la pointe de l’innovation.

Parmi les initiatives futuristes, difficile dedire lesquelles vont perdurer sur le marché.Côté employeur, l’un des avantages du numé-rique est de pouvoir tester puis abandonnerdes solutions à peu de frais. Côté candidat, enrevanche, s’il faut se réjouir de voir s’élargir lechamp des possibles, gare à l’éparpillement.« Mieux vaut maîtriser quelques outils et ex-ploiter à fond leur potentiel que de s’égarerparmimille outils », rappelle M. Anna.

CAMILLE THOMINE

doss i er | candidats/recruteurs : le newdeal

Kudoz, unemanière de postuler 100%mobile

« 29 secondes pour postuler à

un job » : telle est la promesse

de Kudoz, première application

française de recrutement 100 %

mobile, lancée en 2014 par deux

anciens d’HEC.

Pour y parvenir, trois étapes :

rentrer ses identifiants LinkedIn,

laisser l’algorithme coupler les

données de son CV avec une

réserve d’offres d’emploi, puis

« swiper » pour ignorer ou

postuler aux postes affichés

à l’écran de son smartphone.

Collègues chez Rocket Internet

en 2012, Pierre Hervé et Olivier

Xu y sont chargés de constituer

les équipes de start-up. Ils

constatent alors que les « meilleurs

profils » sont déjà en poste et

que l’épluchage des CV-thèques

se révèle « chronophage pour

un taux de réponse faible ». Leur

idée ? Réconcilier recruteurs et

cadres en recherche passive grâce

à une interface simple, rapide

et « nativement mobile », ce que

sont rarement les versions pour

téléphone des sites d’emploi,

souvent mal adaptées au support.

Pas question pour autant

de concurrencer les réseaux

professionnels : il s’agit

de proposer un outil

complémentaire. « LinkedIn et

Viadeo ont vocation à recenser

unmaximum de profils, explique

Pierre Hervé, le fondateur de

Kudoz. Ce sont des lieux pour se

tenir au courant sur son secteur,

son environnement, mais pas

pour postuler. »

Aujourd’hui l’application Kudoz

enregistre 60 000 candidats

inscrits, 480 recruteurs et une

moyenne de 7 000mises en

relation par mois. Les employeurs

saluent aujourd’hui sa rapidité,

le prix avantageux (129 euros par

mois) et l’accès à des profils filtrés

par compétences qu’ils n’auraient

« pas forcément trouvés ailleurs »,

note Pierre Hervé.

Quant aux candidats, pour qui

l’application restera gratuite,

ils apprécient le processus de

candidature moins contraignant

et plus ludique. Ici pas de CV ni de

salutations distinguées, mais un

optionnel « kweet demotivation »,

à l’instar d’un autre réseau célèbre,

pour se démarquer en 140 signes.

Pour sa version « premium »,

Kudoz prévoit d’ailleurs

de s’inspirer d’une troisième

plate-forme communautaire,

Airbnb, en proposant aux

recruteurs de dépêcher chez eux

un photographe pour enrichir

leurs offres d’emploi avec des

clichés des locaux, dumanager…

C. T.

«CE N’EST PAS ENCOREAU RECRUTEUR DE

SÉDUIRE LE CANDIDAT,MAIS LA BALANCE S’EST

ÉQUILIBRÉE»FRÉDÉRIQUE SCAVENNEC,

directrice du recrutement chez L’Oréal

Page 39: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

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Page 40: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

40 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Lesréseauxd’anciensnesecontententplus de publier l’annuaire des diplô-més et de collecter les cotisations. Ilsse sont modernisés et proposent dé-sormais toute une palette d’outils et

de services aux jeunes diplômés. Objectif : lesaider à se constituer un capital relationnel pré-cieux en tempsde crise et à trouver un emploi.

Cette modernisation passe d’abord par denouveaux outils. « Internet a littéralementchangé la donne pour les réseaux d’anciens,estime Jean-Michel Huet, président de NeomaAlumni (Neoma Business School est née de lafusion en 2011 des écoles de commerce deRouen et de Reims). Les réseaux d’anciens onttous leur site, avec base de données, annuaireet possibilité de régler sa cotisation en ligne,etc. C’est la colonne vertébrale de notre ré-seau », explique-t-il.

Les réseaux d’anciens ont également inves-ti les réseaux sociaux : pages Facebook et Lin-kedIn, Twitter. Sciences Po Alumni s’enor-gueillit d’être le deuxième réseau d’anciens leplus actif sur LinkedIn derrière HEC Alumni,avec 15 000 abonnés, tandis qu’il utilise Twit-ter pour livetweeter ses conférences et sa pageFacebook pour proposer en streaming cer-taines conférences. « Nous sommes en train deréfléchir à une application qui permettrait degéolocaliser les anciens proches de vous », in-dique de son côté Assaël Adary, président deCelsa Paris-Sorbonne Alumni.

Des « tribus » activesPar ailleurs, ces réseaux disposent d’un mail-lage diversifié. Ils se déclinent en clubs profes-sionnels, par promotion, pays, affinité, etc. Parexemple, Neoma Alumni est présent danscent pays, dont trente « tribus » très actives.« Quand un jeune diplômé veut s’installer àLondres, nous sommes capables de le mettre enrelation avec une trentaine d’anciens qui pour-ront le guider dans ses recherches », détailleAssaël Adary. A Sciences Po Alumni, il existe

vingt et un groupes professionnels théma-tiques (finance, luxe, communication, affairespubliques...), des clubs par hobby (théâtre,œnologie, art contemporain, polo...), sans ou-blier les sections par région ou par pays.

Des événements diversifiésAu-delà d’une présence virtuelle active, les ré-seaux d’anciens organisent toutes sortesd’événements. « On offre à nos adhérents diffé-rents formats de rencontres pour développerleur réseau, souligne Assaël Adary. C’est du

frottement que sortent les étincelles. » Au CelsaAlumni, cela passe par des afterworks dans lebut de« réseauter », des rencontres théma-tiques pour échanger de bonnes pratiques.Chez Neoma, ce sont environ trois cent cin-quante événements qui sont organisés chaqueannée. Sciences Po Alumni est également trèsdynamique avec ses «Matinales Carrières », etles événements montés par chaque groupeprofessionnel ou club.

Tous ont bien sûr un pôle « Emploi » ou« Carrière » qui propose des ateliers auxjeunes diplômés pour les aider à constituerleur CV, à se préparer aux entretiens d’em-bauche, à soigner leur personal branding, ànégocier son salaire, etc. « J’ai pu participer àdes ateliers animés par une coach profession-

nelle, témoigne Romy Denat, diplômée en2013 de Neoma. Durant sept mois, j’ai eu lachance d’être soutenue et accompagnée pourdéfinir mon projet professionnel, puis recher-cher un poste. J’ai également pu rencontrer desmembres du réseaux Neoma Alumni issus dusecteur d’activité que je ciblais. »

Les réseaux d’anciens cherchent à associerle plus en amont possible les étudiants auxréseaux alumni. Chez Neoma, les étudiantssont inscrits automatiquement au réseaud’anciens dès leur arrivée à l’école. A SciencesPo Alumni, d’importants efforts sont faits de-puis deux ans. « Nous disons aux étudiants dene pas attendre d’être diplômés pour se rappro-cher de nous », explique Anne-Sophie Beau-vais, directrice générale de Sciences Po Alum-ni. Par exemple, lors des conférences sur unsecteur d’activité, un tiers des places sont ré-servées gratuitement à des étudiants. Des ses-sions de speed networking réunissent anciensélèves et étudiants. « Nous les invitons à oserposer toutes les questions qu’ils veulent car ilexiste un véritable rapport de confiance », ren-chérit-elle. Au Celsa, les étudiants sont lesbienvenus au conseil d’administration de Cel-sa Alumni, auquel participent également leBDE (bureau des élèves) et la junior entreprise.

InventivitéPour faire vivre leur communauté, lesmoyenssont très variables selon les réseauxd’anciens.Certains sont très puissants et très structuréstels que ceux de Sciences Po Paris (qui va fêterses 140 ans cette année), d’HEC ou de Poly-technique, d’autres plus modestes, mais tousessayent d’être inventifs et de conquérir denouveaux adhérents. Concernant les moyenshumains et financiers, cela va d’un per-manent pour le Celsa (1 000 adhérents sur5 000 diplômés) et quelques dizaines de mil-liers d’euros, cinq pour Neoma (8 000 adhé-rents sur 53 000 diplômés), à treize pourSciences Po (8 000 adhérents pour 65 000

Alors que l’insertion des jeunes diplômés sur lemarchédu travail reste difficile, les « alumni » ont fait leurmuepour leur proposer un accompagnement et des outils efficaces.

doss i er | candidats/recruteurs : le new deal

Les associations d’anciensélèves semodernisent

«NOUS DISONS AUXÉTUDIANTS DE NE PAS

ATTENDRE D’ÊTREDIPLÔMÉS POUR SE

RAPPROCHER DE NOUS ETDE NOUS POSER TOUTES

LES QUESTIONSQU’ILS VEULENT»

ANNE-SOPHIEBEAUVAIS, DGde Sciences PoAlumni

Page 41: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 41

diplômés) et un budget de 1,7 million d’euros.« Quand on a moins de moyens, il faut avoirdes idées, reconnaît Jean-Michel Huet. Nousavons mis en place sur le modèle des campusmanagers, des firm managers dans quelquesentreprises, qui représentent le réseau d’an-ciens. » Par ailleurs, les réseaux d’alumni ontremarqué que si les jeunes étaient très axésréseaux sociaux, ils n’avaient pas forcémentle réflexe de se tourner vers le réseau d’an-ciens. « Il y a cinq ans, nous avons décidé d’or-ganiser chaque année en septembre la Rentrée

des tribus où chaque club se présente. Millecinq cents étudiants viennent ainsi découvrirnos activités », explique Jean-Michel Huet.

Autre challenge : la nécessité de former lesétudiants à l’utilisation des réseaux. « Lesjeunes diplômés sont encore souvent trop mala-droits pour solliciter le réseau d’anciens. Soit ilsn’osent pas, soit ils sont dans l’excès. Nous réflé-chissons à des modules de formation en der-nière année d’étude », détaille Jean-MichelHuet. Du côté de Sciences PoAlumni, la problé-matique est un peu différente : « Nos jeunes

sont à l’aise pour utiliser le réseau d’anciens.Nous cherchons plutôt à convaincre nos anciensde l’importance de l’entraide intergénération-nelle. » « On fabrique le terrain de jeu mais onn’est pas les joueurs », précise Assaël Adary.

Enfin, les réseaux d’alumni sont tousconfrontés à l’enjeu de l’internationalisation,soit parce que de plus en plus de jeunes diplô-més vivent à l’étranger, soit parce qu’il y a deplus en plus d’étudiants étrangers par promo-tion (40 % à Sciences Po).

GAËLLE PICUT

« Je trouve les ancienstrès abordableset disponibles »

« Dès mon master, je me suis

intéressée au réseau alumni

de Sciences Po et j’ai commencé

à participer à leurs nombreux

événements. Ils ont eu la très bonne

idée de les rendre gratuits pour les

étudiants. En fin de 5e année, j’ai

utilisé le réseau de façon encore plus

intensive. J’ai trouvé les anciens très

abordables et disponibles.

Le premier poste que j’ai décroché

à Londres ne m’a pas plu. Je me suis

alors tournée vers la section UK

de Sciences Po Alumni. J’ai participé

à ses événements et j’ai rencontré

des anciens pour leur poser des

questions sur leur secteur d’activité,

leurs parcours... Là, je viens de

retrouver du travail grâce une offre

d’emploi. Je compte bien continuer

à m’investir dans le réseau en créant

notamment une section économie

sociale et solidaire (ESS) à Londres. »PROPOS RECUEILLIS PAR G. P.

« Celsa Alumni fait partiede la valorisationde lamarque Celsa »

« Diplômée 2007, je me suis inscrite

au réseau Celsa Alumni dès mon

entrée à l’école et j’ai pu avoir accès

à la bourse de stages. Une fois

diplômée, je me suis concentrée sur

les annonces diffusées par le réseau

d’anciens. Je pense que grâce à elles,

on gagne du temps, aussi bien côté

candidat que côté recruteur. C’est

ainsi que j’ai trouvé mon premier

emploi dans une agence de

communication. Puis j’ai été chassée

grâce à l’annuaire des anciens

pour devenir responsable de

communication chez un annonceur.

Entre deux postes, il m’est arrivé de

déjeuner avec des anciens du Celsa.

C’est très utile de rencontrer des

pairs pour connaître la réalité du

travail. Depuis quelques années,

j’enseigne au Celsa. J’insiste auprès

de mes étudiants sur l’importance

du réseau et sur son efficacité.

Je leur conseille de se rapprocher

de l’alumni le plus tôt possible.

L’annuaire est très utile. Je suis

persuadée que ces réseaux sont une

vraie richesse. Celsa Alumni fait

partie intégrante de la valorisation

du diplôme, de la marque Celsa. »

« Un vrai atout pourentrer dans la vieprofessionnelle »

« Le réseau m’a été utile dans ma

recherche d’emploi pour l’écoute

et le soutien, d’une part, par des

ateliers thématiques au campus

de Paris d’autre part.

Il est très enrichissant d’échanger

avec des personnes aux parcours

professionnels différents et qui

ont le même objectif. Quand on

est à la recherche d’un emploi,

le risque est de s’isoler et

de très vite déprimer.

Savoir que le réseau Neoma est

présent constitue un vrai atout

pour entrer dans la vie

professionnelle. Il m’a permis

d’établir le contact avec des

anciens qui travaillaient dans

le secteur que je recherchais.

J’ai d’ailleurs trouvé mon emploi

grâce à l’association. A mon tour,

j’essaie d’être actif et d’aider les

nouveaux diplômés à la recherche

d’un emploi. »

Noémie, Sciences PoAlumni, 24 ans,chargée de projetdans un cabinetde conseil

Sylvie,Celsa Alumni,38 ans, responsablede communication,future entrepreneure

Alexandre,NeomaAlumni, 27 ans,coordinateur retailmarketing pour lafiliale Bénélux-Nordicsd’Hermès

DR

DR

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Page 42: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

42 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Près de 600000 offres transitentchaque année sur le site de l’Asso-ciation pour l’emploi des cadres(APEC) pour 170 000 recrutements.Presque quatre fois plus. Cherchez

l’erreur ! Pourquoi des offres alléchantes pourdes profils assez répandus se maintiennent-elles plusieurs semaines d’affilée ? Devant cesquestions légitimes, circulent des explicationsplus oumoins farfelues.

Si l’intérêt de poster une annonce fictiven’apparaît pas évident, il faut reconnaître queces dernières années, plusieurs phénomènesont nourri le doute. En premier lieu, la multi-diffusion des offres s’est généralisée. D’abord,avecMonster, Cadremploi, Regionsjob,Meteo-job, Qapa, etc., sans oublier les innombrablessites d’emplois spécialisés. Pour Jean-Cyril LeGoff, chez Pôle emploi, le phénomène s’ex-plique par lamultiplication des job boards surInternet, « qui a fortement abaissé le coût de lapublication des annonces. » Ce que confirmeBertrand Hébert, directeur général adjoint del’APEC : « Les grands groupes veulent maximi-ser leurs chances de trouver le profil idéal encherchant à la fois sur les grands sites généra-listes et sur les petits sites plus spécialisés. »

Arme de communication massiveD’autant que l’objectif de l’annonce n’est plusseulement de recruter. « La multidiffusion estune arme de communication massive sur lamarque employeur à destination des concur-rents comme des candidats, car elle renvoiel’image d’une entreprise prospère et en déve-loppement », remarque Pierre Josseaux, char-gé de la satisfaction clients chez Qapa.

Pour limiter le phénomène, Pôle emploi,qui a signé plus de cinquante partenariatsavec des job boards, supprime systématique-ment les doublons. Mais les job boards, qui

renvoient leurs annonces sur des agrégateurspartenaires à fort trafic, négocient avec leursgros clients annonceurs des contrats sur labase de gros volumes d’annonces, jusqu’à unnombre de publications illimité.

Un processus de plus en plus longMais ce n’est pas tout. Car à l’évidence, le re-crutement, notamment celui des cadres, estdevenu un investissement et un processus as-sez lourd auquel les entreprises consacrent untemps de réflexiondeplus enplus long, tempspendant lequel elles modifient souvent leurstratégie : « Soit elles changent d’avis sur la réa-lité et la nature de leurs besoins, soit, devant

l’afflux des candidatures, elles découvrent descompétences qui pourraient leur être utiles etaffinent le profil recherché, soit elles finissenttout simplement par décider de privilégier lamobilité interne sur le recrutement externe »,explique Bertrand Hébert à l’APEC.

C’est en grande partie cette indécision quiexplique l’abondance d’offres qui restent dessemaines malgré l’afflux des candidatures. Al’APEC, 45 % des annonces sont rediffusées, enparticulier en provenance de PME qui ont peude retours, mais « ce ne sont pas de faussesoffres pour autant, préciseM. Hébert, juste des

offres qui peinent à rencontrer le profil idéalqui convaincra immédiatement le recruteur. »

Au-delà de ce mouvement généralisé, laplace prise par lesmétiers liés à l’informatiqueet à Internet dans les recrutements a contri-bué, elle aussi, à accroître ce phénomène. Lessociétés de services en ingénierie informatique(SSII) génèrent près de 30 % des offres del’APEC. Or ce secteur travaille beaucoup sur ap-pels d’offres, auxquels répond une multitudede prestataires qui, avant même d’avoir décro-ché le contrat, pour s’assurer d’avoir les com-pétences sous la main, publient des annonces.Voilà pourquoi il y a souvent cinq à dix offrespour un et un seul véritable poste à l’arrivée.

Des réserves de compétencesIl n’y a pas que les SSII qui travaillent ainsi. Laconstruction contribue aussi à démultiplierles annonces. « Ceux-là, ajoute Jean-Cyril LeGoff, veulent vérifier qu’ils pourront mobiliserles compétences dès que le besoin se précisera.Ce qui les amène à conduire une recherche in-tensive au départ puis à ne plus donner de nou-velles une fois le vivier de candidats constitué. »

Autres acteurs à se constituer des porte-feuilles de compétences disponibles sansavoir nécessairement d’offres fermes à la clé :les sociétés d’intérim qui, depuis la loi Borloode janvier 2005, sont aussi devenues desagences de placement et se constituent doncleurs réserves de compétences.

Alors « offres bidons » ou « offres test » ?« S’il y a des distorsions sur le marché du travail,l’idée qu’il existe un marché de fausses offres, jen’y crois pas », assure BertrandHébert. « Sur les280 000 offres que nous diffusons quotidienne-ment, estime Jean-Cyril Le Goff, moins de 1 %posent problème, et il s’agit surtout de pro-blèmes de conformité avec la loi. »

VALÉRIE SEGOND

Après l’envoi en rafales de CV restés sans réponse, onfinit tôt ou tard par s’interroger : ces appels à candidaturesrecouvrent-ils vraiment une promesse de recrutement ?

doss i er | candidats/recruteurs : le newdeal

Cinqàdixoffres d’emploipourun seul poste…les annonces sont-elles bidons ?

«CERTAINS CONDUISENTUNE RECHERCHE

INTENSIVE AU DÉPARTET NE DONNENT PLUS DENOUVELLES UNE FOIS LEVIVIER DE CANDIDATS

CONSTITUÉ»JEAN-CYRIL LEGOFF, Pôle emploi

Page 43: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

0123HORS-SÉRIE

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LesgrandstextesdeVoltaireàCamus

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MARS 2015

Le 11 janvier 2015, plus de quatre millions de personnes ont manifesté dans Paris et dans toutela France. L’attentat contre Charlie, la mort d’une jeune policière à Issy-les-Moulineaux,l’assassinat de quatre français juifs à Vincennes ont provoqué un élan historique sansprécédent, afin d’affirmer que la liberté d’expression constitue le fondement même de l’identiténationale et de la démocratie.Depuis cinq siècles, de Montaigne à Camus, de Rousseau à Sartre, nombre d’écrivains et dephilosophes ont porté et défendu l’idée de liberté. Dans ce hors-série exceptionnel, Le Mondea sélectionné les textes incontournables d’une trentaine de ces auteurs, ainsi qu’unequarantaine de caricatures. Ce sont les symboles de cette liberté de dire, de penser et demoquer qui constitue notre République laïque. Au milieu des «Je suis Charlie», il y avait aussi :«Voltaire, reviens, ils sont devenus fous !».

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Page 44: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

44 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Les attentats perpétrés à Paris les 7et 9 janvier ont ravivé le débat surla transmission des valeurs répu-blicaines au sein de la jeunesse : unservice obligatoire ? Civil ? Militaire ?

« Je propose un nouveau contrat civique, avecla mise en place d’un service universel pourles jeunes », a tranché le président de la Répu-blique, François Hollande, le 5 février. Son am-bition ? Le service civique pourrait concernerentre 150000 et 170000 jeunes par an, contre35000 en 2014. Un objectif plus ambitieux queles 100000 qu’il avait annoncés en novembresur TF1, au cours de l’émission « Face aux Fran-çais »,mais qui n’est pas sans risques.

Instaurépar la loi du 10mars 2010, ce dispo-sitif offre l’occasion aux 16-25 ans d’effectuerdes missions d’intérêt général : appui aux fa-milles et développement du lien social au seindes quartiers, préparation du Salon des solida-rités, animation d’actions autour du livre enprison, par exemple. Il est réalisé dans des col-lectivitéspubliquesoudesassociationsagrééespar l’Etat sur la base du volontariat durant six àdouze mois. L’Etat verse entre 467 euros netd’indemnité parmois pour 24 à 48 heures heb-domadaires, auxquels s’additionnent 106 eu-ros versés par la structure d’accueil agréée.Unebelle idée, en principe.

Risques d’abusMais dans la réalité, l’annonce du triplementdu nombre demissions d’ici à 2017 suscite desinquiétudes. Car dans les structures d’accueil,le service civique ressemble parfois à une nou-velle forme d’emploi à bas coût. Quand un ser-vice civique revient à 106 euros à l’employeur,un stagiaire à temps plein lui coûte 508,20 eu-ros et un smicard 1 646 euros (dont 1 457,52 eu-ros brut pour le salarié).

« Il y a une préoccupation quant au déve-loppement quantitatif rapide du dispositif, quiest d’ailleurs posée depuis son démarrage et estinscrite dans la loi : le problème de substitutionà l’emploi. Un service civique ne doit pasprendre la place d’un salarié », explique Valé-rie Becquet, maître de conférences en sociolo-gie à l’université de Cergy-Pontoise (95). D’au-tant plus que le dispositif attire aussi desjeunes diplômés d’unmaster ou d’un doctoratqui peinent à trouver un emploi. Une main-d’œuvre qualifiée très bonmarché.

« Pour une association, le coût d’un servicecivique est quasiment nul, donc c’est déjà très,voire trop facile, d’accueillir un volontaire. Avecla montée en charge, on va multiplier par troisle risque d’abus », estime unmembre de Géné-ration précaire, souhaitant rester anonyme.

« D’autant plus que le dispositif concerne unsecteur associatif qui est en crise : les subven-tions publiques baissent, la précarité des sala-riés augmente, les contrats ne sont pas renouve-lés... Cette formule qui permet d’embaucher àbas coût, proposée dans ce secteur, comporteforcément des risques dedérives », ajoute Frédé-

ric Amiel, secrétaire général du syndicat Actionpour les salariés du secteur associatif.

Certes, cette inquiétude n’est pas vérifiabledans les chiffres, puisqu’il n’en existe pas dansce domaine. « Elle renvoie plus à des préoccupa-tions logiques et aux rapports parlementairesde 2011 et de la Cour des comptes de 2014 quiépinglaient déjà un glissement vers de l’emploidéguisé et conseillaient de renforcer lescontrôles et le suivi des jeunes en service ci-vique », admet Valérie Becquet. Mais il suffitd’une recherche d’une dizaine de minutes surles sites d’annonces d’emploi en ligne pourtomber sur des offres de service civique quiressemblent fort à des fiches de postes clas-siques. Exemple avec cette offre pour unemis-sion de sixmois : « Bac + 5 écologie/environne-ment ou bac + 2, bonnes connaissancesnaturalistes dans les domaines faune-flore ethabitat, des connaissances en flore et phytoso-ciologie seront particulièrement appréciées. Ilest demandé aux candidats de détailler lesconnaissances naturalistes et leur niveau demaîtrise dans le CV (...). »

« Des contrôles renforcés »Pourtant, des précautions ont été prises pouréviter les dérives. L’Agence du service civiqueprécise ainsi sur son site que « des prérequis entermes de formation, de compétences particu-lières, d’expériences professionnelles ou béné-voles préalables ne peuvent être exigés. Ce sontdonc des savoir-être, un intérêt, desmotivationsqui peuvent être cités dans l’offre demission ».

Selon le président de l’Agence du service ci-vique, François Chérèque, « aujourd’hui, 20 %des structures sont contrôlées tous les ans, et leprésident de la République a dit que l’agenceserait renforcée pour mener les contrôles. Jeveux être vigilant afin que le fait de multiplier

La belle idée relancée par les attentats de janvier peut dévier enmode de recrutement à peu de frais. Car un volontaire ne coûteque 106 euros à l’employeur, alors qu’un stagiaire à temps pleinlui revient à 508,20 euros et un salarié au smic à 1 646 euros.

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Le service civique,unemain-d’œuvrequalifiée bonmarché

«DES RAPPORTSPARLEMENTAIRES, EN2011, ET DE LA COUR

DES COMPTES, EN 2014,ÉPINGLAIENT DÉJÀ

UN GLISSEMENT VERSL’EMPLOI DÉGUISÉ »

VALÉRIEBECQUET,maître de conférences en sociologieà l’université de Cergy-Pontoise

Page 45: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 45

les services civiques ne dénature pas la dé-marche », souligne-t-il avant d’expliquerqu’un plan de renforcement et de modernisa-tion du contrôle de l’Agence est en cours.

Selon lui, des pistes pour que les risques dedérives ne soient pas augmentés par la mon-tée en charge ont été identifiées : « D’abord,une grosse part de l’augmentation des volumesva se faire dans des structures qui accueillentdéjà des services civiques et qui savent doncdéjà ce qu’elles font. De plus, nous travaillonsavec le gouvernement sur des grands pro-grammes pour identifier avec des ministèresdes actions sur lesquelles nous pourrionsmettre des missions », ajoute-t-il.

Pour sa part, Marie Trellu-Kane, prési-dente d’Unis-Cité, association pionnière duservice civique, se réjouit du succès du dispo-sitif : « C’est la première fois qu’une telle am-

bition de valoriser le service civique est portéepar le gouvernement. Les cas d’emplois dégui-sés sont aujourd’hui minoritaires grâce autravail de contrôle de l’Agence du service ci-vique et il faut laisser le temps aux structuresde s’approprier et de bien comprendre l’étatd’esprit du dispositif pour imaginer des mis-sions accessibles aux jeunes sans compé-tences particulières. »

Pour limiter les risques lors de la montéeen charge et pour que les emplois déguisésdisparaissent totalement, elle propose que« les jeunes ne soient jamais seuls sur une mis-sion pour marquer la différence avec l’emploiet qu’il y ait au moins un jour de formation ci-vique et citoyenne parmois », unemesure ren-due obligatoire par la loi, mais sans pour au-tant détailler le nombre de jours.

LÉONOR LUMINEAU

« Ma mission en mairieétait à la fois frustranteet intéressante »

« Après la fin de mes études et deux mois

de CDD, je me suis retrouvée au chômage et

sans ressources. J’ai décidé de faire un service

civique. J’ai été recrutée en 2013 sur une

mission de six mois et nommée “ambassadrice

du développement durable” au sein d’une

mairie, pour travailler au service concerné,

où il y avait déjà un autre jeune en service

civique diplômé d’un master environnement.

En tout, nous étions sept services civiques

à la mairie.

Ma mission, qui était très intéressante,

consistait à enquêter sur les écogestes des

salariés, gérer le site et les événements en

rapport avec le développement durable.

Selon moi, je remplaçais un véritable emploi,

mais sans avoir la pression du chiffre et du

résultat. Les missions correspondaient à des

compétences universitaires et à un vrai poste

de chargé de mission. D’ailleurs, je le valorise

comme tel sur mon curriculum vitae.

Ce service civique m’a aussi donné

l’opportunité de suivre des formations

intéressantes, dont une d’une semaine

sur la responsabilité associative.

Une collectivité débourse 100 euros pour avoir

de jeunes diplômés comme nous, donc c’est

tout bénéfice ! Je faisais quand même trente-

cinq heures par semaine, c’était frustrant

de travailler autant pour le même salaire

que si j’avais fait vingt heures.

Sur la fiche de poste, ils n’exigeaient pas de

compétences spécifiques, juste des affinités

avec les thématiques liées au développement

durable, mais c’est à l’entretien que cette

sélection s’est faite. Sur sept sélectionnés, nous

étions cinq à avoir un niveau master. Je savais

qu’il n’y avait pas d’emploi à la clé, mais ça

a été intéressant pour moi de mettre un pied

en collectivité.

Je pense que le dispositif est plus détourné

dans les structures qui ne sont pas des

associations, car ces dernières sont plus

proches des valeurs du service civique. »

L. L.

Marie Borrel, 26 ans,diplômée d’unmasteren développement territorial

JULIE

NGRATALOUP

DR

Page 46: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

46 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Passage obligé des étudiants, le sta-tut de stagiaire ne permet pasde faire la fine bouche. « Je pré-fère être mal payée mais acqué-rir une expérience que de ne pas

trouver de stage », témoigne Flore Poisson,étudiante en licence de géographie à l’uni-versité. Souvent exigé pour valider un di-plôme, toujours recommandé pour obtenirun premier emploi, effectuer un stage peutse révéler compliqué dans les secteurs oùles entreprises, administrations publiquesou associations resserrent leurs budgets.

Avant 2006, l’absence de gratification mi-nimale obligatoire laissait la porte ouverteaux pratiques abusives. Depuis sa mise enplace dès deuxmois de stage, en 2006 dans lesecteur privé, et en 2009 dans le public, sonmontant n’a cessé d’être revu à la hausse.Pourtant, jusqu’à récemment, la faiblesse de lasomme faisait grincer des dents les syndicatsétudiants. La loi du 11 juillet 2014 réévalue denouveau le montant minimum en deuxtemps, le passant de 12,50 % du plafond de lasécurité sociale, soit 436,05 euros par mois, à13,75 % depuis le 1er janvier 2015, puis à 15 % àpartir du 1er septembre. Cela correspondra à3,60 euros par heure, un peu moins d’un de-mi-smic net.

Objectif presque atteint« Il s’agit d’une gratification substantielle qui aémergé de l’audition de présidents d’université,de syndicats représentatifs des étudiants et dechefs d’entreprise », explique Jean-Pierre Gode-froy, le sénateurPS à l’originede l’amendementfinalement adopté sur la revalorisation de la

gratification. « Cette augmentation se rap-proche de l’objectif qu’on s’était fixé, se réjouit lecollectif Génération précaire qui lutte pouraméliorer la condition des stagiaires.On ne de-mandera plus nécessairement de nouvelleshausses, mais on continuera à réclamer la pro-gressivité de la gratification. »

Une revendication qui se base sur la règleen vigueur dans l’apprentissage : la rémunéra-tion d’un apprenti progresse au fur et à me-sure qu’il avance dans son niveau d’étudesjusqu’à se rapprocher de celle d’un salarié ju-nior. Autre son de cloche du côté du directeur

de l’Institut de recherche sur l’éducation (Ire-du), Jean-François Giret : « Il est possible quel’augmentation de la gratification alourdisseles difficultés des jeunes à trouver un stage. »

Des difficultés qui pourraient se faire sentiren particulier dans le domaine associatif oùles stagiaires sont généralement gratifiés auminimum. « On demande aux structures d’ac-cueil à la fois de former et de payer les sta-giaires, souligne le directeur de l’Iredu, l’Etat et

les universités pourraient participer pour unepartie des frais. »

Ce risque d’effet repoussoir n’existe paspour les stagiaires qui ne sont pas concernéspar la gratificationminimale. « Les diplômés del’enseignement secondaire et certains étudiantsdu supérieur effectuent des stages de moins dedeux mois dépourvus de l’obligation de gratifi-cation, note Olivier Joseph, chargé d’études audépartement entrées et évolutions dans la vieactive au Centre d’études et de recherches surles qualifications (Céreq), tandis que dans cer-tains secteurs d’activité, les stagiaires sontpayésau-dessus du minimum. »

Selon une enquête de l’Observatoire de lavie étudiante basée sur les déclarationsd’étudiants, plus de la moitié des stagiairesn’étaient pas payés en 2013 et, à l’autre boutdu spectre, près d’un tiers recevait plus de600 euros. Diplômé d’école d’ingénieurs, Ju-lien Burgade confirme que « dans l’informa-tique, les entreprises proposent le plus sou-vent des stages de préembauche payés entre1 000 et 1 500 euros ». Ensuite, parmi lesstructures qui gratifient leurs stagiaires dumontant minimal, « elles réaliseront avec letemps qu’une bonne gratification est néces-saire pour avoir des stagiaires motivés », ana-lyse le sénateur Jean-Pierre Godefroy. Ellesbénéficient de surcroît d’une exonération decharges sociales.

Fixer le minimum à l’équivalent de prèsd’un demi-smic est, selon le chercheur du Cé-req, « une mesure pour en finir avec la précari-té des stagiaires plus qu’une mesure pénali-sante pour les entreprises ».

ASTRID GRUYELLE

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«LES ENTREPRISES QUIPAYENT LEMONTANT

MINIMUMRÉALISERONTAVEC LE TEMPS QU’UNEBONNE GRATIFICATIONEST NÉCESSAIRE POUR

AVOIR LAMOTIVATION »JEAN-PIERREGODEFROY, sénateur

à l’origine de la revalorisation

Lemontant minimum récemment revalorisé de la gratificationdes stages devra réussir à combattre les abus sans pour autantdécourager les entreprises à accueillir des jeunes.

Pour en finir avecla précarité des stagiaires

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Page 48: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

48 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Rejoindre les services publics sans passer de concours, avecun salaire presque équivalent à ceux du privé, c’est possible.Ils étaient 914 000 fin 2012. Mais toute médaille a son revers.

carrière

La fonction publiquevous tente, mais aprèscinq ans d’études, vousavez la flemme depasser les concours ? Il

estpourtantpossibled’yentrercar l’Etatne recrutepasquedesfonctionnaires. Si la voienormale reste le concours, quiassure l’égalité des citoyensdevant l’accès à l’emploi publicet octroie un statut qui ouvredes droits, « l’administration atoujours eu besoin de talentsavec des qualifications particu-lières que n’ont pas les corps defonctionnaires », admet-on aucabinet de la ministre de lafonction publique et de ladécentralisation, MaryliseLebranchu.

Il y a d’abord des métiersdits nouveaux que l’on netrouve dans aucun corps defonctionnaires, comme lacommunication ou l’informa-tique. Ou encore des conseil-lers ou directeurs de cabinet,pourvus à la demande du gou-vernement, qui décide de cesembauches en conseil des mi-nistres, et qui échappent austatut général.

Desmétiers spécifiquesIl y a ensuite des besoins deremplacements temporairesde fonctionnaires malades ouabsents, ou sur des postes nonpourvus. Il y a enfin des éta-

blissements publics spéci-fiques, comme Pôle emploi, unétablissement public à carac-tère administratif (EPA), ou laRéunion des musées natio-naux, un établissement publicà caractère industriel et com-mercial (EPIC), pour lesquels ila été décidé que les agents neseront pas des fonctionnaires,car l’Etat n’a pas voulu créer denouveaux corps de fonction-naires pour ces métiers. Dansces cas-là, les administrationspeuvent recruter des agents

sous contrat, dits des « contrac-tuels » ou encore des « non-ti-tulaires ».

Si les cas paraissent très en-cadrés, il y a pourtant eu beau-coup de recrutements souscette forme, et ce dans les troisfonctions publiques : d’Etat,territoriale et hospitalière.Mais aussi dans les EPICcomme Ubifrance, l’Etablisse-ment public Paris-Saclay ouencore l’Agence nationale derénovation urbaine, l’ANRU,créée en 2005 par Jean-LouisBorloo. Tous les EPIC ont étécréés pour mettre en œuvre

une politique publique straté-gique. A une certaine époque,cela a même été un mode derecrutement assez privilégiépar des administrations som-mées par leur ministre deprendre des engagementsmoins lourds sur l’avenir.

Des situations variéesSelon les rapports annuels surl’état de la fonction publique,le nombre de contractuelsdans les trois fonctions pu-bliques est ainsi passé de

742000, soit 14,7%du total desagents publics en 2002, à1 092 000 en 2005, soit 20,5 %.Mais depuis, le stock a reflué, à914 000 fin 2012, selon les der-nières données disponibles,soit 17 % des agents. Car cettevoie d’entrée, hier assez favo-rable, a été nettement resser-rée à la faveur des plans demaîtrise des dépenses pu-bliques, et le flux des em-bauches sous cette forme estaujourd’huimarginal : en 2012,les contractuels ne représen-taient plus que 2,4 % des recru-tements publics.

S’il y a donc des contrac-tuels partout, leur situation etleur carrière sont très variées.Par exemple dans les EPIC, lesnon-titulaires recrutés pourleurs compétences sont plutôtbien payés et font des carrièresanalogues à celles du secteurprivé : ils grimpent les éche-lons, gagnent en responsabili-tés et passent souvent à unmoment de leur parcours dansune entreprise privée. « En unsens, ce statut opère commeunsas entre le secteur public et lesecteur privé », observe uneagente non titulaire d’unegrande EPIC, assez satisfaite deson sort.

Mais au cœur de l’adminis-tration, leur parcours n’est pastoujours rose : le fait de ne pasavoir passé de concours peutse payer assez cher. Pas tant enmatière de salaire qu’en ma-tière de statut social. Pour lescontractuels, la rémunérationdépend du premier salaire né-gocié à leur arrivée. Quandl’administration a besoin dequalifications en tension sur lemarché, elle est prête à s’ali-gner sur le privé. Dans la suitede la carrière, le salaire évolueselon les règles de la fonctionpublique. Mais c’est la précari-té structurelle du statut qui estpesante.

Marie, cinquantenaire di-plômée de Sciences Po, est

«J’AI FINI PAR ENCADRER DEUXPERSONNES, MAIS AU FOND, JE FAIS

LAMÊME CHOSE QU’ÀMON ARRIVÉE»MARIE, contractuelle, diplômée de Sciences Po

Contractuels àvie,lesmal-aimésde la fonctionpublique

Page 49: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 49

contractuelle depuis dix-huitans dans une grande adminis-tration consacrée à la sécurité.Elle a connu seize années deCDD, dont dix ans en « contratde cabinet » de trois mois, sixmois, puis un an. Puis six ansen « contrat de ville », qui avaitl’avantage de la rendre éligibleau CDI... au bout de six ans !« Dans les faits, lorsque vousfaites bien votre travail, l’em-ploi de contractuel en CDD estd’une grande stabilité, confieMarie, qui a pu, à 40 ans, sous-crire un prêt immobilier au-près d’une banque qui a estiméque des CDD renouvelés pré-sentaient la stabilité d’un CDI.Mais à la fin de chaque période,cela crée un inconfort psycholo-gique, car il y a toujours unrisque de ne pas être recon-duit. » C’est en 2013 que Marieobtint, non sans peine, sonpre-mier CDI, après que l’adminis-tration eut épuisé toutes lespossibilités légales de CDD.

Les ministères successifs dela fonction publique n’ont ces-sé de lancer des plans de titula-

risation pour lutter contre laprécarité de ses agents. Celuidemars 2012, inscrit dans la loiSauvadet, n’est que le quin-zième plan de lutte contre laprécarité des contractuels. Unprogramme qui prévoit, pourceuxqui avaientplusdequatreans de présence dans la fonc-tion publique avant le 31 mars2012, la possibilité de se fairetitulariser. Et ce jusqu’au31 mars 2016.

Pas d’automatismeMais la titularisation n’est paspour tous : d’abord, elle neconcerne que les agents occu-pant un emploi à temps com-plet. Ensuite, elle n’est pasouverte aux contractuels occu-pant un emploi de cabinet ouauprès d’un groupe d’élus. Etmême si l’agent n’appartient àaucune de ces deux catégories,la titularisation est loin d’êtreautomatique : quand Marie,qui avait décroché son CDI, ademandé à être titularisée, illui a été répondu que c’étaitimpossible, car l’Etat n’avait

pas dans ce ministère de corpsde fonctionnaires pour sonmétier... Ce qui est précisé-ment la raison d’être descontractuels !

Pour se faire titulariser, il ya bien sûr toujours la possibi-lité de passer un concours in-terne pour ceux qui sont enposte depuis quatre ans. « J’y aipensé, dit Marie. Mais il fautbien reconnaître qu’il y aussides inconvénients au statut defonctionnaire, dont celui depouvoir être mutée n’importeoù, sur n’importe quel poste demême catégorie. »

Reste, pour ceux qui ont aumoins six années dans lemême poste, la possibilitéd’obtenir un CDI. Marie vadonc devoir s’en contenter, etaccepter les contraintes du sta-tut de contractuel. Dont la dif-ficulté d’accès à des postes deresponsabilité et l’absence demobilité professionnelle nesont pas les moindres : « Aprèsdix ans de service, j’ai fini parencadrer deux personnes, sou-ligne Marie. Mais au fond, je

fais la même chose qu’à monarrivée car on est cantonné auposte pour lequel on a été re-cruté, sans pouvoir prétendre àfaire autre chose. Psychologi-quement, c’est difficile. Et sur-tout, j’ai au-dessus demoi deuxfonctionnaires qui ne doiventleur position qu’au fait d’êtretitulaires. Non seulement lescontractuels sont bloqués parles fonctionnaires dont la car-rière progresse toute seule augré de l’avancement et des mo-bilités systématiques au boutde trois ans,mais ils dépendent,pour l’exercice quotidien deleur métier, de personnesmoins qualifiées qu’eux. »

Alors la fonction publiquevous attire ? Si vous cherchezla sécurité de l’emploi, un nou-veau défi tous les trois ans,avec un salaire qui progresseau gré de l’avancement, et quevous souhaitiez être au cœurde l’administration, ça vautpeut-être le coup, pour éviterquelques frustrations, de pas-ser un concours administratif.

VALÉRIE SEGOND

GUIL

LAUM

IT

Page 50: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

50 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

Les valeurs morales au travail ne sont plus l’apanage des manageurs.84 % des salariés se disent concernés par les actions menées par leur entreprise.Au point que, dans certains secteurs, c’est devenu un enjeu de management.

déontologie

Marc La Mola atoujours vouluêtre « flic ». Pourcet enfant desquartiers Nord

de Marseille, porter l’uniforme,c’était se transformeren« hérosqui sauve la vie des gens ». A21 ans, il réalise sonrêveetentredans la police. Il découvre unmétierqui l’épanouit, et souffred’autant plus des clichés quiternissent l’image de la profes-sion. « Ce qui me fâchait leplus, c’était cette image du flicfasciste », se souvient-il. Maislesannéespassent, et sonquoti-dien est toujours plus enthou-siasmant que ce qu’affirmentlesmauvaises langues. Jusqu’en2002.

« Avec l’arrivée de NicolasSarkozycommeministrede l’in-térieur, les choses ont changé.On a commencé à parler derentabilité, de politique duchiffre, la police a adopté lefonctionnement d’une entre-prise privée avec des résultatsà atteindre. » Ce changementde stratégie pose de sérieuxproblèmes éthiques à Marc.«On me demandait de placerdes gens en garde à vue pourdes situations qui ne le nécessi-taient pas, ou de bâcler volon-tairement des enquêtes nonrentables alors que les victimesnécessitaient notre aide. » Le14 février 2011, il craque. Assisdans son salon, il s’emparede son arme et place le canondans sa bouche. Sa femmerentre juste à temps pouréviter le suicide. Aujourd’hui,

Marc La Mola a démissionnéde la police. De son parcoursprofessionnel et sa descenteaux enfers, il a fait un livre, LeSale Boulot. Confessions d’unflic à la dérive (J.-C. GawsewitchEditeur).

Petits arrangements« Les cas de conscience sont pro-bablement ce qui procure leplus de souffrance aujourd’huiau travail », estime la psycha-nalyste Marie Pezé. Car si cer-tains secteurs sont de par leur

nature très touchés, les ques-tionnements éthiques n’épar-gnent personne. Dans son cabi-net, Marie Pezé a vu défiler lesemployés travaillés par leurmorale. Elle se souvient de cesalarié d’une petite imprime-rie, qui rate plusieurs rames depapiermais souhaite encore enfaire une dernière plutôt qued’envoyer du travail mal fait àson client. « Il n’a pas pu : l’im-primerie a préféré envoyer untravail bâclé en se disant que leservice après-vente s’en charge-rait. Il en a fait une crise. »

A l’autre bout de l’échellehiérarchique, la psychanalystea reçu des directeurs financiersà qui on a demandé des arran-

gements plus oumoins légauxet qui finissent par craquer. Il ya ceux qui se suicident, « sou-vent des personnes avec degrandes responsabilités, très in-vesties, qui ont accepté beau-coupde choses pour sauver leurboîte jusqu’aumoment où ils seretrouvent confrontés au sys-tème qu’ils ont contribué àmettre en place ».

Autre réaction : le surinves-tissement. « C’est Eichmann,[officier SS, responsable de lalogistique de la “solution fi-

nale”] ne se posant pas la ques-tion de ce que transportent lestrains mais se donnant beau-coup demal pour que les trainspartent et arrivent à l’heure. »

Et puis il y a la fuite. C’est lecas de la jeune génération,« qui s’implique moins au tra-vail pour moins souffrir », es-timeMme Pezé.

Car personne ne peut ac-cepter de travailler dans lahonte. C’est d’autant plus vraiaujourd’hui : l’éthique n’estplus l’apanage des respon-sables de l’entreprise, cettethématique concerne désor-mais tout le monde. D’après ledernier baromètre du climatéthique auprès des salariés des

grandes entreprises, 84 % dessalariés se sentent concernéspar les actions menées parleur entreprise en matièred’éthique. Certains vontmêmejusqu’à s’engager personnelle-ment pour remettre l’éthiqueau cœur de leur travail.

Des a priori pénalisantsC’est le cas de Benoît Santoire.Cet huissier de justice n’ignorerien de lamauvaise réputationqui ternit l’image de la profes-sion : il partageait ces clichéslorsqu’il était étudiant endroit. « Le métier est associéaux saisies et aux expulsions.Mais au cours d’un stage au-près d’un professionnel, j’ai dé-couvert un autre quotidien. »

Aujourd’hui, cet huissierinstallé dans la Meuse déclaren’avoir pratiquement plus au-cun dossier d’expulsion : « J’ar-rive en discutant à faire ensorte que les personnestrouvent un logement ou lequittent sans qu’on en arrive àdes situations dramatiques.J’explique aussi aux chefs d’en-treprise que nous faisons beau-coup de médiation. » Surtout,il communique pour changerl’image du métier : « Ces apriori sont pénalisants, notam-ment en termes de renouvelle-ment, car cela effraie encorecertains jeunes. »

La profession l’a comprisaussi, et mène des actions re-plaçant l’éthique au cœur dumétier : « L’année dernière,nous avons voté un règlementdéontologique national. Nous

«TOUT S’EST GÂTÉ DANS LA POLICEQUAND ON A COMMENCÉ

À PARLER DE RENTABILITÉ,DE POLITIQUE DU CHIFFRE»

MARC LAMOLA, auteur de Le Sale Boulot. Confessions d’un flic à la dérive

Laquestionéthiqueau cœurde lamotivationdes salariés

Page 51: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 51

menons aussi des actions ci-blées sur les sujets qui nous pré-occupent : nous avons mis enplace un numéro vert pour lesexpulsions, pour que les per-sonnes en difficulté puissentavoir des renseignements »,poursuit M. Santoire. En 2013,le Conseil national des huis-siers a même lancé une cam-pagne de communication sousla forme de spots publicitaires.

Certes, tous ne sont pasaussi francs quant à l’imagede leur secteur. British Ameri-can Tobacco France et PhilipMorris France refusent de

communiquer sur cette ques-tion. Mais les entreprises sontde plus en plus nombreuses àavoir compris que l’éthiqueest désormais une nécessitépour les salariés. Parfois, laprise de conscience passe par

un scandale. C’est le cas del’industrie pharmaceutique,dont l’image a été écornée au-près des patients, médecins etacteurs publics suite à l’affaireduMediator. « L’industrie a dûtravailler sur son image et sacommunication. Aujourd’hui,le secteur essaie d’attirer lesjeunes car nous manquons demédecins et de pharmaciens,et nous nous heurtons àl’image que l’usine renvoieaux citoyens », explique Pas-cal Le Guyader, directeur desaffaires générales, indus-trielles et sociales du LEEM,

qui regroupe les entreprisesdu secteur de l’industrie phar-maceutique en France. M. LeGuyader regrette que lesjeunes suivant des filièresscientifiques bifurquent leplus souvent vers des car-rières commerciales etmarke-ting, considérées comme plusdynamiques. Pour expliquerle fonctionnement de l’indus-trie pharmaceutique, les en-treprises du médicament ontmême lancé un jeu vidéo enaccès libre, Pharma War.

Une donnée de fondA une époque où l’image et laréputation de l’entreprisepèsent toujours davantage,« l’éthique est devenue unedonnée de fond du manage-ment en entreprise », affirmeYves Medina, président duCercle d’éthique des affaires.Développement de cartogra-phie des risques, mise en placede dispositifs d’alerte… « le su-jet majeur reste la préventiondu risque de corruption », ex-pliqueM. Medina.

Simple habillage ou réellepréoccupation morale ? L’op-portunisme n’est jamais trèsloin, bien sûr, mais pour YvesMedina ces démarches sonttoujours plus sincères : « Toutsimplement parce qu’avec ledéveloppement des règlementsinternationaux, les entreprisesont compris les risques finan-ciers et de réputation considé-rables encourus, et le sujet estdonc traité sérieusement. »

MARGHERITA NASI

« LE SUJETMAJEUR RESTELA PRÉVENTIONDU RISQUE DECORRUPTION»

YVESMEDINA, président du Cercled’éthique des affaires

Les bonnes pratiques rongées par la crise

La crise est ressentie comme

une menace pour l’éthique et

la déontologie. C’est l’un des

principaux enseignements du

Baromètre du climat éthique

des salariés des grandes

entreprises, réalisé par BVA

pour le groupe La Poste et le

Cercle d’éthique des affaires.

Ce baromètre est produit

chaque année depuis trois ans

pour « sensibiliser l’opinion à

l’importance de la question de

l’éthique dans le management

des entreprises, mais aussi

pour suivre au fil des années

les évolutions de cette

thématique », explique Yves

Medina, président du Cercle

d’éthique des affaires.

Le dernier baromètre, paru

en février 2015, montre que

65 % des salariés pensent que

certaines entreprises sont

moins soucieuses de

ces problématiques en période

de crise. « Malheureusement,

c’est une vraie crainte pour

une bonne majorité des

salariés », résume Yves

Medina.

Autre observation notable :

l’avis partagé des salariés

sur la pratique des cadeaux

fournisseurs ou clients. Pour

40 % d’entre eux, accepter un

cadeau d’un fournisseur ou

d’un client est une atteinte à

l’éthique et à la déontologie,

alors même que cette pratique

est très répandue au sein des

entreprises.

Mais c’est surtout le manque

de formation des salariés

aux questions éthiques qui

inquiète le président du Cercle

d’éthique des affaires : 61 %

n’y ont pas eu droit. « C’est

beaucoup, et c’est significatif.

Il faut insister sur la nécessité

de former et de sensibiliser

à ces risques. »

Le baromètre apporte aussi de

bonnes nouvelles, notamment

en ce qui concerne le

développement des dispositifs

d’alerte, auxquels les Français

semblent faire toujours

davantage confiance :

70 % des salariés apprécient

ces dispositifs. « On a

pendant longtemps affirmé

que les Français étaient

culturellement contre ces

dispositifs, assimilés à de la

délation. On se rend compte

aujourd’hui que ce n’est pas

vrai, bien au contraire. »

M. N.

Page 52: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

52 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

En 2013, une association a fait le pari de développerl’entrepreneuriat dans les quartiers populaires.Bilan après un an et demi d’expérience.

diversité

Duréseau,desconseilsde pros, des outilsthéoriques et uncadre structurant,voilà cequimanque

souvent aux jeunes issus desquartiers défavorisés pour selancer dans l’entrepreneuriat.Partant de ce constat, les entre-preneurs Tomas Fellbom etAlexander Keiller on créé avecSerge Malik, cofondateur deSOS Racisme, une premièreYump Académie (Young UrbanMovement Project) en octobre2013. Cette business school, quicible les «pépites »debanlieue,s’est alors installée en Seine-Saint-Denis (93).

Selon un concept importéde Suède, l’académie formegratuitement pendant sixmois des jeunes porteurs deprojet selectionnés sur leurmotivation et leur idée. Aupro-gramme, formations nomadeschez des partenaires (Altran,Microsoft, Talentis…), suivi pardes coachs, programme en e-learning, présentations hebdo-madaires des avancées.

« Notre challenge est d’offrirune formation hyperpratique,sans livre ni professeur, qui peuts’adresser à tous, des non-diplô-més aux bac + 5 », explique To-mas Fellbom. Un équilibre res-pecté : 43 % des jeunes de lapremièrepromotionavaientunniveau bac + 0 ou moins, lereste un bac + 2 ouplus.

Ceux qui ont concrétiséleur projet grâce à l’académieen tirent un bilan positif. Mar-tial Clocuh, 33 ans, estime quela formation lui a permis d’ac-quérir les outils théoriques quilui faisaient défaut : « Je suiséducateur sportif à Cergy-Pon-toise et mes associés, LamineKonaté et Tarik Lahrach, sontentrepreneurs sociaux. Nousavions une bonne connais-sance du terrain. La formationm’a aidé pour élargir mon ré-seau, élaborer un business

plan, tester la faisabilité finan-cière du projet, faire une étudede marché... » L’équipe espèrelancer l’activité de #family, quivise à créer de l’emploi dansles quartiers par la vente deproduits et services pour spor-tifs amateurs, à la rentrée 2015.

Diplômée d’un DEA d’éco-gestion et habitante de Bondy(93), Rym Ben Tili, 36 ans, atrouvé dans l’académie « uncadre nécessaire ». « Chez soi,en plus avec des enfants, on se

laisse facilement embarquerpar d’autres occupations », ex-plique la créatrice de la SweetTable, un service de vente depâtisseries sur mesure. Aucours de la formation, elle adécidé d’élargir son offre au Bto B (marché d’entreprise à en-treprise). « Je suis sortie plusambitieuse que quand j’y suisentrée », ajoute-t-elle.

Moussou Diakité, diplôméed’une école de commerce ethabitante du 19e arrondisse-ment de Paris, voit la Yumpcomme une étape précieusedans son parcours. « Lorsque jel’ai intégrée, je n’avais pas d’ex-périence. La formation m’a per-mis de peaufiner mon businessplan avant de pouvoir accéderà un accélérateur de start-up »,explique la jeune créatrice deNappyN’ko, un site d’e-com-merce de produits capillairesmultiethniques.

Un an après leur sortie del’académie, huit « yumpers »ont créé leur structure etquatre commencent à dégagerun chiffre d’affaires, selon l’as-sociation. Sur les vingt et un decette première session, tous nesont pas allés au bout de leurprojet. « Six ont quitté le pro-gramme en cours et sept ontchoisi d’autres voies après avoirété diplômés. Quand il faut pas-ser à l’acte, certains lâchent,mais ça ressemble à l’entrepre-neuriat en général », analyse

Tomas Fellbom. Seule la péren-nité des projets permettra detirer un bilan définitivementpositif de l’expérience.

Eviter la ghettoïsationA l’avenir, Yump France veutcontinuer dans son objectif dedonner une chance à tous,mais elle va modifier sa cibleet monétiser la formation.« Nous avons réalisé que c’étaitune aberration de faire desacadémies uniquement pourles personnes issues des ban-lieues, car cela entretient laghettoïsation. Désormais, lespromotions seront mixtes,même si cette cible reste majo-ritaire », explique Tomas Fell-bom. Pour les futures promo-tions, Yump France veut aussi« valoriser la formation [gra-tuite mais qui coûte environ17 000 euros par « yumper »]pour diminuer l’absentéisme,un des problèmes du début.L’idée est de créer un systèmed’argent virtuel lié à l’assiduité,permettant d’acheter desheures avec un spécialiste, cequi offre aussi plus de person-nalisation de l’accompagne-ment », ajoute-t-il.

En 2015, le but est de former90 « yumpers » dans deux aca-démies – Ile-de-France (Choisy-le-Roi, Evry, Pantin) et PACA(Marseille). Une ouvertured’antenne à Paris est en projet.

LÉONOR LUMINEAU

«UNEFORMATIONSANS LIVRE NIPROF QUI PEUTS’ADRESSERÀ TOUS »

TOMAS FELLBOM, cofondateurde la YumpAcadémie

LaYumpAcadémie,l’école qui voulait donnersa chanceà chacun

Page 53: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 53

Semettre à son compte sous d’autres cieux faitfantasmer plus d’un jeune diplômé. Mais ce choixrelève souvent du parcours du combattant.

création d’entreprise

La génération Erasmusn’hésite plus à fran-chir les frontièrespour faire des études,trouver un job… et

aussi lancersaboîte.Lenombrede Français créateurs d’entre-prise à l’étranger a doublé endix ans. En 2013, près de deuxFrançais sur dix installés horsde l’Hexagone en faisaientpartie, contre un sur dix seule-ment en 2003, d’après uneenquête de la Chambre decommerce et d’industrie deParis Ile-de-France réalisée en2014.

Peur de la pression fiscale,marchés plus dynamiques…Aux yeux des jeunes entrepre-neurs, parfois adeptes dufrench bashing, il peut semblerplus facile de se lancer sousd’autres cieux. « Portés par leuresprit de conquête, certains en-trepreneurs ont le sentiment detrouver ailleurs un écosystèmeplus favorable qu’en France »,souligne Marc Desjardins, res-ponsable de l’offre Internatio-nal chez Soregor, une sociétéqui accompagne les entre-prises dans leur développe-ment.

Mais la terre promise se ré-vèle parfois plus hostile queprévu. Timothée Saumet ensait quelque chose. Fort du suc-cès de Tilkee, un logiciel deprospection commerciale qu’ila lancé en France il y a un an etdemi, ce trentenaire vient departir à Philadelphie pour s’at-taquer aumarché américain etdémarcher des business angels.Mais, contrairement aux idéesreçues, il constate que s’im-planter dans le pays de la libreentreprise est relativement

ardu. « Au niveau des visas, lesprocédures sont longues et trèscoûteuses, indique-t-il. Quantaux investisseurs, ils craignentque l’on s’enfuie avec l’argent. »Enfin, les usages nord-améri-cains réservent aussi leurs sur-prises : « Aux Etats-Unis, il estfacile d’obtenir un premier ren-dez-vous et un Français peutcroire que c’est dans la poche,explique-t-il. Mais ici, c’est dé-crocher un second entretien quiest compliqué. »

Contraintes sous-estiméesLes entrepreneurs ne me-surent pas toujours les diffi-cultés qui les attendent. « Ilsnégligent souvent les aspectsréglementaires de leur paysd’accueil », constate Marc Des-jardins. Les obligations admi-nistratives, fiscales et sociales,par exemple, peuvent êtreaussi, voire plus contrai-gnantes qu’en France.

Basée en Inde, Johanne Bar-bier, 31 ans, s’est confrontée àuneadministrationkafkaïennelorsqu’elle a cofondé avec soncompagnon l’entreprise TitriDigital Services. « Le tempspour créer notre entreprise aété très long, dit-elle. Il y a tou-jours eu un document à recom-

mencer parce que la procédurevenait de changer. » Sanscompter les problèmes de cor-ruption : « Une fois, un policierest venu pour chercher un bil-let, raconte l’entrepreneuse.Nous avons réussi à nous ensortir en faisant les innocents eten lui offrant un chocolat. »

En Europe, l’environne-ment est a priori moins diffi-cile. Londres et Berlin sebattent pour attirer les jeunes

pousses. La capitale allemandeséduit par son dynamisme etses loyers bon marché. Aupoint d’être victime de sonsuccès. Après avoir suivi sonfutur mari à Berlin, Mélanievon Richthofen, fondatrice dela société Gourmet de France,s’est lancée dans l’aventureentrepreneuriale. « Créer uneentreprise en Allemagne n’est

pas très compliqué », estime-t-elle. Mais contrairement aureste de l’Allemagne, réputéepour sa bonne santé écono-mique, la population berli-noise constitue une clientèledésargentée et blasée, qu’il estdifficile de séduire. C’est d’ail-leurs ce qui a incité l’entrepre-neuse à abandonner son pre-mier projet de restaurant-barau profit d’une offre B to B(marché interentreprises).« Comme les baux sont mo-diques ici, on n’arrête pas devoir des cafés s’ouvrir et fer-mer », constate-t-elle.

« S’il s’agit de partir pourpayer moins de charges, il y ades chances de se planter », ré-sume M. Desjardins. Au de-meurant, la France présenteaussi des avantages : « Au ni-veau de la fiscalité, ça reste toutà fait raisonnable quand on estune petite entreprise et, avec lestatut d’auto-entrepreneur, lesformalités sont très réduites,note Timothée Saumet. Deplus, on a droit à énormémentd’aides. » La France, un Eldora-do pour les entrepreneurs ? Icicomme ailleurs, la réussite deson projet passe d’abord parun plan bien préparé.

CATHERINE QUIGNON

«S’IL S’AGITDE PARTIR POURPAYERMOINS DECHARGES, IL Y ADES CHANCES

DE SE PLANTER »MARCDESJARDINS, responsable del’offre International chez Soregor

La terrepromisese révèleparfois plushostile queprévu

Page 54: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

54 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

C’est la foire aux projets depuis la chute du régime Ben Ali.Investisseurs et organisations internationales participent auxmultiples programmes de soutien à l’emploi. Avec un succès mitigé.

création d’entreprise

Dorravoudraitmonterune petite unitéd’extraction d’huilesessentielles pourla cosmétique bio.

Kaouther, ingénieure infor-matique, aimerait ouvrir uncentre sportif féminin quiproposerait aussi des thérapiesde groupe. Quant à Marwan, ilse dit qu’il pourrait développerune solution pour le paiementéchelonné en ligne.

C’est la foire aux projetsdans les allées de la Startupexpo, un salon peuplé dejeunes en quête d’informa-tions sur la création d’entre-prise. Cette manifestation, te-nue mi-février, a rassemblé àpeu près tout ce que la Tunisiepost-révolution compte deprogrammes d’aide en la ma-tière : institutions de microfi-nance, ONG d’accompagne-ment et autres incubateurs...« C’est la tendance, relève LeïlaCharfi, directrice pays pour leYunus Social Business (YSB).Beaucoup ont pensé que la créa-tion d’entreprise était la solutionpour les jeunes à la recherched’un emploi. Il y avait un videénorme dans ce domaine. »

« La graine était là, mais onne l’arrosait pas », poétise Mi-chael Cracknell, cofondateurde l’ONG de microcrédit Enda,l’un des rares acteurs présentsavant 2011. A l’époque, il n’yavait guèrequ’euxet laBanque

tunisienne de solidarité (BTS),une institution publique répu-tée accorder ses prêts au pis-ton. Les initiatives privéescommençaient timidement àvoir le jour.

La révolution a été un cata-lyseur. Bailleurs de fonds etorganisations internationalesont investi en masse le cré-neau, soucieux de contribuer àrésorber le chômage structurel

qui frappe la jeunesse : untiers des 15-29 ans sont sansemploi, même chez les diplô-més. « Notre pays est en crise etje suis diplômée en protectionde l’environnement, un do-maine où il n’y a pas beaucoupde travail. Alors pourquoi nepas lancer mon propre pro-jet ? », expose ainsi Asma, 24ans, qui chôme depuis 2012 etveut se lancer dans l’extractiond’huile de figue de barbarie.Beaucoup y voient aussi unmoyen d’échapper à la hié-rarchie et d’augmenter son ni-

veau de vie, quand le salariatcantonne à de faibles revenus.

D’après la Banque africainede développement (BAD), ilexiste aujourd’hui une qua-rantaine de programmes desoutien à l’entrepreneuriat. Ilss’efforcent de réduire les prin-cipaux obstacles identifiés :manque de culture entrepre-neuriale, bureaucratie, diffi-cultés pour accéder à l’infor-mation et, surtout, pourtrouver un financement.

Ainsi, l’ONG Educationpour l’emploi propose des for-mations pour réaliser sonétude de marché, affiner sastratégie commerciale. Les Tu-nisian Ambassadors for Deve-lopment ont créé un guided’information « pour que lesautres ne passent pas cinq ansà monter leur entreprise,comme moi », explique l’ini-tiateur Amine el Ghribi.

La BAD elle-même s’y estmise, pourtant peu habituée àce type d’actions directes. En2012, elle a lancé le Souk at-Tanmia (marché du dévelop-pement), pour « générer del’espoir » chez une jeunesse enattente de solutions « concrètes,immédiates et tangibles », ex-plique Sonia Barbaria, chargéedu projet. Lors de l’édition pi-lote, 61 projets ont été accom-pagnés et financés. Ils de-vraient permettre la créationde 1 000 emplois, dans l’artisa-

nat, l’agriculture, le recyclage...« La révolution s’est aussi

produite à cause du manqued’initiatives, notamment dansles régions qui ont besoin d’en-treprises créant de la valeurdans leur écosystème », analyseLeïla Charfi. YSBpilote en Tuni-sie le programme Ibda (lance-toi), un accélérateur d’entre-prises sociales. La premièreédition en a fait germer onze,comme ce jeune qui porte unprojet de recyclage dans les dé-charges, intégrant les berbe-chas (fouilleurs de poubelles).

5 600 projets financésRetour au salon Startup expooù Enda organise ses BidayaAwards. Fin 2011, l’organisa-tion a concocté ce nouveau« crédit de lancement », desti-né aux jeunes microentrepre-neurs. Parmi les lauréats, Ha-ger a lancé une garderie, Mahaune agence événementielle,Khalil un petit élevage. « C’estla révolution qui nous a inspiréce programme. D’habitude, lamicrofinance soutient des pro-jets existants. Là on appuie lacréation ; c’est plus risqué caron ne peut pas évaluer la renta-bilité », observeMichael Crack-nell. En trois ans, 5 600 projetsont été financés, pour 8 mil-lions d’euros. Et le taux demortalité de ces projets, envi-ron 15 % à ce jour, est inférieurà celui habituellement consta-

LA RÉVOLUTIONA ÉTÉ UN

CATALYSEURPOUR

DIFFÉRENTSBAILLEURSDE FONDS

LaTunisie teste la voiede l’entrepreneuriat contrele chômagedes jeunes

Page 55: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 55

té. La réforme de la loi sur lamicrofinance, en 2011, a aussipermis l’arrivée de nouveauxacteurs, comme MicroCred,sous l’égide de l’organisationPlaNet Finance, présidée parJacques Attali.

Et puis, il ne se passe pasune semaine sans un concoursde création d’entreprise. No-tamment dans les universités,qui sont de plus en plus nom-breuses à développer leur incu-bateur et à intégrer des coursd’entrepreneuriat. Le tissu as-sociatif étudiant, très riche,compte aussi de nombreuxclubs d’initiation business. « Sion veut se lancer, on aura plusd’atouts. On se rend comptequ’on ne peut rien faire avecnos diplômes, même ceux

d’une grande école comme lanôtre », soupire Jihene OuledSghaier, présidente de la sec-tion Enactus, à l’Institut deshautes études commerciales.

A l’initiative brimée sousBen Ali a fait place « une eu-phorie entrepreneuriale », jugeHoussem Aoudi, 31 ans, cofon-dateur de Cogite, pionnier ducoworking. Le premier espace aouvert en 2013 à Tunis, un troi-sième est aujourd’hui en ges-

tation, à Djerba. Dans ses lo-caux, Houssem Aoudi voitpasser « des serial et des wan-nabe entrepreneurs [contrac-tion de want to be], des ONG,des artistes..., énumère-t-il. Co-gite vise à créer une commu-nauté dont l’objectif est de s’en-traider et de changer les choses.Vous venez avec votre idée,vous la partagez et vous profi-tez du retour d’expérience etdes contacts des autres. La Tu-nisie est une adolescente del’entrepreneuriat qui se cher-che. Le coworking peut aider àcatalyser tout ce mouvement. »

Le nouveau gouvernemententend également faire de l’en-trepreneuriat « l’un des leviersde la création d’emploi, exposele ministre de l’emploi Zied

Ladhari. Le secteur public estpratiquement arrivé à ses li-mites, le privé a ses difficultés.Ce qu’on peut faire, c’est encou-rager les jeunes à créer eux-mêmes leur activité et peut-être générer des emplois à leurtour. » Le gouvernement visela création de 15 000 petitesentreprises cette année, à tra-vers la BTS.

Manque de coordinationMais ce foisonnement a ses li-mites. Il est encore tôt pourmesurer la viabilité de cesjeunes boîtes et les étudesd’impactmanquent. Mais tousles acteurs notent déjà lemanque de coordination : « Il ya beaucoup d’aide à la créationd’entreprise, mais peu pourleur suivi, souligne Leïla Charfi.Or, après quatre ans, beaucoupsouffrent. Il faudrait les aider àaccéder au marché internatio-nal, à recruter des compé-tences. »

Chercher aussi d’autrestypes de solutions pour leschômeurs, car « tout le monden’a pas la fibre entrepre-neuriale », souligne la jeunefemme, persuadée toutefoisde l’impact positif de ces mul-tiples initiatives : « Même s’ilsne deviennent pas tous entre-preneurs, ils seront sans doutede meilleurs commerciaux, demeilleurs chefs de projets. »

GABRIELLE PASCO, À TUNIS

«IL Y A DE L’AIDEÀ LA CRÉATIOND’ENTREPRISEMAISTRÈSPEUPOURLE SUIVI »

LEÏLACHARFI, directrice pays pourle Yunus Social Business

La « beautiful laundrette » deMedhi

Mehdi Ben Hmida, 31 ans, a

toujours eu envie de faire du

commerce. Son idée a germé

quand il était étudiant en

comptabilité : « Je rentrais

toutes les deux semaines chez

ma mère pour faire ma lessive

car il n’y avait aucune laverie.

Je me suis dit que je ne devais

pas être seul dans ce cas. »

Lors d’un stage en France,

il découvre l’écologie. C’est

décidé : il veut lancer une

laverie « verte ».

En 2010, Mehdi s’accorde

six mois pour lancer son

projet. Il rejoint un cabinet

d’audit et mène de front les

deux activités. « Je voulais

voir comment marche une

entreprise et, avec la mienne,

je ne pouvais pas gagner

d’argent au début », dit-il.

L’argent, justement, est un

problème : sans biens à

hypothéquer, les banques lui

refusent un prêt. Il emprunte

par-ci par-là, auprès des

fournisseurs, de la famille,

et il démarre.

Depuis, avec le soutien de

Souk at-Tanmia, Mehdi a

lancé deux autres points de

vente et emploie désormais

dix personnes. « Maintenant,

je lance des jeunes, sourit le

patron, qui vient de signer

deux contrats pour des

franchises.Mais comme moi,

ils peinent à obtenir

de l’argent des banques... »G. PA

Page 56: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

56 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

Comment l’arrivée des jeunes généra-tions bouleverse-t-elle les organisations ?Ce ne sont pas les jeunes qui bouleversentles organisations. Celles-ci sont déjà bous-culées par les nouveaux modèles d’af-faires qui sont apparus dans les années2000, avec la globalisation et la digitalisa-tion des économies.Les nouvelles générations s’intègrent na-turellement dans ces transformations etelles les subissent aussi. Ce ne sont doncpas les jeunes qui transforment une entre-prise comme Google ou Air France, maisles métiers qui se modifient et les organi-sations qui s’adaptent, en accueillant lesjeunes. Je doute toujours des explicationsunilatérales qui laissent entendre que lesjeunes générations émergent de nulle partavec une nouvelle culture.

Ceux qui privilégient le « faire soi-même », les « makers », sont-ils annon-ciateurs de ces nouveaux modèles éco-nomiques ?Les « makers » sont typiques d’une dé-marche productive nouvelle permise parles technologies et qui transforment leschaînes de la création de valeur. Cela nechange pas tout, mais érode le contrôle dela production jusqu’à présent détenu parles entreprises. On peut désormais fabri-quer des produits à forte valeur ajoutée deses propres mains ou selon ses propresplans grâce à Internet ou aux imprimantes3D. Les esprits souples et adaptables,adeptes du « bricolage » et de l’adaptationseront gagnants. Les perdants seront ceuxplus axés sur les techniques et les fonc-tions de contrôle.Les entreprises devront assouplir leursmodèles productifs, tenir compte de laconcurrence des clients eux-mêmes. Leparadoxe auquel elles font face est de de-voir être à la fois inventives, souples, et enmêmes temps contrôlées et normaliséespour tenir l’organisation à grande échelle.

Les nouvelles organisations n’ont pas réso-lu cette articulation entre innovation etcréativité d’un côté, contrôle et expertisede l’autre. On tâtonne encore. L’esprit« makers » inspire, en revanche, un retourinattendu des communautés de travail,même à l’extérieur de l’entreprise.

Que signifie ce terme de « communautéde travail » dans un monde que l’on ditindividualiste ?Le travail est communautaire par essence.On ne peut pas décider tout seul de l’utili-té ou de l’esthétique d’un produit. C’estune communauté qui donne de la valeuraux biens et aux services. Par exemple, unmétier, un groupe de spécialistes, d’ar-tistes, etc.Quand l’entreprise devient une organisa-tion totalitaire, elle veut contrôler le conte-nu et le sens du travail. En faisant dispa-raître les communautés de métiers auprofit de l’organisation, elle a créé descoordinations abstraites par des reportingset des objectifs quantifiés.Mais cela ne faitpas une communauté de travail qui défini-rait la qualité de leurs produits, la « beautédu geste », les règles de l’art. Elle prescritdu travail, elle n’en donne pas l’esprit.Cet esprit s’est échappé à l’extérieur del’entreprise. Grâce aux réseaux sociaux età leurs innombrables communautés, aux« fablabs », aux associations qui fleu-rissent pour offrir de travailler librement,pour la « beauté du geste », selon les règlesde l’art, anciennes ou réinventées.…Des sujets d’intérêt commun produisentdes communautés de travail qui ont étéexclues des entreprises hyper-contrôléespar leurs reportings et leurs normes, se re-trouvent en dehors d’elles pour créerd’autres façons de faire de l’économie.

Est-ce tout simplement parce que les sa-lariés manquent d’autonomie dans lesentreprises ?

Pierre-YvesGomez est professeur destratégie à l’EMLYONBusinessSchooloù il dirige aujourd’hui l’Institut français

de gouvernement des entreprises.Spécialiste du lien entre l’entreprise etla société, il est l’auteur de nombreuxlivres,dont Le Travail invisibleparu en2013 chez FrançoisBourin Editeur.Il prépare unouvrage sur l’entreprisevue commecommunautés de travail.

mardi 18 novembre 2014 Le Monde Campus / 57

Onaoublié que le travailest communautaire

par essence »

le grand entretien

Pierre-Yves Gomez

56 / Le Monde Campus mercredi 25 mars 2015

DR

Page 57: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

L’autonomie constitue commeun petit es-pace concédé par la hiérarchie afin que lesalarié ait un peu de latitude dans ses déci-sions, alors que son travail est par ailleurshyper ordonné, prescrit, contrôlé. La vraieliberté apparaît quand il y a séparationentre ceux qui organisent le travail et ceuxqui lui donnent son sens, sa valeur. Parexemple, un hôpital utilise les compé-tences demédecins, mais ce n’est pas l’hô-pital qui définit le contenu de leurscompétences, leur savoir-faire, leur déon-tologie. Cette séparation de l’usage du tra-vail et de sa qualification est la conditiondu travail libre.

Comment la qualification du travailpeut-elle se faire si ce n’est par l’entre-prise ?Par les communautés justement. Commu-nautés demétiers comme lesmédecins oules plombiers, communautés de savoir-faire ou de travail, geeks oumakers qui sedonnent des règles de l’art en dehors detoutes entreprises.

De quelle façon les entreprises peuvent-elles accueillir des communautés de tra-vail en leur sein ?Disons qu’elles doivent le faire si elles neveulent pas mourir par désengagementlent des travailleurs. Google et Apple sonttypiques de cette approche par commu-nautés de travail. Elles sont allées cher-cher les communautés de geeks qu’ellesont invitées chez elles à travailler selonleur culture. Elles ont aussi invité lesclients à contribuer à la conception desproduits parce qu’ils participent à unemême communauté. Les communautésde travail, ce n’est donc pas du passé, de latradition. C’est le présent, le futur de l’en-treprise.

En quoi les jeunes générations peuvent-elles participer à cette évolution ?La philosophie du changement n’est pasle fait des nouvelles générations mais deceux, jeunes ou pas, qui refusent l’hyper-compétition, qui défendent l’économie àhauteur d’homme. Les jeunes y contri-buent souvent, parce qu’ils ont aussi be-soin de sens, et que ce sens est commun,fondé sur des communautés de pratiques,de travail ou de vie. Ils en ont souvent l’ex-périence.

ProPos recueillis Par soPhie Péters

Dans un récit qui nous ramène auXVIe siècle, sur les galions espa-gnols chargés d’or, avant de nous

faire traverser le miroir de Lewis Carrollpour aller à la rencontre de l’étrange Reinede cœur d’Alice au pays des merveilles,Pierre-Yves Gomez raconte la métamor-phose du capitalisme qui s’est opérée cestrente dernières années et dont on parlecouramment en termes de financiarisa-tion de l’économie.

« Dans la vraie vie » : cette expressionest le point de départ de l’essai de ce pro-fesseur de stratégie à l’EM Lyon, directeurde l’Institut français de gouvernement desentreprises, et chroniqueur au Monde.L’auteur du Travail invisible postule que laréflexion économique ne devrait com-mencer que là où commence ce qu’onconsidère comme « la vraie vie », afind’éviter ce qui s’est passé ces dernières an-nées, à savoir que toutes les parties pre-nantes de l’entreprise, les économistes, lesfinanciers ont perdu de vue la réalité dutravail, ce travail matériel, « avec sa sueuret ses satisfactions », parce qu’il a été tra-duit en données quantifiables pour « uneéconomie chiffrable du profit au service dela rente ».

C’est en effet pour répondre à une pro-messe de rente généralisée que l’économies’est financiarisée, explique-t-il. La réalitédu travail a alors été traduite en chiffrespour en faciliter le pilotage à distance parles décideurs. Les grandes organisationssont devenues des « mécaniques abs-traites » et le travail humain est devenuinvisible.

L’épargne des ménages s’est transfor-mée comme « autant de petites particulesaimantées vers les marchés financiers »,donnant naissance aux géants de l’écono-mie financiarisée. Entre 1992 et 2010, les100 premières entreprises cotées sur laplace Paris Euronext « ont capté 98 % des

levées de fonds pratiquées sur le marché(...). En Europe, 250 entreprises cotées ontabsorbé 95 % des financements », affirme-t-il. L’épargne ainsi concentrée entrequelques mains, l’intérêt de la majeurepartie de la population est devenu celui de« faire pression pour maximiser le profit[de ces entreprises] et donc exploiter le tra-vail ». Il démontre ainsi comment la spé-culation sur les marchés financiers, sou-vent présentée comme la cause de la crise,est d’abord une conséquence de l’écono-mie de la rente de masse. Progressive-ment, l’économie de rentier s’est démocra-tisée aux Etats-Unis, puis mondialisée,constituant un frein considérable au pro-grès économique, explique-t-il.

Le travail, traduit en mesures compa-rables entre toutes les entreprises, a facili-té la compétition spéculative... avec suc-cès : « Alors qu’on estimait lesmouvementsspéculatifs à 5 % des transactions bour-sières en 1974, ils en représentaient plus de60 % à la veille de la crise de 2007 », notel’auteur. Le travail est, au passage, devenuinvisible, alors qu’il est la source de la créa-tion de valeur ! Pour sortir de ce piège spé-culatif, Pierre-Yves Gomez propose d’abor-der l’économie comme un organismevivant, de cesser de fuir le travail « commela peste », de reconnaître le travail vivantet de le réaffirmer comme « le fondementde notre communauté ».

anne rodier

Le Travail invisible,de Pierre-YvesGomez. FrançoisBourin éditeur,« Société », 2013,264 pages, 22 €.

La « vraie vie »

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 57

Page 58: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015
Page 59: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015

mercredi 25 mars 2015 Le Monde Campus / 59

Corruption, délation, chantage : les tenantsd’unmondegouvernépar les entreprises et leursopposants s’affrontent

dansuncombatoù tous les coups sontpermis.Extramuros, leromanpolicier «politique»dePhilippeNicholson fait échoà lavolontédeMarkZuckerberg, le fondateurdeFacebook, deconstruireuneville à 200milliardsdedollars, pour, selon LesEchos, logerdans leplus grand confort 10000de ses salariés.Unprojet très inquiétant qui va bien au-delà du Familistère deGuise (Aisne), cité idéale destinée aux ouvriers de l’entrepriseGodinauXIXe siècle.Dans unmonde bipolaire, des zones d’affaires se sontmultipliées à travers la planète. Ces lieux sécurisés accueillentles employés de grandes compagnies, qui vivent isolés du restedumondepar desmurs électrifiés. D’un côté, la prospérité, del’autre, lamisère. La production d’énergie faisant défaut auxEtats, ce «meilleur desmondes » est destiné à devenir « lepremier centrede stockage et denégoced’électricitémondial ».La logique demarché capitaliste est poussée à l’extrême : lepouvoirpolitiquedesEtats s’effaceauprofitdesmultinationalesqui imposent leurs règles et s’affranchissent des frontières etdes lois économiques et sociales en créant leur propre

système. Ces zones d’affaires sont devenues plus puissantesque les Etats qui les accueillent et rêvent de se constituerelles-mêmes enun Etat reconnupar l’ONU. L’Espagne a ainsicédé une régionpour y créer la première entreprise-pays aumonde, sous le nomd’Evergreen.«Que se passerait-il si Gafam [Google, Apple, Facebook,Amazon,Microsoft] décidait de créer une coalitionet envisageait une cyber-guerre contre les Etats ? »,s’interrogaient, de leur côté, VéroniqueAnger-de Friberg,la présidente du forumChanger d’ère,et l’écrivain Patrick de Friberg, dansune tribune publiée en 2014 sur le sitede L’Opinion («De l’Etat-nationà l’entreprise-Etat »). C’est bien toutela question que pose ce roman,où l’auteur fait dire à TedMuller-Smith,le représentant des zones d’affaires :« La politique est trop importante pourla laisser auxmains de politiques. »Extramuros, de Philippe Nicholson.Kero, 344 pages, 19,90 euros.

Suivezles guidesFORMEZ-VOUSAVEC L’ONISEPDu CAP aumaster proen passant par les écolesspécialisées, toutes lesformations permettantd’accéder auxmétiersde l’hôtellerie et de larestauration sont passéesau crible (225 000 postesà pourvoir en 2014),par l’Office nationald’information sur lesenseignements et lesprofessions (Onisep) quipublie deux autres guides :Ecoles de commerce, avec150 fiches écoles, et Aprèsle bac.Les Métiers de l’hôtellerie et dela restauration, octobre 2014,170 pages, Onisep, 12 euros.Onisep n°60, novembre2014, dossier « Ecoles decommerce », 178 pages,9 euros. Onisep n°61, janvier2015, dossier « Après le bac »,482 pages, 9 euros.

L’ÉCONOMIEEXPLIQUÉEL’économiste RaphaëlDidier se propose« d’éclairer le lecteursur 50 idées reçues enéconomie » car « les a priori,mensonges et contrevérités,à force d’êtremartelésautant par les hommespolitiques que par lesmédias, sont demoinsenmoins discutés ».Mieux comprendrel’économie. 50 idées reçuesdéchiffrées, de RaphaëlDidier. Ellipses, 224 pages,19 euros.

LA SAGESSEÀ LA PORTÉE DE TOUSEn 4 étapes à travers8 objectifs (l’intérêt dulâcher-prise, les obstaclesau lâcher-prise, gagner ensouplesse pour être dans lemouvement de la vie, etc.),ce guide d’apprentissagesigné par une sophrologue,relaxologue eténergéticienne, nousapprend comment fairepour lâcher lesmanettes.Sans prôner la résignationou la faiblesse, le livre,« construit comme unatelier » est censé aider lelecteur à déterminer quandil faut être acteur de [sa] vieet quand il faut accueillir etlaisser faire.Quatre étapes et je lâcheprise !, de Patricia Penot.Harmonie/Solar,192 pages, 12,90 euros.

L’industrie réinventée

L a Fabrique de l’industrie, un think tank sur l’industrie française,a organisé en 2014 un colloque au Centre culturel internationalde Cerisy-la-Salle (région Basse-Normandie) pour parler de

l’industrie et ses défis. Ce sont les contributions à ce colloque d’unequarantaine d’auteurs, de Geneviève Férone-Creuzet à StéphaneDistinguin, en passant par le père Baudoin Roger ou le PDG de Veolia,Antoine Frérot, que réunit cet ouvrage.Elles permettent « de donner à voir et à comprendre la variété despoints de vue », expliquent Louis Gallois et Denis Ranque dans lapréface. Les auteurs, considérant que l’industrie est « trop souventperçue comme un mal nécessaire » ambitionnent non seulement« de rendre l’industrie acceptable mais de faire qu’elle soit désirable ».Première piste de réflexion : face à la « raréfaction des ressources »,il s’agit de « réinventer les modèles industriels » en donnant la prioritéà l’économie du partage et à l’économie circulaire.Deuxième piste : renforcer la puissance des entreprises du numériqueappelées à se substituer à l’industrie traditionnelle « pour créer l’usinedu futur », le tout en s’appuyant « sur les modèles étrangers pourmieux comprendre qui nous sommes et où nous voulons aller », ensuivant « les principes du développement durable ».Pour Pierre Veltz, le président de ParisTech, il n’y a ni sociétépost-industrielle ni « citadelle assiégée » : l’avenir astreint « à fixer

les activités et les emplois connectés »appartient à une société« hyper-industrielle qui se caractérisepar la convergence entre la productiondes biens et celle des services renouveléspar l’informatique ». Il « passe par unemutation conjointe des entreprises, desuniversités et du savoir », écrit ArmandHatchuel, professeur en sciences degestion et administrateur de Cerisy.L’Industrie, notre avenir,sous la direction de Pierre Veltzet Thierry Weil. Eyrolles,344 pages, 27 euros.

Evergreen, l’entreprise plus forte que les Etats

Peu dedialogue social,plus de chômage

Un constat d’abord : la Franceaffichait en 2010 le tauxde

syndicalisation le plus faible del’OCDE, à l’exception de la Turquie,ce qui n’empêche pas notre pays debénéficier d’un tauxde couverturedes accords collectifs de 98%en 2012...et conduit les auteurs deDialogue etperformance économique à considérerque ce dernier « constitue un indicateurde l’intensité du dialogue social plusfiable que le taux d’adhésion auxsyndicats ».Double effet : cette faible qualitédes relations sociales entraîne une« substitution de l’Etat » auxpartenaires sociaux et fait obstacleaux réformes, déplorent les deuxéconomistes. Ils rejoignent ainsi lesanalyses de leurs confrères PhilippeAghion, YannAlgan, Pierre Cahuc,Olivier Blanchard et ThomasPhilippon qui, rappelant que « les paysoù la qualité du dialogue social est plusfaible connaissent des taux de chômageplus élevés », souhaitent « desévolutions substantielles de notresystème de relations sociales ».Comment ? En renforçant lareprésentativité syndicalemoyennantdes contreparties, en améliorant ledialogue social informel, endéveloppant le droit conventionnelcontre le « droit réglementaire rigide »qui caractérise l’intervention de l’Etat,et en accroissant la participation dessalariés aux conseils d’administration.

Dialogue social et performanceéconomique, par Marc Ferracci etFlorian Guyot. Les Presses Sciences Po,coll. « Sécuriser l’emploi », 122 pages,6 euros.

invitation à la lecturePage réalisée Par Pierre Jullien

Page 60: Semestriel Le Monde-Campus mars 2015