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http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999 145 Section 2 - Le juge pénal et l’inexécution des conventions d’autodiscipline. 141. Depuis quelques décennies, il est fréquent que des groupes de personnes d’un même secteur d’activité s’imposent des règles de conduite, dans des conventions dont le respect dépend de la bonne volonté de chacun. Si certaines chartes, codes ou autres, ont déjà plusieurs dizaines d’années, la plupart sont d’apparition fort récente : ce mouvement est en pleine expansion. Ces chartes sont élaborées en France comme au niveau européen et international ; certains domaines, sans doute plus sensibles, sont même organisés aux trois niveaux géographiques. Ainsi, le syndicat français des entreprises de vente par correspondance dont on croise le sigle sur la plupart de nos catalogues, a élaboré dès 1957 un « Code professionnel de vente par correspondance » 1 , mais signa aussi en 1992, en compagnie d’autres syndicats, une « convention européenne de la vente par correspondance et à distance transfrontalière » 2 . Il existe en outre un « Code international de pratiques loyales en matière de vente par correspondance et par publicité directe », proposé par la Chambre de Commerce Internationale 3 . Contrairement à certains Codes à l’échelle nationale, les Codes internationaux ne reposent pas sur le principe de l’adhésion volontaire et individuelle de personnes ou d’entreprises. Ils sont destinés à l’ensemble des professionnels concernés qui sont censées tenir compte volontairement de ces consignes. Si certains Codes ou chartes visent l’ensemble d’une profession, d’autres ne s’appliquent qu’à l’échelle d’une entreprise 4 , ou ne concernent que les entreprises signataires de la convention ou affiliées à une organisation professionnelle. 142. Cependant, les professionnels qui se fixent ainsi des règles de bonne conduite manifestent-ils leur désir de rassurer leurs cocontractants, ou leur mépris pour une réglementation « tatillonne », « bureaucratique », « venant d’en haut » et ignorante de leurs situations 5 ? Ces codes peuvent en effet laisser perplexe : ils semblent exprimer l’insuffisance de la loi, code dont se dote l’ensemble des citoyens grâce à des représentants élus. Les membres adhérant à ces chartes paraissent, par leur démarche, n’accorder qu’un faible crédit à la loi qui ne serait pas à même de régler leurs problèmes trop techniques. Ces associations préféreraient se dicter leurs propres règles, les textes officiels n’étant pas adaptés aux situations toujours nouvelles, ne comprenant pas les intérêts en jeu, ou les sanctions étant perçues comme inadéquates ou iniques. Doit-on y voir une résurgence du corporatisme et un certain mépris pour la démocratie ? Certes, bien des auteurs admettent l’existence d’ordres 1 Lamy Droit économique, formulaires, n° IV-10. 2 Lamy Droit économique, formulaires, n° IV-77. 3 Lamy Droit économique, formulaires, n° IV-80. 4 Par exemple, la société IBM a élaboré un document intitulé Règles de conduite dans les affaires en 1984. 5 Dans ce sens, G. Farjat, Réflexions sur les codes de conduite privés, in Etudes B. Goldman, Litec 1982, p. 51 qui cite à titre d’exemple le code de déontologie des journalistes qui « préfèrent que leurs obligations soient édictées par la profession plutôt que par les pouvoirs publics, en raison des nombreux points de friction existant entre leur activité et les pouvoirs ».

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http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999

145

Section 2 - Le juge pénal et l’inexécution des conventions d’autodiscipline.

141. Depuis quelques décennies, il est fréquent que des groupes de personnes

d’un même secteur d’activité s’imposent des règles de conduite, dans des conventions dont le

respect dépend de la bonne volonté de chacun. Si certaines chartes, codes ou autres, ont déjà

plusieurs dizaines d’années, la plupart sont d’apparition fort récente : ce mouvement est en

pleine expansion. Ces chartes sont élaborées en France comme au niveau européen et

international ; certains domaines, sans doute plus sensibles, sont même organisés aux trois

niveaux géographiques. Ainsi, le syndicat français des entreprises de vente par

correspondance dont on croise le sigle sur la plupart de nos catalogues, a élaboré dès 1957 un

« Code professionnel de vente par correspondance »1, mais signa aussi en 1992, en

compagnie d’autres syndicats, une « convention européenne de la vente par correspondance

et à distance transfrontalière »2. Il existe en outre un « Code international de pratiques

loyales en matière de vente par correspondance et par publicité directe », proposé par la

Chambre de Commerce Internationale3. Contrairement à certains Codes à l’échelle nationale,

les Codes internationaux ne reposent pas sur le principe de l’adhésion volontaire et

individuelle de personnes ou d’entreprises. Ils sont destinés à l’ensemble des professionnels

concernés qui sont censées tenir compte volontairement de ces consignes. Si certains Codes

ou chartes visent l’ensemble d’une profession, d’autres ne s’appliquent qu’à l’échelle d’une

entreprise4, ou ne concernent que les entreprises signataires de la convention ou affiliées à une

organisation professionnelle.

142. Cependant, les professionnels qui se fixent ainsi des règles de bonne

conduite manifestent-ils leur désir de rassurer leurs cocontractants, ou leur mépris pour une

réglementation « tatillonne », « bureaucratique », « venant d’en haut » et ignorante de leurs

situations5 ? Ces codes peuvent en effet laisser perplexe : ils semblent exprimer l’insuffisance

de la loi, code dont se dote l’ensemble des citoyens grâce à des représentants élus. Les

membres adhérant à ces chartes paraissent, par leur démarche, n’accorder qu’un faible crédit à

la loi qui ne serait pas à même de régler leurs problèmes trop techniques. Ces associations

préféreraient se dicter leurs propres règles, les textes officiels n’étant pas adaptés aux

situations toujours nouvelles, ne comprenant pas les intérêts en jeu, ou les sanctions étant

perçues comme inadéquates ou iniques. Doit-on y voir une résurgence du corporatisme et un

certain mépris pour la démocratie ? Certes, bien des auteurs admettent l’existence d’ordres

1 Lamy Droit économique, formulaires, n° IV-10. 2 Lamy Droit économique, formulaires, n° IV-77. 3 Lamy Droit économique, formulaires, n° IV-80. 4 Par exemple, la société IBM a élaboré un document intitulé Règles de conduite dans les affaires en 1984. 5 Dans ce sens, G. Farjat , Réflexions sur les codes de conduite privés, in Etudes B. Goldman, Litec 1982, p. 51 qui cite à titre d’exemple le code de déontologie des journalistes qui « préfèrent que leurs obligations soient édictées par la profession plutôt que par les pouvoirs publics, en raison des nombreux points de friction existant entre leur activité et les pouvoirs ».

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juridiques non étatiques6. Cependant, concevoir des règles aux sanctions très aléatoires quant

à leur force, leur prononcé ou leur efficacité, laisse présager d’un système au mieux laxiste7,

au pire arbitraire8. Il est frappant de constater que de nombreux appels à la réglementation

privée des comportements arrivent en conclusion de diatribes en règle contre le droit pénal des

affaires qui briserait les ressorts du dynamisme économique, de la confiance du marché et de

la compétitivité des entreprises9. Ce « déferlement du droit pénal » est un « instrument manié

de l’extérieur par le juge », qui ne peut « équivaloir à une régulation interne des rapports

dans l’entreprise » ; « Il y a toujours danger à réguler de l’extérieur, violemment et par à-

coups, ce qui défaille de l’intérieur »10. On se prend alors à rêver, à demi-mots, d’un monde

où « les entreprises, à leur niveau, (prendraient) soin des règles d’organisation, pour ensuite

faire l’objet d’une observation extérieure par un juge ou par telle autre autorité qui viendrait

connaître d’opérations qu’elles ont réalisé … Au lieu de fixer des règles extérieures, le

législateur (ferait) obligation aux entreprises de mettre en place des règles de déontologie à

intégrer dans leurs règlements intérieurs »11.

En réalité, ces conventions de bonne conduite ne permettent en aucun cas

d’échapper au droit pénal : la juridiction pénale pourrait même tenir compte de ces codes pour

renforcer la répression12. En outre, la plupart de ces conventions rappellent à leurs membres la

nécessité de se conformer aux lois et règlements en vigueur. Plus que de normes privées, il

s’agirait de rappels du droit positif et d’appels à la création de règles de droit supplémentaires.

Ainsi, le code international en matière de marketing direct n’a de cesse de rappeler tout au

long de ses développements l’existence et le contenu de la loi informatique et liberté du 6

janvier 1978. La Chambre de Commerce Internationale, dans chacun de ses codes, précise que

ses dispositions ne préjugent pas des dispositions légales13. De nombreuses règles de bonne

conduite correspondent à des exigences légales pénalement sanctionnées qui sont ainsi

6 Voir Santi Romano, L’ordre juridique, Dalloz 1975 et les nombreux auteurs cités par F. Osman, Réflexion sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ. 1995, p. 509, note 8. 7 Les Codes de déontologie ne peuvent qu’être un appoint des règles impératives, qui aident à une prise de conscience des intérêts supérieurs. P. Bezard, L’objet de la pénalisation de la vie économique, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Colloque Dalloz 1997, p. 11, spéc. p. 13. 8 Sur ces risques d’arbitraire des codes de bonne conduite et de l’éthique professionnelle, A. Garapon, D. Salas, La République pénalisée, Hachette, Questions de société, 1996, p. 106. 9 Voir supra n° 15. 10 B. Vatier, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, Petites affiches 1997, n° 12, p. 4. Dans le même sens, D. Schmidt, Le partage entre régulation interne et régulation externe des sociétés, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Colloque Dalloz 1997, p. 33 11 J.-F. Verny, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, Petites affiches 1997, n° 12, p. 16, spéc. p. 18. Dans le même sens, A. Roger, Ethique des affaires et droit pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 261, spéc. p. 266. Sur ces ambitions d’autorégulation, P. Kolb, Recherches sur l’ineffectivité des sanctions pénales en droit des affaires, Thèse Poitiers 1993, p. 85 et s. 12 Voir infra n° 173. 13 Autres exemples : le code français sur la vente par correspondance demande à ses adhérents de « veiller à respecter les dispositions légales » ; il en reformule ou complète certaines ; d’autres exigences, telle que l’usage de la langue française ou la garantie des vices cachés, sont rappelées comme étant exigées par la loi ; parfois, ce même code invite ses adhérents à se reporter aux textes, pour l’organisation de concours, l’offre de crédit ou le service après-vente. Le code européen de vente par correspondance précise dans son article 4 que « le vendeur veillera à respecter les lois et règlements officiels relatifs à la protection des consommateurs du pays dans lequel l’offre est faite ». Le code européen de la franchise rappelle dans son article 5-1 que ce contrat doit être « en conformité avec le droit national, le droit communautaire et le Code de déontologie ».

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reformulées, voire complétées (paragraphe 1). Il convient de s’interroger sur l’efficacité de ces

chartes et de leur éventuelle influence sur l’activité des juridictions répressives (paragraphe 2).

Paragraphe 1 - La contractualisation du droit pénal des contrats.

143. Un nombre croissant de chartes, code de bonne conduite ou code de

déontologie ont fait leur apparition dans des domaines extrêmement divers (économiques,

financiers, médicaux, etc.). Les préoccupations principales du droit pénal des contrats et des

chartes tendent à se rejoindre car les recommandations contenues dans ces codes

correspondent souvent à des incriminations : de nombreuses dispositions légales pénalement

sanctionnées sont proposées à l’adhésion volontaire des personnes ou groupements concernés

puisque les chartes posent des exigences dont l’irrespect est constitutif d’incriminations. Nos

développements ne seront pas exhaustifs et toutes les chartes ne seront pas ici évoquées

puisque certaines ne se rapprochent en rien de notre droit pénal, ou concernent des secteurs

d’activité extrêmement pointus : il existe ainsi une charte qui régit l’activité des pompes

funèbres14, ou la location des bateaux de plaisance15. Cependant certains secteurs du droit

pénal se contractualisent et, comme les lois pénales, ces codes protègent les personnes (A) et

leurs biens (B).

A - Contractualisation de la protection des personnes.

144. La circulation des biens et services n’est pas seule concernée par

l’élaboration de code de bonne conduite. Le « Code de déontologie médicale », déjà évoqué,

participe de ce mouvement. Il a un statut particulier puisqu’il a été validé et officialisé par un

décret du 6 septembre 199516. Son application ne relève plus de l’adhésion volontaire de la

corporation concernée. Les objectifs poursuivis et les processus d’élaboration sont cependant

comparables à ceux d’autres codes de bonne conduite : un groupe de personnes dont l’activité

est sensible, élabore ses propres règles, afin d’éviter tout dérapage et de rassurer la clientèle.

Ce code rappelle dès lors les principes généraux de secret professionnel, de libre choix du

médecin, d’obligation d’assistance, l’exigence du consentement du patient, son information,...

Les codes de bonne conduite expriment fréquemment les préoccupations quant au respect de

la dignité de la personne humaine ou de sa vie privée (1). Une attention toute particulière est

accordées aux atteintes résultant de l’utilisation des fichiers informatiques (2).

14 Code éthique professionnel européen de l’Association européenne de thanatologie, ou Code d’éthique professionnelle de la Fédération internationale des associations de thanatopraxie. 15 Charte de la location des bateaux de plaisance, établie en 1980. 16 JO, 8 septembre 1995 p. 13305 ; JCP 1995, éd. G., III, 67617. Pour un autre exemple de ce type de Code officialisé, on peut évoquer les « bonnes pratiques » dont se sont dotés les établissements de transfusion sanguine, sur recommandation de l’article L. 668-3 du Code de la santé publique. Ces principes sont définis par un règlement établi par l’Agence française du sang, homologué par arrêté du ministre chargé de la santé et publié au Journal officiel.

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1 - Le respect de la personne humaine dans les Codes de déontologie.

145. Les patients ne sont pas les seuls contractants à craindre des atteintes

illégitimes à leurs personnes. Le respect de la personne humaine et de sa dignité est exigé des

médecins et chercheurs, mais aussi des professionnels du commerce. Ce sont essentiellement

les dessins, textes et photos destinés à l’argumentaire qui sont visés par les codes de

déontologie : l’article 12 du code français consacré à la vente par correspondance précise que

ces éléments devront respecter la personne humaine, sa dignité et ses convictions17.

L’attention des publicitaires est particulièrement attirée sur les offres susceptibles de tomber

entre les mains des enfants. Les Codes de déontologie posent des exigences supérieures à

celles du Code pénal qui ne sanctionne que certaines atteintes à la pudeur, si elles consistent

en une exhibition dans un lieu accessible au regard du public18.

La protection de la vie privée connaît aussi quelque écho auprès des Codes de

déontologie. Le code international concernant la publicité conseille dans son article 8 de ne

pas représenter ou se référer à une personne dans ses activités publiques ou privées sans

qu’elle ait donné son autorisation préalable, ce qui s’approche des faits incriminés dans les

articles 226-1 et suivants du Code pénal. Le code international en matière de vente à domicile

précise que le vendeur doit scrupuleusement respecter le refus exprimé par le consommateur

de poursuivre la discussion. Un comportement insistant pourrait caractériser la violation de

domicile19.

Cependant, l’aspect de protection de la personne qui semble le plus préoccuper

toutes ces conventions est celui des possibles atteintes par les fichiers informatiques.

2 - La protection des personnes contre l’utilisation abusive de fichiers

informatiques.

146. La collecte et l’utilisation de données informatiques à caractère

personnel ont vu leurs modalités assorties de sanctions pénales grâce à la loi du 26 janvier

1978. Ces dispositions connaissent un important écho dans plusieurs codes de bonne

conduite20 et tout particulièrement dans le « Code de déontologie des professionnels du

17 Voir aussi le code international en matière de publicité qui exige dans son article 1 que les déclarations ou présentations visuelles n’offensent pas la décence, à l’aune des « normes couramment admises ». La même prudence est recommandée aux vendeurs par correspondance dans l’article 10 qui fait, de la même façon, référence aux « normes prévalant en matière de décence ». 18 Article 222-32 du Code pénal. 19 Article 226-4 du Code pénal. Autres exemples : le code international concernant la promotion des ventes précise dans son article 2 que toute action promotionnelle doit respecter la vie privée de tout particulier ou commerçant. Des consignes sont données aux détenteurs de fichier informatique auxquels il est recommandé de ne pas se livrer à des utilisations de données portant atteinte à la vie privée (Article 21 du Code international concernant la vente par correspondance). 20 Ainsi, le code européen sur la vente par correspondance, dans son article 7-8, rappelle que les données utilisées à fin de vente par correspondance doivent être collectées et traitées loyalement, à des fins légitimes, qu’elles doivent être pertinentes au regard des objectifs commerciaux poursuivis et conservées le temps de l’activité de l’entreprise. Ce code précise enfin que le souhait du consommateur de ne plus recevoir de publicité

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marketing direct vis à vis de la protection des données à caractère personnel », élaboré par

l’Union Française du Marketing Direct. La loi pénale et ce code ont des exigences communes

en ce qui concerne les formalités à respecter pour l’élaboration d’un fichier, consistant

essentiellement à obtenir les autorisations nécessaires de la Commission Nationale

Informatique et Liberté (CNIL) ou du Conseil d’Etat. L’article 226-16 du Code pénal

sanctionne de trois ans d’emprisonnement et 300 000 francs d’amende le fait de traiter des

informations nominatives sans respecter les formalités préalables prévues aux articles 14 à 17

de la loi de 1978. Le respect de ces formalités, sans que leur contenu soit précisément rappelé,

est exigé à plusieurs reprises dans le code de déontologie. Celui-ci reprend in extenso l’article

25 de la loi de 1978, précisant que « la collecte de données opérée par tout moyen frauduleux,

déloyal ou illicite est interdite ».

La sécurité des informations est une autre préoccupation commune de la loi

pénale et du code professionnel : l’article 226-17 du Code pénal, l’article 29 de la loi de 1978

et l’article 3-7 du code professionnel précisent que des mesures de sécurité doivent être prises

afin d’éviter que les informations nominatives ne soient pas déformées, endommagées ou

communiquées à des tiers non autorisés. La loi pénale comme le code professionnel veillent à

ce que les fichiers informatiques ne contiennent pas de données sensibles, concernant l’origine

raciale, les mœurs, les opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses21 de la

personne, ainsi que sur son passé judiciaire22.

Enfin, la préoccupation commune essentielle semble être le droit d’opposition

dont dispose la personne fichée : celle-ci peut s’opposer à ce que ces informations soient

répertoriées ou transmises. L’article 226-18 punit de cinq ans d’emprisonnement et 2 millions

de francs d’amende la collecte d’information malgré l’opposition de la personne concernée.

La sanction pénale n’est encourue que si le motif d’opposition était légitime. L’article 26 de la

loi de 1978 reprend cette même possibilité d’opposition23.

147. Pourtant, certaines préoccupations essentielles de la loi pénale et du

code de bonne conduite ne se rejoignent pas entièrement. Une divergence peut être observée

doit être respecté. Le code international sur la vente par correspondance précise que l’utilisation des données ne doit pas heurter les convictions morales ou religieuses du consommateur ou porter atteinte à sa dignité ou sa vie privée. L’article 22 de ce code rappelle le droit d’opposition qui permet au consommateur de demander que son nom et son adresse ne soient plus utilisés par le détenteur des données. On peut enfin citer la « Charte de déontologie des organisations sociales et humanitaires faisant appel à la générosité du public » élaborée en 1989 par un comité réunissant des organisations caritatives. Cette charte pose comme première règle concernant la « rigueur dans les modes de recherche des fonds », le « respect des règlements et recommandations sur l’utilisation des fichiers informatiques (CNIL) ». Les prestataires de services que s’adjoignent les associations doivent « préserver le caractère confidentiel de tous les fichiers et documents concernant les donateurs ». 21 Sauf exceptions prévues à l’article 31 alinéa 2 de la loi de 1978. 22 Sauf exceptions prévues à l’article 30 de la loi de 1978. 23 Le code professionnel y consacre un grand nombre d’articles qui prévoient l’opposition à la collecte des données ou à leur cession, le respect de la demande de radiation. Ce code fait état de l’existence de plusieurs listes de personnes qui ne souhaitent pas recevoir de publicité ou être contactées par téléphone : listes « Robinson stop publicité » des personnes refusant le courrier publicitaire ; liste rouge des personnes qui ne souhaitent pas voir leur coordonnées sur les supports d’information de France Télécom ; liste orange et safran de ceux qui refusent la prospection commerciale par téléphone, télécopie, télex.

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quant au droit d’accès, de vérification et de rectification que détient chaque personne fichée

sur les informations nominatives la concernant. Ce droit d’accès est le thème majeur des

dispositions du code de déontologie24. Or, bien que constituant une préoccupation importante

des professionnels, ce droit d’accès ne fait pas l’objet de sanction pénale dans le Code pénal,

excepté lorsque la collecte d’information est faite dans le domaine de la santé25. La loi de

1978 reprend cette exigence d’un droit d’accès et de rectification dans ses articles 34 à 38,

mais aucune sanction pénale leur est appliquée. Inversement, certaines infractions pénales ne

sont pas reprises explicitement dans le code de déontologie : il s’agit de la conservation

d’informations au-delà du délai prévu par l’autorisation administrative d’élaboration du

fichier, ou de l’utilisation des informations hors des finalités prévues par l’autorisation26.

Les conventions d’autodiscipline accordent un certain intérêt à la protection des

personnes. Cependant, puisqu’elles sont élaborées par des professionnels, contractants

potentiels, leurs préoccupations rejoint surtout le droit pénal de la protection des biens.

B - La protection des biens de contractants en état de faiblesse.

148. Comme les lois pénales27, les codes de bonne conduite protègent les

contractants en état de faiblesse qui peuvent être les consommateurs (1), les salariés (2) ou

certaines entreprises (3).

1 - La protection du consommateur.

149. Les contrats de consommation et les opérations qui peuvent les entourer

telles que la publicité ou le marketing, sont particulièrement concernées par ces conventions

en France. Ainsi, outre les règles posées pour la vente par correspondance, les « règles

professionnelles de l’association des agences de conseil en publicité »28 exigent de leurs

adhérents un minimum de savoir-faire et de qualification, des pratiques loyales envers le

consommateur qui doit bénéficier d’une information claire, non mensongère, respectant la

dignité humaine,... De semblables conventions de bonne conduite furent élaborées en France

en matière d’exploitation d’emplacements publicitaires29 afin de préserver l’information des

personnes autorisant l’installation d’emplacements chez eux, ou la concurrence loyale entre

annonceurs30. 24 Ce Code y revient sur ce point à chaque chapitre et exige que l’intéressé soit informé de ce droit lors de la collecte des données et dès leur première utilisation. L’article 2-4 mentionne plusieurs recommandations destinées à assurer la clarté et la lisibilité de ces mentions d’information. 25 Selon l’article 226-18 du Code pénal, la personne doit alors être informée de son « droit d’accès, de rectification et d’opposition, de la nature des informations transmises et des destinataires des données ». 26 Articles 226-20 et 226-21 du Code pénal. 27 Voir supra n° 50 et s. 28 Lamy droit économique, formulaires, n° IV-15. 29 Code de pratiques loyales en matière d’exploitation d’emplacements publicitaires, Lamy, préc., n° IV-20. 30 De même, des chartes existent en matière de marketing téléphonique (Code de déontologie du marketing téléphonique, Lamy, préc. n° IV-25), de protection des données à caractère personnel obtenues lors des

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Cet intitulé sur la « protection du consommateur » pourra paraître un peu

réducteur car les chartes protègent aussi des personnes qui seraient considérées comme des

professionnels par nos juridictions. La notion de consommateur doit être prise ici dans un sens

extrêmement large. Ainsi, le code international portant sur la publicité précise : « Le terme

"consommateur" désigne toute personne à qui est adressé un message publicitaire ou qui est

susceptible de le recevoir en tant que consommateur final, commerçant ou utilisateur »31. Ces

codes de bonne conduite tendent à la protection de ce « consommateur » contre l’abus de

faiblesse (a), ainsi qu’à tenir compte d’une éventuelle disparition de son consentement (b).

a - Protection contre l’abus d’état de faiblesse.

150. Le droit pénal des contrats donne une très grande importance à la

protection du contractant en état d’infériorité32. Dans ce même esprit, les codes internationaux

stigmatisent « l’abus de confiance », expression inopportune dans la traduction française

puisqu’il ne s’agit aucunement de faire allusion à l’article 314-1 de notre Code pénal. Il arrive

que les chartes aient comme objectif la protection de l’activité en cause, plus que les

consommateurs ou autres personnes dont la confiance est abusée : ainsi, le code concernant

les études de marchés dans son article 6 cherche à préserver la « confiance du public dans les

études de marchés ». A cette fin, l’article 7 recommande qu’aucune activité, telle que la vente

de produits, l’espionnage industriel, ou même les enquêtes de police ne soit faussement

représentée sous forme d’études de marché ; celles-ci seraient un enjeu bien supérieur à celui

de la traque de criminels ! De même, le message publicitaire ne doit pas « dégrader la

confiance que le public doit pouvoir porter à la publicité ».

Cependant, il convient, la plupart du temps, de rapprocher cette préoccupation

exprimée par l’expression « abus de confiance », de la prévention de l’escroquerie ou de

l’ abus de faiblesse. La chambre commerciale internationale cherche par ces codes de bonne

conduite à ce que les opérations ainsi réglementées ne portent pas atteinte à la confiance de la

clientèle. Ainsi, l’article premier du Code traitant de la promotion des ventes précise que

l’action promotionnelle doit être « conçue de manière à ne pas abuser de la confiance ou à ne

pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance du consommateur »33. Les articles

opérations de marketing (Code de déontologie des professionnels du marketing direct vis à vis de la protection des données à caractère personnel, Lamy, préc., n° IV-35), ou de relations publiques d’entreprises (Code de déontologie des relations publiques, Lamy, préc. n° IV-30). La chambre de commerce internationale est intervenue sur ce thème du respect du consommateur en matière d’étude de marchés, de ventes promotionnelles, de publicité (et ce dès 1937) ou de vente à domicile (Code international de pratiques loyales en matière d’étude de marchés, Lamy préc., n° IV-65 ; Code international de pratiques loyales en matière d’étude de marchés, Lamy préc., n° IV-65. Code international de pratiques loyales en matière de promotion des ventes, Lamy préc., n° IV-70. Code international de pratiques loyales en matière de publicité, Lamy préc., n° IV-75. Code international de pratiques loyales en matière de vente à domicile, Lamy préc. n° IV-85). 31 Sur la notion de consommateur devant les juridictions pénales, voir infra n° 270. 32 Voir supra n° 50 et s. 33 C’est encore cette même expression qui est utilisée dans l’article 2 du code sur la publicité, l’article 7 du code sur la vente par correspondance, ou l’article 9 du code sur la vente à domicile. Ces deux dernières dispositions interdisent en outre de « créer la confusion dans l’esprit du consommateur ».

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12 et 13 du code sur la publicité insistent particulièrement sur la protection des enfants ou des

adolescents, les descriptions d’utilisations dangereuses de certains produits devant être évitées

et la publicité ne devant pas « exploiter la crédulité naturelle des enfants ou le manque

d’expérience des adolescents, ni abuser de leur sens de la loyauté ». Certains procédés sont

particulièrement fustigés : l’exploitation de la peur, de la superstition ou de la violence sont

proscrits34. L’utilisation d’un langage scientifique, voire pseudo-scientifique, est déconseillée

dans plusieurs codes35.

La faiblesse consiste, dans ces codes de bonne conduite en un manque

d’expérience ou de connaissance, ou est déduite de l’âge de la personne : l’enfant ou

l’adolescent est présumé faible car crédule. « Abuser de la confiance » peut consister en ce

simple fait de profiter du manque de connaissance, de la crédulité, mais peut aussi être

commis par des manœuvres : utilisation de la peur, d’un message scientifique, etc. Ces

réglementations diverses rejoignent la prohibition générale de l’abus de faiblesse de l’article

313-4 du Code pénal, ou celle posée par l’article L. 122-8 du Code de la consommation

essentiellement en matière de démarchage à domicile. Cette dernière disposition précise que

l’abus peut être constitué d’un déploiement de ruses ou d’artifices, voire d’une contrainte.

Cependant, la véritable faiblesse du consommateur ou autre victime des agissements en cause

n’est pas nécessaire pour que les précautions des codes de bonnes conduites soit respectées :

le simple fait de profiter d’une personne simplement confiante (ce qui arrive à des gens très

bien) est critiqué par ces codes, tout particulièrement lorsque des procédés destinés à

provoquer l’erreur ou la confusion sont utilisés. Les mensonges ainsi évoqués, s’ils sont

accompagnés d’un message publicitaire organisé, d’un document persuasif mis au point par

une entreprise,... rejoignent alors les éléments constitutifs de l’escroquerie.

151. La prohibition de la vente dite forcée, c’est à dire sans commande

préalable, posée par l’article R. 635-2 du Code pénal fait l’objet d’un soutien plus relatif de la

part des codes de bonne conduite. Certes, le Code international en matière de publicité

rappelle cette interdiction, tout comme le code français36. Mais certaines consignes concernant

les ruptures de stock semblent considérer ce principe avec quelques légèretés. Ainsi, le code

français sur la vente par correspondance précise dans son article 45 que si l’article commandé

n’est plus disponible, il est recommandé de fournir un autre produit à la place, certes de

caractéristiques et de qualité égale ou supérieure à un prix égal ou inférieur, mais qui demeure

un article non commandé par le consommateur. La même recommandation est posée par le

code international en matière de vente par correspondance dans son article 26. Le client

34 Article 3 du code sur la publicité et article 17 du code sur la vente à domicile. 35 Cette consigne est présente dans l’article 4 -2 du code sur la publicité, en particulier pour ce qui concerne les publicités de produits pharmaceutiques ou de traitements médicaux ; le code sur la vente par correspondance proscrit aussi ce langage scientifique indu dans son article 15. 36 Article A-4 du Code international, article 41 du code français et 24 du code international de vente par correspondance.

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153

recevra sans information, sans expression préalable de consentement et sans proposition de

remboursement, une chose qu’il n'a pas commandée.

152. Les loteries constituent une autre préoccupation commune du droit

pénal de la consommation et des chartes d’autodiscipline. Le code du syndicat français de

vente par correspondance a précisé une série de consignes en 1986 dans son article 34. Ses

préoccupations essentielles sont les mêmes que celle exprimées par les dispositions pénales du

Code de la consommation (gratuité, inventaire des lots, absence de confusion avec un

document officiel, etc.)37.

153. Les fraudes et falsifications connaissent un certain écho dans les codes

de déontologie qui prescrivent des règles de bonne conduite concernant la signalisation et la

description de produit dans des domaines précis. Ainsi, le code des usages de la charcuterie et

des conserves de viandes indique avec précision la définition et la composition de chaque

spécialité. Chaque fabricant doit respecter ces consignes afin de ne pas induire en erreur le

consommateur en donnant indûment une dénomination au produit qui ne la mériterait pas. Le

code international en matière de publicité pose aussi une série de consignes38, concernant

plusieurs types de produits et services suscitant sans doute plus d’inquiétudes. Ainsi, les

produits pharmaceutiques et les traitements médicaux ne peuvent être vantés de façon à

induire en erreur le consommateur et promettre la guérison. La composition des produits

pharmaceutiques, les doses recommandées, les effets négatifs ou contre-indications, doivent

figurer clairement. Des recommandations de clarté sont aussi données pour les voyages à

forfait.

De même, les codes rédigeant des usages concernant certains produits

alimentaires, s’ils permettent à certains producteurs de conserver leur exclusivité, ont des

préoccupations semblables à celles des lois sur les fraudes et falsifications : il faut préserver la

confiance du consommateur, ignorant les subtilités culinaires des produits qu’il achète, mais

qui entend ne pas être abusé. Il arrive dès lors qu’une corporation rédige dans un code les

usages ou les règles de l’art de sa profession39. Une « Charte du veau » fut rédigée à la suite

37 L’article L. 121-36 du Code de la consommation exige sous peine d’amende (Article L. 121-41 du Code de la consommation ) la gratuité de l’opération, exigence qui est renouvelée dans le code de bonne conduite précité : celui-ci précise que l’offre de participation ne doit être soumise à aucune obligation d’achat. L’article L. 121-37 précise que le document présentant l’offre de jeu ne doit pouvoir être confondu avec un document administratif ou bancaire, ou avec une publication de la presse d’information. De façon plus générale, le code d’autodiscipline exige que l’offre de loterie ne laisse jamais penser que le consommateur a gagné un des lots aussi longtemps que le gain n’est pas certain. Les articles L. 121-37 et L. 121-38 comme le code de bonne conduite exigent qu’un inventaire des lots, leur nombre, leur valeur commerciale soient précisés dans l’offre de jeu, ainsi que la proposition d’envoyer un exemplaire du règlement du jeu déposé chez un officier ministériel. Le code d’autodiscipline pose par ailleurs de nombreuses consignes destinées à assurer la confiance du consommateur dans ces loteries, voire à attirer la sympathie puisque le code demande que les lots non attribués soient distribués à des œuvres de bienfaisance. 38 Articles B. 1 et s. 39 Par exemple, le « Code des usages de la charcuterie » (Centre technique de la salaison, de la charcuterie et des conserves de viande, 149 rue de Bercy, 75579 Paris Cedex 12) ou le « Code des bonnes pratiques des produits à base de dinde », élaboré par le comité interprofessionnel de la dinde française.

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154

des scandales suscités par le « veau aux hormones ». L’affaire des « vaches folles » a suscité

un besoin d’information et de transparence sur les viandes et tout particulièrement les viandes

rouges bovines, conduisant à la conclusion de nombreuses conventions de professionnels40.

Les préoccupations essentielles du législateur en matière de formation du

contrat concernent l’abus de la faiblesse d’un des contractants mais aussi la prise en compte

de la disparition de son consentement41.

b - La disparition du consentement.

154. La règle « satisfait ou remboursé » est érigée en principe fondamental

par les codes de bonne conduite : la disparition du consentement est prise en considération par

ces chartes. Le code professionnel du Syndicat français des entreprises de vente par

correspondance l’exprime clairement et très solennellement dans son chapitre I : « Un

principe fondamental régit les relations entre les clients et les entreprises adhérentes. Il s’agit

de la règle "Satisfait ou remboursé" qui garantit la liberté d’achat des clients. Elle leur

permet de retourner, s’ils ne sont pas satisfaits et quel qu’en soit le motif, les marchandises

commandées pour échange ou remboursement, selon des modalités propres à chaque

entreprise »42. Cette faculté correspond en tout point à celle posée par l’article L. 121-16 du

Code de la consommation, assortie de sanction pénale. Ce statut de principe fondamental tend

d’ailleurs à justifier les sanctions pénales des contraventions de cinquième classe43. Le code

français de la vente par correspondance, dans son article 45, précise les modalités du retour et

du remboursement, qui rejoignent les dispositions du Code de la consommation : information

du client de ce droit, faculté totalement discrétionnaire du client44, délai du droit de retour ne

commençant qu’après livraison des produits. La durée de sept jours posée comme un

minimum par le texte de loi peut s’étendre à un mois selon le code français de bonne

conduite45.

Pourtant, le code international de vente par correspondance ne semble pas

imposer fermement cette faculté de l’acheteur : certes, il précise dès l’introduction que ce

service est « souvent assorti du droit inconditionnel d’examen gratuit et de retour des

40 Les professionnels de cette filière ont conclu un accord précisant un certain nombre d’informations obligatoires qui doit apparaître sur chaque produit. Ces informations portent sur le pays dans lequel l’animal est né, a été élevé et abattu, sur sa catégorie d’âge et de sexe et sur son type racial (laitier ou viande). Cet accord fut étendu par arrêté ministériel et a donc valeur légale. Les professionnels ont aussi établi un certain nombre de marques, de sigles et de critères complémentaires qui les autorisent alors à l’utilisation de marques nationales ou régionales, toutes fédérées grâce à un sigle complémentaire dit « Critères Qualité Contrôlés ». Comme l’ont affirmé tous les « Publi-reportages » ou « Publi-information » dans la presse, ce sigle implique au minimum l’origine française de la viande et une maturation minimum de sept jours, les contrôles étant opérés par des organismes indépendants agréés par les pouvoirs publics. 41 Voir supra n° 69 et s. 42 La formulation est exactement la même dans le préambule de la convention européenne de vente par correspondance et à distance transfrontalière. 43 Décret n° 88-539 du 5 mai 1988. 44 Ce droit qui peut être exercé « quelqu’en soit le motif », affirme le préambule. 45 Le code européen ne mentionne dans son article 6 qu’un délai de sept jours à compter de la livraison de la commande.

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155

marchandises fournies contre paiement comptant ou à crédit », mais ce droit d’examen est

cité au rang des avantages de la vente par correspondance et n’est pas érigé en principe

systématique. L’article 27 de ce code précise que le droit à l’essai gratuit doit être clairement

mentionné dans l’offre, si les vendeurs font le choix de le proposer. Cette exigence n’est pas

non plus posée de façon systématique dans les contrats de vente à domicile46. Seul le code

international en matière de promotion des ventes impose une telle règle dans l’article 9-b : les

articles endommagés ou ne donnant pas satisfaction seront remplacés, ou argent et frais de

poste seront immédiatement remboursés sur demande. Dès lors, toute méthode de vente

devrait se soumettre à ce principe en période de promotions.

Si le code international de vente à domicile n’impose pas la règle « satisfait ou

remboursé », il exige en revanche le respect d’un délai de renonciation à ce type de contrat de

vente, le Code de la consommation se montrant pourtant beaucoup plus exigeant47. Il semble

que la loi française n’ait pas tout à fait la même échelle de valeur que les rédacteurs de ces

codes de bonne conduite. En effet, l’infraction au « principe fondamental » qu’est la règle

« satisfait ou remboursé » ne figure qu’au rang des contraventions de cinquième classe, alors

que les règles attachées au démarchage à domicile, dont la violation est constitutive de délit,

sont certes considérées comme obligatoires au niveau international, mais ne sont pas reprises

dans un code d’autodiscipline français ou européen.

La consommation n’est pas le seul terrain réputé sensible et suscitant des

conventions pacificatrices. Les relations de travail sont aussi fort propices aux débordements.

2 - La protection du salarié.

155. Le statut original du code de déontologie médicale, officialisé par un

règlement, se rapproche de celui des règlements intérieurs des entreprises, dont l’élaboration

est obligatoire pour chaque entreprise de droit privé de plus de vingt salariés48. L’inspecteur

du travail a la charge d’en surveiller l’élaboration comme l’application49. Nous n’avions

jusqu’ici cité que des conventions établies au plan national ou international. Mais il en existe

de nombreuses sur une échelle beaucoup plus parcellaire : les règlements intérieurs des

entreprises précédemment évoqués, des administrations, des copropriétés, etc. procèdent de la

même démarche d’autodiscipline.

46 L’article 3 du code international en matière de vente à domicile suggère au vendeur de proposer « un droit de retour inconditionnel et illimité, avec remboursement intégral ou remplacement du produit au choix du consommateur ». 47 L’article 3 du code privé précise qu’une clause du contrat doit clairement notifier ce droit de renonciation ainsi que le remboursement de tous les acomptes versés par le client. Tous les documents, bon de commandes,... utilisés pour l’opération doivent mentionner ces droits. Le Code de la consommation est plus exigent sur ce point puisque l’article L. 121-24 impose l’existence d’un formulaire détachable permettant d’exercer la faculté de renonciation et l’article L. 121-26 interdit de percevoir une somme d’argent avant la fin du délai. Les sanctions prévues sont un emprisonnement d’un an et une amende de 25 000 francs, ce qui érige ces infractions au rang des délits. 48 Article L. 122-33 du Code du travail. 49 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, Dalloz Précis, 19ème éd. 1998, n° 385.

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156

Le règlement intérieur de l’entreprise doit respecter un certain contenu

déterminé par l’article L. 122-34 du Code du travail, disposition qui fixe à la fois le contenu

maximal du règlement intérieur, mais aussi son contenu obligatoire50. Il s’agit de mesures

d’application de la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité ; des conditions dans

lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l’employeur, au

rétablissement des conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés ;

des règles relatives à la discipline. Il est aisé de constater que les préoccupations de ces

règlements rejoignent celles de la loi pénale du travail, tout particulièrement concernant

l’hygiène et la sécurité. Cependant, sur ce terrain, ces règlements intérieurs ne peuvent déroger

à la loi et doivent toujours en suivre les prescriptions. Leur champ d’action dans le domaine

pénal est limité.

Les conventions collectives peuvent aussi intervenir dans des domaines

protégés par le droit pénal du travail. Ces interventions sont d’autant plus intéressantes

qu’elles peuvent déroger aux dispositions pénales : certains textes assortis de sanctions

pénales encouragent explicitement en ce sens les conventions collectives51. Pour l’essentiel,

elles se situent dans le domaine de la durée du travail52, des congés53 et la représentation du

personnel54. Il y a donc une certaine contractualisation des règles du droit pénal du travail,

autorisée et encouragée par les textes eux-mêmes. Ce sont les conventions collectives et les

règlements intérieurs qui fixent leurs propres règles, dans des domaines ou un comportement

minimum est exigé et sanctionné par des lois pénales55.

Le salarié, comme le consommateur suscitent toute la sollicitude des

conventions d’autodisciplines qui font ainsi écho aux dispositions pénales. Certaines

entreprises, généralement en état de faiblesse, bénéficient de la même attention.

3 - La protection de certaines entreprises.

156. Les rapports entre entreprises sont aussi disciplinés par ces conventions.

Ainsi, le « Code de déontologie de la fédération française de franchise »56 et le « Code de

déontologie européen de la franchise »57 veillent à ce que le franchiseur propose aux

50 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, préc., n° 380 et 381. 51 Y. Chalaron, La sanction pénale du droit conventionnel : une nouvelle base ?, Droit social 1984, p. 505, spéc. p. 508. 52 Articles L. 212-2 alinéa 3 : répartition des horaires de travail et récupération des heures perdues ; L. 212-6 : contingent d’heures supplémentaires ; L. 213-2 alinéas 2 et 3 : travail de nuit des femmes ; L. 221-5.I : équipes de fin de semaine. 53 Articles L. 223-3 et L. 223-6 : durée du congé ; L. 223-7, L. 223-7.1, L. 223-8 : détermination de la période des congés. 54 Articles L. 412-21, L. 421-I alinéa 4, L. 431 alinéa 3 : seuils d’effectifs légaux ; L. 422-3 et L. 433.2 alinéa 5 : nombre et composition des collèges électoraux ; L. 431-I alinéa 6 : autorise de façon dérogatoire la création d’un comité d’entreprise commun pour un ensemble de société ; L. 412-21 et L. 426-1 : droit syndical et délégation du personnel ; L. 434-12 : fonctionnement et pouvoirs du comité d’entreprise. 55 Voir infra n° 164 sur le rôle du juge pénal. 56 Lamy droit économique, formulaires, n° IV-40. 57 Lamy préc., n° IV-60.

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franchisés des affaires sérieuses, reposant sur un véritable savoir-faire ou un concept original

et une formation ou assistance commerciale pendant la durée du contrat. Un code de conduite

sur les pratiques commerciales restrictives fut adopté par la résolution des Nations Unies du 5

décembre 198058, afin de préserver une concurrence équitable et saine entre les entreprises. Il

s’agit ici essentiellement de permettre aux entreprises de pays défavorisés de participer au

commerce sans subir les ententes, les arrangements sur les prix ou la répartition de marchés

d’entreprises de pays riche.

Le droit des contrats de franchises contient des dispositions assorties de

sanctions pénales destinées à assurer une information correcte du futur franchisé sur l’affaire

qu’il se destine à lancer et gérer59. En outre, des pseudo-franchises ont pu être qualifiées

d’escroqueries « à la boule de neige »60 pour des procédés tombant aujourd’hui sous le coup

de l’article L. 122-6 du Code de la consommation, modifié par la loi du 1er février 1995, et

réprimant les réseaux de ventes « à la boule de neige » qui imposent aux personnes recrutées

en chaîne le paiement d’une somme, l’acquisition payante d’un stock ou de matériel de

démonstration,... Le code de déontologie européen sur les franchises se préoccupe peu de

l’information précontractuelle et traite essentiellement du contenu du contrat et des rapports

de collaboration souhaitables entre franchiseur et franchisé. Tout au plus est-il demandé dans

l’article 3.4 de remettre au futur franchisé les informations écrites quant au contenu du contrat

et aux dépenses qui en découleront. Les dispositions pénales de la loi Doubin du 31 décembre

1989 se montrent plus contraignantes et plus précises quant à l’information précontractuelle.

En revanche, le Code de bonne conduite élaboré par la fédération française de la franchise

pose des exigences beaucoup plus précises depuis 1987, en réaction contre une vague de

« fausses franchises » venant des Etats-Unis risquant de générer de nombreuses escroqueries61.

Le décret du 4 avril 1991 pose de nombreuses contraintes quant à l’identité commerciale du

franchiseur, des établissements franchisés déjà existant. Le code français rejoint le décret

quant à l’exigence d’une information sur la durée du contrat, ses conditions de renouvellement

ou de résiliation, sur le champ des exclusivités et sur le montant des dépenses et

investissements spécifiques à l’enseigne (redevance de publicité, de marque,...). Le code

ajoute à la loi certaines consignes informatives ayant trait à la teneur du savoir-faire et à

l’expérience transmise ainsi qu’aux comptes prévisionnels. Le code international concernant

la publicité a précisé en annexe62 quelques consignes à respecter en matière de publicité de

franchiseur cherchant des franchisés, précisant que le message ne doit pas induire en erreur

quant au concours promis, à la rémunération probable, au travail ou à l’investissement requis.

L’identité et l’adresse du franchiseur doivent être clairement indiquées, ce qui rejoint les

exigences de la loi Doubin. Il est logique qu’un code de déontologie sur la publicité rejoigne

58 BOSP 17 octobre 1981, Lamy préc., n° IV-90. 59 Voir supra n° 65. 60 Tribunal correctionnel de Paris, 7 janvier 1974, 10 mai 1977, Lamy droit économique n° 5949. 61 Lamy droit économique, n° 5914. 62 Article A.5.

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ces préoccupations sur l’information des futurs franchisés : des indications fallacieuses

peuvent être poursuivies sur le fondement de la publicité trompeuse. Des franchiseurs furent

ainsi condamnés alors qu’ils avaient promis des avantages par message publicitaire, sans

réaliser ces promesses par la suite63, ou ne possédaient ni savoir-faire, ni expérience et

n’assuraient qu’une assistance sommaire64.

157. Une résolution des Nations Unies adoptée le 5 décembre 1980 propose

un code de conduite sur les pratiques commerciales restrictives65. L’interdiction d’attenter à

la concurrence par entente ou abus de position dominante, pénalement réprimée par les

articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, est ici réitérée. Doivent être évitées les

« pratiques commerciales restrictives » dont la définition est large66. Sont tout

particulièrement protégées les entreprises des pays en voie de développement. La section D de

ce code donne une liste extrêmement détaillée des pratiques d’entente, accords, actions,

collectives à éviter, ainsi que des abus de positions dominantes par la fixation de prix, prises

de contrôle, restrictions à l’importation,... liste beaucoup plus vaste et détaillée que dans nos

dispositions de droit interne précitées. Le code de l’ONU souligne que la lutte pour une bonne

concurrence est favorisée si les concentrations sont évitées, ce qui ne semble pas préoccuper

notre législateur.

Certains procédés particuliers de concurrence déloyale, pénalement réprimés

dans notre droit interne, font l’objet de mise en garde dans d’autres codes de bonne conduite.

Ainsi, la publicité comparative67 est autorisée par les conventions de bonne conduite sous

réserve de quelques mises en garde : mépris et dénigrement du concurrent sont proscrits, les

règles de propriétés industrielle ou intellectuelle sont évoquées68.

Des règles de bonne conduite élaborées par des sociétés telles que IBM ou

Caterpillar attachent une importance d’autant plus grande au respect du droit de la

concurrence que les menaces de poursuite étaient pressantes. Le code de bonne conduite 63 Cass. crim., 19 avril 1983, pourvoi n° 82 - 91.709. 64 T.C. Tarbes, 26 avril 1985, Bulletin d’information et de documentation de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, 1986-3 p. 57. 65 BOSP 17 octobre 1981 ; Lamy droit économique, formulaires, n° IV-90. 66 Il s’agit « d’actes ou de comportements d’entreprises (toute personne, société, association,... publique ou privée, exerçant une activité commerciale) qui, par l’abus ou l’acquisition et l’abus d’une position dominante de force sur le marché, limitent l’accès aux marchés, ou, d’une autre manière, restreignent indûment la concurrence, ayant ou risquant d’avoir des effets préjudiciables au commerce international,... ou qui, en raison d’accords ou d’arrangements officiels, non officiels, écrits ou non écrits, entre entreprises, ont les mêmes répercutions » 67 Articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation 68 Le code international de pratiques loyales en matière de publicité rappelle que la publicité comparative ne doit pas induire en erreur le consommateur et doit respecter les principes de la concurrence loyale. « Les éléments de comparaison doivent s’appuyer sur des faits objectivement vérifiables et qui doivent être choisis loyalement ». Plus précisément, ce code interdit tout « dénigrement direct ou indirect d’une entreprise ou d’un produit de nature à provoquer le mépris, le ridicule ou toute autre forme de discrédit ». Le code international en matière de vente à domicile reprend ces consignes qui rejoignent notre droit de la consommation : rappelons que l’article L. 121-8 sanctionne pénalement le fait d’induire en erreur le consommateur, de ne pas utiliser des éléments de comparaison objectifs et vérifiables ; ceux-ci, par nature, interdisent le mépris ou le dénigrement dont parlent les conventions. Les codes protègent aussi la marque, le renom des entreprises. Le code international sur la publicité recommande une particulière attention dans le respect des droits d’auteurs et de propriété industrielle, sigles, renom, des entreprises concurrentes et interdit les imitations de slogans, mises en pages, etc.

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159

d’IBM fut ainsi rédigé alors que des poursuites étaient intentées tant par l’administration

américaine qu’européenne pour violations du droit de la concurrence69. Aussi peut-on lire que

ces règles « ont été rédigées en gardant à l’esprit des principes qui sont de nature à la fois

éthique et juridique. Certains d’entre eux reflètent aussi bien les lois antitrust des Etats-Unis

que la réglementation communautaire sur la concurrence. Aussi, la non-observation risque-t-

elle de créer des difficultés juridiques pour IBM »70.

158. Les comportements constitutifs d’abus de confiance, fraudes fiscales,...

ont particulièrement alarmé les associations caritatives et humanitaires dont les motivations

doivent être, par principe, désintéressées et dont les ressources reposent essentiellement sur la

confiance du public. Le Comité de la « Charte de déontologie des organisations sociales et

humanitaires faisant appel à la générosité publique » érige la gestion « transparente » et

« désintéressée » au premier plan de ses exigences. Les organisations signataires s’engagent à

employer les fonds conformément aux buts annoncés et à respecter la transparence financière

sur l’emploi des ressources. Ceci suppose la tenue de documents comptables rigoureux,

expliqués, certifiés par un commissaire aux comptes et accessibles sur simple demande. Toute

« présentation contenant des allégations fausses ou trompeuses » doit être rejetée. Les

associations doivent organiser un auto-contrôle qui doit vérifier la rigueur de la gestion , mais

surtout son caractère désintéressé qui est le maître mot, souvent inscrit en caractères gras71.

Une attention toute particulière est portée aux prestataires de services, que les organisations

doivent choisir avec soin. Le Comité vise certainement principalement les agences

publicitaires chargées de concevoir la communication de l’association. Ceux-ci ne doivent pas

« compromettre le caractère désintéressé de la gestion de l’organisme », ce qui interdit en

particulier de les rémunérer en pourcentage sur les fonds collectés ou de les laisser participer à

la direction de l’organisme.

Les conventions de bonne conduite recoupent largement les règles de droit

pénal des contrats et les complètent même souvent. Cependant, elles ne peuvent avoir

d’intérêt et de valeur réelle (hormis le fait de rappeler leurs devoirs aux professionnels) que si

elles bénéficient d’une certaine force obligatoire. Un contrôle interne serait un bon début.

L’intervention ferme et persuasive des juridictions classiques, voire des juridictions

répressives dans les cas extrêmes leurs donnerait un tout autre poids.

69 F. Osman, Réflexion sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ. 1995, p. 515. 70 De même, la société Caterpillar affirme : « Nous sommes en faveur de la législation interdisant les entraves commerciales, les pratiques déloyales ou l’abus de puissance économique. Et nous évitons ces pratiques partout ». Cité par F. Osman, préc., p. 515. 71 La charte rappelle le contenu de l’article 261-7-1 d) du Code général des impôts qui pose les critères de la gestion désintéressée : l’administration par des bénévoles n’ayant aucun intérêt dans les résultats de l’exploitation, l’absence de distribution de bénéfices, l’impossibilité pour les membres de se déclarer attributaires d’une part quelconque d’actif, excepté leurs apports.

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160

Paragraphe 2 - Valeur des conventions d’autodiscipline.

159. Les codes d’autodiscipline ont une certaine influence au sein du cercle

professionnel concerné (A). Cependant, ces codes se voient accorder quelques considérations

devant les juridictions répressives, ce qui renforce encore leur intérêt dans le droit positif (B).

A - La valeur intrinsèque des conventions d’autodiscipline.

160. La raison essentielle de l’élaboration de ces chartes semble la crainte

des sanctions pénales qui sont ainsi prévenues (1). Cependant, ces codes de bonne conduite se

voient accorder certains moyens d’action renforcant leur poids à l’encontre des récalcitrants

(2).

1 - Le rôle préventif des conventions d’autodiscipline.

161. Le désir de prévenir toute exaction et, ainsi, de sauvegarder la confiance

du public, transparaît dans l’ensemble de la charte de déontologie des organisations sociales et

humanitaires. La générosité du public étant nécessaire à la réalisation de leur objet, elles

souhaitent « informer les donateurs de l’utilité sociale des actions qu’elles mènent », grâce à

la transparence financière, la rigueur des modes de recherche de fonds, un mode de contrôle

interne comme externe des membres adhérents à la charte. Cette charte constitue clairement

une forme de prévention aux sanctions pénales qui, dans ce milieu où seule la vertu a sa place,

prennent toujours l’allure de scandales.

Il est possible de constater chez certains professionnels un impérieux besoin de

justifier l’emploi de certaines pratiques commerciales. Ainsi, la Chambre de Commerce

Internationale tente-t-elle d’énumérer tous les avantages que comportent pour les

consommateurs les contrats de vente par correspondance ou à domicile. Cette même recherche

est opérée au niveau européen ou national. Certaines de ces tentatives de justification sont

lucides et réalistes. Ainsi peut on lire dans le préambule du code français de l’association des

agences de conseils en publicité : « toute entreprise, pour être rentable - donc génératrice de

progrès, de profits, d’investissement et d’emploi - doit écouler ses produits. Elle ne peut y

parvenir que si ces produits sont connus, identifiés, caractérisés, distribués, consommés et

appréciés ». D’autres codes semblent enjoliver quelque peu la réalité puisque, s’ils concèdent

que certains avantages existent pour le professionnel concerné, ils en énumèrent un grand

nombre pour son co-contractant. Ainsi apprend-on que l’objectif de la promotion des ventes

est « d’entretenir avec la clientèle un climat de confiance favorable aux relations

commerciales »72. Le Code européen de la vente par correspondance prend soin, dans son

72 Au chapitre 3 du Code professionnel du Syndicat français de vente par correspondance.

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préambule, d’énumérer une liste d’avantages que présente cette technique de vente pour le

consommateur. Le code international sur le même thème affirme que « dans un monde où la

population ne cesse de croître et l’urbanisation de se développer, la vente par

correspondance et par publicité directe répond à un besoin de la société car elle diminue de

manière effective la distance entre le consommateur et le point de vente ». Le texte ajoute que

cette technique de vente présente l’avantage d’octroyer « un droit inconditionnel d’examen

gratuit », ce qui ne paraît pourtant pas exceptionnel au regard des autres modes de vente, à

l’époque des libres-services. Citons enfin le code international sur la vente à domicile qui

invoque la plus grande « liberté de choix des consommateurs » pour défendre l’existence de

cette technique de distribution. Il est permis de se demander quel est l’objectif de ces

justifications : il ne s’agit pas de convaincre les consommateurs du bien fondé de ces

méthodes puisque ces codes sont destinés à être diffusés auprès des professionnels. S’agirait-il

de se rassurer sur sa propre respectabilité ? Cette gêne qui transparaît dans les codes

d’autodiscipline traduit le caractère sensible de ces contrats puisque de nombreux abus

pénalement sanctionnés sont susceptibles d’être commis.

En réalité, l’auto-justification et le rappel des règles de loyauté sont un aveu du

caractère dangereux des pratiques ainsi organisées et les codes tentent de discipliner leurs

adhérents afin que le joug de la loi pénale ne s’abatte pas sur l’un d’entre eux, décrédibilisant

l’ensemble de la profession. Ce souci de crédibilité transparaît explicitement dans le code

français de vente par correspondance qui autorise toute personne à saisir un comité de

surveillance si elle constate qu’un « litige porte atteinte à la crédibilité de la profession ». Il

arrive que les codes posent des règles supplémentaires ou plus exigeantes que la loi, mais

c’est en raison de la jeunesse des situations et dans l’espoir que le juge ou le législateur

relayera ces exigences le moment venu. Ainsi, le code de déontologie des organisations

sociales et humanitaires établit des règles décrites comme allant « au-delà de leurs obligations

légales ». Ces règles de déontologie reformulent, rappellent ou complètent la loi pénale

essentiellement dans le but de rassurer leur clientèle et de préserver l’image de marque de la

profession73. Ce droit d’ordre coutumier est une réponse à « l’impuissance des lois » qui

demeurent « ineffectives »74.

Il arrive même que certains codes de déontologie soient élaborés dans la

tourmente d’un scandale75 : IBM élabora un code de bonne conduite alors que des poursuites

contre la firme étaient engagées par l’administration américaine et communautaire pour

atteinte au droit de la concurrence76. M. Osman évoque aussi la mise en place, en septembre

1994, d’un comité déontologique par la Lyonnaise des eaux plusieurs fois mise en cause dans

des affaires de corruption. M. Farjat évoque certaines campagnes de presse au sujet des

assurances vies, des obsèques sur le modèle américain, ou sur le veau aux hormones qui sont 73 Dans ce sens, G. Farjat , Réflexions sur les codes de conduite privés, mélanges Goldman, Litec, 1982, p. 52. 74 J. Carbonnier, Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, Flexible droit, LGDJ, 9ème éd. 1998, p. 124. 75 F. Osman, Réflexion sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ. 1995, p. 515. 76 Voir supra, n° 157.

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directement à l’origine de codes rédigés par ces professionnels77. La charte des organisations

sociales et humanitaires procède de cette même démarche.

Les codes prévoient parfois des sanctions concrètes à l’encontre des

récalcitrants ne respectant pas leurs principes

2 - Les sanctions prévues par les conventions d’autodiscipline.

162. La dénomination choisie en intitulé l’indique : il s’agit d’autodiscipline.

Chacun gère sa conduite en suivant les règles préconisées au gré de sa bonne volonté et de son

sens des responsabilités. La seule sanction de ces conventions semble être l’autocensure78.

De nombreux codes préconisent toutefois l’instauration d’un organisme d’auto-

contrôle. Ainsi, chacun des codes internationaux précise que la responsabilité de l’application

de ses règles « incombe à l’organisation nationale ou à l’organisme d’autodiscipline

compétent créé à cet effet dans le pays où est pratiquée la vente ». Il existe dès lors de

nombreux ordres professionnels, ou plus simplement, des comités de surveillance, chargés de

veiller au comportement correct des membres de leur corporation. Des décrets organisent en

France des ordres professionnels tels que ceux des médecins, pharmaciens, experts

comptables, architectes ou géomètres experts79. De nombreux comités ont un caractère

beaucoup moins officiel, quoique aussi sérieusement organisés80.

77 G. Farjat , Réflexions sur les codes de conduite privés, Etudes B. Goldman, Litec 1982, p. 52. 78 Ainsi, la plupart des codes élaborés par la Chambre de commerce internationale précisent en préambule qu’ils sont « essentiellement conçu comme un instrument d’autodiscipline ». Cette formule se retrouve dans le code international de pratiques loyales en matière de promotion des ventes, en matière de publicité, en matière de vente par correspondance et par publicité directe, ou en matière de vente à domicile. Le code international concernant la vente par correspondance précise que ces règles sont établies afin de « promouvoir des règles de moralité commerciales élevées » et témoignent « du sentiment de responsabilité des milieux d’affaire ». Ce sens de la responsabilité est évoqué par deux fois dans le préambule du code international consacré à la vente à domicile et l’article 27 indique que « la responsabilité principale de l’application du code vis à vis des démarcheurs à domicile incombe au vendeur à domicile ». 79 G. Liet-Veaux, Ordres professionnels, Juris-classeur de droit administratif, Fasc. n° 145, 146 et 147. 80 Le code international concernant les études de marché préconise dans sa conclusion la création d’un « groupement représentatif de tous les intérêts en présence ». Ce n’est qu’en l’absence d’un tel organisme, ou lorsque le litige a lieu au plan international, que se déclare compétent le « Jury international de pratiques de marketing de la Chambre de Commerce Internationale ». Quant aux codes français, ils sont rédigés par des associations de professionnels qui peuvent organiser des comités de surveillance. Ainsi, le syndicat français des entreprises de vente par correspondance prévoit dans le chapitre huit de son code la création d’un comité de surveillance, composé de six à huit membres élus, représentant chaque grand secteur professionnel du syndicat. Ce comité peut s’auto-saisir, ou peut être saisi, par écrit, par toute personne morale ou physique qui constate une violation du code ou un litige portant atteinte à la crédibilité de la profession. En matière de publicité, le code français impose l’adhésion au Bureau de Vérification de la publicité au nombre des « devoirs » énumérés en fin de code. La charte de déontologie des organisations sociales et humanitaires, élaborée en 1989 par le « Comité de la charte », compte, parmi ses instances, une commission de surveillance élue, indépendante, chargée d’étudier les demandes d’adhésion, mais aussi d’examiner les rapports délivrés par les « censeurs » de chaque organisation, ainsi que les documents qui accompagnent ces rapports. Chaque association doit subir le contrôle d’un censeur qui est « une personnalité extérieure aux instances de décision de l’organisme membre, assigné à la commission de surveillance » qui vérifie l’exécution des consignes données par la charte. La charte le décrit comme « un interface indépendant entre l’organisme et le comité ». Le censeur établi des rapports qui permettent à la commission de surveillance de donner un avis et la décision finale concernant l’admission ou l’exclusion d’une organisation dans le comité de la charte est prise par le Conseil d’administration du comité et ratifiée par l’assemblée générale.

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Si les Ordres professionnels sont investis par le législateur de prérogatives de

puissance publique qui leur permettent éventuellement d’empêcher un fautif d’exercer81, les

pouvoirs des simples comités de surveillance ne sont-ils pas illusoires ? Les conventions

d’autodiscipline leur octroient certains pouvoirs. Ainsi, le code international en matière de

publicité exige dans son article 17 que chaque annonceur soit en mesure de prouver devant

l’organisme de contrôle toute description, assertion ou illustration, ces preuves pouvant être

exigées sans délai. L’organe peut, selon l’article 18, juger le message litigieux inacceptable, ce

qui interdit alors, en principe, à tout annonceur, praticien ou agent de publicité, éditeur ou

propriétaire d’un support de participer à sa publication. Certains codes ont prévu des sanctions

de nature à entamer le prestige de l’entreprise épinglée, ce qui est susceptible de porter ses

fruits puisque les entreprises adhérantes à ces conventions recherchent essentiellement la

crédibilité. Ainsi, outre des avertissements et des blâmes, le syndicat français des entreprises

de vente par correspondance a prévu la création d’un emblème, que l’on peut observer

effectivement sur la plupart de nos catalogues. Le comité peut prononcer le retrait provisoire

de l’emblème, voire proposer l’exclusion du récalcitrant au Bureau dirigeant le Syndicat.

Exceptionnellement, ce Bureau peut donner une publicité à ces sanctions à l’extérieur du

syndicat. Ce même type de sigle se retrouve dans le code européen de vente par

correspondance, les entreprises pouvant l’utiliser pour témoigner au consommateur de leur

volonté de respecter les règles édictées par le code. Il est vraisemblable, même si ce code ne le

dit pas explicitement, qu’un retrait de l’insigne pourra être envisagé pour les entreprises

contrevenantes. Le système de l’insigne est aussi utilisé par le Comité de la charte des

organisations sociales et humanitaires82.

Les sanctions disciplinaires éventuellement infligées aux contrevenants ne

relèvent que de l’organisation professionnelle concernée. Dès lors, ces sanctions ne peuvent

faire l’objet d’appel devant une juridiction. Ce point fut confirmé par le Conseil d’Etat dans

une affaire opposant la « Fédération française d’aérobic et de stretching » à l’une de ses

membres, Mme Pascau. Celle-ci intentait un recours devant les juridictions administratives

contre une sanction disciplinaire infligée par la Fédération. Relevant que « L’exercice par une

fédération du pouvoir disciplinaire à l’égard de ses membres est en lui-même inhérent à

l’organisation de toute association », le Conseil d’Etat jugea irrecevable le recours de Mme

Pascau83. 81 G. Liet-Veaux, Ordres professionnels, Juris-classeur de droit administratif, Fasc. n° 145, 146 et 147. 82 Les censeurs chargés de surveiller l’application de la charte de déontologie par ces organisations disposent aussi de quelques pouvoirs : ils conseillent les associations lorsqu’une pratique est critiquable ou lorsqu’une amélioration est possible et adressent un rapport annuel au président du comité. L’adhésion à cette charte autorise, elle aussi, l’usage d’un emblème collectif appelé « Label », destiné à « faire reconnaître les organisations adhérentes qui ont accepté les règles de la charte » et qui peut être apposé sur tous les documents édités pour collecter des fonds. Les rapports du censeur sont examinés par la commission de surveillance qui donne alors son avis sur les demandes d’adhésion ou les retraits d’agrément. Le retrait d’agrément d’une organisation est prononcé par le Conseil d’administration du Comité de la charte, exclusion qui entraîne bien sûr l’interdiction d’utiliser le « Label ». La répartition des pouvoirs dans ce comité est précisément établie et chaque organisation est contrôlée de l’intérieur par les organes internes, le censeur et un commissaire aux comptes et à l’extérieur par les différents organes du comité de la charte. 83 CE, 19 décembre 1988, AJDA 1989, p. 271, obs. J. Moreau.

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Un document du « Groupe de personnalités de l’ONU » résume la situation de

la façon suivante : « Bien que de telles recommandations n’aient pas de caractère obligatoire,

elles jouent le rôle d’un instrument de persuasion morale, renforcées qu’elles sont par

l’autorité des organisations internationales et par la force de l’opinion publique »84.

Cependant, ces sanctions internes peuvent dissuader les petites incartades mais elles ne

semblent guère de nature à prévenir les méfaits majeurs qui supposent une réelle intention de

nuire émanant de tempérament peu scrupuleux. Si les juridictions refusent de confirmer ou

d’infirmer des sanctions disciplinaires, peut-on cependant envisager qu’elles tiennent compte

du contenu de ces conventions d’autodiscipline ?

B - La juridiction pénale et les conventions d’autodiscipline.

163. La juridiction pénale peut-elle appliquer directement ces divers codes

d’autodiscipline ? Lorsque les comportements épinglés par les codes correspondent en tout

point à des incriminations, les dispositions des codes peuvent trouver une application

indirecte, cela va sans dire. Mais ces conventions n’ont pas toujours exactement les mêmes

préoccupations que les lois pénales ou ajoutent des exigences que ces lois n’ont pas

envisagées. Les juges peuvent-ils alors tenir compte de ces règles et à quel titre ?

Des infractions pénales peuvent-elles être incriminées dans des conventions

privées ? La réponse apparaît d’emblée comme négative. En vertu du principe de légalité

criminelle, seul un texte de loi est en mesure d’incriminer et d’attacher une sanction pénale à

un comportement. L’inexécution d’une convention, ne peut à elle seule, justifier cette

sanction. Classiquement, le juge civil lui-même rejette l’applicabilité directe des codes de

conduite, quoiqu’ils fussent officialisés par un décret85. Ainsi, une exigence posée par le Code

de déontologie médicale ne peut être sanctionnée que de façon disciplinaire et ne peut fonder

l’annulation du contrat qui y contrevient, ce qui fut rappelé par la chambre sociale dès 196086.

De même, le code des devoirs professionnels des architectes, édicté par décret après avis du

Conseil d’Etat87, ne pose que des « exigences sur le plan déontologique » qui n’ont « aucune

84 Doc. ONU E /5500, p. 62, cité par G. Farjat , Réflexions sur les codes de conduite privés, in Le droit des relations économiques internationales, Etudes B. Goldman, Litec, 1982, p. 48. 85 F. Osman, Réflexion sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ. 1995, p. 519. 86 Cass. soc. 24 mai 1960, Bull. civ. IV, n° 562, JCP 1961, II, 12044, note J. Savatier. « En l’absence de toute autre cause, la seule inobservation de la formalité de communication du projet de contrat à l’Ordre des médecins, prescrite par l’article 49 du décret du 28 novembre 1955 pour les contrats relatifs à l’exercice habituel de la médecine au service d’une collectivité ou d’une institution de droit privé, n'entraîne pas la nullité de ce contrat, cette sanction n’étant prévue par aucun texte et l’article 1er du décret susvisé disposant seulement que les infractions à ses dispositions relèvent de la juridiction disciplinaire de l’ordre des médecins ». De même, Cass. 1re civ., 17 novembre 1987, Pourvoi n° 86-12.901, au sujet de l’article 77 du Code de déontologie médicale. Le décret du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale ne semble pas de nature à modifier cette jurisprudence puisque l’article 1er précise que « Les infractions à ces dispositions relèvent de la juridiction disciplinaire de l’ordre ». 87 Décret n° 80-217 du 20 mars 1980, portant code des devoirs professionnels des architectes, abrogeant le décret du 24 septembre 1941, modifié. Voir G. Liet-Veaux, Ordres professionnels, Juris-classeur de droit administratif, Fasc. 145 et 148 n° 1 à 91.

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incidence sur le plan civil »88. Pourtant, cette solution est critiquée89 et est en voie d’être

abandonnée90, car il conviendrait de distinguer, comme le fait le Conseil d’Etat91, entre les

conventions de bonne conduite de nature purement privée et celles qui ont bénéficié d’une

reconnaissance par décret, les intégrant ainsi au droit positif. Le Conseil d’Etat, en effet, tient

compte des Codes de déontologie officialisés par décret, émanant d’Ordres privés investis

d’une mission de service public. Nous examinerons la situation des conventions qui

bénéficient d’une reconnaissance légale (1) puis de celles qui ne connaissent pas ce statut (2).

1 - Les conventions dotées d’une valeur légale.

164. Ce caractère officiel semble porter quelques fruits en droit pénal

puisque certaines conventions ont pu contribuer à la qualification d’infractions par le juge

répressif en droit du travail92. On assiste à une certaine contractualisation du droit du travail.

En vertu du principe de légalité, des infractions ne pourraient être incriminées

dans des textes privés. Pourtant, telle ne fut pas la position adoptée par la jurisprudence de la

chambre criminelle de la Cour de cassation le 14 février 197893. L’employeur a été condamné

pour entrave « pour avoir méconnu une obligation conventionnelle surajoutée à une

obligation légale elle-même pénalement sanctionnée »94. Comme le souligne M. Pradel, dans

cette affaire, « les obligations nées d’un accord ont la même valeur que les obligations

fondées sur la loi »95. Le contrat est créateur d’infraction. Quoique la chambre criminelle soit

réputée plus "sociale" que la chambre sociale en matière de délit d’entrave96, cette

jurisprudence, reproduite ensuite97, fut particulièrement critiquée puisqu’elle allait à

88 C.A. Paris, 28 juin 1985, D 1987, p. 16, note A. Gourio. 89 F. Osman, préc., p. 520. 90 Cass. 1re civ., 18 mars 1997, JCP 1997, II, 22829 accepte que le Code de déontologie médicale soit invoqué par le demandeur d’une action en dommages et intérêts dirigée contre un médecin. 91 CE 2 avril 1943, JCP 44, II, 2565, note C. Cellier ; S. 1944, concl. Lagrange et note Mestre. Voir. G. Liet-Veaux, Ordres professionnels, Juris-classeur de droit administratif, Fasc. 145, n° 4 : le Conseil d’Etat n’accepte cependant de prendre en compte les codes privés que si ceux-ci remplissent trois conditions : l’ordre privé doit être investi d’une mission de service public, doté de prérogatives de puissance publique et l’acte litigieux doit procéder de l’usage même de ces prérogatives. 92 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, Dalloz Précis 1998, 19ème éd., n° 587. 93 Cass. crim., 14 février 1978, arrêt Plessis, Bull. crim. n° 58, Droit social 1979, p. 172, note J. Pradel, D 1978, IR 384, obs. J. Pélissier. Dans cette affaire, un employeur avait accordé aux délégués du personnel, par accord d’entreprise, un nombre d’heures de délégation deux fois supérieur au minimum prévu dans la loi, minimum qui, s’il n’est pas respecté, est sanctionné par les peines du délit d’entrave (Articles L. 420-8, L. 412-16, L. 461-2 et L. 462-1 du Code du travail ). L’activité de l’entreprise ayant été interrompue une partie du mois d’août, l’employeur signala aux délégués syndicaux une diminution du nombre d’heures de délégation pour cette période qui restait cependant supérieur au minimum exigé par la loi. La Cour de cassation le condamna pour délit d’entrave à l’exercice du droit syndical dans l’entreprise et à l’exercice régulier des fonctions de délégué du personnel. Elle retint pour fonder sa décision une conception large du délit d’entrave : il ne suffit pas de s’en tenir au nombre d’heures obligatoires allouées aux délégués pour définir ce délit. « Le refus par l’employeur de laisser à un délégué la faculté de s’absenter pour l’exercice de ses fonctions pendant les heures de travail dans les limites de la durée maximale déterminée ... soit par le texte lui-même, soit par un accord collectif plus favorable ... constitue une entrave ». 94 J. Pradel, note sous Cass. crim. 14 février 1978, préc., spéc. p. 174. 95 J. Pradel, préc., p. 174. 96 J. et A.-M. Larguier , Droit social 1967, p. 550 et s. 97 Cass. crim., 22 mai 1979, Bull. crim. n° 181 ; 6 novembre 1979, Bull. crim. n° 307 ; 15 janvier 1980, Bull. crim. n° 24 ; 20 avril 1982, Bull. crim. n° 96.

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l’encontre de deux principes du droit pénal : celui de la légalité criminelle98 et celui de

l’interprétation stricte des textes d’incrimination. Qui plus est, elle n’encourageait pas

l’employeur à adopter des mesures plus favorables aux salariés que celles auxquelles les lois

pénales l’obligeaient99.

Pourtant, une loi du 13 novembre 1982 confirma cette solution en instaurant

l’article L. 153-1 du Code du travail. En effet, ce texte souligne que certaines dispositions

législatives autorisent les conventions ou accord collectifs à déroger à leur contenu100. Si ces

conventions ou accords sont inexécutés, les sanctions prévues dans ces dispositions

législatives sont encourues. Ce texte est général et parle de « sanctions » sans plus de

précision. Il faut y inclure d’éventuelles sanctions pénales. En effet, si le texte auquel la

convention déroge a prévu une sanction pénale, c’est cette sanction pénale qui viendra punir

l’inexécution de la convention collective. Dès lors, le simple fait de déroger aux dispositions

d’un contrat peut suffire à caractériser une infraction ; les dispositions conventionnelles

peuvent participer aux éléments constitutifs d’une infraction.

L’article L. 153-1 du Code du travail pose cependant certaines conditions et la

règle d’interprétation stricte des dispositions pénales oblige les juges à interpréter

restrictivement cet article lorsqu’une sanction pénale est encourue. Tout d’abord, la

convention dérogatoire doit être « une convention ou un accord collectif étendu »101. Ceci a

conduit la chambre criminelle de la Cour de cassation à exclure la culpabilité d’un employeur

qui n’avait pas respecté, par exemple, un « accord d’entreprise »102 ou un usage103. De plus,

les textes de droit du travail à considérer ici sont en nombre relativement limité. En effet, ne

sont pas légion les dispositions assorties de sanctions pénales qui autorisent expressément une

dérogation à leur contenu104 : elles se situent pour l’essentiel dans le domaine de la durée du

travail105, des congés106 et la représentation du personnel107. Dès lors, des domaines

importants du droit pénal du travail tels que l’hygiène et la sécurité ou le travail des enfants

par exemple, ne sont pas concernés car les textes ne prévoient pas de « dérogations » par

convention collective. Les règlements intérieurs qui participent à la mise en place des règles

d’hygiène et de sécurité sont donc insusceptibles d’être pénalement sanctionnés. La

jurisprudence a pu exclure la culpabilité d’un employeur qui n’avait pas respecté un accord

d’entreprise dans un domaine où le texte de droit du travail qui lui était consacré n’organisait

pas expressément de possibilité de dérogation par convention ou accord collectif. Il s’agissait 98 J. Pradel, préc., p. 175. 99 J. Borricand, Donner et reprendre ne vaut, D 1980, p. 323, spéc. p. 327 ; O. Godard, Droit pénal du travail, Thèse Masson 1980, p. 271 et 301 ; J. Pradel, préc., p. 176. 100 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, préc., n° 833 et 834. 101 Voir Y. Chalaron, La sanction pénale du droit conventionnel : une nouvelle base ?, Droit social 1984, p. 505, spéc. p. 509. 102 Cass. crim., 4 avril 1991, 1ère espèce, Bull. crim. n° 164. 103 Cass. crim., 4 avril 1991, 3ème espèce, Bull. crim. n° 164. 104 Y. Chalaron, préc., spéc. p. 508. 105 Voir supra n° 155. Articles L. 212-2 alinéa 3, L. 212-6, L. 213-2 alinéa 2 et 3, L. 221-5.I. 106 Articles L. 223-3 et L. 223-6, L. 223-7, L. 223-7.1, L. 223-8. 107 Articles L. 412-21, L. 421-I alinéa 4, L. 431 alinéa 3, L. 422-3 et L. 433.2 alinéa 5, L. 431-I alinéa 6, L. 412-21 et L. 426-1, L. 434-12.

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167

de l’article L. 439-3 du Code du travail, concernant la désignation des représentants du

personnel appelés à siéger au comité de groupe108.

165. Quelles sont les dérogations admissibles dans les conventions et

susceptibles d’être pénalement sanctionnées ? Quelle signification du terme « déroger » doit-

on retenir ? Une convention déroge à un texte de loi si elle pose des règles différentes, plus

favorables ou moins favorables aux salariés. Des règles entièrement différentes qui

substituent de nouvelles modalités de travail, de représentation,... à ce qu’impose le texte, ne

sont guère envisageables. Les textes sanctionnés pénalement doivent être respectés et si des

nouveautés apparaissent, elles ne peuvent que s’ajouter aux exigences légales. Ces nouvelles

modalités ne pourront être pénalement sanctionnées, comme l’a confirme la chambre

criminelle de la Cour de cassation le 4 avril 1991109. Un accord avait créé un « comité inter-

entreprises d’hygiène et de sécurité » dans lequel les modalités concernant la représentation

du personnel n’ont pas été respectées. La Cour de cassation a refusé d’appliquer des sanctions

pénales sur le fondement de l’article L. 153-1 du Code du travail car l’institution créée n’était

pas de même nature que celle instaurée par la loi.

M. Chalaron, a envisagé d’inclure dans le champ d’application de l’article L.

153-1 du Code du travail les hypothèses dans lesquelles les conventions dérogent à la loi dans

un sens défavorable aux salariés110. La négociation permettrait de soustraire les contractants

au droit commun. Cet auteur relève qu’il est même possible de donner un sens exclusivement

défavorable au terme « déroger » de l’article L. 153-1 en le comparant avec d’autres textes.

Ainsi, l’article L. 132-4 du même Code oppose les dispositions plus favorables aux salariés

aux dispositions dérogatoires : les conventions peuvent comporter des dispositions plus

favorables que les lois et règlements, et ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public.

Mais si cette interprétation de l’article L. 153-1 doit être retenue, celui-ci ne protégerait que

les dispositions dérogatoires ... défavorables aux salariés. Or, s’il paraît effectivement

indispensable d’empêcher un employeur d’aller en dessous des minima fixés par la

convention, eux-mêmes inférieurs à la loi, il semble aussi intéressant d’imposer des sanctions

pénales à l’employeur qui ne respecte pas des conventions plus favorables aux salariés,

comme les juges avaient pu le faire dans leur décision de 1978.

En réalité, le terme « déroger » est utilisé dans d’autres textes dans un sens plus

large : ainsi, dans les articles L. 132-4 ou L. 132-26 du Code du travail, il signifie « comporter

des modalités particulières d’application »111. Le sens défavorable du terme ne s’impose pas à

l’article L. 153-1 du même Code. De plus, si on veut concilier les articles L. 153-1 et L. 132-

4, non pas dans leur lettre, mais dans leur sens, il paraît impossible que des conventions

dérogent aux lois pénalement sanctionnées dans le but de réduire les avantages des salariés. 108 Cass. crim., 4 avril 1991, 1ère espèce, Bull. crim. n° 164. 109 Cass. crim., 4 avril 1991, 2ème espèce, Bull. crim. n° 164. 110 Y. Chalaron, La sanction pénale du droit conventionnel : une nouvelle base ? Droit social 1984, p. 507. 111 Y. Chalaron, préc., p. 507, note 11.

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En effet, l’article L. 132-4 interdit aux conventions de stipuler dans un sens défavorable dans

les domaines rattachés à l’ordre public, ce qui est, par définition, le cas des lois pénales. Les

textes de droit du travail à caractère pénal sont tous protecteurs du salarié et visent à fixer des

garanties minimums pour les conditions de travail des salariés : ils posent le « minimum

social », un « ordre public plancher »112. M. Chalaron objecte qu’il est parfois difficile de

parler de seuil favorable ou défavorable pour certaines dispositions de droit du travail. Il

semble pourtant que cela n’est pas le cas des dispositions assorties de sanctions pénales. Dès

lors, les dispositions des conventions collectives dérogeant à la loi pénale ne sont concevables

que si elles sont plus favorables au salarié. D’ailleurs, en 1978, le juge pénal n’a pas

sanctionné l’inexécution d’une convention, en tant que telle, mais l’inexécution d’une règle

qui améliorait une condition de travail par ailleurs pénalement sanctionnée. Dès lors, toute

convention n’a pas à être protégée pénalement pour sa simple inexécution. C’est

l’amélioration qu’elle apporte au droit pénal existant qui est encouragée. Les auteurs

soutiennent qu’il existe en matière sociale un « effet cliquet » ou « effet de crémaillère »113,

grâce auquel « l’évolution se fait toujours dans le sens de l’amélioration, jamais dans le sens

de la régression »114.

Pourtant, certaines lois pénales, par exemple concernant la durée du travail,

prévoient elles-mêmes que les dérogations par convention collective jouent dans un sens

défavorable aux salariés115. Peut-on admettre que le juge sanctionne pénalement une

disposition conventionnelle plus défavorable aux salariés que ne l’est la loi ? Ne doit-on pas

admettre que seules les conventions plus favorables aux salariés pourront bénéficier de la

sanction pénale ? En réalité, il est souhaitable que la sanction pénale joue ici et interdise à un

employeur d’imposer des conditions de travail de moindre qualité que celles fixées par la

convention collective puisque ces conditions sont déjà inférieures au minimum légal.

L’absence de réaction répressive ne ferait qu’encourager de graves défaillances.

On peut cependant déplorer que ce texte, jouant d’une vague technique de

renvoi, aboutisse à un oubli total du principe de légalité criminelle puisque la volonté privée

peut écarter des dispositions pénales et établir les éléments constitutifs d’infraction. M.

Chalaron souligne que la loi pénale qui, en droit du travail, est négociée, renvoie ici à de

nouvelles négociations pour ses modalités d’application116. C’est le contrat qui génère ici

l’infraction. Des conventions peuvent participer à l’œuvre d’incrimination en principe

réservée à la loi. La juridiction pénale a elle-même encouragé cette évolution mais retient

aujourd’hui une interprétation stricte de l’article L. 153-1 du Code du travail qui officialise

112 G. Lyon-Caen, Négociation collective et législation d’ordre public, Droit social 1973, p. 89. 113 J. Borricand, Donner et reprendre ne vaut, D. 1980, p. 323, spéc. p. 327. 114 G. Lyon-Caen, Du rôle des principes généraux du droit en droit civil et en droit du travail, RTD civ. 1974, p. 229. 115 Par exemple, l’article L. 212-2 alinéa 3, sur l’aménagement du temps de travail à l’intérieur de la semaine, ou l’article L. 212-6 alinéa 2, sur la fixation d’un contingent annuel d’heures supplémentaires qui, par convention, peut être inférieur ou supérieur à ce que prévoit la loi. 116 Y. Chalaron, préc., p. 505.

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cette possibilité. La description de sa jurisprudence comme étant plus « sociale que la

chambre sociale » serait révolue, au moins sur ce thème.

Ces conventions attachées au droit du travail sont utilisées par les juridictions

répressives d’autant plus volontiers qu’elles bénéficient d’une certaine reconnaissance légale.

Il pourrait en être de même du Code de déontologie médicale ou du Code de déontologie des

vétérinaires117 puisque le nouveau Code pénal a incriminé les mauvais traitements à animaux.

Le juge civil a d’ores et déjà ouvert la voie en affirmant tout récemment que « la

méconnaissance des dispositions du Code de déontologie médicale peut être invoquée par une

partie à l’appui d’une action en dommages et intérêts dirigée contre un médecin. Il

n’appartient qu’aux tribunaux de l’ordre judiciaire de se prononcer sur une telle action, à

laquelle l’exercice d’une action disciplinaire ne peut faire obstacle »118. Un tel manquement

est constitutif d’une faute civile, ce qui est aussi le cas de tout manquement à une règle

déontologique, même non reconnue légalement. L’absence d’une telle reconnaissance ou

approbation n’interdit pas pour autant toute influence sur le contentieux pénal des conventions

d’autodiscipline, si on envisage de les qualifier d’usages.

2 - Les conventions sans valeur légale : un possible rattachement aux

usages.

166. A priori, contrevenir aux dispositions établies par une convention de

bonne conduite n’a aucune conséquence sur les institutions du droit positif et ne doit pas être

pris en considération par les juridictions119. Seules les règles confortées par un décret peuvent

éventuellement être invoquées devant les juridictions. La première chambre civile rappelle, le

5 novembre 1991, que « les règles déontologiques, dont l’objet est de fixer les devoirs des

membres de la profession, ne sont assorties que de sanctions disciplinaires et n’entraînent

pas, à elles seules la nullité des contrats conclus en infraction à leur disposition »120. Les

juges refusaient ici la nullité d’un contrat d’abonnement conclu par un expert-comptable,

prévoyant une rémunération forfaitaire interdite par le code de déontologie du Conseil

supérieur de l’ordre des experts-comptables et comptables agréés. Le fondement de

l’annulation aurait dû être recherché dans l’article 6 du Code civil121.

Pourtant, il serait possible d’envisager une certaine influence de ces

conventions d’autodiscipline non reconnues par la loi devant le juge civil. Ces conventions

peuvent en premier lieu être rattachées aux engagements d’honneur122. Mais, outre que ces

117 Décret n° 92-157 du 19 février 1992, portant code de déontologie vétérinaire (JO 22 février 1992). Voir G. Liet-Veaux, Ordres professionnels de santé, Juris-classeur de droit administratif, Fasc. n° 145 et 147, n° 184 à 208. 118 Cass. 1re civ., 18 mars 1997, JCP 1997, II, 22829, rapport de P. Sargos. 119 F. Osman, Réflexion sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ. 1995, p. 518. 120 Cass. soc, 24 mai 1960, Bull. IV, n° 562. 121 Cass. 1re civ., 5 novembre 1991, Bull. civ. I, n° 297 ; JCP 1993 éd. C.I., II, p. 17, note A. Viandier . 122 B. Oppetit, L’engagement d’honneur, D 1979, chron. p. 107, spéc. p. 111, n° 9.

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170

engagements ne sont pas toujours susceptibles de sanction par le juge, ils ont généralement

pour objectif de permettre aux protagonistes d’échapper au droit étatique ; or, les diverses

conventions de bonne conduite rappellent les législations existantes ou les complètent. La

notion d’engagement d’honneur étant fort vaste et ayant des conséquences variables, elle ne

peut être rejetée. Par ailleurs, l’article 1135 du Code civil autorise le juge à imposer aux

parties contractantes les suites données par l’équité, l’usage et la loi à leurs obligations ; on

pourrait penser à rapprocher ces conventions de la notion d’usage conventionnel puisque ces

conventions de bonne conduite reflètent des règles de comportement communément admises.

Cette qualification n’est pas incompatible avec celle d’engagement d’honneur - on peut

s’engager sur l’honneur à respecter telle règle de conduite - et elle a l’avantage d’une

efficacité plus certaine. Ces conventions d’autodiscipline n’ont pas toujours fait l’objet d’un

accord de volonté de la part de tous les professionnels : si le code français de la vente par

correspondance ou la « charte de déontologie des organisations sociales et humanitaires

faisant appel à la générosité du public » font l’objet d’une adhésion volontaire, ce n’est pas le

cas, par exemple, des codes établis par la Chambre de commerce internationale ou du code

des usages de la charcuterie. Ces conventions n’ont pas toutes un statut contractuel à

proprement parler. Mais cela n’empêcherait pas de leur donner le statut d’usage à respecter

dans le cadre d’un contrat.

Cependant, même si on conçoit que le juge civil tienne compte, à certaines

conditions, de ces règles conventionnelles ayant valeur d’usage, il parait inenvisageable que la

juridiction pénale se voit dicter sa décision par des usages. Dès lors, les conventions élaborées

par des professionnels, dénuées de valeur légale123, telles que les divers codes de bonne

conduite en matière de contrat de consommation,... paraissent ne jamais devoir influer les

décisions du juge répressif. Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, la chambre

criminelle a admis à plusieurs reprises que la qualification de faits en infraction puisse se faire

en référence à des usages et tout particulièrement des usages commerciaux (a). Peut-on

rattacher toutes les conventions d’autodiscipline à cette notion d’usage (b) ?

a - Quelques références aux usages par le juge pénal.

167. Cette référence s’avéra fort utile en matière d’infraction de tromperie.

Dès 1967, la chambre criminelle approuva la condamnation d’un boulanger pour fraude et

falsification sur le fondement de la loi du 1er août 1905, car il avait vendu sous la

dénomination de « Quatre-quarts, spécialité bretonne » un gâteau fait à partir de margarine et

non de beurre124. Les juges du fond, souverains pour l’appréciation de l’existence d’un usage,

ont considéré qu’un quatre-quarts, selon la recette bretonne traditionnelle, était composé en

partie égale de farine, d’œuf, de sucre et de beurre. Puisque le gâteau litigieux n’était pas 123 Voir supra n° 151 et s. 124 Cass. crim., 5 octobre 1967, Bull. crim. n° 242.

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composé de la sorte, le boulanger ne pouvait, sans tromper l’acheteur, l’appeler « Quatre-

quarts, spécialité bretonne ». C’est une recette traditionnelle bretonne et non la seule loi

pénale qui a justifié une condamnation devant la juridiction pénale. Un arrêt de 1971

renouvela la référence aux usages125, sans que ceux-ci soient nécessaires au sens de la

décision : la Cour de cassation, une fois encore, n’a pas montré une hostilité de principe à cet

outil de qualification des tromperies126. C’est un pot de miel qui, plus récemment, en 1985,

donna lieu à un arrêt tenant compte des usages commerciaux127. Ce miel était intitulé « Miel

Gâtinais et mille fleurs ». Les juges du fond ont considéré que selon les usages commerciaux,

cette appellation s’appliquait à des miels récoltés sur le territoire français, ce qui était le cas

des miels en cause ; ils relaxèrent le vendeur. Le pourvoi contestait essentiellement

l’interprétation de l’usage en question, le miel « Gâtinais » étant une appellation régionale. La

chambre criminelle cassa l’arrêt en raison de l’inutilité de la référence à un usage, puisqu’il

existe une réglementation fixant les règles de dénomination des miels. Mais la référence à un

usage n’a pas été écartée par principe, une fois encore. C’est encore par référence à un usage

commercial qu’une tromperie sur la quantité de marchandise fut admise par la chambre

criminelle le 17 mai 1989128 : le vendeur n’avait pas déduit, contrairement aux usages

commerciaux, le poids de l’emballage interne des produits considérés ; il avait livré aux

consommateurs une quantité de marchandise inférieure à celle annoncée. Enfin, la référence

aux usages commerciaux qui permit de caractériser une infraction aux règles sur l’étiquetage

des denrées alimentaires en 1994129.

Les usages religieux ont aussi droit de cité devant la chambre criminelle. Le 21

juillet 1971130, celle-ci qualifiât de fraude et falsification la vente de viande dite « cacher »,

alors que cette appellation était en l’espèce contestable. Les animaux étaient abattus par des

sacrificateurs non agréés par l’Association Consistoriale Israélite de Paris, seule compétente

pour le contrôle des abattages rituels. La tromperie fut caractérisée car les bouchers comme les

sacrificateurs ne pouvaient ignorer qu’ils n’étaient ni habilités ni contrôlés par les autorités

religieuses compétentes. Ce sont des traditions rituelles et des conventions religieuses qui ont

permis de qualifier l’infraction de fraude.

L’infraction de tromperie n’est pas la seule à pouvoir être caractérisée en

fonction d’usages. Par exemple, un arrêt de la chambre criminelle du 26 octobre 1992131

admet la condamnation pour faux en écriture privée et usage de faux alors que cette infraction 125 Cass. crim., 4 mars 1971, Bull. crim. n° 76. 126 Il s’agissait cette fois de safran qui avait été vendu sous la dénomination de « safran pur », alors qu’une quantité notable de matières étrangères y était additionnée. La société Ducros, défendeur, proposait que l’on se réfère aux usages du commerce, invoquant à ce titre un avant-projet de normes internationales qui tolérait quelques impuretés dans le safran. La chambre criminelle écarta cette référence aux usages, sans hostilité de principe, car elle était inutile en l’occurrence pour caractériser l’infraction : il suffisait de constater que le produit était faussement qualifié de pur puisque sa composition ne correspondait pas à sa qualification. 127 Cass. crim., 15 janvier 1985, Bull. crim. n° 26. 128 Cass. crim. , 17 mai 1989, pourvoi n° 87-81.970. 129 Cass. crim., 7 février 1994, Bull. crim. n° 54. Infraction aux dispositions des articles 3 et suivants du décret du 7 décembre 1984. 130 Cass. crim., 21 juillet 1971, Bull. crim. n° 234 ; JCP 1971, II, 16814. 131 Cass. crim., 26 octobre 1992, pourvoi n° 92-80.080.

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avait été en partie caractérisée en fonction d’usages commerciaux. En effet, la cour d’appel

relève parmi quelques autres arguments qu’un certificat avait été signé par une personne qui,

selon les usages commerciaux, n’aurait pas dû signer. De même, une fraude fiscale fut

caractérisée alors que les juges relevaient que « les documents comptables versés aux débats

n’étaient pas conformes aux exigences légales et aux usages professionnels ... ils ne

constituaient pas la comptabilité complète, régulière et probante exigée par les articles 8 et 9

du Code de commerce »132.

Signalons enfin que la référence aux usages permet non seulement de

caractériser les infractions, mais aussi parfois d’en écarter la qualification, comme ce fut le cas

en 1992, pour des faits poursuivis d’usage illicite de marque133.

168. Ces décisions peuvent surprendre car elles vont, à l’évidence, contre le

principe de légalité criminelle qui impose que toute infraction et toute sanction soient

précisément décrites et prévues par la loi. Le pourvoi formé par le boulanger mis en cause en

1967 arguait bien de cet élément : la défense relevait que l’appellation « spécialité bretonne »,

par son imprécision, était insusceptible d’entraîner la mise en œuvre d’une sanction pénale,

tout comme la notion d’usage. Pourtant cette objection n’a suscité aucun commentaire.

Les arrêts qui font ainsi référence aux usages précisent que ce recours n’est

envisageable qu’en l’absence de textes. Ceci est clairement affirmé par la chambre criminelle

en 1967 qui ne prend en considération la tradition bretonne concernant la recette du « Quatre-

quarts » qu’en l’absence de réglementation. En 1985, dans l’affaire des miels « Gâtinais », la

chambre criminelle a reproché aux juges du fond d’avoir discuté l’existence d’un usage, alors

qu’il existait une réglementation en matière d’appellation des miels. Or toute réglementation

« s’oppose audit usage ». Cette référence à l’usage n’est-elle pas parfois indispensable ? Les

juges ne l’admettent en effet que lorsque la loi sur les fraudes et les réglementations qui

l’accompagnent sont incomplètes. Or ce caractère incomplet est presque inéluctable puisque

les produits en vente pour lequel une erreur est susceptible d’être provoquée sont d’une infinie

diversité ; certains n’existent pas encore... Prévoir toutes les possibilités de fraudes nécessite

de nombreuses années d’expérience et l’enrichissement du tissu législatif ne peut être que

progressif. Dès lors, est-il bien nécessaire de légiférer dans des domaines extrêmement

pointus, où les problèmes se posent de façon anecdotique et où les usages peuvent faire office

de réglementation ? Le recours aux usages ne se ferait, en quelque sorte, qu’afin d’éviter un

déni de justice ? Il demeure pourtant que le principe de légalité impose que toute sanction

pénale, comme les actes ainsi sanctionnés, soient décrits précisément dans un texte. Puisque

tout ce qui n’est pas interdit est permis, les sanctions pénales de la tromperie qui consistent en

132 Cass. crim., 22 mai 1991, pourvoi n° 90-62.852. 133 Cass. crim., 16 novembre 1992, Bull. crim. n° 376. L’article 422-2° de l’ancien Code pénal fut écarté alors qu’une grande surface avait vendu des produits d’une certaine marque, qu’elle avait acquis auprès d’un grossiste. Le fabricant protesta car il n’avait pas donné son agrément à la grande surface. Les juges relèvent que les produits ont été régulièrement acquis et commercialisés dans des conditions conformes aux usages commerciaux, et que l’absence d’agrément du titulaire de la marque ne suffit pas à caractériser l’infraction.

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un emprisonnement de deux ans et une amende de 250 000 francs, ne devraient être encourues

que pour des faits incriminés par la loi. Il est choquant que de telles condamnations soient

prononcées sur le fondement d’usages non validés, voire non écrits, l’opportunité de cette

solution ne pouvant justifier la violation des principes fondamentaux. Affirmer que, compte

tenu des textes existant, une personne n’est pas coupable de fraude, n’est pas un déni de

justice.

Il demeure que cette référence existe. Il convient de se demander si ces

conventions qui abordent souvent des préoccupations proches de la loi pénale pourraient être

envisagées et utilisées par les juridictions répressives.

b - Tentative de rapprochement des divers Codes de bonne conduite de la

notion d’usage.

169. De nombreux codes expriment une aspiration de leur auteur à une

application directe en jurisprudence. La Chambre de Commerce Internationale préconise dans

le préambule de chacun de ses codes que ceux-ci « indiquent dans quel sens une

harmonisation internationale des lois portant sur la promotion des ventes pourrait

s’orienter », mais aussi qu’ils « servent aux tribunaux de document de référence dans le cadre

de la loi nationale applicable ». Cette démarche des tribunaux parait plus facilement

concevable dans un système juridique de type anglo-saxon que dans le système français où les

juges sont soumis à des lois plus précises, ou qui devraient l’être. Quels sont, parmi les divers

codes internationaux, européens ou nationaux, ceux qui peuvent se prévaloir de la qualité

d’usage et tout particulièrement d’usage commercial ? Ces conventions peuvent-elles

présenter un intérêt pour la juridiction pénale ? Un rapprochement de ces codes de la notion

d’usage est une entreprise pavée d’obstacles quoique la notion d’usage commercial puisse être

un point de ralliement (α). Le juge répressif a eu la possibilité d’utiliser ces conventions dans

quelques affaires (β). La généralisation de la qualification d’usage présenterait donc quelques

intérêts (χ).

α - Un rapprochement pavé d’obstacles.

170. La qualité d’usage de certains codes pose moins de problème lorsque

ceux-ci s’intitulent eux-mêmes comme tels et constituent effectivement la rédaction de modes

de travail régionaux ou anciens. Nous pensons aux codes réunissant les usages en matière de

charcuterie, de produits de dinde, ou ceux, plus récents, concernant la production de viandes

bovines. La qualification d’usage est en revanche beaucoup moins évidente en ce qui concerne

les diverses conventions de bonne conduite en matière commerciale et tout particulièrement

les codes élaborés au plan international.

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174

Les auteurs rapprochent ou comparent les codes Incoterms de la Chambre de

Commerce Internationale de la Lex mercatoria ou des principes d’Unidroit134. Ni la Lex

mercatoria, ni les Principes d’Unidroit ne contiennent de règles susceptibles d’être

sanctionnées pénalement en droit français. Mais une comparaison des Incoterms avec ces

autres institutions permet de définir leur nature. Les principes d’Incoterms sont comparables à

la Lex mercatoria aux contours imprécis, puisqu’ils sont élaborés par les milieux

professionnels du commerce international, comme la Lex mercatoria, et spontanément suivis

par ces milieux135. Ce rapprochement permettrait aux codes la Chambre de Commerce

Internationale de recevoir le qualificatif d’usages commerciaux. Les Incoterms peuvent aussi

être rapprochés des principes Unidroit, élaborés par l’Institut international pour l’unification

du droit privé, qui proposent des règles de droit unifiées pour tous les contrats

internationaux136. Le rapprochement avec les Principes d’Unidroit, en revanche, éloigne les

Incoterms de la qualification d’usages commerciaux, car ces Principes sont une sorte de loi

modèle ou d’étude de droit comparé, plus que d’une codification adressée à des

professionnels137 difficilement comparables aux usages commerciaux. De plus, les Principes

publiés en 1994138 furent élaborés par une organisation internationale composée de

délégations d’Etat139 et non par des professionnels comme le voudrait la qualité d’usage

commercial et comme le sont les Incoterms. Dès lors, ils s’adressent davantage aux Etats,

comme modèle législatif140, qu’aux opérateurs internationaux auxquels ils ne seront appliqués

que s’ils sont expressément mentionnés dans le contrat141. La démarche est différente de celle

des Incoterms qui, certes, recommandent aux Etats de s’inspirer de leurs recommandations

pour l’harmonisation des législations, mais s’adressent essentiellement aux contractants.

Ceci suggère une première distinction entre les divers codes de bonne conduite,

selon deux critères : la composition de l’organisme qui les élabore et la qualité de leur

destinataire. La Chambre de Commerce Internationale est une organisation professionnelle

qui, dans ses codes, s’adresse aux contractants du droit commercial international. Si cette

organisation s’adresse parfois aux Etats à fins de recommandations, ce n’est que lorsque ses

membres en ressentent le besoin. Son objectif consiste davantage en la préparation de textes

134 L’existence de ces codes de la CCI serait même une des preuves de l’existence de la Lex mercatoria. C. Kessedjian, Un exercice de rénovation des sources du droit des contrats du commerce international : les Principes proposés par l’Unidroit, Rev. crit. DIP 1995, p. 641, n° 46 et s. C. Larroumet , La valeur des Principes d’Unidroit applicables aux contrats du commerce international, JCP 1997, I, 4011. J. Stoufflet, L’œuvre normative de la chambre de commerce internationale dans le domaine bancaire, Etudes B. Goldman, p. 361. 135 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF 1998, V° Lex mercatoria. 136 Principes relatifs aux contrats du commerce international, publication d’Unidroit, Rome, 1994. Sur ces principes, voir par exemple J.-P. Béraudo, Les principes d’Unidroit relatifs au droit du commerce international, JCP 1995, I, 3842 ; C. Larroumet , La valeur des principes d’Unidroit applicables aux contrats du commerce international, JCP 1997, I, 4011 ; G. Rouhette, Les codifications du droit des contrats, Droits 1996, n° 24, p. 113, spéc. p. 114 et s. 137 C. Kessedjian, préc., n° 13 et 22. 138 Notamment au JCP 1995, III, 67399. 139 C. Kessedjian, préc., n° 2, 6 et 11. 140 Préambule alinéa 1, 5 et 6, Principes d’Unidroit, JCP 1995, III, 67399. 141 Principes d’Unidroit, Préambule alinéa 2, préc.

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de codification privée des usages du commerce international142. Les Incoterms se rapprochent

à cet égard de la notion d’usage commercial143. Il en est de même pour les divers codes

élaborés par des organisations professionnelles telles que le Syndicat français des entreprises

de vente par correspondance, ou l’Association Européenne de vente par correspondance qui

regroupe, au plan européen, les organismes nationaux regroupant les professionnels.

171. Pourtant, le statut d’usage commercial n’est pas acquis pour autant.

Sont éventuellement admis, pour caractériser la culpabilité pour tromperies, certains usages

suffisamment constants : viande « cacher », usage concernant l’appellation traditionnelle du

miel, de gâteaux, etc. Dans l’arrêt de 1967, le pourvoi proteste, arguant qu’un usage, à

supposer qu’il puisse entraîner l’application d’une sanction pénale, doit être établi et non pas

affirmé. La Cour de cassation effectivement relève que la tradition sur laquelle se sont

appuyés les juges du fond est, à la fois, un « usage loyal et constant du commerce » et un

« usage du consommateur ». L’élément de durée semble important. Dès lors, il paraît douteux

que la juridiction pénale tienne compte des divers codes d’apparition récente, tels que ceux

élaborés par la Chambre de Commerce Internationale, ou tout autre code déjà évoqué et qui

traite de situations relativement nouvelles : les traitements d’informations par fichier

informatique ou les contrats de franchises ne peuvent être soupçonnés de procéder de

pratiques ancestrales144. Seules quelques dispositions des codes de la Chambre de Commerce

Internationale peuvent se prévaloir d’une certaine ancienneté : les premières dispositions

concernant la vente par correspondance datent de 1937. Cependant, il a été soutenu que,

compte tenu de la rapidité des moyens d’informations modernes, cette durée ne serait plus

nécessaire145. Cette idée, quoique fort contestée146, fut soutenue au sujet des « accords de

Grenelle » en 1968 : ces accords signés pour mettre fin à une grève paralysant le pays furent

appliqués de façon générale quoique aucune convention n’ait été signée. Les codes de

déontologie sont écrits et souvent signés, ce qui leur donne une notoriété, assure leur

constance et permet leur généralité147. Leur contenu implique, qui plus est, que chaque

professionnel considère ces règles comme s’imposant à lui. Ainsi, selon M. Goldman, les

clauses d’un contrat-type pourraient devenir règles coutumières, « puisant leur effectivité dans

le consensus de la profession »148. La jurisprudence ne semble pas accorder une importance

capitale à l’élément de durée en ce qui concerne les usages commerciaux puisqu’elle qualifie

comme tel des pratiques courantes entre deux entreprises. Dès lors, que ces conventions de

bonne conduite recommandent le respect de pratiques traditionnelles ou des comportements

142 C. Kessedjian, préc., n° 17. 143 Dans ce sens, notamment : J. Stoufflet, préc., p. 361. 144 Dans ce sens, G. Farjat , Réflexions sur les codes de conduite privés, Etudes B. Goldman, Litec 1982, p. 54. 145 B. Starck, Réflexion sur les sources informelles du droit, JCP 1970, I, 2363. Voir aussi G. Farjat , préc, p. 62. 146 J. Ghestin, Traité de droit civil, introduction générale, LGDJ 1994, 4ème éd., n° 544. 147 Quoique G. Farjat , préc., p. 55, observe que « Coutumes et usages sont censés venir de nulle part, or les Codes sont signés ! ». 148 B. Goldman, Frontière du droit et lex mercatoria, APD, T. IX, p. 180.

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devant s’imposer naturellement à certains professionnels, elles semblent bien pouvoirs être

qualifiées d’usages149.

172. Cependant, la jurisprudence de la chambre criminelle se montre peu

inspirée par ces codes internationaux. L’arrêt du 4 mars 1971 de la chambre criminelle de la

Cour de cassation150 semble peu favorable à leur assimilation à des usages commerciaux.

Dans cette affaire de fraude concernant du safran faussement qualifié de « pur », le pourvoi

invoquait au titre des « usages loyaux du commerce » un projet d’unification des

réglementations élaboré par l’Organisation internationale de normalisation. En réponse, la

Cour de cassation a clairement distingué les « usages constants et loyaux du commerce », dont

elle affirme qu’aucun n’a été invoqué par le pourvoi, et ce projet d’unification des

réglementations, référence écartée car purement éventuelle et dépourvue de pertinence. Doit-

on en conclure que les codes mis au point par la Chambre de Commerce Internationale,

cherchant précisément à servir l’harmonisation des législations, seront considérés de la même

manière par les juridictions répressives ? S’ils ne peuvent être considérés comme usages

commerciaux, aucune application directe par la juridiction pénale n’est envisageable.

Cependant, il est possible que la Cour de cassation ait rejeté la qualification d’usage en raison

du faible degré d’avancement de ces travaux qui n’en étaient qu’au stade de « projet » au

moment où ils furent invoqués devant les juges. Un seul arrêt à notre connaissance donne un

avis sur la nature des « Incoterms » et c’est la qualification d’usage commercial qui est

retenue. Il s’agit d’un arrêt de rejet de la chambre commerciale de la Cour de cassation, en

date du 2 octobre 1990 qui affirme : « les parties peuvent déroger librement par des

stipulations particulières aux règles dites "Incoterms", lesquelles résultent uniquement des

usages commerciaux »151. Il serait donc possible de qualifier d’usages ces conventions de

bonne conduite élaborées par des professionnels152.

173. Un autre obstacle s’oppose à la qualification d’usage : les auteurs

s’accordent pour affirmer que ces codes ne sont applicables aux contractants que s’ils les

visent expressément dans leurs contrats153. De véritables usages commerciaux devraient

s’appliquer automatiquement en cas de carence ou d’absence de loi applicable. On ne

peut exclure que les auteurs se trompent sur ce point et que ces codes s’appliquent

automatiquement en cas de carence ou d’absence de solution légale. Ces conventions, si elles

doivent être qualifiées d’usages commerciaux, s’appliqueront lorsque la loi ne permet pas

149 Auquel cas ils sont inférieurs à la loi française, comme tous les usages internationaux, conformément à ce qu’a pu affirmer le Conseil d’Etat, le 6 juin 1997 (arrêt Aquarone), JCP 1997, II, 22945. 150 Cass. crim., 4 mars 1971, Bull. crim. n° 76. 151 Cass. crim., 2 octobre 1990, Bull. crim. n° 222. 152 Dans le sens d’une qualification de ces codes en usages, G. Farjat , Réflexions sur les codes de conduite privés, Etudes B. Goldman, Litec 1982, p. 61 et 62. 153 C. Kessedjian, préc., n° 49 ; C. Larroumet , préc. n° 3.

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d’apporter une solution au litige et si les contractants eux-mêmes n’ont prévu aucune clause

qui s’oppose et l’emporte face aux dispositions usuelles.

Un arrêt de la chambre commerciale du 29 juin 1993 permet cependant de

douter de cette solution en ce qui concerne un des codes établis par la Chambre de commerce

internationale : dans un litige opposant la société Havas Média à la société Oberlin Produits

Services Diffusion, la chambre commerciale retient que « la société OPSD ne faisait pas

partie de la chambre syndicale de la publicité extérieure qui avait édicté un "Code de

pratiques loyales en matière d’exploitation d’emplacements publicitaires",... ne pouvait se

voir imposer une obligation qui lui était contractuellement étrangère »154. M. Osman conclut

que, si l’adhésion au code est volontaire, sa force obligatoire « ne peut être que celle d’une

convention, avec l’effet relatif qui s’y attache en vertu de l’article 1165 du Code civil »155.

L’auteur relève cependant que cet arrêt est critiquable justement en raison de sa « vision

contractualiste de l’ordre juridique privé » : d’autres arrêts répondent favorablement aux

demandeurs qui invoquent l’article 1382 du Code civil, « supputant que le Code de conduite

traduisait un standard de comportement », ou des « usages-règles ». Ces « usages »

s’appliqueraient de façon générale aux professionnels visés par les codes, mais seulement à

eux156.

Ces codes, parce qu’ils recommandent des pratiques souvent déjà existantes et

parce qu’ils sont généralement bien acceptés et respectés par les professionnels, peuvent être

rapprochés de la notion d’usage. Il existe quelques traces de ces conventions de bonne

conduite non officialisées dans la jurisprudence pénale qui les a qualifiées d’usages

commerciaux.

β - Quelques cas d’utilisation de ces conventions de bonne conduite par le juge

pénal.

174. Quoique les arrêts ne donnent aucune origine explicite à cette évolution,

il est probable que certains ajouts opérés par les juridictions répressives à l’article 44-I de la

loi Royer du 27 décembre 1973 sur la publicité mensongère, le furent sous l’influence de

Codes de bonne conduite. Cette disposition, devenue l’article L. 121-1 du Code de la

consommation, souffre d’un tel manque de précision dans ses éléments d’incrimination que

les juges ont dû, peu à peu, en préciser les modalités d’application. Alors que le texte ne fait

nullement référence aux capacités de compréhension ou au comportement du destinataire de la

publicité litigieuse, les juges ont dû recourir à ces critères afin de mesurer le caractère

trompeur des publicités particulièrement emphatiques. La jurisprudence a introduit la notion

154 Cass. com. 29 juin 1993, Quot. jur. 4 janvier 1994, p. 4. 155 F. Osman, Réflexion sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ. 1995, p. 523. 156 P. Fouchard, Les usages, l’arbitre et le juge, Etudes B. Goldman, Litec 1982, p. 67, spéc. p. 78.

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de « consommateur moyen », ou celle de « consommateur non-initié »157. Il est probable que

cet ajout aux dispositions légales s’opéra sous l’influence des consignes données par le

Bureau de Vérification de la Publicité, lui-même inspiré du code de pratiques loyales en

matière de publicité créé par la Chambre de commerce internationale158.

Toujours en matière de publicité mensongère, le juge a pu qualifier cette

infraction en constatant qu’une charte invoquée dans de nombreuses publicités, n’était pas

respectée par ses membres : en l’espèce, la « Chartes du boulanger authentique » fut qualifiée

de publicité mensongère car dix boulangers pris au hasard ne respectaient pas entièrement

leurs engagements sur les règles d’hygiène et de fabrication159.

La publicité n’est pas le seul domaine du droit pénal des contrats où le juge

qualifie l’infraction grâce à des conventions. Le domaine des fraudes est, à cet égard, un

terrain privilégié. Le « Code des usages de la charcuterie et des conserves de viande » fut

publié en 1969 et réactualisé en 1986. Il existe aussi un « Code des bonnes pratiques des

produits élaborés à base de dinde » datant de 1980. Ces deux codes sont reconnus par la

direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes160 et

ont donc valeur de règlements administratifs. De façon plus inattendue, ils bénéficient d’une

certaine reconnaissance devant les juridictions pénales puisqu’ils apparaissent dans plusieurs

arrêts parmi les éléments servant à caractériser des fraudes. La Cour de cassation a même

confirmé que ces codes s’appliquent à tout produit commercialisé en France, même s’il est

fabriqué à l’étranger : ces réglementations n’entraînent pas un régime discriminatoire pour les

producteurs français qui ne peuvent y échapper en invoquant l’interdiction des discriminations

posée par le Traité de Rome161. Cependant, la chambre criminelle n’assimile pas ces codes à

une réglementation mais à des faits : dans son arrêt du 12 décembre 1991162, elle affirme la

souveraineté des juges du fond quant à l’interprétation des éléments de fait, « parmi lesquels

les usages ». Il est sans doute abusif de leur conférer une valeur légale, comme nous le

suggérons dans notre titre. Ces codes ne contribuent à la caractérisation de fraude qu’en tant

que simples usages commerciaux, leur reconnaissance par l’administration n’étant jamais

soulignée que par les juges du fond163.

157 Cass. crim., 25 juin 1984, Bull. crim. n° 184 ; D. 1984, p. 490. Ainsi, l’arrêt du 21 mai 1984 de la chambre criminelle approuve la relaxe du prévenu par référence « à l’optique du consommateur moyen » et en tenant compte « du degré de discernement et du sens critique de la moyenne des consommateurs » ; en l’espèce, « l’outrance ou l’exagération de l’image publicitaire ne peut finalement tromper personne ». Cass. crim., 21 mai 1984, D. 1985, p. 105 ; voir aussi, Cass. crim. 5 avril 1990, D. 1990, IR. 145. 158 En ce sens, F. Osman, Réflexion sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ. 1995, p. 525. 159 Cass. crim., 15 décembre 1992, Bull. crim. n° 420. 160 Cass. crim., 7 février 1994, Bull. crim. n° 54 ; 20 décembre 1995, pourvoi n° 95-80.198. 161 Cass. crim., 2 février 1994, Bull. crim. n° 51. 162 Cass. crim., 12 décembre 1992, pourvoi n° 90-86.496. 163 Voir dans l’arrêt Cass. crim., 7 février 1994, Bull. crim. n° 54, les arguments de la cour d’appel de Poitiers. La chambre criminelle confirma ainsi la condamnation pour infraction à la loi de 1905, du fabricant d’un jambon dit « au torchon » qui n’avait pas été cuit dans un bouillon ainsi que l’exige le code des usages de la charcuterie (Cass. crim., 24 août 1993, pourvoi n° 92-86.556). De même, la fraude d’un fabricant d’andouille « de Vire » fut caractérisée grâce à ce même code de la charcuterie, car l’andouille en question n’avait pas été « assemblée en forme elliptique », ni « fumée lentement », comme l’exige le code, mais constituée au poussoir mécanique et fumée par incorporation d’arôme (Cass. crim., 12 décembre 1991, pourvoi n° 90-86.496). Il y eut encore condamnation pour fraude à l’encontre d’un fabricant qui n’avait pas respecté le taux d’humidité maximal imposé

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Mais il semble que la Cour de cassation évite de passer par ces usages

« officiels », si elle le peut : ainsi, dans une affaire ou les deux codes étaient en concurrence

puisqu’il s’agissait d’un « Jambon de dinde », les juges de la Cour de cassation se sont

contentés d’affirmer que la dénomination ne présentait pas de risque de confusion pour le

consommateur, ce qui est un élément constitutif de l’infraction164 ; ils n’ont pas tranché le

débat entre la cour d’appel qui affirmait que le code de la charcuterie s’appliquait et donc,

interdisait l’utilisation de la dénomination « jambon » pour toute viande autre que la

musculature du membre postérieur du porc ou du sanglier et le pourvoi qui invoquait

l’application à sa viande de dinde du code des produits de dinde.

L’utilisation par la juridiction pénale des accords conclus entre les

professionnels de la filière de la viande rouge bovine, dans la qualification de fraude ou

falsification sera d’autant plus aisée que cet accord a été étendu par arrêté ministériel. Il

pourrait bénéficier du même type de reconnaissance légale que les conventions collectives en

droit du travail.

175. Sans forcément les utiliser, la juridiction pénale peut asseoir les règles

professionnelles en précisant leur définition. La Cour de cassation a ainsi conforté une

pratique des vendeurs par correspondance pourtant critiquable consistant à délivrer au client

une chose très proche de la commande en cas d’impossibilité de livrer la chose initialement

demandée165. Ainsi, la Cour a pu déclarer que « les règles professionnelles concernant la

pratique des articles de substitution ne dispensent pas la société de vente par correspondance

de respecter la législation sur la publicité trompeuse »166 : la prévenue avait présenté

indifféremment deux articles vestimentaires qui différaient par la composition, en sachant

qu’elle ne pourrait satisfaire aux commandes de l’article auquel correspondait réellement la

présentation. La règle professionnelle n’est pas désapprouvée, elle peut perdurer ; les juges

exigent seulement que soit indiquée la composition exacte des produits présentés et que le

remplacement de l’objet commandé ne soit pas prémédité et organisé.

Le juge pénal a parfois utilisé des codes de bonne conduite non officiels, en

passant par la notion d’usages. Une généralisation de cette qualification d’usage présenterait-t-

elle un intérêt pratique pour le juge répressif ?

par ce même code (Cass. crim., 2 février 1994, Bull. crim. n° 51). La condamnation pour fraude et dénomination trompeuse fut encore admise à l’encontre du vendeur d’un « Rôti de dinde », préparée avec du sel nitrité, car le code des usages des produits de dinde interdit l’utilisation de ce sel nitrité (Cass. crim., 20 décembre 1995, pourvoi n° 95-80. 198). 164 Cass. crim., 7 février 1994, Bull. crim. n° 54. 165 Voir supra n° 140, pour un rapprochement avec la vente forcée. 166 Cass. crim., 10 janvier 1996, pourvoi n° 95-81. 307.

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180

χ - Intérêt de cette qualification d’usage.

176. La rareté de ces conventions de bonne conduite dans la jurisprudence

répressive est peut-être due au fait qu’elles ont peu apporté à l’application des textes

d’incrimination déjà existants. Si ces recueils de règles privées jouent un rôle, c’est en

atténuant peut-être le volume du contentieux, dans la mesure où ils rappellent aux

professionnels les règles essentielles à respecter.

Cependant, si ces conventions n’ajoutent guère d’éléments matériels aux

dispositions pénales existantes, elles pourraient s’avérer de plus en plus utiles si le législateur

persiste à définir de façon très vague certaines infractions. Pour caractériser une fraude fiscale,

un arrêt avait dû recourir aux usages : « Les documents comptables n’étaient pas conformes

aux exigences légales et usages professionnels ... et ne constituaient pas la comptabilité

complète régulière et probante exigée par les articles 8 et 9 du Code de commerce »167. Il en

est de même en matière de publicité mensongère ou pour certaines tromperies168. Les

conventions permettent aux juges de mesurer la faute-élément matériel à l’aune d’un standard

professionnel. Notons que le principe de légalité criminelle en est d’autant plus affecté

puisque ces règles sont vouées à une évolution permanente169.

Ces conventions de bonne conduite pourraient se révéler fort utiles en ce qui

concerne la caractérisation de l’élément moral des infractions. L’existence de ces conventions

d’autodiscipline, leur connaissance par l’accusé et éventuellement, s’il y a lieu, l’adhésion à

ces conventions, permettraient de caractériser l’élément moral d’un comportement

matériellement infractionnel170.

177. Quoi qu’il en soit, si ces conventions de bonne conduite peuvent être

d’une quelconque utilité aux juridictions répressives, il est probable que celles-ci n’hésiteront

pas à les utiliser, d’autant que le législateur lui-même s’y est jadis montré favorable. Une loi

pénale aujourd’hui abrogée ouvrait une possibilité de tenir compte des usages commerciaux

pour caractériser le délit de pratique de prix illicite. En effet, l’article 37 - 1 de l’ordonnance

de 1945 précisait : « Est assimilé à la pratique de prix illicite le fait : 1- Par tout producteur,

commerçant, industriel ou artisan : a) de refuser de satisfaire, dans la mesure de ses

disponibilités et dans les conditions conformes aux usages commerciaux, aux demandes des

167 Cass. crim., 22 mai 1991, pourvoi n° 90-82. 852. 168 Voir supra n° 172. 169 M. Bettati , Réflexions sur la portée du Code international de conduite pour le transfert de technologie : éloge de l’ambiguïté, in Droit et libertés à la fin du XXe siècle. Influence des données économiques et technologiques, Etudes C.-A. Colliard, Pédone, 1984, p. 102. 170 Un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 16 décembre 1987 relève, dans cet ordre d’idée, l’existence d’usages commerciaux entre deux entreprises ; elle en déduit, considérant le contenu de ces usages, que l’élément intentionnel de l’infraction d’usage de faux n’est pas suffisamment caractérisé. Notons toutefois que la Cour de cassation a censuré cet arrêt le 14 mars 1989 (Pourvoi n° 88-80.035) car les juges du fond n’avaient pas examiné tous les chefs d’inculpation. Cette méthode des juges du fond n’a pas reçu d’approbation explicite de la part de la chambre criminelle.

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181

acheteurs ... ». Le délit pouvait être constitué, par exemple, si le vendeur n’accordait pas à

l’acheteur les délais de paiement habituels.

Certes, on peut se réjouir de ce que ces codes reflètent une certaine

moralisation des rapports privés171 ; leur prise en compte par le juge pénal profite à l’efficacité

de textes de droit insuffisants et ils visent à protéger des contractants faibles : le franchisé, le

consommateur, etc. La perspective d’une intervention de la juridiction pénale garantit même,

en ce cas, le respect des codes de bonne conduite dont on ne peut espérer une réelle

application qu’entre contractants de force économique comparable172. Selon M. Farjat,

« l’intervention de l’Etat serait plutôt justifiée par les carences des codes que par leur

présence ». Il demeure cependant que le principe fondateur et démocratique du droit pénal

qu’est la légalité criminelle risque d’être une fois de plus mis à mal.

Par ailleurs, alors que ces conventions de bonne conduite participent à la

contractualisation de la société, la réappropriation de ce droit non-étatique173 par les diverses

juridictions nie cette dimension et empêchera nécessairement leur évolution, alors que la

malléabilité procède de leur nature. Le « Groupe de personnalités de l’ONU » rejoint cette

idée lorsqu’il affirme : « Un code de conduite peut être un ensemble global de

recommandations qui sont élaborées progressivement et qui peuvent être révisées lorsque

l’expérience et les circonstances le justifient »174. C’est ce caractère évolutif qui conduit les

auteurs à parler de « droit vert », « droit mou », « droit créé en douceur »,...175.

Puisque les codes préviennent les infractions en suppléant les textes,

l’effectivité des textes de loi pénale elle-même n’est pas affectée. Cependant, on peut penser

que l’activité des juridictions pénales diminue en même temps que le nombre d’infractions

constatées. Comme les juges ne sont pas en mesure de mettre les menaces de l’Etat à

exécution et jouent le seul rôle d’épouvantail, l’œuvre normative des sujets de droit parvient à

faire régner un « droit de bonne foi »176.

171 Quoique les auteurs rappellent que Durkheim contestait l’existence d’une morale professionnelle qui n’existerait « qu’à l’état rudimentaire » ; De la division du travail social, préface de la 2ème éd., PUF, 1996, p. II. Cité par G. Farjat , préc., p. 64 ; F. Osman, préc., p. 512 ; M. Delmas-Marty, Droit pénal des affaires, T. I, PUF Thémis 1990, p. 37. 172 G. Farjat , Réflexions sur les codes de conduite privés, in Le droit des relations économiques internationales, études B. Goldman, Litec 1982, p. 66. 173 Auquel les Etats sont favorables, comme le démontre G. Farjat , préc., p. 57. 174 Doc. ONU E /5500, p. 62, cité par G. Farjat , préc., p. 48. 175 G. Farjat , préc. , p. 48 ; F. Osman, préc., p. 509. 176 P. Gothot, Le non-droit : précautions introductives, Séminaire de Liège sur L’hypothèse du non-droit, 1978, p. 31. Voir G. Farjat , préc., p. 60.

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182

Conclusion du chapitre II.

178. Les réactions hostiles au développement du droit pénal en matière

d’inexécution contractuelles sont démenties par les faits. Les quelques mesures de

dépénalisation n’affectent guère la répression puisque de nouvelles incriminations remplacent

les anciennes et les sanctions, tout aussi sévères, sont confiées à des organismes administratifs

spécialisés. La responsabilité des personnes morales, tout en permettant parfois d’éluder la

responsabilité de personnes physiques, confirme la nécessité du droit pénal des affaires. Un

solide appui pénal est apporté à la responsabilisation des contractants, que les conventions

d’autodiscipline cherchent à relayer auprès des professionnels concernés. En effet, si des

tentations abolitionnistes sous-tendent certainement la rédaction de ces conventions, leur

étude attentive montrent que, en réalité, elles ne font que relayer les textes répressifs, œuvrent

à leur diffusion auprès des professionnels et cherchent à accroître leur sens des

responsabilités.

Les infractions intéressant l’inexécution de la convention permettent donc à la

juridiction pénale d’apporter son soutien à l’article 1134 du Code civil, que l’inexécution soit

incriminée, que l’obligation (de sécurité par exemple) soit évoquée au détour d’une infraction

ou que les conventions soient utilisées par le juge pour compléter la loi pénale. Les

juridictions répressives peuvent ainsi participer aux grandes évolutions du droit de

l’inexécution telles que l’émergence de la notion de fait générateur, de nouvelles obligations

prétoriennes, de la protection du contractant faible, etc.

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183

Conclusion du titre I.

179. La juridiction pénale détient de considérables pouvoirs dans la

formation comme dans l’exécution des conventions. Il peut participer aux grandes évolutions

du droit des conventions et même les initier, grâce au rôle normatif du droit pénal177. Ainsi,

l’équilibre des contractants et des prestations constitue un butoir à l’autonomie de la volonté :

la plus grande attention est portée aux contractants faibles économiquement, techniquement

ou physiquement ; les incriminations traquent les abus de faiblesse en tout genre, assurent la

durabilité du consentement. La loi pénale participe à la responsabilisation des contractants :

ceux-ci doivent se comporter de façon intègre, loyale, en assurant la meilleure information

possible, tout en fixant les bornes de ce qui est acceptable pour eux-mêmes ; peu à peu le droit

pénal conforte la disparition des objets illicites, le « forçage » du contrat, l’évolution des

rapports de pouvoir. Les contractants prennent peu à peu conscience de leurs obligations ; par

crainte des représailles judiciaires, chaque corps professionnel élabore des conventions, dont

le juge pénal peut parfois avoir connaissance. Les incriminations classiques intéressant le droit

des contrats bénéficient d’une bonne effectivité dans le contentieux et s’il n’en est pas encore

de même des textes plus récents, leur utilisation est croissante : le droit pénal des contrats est

utile, dynamique et générateur de progrès ; il n’est ni « enflé », ni « dévoyé », ni handicapant.

Notons enfin que de nombreux éléments tendent à gommer la distinction académique entre

formation et exécution du contrat : l’allongement de la durée de formation du contrat,

l’identité d’objectif, de textes d’incrimination, de sources légales, d’effectivité.

Ces pouvoirs importants confrontent nécessairement les juges répressifs aux

diverses notions du droit civil des contrats, celles-ci intervenant nécessairement dans l’œuvre

de qualification des infractions : le juge doit parfois se prononcer sur l’existence d’un contrat,

d’une qualité de contractant (consommateur, commerçant,…) ; il doit évaluer l’influence qu’a

eu la convention sur les prétentions de la victime ou de l’accusé, repousser ou accueillir cette

influence. La célèbre autonomie du droit pénal est, certes, une réalité, mais n’a rien de

systématique. Les juridictions répressives appréhendent de façon rigoureuse et indépendante

les notions du droit civil des conventions, grâce à leurs pouvoirs normatifs178.

177 Voir supra n° 19 et s. 178 Voir supra n° 21 et s.