savants maudits - chercheurs exclus 1

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  • SAVANTS

    CHERCHEURS EXCLUS

    Un rquisitoire implacable contre la "nomenklatura" scientifique

    ,

    GUYTRDANIEL EDITEUR

  • Pierre LANCE

    SAVANTS MAUDITS,

    CHERCHEURS EXCLUS

    GUY TRDANIEL DITEUR 65, rue Claude-Bernard- 75005- PARIS

  • Chez le mme diteur, dans la mme collection :

    Enqute sur un survivant illgal, l'affaire Grard Weidlich. Sophie Chervet, 2002.

    La sant confisque. Monique & Mirko Beljanski, 2003.

    Mirko Beljanski ou la chronique d'une "Fatwa" scientifique. Monique Bejanski, 2003.

    paratre:

    Cancers et gurisons illgales Enqute de Jean-Paul Leperlier

    Sophie Chervet

    Presses de Valmy, 2001

    Guy Trdaniel diteur, 2003

    www. tredaniel-courrier.com [email protected]

    Tous droits de reproduction, traduction ou adaptation, rservs pour tous pays.

    ISBN: 2-84445-457-7

  • Collection : Survivants illgaux et gurisons interdites

    au pays des Droits de l'Homme Dirige par Jean-Paul Leperlier

    Existe-t-il vraiment, au pays dit des Droits de l'Homme, des survivants illgaux et des gurisons interdites? Oui rpond Grard Weidlich, hros de Enqute sur un survivant illgal, premier ouvrage de cette collection. Oui , parce qu'il existe aussi, dans ce mme pays, qui se voudrait parangon des liberts, des Savants maudits et des chercheurs exclus . Plus particulirement maudits lorsque leurs dcouvertes, permettant de sauver les premiers, infirment des diagnostics de mort inluctable s'appuyant sur des dogmes mdico-scienti-fiques dpasss ... Et d'autant plus exclus lorsque la contestation de ces dogmes remet en question les bnfices des multinationales chimio-pharmaceutiques qui en vivent... D'o ce second titre d'une srie entame depuis quelques mois, insistant tant sur les perscutions subies par un Mirko Beljanski et un Loc Le Ribault que sur la chape de plomb maintenue sur les rsultats tonnants d'un Ren Quinton ou d'un Antoine Priore. Ces deux premiers titres illustrent ainsi l'esprit d'une collection qui s'est donn un double but :

    Rendre la parole aux dfricheurs d'une science musele, rvlant ainsi au public les prodigieuses avances mdicales que certains lobbies s'acharnent maintenir hors de sa porte. C'est le sens de ce livre de Pierre Lance, qu'il convenait de rditer plus largement, compte tenu de la faveur exceptionnelle dont il a dj bnfici auprs d'un public averti. Et ce sera le sens de la prochaine rdition, pour le mme grand public, de l'ouvrage dj clbre de Monique Beljanski (dit jusqu' ce jour aux tats-Unis): Mirko Beljanski ou la chronique d'une "Fatwa" scientifique.

  • Vrifier, par des tmoignages de malades recoups par de minutieuses enqutes auprs des mdecins qui les ont suivis, le bien-fond de ces avances et des espoirs qui en dcoulent. Ce qui fut le sens de Enqute sur un survivant illgal, tmoignage sur le volet SIDA de l'affaire Beljanski et premier ouvrage de cette collection. Et ce qui sera le sens de Cancer et gurisons illgales, rassemblant et vrifiant de nombreux tmoignages sur les succs de l'approche Beljanski en matire d'oncologie, ouvrage en prparation.

    Une collection qui prend donc naturellement sa place au sein des ditions Guy Trdaniel, donnant, depuis plusieurs dcennies, la parole des mdecins et professionnels de sant, allopathes, homopathes, naturopathes, ouverts sur le progrs, proches de leurs malades et prfigurant peut-tre les ncessaires volutions d'une mdecine moins dpendante de l'Etat, de ses contraintes et des lobbies qui y font la loi. Et que l'on souhaiterait plus humaine ...

    Jean-Paul Leperlier Directeur de collection.

  • A la mmoire de Jean-Michel Graille, du journal Sud-Ouest,

    qui lutta toujours avec courage et persvrance pour le triomphe de la vrit.

    Des chercheurs qui cherchent, on en trouve.

    Mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche.

    Charles de Gaulle (en Conseil des ministres)

    Bien trouv, Mon Gnral ! Mais tes-vous sr de les avoir cherchs ?

    Et saviez-vous que des chercheurs qui cherchent

    empcher d'autres chercheurs de chercher raliser ce qu'ils ont trouv,

    on en trouve sans les chercher ?

    P.L.

  • Pourquoi la France dpense-t-elle deux fois plus que l'Angleterre en recherche publique civile ? Pourquoi a-t-elle trois fois moins de prix Nobel, trois fois moins de redevances de brevets ?

    ... Certains de nos chercheurs se remuent-ils les mninges ou se tournent-ils les pouces ?

    Ghislain de Montalembert Le Figaro magazine - 9 dcembre 2000

    Le CNRS, c'est 25 000 agents dont 11 000 chercheurs, 1674laboratoires, avec un budget de 2,5 milliards d'euros, dont 80 % sont absorbs par la masse salariale.

    C'est un norme organisme ingouvernable. C'est une juxtaposi-tion de coteries.C' est un rassemblement de chercheurs fonctionnariss, qui s'installent dans leur fromage et y restent jusqu' la retraite, sans autre souci que de s'adonner leurs marottes, qu'elles dbouchent ou non sur des dcouvertes ... Ces gens-l dpensent de l'argent public sans aucun scrupule ...

    Georges Pompidou (citation Le Figaro magazine- 9 dcembre 2000)

  • SOMMAIRE

    Avant-propos ........................................ 11

    PAUL KAMMERER ................................ . ..... 15 ANTOINE BCHAMP .............................. . ..... 41 JULES TISSOT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 63 REN QurNTON ....................................... 97 MARCEL FERRU ........ . ............................. 123 EDGARD NAZARE ..................................... 151 MARCEL MACAIRE ................ . . ...... . . ...... . ... 173 REN JACQUIER ...................................... 191 ANTOINE PRIORE ................................ . .... 219 JEAN SOLOMIDS ............ . ....... . ................ 247 MIRKO BELJANSKI .................................... 275 Loc LE RIBAULT ................................... . . 315

    Epilogue ........................................... 355 Bibliographie .......... . ............................ 357 Carnet d'adresses ................................... 359

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  • AVANT-PROPOS

    Je prsente dans ce livre les biographies trs rsumes de douze grands scientifiques et chercheurs contemporains, citoyens franais ou ayant choisi la France pour seconde patrie ( l'exception du premier), tous convaincus l'origine que le soi-disant "pays des droits de l'homme", qui tait au XIXe sicle en tte de toutes les nations pour le nombre et la qualit des dcouvertes scientifiques et des inventions, ne pouvait qu'tre la terre promise des chercheurs indpendants de toutes les disciplines.

    Ce qu'ils ignoraient ou ne prvoyaient pas, c'est que la France jacobine allait devenir peu peu au cours du XXe sicle une technocratie absolue domine par les clergs scientistes, les rseaux scolastiques, les clans bureaucratiques, les pseudo-services publics et les groupes d'intrts, et qu'il y serait dsormais impossible un chercheur indpendant de faire accepter ses travaux et ses dcouvertes, quelle que soit leur valeur, et mme a fortiori si cette valeur s'avrait grande.

    Chacune des personnes prsentes dans cet ouvrage mrite-rait elle seule un volume entier, et il va sans dire que cette liste est loin d'tre exhaustive. Ne connaissant que trop bien les tares de la socit franaise, que j'tudie depuis prs de quarante annes, je ne doute pas qu'elle ne recle dans tous les domaines des dizaines, sinon des centaines, d'esprits d'insigne envergure condamns par la "nomenklatura" n'tre jamais de leur vivant connus du grand public, si mme ils devaient l'tre un jour longtemps aprs leur mort.

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  • Je me suis donc limit dans ces pages aux personnes dont j'ai eu la chance de bien connatre les travaux, dans le cadre de mes recherches au service de la revue de prospective L'Ere nouvelle, que je dirige depuis vingt ans. J'ai d'ailleurs eu l'honneur de connatre certaines d'entre elles personnellement. Il s'agit donc d'un choix circonstanciel et arbitraire qui ne prjuge en rien des mrites de celles qui seraient dignes d'y figurer et qui n'y figurent pas. Elles voudront bien me pardonner de n'avoir point le don d'ubiquit.

    Mon plus cher dsir serait d'ailleurs d'ajouter un autre volume, et pourquoi pas deux ou trois, ce rpertoire de chercheurs victimes de la conspiration du silence.

    Dois-je prciser que si ce livre ne prsente que des chercheurs masculins, ce n'est videmment pas un choix ? J'y eus volontiers intgr quelques femmes s'il s'en tait trouv de telles sur ma route, mais je n'en ai pas rencontr. Toutefois, il faut noter que les compagnes de certains de mes hros ont jou dans leur aventure des rles essentiels, comme Madeleine Ferru, Michelle Solomids et Monique Beljanski, par exemple.

    Certains lecteurs s'tonneront peut-tre de constater que la majorit des scientifiques prsents dans ces pages ont exerc leurs talents dans le domaine mdical. Cela tient essentiellement la situation particulire de notre pays cet gard, mais aussi au fait que notre revue tait particulirement attentive aux questions de sant, qui refltent assez exactement l'tat profond d'une socit. Plusieurs facteurs se sont en effet conjugus dans notre pays pour aboutir une dpendance des citoyens, en ce qui concerne les thrapies, beaucoup plus forte que dans les autres nations dveloppes.

    Ce fut tout d'abord la gloire excessive et largement usurpe de Louis Pasteur, incontestable gnie en relations publiques et vritable mythe national, qui orienta toute notre mdecine vers une bactriophobie occultant dramatiquement les ralits du terrain organique de chaque individu.

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  • De plus, en fondant l'Institut qui porte son nom, et pour lequel il sut faire jouer de nombreux appuis politiques et financiers, Pasteur cra un puissant groupe de pression capable de peser fortement sur les dcisions des pouvoirs publics. (C'est ce qui explique que l'on vaccine aujourd'hui en France plus que partout ailleurs et en dpit du bon sens.)

    A cela s'ajouta la cration en 1940 par Philippe Ptain d'un Ordre des mdecins dot de pouvoirs exorbitants. Et enfin l'apparition en 1945 de la Scurit sociale, exerant sur les citoyens comme sur les entreprises des contraintes radicales, d'ailleurs juridiquement incompatibles avec la constitution rpublicaine, mais contre lesquelles aucun "reprsentant du peuple" n'osa jamais protester.

    Certes, des organismes plus ou moins similaires naquirent dans les autres pays industriels, mais ils ne bnficirent pas comme en France d'une collusion permanente avec l'appareil de l'Etat. Cet enchevtrement de fodalits toutes-puissantes associ au centralisme tatiste devait bientt rduire nant l'autonomie des citoyens franais en matire de maladie. Il dcoule de cette situation que lorsque des esprits cratifs et inventifs se trouvent confronts, parfois dans leur entourage immdiat, quelque problme de sant que la mdecine confor-miste ne peut rsoudre de faon satisfaisante, ils sont conduits d'instinct appliquer leurs talents au domaine thrapeutique, mme lorsque rien ne les prdestinait cela. C'est la raison pour laquelle on trouve en France, dans la sphre des thrapies, plus de "savants maudits" que partout ailleurs. Et tel est le paradoxe qui nous laisse une lueur d'espoir : moins les Franais sont libres de se soigner leur guise, et plus fleurissent parmi eux les esprits libres et rebelles prparant sous le manteau les voies de l'avenir.

    Si certains de mes lecteurs s'estimaient insuffisamment informs de ces problmes, je les renvoie aux divers ouvrages cits en bibliographie la fin de ce volume, et plus particulire-ment ceux de mon excellente consur Sylvie Simon, courageuse combattante sur le front de la sant, et notamment

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  • son livre-rquisitoire La Dictature mdico-scientifique (Ed. Filipacchi, 1997).

    Dans les domaines de la sant et de l'alimentation, qui sont intimement lis, l'augmentation constante des cancers, leucmies, sclroses en plaques, hpatites, allergies... et une suite ininter-rompue de scandales sanitaires: rtention d'information lors des irradiations du nuage de Tchernobyl, sang contamin, hormones de croissance, vache folle ... , dmontrent les profondes dgrada-tions simultanes de notre systme de soins, de notre agriculture chimique et de nos structures politico-administratives.

    Dans le domaine plus gnral de la science, qui influence directement le prcdent, la fuite des cerveaux, la baisse constante du nombre de nos brevets comparativement aux autres nations dveloppes, la marginalisation et l'obstruction, quand ce n'est pas la perscution, auxquelles se heurtent les novateurs et inventeurs indpendants, portent preuve d'une sclrose alarmante de la communication scientifique en France, avec toutes les graves consquences que l'on peut imaginer dans un monde o rgnent la concurrence conomique, la pollution gnralise et le dveloppement acclr des nouvelles technologies.

    Aussi je forme le vu que ce livre, tout en rendant justice des crateurs valeureux, donne le signal d'une profonde rforme de la socit franaise, faute de quoi le "Mal franais", si magistralement diagnostiqu par Alain Peyrefitte ds 1976, et qui n'a cess d'empirer, finirait par inscrire la France au triste catalogue historique des nations dchues.

    P. L. - 1er mars 2003

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  • PAUL KAMMERER (1880-1926)

    Paul Kammerer naquit Vienne le 17 aot 1880. Il entra en 1903 l'Institut de recherche biologique de Vienne, o il allait se consacrer des expriences dcisives sur les modifications de l'hrdit. En 1909, aprs cinq annes de travail acharn, il obtint le Prix Sommering de la Socit des Sciences naturelles de Francfort pour ses dcouvertes fondamentales en physiologie. Malgr ce bon dbut, la vie de Paul Kammerer allait se drouler tragiquement.

    Mon attention fut attire pour la premire fois sur ses travaux et sa vie par les pages que lui consacra le docteur Marcel Ferru dans son livre La faillite du BCG. Marcel Ferru (dont nous tudierons le propre parcours plus loin dans ce mme livre) y prenait juste titre l'affaire Kammerer comme exemple des abus engendrs par le dogmatisme oppressif qui svit parfois dans le monde scientifique.

    Etant moi-mme passionn depuis toujours par les problmes de l'volution et de l'hrdit, et considrant d'instinct comme illogique et absurde le dogme scientifique de la non-hritabilit des caractres acquis, je ne pouvais manquer de me pencher avec attention sur le cas Kammerer, puisque ce biologiste affirmait avoir apport la preuve scientifique que les caractres acquis pouvaient bel et bien devenir hrditaires et que la fixit du code gntique tait donc une illusion. Aussi me mis-je en qute d'informations sur ce savant autrichien que le milieu scientifique mondial avait refus de prendre au srieux.

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  • C'est ainsi que je lus le livre passionnant consacr Paul Kammerer par Arthur Koestler sous le titre L'Etreinte du Crapaud (Ed. Calmann-Lvy, 1972) et je dcouvris avec stupeur, non seulement que Kammerer avait bien ralis, notamment grce un levage de salamandres et de crapauds, les expriences scientifiques prouvant indubitablement l'hritabilit des caractres acquis, mais en outre qu'il avait t victime d'un formidable complot politique ourdi par les nazis et leurs sympathisants et... entrin sans vergogne par les savants occidentaux rputs dmocrates.

    Quand on pense que cette scandaleuse machination se droula dans les annes vingt, et qu'aujourd'hui encore, malgr tous les progrs de la gntique, dont les travaux les plus rcents remettent en cause la fixit du code gntique, les scientifiques de tous les pays ne veulent toujours pas admettre les preuves de Kammerer, alors qu'aucun d'entre eux n'a pris la peine de refaire ses expriences, on est saisi de vertige devant cette sclrose de l'esprit que l'on croyait jusqu'ici rserve aux thologiens. C'est la preuve qu'il existe dans les sciences une vritable caste sacerdotale acharne maintenir ses dogmes et ses privilges et qui n'est pas plus respectueuse de la vrit que ne l'taient les prlats catholiques qui mirent autrefois Giordano Bruno sur le bcher et menacrent Galile de la salle des tortures.

    Mais voyons maintenant le fond du problme, car je voudrais que mes lecteurs soient bien conscients de l'importance capitale que revt pour l'avenir de l'humanit la question de l'hrdit des caractres acquis, et par consquent du dommage considrable qui nous a t fait tous travers l'ostracisme dont fut victime Paul Kammerer.

    Depuis des temps immmoriaux (Hippocrate s'en souciait dj),les hommes se posent cette question: les caractres acquis au cours de son existence par un tre vivant peuvent-ils se transmettre sa descendance ?

    Ce qui est immdiatement vident, c'est que la faon de vivre des hommes peut changer du tout au tout selon que l'on rpondra OUI ou NON cette question.

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  • Les tres humains se reproduisent et esprent, consciem-ment ou non, que leurs descendants feront toujours mieux qu'ils ne firent eux-mmes. Par l'ducation et la culture, ils s'efforcent de transmettre leurs enfants et petits-enfants les savoirs qu'ils ont pu acqurir. Ils s'appliquent galement leur lguer le plus possible de biens matriels, sachant que le capital qu'ils leur laisseront leur permettra d'aller plus haut et plus loin, s'ils ont la sagesse de l'investir bon escient. Et du mme point de vue, ils seraient extrmement heureux et formidable-ment motivs d'apprendre que les qualits physiques ou intellectuelles qu'ils ont pu dvelopper au cours de la premire partie de leur vie et tant qu'ils sont fconds, sont galement transmissibles. En consquence, il ne fait pas de doute que, dans l'affirmative, ils s'appliqueraient avec la plus grande nergie se parfaire et panouir toutes leurs potentialits. Ne voit-on pas le formidable progrs de l'espce humaine qui en dcoulerait immanquablement ?

    Nous connaissons le progrs scientifique, technologique et matriel qui a transform fantastiquement le monde au cours des deux derniers sicles, et qui ne s'est pas fait sans bavures , loin s'en faut. Mais qu'en est-il du progrs intrinsque de l'tre humain lui-mme ? Sur le visage de toute personne qui je pose cette question, je vois immdiatement se peindre la perplexit, et plus souvent encore l'amertume. Non, en vrit, rien ne vient nous confirmer que l'homme progresse rellement en tant que constitution biologique, et tout au contraire les indices abondent qu'il se dbilite de plus en plus.

    Certes, on a tort de dire l'homme . N'existent que des hommes, tous diffrents, dont certains s'efforcent d'accrotre leurs capacits de tous ordres, et dont certains autres se laissent aller . Si ces derniers sont les plus nombreux, et je ne veux pas prjuger que ce soit le cas, il est craindre que la qualit moyenne de notre espce n'aille en se dtriorant.

    Il est bien difficile chacun d'entre nous de mesurer ce qu'il en est dans la ralit, puisque nous sommes tous immergs dans la masse humaine et la fois juge et partie, mais une chose est certaine : si nous avions la preuve que nos acquis physiologiques peuvent se transmettre notre descendance, beaucoup d'entre

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  • nous se mettraient en peine de vivre plus intelligemment. Sans doute certains le font-ils d'instinct, mais quand le savoir s'ajoute l'instinct, on gagne sans aucun doute en efficacit.

    Quoi qu'il en soit, nul besoin d 'tre un anthropologue certifi pour discerner les formidables consquences que peut avoir sur notre avenir la rponse cette question cruciale. Et la preuve en est que les deux idologies totalitaires et concurrentes qui causrent les plus grandes tragdies collectives du XXe sicle, c'est--dire le nazisme et le communisme, se disput-rent Paul Kammerer et furent cause de sa mort. Mais qui aurait pu croire que les dmocraties occidentales allaient entriner le forfait et jeter sur la dpouille du savant le linceul de l'oubli ?

    Pour bien comprendre l'enchanement dramatique de cette trahison de la vraie science qui continue de nous aveugler, il nous faut tout d'abord revenir aux bases du problme, donc aux sources historiques de la gntique.

    C'est aussi un Autrichien, le moine botaniste Johann Mendel (1822-1884 - en religion Frre Gregor) qui, aprs de laborieuses et patientes expriences sur l'hybridation des plantes et l'hr-dit des vgtaux, dgagea les lois de la gntique qui portent son nom. Ses conclusions furent publies en 1865 mais ne furent pas connues avant 1900, plus de quinze ans aprs sa mort. Comme tant de pionniers, il mourut sans connatre la gloire qu'il avait mrite et que la postrit devait rendre sa mmoire, peut-tre excessivement d'ailleurs, en sacralisant les lois de Mendel , que je rsume ainsi :

    1 - Le capital hrditaire des tres vivants se transmet par des corpuscules qui s'additionnent dans la procration mais ne se diluent pas dans le mlange et restent intgres et invariables.

    2- Les diffrences entre les vivants sont dues des combinaisons diffrentes de ces gnes (le mot sera tir plus tard du grec genos gnration ). C'est le cocktail hrdi-taire. Les lments ne changent pas (sauf mutation), et seul en varie l'assemblage.

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  • 3 - Lorsqu'il se produit dans un gne une mutation, une variation fortuite, celle-ci est fixe dans le gne et se transmet son tour. Les vivants ainsi modifis sont soumis comme toujours la slection naturelle qui limine les mutations dfavorables.

    Ainsi, l'invariabilit gntique de Mendel venait prendre sa place historique dans la connaissance de l'volution des espces, aprs le transformisme de Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) et la slection naturelle de Charles Darwin (1809-1882). Donc, Mendel dit non l'hritabilit des caractres acquis (HCA). Apparemment, ceux-ci ne peuvent pas modifier les gnes. Mais il dit oui, comme Darwin, des mutations dues au hasard, qui seraient, elles, transmissibles et joueraient un rle dans l'volution lorsqu'elles sont profitables.

    Cependant, Mendel et Darwin ont fait fi du rle prpond-rant que Lamarck avait reconnu l'impulsion volontaire de chaque tre vivant confront aux conditions du milieu. Selon Lamarck, le rsultat de cette volont et de cette stratgie indivi-duelles est la modification progressive du capital hrditaire qui fait que les descendants bnficient de qualits suprieures celles de leurs anctres. Donc, Lamarck dit oui l'HCA.

    Quelle fut cet gard la position de Darwin ? Convaincu du rle dterminant de la slection naturelle, au point de le considrer presque comme ncessaire et suffisant , il fut tout d'abord tent d'carter l'HCA. Mais il changea d'opinion sur ce point, et il est intressant de savoir pourquoi. J'emprunte le rcit de cette conversion au livre d 'Arthur Koestler:

    En 1867, un professeur l'cole d'ingnieurs d'Edimbourg, Fleeming Jenkins, publie un examen de L'Origine des Espces de Darwin dans lequel il dmontrait, par une dduction logique tonnam-ment simple qu'aucune espce nouvelle ne pourrait jamais sortir de variations fortuites au moyen du mcanisme de l'hrdit commun-ment accept.

    Ce mcanisme, dit du mlange d'hrdit, avait pour fondement l'hypothse fort raisonnable en apparence selon laquelle l'quipement du nouveau-n serait une mixture de caractres parentaux laquelle

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  • chacun des parents contribuerait approximativement pour moiti. C'est ce que Francis Galton, cousin de Darwin, appela loi de l'hr-dit ancestrale , loi dont il donna la formule mathmatique. Or, en admettant qu'un individu muni d'une variation fortuite utile apparaisse dans une population et s'accouple avec un partenaire normal (puisque l'on peut exclure le cas hautement improbable d'un partenaire possdant la mme variation fortuite), ses rejetons n'hrite-raient que cinquante pour cent du nouveau caractre utile, ses petits-enfants n'en auraient que vingt-cinq pour cent, ses arrire-petits-enfants douze et demi et ainsi de suite, l'innovation disparaissant comme une goutte d'eau dans l'ocan bien avant que la slection naturelle ait chance de la gnraliser.

    Telle est l'objection qui branla si fortement Darwin qu'il insra un nouveau chapitre dans la sixime dition de L'Origine des Espces pour y ressusciter l'hrdit des caractres acquis. Comme l'indiquent clairement ses Lettres Wallace, il ne voyait pas d'autre solution.

    Donc, Darwin s'tait ralli l'HCA... quoique pour une mauvaise raison. En effet, ce que Arthur Koestler a oubli, c'est que ni Fleeming Jenkins, ni Francis Galton, ni Charles Darwin ne connaissaient, hlas, les lois de Mendel, l'uvre du moine autrichien baignant encore l'poque de leur controverse dans l'obscurit la plus complte. Ils ne connaissaient donc pas l' exis-tence des gnes, de ces corpuscules invariables qui s'addi-tionnent mais ne se mlangent pas. Or, la loi de l'hrdit ancestrale de Galton tait dj obsolte, car l'hrdit n'est nullement une mixture homogne se diluant au fil des gnrations. Et si un individu apparat soudain muni d'une variation juge fortuite, celle-ci s'inscrira dans un gne immuable qui pourra tre transmis intgralement ses descen-dants, ou du moins certains d'entre eux, quel que soit le partenaire dans l'accouplement.

    On sait en effet aujourd'hui que chacun des partenaires du couple parental donne la moiti de ses gnes au nouveau-n et que ces gnes demeurent intacts. Un gne peut donc se transmettre (mais ne se transmet pas forcment) durant un grand nombre de gnrations sans subir la moindre altration. Ou bien il figure intgralement dans le demi-panel qui est

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  • transmis ou bien il n'y figure pas du tout. Mais s'il y figure, il n'est pas question qu'il soit dilu de moiti et le calcul de Fleeming Jenkins n'a plus aucune valeur. C'est--dire que dans la loterie de l'hrdit, les gnes se comportent exactement comme les boules du loto. Un numro sort ou ne sort pas, mais il ne peut pas sortir moiti ou au quart. Et bien entendu il peut sortir plusieurs fois de suite, toujours intgre et identique, au cours de tirages successifs.

    Mais ce que l'on oublie aussi, c'est que Mendel a tir ses conclusions d'expriences limites des vgtaux. Or, s'il est indniable que les vgtaux sont des tres vivants constitus de cellules tout comme nous, il est trs contestable que leur volont, qui existe probablement, soit comparable en efficience celle des animaux, puisque dj les vgtaux ne peuvent pas se dplacer ni agir physiquement sur leur environ-nement. Et si l'on considre, avec Lamarck, que la volont autonome de l'tre vivant joue un grand rle dans l'acquisition de nouveaux caractres transmissibles, on peut admettre que la fixit des gnes observe par Mendel dcoulait simplement du fait que ses expriences ne portaient que sur des vgtaux.

    Cela ne signifie pas que l'HCA ne concerne pas les vgtaux. Elle les concerne mme certainement, mais se manifeste sans doute beaucoup plus lentement que dans les organismes animaux, ne pouvant donc s'observer que sur un trs grand nombre de gnrations, un beaucoup plus grand nombre que celles qu'aurait pu observer Mendel au cours de sa vie, d'autant qu'il mourut 62 ans.

    Examinons maintenant l'exprience probante de Paul Kammerer, telle que nous la relate Arthur Koestler:

    Il existe en Europe deux espces de ces amphibiens longue queue, tte de triton: Salamandra atra (noire), qui habite les Alpes, et Salamandra maculosa (tachete) qui prfre les plaines. Une ou deux fois par an, la femelle de Salamandra maculosa donne naissance des larves dont le nombre varie entre dix et quinze, qu'elle dpose dans l'eau. Ces larves sont des ttards munis de branchies qu'ils ne perdent avec leurs autres attributs de ttards qu'au bout de plusieurs

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  • mois, pour se mtamorphoser en salamandres. L'espce alpine au contraire met bas en terrain sec deux petits seulement, qui sont dj des salamandres bien formes, le stade larvaire s'achevant dans l'utrus. Essentiellement, l'exprience de Kammerer consista lever des salamandres tachetes dans un climat artificiel alpin, froid et sec, et vice versa des salamandres alpines dans un climat de valle chaude et humide. Les rsultats publis en 1904 et 1907 dans les Archiv fr Entwicklungsmechanik et dans la Zentralblatt fr Physiologie montrrent selon l'auteur une inversion complte et hrditaire des caractres reproductifs . La salamandre tachete des plaines, transplante dans un climat de montagne sans rivires pour y dposer sa porte, finit par donner naissance (aprs plusieurs portes avortes) deux salamandres pleinement dveloppes, comme le fait habituelle-ment la salamandre alpine. Quant cette dernire, transplante dans un climat chaud et humide, elle dposa ses petits dans l'eau; ces petits taient des ttards qui, la longue, naquirent de plus en plus nombreux. Tout cela constituait en soi un remarquable tour de force, comme l'admit Richard Goldschmidt.

    La seconde tape critique de l'exprience consistait amener maturit ces spcimens ns anormalement , les faire s'accoupler et voir si la seconde gnration manifestait qu'elle avait hrit le compor-tement reproductif anormal de ses parents.Il fallut pour cela plusieurs annes, car les salamandres ne sont nubiles qu' l'ge de quatre ans (un peu plus tt en captivit vrai dire). Ayant commenc au dbut de l'anne 1903 avec un cheptel de quarante salamandres des deux sexes nes anormalement , il eut la satisfaction en 1906 et 1907 d'assister la naissance de six portes - quatre du type tachet, deux du type alpin. Toutes manifestaient, des degrs variables, l'inversion artificiel-lement provoque des manires de se reproduire. Kammerer conclut que les donnes exprimentales dmontraient aussi clairement qu'on pouvait le dsirer l'hrdit des caractres acquis .

    Pourtant, non content de cette preuve clatante, Kammerer continua jusqu' la fin de sa vie de multiples expriences de confirmation, utilisant nouveau des salamandres, mais aussi une espce de lzards du nom de Lacertae, de crapauds nomms Alytes, puis le Prote, triton cavernicole aveugle dont il parvint rgnrer les yeux, ainsi qu'une ascidie primitive, Ciona intesti-nalis, habitant des fonds marins. Ce fut d'ailleurs l'exprience

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  • effectue avec ce dernier animal que Kammerer considrait comme l'exprience cruciale , celle qui tablissait dfinitive-ment l'HCA.

    Toutes ces expriences exigrent du chercheur des trsors de patience et d'obstination. Ainsi, sa seconde srie d'expriences sur les salamandres tachetes ne lui demanda pas moins de onze annes. Il montra que ces salamandres prsentant des taches jaunes sur fond noir devenaient de plus en plus jaunes si elles taient leves sur un sol jaune, et de plus en plus noires lorsqu'elles grandissaient sur un sol noir et ces caractres adaptatifs acquis se transmettaient leur descendance. Cet immense travail est ainsi comment par Koestler:

    Quelle que soit l'interprtation des rsultats, ces expriences taient de vritables travaux de pionnier qui, juste titre, firent frissonner tous les biologistes de toute l'Europe. On se serait attendu voir une foule de chercheurs s'engager fivreusement dans la voie ainsi trace. Il n'en fut rien. Personne n'essaya srieusement de confirmer ou de rfuter ces travaux.

    Et c'est bien l que rside le premier scandale, qui se perptue encore prs d'un sicle plus tard. La cabale qui se dclencha contre Kammerer, l'accusant de tricherie et faisant tout pour le discrditer, ne reposa jamais sur la plus petite exprience contradictoire. Les biologistes d'aujourd'hui continuent d'affirmer que Kammerer avait tort, mais pas un seul n'a tent ni ne tente de refaire ses expriences. Au point qu'on est amen se demander s'ils ne craignent pas d'tre contraints de reconnatre qu'il avait raison. Et de fait : jugez de la honte qui pourrait s'abattre sur les trois ou quatre gnrations de no-mendliens qui ont affirm premptoirement que les caractres acquis taient intransmissibles, si quelque trublion venait confirmer soudain les expriences de Kammerer. Certes, cela surviendra tt ou tard. Mais en attendant, chacun de ces messieurs doit se dire que si cela pouvait attendre qu'il soit la retraite, voire au cimetire, il aurait chapp l'averse de sarcasmes qu'il aurait mrits.

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  • Cependant il est une question qui taraude l'honnte homme: qu'est-ce qui a bien pu motiver cette adversit calomnieuse contre Kammerer, qui avait acquis une excellente rputation dans le monde scientifique ?

    En premier lieu, sans nul doute, la vanit de certains scienti-fiques, d'autant plus mortifis par les dcouvertes de Kammerer qu'ils s'taient eux-mmes enferrs dans des expriences absurdes dont ils avaient cru pouvoir tirer des certitudes absolues. Par exemple un certain August Weismann, tout acquis la fixit gntique mendlienne, professait que la substance portant les caractres hrditaires, qu'il appelait le plasma germinal, tait absolument impermable aux caractres acquis. C'est ce que l'on appelle encore aujourd'hui la barrire de Weismann , laquelle les gnticiens obtus s'agrippent obstinment.

    Pour donner la juste mesure de l'envergure intellectuelle de ce Weismann, il n'est que de dcrire l'exprience totalement idiote laquelle il se livra afin de prouver la non-hrdit des caractres acquis. Il n'imagina rien de mieux que de couper la queue vingt-deux gnrations successives de souris, pour montrer triomphalement qu'aucune souris de cette ligne n'tait ne sans queue. Cet abruti bard de diplmes n'avait mme pas song que la plupart des hommes se rasent les joues depuis deux ou trois millnaires (soit de cent cent cinquante gnrations) et que leur barbe n'en continue pas moins de pousser.

    Anti-lamarckien fanatique, il feignait d'oublier que Lamarck avait donn comme hritables gntiquement les caractres acquis en rponse des ncessits d'adaptation au milieu et rsultant d'une stratgie persvrante de survie. (Les souris et les rats, comme les singes, entre autres, ont une queue parce qu'elle leur est utile au cours de leurs dplacements acrobatiques pour chercher leur nourriture ou pour fuir les prdateurs.) Mais une amputation rsultant d'une agression externe, fut-elle rpte sur de multiples gnrations, non seulement ne saurait faire disparatre du capital gntique l'appendice utile l'espce, mais devrait plutt, en toute logique, aboutir au contraire des queues plus rsistantes et plus difficiles couper. Si d'ailleurs cela

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  • s'est produit sur les souris de Weismann, il ne s'en est srement pas vant.

    Toutefois, de telles hostilits professionnelles n'auraient sans doute pas suffi paralyser Kammerer, si la politique ne s'en tait mle. Aussi doit-on replacer les msaventures de ce savant maudit dans le contexte politicien de l'poque. Car si Kammerer put tre accus de tricherie, c'est parce que quelqu'un sabota dlibrment les spcimens qu'il avait prpars pour les soumettre un spcialiste amricain des reptiles, G. K. Noble, qui lui tait dj hostile. Le biologiste Hans Przibram croyait connatre le faussaire, mais ne put jamais l'accuser, faute de preuves. Quels pouvaient tre ses mobiles ?

    Arthur Koestler nous prcise : Le suspect aurait pu agir pour des raisons de jalousie personnelle, mais aussi pour des raisons politiques. Ce sont ces dernires, naturellement, que suppose le film sovitique La Salamandre : la preuve de l'hrdit des caractres acquis et port un coup mortel la doctrine raciste de l'ingalit, gntiquement dtermine, des peuples et des nations. L'hypothse n'est pas aussi invraisemblable qu'elle en a l'air : un nazi fanatique -le collgue fou peut-tre- aurait fort bien pu tre tent par un acte aussi insens. Vers 1925, l'Autriche marchait d'un bon pas vers la guerre civile ( .. .). Les assassinats politiques devenaient frquents. Socialistes d'un ct, nationalistes de l'autre avaient leurs armes particulires, Schutzbund et Heimwehr; et les gens svastika, les Hakenkreuzler, comme on appelait les premiers nazis, devenaient chaque jour plus forts . L'un des foyers de fermentation tait l'Universit de Vienne o, le samedi matin, les traditionnels dfils d'tudiants dgnraient en batailles sanglantes. On y connaissait Kammerer, par ses confrences et ses articles de journaux, comme socialiste et pacifiste ardent; on savait aussi qu'il s'apprtait construire un institut en Russie sovitique.

    Les marxistes croyaient en effet avoir tout avantage ce que soit prouve l'hrdit des caractres acquis. Leur raisonnement tait le suivant : Si l'HCA existe, alors on peut duquer les proltaires; leurs descendants deviendront aussi intelligents que ceux des aristocrates ou des bourgeois et le communisme a raison : les hommes seront tous gaux dans la socit sans

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  • classes. Raisonnement fragmentaire et simpliste qui oublie le rle du volontarisme autonome (auto-perfectionnement individuel et non pas ducation de masse) comme celui de la libre concur-rence des talents (slection naturelle et non pas systme planifi). En fait, si l'HCA peut favoriser une attitude sociale, c'est l'individualisme et en aucune faon le collectivisme. Mais les marxistes taient incapables de discerner cela et leurs adversaires pas davantage. Voyons en effet comment les deux idologies d'extrme-droite et d'extrme-gauche se disputaient autour d'une thse qui, en ralit, les anantissait toutes les deux:

    a) S'il est prouv, comme l'affirmaient tous deux Lamarck et Darwin, que les caractres acquis peuvent devenir hrditaires, donc qu'un homme qui se perfectionne peut esprer ainsi perfectionner sa descendance, les idologies aristocratistes et racistes d'extrme-droite bases sur les ingalits ternelles sont mises en chec.

    b) S'il est prouv d'autre part, comme l'affirmait Lamarck, que la libre volont individuelle joue un rle capital dans l' appa-rition des caractres nouveaux et, comme l'affirmait Darwin, que la libre concurrence des capacits produit par slection naturelle la survie puis la multiplication des meilleurs, les idologies galitaristes et collectivistes d'extrme-gauche bases sur le conditionnement ducatif sont mises en droute.

    Autrement dit, l'HCA renvoie dos dos les extrmistes des deux bords et fait de l'autonomie individuelle le seul vrai moteur de l'volution. Mais comment une telle ide serait-elle acceptable aux mgalomanes de tous bords qui croient pouvoir changer le monde coups de marteau ? En tout cas, l'poque, les nazis seront les premiers flairer le danger que reprsente l'HCA pour leur systme totalitaire.

    Au moment o la propagande sovitique s'apprte tirer un avantage illusoire des travaux de Kammerer, c'est la monte du nazisme en Allemagne (Hitler publie Mein Kampf en 1925). Or, il est vident que l'HCA contredit totalement le fondement idologique du nazisme, qui affirme l'ingalit gntique

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  • inchangeable des individus et des peuples et, de surcrot, la supriorit ternelle de la race germanique. Admettre que les progrs individuels puissent perfectionner la descendance, ce serait accepter l'ide que des Slaves dgnrs ou des Gaulois dcadents puissent un jour galer, voire surpasser, les divins Germains. Intolrable ! Dcidment, les dcouvertes de Paul Kammerer drangent un peu trop les plans du futur matre du Ille Reich. Que va-t-il se passer ?

    La chronologie de l'anne 1926 est cet gard des plus instructives et nous suggre un enchanement fatal :

    3 juillet 1926 : Premier congrs national du parti nazi Weimar. 6 000 S.A. dfilent en chemise brune.

    7 aot 1926 : Le zoologiste amricain G. K. Noble publie dans la revue Nature un article affirmant que Paul Kammerer a truqu ses expriences.

    21 septembre 1926 : Paul Kammerer se rend la Lgation sovitique Vienne et donne avec beaucoup d'enthousiasme des instructions pour l'emballage et le transport d'appareils scientifiques destination de Moscou, o il doit s'installer le 1er octobre.

    23 septembre 1926: Un cantonnier autrichien dcouvre, au dtour d'un sentier de montagne, le cadavre suicid de Paul Kammerer.

    A dfaut d'avoir t entendue, la cause est enterre ! Plac par le destin au centre mme de la querelle fondamen-

    tale dont l'issue pouvait dterminer le sort de l'humanit, Paul Kammerer tait devenu l'enjeu et la premire victime du duel qui s'engageait entre les hitlriens et les staliniens.

    Aprs la guerre, la dcouverte de l'ADN (acide porteur du plan hrditaire) dans les annes cinquante, sembla confirmer l'intransmissibilit des caractres acquis et coula dans le bronze la barrire de Weismann, rpute empcher la transmission

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  • des informations des cellules du corps aux cellules reproductrices.

    On pourrait s'tonner qu'aprs la victoire des Allis et la chute du rgime nazi, personne ne se soit pench srieusement sur l'affaire Kammerer pour lucider la fois le sabotage de ses spcimens probatoires et son dcs plus que suspect. Mais, outre les vanits professionnelles de pseudo-chercheurs dont je parlais plus haut, il faut galement considrer qu' la Seconde Guerre mondiale venait de succder la guerre froide entre le rgime sovitique et les dmocraties occidentales. Et personne l'Ouest ne tenait tablir la preuve de l'hrdit des caractres acquis, que les Russes n'auraient pas manqu d'utiliser aussitt comme argument pour valider leur projet de transformation de l'tre humain par l'ducation socialiste .

    C'est d'ailleurs ce qu'ils n'avaient pas manqu de faire usage interne, ds 1929, en ralisant le film La Salamandre, version romance d'un scientifique perscut par les capitalistes et qui tait une transposition peine voile du personnage de Kammerer. Or, une recension de ce film fut publie en 1949 par Richard Goldschmidt dans la revue Science. Aussi peut-on conjecturer que cette utilisation du cas Kammerer par la propagande communiste eut pour effet de ternir compltement la rputation du chercheur aux yeux des scientifiques occiden-taux et de les conforter dans leur conviction que ses expriences taient sans valeur et n'avaient t qu'un truquage des fins idologiques.

    C'est seulement en 1971 que ce trs grand crivain et penseur que fut Arthur Koestler entreprit de rhabiliter Paul Kammerer. Mais bien que son livre, grce la notorit interna-tionale de l'auteur, ait obtenu une certaine audience, le confor-misme btonn du monde scientifique fit que celui-ci demeura impermable une vrit qui l'aurait ridiculis, et qui le ridicu-lisera un jour inluctablement.

    Et puis, le dogme de l'immuabilit des gnes est tellement pratique ! Ne permet-il pas aux apprentis-sorciers de les manipuler leur fantaisie comme des boules de billard, sans se

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  • soucier des ractions surprenantes, voire terrifiantes, que pourraient nous rserver des gnes plus indpendants et plus mutables qu'ils ne l'imaginent?

    Le bon peuple nourrit l'illusion que les scientifiques sont ncessairement des esprits novateurs, uniquement proccups de vrit pure et nantis d'une probit intellectuelle au-dessus de tout soupon. Mais les scientifiques sont des tres humains ni meilleurs ni pires que les autres et qui n'ont, pas plus que les autres, envie de bousculer leurs routines et d'abandonner leurs confortables habitudes de pense au premier coup de trompette lanc par un pionnier. La vrit les drange comme tout le monde et ils n'hsitent pas la remettre dans son puits si d'aven-ture elle contredit les erreurs dans lesquelles ils se sont enferrs.

    J'en eus en 1982 un exemple clatant pendant la lecture d'un livre de M. Franois Jacob, lecture au cours de laquelle je tombai en arrt sur une page o l'auteur expdiait l'affaire Kammerer en quelques lignes mprisantes. Indign par la suffisance de l'auteur, qui tait alors l'un des dirigeants de l'Institut Pasteur, je rdigeai aussitt un article incendiaire qu'il ne me semble pas inutile de communiquer aujourd'hui aux lecteurs du prsent ouvrage:

    Extrait de L'Ere nouvelle N 15 de mars 1982:

    L'Institut Pasteur est-il dirig par des gens honntes ?

    Cette question est apparemment scandaleuse. Il ne viendrait en effet l'ide de personne qu'un organisme aussi glorieux puisse tre dirig par des hommes d'une probit intellectuelle douteuse. Chacun se sent rassur cet gard par le prestige, l'anciennet, la notorit mondiale d'un Institut dont l'utilit mdicale et sociale parat indiscutable.

    Pourtant, l'histoire de l'humanit nous apprend qu'aucune civilisation ne peut progresser, ni mme se maintenir, s'il n'est pas permis de mettre en doute, priodiquement, la valeur des institutions les plus vnrables. Non pour les dtruire- moins

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  • qu'elles ne soient par trop corrompues -, mais pour les amender, les rformer, les rnover.

    La question de confiance que nous posons aujourd'hui, nous ne prtendons pas avoir tous les lments pour la trancher.Notre seul but est de verser quelques pices au dossier, afin que nos lecteurs se fassent leur propre opinion. (. .. )

    On pourrait penser que, l'erreur tant humaine, les respon-sables de l'Institut Pasteur n'chappent pas la rgle et peuvent aussi se tromper, sans que pour autant leur intgrit soit sujette caution. C'est ce dont nous tions nous-mmes tout disposs convenir. Mais nous avons d constater, notre stupfaction, qu'un des plus minents personnages de l'Institut, en l' occur-rence M. Franois Jacob, prix Nobel, n'hsitait pas, dans son rcent ouvrage Le Jeu des possibles, induire ses lecteurs en erreur de la manire la plus effronte, ce dont nous apportons ci-contre la preuve que chacun pourra apprcier.

    De quoi s'agit-il ? Nos lecteurs se souviennent sans doute de l'article publi

    dans notre N8 sous le titre : Oui, les caractres acquis peuvent devenir hrditaires, s'appuyant sur les preuves scientifiques tablies, avant la Seconde Guerre mondiale, par le biologiste autrichien Paul Kammerer et recenses dans le bel ouvrage d'Arthur Koestler L'Etreinte du Crapaud. Arthur Koestler y dmontrait notamment la fausset des accusations de tricherie formules contre Paul Kammerer.

    Que M. Franois Jacob continue de prcher le dogme de la non-hrdit des caractres acquis, c'est l une manifestation lgitime de son droit l'erreur et la libre expression de celle-ci. Mais qu'il ait le front de faire croire au public qu'Arthur Koestler, un des esprits les plus indpendants et les plus clairs de notre temps, soutient l'accusation de tricherie contre Paul Kammerer, alors qu'au contraire il dmontre son innocence, c'est d'une lgret intellectuelle flagrante dont nos lecteurs tabliront d'eux-mmes le degr de lgret par la simple comparaison des photocopies de textes que nous publions ci-aprs :

    Pice No 1 : Extrait du livre d'Arthur Koestler L'Etreinte du Crapaud, Epilogue, page 173:

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  • ... A cette hypothse (de tricherie) s'opposent la grossiret du truquage, le risque permanent d'tre dcouvert et, au point de vue psychologique, la transparente sincrit de Kammerer, dont tmoignaient mme ses adversaires.

    Personnellement, si je crois qu'il n'a pas commis cette faute, c'est en raison de l'opinion que je me suis forme du caractre de l'homme, autant qu' cause du tmoignage des faits. Ce n'est pas ce que je croyais en commenant cet essai. En lisant ce que les traits de biologie disent habituellement de Kammerer, personne ne croirait son innocence. Mais mesure que s'ouvraient les archives et que se prsentaient les tmoignages oculaires des survivants du drame, il m'apparut que ces traits donnent de l'histoire des rcits dforms, bass sur de lointains ou-dire, et sans grand rapport avec les faits. Je n'ai pas commenc dans l'intention de rhabiliter Paul Kammerer, mais j'ai fini par essayer de le faire.

    Il fut pendant sa vie la victime d'une campagne de diffamation organise par les dfenseurs de la nouvelle orthodoxie - situation qui se reproduit avec une affligeante monotonie dans l'histoire des sciences. Ses adversaires refusrent d'admettre que ses expriences apportaient au moins une donne vrifier, mais ne purent ou ne voulurent les refaire. Aprs sa mort, en de bien louches circonstances, ils se sentirent dlivrs de toute obligation cet gard.

    Pice No 2 : Extrait du livre de Franois Jacob Le Jeu des possibles, page 38:

    L'hrdit des caractres acquis a ainsi disparu de ce que la biologie considre aujourd'hui comme le monde rel. Et pourtant cette ide s'est rvle particulirement difficile dtruire (sic), non seulement dans l'esprit des profanes, mais aussi dans celui de certains biologistes. Longtemps on a continu, et on continue encore(?), de faire des expriences pour la sauver. L'hrdit des caractres acquis est reste un domaine de prdilection pour ceux qui cherchent imposer leurs dsirs la ralit. C'est ce qu'illustre bien l'affaire Lyssenko, ainsi qu'une srie de falsifications dont la plus fameuse a t dcrite en dtail par Arthur Koestler dans son roman (sic) L'Etreinte du Crapaud. La rgle du jeu en science, c'est de ne pas tricher. Ni avec les ides, ni avec les faits. C'est un engagement aussi bien logique que moral. Celui qui

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  • triche manque simplement son but. Il assure sa propre dfaite. Il se suicide.

    Mon commentaire de 1982 :

    On voit se rvler dans ces quelques lignes la mentalit de l'auteur:

    1 o Il projette sur ses contradicteurs le dogmatisme de sa propre dmarche: imposer ses dsirs la ralit.

    2 Il se garde bien de nommer Paul Kammerer (personnage central du livre de Koestler), adoptant la tactique odieuse et si rpandue du linceul de silence jet sur le nom de cet authen-tique chercheur.

    3 Il pratique l' amalgame en mlant cette affaire au nom de Lyssenko, scientiste sovitique aux checs retentissants, mais qui n'a jamais repris les expriences de Kammerer (pas plus que quiconque d'ailleurs).

    4 o Il provoque la confusion en prtendant que Koestler a dcrit en dtailla falsification, alors qu'il a en fait dcrit la ralit de l'exprience et le sabotage dont Kammerer fut victime. Cette confusion permet Jacob de se couvrir de la caution apparente d'un penseur clbre dont il modifie l'intention.

    5 Pour comble, il donne des leons de morale intellectuelle, morale bien souvent bafou dlibrment, et enfin il utilise sans vergogne l'argument du suicide de Kammerer (toujours sans le nommer, courageuse manire de le tuer une seconde fois), alors que les circonstances de la mort de Kammerer n'ont jamais t vraiment lucides.

    (Une demande d'informations adresse par notre journal l'ambassade d'Autriche, en juillet dernier, est reste sans rponse.)

    Malgr l'tendue point trop ngligeable de mon vocabu-laire, j'avoue ne pas trouver de termes assez forts pour qualifier

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  • les procds de M. Franois Jacob, Prix Nobel de Mdecine, Professeur au Collge de France et Chef de service l'Institut Pasteur. Mais comme disait l'autre: "C'est par la tte que pourrit le poisson" ...

    L'un de mes amis, qui j'avais fait lire cet article l'poque, ne parvenait pas croire l'implication de Franois Jacob. Comment une personnalit aussi minente avait-elle pu s'abaisser ce point? La seule excuse qu'il lui trouva tait que Jacob n'avait sans doute pas crit lui-mme son livre, ou bien n'avait pas lu le livre de Koestler et n'en parlait que par ou-dire. Je rtorquai mon ami que non seulement je ne voyais l aucune excuse, mais que j'y dcelais au contraire, de la part d'un scienti-fique renomm, une dsinvolture aussi coupable, sinon davantage, qu'un mensonge prmdit.

    Certes, les personnalits qui font crire leurs livres par des ngres sont lgion. C'est banal dans le monde politique, mais il ne manque pas dans le monde scientifique de patrons qui condescendent signer de leur nom des travaux de leurs tudiants. Ce sont l des pratiques dtestables que je mprise absolument. Mais au moins le signataire doit-il endosser la responsabilit totale de ce qu'il paraphe. Au minimum, il devait vrifier.

    En l'occurrence, je suis port croire que Jacob a bien crit son livre, mais que peut-tre, en effet, il n'a pas lu lui-mme le livre de Koestler. Mme dans ce cas, sa faute reste capitale. Elle tmoigne d'un manque de rigueur intellectuelle. Et la faute est grandement aggrave lorsqu'elle est commise par un Prix Nobel, c'est--dire par quelqu'un jouissant d'un prestige qui donne quasiment force de loi ses affirmations. Le fameux adage Noblesse oblige s'impose ici l'esprit, car plus votre avis a de poids et plus vous devez en soupeser les termes avec la plus scrupuleuse vigilance, ce que ne fit pas Franois Jacob.

    Qu'une personne capable d'une si coupable lgret puisse occuper un poste de dirigeant l'Institut Pasteur n'est pas sans signification, et c'est la raison pour laquelle j'ai voulu ici m'y attarder.

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  • Les psychologues ont dcouvert, voici dj quelques annes, qu'il existait dans toute grande maison ce qu'il est convenu d'appeler une culture d'entreprise. Elle dcoule gnrale-ment des qualits et dfauts de son fondateur, qui lui a imprim sa marque, et elle perdure au fil des ans bien aprs qu'il ait disparu.

    Or, de nombreux auteurs ont mis en cause la probit intellectuelle de Louis Pasteur. Dans la logique des choses et des tres cette qualit pourrait encore ressurgir de nos jours au sein de l'Institut qu'il cra. Le plus souvent, les membres d'un corps social naissant se recrutent par cooptation, et qui s'assemble se ressemble. Des murs et des coutumes apparaissent, qui donnent la communaut des habitudes collectives de compor-tement. Et si une personne trop diffrente entre dans la maison, ou bien elle se conforme et s'adapte, ou bien elle se retire ou elle est rejete. Dans un cas comme dans l'autre, la culture d'entreprise s'en trouve conforte.

    Mais revenons maintenant sur le suicide de Kammerer, dans lequel tout le monde voulut voir l'aveu de sa culpabilit. Le biologiste se serait suicid parce qu'il ne supportait pas la honte d'avoir vu sa supercherie dmasque. Mais outre qu'il nia toujours farouchement avoir trich en quoi que ce soit, et que rien n'tait plus facile ses accusateurs, s'ils se souciaient tellement de vrit, de venir vrifier toutes ses autres expriences, on ne voit pas pourquoi un chercheur passionn auquel la Russie offrait un grand laboratoire Moscou pour continuer ses recherches, se serait soudain senti dsespr au point de mettre fin ses jours.

    Voyons plutt comment le journal autrichien Der Abend dat du 24 septembre 1926 relata l'vnement :

    Sur les circonstances du dernier acte, les dtails suivants ont t rvls. Le Dr Kammerer est arriv Puchberg mercredi soir et a pass la nuit l'auberge de La Rose. Jeudi matin il est sorti pour une promenade d'o il n'est pas revenu. Il a emprunt un sentier qui mne de Puchberg Hinberg en passant par la Roche Theresa. C'est la Roche Theresa qu'il s'est assis sur le talus pour accomplir son acte.

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  • Le Dr Kammerer a t trouv 2 heures de l'aprs-midi par un cantonnier de Puchberg, en position assise. Il tait appuy le dos contre un rocher et sa main droite tenait encore le revolver. Malgr le fait qu'il tenait l'arme dans la main droite, la balle avait pntr le crne du ct gauche au-dessus de l'oreille. Elle avait travers la tte et tait ressortie par la tempe droite. Le coup a bless aussi l'il droit. La mort a d tre instantane.

    Un autre journal expliqua: Apparemment, le Dr Kammerer s'est suicid d'une faon assez

    complique. Il tenait le revolver de la main droite, alors que la balle, etc. Et Arthur Koestler commente:

    Le tour tait difficile en effet; il risquait d'aboutir un chec rpugnant. Il suffit de connatre si peu que ce soit l'anatomie du cerveau pour s'en rendre compte. En ramenant le bras devant le visage on a beaucoup de mal contrler l'angle de l'arme, mme devant un miroir. Et pour une erreur d'angle, c'est la ccit ou la paralysie au lieu de la mort. Aucun des amis mdecins que j'ai interrogs n'a rencontr de cas semblable.

    Koestler se retient d'affirmer que ce ne fut pas un suicide. Mais le moins intuitif des policiers, dcouvrant un homme ayant un revolver dans la main droite et une balle dans la tempe gauche, balle ayant de surcrot suivi une trajectoire oblique contresens de l'oreille gauche vers l'il droit, en conclurait immdiatement qu'on l'a fortement aid se suicider. Koestler me semble ici exagrment prudent. Il est cependant vrai que Paul Kammerer tait parfois dpressif (compte tenu des calomnies et rejets dont il tait victime, on l'et t moins), qu'il subissait alors une dception amoureuse (une gente dame de son cur refusant de l'accompagner Moscou) et que l'on trouva dans sa poche une lettre annonant son intention de mettre fin ses jours. Mais justement, que voil d'excellentes conditions runies pour maquiller en suicide une limination politique, avec une vraie balle et une fausse lettre ...

    Quant moi, je ne serais pas surpris que l'on dcouvre un jour dans les archives secrtes du rgime nazi, dont les dbris doivent se trouver enfouis quelque part Washington ou Moscou, un ordre de mission dlivr un agent nazi pour

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  • l'excution aussi discrte que possible de Paul Kammerer. Car tout le monde savait qu'il prparait depuis plusieurs jours son dpart pour Moscou et que les Sovitiques comptaient bien utiliser ses travaux pour ter toute crdibilit la fixit gntique mendlienne et enlever du mme coup toute base scientifique la doctrine raciste, socle de l'idologie nazie. L'enjeu tait beaucoup trop important aux yeux d'Hitler pour qu'il n'ordonne pas d'empcher tout prix le dpart de Kammerer, sans hsiter l'liminer physiquement.

    Seule question en suspens : comment l'excuteur commit-il l'erreur grossire de ne pas mettre le revolver dans la bonne main ? Sans doute fut-il contraint de saisir l'instant favorable sans pouvoir tirer du bon ct, et il et t alors encore plus risqu de placer le revolver d'un droitier dans sa main gauche. Il jugea que de deux maux il fallait choisir le moindre et pria Wotan que les enquteurs ne se posent pas trop de questions. Il fut pleinement exauc. Il n'est d'ailleurs pas impossible que les policiers autrichiens chargs d'examiner le corps aient t des sympathisants nazis soigneusement chapitrs. Une enqute ce sujet pourrait certainement tre encore entreprise aujourd'hui. A condition que quelqu'un s'en soucie ...

    J'ai demand Loc Le Ribault, dont les extraordinaires msaventures constituent le dernier chapitre de ce livre, son avis de professionnel sur le suicide de Paul Kammerer. (Je dis avis professionnel car Le Ribault, docteur s sciences et ancien expert prs la Cour de Cassation, fut le rnovateur de la police scientifique franaise la fin des annes 80.) Il m'a confirm sans hsitation que le premier constat qui s'impose tout enquteur devant la blessure de la victime et la disposition de l'arme, telles qu'elles apparaissaient la dcouverte du cadavre de Paul Kammerer, imposent immdiatement la conclu-sion classique suivante : totalement incompatible avec l'hypothse du suicide . Dont acte.

    Pour qui considre, comme moi-mme, que tout doit tre fait pour que justice soit rendue tout homme de bien, sans

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  • considration du temps coul et si tard que cela soit, la rhabi-litation de Paul Kammerer doit tre un objectif primordial.

    Mais ce n'est pas seulement la justice qui rclame ici rpara-tion. C'est aussi le progrs de la science et le destin des hommes. Car nous assistons aujourd'hui une drive extrmement inquitante des gnticiens et des biologistes, tous plus ou moins enferms dans le dogme mendlien.

    Comme chacun sait, les manipulations gntiques sont l'ordre du jour et nos savants sont en mesure de fabriquer des tres artificiels obtenus par l'introduction dans le gnome d'un vgtal ou d'un animal de gnes issus d'une autre espce. C'est mes yeux de la dmence pure, car personne au monde n'est capable de prvoir comment de tels tres volueront. Au reste, la plus grande partie de l'opinion publique rejoint mon sentiment, et la mfiance envers les OGM est heureusement gnrale. Or, parmi les arguments rassurants que se servent eux-mmes les manipulateurs, figure en bonne place le dogme de la fixit gntique.

    Mais si les gnes ne sont pas immuables ? S'ils sont suscep-tibles, comme l'a tabli Paul Kammerer, d'intgrer, par un processus encore inconnu, des informations provenant du comportement adaptatif des tres vivants, comment ragiront-ils l'irruption provoque dans leur voisinage de gnes porteurs d'expriences existentielles radicalement diffrentes de celles de leur espce ? Et comment ragiront-ils au nouveau comporte-ment d'organismes modifis par implantation brutale de gnes trangers, fussent-ils rputs favorables ? Questions auxquelles sont bien incapables de rpondre les savants fous qui jouent la roulette russe avec les racines mme de nos vies.

    Oui, il est grand temps, il est tout juste temps de rhabiliter Paul Kammerer, de tirer enseignement de ses expriences et de prendre conscience que notre code gntique n'est pas plus immuable que quoi que ce soit d'autre dans la vie.

    Au demeurant, par quelle aberration a-t-on pu supposer un instant que les caractres acquis ne pouvaient pas devenir hrditaires, alors que ce postulat bafoue la logique la plus lmentaire et qu'il est dmenti par des observations la porte

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  • de tout un chacun ? Et comment a-t-on pu se contenter pour cimenter ce dogme absurde des expriences effectues par Mendel sur les vgtaux, si instructives qu'elles aient t par ailleurs, alors que dans les organismes vgtaux les cellules sexuelles ne sont pas isoles du reste de l'organisme ?

    Car la barrire de Weismann ne peut pas exister chez les vgtaux, supposer qu'elle ne soit pas une passoire dans les organismes animaux. Koestler suggre ce propos l'ide trs heureuse d'un tamis aux mailles trs serres, mais cependant franchissable par des informations que l'organisme aurait slectionnes comme profitables la descendance. De sorte que les mutations positives que Mendel ou Darwin jugeaient dues au hasard (mais le hasard est-il autre chose que le masque verbal d'une cause encore inconnue?) pourraient fort bien tre produites par la pression des caractres acquis. (Il est vrai que beaucoup de ces mutations sont dfavorables. Mais dans ce cas elles pourraient tre des expriences ou des essais tents par les organismes pour amliorer leur capital gntique, essais qui pourraient parfois se solder par des checs, car si l'erreur est humaine, pourquoi ne serait-elle pas aussi cellulaire ? L'exprimentation, l'essai, la tentative, l'erreur, l'chec, la correction, l'ajustement, l'affinement sont ncessaire-ment inhrents l'action de tous les vivants, quelque niveau biologique qu'ils se situent.)

    Finalement, l'hrdit des caractres acquis n'a besoin d'aucune preuve, car elle est du domaine de l'vidence et Darwin, pas plus que Lamarck, ne jugeait l'volution possible sans elle. Du domaine de l'vidence ? Mais bien sr, et Arthur Koestler nous rappelle que la peau de notre plante des pieds est plus paisse que partout ailleurs, et constitue une sorte de chaussure naturelle ncessaire au bipde pour que la marche ou la course n'usent et ne blessent pas sa peau, par ailleurs trop fragile.

    Bien entendu, cette peau est encore plus paisse chez les individus qui marchent souvent pieds nus, comme par exemple dans les villages de la brousse africaine. Un phnomne comparable se dveloppe avec les callosits des mains qui

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  • accomplissent de durs travaux, comme celles des bcherons ou des terrassiers. Le processus est clair : la peau s'paissit par adaptation, pour se protger. C'est typiquement un caractre acquis. Certes, mais comme le fait remarquer Koestler :

    Si l'paississement se produisait aprs la naissance, en consquence du frottement, il n'y aurait pas de problme. Mais la peau de la plante est paissie dj dans l'embryon qui n'a jamais march ni pieds nus ni autrement. Phnomnes semblables, plus frappants encore, les callosits des poignets du phacochre, qui s'y appuie pour manger; celles des genoux du chameau; et, plus bizarres encore, les deux grosseurs bulbeuses que l'autruche porte sous l'arrire-train l'endroit o elle s'assied. Toutes ces callosits apparaissent, comme celles de la peau des pieds, dans l'embryon. Ce sont des caractres acquis. Est-il concevable qu'elles aient volu par mutations fortuites exactement l'endroit o l'animal en aurait besoin ?

    Non, videmment, ce n'est pas concevable. Pas plus que n'est concevable que soit apparu par hasard le long cou dmesur de la girafe qui lui permet de saisir sa nourriture jusqu'aux branches les plus hautes. Et s'il est vrai que la fonction cre l'organe, il est non moins vrai qu'elle ne le peut pas crer en une seule gnration.

    Oui, les caractres acquis peuvent se transmettre, et c'est cette transmission, lorsqu'elle se ralise, qui assure le succs, la survie et la prolifration des tres les plus performants, lorsqu'elle a t complte par la slection naturelle.

    Nous verrons d'ailleurs, au cours du chapitre consacr Ren Quinton, que d'autres dcouvertes faites par ce dernier concernant l'volution des espces viennent confirmer superbe-ment, la fois le rle des volonts autonomes lamarckiennes et la transmission hrditaire des acquisitions.

    En conclusion, je dirai qu'aucune doctrine n'explique l'volution elle seule et qu'il est absurde de dresser nos grands dcouvreurs les uns contre les autres, alors qu'en fait ils se compltent. Il faut complter Lamarck par Darwin, Darwin par

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  • Mendel et tous les trois par Kammerer, qui, comme Koestler le fit lui-mme, je laisserai le mot de la fin :

    L'volution n'est pas seulement un beau rve du sicle dernier, le sicle de Lamarck, de Goethe, de Darwin; l'volution est vraie, c'est une pure et bonne ralit. Ce n'est pas l'impitoyable slection qui faonne et perfectionne les mcanismes de la vie; ni la lutte dsespre pour l'existence qui gouverne le monde elle seule. C'est bien plutt l'effort spontan de toute crature qui s'lve vers la lumire et la joie de vivre, n'enterrant que l'inutile dans les cimetires de la slection.

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    Paul Kammerer, 23 fvrier 1924

    New York Evening Post.

  • ANTOINE BCHAMP (1816-1908)

    Le 15 avril 1908, le journaliste Emile Berr vit entrer en trombe dans son bureau du Figaro un Amricain furibond qui brandissait un exemplaire du New York Herald. C'tait le docteur Montage Leverson, professeur l'Universit de Baltimore, qui s'indignait de constater que pas un journal franais n'annonait la mort d'Antoine Bchamp, en qui le New York Herald saluait un incomparable chercheur dont les travaux ont puissamment enrichi la chimie, la physiologiqe, la biologie, la pathologie .

    Quelque peu confus, mais non moins perplexe, car n'ayant jamais entendu parler de ce grand homme, le journaliste, sans doute impressionn par la rputation du journal new-yorkais et la fougue du professeur amricain, disciple enthou-siaste de Bchamp, crut bon de publier trois jours plus tard un article fort prudent ayant pour titre Un oubli.

    Un oubli ? C'tait le moins qu'on pouvait dire, car si le fameux dicton Nul n'est prophte en son pays avait eu besoin que soit prouve sa vracit, rien ne pouvait mieux la confirmer que la destine de ce grand esprit dont les travaux taient reconnus et admirs par de nombreux savants trangers, tant aux Etats-Unis qu'en Grande-Bretagne, en Belgique, en Roumanie ou au Brsil, alors que les milieux scientifiques franais ne daignaient pas lui accorder le moindre intrt, l'exception, heureusement, de quelques personnalits qui ont lutt et luttent avec persvrance depuis plus d'un sicle pour que l'uvre de Bchamp obtienne la notorit qu'elle mrite, et surtout pour que la mdecine sache enfin tirer de ses

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  • dcouvertes tout le profit thrapeutique que l'on peut en attendre.

    A l'ge de 91 ans, Antoine Bchamp se passionnait encore pour les expriences biologiques qu'il effectuait dans le labora-toire de la Sorbonne mis sa disposition par son ami le natura-liste Charles Friedel. Mais peu aprs il quittait ce monde, sans avoir vu la communaut scientifique reconnatre et utiliser ses dcouvertes au profit de la sant humaine. Et le 15 avril 1908, donc, un convoi funbre quittait la rue Vauquelin et se dirigeait vers le cimetire du Montparnasse. Quelques intimes seulement entouraient la famille et rien n'aurait pu indiquer aux badauds qu'ils voyaient passer la dpouille d'un homme exceptionnel. Tout au plus eussent-ils t intrigus par le peloton de soldats dont l'un portait un coussin de mdailles o brillaient, parmi plusieurs dcorations trangres, la croix de la Lgion d'honneur et celle d'officier de l'Instruction publique. Mais ils n'auraient certainement pas pu souponner le formidable travail qu'avait accompli le dfunt. Quelques moments essentiels de sa biographie, reproduits ci-aprs, me furent confis par le docteur en pharmacie Marie Nonclercq, sa plus fervente et dynamique disciple (auteur de Antoine Bchamp, l'homme et le savant (Ed.Maloine) :

    Titulaire du diplme de pharmacien le 11 aot 1843, Antoine Bchamp se marie Benfeld le 20 aot suivant, puis cre en octobre une officine qui existe encore Strasbourg. (. . .) Chercheur n, Bchamp ne peut se contenter d'exploiter ses connaissances acquises; son esprit a besoin de dcouvrir et d'apporter la science des vrits techniques. Tout en exerant sa profession, il accumule des notes et prpare des mmoires pour se prsenter au concours d'agrgation, afin de postuler au poste de professeur l'Ecole de Pharmacie de Strasbourg. Un concours pour deux places a lieu du 15 dcembre 1850 au 7 janvier 1851. A l'unanimit, le jury nomme Bchamp agrg de l'Ecole pour la section de chimie, de physique et de toxicologie. (. . .)A cette poque, le pharmacien tait l'homme le plus familiaris avec la chimie et Bchamp ne va pas faire exception la rgle. Il va donner l'impulsion la thrapeutique par les arsnobenzols en obtenant l'acide para-amino-phnylarsinique, en chauffant l'acide arsinique avec l'aniline.

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  • En 1851, pour le concours d'agrgation, il traite De l'air atmosphrique considr sous le point de vue de la physique, de la toxicologie.( .. .) Pour l'obtention du doctorat s sciences en 1853, son sujet de physique fut: De l'action chimique de la lumire. C'est avec sa thse pour le doctorat de mdecine, en 1856, Essai sur les substances albuminodes et sur leur transformation en ure que, bouleversant les thories admises jusque-l, il va commencer soulever des contestations violentes et des interdits qui ne furent levs que grce l'intervention comprhensive du clbre chimiste Jean-Baptiste Dumas, snateur du Gard. A partir de cette poque, Bchamp va tre accapar par ses travaux de chimie physiologique, qui vont le mener l'nonciation d'une doctrine nouvelle concernant l' orga-nisation de la vie .

    En 1854, Bchamp, professeur de toxicologie la Facult de Strasbourg, commenait ses recherches sur la fermentation et s' enga-geait dans ce qu'il nommera son exprience matresse. Il est nomm, en 1858, professeur de chimie et de pharmacie la clbre Universit de Montpellier.

    Pendant vingt ans, le professeur lorrain va dispenser aux tudiants languedociens un enseignement solide et clair en mme temps que passionn et attrayant, car il sait allier avec bonhomie, dignit et simplicit chaleureuse. Ses cours avaient une grande renomme et se terminaient sous les applaudissements des auditeurs.

    Sans ngliger son enseignement, il mne de front de multiples recherches qui retiennent l'attention du monde savant franais et tranger. Le professeur Alfred Estor, physiologiste et histologiste, qui runissait les obligations de mdecin et chirurgien l'hpital de Montpellier, sera son ami et son collaborateur. Tous deux aussi enthou-siastes l'un que l'autre travaillent tard la nuit, aids quelquefois par un petit groupe d'lves dvous et curieux de leurs dcouvertes.

    Bchamp va poursuivre son travail commenc Strasbourg sur le phnomne de la fermentation, aborder la fermentation vineuse et la fabrication des vins, s'intresser passionnment au problme local du moment- les maladies des vers soie qui ruinent les levages -et le rsoudre ds le 6 juin 1866, soit deux ans avant que Pasteur se fasse attribuer la paternit des travaux, quand il eut compris que Bchamp avait vu juste, non sans l'avoir d'abord dnigr.

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  • Avec tnacit, notre savant refait et complte les experzences commences le 16 mai 1854 Strasbourg sur l'interversion du sucre de canne en solution aqueuse, car il veut arriver connatre le rle jou par ce dpt blanc remarqu au cours de la fermentation, et qui n'avait intrigu ni Berthelot ni Pasteur. Ce dpt venait de la craie fossile mise par les chimistes pour neutraliser la solution fermentescible. Ce ferment, ce fut d'abord pour Bchamp un petit corps qui allait devenir dix ans plus tard ce microzyma , lment primordial et capital. Son nom est tir du grec micro, petit et zyma, ferment , car il sera dmontr qu'il est un ferment nergique. Il existe partout : dans les terres cultives, dans les alluvions, dans les eaux, dans les poussires des rues souvent l'tat de bactrie, ce qui montre qu'il est ce germe de l'air rest mystrieux pour Spallanzani et cent ans plus tard pour Pasteur. (. . .)

    C'est en dterminant les proprits du microzyma, lment primordial de la cellule dont il est le constructeur ou le destructeur quand il devient pathogne sous la forme bactrie ou virus produisant la maladie, ou la destruction totale, la putrfaction, que le chercheur put tablir la loi du polymorphisme bactrien , actuellement applique dans les coles de thrapeutique de pointe, qui abandonnent la loi du monomorphisme conue pas Pasteur. (. . .)

    Jusqu' son dernier souffle, Bchamp fit preuve d'une prodigieuse lucidit crative et combative. ( .. .)

    En 1951, le Dictionnaire de Biographie franaise de Prvost et Roman d'A mat prcisait :

    On peut considrer Bchamp comme le prcurseur, volontairement ignor, de Pasteur. Il a vu ce que la bactriologie ne devait proclamer que trente-cinq quarante ans plus tard, savoir que la morphologie doit cder le pas aux proprits physiologiques.

    Prcurseur ... ce terme lgant et flatteur semble vouloir justifier les emprunts qui furent faits ses travaux et firent tant souffrir l'infatigable et gnial chercheur qui, lui, ne manquait jamais de citer ceux qui le prcdrent dans la carrire et lui apprirent beaucoup, car Le pass claire le prsent la fois par les erreurs et les vrits qu'il nous a lgues, disait-il.

    Prcurseur ... Bchamp en prcisera lui-mme la signification en mai 1900 dans une lettre-rponse au docteur Vitteaut:

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  • Je suis le prcurseur de Pasteur exactement comme le vol est le prcurseur de la fortune du voleur enrichi, heureux et insolent, qui le nargue et le calomnie.

    Antoine Bchamp repose au cimetire Montparnasse sous une modeste pierre o l'ont rejoint sa belle-fille, pouse de son fils Donat, qui y avait conduit, en 1915, ses deux fils, tus l'ge de vingt-trois et vingt-sept ans au champ d'Honneur.

    Fort heureusement, quelle que soit la puissance des oligar-chies occultes qui s'emploient enterrer une seconde fois dans les abysses de l'indiffrence et de l'oubli les grands pionniers de la connaissance, il se trouve toujours quelques curs pris de justice et de vrit pour maintenir cote que cote la petite flamme obstine d'une mmoire fidle, qu'ils se transmettent prcieusement au fil des gnrations, se passant le flambeau que les iniques et les couards peuvent entourer de brumes, mais qu'ils ne sauraient teindre. C'est ainsi que depuis un sicle bientt Antoine Bchamp survit malgr tout.

    Dj, le docteur Leverson ne s'tait pas content de secouer (efficacement !) la rdaction du Figaro. Il publia en 1911 une brochure ayant pour titre La dette de la France envers Bchamp. Quelques annes plus tard, il prit soin de communiquer de nombreux documents clairant l'uvre de Bchamp Miss Ethel Douglas Home, nice d'un futur Premier ministre britan-nique, qui en fit un ouvrage trs argument paru en 1948. Et par ailleurs le livre du docteur Hector Grasset L'uvre de Bchamp fut traduit en anglais par les biologistes Lionel J. Dole et Jocelyne C. P. Proby.

    En 1927, le docteur Franois Guermonprez, inaugurant le monument lev la mmoire du savant dans son village natal, dclarait : Le temps est venu de reconnatre l'importance et l'tendue de l'uvre du grand savant lorrain. Non, hlas, le temps n'tait pas encore venu et ne l'est toujours pas ...

    En 1958, commmorant le cinquantime anniversaire de la mort de Bchamp, le Professeur Paul Pags, de la facult de

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  • mdecine de Montpellier dclarait, non sans amertume, dans son allocution :

    Nombre de dcouvertes d'un grand prix, entrines par la science contemporaine et dont il est fait hommage autrui, avaient t dduites par Bchamp de sa conception centrale et vrifie exprimen-talement ... La pense de notre savant a engendr des rsultats d'une importance capitale, quand on les examine avec un recul suffisant. Maintenir l'ostracisme dont elle a t jusqu'ici frappe serait faire l'aveu implicite d'une malveillance systmatique procdant de raisons extra-scientifiques.

    C'est en 1987 que je fis moi-mme connaissance de Mme Marie Nonclercq, docteur en pharmacie, que j'ai cite plus haut. Je dcidai peu aprs de consacrer dans L'Ere nouvelle un grand dossier aux Tricheries de Pasteur. Il me parut en effet impossible de rendre justice Bchamp, ce qui tait mon premier souci, sans montrer la malhonntet intellectuelle dont Pasteur, dvor d'ambition, avait fait preuve envers Bchamp, se rendant largement responsable de la marginalisation de ce dernier.

    Ce dossier, qui parut sur deux numros de notre revue la fin de 1987, fut tabli avec la collaboration des docteurs Philippe Decourt et Marie Nonclercq et valut L'Ere nouvelle, en 1988, une Libert d'Or, avec le Prix de l'Investigation Historique dcern au Snat par la Fondation pour la Libert de la Presse, dont le jury comptait parmi ses membres MM. Jean Lacouture, Philippe de Saint-Robert, Jacques Sauvageot et Ren Vrard, notamment. (Simultanment tait dcern, entre autres, le Prix de la Presse Libre l'hebdomadaire polonais Tygodnik Mazowsze, hebdomadaire clandestin de Solidarnosc pour la rgion de Varsovie.)

    Le docteur Philippe Decourt, ancien chef de clinique la facult de mdecine de Paris, me confia pour ce dossier un article intitul Bchamp et Pasteur : une grande injustice, qui avait t publi en 1980 dans le bulletin de Acadmie et Socit Lorraines des Sciences. En voici un extrait qui ouvrira sans doute les yeux de nombreux lecteurs sur les chemins tortueux

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  • que certains empruntent pour atteindre la gloire, sans se priver de faire des crocs-en-jambe des concurrents mieux dous :

    Comme les encyclopdies l'attestent, en se recopiant les unes les autres sans rien vrifier, les histoires des sciences attribuent Pasteur d'innombrables dcouvertes qu'il n'a pas faites. Faute de place je me bornerai citer, parmi beaucoup d'autres, deux exemples caractris-tiques qui datent, prcisment, de l'poque montpelliraine de la vie de Bchamp , et qui reprsentent deux tapes capitales dans l'histoire des sciences mdicales. Je suis malheureusement oblig de les rsumer ici trs brivement, mais on peut trouver toute la documentation dans les Archives internationales Claude Bernard. ( .. .)

    Le premier exemple concerne la dcouverte de l'origine micro-bienne des maladies infectieuses. En 1865, une maladie des vers soie, appele par les leveurs la pbrine , ruine le Midi de la France. Bchamp, alors Montpellier, l'tudie et conclut qu'elle est provoque par un parasite qui contamine les vers, ce qui tait vrai. La pbrine - crit-il -, attaque d'abord le ver par le dehors, et c'est de l'air que viennent les germes du parasite. La maladie, en un mot, n'est pas constitutionnelle.

    Mais Pasteur, envoy par le gouvernement, s'lve violemment contre l'affirmation de Bchamp. Il prtend (faussement) qu'il s'agit d'une maladie constitutionnelle , que les petits corps (le mot microbe n'existe pas encore et ne sera cr que treize ans plus tard) considrs par Bchamp comme des parasites (venus par contagion de l'extrieur) sont seulement des cellules malades du ver lui-mme, tels que les globules du sang, les globules du pus (sic), etc., qu'ils sont d'ailleurs incapables de reproduction, et qu'ils sont seulement la consquence d'un dfaut d'ducation dans l'levage des vers soie. Il n'avait rien compris et il s'lve avec tant de violence contre la thorie parasitaire (maintenant admise par tous) qu'il en arrive crire un ministre :

    Ces gens-l (Bchamp et son collaborateur Estor) devien-nent fous. Mais quelle folie malheureuse que celle qui compromet ainsi la Science et l'Universit par des lgrets aussi coupables !

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  • Pendant cinq ans Pasteur persiste dans son erreur. Et que dit-on aujourd'hui ? Le Dictionnaire de la Biographie franaise, ouvrage considrable et quasi officiel (publi avec le concours du CNRS), le seul qui consacre un article Bchamp, crit cette chose stupfiante : Bchamp, contrairement Pasteur, n'admettait pas la prsence de parasites pntrant les organismes pour y engendrer la maladie, et partout on rpte que ce fut Pasteur qui dcouvrit l'origine parasitaire de la pbrine. Les faits sont exactement inverss. On attribue Pasteur les ides contre lesquelles il lutte avec la violence que nous avons vue. On attribue Bchamp l'erreur de Pasteur, ou plus exactement ses erreurs car elles sont innombrables.

    J'interromps ici l'expos du docteur Decourt pour donner une explication plausible de la confusion du Dictionnaire de la Biographie franaise. Bien entendu, il est faux de dire que Bchamp n'admettait pas la prsence de parasites ... , mais, comme nous le verrons plus loin, lorsque Pasteur, aprs avoir combattu le parasitisme, passa d'un excs l'autre et devint un parasitiste absolu et sans partage, Bchamp, sans nier pour autant le parasitisme microbien (et pour cause, puisqu'il en tait le dcouvreur) refusa d'admettre qu'il tait l'unique explication des maladies et dut contredire l'absolutisme de Pasteur en dmontrant que la dgradation du terrain organique pouvait aussi engendrer des microbes internes et aboutir la maladie spontane. C'est manifestement cette position de rquilibrage qui devait plus tard induire en erreur le rdacteur du Dictionnaire, ce qui n'exclut pas la dsinformation dont il put tre victime.

    Mais le docteur Decourt poursuit :

    Le deuxime exemple concerne la dcouverte, non moins capitale, du ((ferment soluble . En 1867, Bchamp publia ses cours de l'hiver prcdent la Facult de Montpellier. Cet ouvrage remarquable (De la circulation du carbone dans la nature et des interm-diaires de cette circulation) contenait ses tudes sur les fermenta-tions et, notamment, sa dcouverte trs importante du (( ferment soluble . Les ((ferments (comprenant ce que l'on appellera plus tard les (( microbes ) sont, disait-il, des organismes vivants. Mais, expliquait-il longuement, il ne faut pas confondre l'organisme vivant

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  • avec les substances qu'il fabrique et secrte, qui sont d'ordre purement chimique, et qu'il appelle pour cette raison ferments solubles . Ce sont elles qui agissent. Il le montre, d'une faon remarquable, dans le cas de la fermentation alcoolique. Pour viter la confusion entre les vivants (dits insolubles) et les produits de leur scrtion (dits ferments solubles), il donne ces derniers le nom gnrique de zymases (chaque espce de ferments vivants microscopiques pouvant produire des zymases diffrentes).

    Ds cette poque, Bchamp tirait parfaitement les consquences de cette notion. Alors que les ferments au sens alors classique sont organiss, c'est--dire forms de cellules plus ou moins grandes capables de se reproduire et de se multiplier, au contraire les zymases se comportent comme des ractifs et leur action est purement chimique. L'une des conclusions fondamentales de Bchamp tait que les mutations de la matire organique, organise ou non, s'y font selon les lois ordinaires de la chimie, et en rsum: Il n'y a qu'une chimie .

    Ainsi, Bchamp s'opposait la thorie vitaliste , alors trs rpandue encore en physiologie, suivant laquelle il existerait des phnomnes vitaux particuliers, chappant aux lois gnrales de la chimie et de la physique.

    Claude Bernard se passionna pour l'opinion de Bchamp, au point qu'il consacrait ses dernires expriences en dmontrer la justesse quand une maladie infectieuse et la mort vinrent les interrompre prmaturment. C'est dommage - dit-il au moment de mourir -, c'et t bien finir. En effet, il s'opposait Pasteur qui, une fois de plus, se trompait. Pasteur soutenait la thorie vitaliste laquelle, depuis longtemps, personne ne croit plus : il prtendait que les ferments vivants microscopiques n'agissent pas par l'intermdiaire de ferments solubles qu'ils secrtent mais par une action proprement vitale caractristique de la vie et lie exclusivement elle.

    Le jeune d'Arsonval, dernier prparateur de Claude Bernard, communiqua ses dernires penses au grand chimiste Marcelin Berthelot qui tait d'accord avec Bchamp sur l'existence des ferments solubles, ce qui provoqua la clbre controverse (elle figure dans toutes les histoires des sciences) entre Berthelot et Pasteur. Celui-ci voulait dmolir Bernard (sic) et conclut 18 mois de discussions en dclarant : La question du ferment soluble est tranche : il n'existe pas; Bernard s'est fait illusion . Mais les annes qui

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  • suivirent ne cessrent de dmontrer que Bchamp avait eu raison contre Pasteur avec la dcouverte et l'isolement des toxines microbiennes (ferments solubles types); la reproduction, en 1897, des tudes de Bchamp sur le ferment alcoolique soluble par l'Allemand Bchner (qui reprend cette occasion le terme de zymase ); la transformation chimique par Ramon des toxines en anatoxines actuellement universellement utilises comme vaccins, etc.

    On peut constater facilement quel point le nom de Bchamp a t systmatiquement dissimul, puis oubli : la dcouverte de la zymase est considre comme si importante que dans le petit volume rsumant en 150 pages l'histoire de la biologie depuis ses origines jusqu' nos jours (collection Que sais-je? - PUF dit.), deux pages lui sont consacres; mais elle y est attribue Bchner en 1897. Il suffit d'ouvrir le diction-naire Littr dont le dernier volume fut publi en 1873: le mot zymase y figurait dj dans le sens exact qui lui fut conserv par Bchner, et on y trouve mme la rfrence d'une communication de Bchamp et Es tor l'Acadmie des Sciences de 1868 sur cette dcouverte (qui d'ailleurs datait de 1864, plus de 30 ans avant la publication de Bchner). On trouve partout la fois le dictionnaire Littr (qui a t rcemment reproduit intgralement), et la collection Que sais-je ? .

    Le comble est qu'on crit aujourd'hui que Bchamp tait vitaliste , alors qu'avec la dcouverte des zymases ou ferments solubles, en affirmant qu'il n'y a qu'une chimie, il s'opposait la doctrine vitaliste de Pasteur. Tout le monde est d'accord maintenant avec ce que Bchamp soutenait avec vigueur dans ses cours Montpellier et son livre de 1876; mais, l encore, on a invers les faits historiques en lui attribuant l'erreur de Pasteur, qu'au contraire on passe pudiquement sous silence. On voit qu'il ne s'agit pas de simples antriorits dsutes , mais d'oppositions doctrinales sur des problmes fondamentaux de la mdecine.

    Problmes fondamentaux en effet, puisque la domination de Pasteur sur les orientations mdicales franaises, prennise par l'Institut qui porte son nom et qui a impos sa vision des choses, allait aboutir des thrapies guerrires agressant chimique-ment le terrain biologique et fragilisant le systme immunitaire de chacun. Sans parler du cot pharamineux de cette thrapeu-tique errone qui, travers la fiscalisation progressive de la

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  • Scurit sociale, est en passe de ruiner l'conomie franaise. Or, une pratique mdicale constitue sur les principes mis en lumire par Bchamp aurait pu et pourrait encore nous doter d'une bien meilleure sant publique et bien moindre cot.

    Je noterai cependant au passage que, l encore, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'opposer radicalement la thorie vitaliste celle des zymases . Il me semble qu'elle peuvent parfaite-ment coexister. Pourquoi les microbes n'agiraient-ils pas tour tour, soit de faon directe par action vitale (c'est--dire physique), soit de faon indirecte (c'est--dire chimique) par les toxines qu'ils produisent?

    Je ne vois pas en quoi les deux modalits seraient contradic-toires. Et je ne crois pas qu'il faille mettre systmatiquement sur le compte de la duplicit ou de la ngligence la confusion des auteurs qui attribuent le vitalisme Bchamp. Cette confusion peut tenir simplement au fait que les positions de Bchamp taient beaucoup plus mesures et nuances que celles de Pasteur, qui taient radicales et rigides mais prtes virer de cent-quatre-vingts degrs si le vent tournait.

    Le grand problme qui se pose dans tous les domaines avec les caractres dogmatiques