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MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 74 E ANNÉE– N O 22907 2,60 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,30 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,30 €, Belgique 2,90 €, Cameroun 2 200 F CFA, Canada 5,40 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 200 F CFA, Danemark 34 KRD, Espagne 3,10 €, Gabon 2 200 F CFA, Grande-Bretagne 2,60 £, Grèce 3,20 €, Guadeloupe-Martinique 3,10 €, Guyane 3,20 €, Hongrie 1 050 HUF, Irlande 3,10 €, Italie 3,10 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,90 €, Malte 2,70 €, Maroc 19 DH, Pays-Bas 3,20 €, Portugal cont. 3,10 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 200 F CFA, Slovénie 3,20 €, Saint-Martin 3,20 €, Suisse 4,00 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,20 DT, Afrique CFA autres 2 200 F CFA LE REGARD DE PLANTU Entreprises Examen de la loi Pacte à l’Assemblée le projet de loi Plan d’action pour la crois- sance et la transformation des entreprises (Pacte) doit être examiné en commission par les députés à partir du 5 septembre, avant le dé- bat de la fin du mois. Le texte, de près de mille pages, embrasse à la fois la durée des soldes, le plafonnement des frais bancaires, les levées de fonds ou la privatisation d’Aéroports de Paris CAHIER ÉCO – PAGE 4 Des pièces inestimables, dont le plus vieux sque- lette d’ « Homo sapiens » d’Amérique du Sud et des sarcophages égyptiens, ont été détruites par les flam- mes, lundi 3 septembre. PAGE 17 Patrimoine Terribles pertes, après l’incendie du Musée de Rio Iannis Roder, professeur en Seine-Saint-Denis, et Benoît Falaize, inspecteur général de l’éducation nationale, comparent leurs points de vue PAGE 20 Débats La laïcité est-elle vraiment en danger à l’école ? La province d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, est la dernière enclave tenue par les djihadistes et les rebel- les. Elle abrite près de trois millions de civils, et l’affrontement annoncé risque de tourner au bain de sang. Les Occidentaux semblent réduits à l’impuissance face à la machine de guerre des Russes et du régime PAGES 2-3 ET ÉDITORIAL – PAGE 22 Syrie Idlib redoute l’assaut final du régime Enquête sur les projets d’attentats de l’ultradroite Deux mois après l’inter- pellation de treize mem- bres d’un groupuscule d’extrême droite, « Le Monde » revient sur leurs projets terroristes Lors de leurs premières auditions par la justice, les membres d’Action des for- ces opérationnelles (AFO) ont décrit leurs préparatifs et repérages de cibles Meurtres d’imams radi- caux, attaques de mos- quées intégristes, empoi- sonnement de nourriture halal dans les supermar- chés étaient envisagés Les mis en examen ne sont pas des marginaux ou skinheads. Agés de 32 à 69 ans, ils sont anciens militaires ou policiers, enseignant, infirmière… Ils affirment qu’ils ne s’agissaient là que d’élucu- brations et qu’ils n’avaient pas réellement l’intention de passer à l’acte PAGES 6-7 SCIENCE & MÉDECINE – SUPPLÉMENT L’OCYTOCINE, DÉROUTANTE « HORMONE DE L’AMOUR » Israël L’indéfectible soutien des évangéliques américains PAGE 4 Argentine Un plan d’austérité après la chute du peso et l’explosion de l’inflation CAHIER ÉCO – PAGE 5 Cinéma « Shéhérazade », périlleuse et passionnelle liaison à Marseille PAGE 14 AUX RACINES DE LA La pauvreté frappe plus de 13 % des Fran- çais mais près de 20 % des moins de 18 ans, qui vivent avec 1 015 euros par mois pour une personne Le système de redis- tribution a cependant amorti les effets de la crise, et la France, après un pic en 2012, se situe dans la moyenne de l’Europe A la « pauvreté mo- nétaire » s’ajoutent un accès limité à la santé, une alimenta- tion peu saine et un mal-logement pour 4 millions de Français Alors que le gouver- nement prépare un plan d’action contre « les inégalités de des- tin », le premier volet de notre enquête CAHIER ÉCO – PAGES 2-3 PAUVRETÉ EN FRANCE CEFAM WITH REACH YOUR INTERNATIONAL BUSINESS AMBITIONS ÉCOLE INTERNATIONALE DE MANAGEMENT. PROGRAMMES DU BAC AU MBA. 100% DOUBLE-DIPLÔME // FRANCE / ÉTATS-UNIS. • Titre certifé Niveau 1 par l’État. • BBA et MBA. EN ASSOCIATION AVEC DES UNIVERSITÉS AMÉRICAINES ACCRÉDITÉES PAR L’AACSB Contact : Maude Foyatier - 04 72 85 73 63 - [email protected] www.cefam.fr CONCOURS : Rentrée de janvier 2019 Vendredi 26 octobre 2018 Samedi 24 novembre 2018

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MERCREDI 5 SEPTEMBRE 201874E ANNÉE– NO 22907

2,60 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR ―

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,30 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,30 €, Belgique 2,90 €, Cameroun 2 200 F CFA, Canada 5,40 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 200 F CFA, Danemark 34 KRD, Espagne 3,10 €, Gabon 2 200 F CFA, Grande-Bretagne 2,60 £, Grèce 3,20 €, Guadeloupe-Martinique 3,10 €, Guyane 3,20 €, Hongrie 1 050 HUF, Irlande 3,10 €, Italie 3,10 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,90 €, Malte 2,70 €, Maroc 19 DH, Pays-Bas 3,20 €, Portugal cont. 3,10 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 200 F CFA, Slovénie 3,20 €, Saint-Martin 3,20 €, Suisse 4,00 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,20 DT, Afrique CFA autres 2 200 F CFA

LE REGARD DE PLANTU

Entreprises Examen dela loi Pacte à l’Assembléele projet de loi Plan d’action pour la crois-sance et la transformation des entreprises (Pacte) doit être examiné en commission par les députés à partir du 5 septembre, avant le dé-bat de la fin du mois. Le texte, de près de mille pages, embrasse à la fois la durée des soldes, le plafonnement des frais bancaires, les levées de fonds ou la privatisation d’Aéroports de ParisCAHIER ÉCO – PAGE 4

Des pièces inestimables, dont le plus vieux sque-lette d’ « Homo sapiens » d’Amérique du Sud et des sarcophages égyptiens, ont été détruites par les flam-mes, lundi 3 septembre.PAGE 17

PatrimoineTerribles pertes, après l’incendiedu Musée de Rio

Iannis Roder, professeur en Seine-Saint-Denis, et Benoît Falaize, inspecteur général de l’éducation nationale, comparent leurs points de vuePAGE 20

DébatsLa laïcité est-elle vraiment en danger à l’école ?

La province d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, est la dernière enclave tenue par les djihadistes et les rebel-les. Elle abrite près de trois millions de civils, et l’affrontement annoncé risque de tourner au bain de sang. Les Occidentaux semblent réduits à l’impuissance face à la machine de guerre des Russes et du régime

PAGES 2-3 ET ÉDITORIAL – PAGE 22

SyrieIdlib redoutel’assaut finaldu régime

Enquête sur les projets d’attentats de l’ultradroite▶ Deux mois après l’inter-pellation de treize mem-bres d’un groupuscule d’extrême droite, « Le Monde » revient sur leurs projets terroristes

▶ Lors de leurs premières auditions par la justice, les membres d’Action des for-ces opérationnelles (AFO) ont décrit leurs préparatifs et repérages de cibles

▶ Meurtres d’imams radi-caux, attaques de mos-quées intégristes, empoi-sonnement de nourriture halal dans les supermar-chés étaient envisagés

▶ Les mis en examen ne sont pas des marginaux ou skinheads. Agés de 32 à 69 ans, ils sont anciens militaires ou policiers, enseignant, infirmière…

▶ Ils affirment qu’ils ne s’agissaient là que d’élucu-brations et qu’ils n’avaient pas réellement l’intention de passer à l’actePAGES 6-7

SCIENCE & MÉDECINE – SUPPLÉMENT L’OCYTOCINE, DÉROUTANTE « HORMONE DE L’AMOUR »

IsraëlL’indéfectible soutiendes évangéliques américainsPAGE 4

ArgentineUn plan d’austérité après la chute du peso et l’explosion de l’inflationCAHIER ÉCO – PAGE 5

Cinéma« Shéhérazade », périlleuse et passionnelle liaison à MarseillePAGE 14

AUX RACINESDE LA

▶ La pauvreté frappe plus de 13 % des Fran-çais mais près de 20 % des moins de 18 ans, qui vivent avec 1 015 euros par mois pour une personne

▶ Le système de redis-tribution a cependant amorti les effets de la crise, et la France, après un pic en 2012, se situe dans la moyenne de l’Europe

▶ A la « pauvreté mo-nétaire » s’ajoutent un accès limité à la santé, une alimenta-tion peu saine et un mal-logement pour 4 millions de Français

▶ Alors que le gouver-nement prépare un plan d’action contre « les inégalités de des-tin », le premier volet de notre enquêteCAHIER ÉCO – PAGES 2-3

PAUVRETÉEN FRANCE

CEFAMWITH

REACH YOUR INTERNATIONAL BUSINESS AMBITIONS

ÉCOLE INTERNATIONALEDEMANAGEMENT.PROGRAMMES DU BAC AUMBA.100%DOUBLE-DIPLÔME // FRANCE / ÉTATS-UNIS.

•Titre certifié Niveau 1 par l’État.• BBA et MBA.

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Contact : Maude Foyatier - 04 72 85 73 63 - [email protected] www.cefam.fr

CONCOURS :Rentrée de janvier 2019

Vendredi 26 octobre 2018Samedi 24 novembre 2018

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En attendant l’offensive, Idlib vit dans la peurLes habitants de l’enclave sont pris en étau entre la crainte de l’assaut du régimeet une opposition armée dominée par des djihadistes imposant leur loi. Le sort de près de trois millions de personnes dépend de négociations entre Moscou et Ankara

beyrouth - correspondance

Tout au long de l’été, MariamShirout, institutrice de la pro-vince d’Idlib, n’a pas chômé,dispensant, malgré les bruitsde bottes, des cours de rattra-page à ses élèves dans la ville de

Maarat Al-Nouman. L’école où elle enseigne a rouvert ses portes il y a quelques jours.Dans l’enclave tenue par des djihadistes etdes rebelles du Nord-Ouest syrien, « les gens vivent dans la peur d’une attaque du régime,en continuant d’espérer qu’un accord politi-que soit trouvé pour l’éviter », dit la jeunefemme, jointe par WhatsApp.

Le sort d’Idlib se discute en bonne partieentre puissances étrangères. L’enclaveabrite près de trois millions de civils, et unaffrontement militaire, sur un territoireaussi densément peuplé, risque de tournerau bain de sang. « Il n’y a pas de lieu sûr où seréfugier », s’alarme Hossam, un militantcivil installé à Idlib. En cas d’offensive, l’ONU redoute aussi un déplacement massifde population. Ankara, soutien des rebelles,et Moscou, principal soutien militaire durégime, désireux de dessiner à sa façon l’après-guerre en Syrie, poursuivent lesnégociations. Leurs représentants doiventêtre reçus, vendredi 7 septembre à Téhéran,par ceux de l’Iran, autre acteur-clé duconflit syrien.

Depuis la reconquête du sud de la Syriepar les forces loyalistes en juillet, l’étau seresserre sur Idlib, une région agricole mar-ginale avant la guerre, très tôt entrée en ré-bellion contre le pouvoir de Bachar Al-As-sad. On s’attend à ce que l’accalmie relativedes derniers mois vole en éclats à tout mo-ment. Dans la vaste poche, frontalière de la Turquie, l’angoisse monte au fur et à me-sure des mises en garde formulées par le camp prorégime, Moscou en tête. Mariam

Shirout n’hésite pas à parler de « guerre mé-diatique », qui pousse les habitants vers un« épuisement » psychologique.

D’importants renforts de l’armée et de sesmilices supplétives stationnent aux abordsde la province. Des combattants rebelles ont fait sauter des ponts et creusé des tranchées en prévision d’un assaut. Pour les habitants, la peur s’ajoute aux peines du quotidien en-durées depuis des mois, voire des années.Deux habitants sur trois dépendent, poursurvivre, de l’aide humanitaire internatio-nale, convoyée depuis la frontière turque, in-franchissable pour les civils, mais ouverte aux flux de marchandises. « Le chômage est un gros problème », ajoute Hossam. La fer-meture des points de passage, sur la ligne de front, s’accompagne invariablement d’une inflation des prix.

PLUS DE PORTE DE SORTIE

Près de la moitié des habitants de la pro-vince d’Idlib sont des déplacés. La stratégie militaire de Damas a jusqu’ici consisté à re-pousser vers cette enclave les combattants,leurs familles et des civils d’ex-zones rebel-les qui refusaient un accord de reddition.Ces évacuations ont été le plus souvent pré-cédées par de violentes frappes ou des siè-ges implacables. Mais, désormais, il n’y aplus de porte de sortie.

A l’école de Mariam Shirout, les petits dé-placés d’Hama, d’Homs ou des environs de Damas voisinent avec les élèves originairesde la région. Signe de la crise économique et de l’insécurité dans la région, une partie des enfants de la ville de Maarat Al-Nouman oùMme Shirout enseigne sont désormais désco-larisés, « soit parce qu’ils travaillent pour aider leurs familles, soit parce qu’ils ont peur : des écoles ont été bombardées dans la pro-vince », explique l’institutrice. Des hôpitauxont aussi été visés par des raids aériens, etmoins de la moitié des installations médi-

cales sont aujourd’hui fonctionnelles, selonl’Organisation mondiale de la santé.

Pris en tenaille entre la frontière ferméede la Turquie et la menace d’une offensive du régime et de ses alliés, les habitants d’Idlib sont donc condamnés à attendre.« Le quotidien poursuit son cours », dit Hos-sam. Cependant, certains songent à traver-ser clandestinement la frontière en payant un passeur, au péril de leur vie. Au moisd’août, l’aviation militaire a lancé plusieursfois des tracts appelant les habitants à ral-lier le principe d’une « réconciliation ». Desfamilles qui, dans la province d’Idlib, sontrestées sur place non par choix politique,mais par souci de sauver leurs terres, ou des

civils épuisés par des années de violence et d’instabilité espèrent peut-être un accord.

Mais, en temps de guerre, la décision estd’abord entre les mains de ceux qui portentles armes. « Un large faisceau d’acteurs armésa intérêt à neutraliser ce genre d’initiatives »,affirme Sam Heller, chercheur à l’Internatio-nal Crisis Group. Plusieurs factions, notam-ment le puissant groupe djihadiste Hayat Tahrir Al-Cham, dont le noyau est issu d’Al-Qaida, ont arrêté, au cours des semainesécoulées, des personnes accusées de cher-cher à négocier avec le régime. « De plus, les arrestations menées par l’appareil sécuritaire [du régime] dans le sud de la Syrie ou dans la Ghouta orientale [banlieue de Damas], après

POUR HOSSAM, MILITANT D’IDLIB,

PACTISER AVEC DAMAS EST INCONCEVABLE.

« LES DÉPLACEMENTS, LES MEURTRES (...), TOUT CELA A NOURRI

L’AVERSION POUR LE RÉGIME »

Manifestation contre le régime à Maarat Al-Nouman, le 31 août. ZEIN AL RIFAI/AFP

La Russie prépare son opinion à une nouvelle bataillePour le ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, « le statu quo ne peut pas durer indéfiniment »

moscou - correspondante

L es déclarations ministériel-les et les reportages diffu-sés à la télévision russe ne

laissent aucun doute : le Kremlin prépare l’opinion publique avant l’offensive que le régime de Da-mas veut lancer à Idlib, dernière région syrienne échappant aucontrôle des forces gouverne-mentales. Une offensive qui seraappuyée par les forces russes.

Le président syrien, Bachar Al-Assad, a le droit de « liquider les terroristes », a prévenu, lundi 3 septembre, le ministre russe desaffaires étrangères, Sergueï La-vrov. Qui a lancé un énième aver-tissement : « Le statu quo ne peut pas durer indéfiniment. » Ven-dredi 31 août, il avait déjà déclaré

qu’il fallait « chasser les terroris-tes ». Deux jours avant, il avait comparé Idlib à un « abcès puru-lent » devant disparaître.

Ces propos s’accompagnentd’images diffusées fréquemment sur les télévisions russes : Idlib estprésenté comme un nid à djiha-distes où, selon Moscou, les rebel-les prépareraient une « provoca-tion » avec des armes chimiques. Autorités et médias dénoncentainsi une « mise en scène » à venir – un faux bombardement – sou-tenue par les Occidentaux, avec « la participation active » des ser-vices secrets britanniques, pour accuser le régime de Damas.

« Toute cette présentation per-met à Moscou de justifier à l’avance l’offensive sur Idlib », ex-plique Andreï Kortounov, direc-

teur du Russian Council, think tank russe à Moscou sur les ques-tions internationales. « On voitbien la logique qu’il y a derrière :terminer la guerre et achever la prise de contrôle par Damas des territoires rebelles qui lui échap-paient. Mais cela ne résoudra pas le problème. J’espère qu’au som-met, au Kremlin, ils prennent aussien compte les risques de catastro-phe humanitaire et tous les dégâtspolitiques qui en découleraient. »

« Vous devez coopérer »

Pour le moment, l’armée russe re-double au contraire d’activitéalors que son opération lancée enseptembre 2015 est officiellement« en train de se conclure », avec desretraits « significatifs » parmi leshommes engagés, selon Moscou.

Plus de 25 navires et 30 avions commencent cette semaine des manœuvres navales en Méditer-ranée sous le commandement ducroiseur lance-missiles Amiral-Oustinov, justifiées par la situa-tion à Idlib, selon le Kremlin. « Il s’agit sans doute de lancer un aver-tissement aux Occidentaux », es-time Andreï Kortounov. Un mes-sage aux allures d’ultimatum :« Vous devez coopérer, accepter la situation et vous adapter… »

D’un autre côté, le Kremlincherche à rassurer les opinionsoccidentales et anticiper les criti-ques. Moscou assure ainsi avoirentendu les mises en garde deschancelleries européennes, del’ONU et même du pape Françoiscontre les risques d’« une catas-trophe humanitaire » à Idlib.

Sergueï Lavrov a ainsi annoncé lamise en place de corridors huma-nitaires pour évacuer la popula-tion et assuré que « le gouverne-ment syrien redoubl[ait] d’effortsen faveur d’initiatives de paix lo-cales ». Accusant les rebelles detransformer les civils en « bou-cliers humains », M. Lavrov necesse de répéter que « toutes lesprécautions sont prises » par lesmilitaires.

L’activisme médiatique duministre des affaires étrangères russe ne doit rien au hasard. Car,en coulisses, le jeu est avant toutdiplomatique. Non pas entreMoscou et les Occidentaux, horsjeu en Syrie aux yeux des Russes,mais entre Moscou et Ankara,parrain traditionnel des rebellesdans cette région.

« Le message adressé au publicest clair : à Idlib, il n’y a pas d’autre alternative que de chasser les ter-roristes. Mais cela ne peut pas se faire sans un accord avec l’allié turc, rappelle Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de Russia in Global Affairs, réputé proche du Kremlin. D’où l’importance des discussions entre Vladimir Poutineet Recep Tayyip Erdogan. Leurs dif-ficultés expliquent peut-être que l’opération sur Idlib prenne du re-tard. » Un tête-à-tête entre les pré-sidents russe et turc est prévu en marge du sommet qui se tiendra vendredi 7 septembre en Iran avecle président de la République isla-mique, Hassan Rohani. Une certi-tude : le Kremlin ne lancera pas l’offensive sur Idlib avant cette rencontre. – (Intérim.) p

L A G U E R R E E N S Y R I E

A Idlib,le 25 août.

OMAR HAJ KADOUR/AFP

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des “réconciliations”, nourrissent la méfiance de la population », ajoute M. Heller. Etd’autres civils, ou des combattants, notam-ment ceux qui ont été évacués vers Idlib,« n’ont aucun avenir en zone gouvernemen-tale, soit parce qu’ils ne le veulent pas, soit parce que Damas ne veut pas d’eux ».

PASSAGE EN ZONE LOYALISTE

Pour Hossam, lui-même déplacé, pactiser avec Damas est inconcevable. « Les déplace-ments, les bombardements, les arrestations, les meurtres, tout cela a nourri l’aversionpour le régime », dit-il. Les accords de « ré-conciliation » prévoient, en théorie, uneamnistie pour les combattants qui rendent les armes et les dissidents qui s’engagent àcesser toute forme d’opposition, ainsi que

pour les jeunes hommes soumis au service militaire, un report de six mois avant derejoindre l’armée.

Les médias d’Etat se sont fait l’écho du ré-cent passage de civils en zone loyaliste parle point de contrôle d’Abou Al-Douhour,dans l’est de la province d’Idlib. Selon des in-formations reçues par le bureau des affaireshumanitaires de l’ONU à Damas, jusqu’à5 000 personnes auraient pu transiter parce poste militaire, désormais refermé. Unegoutte d’eau, comparé à la population totalede l’enclave. Selon des sources proches del’opposition, certaines personnes ayant tra-versé la ligne de démarcation ont été arrê-tées par les forces de sécurité du régime. « Lasituation à Idlib est très compliquée, expli-que Bassam Al-Ahmad, directeur exécutif

Les Occidentaux en sont réduits à tenter d’éviter « un bain de sang »Les Etats-Unis et la France mettent en garde la Syrie et la Russie mais manquent de leviers et craignent une catastrophe humanitaire

F ace à la tragédie annoncéeà Idlib, la diplomatie mon-tre une fois de plus toute

son impuissance. Alors qu’uneoffensive majeure des forces du régime syrien, aidé de ses alliés russe et iranien, pour reprendre le contrôle de cette enclave re-belle au nord-ouest du pays sem-ble inéluctable, Paris comme Londres ou Washington et lesNations unies en sont réduits àlancer des cris d’alarme.

Mais les leviers d’action dontdisposent les capitales occidenta-les sont pour le moins limités. « Lepire est devant nous ; au mieux nous pourrons éviter un bain desang mais, désormais, nul ne sefait plus la moindre illusion sur lesort de l’enclave », constate, amer, un haut diplomate occidental.

« Le président de la Syrie, BacharAl-Assad, ne doit pas impunément attaquer la province d’Idlib ; les Russes et les Iraniens commet-traient une grave erreur humani-taire en participant à cette poten-tielle tragédie », a tweeté Donald Trump, mais la mise en garde semble surtout pour la forme.

10 000 djihadistes retranchés

« Les Américains font clairementcomprendre qu’ils veulent à toutprix se dégager du théâtre syrien,et cela a été très difficile de les con-vaincre de garder des hommes au moins jusqu’à l’écrasement de Daech [acronyme arabe de l’orga-nisation Etat islamique] », note-t-on à Paris, où l’on craint aussi« une catastrophe humanitaire et migratoire majeure ».

Plus de 3 millions de civils, dont800 000 déplacés ayant fui d’autres régions reconquises,vivent dans cette poche adossée àla Turquie. « S’il y a bataille d’Idlib,Alep, en termes de souffrance, de

catastrophe, ce n’était rien par rap-port à ce qui risque de se passer », adéclaré la veille, sur France Inter,le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, enréférence à l’offensive meurtrière des forces gouvernementales sy-riennes, appuyées notammentpar l’armée russe, en septem-bre 2016, contre la partie orien-tale de la seconde ville de Syriealors bastion de la rébellion.

Selon l’ONU, 10 000 djihadistessont retranchés dans la poche, enmajorité liés au mouvementHayat Tahrir Al-Cham, l’anciennebranche syrienne d’Al-Qaida. Là ont conflué tous les combattantsles plus radicaux évacués après les redditions négociées des autres enclaves – la Ghoutaorientale, aux portes de Damas, et Deraa, au sud, là où avaientcommencé, en mars 2011, les ma-nifestations contre le régime. D’où le risque d’une résistance acharnée et de l’emploi par le ré-gime d’armes chimiques pourterroriser et faire fuir la popula-tion de cette zone.

Pour reprendre en avril la villede Douma, dans la Ghouta orien-tale, le régime n’avait pas hésité à utiliser l’arme chimique. Les for-ces françaises avaient alors mené en représailles, aux côtés des Etats-Unis et du Royaume-Uni, des frappes contre des installa-tions liées au programme chimi-que du régime syrien.

« Comme nous l’avons alors dé-montré, nous répondrons de ma-nière appropriée à toute autre uti-lisation des armes chimiques par le régime », ont mis en garde Paris,Londres et Washington, le 21 août,dans un communiqué commun.

Reste à savoir si cela suffira àdissuader le régime ou du moins à faire hésiter son parrain russe.

Et si les Occidentaux mettront réellement en œuvre leurs mena-ces alors même que leurs frappes du printemps étaient restées d’une portée limitée.

La tentation du compromis

Emmanuel Macron s’est entre-tenu de la situation avec son ho-mologue turc, Recep Tayyip Er-dogan, et il devrait bientôt le faire avec Vladimir Poutine. L’es-poir d’une solution négociée pour éviter le carnage passe en effet par un accord entre la Tur-quie, la Russie et l’Iran, les troispays du groupe dit d’Astana, quis’étaient réunis pour la premièrefois en janvier 2017 dans la capi-tale du Kazakhstan, se posant alors en alternative aux négocia-tions de Genève sous l’égide del’ONU. Moscou présente désor-mais les deux processus comme« complémentaires ». Il s’agit detenter de légitimer la victoired’Assad au regard de la commu-nauté internationale.

Dans cette même logique, leKremlin pourrait être tenté detrouver un compromis sur Idlib, en premier lieu avec la Turquie,qui vient finalement de classer lesdjihadistes d’Hayat Tahrir Al-Cham comme « terroristes » au grand plaisir de Moscou.

Les présidents russe, VladimirPoutine, turc, Recep Tayyip Erdo-gan, et iranien, Hassan Rohani,seront en Iran vendredi 7 septem-bre afin de discuter « de mesures supplémentaires visant à liquider définitivement le foyer du terro-risme international, de faire avan-cer le processus de règlement poli-tique et de régler les questions hu-manitaires ainsi que le retour des réfugiés ». Pour eux, l’après-Idlib adéjà commencé. p

marc semo

de Syrians for Truth and Justice, une ONGsise en Turquie, qui documente les viola-tions des droits humains en Syrie. Les civilssont pris entre deux feux : ils rejettent le ré-gime et ils rejettent les djihadistes de HayatTahrir Al-Cham. » Le groupe a cherché à im-poser ses diktats dans la vie quotidienne, comme sur les tenues vestimentaires ou lanon-mixité. Il a aussi fait pression sur la so-ciété civile, arrêtant ou menaçant certainsde ses militants. Dans une partie de la pro-vince, celle-ci s’est maintenue, envers etcontre tout – les bombardements des forcesprorégime contre des infrastructures, les in-timidations des factions radicales.

DÉFIANCE ENVERS LES GROUPES ARMÉS

Les rivalités entre groupes anti-Assad, qui sesont affrontés à de multiples reprises de-puis qu’ils ont conquis le territoire, au prin-temps 2015, les kidnappings, le racket et l’in-sécurité ont contribué au chaos. « Les gens n’en peuvent plus de la guerre. La province d’Idlib est bombardée depuis des années par Damas. Les combats entre factions ont con-tribué à la défiance envers les groupes armés.Lors de récentes manifestations à MaaratAl-Nouman, des protestataires ont demandél’intervention d’Ankara. Ils cherchent une force qui puisse les protéger », commenteAssaad Al-Achi, directeur de Baytna Syria,une ONG basée en Turquie.

« En cas d’offensive, notre seul recours estque la Turquie ouvre sa frontière, ou qu’elle permette l’accès vers les zones syriennes sousson contrôle [dans la province d’Alep] », renchérit Mariam Shirout. Mais, déjàdébordé par la présence de 3 millions d’exi-lés syriens, inquiet de possibles infiltrationsde djihadistes, le pouvoir turc ne semble pasdisposé à accueillir d’autres réfugiés, et n’adonné aucune garantie sur la mise en placed’un corridor vers les autres territoiresplacés sous son influence. Pour les civilsd’Idlib, l’angoissante incertitude se pro-longe. p

laure stephan

Forces en présence au 4 septembre 2018

Régime syrien et ses alliés

Forte présence de la coalitiondjihadiste Hayat Tahrir Al-Chamet ses alliés

Groupes rebelles alliés à la Turquie

Armée turque et ses alliés

Forces démocratiques syriennes

Mer

Méditerranée Lac

Jabbul

Lac

Jabbul

TURQUIE

SYRIE

SYRIE

Manbij

MaarratAl-Nouman

Jisr Al-Choghour

Hama

Al-Bab

Lattaquié

AbouAl-Douhour

Saraqeb

Idlib

Azaz

KhanCheikhoun

Al-Safira

Afrin

Antioche Alep

Hmeimim

Alexandrette

SOURCES : LIVEUAMAP.COM ; LE MONDE

Lac Assa

d

20 km

Des rebelles syriens, dansla province d’Idlib, le 1er septembre.NAZEER AL-KHATIB/AFP

Une colonne de blindés turcs se dirige vers Idlib, le 29 août.

OMAR HAJ KADOUR/AFP

PORT

RAIT

DEPH

ILAN

THRO

PE Lila Bidaud

La philanthropiepar les mots

Il y a toujours une histoire personnelle derrière un projet, lapreuve avec Lila Bidaud dont l’enfance a déterminé les engagements.Élevée en Algérie dans une famille traditionnelle par une mèreanalphabète, elle entrevoit d’emblée l’école comme un antidoteà l’étroitesse de son milieu familial. « Je détestais les vacances etj’adorais apprendre », assure-t-elle. Arrivée à Paris pour suivredes études contre l’avis de son père, elle finance seule sa formation.Elle entre alors dans un cabinet de conseil où elle poursuit unebrillante carrière et devient avocate, tout en restant fidèle à sesvaleurs : le combat pour les droits des femmes, la lutte contreles déterminismes sociaux.En 2015, elle décide – avec l’adhésion de son mari et de ses enfants –de créer la Fondation Lire et Comprendre, qu’elle place sousl’égide de la Fondation de France, choisie pour son expertise et safiabilité. La fondation soutient des projets d’aide aux enfants demilieux défavorisés qui rencontrent des difficultés en lecture, etceci dès le CP. « Pour lutter contre le fameux décrochage quiconcerne chaque année près de 140 000 jeunes, il faut agir au plustôt car les enfants qui décrochent sont ceux qui ne maîtrisentpas la lecture », martèle Lila Bidaud. Chaque année, la fonda-tion sélectionne une dizaine de projets qu’elle soutient de façonponctuelle ou pérenne. À Mantes-la-Jolie, une association repèretrès tôt les enfants en difficulté et propose un apprentissage parle jeu. À Clamart, une autre pratique la pédagogie japonaise dukamishibai qui consiste à raconter des histoires avec le supportde planches à dessin. Quelle que soit la méthode employée, unmême résultat fait la fierté de Lila Bidaud : la plupart des enfantssavent lire à la fin du CP mais surtout, ils ont élargi leur univers.

Fondation de FranceLa Fondation de toutes les causeswww.fondationdefrance.org

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4 | international MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

L’indéfectible soutien des évangéliques à IsraëlL’appui à l’étranger de chrétiens conservateurs messianiques prend le pas sur celui de la diaspora juive

La récolte a commencé debon matin. Sur la parcellede vignes plantées dans lacolonie israélienne d’Ofra,

en Cisjordanie, les volontaires dé-posent les grappes noires dans descaisses au sol. Dans ce paysage de collines pelées, ils s’acquittent joyeusement de leur mission. « Nous contribuons à la prophé-tie ! », lance l’un d’entre eux.

Dans le cadre de l’associationévangélique HaYovel, ces volontai-res, majoritairement venus des Etats-Unis, participent bénévole-ment aux vendanges dans des co-lonies israéliennes en Cisjordanie. Fondée en 2007 par un couple de chrétiens américains, Tommy et Sherri Waller, HaYovel (« le jubilé » en hébreu) entend contribuer à « la restauration prophétique de la terre d’Israël » en la faisant fructi-fier. Pour le justifier, Sherri Waller cite la Bible : « Tu [Israël] seras planté de vignes sur la montagne de Samarie » (Jérémie 31,5).

Depuis ses débuts, HaYovel amobilisé plus de 1 800 « ouvriers » pour les vendanges en Cisjorda-nie. Un clair soutien à la colonisa-tion israélienne dans les territoi-res palestiniens occupés, que ces chrétiens considèrent comme le « cœur historique et spirituel d’Is-raël » et qu’ils désignent par le nom biblique de « Judée-Sama-rie », comme les colons israéliens. Dans une perspective messiani-que, ils considèrent que le retour de tous les juifs en terre d’Israël – confirmé selon eux par la fonda-tion de l’Etat d’Israël en 1948 – pré-figure le retour du Messie, Jésus-Christ, et l’établissement du royaume de Dieu sur la terre pen-dant mille ans.

Prophétie biblique

En « prenant soin du peuple élu »,les fondateurs de HaYovel enten-dent ainsi faire advenir la prophé-tie biblique. « Toutes les nations se-ront bénies si Israël l’est par Dieu, avance Sherri Waller. Même les Arabes auront une meilleure vie. » Dans cette perspective, ils esti-ment que les Palestiniens sont ad-mis en Cisjordanie, mais que la terre revient aux juifs. Quand ils ne travaillent pas dans les vignes, les participants reçoivent des en-seignements basés sur la Bible. A leur retour chez eux, ils seront des « ambassadeurs » d’Israël, accrédi-tés d’un certificat délivré par le conseil régional de Judée-Samarie et, depuis 2018, par le ministère des affaires stratégiques israélien.

Depuis la victoire israélienne dela guerre des Six-Jours en 1967,une grande partie des évangéli-ques américains – 25 % des chré-tiens aux Etats-Unis – soutient ac-tivement Israël. Tous n’appartien-nent pas à la mouvance radicale des chrétiens sionistes qui agis-sent, comme HaYovel, en vue d’un « retour » des juifs en Pales-tine historique. Mais ils assumentun soutien zélé à Israël au nom d’une foi protestante évangélique fondée sur la conversion, un christianisme décentralisé et la lecture approfondie de la Bible.

Alors que, dès les années 1970, ladroite évangélique gagnait de l’in-fluence dans la sphère publique et politique aux Etats-Unis, la phi-lanthropie chrétienne américaine commençait à soutenir l’immi-gration juive, notamment dans lespays de l’Union soviétique, en coo-pération avec l’Agence juive, char-gée de l’immigration vers Israël ausein de la diaspora. Fondée en 1983, la fondation de l’Interna-tional Fellowship of Christians and Jews (Fraternité internatio-nale des chrétiens et des juifs, IFCJ), financée par des dons évan-géliques, a ainsi versé 200 mil-lions de dollars (172 millions d’euros) pour faire venir plus de 700 000 juifs en Israël, en l’espace de quinze ans.

Le soutien évangélique n’a pastoujours reçu un accueil favorable chez les juifs israéliens. La plupart des juifs orthodoxes continuent de le refuser par crainte de prosé-lytisme. D’ailleurs, certaines orga-nisations chrétiennes ne cachent pas que le signe des temps messia-niques sera la conversion des juifs.Mais la plupart ne le mentionnent

pas dans leur mission courante, préférant justifier leur action par la dette due aux juifs après des siè-cles de persécution en Europe.

« Ces chrétiens sont simplementdes amis d’Israël. Leur don est lié à leur foi, c’est quelque chose de très émotionnel », affirme le rabbin is-raélo-américain Yechiel Eckstein, président de l’IFCJ. Sa fondation amasse entre 130 et 140 millions de dollars par an (entre 110 et 120 millions d’euros), issus en grande majorité (85 %) des Etats-Unis, et qui financent quatre centsprojets, principalement en Israël.

Chaque année, plusieurs centai-nes de millions de dollars sont ainsi versés à des fondations jui-ves israéliennes qui investissent en Israël dans l’aide aux rescapés de la Shoah et aux plus démunis, la rénovation d’infrastructures publiques ou encore des pro-grammes d’éducation. Le don des juifs américains domine encore (trois à quatre milliards de dollars par an), mais celui des chrétiens prend de l’ampleur. « Depuis unedizaine d’années, le soutien desjuifs américains décline, car leur

perception d’Israël change et la jeune génération préfère soutenir d’autres causes. D’autre part, lescommunautés évangéliques, qui ont une grande affinité avec Israël,se développent partout », explique Hagai Katz, professeur à l’univer-sité Ben-Gourion et spécialiste de philanthropie.

Affaire politique

En 2017, sur les 630 millions dechrétiens évangéliques, 200 mil-lions se trouvent en Asie, pour 122 millions en Amérique latineet 97 millions aux Etats-Unis :une véritable aubaine pour lesbailleurs de fonds juifs israéliens.« Par Internet et les médias, nousciblons des pays comme le Brésil ou la Chine, car ils sont l’avenir desdonations pour Israël », poursuit M. Eckstein.

Financier ou idéologique, le sou-tien évangélique envers Israël est, avant tout, une affaire politique. Le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, le 14 mai, a sonné comme une victoire pour ladroite évangélique américaine, l’un des piliers de l’électorat du

président Donald Trump et qui militait depuis les années 1980 pour ce déplacement. L’épisode a également montré l’importance que le gouvernement du premier ministre israélien, Benyamin Né-tanyahou, accorde désormais à sesalliés chrétiens conservateurs.

Longtemps soutenu par la dias-pora juive, le gouvernement israé-lien a opéré un changement histo-rique et stratégique, en s’appuyantsur la base beaucoup plus large desévangéliques, au risque de perdre l’appui des juifs libéraux et des dé-mocrates américains. Depuis plu-sieurs années, aux Etats-Unis comme en Israël, M. Nétanyahou ne manque jamais une occasion de courtiser le public chrétien con-servateur. « Il sait très bien leur par-ler, c’est indéniable », confirme le rabbin Eckstein.

Le soutien des évangéliquesaméricains est d’autant plus as-sumé par le gouvernement de droite israélien qu’il peut répon-dre à l’agenda nationaliste de sa frange la plus radicale. En janvier, Naftali Bennett, ministre de l’édu-cation et chef du parti religieux nationaliste le Foyer juif validait, pour la première fois, le finance-ment à hauteur d’un million de shekels (240 000 euros) d’un pro-gramme basé sur la Bible, dans la colonie d’Ariel en Cisjordanie.

Fondé en 2010, le National Lea-dership Centre a pu être construitgrâce aux dons versés au fonds de développement d’Ariel par l’orga-nisation évangélique américaine US Israel Education Association, qui soutient la colonisation israé-lienne en Cisjordanie. Les fonds al-loués en 2018 par le gouverne-ment permettront à quatre mille jeunes défavorisés, principale-ment des juifs éthiopiens, de par-ticiper gratuitement aux activités biblico-sportives du centre. Selon un panneau situé à l’entrée, elles visent « à former la génération fu-ture de l’Etat d’Israël ». p

claire bastier

Un général des forces spéciales pour parvenir à la paix en AfghanistanAprès avoir donné son feu vert à des pourparlers directs avec les talibans, Washington change de commandant militaire à Kaboul

U n an après que le prési-dent américain, DonaldTrump, a annoncé une

stratégie afghane à laquelle il ne semblait pas vraiment croire lui-même, Washington a changé decommandant militaire dans la plus longue guerre de l’histoiredes Etats-Unis. Le général Austin « Scott » Miller, un spécialiste des opérations spéciales, remplace au poste de commandant des forces de l’OTAN à Kaboul le général JohnNicholson, un « officier-diplo-mate » qui fut l’un des meilleurs spécialistes de l’Afghanistan au sein de l’armée américaine.

Le changement de commande-ment intervient à un moment particulier, alors que le général Ni-cholson a obtenu en juin le pre-mier cessez-le-feu – certes très temporaire : trois jours – de cette interminable guerre, et surtout que l’administration Trump a donné son feu vert à des négocia-tions de paix directes et sans con-ditions préalables avec les tali-

bans. Des diplomates américains ont rencontré des émissaires tali-bans en juillet à Doha, au Qatar. Le changement intervient aussi à un moment où les talibans ont, en dé-pit de ce bref cessez-le-feu, relancé leurs offensives sur divers fronts à travers le pays, et où l’organisationdjihadiste Etat islamique, enne-mie tant des talibans que des Etats-Unis, étend son influence et multiplie les attentats.

Le 21 août 2017, dans un discourstrès confus, Donald Trump avaitannoncé qu’il renforçait de nou-veau, à la demande des généraux,le contingent américain en Afghanistan, qui est passé de 8 400 à environ 14 000 hommes.Il avouait que, dans cette guerre qu’il avait auparavant qualifiée de« désastre total », son « instinct ini-tial avait été de retirer » les forces américaines. Depuis que la guerrea commencé à la suite des atta-ques d’Al-Qaida le 11 septem-bre 2001, M. Trump est le deuxième président, après Ba-

rack Obama, élu notamment surune promesse de retirer l’armée d’Afghanistan. Promesse non te-nue dès l’élection passée.

M. Trump avait envisagé de rap-peler John Nicholson, nommé par M. Obama et à ses yeux symbole de l’échec afghan. Ses généraux l’avaient convaincu du contraire. Ce haut gradé atypique, que le pré-sident n’a pas rencontré une seule fois depuis qu’il est à la Maison Blanche, est un pur produit des of-ficiers que l’Amérique de l’après-11-Septembre a déployés au « royaume de l’insolence ».

« Opportunité sans précédent »

Au départ guerrier sans état d’âmede la « guerre contre le terrorisme » du président Bush, le général Ni-cholson a, au fil de ses quatre dé-ploiements dans le pays, déve-loppé une passion pour l’Afghanis-tan. Il parcourait le pays pour boirele thé avec les dignitaires, les « bar-bes blanches », et jusqu’aux oppo-sants au gouvernement de Ka-

boul. Il y a rencontré sa femme, Norine MacDonald, une analyste très critique de l’intervention américaine qui développait des programmes d’aide aux Afghans jusqu’à ce qu’elle mette sa carrière entre parenthèses pour épouser legénéral. Avant de prendre le com-mandement des forces de l’OTAN, il avait participé à de premiers échanges avec les talibans en 2011, une initiative de l’administration Obama qui ne porta pas ses fruits.

Lors de son allocution de dé-part, dimanche 2 septembre, à Ka-

boul, John Nicholson a déclaré qu’« il est temps que cette guerre d’Afghanistan se termine », appe-lant les talibans et ceux qui lessoutiennent dans l’ombre (l’état-major taliban est installé au Pa-kistan depuis décembre 2001) à saisir la main tendue par l’admi-nistration Trump. « Nous avons aujourd’hui une opportunité sans précédent pour parvenir à la paix », avait-il estimé en août.

Le profil du nouveau comman-dant, le général Austin Miller, esten apparence en contradictionavec la nouvelle politique de Washington. Car ce dernier apassé l’essentiel de ses trente-cinq années d’armée au sein desforces spéciales, jusqu’à être à la tête du Commandement uni des opérations spéciales, qui super-vise les opérations militaires clandestines dans le monde. Son pedigree est davantage celui d’un officier choisi pour faire face aux offensives des talibans et aux at-tentats de l’EI que d’un homme

prenant plaisir à discuter d’hypo-thétiques cessez-le-feu.

Toutefois, l’un n’empêche pasl’autre. En ces temps d’amorce de négociations, chaque belligérant tente de pousser son avantage mi-litaire. L’attaque en août de la villede Ghazni, occupée une semaine par les rebelles, et les offensives sur des fronts très variés mon-trent que soit les talibans veulent négocier en position de force, soit il y a des dissensions en leur sein.

Pour le moment, après dix-septans de guerre et un an d’une straté-gie Trump aux contours fluc-tuants, le bilan est sévère : le gou-vernement ne contrôle qu’environ50 % du territoire ; 25 des 34 pro-vinces sont en guerre ; et les forces de sécurité afghanes perdent plus de 6 000 hommes par an dans la lutte contre les talibans. Les Etats-Unis n’ont encore aucune raison de croire qu’ils ont trouvé une is-sue à ce que leurs stratèges ont baptisé leur « guerre sans fin ». p

rémy ourdan

Après dix-sept

ans de guerre,

le bilan

est sévère :

le gouvernement

ne contrôle que

50 % du territoire

Des chrétiens américains de l’association HaYovel à Ofra, une colonie d’Israël en Cisjordanie, le 26 août. CORINNA KERN POUR « LE MONDE »

« Toutes les

nations seront

bénies si Israël

l’est par Dieu,

Même les Arabes

auront une

meilleure vie »

SHERRI WALLER

fondateur de HaYovel

La Fraternité

internationale

des chrétiens et

des juifs a versé

200 millions de

dollars pour faire

venir 700 000

juifs en Israël

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 international | 5

M. Sanchez promet aux Catalans un référendum sur plus d’autonomieL’idée du chef du gouvernement espagnol ne séduit guère les indépendantistes

madrid - correspondance

E ssayant de désamorcer unerentrée qui s’annonce ten-due, le chef du gouverne-

ment espagnol, Pedro Sanchez, a promis aux Catalans, lundi 3 sep-tembre, un référendum sur un nouveau statut de leur région qui leur garantirait plus d’autonomie. L’annonce n’a pas été particulière-ment bien reçue par les indépen-dantistes, qui ont promis de nou-velles mobilisations.

Lors d’un entretien à la radio es-pagnole Cadena SER, le premier ministre socialiste a annoncé que le dialogue avec le président cata-lan, Quim Torra, débuté lors de leur premier entretien le 9 juillet à Madrid, devait déboucher sur « un vote (…) pour un renforcement de l’autonomie » de la région, pour « l’autonomie, non pour l’autodé-termination », a tenu à préciser Pedro Sanchez, sans avancer de date pour cet hypothétique scru-tin. En 2006, sous le gouverne-ment socialiste de José Luis Rodri-guez Zapatero, les Catalans avaientdéjà adopté à 73 % des suffrages unstatut d’autonomie, mais il avait été en partie annulé en 2010 par la Cour constitutionnelle, saisie par le Parti populaire (PP, droite).

A Barcelone, les paroles de PedroSanchez n’ont pas apporté l’apai-sement escompté. « Le processus d’indépendance est irréversible », a répondu Quim Torra dans une in-terview diffusée simultanément sur la chaîne catalane TV3.

Profondes divergences

« Le droit à l’autodétermination de la Catalogne ne peut pas être mis sous le tapis », a ajouté le respon-sable nationaliste, qui a promis « d’aller jusqu’au bout ». Il devait donner plus de détails sur ses in-tentions lors d’un discours mardi 4 septembre au Théâtre national catalan. Même réponse du côté de la Gauche républicaine catalane (ERC), partenaire de Quim Torra au gouvernement. « Nous n’avons pas manifesté pendant dix ans pour avoir plus d’autonomie, nous avons dépassé cette étape », a dé-claré Marta Villalta, porte-parole de l’ERC. Ces réactions sont peu en-courageantes pour M. Sanchez, qui s’est employé à rétablir le dialo-gue avec la Catalogne depuis son arrivée au pouvoir le 2 juin. Son souhait est de revenir à la norma-lité après la tentative de sécession du 27 octobre 2017, qui avait dé-clenché la mise sous tutelle de la région jusqu’en mai 2018.

Ce ne sera pas chose facile. Lorsde leur entretien, Pedro Sanchez etQuim Torra avaient réussi à briser la glace, mais avaient aussi étalé leurs profondes divergences. Le responsable nationaliste avait à nouveau défendu le droit à l’auto-détermination de la Catalogne, et le premier ministre lui avait rap-

pelé que ce droit n’existait pas dans la Constitution espagnole.

En minorité au Parlement àMadrid, Pedro Sanchez dispose d’une faible marge de manœuvre. Son idée de référendum n’a reçu lesoutien que du parti de la gauche radicale, Podemos. « C’est toujours une bonne idée de voter. Même lorsqu’il s’agit d’un référendum consultatif », a déclaré son respon-sable Pablo Iglesias, qui a souhaité que « la Catalogne fasse toujours partie de l’Espagne ». Le PP, qui ac-cuse déjà M. Sanchez de chercher à« contenter les séparatistes », qui ont soutenu son investiture, a, lui, refusé l’idée d’un scrutin. « L’auto-nomie dont jouit déjà la Catalogne est tout ce que nous pouvons lui donner », a assuré son chef de file, Pablo Casado. Pour Albert Rivera, dirigeant des centristes de Ciuda-danos, la proposition de M. San-chez est une « ineptie ».

Le calendrier politique catalans’annonce chargé. Le 11 septembre,les séparatistes célébreront la Diada, la fête de la Catalogne, l’oc-casion pour les mouvements in-dépendantistes de marquer la ren-trée. Cette année, elle sera dédiée aux neuf responsables nationalis-tes emprisonnés pour avoir parti-cipé à la tentative de sécession. Le 1er octobre, premier anniversaire du « référendum » d’autodétermi-nation, les grandes plates-formesnationalistes – l’Assemblée natio-nale catalane et l’association Om-nium – ainsi que les comités de dé-fense de la République, qui met-tent sur pied des actions de rue, ont annoncé de grandes mobili-sations. Celles-ci pourraient deve-nir « permanentes », a averti Quim Torra, si les « prisonniers politi-ques », qui doivent être jugés à la fin de l’automne, ne sont pas « exo-nérés de toute culpabilité ».

En octobre 2017, Pedro Sanchezavait soutenu la décision du gou-vernement de son prédécesseur, leconservateur Mariano Rajoy, de mettre la Catalogne sous tutelle enenclenchant pour la première fois l’article 155 de la Constitution es-pagnole. Lundi, le premier minis-tre a assuré que l’article 155 restait un « instrument légitime et parfai-tement constitutionnel », que son gouvernement n’hésiterait pas à utiliser si nécessaire. p

isabelle piquer

Etats-Unis : Kavanaugh, un juriste politique pour la Cour suprêmeLes auditions du candidat choisi par Trump devaient commencer mardi

washington - correspondant

Une âpre formalité at-tend Brett Kavanaughau Sénat américain. Lecandidat choisi par Do-

nald Trump pour occuper un siègedevenu vacant à la Cour suprême, la plus haute instance juridique des Etats-Unis, devait y être inter-rogé sans ménagement à partir de mardi 4 septembre par les élus de la minorité démocrate de la com-mission des affaires juridiques.

Ces derniers savent cependantqu’ils ne disposent d’aucune arme parlementaire pour enrayerla marche en avant de ce juriste très politique, passé par l’équipe du procureur spécial Kenneth Starr, lancé aux basques du dé-mocrate Bill Clinton pendant sesdeux mandats de président, puis par l’administration républicaine de George W. Bush.

Ce passé avait retardé de deuxans sa nomination à la presti-gieuse cour d’appel du district de Columbia, la capitale fédérale, en 2006, au terme d’une longue bataille alimentée par les démo-crates, dont une partie siège en-core au Sénat. Brett Kavanaugh peut aujourd’hui se prévaloir d’une expérience qui le place dans les meilleures conditions pour emporter l’adhésion.

En multipliant les faits accom-plis – blocage en 2016 de la candi-dature du juge Merrick Garland nommé par Barack Obama, sup-pression en 2017 de la majorité qualifiée de soixante voix pourconfirmer les candidats de Do-nald Trump –, les élus républi-cains ont témoigné de leur côté de leur détermination à ancrer durablement, et à tout prix, laCour suprême dans le camp con-servateur. La dernière complaintedes démocrates vise les dizaines de milliers d’archives liées au par-cours de Brett Kavanaugh, que laMaison Blanche refuse de rendrepubliques. En pure perte.

Bien que particulièrementétroite, la majorité d’une voix dont disposaient les républicains avant la mort, le 25 août, de John McCain, qui pourrait être rem-placé d’ici le vote par une person-nalité choisie par le gouverneurrépublicain de son Etat, l’Arizona, devrait suffire. Elle oblige les figu-res centristes du Grand Old Party (GOP), comme les sénatrices Su-san Collins (Maine) et LisaMurkowski (Alaska), à observer une stricte discipline partisane.

Des juges nommés à vie

M. Kavanaugh pourrait aussi rece-voir le soutien d’une poignée de sénateurs démocrates aux prises avec une réélection délicate, en no-vembre, dans des Etats largement remportés par Donald Trump en 2016. Il s’agit notamment de Claire McCaskill (Missouri), Heidi Heitkamp (Dakota du Nord), Joe Donnelly (Indiana) et Joe Manchin(Virginie-Occidentale).

Les sujets d’interrogation, pour-tant, ne manquent pas. Le camp progressiste s’inquiète à propos dela pérennité de l’arrêt « Roe v. Wade », qui a sanctuarisé, en 1973, le droit à l’avortement. Donald Trump a évoqué ouvertement uneéventuelle annulation, rêvée par l’aile la plus conservatrice de son parti, même si son candidat s’est efforcé d’apporter des réponses apaisantes lors des visites de cour-toisie rendues aux sénateurs les plus importants, qui précèdent traditionnellement la procédure publique de confirmation.

D’autres s’interrogent à proposd’un article publié en 2009 par le nominé dans lequel il assurait que le président des Etats-Unis devait être littéralement au-dessus des lois pendant son mandat, afin de pouvoir pleinement exercer ses fonctions. Une prise de position qui tranche avec l’activisme dé-ployé par Brett Kavanaugh, il y a vingt ans, dans les procédures qui concernaient Bill Clinton, et qui

obtient un écho aujourd’hui, compte tenu des affaires qui pè-sent pour l’instant sur M. Trump.

Il est peu probable, cependant,que Brett Kavanaugh baisse la garde pendant son audition au Sé-nat. Comme le regrettait le Washington Post dans un éditorial publié le 3 septembre, les candi-dats à un tel poste, qu’ils soient nommés par des présidents dé-mocrates ou républicains, ont pris l’habitude depuis des années d’es-quiver les questions dérangeantes en se livrant le moins possible.

A l’aune des équilibres en vi-gueur au sein de la Cour suprême, l’enjeu est tout aussi considérable. En apparence, cette nomination permet de maintenir l’avantage dont disposent les cinq juges nommés par des présidents répu-blicains face aux quatre choisis pardes démocrates. M. Kavanaugh remplace toutefois un juge conser-vateur atypique, Anthony Ken-nedy, parti à la retraite en juillet, qui avait plusieurs fois rompu les rangs pour donner la majorité auxquatre définis comme progressis-tes, principalement sur des ques-tions de société, comme les droits des minorités sexuelles.

Brett Kavanaugh devrait tirerplus à droite la plus haute instancejuridique du pays sur des ques-tions telles que l’accès à l’avorte-ment, sans nécessairement s’atta-quer à son principe, ou la discrimi-

nation positive, héritée de la lutte pour les droits civiques, il y a un demi-siècle. Un glissement in-terne qui promet d’être durable. Désigné à 53 ans – après Neil Gor-such, son cadet de deux ans, en 2017 –, il peut envisager de sié-ger dans cette institution pendantplus d’une génération. Nommés à vie, les juges quittent générale-ment volontairement leur siège aux alentours de 80 ans.

Le Parti républicain compte surune rapide confirmation pour mobiliser son électorat à la veille des élections de mi-mandat, le 6 novembre. Soigneusement pré-paré en amont par le conseiller ju-ridique de la Maison Blanche, Don McGahn, qui quittera ses fonc-tions après le vote fatidique, le sang neuf conservateur insufflé ausein de la Cour suprême constitue l’un des principaux acquis de l’ad-ministration de Donald Trump. Il lui vaut la reconnaissance una-nime de familles républicaines souvent promptes à se déchirer. p

gilles paris

Les républicains

comptent

sur une rapide

confirmation

pour mobiliser

leur électorat

à la veille

des élections

de mi-mandat

« Nous n’avons

pas manifesté

pendant dix ans

pour avoir plus

d’autonomie, nous

avons dépassé

cette étape »

MARTA VILLALTA

porte-parole de l’ERC

ALLEMAGNEUn migrant condamné pour meurtreLa justice allemande a condamné, lundi 3 septembre, à huit ans et demi de prison un migrant reconnu coupable d’avoir poignardé une adoles-cente de 15 ans, un meurtre dont s’est saisie l’extrême droite pour faire campagne contre les étrangers. Le de-mandeur d’asile débouté, qui affirme être afghan, avait tué fin 2017 son ex-petite amie dans une supérette de Kandel. La droite ultra allemande organise depuis plus d’une semaine des rassemblements dénonçant la criminalitédes migrants, après la mort

à coups de couteau d’un Allemand de 35 ans. Samedi encore, 18 personnes ont été blessées à Chemnitz en marge de manifestations antagonistes entre sympathi-sants d’extrême droite et militants d’extrême gauche. Un jeune Afghan a été passé à tabac. – (AFP.)

RECTIFICATIFSérie « Contaminations »Dans l’article « A Anniston, les fantômes de Monsanto », (Le Monde daté 2-3 septem-bre), dans la citation de Tho-mas Long, son taux sanguin de polychlorobiphényles est de « 168 parties par milliard », et non par million.

LE PROFIL

Brett KavanaughFormé à Yale, Brett Kavanaugh est un protégé et assistant du procureur Kenneth Starr lorsque celui-ci enquête sur la relation de Bill Clinton avec Monica Lewinsky. En 2000, il aide George W. Bush à faire cesser le re-compte des voix en Floride et deviendra conseiller de ce prési-dent sur les nominations dans l’appareil judiciaire.

www.dunod.comwww.ifri.org

PRIX

DE LANCEMEN

T

jusqu’au

31 octobre 2018, puis32

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6 | FRANCE MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

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La plupart se sont défendus en di-sant qu’il s’agissait de simples« fantasmes », d’« illusions », de« vœux pieux ». « On a tous nosdémons », a concédé un autre,maladroitement, devant les en-

quêteurs. Deux mois après l’interpellation, entre le 24 juin et le 23 juillet, de treize mem-bres (dix hommes et trois femmes) d’un groupuscule d’extrême droite, soupçonnés de vouloir commettre des attentats en France contre des musulmans, Le Monde a pu prendre connaissance de leurs premièresdéclarations devant la justice. Des procès-verbaux qui permettent de mieux cerner les intentions de ces militants âgés de 32 à69 ans, très éloignés des partis politiques, aux confins du survivalisme, de la dérive col-lective, et en proie à de véritables bouffées meurtrières pour certains.

En réalité, trois types de projets d’attentatavec des débuts de préparatifs ont été décou-verts par les enquêteurs lors de leurs investi-gations sur ce groupuscule qui s’était bap-tisé « Action des forces opérationnelles » (AFO). Certains apparaissent plus improba-bles que d’autres. Mais plusieurs membres de l’organisation avaient sérieusement commencé à réfléchir à leur mise en œuvre.Le premier visait à tuer « deux cents imamsradicaux », le second à « empoisonner » de la nourriture halal dans des supermarchés, letroisième à jeter des grenades sur diversescibles musulmanes : fidèles lors de prièresde rue, librairies de littérature salafiste ou encore automobilistes identifiés après avoirremonté une file de véhicules à scooter. Desprojets plusieurs fois évoqués de façon dé-taillée en réunion.

Le parquet de Paris s’est étonné que, sur cestreize individus aux profils hétéroclites (en-trepreneurs, ex-militaires, mathémati-cien…), mis en examen pour « association demalfaiteurs terroriste criminelle », la plupartaient été remis en liberté et placés sous con-trôle judiciaire faute de charges suffisantes. A commencer par leur chef revendiqué, Guy Sibra, 64 ans, policier à la retraite. Les soup-çons à l’encontre de son groupuscule n’en demeurent pas moins révélateurs de latenace haine anti-musulmans qui agitait ce réseau revendiquant des effectifs d’une « centaine » de personnes. Quatre des treize militants sur lesquels pèsent les accusations les plus graves demeurent toujours en dé-tention provisoire.

STAGES POUR « RÉSISTER À L’ISLAM »

Si ce dossier d’instruction est emblématiqued’une chose, c’est d’ailleurs bien de la mon-tée en puissance des aspirations violentes d’une certaine extrême droite française, sur fond de perte de vitesse du Rassemblementnational (ex-FN). Bon nombre des prévenus sont des « déçus » du parti. Un contexte qui avait déjà conduit Logan Nisin, ce chaudron-nier intérimaire de 22 ans installé dans le sud de la France, à créer sa propre cellule, dé-mantelée en 2017. L’affaire d’AFO illustre en creux une radicalisation d’un genre nou-veau à l’ultradroite, alors qu’a débuté, mardi 4 septembre, devant les assises de Paris, leprocès de trois skinheads accusés du meur-tre, en 2013, du militant antifasciste ClémentMéric, lors d’une rixe dans la capitale.

AFO, créé en août 2017, était dénué de sta-tuts et n’aura survécu que quelques mois.En 2013, les tueurs présumés de Clément

Méric, évoluaient, eux, dans le sillage d’asso-ciations officielles proches des milieux d’ex-trême droite, dissoutes seulement après plu-sieurs années. AFO recrutait par ailleurs sur-tout des personnes d’âge mûr en privilé-giant les profils d’anciens policiers et militaires. Loin des coups de poing, les ac-tions étaient planifiées sur messagerie cryp-tée. Organisée en « commanderies » régiona-les, AFO classait ses membres par codes cou-leur : les « blancs », simples sympathisants chargés surtout d’alimenter le site Internet ; les « gris » censés gérer les formations ; et les « noirs », regroupant les plus aguerris desti-nés à passer à l’acte.

Officiellement, et dans l’esprit de plusieursmis en examen, il ne s’agissait que de se for-mer à l’autodéfense. Notamment en cas denouvelle attaque djihadiste sur le sol fran-çais. « J’ai pris peur suite aux attentats, a con-fié l’un d’eux, aujourd’hui sous contrôle judi-ciaire. J’ai fait ça dans un objectif de protéger ma famille. (…) A partir de là, j’ai trouvé ce queje recherchais car ces gens-là m’apportaient lapossibilité de pouvoir fuir si jamais il y avait des conflits majeurs en France, je parle de con-flits avec l’islam. » Une dizaine de stages pour« résister à l’islam » ont été organisés, notam-ment à Chablis (Yonne) durant la courte du-rée de vie d’AFO : des formations de self-dé-fense, de topographie, d’usage de radio, de nœuds marins, etc. Le dernier stage étaitprévu en août, en Gironde, sous la houletted’un ex-gendarme.

LE RÔLE AMBIGU DE GUY SIBRA

Pour d’autres mis en examen, plus détermi-nés, il s’agissait plutôt de planifier une véri-table « riposte » en cas d’attentat, quel que soit son niveau de gravité. Une réponse envi-sagée comme « massive et imprévue »,d’après un document découvert lors de per-quisitions aux domiciles de plusieurs d’en-tre eux. « Cela devait avoir lieu le même jour et à la même heure », dans toutes les « com-manderies », a précisé une mise en cause. Des incantations aux accents mégalomania-ques propres à la rhétorique d’extrême droite, qui ont néanmoins inquiété la direc-tion générale de la sécurité intérieure (DGSI),saisie de l’enquête depuis le 13 avril, sur labase de faisceaux d’indices remontant au mois de février.

Les précautions prises par les militantsd’AFO pour ne pas être suivis ont même obligé la DGSI, en partenariat avec le service interministériel d’assistance technique, à mener une opération d’infiltration. La jus-tice a donné son accord à cette méthode d’enquête très encadrée. Les treize prévenus en ont été informés lors de leur garde à vue, et un compte rendu d’opération est versé au dossier. Ce rapport met notamment en lu-mière d’importantes contradictions entre la défense de certains et la gravité des faits re-prochés. Il souligne également le rôle am-bigu de M. Sibra : un chef vers lequel tout re-montait selon plusieurs prévenus, mais qui a assuré dans un entretien au Parisien, le31 juillet, n’avoir été au courant d’aucune desdérives mises en cause par la justice.

Les militants d’AFO seraient-ils vraimentpassés à l’acte ? La plupart détenaient des ar-mes – souvent non déclarées. Mais avaient-ils la volonté réelle de s’en servir ? « C’était pastrès bien défini, mais, à chaque fin de réunion,[Bernard S., responsable de la section pari-sienne d’AFO, en détention provisoire] rappe-

lait qu’on devait avancer dans le recrutement, dans la localisation des cibles, etc. Toutes les demi-heures, il répétait la même chose, en boucle, a confié l’un des mis en examen, leseul à avoir avoué l’ensemble des faits repro-chés. L’association de malfaiteurs terroriste.C’est clairement ce que voulait faire le groupe.Après, c’est des mythos les mecs, ils sont allu-més du cerveau. Ils pensent qu’on peut buter des gens comme ça. Je me demande pourquoi je ne me suis pas barré en courant. »

Pour les projets d’assassinat d’imams qua-lifiés d’« intégristes », chaque membre d’AFOavait pour mission d’en repérer au moins unavec les moyens du bord. Le chef de la « com-manderie » de Paris avait ainsi noté celui deNanterre, mis en cause dans une affaire de malversation financière. Sur un morceau de papier manuscrit, retrouvé au domiciled’une des femmes du groupe, plusieursmosquées de Sevran (Seine-Saint-Denis)étaient aussi mentionnées. Mais, face à la difficulté de mener de véritables filatures et compte tenu de l’amateurisme de la plupart des recrues, le projet a été abandonné. « C’était un truc de fou », a assuré benoîte-ment l’un d’eux, 54 ans, téléopérateur de nuit pour la compagnie de taxis G7, jurantque les projets évoqués relevaient seule-ment d’une stratégie « marketing » pour atti-rer des militants…

Les ambitions du groupuscule s’étaient re-portées sur l’empoisonnement de produitshalal. Le passage à l’acte devait avoir lieu enseptembre dans sept ou huit supermarchéssitués dans des quartiers « à forte concentra-tion musulmane », selon un compte rendude l’agent infiltré ayant assisté à une réu-nion, en juin. Le projet aurait répondu à un mode opératoire précis. « Les femmes se-raient chargées de faire les achats et la dé-pose, habillées en niqab, pour ne pas se faire remarquer et importuner », selon le même

procès-verbal. Lors d’une perquisition, lesenquêteurs ont découvert un document ré-digé par l’une des mises en examen listant à sa manière la façon de procéder : « Accès au magasin, camouflage plaques des véhicules, grimage, accès au rayon halal, pollution des barquettes, remise en rayon… »

Le poison, quant à lui, aurait été injecté « àcoups de seringue, piqûre », avec de la mort-aux-rats, le bromadiolone, selon un militant interrogé plus tard. Lors d’une réunion, unefemme se présentant comme « naturo-pathe », a pour sa part proposé de la digitale, une plante médicinale destinée au traite-ment de l’insuffisance cardiaque. Quelque 120 grammes de feuilles suffisent pour fabri-quer une dose mortelle. Une option finale-ment abandonnée. Un test sur un animal

devait avoir lieu au mois d’août. L’hypermar-ché Auchan du quartier d’affaires de la Dé-fense (Hauts-de-Seine) et un supermarchéd’Athis-Mons (Essonne) semblent avoir fait l’objet d’opérations de repérages.

GRENADES EXPLOSIVES

« Ce n’était absolument pas un empoisonne-ment pour tuer, juste pour rendre nauséeux »,s’est défendu en garde à vue le chef de la sec-tion francilienne. Plusieurs militantss’étaient pourtant désolidarisés de l’initia-tive. « Ça pourrait tuer des familles entières, des gens modérés qui n’embêtent personne quoi ! », a expliqué l’une des femmes du groupe, interrogée par les enquêteurs. Les écoutes de la DGSI laissent cependant appa-raître une envie persistante d’en découdre chez une poignée de protagonistes : « Moij’en ai vu à Saint-Germain-en-Laye des nanas voilées. Putain, j’étais là, merde, j’ai rien sur moi, j’avais envie de faire, euh, tu vois ce que jeveux dire… », lâche au téléphone un des misen cause, mi-juin.

C’est donc dans un troisième projet – vi-sant à jeter des grenades sur diverses cibles« musulmanes » (librairie, automobiliste ou mosquée) – que ces meneurs semblaient s’investir en marge du groupe. L’un d’eux, Daniel R., 32 ans, circulait « sans complexe », selon les enquêteurs, en région parisienne avec une grenade retrouvée sur le siège pas-sager de son véhicule. C’est chez lui aussi, en

LA PLUPART DÉTENAIENT

DES ARMES, MAIS AVAIENT-ILS LA

VOLONTÉ RÉELLE DE S’EN SERVIR ?

« C’ÉTAIT PAS TRÈS BIEN DÉFINI »,

A CONFIÉ L’UN DES MIS EN EXAMEN

Quand l’ultradroite visait des musulmans

Les treize membres du groupuscule AFO interpellés cet été envisageaient de tuer des imams radicaux, d’empoisonner de la nourriture halal, de lancer des grenades sur des musulmans

P R O J E T S D ’AT TA Q U E S T E R R O R I S T E S

LEXIQUE

INFILTRATIONLe recours à une opération d’infil-tration dans le cadre d’une ins-truction judiciaire est une procé-dure très encadrée qui ne peut se faire que sur autorisation ou après avis du procureur de la Ré-publique. L’infiltration concerne d’abord un champ limité d’infrac-tions, souvent les plus graves (ter-rorisme, trafic de stupéfiants, traite d’êtres humains, etc.). Elle est autorisée pour une durée de quatre mois renouvelables. L’agent infiltré ne peut inciter à la commission de l’infraction. Aucune condamnation ne peut en outre être prononcée sur le seul fondement de ses déclarations et, sous couvert d’anonymat, il peut être confronté aux prévenus.

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plus d’un important stock d’armes, qu’un« laboratoire » de fabrication d’explosifs a étéretrouvé. Il y transformait des grenadesd’airsoft – une activité sportive dans laquelleles participants utilisent des répliques d’ar-mes à feu – en y versant du peroxyde d’acé-tone (TATP), un explosif. Il s’était entraîné àles utiliser lors de stages en Bourgogne.

D’autres projets violents en sont restés à desimples propos de comptoir lors des réu-nions mensuelles d’AFO en région pari-sienne : tel celui de s’en prendre à des djiha-distes tout juste sortis de prison, ou au rap-peur Médine, dont deux concerts prévus auBataclan en octobre ont suscité la polémi-que. La section parisienne d’AFO est ainsi laprincipale concernée, à ce stade, par les in-terpellations. Un homme arrêté en Corse est bien soupçonné d’avoir accepté d’aider Ber-nard S. à se procurer des grenades, mais son cas est marginal. Des explosifs que les deux hommes prenaient soin, tous les deux, d’ap-peler des « tomates » au téléphone, prétex-tant un attrait pour les joies du potager.

Conscients que leurs initiatives pouvaientflirter avec les limites admises par la loi, lesresponsables d’AFO avaient d’ailleurs pensé à recourir aux services d’un avocat, bom-bardé « responsable juridique » du groupe. Enmars 2018, à Senonches (Eure-et-Loir), cet avocat s’est ainsi aventuré dans une forma-tion à destination des militants avec tout un lot de recommandations en cas de garde à vue… à commencer par le droit au silence. Cejuriste, alias Albert de Brissac au sein d’AFO, qui n’est pas poursuivi, s’est notamment faitconnaître, en 1997, dans le cadre d’un procès en diffamation, à Paris, où il avait défendu les intérêts de l’ancien dictateur irakien Saddam Hussein. p

élise vincent

Derrière « Richelieu » ou « Ferragus », des militaires, un enseignant, une infirmièrePour expliquer leur radicalisation, les membres d’AFO se sont retranchés derrière le traumatisme des attentats de 2015. Ils évoluaient pour la plupart dans des quartiers aisés

P longer dans l’univers destreize membres d’Actiondes forces opérationnelles

(AFO), le groupuscule d’extrême droite accusé de visées terroristes contre des musulmans, déman-telé cet été, c’est d’abord se familia-riser avec autant de pseudonymes teintés de classicisme. De « Ninon de Lenclos », courtisane et femme de lettres du XVIIe siècle, à « Ferra-gus », roman d’Honoré de Balzac, en passant par « Attila » ou « Fer-mat » du nom d’un mathémati-cien mort en 1665. Des surnoms à l’image du combat « patriote » qu’ont défendu tous les mis en examen, âgés de 32 à 69 ans, sou-cieux de justifier la légitimité de leur engagement souvent nourri de foi catholique.

Derrière ces surnoms censéspréserver des poursuites judiciai-res se dévoilent des profils hété-roclites. Parmi eux : beaucoup d’anciens des milieux militaire et policier. A commencer par leurchef revendiqué, Guy Sibra, alias « Richelieu ». Un homme de 64 ans qui a débuté comme CRSen 1974 à La Rochelle, avant de faire toute sa carrière dans la Sécurité publique, dont quatre ans entre Suresnes et Courbevoie (Hauts-de-Seine), puis à Marseille,où il a terminé, en 2004, au grade de brigadier-chef.

Réunions à Paris

Une autre association, légale elle, Volontaires pour la France, ciblait déjà ces professionnels de la sécu-rité. Mais Guy Sibra s’en est éloi-gné entre 2016 et 2017, la considé-rant trop « politique », pas assez dans l’action. En partant, il a pour-suivi la même logique de recrute-ment pour l’AFO. Une infirmière de 55 ans, un restaurateur indé-pendant de 45 ans ou encore un mathématicien de 69 ans se trou-vent toutefois parmi les autres mi-litants d’AFO interpellés. Des com-pétences jugées utiles en cas de survie difficile en terrain hostile…

A l’exception de quelques-uns,les treize mis en examen évo-luaient dans des territoires relati-vement aisés : Paris, Puteaux, Bou-logne-Billancourt et Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) ou encore Ver-sailles et Saint-Nom-la-Bretèche (Yvelines), à deux pas du golf. Un grand nombre de réunions d’AFO se tenaient dans une brasserie si-tuée face au pont Neuf, en plein cœur de Paris. Quant au chef de la section parisienne, il a été arrêté dans sa résidence secondaire d’Ajaccio, où mouillait son joli bateau à moteur blanc de 8 mè-tres. L’un des principaux ciments des militants d’AFO est cependant le traumatisme des attentats du 13 novembre 2015.

Quatre d’entre eux avaient desproches sur les lieux des tueries cesoir-là. Le restaurateur travaillait au Stade de France. Deux de ses amis sont morts au Bataclan. « Olies », un plombier de 40 ans, avait lui « un cousin » sorti vivant in extremis de la salle de spectacle.« C’est depuis cette période » qu’Olies s’était « tourné » vers des associations comme AFO. « J’ai eu l’impression que l’Etat ne pouvait pas me protéger, ma famille et moi », a-t-il confié.

Le responsable de la section pari-sienne, Bernard S., 69 ans, alias « Souvigny », sur lequel pèsent des accusations sérieuses, s’est em-porté lorsque lui a été demandé sa définition personnelle du mot « terrorisme ». « Vous me parlez terrorisme et c’est insupportable ! » « L’aînée de mes petits-enfants de-vait aller au Bataclan, mais elle était malade, et ses amis y sont al-lés. Il y en a deux qui y sont restés, c’est insupportable », a ajouté ce patron de société retraité, autre-fois président du conseil des prud’hommes de Pontoise (Oise).

Le bras droit de Guy Sibra, uncertain Dominique C., alias « La Charce », un retraité de France Télécom âgé de 65 ans, est allé jus-qu’à considérer presque comme une enfant de sa famille une jeunefemme tuée le 13 novembre à la terrasse du Carillon. « J’ai mal au cœur (…) nous avons une jeune fille de 20 ans qui est enterrée [à dix ki-lomètres de chez lui au cimetière de Château-Larcher, dans la Vienne] ce sont des terroristes, moi non ! », s’est agacé ce « gaulliste » convaincu, fils d’un gendarme engagé en Algérie et en Indochine qui a fini sa carrière à la brigade deChâtellerault (Vienne). Domini-que C. fut membre du service de sécurité du RPR puis de l’UMP, avant de rompre tout contact en 2017, écœuré de la politique.

Philippe C., 54 ans, alias« Achille », et Daniel R., 32 ans, alias« Tommy », sont les deux hommesdont l’agent infiltré ayant travaillé pour la justice a considéré qu’ils « semblaient déterminés psycholo-giquement à tuer quelqu’un, de sang-froid ». Téléopérateur de nuit pour la compagnie de taxis G7, cet

ex-cadre de la grande distribution marié à une Cambodgienne nour-rissait une passion pour les armes depuis son service au 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine où il était armurier. « Pessi-miste » sur la société, ce père de deux enfants a dit croire au « scé-nario catastrophe » [d’une guerre civile en France entre chrétiens et musulmans] : « pas tout de suite mais on y arrivera ».

« Il y a trop de minarets »

« Tommy », « l’artificier » du groupe, chez qui a été retrouvé un laboratoire d’explosifs, fait partie, avec « Achille », des membres du groupe encore en détention provi-soire. Fils d’un surveillant péni-tentiaire, cet ex-militaire engagé dans l’artillerie en Afghanistan en 2009 a expliqué que cette mis-sion lui avait « ouvert l’esprit sur la foi » catholique. Avant son inter-pellation, il souhaitait se faire bap-tiser avec « Olies », le plombier. « Lejudaïsme est antérieur au catholi-cisme et pour moi l’islam est une in-vention pour mettre en échec l’Em-pire byzantin », a-t-il lâché aux en-quêteurs l’interrogeant sur les contradictions de son militan-tisme avec la confession de sa mère musulmane d’origine maro-caine. « Je ne l’ai jamais vue prati-quer à la maison », a-t-il justifié.

Aucun des mis en examen– dont trois avaient des compa-gnes cambodgienne, thaïlandaise,ou tunisienne – n’a reconnu le moindre « racisme ». « J’ai peur pour mon pays (…) il n’y a plus l’équilibre car la France, c’est les abbayes, les clochers, mais il y atrop de minarets. Je ne suis pas ra-ciste en disant cela, c’est juste un constat », a défendu « La Charce ». « La définition de raciste, c’est quand on pense qu’on n’aime pas quelqu’un en raison de sa race, dela couleur de sa peau, de l’ethnie (…)Je veux dire, critiquer l’islam ça n’a rien à voir avec le racisme », a dé-claré l’infirmière. « Je ne suis pas raciste. Je fais une analyse indivi-duelle. Pour moi la France est blan-che. Ce n’est pas raciste, juste histo-rique », a repris Olies.

Le profil le plus atypique d’AFOdemeure de loin « Fermat », le mathématicien. Ce célibataire ver-saillais de 62 ans, adepte de la messe en latin, a assumé être un « catholique traditionaliste » mais sûrement pas « intégriste » : « Il y aparfois des amalgames de faits [en nous mettant] sur le même plan que les intégristes musulmans, ce qui n’est pas vrai du tout. Nous ne prônons aucune violence. » Il a jus-tifié son attrait pour AFO par son expérience d’enseignant à Trap-pes (Yvelines) durant dix-huit ans. Il était encore en poste lors de l’at-

taque de Charlie Hebdo : « Ma classe était composée à 95 % de musulmans et ils soutenaient tota-lement l’acte terroriste. »

Dans une première vie, ce spé-cialiste des lasers avait travaillé pour Thalès et la direction géné-rale de l’armement. Pour AFO, il est soupçonné d’avoir confec-tionné une télécommande pou-vant actionner une grenade à une distance de 200 mètres.

Parmi les autres profils dugroupe figure également « Sa-cha ». Un ex-militaire passionné par le IIIe Reich devenu un consul-tant indépendant en informati-que aisé. La justice l’accuse d’avoir acheté en vente libre des grenadesd’airsoft – une activité dans la-quelle les participants utilisent des répliques d’armes à feu – avantqu’elles ne soient détournées par d’autres membres d’AFO pour y glisser du peroxyde d’acétone (TATP), un explosif. Selon lui, cette manipulation se serait faite à son insu. Depuis quelques mois, il était employé dans une grande banque française en tant que chargé de projet sur « la lutte con-tre le blanchiment et le finance-ment du terrorisme ».

Trois femmes se trouvent parmiles mis en examen, dont l’épouse de M. Sibra, alias « Ninon de Len-clos ». Souvent isolées, divorcées, habitant en banlieue parisienne, elles ont expliqué avoir « peur » là où elles résident. « Attila », 59 ans, comptable retraitée très impli-quée dans l’amicale de la gendar-merie et l’aide aux anciens légion-naires, s’est montrée l’une des plus entreprenantes sur l’empoi-sonnement de produits halal. Cette fille « d’aviateur » militaire est apparue marquée par un passéde femme battue.

Plusieurs militants ont enfinconfié ne pas avoir « beaucoup d’amis ». AFO apparaissant même à l’un d’eux, comme un moyen « d’agrandir son cercle de relations,de vie sociale ». Pour leur défense, la plupart ont assuré qu’ils com-mençaient à prendre peur des projets du groupe et envisa-geaient de partir. p

é. v.

« JE NE SUIS PAS RACISTE. JE FAIS UNE ANALYSE

INDIVIDUELLE. POUR MOI, LA FRANCE EST BLANCHE.

CE N’EST PAS RACISTE, JUSTE HISTORIQUE »

« OLIES »

membre d’AFO

LEUR CHEF REVENDIQUÉ, GUY SIBRA, 64 ANS,

A DÉBUTÉ COMME CRS EN 1974 À LA ROCHELLE, AVANT DE FAIRE TOUTE

SA CARRIÈRE DANS LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

C’EST DANS UN PROJET VISANT

À JETER DES GRENADES SUR

DIVERSES CIBLES« MUSULMANES »

QUE LES MENEURS

SEMBLAIENT S’INVESTIR

AUREL

L’espritd’ouver-ture.

franceculture.fr/@Franceculture

PMA HORS LA LOI,Les mésaventures d’une femmequi veut un enfant> Un podcast inédit en 6 épisodes sur franceculture.fr

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8 | france MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

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P rès des deux tiers des rési-dus de pesticides détectésdans l’alimentation euro-

péenne sont le fait de moléculessuspectées d’être des perturba-teurs endocriniens. C’est le prin-cipal enseignement d’une en-quête, rendue publique mardi4 septembre par l’organisation non gouvernementale (ONG) Gé-nérations futures, menée sur labase du programme de sur-veillance européen coordonnépar l’Autorité européenne de sé-curité des aliments (EuropeanFood Safety Authority, EFSA),dont les résultats ont été publiéscet été. Le constat de l’associationest de nature à reposer la ques-tion des risques chroniques po-tentiels pour le consommateur liés à la présence de traces ténues de produits phytosanitaires dansl’alimentation.

Pour l’EFSA, les résidus de pesti-cides présents dans 96,2 % des échantillons d’aliments testés en 2016 par les Etats membres del’Union européenne se situent dans les limites légales, c’est-à-dire contenant une concentra-tion de substances actives infé-rieure aux limites maximales derésidus (LMR). Les risques liés àces résidus sont donc considéréscomme « faibles » par l’EFSA et par la plupart des agences de sé-curité sanitaire.

Cependant, Générations futu-res fait valoir qu’un certain nom-

bre de ces pesticides sont suspec-tés d’être des perturbateurs en-docriniens et sont ainsi suscepti-bles d’avoir des effets inattendus,à des niveaux d’exposition infé-rieurs aux valeurs définies par les réglementations.

En effet, explique l’associationdans son rapport, la fixation de li-mites réglementaires « suppose que les pesticides n’ont pas d’effeten dessous d’un certain seuil ». « Or, les pesticides perturbateurs endocriniens ne répondent pas forcément au principe générale-ment admis en toxicologie classi-que selon lequel la dose fait le poi-son, et que, en dessous d’un certainseuil, il n’y a aucun effet toxique », ajoute l’association.

Effet « cocktail »

« Avec les perturbateurs endocri-niens, ce n’est pas la dose qui faitle poison mais plutôt la périoded’exposition » – le fœtus, le nour-risson, les adolescents ou encoreles personnes âgées étant lesplus vulnérables. Ce constat estlargement consensuel dans lacommunauté scientifique aca-démique.

Il a d’ailleurs été repris par l’Ins-pection générale des affaires so-ciales (IGAS), qui, dans son rap-port de décembre 2017 sur lesperturbateurs endocriniens, pré-cisait que « les recherches de cesdernières années confirment la dissociation entre la dose et l’effet

des perturbateurs endocriniens,cumulée avec les effets dits “cock-tail”, et remettent en question lesraisonnements classiques de latoxicologie ».

Or, ce sont précisément lesprincipes de la toxicologie classi-que qui sont aujourd’hui utiliséspar les agences réglementairespour calculer les valeurs d’expo-sition présumées sûres.

Au total, le programmeeuropéen de surveillance coor-donné par l’EFSA a recherché881 molécules différentes dans84 657 échantillons d’aliments, sur lesquels 109 843 résidus depesticides ont été quantifiés (350des 881 molécules ciblées ont étéquantifiées au moins une fois).Générations futures a recherché,parmi ces 350 molécules,lesquelles avaient fait l’objet d’aumoins une publication scientifi-que mettant en évidence deseffets de perturbation endocri-nienne.

C’est le cas pour 157 d’entre el-les, selon le décompte de l’asso-ciation. A partir des données de l’EFSA, Générations futures indi-que que ces 157 molécules sont àl’origine de 69 433 résidus quan-tifiés, soit 63,21 % du total. PourFrançois Veillerette, porte-parolede l’association, la conclusion estque « les voies d’exposition parl’alimentation doivent donc abso-lument être considérées par lesautorités ».

La toxicologie classique est deplus en plus bousculée par deprofonds changements de para-digmes scientifiques. Dans une étude publiée en juin dans la re-vue Environmental Health Pers-pectives, une équipe de cher-cheurs de l’Institut national de lasanté et de la recherche médicale(Inserm) et de l’Institut national de la recherche agronomique(INRA) montrait par exemple quedes rongeurs mâles exposés à sixpesticides communs, à des dosesconsidérées comme sans effetnocif par les agences réglemen-taires, développaient des trou-bles métaboliques évocateurs dudiabète : prise de poids doubléepar rapport aux animaux nonexposés, taux de cholestérol et glycémie à jeun élevés, accumu-lation de graisse hépatique.

Les perturbateurs endocri-niens sont suspectés d’être l’une des causes de l’augmentation decertaines maladies non trans-missibles (cancers hormono-dé-pendants, troubles neuro-com-portementaux, infertilité, obé-sité et diabète, etc.) dans la popu-lation générale. La question deleur inclusion – au même titreque les cancérogènes, les muta-gènes et les reprotoxiques – dansla réglementation européenneest au cœur d’un long feuilleton bruxellois qui dure depuis prèsde vingt ans. p

stéphane foucart

Des perturbateurs endocriniens dans l’alimentation des EuropéensCes résidus de pesticides présentent un risque pour la santé, même à faible dose

Parcoursup : une attente « interminable »La procédure principale d’affectation des bacheliers dans l’enseignement supérieur se termine le 5 septembre

Pour plusieurs milliers debacheliers, leurs pre-miers pas dans l’ensei-gnement supérieur vont

avoir une saveur particulière. Avecla nouvelle procédure d’admis-sion sur Parcoursup, qui se dé-roule de manière continue jus-qu’au 5 septembre, ils sont nom-breux à avoir attendu tout l’été avant de voir enfin leur destina-tion se préciser.

Si l’attention médiatique esti-vale s’est portée sur les difficultés des 60 000 candidats toujours sans aucune proposition à la fin juillet, ils ne sont pas les seuls à avoir connu un été parfois éprou-vant. Nombre de bacheliers avaient certes obtenu une forma-tion, mais ont gardé des vœux sur

lesquels ils étaient en liste d’at-tente. Accusés de participer à la lenteur du système, ils étaient 130 000 fin juillet, et encore 73 000au 4 septembre.

« Interminable », « insoutena-ble », « traumatisant »… Les jeunes bacheliers ou étudiants en réo-rientation, ainsi que leur famille, qui ont répondu à notre appel à té-moignages sur Lemonde.fr, rivali-sent de qualificatifs extrêmes pour raconter leur été sur Parcour-sup, quand bien même celui-ci a abouti à un dénouement heureux.« Le suspense a été digne d’un film hollywoodien », estime Guillaume (tous les prénoms ont été modi-fiés), 17 ans, qui vient de pousser un « ouf » de soulagement le 28 août. Le bachelier scientifique

– mention bien au bac – est enfin pris au lycée Michelet de Vanves (Hauts-de-Seine), en prépa PCSI (physique, chimie et sciences de l’ingénieur), après avoir scruté chaque jour son rang sur la liste d’attente. Plongé désormais dans les révisions recommandées par l’établissement, il a pu « libérer » le vœu qu’il avait validé jusqu’ici dans un lycée parisien, et ceux dans des prépas et écoles d’ingé-nieurs où il était en liste d’attente, qu’il gardait au cas où.

C’est à peu près au même mo-ment que Vincent a vu son attenterécompensée, en décrochant sa place en Staps (sciences et techni-ques des activités physiques et sportives), à Nice. Après tout un été à espérer, et même bien plus.

Cela fait quatre ans que ce jeune ti-tulaire d’un bac STI2D se fait écar-ter de cette filière universitaire ul-tra-demandée. La faute au « tirage au sort », dit le Francilien de 21 ans, qui a retenté une dernière fois sa chance cette année, en voyant le nouveau système de sélection sur

dossier. « Le 22 mai, j’étais dernier sur liste d’attente, au 1 700e rang », se souvient-il. Il s’active désormaispour trouver un logement à Nice, pressé de faire sa rentrée dans le parcours de remise à niveau mis en place par l’université.

Un enthousiasme qui n’est pasforcément partagé dans d’autres familles, qui ont baissé les bras et accepté une proposition, mais par défaut, à la fin du mois d’août. « Cen’est pas vraiment son choix, c’est nous qui lui avons imposé », af-firme ainsi la mère de Nathan. Le bachelier scientifique s’est inscrit,le 28 août, en sciences et vie de la terre, à Nantes, alors que les ins-criptions se terminaient le 31 août,« de peur d’y perdre sa place ». Tout l’été, il a attendu une place en Staps à Nantes. En vain. « Il aurait pu aller à Saint-Brieuc ou au Mans, mais nous avons fait nos calculs, onn’a pas les moyens de lui payer le lo-gement et l’année ailleurs », rap-porte la mère de famille.

« Il n’a pas eu de choix »

Les considérations matérielles ontdominé chez de nombreux candi-dats. Comme Anaïs, originaire du Tarn, qui ne s’est décidée que le 31 août à faire sa rentrée dans le BTS en biotechnologies à Decaze-ville (Aveyron). « Je viens juste de trouver quelqu’un qui peut me lo-ger là-bas », confie la jeune fille en réorientation, titulaire d’un bac STL, qui espère encore intégrer le même BTS à Montpellier, où elle est 3e sur liste d’attente.

Nombreux sont ceux qui ycroient encore, même s’ils sont inscrits dans une formation. C’est le cas d’Antoine, qui ne veut pas se résoudre à abandonner son sou-hait d’aller en licence d’informati-que, où il stagne aux 7e et 9e rangs en liste d’attente dans deux uni-versités franciliennes, bien qu’il ait eu une place en BTS Services in-formatiques aux organisations.

Ou de Montana, qui n’avait mis la fac de philosophie à Bordeaux quepar sécurité, mais veut à tout prix faire de la psychologie, avec peu d’espoir (320e sur liste d’attente).

« A ce rythme, il faut encore troismois, et il a son choix », lâche avec amertume, le père d’un bachelier général ES, qui se réoriente après une année d’étude, et stationne entre les 200e et 300e rangs à la porte des deux licences espérées dans le domaine de la communi-cation à Paris. « Oui, mon fils a eu une place, mais dans une forma-tion à 6 000 euros, à l’Institut ca-tholique de Paris, s’énerve-t-il. Il n’aeu aucune proposition dans l’ensei-gnement public. Je considère qu’il n’a pas eu de choix. » Il se prépare à emprunter pour financer l’année.

Pour Mylène, en revanche, iln’est pas question de lâcher, « je vais aller pleurer misère encore dix fois s’il le faut, c’est l’avenir de nos gamins qui est en jeu ». Voilà des semaines que cette mère d’un ba-chelier scientifique frappe à toutesles portes, des guichets de l’uni-versité au numéro vert de Par-coursup en passant par des mails au ministère. Accepté en sociolo-gie – un vœu de secours –, son fils attend désespérément une place en licence de sciences du vivant à Paris, où il était toujours 20e en liste d’attente, le 2 septembre.

« On se sent complètementbroyée par la machine Parcoursup, lâche-t-elle. Personne ne nous dit lamême chose. On me force la main pour l’inscrire définitivement en so-ciologie, au risque de perdre son ad-mission… Mais on est tous pareils, on veut attendre le 5 septembre pour voir si des places se libèrent. » Et qu’on ne vienne pas lui dire que c’est une question de mérite, comme elle l’entend désormais ré-gulièrement. « On n’a juste pas prévu assez de places pour la géné-ration de l’an 2000 », lâche-t-elle. p

camille stromboni

« On se sent

complètement

broyé par

la machine

Parcoursup »,

dit Mylène, mère

d’un bachelier

Médicaments : des mesures pour mieux informerLa ministre de la santé va mettre en place une source unique d’information publique

D ans un contexte de dé-fiance généralisée àl’égard du médicament,

la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé lundi 3 septem-bre une série de mesures, dans la foulée de la remise du rapport pour une meilleure information sur le médicament. Rédigé par unemission coprésidée par Magali Leo(association Renaloo) et le docteur Gérald Kierzek (médecin urgen-tiste et chroniqueur radio), il a été demandé par Agnès Buzyn en pleine crise du Levothyrox.

La nouvelle formule de ce médi-cament pour la thyroïde, commer-cialisé par le laboratoire Merck, in-troduite en France au printemps 2017, a donné lieu à une vague d’ef-fets secondaires pour les patients.L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en a comptabilisé 31 000. Environ 3 millions de per-sonnes prennent ce médicament.

Sévère, le rapport égrène d’em-blée plusieurs problèmes qui ont caractérisé cette crise : « l’absence d’anticipation et d’accompagne-ment », « l’absence de réaction auxnombreux signaux venant des ré-seaux sociaux, d’associations… », une communication de crise « ar-tisanale, insuffisamment coordon-née ». Autre critique, et non des moindres, « une minimisation du ressenti des patients et de la légiti-mité de leurs signalements ». Même un effet nocebo, ajoute ce rapport, « évoqué pour expliquer

des effets secondaires, ne saurait disqualifier la réalité des plaintes exprimées par les milliers de pa-tients ». Cette mission, qui a audi-tionné une centaine de personnes,déplore « des manquements à la transparence et à la réactivité » de la part des autorités sanitaires.

Face à ce constat, la ministre a re-pris des mesures proposées par la mission. « J’ai toujours considéré que l’accès à l’information est un droit essentiel du patient », a-t-elle dit. Son but : favoriser l’accès à uneinformation « plus accessible, claire et réactive » sur les médica-ments. Une source unique d’infor-mation publique sur le médica-ment va être mise en place : Sante.fr, le service public d’infor-mation en santé, auquel sera inté-gré le contenu du site officiel sur les médicaments. Elle a aussi an-noncé la généralisation du dossier médical partagé en octobre par l’Assurance-maladie.

De même, le ministère indiqueque les patients vont être repré-sentés au Comité économique des produits de santé, qui négociait jusque-là sans eux les prix des mé-dicaments remboursés par l’Assu-rance-maladie. Tout en saluant un rapport « très complet », Beate Bar-tès, présidente de l’association Vi-vre sans thyroïde, a estimé que « lacrise du Levothyrox n’est pas seule-ment une crise d’information, nousn’avons toujours aucune explica-tion aux effets indésirables ». p

pascale santi

ce vendredi 31 août, ce ne sont pas les préparatifs habituels de la rentrée qui occu-pent la trentaine de personnes réunies au rectorat de Lyon. Dans une grande salle, les groupes de travail qui mêlent universitai-res, inspecteurs, psychologues de l’éduca-tion nationale… ont une mission complexe.Ils doivent trouver une place aux candidats encore sans affectation qui ont saisi la com-mission d’accès à l’enseignement supé-rieur. Ils étaient 50 000 bacheliers et étu-diants en réorientation à n’avoir pas reçu deproposition sur Parcoursup, mardi 4 sep-tembre, dont 9 000 qui ont demandé un ac-compagnement pour trouver une place.

« Si la réponse est négative, je ne veuxaucune autre formation. » Les quelquesmots laissés par cette bachelière profession-nelle sur Parcoursup, refusée en BTS mé-tiers des services à l’environnement, sont pour le moins expéditifs. Mais il en faut plus pour décourager les deux inspecteurs et le responsable du service d’orientation del’université Lyon-III, installés autour d’un ordinateur, qui feuillettent d’épais tas de feuilles aux allures de listes électorales, ré-pertoriant les formations où il reste des pla-

ces disponibles. « Trop éloigné de son pro-jet », « trop loin de chez elle, regarde plutôt à Saint-Etienne », « du privé, non, elle veut dupublic »… La perle rare apparaît : ce sera un BTS dans une thématique proche, dans les métiers de l’eau, où il reste 17 places.

« On va mettre ce dossier de côté »

Les cas à traiter sont de plus en plus diffici-les. Pour cette 12e réunion de la commission,90 % des 184 dossiers étudiés ce jour-là ne sont pas nouveaux, ils ont déjà été exami-nés, en vain. « Nous avons fait des proposi-tions à chacun », souligne Yves Flammier, chef du service académique d’information et d’orientation. Depuis le 22 mai, 1 239 sai-sines ont été comptabilisées dans l’acadé-mie lyonnaise, tous bacs confondus. « On vamettre ce dossier de côté », abandonne-t-on, quelques minutes plus tard, face à un jeune recalé des BTS métiers de l’audiovisuel, un secteur où les places sont rares. Un messageva lui être envoyé pour voir s’il peut élargirle spectre de ses demandes.

D’après l’inspecteur de l’éducation natio-nale qui suit les bacheliers professionnels, une nouveauté a servi de « bouffée d’oxy-

gène » : quatre classes de BTS « passerelle »ont été créées dans l’académie. Pas questionde voir cette année de transition non diplô-mante comme une voie de garage, comme le raillent déjà certains acteurs du monde éducatif, celle-ci permet « à ceux qui ont des dossiers un peu trop faibles pour entrer en BTS de se préparer à cette poursuite d’études,et aussi à l’insertion professionnelle », ditYves Flammier.

« Qu’est-ce que tu as en imagerie médi-cale ? », interroge , à la table d’à côté, l’inspec-teur qui s’occupe des bacheliers de la voie sciences et technologies de la santé et du so-cial. Pas grand-chose. « Mais cette bachelièren’est pas loin sur la liste d’attente dans les deux BTS demandés, on va voir le 5 septem-bre, ça devrait se décanter », espère son collè-gue. « C’est un travail essentiel, mais diffi-cile », reconnaît une inspectrice. « Ce travail, nous ne le faisions pas avant, abonde la rec-trice, Marie-Danièle Campion. Réunir tousles acteurs pour s’occuper des oubliés du sys-tème, et leur trouver non pas seulement uneplace, mais une formation qui corresponde àleurs compétences et à leurs projets. » p

c. st (lyon, envoyée spéciale)

Dans les coulisses d’une commission rectorale pour les recalés

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 france | 9

Les difficultés de Macron raniment ses opposantsDepuis cet été, les perdants de 2017 voient apparaître des failles inédites

On a un boulevard. »L’entourage de MarineLe Pen a la rentréejoyeuse. Ce matin-là,

Jean-Lin Lacapelle, pourtant délé-gué national aux ressources du Rassemblement national (RN, ex-FN), qui en appelle aux dons depuis deux mois, n’en finit plus de sourire. La veille, Nicolas Hulot a brutalement démissionné du gouvernement, offrant au parti d’extrême droite l’occasion d’un retour de vacances en fanfare.

Démission du ministre de l’éco-logie, sortie sur les « Gaulois ré-fractaires », déclarations contra-dictoires sur le prélèvement à la source… Emmanuel Macron appa-raît fragilisé en cette rentrée. Son édifice politique omnipotent de-puis le printemps 2017 laisse sou-dain apparaître des fêlures dans lesquelles les oppositions n’ont qu’à s’engouffrer. Et sans les avoir créées, les gauches et les droites cherchent la meilleure façon de profiter de ces fenêtres de tir inédi-tes. Depuis une semaine, l’ex-trême droite se frotte les mains. Mais en silence. Sa patronne, Marine Le Pen, n’a même pas en-core effectué sa prérentrée, sa pre-mière sortie officielle étant pré-vue vendredi 7 septembre à la foire

agricole de Châlons-en-Champa-gne. D’ici là, celle qui a affronté M. Macron au second tour de la présidentielle, un fait d’armes qu’elle rappelle régulièrement, ne s’oppose qu’à coup de Tweet et de communiqués.

La présidente du RN avait pour-tant réussi à se faire remarquer au cœur de l’été, au moment de l’af-faire Benalla. « Quand ça cogne, onest à notre affaire », fredonnait sonconseiller spécial, Philippe Oli-vier. Pas cette fois. En interne, cer-tains s’étonnent de ce silence, le discours de rentrée de Marine Le Pen étant très tardivement an-noncé pour le 16 septembre. Ré-ponse de ses lieutenants : ses tra-cas judiciaires – 2 millions d’aide publique saisis dans le cadre de l’enquête sur l’utilisation des fonds européens – lui imposent une rentrée a minima.

« Ça n’empêche pas de faire desmatinales », sermonne un cadre, pour qui le problème est plus pro-fond : « La dynamique est un peu cassée, et la question de la crédibi-lité de Marine comme présidentia-ble est sous-jacente depuis le fa-meux débat » de l’entre-deux-tours. Ce qui ne l’empêche pas de miser sur un « gros » score aux européennes en mai 2019. Car le

RN estime que l’affaiblissement d’Emmanuel Macron, l’actualité migratoire et la dynamique popu-liste enclenchée en Europe fini-ront par lui profiter. Qu’importe si la tête de liste n’est pas Marine Le Pen ou si le changement de nom du parti n’a pas réveillé l’en-thousiasme de ses troupes.

Prendre son temps

Laurent Wauquiez a, de son côté, fait sa rentrée le 26 août. En concurrence avec Marine Le Pen sur une partie de l’électorat de droite, le président du parti Les Ré-publicains (LR) s’active bien plus. Dans la course au titre de meilleur opposant, LR estime même ne pas avoir besoin de s’appuyer outre mesure sur l’affaire Benalla ou sur la démission de Nicolas Hulot. Il préfère tenter de convaincre de l’échec d’Emmanuel Macron sur deux sujets moins conjoncturels et qui préoccupent particuliè-rement ses électeurs (ceux-là mê-mes que cherche à attirer le chef del’Etat) : l’économie et le couple im-migration-sécurité. Laurent Wau-quiez a donc décidé d’enfoncer le clou sur les questions écono-miques et sociales, avec en tête le pouvoir d’achat, demandant à

M. Macron de « rendre l’argent » aux Français. « C’est encourageant, l’année était assez rude. On ne vou-lait pas nous entendre, pas nous voir. Les gens commencent à se ren-dre compte que ce qu’on dit n’est pas idiot », veut croire Lydia Gui-rous, porte-parole de LR.

Peu visible malgré tout, et privéede nombreuses têtes d’affiche qui se sont mises en retrait ou ont re-joint Emmanuel Macron, la droite veut prendre son temps pour re-conquérir ses positions. Laurent Wauquiez, qui vise l’élection prési-dentielle de 2022, est convaincu que les difficultés de l’exécutif vont lui profiter sur le temps long, comme dans un jeu de vases com-municants. Raison pour laquelle leprésident de LR se montre d’ordi-

naire peu présent dans les médias – à l’exception des derniers jours, avec deux interviews radio consé-cutives –, afin de ne pas lasser l’opi-nion. « Le recul médiatique, c’est une conviction sur le moyen terme :si tu fais le sprint dans le premier ki-lomètre, tu ne finiras pas le mara-thon », explique son entourage. Une stratégie que le président de LR espère payante à long terme, mais qui reste un pari, car le prési-dent de la région Auvergne-Rhô-ne-Alpes demeure impopulaire dans l’opinion. « Toute cette sé-quence est désagréable pour le pré-sident de la République, mais ce n’est pas dangereux, juge un élu centriste, il n’y a personne en face. »

Si ce n’est Jean-Luc Mélenchon,qui n’hésite pas à revêtir le bleu de chauffe pour ferrailler, par médias interposés, avec le chef de l’Etat. Et ce sur tous les sujets, du prélève-ment à la source – une « idée qui nevaut rien » – à « l’incompatibilité » entre le libéralisme économique et l’écologie. Dans leur désir d’hé-gémonie face à l’exécutif, les « in-soumis » cherchent à construire une coalition des colères qui dé-passe les clivages partisans, pour tracer une frontière nette entre Jean-Luc Mélenchon et le pouvoir

exécutif. Ils ne s’interdisent donc pas de discuter avec l’ensemble de la gauche, voire avec certains élus de droite, comme lors de l’univer-sité d’été du mouvement, fin août à Marseille. La France insoumise se pense ainsi en pivot autour du-quel peuvent se rassembler tous ceux qui veulent donner « une ra-clée démocratique » à M. Macron. Sa volonté de catalyser les mécon-tentements lors des élections européennes en les transformant en un « référendum anti-Macron » s’inscrit également dans cette stra-tégie : toutes les occasions sont bonnes pour consolider sa place de « premier opposant » au prési-dent de la République.

En attendant, la majorité, qui en-chaîne pourtant les déboires, peut se fendre d’une contre-attaque toute trouvée contre « le bashing permanent » d’opposants n’offrantaucune alternative, selon les mots de Richard Ferrand, chef de file desdéputés LRM : « Aucun ne met sur la table des propositions et tous veulent rejouer la revanche de 2017. » Qui aura donc lieu en 2019, au scrutin européen. p

olivier faye,

alexandre lemarié,

abel mestre et lucie soullier

Européennes : les « constructifs » veulent existerL’UDI et le parti Agir veulent constituer leur propre liste entre la droite et LRM

R etenez-les, ou ils font unmalheur. Déjà mal enpoint avec la démission

de Nicolas Hulot, ou les tergiver-sations sur le prélèvement de l’impôt à la source, EmmanuelMacron voit se profiler d’autresmenaces. Notamment la possi-ble concurrence d’une ou de plu-sieurs listes centristes ou de cen-tre droit aux élections européen-nes de mai 2019.

Un handicap potentiellementcoûteux pour La République enmarche (LRM), alors que le président de la République espèrefédérer lors de ce scrutin les « pro-gressistes » dans le duel qu’il cher-che à installer contre les « natio-nalistes ». Pour l’instant agitécomme une simple hypothèse, le principe de ces listes doit être discuté à l’occasion de deux évé-nements distincts qui ont lieu du 7 au 9 septembre : l’université d’été de l’UDI, au Barcarès (Pyré-nées-Orientales) et les Vendanges de Bordeaux, réunies autour du maire de la ville, Alain Juppé.

Avant l’été, les troupes d’Em-manuel Macron avaient pour-tant bon espoir de raccrocher juppéistes et centristes à leurswagons pour former une listecommune – le maire de Bor-deaux avait lui-même évoqué, ennovembre 2017, la coalition éven-tuelle d’un « grand mouvement

central ». Mais, souligne un poidslourd de ce courant – baptisé« droite humaniste » par l’ancienpremier ministre Jean-PierreRaffarin –, un scrutin comme leseuropéennes peut permettre« de créer un mouvement, une marque ». « Même en faisant7-8 %, ce n’est pas inutile pourcréer une base politique », souli-gne cette source.

« Faire monter les enchères »

Les dirigeants du jeune parti« constructif » Agir – issue d’unescission avec Les Républicains(LR), cette formation est devenueun refuge pour certains juppéis-tes –, formulent l’idée à voixhaute. « Nous n’excluons pas dutout d’y aller seuls, assure le dé-puté de Seine-et-Marne, Franck Riester. Les européennes, avec une seule liste au niveau national,sont un moyen de montrer qu’un nouveau parti existe. La droite proeuropéenne doit absolumentêtre présente dans cette élection. »Le chef de file d’Agir ajoute néan-moins une précision : « Après, on se doit d’être en responsabilité. Onne ferme pas la porte à unealliance [avec LRM]. »

Leurs voisins centristes del’UDI ont eux aussi décidé de po-ser les choses sur la table.« Aujourd’hui, je ne vois pas de rai-son de ne pas faire de liste, souli-

gne Jean-Christophe Lagarde, le président du parti. L’élection ne doit pas servir de référendumpour ou contre Macron. Nousvoulons imposer ce que doit être ledébat européen, recentrer l’Unioneuropéenne sur ses compétences,et ne pas chercher à régler desproblèmes franco-français. »Pourtant membres du mêmegroupe à l’Assemblée nationale, l’UDI et Agir ne semblent paspressés de se jeter dans les brasl’un de l’autre. Les premiers s’es-timent en position de force, avec leur réseau d’élus et leur assise financière confortable ; les se-conds se demandent quant à euxsi le principe d’une Europe fédé-rale défendu par l’UDI colle avecleur propre ADN.

Les discussions organisées àBordeaux autour d’Alain Juppé il-lustreront les nuances au sein de cette famille europhile. Les per-sonnalités présentes n’ont pas toujours les mêmes stratégies etsurtout le même rapport avec lemacronisme. La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pé-cresse, fera valoir qu’elle cherche àinfléchir l’euroscepticisme deLaurent Wauquiez en restant à l’intérieur de LR ; une position aux antipodes de celle de Gilles Boyer, conseiller du premier mi-nistre, Edouard Philippe, quis’inscrit pour sa part tout naturel-

lement dans le soutien à la liste du parti présidentiel. D’autres, donc, s’interrogeront pendant ce temps-là sur la possibilité de tra-cer une voie médiane. « Il faut quecela incarne quelque chose si ça se lance. Avec un Xavier Bertrand ouune Valérie Pécresse en tête deliste, pourquoi pas, estime un jup-péiste. Mais si c’est pour envoyerun troisième couteau… »

Du côté de LR, les soutiens duprésident, Laurent Wauquiez, necroient pas à la possibilité d’exis-ter politiquement entre leur partiet LRM – pas plus qu’ils ne croientà l’hypothèse d’un retour des cen-tristes ou des juppéistes dans leurgiron. « Une liste Lagarde ou une liste Riester, ça pèse quoi ? C’est dubluff pour faire monter les enchè-res auprès de Macron », veutcroire un député LR. « La droite modérée a un choix de cohérence à faire, prévient de son côté le dé-puté LRM des Hauts-de-Seine, Gabriel Attal. Il ne serait pas logi-que que les proeuropéens ne par-tent pas à la bataille unis, alorsque nous sommes sur la même li-gne. Le cas contraire laisserait penser que certains font de la poli-tique politicienne pour des siè-ges. » La réponse devrait interve-nir en fin d’année ou en débutd’année prochaine. p

olivier faye

et alexandre lemarié

Emmanuel Macron, dans une école de Laval, le 3 septembre.

POOL/REUTERS

Les « insoumis »

cherchent

à construire

une coalition

des colères

qui dépasse les

clivages partisans

L’agenda de la majorité bouleversé

Le remaniement du gouvernement perturbe l’agenda de l’exécutif et de LRM. Le patron du parti, Christophe Castaner, a décidé de reporter sa conférence de presse de rentrée, prévue mardi 4 sep-tembre à 10 h 30, au lundi 10 septembre, la composition de la nouvelle équipe gouvernementale devant être annoncée mardi en fin de journée. Lundi, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a reporté une conférence de presse visant à présenter le bilan des forces de l’ordre depuis le début de l’année. Elle est reprogram-mée au jeudi 6 septembre. Le ministère met en avant « un agenda surchargé » et « la rentrée scolaire » pour expliquer ce report.

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10 |carnet MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

Société éditrice du « Monde » SAPrésident du directoire, directeur de la publication Louis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur délégué de la publication,membre du directoire Jérôme FenoglioDirecteur de la rédaction Luc BronnerDirectrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise TovoDirection adjointe de la rédaction Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin, Franck Johannes,Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile PrieurDirection éditoriale Gérard Courtois, Alain Frachon, Sylvie KauffmannRédaction en chef numérique Philippe Lecœur, Michael SzadkowskiRédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian MassolDirecteur délégué au développement du groupe Gilles van KoteDirecteur du développement numérique Julien Laroche-JoubertRédacteur en chef chargé des diversifications éditoriales Emmanuel DavidenkoffChef d’édition Sabine LedouxDirecteur artistique Aris PapathéodorouPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinMédiateur Franck NouchiSecrétaire générale du groupe Marguerite MoleuxSecrétaire générale de la rédaction Christine LagetConseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président

AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Les quinze petits-enfantsde Claude (†) et FannyGRESSIER-DANSET,

partagent la joie d’annoncer la naissancede

Ysé,fille de

Violaine et AlbanMAILLARD-GRESSIER,

à Paris, le 30 août 2018.

Décès

Mme Odile Benoit,née Froment,

Luc Benoit et Corinne Jan,Patrick et Laure Benoit,

ses enfants,Kim, Thomas, Natacha et Alex,

ses petits-enfants,ont la douleur de faire part du décès dudocteur Jean-Claude BENOIT,

psychiatre,ancien chef de serviceen psychiatrie publique,

ancien directeurd’enseignement clinique,président d’honneur

de l’Institut d’étude des systèmes familiaux,survenu le 25 juillet 2018.

Les obsèques ont eu lieu dans la stricteintimité familiale.

Olivier et Isabelle Camps-Vaquer,Juliette Camps,

ses enfants,Marie et Pauline Camps-Vaquer,

ses petites-fillesAinsi que toute sa famille,

ont la douleur de faire part du décès deM. Ramon CAMPS,

survenu le 29 août 2018, à Versailles,à l’âge de quatre-vingt-six ans.

Les obsèques ont eu lieu au cimetièrenouveau de Neuilly, rue de Vimy,à Nanterre (Hauts-de-Seine), ce mardi4 septembre, à 11 heures.

Cet avis tient lieu de faire-part.53-55, rue Exelmans,78000 Versailles.

Laurence Ravanel,sa mère,

Jean-Loup et Sylvie Desrosiers,son père et sa belle-mère,

Juliette et Quentin André,sa sœur et son beau-frère,

Charlotte et Eloise,ses nièces,

Gregory Pays,son demi-frère et Alexandraet leur fille, Carla,

Rémi Meynadier,son compagnon,

Clémence et Armand,ses amis de toujours,

Ses oncles et tantes,Ses cousins et cousinesEt ses amis,

ont la grande tristesse d’annoncer le décèsde

Louise DESROSIERS.Elle avait trente-six ans.

Les obsèques ont eu lieu dans l’intimitéfamiliale.

Cami l l e , Soph i e e t Lau renceDuchemin,ses filles,

Marina Cousté,son épouse,

Anne-Marie Duchemin,sa sœur,

Juliette et Raphaël,ses beaux-enfants,

Les familles Melot et Cousté,

ont la douleur de faire part de la disparitionde

Wladimir DUCHEMIN,conseil en propriété industrielle,

ancien membre du bureau de la CNCPI,associé au cabinet Casalonga,fondateur de la société Artema,ancien directeur de la SPADEM,

survenue le 31 août 2018.

La cérémonie religieuse sera célébréepar le père Normand, en l’église Saint-Séverin, Paris 5e, le vendredi 7 septembre,à 10 h 30.

L’inhumation aura lieu au cimetièrerusse de Sainte-Geneviève-des-Bois,dans l’intimité familiale.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Sa familleEt ses amis,

ont la tristesse d’annoncer le décès deHenri HASSID,

chevalierde l’ordre national du Mérite,

ancien de la résistance juive en France,dirigeant retraité du groupe Peugeot.Selon les volontés du défunt, la

cérémonie s’est déroulée dans la plusstricte intimité.

Ses cendres reposent au cimetière deVillefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes).

Françoise Lacambre,son épouse,

Anne et Denis Lacambre,ses enfants,

Éric Boullenger,son beau-fils,

Benoît Foussier,son gendre,

Agnès Lontrade, Patricia Oudit et JuliePatrier-Lacambre,ses belles-filles,

Joséphine, Léandre et Livio,ses petits-enfants,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Jean LACAMBRE,ancien conservateur en chefdes musées nationaux,

chevalierdans l’ordre des Arts et des Lettres,

survenu le 1er septembre 2018,à La Bernerie-en-Retz,à l’âge de soixante-dix-sept ans.

La crémation a eu lieu le 4 septembre,au crématorium de Saint-Nazaire.

1, rue du Docteur-Richelot,44760 La Bernerie-en-Retz.

Anne-Christine Lembeye,son épouse,

Augustin et sa famille,Victor, Oscar,

ses enfants,Sylvain Carellas,

son beau-filset sa famille,

Dominique,sa sœur,

Xavier et Camille Estrade,son neveu et sa nièce,

Toute la famille,ont la douleur de faire part du décès du

docteur Pierre LEMBEYE,survenu le 29 août 2018,à l’âge de soixante-treize ans.

La cérémonie religieuse a eu lieuce mardi 4 septembre, à 10 h 30, en labasilique Sainte-Clothilde, Paris 7e, suiviede l’inhumation au cimetière de Saint-Clair-sur-Epte (Val-d’Oise).

Cet avis tient lieu de faire-part.

René Moine,son époux,

Michel et Stéphane Moine,ses enfants,

Lorena et Hélène,ses belle-filles,

Jean-Baptiste, Sébastien, Hugo etCyril,ses petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décès de

Claudie MOINE,néeMOREAU,

directrice d’école publique,

survenu à Ahun (Creuse),le 30 août 2018,à l’âge de quatre-vingts ans.

Ses obsèques civiles ont eu lieuce mardi 4 septembre, à 15 heures, aucimetière de Croissy-sur-Seine (Yvelines).

François Ditesheim,Patrick MaffeiEt leurs nombreux amis,

ont la profonde tristesse de faire partde la mort de

Irving PETLIN,artiste peintre,

survenue le 1er septembre 2018,à Martha’s Vineyard (USA).

Ils s’associent avec émotion au deuilde Sarah, Alessandra et Gabriel Petlin.

Galerie Ditesheim & Maffei Fine Art,Neuchâtel (Suisse)[email protected]

Jeannine Roques,son épouse,

Catherine et Philippe Godard,François et Stéphanie Roques,Nicolas et Anne Roques,Hélène et Stéphane Boujnah,

ses enfants et leurs conjoints,Anaïs et Brendan,Dorian et Séverine, Elsa,Julien et Laura,Benoit et Naïdé,Paul, Mathieu, Ivan, Iouri, Sacha, Elisa,

Augustin, Rose, Lisa, Manoa, Aïdan,ses petits-enfants et leurs conjoints,ses arrière-petits-enfants,

L’ensemble de sa famille,Tous ses amis,

ont la profonde tristesse d’annoncerle décès du

docteur Jean ROQUES,ancien chirurgien, à Agen,

survenu le 29 août 2018, à Agen,dans sa quatre-vingt-onzième année.

La cérémonie religieuse a été célébréele vendredi 31 août, en l’église du Sacré-Cœur, à Agen et l’inhumation a eu lieuau caveau famil ia l du cimet ièrede Larressingle (Gers).

Mme Christiane Tsymbal,Thierry,

son fils,Nastassia,

sa petite-fille,

font part du décès de

Michel TSYMBAL,retraité ELF Aquitaine,

Les obsèques ont eu lieu dansl’intimité.

Catherine,sa fille,

Sa famille,Ses amis du troisième arrondissement

de ParisEt tous les autres,

ont la grande tristesse d’annoncer le décèsde

Bernard ZOUKERMAN,survenu le 1er septembre 2018,à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.

Ses obsèques auront lieu le mercredi5 septembre, à 15 heures, au cimetièreparisien de Bagneux, 45, avenue Max-Dormoy, Bagneux (Hauts-de-Seine).

Remerciements

Très touchés par les nombreusesmarques de sympathie et d’affectiontémoignées lors du décès de

Paul DURNING,

survenu le 30 juillet 2018.

Son épouse,Son filsEt toute sa famille,

remercient sincèrement toutes lespersonnes qui par leur présence ou leursmessages se sont associées à leur peine.

Conférences

Communications diverses

L’espace culturel et universitaire juifd’Europe. Jeudi 6 septembre 2018,à 18 h 30, Anne Hidalgo, maire de Paris,présentera ses vœux pour l’année 5779,à la communauté juive de Paris, enprésence du grand rabbin de France et desprésidents des institutions juives,de Valérie Pécresse et de nombreusespersonnalités.

RSVP :www.weezevent.com/voeux5779119, rue La Fayette, 75010 Paris.

Assemblée générale

Société Générale LDG S.Asociété anonyme

Siège social : L-1724 Luxembourg,33, boulevard Prince-Henri.R.C.S. Luxembourg B.164.692

la « Société »

Messieurs les actionnairessont priés d’assister à

L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALEEXTRAORDINAIRE

qui se tiendra extraordinairementle 28 septembre 2018, à 14 heures,devant maître Cosita Delvaux,

notaire résidant professionnellement,36, boulevard Joseph-II,1840 Luxembourg.

Ordre du jour :

- Constatation de la réunion de toutes lessept cent cinquante mille trois cent treize(750.313) actions de la Société d’unevaleur nominale de cent euros chacune,

entre les mains de la société« Société Générale Bank & Trust SA. »- Constatation que la Société ne détientaucun bien immobilier, ni au Grand-Duché de Luxembourg, ni à l’étranger.- Constatation que la Société n’est

impliquée dans aucun litige ou procèsde quelque nature et que les actions

de la Société ne sont pas mises en gage,ni ne font l’objet de nantissement

ou de tout autre charge.- Dissolution anticipée de la Sociétéavec effet immédiat, conformémentà l’article 1865bis du Code civil

et à l’article 1100-1 de la loi modifiéedu 10 août 1915, concernantles sociétés commerciales.

- Constatation que l’activité de la Sociétéa cessée, que le passif connu

de la Société a été payé ou provisionné,que l’actionnaire unique est investi

de tout l’actif et que l’actionnaire uniques’engage expressément à prendre à sa

charge tout passif pouvant éventuellementencore exister à charge de la Société ettout passif impayé ou inconnu à ce jour,

avant tout paiement à sa personneet ce en application de l’article

1865bis du Code civil.- Constatation que la Société a fourni« l’attestation de confirmation » émisepar l’administration de l’enregistrement

et des domaines, le « certificatde non-obligation » émis par

le Centre d’informatique, d’affiliationet de perception des cotisations commun

aux institutions de sécurité socialeet « l’attestation de non-obligation »

émise par l’administrationdes contributions directes.

- Décharge des administrateurs et ducommissaire aux comptes de la Société.- Constatation que les livres et documentsde la Société sont conservés pendantla durée de cinq années au siège socialde l’actionnaire unique, au L-2420

Luxembourg, 11, avenue Emile-Reuter.- Annulation des actions de la Société.

- Divers.

Le conseil d’administration.

Les mardis de la philodès le 18 septembre 2018.

Penser le présent en 100 conférencesanimées par des philosophes

d’exception.

4, place Saint-Germain-des-Prés, Paris 6ewww.lesmardisdelaphilo.com

• De la physique à la métaphysique,Étienne Klein et Francis Wolff• La mémoire, Charles Pépin et

Pierre-Henri Tavoillot• La philosophie des barbares,

Roger-Pol Droit• Le sage est-il indifférent ?

Michaël Fœssel• La communication, des machineset des hommes, Dominique Wolton,Jean-Michel Besnier, Thierry Paquot

• Les populismes, Olivier Dhilly• La vie des langues, Heinz Wismann• L’art, de la figuration à l’abstraction,

Jean-Michel Le Lannou• Molière philosophe,Bertrand Vergely

• Lacan : écouter la folie,Jacques Darriulat

• Ce que l’armée dit du monde,Monique Castillo

• La philosophie au défide la psychanalyse, Camille Tassel• Le cosmisme, source russe du

transhumanisme,Michel Eltchaninoff• Éthique et écologie, Charles Girard• Être efficace, un enjeu de civilisation,

Monique Castillo• Le grand siècle, de Descartesà Molière, Laurence Devillairs

Prix

SOS AMITIEEnvie d’être utile ? Rejoignez-nous !

Les bénévoles de SOS Amitié écoutentpar téléphone et par internet

ceux qui souffrent de solitude, mal-êtreet pensées suicidaires.

Nous ne répondons qu’à 1 appel sur 3et recherchons des écoutants bénévoles.

L’écoute peut sauver des vieset enrichir la vôtre.

Horaires flexibles, formation assurée.En IdF RDV sur

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Prix de la découverte poétiqueSimone de Carfort 2018

FondationFrédéric et Simone de Carfort,

sous l’égide de la Fondation de France.

Ce prix a pour objet la découverted’un poème d’expression française,

inconnu ou méconnu.Adresser

soit quatre jeux identiquesde 30 poèmes inédits,soit quatre exemplaires

d’un ouvrage de poésie éditéau cours des cinq dernières années,

jamais primé,accompagnés d’une notice biographique

avant le 5 octobre 2018en pli non recommandé à :

Fondation de FrancePrix Simone de Carfort

40, avenue Hoche, 75008 Paris.

Le montant du prix est de 2.500 euros.Aucun retour des manuscrits ne sera fait.

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 | 11

Le Rio Doce, fleuve mort

3|7

Le 5 novembre 2015, au Brésil,

le barragede Fundao cède.

Un tsunamide boue toxique

ensevelitet sinistre la région

Rio Doce

Rio Doce

200 km

Rio de Janeiro

Regencia

Itapina

LinharesBarrage de Fundao

Mariana

Brasilia BRÉSIL

MINAS GERAIS

ESPERITO

SANTO

OCÉANATLANTIQUE

OCÉANATLANTIQUE

regencia, itapina, mariana (brésil) -

envoyée spéciale

Elcio Souza de Oliveira, 54 ans,peau mate et corps d’athlète, saità peine lire. Mais la mer est sondomaine. « La pêche, j’ai ça dans lesang », confirme-t-il, immodeste.A Regencia, petit village à l’em-

bouchure du Rio Doce, c’est un héros. Les cinq mâchoires d’une de ses prises historiques, cinq requins, trônent encore dans le patio de sa petite maison bleue, non loin d’un mur de photos jaunies immortalisant ses exploits, savie. « Tout ça, c’était avant la boue », dit-il, per-dant soudain l’éclat de ses yeux noirs.

La vie du petit pêcheur a basculé le 5 no-vembre 2015. A 650 kilomètres de Regencia, àl’intérieur des terres brésiliennes, dans l’Etat du Minas Gerais, le barrage de Fundao, qui re-tenait quelque 56,6 millions de mètres cubes de déchets de la mine d’extraction de fer ex-ploitée par Samarco, a cédé, faisant déborder un deuxième barrage de retenue d’eau. Ré-sultat : un tsunami de boue toxique s’est dé-

ristes et des sportifs avides des shore breaks (« brisants de rivage »). Depuis la tragédie,seuls les journalistes et les biologistes se ha-sardent dans le coin aux côtés d’une poignée d’admirateurs de Kelly Slater capables de sur-fer dans ces vagues à la couleur suspecte.

« Ici, avant, il y avait de l’artisanat, des tor-tues, du poisson frais. Depuis la boue, six pou-sadas [hôtels] ont fermé », enrage HelenitaSouza Teixeira. La vieille dame qui, enfant, jouait à sauter dans le fleuve et à pêcher lescrevettes hésite entre chagrin et colère.« Qu’on ne nous dise pas qu’avec les nouvellestechnologies, on ne peut rien faire ! Ils pour-raient retirer toute cette boue s’ils y mettaient un peu de bonne volonté. Samarco attendqu’on meure. Qu’on oublie. Ils nous endormenten construisant des parkings, en organisant des concerts, en offrant de l’argent. Mais il y a des choses qui ne s’achètent pas ! »

Les récits de pêche qui animaient la bour-gade ont fait place à la torpeur. Les habitants, impuissants, indolents, écrasés par la chaleur tropicale, tuent l’ennui sans imaginer de futur.Francisco Eusebio, 58 ans, pêcheur depuis ses 12 ans, occupe ses journées à réparer ses filets dans sa petite cabane de bois face au lagon. Pourquoi ? « Je ne sais pas », lâche-t-il d’une voix monocorde. L’activité reste interdite à moins de s’éloigner des côtes. Ceux qui osent, malgré tout, poser leurs filets plus près du ri-vage ne rapportent que des poissons aux bran-chies atrophiées que personne n’aura l’audacede manger. Atone depuis un accident vascu-laire cérébral, Francisco Eusebio n’attend plus qu’une chose : l’indemnisation de Samarco.

Le groupe déverse son argent comme pourracheter ses péchés. Fin mai, 885 millions de reais (209 millions d’euros à l’époque) avaient été distribués aux victimes directes et indirec-tes de la catastrophe. Une paille au regard dessommes encore attendues et une poussière auvu des bénéfices de Vale ou BHP Billiton.

Condamnée à payer les dommages d’undrame aux conséquences encore incalcula-bles, Samarco a conclu un accord avec les autorités brésiliennes. En mars 2016, la fon-dation Renova a été créée avec un budget de 20 milliards de reais apporté par Samarco, BHP Billiton et Vale pour financer les recher-ches et indemniser les populations jus-qu’en 2030. Au-delà des « cartao » − un petit pécule de l’ordre de 1 000 reais par mois versé

versé dans la rivière do Carmo, affluent du Rio Doce. L’équivalent de 140 pétroliers du type de l’Amoco-Cadiz a enseveli de glaisetrois villages, asphyxié les poissons, dévasté la faune, la flore, et emporté sur leur passage chevaux, vaches, voitures, fauchant 19 per-sonnes. Les corps, difficilement identifiables,ont été retrouvés démembrés sur dix kilomè-tres de distance. Quelque 101 affluents du RioDoce ont été contaminés. Une apocalypse.

A Regencia, la pêche est désormais inter-dite et Elcio Souza de Oliveira s’enfonce dansla déprime. « Ils en ont fini avec moi », soupi-re-t-il, sans désigner autrement les coupa-bles : le groupe Samarco, né de l’alliance en-tre les géants miniers australien, BHP Billi-ton, et brésilien, Vale, responsables de la pirecatastrophe environnementale que le Brésilait jamais connue.

A Regencia comme à Linhares, la communevoisine, chacun se souvient de ce qu’il faisait ce jour maudit. A 20 h 30, Andrea Aparecida Ferreira Anchietta était devant son poste de télévision, regardant le JT diffusé par lachaîne Globo. Comme tous les habitants du village, elle n’y a pas cru. « On n’imaginait pasque ça viendrait jusqu’à nous », se souvient-elle. Mais une quinzaine de jours plus tard, le 21 novembre 2015, la boue est arrivée et a con-taminé le fleuve Rio Doce jusqu’à l’embou-chure. Même la mer était orange.

« TRAÎNÉE ORANGE »

« Notre vie s’est arrêtée », raconte l’habitantede Linhares. Les poissons morts par milliersont été ramassés par des volontaires ahuris,incapables de prendre la mesure de la tragé-die. La pêche a été interdite, l’eau coupée. Lepère d’Andrea Aparecida Ferreira Anchietta,pêcheur comme elle, s’est mis à boire. « Le fleuve était sa vie. Il ne sait plus quoi faire »,souffle-t-elle. En ce mois de mars, les pluiesont remué les fonds du Rio Doce et lui ontredonné cette couleur sidérante, ravivant la blessure d’une région meurtrie. Pendant lasaison sèche, le fleuve est moins coloré maisla boue est toujours là, dans les profondeurs.« Quand les bateaux à moteur passent, ça laisse une traînée orange. Les gens ont peur de se baigner, peur de manger du poisson. Iln’y a que les surfeurs qui ont encore le cou-rage d’aller dans l’eau », raconte Helenita Souza Teixeira, 69 ans, présidente de l’asso-ciation des habitants de Regencia.

Petite station balnéaire aux allures bucoli-ques, Regencia était autrefois prisée des tou-

La rupture du barragede Fundao en 2015a enseveli trois villages, dont Bento Rodrigues (ici en mars).PHOTOS : SAMUEL BOLLENDORFF

POUR « LE MONDE »

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12 | MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

aux habitants des zones touchées −, les pê-cheurs, commerçants, hôteliers sont progres-sivement dédommagés à hauteur de plu-sieurs dizaines de milliers de reais. Des som-mes qui étourdissent les plus humbles et sus-citent chez les autres rancœurs, jalousies mesquines et opportunisme.

« La tragédie a complètement déstructuré larégion », observe Joao Carlos Thomé, de lafondation Tamar, chargée depuis les années 1970 de protéger les tortues marines. L’océa-nographe coordonne aujourd’hui une partie des recherches financées par Renova. « Au lendemain de la catastrophe, c’est bien simple :toute la table des métaux lourds était présenteà des niveaux parfois cinquante fois supé-rieurs aux normes », explique-t-il, énumérant l’arsenic, le plomb, l’aluminium, le cuivre, le silicate de sodium, le vanadium… Deux ans après la déferlante de boue, au terme de sept expéditions marines, les relevés effectuésdans l’eau de mer sont encourageants. La concentration en fer, en aluminium et enmanganèse est encore élevée, mais « les élé-ments les plus dangereux affichent désormais des niveaux tolérables », dit-il.

« PERSONNE N’EST COUPABLE »

Les analyses de l’eau du fleuve sont plus diffi-ciles à interpréter, car le Rio Doce continue decharrier la boue collée sur ses berges et dansses fonds. Et l’expert n’est guère optimiste.« Ici, il y avait quarante espèces de zooplanc-ton, il n’y en a plus que dix-huit. Cette dispari-tion sera-t-elle temporaire ? Définitive ? Quels seront les effets sur la faune marine ? Sur lachaîne alimentaire ? Pour combien de temps ?On est encore incapable de le mesurer, déplo-re-t-il. Nous avons observé des traces d’oxyda-tion sur le corail d’Abrolhos [archipel au largedu Brésil]. A 200 kilomètres d’ici. »

En remontant le fleuve, par la grand-route,le même spectacle orange s’étire sur des cen-taines de kilomètres. A Itapina, petite ville posée sur les rives du Rio Doce, Joana Brau, ancienne lavandière aujourd’hui retraitée, sesouvient des heures passées à pleurer devantle fleuve, accoudée à sa fenêtre. « Ils nous ont

enlevé une partie de nous », dit-elle. Pourtant,la vieille femme, privée d’emploi depuis belle lurette avec la généralisation des ma-chines à laver, n’en veut ni à Samarco ni à l’Etat brésilien, régulièrement accusé decomplaisance avec les entreprises minières.« Personne n’est coupable », pense-t-elle. Etprécise : « J’ai toujours été bien traitée par Sa-marco. » Joana Brau reçoit 968 reais men-suels de la part de Renova.

En arrivant à Mariana, commune de l’Etatdu Minas Gerais où siège Samarco, l’indul-gence envers l’entreprise se fait plus explicite.Elle s’affiche sur les murs à coups de tags ap-pelant à la réouverture de la mine. Depuis lacatastrophe, le chômage a bondi. Samarco a dû cesser ses activités et a licencié la moitié de son personnel (plus de 1 500 personnes),privant de travail quelque 3 000 sous-trai-tants et affectant plusieurs dizaines de mil-liers d’emplois indirects. « Ici, on attend tous que la mine reprenne », confie une employée du groupe qui a voulu rester anonyme.

Samarco s’y attelle : l’entreprise a déjà ob-tenu une première autorisation délivréeen 2017 par le gouvernement de l’Etat du Mi-nas Gerais, sans doute davantage préoccupé par l’emploi et les retombées fiscales d’un groupe milliardaire que par les questions en-vironnementales.

« La reprise des activités, si elle a bien lieu, nese fera que très graduellement, et nous n’utili-

serons plus les mêmes procédés », jure Lean-dra Valadares, attachée de presse du groupe. De fait, la méthode employée jusqu’en 2015par Samarco pour retenir les déchets miniers,la moins coûteuse et la plus dangereuse, estdésormais interdite au Brésil. « On a appris denos erreurs. L’entreprise a de nombreux re-grets. Il n’y a pas une seconde où on n’y pense pas », confesse Eduardo Moreira, ingénieur de Samarco, qui montre les travaux de répa-ration autour du barrage effondré.

« LES DÉCHETS SONT NON TOXIQUES »

Le chantier, étalé sur des kilomètres, a l’al-lure d’une vallée éventrée. Ce trou béantétait utilisé par le groupe depuis son arrivéeen 1977 pour y stocker ses déchets. Alors quela mine est à l’arrêt depuis le 5 novem-bre 2015, Samarco s’est consacrée à consoli-der Fundao. « L’enjeu est d’éviter que ce quirestait de boue, soit 5 millions de mètres cu-bes, ne fuite à nouveau vers le fleuve », dé-taille M. Moreira. Le barrage est surveillé pardes radars et des caméras de surveillance ; des alarmes ont été disposées à tous lespoints stratégiques. Des alarmes qui, le jour du drame, étaient cruellement absentes.

« On ne peut pas ramener les vies, mais ontravaille à la réparation des maux », assure M. Moreira. L’ingénieur enchaîne sa démons-tration sur les travaux de stabilisation d’un autre barrage, plus ancien, celui de Germano, situé quelques mètres au-dessus de Fundao. L’éventuelle rupture de l’ouvrage, créé dans les années 1980 et fermé depuis 2007, donne le vertige : la retenue contient 730 millions demètres cubes de déchets miniers.

« Les déchets sont non toxiques, préciseEduardo Moreira, qui assure que la minen’utilisait aucun produit autre que du sableet de l’eau pour extraire le fer. L’arsenic dé-tecté dans la boue est typique de l’extractionde l’or. Le métal était probablement déjà pré-sent au fond du fleuve et a été remué par laforce de l’eau. Le Rio Doce a derrière lui deuxcents ans d’exploration minière. »

Les travaux censés assurer la rédemptionde Samarco mènent jusqu’au fin fond de la vallée, où fut enseveli le village de Bento Ro-drigues. C’est ici, à quelques jets de pierre d’une église du XVIIIe siècle dont il ne reste

que les ruines, que se trouvait la maison de Jose de Nascimento de Jesus, 72 ans, et de son épouse Maria Irene de Deus. Le fantôme de leur maison démolie par la boue est aujourd’hui noyé sous un lac saumâtre misen place par Samarco dans le cadre de ses tra-vaux de « stabilisation ».

L’évocation du nom de l’entreprise honniefait crisper les mâchoires de M. de Jesus. La catastrophe, il s’en souvient comme si c’était hier. C’était vers 16 heures. Il y eutd’abord cette odeur pestilentielle. « D’ordu-res, de moisi », dit-il. Puis les cris, l’affole-ment. L’homme a simplement eu le temps de sortir de son jardin et de sauter torse nudans la voiture d’un voisin pour se réfugier,avec son épouse, dans le haut du village. « Jen’ai rien emporté, rien d’autre que ma vie »,raconte-t-il.

Relogé temporairement au rez-de-chausséed’un immeuble moderne de Mariana, Jose de Nascimento de Jesus n’est retourné qu’une fois à Bento Rodrigues. Trop de souvenirs.Trop de tristesse. L’ancien président de l’asso-ciation des habitants se consacre aujourd’hui au suivi des audiences de Samarco devant la justice, à Belo Horizonte comme à Brasilia. « Jeme mets au premier rang, face à leurs avo-cats », dit-il. L’homme, petit corps frêle et vi-sage buriné, n’a raté aucune convocation, saufcelle de la mi-mars, pour cause d’opérationchirurgicale – « mon cœur ne battait plus ».

« FAUNE ET FLORE BOULEVERSÉES »

Il n’en doute pas : ces tracas de santé sont liés aux tourments de sa nouvelle vie. « On est dans l’incertitude. Ça fait deux ans que Sa-marco doit reconstruire notre village et il n’y atoujours rien. » Deux ans que Jose de Nasci-mento de Jesus ne fait plus son fromage,deux ans qu’il ne fête plus les anniversaires en famille, deux ans qu’il tente, en vain, deprendre des nouvelles de ses anciens voisins aujourd’hui éparpillés.

« La tragédie du Rio Doce est une des pires ca-tastrophes environnementales de l’histoire, mais c’est aussi un désastre social », estime Ro-berto Waack. Le président-directeur de la fon-dation Renova, qui a côtoyé le monde de l’en-treprise et celui des organisations non gou-vernementales écologistes, orchestre un tra-

LES RÉCITSDE PÊCHE QUI

ANIMAIENTLA BOURGADE

ONT FAIT PLACEÀ LA TORPEUR.LES HABITANTS

TUENT L’ENNUI SANS IMAGINER DE FUTUR

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 | 13

vail de Sisyphe : contenir, stabiliser – etnettoyer dans le meilleur des cas – une boue étalée sur quelque 650 kilomètres. « La faune et la flore ont été bouleversées. On ne sait pas quels effets tout cela aura sur la biodiversité », confie le biologiste. Dans un pays où l’agrobu-siness et l’exploitation minière ont les faveursdu pouvoir, M. Waack constate avec dépit que « l’événement n’a pas réveillé les consciences », ni celle de la société brésilienne ni celle du gouvernement. Seules « les entreprises ont compris les méfaits sur leur réputation ».

Habile, déconcertant, contradictoire, le pa-tron de Renova assure aujourd’hui être en mesure de « stabiliser définitivement » leschoses d’ici trois ans. Et faire retrouver au RioDoce son allure d’avant la catastrophe sur les 100 premiers kilomètres affectés. Un délaibien court, a priori, pour réparer un désastre environnemental qui a pollué 101 affluents du Rio Doce et dont les effets restent, en grande partie, incalculables.

« On ne nettoiera pas complètement lefleuve, seulement les dégâts causés par Sa-marco, précise M. Waack. Au-delà de la catas-trophe de 2015, le Rio Doce a aussi été victimed’un “désastre silencieux” depuis plus de deux cents ans. » Evoquant la pollution des eauxentamée dès l’arrivée des colons portugais assoiffés d’or, il rappelle que le Rio Doce était,avant même d’être envahi par la boue, l’un des fleuves les plus dégradés du Brésil. L’ab-sence de traitement des eaux dans près de

80 % des villes qui bordent le fleuve et ses af-fluents et y déversent directement leurs égouts lui donne raison.

Ce discours déroutant mêlant déculpabili-sation et enthousiasme est relayé sur le ter-rain par les équipes de Renova chargées d’évaluer et de réparer les dommages envi-ronnementaux. Aux abords de Paracatu,autre village détruit, la tâche principale fut d’empêcher que la boue encore collée sur les rives ne retombe dans l’eau du fleuve. Pour faire barrage, une dizaine d’espèces légumi-neuses ont été plantées sur les berges, renfor-cées de-ci de-là par des tas de pierres. A en croire Giorgio Peixoto, ingénieur civil géo-technique recruté par la fondation, l’opéra-tion est un succès : « En période de sécheresse, on voit même le fond du fleuve ! »

« PLUS RIEN NE POUSSE ! »Les employés de Renova travaillent aussi à la récupération de la flore. Dans les terres tapis-sées de boue, Giorgio Peixoto et ses confrèresont semé diverses espèces pour observer la repousse. Deux ans plus tard, les arbres vi-vent et respirent. « On ne dit pas que c’est mer-veilleux, mais on avance », insiste l’ingénieur. Reste des inconnues : les fruits qui naîtrontde ces arbres posés sur un sol contaminé se-ront-ils sains ? Dans quelle mesure le bétail qui se nourrira de l’herbe polluée sera-t-il contaminé ? « On manque de transparence etde contrôle sur les effets de la contamination de l’eau. Il faut mener encore diverses études indépendantes », plaide Fabiana Alves, spécia-liste du changement climatique au sein deGreenpeace Brésil.

Assise dans le salon de sa maison de BarraFunda, petite ville recouverte de boue en 2015, Elaine de Mello Etrusco Carneiro par-tage ces soupçons. « On a retrouvé des métauxlourds dans les cheveux et le sang des habi-tants. Les enfants et les vieux ont des problè-mes respiratoires à cause de la poussière qu’aramenée la boue. Et Samarco ne cesse de dire que ce n’est pas toxique ! Ils mentent. » Enra-gée, l’institutrice nous amène au fond de son jardin, qui a été recouvert d’un tapis de boue le jour fatidique : « Je me suis battue pourqu’ils l’enlèvent et ils ne l’ont fait que de façonsuperficielle. Et regardez, plus rien ne pousse ! »

Mobilisée comme une partie des habitantsde la ville, la femme évoque aussi les mousti-ques, devenus exaspérants, la fièvre jaune qui a fait sa réapparition dans la région, et lescrapauds ou les poissons qui ont quasiment tous disparu. « On ne fait pas confiance à cetteentreprise », poursuit-elle, déterminée à lan-cer une analyse indépendante pour mesurer, de son côté, la qualité de l’eau.

La bonne foi de Samarco est, de fait, mise àmal par son attitude depuis la catastrophe.L’entreprise tente de minimiser ou d’ha-biller les faits alors que les résultats de l’en-quête sur les causes du désastre tendent àdémontrer une négligence coupable. Me-nées par le policier Rodrigo Bustamante, lesinvestigations ont conduit à poursuivre Sa-marco, BHP Billiton et Vale pour « crime en-vironnemental ». Vingt et une personnes des sociétés mentionnées sont égalementaccusées d’« homicide volontaire » et ris-quent trente ans de prison, tandis qu’un in-génieur de la société VogBr, consultant deSamarco, est poursuivi pour « présentation de rapport environnemental falsifié ».

« Dès 2008, Samarco avait connaissance deproblèmes multiples du barrage. Plutôt que destopper l’activité et de mener les réparations, ils ont, par appât du gain, rafistolé l’ouvragepar petits bouts. Tout l’historique de l’entre-prise montre que la catastrophe aurait pu etaurait dû être évitée », explique le policier.

Suspendues six mois à la demande de Sa-marco et de ses actionnaires, qui réclament l’annulation de la procédure en arguant de la présence de preuves « illégitimes », les pour-suites ont repris leur cours en novem-bre 2017. Mais à Regencia, Bento Rodrigues ouLinhares, personne n’a attendu les résultats de l’enquête pour déclarer Samarco coupable d’avoir détruit leurs vies. p

claire gatinois

Prochain épisode : au Japon, les enfances volées de Fukushima

« Contaminations » est aussi une exposition de Samuel Bollendorff présentée à Visa pour l’image, festival international du photojournalisme à Perpignan, du 1er au 16 septembre. Visapourlimage.com.

A gauche : « Ils nous ont enlevé une partie de nous », dit Joana Brau, ancienne lavandièreà Itapina, rencontrée en mars.

« ON A RETROUVÉ DES MÉTAUX

LOURDS DANS LES CHEVEUXET LE SANG

DES HABITANTS »ELAINE DE MELLO

ETRUSCO CARNEIRO

institutrice à Barra Funda

LES CHIFFRES

56,6 MILLIONS DE M3

de déchets toxiques Le barrage de Fundao retenait 56,6 millions de mètres cubes de déchets d’une mine d’extraction de fer exploitée par Samarco.

650 KM à nettoyer

La boue s’est étalée sur quelque 650 kilomètres, tuant 19 person-nes et bouleversant la faune et la flore. Dans le fleuve, il y avait 40 espèces de zooplancton, il n’y en a plus que 18.

les responsables politiques brésiliens sont de grands émotifs. Aussi, lorsque le président, Michel Te-mer, a apposé, le 12 juin, sa signature sur le décret quimodifie les règles régissant l’activité minière, Vicente Lobo, secrétaire d’Etat chargé des mines, n’a pas retenuses larmes. Présenté par le gouvernement comme un « accomplissement » et une façon d’« aligner les lois avec la réalité de l’économie contemporaine », en modifiant ladistribution des royalties de l’industrie, le texte se veutaussi le moyen de rendre l’exploitation minière au Brésilplus respectueuse de l’environnement. En témoignel’obligation désormais faite aux industriels de réparer lesdommages causés et l’imposition d’une planification dela fermeture de la mine.

Un engagement écologiste étonnant de la part d’un chefd’Etat historiquement impopulaire, davantage réputé pour ses ennuis judiciaires et sa proximité avec l’industrieminière et l’agrobusiness. Mais, à en croire Nilo Davila, res-ponsable des campagnes de l’organisation non gouverne-mentale Greenpeace au Brésil, le texte n’est rien d’autrequ’« une pluie qui ne mouille pas ». « L’obligation faite auxindustriels de réparer les dommages existait déjà dans la loi.Ce qui aurait véritablement été contraignant aurait été d’obliger les sociétés à provisionner des sommes conséquen-tes en prévision d’accidents. Ce n’est pas le cas », précise-t-il.

« AUCUNE LEÇON N’A ÉTÉ APPRISE »Près de trois ans après la tragédie du Rio Doce, dans l’Etat du Minas Gerais, où la rupture d’un barrage de déchets mi-niers provoqua un tsunami de boue toxique, tuant 19 per-sonnes, engloutissant des villages et ravageant la faune etla flore sur quelque 650 kilomètres, le défenseur de l’envi-ronnement est catégorique : « Rien n’est fait pour empê-cher une nouvelle catastrophe environnementale, aucune leçon n’a été apprise. »

L’actualité tend à lui donner raison. Certes moins spec-taculaires que la tragédie du Rio Doce, les incidents qui impliquent les mines se multiplient dans le pays, polluantles fleuves et les sols alentour sans que le secteur minier soit inquiété. Ainsi, le 12 mars, toujours dans le Minas Ge-rais, un pipeline de l’entreprise britannique Anglo Ameri-can s’est fracturé, déversant plus de 300 tonnes de pulpe de minerai de fer (70 % de fer et 30 % d’eau) dans le fleuve de la ville de Santo Antônio do Grama. Selon le quotidien local, les sédiments se sont propagés sur 7 kilomètres.

Après seulement quinze jours d’interruption, AngloAmerican a repris son activité… avant que le pipeline ne sefissure de nouveau sur un deuxième segment et ne dé-verse 164 tonnes de pulpe de fer dans le même fleuve. In-terrogée, la société relativise, expliquant que l’incident estsans commune mesure avec la coulée de boue provoquéepar la rupture du barrage de Samarco. Aucune substance toxique ou chimique n’était présente dans les résidus, in-siste le groupe, qui ajoute que le fleuve a été totalement nettoyé fin mai et qu’une inspection minutieuse est me-née pour vérifier la solidité de l’ensemble du pipeline,étendu sur 529 km. Anglo American encourt deux amen-des de 125 millions et 72 millions de reais (l’équivalent de 45 millions d’euros). Soit 0,02 % des bénéfices engrangéspar le groupe en 2017.

A près de 3 000 kilomètres de là, mi-février, la rumeurenflait dans la ville de Bacarena, dans l’Etat du Para. Après les fortes pluies, il se disait que la retenue conte-nant les résidus de la mine d’aluminium exploitée par legroupe norvégien Norsk Hydro avait cédé. De la bauxiteaurait contaminé le fleuve Para. Faux, martèle le groupenorvégien. Mais, après examen des lieux, l’entreprise re-connaît avoir rejeté dans le fleuve des eaux de pluie nontraitées issues de son usine. « C’est tout à fait inaccepta-ble », a assuré, le 19 mars, Svein Richard Brandtzæg, lePDG de l’entreprise norvégienne, dans une note. Legroupe encourt des amendes d’une vingtaine de mil-lions de reais. Une somme bien dérisoire pour une entre-prise milliardaire. p

c. g.

Le secteur minier au cœurde plusieurs scandales

Trois ans après la catastrophe, le Rio Doce continue de charrier la boue collée sur ses berges et dans ses fonds.

A droite : « Samarco nous a sommésde ramasser les poissons morts et de les cacher si on nous questionnait », se souvient Simon Barbosa dos Santos, un pêcheur de 74 ans.

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14 | CULTURE MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

L’amour en péril à MarseilleJean-Bernard Marlin conte la liaison passionnelle entre deux adolescents dans le milieu de la prostitution

SHÉHÉRAZADEpppv

On se souvient du per-sonnage du roi dePerse, dans Les Milleet Une Nuits, qui,

trompé un jour, décide d’épouser et d’exécuter une vierge quoti-diennement pour éviter à l’ave-nir cette situation fâcheuse. Cette manière originale de coupercourt au débat #metoo rencontre en Shéhérazade une redoutable adversaire qui suspend la sen-tence du roi en l’assujettissant aurécit feuilletonné nuit après nuit àson intention. Jean-Bernard Mar-lin a donc bien fait d’intituler son premier long-métrage du nom de la conteuse désarmante, car son film, avec des moyens et dans un décor très différents, raconte un peu la même histoire.

Situé dans le milieu de la délin-quance juvénile à Marseille, Shé-hérazade appartient à ce type defilm qu’on nomme un peu pom-peusement « fiction documen-tée », ce qui veut tout simplement

dire qu’il tire dans le meilleur des cas de son substrat documentaireune authenticité plus vive et une puissance d’incarnation décu-plée. De Toni (1935), de Jean Re-noir, à La BM du Seigneur, de Jean-Charles Hue, en passant par La Viede Jésus, de Bruno Dumont, le cinéma français, après le néo-réalisme italien, en livre quelquesremarquables exemples.

Jean-Bernard Marlin, 38 ans,prend brillamment la suite. Mar-seillais d’origine, il a mené voici quelques années un travail docu-mentaire auprès des mineurs délinquants de la ville, s’est im-mergé pour les besoins de ce film plusieurs mois dans le milieu de la prostitution du quartier de la Rotonde, s’est inspiré par surcroît d’un fait divers survenu en 2013, arecruté enfin ses acteurs dans les quartiers et les foyers, aussi bienque dans les prétoires. Du réel, etdu plus lourd, en un mot, que leréalisateur a eu non seulement le mérite de vouloir approcher,mais aussi, car il n’y suffit pas, le talent de transsubstantier en ma-tière cinématographique.

A l’image du jeune couple duquartier de La Belle-de-Mai, qui va électriser et illuminer sonfilm, y faire rayonner une aurapasolinienne. Dylan Robert et Kenza Fortas ont connu, dans la vraie vie, la prison pour l’un,le foyer pour l’autre. Dans le film, ils incarnent Zachary, 17 ans, et Shéhérazade, un peu moins.Le premier sort de prison, accom-plissant la figure inaugurale d’un polar de la rechute, plus souvent que de la rédemption (il faudravoir le film pour savoir ce qu’il en advient ici).

Dure à cuire et œil de velours

Tignasse teinte sur un beauvisage basané, concentré de « mé-tèque » libre comme l’air et sansorigine contrôlée, corps ductilede petit marlou, nerfs de la survieà fleur de peau, l’adolescent erre sans attaches dans Marseille. Seprend la tête avec son éducatrice. Se prend la tête avec sa mère, elle-même déclassée, qui ne tient pas à ce qu’il revienne. Se prend la tête avec le mec de sa mère, qui levire manu militari. Se prend la

tête avec la bande de voyous à la-quelle il est plus ou moins affilié.

Zonant ainsi, en compagnie duseul ami qu’il lui reste, abruti de la troupe avec lequel il ne man-quera pas de se prendre la tête, iltombe sur un groupe de mineu-res prostituées qui font le pied de grue sur le bitume marseillais. Sous ces atours se présente lajeune Shéhérazade, dure à cuire et œil de velours, port de reinesur déhanché de pute, qui le vole au coin du bois avant de lui don-ner son cœur en même tempsque son corps. Un ménage s’éta-blit ainsi, dont le sordide le dis-pute à la beauté. Ici, proxéné-

tisme, protection rapprochée, pied de grue devant la porte d’un immeuble dans le hall duquel la fiancée, slip aux chevilles, esttirée vite fait par trois lascars,défouraillage nocturne avec le ré-seau bulgare d’à côté.

Jalousie meurtrière

Là, pourtant, la fille démunie qui adopte son mac, qui se donne à luicomme on se donne à l’amour, et lui qui trouve en elle la chaleur et la confiance que personne ne lui ajamais octroyées, et ce sentiment qui les lie de plus en plus fort, deplus en plus beau, quand bien même ils ne se l’avouent pas, quand bien même ils n’auraientpas les mots pour le dire, quand bien même tout autour d’eux semble devoir le flétrir.

On l’a compris, une histoired’amour est née, qui est celle que raconte fondamentalement lefilm, mais qui s’accompagne, à mesure qu’elle prend de la place, d’une montée tragique des périls. Dangers de la rue, trahison des proches, préjugés crasseux, jalou-sie meurtrière. Tout cela va natu-

Un casting sauvage qui a duré six moisLe réalisateur Jean-Bernard Marlin a déniché les deux acteurs principaux de son film, Dylan Robert et Kenza Fortas, dans les rues de Marseille

RENCONTREangoulême - envoyé spécial

D ans le jardin de l’hôteld’Angoulême où se pres-sent les festivaliers, Jean-

Bernard Marlin affiche la mine in-quiète d’un homme obligé de cou-rir, un flacon de nitroglycérine à lamain. Assis en face du réalisateur de Shéhérazade, Kenza Fortas et Dylan Robert, les deux acteurs principaux, se prêtent avec un peu de lassitude et beaucoup d’imprévisibilité au jeu des inter-views à la chaîne. Avant le Festival du film francophone d’An-goulême, fin août, où Shéhéra-zade remportera le grand prix, ils se sont livrés à l’exercice à Cannes.

Le réalisateur, qui signe son pre-mier long-métrage de fiction, a peiné pour trouver ces deux-là. Il a fait procéder à un casting « sau-vage », en distribuant des flyers dans les rues de Marseille. Un pro-cessus qui a occupé six mois à temps plein et consommé une bonne partie du modeste budget de la production. Une fois qu’il aeu trouvé les deux rôles princi-paux, il ne leur a donné que quel-ques fiches, leur cachant le scéna-rio intégral « pour qu’ils soient sur-pris par ce qui arrive ».

Dylan Robert savait très bien cequi allait arriver à Zach, son per-sonnage d’adolescent délaissé, qui devient proxénète presque par hasard, vengeur par néces-

sité : « J’ai piqué le scénario et je l’ailu en cachette. » Avec ses longs cheveux noirs, ses lunettes de so-leil qu’il n’enlève pas pour l’entre-tien, malgré l’insistance du met-teur en scène, Dylan Robert ne ressemble pas à l’angelot exter-minateur de Shéhérazade, mais à un jeune homme prêt à profiterde toutes les occasions que peutoffrir la vie. Comme sa collègue, ilcommence à trouver le jeu desquestions « un peu lassant ». Il ra-conte de nouveau comment, à sa sortie de prison, alors qu’il s’ap-prêtait à reprendre sa formation de carreleur, son éducatrice lui aappris qu’un metteur en scènecherchait un garçon « pour un film sur la jeunesse marseillaise ».

La jeunesse marseillaise de Dy-lan Robert a été mouvementée.Non qu’il la raconte par le menu,mais elle ressurgit au détourd’une question. Evoquant les sé-quences de rue, celles qui atti-raient la foule des curieux, il dit :« Je faisais venir mes proches, mes collègues, pour me sentir ensécurité. » Dans son quartierdu 3e arrondissement, le jeunehomme a fait « des choses pasnettes » et redoutait, comme Zach, d’être pris dans un cycle devengeance. Ces jours de tournageen terrain découvert, il mettait« la capuche et les lunettes » et setenait un peu à l’écart de l’équipe.Jean-Bernard Marlin expliqueque, souvent, il a fallu changer le

plan de tournage en fonction de ces considérations.

« Mais j’ai quitté ce délire-là »,ajoute Dylan Robert, qui aimerait tourner de nouveau, comme Kenza Fortas. La jeune fille est un peu moins diserte. Elle avait quitté l’école quand sa mère a en-voyé sa photo à la directrice de casting, Cendrine Lapuyade. « Jen’avais pas spécialement envie d’être actrice », dit-elle, et le réali-sateur renchérit : « C’est aussiparce que, ni l’un ni l’autre, ils ne rê-vaient de cinéma que je les ai pris. »

Elle vient du même quartierque Dylan, ils se sont d’ailleurs croisés au collège, sans vraiment se connaître. Mais elle recon-naît qu’avant de jouer son per-

sonnage de jeune prostituée ellene s’était jamais préoccupée du sort des femmes qui font le trot-toir autour de la gare Saint-Char-les. Quand la petite équipe tour-nait place Labadie, au milieu des professionnelles, il est arrivé quedes voitures s’arrêtent devantl’actrice pour lui demander sestarifs : « Au début ça faisait rire, à la fin c’était lourd », dit Kenza.Une fois qu’elle aura accompagnéle film pour sa sortie, elle rega-gnera le système scolaire qu’elleavait déserté, avec en ligne de mire « un CAP petite enfance » et, derrière elle, « des rencontresqu’[elle] n’aurai[t] pas pu faire autrement ». p

thomas sotinel

Dylan Robert interprète Zachary. AD VITAM

Dylan Robert

et Kenza Fortas

ont connu,

dans la vraie vie,

la prison

pour l’un, le foyer

pour l’autre

rellement et gravement déraper. Et finir, pour mieux recommen-cer peut-être, devant une cour de justice qui, remplaçant les actes par les mots, devient la scène théâtrale des passions funestesen même temps que de la vérité des sentiments.

Autant dire que Shéhérazade,entre sale règlement de comptes et romance juvénile, avance sur un fil ténu. Ses partis pris formels,lumières au néon, féerie noc-turne, caméra portée exaltant le velouté des peaux, musique cha-loupée des accents, célébration impétueuse de la jeunesse, nousemportent loin de la misère que le film affronte dans le même temps. De même que dans le conte persan, Marlin, maître en-chanteur de la mise en scène du récit, possède visiblement l’art de transformer le plomb en or. A l’instar de Flaubert, il pourrait dire : « Shéhérazade, c’est moi. » p

jacques mandelbaum

Film français de Jean-Bernard Marlin. Avec Dylan Robert, Kenza Fortas, Lisa Amedjout (1 h 49).

pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 culture | 15

Les martiens attaquentune société qui court à sa perteLe nouveau film de Kiyoshi Kurosawa, remontage d’une série télévisée réalisée par le Japonais, frappe par son épure

INVASIONpppv

L’œuvre du JaponaisKiyoshi Kurosawa, néen 1955, maître d’un fan-tastique cérébral son-

dant les gouffres d’une quotidien-neté atone, traverse en ce momentune phase d’effervescence pas-sionnante, qui consiste non seule-ment en un regain d’activité (cinq films en trois ans), mais aussi en des expériences narratives et plas-tiques toujours plus surprenantes.Invasion, son dernier long-mé-trage en date, présenté à la Berlinale 2018, s’inscrit dans une séquence de création assez complexe. Réalisé dans la foulée d’Avant que nous disparaissions (sorti en France en mars), ce nou-veau film apparaît comme son re-make, mais sur une tonalité com-plètement différente.

Les deux œuvres sont, en effet,issues d’un même matériau : la pièce de théâtre Sanpo suru shin-ryakusha, du dramaturge Tomo-hiro Maekawa, relecture caustiquedes films de science-fiction des an-nées 1950 carburant à la menace extraterrestre. Sur la base de la pre-mière adaptation, la chaîne japo-naise Wowow a ensuite com-mandé à Kurosawa une version té-lévisée, sous la forme d’une mini-série en cinq épisodes de trente minutes, dont Invasion est le re-montage en cent quarante minu-tes à destination du grand écran.

Invasion reprend donc, à peu dechose près, le même argument qu’Avant que nous disparaissions(qu’il n’est pas besoin d’avoir vu pour autant). Des émissaires ex-traterrestres ayant pris posses-

sion de corps humains s’infiltrentincognito dans la population pour lui voler des concepts et pré-parer ainsi l’invasion à venir. Une légère application du doigt sur lefront d’un interlocuteur suffit àlui retirer, pour se les accaparer, de grandes notions fondamenta-les, telles que celles de « famille »,de « fierté », de « vie » ou de « tra-vail ». Mais alors qu’Avant que nous disparaissions relatait le pé-riple des émissaires sous un jour ouvertement fantaisiste et ro-cambolesque, Invasion s’attache àla perspective des humains. Res-serrant son champ d’action autour d’un couple ordinaire, ilemprunte une voie plus sombre et plus inquiétante.

Etsuko (l’actrice et mannequinKaho), ouvrière textile, voit sonquotidien lentement dérailler enraison de la nervosité de son mariTetsuo (Shota Sometani) et del’égarement d’une collègue, quine reconnaît plus ses proches.Tout remonte à l’arrivée d’un nouveau chirurgien dans l’hôpi-tal où Tetsuo travaille comme in-firmier, le docteur Shiro Makabe(Masahiro Higashide). Ce dernier,un extraterrestre infiltré, a jetéson dévolu sur le pauvre aide-soi-

gnant pour en faire son « guide »,un subordonné chargé de luifournir de nouvelles victimes àlobotomiser. Pour cela, le faux médecin l’invite à puiser parmises inimitiés – telle collègue arro-gante, tel ancien professeur mal-veillant –, aiguillonnant son res-sentiment pour mieux se l’atta-cher. Etsuko se rend compte de lamanipulation et fait tout son possible pour soustraire son mari à l’emprise de Makabe,quand bien même l’invasion fi-nale serait imminente.

Tension et étrangeté

Invasion frappe d’abord par son épure, doublée d’une maîtrise impressionnante. Dès les premiè-res scènes dans l’appartement ducouple, Kurosawa semble reveniraux fondamentaux de son ci-néma : l’inquiétante familiaritéde l’univers domestique, la désaf-fection qui menace le foyer, lesespaces habités par une angoissesourde, une caméra suspenduequi se faufile entre pièces et cou-loirs à pas feutrés… Le cinéasteparvient à distiller tension et étrangeté, puis à susciter un sen-timent eschatologique, sans re-courir aux effets spéciaux, sinonpour faire trembler un miroir oudonner à des rideaux secoués parun courant d’air une apparence spectrale. L’essentiel se joue ici entre une poignée d’acteurs et un

sens aigu de la mise en espace, les personnages arpentant deslieux ordinaires et strictementanonymes, devenus oppressants à l’aune d’une menace diffuse.Et quoi de plus naturel, puisquela grande question de Kurosawasur l’être humain est de savoirce qui le limite et le caractérise enmême temps.

Bénéficiant de la souplesse et dela sinuosité de l’écriture sérielle, lefilm captive par sa capacité à entremêler la scène collective et la scène intime, se situant tou-jours sur deux niveaux. La con-quête extraterrestre, habilement

suggérée, consiste surtout à figu-rer une perte de sens générale, àl’échelle de toute une société qui, dépossédée de ses concepts (oude ses valeurs), s’effondre dans l’apathie et l’insensibilité. A ce ti-tre, les scènes les plus marquantessont celles où l’on voit les émissai-res marcher dans des lieux pu-blics (hôpital, usine) et tous les humains s’écrouler autour d’eux, comme une traînée de poudre.

Face à cela, l’autre histoire d’In-vasion est celle d’un couple amené à lutter contre sa propre désunion et les démons qui le ron-gent (fascination, emprise, frus-

tration sociale, faiblesse de carac-tère, addiction), cherchant à se re-construire dans la tourmente. L’étrangeté inaugurale apparue dans le quotidien d’Etsuko peut ainsi se voir comme le retour d’unrefoulé collectif, celui d’une so-ciété qui court à sa perte, destin ca-tastrophique auquel le jeune cou-ple n’avait, jusqu’alors, pas vrai-ment conscience d’appartenir. p

mathieu macheret

Film japonais de Kiyoshi Kurosawa. Avec Kaho, Shota Sometani, Masahiro Higashide (2 h 20).

Scène d’« Invasion » : Etsuko (Kaho) et son mari, Tetsuo (Shota Sometani), dans l’hôpital où sévit un extraterrestre. ART HOUSE FILM

L’histoire est

aussi celle d’un

couple amené

à lutter contre sa

propre désunion

et les démons

qui le rongent

Bazar raisonné sur BergmanLa réalisatrice allemande Margarethe von Trotta brosse un portrait sans vraie perspective du cinéaste suédois, né il y a cent ans

À LA RECHERCHED’INGMAR BERGMAN

pvvv

S’ il est une chose qu’il se-rait souhaitable d’épar-gner à Ingmar Bergman,

c’est bien un centenaire (l’hommeest né le 14 juillet 1918 à Uppsala,en Suède). Figure canonique du cinéma d’auteur, monumentd’un art auquel il a légué lecontinent de l’exploration inté-rieure, Bergman, déjà statufié de son vivant, aspirerait sans doute à se passer, mort, du prurit commémoratif. Ce documentairequi lui est aujourd’hui consacré n’en est pas moins la premièrepierre posée pour une démons-tration de force qui culminera au mois de septembre avec l’inté-grale de son œuvre projetée à la Cinémathèque française.

S’il faut, en vérité, se réjouir deces initiatives qui saluent à justeraison un génie du cinéma, force est d’admettre qu’un documentcomme celui qu’on nous propose

aujourd’hui, sans être dénué d’in-térêt, tombe précisément dansles travers de l’hommage de cir-constance. A la recherche d’Ing-mar Bergman ne trouve en effetrien que l’amateur éclairé ne sa-che déjà. C’est sans doute que son auteure, l’actrice et réalisatrice al-lemande Margarethe von Trotta, qui l’a connu, ne s’est résolue àrien d’autre que de faire le tour de la montagne, tâche immense,sans doute, mais dénuée de perspective et condamnée àressasser les vérités premières.

« Il ne m’a jamais manqué »

Point de vue personnel, témoi-gnages de proches, de collabora-teurs ou de critiques, extraits de films, extraits d’entretiens avecl’auteur, archives d’époque, tout yest en termes de méthode explo-ratoire, mais rien n’est vraiment interrogé ni creusé, les filets ne nous ramènent qu’un condensé de l’histoire officielle, où l’anec-dotique voisine avec l’analyse cinéphilique. Les chefs-d’œuvre tant classiques que modernes (du

Septième Sceau à Fanny et Alexan-dre), le génie de la direction d’ac-teurs, le rapport névrotique aux femmes et à la famille, la person-nalité difficile. Dans ce bazar rai-sonné, certains témoignages cla-quent néanmoins, tels celui de Daniel Bergman, fils du metteur en scène et de la pianiste Käbi Laretei. Agé de 55 ans, fils de deuxgrands artistes dévorés par leurart, et particulièrement d’un père insoucieux de sa descendance, Daniel, qui garde un souvenir amer de son enfance, a malen-contreusement choisi de faire le même métier que son père, qui l’autorise à dire de lui : « Depuis samort, il ne m’a jamais manqué. »Ce personnage, poignant, pour-rait faire l’objet d’un film à partentière. On aurait aimé que celuidans lequel il figure suggère avecune égale force de convictionpourquoi Ingmar Bergman man-que à tant de gens. p

jacques mandelbaum

Documentaire de Margarethe von Trotta (1 h 40).

L ÉMOTION SURGIT SANS CRIER GARE LE JDD

SAUVAGE BRILLE PAR SON EXTRÊME DOUCEUR LES INROCKUPTIBLES

FÉLIX MARITAUD ÉPOUSTOUFLANT TÉLÉRAMA

UNE UÊTE D AMOUR ÉPERDUE LE MONDE

LES FILMS DE L A CROISADE et L A VOIE L ACTÉE présentent

ACTUELLEMENT

ANDESCENTLA SEPTIÈME OBSESSIONINCANDESCENT

TÉLÉRAMA

MIRACULEUXL E PRESS

BOULEVERSANTPREMIÈRE

FABULEUXL UMANITÉ DIMANC E

MA EURSIDÉRANTSUD-OUEST

UNE MÉTÉORITEGRAZIA

UN FILM DECAMILLE VIDAL-NAQUET

D’ANGOULÊME 2018VALOIS DU

MEILLEUR ACTEUR

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16 | culture MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

Un délit de grossesse au MarocLa jeune Meryem Benm’Barek impressionne par sa maturité de scénariste

SOFIAppvv

Sofia appartient à cette ca-tégorie de films qui dé-fient les bonnes maniè-res de la critique : sa force

réside dans son ressort dramati-que ; or, celui-ci ne se détend qu’aux trois quarts de la projec-tion, propulsant les personnagesdans une direction inattendue,ouvrant des perspectives que le cinéma explore rarement. Endévoiler le mécanisme seraitd’autant plus nocif qu’il ne s’agitpas ici d’un « twist » ludique,mais d’une invitation plus qu’énergique à regarder une si-tuation, à la fois très marocaineet tout à fait universelle, en chan-geant radicalement de point de vue. Bref, tout en recom-mandant le spectacle de Sofia, ilfaudra parfois rester un peu va-gue pour en parler.

Rien de plus net pourtant quela situation de départ. Un déjeu-ner familial réunit deux sœurset leurs familles. Leila (Lubna Azabal) vit dans l’opulence. Ellea épousé un homme d’affaires français (qu’on ne verra jamais),sa fille, Lena (Sarah Perles), afait des études de médecine. Zineb (Nadia Nazi) reçoit dans son intérieur un peu étriqué. Sonépoux, Faouzi (Faouzi Bensaïdi), s’apprête à sortir de la gêne en

concluant une affaire grâce à l’entregent de sa belle-sœur.Leur fille, Sofia (Maha Alemi),à peine sortie de l’adolescence,s’affaire à la cuisine, avec unemine de déterrée.

En à peine une demi-heure,Lena aura diagnostiqué la gros-sesse de sa cousine, dont cette dernière n’avait pas conscience,et l’aura aidée à accoucher dans un hôpital de Casablanca,alors qu’au Maroc les relations sexuelles hors mariage sont pas-sibles de prison.

Primé à Cannes et à Angoulême

Ces séquences ont pour elles laconcision, même si toute la vi-tesse du monde ne peut faire pas-ser les lacunes du découpage, leslibertés prises avec la vraisem-blance – plus gênantes dans un récit aussi réaliste que celui-ci que dans une fable. MeryemBenm’Barek n’a qu’une poignée de courts-métrages à son actif et, pour l’instant, sa puissance d’évocation (des situations, desidées) de scénariste dépasse en-core son savoir-faire de réalisa-trice. Les deux prix que son film areçus, à Cannes (où il était pré-senté dans la section Un certainregard) et à Angoulême, ont saluéle scénario de Sofia.

Peu importe, car dès ces premiè-res séquences le choc entre le sortde Sofia et les institutions et cou-

tumes marocaines se double d’undialogue acerbe, d’abord dérou-tant puis fascinant, entre les deuxcousines. L’incompréhension qui se creuse entre les deux jeunesfilles se manifeste d’abord par la différence de langue : l’une est francophone, l’autre arabo-phone. Elle devient un gouffrelorsque l’on commence à discer-ner les stratégies respectivesde Lena et Sofia.

La première tient à faire préva-loir les droits des femmes, à punirle garçon dont sa cousine est enceinte, qu’elle tient pour un violeur. Pourtant Omar (HamzaKhafif) n’a rien d’un ogre. Lors-que la famille de Sofia au grandcomplet rend une espèce de visite d’Etat à celle du jeune homme, on comprend qu’il s’agitmoins d’obtenir réparation quede négocier une issue avanta-geuse pour tout le monde.

A ce moment, la victime sembleencore maintenue à la périphériedes transactions : la fraction hup-pée du clan tente d’arranger les choses à force de dirhams, les pa-rents de Sofia se préoccupent du qu’en-dira-t-on… Mais, peu à peu, Meryem Benm’Barek dévoile lapersonne qui se cache derrière le visage buté de Maha Alemi,l’actrice débutante qui tient le rô-le-titre. La fille désœuvrée des sé-quences d’ouverture se mue en un être complexe, qui inspire bien d’autres sentiments que lacompassion. Pour tenter de la cer-ner, il faut plonger dans les replis de cette situation infinimentplus ambiguë que le cas socialqu’on a cru deviner.

Comme beaucoup de cinéastesde pays émergents/en voie de dé-veloppement (rayer la mention inutile), Meryem Benm’Barek ex-plore la frontière entre classes. Elle le fait avec mépris pour lesconventions de ce qui est devenu presque un genre dans le cinéma d’auteur contemporain, avec une lucidité qui interdit les fausses pudeurs politiques et fait oublierles imperfections de cet impres-sionnant début. p

thomas sotinel

Film marocain et français de Meryem Benm’Barek, avec Maha Alemi, Sarah Perles, Lubna Azabal (1 h 20).

Les joies de la famille selon Meryem Benm’Barek. MEMENTO FILMS

DISTRIBUTION

Dès les premières

séquences,

le choc entre

le sort de Sofia

et les coutumes

marocaines

se double d’un

dialogue acerbe

LaCinetek, un site pour visionnerles chefs-d’œuvre du XXe siècleCréée et animée par des réalisateurs, la plate-forme de films du patrimoine veut fidéliser un public de plus en plus sollicité

E nvie d’une « ciné cure » ?Aux sorties hebdomadai-res de films en salle, il faut

aujourd’hui ajouter les sélections proposées sur les plates-formes devidéo à la demande – comme le site britannique Mubi (un nou-veau film d’auteur par jour) ou la coopérative française Tënk (un choix de documentaires chaque semaine). A son tour, à partir du 10 septembre, LaCinetek, créée en 2015 par les réalisateurs Pascale Ferran, Laurent Cantet et Cédric Klapisch et par le président de la plate-forme UniversCiné, Alain Rocca, lance son offre de dix films du « patrimoine » – le plus récent étant Mulholland Drive (2001), de David Lynch – chaque mois.

Les cinéastes signent la partieéditoriale et UniversCiné assure la prestation technique. Pour 2,99 euros par mois (ou 30 euros par an), LaCinetek offre de vision-ner dix œuvres choisies selon une thématique. Septembre sera le temps des premiers films, Accat-tone (1961), de Pier Paolo Pasolini,

La Nuit des morts-vivants (1968), de George A. Romero, ou Wanda (1970), de Barbara Loden. Octobre sera consacré aux histoires d’amour, des Fiancées en folie (1925), de Buster Keaton, à La Femme d’à côté (1981), de François Truffaut. Novembre sera branché sur l’adolescence, avec notam-ment Passe ton bac d’abord (1978), de Maurice Pialat.

Un outil de transmission

Cette formule vise à rendre plus li-sible l’offre de LaCinetek, ainsi que d’en abaisser le prix – le vision-nage à l’unité coûte 2,99 euros. « Au départ, nous avons créé cette cinémathèque car cela nous ren-dait dingues de constater que des chefs-d’œuvre du cinéma n’étaient pas accessibles, explique Pascale Ferran. LaCinetek est avant tout unoutil de transmission. Notre struc-ture est associative, à mi-chemin entre le commercial et l’intérêt gé-néral, avec le soutien du Centre na-tional du cinéma et du programmeMedia de l’Union européenne. »

L’autre singularité de LaCinetekest d’être alimentée par les réali-sateurs eux-mêmes, chacun pro-posant cinquante films jugés in-contournables. Une soixantaine de cinéastes ont joué le jeu, tels l’Allemande Maren Ade, le Hong-kongais John Woo, le Portugais Miguel Gomes, le Tchadien Maha-mat-Saleh Haroun, le Japonais Hi-rokazu Kore-eda, les Français LeosCarax, Céline Sciamma, Alain Gui-raudie et Noémie Lvovsky.

Après un financement partici-patif lancé cet été, LaCinetek compte quelque 1 000 abonnés. « Nous avons un catalogue de 925 films, dont un quart sont des “iné-dits”, c’est-à-dire seulement dispo-nibles sur notre plate-forme », ajoute Pascale Ferran, en citant Lola, une femme allemande (1981), de Rainer Werner Fassbinder, etL’Impossible Monsieur Bébé (1938),de Howard Hawks. Prochaine étape : LaCinetek proposera bien-tôt ses services en Allemagne et en Autriche. p

clarisse fabre

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NE K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr

pvvv POURQUOI PASUn nouveau jour sur terreDocumentaire anglais et chinois de Richard Dale, Fan Lixin et Peter Webber (1 h 34).Après Un jour sur terre (2007), d’Alastair Fothergill et Mark Linfield, documentaire et exploration de la planète sous toutes ses coutures animales, voici Un nouveau jour sur terre, de Richard Dale, Fan Lixin et Peter Webber. Grâce à un déploie-ment de caméras aux quatre coins du monde, l’équipe du film capte des moments rares : quels sont les gestes du panda à son réveil ? La jeune zébrelle qui tient tout juste sur ses pattesarrivera-t-elle à traverser le fleuve rempli de prédateurs ? Les bébés iguanes, qui semblent sortis d’E.T., sont guettés par les serpents affamés et risquent de mourir à peine éclos. Spectacle et frousse garantis. Malheureusement, l’absence de récit ou plutôt la répétition des mêmes ressorts – mourra, mourra pas ? – rendent assez vite le film ennuyeux. On absorbe les images comme on tourne les pages d’un guide touristique. Passivement et sans trop réfléchir. p cl. f.

vvvv ON PEUT ÉVITERFree Speech. Parler sans peurDocumentaire anglais et allemand de Tarquin Ramsay (1 h 19).Jeune producteur réalisateur anglais de 23 ans, Tarquin Ramsay met en scène dans son premier film documentaire un adolescent qui relève le défi d’interroger la notion de liberté d’expression. Un défi qui l’entraîne, durant cinq ans, auprès de diverses personnalités dont il recueille le témoignage et l’avis sur les enjeux et l’importance de ce droit fondamental. Julian Assange (fondateur de WikiLeaks), John Kiriakou (lan-ceur d’alerte), Sarah Harrison (journaliste), Jacob Appelbaum (journaliste et hackeur), Jude Law (acteur)… se succèdent au long de différentes séquences d’archives et plans cinématographiques un peu naïfs. Rien de ce qui s’exprime n’étonne ni n’éclaire. Pire, on s’ennuie ferme à écouter les propos des uns et des autres dont l’ingénuité se pare d’une forme cinématographique alambiquée tout aussi naïve. p v. ca.

Photo de familleFilm français de Cécilia Rouaud (1 h 35).Cécilia Rouaud revient à la comédie dramatique familiale après Je me suis fait tout petit (2012). Moins inspiré, Photo de famille réunit une fratrie disjointe et ses parents à l’occasion de l’Alzheimer de la grand-mère. Surécrit, surtypé, attendu, veillant avec application à la distribution du rire et des larmes, le film semble répondre à une programmation sociodramati-que qui nivelle et harmonise tous les événements, ne laissant aucune chance à la surprise, au naturel, à l’invention. p j. ma.

WhitneyDocumentaire anglais et américain de Kevin Macdonald (2 heures).Whitney Houston était en quelque sorte prédestinée à devenir une star de la pop : cousine de Dee Dee et de Dionne Warwick, fille de la chanteuse et choriste Cissy Houston et dotée d’une voix hors du commun. Le documentaire, présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes, revient sur cette trajectoire, celle d’une diva qui, tout en connaissant un succès planétaire, doit chaque jour négocier avec ses démons : un traumatisme d’enfance, une addiction à la cocaïne, un couple qui bat de l’aile, un père qui s’improvise agent et finit par lui vider ses comptes. S’il était difficilement envisageable de parler de Whitney Houston sans évoquer sa part sombre, on est en droit de se demander si Whitney relève de l’hommage ou de l’étalage sulfureux de sales petits secrets digne d’un tabloïd sans scrupule. p m. j.

À L’AFFICHE ÉGALEMENTEn douceFilm français de Jean Jonasson (50 min).

ACTUELLEMENT

ARCHIPEL 35 présente

AFFICHE©CÉCILEPHILIBERT

“TOUCHANT ETPROFONDÉMENT HUMAIN.”MADAME FIGARO

“SUBTIL ET DÉLICAT.”TÉLÉRAMA

“UN SUPERBE HOMMAGE ÀLA JEUNESSE D’AUJOURD’HUI.”L’HUMANITÉ

DE CHAQUEINSTANTINSTANTUN FILM DE NICOLAS PHILIBERT

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 culture | 17

Indignation après l’incendie du Musée de RioDes pièces très précieuses, dont le squelette du plus vieil « Homo sapiens » d’Amérique du Sud, sont perdues

rio de janeiro - envoyée spéciale

Il était un peu plus de 2 heuresdu matin, lundi 3 septembre,quand les pompiers sont par-venus à neutraliser l’incen-

die. Après avoir été dévoré par les flammes pendant plus de six heu-res, le Musée national de Rio de Ja-neiro, au bord de l’effondrement, était déjà en cendres. « 200 ans d’Histoire détruits », titrait lundi en « une » le quotidien O Globo. « Une tragédie annoncée », com-plétait l’Estado de Sao Paulo.

Après s’être rendu sur les lieux,où il fut hué, le ministre de la culture, Sergio Sa Leitao, a annoncé le déblocage immédiat de 10 millions de reais (2 millions d’euros), tout en appelant à l’aide internationale. Lundi soir, le Portugal proposait sa collabora-tion pour la reconstruction de ce joyau du patrimoine lusophone etle chef d’Etat français, Emmanuel Macron, offrait « ses experts au service du peuple brésilien ».

Plus vieille institution acadé-mique du Brésil, référence en Amérique latine, le musée de Rio,créé en 1818 par l’empereur Dom Joao VI, était abrité depuis 1892 dans le palais de Sao Cristovao,résidence de la famille impérialeportugaise, dans la zone nord deRio. C’est dans cet édifice que fut signée l’indépendance (en 1822), là où naquit la princesse Isabelle (en 1846), là, aussi, où furent re-çus après l’ouverture du musée au public, en 1900, Albert Einstein, Marie Curie ou AlbertoSantos-Dumont, le pionnier del’aviation brésilienne.

Le musée conservait des piècesde collection d’une valeur inesti-mable. Parmi elles, le squelette deLuzia, plus vieil Homo sapiensd’Amérique du Sud, daté de plus de 11 000 ans, des momies égyp-tiennes ou des squelettes de di-nosaures… A en croire les premiè-res estimations, seules 10 % desœuvres auraient été préservées, dont la météorite de Bendego.

« Aujourd’hui est un jour tragi-que. (…) Deux cents ans de travail, de recherches, de connaissances ont été perdus », a réagi le prési-dent du pays, Michel Temer. Une « tragédie incommensurable » a ajouté son ministre de la culture,Sergio Sa Leitao.

L’incendie, qui n’a fait aucunevictime, a démarré aux alentoursde 19 h 30 dimanche soir. Les por-tes du musée étaient closes etseuls quelques vigiles étaient sur les lieux. L’origine du drame resteinconnue. Mais à en croire M. Sa Leitao, une montgolfière ou uncourt-circuit serait en cause. « Il

semble que le feu ait pris par le haut », a-t-il expliqué au quoti-dien O Estado de Sao Paulo.

Arrivée sur le lieu au cours de lanuit, la vice-directrice de l’établis-sement, Cristiana Serejo, serait tombée à terre d’émotion. Interro-gée par les médias brésiliens, elle aexpliqué que la mise à jour du pro-gramme anti-incendie était pré-vue mais n’avait pas encore été fi-nalisée. Les PPCI, plans de protec-tion et de prévention des incen-dies, sont obligatoires dans les monuments publics. Mais faute de ressources, leur optimisation laisse souvent à désirer. Le musée n’avait ni portes coupe-feu, ni ex-tincteur et les détecteurs de fuméene marchaient pas. Et faute d’eau suffisante dans les réservoirs alen-tours, les pompiers ont dû faire ve-nir des camions-citernes.

« Cet accident ne doit rien auhasard !, enrage Olivia Pedro, anthropologue à l’universitéfédérale de Rio, établissement encharge du musée et financé par l’Etat. Depuis des années, il y a uneguerre contre le monde acadé-mique. On doit se battre pour no-tre survie. » Victimes de la crise et peu valorisées par les pouvoirspublics, la culture et les sciencesont fait l’objet de sévères coupes budgétaires ces dernières années.Et les sommes allouées par Brasilia au musée ont été diviséespar deux entre 2013 et 2017, rapporte le quotidien Folha deSao Paulo.

« Cette tragédie est le fruit d’unenégligence absolue en marche de-puis des années. Il n’y a aucune excuse », souffle Gaudencio Fidelis. Curateur de renom au Bré-

sil, l’homme a eu la charge du Mu-sée des arts de Rio Grande do Sulentre 2011 et 2014. « Quand j’ai prismes fonctions, rien n’était au point. J’ai entamé la mise à jour duplan incendie, cela a pris deux ans pendant lesquels je ne dormais pas de la nuit ! », raconte-t-il.

Devenu l’illustration d’un paysen ruine, méprisant sa propre culture et son passé, le musée de Rio était depuis plusieurs années déjà laissé à l’abandon. Les employés racontent les fils électri-ques à nu, les plafonds qui suintaient… En mai, à un mois de son bicentenaire, événement où aucun cacique de Brasilia n’a as-sisté, le directeur de l’établisse-ment, Alexander Kellner, expli-quait déjà au quotidien Folha de S. Paulo n’être en mesure d’ouvrir que dix salles d’exposition sur

trente. La pièce renfermant le squelette de la baleine à bosse et ledinosaure Maxakalisaurus, ron-gée par les termites, était notam-ment inaccessible au public.

« La plupart des autres muséesdu Brésil sont eux aussi dans unétat de délabrement avancé », si-gnale le curateur Gaudencio Fidelis. La multiplication des in-cendies, de centres historiques oupatrimoniaux, tels l’Institut Butantan en 2010 ou le Musée de la langue portugaise en 2015,témoigne de cette négligence coupable.

« Les gouvernements changentmais rien ne bouge. La culture est toujours le parent pauvre de l’Etat et nous assistons à ce naufrage sans réagir. Comme si la mémoire n’avait pas d’importance ici », commente Emilio Kalil, organisa-teur de la Semaine des arts à SaoPaulo et ex-directeur de théâtres nationaux.

La tragédie du musée de Rio ré-veillera-t-elle les consciences ? En pleine campagne électorale, le sujet de la préservation des mu-sées ne figurerait que sur deux destreize programmes analysés par l’agence de fact-checking Lupa. Seuls Rede, le parti écologiste de Marina Silva, et le Parti des tra-vailleurs (PT, gauche), dont la cam-pagne présidentielle est menée par Fernando Haddad – le rempla-çant présumé de Luiz Inacio Lula da Silva, emprisonné et jugé inéli-gible –, en faisaient mention. « Ce mépris envers le patrimoine histo-rique est lamentable », insistait sur Twitter M. Haddad.

Le gouvernement se mobilisedésormais pour la reconstructiondu musée dans les plus brefs délais. Mais les œuvres sont à jamais perdues, soulignent les chercheurs. p

claire gatinois

Vus du ciel, les restes du musée de Rio après l’incendie du 3 septembre. MAURO PIMENTEL / AFP

Le musée n’avait ni portes

coupe-feu ni extincteur

et les détecteursde fumée ne

marchaient pas

« Une valeur universelle »Président du Muséum d’histoire naturelle à Paris, Bruno David estime que les établissements français sont mieux protégés des incendies

ENTRETIEN

B runo David, président duMuséum national d’his-toire naturelle à Paris,

réagit à la destruction du musée brésilien.

Comment estimer la valeur des collections détruites par l’incendie de Rio ?

Cette valeur est infinie, inesti-mable. Ce musée possédait plus de vingt millions de spécimens,un patrimoine qui a une valeur universelle, bien plus que natio-nale. Pour donner une échelle, nous possédons au muséum 70 millions de spécimens. Cet in-cendie, c’est comme si un album de famille brûlait.

Quelles étaient les richesses les plus remarquables ?

Aux yeux des Brésiliens, il étaitd’une grande valeur affective de posséder le plus ancien squelette d’Homo sapiens jamais trouvé en Amérique latine. Mais ces collec-tions étaient aussi très riches en poissons fossiles, notamment de l’époque du crétacé. S’y trouvaitégalement un inventaire de l’Amazonie à différentes époques.

Ces pertes sont-ellesirrémédiables ?

Certains échantillons ont étéprélevés au XIXe siècle. Pour les remplacer, il ne suffit pas de re-trouver, par exemple, le même oiseau. Ces échantillons possé-daient des informations très ri-ches sur le moment historique de leur collecte, que révèlent lesanalyses biochimiques ou géochi-miques. Jamais on ne pourra re-trouver ces données.

Une autre perte qui semble irré-médiable, c’est tout ce que j’appel-lerais la littérature grise, ces archives qui peuvent paraître de second ordre et n’ont pas été nu-mérisées. Par exemple, la corres-pondance entre un chercheur chilien et un chercheur européen au XIXe siècle.

Un tel désastre pourrait-il se produire à Paris ?

Un cataclysme peut toujours ar-river. Mais la sécurité de nos bâti-ments est bien meilleure. Perdre ainsi nos collections ne serait guère envisageable : si une catas-trophe frappait à la fois nos lo-caux du Jardin des plantes et leMusée de l’homme du Trocadéro, cela voudrait dire que Paris est

détruit, et l’on aurait alors d’autres préoccupations !

Comment la sécurité de vos bâtiments est-elle assurée ?

Une veille contre l’incendie estassurée 24 heures sur 24, avec des caméras reliées au PC sécurité et une équipe plus importante que celle de Rio, qui ne consistaitqu’en quatre hommes, pour couvrir 13 000 m2 ! Le Musée del’homme vient d’être refait, je n’aidonc guère d’inquiétude.

En revanche, on pourrait êtreplus inquiet concernant la galerie de paléontologie, qui n’a pas été vraiment rénovée depuis 1898, même si des travaux ont été effec-tués récemment.

Le numérique peut-il offrir des solutions dans le cas de telles tragédies ?

Nous avons effectivement nu-mérisé l’intégralité des squelettes de la galerie de paléontologie, par exemple. En cas de désastre, onpourrait tout réimprimer en 3 D. Mais jamais ces artefacts de ré-sine ne procureront la même émotion que l’original. p

propos recueillis par

emmanuelle lequeux

« Cette tragédieest le fruit d’une

négligence absolue en

marche depuisdes années »GAUDENCIO FIDELIS

curateur

LA VILLE LOUVRE

LE PAYS DES SOURDS

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18 |télévision MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

HORIZONTALEMENT

I. Vous n’arriverez jamais à vous en

débarrasser. II. Ami d’enfance. Donne

du sens. III. La première peut être

bonne. Super-nana. IV. Supporte la

charge. Ouverture de gamme. Oblige

à redoubler. V. Deux de trois. Vivent

de leurs gages. VI. Dangereusement

efficaces. Complètement foutu.

VII. Céderas par la force. Autre moi.

VIII. Esprit. Possessif. Sur les plaques

bataves. IX. Sans effets et renversée.

Délicatement gravée. X. Démolitions

organisées.

VERTICALEMENT

1. Joliment arrondie. 2. Personnel.

Rarement seul quand il est versé.

3. Attend une réponse en retour.

4. Ouverture de compte. Me rendrais.

5. Fort parfum en bord de mer. Orga-

nisation internationale. 6. Ratèrent

leur coup au billard. 7. Vieux rumi-

nant disparu. Chez les Donald. En fin

de partie. 8. A trouver en cas de pa-

nique. Se négocie dans la descente.

9. Beau gâchis de plâtre et de marbre.

Appréciée au pub. 10. Dame du

monde. Laissait ses lecteurs dans l’at-

tente. Encadrent la leçon. 11. Arturo

pour ses proches. Pet-de-nonne ou

autre chichi. 12. Devraient pouvoir

encore tenir un bout de temps.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 18 - 206

HORIZONTALEMENT I. Epouvantails. II. Vouvoie. Vnia (vain). III. Ase. Les-

siver. IV. Lido. Usine. V. Ut. Pal. Terra. VI. Aiguière. Sec. VII. Tons. Se.

Cela. VIII. Ino. Nue. En. IX. Onusien. Pané. X. Nasillements.

VERTICALEMENT 1. Evaluation. 2. Positionna. 3. Oued. Gnous. 4. UV.

Opus. Si. 5. Vol. Ai. Fil. 6. Aïeules. El. 7. Ness. Renne. 8. Site. 9. Aviné.

Cèpe. 10. Inverse. An. 11. Lie. Relent. 12. Sarbacanes.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 18 - 207

PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°18-207

1 4 5 6

4 1

9

7 1 3

2 5 3 9

6 4

8 3 7 1

6 2 7 9 5Realise par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)

6 5 4 9 8 7 1 2 3

1 9 7 3 2 4 5 8 6

2 3 8 6 5 1 7 9 4

7 2 1 5 4 9 3 6 8

9 6 3 1 7 8 2 4 5

4 8 5 2 3 6 9 1 7

3 7 9 8 6 2 4 5 1

5 1 6 4 9 3 8 7 2

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Les histoires d’Esther passent des cases à l’écranPour Canal+, Riad Sattouf a réalisé l’adaptation en série animée de sa bande dessinée

CANAL+MERCREDI 5 - 20 H 55

ANIMATION

C’est l’histoire d’unefille de 9 ans qui parletrès très vite. Un peutrop même. Elle ha-

bite à Paris, dans le 17e arrondisse-ment. Son père est prof de sport, etsa mère travaille dans les assuran-ces ou dans une banque, elle ne sait pas trop. Elle n’est pas très ri-che et rêve d’avoir un téléphone portable. Comme beaucoup de mi-nots de son âge, elle adore Rai-ponce (le dessin animé de Disney), la chanteuse Tal et sa copine Eugé-nie, qui ne peut s’empêcher de pla-cer le mot « wesh » dans toutes ses phrases.

Elle trouve son frère – commetous les garçons – très « con », et quand on l’écoute on se demande bien à quoi ils servent. C’est le cas de son camarade Maxime, un blondinet qui la traite de « con-nasse », qui crache sur toutes les filles (qui sont pourtant amoureu-ses de lui) et qui porte la même doudoune que Maître Gims.

Esther est en CM1 dans une écoleprivée – parce qu’« il y a moins devoyous » que dans le public, selon son père (« Alors, il a complète-ment tort, mais je ne lui dirai ja-mais », dit-elle). Elle trouve sa maî-tresse « moche », probablement parce qu’elle a de la moustache.Comme tous les enfants du

monde, cette petite fille aux che-veux longs joue avec ses copines « au papa et à la maman », mais « personne ne joue le papa », etelle se demande bien pourquoi.Dans la cour de récréation, Esther prétend être « la plus populaire » des élèves et peut, contrairement à la maison, dire tous les gros mots qu’elle veut. Esther est sur-tout une fille espiègle et perspi-cace qui veut comprendre lemonde qui l’entoure.

Depuis le 3 septembre, Canal+diffuse chaque soir en clair (dulundi au jeudi à 20 h 55), un épi-sode de deux minutes des Cahiers d’Esther. Histoires de mes 10 ans. Ce dessin animé aux traits déli-cats raconte les véritables aventu-res d’Esther A., qui parle de ses passions et de son quotidien de préadolescente, sans filtre, avec un humour tendre et corrosif.

La série est tirée du premiertome – deux autres ont été pu-

bliés – de la bande dessinée du même nom de Riad Sattouf, éditéeen 2016 (Allary Editions). Cette adaptation est une réussite, car elle est restée fidèle à la BD, selonla volonté de l’auteur. « Même l’ha-billage du générique, c’est le dessin de couverture de l’album qui est animé, explique Riad Sattouf. Monrôle était d’empêcher les gens de rajouter des choses à mes dessinsou à des histoires. Je voulais qu’on reste fidèle à mes cadrages, à mes

expressions, à la façon de bougerde mes bonshommes, à mes cou-leurs… La série animée est le respecttotal du premier album. »

Sensible et drôlissime

Le résultat est une plongée sensi-ble et drôlissime dans la tête d’une petite fille et dans une cour de récréation. Esther n’a aucun ta-bou et évoque sans gêne des ques-tions qui secouent la société comme le mariage pour tous ou l’homosexualité, sans porteraucun jugement de valeur et sans la moindre hypocrisie.

« Les albums sont lus par des en-fants, mais souvent ce ne sont pas des histoires pour enfants. L’im-portant est de montrer les choses telles qu’Esther me les a racontées, souligne Riad Sattouf. Ce côté pas moralisateur est très important pour moi : je montre les faits dans leur crudité. »

Riad Sattouf, dont c’est la pre-mière expérience en animation, continue d’explorer les affres de la jeunesse après le succès de son film Les Beaux Gosses (2009) ou le récit dessiné de sa propre enfance dans L’Arabe du futur, dont le qua-trième tome vient de paraître chezAllary (288 p., 25,90 euros). p

mustapha kessous

Les Cahiers d’Esther. Histoires de mes 10 ans, de Riad Sattouf et Mathias Varin (France, 2018, 50 × 2 min).

Cette première saison raconte l’année des 10 ans d’Esther. FOLIMAGE/LES COMPAGNONS DU CINÉMA/LES FILMS DU FUTUR

« Sharp Objects », deux conclusions pour une saison uniqueRetour sur la série créée par Marti Noxon alors que son dernier et saisissant épisode vient d’être diffusé

OCSÀ LA DEMANDE

SÉRIE

L a dernière fois qu’on avaitvu Amy Adams et ChrisMessina jouer ensemble, ils

incarnaient, dans Julie and Julia (2009), de Nora Ephron, un petit couple tranquille dont la vie était transformée par un défi gastrono-mique. Le moins qu’on puisse direest que la série Sharp Objects les montre sous un jour très différent.

Camille Preaker (Amy Adams),journaliste alcoolique à la dérive

et encline à l’automutilation, est envoyée dans sa petite ville na-tale, dans le sud des Etats-Unis, pour y « couvrir » une série de meurtres de jeunes filles.

Elle y rencontre un policier(Chris Messina) avec lequel elle vacontribuer au progrès de l’en-quête tout en retrouvant sa mère, installée dans la maison de maî-tre cossue d’une ancienne planta-tion, et une jeune demi-sœur,perturbée comme son aînée parl’emprise maternelle.

Patricia Clarkson joue avec géniecette mère à la douceur perverse, à

la fausseté insinuante et à l’hysté-rie savamment distillée. Amy Adams s’y montre sous un jour nouveau qui témoigne d’une richepalette de jeu : cette manière d’ex-primer la dérive intime est difficileà regarder et sidérante de justesse.

Morbide torpeur

La réalisation de Jean-Marc Vallée (Big Little Lies, 2017) abuse des flash-back mitraillés, mais le Ca-nadien parvient à recréer l’étouf-fante, humide et morbide torpeurd’une ville trompeusement tran-quille. Mené sur un tempo lent,

presque privé d’événements, lerécit s’apparente à une longue ar-che qui contraste avec l’horreurdes crimes et leur élucidation.

Le dernier épisode, diffusé le27 août par OCS, fournit non une, mais deux conclusions au mys-tère entourant les crimes de jeu-nes filles. En étant prévisible, lapremière occultait d’autant mieux la seconde, qui saisit in ex-tremis le spectateur (il faut regar-der le générique de fin).

Au point qu’on croirait presqueà une mise en suspens du récit,en vue d’une deuxième saison.

Mais il n’en sera rien : Sharp Ob-jects en restera là (Amy Adams neveut pas se replonger dans ce rôletrès éprouvant, et HBO a con-firmé s’arrêter là), ce qui rend la série encore plus exceptionnelleet frappante. p

renaud machart

Sharp Objects, série créée par Marti Noxon et réalisée par Jean-Marc Vallée, d’après un roman de Gillian Flynn. Avec Amy Adams, Patricia Clarkson, Henry Czerny, Elizabeth Perkins, Chris Messina (Etats-Unis, 2018, 8 × 46-59 min.)

V O T R ES O I R É E

T É L É

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 styles | 19

un berlingo

bien enrobéConfort, options de conduite, motorisation… Le ludospacede Citroën progresse dans tous les domaines. Et son prix avec

AUTOMOBILE

Ex-star des années 2000,le Berlingo conserve unpublic de fidèles. Cette fa-miliale dérivée d’un vé-

hicule utilitaire tire encore son épingle du jeu puisqu’elle repré-sente la deuxième vente au sein de la gamme Citroën, derrière lapetite C3. Comme tous les modè-les appartenant à la catégorie dite des ludospaces, la nature pro-fonde du Berlingo est de jouer lerôle de plan B. A l’origine, en 1996,il apparaissait comme une alter-native économique au mono-space ; aujourd’hui, la troisièmegénération se présente comme proche cousine des SUV, en plus accessible. Ce statut n’en fait pasune voiture de second rang et en-core moins un objet sans affect :les propriétaires de ce type de vé-hicule entretiennent avec leurautomobile un lien souvent plusintense que la moyenne.

Pour la jouer aventurier et flat-ter l’inconscient de l’amateur de SUV, le nouveau Berlingo en fait des tonnes. Sa face avant, courte et mafflue, accueille trois rangs successifs de projecteurs et multi-plie les prises d’air alors que d’épaisses protections latérales viennent habiller les flancs. La partie arrière est moins chargée. Elle assume ses origines utilitai-res avec un hayon imposant, et

donc lourd à manœuvrer hormispour ceux qui auront opté pour lalunette arrière ouvrante. La mar-que aux chevrons installe ses oc-cupants en position légèrement haute dans un décorum « toutplastique », comme d’habitude,mais avec une grande tablette tac-tile et des sièges assurant un maintien correct.

Du volume, du cubage

Accentuée par les stylistes de la maison, l’imposante carrure du Berlingo vient rappeler qu’un lu-dospace offre beaucoup plus de volume intérieur qu’un SUV, plus chic mais moins pratique. La hau-teur de pavillon est impression-nante et permet d’installer (en op-tion) de vastes rangements sus-pendus. A l’arrière, trois sièges in-dépendants escamotables dans leplancher ont été prévus. Quant aucoffre, il est énorme : 597 litressous la tablette (983 litres en tout)soit 100 litres de mieux que la pré-cédente version. Ceux qui, malgrétout, trouveraient le nouveau Ber-lingo un peu riquiqui s’en remet-tront à la version XL (4,75 m aulieu de 4,40 m). Elle embarque sept personnes avec un coffre de850 litres en configuration stan-dard (1 538 au total).

De l’espace, du volume, du cu-bage, l’amateur de Berlingo en re-demande. Composée pour l’es-sentiel de familles aux revenus

contraints et de grands-parents qui connurent les vignettes « Jeu-nesse au plein air », la clientèlepartage l’idée selon laquelle une automobile doit être au servicedes loisirs. Ces voitures sont donctrès appréciées des randonneurs et VTTistes, ou autres amateurs de hobbys gourmands en matièrede volume à transporter. Le lu-dospaciste ne saurait pourtant se contenter de cette seule caracté-ristique ; il lui faut certes du vo-lume, mais aussi ce qu’il faut pourassurer son petit confort.

De ce point de vue, la Citroënchange de catégorie en adoptant la plate-forme des modèles inter-

médiaires du groupe PSA (Peu-geot 308 et 3008, notamment) afin d’offrir des suspensions moelleuses et une direction raf-fermie, une insonorisation effi-cace et une tenue de route rigou-reuse, y compris sur un tracé si-nueux. Le Berlingo reste toutefoisun tantinet sensible au vent laté-ral et, compte tenu de son gabarit,ne témoigne pas d’une aisanceparticulière en ville. Signe de la volonté de monter en gamme, Ci-troën a particulièrement soigné l’équipement et élargi le catalo-gue des aides à la conduite (recon-naissance des panneaux de limi-tation, maintien actif en ligne,

freinage d’urgence automatiqueen ville, affichage « tête haute » dela vitesse…).

Le Berlingo évolue aussi sous lecapot. La nouvelle génération hé-rite de l’inédit 1,5 litre HDI en troisversions (75, 100 ou 130 ch, cettedernière étant, hélas, la seule à prétendre à la transmission auto-matique à huit rapports).

Plus si populaire ?

Pour rouler à l’essence, il faudraforcément s’en remettre au trois-cylindres 1,2 litre (110 ch) en boîte manuelle, ce qui, n’en déplaise aux qualités de cette motorisa-tion vive et peu gourmande, fait désordre. La clientèle du Berlingo,qui roule davantage que lamoyenne, avait jusqu’alors ten-dance à largement privilégier le diesel, mais il n’est pas dit − c’est un euphémisme − qu’elle persis-tera dans ce choix.

Ces mêmes acheteurs poten-tiels risquent surtout d’être désta-bilisés par l’augmentation de tarif(autour de 2 000 euros) imposéeen contrepartie des améliora-tions apportées à cette troisième génération. Le prix de base a étéfixé à 21 550 euros et les versions les plus élaborées tutoient allè-grement les 30 000 euros. Loin del’image de voiture populaire et sans chichis sur laquelle le Ber-lingo a fondé son succès. p

jean-michel normand

LA CLIENTÈLEDU BERLINGO

PARTAGE L’IDÉESELON LAQUELLE

UNE AUTOMOBILE DOIT ÊTRE AU SERVICE

DES LOISIRS

Les voitures du futur s’habillent au passéJaguar des sixties, Mercedes d’avant-guerre… Les designers de véhicules électriques s’inspirent paradoxalement des silhouettes rétro

O n ne sait s’il faut s’atten-drir ou s’inquiéter. Voires’attendrir et s’inquiéter

devant la propension de certains constructeurs à associer voitureélectrique et style rétro. Comme si la voiture de demain n’était pas encore en mesure d’inventer sespropres codes esthétiques. Il faut malgré tout admettre que ce pa-radoxe donne à voir de très belles créations.

Transformé en festival « off »des marques de luxe, le concours d’élégance de Pebble Beach (Cali-fornie), qui s’est tenu du 18 au 26 août, a levé le voile sur l’im-pressionnant prototype EQ Silver Arrow de Mercedes. Un concept-car long de 5,30 m, mû par deux moteurs électriques développant 550 kW (750 ch), ouvertement ins-piré de la monoplace W125 de 1937qui établit le premier record de vi-tesse (432 km/h) sur route ouverte. Un préambule à la pré-sentation, lors du Mondial de Pa-ris début octobre, de l’EQC, pre-mier modèle de la gamme électri-que signée Mercedes.

En Californie, Infiniti, la signa-ture de luxe de Nissan, a présenté

son Prototype 10, lui aussi de typemonoplace. Un exercice de style « autant rétro que néofuturiste »assure le constructeur, qui aprévu de convertir toute sa gamme à la motorisation électri-que d’ici à 2021. Simultanément, Jaguar a annoncé son intentionde proposer aux propriétaires de Jaguar Type E (apparue en 1960) une conversion à la traction élec-trique. L’annonce fait suite au succès rencontré par le prototype utilisé en mai par le prince Harry lors de son mariage avec Meghan Markle.

Rassurer le chaland

La proposition électro-rétro la plus improbable vient de Russie,où le fabricant d’armes Kalach-nikov a fait part le 23 août de son intention de se lancer lui aussi surle marché de la voiture électrique avec un modèle furieusementvintage. Etroitement inspirée du break Moskvitch 1500 Kombi de1970 (fabriqué un temps sous li-cence par Kalachnikov), la CV-1 re-prend, en les soulignant encoredavantage, les lignes géométri-ques des modèles que produisait

il y a cinquante ans l’industrieautomobile soviétique. La firme,surtout connue jusqu’alors pour son fusil d’assaut AK-47, consi-dère que cette « supervoiture élec-trique » va « rivaliser avec les cons-tructeurs mondiaux de voituresélectriques comme Tesla ».

Le flirt entre modernité électri-que et plastique rétro n’est pas

inédit. En 2017, Honda avait ex-posé au Salon de Francfort l’Ur-ban EV Concept, joli projet de pe-tit véhicule électrique inspiré des premières Civic qui devrait voir lejour en 2019. Alors que Fiat a dif-fusé en Californie une 500 électri-que, l’ex-usine Heuliez de Cerizay (Deux-Sèvres) fabrique la Nos-moke. Cette réincarnation « zéro

émission » de la très sixties Mini Moke (la version « tous chemins »de l’Austin Mini) se taille un cer-tain succès sur la Côte d’Azur.

Cocktail efficace, l’associationtechnologie-nostalgie apparaît d’autant plus tentante que les vé-hicules électriques imposent moins de contraintes aux desi-gners qu’une voiture thermique.

Les batteries se logent facilement sous l’habitacle et les moteurs à aimants sont beaucoup plus compacts qu’un quatre-cylindres,ce qui permet de répartir les volu-mes avec plus de liberté. Pour-tant, les stylistes − obligés des’inscrire dans une vision vintagequi les contraint, entre autres, àdessiner de longs capots et de lar-ges calandres, purs artefacts pour une voiture électrique − ne peu-vent guère exploiter cette margede créativité.

Le tropisme rétro qui anime cer-tains constructeurs décidés à sur-fer sur la vague du « c’était mieux avant » est peut-être le chemin le plus court pour réenchanter l’automobile, objet qui a perdu deson aura ces dernières décennies. Vendre les voitures électriques dedemain, qui font l’objet d’inves-tissements massifs et recouvrent un pari industriel loin d’être ga-gné d’avance, impose sans doute de séduire le chaland tout en lerassurant avec des valeurs sûres. Il faudra quand même penser àinventer le design qui va avec lesvéhicules électriques. p

j.-m. n.

La hauteur de pavillon permet d’installerde vastes rangements suspendus.WILLIAM

CROZES/CONTINENTAL

PRODUCTIONS

Dérivée d’un modèle soviétiquede 1970, la CV-1sera produite par la société... Kalachnikov. HO/AFP

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20 | DÉBATS & ANALYSES MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

Territoires perdus ou vivants de la République ?

Entretien

L’ école est-elle débordée par les« atteintes à la laïcité » ? A cesujet, deux camps s’opposent

depuis une quinzaine d’années. L’unqui multiplie les alertes et se trouve accusé de catastrophisme. L’autre soupçonné de naïveté ou de complai-sance. Iannis Roder, professeur d’his-toire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis, avait été, en 2002, l’un des contributeurs du livre Les Territoires perdus de la République(Mille et une nuits). En cette rentrée, il publie Allons z’enfants… la Républi-que vous appelle (Odile Jacob, 272 p.,18,90 €), formulant, sur un ton moinspessimiste, des propositions. Benoît Falaize, historien et inspecteur géné-ral de l’éducation nationale, a dirigé l’ouvrage collectif Territoires vivants de la République (La Découverte,328 p., 18 €), qui montre, témoignagesà l’appui, comment l’école peut sur-monter les préjugés.

Vos deux livres, qui exaltent le travail quotidien et les « petites victoires » de l’école contre les préjugés, ne sont-ils pas le signe d’un dépassement de la querelle entre « déclinistes » et « angéliques » ?

Iannis Roder : La première condi-tion pour agir est d’abord de recon-naître la réalité des atteintes à la laï-cité. De ce point de vue, il se passe deschoses graves. Mais on ne peut pas secontenter de tirer le signal d’alarme. Nous devons nous servir de ce cons-tat pour construire, au quotidien, un enseignement qui permette aux élè-ves d’entrer de plain-pied dans lesvaleurs de la République et d’en faire des citoyens capables d’exercer leur libre arbitre. Ils sont demandeurs. Lesenseignants ont beaucoup de res-sources, personnelles ou mises à leurdisposition par l’éducation natio-nale, pour monter des projets péda-gogiques qui répondent à cette exi-gence. Alors, la querelle est-elle dépassée ? Je crois que beaucoup d’observateurs, de responsables édu-

catifs et d’enseignants ont fait du chemin sur ces questions depuis le début des années 2000. Néanmoins,il reste difficile de s’accorder sur uneréalité qui, subjectivement, peut être perçue de différentes manières.

Benoît Falaize : Doit-on être obli-gatoirement ou complaisant oucatastrophiste ? C’est parce que nous ne nous reconnaissons pas dans cette querelle que notre livre collec-tif existe. Avant même la publica-tion, en 2002, des Territoires perdus de la République, nous pensions déjà non pas aux « petites victoires » de l’école, mais aussi aux grandes. Et cela sans faire preuve de la moindre naïveté, ni relativiser les situations difficiles, car la réalité scolaire estinfiniment plus complexe que les descriptions réductrices et les visions caricaturales des « jeunes de banlieue ». Pour ma part, j’ai tou-jours tenu le même discours. Maissur les constats, le débat existeencore. Nous n’avons jamais puavoir, sur l’école et sur ces territoires que nous considérons comme « vi-vants », un débat sérieux échappant à cette opposition stérile. L’opposi-tion – surtout médiatique etpolitique – entre laxistes ou intransi-geants est mortifère. Aussi bien pourles enseignants, car cela ne rend pasjustice à leur travail, que pour les élè-ves, sur qui on fait porter le poids desdéplorations sur le déclin de France.

La parution des « Territoires perdus » remonte à 2002. Ce livre et le concept que porte son titre ont été très contestés. Ne faut-il pas le créditer d’avoir repéré l’émergence d’un phénomène dont le « Ils l’ont bien cherché », à propos de « Charlie Hebdo », a finalement été l’expression ?

B. F. : Ce discours alarmiste a sur-tout eu pour effet de figer un débat qui émergeait et aurait dû être abordé avec sérieux. Il a occulté le tra-vail quotidien des enseignants, qui prenaient à bras-le-corps ces problè-mes, et n’a aucunement contribué àoutiller l’institution scolaire. Ce livre,issu de témoignages, a été contesté dans sa prétention à décrire la réalité de l’école des quartiers populaires. Il a aussi été incroyablement instru-mentalisé, par une partie des médias et des politiques, pour forger l’image du « jeune musulman des quartiers sensibles » avec des représentations àla fois outrées et généralisantes. Le fameux, et trompeur, « On ne peut plus enseigner la Shoah » en est le symbole. Les effets ont été délétères non seulement aux yeux des person-nels, à ceux des futurs enseignants etdes parents, mais aussi dans le regarddes jeunes sur eux-mêmes, avec un phénomène de retournement du stigmate, que le sociologue ErvingGoffman avait analysé dans les

années 1970. Quant au choc de l’après-Charlie et des propos de justi-fication qui ont été tenus par une frange des élèves, personne n’a nié ces prises de parole, au demeurant impossibles à chiffrer de manière fia-ble. Cette réalité est abordée dans notre livre, qui détaille le travail mené pour déjouer les préjugés hos-tiles des élèves. Mais peut-on rappe-ler, aussi, combien d’élèves ont été aumoins autant choqués que vous etmoi par les attentats, et se sont enga-gés dans des actions autour des valeurs de la République ? Pourquoi personne ne s’y est-il intéressé ?

I. R. : Je crois, au contraire, que cesécrits – il faudrait aussi mentionner le rapport de l’inspecteur général Obin, de 2004, sur « Les signes etmanifestations d’appartenance reli-gieuse dans les établissements sco-laires » – ont montré qu’il se passaitquelque chose, que des propos et desattitudes étaient observés, qui posaient problème. Ils ont été révéla-teurs de la montée d’un phénomène de radicalisation politico-religieuse qui, par la suite, a produit des prolon-gements dramatiques que tout le monde connaît.

Au début des années 2000, le débatsur ces sujets ne risquait pas d’être « figé », car il n’avait pas lieu ! Par exemple, en réunion syndicale, on me disait que cela n’existait pas. Quant à l’idée que l’institution sco-laire aurait été empêchée de s’outiller,elle est démentie notamment par sa collaboration serrée, depuis 2005, avec le Mémorial de la Shoah pour mettre en place, sur toutes les ques-tions dites sensibles, des formations auxquelles des milliers d’enseignantsont participé. Pour autant, il reste quec’est un domaine où les passions l’emportent souvent sur la raison et où il est facile de ne retenir que ce qu’on a envie de retenir, pour des rai-sons personnelles ou idéologiques.

Où en est-on aujourd’hui ? Avez-vous le sentiment d’une aggravation, d’un reflux ou d’une situation étale ?

I. R. : Je peux seulement parler de ceque je constate sur le terrain et de ce que me rapportent les collègues, notamment dans les formations que j’anime. Je n’ai pas de vision d’ensem-ble. Je ne dirais pas que la situation s’aggrave ni qu’elle s’améliore, mais qu’elle est compliquée, au regard notamment du fait que l’école et la famille ne sont plus les seuls prescrip-teurs du savoir ou de ce qui se pré-sente comme tel. Aujourd’hui, les adolescents ont accès à de multiples sources, sans être forcément à même de faire le tri. Pour certains, la parolede l’enseignant n’est qu’une parole parmi d’autres. D’où des contesta-tions, qu’il faut se garder de générali-ser. Le travail qui nous attend est

immense, parce que les valeurs et principes de la République – que l’école enseigne – ne sont pas unani-mement partagés. Si une partie de la jeunesse n’y adhère pas, nous allons vers des problèmes pires que ceux que nous connaissons aujourd’hui.Nous devons donc agir ensemble, en donnant à ces élèves le meilleur de ce que nous pouvons leur donner. La relation pédagogique joue énormé-ment. C’est pour cela que mon livre est un peu optimiste. Avec mes clas-ses de 3e, en entrant dans le sujet du nazisme par l’idéologie des bour-reaux et en travaillant sur l’aspect politique, j’ai pu disqualifier l’antisé-mitisme. Je vois des gamins se mettreen position de construire leur pensée.C’est la plus belle des récompenses.

B. F. : Il est difficile de répondre. Etcela ne tient pas à une option person-nelle ou à un parti pris idéologique, sans compter que ce type de soupçonpeut être aisément retournable. C’estun principe éthique, car aucune en-quête nationale n’a été faite à ce sujetdans les établissements scolaires. Sa méthodologie serait d’ailleurs diffi-cile à établir. Comment interpréter une parole hostile aux valeurs ? Té-moigne-t-elle nécessairement d’unrejet fondamental et d’une possibleradicalisation ? Est-il seulement per-mis d’y réfléchir ? Pourquoi ne pas se demander si, à l’inverse, le choc desattentats n’aurait pas déclenché,chez beaucoup de jeunes, une prise de conscience en faveur des valeurs ? Je pense notamment à ces élèves – majoritairement musulmans, puis-que l’on ne cesse de parler d’eux im-plicitement – qui se sont tant impli-qués dans leurs travaux pour le prix Jean Zay de la laïcité, remis en 2016. Età ces élèves de lycée professionnelhostiles à Charlie Hebdo qui, en 2014, ont noué avec le dessinateur Charbun dialogue respectueux, au point d’éprouver avec leur enseignante une douleur commune au lende-main du massacre.

Les valeurs républicaines, nous ditIannis Roder, ne sont pas unanime-ment partagées. Mais c’est toutel’histoire de l’école depuis le XIXe siècle ! Elle est inséparable de la mission des enseignants. Arriver de-vant une classe et dire : « C’est af-freux, ils ne partagent pas les valeursde la République », c’est presque un non-sens. Quant au fait que la parolede l’enseignant est aujourd’hui con-currencée, n’oublions pas que celas’inscrit dans un contexte général dedévaluation de toute autorité légi-time, que l’on ne peut attribuer auxseuls « jeunes de banlieue ».

Si une partie des enseignants a accumulé, sur ces questions, une expérience précieuse, comment pourrait-elle bénéficier à toute l’institution scolaire ?

I. R. : Benoît Falaize souligne queles problèmes d’adhésion aux va-leurs ont toujours existé. Certes. Néanmoins, il faut, à chaque pé-riode, les replacer dans leur con-texte. Ainsi, l’enseignement du na-zisme et de la Shoah doit faire face àdes difficultés apparues récemment.

Devant la prise de conscience gé-nérale qu’il y a des problèmes demanque d’adhésion aux valeurs dela République, la priorité est la for-mation des enseignants. Celle-ci doit être développée et approfondie.Sur le fond, car un enseignant doitavoir aux yeux de ses élèves une

autorité intellectuelle et morale. Il ne peut l’acquérir que s’il est solide sur ses connaissances et s’il peutleur donner matière à penser. Sur laforme, aussi, pour s’adresser à desélèves qui contestent le savoir dis-pensé, en étant capable de leur ex-pliquer en quoi leurs motifs sontproblématiques au regard des va-leurs de la société.

Les enseignants doivent aussi êtreformés à des manières de travailler qui permettent aux élèves d’entrer dans une réflexion élaborée, de dé-passer les slogans. Pour cela, le temps nous manque. Il nous faut le prendre. Imposer un catéchisme ré-publicain n’aurait aucun sens. Le sa-voir se construit sur un temps long, en prenant le contre-pied de notresociété de l’immédiateté. Une autre piste à laquelle je crois beaucoup estla pédagogie de projet, qui consiste à travailler de manière interdiscipli-naire sur une longue durée, par exemple sur une année scolaire en-tière. Cela permet d’aborder la ques-tion des valeurs de manière détour-née, en créant des relations différen-tes avec les élèves.

B. F. : La formation est au cœur denotre problématique, je suis totale-ment d’accord à ce sujet. Un ensei-gnant sûr de ses savoirs, au fait de l’actualité de sa discipline, est en me-sure de répondre sans être désar-çonné par une croyance sincère ou une provocation d’un élève. Il faut aussi une formation sérieuse aux gestes professionnels et aux démar-ches pédagogiques, pour faire adhé-rer les élèves aux valeurs au lieu de les asséner. L’institution scolaire toutentière, de la base au sommet, doit considérer ces territoires de banlieue ou de l’éducation prioritaire à égalitéavec les autres territoires. Nous ne de-vons pas faire peser sur leurs habi-tants une suspicion permanente, queles élèves enregistrent très bien dans les discours publics. Le principed’égalité doit être respecté. Ces élèves sont des enfants de la République, de la même manière que ceux de n’im-porte quel centre-ville.

Je résumerais un autre principe entrois mots : accueillir, regarder et reconnaître. Accueillir, car la bien-veillance envers les élèves n’exclut ja-mais la fermeté ni l’exigence. Regarder les élèves non seulement entant qu’élèves mais en tant qu’êtres humains. Et les reconnaître, au sens de les accepter pleinement comme futurs citoyens. Cela suppose un acte pédagogique très important et qui re-joint la question de la formation : ac-cepter la parole de l’élève telle qu’elle apparaît, même si elle nous est cho-quante et parfois insupportable, pourmieux la retourner. Au fond, pour faire vivre pleinement l’école comme lieu de culture et d’émancipation. p

propos recueillis par

luc cédelle

Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie, et Benoît Falaize, inspecteur général de l’éducation nationale, viennent de publier deux livres offrant des visions divergentes de la laïcité en milieu

scolaire. Ils confrontent leurs points de vue dans un entretien croisé

« DOIT-ON ÊTRE OBLIGATOIREMENT OU COMPLAISANT

OU CATASTROPHISTE ? NOUS NE NOUS

RECONNAISSONS PAS DANS CETTE QUERELLE »

BENOÎT FALAIZE

inspecteur général de l’éducation nationale

« IMPOSER UN CATÉCHISME

RÉPUBLICAIN N’AURAIT AUCUN SENS. LE SAVOIR

SE CONSTRUIT SUR UN TEMPS LONG »

IANNIS RODER

professeur d’histoire-géographie

& CIVILISATIONS

&CIVILISATIO

NS

N° 42SEPTEMBRE 2018

SAVONAROLEIL VOULAIT PURIFIERFLORENCEDESESVICES

LESCENTURIONSPILIERSDESLÉGIONSROMAINES

GRANDSMAGASINSUNERÉVOLUTIONQUI PASSEPARLES FEMMES

GÖBEKLITEPEPREMIERTEMPLE

JAPONMODERNETOUTCOMMENCEAVECL’ÈREMEIJI

CHAQUE MOIS CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

Un voyage à travers le temps et les grandescivilisations à l’origine de notre mondeDans chaque numéro, vous retrouverez■ les signatures d’historiens et d’un comité scientifique renommés■ six dossiers riches en infographie et en iconographie■ un regard sur toutes les civilisations qui ont marqué notre humanité

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 débats & analyses | 21

Analysefrédéric lemaître

Service International

Réception grandiose de 53 diri-geants africains les lundi etmardi 3 et 4 septembre à Pékin,possible présence à Pyongyang,dimanche 9 septembre, à l’occa-sion des 70 ans de la Corée du

Nord : le président chinois Xi Jinping multi-plie les initiatives. Mais sa rentrée internatio-nale a lieu dans un contexte délicat. Moins présent cet été à la « une » du Quotidien dupeuple, pris de court par la guerre commer-ciale avec les Etats-Unis, « extrêmement fati-gué », selon plusieurs interlocuteurs occiden-taux… En raison de l’opacité qui entoure lepouvoir chinois, il n’en fallait pas davantage pour que certains spéculent cet été sur les « difficultés » que rencontrerait M. Xi, égale-ment tout-puissant secrétaire général du Parti communiste.

Contrairement à ce qu’affirmaient certainesrumeurs, rien ne permet d’affirmer que le séminaire de rentrée auquel participent cha-que année à la mi-août les dirigeants chinois, à Beidaihe, et qui donne lieu à d’intenses spé-culations parmi les observateurs, se soit mal passé pour Xi Jinping. Moins de deux semai-nes plus tard, celui-ci a fait passer un messageon ne peut plus clair aux 88 millions de mem-bres du parti : silence dans les rangs.

Dimanche 26 août, la très redoutée Com-mission centrale de l’inspection disciplinaire du Parti communiste chinois (PCC) a en effet publié une directive, rappelant ou actualisant pas moins de 142 dispositions que les mem-bres du PCC sont tenus de respecter. Interdic-tion leur est notamment faite de « propager des rumeurs ou de nuire à l’unité du parti ». Lesmembres du parti n’ont donc pas non plus ledroit d’exprimer leur désaccord sur les déci-sions prises.

La liberté religieuse, officiellement recon-nue en Chine, s’arrête aux portes du PCC. Ladirective insiste sur la laïcité que doiventrespecter ses membres : « Il faut renforcer l’éducation idéologique pour les membres duparti qui ont des croyances religieuses. S’ilsne les abandonnent pas grâce à l’aide et à l’éducation fournies par le parti, ils doiventêtre incités à le quitter. »

Signe que la campagne anticorruption, l’undes piliers de la politique de M. Xi, est toujoursd’actualité, la directive précise également que « les membres et responsables du parti doivent correctement exercer le pouvoir que le peuple leur a confié, être honnêtes et s’opposer à tout abus de pouvoir ou comportement visant à obtenir un bénéfice personnel ». Les bureaucra-tes, qui ne sont pas toujours membres du PCC,sont eux aussi sous surveillance depuis la création, en mars, d’une nouvelle Commis-sion nationale de supervision. Or, ils sont « paralysés par la peur », selon les mots du politologue américain Minxin Pei. Le rappel à l’ordre les concerne aussi : ils sont sommés de

mettre en œuvre les directives centrales sous peine de perdre leur emploi. Les membres du parti, eux, risquent en plus l’exclusion.

A l’intérieur du pays, la reprise en main estgénérale. Des universitaires, invités à assisterà des séminaires de rééducation idéologique,aux agences de publicité, à qui M. Xi a enjoint de promouvoir l’image de la Chine, rares sont les secteurs qui ne sont pas concernés.

Concessions formelles

En revanche, sur le plan international, Pékin semble prêt à faire quelques concessions, au moins formelles, à ses partenaires. L’Occidents’inquiète-t-il de ses ambitions technologi-ques ? La Chine décide de ne plus évoquer pu-bliquement son programme « Made in China 2025 », qui liste les dix secteurs clés où elle am-bitionne d’acquérir le leadership mondial.

Même le projet des « nouvelles routes de lasoie » fait l’objet d’une communication plus prudente. Le 27 août, Xi Jinping, présidant unerencontre destinée à célébrer le cinquième anniversaire du lancement de ce projet, qui implique de gigantesques investissements chinois dans plus d’une soixantaine de pays, aprécisé que celui-ci n’avait pour but ni de créerun « club chinois » ni de se transformer en unevaste alliance militaire ou géopolitique.

C’était une réponse indirecte aux critiquesdu premier ministre malaisien. Le 21 août, à Pékin, Mahathir Mohamad, renonçant à22 milliards de dollars d’investissements pré-vus dans le cadre de cette initiative, avait mis les Chinois en garde contre un risque de « néo-

colonialisme ». « L’intervention de Mahathir, à la fois très respectueuse mais très directe, a obligé Xi Jinping à se confronter directement à la réalité », note Mathieu Duchâtel, spécialiste de la Chine au centre de recherches European Council on Foreign Relations (ECFR). Depuis plusieurs mois, des dirigeants occidentaux, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, s’inquiètentouvertement de ce projet qui s’affranchirait notamment des règles juridiques du com-merce international en vigueur.

Alors que le troisième sommet des chefsd’Etat du Forum de coopération Chine-Afri-que (Focac), qui se tient à Pékin, est le plus grand jamais organisé, les économistes évo-quent désormais la « diplomatie du piège de ladette », dont seraient victimes plusieurs pays asiatiques et africains devenus trop dépen-dants de la Chine.

Pour certains, cette nouvelle modestie chi-noise n’est que de façade. « Les autorités chi-noises évaluent constamment les perceptions internationales de leurs actions et façonnent leur discours pour présenter au monde l’image d’une puissance pacifique dénuée d’intentions stratégiques malveillantes, et l’initiative des routes de la soie n’échappe pas à cette règle », note Nadège Rolland, chercheuse sur les ques-tions politiques et de sécurité en Asie-Pacifi-que au National Bureau of Asian Research (NBR), un centre de recherche indépendant, à Washington. Pour elle comme pour nombre d’Occidentaux, les routes de la soie consti-tuent bel et bien la version chinoise d’une mondialisation post-occidentale. p

« LES AUTORITÉS CHINOISES

FAÇONNENT LEUR DISCOURS POUR PRÉSENTER AU MONDE L’IMAGE

D’UNE PUISSANCE PACIFIQUE »

NADÈGE ROLLANDchercheuse au National

Bureau of Asian Research

Xi Jinping, leader intraitable en interne, souple à l’extérieur

Les aigrefins de l’environnement

Le livre

L’incroyable carambouille à la TVA sur le mar-ché du carbone n’en finit plus de faire coulerde l’encre. Après de nombreux articles publiéspar le site d’information Mediapart, c’est au

tour de Fabrice Arfi, le responsable des enquêtes du mé-dia fondé par Edwy Plenel, de revenir dans ce livre sur l’arnaque qui a permis, entre 2008 et 2009, à quelques aigrefins habiles et sans scrupule de délester l’Etat fran-çais de 1,6 milliard d’euros en quelques mois en mon-tant des carrousels de TVA sur le marché du carbone.

Dans son enquête, Fabrice Arfi, qui a rencontré lesprincipaux protagonistes de la fraude, raconte com-ment quelques escrocs, d’extraction modeste pour la plupart, ont berné tout ce que l’administration françaisecompte de cerveaux bien faits en s’introduisant sur le marché nouvellement créé, multipliant les achats et les ventes de tonnes de CO2 sans jamais reverser la TVA.

« C’est un raz de marée, un feu d’artifice, un eldorado,une épiphanie », écrit l’auteur. Telle équipe engrange prèsde 280 millions d’euros, telle autre 300 millions. Malgré les premières alertes des douanes judiciaires, l’Etat tardeà réagir. Les « braqueurs » se volatilisent avec leur magot mis à l’abri dans des structures bancaires opaques.

TUÉ EN PLEIN JOUR DEVANT LE PALAIS DES CONGRÈS

Les désormais fameux Arnaud Mimran, Marco Moulyou Cyril Astruc, tous condamnés depuis pour l’escro-querie, n’ont pas la richesse discrète. Voyages, casinos, voitures de luxe ou fêtes somptueuses sont leur quoti-dien. Et Israël leur base arrière. L’argent facilement ga-gné se dépense tout aussi facilement. Autant d’ostenta-tion ne pouvait laisser indifférent le grand banditisme, qui ne va pas tarder à réclamer son dû. Plusieurs assassi-nats sur lesquels Fabrice Arfi revient en détail vien-dront en effet ponctuer les années postérieures à l’es-croquerie. En 2010, Samy Souied, l’un des pionniers de l’arnaque, sera tué en plein jour devant le Palais des con-grès, porte Maillot, alors qu’il venait régler un différendfinancier avec son ex-associé Arnaud Mimran. La justiceenquête encore aujourd’hui sur plusieurs de ces crimesliés à l’argent du carbone pour tenter d’en trouver les auteurs et les commanditaires. Jusqu’ici en vain.

Documents et témoignages à l’appui, D’argent et desang vient confirmer que la fraude s’est inscrite dans uncontexte européen où chaque acteur de la criminalité organisée, qu’il soit issu de la finance ou du banditismetraditionnel, a joué son rôle. Se moquant des frontières et des règles communautaires, mais n’oubliant jamais que les alliances ne sont que d’opportunité, les morts une réalité, et l’argent l’unique finalité. p

simon piel

D’ARGENT ET DE SANGde Fabrice Arfi, Seuil, 256 pages, 18 euros

Les lobbyistes sont des acteurs légitimes de la démocratieLes économistes Stefan Ambec et Claude Crampes défendent l’existence de ces groupes de pression, qui permettent, selon eux, un sain débat entre les différentes parties affectées par l’action de l’Etat

Par STEFAN AMBEC etCLAUDE CRAMPES

L a présence d’un lobbyiste deschasseurs à une réunion offi-cielle à l’Elysée aurait été le

facteur déclenchant de la décision duministre de la transition écologiqueet solidaire de quitter le gouverne-ment le 28 août. Pour Nicolas Hulot,la présence de lobbyistes dans les cercles du pouvoir pose un problèmede démocratie. L’activité des lobbys est-elle vraiment nuisible à la déci-sion publique ?

Un lobby est un groupe de pres-sion qui défend les intérêts particu-liers ou communs de certainesparties prenantes dans les décisionspubliques : groupement d’entrepri-ses, investisseurs, associations… L’Union européenne répertorie11 000 lobbyistes à Bruxelles, parmilesquels des associations d’indus-triels (comme l’Union des indus-tries chimiques) ou de syndicats(Force ouvrière), des organisations patronales (Medef) et des ONG(WWF France). Ce terme a une con-notation antidémocratique, car ilfait référence aux coulisses du pou-voir : le « hall » (lobby, en anglais) desParlements où se nouent des intri-gues entre les lobbyistes et les politi-ques, à l’abri du regard des journalis-tes et des citoyens. Pourtant, ce n’estqu’une des multiples facettes deleur action qui, au contraire, peut favoriser des prises de décisionsplus démocratiques.

Ainsi, le Comité pour l’économieverte, qui siège au sein du ministèrede la transition écologique et soli-daire, s’appuie sur nombre de lob-byistes pour rendre des avis sur des questions de politiques environne-mentales. L’intérêt est d’avoir une représentation de toutes les partiesprenantes impliquées dans la déci-sion publique. Dans le groupe de tra-vail sur la régulation des pesticides, les syndicats agricoles et l’union des producteurs de produits phytosani-taires se sont mis autour de la table

avec des associations de défense des consommateurs et de l’environ-nement. Les échanges ont permis de partager des informations impor-tantes pour les décisions à prendre.Une synthèse de ces discussions a étépubliée sous forme d’avis, de dia-gnostic et de recommandations dis-ponibles sur le site du comité.

Les lobbys ont aussi pour rôle de re-layer des informations scientifiques sur des sujets complexes commel’impact de la pollution sur la santé,le dérèglement climatique ou la pré-servation de la biodiversité. Evidem-ment, étant partie prenante, unlobby aura tendance à relayer seule-ment les études qui vont dans le sensde ses intérêts et d’en exagérer les conclusions. On l’a vu lors des con-troverses sur le glyphosate ou le maïstransgénique, qui ont opposé Mon-santo-Bayer et la FNSEA d’un côté, et les organismes de défense de l’envi-ronnement de l’autre.

FORCE DE SENSIBILISATION

Mais le biais d’opinion n’est pas un problème tant que les intérêts sontclairement identifiés. Cela fait partie du débat démocratique. Après tout, un jury écoute les arguments de lapartie civile et de l’avocat de ladéfense avant de prendre sa décision.Chacune des parties développe des arguments qui vont dans le sens deson mandat. Si le mandat est clair,confronter des arguments éclairés ne devrait pas nuire à la décision. Lesdécideurs ne sont pas dupes.

C’est le déséquilibre entre lobbysqui pose problème. Ce déséquilibreest essentiellement dû aux moyens financiers et humains dont dispo-sent les lobbys, les grands groupesindustriels ayant une force de frappe bien supérieure aux ONG. Il en résulte un gaspillage des ressourcesdans des activités d’influence. C’est particulièrement flagrant aux Etats-Unis, où les lobbys doivent rendre publique leur activité, y compris les montants financiers perçus et enga-gés. Selon une étude de l’économiste Karam Kang, les entreprises du sec-

teur de l’énergie ont dépensé plus de 600 millions de dollars en lobbying en 2007-2008, une moyenne de 1 million de dollars par entreprise ouorganisation de producteurs. L’étudemontre qu’il faut au moins 3 mil-lions de dollars pour accroître la pro-babilité d’une décision favorable (parrapport à une situation sans lob-bying) de seulement 1,2 % ! Néan-moins, le jeu en vaut la chandelle, carles gains financiers sont importants(500 millions de dollars par décision en moyenne), de sorte que le taux de rentabilité du lobbying est évalué entre 137 et 152 %.

Qu’on le veuille ou non, les lobbysfont partie de la vie politique. On peut déplorer qu’ils parasitent ledébat public en ayant un accès direct aux hautes sphères du pouvoir. Ils sont néanmoins une force de sensi-bilisation et de mobilisation descitoyens. L’art de la politique consiste à jouer avec les vents contraires des lobbys existants plu-tôt que de les subir, voire à créer de nouveaux groupes de pression.

C’est précisément un des effets, etmaintenant un des moteurs, de la politique de soutien aux énergiesrenouvelables des vingt dernières années. On peut porter au crédit dulobbying exercé par les ONG de défense de l’environnement, en par-ticulier la fondation créée par Nico-las Hulot, l’infléchissement observédans la politique environnementale et énergétique de la France et des grands industriels au cours des der-nières décennies. Et la politique de subvention aux énergies renouve-lables a conduit à la création d’unlobby des installateurs d’éoliennes etde panneaux photovoltaïques, qui ne manquent pas de réclamer desobjectifs de transition énergétique plus ambitieux. p

¶Claude Crampes est professeur d’écono-

mie à la Toulouse School

of Economics

Stefan Ambec est directeur de

recherche à la

Toulouse School of Eco-

nomics et à l’INRA

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22 |0123 MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

Après un été pourri parl’affaire Benalla, c’estune rentrée empoi-sonnée que subit le

président de la République Em-manuel Macron. En son temps, Jacques Chirac avait, pour définirce genre de situation, une for-mule dont la trivialité n’enlève rien à la sagacité : « Les emmerdes,ça vole toujours en escadrille. »

Il y a deux semaines à peine, deretour de vacances, le chef de l’Etatavait fixé au gouvernement un or-dre du jour vigoureux : « Rien ne doit nous faire dévier de la stratégiequi a été décidée par les Français », « la transformation » du pays doit être poursuivie avec « cohérence etintensité ». Or, en quelques jours, tout semble s’être conjugué pour le placer sur la défensive, à contre-temps et à contre-emploi.

Tout a été dit de la démission fra-cassante, mardi 28 août, de NicolasHulot. L’ancien ministre de la transition écologique et solidaire ne s’est pas contenté d’infliger un camouflet à celui qui l’avait con-vaincu, quinze mois plus tôt, de mettre sa notoriété et son talent au service de l’action gouverne-mentale. Il y a ajouté un réquisi-toire navré mais cinglant contre la pusillanimité de l’Etat face aux dé-fis climatiques et environnemen-taux, allant jusqu’à évoquer l’hy-pothèse que le volontarisme prési-dentiel affiché en la matière relèvede la « mystification ».

Ce coup de tonnerre n’a paséclaté dans un ciel serein. Au fil de l’été, les nuages se sont accumulés à l’horizon économique – sans parler de l’horizon européen et in-ternational. Le rebond de l’écono-mie française en 2017 – soit + 2,3 %de progression du produit inté-rieur brut (PIB) – dessinait des perspectives stimulantes : activité soutenue, décrue du chômage, ré-duction du déficit public, budget confortable. Il n’en est rien. La croissance devrait retomber à + 1,7 % cette année et ne devrait pas faire mieux en 2019.

Le gouvernement avait prévu deramener le déficit public à 2,3 % duPIB en 2018 ; il devrait remonter à 2,6 % et frôler les 3 % en 2019. La hausse des prix (+ 2,3 % en rythmeannuel) pèse sur le pouvoir d’achat des Français, déjà écorné par la hausse de la CSG et plus en-core, en 2019, par la désindexationannoncée des retraites et des allo-cations familiales par rapport à l’inflation.

La main qui tremble

Quant au chômage, les chiffres sont cruels. Après une baisse sen-sible en 2017 et jusqu’au prin-temps de cette année, le nombre de demandeurs d’emploi est re-parti à la hausse avec, en juillet, 3 462 000 personnes sans aucune activité (catégorie A, + 19 000 en un mois) ; il atteint 5 645 000, si l’on ajoute les demandeurs ayant exercé une activité (catégories B etC), soit un niveau sans précédent.

Autant de paramètres qui com-pliquent l’équation budgétaire de 2019, comme l’ont démontré les dissonances entre le premier mi-nistre, Edouard Philippe, et le mi-nistre de l’économie et des finan-ces, Bruno Le Maire, notamment sur l’effort attendu des entrepri-

ses. Mais c’est le président de la République lui-même qui a ajouté au trouble ambiant enmettant brusquement en doute la pertinence d’une réforme em-blématique programmée pour janvier 2019 : le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.

Quelles que soient les explica-tions invoquées et quelle que soit la décision finalement prise, les Français retiendront qu’Emma-nuel Macron, implacable réfor-mateur jusqu’à présent, a eu sou-dain la main qui tremble.

Le chef de l’Etat avait déjà connuune rentrée délicate en 2017, après un premier été cafouilleux. Il avaitrepris les choses en main avec énergie, écartant les obstacles et retrouvant vite un solide socle de confiance dans l’opinion. Tout laisse à penser qu’il lui sera diffi-cile de renouveler cette perfor-mance. Les hésitations du mo-ment, l’absence de résultats en-courageants de la politique écono-mique, l’étiquette probablement indélébile de « président des ri-ches » et un exercice trop solitaire, voire autoritaire, du pouvoir ont eu raison, pour une large part, des espoirs que nombre de Français avaient placés en lui.

Tout cela, évidemment, fait lebonheur des opposants de tous bords. Et parmi eux, du meilleur expert en rentrées calamiteuses,François Hollande en l’occur-rence. Sa capacité à retomber sur ses pieds en toutes circonstances lui avait valu, autrefois, le surnomde « Culbuto ». Il le justifie à nou-veau. Requinqué par sa tournée flatteuse dans les librairies de France et de Navarre pour dédica-cer son livre à succès (Les Leçons du pouvoir, 228 p., Stock, 22 euros),l’ancien président savoure, à l’évi-dence, sa revanche sur l’impudentMacron qui l’avait poussé vers la sortie, voilà bientôt deux ans.

A Cherbourg (Manche), le31 août, c’est une volée de flèches acérées qu’il a adressées à son suc-cesseur, sans le nommer. A proposde la réforme du prélèvement à la source : « Je ne veux pas compliquerla tâche de ceux qui hésitent en-core ! Mais cette réforme, elle était prête. C’est un problème de choix politique… », a-t-il cinglé. De choix politique et de « vision », a-t-il ajouté : « On ne peut pas être sim-plement dans la gestion, l’accumu-lation de réformes soi-disant indis-pensables », car « une réforme n’est pas une conviction ». Et de tacler « le narcissisme, terrible maladie » des hommes politiques ou « le li-béralisme [qui] entretient le popu-lisme » en mettant en cause les ser-vices publics et en diminuant les droits sociaux. Conclusion, qui fai-sait d’une pierre trois coups – Em-manuel Macron, le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mé-lenchon, et les socialistes : « Rien ne se conquiert dans la prétention, l’oubli, la contrition. »

L’on ne sait si François Hollandenourrit l’espoir de revenir au pre-mier plan. Mais il est sûr que lui n’a rien oublié, qu’il n’entend nul-lement battre sa coulpe sur son quinquennat et qu’il sera, pour Emmanuel Macron, un censeur aussi caustique qu’impitoyable. Cen’est pas la moindre « leçon du pouvoir » en cette rentrée. p

M éthodiquement depuis deuxans, le régime syrien, avec l’ap-pui crucial de ses alliés russes et

iraniens, a repris toutes les poches de résis-tance du pays, les unes après les autres. Il n’en reste plus qu’une : Idlib, dans le nord-ouest du pays, où vivent trois millions de civils, dont un million de personnes dépla-cées. L’offensive sur Idlib, dernier acte de cette reconquête, passe aujourd’hui pour inéluctable. Les troupes se massent, les dé-clarations se musclent, mais l’importance de ce qui se joue dans cette enclave va au-delà d’un simple remodelage des lignes de front. Idlib ne symbolise pas seulement la dernière bataille d’un conflit terriblement meurtrier, mais déjà la première crise d’un après-guerre dominé par Moscou.

La mise en garde lancée sur Twitter, tardlundi 3 septembre, par le président Donald Trump au président Bachar Al-Assad, ainsi qu’aux Russes et aux Iraniens, contre « lagrave erreur humanitaire » que constitue-rait un assaut sur Idlib ne doit en effet tromper personne : les Etats-Unis, demoins en moins intéressés par la Syrie, ne bougeront pas. Les menaces occidentales se limitent aujourd’hui à celles de frappes en cas de recours à l’arme chimique.

C’est donc le président Vladimir Poutinequi détient les cartes maîtresses. Il a le pou-voir de lancer une offensive de grande am-pleur ou, au contraire, de limiter l’avancéedes forces prorégime aux marges de l’en-clave. De lui dépend la décision qui déclen-chera un chaos de grande ampleur ou une guerre d’usure. Car Idlib est devenue une poudrière. Les djihadistes d’Hayat Tahrir Al-Cham, une coalition issue d’Al-Qaida, yconstituent la force dominante. De nom-breux combattants de groupes d’opposi-tion chassés des autres régions s’y sont re-tirés et se mêlent à la population civile. Uneopération de grande ampleur pourrait se traduire par un exode massif que la Tur-quie voisine entend éviter à tout prix.

Les forces turques se sont révélées inap-tes à isoler les éléments les plus radicauxd’Idlib, légitimant ainsi les pressions rus-ses. Les groupes proturcs ne rassemblent qu’une minorité des combattants d’Idlib et

une position plus offensive d’Ankara contreles djihadistes pourrait se traduire par desattentats sur le sol turc. Ainsi prise au piègede sa relation avec Moscou, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan n’aurait d’autre choix pour préserver le statu quo que de se soumettre aux termes dictés par son par-tenaire russe dans la définition des grands équilibres de l’après-guerre. Cette défi-nition sera au cœur du sommet qui doit réunir, le 7 septembre à Téhéran, les prési-dents russe, turc et iranien.

L’Europe, elle, est directement concernéepar le scénario du chaos à Idlib, peu oné-reux pour Moscou mais aux conséquen-ces humanitaires inévitablement tragi-ques. L’exode des habitants d’Idlib nepourrait pas être contenu par une Turquiequi abrite déjà trois millions de réfugiés syriens : c’est alors la menace d’une nou-velle crise migratoire qui pèserait sur no-tre continent, à la veille des élections auParlement européen.

Le constat est simple. Les Etats-Unis se re-tirent, la Russie est en position d’arbitre ré-gional. M. Poutine attend des Européensqu’ils financent la reconstruction d’une Sy-rie exsangue à la tête de laquelle il a rétabli Bachar Al-Assad, celui-là même qui a mas-sacré son peuple. Les Européens ont là un levier financier : il leur incombe de s’en ser-vir pour éviter ce scénario, et pour exiger une transition politique à Damas. p

FRANÇOIS HOLLANDE SAVOURE SA

REVANCHE SUR CELUI QUI L’A POUSSÉ VERS

LA SORTIE ET QUI CONNAÎT UNE RENTRÉE

BIEN DIFFICILE

SYRIE : MOSCOU FACE À LA POUDRIÈRE D’IDLIB

FRANCE | CHRONIQUEpar gérard courtois

La revanche de « Culbuto »

ET L’ANCIEN PRÉSIDENT DE TACLER

« LE NARCISSISME, TERRIBLE MALADIE »

DES HOMMES POLITIQUES

Tirage du Monde daté mardi 4 septembre : 189 792 exemplaires

AVECNRJETLESENCEINTESCONNECTÉESVOUSÊTESÀUNESECONDE

DE L’ACHAT

Contact NRJ Global : Laurence BUCQUET - 01 40 71 44 06 - [email protected] - www.nrjglobal.com

Avec l’arrivée des enceintes connectées dans les foyers français,une nouvelle page s’écrit pour NRJ. La radio, média le plus prochede l’acte d’achat de par sa mobilité, entre dans une nouvelle dimension.

Désormaisdurantl’écouted’unepublicitésurNRJavecuneGoogleHome,l’auditeur peut dire par exemple :«Ok Google, rajoute le soda X àma liste de courses».

Enceinte connectée pour le média le plus connecté...Le futur de la radio commence aujourd’hui.

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Cahier du « Monde » No 22907 daté Mercredi 5 septembre 2018 - Ne peut être vendu séparément

Essentielle à l’accouchement, à la lactation ou à l’orgasme, cette molécule fascine par son omniprésence dans les mécanismes d’interaction sociale. Pourrait-elle être efficace contre l’autisme et des syndromes associés ?

Cristaux d’ocytocine en lumière polarisante.

ALFRED PASIEKA/SPL/COSMOS

pascale santi

Souvent appelée hormone de l’amour, del’attachement, du plaisir… ou encorequalifiée de « grande facilitatrice de lavie », l’ocytocine, sécrétée naturellementdans le cerveau, est impliquée dans

l’accouchement, la lactation, l’acte sexuel, l’or-gasme. Elle joue un rôle essentiel dans les relationsparents/bébé, le développement cognitif, la régu-lation de l’émotion ou encore le contrôle alimen-taire, la douleur… Bien qu’elle soit connue depuis près d’un siècle, et malgré les quelque 25 000 pu-

blications sur le sujet depuis les années 1950, l’ocy-tocine conserve bien des mystères.

Au-delà des effets physiologiques périnatauxinduits par l’hormone, on prend conscience dans lesannées 1970 de son influence sur les comporte-ments. Le premier effet démontré fut l’induction de comportement maternel chez les rats par l’adminis-tration d’ocytocine de synthèse. « Depuis, d’autres études ont démontré que l’ocytocine pourrait jouer un rôle sur tout comportement social, le renforce-ment des liens entre parents et enfants, la confiance, l’orgasme, l’anxiété, la peur », décrit Françoise Musca-telli, de l’Institut de neurobiologie de la Méditerra-née (Inserm) à Luminy (Marseille). Elle agit ainsi en réduisant des manifestations de certains troubles autistiques ou apparentés. Pourrait-elle constituer un premier traitement pour améliorer les interac-tions sociales qui font souvent défaut chez ceux qui en sont affectés et dont le nombre ne cesse d’aug-menter ? Enquête sur une molécule déroutante, dont l’ubiquité ne cesse d’intriguer les chercheurs etle potentiel thérapeutique de susciter des espoirs.

C’est le Britannique Henry Dale (1875-1968) qui lepremier, en 1906, s’est mis sur sa piste en montrant qu’une substance extraite de l’hypophyse avait des propriétés contractiles chez la chatte enceinte. Puis cette molécule est isolée en 1927 et commercialisée

sous le nom de Oxytocin, du grec oxus (« rapide ») ettokos (« accouchement »). En effet, les premiers effetsmontrés chez les mammifères étaient la contraction des muscles de l’utérus, accélérant le travail lors de l’accouchement, puis la rétractation de l’utérus aprèsl’expulsion, afin qu’il retrouve sa position initiale. Elle stimule aussi la production de lait lors de la tétée.C’est le biochimiste américain Vincent du Vigneaud (1901-1978), Prix Nobel de chimie en 1955, qui la décritcomme une hormone formée de neuf acides aminés.

Présente naturellement dans l’organisme, l’ocyto-cine est synthétisée dans le cerveau et également en périphérie dans différents organes, mais la fonction de cette synthèse en périphérie reste mal connue. Dans le cerveau, elle est produite dans deux petites structures localisées au sein de l’hypothalamus, puis libérée par l’hypophyse dans la circulation sanguine.

On a même mis en évidence son rôle dans la fidé-lité… des campagnols des prairies. Connus pour former des couples durables, ils présentent plus d’ocytocine dans les noyaux accumbens, comme l’a montré en 2004 le neurobiologiste américain LarryYoung. Pourtant, Karen Bales (université de Davis) a mis en évidence en 2012 que lorsqu’ils recevaient de l’ocytocine à l’adolescence, ils devenaient plus vola-ges à l’âge adulte. De quoi semer le trouble.

→ LIRE L A SUITE PAGES 4-5

Portrait

L’autismeau fémininDiagnostiquée autistede type Asperger à l’âge de 27 ans, Julie Dachez est devenue spécialiste de sa condition, lui consacrant même une thèsePAGE 8

La nouvelle vague des accélérateursFaire surfer les électrons, c’est la voie explorée au CERN pour étudier d’autres états de la matièrePAGE 3

L’alcoolisation fœtaleen chiffresA la veille d’une campa-gne de prévention, Santé publique France publie la première estimation du nombre de nouveau-nés affectés par la consommation d’alcool de la mère. Cette estima-tion – un cas par jour –, bien en deçà des chiffres internationaux, doit cependant être affinéePAGE 2

L’ocytocine, déroutante « hormone de l’amour »

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2 |ACTUALITÉLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINE

MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

Prévenir les dégâts de l’alcoolisation fœtalePÉDIATRIE - Santé publique France présente la première évaluation nationale de la prévalence des atteintes liées à l’exposition prénatale à l’alcool. Moins alarmants que les estimations internationales, ces chiffres ne reflètent cependant pas l’ampleur du phénomène

En France, un enfant naîtrait chaquejour avec au moins une conséquencede l’exposition prénatale à l’alcool ; etun par semaine avec la forme la plusspécifique de ces troubles, le syn-

drome d’alcoolisation fœtale (SAF), qui résulte d’une consommation maternelle très élevée pendant la grossesse. Soit respectivement 0,48 et0,07 cas pour mille naissances.

A quelques jours de la Journée mondiale desensibilisation au SAF, le 9 septembre, les pre-mières estimations nationales que devait pré-senter, mardi 4 septembre, Santé publiqueFrance confirment le poids important de cette problématique pour la santé publique. De prime abord, ces résultats pourraient toutefois paraîtreune bonne nouvelle. Les taux calculés en France sont en effet dix à vingt fois plus bas que les estimations internationales admises : cinq à dix naissances sur mille pour les troubles causéspar l’alcoolisation fœtale (TCAF), dont un sur dixest un SAF. Mais les auteurs de l’étude, réalisée à partir des bases de données des hôpitaux (programme de médicalisation des systèmesd’information, PMSI), précisent d’emblée queleurs chiffres sont « très sous-estimés », notam-ment parce que ces diagnostics sont difficiles àposer en période néonatale et qu’ils n’incluent pas les cas reconnus plus tard dans l’enfance.

Effet tératogèneLes effets délétères de l’exposition à l’alcool dans la vie intra-utérine sont bien documentés. Ce toxique est d’ailleurs la première cause de handi-cap mental non génétique et d’inadaptationsociale, une cause totalement évitable. Au pre-mier trimestre de la grossesse, il est tératogène (augmente le risque de malformations). Au deuxième et au troisième trimestre, il peut perturber plus insidieusement la croissance et lamaturation cérébrale.

Le tableau le plus spécifique, le syndromed’alcoolisation fœtale, a été décrit initialement par le pédiatre nantais Paul Lemoine, en 1968, qui citait lui-même la thèse de médecine deJacqueline Rouquette (1957), puis redécouverten 1973 par deux pédiatres américains. Il associe des anomalies physiques (visage caractéristiquedès la naissance, malformations, retard de crois-sance) et des troubles du neurodéveloppement :difficultés d’apprentissage ; troubles du calcul, du langage, du comportement, de la mémoire ;retard mental ; déficit d’attention…

Depuis, d’autres formes ont été identifiées, et ilest désormais établi que les TCAF forment uncontinuum, le cas le plus fréquent étant lesformes partielles. Les symptômes liés aux trou-bles neurodéveloppementaux peuvent se révé-ler dans l’enfance, et le lien avec une exposition prénatale à l’alcool n’est pas toujours évident.

Faute de seuil de consommation en dessousduquel il n’y aurait aucun risque pour l’enfant, les autorités sanitaires prônent par principe de précaution le « zéro alcool pendant la grossesse ».

« Malgré l’impact sanitaire et social de ces trou-

bles, aucune estimation nationale ni de comparai-sons régionales récentes n’étaient à ce jour disponi-bles », souligne Santé publique France. Pour cette première évaluation, Nolwenn Regnault (coordi-natrice du programme de surveillance en santé périnatale à Santé publique France) et ses collè-gues ont analysé, entre 2006 et 2013, les bases dedonnées PMSI des centres hospitaliers de France métropolitaine et des départements et régions d’outre-mer – hors Mayotte – pour les nouveau-nés, c’est-à-dire entre 0 et 28 jours de vie.

Ils ont retenu les codes diagnostiques Q860,correspondant au SAF avec dysmorphie, et P043 (« fœtus et nouveau-né affectés par l’alcoolisme

de la mère »). Pendant ces huit années, 452 cas deSAF ont été recensés, et 2 755 cas d’autres troubles causés par l’alcoolisation fœtale, soit au total 3 207nouveau-nés touchés. La moitié des cas concerne des filles. Globalement, la fréquence des TCAF est donc évaluée à 0,48 cas pour 1 000, avec des taux bien supérieurs dans certaines régions : comme La Réunion (1,22 pour 1 000) ; la Haute-Normandie(1,02 pour 1 000), la Champagne-Ardenne et le Nord-Pas-de-Calais (0,9 pour 1 000). Des dispari-tés régionales qui n’étonnent pas NolwennRegnault. « Ces régions avaient déjà été identifiées dans l’expertise collective de l’Inserm de 2001 sur l’alcool et les effets sur la santé, commente-t-elle.

Un taux élevé peut correspondre à une exposition plus importante à l’alcool, mais il faut aussi tenir compte du contexte historique local. A La Réunion,par exemple, les professionnels de santé se sont beaucoup mobilisés sur cette thématique. » Ils sontdonc probablement plus enclins à poser le dia-gnostic dès la naissance.

Les auteurs de l’étude ne sont pas non plus sur-pris par ce taux faible de TCAF par rapport auxestimations internationales, l’enquête n’ayant été réalisée que chez les nouveau-nés. « Le dia-gnostic peut n’être posé que plus tard, en particu-lier lors de la scolarité pour ce qui concerne lestroubles des apprentissages. D’autre part, même en cas de suspicion, le soignant peut ne pas faire figurer les codes diagnostiques correspondants dans le PMSI », écrivent-ils. Spécialiste des TCAF, le neuropédiatre David Germanaud (hôpital Robert-Debré, APHP) souligne lui aussi des paramètres expliquant aisément le hiatus entre les résultats de cette étude française et les esti-mations obtenues par recoupement d’autresétudes, en particulier internationales. « Le SAF est sous-diagnostiqué à la naissance, soit parce qu’il n’est pas reconnu, soit parce que le médecin choisit de différer le diagnostic, relève-t-il. Quant au code P043, il est très imprécis et quoi qu’il ensoit pas superposable au diagnostic de TCAFhors SAF, qui ne peut être porté que plus tard.C’est par contre un bon indicateur d’alcoolisation maternelle importante. » Pour David Germanaudcomme pour les auteurs de l’étude, il est indis-pensable de se donner les moyens d’identifier les cas de TCAF se manifestant plus tard dans l’enfance, et qui d’ailleurs ne sont pas toujours pris en charge dans les hôpitaux.

Campagne d’informationQu’en est-il des consommations d’alcool pendantla grossesse ? Elles sont loin d’être négligeables, selon les données du baromètre santé 2017 pré-sentées par Santé publique France. Une femme enceinte sur dix a consommé, même occasion-nellement, de l’alcool pendant sa grossesse. Et quatre sur dix disent ne pas avoir été informées des risques de la consommation d’alcool (ou detabac) par le médecin ou la sage-femme qui les suit ou les a suivies pendant leur grossesse.

Pour la troisième année d’affilée, l’agence sani-taire va déployer une campagne nationale auprès du public et des professionnels de santé.« Les deux précédentes campagnes ont fait évo-luer les connaissances du public sur ces questions,mais il faut poursuivre l’effort, insiste FrançoisBourdillon, directeur général de Santé publiqueFrance. Le zéro alcool doit devenir un réflexe pendant la grossesse, mais aussi dès qu’unefemme veut un enfant. »

Quid du logo spécifique sur les bouteillesd’alcool, instauré depuis dix ans mais souvent inexistant, ou quasi illisible ? « Si les alcooliers veu-lent faire de la prévention, qu’ils fassent leurs preu-ves. Afficher cette information sur leurs produits estde leur responsabilité », estime M. Bourdillon. p

sandrine cabut

PHILIPPE LOPEZ/AFP

D epuis plus d’un an, lesautorités chinoises nedonnent pas suite aux

demandes répétées venues desEtats-Unis, tant de la part d’offi-ciels gouvernementaux que de responsables des Centres pour lecontrôle et la prévention desmaladies (CDC). Ces derniers sou-haitent que leurs homologues chinois partagent avec eux lessouches de virus de la grippeaviaire H7N9 qui, depuis 2013, aégalement touché des humains. Une telle requête s’inscrit dans lecadre défini par l’Organisationmondiale de la santé (OMS) pourla préparation aux pandémiesgrippales.

Les médias américains, à com-mencer par le New York Times, dans un article paru le 27 août, ont fustigé l’attitude des instan-ces chinoises, qui font la sourdeoreille. Ils soulignaient qu’ellesempêchaient de travailler à des candidats vaccins contre un virus

qui pourrait muter, devenir transmissible entre humains etpotentiellement à l’origine d’unenouvelle pandémie. D’où unepolémique sur fond de tensions dans les négociations commer-ciales entre Etats-Unis et Chine.Le quotidien britannique The Telegraph a indiqué pour sa part,le 29 août, que, après avoir fournides souches du H7N9 en 2013 eten 2016, la Chine n’avait pas donné suite à une demande bri-tannique effectuée en 2017.

Surveillance de mutationsEn mars 2013, pour la première fois, un cas humain d’infection parun virus aviaire H7N9 a été identi-fié en Chine chez une personne vivant en contact étroit avec des volailles. Depuis, des épidémies périodiques d’infections de per-sonnes par le virus H7N9 survien-nent, toutes sur le territoire chi-nois. La sixième, nettement plus faible que celle qui l’a immédiate-

ment précédée, est en train de s’achever, un seul cas humain ayant été recensé depuis octo-bre 2017, contre 766 pour l’épidé-mie de 2016-2017, qui fut la plus importante. Le nombre cumulé d’infections humaines par le H7N9 depuis mars 2013 s’élève à 1 625 cas confirmés, dont 623 mor-tels, soit un taux de létalité de 38 %,selon le compte tenu par l’Organi-sation des Nations unies pour l’ali-mentation et l’agriculture (FAO).

Les personnes touchées jusqu’iciont été en contact avec des volailles en Chine et il n’y a pas de chaîne de transmission inter-humaine soutenue, selon l’OMS et les CDC. L’heure est donc à la sur-veillance des mutations que pour-rait connaître le virus et qui le ren-draient apte à être transmis plus facilement d’humain à humain, luiconférant ainsi un potentiel pan-démique. Ces préparatifs incluent aussi la mise au point de candidatsvaccins les plus spécifiques possi-

bles qui pourraient être mis en fabrication à grande échelle.

Après la pandémie grippale àvirus A (H1N1) de 2009-2010, un cadre international, « Pandemic Influenza Preparedness » (« prépa-ration à la grippe pandémique », PIP), a été mis en place, en 2010, sur décision de l’OMS, afin que tous les pays puissent bénéficier des recherches internationales. « Ilprévoit et organise le partage entredes centres référencés des souches virales et des séquences génétiques identifiées permettant de les repro-duire, ainsi que le partage des avantages, notamment financiers,avec le centre qui a fourni le maté-riel », explique Bruno Lina, quidirige à Lyon l’un des deux labora-toires du centre national de réfé-rence (CNR) sur la grippe.

« Ne pas partager les souches oules séquences génétiques n’est pasconforme à ce qui est attendu », confirme Sylvie van Der Werf, directrice de l’autre laboratoire du

CNR à l’Institut Pasteur, à Paris. L’un et l’autre n’ont pas fait de de-mande de souche auprès de leurs homologues chinois, et Sylvie vanDer Werf confirme qu’aucune nouvelle séquence génétique devirus H7N9 n’a été déposée dans la base de données internationale depuis le début 2018.

« Mauvais signal »L’attitude de la Chine met-elle le monde en péril face à une éven-tuelle pandémie provoquée par unmutant du virus H7N9 ? Les spé-cialistes français sollicités par Le Monde réprouvent, mais n’adop-tent pas le ton alarmiste de la presse anglo-saxonne. « C’est en-nuyeux de ne pas disposer du virus circulant et de séquences généti-ques récentes, même si les labora-toires chinois possèdent des expertsde niveau international. Il est préfé-rable de suivre les évolutions et de confronter des résultats. Après avoir été exemplaire lors des pre-

mières épidémies à H7N9, la Chine envoie un très mauvais signal », estime Sylvie van Der Werf.

« C’est mieux de travailler avec levirus lui-même, mais il est possible de s’appuyer sur un virus sur lequel se trouvent les deux molécules constituant les antigènes contre lesquels un vaccin doit être dirigé », souligne Jean-Claude Manu-guerra, directeur de la cellule d’in-tervention biologique d’urgence à l’Institut Pasteur. La sélection des virus grippaux circulant chez l’animal tels que le H7N9 pour la préparation de réassortants à visée vaccinale « est réalisée régu-lièrement au moins de façon biannuelle, en février et en septem-bre. Le dernier réassortant disponi-ble date de 2017. Un vaccin préparé avec une souche plus ancienne pourrait se révéler moins efficace si le virus a évolué au plan antigéni-que, mais pas dénué d’efficacité », précise Sylvie van Der Werf. p

paul benkimoun

Virus aviaire H7N9 : la Chine jalouse de ses échantillonsVIROLOGIE - Les autorités américaines demandent, depuis plus d’un an, des souches du virus grippal pour anticiper une éventuelle pandémie

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ACTUALITÉLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINE

MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 | 3

Le CERN fait surfer les électronsPHYSIQUE - Un prototype, baptisé « Awake », promet de miniaturiser les futurs accélérateurs de particules en entraînant les électrons sur des vagues créées par un faisceau de protons

P ourra-t-on bientôt faireapparaître un boson deHiggs dans son salon ?

Cette particule élémentaire, ladernière qui manquait autableau de chasse des physiciens,a été découverte seulementen 2012 au CERN (Organisation européenne pour la recherchenucléaire), en Suisse, grâce à un accélérateur de particules géant,le LHC, un anneau souterrainlong de 27 kilomètres. Le mêmeCERN vient de démontrer, dansNature, le 29 août, qu’une nou-velle technique pourrait réduireconsidérablement les dimen-sions d’une future machine. Sur 10 mètres de long seulement, unfaisceau d’électrons a été accélérécent fois pour atteindre uneénergie colossale. Cette dernièreest certes cent fois plus faible quecelle du LEP, qui a laissé la placeau LHC, mais pour une distance2 700 fois plus courte.

La miniaturisation est de taille,même si elle ne permet pas dejouer à la pétanque avec des par-ticules à la maison. Sans compterqu’il faut en amont de la piste devitesse de 10 mètres, un anneaud’accélération de… 7 kilomètres.C’est d’ailleurs ce qui rend uni-que au monde ce prototype,baptisé « Awake », car seul le CERN dispose d’une telle installa-tion (qui sert d’ailleurs à alimen-ter le LHC en particules).

Rupture technologique« Nous n’avons pas été surpris du résultat mais surpris que toutmarche comme prévu », souligneEdda Gschwendtner, chef duprojet Awake au CERN. « C’est unevraie rupture technologique. Il n’était pas évident que ça fonc-tionnerait aussi vite, tant l’expé-rience est complexe », salue VictorMalka, chercheur à l’Institut Weizmann, spécialiste d’une technique assez proche.

L’idée remonte à 1979, lorsqueToshiki Tajima et John Dawson, aux Etats-Unis, proposent sur le papier un accélérateur d’électrons par laser. Pour accélérer une parti-cule chargée comme un électron, il suffit de lui appliquer un champ électrique (comme dans les an-ciens tubes cathodiques de télévi-sion). Plus il est fort, plus l’électronfile vite. Pour cela, on applique de

fortes tensions entre deux plaquesélectriques, ou bien, comme dans un four à micro-ondes, on crée un champ électrique oscillant. Le « four » de Tajima et Dawson est unplasma, une soupe de particules chargées, excité par un faisceau laser intense. La propagation de celui-ci perturbe le plasma dont le champ électrique se met à osciller comme la surface d’un étang aprèsle passage d’un bateau. Certains électrons présents dans le plasma se comportent alors comme de véritables surfeurs dans les vaguesde sillage (qui sont en fait des vagues de champs électriques) et sont accélérés. Une dizaine d’an-nées plus tard, la démonstration de cette technique était faite. Aujourd’hui le record est un champ électrique équivalant à un voltage d’un milliard de volts entre deux plaques séparées de dix centimètres. Particulièrement compact donc.

En 2010, Allen Caldwell, de l’ins-titut Max Planck et porte-parole d’Awake, a l’idée avec des collè-gues d’utiliser non pas un laserpour servir de « bateau » mais un faisceau de protons, plus énergé-

tique, excitant une vapeur derubidium (pour le plasma).

Mais les chercheurs ont eu de lachance, car bombarder un plasma par un faisceau de protons crée a priori une vague qui n’a pas la bonne longueur pour accélérer lesélectrons : les bosses sont troploin les unes des autres. Sauf qu’en 1994 Victor Malka et ses collègues ont découvert un effet de saucissonnage bénéfique : lorsqu’un laser frappe le plasma, il se brise en plusieurs petits « ba-teaux », qui créent chacun des va-gues plus fréquentes. « C’est magi-que ! La nature fait en sorte que celamarche », s’amuse Victor Malka.

Electrons accélérésAwake a pu observer cet effet sur un faisceau de protons en 2017,avant donc de montrer que le sillage ainsi généré pouvait accé-lérer effectivement les électrons. Les champs électriques créés équivalant à deux cents millions de volts, soit quarante fois plus qu’au LHC. Mais celui-ci accélèreplus car, étant circulaire, il botte lederrière des particules à interval-les réguliers. De quoi atteindre

des énergies bien plus grandes que celles d’Awake. Ce dernier doitdonc encore s’améliorer, ce qui sera l’objet des prochains chan-tiers pour de nouveaux tirsen 2021, cinq fois plus énergéti-ques. Ensuite, ces démonstra-tions pourront fournir des élec-trons accélérés pour des expé-riences de physique fondamen-tale de recherche de nouvelles particules ou d’exploration denouvelles théories, par exemple en percutant des électrons contre des protons ou des électrons contre des antiélectrons.

Pendant ce temps, l’accélérationpar laser, qui a lancé le sujet, se dé-veloppe. Les électrons sont moins énergétiques mais l’instrument est plus compact, permettant, entre autres applications en radio-thérapie, de brûler des cellules plusefficacement que des rayons X.

« Au début, les gens étaient trèssceptiques lorsqu’on présentait ces accélérateurs plasma, mais la technologie a mûri, et cette der-nière expérience est l’une des démonstrations de leur crédibi-lité », estime Victor Malka. p

david larousserie

La ligne du prototype Awake, de « seulement » 10 mètres de long. CERN

Cancer : des mouches plus fortes ensembleONCOLOGIE - Des drosophiles génétiquement modifiées pour développer un cancer intestinal y résistaient mieux quand elles étaient au contact de congénères elles aussi malades

O n soupçonne que chezl’homme, l’isolementpeut aggraver l’évolution

d’un cancer. Mais comment démêler la dimension sociale des différents facteurs influant sur lamaladie ? Chez un animal delaboratoire comme la drosophile, cette question est plus facile à explorer. C’est ce qu’a fait une équipe internationale, sous la di-rection de Frédéric Thomas (IRD CNRS Montpellier), Frédéric Meryet Jacques Montagne (CNRS, IRD, CEA, universités Paris-Sud etSaclay, Gif-sur-Yvette).

Dans un article publié lundi3 septembre dans la revue NatureCommunications, ils montrentque, chez une mouche généti-quement modifiée pour déve-lopper un cancer intestinal, « desubtiles variations de la structuresociale ont des effets considéra-bles sur la progression de la tu-meur ». « Nous ne faisons aucune transposition à l’homme, pré-vient Frédéric Thomas. Mais

nous mettons le doigt sur le faitque l’environnement social joueun rôle pour un animal chez qui ladimension psychologique n’estpas manifeste. »

Les observations sont les sui-vantes : mises à l’isolement, lesmouches malades dépérissentplus rapidement que lorsqu’ellespeuvent interagir avec des congé-nères malades. « Il s’agit d’uninsecte grégaire, maximisé pour lefonctionnement en groupe, note Frédéric Thomas. On peut doncsupposer que le stress de l’isole-ment influe sur la maladie. »

Mais en compagnie de mou-ches saines, l’insecte malade dépérit aussi vite qu’à l’isole-ment, et si on lui laisse le choix, ilpréfère la compagnie des droso-philes affectées – au moins dansles stades précoces de la maladie,dont l’évolution est alors ralentie.Au milieu des mouches saines, l’individu malade n’a pas réelle-ment d’interactions, comme montrent les analyses comporte-

mentales effectuées sur des enre-gistrements vidéo.

De leur côté, les mouches sai-nes évitent les mouches transgé-niques lorsque le cancer entredans des phases plus avancées.« Ce comportement pourrait êtrelié au fait que les individus mala-des pourraient attirer les préda-teurs, ou être porteurs d’infec-tions en raison d’une immunodé-ficience associée à la maladie »,avance Frédéric Thomas. A l’in-verse, en rejoignant leurs sem-blables, les porteuses de tumeursdiluent leur handicap au sein dugroupe et conservent plus dechances de se reproduire qu’iso-lées parmi des bien portantes.

Effet de la maladieDans une précédente étude, Fré-déric Thomas et ses collègues avaient constaté que les mouches porteuses d’un cancer colorectalpondaient leurs œufs deux jours plus tôt. « On a observé la mêmechose chez les moustiques infectés

par le plasmodium, note Frédéric Thomas. Ces insectes maximisent l’effort de reproduction en début de maladie. » Des observations qui s’intègrent dans un nouveau champ de recherche visant à mieux cerner l’effet de la maladie dans ses phases précoces, voire dans ses formes héréditaires,avant son déclenchement.

« Evidemment, on aimeraitmaintenant savoir quelles sont lesbases physiologiques et molécu-laires qui sous-tendent les phéno-mènes mis en évidence » dans l’étude de Nature Communica-tions, note Lucas Waltzer, spécia-liste des drosophiles (CNRS, Inserm, université Clermont-Auvergne), qui estime « remar-quables » ses points saillants. « Ces observations sont-elles géné-ralisables à d’autres types de can-cers de la drosophile ou à d’autresespèces ? », s’interroge-t-il. Frédé-ric Thomas et ses collègues seposent les mêmes questions. p

hervé morin

ASTRONOMIE

Le rover Opportunity toujours muet sous la poussièreOpportunity, le rover martien de la NASA, n’a pas donné de signe de vie depuis le 10 juin, quelques semaines après le début d’une tem-pête de poussière qui a recouvert la quasi-totalité de la planète Mars. Le 30 août, la NASA a indiqué que le ciel se dégageait, et qu’une période de 45 jours d’écoute active s’ouvrirait dès que l’indice « tau » d’empoussièrement de l’atmosphère atteindrait 1,5 – alors qu’il était monté à 10,8 au plus fort de la tempête, contre 0,5 en temps normal. La NASA n’a pas précisé le niveau actuel de « tau », mais certai-nes voix ont regretté que l’agence américaine n’attende pas que le ciel soit plus clair pour ouvrir cette période d’écoute, jugée trop courte. John Callas, responsable d’Opportu-nity au Jet Propulsion Laboratory, a précisé que, au-delà de ces 45 jours, l’écoute passive du rover serait étendue plusieurs mois : il est déjà arrivé que des tourbillons nettoient les panneaux solaires de la poussière accumulée. Si c’est bien la cause du mutisme d’Opportu-nity, les ingénieurs ne veulent pas laisser pas-ser cette chance, même si elle paraît infime. Spirit, jumeau d’Opportunity, est déclaré perdu pour la science depuis 2011.

PHYSIQUE

Le boson de Higgs refait parler de luiLes deux plus grosses expériences du CERN, Atlas et CMS, ont annoncé le 28 août avoir observé la désintégration du boson de Higgs en deux quarks lourds dits « b ». Le boson de Higgs, découvert en 2012 dans le choc entre deux faisceaux de protons, était la dernière pièce manquante du puzzle des particules élémentaires. Il est responsable de la masse des autres particules, et son comportement pourrait renseigner sur des théories physi-ques nouvelles. Il meurt majoritairement en émettant deux grains de lumière mais peut donc aussi émettre deux quarks « b », d’autres particules élémentaires. La manière dont il le fait reste cependant conforme aux modèles actuels et ne permet donc pas d’esquisser de nouvelles théories.

RECTIFICATIF

Jean-Paul Moatti, président de l’Institut de recherche pour le développementDans le supplément « Science & médecine » daté du 29 août, il était écrit par erreur que Jean-Paul Moatti, cosignataire de la tribune « Tous unis pour défendre une santé globale », était président de l’Institut pour la recherche stratégique. M. Moatti préside l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

T É L E S C O P Eb

CONFÉRENCELes neurosciencespeuvent-ellesnous aider à développernos « soft skills » ?13 Sept. 12h30

PITCH START-UPVa-t-on construiredes usines sur la lune ?13 Sept. 16h15

CONFÉRENCELes bio-pesticides à based’algues : une réponseà l’utilisationdes pesticides ?14 Sept. 11h45

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4 |ÉVÉNEMENTLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINE

MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

L’ocytocine, molécule très

attachante

Depuis une dizaine d’années, on note aussi un fort engouement pour les recherches sur l’utili-sation chez l’homme de l’ocytocine, notammentadministrée par spray intranasal, avec unecentaine d’essais cliniques au niveau européen – contre une trentaine il y a cinq ans.

L’équipe de recherche Inserm Empreintespérinatales et troubles neurodéveloppemen-taux de Françoise Muscatelli travaille sur le sujetdepuis une dizaine d’années. Elle a montré quele gène Magel2 est impliqué dans le syndromede Prader-Willi, maladie génétique rare. Uneéquipe américaine a aussi identifié ce gènecomme responsable du syndrome de Schaaf-Yang, une autre maladie rare, et des troublesautistiques. « L’équipe a créé une souris avec une mutation de ce gène et reproduit chez cette sourismutée des comportements similaires à ceux despatients. Les rongeurs présentaient dès la nais-sance un déficit de l’activité de succion et destroubles du comportement social et cognitif »,explique Françoise Muscatelli. La mutation dece gène entraînait un déficit à la naissance de laquantité d’ocytocine dans le cerveau.

Rétablissement du comportement socialEn laboratoire, les résultats sont surprenants.« L’ocytocine injectée en sous-cutané chez desbébés souris, entre 3 et 5 heures après la naissance,rétablit un comportement alimentaire normal chez ces souriceaux pour lesquels l’absence deréflexe de succion engageait le pronostic vital »,souligne Valéry Matarazzo de la même équipe. A l’inverse, quand un antagoniste (qui bloque lesrécepteurs à l’ocytocine) était injecté une heure et demie après la naissance à des souris norma-les, 50 % mouraient, car elles avaient beaucoup de difficultés de succion.

L’injection d’ocytocine chez le souriceau nou-veau-né rétablit aussi un comportement social et des fonctions cognitives « normales » chez dessouris « Magel2-KO » adultes (c’est-à-dire avec le gène muté). « On va regarder comment deux souris interagissent ensemble et comment elles reconnaissent mieux un congénère familier par rapport à un nouveau. On observe le nombre de

fois où elles entrent en contact physique, où elles se sentent… c’est la mémoire sociale », explique Stéphane Gaillard, président de la société Phéno-type expertise, qui, en analysant les comporte-ments, travaille avec cette équipe de l’Inserm. « Ces travaux mettent en évidence le rôle crucial de l’ocytocine produite à la naissance chez lasouris dans l’activité de succion du nouveau-né et ensuite dans les relations sociales et l’apprentis-sage », constate Françoise Muscatelli.

Une recherche américaine menée par le neuro-scientifique Robert Froemke (école de médecine de l’université de New York), publiée dans la revueNature en avril 2015, montrait que l’ocytocinepermettait aussi à la mère souris de reconnaître les ultrasons émis par sa progéniture. En inocu-lant de l’ocytocine à des souris « vierges », celles-cirépondaient davantage aux pleurs des souri-

ceaux que les autres souris (qui avaient reçu un placebo) et allaient chercher les souris par le cou, même lorsqu’elles n’avaient jamais eu de petits.

A l’inverse, en bloquant les récepteurs à l’ocyto-cine chez les rongeurs, ils perdaient tout com-portement maternel. « Il est probable que l’ocyto-cine soit également impliquée dans le traitementdes signaux olfactifs et visuels par le cerveau. Et, si

tel est le cas, la prétendue hormone de l’amourpeut à la longue nous conduire à de meilleurs trai-tements pour des troubles tels que la dépression post-partum et l’autisme », explique aussi Larry Young (université Emory, Etats-Unis).

Les personnes atteintes de troubles du spectreautistique présentent un défaut du système ocytocinergique. « Plusieurs études donnent desespoirs quant à l’efficacité de l’ocytocine pour la réhabilitation du comportement social des en-fants souffrant d’autisme. Ce que rapportent aussiles parents d’enfants autistes : augmentation du contact corporel avec la mère, demande explicite de câlins, etc. », décrit Angela Sirigu, directrice de l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerodà Lyon (CNRS). « Ces essais concordent avec ce quenous avions déjà trouvé chez des adultes autistesen 2010 », poursuit-elle. L’ocytocine donnée à des

ATTÉNUER LE SYNDROME DE PRADER-WILLI

N our a été la première ado-lescente – elle aura 15 ansà la fin de l’année – à être

incluse dans un essai clinique surl’ocytocine conduit par l’équipede la professeure Maïthé Tauber, pédiatre endocrinologue auCentre de référence du syndromede Prader-Willi (CHU de Tou-louse). Cette jeune fille a été dia-gnostiquée à l’âge de 1 an. Cette maladie génétique rare – un cas sur 25 000 naissances – se carac-térise par des troubles neuro-dé-veloppementaux avec des défi-cits hormonaux, dont un retardde croissance. La période néona-tale et les deux premières années de vie sont marquées par une hypotonie majeure.

Les nourrissons ont une diffi-culté sévère à se nourrir, puis lecomportement alimentaire s’in-verse vers 2 à 3 ans, avec une pen-sée permanente pour la nourri-

ture, qui se traduit par de l’hyper-phagie, avec un risque d’obésité parfois associé à des troubles psy-chiatriques et des difficultés d’ap-prentissage, note Maïthé Tauber.

Réduction des troublesConnue pour favoriser les rela-tions sociales, l’ocytocine estprometteuse pour réduire des manifestations de certains trou-bles autistiques ou liés à d’autresmaladies, comme le syndromede Prader-Willi. Nour a ainsi commencé à prendre le traite-ment par spray nasal pendanttrois mois (sans savoir si c’étaitl’ocytocine ou le placebo) fin2016, puis elle a reçu l’ocytocine, comme tous les participants,durant les trois mois suivants.

A l’époque, Nour avait des trou-bles du comportement alimen-taire, était inhibée, gérait mal les frustrations, faisait des colères…

autant de symptômes de cettemaladie. « Nour était en diffi-culté », décrit sa mère, pédiatre.Sa fille est suivie à Toulousemême si elles habitent à 600 km,à Auxerre. Dès les premières pri-ses, elle a senti un déclic. « Je me sens bien dans ma peau, j’arrive àaller vers les autres », disait la jeune fille. « C’est la première foisde ma vie que j’ai une copine »,avait même dit Nour, en février, lors de vacances au ski dans un club. Elle gérait alors mieux sesfrustrations, était moins angois-sée, n’était plus obsédée parl’alimentation, se sentait « nor-male », une impression inédite.

Trois mois après l’arrêt du trai-tement, en mai 2017, « les problè-mes sont revenus progressive-ment, notamment les difficultéssociales, les crises d’angoisse, l’obsession de l’alimentation… », constate sa mère. Ce qui n’a pas

empêché Nour d’obtenir sonbrevet en juin, mention « bien ». Selon elle, « elle va mieuxqu’avant », sans savoir avec certi-tude si cela est dû à l’ocytocine.Toutes deux attendent avec impatience la fin de l’étude, qui porte sur 40 enfants touchés parle syndrome de Prader-Willi, lamoitié de 3 à 6 ans, la moitié de7 à 12 ans, afin de savoir si cemédicament peut être pris sanseffets secondaires, ce qui pour-rait déboucher sur une autorisa-tion de mise sur le marché.

Maladie hormonaleQuand elle a vu des enfants tou-chés par cette maladie, MaïthéTauber « ne pouvait pas imaginerque ce ne soit pas une maladie hormonale ». Elle a commencé às’intéresser à l’ocytocine en 2000.La première étude sur ses effetssur le syndrome de Prader-Willi

date de 2007, démontrant une anomalie des réseaux ocytoci-nergiques chez les patients. Uneautre étude a été conduite auCHU de Toulouse sur 18 bébésatteints, âgés de 3 semaines à6 mois, avec des doses liquidesadministrées dans le nez. « L’ocy-tocine permettait de retrouverune tétée normale, et le bébé étaitplus prosocial, avec un regard plus soutenu, ce qui amélioraitl’interaction avec la maman »,décrit Maïthé Tauber, qui a publiécette étude dans Pediatrics enfévrier 2017. Les résultats n’ont montré aucun effet indésirable.Son équipe a aussi observé queles bébés ayant eu un traitementtrès tôt après la naissance inter-agissaient beaucoup plus avec leur mère et avec d’autres person-nes vers 2 ans et demi, 3 ans.

La molécule franchira-t-elle lecap des essais cliniques ? Pour

répondre à l’attente de Nour, lesrésultats de l’étude devraientêtre connus à la fin de l’année.Maïthé Tauber y croit. Début2017, elle a été à l’origine, avec desmembres de l’association Pra-der-Willi France, de la start-up OT4B, dont l’objectif est de met-tre à disposition des personnesatteintes de cette pathologie cemédicament d’ici à 2020.

Elle travaille déjà sur une nou-velle étude clinique sur les nour-rissons financée par le ministèrede la santé et des crédits euro-péens. « On a encore besoin de 3 millions d’euros », dit-elle. « La grande industrie pharmaceuti-que ne semble pas être intéressée par ce marché car c’est un ancienmédicament et son utilisation esttemporaire et cible en priorité lesnourrissons et les enfants », expli-que Maïthé Tauber. p

p. sa.

▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE

« PLUS ON ÉTUDIE L’OCYTOCINE, PLUS ELLE

NOUS ÉTONNE »ANGELA SIRIGU

DIRECTRICE DE L’INSTITUT DES SCIENCES COGNITIVES MARC-JEANNEROD

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ÉVÉNEMENTLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINE

MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 | 5

L’ocytocine est impliquée

dans la lactation et

l’attachement mère-enfant.

Elle est notamment

exprimée dans les neurones

de l’hypothalamus (en bleu

en haut ; en rouge en bas).

GÉRARD ALONSO/INSERM/INMED-INSERM

UMR1249LAURE DUCHET/HANS LUCAS

sujets autistes améliorait leur capacité à mainte-nir le contact oculaire lors de la présentation des visages, et à être plus coopérants dans un jeud’interaction sociale. Point crucial : l’administra-tion intranasale favorisait le comportement d’approche qui, en retour, favorisait l’augmenta-tion d’ocytocine endogène. « Plus on étudie l’ocy-tocine, plus elle nous étonne », note la chercheuse.Un bémol pointé par certains : ces travaux por-tent sur des échantillons encore trop faibles…

Action protectrice sur les neuronesYehezkel Ben-Ari, directeur de recherche émérite,avait quant à lui déjà montré le rôle neuro-protec-teur de l’ocytocine à la naissance. Ses travaux publiés dans Science en 2014 sur des souris suggè-rent qu’un niveau anormalement élevé de chlore dans les neurones fœtaux au moment de l’accou-chement serait déterminant dans l’apparition de l’autisme. Or, des données expérimentales chez l’animal montrent que l’ocytocine exerce uneaction protectrice sur les neurones pendant lanaissance. Sans elle, la baisse de chlore n’a paslieu, et le souriceau qui va naître présentera un syndrome autistique. « Un agent qui bloque l’en-trée de chlore dans les neurones – la bumétanide – atténue chez la souris devenue adulte le syndrome autistique, explique le professeur Ben-Ari, ainsi, lerôle de l’ocytocine ne se réduit pas au déclenche-ment du travail avant l’accouchement, mais l’hor-mone exerce une action protectrice pendant une période critique, réduisant la genèse d’un syn-drome autistique. » Deux essais cliniques de la bu-métanide ont été conduits par Neurochlore, unestart-up créée par Yehezkel Ben-Ari et le docteur Eric Lemonnier et sont, selon eux, prometteurs.

« En ce qui concerne l’utilisation directe de l’ocy-tocine pour traiter l’autisme, les données sont prometteuses chez les jeunes souris et les bébéshumains porteurs d’une mutation génétique Magel2, mais plus controversées chez des patientsautistes n’ayant pas cette mutation génétique »,souligne Yehezkel Ben-Ari.

Le spectre d’action de l’ocytocine ne s’arrêtepas là. Elle semble interagir avec d’autres hormo-nes comme la sérotonine, qui joue aussi sur lescomportements sociaux et sur l’anxiété, ladépression. Il apparaît qu’elle agit comme un inhibiteur de la recapture de la sérotonine,comme le suggèrent des recherches menées par l’équipe d’Angela Sirigu.

Un autre champ de recherche met en évidenceson rôle dans la peur et l’anxiété. L’équipe de Ron

Stoop cherche à traiter certaines phobies ou le stress post-traumatique chez l’homme. Ellepourrait aussi régénérer le système osseux plus rapidement en cas de fracture et avoir des effetssur l’ostéoporose. Et pourrait jouer un rôle dansl’obésité, en agissant sur le système immuni-taire, au niveau de l’estomac, et en favorisant latolérance des nutriments.

L’ocytocine en spray peut-elle constituer unmédicament au long cours ? Arrivera-t-elle dans les pharmacies en France ? Jusqu’à présent, aucuneffet secondaire n’a été constaté pendant l’utili-sation et six mois après l’arrêt. Cela pourrait être lié au temps d’action très court dans le cerveau. Tandis que les hormones ont en général une durée de vie de 2 ou 3 heures, l’ocytocine subsistequelques minutes dans le sang, 90 minutes dans le cerveau, note Angela Sirigu.

Ron Stoop, professeur associé à la faculté debiologie et de médecine et chercheur au Centre de neurosciences psychiatriques du Centre hos-pitalier universitaire vaudois (Suisse), et Valery Grinevich (DKFZ, Allemagne) ont mis en évi-dence que l’ocytocine est transportée par un vaste réseau neuronal qui lui permet d’atteindredifférentes régions du cerveau où elle sera libérée de façon rapide et localisée au niveau de ses récepteurs. Cependant, il est possible qu’elle soit aussi libérée le long de ce réseau dans le tissu neuronal et le liquide céphalo-rachidienpar lesquels elle pourrait diffuser jusqu’à d’autres cibles cérébrales de façon plus lente etmoins spécifique. Toutefois, il n’y a pas encore de preuve de ce dernier mode d’action. Parconséquent, « on ne sait pas non plus si, suite àl’application intranasale d’ocytocine, celle-ci arrivera de façon similaire par diffusion au bon endroit, sur les bons récepteurs, et en combien de temps », pointe Ron Stoop.

« L’HORMONE EXERCEUNE ACTION PROTECTRICE

PENDANT UNE PÉRIODE CRITIQUE, RÉDUISANT

LA GENÈSE D’UN SYNDROME AUTISTIQUE »YEHEZKEL BEN-ARI

DIRECTEUR DE RECHERCHE

UNE ACTION ANALGÉSIQUE

S i l’ocytocine est une hormoneimpliquée dans l’accouchement,l’allaitement, l’attachement…, elle

intervient aussi dans la modulation de ladouleur. Jusqu’ici inconnu, ce rôle a été précisé par une équipe internationale quicomprend l’Institut des neurosciences cellulaires et intégratives (INCI) du CNRS et de l’université de Strasbourg et deschercheurs de l’Inserm. Elle a découvertqu’une trentaine de neurones, situés dans une zone de l’hypothalamus, libè-rent de l’ocytocine dans le sang et la moelle épinière et atténuent la sensationdouloureuse. Ces observations, condui-tes chez le rat, ont été publiées dansNeuron en mars 2016.

« L’activation de ces seuls neurones suffitpour diminuer de 30 % à 40 % une douleurinflammatoire chez ce rongeur. Sur lesquelque 100 milliards de neurones dans le cerveau, et environ 8 000 neurones ocyto-cinergiques chez le rat, seul un petit nom-bre de cellules – une trentaine – exerce unetelle action physiologique et régule la dou-leur », souligne l’étude. « Si l’effet analgési-que ne nous a pas étonnés, nous avons étésurpris du si petit nombre de neuronesimpliqués », relate Alexandre Charlet, chargé de recherche au CNRS, qui a coor-donné cette étude avec Valery Grinevich, du Centre allemand de recherche sur le cancer (DKFZ) d’Heidelberg.

Comment ça marche ? « Ces trente petitsneurones de l’hypothalamus exercent un double effet analgésique. Ils provoquentune libération d’ocytocine à la fois dans la moelle épinière profonde, grâce à leurs longs prolongements (les axones), et dansle sang afin d’inhiber les neurones sensi-bles au stimulus douloureux », indique un communiqué du CNRS. L’ocytocine exerce donc une action à la fois centrale etpériphérique, dans plusieurs régionscorticales, dont l’amygdale, largement impliquée dans les processus émotion-nels associés à la douleur et à l’anxiété.

Quid des applications cliniques ?Le même groupe de recherche avait aussimis en avant dès 2013 certains desmécanismes cellulaires responsables de l’action analgésique à long terme de l’ocytocine, lorsqu’elle est libérée dans la moelle épinière des rats présentant desdouleurs inflammatoires.

Quant aux applications cliniques,Alexandre Charlet reste prudent. En effet,la matrice de la douleur est très com-plexe, mobilisant plusieurs zones dans le cerveau. Plus généralement, dans les essais cliniques, l’ocytocine administrée est une hormone modifiée, qui est libéréetrop vite… Alexandre Charlet se dit scepti-que sur les sprays nasaux, en estimant que l’ocytocine n’atteint pas les fibresnerveuses, et que leur effet « ne doit pas être supérieur à celui d’un placebo ».

Quant au moment de la naissance,stress majeur et source de douleur aussi chez le nouveau-né, l’équipe du profes-seur Hugo Lagercrantz (Karolinska Insti-tutet, Stockholm) avait déjà mis en évi-dence que les bébés nés par césarienne sentaient plus la douleur que ceux nés par voie basse, suggérant un processus antidouleur pendant l’accouchement, pouvant venir de l’ocytocine produite parla mère. L’équipe de Roustem Khazipov etYehezkel Ben-Ari, de l’Institut de neuro-biologie de la Méditerranée (Inserm-université de la Méditerranée), avait sou-ligné que l’ocytocine ne fait pas que sti-muler les contractions. L’hormone pour-rait aussi avoir un effet antalgique chez lerat à la naissance, en réduisant la concen-tration des ions chlorures dans les neuro-nes de la douleur.

Par ailleurs, le fait de placer le bébé enpeau à peau contre la poitrine de l’un des deux parents est de plus en plus utilisé pour les nouveau-nés prématurés. « Cela induit une forte augmentation des tauxsanguins d’ocytocine et permet d’atténuer la douleur », pointe aussi Alexandre Char-let. Des travaux mexicains ont récem-ment mis en avant un nouveau site d’ac-tion physiologiquement pertinent dans la modulation de la douleur par l’ocyto-cine : les extrémités périphériques des neurones nociceptifs, qui transmettent lemessage douloureux depuis la peau. p

p. sa.

« Une fois libérée, l’ocytocine se fixe sur desrécepteurs qui lui sont propres », écrit AnthonyLane, de l’Institut de recherche en sciences psy-chologiques (Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgique), dans une revue scientifique, L’Année psychologique, en 2013. « Al’heure actuelle, un seul type de récepteur spécifi-que a pu être découvert, ce sont les récepteurs ocytocinergiques. » Leur distribution varie forte-ment selon les espèces.

Ces effets comportementaux rendent néces-saires de mieux appréhender, chez les nouveau-nés, l’impact de l’ocytocine de synthèse, donnée pour stimuler les contractions maternelles au moment de l’accouchement, et pour prévenir leshémorragies placentaires, ou les effets des anta-gonistes des récepteurs de l’ocytocine donnés, eux, pour éviter une naissance prématurée.

Le Collège national des sages-femmes de France(CNSF) avait émis ses premières recommanda-tions fin 2016 afin de limiter le recours systémati-que à cette hormone qui multiplie le risque d’hémorragie grave en post-partum de 1 à 5 selonles doses, qui peut provoquer des anomalies du rythme cardiaque du fœtus, et dont on ignore leseffets sur le système ocytocinergique du fœtus.

Par ailleurs, pour les études cliniques, « il fautfaire très attention, il a été montré qu’en traitant trop longtemps des rongeurs adultes il peut y avoir des effets néfastes. Il faut savoir quelle durée,quelle dose, et surtout à quel moment du dévelop-pement l’ocytocine doit être administrée », pré-vient Françoise Muscatelli.

Tandis que des sprays d’ocytocine sont disponi-bles dans certains pays, comme la Suisse, il est, selon Angela Sirigu, souhaitable que ce médica-ment soit rapidement vendu sur ordonnance en France « afin d’éviter que des familles en achètent sur Internet sans que ce soient des produits con-formes et sans respecter les bonnes posologies »,prévient-elle. Des mamans d’enfants autistes, Estelle Ast et Olivia Cattan, présidente de SOS Autisme, ont mis en garde, dans une tribuneparue le 23 juillet dans le Huffington Post, contre les traitements alternatifs, en citant notamment les pulvérisations nasales d’ocytocine. « Il fautêtre prudent, confirme et tempère MaïthéTauber, pédiatre endocrinologue au centre deréférence du syndrome de Prader-Willi (CHU de Toulouse), et ne pas administrer l’ocytocine hors autorisation de mise sur le marché (AMM) ou horsprotocole de recherche. » p

pascale santi

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6 |RENDEZ-VOUSLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINE

MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

LE PAVOT SÉQUENCÉ

Quand le pavot à opium, alias Papaver somniferum, a-t-il acquis la capacité de synthétiser différents alcaloïdes, comme la codéine ou la morphine, prisés par l’homme depuis le néolithi-que ? Une équipe internationale a séquencé son génome et estime que la fusion de gènes, survenue il y a un peu plus de 7,8 millions d’années, a permis la production par la plante de ces composés aux vertus dormitives, mais aussi antalgiques, euphori-santes et addictives. Li Guo (uni-versité de Xi’uan, Chine) et ses collègues, qui ont publié leurs résultats le 31 août dans la revue Science, ont comparé le génome du pavot avec ceux de l’ancolie bleue et du lotus sacré, mon-trant que ces plantes avaient divergé du pavot à partir d’un ancêtre commun il y a respecti-vement 110 et 125 millions d’années. Le génome de Papaver somniferum a été séquencé à 95 %. Presque aussi vaste que le nôtre, il est composé à plus de 70 % d’éléments répétés. (PHOTO : CAROL WALKER)

E. BUSSER, G. COHEN ET J.L. LEGRAND © POLE 2018 [email protected]

Les cases pépères de la croix verte

Chacune des 45 cases de cette enseigne de pharmacie contient une lampe qui s’allume en vert.Le pharmacien, facétieux et pingre, allume seulement certaines des lampes (au moins une),puis compte pour chaque case combien de cases adjacentes (par un côté) sont allumées. Quand c’est un nombre pair, il annonce que la case est « pépère ». Par exemple, ci-contre, 16 lampes sont allumées et 31 cases (marquées P) sont pépères.Le mardi, le pharmacien crée un maximum de cases pépères, le jeudi, il en crée un minimum. 1. Combien de lampes, au moins, doit-il allumer le mardi ?2. Combien de lampes, au moins, doit-il allumer le jeudi ?

Réponse avant le 11 septembre minuit sur www.affairedelogique.com

Solution du problème 10651. Alice a marqué au moins 39 points.Si Alice finit seule en tête, elle a répondu, au moins unefois, mieux que chacun des 39 autres joueurs. Elle a doncmarqué au moins 39 points. Un tel score est possible, parexemple si elle a répondu juste à toutes les questions alorsque, parmi les autres joueurs, cinq n’ont pas répondu auxquestions 1 à 7 et quatre à la question 8, chacun ayant ratéune question.2. Bob a marqué au plus 78 points. Le nombre de points total d’une question est k (40 – k) oùk est le nombre de joueurs ayant mal répondu à la question.Le maximum est atteint pour k = 20, soit 400 points et3 200 au total des questions. La moyenne est au plus 80.Si Bob est seul dernier, il a forcément 79 points ou moins. • S’il a 79 points, le point de moins vient d’une questionoù 21 personnes ont répondu juste (21 × 19 = 399), alorsque 20 ont répondu juste aux sept autres. Les joueursautres que Bob ayant marqué 19 points à la question 1devraient avoir 99 pour le dépasser (et les autres au moins80). Total impossible à atteindre (on est limité à 3199).• S’il a 78 points, cela implique l’un des deux cas suivants : - une question à 22 bonnes réponses (22 × 18 = 396) et septà 20 : 21 joueurs devraient totaliser 98, les autres au moins80, ce qui donnerait un total supérieur à 3196 ;- deux questions à 21 bonnes réponses et six à 20 : c’est pos-sible, par exemple si 38 des 39 autres joueurs ont répondujuste à l’une des deux questions à 19 points et à trois à 20points tandis que le 39e a répondu juste aux deux questions à 19 points et à quatre questions à 20 points. Score final : 118 points, 79 points (38 fois), 78 points (Bob). Total : 3198 points

LE CONCOURS AFFAIRE DE LOGIQUEDÉMARRE AVEC LE PROBLÈME 1066Devant le succès du concours « Dans le1000 » organisé en 2017 pour célébrer lemillième problème de la rubrique Affairede logique , et à la demande de nombred’entre vous, l’équipe de Tangente a décidéd’organiser le concours AdL 2018,qui sedéroulera sur 9 semaines, du 5 septembreau 31 octobre (du problème 1066 au 1073, le1074 étant la question subsidiaire).Chaque semaine, vous avez sept jours pourrépondre aux deux questions du problèmesur www.affairedelogique.com (de sa parutiondans Le Monde au mardi suivant minuit), à condition de vous identifier au préalable.Comme lors du précédent concours, la solu-tion sera publiée dans Le Monde et surle site deux semaines après l’énoncé.

AMATEUR OU EXPERT ?CHOISISSEZ VOTRE CATÉGORIEPour inciter de nombreux lecteurs à parti-ciper, le concours 2018 est ouvert à deuxcatégories : amateurs et experts. Chacunchoisit, lors de sa première réponse, danslaquelle il veut être classé, sauf s’il a finidans les 250 premiers en 2017, auquel cas ilest automatiquement dans la catégorie« experts ». Pour les autres, attention, unefois la catégorie choisie, on ne pourra plusla modifier. Le score de chaque question seraannoncé sur le site (entre 4 et 10 points).Les « amateurs » seront classés en fonctiondu Total 1 (total des scores des questions 1, plusfaciles), puis, à égalité, du Total 2 (total desquestions 2), puis de la question subsidiaire.Les « experts » en fonction du Total 2, puis duTotal 1, puis de la question subsidiaire.

PARLEZ DU CONCOURS AUTOUR DE VOUS !Vous avez été près de 1000 à être classéslors du concours 2017, un beau chiffre !Nous souhaitons que la participation auconcours 2018 progresse encore. Parlez-endonc autour de vous, incitez tous les ama-teurs de jeux mathématiques à participer.Donnez-leur le lien également vers le siteAffaire de logique et dites-leur de noussuivre sur la page Facebook de Tangente(facebook.com/tangentemag), qui afficherale problème chaque semaine. Enfin, réservez la date du dimanche2 décembre 2018, où le palmarès sera pro-clamé à Paris au Musée des arts et métiers,accessible gratuitement lors de la journéemathématique annuelle où 3 000 per-sonnes nous avaient rejoints l’an dernier.

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N° 1066

CONFÉRENCESEn toutes intelligencesEvolution de la pensée humaine, apprentis-sage, QI, atteintes cérébrales liées à la pollu-tion, mais aussi intelligences artificielle, animale, végétale, avatars… : la Cité des sciences organise un cycle de conférences.> Du 13 septembre au 31 janvier 2019. Accès libre et gratuit dans la limite des places disponibles. Renseignements : Cite-sciences.fr

LE LIVRE

La physiquede l’élégance

La nature et ses charmes sont décryptés dans cet ouvrage collectif qui rompt avec les théories profondes habituelles à cette matière

S i l’on a coutume de dire que les mathé-matiques sont belles, il est plus rared’entendre que la physique est élé-

gante. Après les 300 pages de textes et d’ima-ges de Du merveilleux caché dans le quotidien.La physique de l’élégance, c’est pourtant leconstat qui s’impose, telle une évidence. La démonstration est faite par cet ouvrage collectif, sans équation complexe, ni théorie profonde ou raisonnement osé, sièges habi-tuels cependant de l’élégance pour les spécia-listes. Ici, la beauté vient de la nature elle-même et de tous ses secrets, révélés par laphysique, sans que cela brise ses charmes.

Ainsi, plus d’une trentaine de phénomènesou d’objets du quotidien sont décrits et expli-qués apportant leur lot de surprises et de connaissances. Le secret de la nacre ? Le même que la recette du mille-feuille, alter-nant couches dures et molles, empêchant les fissures de se propager. Le secret de la toile d’araignée ? Une composition différente pourles fils radiaux (solides) et en spirale (élasti-ques). Et ainsi de suite, d’émerveillement enémerveillement pour les bulles, les œufs, les ponts, le sable, le verre, les plantes…

Petites expériences à faire chez soiIl est beaucoup question de mécanique du solide ou des fluides, de tensions, de forces,d’équilibre, de changements d’échelle… Mais tout est expliqué « à la main », stimulant l’intuition et le sens physique plutôt que l’adresse technique. En cela, les auteurs sont des héritiers de Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique en 1991 et chantre de la matière molle ou des objets fragiles, dont beaucoup sont décrits dans le livre. C’est enfait ce qui distingue ce dernier d’autres d’un genre proche. Il ne s’intéresse pas à tous les objets ou phénomènes du quotidien comme les classiques « bleu du ciel », « four à micro-ondes »… pour se concentrer sur d’autres plusinattendus comme les cheveux, les pommes de pin, la salade.

Les lecteurs avisés reconnaîtront des sujetstraités dans la presse et souvent issus de tra-vaux d’équipes françaises. L’une des plus connues étant celle ayant expliqué pourquoi les spaghettis secs se cassent toujours au moins en deux morceaux. Dommage que labibliographie ne donne pas explicitement lesréférences ou les noms de ces chercheurs.

L’ensemble peut se lire d’une traite ou parmorceaux. Il faudra parfois du temps pour digérer les informations précieuses que contiennent ces pages. Saviez-vous que la plusgrande quantité d’énergie consommée sur Terre passe dans le broyage des matériaux ?

Autre particularité, chacun des courts cha-pitres se termine par une petite expérience à faire chez soi. Les auteurs ne cherchent pas à en mettre plein la vue avec des démonstra-tions spectaculaires et classiques. Ils ont sé-lectionné des petites manipulations aptes à faire comprendre un phénomène. Un mètre ruban sert à illustrer le flambage des maté-riaux. Une feuille de papier plissée montre comment améliorer la résistance d’un maté-riau. Un collier de perles aide à comprendre latenue d’une voûte de pierre. Rien d’extraordi-naire mais très pédagogique et… élégant. p

david larousserie

Du merveilleux caché dans le quotidien. La physique de l’élégance, d’Etienne Guyon, José Bico, Etienne Reyssat et Benoît Roman (Flammarion, 320 p., 24 €).

L’AGENDA

DIX MILLE PAS ET PLUS

LA MARCHE NORDIQUE : PLUS LOIN, PLUS VITE...

Par PASCALE SANTI

L e matin, dans les allées du bois de Vincennes, iln’est pas rare de croiser des groupes de mar-cheurs qui se propulsent vers l’avant en pous-

sant sur des bâtons. L’histoire a démarré dans les an-nées 1970 en Europe du Nord, où cette marche consti-tuait une façon de s’entraîner l’été pour les skieurs defond. Elle a depuis franchi les frontières et compte de plus en plus d’adeptes, notamment en France.

Face à cet engouement, le ministère des sports asuggéré en 2006 d’en faire une nouvelle discipline sportive, sous la houlette de la Fédération françaised’athlétisme. Pour le docteur Frédéric Depiesse, médecin du sport au CHU de Fort-de-France (Marti-nique) et médecin fédéral de la commission médi-cale de la Fédération française d’athlétisme, « c’est aujourd’hui devenu un outil de santé publique pour les centres de rééducation cardiaque, pour les personnes touchées par des maladies chroniques, le cancer, pour une réadaptation et, bien sûr, en préven-tion primaire ». Ce militant du sport santé estpremier auteur et coordonnateur de Prescription des activités physiques : en prévention et en thérapeutique(Elsevier Masson), dont la prochaine édition doit sortir prochainement.

Cette activité permet de « randonner plus vite, etplus loin ». Le haut du corps est plus mobilisé : les muscles de l’épaule, du bras, de l’avant-bras. L’utili-sation des bâtons redresse la posture et ouvre la cage thoracique. La marche nordique fait dépenser environ 400 kcal/h, contre 280 kcal/h pour la mar-che. Le VO2 max – la quantité maximale d’oxygène (exprimée en millilitre, par minute par kilo) que lecorps peut utiliser au niveau musculaire lors d’un effort – est augmenté. « On gagne du temps, car onfait plus d’efforts, et on sollicite plus les muscles, pré-cise le docteur Depiesse. De nombreux bénéfices sont décrits, touchant de nombreux organes et fonc-tions physiologiques (locomotion, équilibre, capacitéaérobie…). » Son impact est donc plus large que celuide la marche, dont les bienfaits sur la santé sont déjà largement documentés.

Une méta-analyse conduite de novembre 2010 àmai 2012 portant sur 1 062 patients a mis en avant les bénéfices supérieurs de la marche nordique comparés à ceux du jogging et de la marche, et ce pour des pathologies différentes (diabète, obésité, Parkinson…). Ce travail concluait qu’elle pourrait être proposée en prévention primaire et secondaireà une large population. Signe de son intérêt crois-sant, les études scientifiques se multiplient. Pas

moins de 3 000 depuis les années 1970. Petit bémol,les études sont contradictoires quant à son effet surla pression sur les articulations des membres infé-rieurs, mais les pressions sur les genoux sont d’envi-ron 30 % plus faibles que lors d’une course à pied.

De nombreuses recherches explorent actuelle-ment ses effets sur la maladie d’Alzheimer, demême que l’ostéoporose et l’arthrose. Cette disci-pline est aussi de plus en plus utilisée pour remet-tre en forme un athlète blessé, ou encore diversifierun entraînement.

Et en prévention, aucune hésitation, aucun frein,et ce à tout âge, les bâtons ça rassure ! Il existe enréalité peu de contre-indications, hormis des trou-bles mentaux ou cardiaques sévères. De même, cen’est guère conseillé en cas d’arthrose ou d’arthriteen phase inflammatoire, capsulite d’épaule, tendi-nite du membre supérieur… Autre bénéfice, le côté très convivial, qui permet en effet de sortir de l’iso-lement après par exemple un congé longue mala-die, et de reprendre une vie sociale.

Si cette discipline n’est pas compliquée, il est toute-fois préférable d’être encadré, du moins au départ. Les coachs en marche nordique ne manquent pas. Il y a même des compétitions de cette discipline depuis quelques années. p

AFFAIRE DE LOGIQUE - N° 1 066

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RENDEZ-VOUSLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINE

MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 | 7

Le dépistage sanguin prénatal,

une avancée en trompe-l’œilTRIBUNE - L’amniocentèse n’augmente pas le risque de fausse couche, et permet, contrairement aux tests sanguins, de dépister d’autres anomalies que la trisomie 21, selon les coordonnateurs d’une étude française

L a trisomie 21 est une pathologieliée à une anomalie chromoso-mique parmi d’autres. Son

dépistage prénatal, le plus ancien,reste emblématique et passionnel. Ilévolue depuis vingt-cinq ans et asso-cie une échographie à une prise de sang en début de grossesse. En cas de risque élevé, son diagnostic repose surune ponction à l’aiguille prélevant du jeune placenta (trophoblaste) au débutdu troisième mois ou du liquideamniotique dès la fin de celui-ci. Le risque de fausse couche lié à ces gestesétait évalué à 1 % depuis 1986.

En 1997, la possibilité d’analyserl’ADN du fœtus présent dans le sang dela femme enceinte a été une révolu-tion scientifique. Dix ans plus tard, la trisomie 21 fœtale pouvait être détec-tée à partir d’une prise de sang chez la femme enceinte : le nombre deséquences d’ADN du chromosome 21 est augmenté dans le plasma maternelet comparé à celui d’une femme dontle fœtus est sain. Par séquençage haut débit, cet excès de séquences d’ADNpeut être détecté et quantifié grâce àune analyse bio-informatique avecune performance de 99 % pour la tri-somie 21. Cette fiabilité permet de réduire le recours aux amniocentèses, mais ces examens, qui étudient l’en-semble des chromosomes (caryotype),restent nécessaires pour confirmer untest sanguin positif.

La transformation de cette révolutionscientifique en révolution sociétale a été très – voire trop – rapide, et s’est fo-calisée sur la trisomie 21, la plus connuedu grand public. Cette précipitation

s’explique en partie par le financementprivé de cette recherche et l’impatience des investisseurs. Habillé de science, le message commercial est « un diagnos-tic non invasif » et « la fin du risque de fausse couche ». Une grossesse « sans risque », quintessence des aspirations de la femme enceinte postmoderne ? L’enjeu était aussi de faire passer le prixvariant entre 300 et 1 000 euros pour trivial en comparaison du bénéfice médical et sociétal attendu.

Une étude nationale française,SAFE 21, a comparé ces tests non inva-sifs aux gestes invasifs pour caryotype.Pendant deux ans, un tirage au sort a décidé de l’une ou de l’autre stratégie chez 2 000 volontaires dont le dépis-tage indiquait un risque élevé de triso-mie 21. Toutes les trisomies 21 ont étédétectées dans les deux groupes, maisle taux de fausses couches était aussi identique dans les deux groupes (0,8 %). Enfin, le caryotype a identifié plus d’anomalies chromosomiques autres que la trisomie 21.

La révolution de l’ADN fœtal circu-lant en a caché une autre, celle de la cytogénétique moléculaire. Actuelle-ment, cet examen nécessite un prélè-vement invasif et l’utilisation de l’ADNcirculant pour ces maladies est encore en développement. Les 46 chromoso-mes du génome humain sont formésd’ADN qui, lorsqu’il est compacté,apparaît sous forme de bâtonnets visi-bles en microscopie. Grâce à des tech-niques « haute résolution », il est de plus possible de détecter de petites anomalies chromosomiques non visi-bles sur le caryotype, plus fréquentes

que les trisomies et associées à unedéficience intellectuelle et/ou des mal-formations congénitales. La plupart de ces anomalies sont dispersées dansle génome ou récurrentes mais peuconnues du public (syndrome deWilliams, Di George…).

Les professionnels de santé parlentau nom des femmes enceintes depuis toujours. Ils ont décidé il y a qua-rante ans qu’elles redoutaient le risquede trisomie 21, et seulement celui-là.Elles devaient choisir entre le risque detrisomie et celui de la fausse couche lié à l’amniocentèse pour avoir une certi-tude. Aujourd’hui, l’arbre de la triso-mie 21 cache une forêt d’anomaliesparfois plus graves, mais qui peuvent être diagnostiquées par l’analyse moléculaire du liquide amniotique ou du trophoblaste avec un risque de fausse couche quasi nul en France. Ilest plus que temps de l’expliquer aux femmes qui le souhaitent et de leurdonner le choix de savoir.

Quelles perspectives sociétales peu-vent émerger de ces avancées médica-les ? Une femme enceinte demandant ou acceptant une proposition de dépis-

tage désire-t-elle une information objective et complète, ou seulement une réponse partielle à son appréhen-sion légitime ? Il n’appartient pas uni-quement au corps médical et encore moins aux industriels d’en décider.

Le risque que cette demande soitcréée par l’offre est malheureusement inscrit dans l’histoire du diagnostic prénatal. Le caractère eugéniste du dépistage de la trisomie 21 est sociale-ment accepté et sa proposition inscritedans la loi. Le recours à l’ADN fœtal cir-culant ne le rend pas moins eugéniste, en particulier car il ne semble pas dimi-nuer le risque de fausse couche. L’Assu-rance-maladie va rembourser ces tests basés sur l’ADN circulant pour les fem-mes à haut risque de trisomie 21, et lelobby des marchands du « diagnostic » non invasif réclament au nom des femmes son remboursement pour toutes les femmes.

Alors que les débats de la bioéthiquese focalisent sur les questions impor-tantes posées par la procréation médi-calement assistée et la fin de vie, ceux-cine doivent pas faire ignorer les défis sociétaux et économiques posés par lesdéveloppements des outils génétiques appliqués au diagnostic prénatal. p

CARTE BLANCHE

Par SYLVIE CHOKRON

N ombreux sont ceux qui ont déjàrepris le chemin du travail et sevoient félicités pour leur bonne

mine… Que nous ayons choisi de ne pasquitter notre poste de travail ou que nousayons multiplié les activités en plein air ou les longs bains de soleil à la mer ou à la mon-tagne, l’aspect de notre peau trahit souvent ce à quoi nous avons occupé nos semainesestivales. Pour certains, qui se transforment en véritables tournesols, l’attrait du soleilpeut virer à l’obsession, et entraîner de longues heures d’exposition malgré le dan-ger bien connu que cela représente. Cetteattitude a souvent été expliquée dans uncontexte social. La peau hâlée traduisant un idéal en termes de santé, d’élégance, de richesse ou d’exotisme…

Néanmoins, il existe également des expli-cations purement physiologiques permet-tant de rendre compte de notre goût pour le bronzage. Krystal Iacopetta et ses collègues du Centre de recherche de neurosciencesd’Adélaïde ont ainsi récemment tenté de mieux comprendre les mécanismes céré-braux de ce comportement addictif que l’on nomme « tanorexie ». L’Australie est concer-née en premier lieu par cette problématiquedu fait de la nocivité de ses rayons ultravio-lets et du taux extrêmement élevé de méla-nomes dans sa population, qui est malheu-reusement le plus important au monde.

C’est peut-être pour cette raison que cesauteurs se sont intéressés au lien direct quipouvait exister entre le fait de bronzer et l’addiction au soleil. Ils ont ainsi proposéune nouvelle hypothèse basée sur desmécanismes neuro-immuns. En premierlieu, l’exposition au soleil provoquerait uneinflammation cutanée : le bronzage ou,pour les peaux blanches, le coup de soleil.Cette réaction inflammatoire entraîneraiten retour un mécanisme de signalisationau sein du circuit cortico-mésolimbique,via des neurotransmetteurs connus pourleur implication dans les comportementsde dépendance. Il existerait donc un liendirect entre l’exposition au soleil, la réac-tion cutanée qui en découle et les structurescérébrales directement concernées par les comportements addictifs.

Pallier nos besoins en vitamine DD’après Nhu Nguyen et David Fisher, de l’uni-versité Harvard, ces mécanismes seraient d’origine adaptative. La réponse cutanée,c’est-à-dire le bronzage, aurait pour but de protéger notre peau des méfaits des futures radiations UV, alors que le mécanisme addic-tif serait destiné à nous pousser à rechercherle soleil pour pallier nos besoins en vita-mine D. Néanmoins, l’exposition intense et répétée de la peau aux rayons ultraviolets peut malheureusement en retour majorer lebesoin de bronzage. Ce lien direct entre la peau et le cerveau expliquerait ainsi qu’au-delà de la recherche naturelle et modérée de soleil, certains deviennent totalement inca-pables de s’extraire des rayons du soleil :envie de bronzer dès le réveil, recherche dedoses croissantes d’ultraviolets, anxiété encas d’arrêt (ou de météo défavorable pourceux qui n’ont pas recours aux cabines de bronzage), voire culpabilité et difficulté à supporter les remarques de l’entourage surleur bronzage excessif.

Ces réactions sont similaires à ce qui estobservé dans d’autres formes d’addiction.Cette dépendance, que l’on pourrait pren-dre à la légère, peut être telle qu’un recoursrépété voire quotidien à des cabines debronzage peut exister, même après l’an-nonce d’un cancer de la peau et d’uneinterdiction formelle aux ultraviolets. C’est donc un sujet extrêmement sérieuxqui devrait nous pousser à étancher notresoif de soleil et à accepter avec le sourirel’automne qui ne saurait tarder à se profi-ler, et qui ne présente, a priori, aucun ris-que majeur pour la santé si ce n’est, peut-être, sous nos latitudes, une légère dépres-sion saisonnière… p

La bronzette, drogue parfois dure

Yves Ville, Laurent Salomon

et Valérie Malan, services d’obstétrique, de médecine fœtale et de cytogénétique, hôpital Necker-Enfants malades, Paris.Les auteurs ont participé à l’élaboration, la coordination et la réalisation de l’étude SAFE 21 publiée par le JAMA. Ils ne décla-rent pas d’autres liens d’intérêts.

L’ARBRE DE LA TRISOMIE 21

CACHE UNE FORÊT D’ANOMALIES

PARFOIS PLUS GRAVES

Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à [email protected]

De nouveaux neuronespour apprendre et oublier

C omment notre cerveau adulte,avec son 1,4 kg de matière grise etblanche, est-il capable d’enregis-

trer tous les jours de nouveaux souve-nirs sans finir par exploser en vol ? Une partie de la réponse vient d’être apportéepar une équipe japonaise de l’Université de Toyama, dans une étude portant sur lerat. Cela tiendrait à la neurogenèse, cette étonnante capacité du cerveau à déve-lopper de nouveaux neurones jusqu’à unâge avancé, notamment dans une struc-ture cruciale pour la formation de nou-veaux souvenirs, l’hippocampe, quirépond à ce doux nom en raison de sa ressemblance morphologique avec lepetit cheval de mer.

Polémique autour de la neurogenèse« Cette étude montre que la neurogenèsedans le gyrus denté – dans la partie dor-sale de l’hippocampe – permet d’éviter les phénomènes de saturation de la mémoire.Elle joue aussi bien un rôle dans la forma-tion des nouveaux souvenirs que dans l’oubli. La formation continue de neuro-nes dans un cerveau adulte peut être com-parée à la fois à une craie pour écrire surl’ardoise et à une éponge pour l’effacer », s’enthousiasme Pierre-Marie Lledo, di-recteur du département de Neuroscienceà l’Institut Pasteur, dont l’équipe adémontré, en 2012, chez la souris, que la neurogenèse du bulbe olfactif améliorela précision de la mémoire olfactive.

Tous ces travaux chez les rongeurssont-ils transposables à l’être humain ? La question est d’autant plus cruciale

qu’une véritable polémique sur l’exis-tence ou non de la neurogenèse chezl’homme adulte a éclaté au début de2018. Pour en saisir toute l’importance, revenons un peu en arrière.

Jusqu’à la fin du XXe siècle le dogmeimposé par Ramon y Cajal, prix Nobel de médecine en 1906, est que le cerveau humain est bien trop complexe pourqu’il puisse se régénérer. Mais une pre-mière étude post mortem en 1998 trouveque des cellules se sont bien divisées ennouveaux neurones chez des patients atteints de cancer, et ce jusqu’à l’âge de 83 ans. En 2013, une seconde étude postmortem conduite par Jonas Frisén del’Institut Karolinska, en Suède, utilise la datation au carbone 14 de noyaux deneurones irradiés durant la période desessais atomiques. Cette étude montre que la division cellulaire existe à tous les âges dans le cerveau et que, en moyenne, 700 nouveaux neurones naissent par jour dans l’hippocampe et également dans le striatum, zone impliquée dans l’apprentissage des gestes automatiques.

Le dogme semble donc définitivementtombé jusqu’à ce que, en mars 2018, l’équipe d’Arturo Alvarez Buylla de l’Université de Californie à San Franciscopublie dans la prestigieuse revue Nature une étude post mortem indiquant que la neurogenèse s’arrêterait chez l’hommevers l’âge de 13 ans. L’outil utilisé, moins précis que le carbone 14, est fondé sur lareconnaissance par des anticorps d’une protéine présente dans les jeunes neurones. Un mois plus tard, en utilisant

le même outil, l’équipe de Maura Boldrinide l’université Columbia trouve le contraire chez 28 individus décédés âgés de 14 à 79 ans : les plus âgés ont autant de nouveaux neurones que les autres.

Qui a raison ? « Un travail que nousn’avons pas encore publié explique cette différence. La protéine recherchée par les anticorps se dégrade en quelques heures après le décès. Il faut donc disséquer les cerveaux au plus vite si on veut la retrou-ver, ce qu’a fait la seconde équipe et non lapremière », explique Pierre-Marie Lledo.Jusqu’à preuve du contraire, l’impact de la neurogenèse sur la mémoire humaine,même si le rat sert de modèle, n’a doncpas à être remise en cause. p

marie-laure théodule

Pour accompagner la collection « Les défis de la science », chaque semaine, étatdes lieux d’une thématique de recherche.

La neurogenèse est-elle possible chez l’adulte ou seulement chez l’enfant ?

Ici, colorisé, l’hippocampe, structure cruciale de la mémoire.

ROGER HARRIS/SPL/COSMOS

9,99 €, en kiosque le 5 septembre.

COLLECTION « LES DÉFIS DE LA SCIENCE »

Sylvie Chokron, directrice de recherches au CNRS, Laboratoire de psychologie de la perception, université Paris-Descartes et Fondation ophtalmologique Rothschild

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8 |RENDEZ-VOUSLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINE

MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

Julie Dachez, autiste Asperger,auteure, docteure…PORTRAIT - Diagnostiquée Asperger à 27 ans, la jeune femme est devenueune incarnation de l’autisme au féminin. Mais elle voudrait passer à autre chose

nantes - envoyée spéciale

Combien de personnes, et en parti-culier de femmes, ont découvertqu’elles étaient possiblementautistes Asperger en se plongeantdans son blog, ses vidéos sur

YouTube ou ses écrits ? Moins médiatique que ses « collègues » masculins Josef Schova-nec, Hugo Horiot ou Daniel Tammet, JulieDachez est en train de devenir une incarna-tion de l’autisme au féminin, un sujet long-temps méconnu en France.

En ce début juillet, elle reçoit dans le lieu oùelle passe actuellement 95 % de son temps : son domicile. Un appartement baigné de lumière dans un quartier calme de Nantes, oùelle vit en célibataire, avec trois colocataires à quatre pattes. Ne seraient-ce ses tatouages surle bras droit, la coquette jeune femme tranchequelque peu avec son personnage un peu brutet mal fagoté de Marguerite dans la BD La Dif-férence invisible (éditions Delcourt, 2016), une histoire très autobiographique cosignée avec la dessinatrice Mademoiselle Caroline.

On ne retrouve pas trop non plus dans noséchanges, policés, le style punchy, souvent provocateur, de Dans ta bulle !, son livre engagé sur les autistes de haut niveau – c’est-à-dire sans déficience intellectuelle –, publié en mars chez Marabout (256 pages, 17,90 €).« Pour moi, l’autisme est une différence de fonc-tionnement pathologisée par une société obsé-dée par la normalité », clame-t-elle dès les pre-mières pages de cet ouvrage, qu’elle voudrait être « un outil militant au service de l’émanci-pation des autistes ».

Elle y interpelle sans ménagement ses lec-teurs « neurotypiques », pour leur faire prendreconscience du parcours souvent chaotique et douloureux des autistes. Son expérience, mais aussi celle d’autres adultes Asperger qu’elle a longuement interrogés pour sa thèse de docto-rat en psychologie sociale sur l’autisme (et sa stigmatisation), soutenue fin 2016.

A quelques jours de son départ en vacan-ces, la jeune femme de 33 ans répond auxquestions de bonne grâce, mais paraît lassede jouer les autistes de service. « L’étiquetteautiste commence à me coller à la peau, etj’en ai un peu marre, confie-t-elle spontané-ment. Je suis auteure, je suis docteure, je suisplein de choses… »

« Double peine »Un état de saturation, peut-être. Il faut dire quedepuis qu’elle a reçu un diagnostic d’Asperger en 2012, à 27 ans, toutes ses activités ont tourné autour de l’autisme : un blog (emoie-moietmoi), deux séries de vidéos consacrées àl’autisme puis au féminisme, et, surtout, unethèse en psychologie sociale – une première en France sur le sujet de l’autisme, qui plus estrédigée par une personne ouvertementautiste. Un travail universitaire de trois ans pour lequel elle a notamment conduit desentretiens avec une trentaine d’adultes Asper-ger afin de retracer leur parcours, et qui a donné lieu à quatre publications scientifi-ques. Il y a eu aussi les deux livres, des confé-rences, et même un projet de documentaire qu’elle a porté pendant cinq ans, avant de jeterl’éponge en début d’été.

Certains autistes Asperger ont une passion,parfois dévorante, pour les cartes géographi-ques, le codage informatique ou une langue ancienne, des domaines où leurs capacités de concentration et leur souci du détail leurpermettent de développer un savoir colossal, encyclopédique. Pour Julie Dachez, ce que les spécialistes nomment intérêt spécifique adonc été l’autisme en lui-même.

De quoi acquérir une expertise qui lui faitbousculer pas mal d’idées reçues sur ce trou-ble du neurodéveloppement, dont elle parleavec une acuité – mais aussi un sens del’humour – redoutable. Pour la docteure enpsychologie sociale, les intérêts spécifiques nedoivent ainsi pas être considérés comme un symptôme à combattre, mais comme un re-fuge, une stratégie d’adaptation (le « coping »).Elle a aussi beaucoup réfléchi sur l’autisme au féminin, qu’elle voit comme une « double peine » et qui est moins étudié que son pen-dant masculin. Parce que les signes s’expri-ment différemment et plus discrètement chezles femmes, elles passent plus souvent entre les mailles du filet diagnostique, souligneJulie Dachez, qui loue le travail de fond réalisé par l’Association francophone de femmes

autistes (AFFA). « Les femmes autistes ont demeilleures compétences de communication,elles ont moins de comportements répétitifs, et leurs intérêts spécifiques sont plus acceptables socialement que ceux des hommes », écrit-elleainsi dans Dans ta bulle !.

De surcroît, elles deviennent « expertes encamouflage, en observant et en imitant leurs pairs ». Pour autant, elles « sont naïves etinfluençables, et elles ont des difficultés à déco-der l’implicite et les intentions des personnes qui les entourent, ce qui fait d’elles des proies rêvées pour les prédateurs en tout genre, notamment sexuels », met-elle en garde.

Son propre cas est emblématique de l’invisi-bilité de l’autisme au féminin. Dès l’enfance, ses parents l’amènent de généralistes engastro-entérologues, car elle « somatise pas mal ». « Ils ont perçu mon anxiété, voire madépression, sans voir que c’était l’arbre qui cachait la forêt, raconte-t-elle. C’est souvent le cas chez les femmes autistes, car comme oninternalise les difficultés de notre quotidien, on finit par développer divers troubles. » Le dia-gnostic, elle finira par le suspecter elle-même, avant de le faire confirmer par un spécialiste.La jeune femme a alors 27 ans.

Continuer à enseignerEntre-temps, elle a fait une école de com-merce « par défaut », travaillé quatre ans en entreprise – « surtout chez mon père, sinon çaaurait été intenable » –, avant de reprendre desétudes de psychologie et de choisir la recher-che dans ce domaine.

A travers ses écrits, ses vidéos, Julie Dachez aclairement trouvé un public, aidé des person-nes à prendre conscience de leur différence. « J’ai pleuré à plusieurs reprises en lisant Dans tabulle !, témoigne son amie Julia March, qui l’a d’abord connue en lisant son blog. Julie est unepionnière de l’autisme au féminin, elle porte un message d’acceptation de façon très novatriceet unique. » Si les deux jeunes femmes ont en commun d’être « Aspie » et d’écrire, « Julie, c’estla gentille autiste avec un discours pédagogi-que, bienveillant, généreux. Moi, c’est tout le

contraire. Mais on déteint l’une sur l’autre », sourit Julia March, auteure de La Fille pas sympa (éditions Seramis, 2017).

Sur les groupes Facebook réunissant despersonnes Asperger, nombreuses sont les femmes qui remercient Julie Dachez, dont les vidéos leur ont révélé leur propre autisme.

« Il y a des gens pour qui La Différence invisi-ble a fait tilt », assure aussi l’illustratrice Made-moiselle Caroline, qui a aidé sa coauteure àpeaufiner son histoire. Les deux femmes ne s’étaient alors jamais vues. « On a travaillé sur-tout par mail. Au départ, son scénario était suc-cinct, laissait peu de place à la découverte, alorsje l’ai bombardée de questions pour compren-dre son quotidien, ses rituels… C’était bizarred’entrer ainsi dans l’intimité de quelqu’un que je ne connaissais pas », raconte la dessinatrice. Mademoiselle Caroline reste marquée par leur première rencontre dans la vraie vie. « Jem’attendais à voir la fille de la BD, j’ai été épatéede découvrir une belle jeune femme à l’aise, bien fringuée, drôle. Elle m’a dit qu’elle avaitbeaucoup évolué depuis le diagnostic. »

Après six années consacrées presque exclu-sivement à l’autisme, Julie Dachez voudrait passer à autre chose, au moins pour un temps.Epuisée par les relations sociales, très coûteu-ses en énergie, elle a toujours besoin d’aména-ger son quotidien. Dans l’idéal, elle aimeraitcontinuer l’activité d’enseignement, qu’elleadore et lui réussit bien, mais se demande si elle va trouver un poste d’enseignant-cher-cheur du fait de son profil atypique. « Dans lespays anglo-saxons, être chercheur sur un sujetqui vous concerne vous rend doublement légi-time. En France, c’est l’inverse », souligne-t-elle.Pourtant, elle aimerait explorer d’autressujets ambitieux au prisme de la psychologiesociale, comme, par exemple, les violences gynéco-obstétricales.

Pour l’heure, elle a un statut d’autoentrepre-neur. « J’ai du mal à me vendre », reconnaît cette femme franche et entière. Cet été, elle s’est attelée à un roman. Sans personnage autiste, promet-elle. A suivre. p

sandrine cabut

Julie Dachez, à Nantes en mai 2017.

THOMAS LOUAPRE /DIVERGENCE

ZOOLOGIE

L’ été est bientôt fini mais restons aujardin avec notre héroïne du jour, lacoccinelle. Qui ne s’est émerveillé de-

vant son magnifique rouge sang, n’a admiré sa parfaite rondeur, compté les points sur ses élytres ? Et ce drôle de surnom de « bête à bonDieu », que même les bouffeurs de curés sont prêts à lui concéder, d’où vient-il ?

Commençons par la dernière question. Unepremière réponse attribue la paternité du nom aux jardiniers. Allié providentiel, l’in-secte, par son envol, était censé annoncer le beau temps. Mieux : il offrait un outil de lutteaussi naturel qu’efficace contre les pucerons.La seconde offre le beau rôle au roi Robert II (972-1031), dit « le Pieux ». Un jour d’exécutionpublique, le doux insecte se posa sur le cou d’un condamné à mort qui, bien que clamantson innocence, attendait d’avoir la tête tran-chée. Soucieux de bien assurer son office, le bourreau éloigna gentiment l’importun, mais sans résultat. A plusieurs reprises, le co-léoptère revint se poser à cette même place. Le souverain y vit une intervention divine etgracia l’homme. Quelques jours plus tard, le vrai meurtrier fut arrêté. La légende était née.

Pas très scientifique, tout cela. Le décomptedes points sur le dos de la bestiole l’est nette-ment plus. Quoique là aussi, les rumeurs ont couru. Le nombre de points témoignait de l’âge de l’insecte, disait-on ? Nullement. De l’espèce ? C’est ce que l’on a longtemps cru. Jusqu’à ce que Theodosius Dobzhansky (1900-1975) dresse l’inventaire des dizaines demotifs des coccinelles arlequins russes – nom-bre, taille, position et couleur des points – et constate que, aussi différentes fussent-elles, elles n’éprouvaient aucun mal à s’accoupler età assurer une descendance viable.

Les généticiens se sont mis au travail. Enopérant des croisements, ils ont constaté que les motifs suivaient les lois de Mendel, avec caractères dominants et récessifs. « Autre-ment dit, tout se passait dans une région pré-cise du génome, mais où et selon quel méca-nisme, personne ne le savait », explique Benja-min Prud’homme, directeur de recherche au CNRS (IBDM, Marseille). Son équipe et celle d’Arnaud Estoup (INRA, Montpellier) ont dévoilé le mystère. Leurs travaux sont publiésen ligne par la revue Current Biology.

Les chercheurs ont d’abord séquencé, pourla première fois, le génome de l’insecte. Puis ils ont étudié, grâce à la bio-informatique, les légères variations de celui-ci sur quinze spéci-mens de provenance continentale et de motifs distincts. Les variants suivaient-ils la géographie ou la graphie tout court ? Et c’est la seconde qui s’est imposée. Avec, sur le génome, une région bien précise… mais quicouvrait deux gènes bien différents. L’inacti-vation successive des deux candidats, par interférence ARN, a permis de trancher.

Le responsable se nomme « pannier ». « Unesurprise, assure Benjamin Prud’homme. Ce gène, bien connu, a été découvert chez la dro-sophile, mais chez aucun insecte il ne semblait lié à la production de motifs. » C’est grâce à unetroisième technique, la génération d’anti-corps, que les chercheurs ont trouvé l’explica-tion. En réalité, au cours du stade embryon-naire, « pannier », suivant sa configuration, agit sur différentes populations de cellules del’élytre. Il y active alors d’autres gènes, res-ponsables de la production des fameux points (chez les coccinelles rouges) ou du fond (chez les noires).

Cette réaction en chaîne, une équipe del’université de Nagoya, au Japon, l’a égale-ment mise en évidence. Son article, disponi-ble sur le site bioRxiv, devrait être bientôt publié. « Deux équipes, travaillant en même temps, sans se connaître, sur un sujet sans grand enjeu et arrivant ensemble au résultat, voilà un autre mystère », dit Benjamin Prud’homme. Celui-là n’est pas résolu. p

nathaniel herzberg

Les drôles de pois de la coccinelle

Coccinelles asiatiques. B. PRUD’HOMME ET A. ESTOUP

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Cahier du « Monde » No 22907 daté Mercredi 5 septembre 2018 - Ne peut être vendu séparément

TRANSFORMATIONS | CHRONIQUE PAR GILLES DOWEK

Interdisons les stylos dès la rentrée prochaine

S i votre métier consiste àécrire des articles, des rap-ports, des courriers, des

romans, des comptes rendus de réunion, des bons de commande, des poèmes, des scénarios, des factures, des chroniques, des feuilles d’exercice, des lois… vous pouvez comparer le nombre de si-gnes que, en une année, vous avezécrits avec un stylo et avec un logi-ciel de traitement de texte. Une telle comparaison attire notre attention sur une transformation profonde de nos techniques d’écriture : quand nous imagi-nons, aujourd’hui, une personne en train d’écrire, nous devons nous la représenter assise à un bureau sur lequel sont posés un écran et un clavier, allongée sur un canapé, un ordinateur portablesur les genoux, au café, penchée vers l’écran d’une tablette… et non, comme le Voltaire des anciens billets de 10 francs, avec une plume d’oie à la main.

Il existe cependant une excep-tion. Les écoliers, les collégiens et les lycéens écrivent toujours avec un stylo sur une feuille de pa-pier quadrillée, et leurs trousses contiennent, pour cela, des objets

techniques sophistiqués : cartou-ches d’encre, stylos correcteurs au bisulfite de sodium, flacons de correcteur liquide… dont ceux qui ne sont ni élèves, ni enseignants, ni parents, ne soupçonnent qu’ils existent encore.

Exception fâcheuse

Pourquoi cette exception est-elle fâcheuse ? Parce que les compé-tences nécessaires pour écrire un texte avec un logiciel de traite-ment de texte et avec un stylo sont différentes et parce que, en enseignant aux élèves à écrire avec un stylo plutôt qu’avec un logiciel de traitement de texte, nous ne leur enseignons pas les compétences dont ils auront besoin dans leur vie profession-nelle et personnelle. Pour y remé-dier, les enseignants devraient encourager leurs élèves à écrire plus avec un logiciel de traitementde texte et moins avec un stylo.

Si les députés tenaient absolu-ment à voter une loi, ils auraient pu apporter leur pierre à cette nécessaire transformation de l’école en déclarant l’utilisation, par un élève, d’un stylo ou de tout autre équipement encreur inter-

dite dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collè-ges, précisant qu’un membre de l’équipe de direction ou un per-sonnel enseignant pouvait confis-quer le stylo ou tout autre équipe-ment encreur de l’élève, si celui-ci en fait usage en méconnaissance de l’article précédent.

Au lieu de cela, le 7 juin, ils ontsorti leur plus belle plume Ser-gent-Major de leur plumier de bois et, par un texte magnifique-ment calligraphié en pleins et en déliés, ils ont interdit l’utilisation par un élève d’un téléphone mobile ou de tout autre équipe-ment terminal de communica-tions électroniques – une tablette ou un ordinateur portable – dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges.

Cette loi comporte heureuse-ment des exceptions, qui permet-tent de la contourner entière-ment : elle ne s’applique ni aux en-seignants – qui pourront ainsi laisser leur Underwood au grenier et écrire leurs feuilles d’exercices avec un logiciel de traitement de texte – ni aux élèves handica-pés ; elle permet aux directeurs d’autoriser ces diaboliques équi-

pements dans le règlement inté-rieur de leur établissement ; elle autorise leur utilisation pour des usages pédagogiques.

De même, une loi qui interdiraitles stylos devrait certainement prévoir des exceptions. La calligra-phie contribue, par exemple, à développer les systèmes nerveuxet musculaire de la main, comme nulle autre activité. Cette habi-leté manuelle étant encore utile dans quelques métiers – tel celui de violoniste –, les programmes scolaires pourraient prévoir quel-ques activités d’écriture à la plumed’oie ou au stylo-bille, dans le but de la développer.

Mais l’essentiel est ailleurs :nous devons enseigner aux élè-ves à organiser leurs idées et àcommuniquer avec leurs camara-des, en utilisant les objets techni-ques que nous utilisons nous-mêmes à ces fins. p

Gilles Dowek est chercheur à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), enseignant à l’Ecole normale supérieure de Paris-Saclay, et chroniqueur à « Pour la science »

PERTES & PROFITS | CASINO

LA MALÉDICTION DE LA DETTE

L’histoire de la dette est plus ancienne que celle de l’argent. Elle finance toutes les aventu-res, mais, parfois, revient han-ter les nuits de ceux qui en ont abusé ou qui n’ont pas eu de chance. Elle se transforme alors en servitude. Le groupe Casino, l’une des plus belles entrepri-ses françaises de la grande dis-tribution, est aussi un enfant de la dette. Elle a nourri son ex-pansion spectaculaire, mais, comme Le Marchand de Venise, de Shakespeare, elle vient aujourd’hui réclamer sa livre de chair. Et son messager est un spéculateur américain adepte de la manipulation des cours de Bourse.

Depuis maintenant près de trois ans, la société Muddy Wa-ters distille les nouvelles alar-mantes sur l’endettement du groupe. Vendredi 31 août, un seul petit Tweet de son fonda-teur, Carson Block, a suffi à se-mer la panique. Il affirmait qu’une des filiales de la société n’avait toujours pas enregistré ses comptes 2017. Son objectif d’instiller la défiance vis-à-vis de l’entreprise est largement atteint. Depuis le début de l’an-née, le titre Casino s’est effon-dré de plus de 45 %.

Cette situation peut semblerinjuste au regard de la perfor-mance effective du distribu-teur, qui enregistre une bonne année 2018, notamment sur ses deux places fortes, la France et le Brésil. Ses hyper-marchés Géant se portent mieux que la concurrence, ses supermarchés urbains, Mono-prix et Franprix, ont remar-quablement pris la vague de la consommation responsable et de proximité, dont raffolent ses clients parisiens. Enfin, sa filiale Internet Cdiscount tient tête à Amazon dans le com-merce en ligne, ce qui est, en

soi, déjà un exploit. Mais voilà, parfois la dette se moque bien des réalités commerciales pré-sentes. Elle s’invite comme un fantôme du passé. Elle était autrefois le meilleur allié de Jean-Charles Naouri, quand il a pris le contrôle de la vénéra-ble centenaire de Saint-Etienne (120 ans cette année), au début des années 1990. Elle l’a assisté dans ses innombra-bles batailles pour mettre la main sur Franprix, Monoprix, puis au Brésil et ailleurs.

Retrouver la confiance perdue

Mais elle pousse aussi sur un terreau bien délicat et chan-geant, celui de la confiance. Celle de celui qui prête. Et plus ce dernier craint de ne pas être remboursé, plus il va deman-der cher. S’enclenche alors une prophétie autoréalisatrice. A force de crier au loup, celui-ci arrive. Comme les différentes holdings de contrôle de Ca-sino (quatre étages au total) empruntent en apportant en gage les actions Casino, plus la valeur de ces dernières baisse, plus les marges de manœuvre se réduisent. Craignant ce cy-cle infernal et inquiet de la lenteur du redressement, Standard & Poor’s a dégradé la notation financière de Casino, lundi 3 septembre, ce qui ag-grave les difficultés.

Mais Casino n’est pas l’Argen-tine. Si le groupe est connu de-puis longtemps pour son jeu dangereux avec la dette, il est aussi réputé pour sa gestion au cordeau et son flair commer-cial et marketing. L’entreprise accélère ses ventes d’actifs pour retrouver la confiance perdue. Elle n’y parviendra pas sans sacrifices. « Est bien payé qui est bien satisfait », disait déjà le marchand de Venise. p

philippe escande

La France face au défi de la pauvreté▶ Chômage, mal-logement… 13 % des Français et près de 20 % des moins de 18 ans sont frappés par la pauvreté et toutes ses conséquences

▶ L’exécutif doit annoncer son plan d’action. Les associations redoutent qu’il ne suffise pas à enrayer les « inégalités de destin »

▶ Il faut six générations à une famille pauvre pour atteindre le revenu moyen, selon l’OCDEPAGES 2-3

Un plan d’austérité pour l’Argentine en criseLes annonces du président Macri n’ont pas enrayé la chute du peso PAGE 5

Manifestation contre l’austérité à Buenos Aires, le 3 septembre. JUAN MABROMATA/AFP

ENTREPRISESDÉBUT D’EXAMEN DE LA LOI PACTELe texte, hétéroclite, vise à simplifier la vie des entre-prises et à les rendre plus compétitives. Le débat dans l’Hémicycle doit débuter à la fin du mois. Compte tenu du calendrier parlemen-taire, son adoption n’est pas attendue avant début 2019

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AGRICULTURELA SÉCHERESSE INQUIÈTELES ÉLEVEURSLes prix du lait et de la viande vont être au centre des débats de la rentrée agricole. La canicule a en-traîné une hausse des coûts de l’alimentation animale

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L’exception libanaise

CIRCUIT AU LIBANET EN JORDANIE

Du 8 au 15 ou19 novembre 2018

Un voyage avec Alain FRACHON, éditorialiste au Mondeet Jean-Claude GUILLEBAUD, ancien journaliste au Monde

Licence : 075 95 05 05

À partirde 2 500 e

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lia/d

iak

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2 | économie & entreprise MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

La France face au défi de la pauvreté1|3 Mal-logement, chômage… La pauvreté frappe 13,6 % des Français et 19,1 % des moins de 18 ans. Le plan d’action du gouvernement, attendu mi-septembre, risque de ne pas suffire pour enrayer les « inégalités de destin »

Il appelle cela la « scoumoune ». « La dè-che, quoi », précise Damien Moreau, lapetite vingtaine, le ton goguenard.« La panade, la mierda, la supergluedes galères. » Rasé de près, il enfourcheson vélo pour rejoindre l’ami avec qui

il partage un studio, près de Paris. Depuis qu’il a décroché de son BTS vente, il alterne inactivité et petits boulots. « Des jobs de li-vreur en autoentrepreneur, des contrats courts. » Les bons mois, il tourne autour de 1 100 euros. Les autres, il « bidouille ». « Je fais gaffe à tout. Je repère les plans gratuits pour sortir quand même avec les copains : on meprend pour un écolo radin, un militant de la dé-croissance, sourit-il. J’aime autant, ça sonne plus chic que pauvre. Même si j’ai l’habitude : la scoumoune, je suis né dedans, et mes pa-rents, tous deux au chômage, aussi. »

Emmanuel Macron, lui, appelle cela les« inégalités de destin ». « Selon l’endroit oùvous êtes né, la famille où vous avez grandi, votre destin est le plus souvent scellé », décla-rait-il le 9 juillet, pour défendre son ambi-tieux plan antipauvreté. Celui-ci était attenducet été, dans la foulée des concertations commencées fin 2017 par le délégué intermi-nistériel dédié au sujet, Olivier Noblecourt. Il sera finalement présenté mi-septembre. Distribution de petits déjeuners gratuits dansles écoles, allongement de la période obliga-toire de formation de 16 à 18 ans, ou encoreversement unique des allocations… Si les pis-tes évoquées sont jugées prometteuses par les associations, certaines redoutent que les moyens dégagés ne soient pas à la hauteur.

« DES MUTATIONS PROFONDES »Car les signaux envoyés par l’exécutif sont ambigus. En juin, le président a qualifié de « pognon de dingue » les sommes consacréesaux minima sociaux. Si le minimumvieillesse (833 euros) sera revalorisé de35 euros en 2019 et 2020, les allocations fa-miliales, APL et pensions progresseront de0,3 % seulement sur ces deux années, soit moins que l’inflation. Sera-t-il possible de renforcer la lutte contre la pauvreté tout enserrant la vis sur certaines prestations ?

Délicat, lorsqu’on mesure l’ampleur duproblème. « La pauvreté est un phénomènecomplexe et multidimensionnel », explique

Louis Maurin, président de l’Observatoiredes inégalités. Son estimation la plus cou-rante est le taux de pauvreté monétaire, exprimant la part d’individus vivant avec moins de 60 % du revenu médian (après re-distribution), soit 1 015 euros mensuels pour une personne seule.

En 2007, 13,1 % des Français étaient danscette situation, selon Eurostat. Après un pic à 14,1 % en 2012, pendant la crise, ce taux est re-tombé à 13,6 % en 2016. C’est plus qu’en Fin-lande (11,6 %) et au Danemark (11,9 %). Mais moins qu’en Allemagne, où le taux de pau-vreté est passé de 15,2 % à 16,5 % entre 2007 et 2016, ainsi qu’en Italie (19,5 % à 20,6 %) et dansla zone euro (16,1 % à 17,4 %). « Le système de re-distribution français a plutôt bien joué son rôled’amortisseur pendant la récession », souligne Yannick L’Horty, économiste à l’université de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne).

Mais la pauvreté ne se mesure pas seule-ment en termes de revenus. Elle se traduit aussi par un accès limité à la santé et à la culture, une alimentation moins bonne ou, encore, le mal-logement, qui touche 4 mil-lions de personnes en France, selon la Fonda-tion Abbé-Pierre. Pour évaluer ces privations, l’Insee parle de « pauvreté en conditions de vie », recensant les ménages confrontés à uncertain nombre de difficultés en matière d’habitation, de paiements, de contraintes budgétaires. Son niveau est proche de celuide la pauvreté monétaire, mais elle ne concerne pas exactement les mêmes person-nes. « En outre, la relative stabilité du taux de pauvreté monétaire depuis les années 1980, autour de 14 %, masque des mutations profon-des », explique Julien Damon, sociologue et professeur à Sciences Po.

A l’issue de la seconde guerre mondiale, lespauvres étaient essentiellement des person-nes âgées. Au fil des décennies, ces dernièresont été mieux couvertes par les régimes deretraite, et les difficultés se sont concentréessur les plus jeunes, en particulier ceux qui étaient peu qualifiés et sans emploi. De plus,le profil des familles précaires a changé :en 2000, le nombre de foyers monoparen-taux en difficulté a dépassé celui des fa-milles nombreuses. « La part de personnesd’origine étrangère parmi les bas revenus estégalement plus importante qu’autrefois »,

ajoute M. Damon. Ces évolutions dessinent les principaux ressorts de la pauvreté : chô-mage, origine sociale, niveau d’éducation, auxquels s’ajoute le poids des déterminis-mes. Selon l’Organisation de coopération etdéveloppement économiques (OCDE), sixgénérations, soit cent quatre-vingts ans, sont nécessaires pour que les descendants d’une famille en bas de l’échelle des revenus atteignent le revenu moyen. « En France, dans la plupart des cas, on est pauvre parcequ’on naît pauvre », résume Yannick L’Horty.

Emmanuel Macron fait donc le bon constatlorsqu’il évoque les « inégalités de destin ». Lesraisons pour lesquelles notre pays peine àles éradiquer tiennent en partie au système bâti dans l’après-guerre autour de la Sécurité sociale. A l’époque, le risque d’exclusion lié aux pertes d’emploi n’a pas été suffisamment

pris en compte. « On l’a compris avec violence dans les années 1980, après l’apparition du chômage de masse », rappelle Nicolas Du-voux, sociologue à l’université Paris-VIII et membre de l’Observatoire national de la pau-vreté et de l’exclusion sociale (ONPES). Le re-venu minimum d’insertion (RMI) fut créé en 1988 pour tenter d’y faire face, remplacé vingt ans plus tard par le revenu de solidarité active (RSA), tous deux étant censés encoura-ger le retour à l’emploi.

Au fil des réformes, notre système est de-venu complexe. Peut-être trop : faute de s’y re-trouver dans le maquis des aides, un tiers des bénéficiaires potentiels ne demandent pas celles auxquelles ils ont droit. Est-il trop coû-teux ? Selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) publiée en juin, le

PART DES PERSONNES VIVANT SOUS LE SEUIL DE PAUVRETÉ

PAR DÉPARTEMENT, EN 2015, EN %

Le nord et le pourtour méditerranéen

en permière ligne

INFOGRAPHIE LE MONDE

de 16 % à 20 %

de 20 % à 29 %de 14,7 % à 16 %

de 12,8 % à 14,7 %de 9 % à 12,8 %

Haute-Savoie9,2 %

Yvelines 9,7 %

Vendée10 %

Seine-Saint-Denis29 %

Nord 19,4 %Pas-de-Calais 20,3 %

Haute-Corse21,9 %

Aude 21,4 %

Sans diplôme

Niveau bac

Diplôme du supérieur

Actifs occupés

Chômeurs

Retraités

Familles monoparentales

Foyers monoparentauxoù la mère est inactive

Couples d’actifs avec enfants

REVENU MOYEN DES 20 % LES PLUS MODESTES

La redistribution joue un rôle-clé

PART DES PERSONNES VIVANT SOUS LE SEUIL DE PAUVRETÉ,

EN %

Les peu diplômés et les familles monoparentales

sont les plus touchés

533 euros

avant impôt

et prestations sociales

933 euros

après impôt et prestations

sociales

23,7

13,9

6,6

5,3

7,7

34,9

70,6

36,6

7,6

1970

5

10

15

75 79 201620142012201020082006200420022000199896199084

13,6 %

17,9 %

13 %

14,5 % 14,2 %

PART DE PERSONNES VIVANT SOUS LE SEUIL DE PAUVRETÉ EN FRANCE (défini à 60 % du revenu médian, après transferts sociaux), en %

La pauvreté a augmenté en France pendant la crise

Début de la crise

LE PHÉNOMÈNE NE SE TRADUIT PAS

SEULEMENT EN TERMES DE

REVENUS, MAIS AUSSI PAR UN ACCÈS

LIMITÉ À LA SANTÉ ET À LA CULTURE,

UNE ALIMENTATION MOINS BONNE…

Les plus démunis toujours nombreux à renoncer aux soinsLes dispositifs de prise en charge des dépenses de santé ne sont pas forcément utilisés à leur maximum

A quelques jours de la pré-sentation du plan anti-pauvreté par Emmanuel

Macron, les associations s’inter-rogent sur la place qu’y prendra laquestion de l’accès aux soinspour les plus démunis. « Cela de-vrait être une priorité du plan », es-time Henriette Steinberg, secré-taire nationale du Secours popu-laire. Pour elle, cet accès « s’est dé-gradé ces derniers mois ». « Il n’y a pas de places pour recevoir ces gens en difficulté, il y a de moins enmoins de médecins dans les quar-tiers en difficulté… Comment fait-on pour que ça s’améliore ? »,demande-t-elle.

Le renoncement aux soins peutd’abord être lié à des raisons fi-nancières. Chez les personnes éli-gibles à l’aide au paiement d’une

complémentaire santé (ACS) – un dispositif permettant d’accéder à une mutuelle – les consultations périodiques de suivi auprès de spécialistes (gynécologue, oph-talmologue…) « sont plus étalées dans le temps qu’évitées », relevait,par exemple, en mai 2017, une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation desconditions de vie (Crédoc).

Dépenses différéesParmi cette population, « horsmaladie ou affection grave, la santé est un poste dont on peut dif-férer les dépenses au profit d’autrespostes jugés prioritaires », comme le logement ou l’alimentation, était-il également souligné.

Alors que la France disposed’une batterie de dispositifs per-

mettant la prise en charge des dé-penses de santé, ceux-ci sont loin d’être utilisés à plein. Un tiers des personnes éligibles à la cou-verture maladie universelle com-plémentaire (CMU-C) et deuxtiers des personnes éligibles à l’ACS n’y recouraient pas en 2017. Soit, au total, près de 3 millions depersonnes qui, pour diverses rai-sons – dont une méconnaissance des aides auxquelles elles peu-vent prétendre –, ne faisaient pas valoir leurs droits.

Pour tenter d’y remédier, laCaisse nationale d’assurance-ma-ladie (CNAM) a annoncé en 2017 vouloir généraliser un dispositif visant à proposer un accompa-gnement « personnalisé » aux as-surés n’ayant pas engagé des soins nécessaires par « mécon-

naissance des circuits administra-tifs et médicaux » et par crainted’engager des démarches jugées« complexes ».

Autre raison susceptible de res-treindre l’accès aux soins : les re-fus de prise en charge par des pro-fessionnels de santé. Même sil’ordre des médecins assuren’avoir été saisi que huit fois pourdes refus de soins en 2015, un« testing » mené en 2009 par des associations de patients avait montré la réalité et l’étendue du phénomène.

Trop rares alertesSur 496 médecins libéraux spé-cialistes exerçant en secteur 2 (avec dépassements d’honorai-res), dans 11 villes de France, 22 % refusaient de prendre en charge

les bénéficiaires de la CMU et 5 % acceptaient sous conditions, c’est-à-dire à certains horaires ou dans des délais plus longs.

Près de dix ans plus tard,aucune nouvelle grande étude n’est venue mesurer plus précisé-ment cette pratique discrimina-toire, mais « les refus de CMU res-tent très fréquents », assure Claire Hédon, la présidente d’ATD Quart Monde. C’est pourquoi elle sou-haiterait que cette question soit abordée dans la formation de mé-decins afin qu’ils « comprennent pourquoi ces patients prennent unrendez-vous et pourquoi il leur ar-rive de ne pas venir… »

« Nous avions obtenu que les as-sociations puissent ester à la placedes patients discriminés, or c’estun rôle qu’on ne leur a pas vu

jouer », regrette pour sa part An-dré Deseur, le vice-président del’ordre des médecins, qui déplore également que le Défenseur des droits « n’alerte que trop rarement l’ordre des médecins lorsqu’il aconnaissance d’un cas suspecté derefus de soins ».

Fin septembre, la Commissionnationale d’évaluation des prati-ques de refus de soins, une ins-tance créée en 2016 par la loi santéde Marisol Touraine et réunissantsous l’égide de l’ordre des méde-cins des représentants d’associa-tions d’usagers et des syndicats de médecins, devrait rendre à la ministre de la santé un premierrapport avec des propositions deréponses pour mieux lutter contre ces discriminations. p

françois béguin

S O C I A L

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 économie & entreprise | 3

montant des prestations sociales s’élevait à 32,1 % du PIB en 2016, contre 27,5 % dans l’Union européenne. Dans le détail, plus de 80 % de ces sommes sont dédiées à lasanté et à la vieillesse.

POCHES D’EXCLUSION

L’effort consacré à la seule lutte contre la pauvreté et l’exclusion se chiffre autour de 1,8 % à 2,6 % du PIB, selon le périmètre consi-déré, note l’étude de la DREES. Soit 40,5 à 57 milliards d’euros, dont 10,9 milliards pourle RSA socle, 3,2 milliards pour le minimum vieillesse et 2,9 milliards pour les allocationsfamiliales allouées aux foyers pauvres. « Quand on sait que 10 % de la population est couverte par ces aides, ce n’est pas si coûteux »,estime Jean-Luc Outin, chercheur à Paris-I,membre de l’ONPES. Tout en rappelant que sans ces transferts sociaux, le taux de pau-vreté en France ne serait pas de 13,6 %, mais de 23,6 %. Pas si mal.

Malgré tout, les poches d’exclusion persis-tent. Notre système couvre insuffisamment les jeunes entrant sur le marché de l’emploi sans diplôme. Notre école, en amont, peine à enrayer la reproduction de la pauvreté. Nos formations pour adultes, en aval, échouent à réinsérer ceux trop éloignés du marché du travail. « Pour bien faire et combattre le pro-blème à la racine, il faut agir sur tous ces frontsen parallèle », résume M. Maurin.

Sans oublier le chômage, machine à fabri-quer l’exclusion. Selon l’OCDE, le taux depauvreté serait divisé par deux si dans tou-tes les familles, l’un au moins des adultes avait un travail. Dès lors, la France a-t-elle in-térêt à se rapprocher du modèle britannique,qui inclut plus de personnes dans l’emploi, quitte à leur fournir des boulots précaires ?

« Nous constatons tous les jours que les postesà temps partiel sont insuffisants pour tirer lesfamilles fragiles de la pauvreté », témoigneSonia Serra, secrétaire nationale du Secourspopulaire. Et ainsi briser la spirale des « iné-galités de destin ». p

marie charrel

Prochain épisode : les travailleurs pauvres, ces invisibles

Au Royaume-Uni, l’impossible réforme des aides socialesLondres tente de fusionner six aides sociales et d’encourager le retour à l’emploi, mais la mise en place de la réforme est catastrophique

londres - correspondance

S ur le papier, la réforme estsaluée de tous. En arrivantau pouvoir en 2010, le gou-

vernement britannique a an-noncé une grande remise à plat des aides sociales. Six allocations différentes sont fusionnées, rem-placées par un « crédit universel », avec un objectif : aucun de ses bénéficiaires ne doit perdre de l’ar-gent en reprenant un emploi. « Travailler doit être payant », résu-mait à l’époque Iain Duncan Smith, le ministre qui a longtempsporté la réforme. Le début de sa mise en place a débuté en 2013 et elle devait être terminée en octo-bre 2017. Sept millions de Britanni-ques devaient en bénéficier.

Huit ans plus tard, le résultat estcatastrophique. Fin 2017, seules700 000 personnes touchaient le crédit universel, environ 11 % du total. Désormais, la réforme doit être achevée d’ici… 2023. L’admi-nistration s’est heurtée à l’usine à gaz que représentait la fusion deces allocations. Les critères pourles toucher ne sont pas les mê-mes, les systèmes informatiquesnon plus, et la mise en œuvre de laréforme s’avère très complexe. Ducoup, les cobayes qui ont touché lecrédit universel jusqu’à présent sont victimes d’un système capri-cieux, bourré d’erreurs et de re-tards. Les crédits universels ne sont ainsi versés que six semainesaprès leur demande, alors que les bénéficiaires se trouvent souvent déjà dans une situation précaire.

Les banques alimentaires duTrussell Trust, une association

britannique, sont peuplées depersonnes victimes de cette ré-forme : 38 % de ceux qui vien-nent prendre leurs rations detrois jours de nourriture souf-frent d’un retard de leurs alloca-tions sociales ou d’un change-ment d’allocation.

Confusion des genres

La région d’Hartlepool – dans le nord-est de l’Angleterre – est l’une des premières à avoir testé les cré-dits universels. Abi Knowles dirigela banque alimentaire de la ville, où la moitié des bénéficiaires sontvictimes des crédits universels. Enmars, elle confiait au Monde les dégâts de cette politique. « Beau-coup de ceux qui viennent ici n’ont absolument aucune épargne pour tenir et sont en permanence au bord de la chute. Un versement en moins peut signifier qu’ils ne pour-ront pas se nourrir, ou ne pas nour-rir leurs enfants. » Pourtant, souli-gnait-elle, elle n’est pas contre leprincipe des crédits universels : « Une fois que ceux-ci sont en place,ça marche assez bien. »

L’une des raisons des difficultésde la réforme a été la confusion

des genres, dès le début. Les cré-dits universels avaient comme objectif de réduire la pauvreté mais aussi de réaliser des écono-mies. Le lancement du pro-gramme a coïncidé avec l’austé-rité lancée par le gouvernement britannique en 2010. Dans son bras de fer avec le Trésor britanni-que, M. Duncan Smith, qui a dé-sormais quitté le gouvernement,a perdu ses arbitrages. Rapide-ment, les crédits universels ont eumauvaise presse, symbolisant les coupes franches menées par l’Etat, et l’opposition en a fait unargument central, compliquant encore plus le déroulement d’uneréforme déjà difficile.

Mais même au-delà de la périodede transition, l’Etat semble avoir revu à la baisse ses ambitions. Selon son propre objectif, publié en juin, la réforme devrait d’ici 2023 remettre au travail environ 200 000 personnes. C’est peu par rapport au 32,4 millions que compte le marché du travail bri-tannique, et on est loin du big bang annoncé au départ.

Paradoxalement, les crédits uni-versels – imaginés au début desannées 2000 – arrivent trop tard au Royaume-Uni, pays qui n’a guère de problème de chômage– désormais à 4 % – mais qui souf-fre de la faiblesse des salaires et dela précarité. « Ils cherchent à ré-soudre un problème largement ré-solu, note le think tank Resolu-tion Foundation. Désormais, il faudrait les recentrer sur l’aide aux familles qui ont un emploi, pour soutenir leurs revenus. » p

éric albert

Les enfants, victimes des déterminismes sociauxLe système scolaire échoue à briser les mécanismes de la reproduction sociale

L à-bas, on fabriquait le beurre.Ici, les habitants utilisaientune perche pour sauter par-

dessus les canaux… » Lorsqu’ils ne sont pas tentés de sauter à piedsjoints dans l’eau, Tayem et Tijani,les jumeaux de 9 ans, écoutentattentivement les explications dela guide sur l’histoire du marais breton vendéen. Leur sœur Thalia,11 ans, chuchote à l’oreille de sanouvelle amie. En cette mi-août,les traditions locales passionnent d’assez loin. « Il y a une fête au cam-ping ce soir, je peux y aller ? », de-mande-t-elle à sa mère, Gina, 31 ans.Qui hausse les épaules : « C’est troploin de chez nous, ma puce. »

Tous les quatre logent pour quel-ques jours à Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée), à 30 km des Sa-bles-d’Olonne, dans la maison louée par l’un des bénévoles de Va-cances et familles. Chaque année, cette association née en 1962 per-met à mille familles aux revenus li-mités de partir pour un court séjour. Certaines n’ont jamais pris la route des vacances. Construire lebudget, organiser le transport, oc-cuper les enfants : pour les plus fra-giles, tout paraît hors de portée. « Outre le financement, nous les aidons à chaque étape pour leurpermettre de gagner en autono-mie », détaille François Guilloteau,délégué régional de l’association. Aujourd’hui, il accompagne legroupe dans le marais, épaulé par une poignée de bénévoles.

Gina, elle, vient de la banlieue deBordeaux. Vivre avec trois enfants sur son salaire de secrétaire à temps

partiel la contraint à compter cha-que centime. Ces deux semaines en Vendée, en partie prises en chargepar la Caisse d’allocations familiales(CAF), lui coûteront 230 euros. « C’estla première fois que nous partons en-semble, confie-t-elle. J’aimerais que ce soit le début d’une autre vie. » Unevie comme celle des familles pour qui partir quinze jours en août n’a rien d’inaccessible. Celles dont lesenfants partagent les souvenirs es-tivaux avec leurs amis, à la rentréedes classes. « Cette année, nous aussi », murmure Thalia, bien déci-dée à rejoindre la fête du camping.Pour se fabriquer des souvenirs.

« Spirale de l’amertume »

Ne pas partir en été : un des stigma-tes, parmi d’autres, renvoyant les enfants aux faibles revenus de leurfoyer. Aujourd’hui, 19,1 % des Fran-çais âgés de moins de 18 ans vivent au-dessous du seuil de pauvreté,selon Eurostat. C’est plus qu’avant la crise (15,3 % en 2007).

« Cela n’a, hélas, rien d’étonnant :les enfants pauvres se concentrent dans les familles touchées par le chô-mage », explique Olivier Thevenon, spécialiste du sujet à l’Organisation de coopération et de développe-ment économiques (OCDE). La ma-jorité vit au sein de familles mono-parentales, ou nombreuses, dont l’un, voire les deux parents sontéloignés du marché du travail. « Pour elles, privations comme difficultés se cumulent – logement, emploi, santé et, à la longue, spirale de l’amertume, grippant les possibili-tés d’ascension sociale », souligne

Sonia Serra, secrétaire nationale du Secours populaire.

Les enfants vivant dans un loge-ment surpeuplé ont ainsi 1,4 fois plus de probabilité d’être en échec scolaire. Selon les enquêtes PISA de l’OCDE, c’est en France que la corré-lation entre le niveau social et le ni-veau scolaire est la plus forte : les en-fants de milieu défavorisé risquent trois fois plus que les autres d’avoirun niveau scolaire au-dessous de lamoyenne. Résultat : les enfants de cadres sont deux fois plus souventdiplômés du supérieur que les en-fants d’ouvriers.

C’est là que le bât blesse : l’écolefrançaise ne permet pas suffisam-ment aux enfants d’échapper aux déterminismes sociaux : 20 % des jeunes la quittent tous les ans sansdiplôme ni qualification. Les tra-vaux de la sociologue Agnès vanZanten, du Centre national de la re-cherche scientifique, illustrent enoutre comment les défaillances de l’orientation au collège et lycée en-tretiennent les inégalités, laissant les jeunes de foyers précaires plus démunis face au maquis des forma-tions. « Notre enseignement est effi-

cace pour former l’élite, mais pas pour transmettre à tous les élèves un socle commun de connais-sance », résume Louis Maurin, di-recteur de l’Observatoire des inéga-lités. Le dédoublement des classesde CP en quartiers sensibles, ins-tauré l’an passé par le gouverne-ment, est une piste pertinente pour y remédier, estime-t-il.

Mais elle est insuffisante, car trai-ter la pauvreté infantile à la racine implique d’agir plus tôt encore. Se-lon l’OCDE, seuls 31,3 % des ménagesles moins riches ont accès aux systè-mes de garde tels que crèches et as-sistantes maternelles (contre 74 % pour les plus aisés), contraignant les mères à décrocher de l’emploipour s’occuper des petits.

Dès lors, le projet de bonus finan-cier accordé aux crèches accueillantdes enfants défavorisés, envisagé par le plan pauvreté, va dans le bon sens, jugent les associations. « A condition de renforcer aussi l’accom-pagnement : les familles les plus fra-giles hésitent parfois à mettre leur enfant en crèche par peur de devoir se dévoiler en évoquant les diffi-cultés qu’elles endurent », observe Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde France.

Sa crainte : que le gouvernementse contente de mesures éparpillées,à l’efficacité d’ensemble limitée. « Les actions ciblées sur les enfants n’ont de sens que si, dans le même temps, on s’attaque à la précarité etaux difficultés de logement des pa-rents », prévient Nicolas Duvoux, so-ciologue à l’université Paris-VIII. p

m. c.

« LES ENFANTS PAUVRES SE CONCENTRENT DANS LES FAMILLES TOUCHÉES

PAR LE CHÔMAGE »OLIVIER THEVENON

économiste à l’OCDE

FIN 2017, SEULES 700 000 PERSONNES

TOUCHAIENT LE CRÉDIT UNIVERSEL, SUR LES 7 MILLIONS

DE BRITANNIQUES QUI DEVAIENT EN BÉNÉFICIER

PART DE PERSONNES VIVANT SOUS LE SEUIL DE PAUVRETÉ

(défini à 60 % du revenu médian), en %

Avant transferts sociaux

La pauvreté est inférieure à la moyenne de la zone euro

SOURCES : INSEE ; EUROSTAT ; OBSERVATOIRE DES INÉGALITÉS ;

23E ÉDITION DU RAPPORT ANNUEL SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT DE LA FONDATION ABBÉ PIERRE, JANVIER 2018 ; UNICEF

Après transferts sociaux

DANEMARK

FRANCE

ALLEMAGNE

ZONE EURO

PORTUGAL

ITALIE

GRÈCE

ESPAGNE

11,9

11,6

DANEMARK 24,9

FINLANDE

FINLANDE

16,5

ALLEMAGNE 25,3

17,4

ZONE EURO 25,7

19

PORTUGAL 25

20,6

ITALIE 26,2

21,1

GRÈCE 25,2

22,3

ESPAGNE 29,5

27

13,6

FRANCE 23,6

PERSONNES TRAVAILLANT ET TOUCHANT UN REVENU INFÉRIEURAU SEUIL DE PAUVRETÉ, APRÈS TRANSFERTS SOCIAUX, en %

L’Allemagne a plus de travailleurs pauvres que la France

DANEMARK 5,3

FINLANDE 3,1

ALLEMAGNE 9,5

ZONE EURO 9,5

PORTUGAL 10,8

ITALIE 11,8

GRÈCE 14

ESPAGNE 13,1

FRANCE 8

Les données de référence

SEUIL DE PAUVRETÉ : 1 015 euros par an (60 % du revenu médian)

REVENU MÉDIAN : 1 692 euros(50 % de la population a un

revenu supérieur et 50 % un

revenu inférieur)

MINIMA SOCIAUX

RSA mensuel pour une personne seule : 550,93 euros

Allocation aux adultes handicapés (AAH), pour une personne seule sans aucunes ressources : 819 €

Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), mensuelle pour les personnes seules : 833,20 €

4

3

6

restent mal logées en France,

dont 2,8 millions vivant dans

des conditions de logement

particulièrement difficiles.

sont nécessaires pour

que les descendants d'une famille

en bas de l'échelle des revenus

(les 10 % les plus bas) se hissent

au niveau du revenu moyen,

soit 180 années, selon l'OCDE.

vivent sous le seuil de pauvreté,

dont 31 000 sont sans domicile,

et 9 000 habitent dans des bidonvilles.

80 % des enfants accueillis par l'aide

sociale à l'enfance le sont pour

des raisons de pauvreté

(20 % pour maltraitance).

millions

de personnes

millions

d’enfants

générations

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4 | économie & entreprise MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

0123

Avec la sécheresse, les éleveurs anticipentune hausse des coûts de productionSur un an, le panier de matières premières pour l’alimentation animale aurait augmenté de 24 %

L e prix du lait et de la viandeva alimenter les débatsde la rentrée agricole. Les

éleveurs s’inquiètent alors que la canicule estivale pourrait avoir comme conséquence une hausse des coûts de production. Ils sou-haitent que les promesses des Etats généraux de l’alimentationsoient tenues.

« Hormis la Bretagne, la majeurepartie des régions françaises ont été concernées par la sécheresse cet été », constate Thierry Roque-feuil, président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), syndicat affilié à la FNSEA. L’Alsace et la Lorraine ont été par-ticulièrement touchées. Pour autant, beaucoup d’agriculteurs ont fait face. En particulier ceux qui disposaient de stocks d’ali-ments pour le bétail. La bonne récolte de maïs en 2017 et la pousse d’herbe abondante à la suite d’un printemps 2018 très plu-vieux ont permis d’amortir le choc. D’ailleurs, comme le souli-gne M. Roquefeuil : « La collecte de lait au mois d’août n’a pas beau-coup baissé, peut-être de 2 à 3 %. »

Mais la question se pose pour lasuite. Si les stocks faits pour l’hiver,déjà entamés, ne suffisent pas, il faudra acheter de quoi alimenter le troupeau. Or, la sécheresse qui a touché beaucoup plus fortement les pays du nord de l’Europe, l’Alle-magne mais aussi les pays de la

mer Noire a réduit leur potentiel de production de céréales. Une si-tuation qui a poussé les feux des cours du blé sur les marchés mon-diaux. Mais aussi celui du maïs.

La barre des 200 euros la tonnede blé a été franchie fin juillet, soit une progression de près de 20 % depuis le début de l’été. De quoi re-donner le sourire aux céréaliers français, qui, eux, ont engrangé une récolte de blé correcte en vo-lume et excellente en qualité. Maisde quoi inquiéter les éleveurs qui anticipent une répercussion de la hausse des cours des matières pre-mières sur le prix de l’alimenta-tion animale. De plus, la séche-resse a contraint des éleveurs à ré-colter plus vite le maïs, en panne de croissance. Parfois dès août.

« Mise en garde »

Ces craintes concernent l’ensem-ble des éleveurs. Coop de France,qui représente les coopérativesagricoles françaises, a tiré lasonnette d’alarme dans un com-muniqué du 3 septembre. S’ap-puyant sur une comparaison en-tre août 2018 et août 2017, elleestime que le panier de matièrespremières pour l’alimentation animale a augmenté de 24 %. Or, elle rappelle que, pour l’éle-vage du porc et des volailles, ladépense pour nourrir les ani-maux constitue les deux tiers duprix de revient.

« Coop de France appelle à uneprise en compte de cette rupture de l’équilibre économique pour que, conformément aux engagements pris lors des Etats généraux de l’ali-mentation, l’augmentation des coûts de production soit prise en compte dans les prix de vente », af-firme-t-elle. La demande est simi-laire côté FNPL, qui surveille de près le prix du lait. « Pour septem-bre, le prix fixé par la coopérative Sodiaal est de 340 euros la tonne et de 325 euros chez Lactalis », précise M. Roquefeuil, qui ajoute : « Depuisle début de l’année, le prix moyen est proche de celui de 2017, soit 325 euros la tonne. Cette trajectoire n’est pas satisfaisante, elle ne per-met pas d’améliorer la trésorerie des éleveurs et d’attirer des jeunes dans ce métier. »

Ce débat sur le prix de la viandeet du lait intervient alors que le

projet de loi alimentation va reve-nir devant les parlementaires mi-septembre. « Nous n’accepterons pas qu’il trahisse le constat de dé-part des Etats généraux de l’alimen-tation sur la nécessité de mieux ré-munérer les producteurs afin qu’ils puissent vivre de leur métier », met en garde M. Roquefeuil.

Matignon a demandé aux inter-professions de présenter mi-sep-tembre leur feuille de route. Car ce sont elles qui doivent mettre en musique la nouvelle partition des prix entre producteurs, industrielset distributeurs, partant du coût de production de l’agriculteur. « Nous avançons mais nous butonssur l’indicateur permettant de lire l’évolution du marché intérieur. Les industriels estiment qu’ils ne sont pas déconnectés des marchés euro-péens. Et les distributeurs mettent en avant leur centrale d’achat européenne », dit M. Roquefeuil.

La tendance internationalepourrait favoriser une hausse du prix du lait. « Nous faisons une lec-ture plus optimiste qu’en début d’année. On risque de manquer de beurre car, avec la sécheresse, le laitest moins riche. Et le stock de pou-dre de lait à Bruxelles s’allège avec une nouvelle adjudication de 31 000 tonnes le 30 août », estimeBenoît Rouyer, économiste au Centre national interprofession-nel de l’économie laitière. p

laurence girard

Coup d’envoi pour l’examen du projet de loi PacteLe texte, très hétéroclite, vise à simplifier la vie des entreprises et à les rendre plus compétitives

Le texte avait peiné à s’im-poser à l’agenda politi-que. Il grillera finalementla priorité à la réforme

des institutions. Le projet de loiPlan d’action pour la croissance et la transformation des entrepri-ses (Pacte), présenté en conseildes ministres le 18 juin, sera exa-miné en commission spéciale par les députés à partir du 5 sep-tembre. Le débat dans l’Hémicy-cle doit commencer à la fin dumois. Compte tenu du calendrierparlementaire, il est toutefoispeu probable que le texte soit adopté avant le début de 2019.

Et pour cause : c’est un pavé deprès de mille pages sur lequel lesparlementaires devront se pen-cher. Le document, qui n’a cesséde s’étoffer au fil des mois, com-porte aujourd’hui 73 articles. Sanscompter les plus de 2 000 amen-dements qui avaient été déposés, lundi 3 septembre au soir, auxdeux tiers par l’opposition.

Durée des soldes, expérimen-tation de véhicules autonomes, levée de fonds en cryptomon-naie, mais surtout coup d’envoides privatisations d’ADP (ancien-nement Aéroports de Paris) etde la Française des jeux, simplifi-cation des seuils d’effectifs, ex-tension de l’intéressement et de la participation… Difficile, dans un tel maquis, d’identifier unemesure phare.

« Démontrer la cohérence d’untexte aussi technique, c’est une ga-geure », admet Olivia Grégoire,présidente (LRM) de la commis-sion spéciale. « Les mesures prises isolément peuvent ressembler à uncollier de perles, mais, mises bout àbout, elles vont permettre aux en-trepreneurs de simplifier leur ges-tion administrative et d’être plus concentrés sur leur activité »,plaide la députée de Paris.

Pour Roland Lescure, rappor-teur général et député (LRM) desFrançais de l’étranger, « simplifier

la création d’entreprises ne peut se faire en une mesure : la créationd’un registre unique [pour regrou-per toutes les informations léga-les], la fin de l’obligation d’unstage préalable d’installation pourles artisans ou la simplification du rôle des chambres de com-merce et d’industrie y contribuent toutes, à leur façon ».

« 1 point de PIB supplémentaire »

Reste que les retombées macroé-conomiques du texte semblentessentiellement symboliques. S’appuyant sur une étude du Trésor, le ministère de l’écono-mie estime que la loi Pacte pour-rait « représenter 1 point de pro-duit intérieur brut [PIB] supplé-mentaire sur le long terme, soit20 milliards d’euros ».

Le locataire de Bercy, BrunoLe Maire, sera sur la brèche pour défendre le texte, qu’il tente deporter depuis près d’un an. Le mi-nistre de l’économie a prévu

d’assister à toutes les séances encommission – comme l’avait fait, en son temps, un de ses prédé-cesseurs, un certain… EmmanuelMacron. « Mais, attention, pas question de faire une loi Macron 2 ! », prévient Olivia Grégoireen faisant référence au texte adopté en 2015.

Mi-août, une tribune de députésLRM parue dans Le Journal du di-manche réclamait notammentd’intégrer au Pacte l’élargis-sement du travail du dimanche à tous les commerçants. Certains verraient aussi d’un bon œil l’inclusion de mesures pour lesprofessions réglementées ou les indépendants. Au risque d’ouvrir de nouveaux fronts surces sujets sensibles politique-ment et de brouiller un peu plusle message de la majorité.

Au sein du groupe La Républi-que en marche, on compte s’entenir à des amendements en lien direct avec les articles du texte.

Parmi eux, la création de sociétésà mission, qui élargirait l’articlesur la raison d’être des entrepri-ses en leur permettant de se doterd’une gouvernance interne et d’être contrôlées par un orga-nisme tiers. Ou encore l’instaura-tion du statut de fondations d’ac-tionnaires (selon laquelle le dé-tenteur de parts d’une sociétépeut organiser la transmission pour garantir la pérennité de l’en-treprise) et le plafonnement de laparticipation pour les très hauts revenus afin de rendre le disposi-tif moins inégalitaire.

Compte tenu des délais serrés,les dispositions relatives à l’épar-gne salariale (intéressement, par-ticipation) devraient figurer dansle projet de loi de financement dela Sécurité sociale tandis queles aspects fiscaux de la trans-mission d’entreprises (assouplis-sement du pacte Dutreil) serontintégrés au projet de loi de finan-ces 2 019, tous deux présentés à l’automne.

« Des avancées » pour le patronat

Favorables, dans leur ensemble, au texte soumis aux députés, les syndicats patronaux ont plutôtsalué les pistes dégagées. Des rap-porteurs du projet de loi et la pré-sidente de la commission ont déjeuné avec des chefs d’entre-prise lors de l’université d’été duMedef, fin août, dans les Yvelines.« Il ne va pas y avoir un avant et un après Pacte. Mais le projet

comporte des avancées importan-tes, notamment sur les seuils d’ef-fectifs », souligne, pour sa part, Jean-Eudes du Mesnil du Buisson,secrétaire général de la Confédé-ration des petites et moyennes entreprises (CPME).

A partir de 10, 20, 50 ou 250 sala-riés, les sociétés doivent aujour-d’hui s’acquitter de certaines obli-gations. Honni par le Medef et la CPME, le seuil des 20 devrait être supprimé dans la plupart des cas, et les contraintes attenantes, comme la contribution au fonds national d’aide au logement, re-portées sur les entreprises de plusde 50 personnes.

D’autres seuils intermédiairesdevraient également disparaître. La réforme est d’autant mieux ac-cueillie que le franchissement de ces limites d’effectifs ne sera enté-riné qu’à la condition d’avoir étédépassé « pendant cinq années ci-viles consécutives ». Objectif : en-courager l’embauche.

Egalement appréciée, la sup-pression du forfait social sur l’in-téressement dans les entreprises de moins de 250 salariés et sur la participation pour celles de moins de 50 salariés doit permet-tre d’étendre ces dispositifs à 32 %des salariés, contre 16 %aujourd’hui. C’est l’une des seulesmesures à coloration sociale du projet de loi, qui entend relancer l’épargne salariale.

Optimistes, les syndicats patro-naux n’en restent pas moins pru-dents sur l’évolution du projet de loi au cours des débats à l’Assem-blée. Medef et Confédération des petites et moyennes entreprisesont ainsi abondamment mis en garde le gouvernement contre le risque de contentieux lié à l’ins-cription dans l’article 1833 du code civil d’une gestion des socié-tés « dans l’intérêt social, en consi-dération des enjeux sociaux et en-vironnementaux ». p

élise barthet

et audrey tonnelier

Le pavé de près

de mille pages

comporte

73 articles. Sans

compter les plus

de 2 000

amendements

déposés

il aura fallu plusieurs mois de concerta-tion entre les banques et les pouvoirs pu-blics pour parvenir à une amélioration dusort des clients bancaires les plus fragiles. Finalement, « un engagement de place sur la maîtrise des frais d’incidents bancaires » abien été rendu public, lundi 3 septembre, dans la soirée, par le ministre de l’écono-mie, Bruno Le Maire.

La mesure la plus forte vise à instaurer unplafond pour l’ensemble des frais liés aux incidents de paiement, mais uniquement pour une catégorie de clients : ceux béné-ficiant de « l’offre spécifique », un forfaitde services bancaires de base, bon marché (3 euros maximum), instituée par le législateur en 2013.

Ce plafond intégrera les commissions fac-turées lorsqu’un paiement se présente à labanque, mais que la provision sur le compte n’est pas suffisante, le coût des let-tres d’information lorsque les comptes

sont débiteurs ou les frais de rejet de prélè-vement ou de virement.

M. Le Maire a fixé ce plafond à 200 eurospar an et 20 euros par mois. Un seuil encoreélevé, mais très en deçà des pratiques ac-tuelles. Selon une étude publiée en octo-bre 2017 par l’Union nationale des associa-tions familiales (UNAF) et 60 Millions de consommateurs, un client en difficulté sur cinq se voit actuellement prélever cha-que année par sa banque plus de 500 eurosde frais pour incidents de paiement.

Pas de contrainte mais un suivi

Afin de ne pas contrevenir au droit de la concurrence qui interdit les ententes tari-faires, la Fédération bancaire française (FBF) précise que « ce niveau global de plafonnement sera fixé librement par cha-que banque ». Mais selon une source pro-che du dossier, « les établissements respec-teront le souhait du ministre ».

Ce « bon usage professionnel » publié parla FBF ne sera pas contraignant, mais fera l’objet d’un suivi. « Si l’engagement n’est pas tenu, un plafond pourrait être introduit par le biais du projet de loi Pacte », indique une source à Bercy. Pour que cette mesure soit efficace, les banques s’engagent en outre à mieux promouvoir l’« offre spécifi-que » auprès de leurs clients en difficulté. La marge de progression est considérable, puisque la France recensait, fin 2017,3,6 millions de clients bancaires fragiles,dont 351 000 seulement ont bénéficié l’an passé de cette « offre spécifique ». Soit àpeine 10 % des personnes éligibles.

A la demande de Bercy, les banquesvont par ailleurs proposer à l’ensemble de leurs clients des outils de prévention des incidents bancaires, qui permettentd’alerter avant que le compte ne bascule dans le rouge. p

véronique chocron

Les frais bancaires plafonnés pour les clients les plus fragiles

1,2 MILLIARDC’est, en euros, le montant que la Société générale a provisionné pour

régler son litige avec les Etats-Unis, a-t-elle annoncé, lundi 3 septem-

bre. Les autorités américaines reprochent à la banque d’anciennes

transactions violant les sanctions économiques édictées par Washing-

ton, notamment envers l’Iran. « A ce stade, Société générale s’attend à ce que le montant des amendes dans le dossier des sanctions américai-nes soit presque intégralement couvert par la provision pour risques allouée à ce dossier », que la banque française compte clore « dans les prochaines semaines », a-t-elle indiqué.

ASSURANCES

Le réassureur SCOR refuse une offre de CovéaCovéa, le poids lourd de l’as-surance mutualiste (GMF, MAAF et MMA), a annoncé, mardi 4 septembre, avoir pro-posé un rapprochement au réassureur SCOR. Le groupe présidé par Denis Kessler a refusé. « Covéa prend acte du refus de SCOR d’entrer en dis-cussion en vue d’un rappro-chement amical au moyen d’une offre publique en numé-raire à 43 euros par action », indique le groupe, qui « réaf-firme néanmoins son intérêt pour une opération amicale avec SCOR ».

AGRICULTURE

L’UE veut régler le différend du bœuf aux hormones avec WashingtonLa Commission européenne veut entrer en discussion avec les Etats-Unis pour régler un contentieux sur le bœuf aux hormones améri-cain, a-t-elle annoncé, lundi 3 septembre. Pas question de

revenir sur son interdiction, mais il s’agit de voir si « une partie » du quota d’importa-tion de bœuf « de haute qua-lité » peut être « allouée aux Etats-Unis ». – (AFP.)

INDUSTRIE

Les Grands Moulins de Strasbourg en redressement judiciaireLe groupe Grands Moulins de Strasbourg a été placé, lundi 3 septembre, en redresse-ment judiciaire par le tribu-nal de grande instance de Strasbourg, a-t-on appris de source syndicale. – (Reuters.)

MÉDIAS

Natacha Polony devient directrice de la rédaction de « Marianne »La journaliste Natacha Polony va prendre la tête de la rédac-tion de Marianne, a indiqué l’hebdomadaire, lundi 3 sep-tembre. Le groupe de médias tchèque Czech Media Invest, qui a racheté le titre en juillet, a également annoncé l’arri-vée de Laurent Valdiguié, an-cien grand reporter au Jour-nal du dimanche et à Ebdo.

« Nous

n’accepterons

pas qu’il trahisse

le constat de

départ des Etats

généraux de

l’alimentation »

THIERRY ROQUEFEUIL

président de la FNPL

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 économie & entreprise | 5

L’Argentine de nouveau dans la tourmenteSur fond de chute du peso, le président de centre droit, Mauricio Macri, a annoncé, lundi, un plan d’austérité

buenos aires - correspondante

Les cantines populairessont débordées en Argen-tine. « Ceux qui y ont re-cours ne sont plus seule-

ment des enfants, mais des famille-sentières, les parents et jusqu’aux grands-parents », expliquait-on, lundi 3 septembre, au siège de l’or-ganisation sociale Barrios de Pie (Quartiers debout), à Avellaneda, faubourg pauvre de Buenos Aires.

« Le litre de lait a augmenté deprès de 30 % en un mois », se déses-père Rosa Cabral. Employée do-mestique, elle déjeune sur son lieude travail, mais elle doit désormaisenvoyer à la cantine populaire ses quatre enfants, ainsi que son mari,Jorge, qui a perdu une grande par-tie de son salaire. Sous le coup de la récession, l’usine métallurgiqueoù il est employé a réduit les ca-dences et, pour éviter des licencie-ments, les ouvriers ne travaillent plus qu’une semaine sur deux.

Selon des chiffres officiels, lepourcentage d’enfants pauvres at-teint 45 % de la population dans la grande banlieue de la capitale ar-gentine. Et dans tout le pays, la pauvreté a augmenté de 3 % au cours des derniers mois, touchant désormais quelque 33 % des 41 millions d’Argentins.

Grave crise monétaire

La classe moyenne n’est pas épar-gnée, avec le gel des salaires et des pensions, les hausses verti-gineuses des tarifs des services publics et des couvertures médi-cales privées. L’inflation dépas-sera 30 % cette année. La chute de la consommation est telle que de nombreux commerces et entre-prises ferment. Le géant améri-cain Walmart, a vendu une dou-zaine d’hypermarchés.

En seulement quelques jours, finaoût, la troisième économie d’Amérique latine a de nouveau plongé dans le marasme. Avec toujours le même scénario – peso en chute libre, explosion des prix,

licenciements massifs, turbulen-ces sociales –, auquel se greffe, sur le plan international, une hausse du dollar américain qui a fait tom-ber plusieurs pays émergents dans une grave crise monétaire.

Le 30 août, le peso a perdu 17 % desa valeur et, depuis janvier, la monnaie argentine s’est effondréede plus de 50 % face au dollar. Ce « jeudi noir », la banque centrale a dû relever en urgence son taux di-recteur à 60 %, pour tenter de frei-ner une hallucinante dégringo-lade de la monnaie.

Après un week-end agité de fré-nétiques réunions, le président de centre-droit, Mauricio Macri, a annoncé, lundi, dans un message enregistré, un plan d’austérité comprenant notamment la sup-pression de treize ministères sur vingt-trois – dont ceux de la santé et du travail, transformés en secré-tariats d’Etat – et une hausse des taxes à l’exportation.

« Cette crise n’est pas une crise deplus, elle doit être la dernière. Nous avons tout pour nous en sortir », a voulu rassurer le chef de l’Etat. « Nous allons demander leur con-tribution à ceux qui en ont la plus grande capacité : ceux qui expor-tent », a-t-il précisé, en référenceaux secteurs agricoles, énergéti-ques et miniers qui, en vendant endollars leurs productions à l’étran-ger, sont favorisés par la chute du peso. « Nous savons que c’est une mauvaise taxe, mais je vous de-mande de comprendre que c’est une urgence », a lancé le président argentin. Les riches exportateurs

agricoles et la puissante Union in-dustrielle argentine (UIA) ont ex-primé leur mécontentement.

Admettant que la pauvreté allaitaugmenter avec la forte dévalua-tion du peso, le président Macri a promis de « prendre soin des plus nécessiteux » avec « le renfor-cement des allocations, les pro-grammes alimentaires et le plafon-nement du prix de certains pro-duits de base ». Des promesses qui ont été rejetées, lundi, par les mouvements sociaux, qui ont ap-pelé à de nouvelles protestations.

Récemment, des concerts de cas-seroles ont retenti à Buenos Aires et dans plusieurs autres grandes villes du pays, réveillant les vieux démons du tragique effondre-

ment financier de 2001. Des dizai-nes de milliers de professeurs et d’étudiants ont aussi protesté dans la capitale contre les réduc-tions budgétaires imposées aux universités publiques. En grève de-puis plus d’un mois, les profes-seurs des cinquante-sept universi-tés publiques réclament une reva-lorisation de leurs salaires.

Dans ce climat d’extrême incer-titude, le ministre de l’écono-mie, Nicolas Dujovne, s’est rendu à Washington, mardi, pour sollici-ter auprès du Fonds monétaire in-ternational (FMI) une accélération des versements du prêt de 43 mil-liards d’euros accordé en juin. Un premier versement de 13 milliards de dollars a déjà été effectué, mais

il s’est révélé insuffisant pour équilibrer les comptes de l’Etat.

Depuis son arrivée au pouvoiren décembre 2015, le gouverne-ment Macri a réduit de 6 % à 3,9 % du produit intérieur brut (PIB) le déficit budgétaire. Le nouvel ob-jectif est de parvenir à l’équilibre dès 2019. « L’unique manière de construire un pays stable et d’éradi-quer la pauvreté est d’assainir nos comptes publics », a affirmé M. Du-jovne, reconnaissant que « des er-reurs » avaient été commises.

Le plan d’austérité a été mal ac-cueilli par l’opposition, qui repro-che au gouvernement un manquede dialogue et une réaction tar-dive, voire une incompétence face à une tempête que l’on voyait ve-

nir. « La récession va être impres-sionnante », a prédit Agustin Rossi,chef du bloc péroniste à la Cham-bre des députés.

Le temps presse pour le prési-dent Macri, qui n’a pu tenir ses promesses électorales : « la pau-vreté zéro » en Argentine et un af-flux massif d’investissements étrangers dans les infrastructures et l’énergie, afin d’alimenter la croissance et de créer des emplois. A un an de la présidentielle d’octo-bre 2019, sa popularité est en baisse, alors que l’opposition reste divisée. La CGT, principale centralesyndicale du pays, a appelé à une grève générale de vingt-quatre heures, le 25 septembre. p

christine legrand

Pour la première fois, Free perd des abonnésAu premier semestre, l’opérateur télécoms a perdu 70 000 clients dans le mobile et 47 000 dans le fixe. Il mise sur sa nouvelle Freebox

M auvaise passe pourFree (dont Xavier Niel,le fondateur, est ac-

tionnaire du Monde à titre person-nel). L’opérateur télécoms a perdu 70 000 clients dans le mobile et 47 000 dans le fixe, au premier se-mestre. A la même époque en 2017, Free gagnait un million de clients dans le mobile et plus de 200 000 dans le fixe.

Par conséquent, le chiffre d’affai-res du groupe est stable, à 2,4 mil-liards d’euros, quand il progressaitencore de plus de 7 % il y a un an. Même si la rentabilité des activitésfrançaises est toujours en hausse de 2,2 %, à 894 millions d’euros, là aussi, le ralentissement est sensi-ble par rapport au gain de 8,2 % d’ily a un an.

« Pour la première fois, nousavons perdu des abonnés. Mais nous avons su réagir très vite fin juin et mettre en place des mesures adéquates. Nous avons vu les pre-miers résultats sur juillet et août, oùnous avons regagné des clients. Je suis persuadé que nous sommes audébut d’un nouveau cycle de crois-sance », assure Thomas Reynaud, le directeur général d’Iliad, la mai-son mère de Free.

Depuis juin, Free a revu sa politi-que de promotion, jusque-là cir-conscrite au site Vente-privee. Il a

ajouté une nouvelle offre mobile. L’opérateur assure en outre qu’il a perdu des abonnés mobile uni-quement sur ses offres à 0 et 2 euros, et qu’il dispose de 500 000abonnés 4G supplémentaires, plus rémunérateurs. Pour se rat-traper, le dernier-né des opéra-teurs mobiles français mise sur sa nouvelle Freebox, qui devrait être lancée ces prochaines semaines. Pour mémoire, la Freebox Revolu-tion date de décembre 2010.

Pris en étau

Même si le groupe s’est bien gardé de donner une date de lancement, voilà des mois que cette nouvelle box se fait attendre. M. Niel a justi-fié ces délais par la nécessité de lancer un produit parfait, capable d’avoir un « effet waouh ! » sur les clients, notamment les jeunes. Se-lon la presse spécialisée, qui se fonde sur les brevets déposés par l’entreprise, de nouvelles fonc-tionnalités pourraient voir le jour, comme la capacité pour la box de diffuser sans fil de la musique et des vidéos sur plusieurs appareils à la fois.

« Nous pensons qu’Iliad a unechance de retrouver de l’attractivitécommerciale en septembre avec cette nouvelle box et une nouvelle grille tarifaire », estime Stéphane

Beyazian, analyste chez RaymondJames, dans une note.

Cela sera-t-il suffisant ? Pour sesconcurrents, Free doit remettre encause un modèle qui se grippe. Longtemps, il s’est appuyé sur des offres à prix cassé dans le mobile pour attirer des clients dans l’In-ternet fixe, sa vache à lait. Depuis, les concurrents ont redoublé d’agressivité dans le mobile, en particulier SFR, avec des offres « à vie » à 5 euros pour 30 gigas de données.

Dans le fixe, Free est pris en étauentre Bouygues Telecom, qui casse les prix de l’ADSL, et Orange, qui regagne des clients grâce à sonavance dans la fibre. Pour sortir par le haut, l’opérateur a décidé de miser lui aussi sur la fibre et dé-ploie son réseau aussi vite qu’il le peut. Il compte désormais 7,9 mil-lions de prises raccordables. « Nous sommes le premier réseau alternatif », vante-t-il.

Sur le front des bonnes nouvel-les, Free a gagné 1,5 million d’abonnés mobile en Italie où il s’est lancé en mai. Le prix de l’abonnement, fixé au départ à 5,99 euros, a même été revu à la hausse de 1 euro. « Nous avons un taux de notoriété de 60 % », se féli-cite M. Reynaud. p

sandrine cassini

Le président argentin, Mauricio Macri, à Buenos Aires, lors de son allocution télévisée, le 3 septembre. HO/AFP

Parmi les mesures

annoncées,

la suppression

de 13 ministères

sur 23 et la hausse

des taxes

à l’exportation

Le quotidien d’extrême droite « Présent » tente d’éviter la faillite

P résent, le seul quotidien d’extrêmedroite en France, va-t-il disparaître ?« Si on surmonte les difficultés actuel-

les… Présent est increvable », assure Francis Bergeron, son patron. Mais dans l’immédiat, alors même que l’extrême droite obtient des scores électoraux spectaculaires en Europe, lapublication fondée en 1982 par un petit groupe de catholiques traditionalistes se trouve en péril. Déficitaire, menacé de dépôt de bilan, le journal « patriote et catholique » vient d’appeler les juges à la rescousse.

A la demande de ses dirigeants, la société édi-trice a été placée en sauvegarde par le tribunal de commerce de Paris le 8 août. Cette procé-dure permet à la PME d’échapper provisoire-ment à ses créanciers, qui ne peuvent plus exi-ger le remboursement des dettes. « C’est une démarche d’anticipation, on gèle le passif avant d’en arriver à une possible cessation des paie-ments », explique un juriste. Une affaire d’idées, de personnes et d’argent à la fois.

Virage raté sur le Web

L’origine des turbulences remonte à 2014. Pré-sent traverse à l’époque une grave crise. Alors que les pertes s’accumulent, une partie de l’équipe historique quitte la maison. Six rédac-teurs attaquent le journal aux prud’hommes. Certains invoquent un changement de ligne éditoriale, qui glisse du traditionalisme catho-lique vers un soutien plus marqué au FN.

Quatre ans plus tard, la justice a commencé àtrancher. Un premier journaliste, Rémi Fon-taine, a obtenu gain de cause. Cinq autres déci-sions sont attendues sous peu. A la clé, une fac-ture qui pourrait être élevée. « Le seul licencie-ment de Rémi Fontaine, qui était là depuis le pre-mier numéro, risque de nous coûter 212 000 euros, évalue M. Bergeron, une figure de l’extrême droite. Si nous avions dû verser cela d’un coup, c’était la liquidation assurée

pour un petit journal comme le nôtre. » Surtout avec les prélèvements exceptionnels effectués par la société de distribution en kiosque Press-talis, elle-même sur la corde raide. La direction a donc choisi d’agir pour bloquer les dettes, puis les renégocier, avec l’appui d’un adminis-trateur judiciaire.

L’affaire révèle la fragilité de Présent, un jour-nal militant qui a réalisé seulement 914 000 euros de chiffre d’affaires en 2017, avecune perte nette d’un peu plus de 10 % du total. Le quotidien s’appuie sur quelques milliers de lecteurs fidèles, parfois depuis la création. Maisce petit noyau dur s’étiole. Tandis que l’hebdoma-daire Valeurs actuelles et les sites Causeur ou Boule-vard Voltaire s’imposaient dans le débat à droite, « nous avons un peu raté le développement d’Internet, notre site reste très peu uti-lisé », admet M. Bergeron.

Devenu cogérant en mai,après avoir pris sa retraite du groupe de services dont il était directeur des res-sources humaines, M. Ber-geron a lancé un SOS aux lecteurs et regonflé ainsi la trésorerie grâce à « 257 000 euros de dons ». Il entend surtout relancer le titre, « lui donner une tournure moins “bulletin parois-sial” », notamment en misant sur Internet. En-core faut-il régler au préalable l’addition desprud’hommes, pour que Présent ne subissepas le même sort que le bimensuel L’Action française, qui a cessé de paraître en février. « Dequelque façon qu’on s’y prenne, c’est l’argent quifait le pouvoir en démocratie, écrivait déjà Char-les Maurras, figure tutélaire de la droite natio-naliste. Pas d’argent, pas de journaux. » p

denis cosnard

UN JOURNALISTE A OBTENU GAIN DE CAUSE AUX PRUD’HOMMES, CINQ AUTRES DÉCISIONS SONT ATTENDUES

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6 |campus MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018

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Les grandes écoles françaises sur la route de l’IndeA Madras, l’Institut catholique des arts et métiers forme depuis 2010 des ingénieurs multiculturels

madras (inde) - envoyé spécial

Ils sont arrivés début juilletavec leur bagage d’ingénuitéet de candeur sur le dos, defantasme humanitaire aussi,

à propos de cette Inde que la plu-part d’entre eux découvraient pour la première fois. Clément,Martin, Solène, Théophile et Na-than ont franchi les grilles du prestigieux Loyola College, enplein cœur de Madras (Chennai,capitale de l’Etat du Tamil Nadu,au sud-est de l’Inde), surpris dedécouvrir dans cette métropole de 7 millions d’habitants, qu’ilsavaient imaginée miséreuse, le campus verdoyant dont les jésui-tes prennent soin depuis bientôtun siècle.

D’abord, ils ont été secoués. « Ensortant de l’avion, on s’est retrou-vés dans une chaleur et une humi-dité de dingue, avec des klaxons en continu. On a aussitôt démarré les cours en anglais mais on ne com-prenait pas grand-chose, à cause de l’accent », raconte Clément. Pour Martin, c’est l’accueil qui s’est révélé le plus étonnant : « On découvre un désastre écologique à chaque coin de rue [ordures, égouts à ciel ouvert…] mais bizar-rement, on se sent bien, parce que tous les gens qu’on rencontre nous tendent les bras. » Seules difficul-tés : l’obtention du visa et la pape-rasse à régler à l’arrivée. « On ap-prend à être patient », sourit l’étu-diant. Solène, elle, est frappée par « les codes de bonne conduite » qu’il faut se dépêcher d’assimiler dans les familles qui les ac-cueillent. « C’est un tourbillon, dit-elle, d’autant qu’on n’a pas eu de vacances. A la fin on aura des exa-mens, un stage, et seulement après,trois semaines de voyage décou-verte dans le pays. »

Car ces étudiants de 19 ans nesont pas là pour le tourisme. Ils en-tament leur deuxième année à l’Institut catholique des arts et métiers (ICAM), une grande écoled’ingénieurs créée en 1898 à Lille. Ils sont une quinzaine à avoir choisi cette année l’Inde pour y ef-fectuer leur premier semestre. S’ils paraissent exaltés à l’idée d’al-ler prêter main-forte, chaque jeudi, à une ONG, c’est d’abord pour enrichir leur formation d’in-génieur qu’ils sont là.

Ingénieurs généralistes

Voilà huit ans que leur école, qui ades antennes au Congo, au Came-roun et qui ambitionne de s’ins-taller en 2020 à Recife, au Brésil, a posé ses valises à Madras. Elle y a monté de toutes pièces le Loyola ICAM College of Engineering andTechnology (Licet), un établisse-ment destiné à faire infuser dans ce bout d’Asie le concept d’ingé-nieur généraliste à la française.Au Licet, les études durent quatre ans et aboutissent à un « bachelorof engineering » – un diplômed’ingénieur.

« Auparavant, les grandes écolesde l’Hexagone se démenaient pour attirer un maximum d’étudiants étrangers en France, pour les clas-sements mondiaux, la renommée et les revenus financiers, souligne Nicolas Juhel, directeur du pro-gramme d’ingénierie du Licet.Aujourd’hui, certaines écoles cher-

chent également à former des ingé-nieurs multiculturels avec des par-tenaires locaux. En Inde, nous avons été les pionniers et notre am-bition est encore plus large, puis-que nous formons des ingénieurs appelés à devenir dirigeants. » Dans chaque promotion, « ungroupe d’étudiants indiens et fran-çais partagera trois années de for-mation dans les deux pays », pré-cise l’ICAM en France.

Le campus de Madras offre unhavre si plaisant qu’il fait oublier les affres de l’agglomération envi-ronnante. Passé l’édifice pom-peux d’origine, inauguré en 1925, une longue allée bordée d’arbres ashoka mène à une église au clo-cher pointu. Derrière s’étend le terrain de cricket. Et plus loin en-core, le bâtiment de quatre étages du Licet, érigé en 2010.

« Les jésuites de la région en sontpropriétaires mais l’investisse-ment, qui s’élevait à 7 millions d’euros, a été financé pour moitié par l’ICAM, précise Marc Genuyt,qui a participé au lancement du Li-cet. C’est nous, ensuite, qui avons développé le contenu pédagogi-que, avec le souci de couvrir nos syl-labus habituels en mécanique, élec-tronique, génie électrique, infor-matique et technologies de l’infor-mation. » Si les laïques prennent des responsabilités, ce sont les prêtres qui tiennent la maison, comme nous le signifie le père Francis Jayapathi, recteur du Loyola College, établissement privé comprenant 19 filières pour10 000 étudiants – sous tutelle de l’université publique de Madras.

« Notre projet d’école d’ingé-nieurs est né en 2000, lorsque nous

avons commencé à observer un boom de la demande chez les étu-diants. Nous n’avions pas d’expé-rience, alors nous avons fait le tour du monde pour trouver un parte-naire », explique Francis Jayapathi.Principal défi : la pratique. « Les in-génieurs sont censés résoudre des problèmes, sauf en Inde, où ils ap-prennent des tas de théories sur la résistance des matériaux et les for-mules chimiques. Résultat, à la sor-tie de l’école, ils ne savent rien faire », soupire le recteur.

Le Licet est ainsi obsédé par l’em-ployabilité de ses 1 600 étudiants (dont près de la moitié sont desfemmes) et par les stages, encore rares dans le pays. Vincent, 30 ans,est arrivé sur place dans le cadre d’un volontariat de solidarité in-ternationale (VSI). Son rôle est de « démarcher les acteurs du secteur

automobile qui font de Madras “le Detroit de l’Inde”, comme Renault, PSA, Faurecia ou Valeo ». Mais aussi les groupes français Le-grand, Saint-Gobain, Alstom, Sa-fran, ou les indiens Infosys et Tata Consultancy Services.

« Les entreprises sont nombreu-ses à être intéressées par nos for-mations », affirme Prabhu Shan-kar, un Indien passé par le campusde Lille de l’ICAM, qui enseigne aujourd’hui la gestion de projet auLicet. Une matière qui, selon lui, « n’existe dans aucune autre écoled’ingénieurs en Inde ». Certaines firmes font des dons, comme ces moteurs, ces rickshaws (tricyclesmotorisés) et ces voitures que l’on aperçoit dans les ateliers de tra-vaux pratiques. D’autres aident aufinancement de la scolarité : 2 lakhs par an (2 430 euros).

« Partage » et « sensibilisation »

Devant une table de montage oùl’un de ses camarades met la der-nière main à un véhicule de course destiné à une compétition prochaine, Ravivasma se félicite d’apprendre « beaucoup sur le plan technologique » et sur « la fa-çon d’aborder un entretien d’em-bauche ». A Madras, le parcoursouvert, nouvelle formation « cross-culturelle » de l’ICAM ba-sée sur des pédagogies innovan-tes, ne sera lancé qu’en septem-bre 2019 – le temps de convaincre les religieux de sa faisabilité.

En attendant, Rémy, jeune di-plômé parisien et volontaire lui aussi, est en train d’implanter ici le« fablab » qu’il a découvert sur le campus ICAM de Sénart (Ile-de-France). « L’idée, c’est de partager les connaissances de manière mul-tidisciplinaire et de sensibiliser àl’innovation, grâce à la mise enœuvre rapide de prototypes », ex-plique-t-il, citant en exemples une éolienne, une chaise roulante élec-trique et un hovercraft développésà l’aide d’une imprimante 3D. Desprojets qui ne sont pas forcément accessibles à tous : dans leurs critè-res d’admission au Licet, les jésui-tes ont établi des quotas en faveur des étudiants chrétiens et des in-touchables, les hindous exclus du système des castes. p

guillaume delacroix

FABRICE PELLÉ

« Notre projet

d’école

d’ingénieurs

est né en 2000.

Nous n’avions

pas d’expérience,

alors nous avons

fait le tour

du monde

pour trouver

un partenaire »

FRANCIS JAYAPATHI

recteur du Loyola College

comme la france des années 1970, l’Inde est aujourd’hui confrontée à la saturation de son enseigne-ment supérieur. « Une classe d’âge, c’est 22 millions de personnes : il y a forcément un problème de places à l’uni-versité et les campus poussent comme des champi-gnons », observe Sinnou David, professeur à la Sor-bonne, à Paris, et chercheur au CNRS, à Madras (Inde).

Lors de son passage à Delhi, en mars, Emmanuel Ma-cron a formé un double vœu. « Nous accueillons aujourd’hui cinq mille étudiants indiens en France. L’ex-cellence et l’attractivité de notre enseignement supérieur doivent nous permettre de doubler ce chiffre d’ici à2020 », a déclaré le président de la République, avant d’ajouter : « Je veux que les étudiants français aillent aussià la découverte de l’Inde. » De son côté, le premier minis-tre indien, Narendra Modi, a lancé, en juillet, un label, « Institute of Eminence », dans l’espoir d’obtenir enfin une reconnaissance internationale pour les meilleuresécoles du pays. En parallèle, son gouvernement favorisel’installation d’établissements étrangers en Inde, en es-sayant de simplifier les questions de partage des ris-ques, de convergence des diplômes et de respect desdroits de propriété intellectuelle.

« Les universités sont trop grosses et, depuis des décen-nies, les enseignants ne font plus de recherche. D’où l’émergence de grandes écoles à taille humaine qui res-semblent au modèle français », remarque Sinnou David. A ce stade, les enseignes hexagonales implantées dans le pays n’en sont qu’à leurs balbutiements. L’ICAM (Ins-titut catholique d’arts et métiers) a ouvert le bal en 2010,en créant une antenne sur le campus du Loyola College de Madras. CentraleSupélec a suivi en 2014 à Hyderabad(Telangana), en association avec le constructeur auto-mobile indien Mahindra. « C’est un partenariat acadé-mique qui nous permet de former actuellement un millierd’étudiants. Les meilleurs font deux ans supplémentaires en France à la fin de leur cursus de quatre ans », préciseYajulu Medury, directeur de Mahindra Ecole centrale.

Repenser les relations après le Brexit

Dans quelques semaines, ce sera au tour de l’école de commerce EMLyon d’accueillir sa première promotion indienne, à l’université Xavier de Bhubaneswar (Odisha). « Secouée par le Brexit, l’Inde est désireuse detrouver de nouveaux ancrages en Europe, souligne son directeur général, Bernard Belletante. Dans dix ou

quinze ans, nos étudiants, quel que soit leur pays d’ori-gine, pourront commencer leur scolarité à Casablanca, lapoursuivre à Shanghaï et la finir à Bhubaneswar. »

D’autres enseignes sont en train de nouer des parte-nariats locaux, telles les ENS (écoles normales supérieu-res) de Paris, Saclay, Lyon et Rennes, Télécom Bretagne,Sciences Po Paris, l’école hôtelière Le Cordon bleu… C’estaussi le cas de Rennes School of Business, qui, en liaisonavec plusieurs écoles de commerce indiennes certifiéesAACSB ou Equis, pratique des échanges de professeurs et accueillera à la rentrée cent étudiants indiens, contre quarante l’an dernier. « Ce sont nos masters en finance internationale et en analyse de données qui les attirent leplus », déclare le directeur, Thomas Froehlicher.

Sur les deux cents accords entre écoles françaises etindiennes déjà recensés, tous ne sont toutefois pas cou-ronnés de succès. Début août, le campus flamboyantdes écoles Rubika (Institut supérieur du design, Supin-focom et Supinfogame) de Pune, près de Bombay (trois cents étudiants), a mis la clé sous la porte, à la suite del’arrestation pour détournement de fonds de son parte-naire local, le promoteur immobilier Kulkarni. p

gu. d.

Les partenariats entre les deux pays se multiplient

« La volonté d’engagement reste bien présente au sein de la jeunesse »EUNICE MANGADO-LUNETTA, directrice des programmes de l’AFEVDans un entretien à la Lettre de l’éducation du Monde, Eunice Mangado-Lunetta souligne que le soutien scolaire assuré par les étudiants mobilisés par l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV) « contribue à donner un sens à l’école en permettant à l’élève de se projeter plus loin dans son parcours scolaire et d’envisager la possibilité d’études supérieures ».

JANVIER 2020Les concours Acces, Sésame et Link

rejoindront Parcoursup

Le ministère de l’enseignement supérieur a accepté que les quinze écoles de commerce relevant de ces concours (Essec, Kedge, Neoma, EM Normandie, ESC La Rochelle, ESC Troyes, Iéseg, IPAG…) intègrent le dispositif d’admission postbac. « Les écoles devront se conformer à la charte Parcoursup en transmettant à la DGESIP leurs demandes de modification de règlement pédagogique », précise le ministère.

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Laurent Gutmann nommé directeur de l’Ensatt

Le metteur en scène, lauréat en 2002 du concours de la Villa Médicis hors les murs et titulaire d’une maîtrise de sciences politiques et d’un DEA de philosophie, a été directeur du Théâtre populaire de Lorraine (Centre dramatique national depuis 2009). Il est nommé pour cinq ans à la tête de l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt), créée en 1941 à Paris et installée à Lyon, depuis 1997, au sein de la Comue-Lyon-II. L’Ensatt enseigne l’ensemble des métiers de la scène à quelque 200 étudiants ainsi qu’à environ 70 profes-sionnels en formation continue.

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0123MERCREDI 5 SEPTEMBRE 2018 idées | 7

Par FLORETTE EYMENIER

O n ne compterait actuellement que33 % de femmes dans les métiers dunumérique, selon les chiffres 2016

de Syntec, la fédération des syndicats profes-sionnels spécialisés dans les professions de l’ingénierie, du numérique, des études et duconseil, de la formation professionnelle et de l’événementiel. Et qui plus est, dans ces 33 %, il existe une surreprésentation dans lesfonctions de support comme la communi-cation ou le marketing, au détriment bien évidemment des filières purement techno-logiques (développement, cybersécurité, in-telligence artificielle…).

Les chiffres apparaissent têtus : les fem-mes ne sont que 27 % en écoles d’ingénieurset seulement 9 % à diriger une start-up. La première explication à ce phénomène est l’absence presque totale de modèles fémi-nins forts auxquels s’identifier.

Lorsque l’on regarde le secteur du numéri-que, quelles sont les femmes suffisamment visibles pour encourager et faire naître des vocations ? Ce manque de représentativité, outre qu’il témoigne de stéréotypes d’un autre temps, entraîne une méconnaissance des nouveaux métiers auxquels cette popu-

Par EMMANUEL COMBET

Le départ de Nicolas Hulot a poséfortement la question d’une actioncollective à la hauteur des défisenvironnementaux : une action

qui reflète un projet de société plus que desintérêts particuliers.

Le problème soulevé n’est pas technique :on sait comment produire des énergies re-nouvelables, améliorer l’efficacité énergéti-que des équipements, rénover nos bâti-ments. La réalisation de ces changements profonds pose surtout des questions de co-hérence et de démocratie : comment un projet de société peut-il articuler la préser-vation de l’environnement avec nos autrespriorités – la promotion de l’économie fran-çaise, la lutte contre le chômage, la pauvretéet les inégalités, le financement de la protec-tion sociale, la maîtrise des déficits ?

Michel Rocard était conscient de la natureréelle de l’enjeu lorsque, en 2009, il concluait son rapport sur la « contribution climat et énergie » (la taxe carbone) par laformule « les clés de l’acceptabilité ». Il soute-nait que la hausse de la fiscalité énergétique– perçue à tort comme une mesure margi-nale – engage une réforme d’ensemble desfinances publiques et un projet de dévelop-pement ; et qu’en conséquence, les condi-tions de consensus, de diffusion des con-naissances, de décision collective, doivent être prises en charge sérieusement.

Comment rendre acceptable une fiscalité carbone ?L’économiste Emmanuel Combet expose les « clés de l’acceptabilité » d’une politique qui concilierait les urgences climatiques, sociales et budgétaires

Aidons les perdants de la transition énergétiqueLa mise en œuvre d’une vraie politique environnementale suppose de financer l’adaptation de ceux qui en seront les victimes, estime l’ancien élu écologiste Christian Brodhag

Il nous faut des « Digital Queen Bees »Membre du Conseil national du numérique, Florette Eymenier déplore l’absence de modèles féminins forts dans les métiers de la tech

La stratégie d’évolution des finances publi-ques doit être étudiée au regard de l’ensem-ble des grands enjeux environnementaux,sociaux et économiques du XXIe siècle, encessant de les opposer. Une délibération générale et pérenne est nécessaire pouridentifier les meilleurs compromis, maisaussi pour éviter que les arbitrages princi-paux ne s’opèrent ailleurs, dans des jeux opaques de lobbying. Il faut poursuivre l’ini-tiative de Nicolas Hulot en donnant des ba-ses solides à un « pacte fiscal pour le climat ».

La bonne nouvelle est qu’un redéploie-ment des finances publiques adossé à un« verdissement » de la fiscalité peut répon-dre aux autres priorités sociales et économi-ques car, bien conçu, il serait favorable à no-tre économie tout en opérant une redistri-bution des richesses. Le renchérissement del’énergie créerait des débouchés pour les ac-tivités françaises qui se concentrent sur les chantiers de l’efficacité énergétique et l’in-dépendance vis-à-vis des énergies fossiles,tout en réduisant la facture pétrolière. Lesrecettes de la fiscalité carbone seraient dis-ponibles pour compenser la hausse des coûts de production et la baisse du pouvoird’achat. Leur redistribution ciblée offrirait une aide transitoire aux plus vulnérables.

CLOISONNEMENT DES DISCUSSIONS

On mettrait ainsi fin à une politique contre-productive : d’un côté, une fiscalité énergéti-que globalement stable depuis les années 1960, alors que d’importants potentiels d’ef-ficacité énergétique restent à exploiter ;de l’autre, des cotisations sociales multi-pliées par six, alors que les chômeurs sont sept fois plus nombreux. Ces dernières an-nées, la volonté de s’accorder sur le bon usage des recettes carbone et l’équilibre des finances publiques a trop souvent été inhi-bée par le cloisonnement des discussions.En 2009, par exemple, la suppression de la taxe professionnelle – qu’il fallait financer – était annoncée en janvier, alors que la contribution climat-énergie et l’usage de sesrecettes étaient discutés en juillet, et le fi-nancement des retraites et le projet de loi definances l’ont été à l’automne…

Cette segmentation des débats nuit àl’émergence d’un projet de société en oppo-sant l’environnement et la question sociale.Pourtant, aujourd’hui, une heure de travail payée au smic suffit à financer l’essence pour parcourir 100 km. Il en fallait sixen 1960. Le coût de ces 100 km a donc été ré-duit de 20 %. En revanche, un logement an-cien en centre-ville coûte aujourd’hui septfois plus cher qu’alors. La baisse du prix dela mobilité, longtemps vécue comme un

progrès social, est devenue un piège pour les défavorisés, pour la qualité de l’air etpour le climat. Un piège pour ceux qui ont des horaires atypiques, qui vivent hors descentres-villes ; pour les agriculteurs, les routiers, les pêcheurs, dont le mode de vierepose encore sur l’usage quotidien des énergies fossiles.

Il y aurait bien sûr une hausse des facturesd’énergies fossiles, mais à la différence d’unchoc pétrolier, l’argent resterait en France etne financerait pas la rente des pays exporta-teurs – entre 2000 et 2010, la part de nos re-venus qui y était consacrée a doublé. Lacontribution de cette fiscalité carbone au budget public et aux dépenses sociales se-rait moins supportée par les salaires et da-vantage par les revenus financiers et immo-biliers des plus aisés, ceux qui consommentle plus d’énergie.

La réalisation de ce projet rencontre desdifficultés qu’il faut prendre au sérieux et anticiper. La taxe carbone est passée de 7 euros par tonne de CO2 en 2014 à 39 euros en 2018, mais la brusque division par deux du prix de baril, en 2015, a plus que com-pensé cette hausse. Les baisses de factures ont alors été perçues comme une bonne nouvelle. Le résultat a cependant été un ac-croissement des émissions de C02 et de la dé-pendance aux énergies fossiles. Avec la pour-suite probable de la hausse du prix du baril,et celle programmée de la taxe carbone, on entend déjà ressurgir les accusations d’éro-sion du pouvoir d’achat à plus long terme.

Des compensations transitoires sont pos-sibles et nécessaires, mais ne suffiront paspour refonder un contrat social de transi-tion énergétique. Les moyens alloués auxcollectivités territoriales, aux négociationssociales et salariales, aux accords de bran-ches, sont tout autant requis pour réduireles difficultés des plus modestes et opérerune transition juste. C’est par l’exigence etla volonté de casser les barrières entre la fis-calité, les prélèvements obligatoires, les po-litiques budgétaires et les négociations col-lectives qu’on ira au-delà des « petits pas ». p

Par CHRISTIAN BRODHAG

L a canicule mondiale, la pro-lifération des incendies, lestensions sur les ressources

en eau ou l’anticipation des pério-des de vendange ont rendu tangi-ble la question du changement climatique auprès de l’opinion pu-blique. De nombreux commentai-res dans les médias ont noté l’iné-vitable augmentation de la tempé-rature et donc la nécessité de l’adaptation, tout en oubliant l’im-périeuse nécessité de diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Comme le disait Nicolas Hulot en annonçant sa démission, on ne peut pas se limiter à des petits pas.

L’inertie des phénomènes clima-tiques fait que, même si l’on ces-sait d’émettre des gaz à effet de serre aujourd’hui, la température et le niveau des mers augmente-raient. Mais réduire les émissions aujourd’hui limitera les effets et l’importance de ces phénomènes. L’accord de Paris avait pour ambi-tion de limiter cette augmentationà un niveau acceptable de 2 °C, voire 1,5 °C. Nous sommes loin detenir ce cap.

Dans le même temps, les mêmesmédias s’inquiètent de l’impact économique de l’augmentation du prix du pétrole, relayant les plaintes des automobilistes contreles hausses des prix du carburant, mais sans établir de lien avec les changements climatiques. Or, pour rester dans la limite des 2 °C, il ne faudrait consommer qu’un tiers des réserves prouvées de combustibles fossiles d’ici à 2050, selon l’Agence internationale de l’énergie (World Energy Outlook, 2012). Contrairement aux idées re-çues, il n’y a pas de problème de limite des ressources fossiles. C’estla capacité de l’atmosphère à absorber le CO2 dégagé par leur combustion qui est limitée.

Maintenir dans le sol les deuxtiers des réserves identifiées et économiquement exploitables semble impossible pour des éco-nomies « shootées » au pétrole. La dynamique apportée par l’exploi-tation des gaz de schiste et le retour des Etats-Unis comme producteur de pétrole et de char-bon grâce au négationnisme cli-matique de Donald Trump sont là pour le démontrer.

SOLUTIONS AMBITIEUSES

La transition vers une économie zéro carbone ne pourra passer quepar la diffusion massive d’innova-tions techniques et sociales et par une gestion raisonnée de la « des-truction créatrice » qui accompa-gnera inévitablement cette transi-tion. Il s’agit, d’un côté, de maximi-ser la valeur créée par la transition et, de l’autre, de compenser les pertes en reconvertissant les per-dants. Il ne s’agit pas de relancer le charbon, mais pas non plus d’ignorer la détresse des tra-vailleurs du charbon et des régions minières. Depuis le Som-met de la Terre de Rio en 1992, une des conditions mises au dévelop-pement durable est l’élimination des modes de production et de consommation non durables. Mais elle est restée lettre morte.

Cette transition doit s’appuyersur deux volets : informer sur lessolutions, financer les acteurs,mais aussi les perdants, de latransition.

L’accès aux connaissances surles meilleures solutions, la forma-tion des professionnels et des déci-

deurs (les élus notamment) cons-tituent un volet essentiel relative-ment peu coûteux, qui reste pour-tant négligé par les politiques mises en œuvre. Il existe en effet de nombreuses solutions énergé-tiques innovantes déjà rentables.

Mais l’adoption de solutionsencore plus ambitieuses ne sera possible qu’en augmentant le prix du carbone. Or la surabondance pétrolière nous expose, sur le long terme, au maintien du pétrole à unprix peu élevé. Aujourd’hui, le prixpayé par les consommateurs est la somme des coûts de production, de la rente minière du pays pro-ducteur et de la rente fiscale des pays consommateurs (TIPP et taxecarbone en France).

« ACCORD DE LA LIGNE VERTE »

La régulation mondiale du climat et la diminution de l’usage des énergies fossiles passent par l’aug-mentation régulière du prix des combustibles d’origine fossile, et donc par une négociation sur le partage et l’affectation de la rente ainsi créée.

Il faut consacrer ces rentes à troisobjets. Les deux premiers sont déjà inscrits dans les textes inter-nationaux et les objectifs du fondscarbone : « l’atténuation », c’est-à-dire les investissements permet-tant de diminuer les émissions et d’adapter économies et infrastruc-tures au changement climatique. Une troisième partie devrait être consacrée à l’accompagnement à la reconversion des victimes (pays,régions, entreprises, individus…) de la destruction créatrice qui accompagne cette transition.

Il paraît impossible de mettre enplace ce système dans l’ensemble des pays. Mais il pourrait l’être dans le cadre d’un accord multila-téral, que l’on pourrait appeler « accord de la ligne verte ». D’un côté, les pays qui adoptent ce sys-tème de compensation, de l’autre, ceux qui refusent cette régulation du carbone, et dont les produits seront taxés. Une taxe aux frontiè-res de l’Europe avait été inscrite dans la stratégie française de déve-loppement durable en 2007, mais elle n’a jamais été portée par les gouvernements suivants.

Cette politique doit être conçuecomme une approche apte à facili-ter la transition. Une prime aux premiers entrants pourrait facili-ter la mise en œuvre. En investis-sant massivement dans les alter-natives aux combustibles fossiles, on pourra découpler le développe-ment économique et social de sa pression sur l’environnement. p

¶Christian Brodhag est pré-sident de « Construction 21 », média social international consacré à la construction et à la ville durables. Il a été délégué interministériel au développement durable de 2004 à 2008.

UN REDÉPLOIEMENT DES FINANCES

PUBLIQUES ADOSSÉ À UN « VERDISSEMENT »

DE LA FINANCE PEUT RÉPONDRE AUX AUTRES

PRIORITÉS SOCIALES ET ÉCONOMIQUES

LA TRANSITION VERS UNE ÉCONOMIE ZÉRO CARBONE NE POURRA PASSER QUE PAR LA DIFFUSION MASSIVE

D’INNOVATIONS TECHNIQUES ET SOCIALES

lation peut pourtant légitimement préten-dre. Dès lors que l’on constate, auprès de ce public féminin, un manque de notoriété comme d’information sur les carrières pos-sibles, comment voulez-vous que les jeunesfilles parviennent à se projeter ?

Quand il s’agit pour les jeunes femmes dechoisir une orientation, force est de consta-ter que les opportunités offertes par la tran-sition numérique sont insuffisamment va-lorisées. Et je ne parle pas là uniquement desmétiers de la tech, mais également des com-pétences numériques, qui interviennent de façon grandissante dans nombre de profes-sions. Les besoins, en l’espèce, sont devenustotalement transversaux.

MULTIPLIER LES ACTIONS

Pour remédier à cette situation, il faut créer des événements, provoquer des rencontres, afin d’accompagner une féminisation sou-haitable de l’économie de demain. Cetteévolution est souhaitable, car elle permettrade changer durablement un modèle de so-ciété qui a vécu. Il nous faut encourager la formation de « Digital Queen Bees », ambas-sadrices capables d’aller porter la bonne pa-role du numérique dans les collèges et les ly-cées afin de susciter des vocations.

Le métier de développeur, entre autres,demeure en tension. Récemment, j’ai ren-contré un chef d’entreprise spécialisé dans l’UX design (expérience utilisateur) qui se déclarait prêt à offrir un excellent salaire àla personne (homme ou femme) qui possé-derait trois ans d’expérience dans ce do-maine de compétence. En vain. Cela n’a pasété possible pour lui de trouver le profilqu’il recherchait.

Il faut absolument que le numérique de-vienne une passion naturelle pour les filles,car ce secteur représente un ensemble de métiers passionnants, au sein duquel leschoses bougent beaucoup et très vite. Nous devons amener une nouvelle génération dans les secteurs d’avenir que sont la cyber-sécurité ou la data. Il y a de nombreux chan-tiers à développer, sans attendre, avec de vrais postes et de formidables occasions d’évolution à la clé.

Oui, il faut nous engager sur le terrain etmultiplier les actions. A l’exemple de Femmes@numérique, une fondation lan-cée fin juin par 45 associations et 42 entre-prises pour la féminisation des métiers dunumérique : une initiative placée sous le haut patronage de Mounir Mahjoubi, secré-taire d’Etat chargé du numérique, aux côtés de Florence Parly, ministre de la défense,Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éduca-tion nationale et de Marlène Schiappa, se-crétaire d’État chargée de l’égalité entre lesfemmes et les hommes.

Le sujet, à savoir la représentation desfemmes dans les métiers du numérique, les trajectoires de carrière et l’éducation, cons-titue par ailleurs l’un des chantiers prioritai-res du Conseil national du numérique pour cette mandature. De nouveaux modèles, es-pérons-le, sont en passe d’émerger. p

¶Emmanuel Combet est économisteà l’Agence de développement et de maî-trise de l’énergie, auteur de la note du Conseil économique pour le développe-ment durable « Quel chemin vers un pacte fiscal pour le climat ? L’acceptabi-lité » (août 2018), et coauteur avec Jean-Charles Hourcade de « Fiscalité carbone et finance climat. Un contrat social pour notre temps » (Les Petits Matins, 2017).

¶Florette Eymenier, membre du Conseil national du numérique, chargée de l’inclusion numérique, est présidente et fondatrice de l’organisme de formation POP School.

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