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Le chne parlant mademoiselle Blanche Amic.Il y avait autrefois en la fort de Cernas un gros vieux chne qui pouvait bien avoir cinq cents ans. La foudre l'avait frapp plusieurs fois, et il avait d se faire une tte nouvelle, un peu crase, mais paisse et verdoyante.Longtemps ce chne avait eu une mauvaise rputation. Les plus vieilles gens du village voisin disaient encore que, dans leur jeunesse, ce chne parlait et menaait ceux qui voulaient se reposer sous son ombrage. Ils racontaient que deux voyageurs, y cherchant un abri, avaient t foudroys. L'un d'eux tait mort sur le coup; l'autre s'taitemps et n'avait t qu'tourdi, parce qu'il avait t averti par une voix qui lui criait:Va-t'en vite!L'histoire tait si ancienne qu'on n'y croyait plus gure, et, bien que cet arbre portt encore le nom de chne parlant, les ptours s'en approchaient sans trop de crainte. Pourtant le moment vint o il fut plus que jamais rput sorcier aprs l'aventure d'Emmi.Emmi tait un pauvre petit gardeur de cochons, orphelin et trs malheureux, non seulement parce qu'il tait mal log, mal nourri et mal vtu, mais encore parce qu'il dtestait les btes que la misre le forait soigner. Il en avait peur, et ces animaux, qui sont plus fins qu'ils n'en ont l'air, sentaient bien qu'il n'tait pas le matre avec eux. Il s'enllait ds le matin, les conduisant la glande, dans la fort. Le soir, il les ramenait la ferme, et c'tait piti de le voir, couvert de mchants haillons, la tte nue, ses cheveux hrisss par le vent, sa pauvre petite figure ple, maigre, terreuse, l'air triste, effray, souffrant, chassant devant lui ce troupeau de btes criardes, au regard oblique, la tte baisse, toujours menaante. le voir ainsi courir leur suite sur les sombres bruyres, dans la vapeur rouge du premier crpuscule, on et dit d'un follet des landes chass par une rafale.Il et pourtant t aimable et joli, ce pauvre petit porcher, s'il et t soign, propre, heuux comme vous autres, mes chers enfants qui me lisez. Lui ne savait pas lire, il ne savait rien, et c'est tout au plus s'il savait parler assez pour demander le ncessaire, et, comme il tait craintif, il ne le demandait pas toujours, c'tait tant pis pour lui si on l'oubliait.Un soir, les pourceaux rentrrent tout seuls l'table, et le porcher ne parut pas l'heure du souper. On n'y fit attention que quand la soupe aux raves fut mange, et la fermire envoya un de ses gars pour appeler Emmi. Le gars revint dire qu'Emmi n'tait ni l'table, ni dans le grenier, o il couchait sur la paille. On pensa qu'il tait all voir sa tante, qui demeurait aux environs, et on se coucha sans plus songer lui.Le lendemain matin, on alla chez la tante, et on s'tonna d'apprendre qu'Emmi n'avait point pass la nuit chez elle. Il n'avait pas reparu au village depuis la veille. On s'enquit de lui aux alentours, personne ne l'avait vu. On le chercha en vain dans la fort. On pensa que les sangliers et les loups l'avaient mang. Pourtant on ne retrouva ni sa sarclette, sorte de houlette manche court dont se servent les porchers, ni aucune loque de son pauvre vtement; on en conclut qu'il avait quitt le pays pour vivre en vagabond, et le fermier dit que ce n'tait pas un grand dommage, que l'enfant n'tait bon rien, n'aimant pas ses btes et n'ayant pas su s'en faire aimer.Un nouveau porcher fut lou pour le reste de l'anne, mais la disparition d'Emmi effrayait tous les gars du pays; la dernire fois qu'on l'avait vu, il allait du ct du chne parlant, et c'tait l sans doute qu'il lui tait arriv malheur. Le nouveau porcher eut bien soin de n'y jamais conduire son troupeau et les autres enfants se gardrent d'aller jouer de ce ct-l.Vous me demandez ce qu'Emmi tait devenu. Patience, je vais vous le dire.La dernire fois qu'il tait all la fort avec ses btes, il avait avis quelque distancegros chne une touffe de favasses en fleurs. La favasse ou fverole, c'est cette jolie papilionace grappes roses que vous connaissez, la gesse tubreuse; les tubercules sont gros comme une noisette, un peu pres quoique sucrs. Les enfants pauvres en sont friands; c'est une nourriture qui ne cote rien et que les pourceaux, qui en sont friands aussi, songent seuls leur disputer. Quand on parle des anciens anachortes vivant de racines, on peut tre certain que le mets le plus recherch de leur austre cuisine tait, dans nos pays du centre, le tubercule de cette gesse.Emmi savait bien que les favasses ne pouvaient pas encore tre bonnes manger, car on n'tait qu'au commencement de l'automne, mais il voulait marquer l'endroit pour venir fouiller la terre quand la tige et la fleur seraient dessches. Il fut suivi par un jeune porc qui se mit fouiller et qui menaait de tout dtruire, lorsque Emmi, impatient de voir le ravage inutile de cette bte vorace, lui allongea un coup de sa sarclette sur le groin. Le fer de la sarclette tait frachement repass et coupa lgrement le nez du porc, qui jeta un cri d'alarme. Vous savez comment ces animaux se soutiennent entre eux, et comme certains de leurs appels de dtresse les mettent tous en fureur contre l'ennemi commun; d'ailleurs, ils en voulaient depuis longtemps Emmi, qui ne leur prodiguait jamais ni caresses ni compliments. Ils se rassemblrent en criant qui mieux mieux et l'entourrent pour le dvorer. Le pauvre enfant prit la fuite, ils le poursuivirent; ces btes ont, vous le savez, l'allure effroyablement prompte; il n'eut que le temps d'atteindre le gros chne, d'en escalader les asprits et de se rfugier dans les branches. Le farouche troupeau resta au pied, hurlant, menaant, essayant de fouir pour abattre l'arbre. Mais le chne parlant avait de formidables racines qui se moquaient bien d'un troupeau de cochons. Les assaillants ne renoncrent pourtant leur entreprise qu'aprs le coucher du soleil. Alors, ils se dcidrent regagner la ferme, et le petit Emmi, certain qu'ils le dvoreraient s'il y allait avec eux, rsolut de n'y retourner jamais.Il savait bien que le chne passait pour tre un arbre enchant, mais il avait trop se plaindre des vivants pour craindre beaucoup les esprits. Il n'avait vcu que de misre et de coups; sa tante tait trs dure pour lui: elle l'obligeait garder les porcs, lui qui en avait toujours eu horreur. Il tait n comme cela, elle lui en faisait un crime, et, quand il venait la voir en la suppliant de le reprendre avec elle, elle le recevait, comme on dit, avec une vole de bois vert. Il la craignait donc beaucoup, et tout son dsir et t de garder les moutons dans une autre ferme o les gens eussent t moins avares et moins mauvais pour lui.Dans le premier moment aprs le dpart des pourceaux, il ne sentit que le plaisir d'tre dbarrass de leurs cris farouches et de leurs menaces, et il rsolut de passer la nuit o il tait. Il avait encore du pain dans son sac de toile bise, car, durant le sige qu'il avait soutenu, il n'avait pas eu envie de manger. Il en mangea la moiti, rservant le reste pour son djeuner; aprs cela, la grce de Dieu!Les enfants dorment partout. Pourtant Emmi ne dormait gure. Il tait malingre, souvent fivreux, et rvait plutt qu'il ne se reposait l'esprit durant son sommeil. Il s'installa du mieux qu'il put entre deux matresses branches garnies de mousse, et il eut grande envie de dormir; mais le vent qui faisait mugir le feuillage et grincer les branches l'effraya, et il se mit songer aux mauvais esprits, tant et si bien qu'il s'imagina entendre une voix grle et fche qui lui disait plusieurs reprises:Va-t'en, va-t'en d'ici!D'abord Emmi, tremblant et la gorge serre, ne songea point rpondre; mais, comme, en mme temps que le vent s'apaisait, la voix du chne s'adoucissait et semblait lui murmurer l'oreille d'un ton maternel et caressant: Va-t'en, Emmi, va-t'en! Emmi se sentit le de rpondre:Chne, mon beau chne, ne me renvoie pas. Si je descends, les loups qui courent la nuit me mangeront.Va, Emmi, va! reprit la voix encore plus radoucie.Mon bon chne parlant, reprit aussi Emmi d'un ton suppliant, ne m'envoie pas avec les loups. Tu m'as sauv des porcs, tu as t doux pour moi, sois-le encore. Je suis un pauvre enfant malheureux, et je ne puis ni ne voudrais te faire aucun mal: garde-moi cette nuit; si tu l'ordonnes, je m'en irai demain matin.La voix ne rpliqua plus, et la lune argenta faiblement les feuilles. Emmi en conclut qu'il lui tait permis de rester, ou bien qu'il avait rv les paroles qu'il avait cru entendre. Il s'endormit et, chose trange, il ne rva plus et ne fit plus qu'un somme jusqu'au jour. Il descendit alors et secoua la rose qui pntrait son pauvre vtement.Il faut pourtant, se dit-il, que je retourne au village, je dirai ma tante que mes porcs ont voulu me manger, que j'ai t oblig de coucher sur un arbre, et elle me permettra d'aller chercher une autre condition.Il mangea le reste de son pain; mais, au moment de se remettre en route, il voulut remercier le chne qui l'avait protg le jour et la nuit.Adieu et merci, mon bon chne, dit-il en baisant l'corce, je n'aurai plus jamais peur de toi, et je reviendrai te voir pour te remercier encore.Il traversa la lande, et il se dirigeait vers la chaumire de sa tante, lorsqu'il entendit parler derrire le mur du jardin de la ferme.Avec tout a, disait un des gars, notre porcher n'est pas revenu, on ne l'a pas vu chez sa tante, et il a abandonn son troupeau. C'est un sans-cur et un paresseux qui je donnerai une jolie roule de coups de sabot, pour le punir de me faire mener ses btes aux champs aujourd'hui sa place.Qu'est-ce que a te fait, de mener les porcs? dit l'autre gars.C'est une honte mon ge, reprit le premier: cela convient un enfant de dix ans, comme le petit Emmi; mais, quand on en a douze, on a droit garder les vaches ou tout au moins les veaux.Les deux gars furent interrompus par leur pre.Allons vite, dit-il, l'ouvrage! Quant ce porcher de malheur, si les loups l'ont mang, t tant pis pour lui; mais, si je le retrouve vivant, je l'assomme. Il aura beau aller pleurer chez sa tante, elle est dcide le faire coucher avec les cochons pour lui apprendre faire le fier et le dgot.Emmi, pouvant de cette menace, se le tint pour dit. Il se cacha dans une meule de bl, o il passa la journe. Vers le soir, une chvre qui rentrait l'table, et qui s'attardt lcher je ne sais quelle herbe, lui permit de la traire. Quand il eut rempli et aval deux ou trois fois le contenu de sa sbile de bois, il se renfona dans les gerbes jusqu' la nuit. Quand il fit tout fait sombre et que tout le monde fut couch, il se glissa jusqu' son grenier et y prit diverses choses qui lui appartenaient, quelques cus gagns par lui que le fermier lui avait remis la veille et dont sa tante n'avait pas encore eu le temps de le dpouiller, une peau de chvre et une peau de mouton dont il se servait l'hiver, un couteau neuf, un petit pot de terre, un peu de linge fort dchir. Il mit le tout dans son sac, descendit dans la cour, escalada la barrire et s'en alla petits pas pour ne pas faire de bruit; mais, comme il passait prs de l'table porcs, ces maudites btes le sentirent ou l'entendirent et se prirent crier avec fureur. Alors, Emmi, craignant que les fermiers, rveills dans leur premier sommeil, ne se missent ses trousses, prit sa course et ne s'arrta qu'au pied du chne parlant.Me voil revenu, mon bon ami, lui dit-il. Permets-moi de passer encore une nuit dans tes branches. Dis si tu le veux!Le chne ne rpondit pas. Le temps tait calme, pas une feuille ne bougeait. Emmi pensa que qui ne dit mot consent. Tout charg qu'il tait, il se hissa adroitement jusqu' la grosse enfourchure o il avait pass la nuit prcdente, et il y dormit parfaitement bien.Le jour venu, il se mit en qute d'un endroit convenable pour cacher son argent et son bagage, car il n'tait encore dcid rien sur les moyens de s'loigner du pays sans tre et ramen de force la ferme. Il grimpa au-dessus de la place o il se trouvait. Il dcouvrit alors dans le tronc principal du gros arbre un trou noir fait par la foudre depuis bien longtemps, car le bois avait form tout autour un gros bourrelet d'corce. Au fond de cette cachette, il y avait de la cendre et de menus clats de bois hachs par le tonnerre.Vraiment, se dit l'enfant, voil un lit trs doux et trs chaud o je dormirai sans risque de tomber en rvant. Il n'est pas grand, mais il l'est assez pour moi. Voyons pourtant s'il n'est pas habit par quelque mchante bte.Il fureta dans l'intrieur de ce refuge, et vit qu'il tait perc par en haut, ce qui devait amener un peu d'humidit dans les temps de pluie. Il se dit qu'il tait bien facile de boucher ce trou avec de la mousse. Une chouette avait fait son nid dans le conduit.Je ne te drangerai pas, pensa Emmi, mais je fermerai la communication. Comme cela, nous serons chacun chez nous.Quand il eut prpar son nid pour la nuit suivante et install son bagage en sret, il s'assit dans son trou, les jambes dehors appuyes sur une branche, et se mit songer vaguement la possibilit de vivre dans un arbre; mais il et souhait que cet arbre ft au cur de la fort au lieu d'tre auprs de la lisire, expos aux regards des bergers et porchers qui y amenaient leurs troupeaux. Il ne pouvait prvoir que, par suite de sa disparition, l'arbre deviendrait un objet de crainte, et que personne n'en approcherait plus.La faim commenait se faire sentir, et, bien qu'il ft trs petit mangeur, il se ressentait bien de n'avoir rien pris de solide la veille. Irait-il dterrer les favasses encore vertes qu'il avait remarques quelques pas de l? ou irait-il jusqu'aux chtaigniers qui poussaient plus avant dans la fort?Comme il se prparait descendre, il vit que la branche sur laquelle reposaient ses pieds n'appartenait pas son chne. C'tait celle d'un arbre voisin qui entre-croisait ses belles et fortes ramures avec celles du chne parlant. Emmi se hasarda sur cette branche et gagna le chne voisin qui avait, lui aussi, pour proche voisin un autre arbre facile atteindre. Emmi, lger comme un cureuil, s'aventura ainsi d'arbre en arbre jusqu'aux chtaigniers o il fit une bonne rcolte. Les chtaignes taient encore petites et pas trs mres; mais il n'y regardait pas de bien prs, et il mit comme qui dirait pied terre pour les faire cuire dans un endroit bien dsert et bien cach o les charbonniers avaient fait autrefois une fourne. Le rond marqu par le feu tait entour de jeunes arbres qui avaient repouss depuis: il y avait beaucoup de menus dchets demi brls. Emmi n'eut pas de peine en faire un tas et y mettre le feu au moyen d'un caillou qu'il battit du dos de son couteau, et il recueillit l'tincelle avec des feuilles sches, tout en se promettant de faire provision d'amadou sur les arbres dcrpits, qui ne manquaient pas dans la fort. L'eau d'une rigole lui permit de faire cuire ses chtaignes dans son petit pot de terre, couvercle perc, destin cet usage. C'est un meuble dont en ce pays-l tout ptour est nanti.Emmi, qui ne rentrait souvent que le soir la ferme, cause de la grande distance o il devait mener ses btes, tait donc habitu se nourrir lui-mme, et il ne fut pas embarrass de cueillir son dessert de framboises et de mres sauvages sur les buissons de la petite clairire.Voil, pensa-t-il, ma cuisine et ma salle manger trouves.Et il se mit nettoyer le cours du filet d'eau qu'il avait sa porte. Avec sa sarclette, il enleva les herbes pourries, creusa un petit rservoir, dbarrassa un petit saut que l'eau faisait dans la glaise et l'pura avec du sable et des cailloux. Cet ouvrage l'occupa jusque vers le coucher du soleil. Il ramassa son pot et sa houlette, et, remontant sur les branches dont il avait prouv la solidit, il retrouva son chemin d'cureuil, grimpant et sautant d'arbre en arbre jusqu' son chne. Il rapportait une paisse brasse de fougre et de mousse bien sche dont il fit son lit dans le trou dj nettoy. Il entendit bien la chouette sa voisine qui s'inquitait et grognait au-dessus de sa tte.Ou elle dlogera, pensa-t-il, ou elle s'y habituera. Le bon chne ne lui appartient pas plus qu' moi.Habitu vivre seul, Emmi ne s'ennuya pas. tre dbarrass de la compagnie des pourceaux fut mme pour lui une source de bonheur pendant plusieurs jours. Il s'accoutuma entendre hurler les loups. Il savait qu'ils restaient au cur de la fort et n'approchaient gure de la rgion o il se trouvait. Les troupeaux n'y venant plus, les compres ne s'en approchaient plus du tout. Et puis Emmi apprit connatre leurs habitudes. En pleine fort, il n'en rencontrait jamais dans les journes claires. Ils n'avaient de hardiesse que dans les temps de brouillard, et encore cette hardiesse n'tait-elle pas grande. Ils suivaient quelquefois Emmi distance, mais il lui suffisait de se retourner et d'imiter le bruit d'un fusil qu'on arme en frappant son couteau contre le fer de sa sarclette pour les mettre en fuite. Quant aux sangliers, Emmi les entendait quelquefois, il ne les voyait jamais; ce sont des animaux mystrieux qui n'attaquent jamais les premiers.Quand il vit approcher l'poque de la cueillette des chtaignes, il fit sa provision qu'il cacha dans un autre arbre creux peu de distance de son chne; mais les rats et les mulots les lui disputrent si bien, qu'il dut les enterrer dans le sable, o elles se conservrent jusqu'au printemps. D'ailleurs, Emmi avait largement de quoi se nourrir. La lande tant devenue absolument dserte, il put s'aventurer la nuit jusqu'aux endroits cultivs et y dterrer des pommes de terre et des raves; mais c'tait voler et la chose lui rpugnait. Il amassa quantit de favasses dans les jachres et fit des lacets pour prendre des alouettes en ramassant de et del des crins laisss aux buissons par les chevaux au pturage. Les ptours savent tirer parti de tout et ne laissent rien perdre. Emmi ramassa assez de flocons de laine sur les pines des cltures pour se faire une espce d'oreiller; plus tard, il se fabriqua une quenouille et un fuseau et apprit tout seul filer. Il se fit des aiguilles tricoter avec du fil de fer qu'il trouva une barrire mal raccommode, qu'on rpara encore et qu'il dpouilla de nouveau pour fabriquer des collets prendre les lapins. Il russit donc se faire des bas et manger de la viande. Il devint un chasseur des plus habiles; piant jour et nuit toutes les habitudes du gibier, initi tous les mystres de la lande et de la fort, il tendit ses piges coup sr et se trouva dans l'abondance.Il eut mme du pain discrtion, grce une vieille mendiante idiote, qui, toutes les semaines, passait au pied du chne et y dposait sa besace pleine, pour se reposer. Emmi, qui la guettait, descendait de son arbre, la tte couverte de sa peau de chvre, et lui donnait une pice de gibier en change d'une partie de son pain. Si elle avait peur de lui, sa peur ne se manifestait que par un rire stupide et une obissance dont elle n'avait du reste point se repentir.Ainsi se passa l'hiver, qui fut trs doux, et l't suivant, qui fut chaud et orageux. Emmi eut d'abord grand'peur du tonnerre, car la foudre frappa plusieurs fois des arbres assez proches du sien; mais il remarqua que le chne parlant, ayant t cim longtemps auparavant et s'tant refait une cime en parasol, n'attirait plus le fluide, qui s'attaquait des arbres plus levs et de forme conique. Il finit par dormir aux roulements et aux clats du tonnerre sans plus de souci que la chouette sa voisine.Dans cette solitude, Emmi, absorb par le soin incessant d'assurer sa vie et de prserver sa libert, n'eut pas le temps de connatre l'ennui. On pouvait le traiter de paresseux, il savait bien, lui, qu'il avait plus de mal se donner pour vivre seul que s'il ft rest la ferme. Il acqurait aussi plus d'intelligence, de courage et de prvision que dans la vie ordinaire. Pourtant, quand cette vie exceptionnelle fut rgle souhait et qu'elle exigea moins de temps et de souci, il commena rflchir et sentir sa petite conscience lui adresser certaines questions embarrassantes. Pourrait-il vivre toujours ainsi aux dpens de la fort sans servir personne et sans contenter aucun de ses semblables? Il s'tait pris d'une espce d'amiti pour la vieille Catiche, l'idiote qui i cdait son pain en change de ses lapins et de ses chapelets d'alouettes. Comme elle n'avait pas de mmoire, ne parlait presque pas et ne racontait par consquent personne ses entrevues avec lui, il tait arriv se montrer elle visage dcouvert, et elle ne le craignait plus. Ses rires hbts laissaient deviner une expression de plaisir quand elle le voyait descendre de son arbre. Emmi s'tonnait lui-mme de partager ce plaisir; il ne se disait pas, mais il sentait que la prsence d'une crature humaine, si dgrade qu'elle soit, est une sorte de bienfait pour celui qui s'est condamn vivre seul. Un jour qu'elle lui semblait moins abrutie que de coutume, il essaya de lui parler et de lui demander o elle demeurait. Elle cessa tout coup de rire, et lui dit d'une voix nette et d'un ton srieux:Veux-tu venir avec moi, petit?O?Dans ma maison; si tu veux tre mon fils, je te rendrai riche et heureux.Emmi s'tonna beaucoup d'entendre parler distinctement et raisonnablement la vieille Catiche. La curiosit lui donnait quelque envie de la croire, mais un coup de vent agita les branches au-dessus de sa tte, et il entendit la voix du chne lui dire:N'y va pas!Bonsoir et bon voyage, dit-il la vieille; mon arbre ne veut pas que je le quitte.Ton arbre est un sot, reprit-elle, ou plutt c'est toi qui es une bte de croire la parole des arbres.Vous croyez que les arbres ne parlent pas? Vous vous trompez bien!Tous les arbres parlent quand le vent se met aprs eux, mais ils ne savent pas ce qu'ils disent; c'est comme s'ils ne disaient rien.Emmi fut fch de cette explication positive d'un fait merveilleux. Il rpondit Catiche:C'est vous qui radotez, la vieille. Si tous les arbres font comme vous, mon chne du moins sait ce qu'il veut et ce qu'il dit.La vieille haussa les paules, ramassa sa besace et s'loigna en reprenant son rire d'idiote.Emmi se demanda si elle jouait un rle ou si elle avait des moments lucides. Il la laissa partir et la suivit, en se glissant d'arbre en arbre sans qu'elle s'en aperut. Elle n'allait pas vite et marchait le dos courb, la tte en avant, la bouche entr'ouverte, l'il fix droit devant elle; mais cet air extnu ne l'empchait pas d'avancer toujours se presser ni se ralentir, et elle traversa ainsi la fort pendant trois bonnes heures de marche, jusqu' un pauvre hameau perch sur une colline derrire laquelle d'autres bois s'tendaient perte de vue. Emmi la vit entrer dans une mchante cahute isole des autres habitations, qui, pour paratre moins misrables, n'en taient pas moins un assemblage de quelques douzaines de taudis. Il n'osa pas s'aventurer plus loin que les derniers arbres de la fort et revint sur ses pas, bien convaincu que, si la Catiche avait un chez elle, il tait plus pauvre et plus laid que le trou de l'arbre parlant.Il regagna son logis du grand chne et n'y arriva que vers le soir, harass de fatigue, mais content de se retrouver chez lui. Il avait gagn ce voyage de connatre l'tendue de la fort et la proximit d'un village; mais ce village paraissait bien plus mal partag que celui de Cernas, o Emmi avait t lev. C'tait tout pays de landes sans trace de cture, et les rares bestiaux qu'il avait vus patre autour des maisons n'avaient que la peau sur les os. Au-del, il n'avait aperu que les sombres horizons des forts. Ce n'est donc pas de ce ct-l qu'il pouvait songer trouver une condition meilleure que la sienne.Au bout de la semaine, la Catiche arriva l'heure ordinaire. Elle revenait de Cernas, et il lui demanda des nouvelles de sa tante pour voir si cette vieille aurait le pouvoir et la volont de lui rpondre comme la dernire fois. Elle rpondit trs nettement:La grand'Nanette est remarie, et, si tu retournes chez elle, elle tchera de te faire mourir pour se dbarrasser de toi.Parlez-vous raisonnablement? dit Emmi, et me dites-vous la vrit?Je te dis la vrit. Tu n'as plus qu' te rendre ton matre pour vivre avec les cochons, oercher ton pain avec moi, ce qui te vaudrait mieux que tu ne penses. Tu ne pourras pas toujours vivre dans la fort. Elle est vendue, et sans doute on va abattre les vieux arbres. Ton chne y passera comme les autres. Crois-moi, petit. On ne peut vivre nulle part sans gagner de l'argent. Viens avec moi, tu m'aideras en gagner beaucoup, et, quand je mourrai, je te laisserai celui que j'ai.Emmi tait si tonn d'entendre causer et raisonner l'idiote, qu'il regarda son arbre et prta l'oreille comme s'il lui demandait conseil.Laisse donc cette vieille bche tranquille, reprit la Catiche. Ne sois pas si sot et viens avec moi.Comme l'arbre ne disait mot, Emmi suivit la vieille, qui, chemin faisant, lui rvla son secret. Je suis venue au monde loin d'ici, pauvre comme toi et orpheline. J'ai t leve dans la sre et les coups. J'ai gard aussi les cochons, et, comme toi, j'en avais peur. Comme toi, je me suis sauve; mais, en traversant une rivire sur un vieux pont dcrpit, je suis tombe l'eau d'o on m'a retire comme morte. Un bon mdecin chez qui on m'a porte m'a fair la vie; mais j'tais idiote, sourde, et ne pouvant presque plus parler. Il m'a garde par charit, et, comme il n'tait pas riche, le cur de l'endroit a fait des qutes pour moi, et les dames m'ont apport des habits, du vin, des douceurs, tout ce qu'il me fallait. Je commenais me porter mieux, j'tais si bien soigne! Je mangeais de la bonne viande, je buvais du bon vin sucr, j'avais l'hiver du feu dans ma chambre, j'tais comme une princesse, et le mdecin tait content. Il disait: La voil qui entend ce qu'on lui dit. Elle retrouve les mots pour parler. Dans deux ou trois mois d'ici, elle pourra travailler et gagner honntement sa vie.Et toutes les belles dames se disputaient qui me prendrait chez elle.Je ne fus donc pas embarrasse pour trouver une place aussitt que je fus gurie; mais je n'avais pas le got du travail, et on ne fut pas content de moi. J'aurais voulu tre fille de chambre, mais je ne savais ni coudre ni coiffer; on me faisait tirer de l'eau au puits et plumer la volaille, cela m'ennuyait. Je quittai l'endroit, croyant tre mieux ailleurs. Ce fut encore pire, on me traitait de malpropre et de paresseuse. Mon vieux mdecin tait mort. On me chassa de maison en maison, et, aprs avoir t l'enfant chri de tout le monde, je dus quitter le pays comme j'y tais venue, en mendiant mon pain; mais j'tais plus misrable qu'auparavant. J'avais pris le got d'tre heureuse, et e donnait si peu, que j'avais peine de quoi manger. On me trouvait trop grande et de trop bonne mine pour mendier. On me disait: Va travailler, grande fainante! c'est une honte ton ge de courir les chemins quand oneut pierrer les champs six sous par jour.Alors, je fis la boiteuse pour donner croire que je pouvais pas travailler; on trouva que j'tais encore trop forte pour ne rien faire, et je dus me rappeler le temps o tout le monde avait piti de moi, parce que j'tais idiote. Je sus retrouver l'air que j'avais dans ce temps-l, mon habitude de ricaner au lieu de parler, et je fis si bien mon personnage, que les sous et les miches recommencrent pleuvoir dans ma besace. C'est comme cela que je cours depuis une quarantaine d'annes, sans jamais essuyer de refus. Ceux qui ne peuvent me donner d'argent me donnent du fromage, des fruits et du pain plus que je n'en peux porter. Avec ce que j'ai de trop pour moi, j'lve des poulets que j'envoie au march et qui me rapportent gros. J'ai une bonne maison dans un village o je vais te conduire. Le pays est malheureux, mais les habitants ne le sont pas. Nous sommes tous mendiants et infirmes, ou soi-disant tels, et chacun fait sa tourne dans un endroit o les autres sont convenus de ne pas aller ce jour-l. Comme a, chacun fait ses affaires comme il veut; mais personne ne les fait aussi bien que moi, car je m'entends mieux que personne paratre incapable de gagner ma vie.Le fait est, rpondit Emmi, que jamais je ne vous aurais crue capable de parler comme vous faites.Oui, oui, reprit la Catiche en riant, tu as voulu m'attraper et m'effrayer en descendant de ton arbre, coiff en loup-garou, pour avoir du pain. Moi, je faisais semblant d'avoir peur, mais je te reconnaissais bien et je me disais: Voil un pauvre gars qui viendra quelque jour Oursines-les-Bois, et qui sera bien content de manger ma soupe.En devisant ainsi, Emmi et la Catiche arrivrent Oursines-les-Bois; c'tait le nom de l'endroit o demeurait la fausse idiote et qu'Emmi avait dj vu.Il n'y avait pas une me dans ce triste hameau. Les animaux paissaient et l, sans tre gards, sur une lande fertile en chardons, qui tait toute la proprit communale des habitants. Une malpropret rvoltante dans les chemins boueux qui servaient de rues, une odeur infecte s'exhalant de toutes les maisons, du linge dchir schant sur des buissons souills par la volaille, des toits de chaume pourri, o poussaient des orties, un air d'abandon cynique, de pauvret simule ou volontaire, c'tait de quoi soulever de dgot le cur d'Emmi, habitu aux verdures vierges et aux bonnes senteurs de la fort. Il suivit pourtant la vieille Catiche, qui le fit entrer dans sa hutte de terre battue, plus semblable une table porcs qu' une habitation. L'intrieur tait tout diffrent:urs taient garnis de paillassons, et le lit avait matelas et couvertures de bonne laine. Une quantit de provisions de toute sorte: bl, lard, lgumes et fruits, tonnes de vin et mme bouteilles cachetes. Il y avait de tout, et, dans l'arrire-cour, l'pinette tait remplie de grasses volailles et de canards gorgs de pain et de son.Tu vois, dit la Catiche Emmi, que je suis autrement riche que ta tante; elle me fait l'aumne toutes les semaines, et, si je voulais, je porterais de meilleurs habits que les siens. Veux-tu voir mes armoires? Rentrons, et, comme tu dois avoir faim, je vas te faire manger un souper comme tu n'en as got de ta vie.En effet, tandis qu'Emmi admirait le contenu des armoires, la vieille alluma le feu et tira de sa besace une tte de chvre, qu'elle fricassa avec des rogatons de toute sorte et o elle n'pargna ni le sel, ni le beurre rance, ni les lgumes avaris, produit de la dernire tourne. Elle en fit je ne sais quel plat, qu'Emmi mangea avec plus d'tonnement que de plaisir et qu'elle le fora d'arroser d'une demi-bouteille de vin bleu. Il n'avait jamais bu de vin, il ne le trouva pas bon, mais il but quand mme, et, pour lui donner l'exemple, la vieille avala une bouteille entire, se grisa et devint tout fait expansive. Elle se vanta de savoir voler encore mieux que mendier et alla jusqu' lui montrer sa bourse, qu'elle enterrait sous une pierre du foyer et qui contenait des pices d'or toutes les effigies du sicle. Il y en avait bien pour deux mille francs. Emmi, qui ne savait pas compter, n'apprcia pas autant qu'elle l'et voulu l'opulence de la mendiante.Quand elle lui eut tout montr: prsent, lui dit-elle, je pense que tu ne voudras plus me quitter. J'ai besoin d'un gars, et, si tu veux tre mon service, je te ferai mon hritier.Merci, rpondit l'enfant; je ne veux pas mendier.Eh bien, soit, tu voleras pour moi.Emmi eut envie de se fcher, mais la vieille avait parl de le conduire le lendemain Mauvert, o se tenait une grande foire, et, comme il avait envie de voir du pays et de connatre les endroits o on peut gagner sa vie honntement, il rpondit sans montrer de colre:Je ne saurais pas voler, je n'ai jamais appris.Tu mens, reprit Catiche, tu voles trs habilement la fort de Cernas son gibier et ses fruits. Crois-tu donc que ces choses-l n'appartiennent personne? Ne sais-tu pas que celui qui ne travaille pas ne peut vivre qu'aux dpens d'autrui? Il y a longtemps que cette fort est quasi abandonne. Le propritaire tait un vieux riche qui ne s'occupait plus de rien et ne la faisait pas seulement garder. prsent qu'il est mort, tout a va changer et tu auras beau te cacher comme un rat dans des trous d'arbres, on te mettra la main sur le collet et on te conduira en prison.Eh bien, alors, reprit Emmi, pourquoi voulez-vous m'enseigner voler pour vous?Parce que, quand on sait, on n'est jamais pris. Tu rflchiras, il se fait tard, et il faut nous lever demain avant le jour pour aller la foire. Je vais t'arranger un lit sur mon coffre, un bon lit avec une couette et une couverture. Pour la premire fois de ta vie, tu dormiras comme un prince.Emmi n'osa rsister. Quand la vieille Catiche ne faisait plus l'idiote, elle avait quelque chose d'effrayant dans le regard et dans la voix. Il se coucha et s'tonna d'abord de se trouver si bien; mais, au bout d'un instant, il s'tonna de se trouver si mal. Ce gros coussin de plumes l'touffait, la couverture, le manque d'air libre, la mauvaise odeur de la cuisine et le vin qu'il avait bu, lui donnaient la fivre. Il se leva tout effar en disant qu'il voulait dormir dehors, et qu'il mourrait s'il lui fallait passer la nuit enferm.La Catiche ronflait, et la porte tait barricade. Emmi se rsigna dormir tendu sur la table, regrettant fort son lit de mousse dans le chne.Le lendemain, la Catiche lui confia un panier d'ufs et six poules vendre, en lui ordonnant de la suivre distance et de n'avoir pas l'air de la connatre.Si on savait que je vends, lui dit-elle, on ne me donnerait plus rien.Elle lui fixa le prix qu'il devait atteindre avant de livrer sa marchandise, tout en ajoutant qu'elle ne le perdrait pas de vue, et que, s'il ne lui rapportait pas fidlement l'argent, elle saurait bien le forcer le lui rendre.Si vous vous dfiez de moi, rpondit Emmi offens, portez votre marchandise vous-mme et laissez-moi m'en aller.N'essaie pas de fuir, dit la vieille, je saurai te retrouver n'importe o; ne rplique pas et obis.Il la suivit distance comme elle l'exigeait, et vit bientt le chemin couvert de mendiants plus affreux les uns que les autres. C'taient les habitants d'Oursines, qui, ce jour-l, allaient tous ensemble se faire gurir une fontaine miraculeuse. Tous taient estropis ou couverts de plaies hideuses. Tous sortaient de la fontaine sains et allgres. Le miracle n'tait pas difficile expliquer, tous leurs maux tant simuls et les reprenant au bout de quelques semaines, pour tre guris le jour de la fte suivante.Emmi vendit ses ufs et ses poules, en reporta vite l'argent la vieille, et, lui tournant le dos, s'en fut travers la foule, les yeux carquills, admirant tout et s'tonnant de tout. Il vit des saltimbanques faire des tours surprenants, et il s'tait mme un peu attard contempler leurs maillots paillets et leurs bandeaux dors, lorsqu'il entendit ct de lui un singulier dialogue. C'tait la voix de la Catiche qui s'entretenait avec la voix rauque du chef des saltimbanques. Ils n'taient spars de lui que par la toile de la baraque.Si vous voulez lui faire boire du vin, disait la Catiche, vous lui persuaderez tout ce que vous voudrez. C'est un petit innocent qui ne peut me servir rien et qui prtend vivre tout seul dans la fort, o il perche depuis un an dans un vieux arbre. Il est aussi leste et aussi adroit qu'un singe, il ne pse pas plus qu'un chevreau, et vous lui ferez faire les tours les plus difficiles.Et vous dites qu'il n'est pas intress? reprit le saltimbanque.Non, il ne se soucie pas de l'argent. Vous le nourrirez, et il n'aura pas l'esprit d'en demander davantage.Mais il voudra se sauver?Bah! avec des coups, vous lui en ferez passer l'envie.Allez me le chercher, je veux le voir.Et vous me donnerez vingt francs?Oui, s'il me convient.La Catiche sortit de la baraque et se trouva face face avec Emmi, qui elle fit signe de la suivre.Non pas, lui dit-il, j'ai entendu votre march. Je ne suis pas si innocent que vous croyez. Je ne veux pas aller avec ces gens-l pour tre battu.Tu y viendras, pourtant, rpondit la Catiche en lui prenant le poignet avec une main de fer et en l'attirant vers la baraque.Je ne veux pas, je ne veux pas! cria l'enfant en se dbattant et en s'accrochant de la main reste libre la blouse d'un homme qui tait prs de lui et qui regardait le spectacle.L'homme se retourna, et, s'adressant la Catiche, lui demanda si ce petit tait elle.Non, non, s'cria Emmi, elle n'est pas ma mre, elle ne m'est rien, elle veut me vendre un louis d'or ces comdiens!Et toi, tu ne veux pas?Non, je ne veux pas! sauvez-moi de ses griffes. Voyez! elle me met en sang.Qu'est-ce qu'il y a de cette femme et de cet enfant? dit le beau gendarme rambert, attir par les cris d'Emmi et les vocifrations de la Catiche.Bah! a n'est rien, rpondit le paysan qu'Emmi tenait toujours par sa blouse. C'est une pauesse qui veut vendre un gars aux sauteurs de corde; mais on l'empchera bien, gendarme, on n'a pas besoin de vous.On a toujours besoin de la gendarmerie, mon ami. Je veux savoir ce qu'il y a de cette histoire-l.Parle, jeune homme, explique-moi l'affaire.Et, s'adressant Emmi:Parle, jeune homme, explique-moi l'affaire. la vue du gendarme, la vieille Catiche avait lch Emmi et avait essay de fuir; mais le majestueux rambert l'avait saisie par le bras, et vite elle s'tait mise rire et grimacer en reprenant sa figure d'idiote. Pourtant, au moment o Emmi allait rpondre, elle lui lana un regard suppliant o se peignait un grand effroi. Emmi avait t lev dans la crainte des gendarmes, et il s'imagina que, s'il accusait la vieille, rambert allait lui trancher la tte avec son grand sabre. Il eut piti d'elle et rpondit:Laissez-la, monsieur, c'est une femme folle et imbcile qui m'a fait peur, mais qui ne voulait pas me faire de mal.La connaissez-vous? n'est-ce pas la Catiche? une femme qui fait semblant de ce qu'elle n'est pas? Dites la vrit.Un nouveau regard de la mendiante donna Emmi le courage de mentir pour lui sauver la vie. Je la connais, dit-il, c'est une innocente.Je saurai de ce qui en est, rpondit le beau gendarme en laissant aller la Catiche. Circulez, vieille femme, mais n'oubliez pas que depuis longtemps j'ai l'il sur vous.La Catiche s'enfuit, et le gendarme s'loigna. Emmi, qui avait eu encore plus peur de lui que de la vieille, tenait toujours la blouse du pre Vincent. C'tait le nom du paysan qui s'tait trouv l pour le protger, et qui avait une bonne figure douce et gaie.Ah ! petit, dit ce bonhomme Emmi, tu vas me lcher la fin? Tu n'as plus rien crain-ce que tu veux de moi? cherches-tu ta vie? veux-tu un sou?Non, merci, dit Emmi, mais j'ai peur prsent de tout ce monde o me voil seul sans savoir de quel ct me tourner.Et o voudrais-tu aller?Je voudrais retourner dans ma fort de Cernas sans passer par Oursines-les-Bois.Tu demeures Cernas? C'est bien ais de t'y mener, puisque de ce pas je m'en vas dans la f. Tu n'auras qu' me suivre; j'entre souper sous la rame, attends-moi au pied de cette croix, je reviendrai te prendre.Emmi trouva que la croix du village tait encore trop prs de la baraque des saltimbanques; il aima mieux suivre le pre Vincent sous la rame, d'autant plus qu'il avait besoin de se restaurer avant de se mettre en route.Si vous n'avez pas honte de moi, lui dit-il, permettez-moi de manger mon pain et mon fromage ct de vous. J'ai de quoi payer ma dpense: tenez, voil ma bourse, vous payerez pour nous deux, car je souhaite payer aussi votre dner.Diable! s'cria en riant le pre Vincent, voil un gars bien honnte et bien gnreux; maiomac creux, et ta bourse n'est gure remplie. Viens, et mets-toi l. Reprends ton argent, petit, j'en ai assez pour nous deux.Tout en mangeant ensemble, Vincent fit raconter Emmi toute son histoire. Quand ce fut termin, il lui dit:Je vois que tu as bonne tte et bon cur, puisque tu ne t'es pas laiss tenter par les louis d'or de cette Catiche, et que pourtant tu n'as pas voulu l'envoyer en prison. Oublie-la et ne quitte plus ta fort, puisque tu y es bien. Il ne tient qu' toi de ne plus y tre tout fait seul. Tu sauras que j'y vais pour prparer les logements d'une vingtaine d'ouvriers qui se disposent abattre le taillis entre Cernas et la Planchette. Ah! vous allez abattre la fort? dit Emmi constern.Non! nous faisons seulement une coupe dans une partie qui ne touche point ton refuge du chne parlant, et je sais qu'on ne touchera ni aujourd'hui, ni demain, la rgion des vieux arbres. Sois donc tranquille, on ne te drangera pas; mais, si tu m'en crois, mon petit, tu viendras travailler avec nous. Tu n'es pas assez fort pour manier la serpe et la cogne; mais, si tu es adroit, tu pourras trs bien prparer les liens et t'occuper au fagotage, tout en servant les ouvriers, qui ont toujours besoin d'un gars pour faire leurs commissions et porter leurs repas. C'est moi qui ai l'entreprise de cette coupe. Les ouvriers sont leurs pices, c'est--dire qu'on les paye en raison du travail qu'ils font. Je te propose de t'en rapporter moi pour juger de ce qu'il sera raisonnable de te donner, et je te conseille d'accepter. La vieille Catiche a eu raison de te dire que, quand on ne veut pas travailler, il faut tre voleur ou mendiant, et, comme tu ne veux tre ni l'un ni l'autre, prends vite le travail que je t'offre, l'occasion est bonne.Emmi accepta avec joie. Le pre Vincent lui inspirait une confiance absolue. Il se mit sa disposition, et ils prirent ensemble le chemin de la fort.Il faisait nuit quand ils y arrivrent, et, quoique le pre Vincent connt bien les chemins, il et t embarrass de trouver dans l'obscurit la taille des buttes, si Emmi, qui s'tait habitu voir la nuit comme les chats, ne l'et conduit par le plus court. Ils trouvrent un abri dj prpar par les ouvriers, qui y taient venus ds la veille. Cela consistait en perches places en pignon avec leurs branchages, et recouvertes de grandes plaques de mousse et de gazon. Emmi fut prsent aux ouvriers et bien accueilli. Il mangea la soupe bien chaude et dormit de tout son cur.Le lendemain, il fit son apprentissage: allumer le feu, faire la cuisine, laver les pots, aller chercher de l'eau, et le reste du temps aider la construction de nouvelles cabanes pour les vingt autres bcherons qu'on attendait. Le pre Vincent, qui commandait et surveillait tout, fut merveill de l'intelligence, de l'adresse et de la promptitude d'Emmi. Ce n'est pas lui qui apprenait tout faire avec rien; c'est lui qui l'apprenait aux plus malins, et tous s'crirent que ce n'tait pas un gars, mais un esprit follet que les bons diables de la fort avaient mis leur service. Comme, avec tous ses talents et industries, Emmi tait obissant et modeste, il fut pris en amiti, et les plus rudes de ces bcherons lui parlrent avec douceur et lui commandrent avec discrtion.Au bout de cinq jours, Emmi demanda au pre Vincent s'il tait libre d'aller faire son dimanche o bon lui semblerait.Tu es libre, lui rpondit le brave homme; mais, si tu veux m'en croire, tu iras revoir ta tante et les gens de ton village. S'il est vrai que ta tante ne se soucie pas de te reprendre, elle sera contente de te savoir en position de gagner ta vie sans qu'elle s'en mle, et, si tu penses qu'on te battra la ferme pour avoir quitt ton troupeau, j'irai avec toi pour apaiser les gens et te protger. Sois sr, mon enfant, que le travail est le meilleur des passeports et qu'il purifie tout.Emmi le remercia du bon conseil, et le suivit. Sa tante, qui le croyait mort, eut peur en le voyant; mais, sans lui raconter ses aventures, Emmi lui fit savoir qu'il travaillait avec les bcherons et qu'il ne serait plus jamais sa charge. Le pre Vincent confirma son dire, et dclara qu'il regardait l'enfant comme le sien et en faisait grande estime. Il parla de mme la ferme, o on les obligea de boire et de manger. La grand'Nannette y vint pour embrasser Emmi devant le monde et faire la bonne me en lui apportant quelques hardes et une demi-douzaine de fromages. Bref, Emmi s'en revint avec le vieux bcheron, rconcili avec tout le monde, dgag de tout blme et de tout reproche.Quand ils eurent travers la lande, Emmi dit Vincent:Ne m'en voudrez-vous point si je vais passer la nuit dans mon chne? Je vous promets d'tre la taille des buttes avant soleil lev.Fais comme tu veux, rpondit le bcheron; c'est donc une ide que tu as comme a de percherEmmi lui fit comprendre qu'il avait pour ce chne une amiti fidle, et l'autre l'couta en souriant, un peu tonn de son ide, mais port le croire et le comprendre. Il le suivit jusque-l et voulut voir sa cachette. Il eut de la peine grimper assez haut pour l'apercevoir. Il tait encore agile et fort, mais le passage entre les branches tait trop petit pour lui. Emmi seul pouvait se glisser partout.C'est bien et c'est gentil, dit le bonhomme en redescendant; mais tu ne pourras pas coucher l longtemps: l'corce, en grossissant et en se roulant, finira par boucher l'ouverture, et toi, tu ne seras pas toujours mince comme un ftu. Aprs a, si tu y tiens, on peut largir la fente avec une serpe; je te ferai cet ouvrage-l, si tu le souhaites.Oh non! s'crira Emmi, tailler dans mon chne, pour le faire mourir!Il ne mourra pas; un arbre bien taill dans ses parties malades ne s'en porte que mieux.Eh bien, nous verrons plus tard, rpondit Emmi.Ils se souhaitrent la bonne nuit et se sparrent.Comme Emmi se trouva heureux de reprendre possession de son gte! Il lui semblait l'avoir quitt depuis un an. Il pensait l'affreuse nuit qu'il avait passe chez la Catiche et faisait maintenant des rflexions trs justes sur la diffrence des gots et le choix des habitudes. Il pensait tous ces gueux d'Oursines-les-Bois, qui se croyaient riches parce qu'ils cachaient des louis d'or dans leurs paillasses et qui vivaient dans la honte et l'infection, tandis que lui tout seul, sans mendier, il avait dormi plus d'une anne dans un palais de feuillage, au parfum des violettes et des mlites, au chant des rossignols et des fauvettes, sans souffrir de rien, sans tre humili par personne, sans disputes, sans maladies, sans rien de faux et de mauvais dans le cur.Tous ces gens d'Oursines, commencer par la Catiche, se disait-il, ont plus d'argent qu'il ne leur en faudrait pour se btir de bonnes petites maisons, cultiver de gentils jardins, lever du btail sain et propre; mais la paresse les empche de jouir de ce qu'ils ont, ils se laissent croupir dans l'ignominie. Ils sont comme fiers du dgot et du mpris qu'ils inspirent, ils se moquent des braves gens qui ont piti d'eux, ils volent les vrais pauvres, ceux qui souffrent sans se plaindre. Il se cachent pour compter leur argent et prissent de misre. Quelle folie triste et honteuse, et comme le pre Vincent a raison de dire que le travail est ce qui garde et purifie le plaisir de vivre!Une heure avant le jour, Emmi, qui s'tait command lui-mme de ne pas dormir trop serr, s'veilla et regarda autour de lui. La lune s'tait leve tard et n'tait pas couche. Les oisux ne disaient rien encore. La chouette faisait sa ronde et n'tait pas rentre. Le silence est une belle chose, il est rare dans une fort, o il y a toujours quelque tre qui grimpe ou quelque chose qui tombe. Emmi but ce beau silence comme un rafrachissement en se rappelant le vacarme tourdissant de la foire, le tam-tam et la grosse caisse des saltimbanques, les disputes des acheteurs et des vendeurs, le grincement des vielles et le mugissement des cornemuses, les cris des animaux ennuys ou effrays, les rauques chansons des buveurs, tout ce qui l'avait tour tour tonn, amus, pouvant. Quelle diffrence avec les voix mystrieuses, discrtes ou imposantes de la fort! Une faible brise s'leva avec l'aube et fit frissonner mlodieusement la cime des arbres. Celle du chne semblait dire:Reste tranquille, Emmi; sois tranquille et content, petit Emmi.Tous les arbres parlent, lui avait dit la Catiche.C'est vrai, pensait-il, ils ont tous leur voix et leur manire de gmir ou de chanter; mais ils ne savent ce qu'ils disent, ce que prtend cette sorcire. Elle ment: les arbres se plaignent ou se rjouissent innocemment. Elle ne peut pas les comprendre, elle qui ne pense qu'au mal!Emmi fut aux coupes l'heure dite et y travailla tout l't et tout l'hiver suivant. Tous les samedis soir, il allait coucher dans son chne. Le dimanche, il faisait une courte visite aux habitants de Cernas et revenait son gte jusqu'au lundi matin. Il grandissait et restait mince et lger, mais se tenait trs proprement et avait une jolie mine veille et aimable qui plaisait tout le monde. Le pre Vincent lui apprenait lire et compter. On faisait cas de son esprit, et sa tante, qui n'avait pas d'enfants, et souhait le retenir auprs d'elle pour lui faire honneur et profit, car il tait de bon conseil et paraissait s'entendre tout.Mais Emmi n'aimait que les bois. Il en tait venu y voir, y entendre des choses que n'entendaient ni ne voyaient les autres. Dans les longues nuits d'hiver, il aimait surtout la rgion des pins, o la neige amoncele dessinait, le long des rameaux noirs, de grandes belles formes blanches mollement couches, qui, parfois balances par la brise, semblaient se mouvoir et s'entretenir mystrieusement. Le plus souvent elles paraissaient dormir, et il les regardait avec un respect ml de frayeur. Il et craint de dire un mot, de faire un mouvement qui et rveill ces belles fes de la nuit et du silence. Dans la demi-obscurit des nuits claires o les toiles scintillaient comme des yeux de diamant en l'absence de la lune, il croyait saisir les formes de ces tres fantastiques, les plis de leurs robes, les ondulations de leurs chevelures d'argent. Aux approches du dgel, elles changeaient d'aspect et d'attitude, et il les entendait tomber des branches avec un bruit frais et lger, comme si, en touchant la nappe neigeuse du sol, elles eussent pris un souple lan pour s'envoler ailleurs.Quand la glace emprisonnait le petit ruisseau, il la cassait pour boire, mais avec prcaution, pour ne pas abmer l'difice de cristal que formait sa petite chute. Il aimait regarder le long des chemins de la fort les girandoles du givre et les stalactites irises par le soleil levant.Il y avait des soirs o l'architecture transparente des arbres privs de feuilles se dessinait en dentelle noire sur le ciel rouge ou sur le fond nacr des nuages clairs par la lune. Et, l't, quelles chaudes rumeurs, quels concerts d'oiseaux sous le feuillage! Il faisait la guerre aux rongeurs et aux fureteurs friands des ufs ou des petits dans les nids. Il s'tait fabriqu un arc et des flches et s'tait rendu trs adroit tu les rats et les vipres. Il pargnait les belles couleuvres inoffensives qui serpentent avec tant de grce sur la mousse, et les charmants cureuils, qui ne vivent que des amandes du pin, si adroitement extraites par eux de leur cne.Il avait si bien protg les nombreux habitants de son vieux chne que tous le connaissaient et le laissaient circuler au milieu d'eux. Il s'imaginait comprendre le rossignol le remerciant d'avoir sauv sa niche et disant tout exprs pour lui ses plus beaux airs. Il ne permettait pas aux fourmis de s'tablir dans son voisinage; mais il laissait le pivert travailler dans le bois pour en retirer les insectes rongeurs qui le dtriorent. Il chassait les chenilles du feuillage. Les hannetons voraces ne trouvaient pas grce devant lui. Tous les dimanches, il faisait son cher arbre une toilette complte, et en vrit jamais le chne ne s'tait si bien port et n'avait tal une se et si frache verdure. Emmi ramassait les glands les plus sains et allait les semer sur la lande voisine o il soignait leur premire enfance en empchant la bruyre et la cuscute de les touffer.Il avait pris les livres en amiti et n'en voulait plus dtruire pour sa nourriture. De son arbre, il les voyait danser sur le serpolet, se coucher sur le flanc comme des chiens fatigus, et tout coup, au bruit d'une feuille sche qui se dtache, bondir avec une grce comique, et s'arrter court, comme pour rflchir aprs avoir cd leur peur. en se promenant par les chaudes journes, il se sentait le besoin de faire une sieste, il grimpait dans le premier arbre venu, et, choisissant son gte, il entendait les ramiers le bercer de leurs grasseyements monotones et caressants; mais il tait dlicat pour son coucher et ne dormait tout fait bien que dans son chne.Il fallut pourtant quitter cette chre fort quand la coupe fut termine et enleve. Emmi suivit le pre Vincent, qui s'en allait cinq lieues de l, du ct d'Oursines, pour entreprendre une autre coupe dans une autre proprit.Depuis le jour de la foire, Emmi n'tait pas retourn dans ce vilain endroit et n'avait pas aperu la Catiche. tait-elle morte, tait-elle en prison? Personne n'en savait rien. Beaucoup de mendiants disparaissaient comme cela sans qu'on puisse dire ce qu'ils sont devenus. Personne ne les cherche ni ne les regrette.Emmi tait trs bon. Il n'avait pas oubli le temps de solitude absolue o, la croyant idiote et misrable, il l'avait vue chaque semaine au pied de son chne lui apportant le pain dont il tait priv et lui faisant entendre le son de la voix humaine. Il confia au pre Vincent le dsir qu'il avait d'avoir de ses nouvelles, et ils s'arrtrent Oursinepour en demander. C'tait jour de fte dans cette cour des miracles. On trinquait et on chantait en choquant les pots. Deux femmes dcoiffes, et le cheveux au vent se battaient devant une porte, les enfants barbotaient dans une mare infecte. Sitt que les deux voyageurs parurent, les enfants s'envolrent comme une bande de canards sauvages. Leur fuite avertit de proche en proche les habitants. Tout bruit cessa, et les portes se fermrent. La volaille effarouche se cacha dans les buissons.Puisque ces gens ne veulent pas qu'on voit leurs bats, dit le pre Vincent, et puisque tu connais le logis de la Catiche, allons-y tout droit.Ils y frapprent plusieurs fois sans qu'on leur rpondit. Enfin une voix casse cria d'entrer, et ils poussrent la porte. La Catiche, ple, maigre, effrayante, tait assise sur une grande chaise auprs du feu, ses mains dessches colles sur les genoux. En reconnaissant Emmi, elle eut une expression de joie.Enfin, dit-elle, te voil, et je peux mourir tranquille!Elle leur expliqua qu'elle tait paralytique et que ses voisines venaient la lever le matin, la coucher le soir et la faire manger ses heures.Je ne manque de rien, ajouta-t-elle, mais j'ai un grand souci. C'est mon pauvre argent qui est l, sous cette pierre o je pose mes pieds. Cet argent, je le destine Emmi, qui est un bon cur et qui m'a sauve de la prison au moment o je voulais le vendre de mauvaises gens; mais, sitt que je serai morte, mes voisines fouilleront partout et trouveront mon trsor: c'est cela qui m'empche de dormir et de me faire soigner convenablement. Il faut prendre cet argent, Emmi, et l'emporter loin d'ici. Si je meurs, garde-le, je te le donne; ne te l'avais-je pas promis? Si je reviens la sant, tu me le rapporteras; tu es honnte, je te connais. Il sera toujours toi, mais j'aurai le plaisir de le voir et de le compter jusqu' ma dernire heure.Emmi refusa d'abord. C'tait de l'argent vol qui lui rpugnait; mais le pre Vincent offrit Catiche de s'en charger pour le lui rendre sa premire rclamation, ou pour le placer au nom d'Emmi, si elle venait mourir sans le rclamer. Le pre Vincent tait connu dans tout le pays pour un homme juste qui avait honntement amass du bien, et la Catiche, qui rdait partout et entendait tout, n'tait pas sans savoir qu'on devait se fier lui. Elle le pria de bien fermer les huisseries de sa cabane, puis de reculer sa chaise, car elle ne pouvait se mouvoir, et de soulever la pierre du foyer. Il y avait bien plus qu'elle n'avait montr la premire fois Emmi. Il y avait cinq bourses de peau et environ cinq mille francs en or. Elle ne voulut garder que trois cents francs en argent pour payer les soins de ses voisins et se faire enterrer.Et, comme Emmi regardait ce trsor avec ddain:Tu sauras plus tard, lui dit la Catiche, que la misre est un mchant mal. Si je n'tais pas ne dans ce mal, je n'aurais pas fait ce que j'ai fait.Si vous vous en repentez, lui dit le pre Vincent, Dieu vous le pardonnera.Je m'en repens, rpondit-elle, depuis que je suis paralytique, parce que je meurs dans l'ennui et la solitude. Mes voisins me dplaisent autant que je leur dplais. Je pense cette heure que j'aurais mieux fait de vivre autrement.Emmi lui promit de revenir la voir et suivit le pre Vincent dans son nouveau travail. Il regretta bien un peu sa fort de Cernas, mais il avait l'ide du devoir et fit le sien fidlement. Au bout de huit jours, il retourna vers la Catiche. Il arriva comme on emportait sa bire sur une petite charrette trane par un ne. Emmi la suivit jusqu' la paroisse, qui tait distante d'un quart de lieue, et assista son enterrement. Au retour, il vit que tout chez elle tait au pillage et qu'on se battait qui aurait ses nippes. Il ne se repentit plus d'avoir soustrait ces mauvaises gens le trsor de la vieille.Quand il fut de retour la coupe, le pre Vincent lui dit:Tu es trop jeune pour avoir cet argent-l. Tu n'en saurais pas tirer parti, ou tu te laisserais voler. Si tu m'agres pour tuteur, je le placerai pour le mieux, et je t'en servirai la rente jusqu' ta majorit.Faites-en ce qu'il vous plaira, rpondit Emmi; je m'en rapporte vous. Pourtant, si c'est l'argent vol, comme la vieille s'en vantait, ne vaudrait-il pas mieux essayer de le rendre?Le rendre qui? 'a a t vol sou par sou, puisque cette femme obtenait la charit en trole monde et en chipant de et del on ne sait qui, des choses que nous ne savons pas, et que personne ne songe plus rclamer. L'argent n'est pas coupable, la honte est pour ceux qui en font mauvais emploi. La Catiche tait une champie, elle n'avait pas de famille, elle n'a pas laiss d'hritier; elle te donne son bien, non pas pour te remercier d'avoir fait quelque chose de mal, mais au contraire parce que tu lui as pardonn celui qu'elle voulait te faire. J'estime donc que c'est pour toi un hritage bien acquis, et qu'en te le donnant cette vieille a fait la seule bonne action de sa vie. Je ne veux pas te cacher qu'avec le revenu que je te servirai, tu as le moyen de ne pas travailler beaucoup; mais, si tu es, comme je le crois, un vrai bon sujet, tu continueras travailler de tout ton cur, comme si tu n'avais rien. Je ferai comme vous me conseillez, rpondit Emmi. Je ne demande qu' rester avec vous et suivre vos commandements.Le brave garon n'eut point se repentir de la confiance et de l'amiti qu'il sentait pour son matre. Celui-ci le regarda toujours comme son fils et le traita en bon pre. Quand Emmi fut en ge d'homme, il pousa une des petites-filles du vieux bcheron, et, comme il n'avait pas touch son capital, que les intrts de chaque anne avaient grossi, il se trouva riche pour un paysan de ce temps-l. Sa femme tait jolie, courageuse et bonne; on faisait grand cas, dans tout le pays, de ce jeune mnage, et, comme Emmi avait acquis quelque savoir et montrait beaucoup d'intelligence dans sa partie, le propritaire de la fort de Cernas le choisit pour son garde gnral et lui fit btir une jolie maison dans le plus bel endroit de la vieille futaie, tout auprs du chne parlant.La prdiction du pre Vincent s'tait facilement ralise. Emmi tait devenu trop grand pour occuper son ancien gte, et le chne avait refait tant d'corce, que la logette s'tait presque referme. Quand Emmi, devenu vieux, vit que la fente allait bientt se fermer tout fait, il crivit avec une pointe d'acier, sur une plaque de cuivre, son nom, la date de son sjour dans l'arbre et les principales circonstances de son histoire, avec cette prire la fin: Feu du ciel et du vent de la montagne, pargnez mon ami le vieux chne. Faites qu'il voie encore grandir mes petits-enfants et leurs descendants aussi. Vieux chne qui m'as parl, dis-leur aussi quelquefois une bonne parole pour qu'ils t'aiment toujours comme je t'ai aim.Emmi jeta cette plaque crite dans le creux o il avait longtemps dormi et song.Le fente s'est referme tout fait. Emmi a fini de vivre, et l'arbre vit toujours. Il ne parle plus, ou, s'il parle, il n'y a plus d'oreilles capables de le comprendre. On n'a plus peur de lui, mais l'histoire d'Emmi s'est rpandue, et, grce au bon souvenir que l'homme a laiss, le chne est toujours respect et bni.Le chien et la fleur sacrePremire partie: Le chien. Gabrielle Sand.Nous avions jadis pour voisin de campagne un homme dont le nom prtait souvent rire: il s'appelait M. Lechien. Il en plaisantait le premier et ne paraissait nullement contrari quand les enfants l'appelaient Mdor ou Azor.C'tait un homme trs bon, trs doux, un peu froid de manires, mais trs estim pour la droiture et l'amnit de son caractre. Rien en lui, hormis son nom, ne paraissait bizarre: aussi nous tonna-t-il beaucoup, un jour o son chien avait fait une sottise au milieu du dner. Au lieu de le gronder ou de le battre, il lui adressa, d'un ton froid et en le regardant fixement, cette trange mercuriale:Si vous agissez ainsi, monsieur, il se passera du temps avant que vous cessiez d'tre chien. Je l'ai t, moi qui vous parle, et il m'est arriv quelquefois d'tre entran par la mandise, au point de m'emparer d'un mets qui ne m'tait pas destin; mais je n'avais pas comme vous l'ge de raison, et d'ailleurs sachez, monsieur, que je n'ai jamais cass l'assiette.Le chien couta ce discours avec une attention soumise; puis il fit entendre un billement mlancolique, ce qui, au dire de son matre, n'est pas un signe d'ennui, mais de tristesse chez les chiens; aprs quoi, il se coucha, le museau allong sur ses pattes de devant, et parut plong dans de pnibles rflexions.Nous crmes d'abord que, faisant allusion son nom, notre voisin avait voulu montrer simplement de l'esprit pour nous divertir; mais son air grave et convaincu nous jeta dans la stupeur lorsqu'il nous demanda si nous n'avions aucun souvenir de nos existences antrieures.Aucun! fut la rponse gnrale.M. Lechien ayant fait du regard le tour de la table, et, nous voyant tous incrdules, s'avisa de regarder un domestique qui venait d'entrer pour remettre une lettre et qui n'tait nullement au courant de la conversation.Et vous, Sylvain, lui dit-il, vous souvenez-vous de ce que vous avez t avant d'tre homme?Sylvain tait un esprit railleur et sceptique.Monsieur, rpondit-il sans se dconcerter, depuis que je suis homme j'ai toujours t cocher il est bien probable qu'avant d'tre cocher, j'ai t cheval!Bien rpondu! s'cria-t-on.Et Sylvain se retira aux applaudissements des joyeux convives.Cet homme a du sens et de l'esprit, reprit notre voisin; il est bien probable, pour parler comme lui, que, dans sa prochaine existence, il ne sera plus cocher, il deviendra matre.Et il battra ses gens, rpondit un de nous, comme tant cocher, il aura battu ses chevaux.Je gage tout ce que vous voudrez, repartit notre ami, que Sylvain ne bat jamais ses chevaux, de mme que je ne bats jamais mon chien. Si Sylvain tait brutal et cruel, il ne se serait pas devenu bon cocher et ne serait pas destin devenir matre. Si je battais mon chien, je prendrais le chemin de redevenir chien aprs ma mort.On trouva la thorie ingnieuse, et on pressa le voisin de la dvelopper.C'est bien simple, reprit-il, et je le dirai en peu de mots. L'esprit, la vie de l'esprit, si vous voulez, a ses lois comme la matire organique qu'il revt a les siennes. On prtend que l'esprit et le corps ont souvent des tendances opposes; je le nie, du moins je prtends que ces tendances arrivent toujours, aprs un combat quelconque, se mettre d'accord pour pousser l'animal qui est le thtre de cette lutte reculer ou avancer dans l'chelle des tres. Ce n'est pas l'un qui a vaincu l'autre. La vie animale n'est pas si pernicieuse que l'on croit. La vie intellectuelle n'est pas si indpendante que l'on dit. L'tre est un; chez lui, les besoins rpondent aux aspirations, et rciproquement. Il y a une loi plus forte que ces deux lois, un troisime terme qui concilie l'antithse tablie dans la vie de l'individu; c'est la loi de la vie gnrale, et cette loi divine, c'est la progression. Les pas en arrire confirment la vrit de la marche ascendante. Tout tre prouve donc son insu le besoin d'une transformation honorable, et mon chien, mon cheval, tous les animaux que l'homme a associs de prs sa vie l'prouvent plus sciemment que les btes qui vivent en libert. Voyez le chien! cela est plus sensible chez lui que chez tous les autres animaux. Il cherche sans cesse s'identifier moi; il aime ma cuisine, mon fauteuil, mes amis, ma voiture. Il se coucherait dans mon lit, si je le lui permettais; il entend ma voix, il la connat, il comprend ma parole. En ce moment, il sait parfaitement que je parle de lui. Vous pouvez observer le mouvement de ses oreilles.Il ne comprend que deux ou trois mots, lui dis-je; quand vous prononcez le mot chien, il tressaille, c'est vrai, mais le dveloppement de votre ide reste pour lui un mystre impntrable.Pas tant que vous croyez! Il sait qu'il en est cause, il se souvient d'avoir commis une faute, et chaque instant il me demande du regard si je compte le punir ou l'absoudre. Il a l'intelligence d'un enfant qui ne parle pas encore.Il vous plat de supposer tout cela, parce que vous avez de l'imagination.Ce n'est pas de l'imagination que j'ai, c'est de la mmoire.Ah! voil! s'cria-t-on autour de nous. Il prtend se souvenir! Alors qu'il raconte ses eces antrieures, vite! nous coutons.Ce serait, rpondit M. Lechien, une interminable histoire, et des plus confuses, car je n'ai pas la prtention de me souvenir de tout, du commencement du monde jusqu' aujourd'hui. La mort a cela d'excellent qu'elle brise le lien entre l'existence qui finit et celle qui lui succde. Elle tend un nuage pais o le moi s'vanouit pour se transformer sans que nous ayons conscience de l'opration. Moi qui, par exception, ce qu'il parat, ai conserv un peu la mmoire du pass, je n'ai pas de notions assez nettes pour mettre de l'ordre dans mes souvenirs. Je ne saurais vous dire si j'ai suivi l'chelle de progression rgulirement, sans franchir quelques degrs, ni si j'ai recommenc plusieurs fois les diverses stations de ma mtempsycose. Cela, vraiment, je ne le sais pas; mais j'ai dans l'esprit des images vives et soudaines qui me font apparatre certains milieux traverss par moi une poque qu'il m'est impossible de dterminer, et alors je retrouve les motions et les sensations que j'ai prouves dans ce temps-l. Par exemple, je me retrace depuis peu une certaine rivire o j'ai t poisson. Quel poisson? Je ne sais pas! Une truite peut-tre, car je me rappelle mon horreur pour les eaux troubles et mon ardeur incessante remonter les courants. Je ressens encore l'impression dlicieuse du soleil traant des filets dlis ou des arabesques de diamants mobiles sur les flots briss. Il y avait... je ne sais o! les choses alors n'avaient pas de nom pour moi, une cascade charmante o la lune se jouait en fuses d'argent. Je passais l des heures entires lutter contre le flot qui me repoussait. Le jour, il y avait sur le rivage des mouches d'or et d'meraude qui voltigeaient sur les herbes et que je saisissais avec une merveilleuse adresse, me faisant de cette chasse un jeu foltre plutt qu'une satisfaction de voracit. Quelquefois les demoiselles aux ailes bleues m'effleuraient de leur vol. Des plantes admirables semblaient vouloir m'enlacer dans leurs vertes chevelures; mais la passion du mouvement et de la libert me reportait toujours vers les eaux libres et rapides. Agir, nager, vite, toujours plus vite, et sans jamais me reposer, ah! c'tait une ivresse! Je me suis rappel ce bon temps l'autre jour en me baignant dans votre rivire, et prsent je ne l'oublierai plus!Encore, encore, s'crirent les enfants, qui coutaient de toutes leurs oreilles. Avez-vous t grenouille, lzard, papillon?Lzard, je ne sais pas, grenouille probablement; mais papillon, je m'en souviens merveille. J'tais fleur, une jolie fleur blanche dlicatement dcoupe, probablement une sorte de saxifrage sarmenteuse pendant sur le bord d'une source, et j'avais toujours soif, toujours soif. Je me penchais sur l'eau sans pouvoir l'atteindre, un vent frais me secouait sans cesse. Le dsir est une puissance dont on ne connat pas la limite. Un matin, je me dtachai de ma tige, je flottai soutenue par la brise. J'avais des ailes, j'tais libre et vivant. Les papillons ne sont que des fleurs envoles un jour de fte o la nature tait en veine d'invention et de fcondit.Trs joli, lui dis-je, mais c'est de la posie!Ne l'empchez pas d'en faire, s'crirent les jeunes gens; il nous amuse!Et, s'adressant lui:Pouvez-vous nous dire quoi vous songiez quand vous tiez une pierre?Une pierre est une chose et ne pense pas, rpondit-il; je ne me rappelle pas mon existence minrale; pourtant, je l'ai subie comme vous tous et il ne faudrait pas croire que la vie inorganique soit tout fait inerte. Je ne m'tends jamais sur une roche sans ressentir son contact quelque chose de particulier qui m'affirme les antiques rapports que j'ai d avoir avec elle. Toute chose est un lment de transformation. La plus grossire a encore sa vitalit latente dont les sourdes pulsations appellent la lumire et le mouvement: l'homme dsire, l'animal et la plante aspirent, le minral attend. Mais, pour me soustraire aux questions embarrassantes que vous m'adressez, je vais choisir une de mes existences que je me retrace le mieux, et vous dire comment j'ai vcu, c'est--dire agi et pens la dernire fois que j'ai t chien. Ne vous attendez pas aventures dramatiques, des sauvetages miraculeux; chaque animal a son caractre personnel. C'est une tude de caractre que je vais vous communiquer.On apporta les flambeaux, on renvoya les domestiques, on fit silence, et l'trange narrateur parla ainsi:J'tais un joli petit bouledogue, un ratier de pure race. Je me rappelle ni ma mre, dont je fus spar trs jeune, ni la cruelle opration qui trancha ma queue et effila mes oreilles. On me trouva beau ainsi mutil, et de bonne heure j'aimai les compliments. Du plus loin que je me souvienne j'ai compris le sens des mots beau chien, joli chien; j'aimais aussi le mot blanc. Quand les enfants, pour me faire fte, m'appelaient lapin blanc, j'tais enchant. J'aimais prendre des bains; mais, comme je rencontrais souvent des eaux bourbeuses o la chaleur me portait me plonger, j'en sortais tout terreux, et on m'appelait lapin jaune ou lapin noir, ce qui m'humiliait beaucoup. Le dplaisir que j'en prouvai mainte fois m'amena faire une distinction assez juste des couleurs.La premire personne qui s'occupa de mon ducation morale fut une vieille dame qui avait ses ides. Elle ne tenait pas ce que je fusse ce qu'on appelle dress. Elle n'exigea pas que j'eusse le talent de rapporter et de donner la patte. Elle disait qu'un chien n'apprenait pas ces choses sans tre battu. Je comprenais trs bien ce mot-l, car le domestique me battait quelquefois l'insu de sa matresse. J'appris donc de bonne heure que j'tais protg, et qu'en me rfugiant auprs d'elle, je n'aurais jamais que des caresses es encouragements. J'tais jeune et j'tais fou. J'aimais tirer moi et ronger les btons. une rage que j'ai conserve pendant toute ma vie de chien et qui tenait ma race, la force de ma mchoire et l'ouverture norme de ma gueule. videmment la nature avait fait de moi un dvorant. Instruit respecter les poules et les canards, j'avais besoin de me battre avec quelque chose et de dpenser la force de mon organisme. Enfant comme je l'tais, je faisais grand mal dans le petit jardin de la vieille dame; j'arrachais les tuteurs des plantes et souvent la plante avec. Le jardinier voulait me corriger, ma matresse l'en empchait, et, me prenant part, elle me parlait trs srieusement. Elle me rptait plusieurs reprises, en me tenant la tte et en me regardant bien dans les yeux: Ce que vous avez fait est mal, trs mal, on ne peut plus mal!Alors, elle me plaait un bton devant moi et me dfendait d'y toucher. Quand j'avais obi, le disait: C'est bien, trs bien, vous tes un bon chien.Il n'en fallut pas davantage pour faire clore en moi ce trsor inapprciable de la conscience que l'ducation communique au chien quand il est bien dou et qu'on ne l'a pas dgrad par les coups et les injures.J'acquis donc ainsi trs jeune le sentiment de la dignit, sans lequel la vritable intelligence ne se rvle ni l'animal, ni l'homme. Celui qui n'obit qu' la crainte ne saura jae commander lui-mme.J'avais dix-huit mois, et j'tais dans toute la fleur de la jeunesse et de ma beaut, quand ma matresse changea de rsidence et m'amena la campagne qu'elle devait dsormais habiter avec sa famille. Il y avait un grand parc, et je connus les ivresses de la libert. Ds que je vis le fils de la vieille dame, je compris, la manire dont ils s'embrassrent et l'accueil qu'il me fit, que c'tait l le matre de la maison, et que je devais mmettre ses ordres. Ds le premier jour, j'embotai le pas derrire lui d'un air si raisonnable et si convaincu, qu'il me prit en amiti, me caressa et me fit coucher dans son cabinet. Sa jeune femme n'aimait pas beaucoup les chiens et se ft volontiers passe de moi; mais j'obtins grce devant elle par ma sobrit, ma discrtion et ma propret. On pouvait me laisser seul en compagnie des plats les plus allchants; il m'arriva bien rarement d'y goter du bout de la langue. Outre que je n'tais pas gourmand et n'aimais pas les friandises, j'avais un grand respect de la proprit. On m'avait dit, car on me parlait comme une personne: Voici ton assiette, ton cuelle eau, ton coussin et ton tapis.Je savais que ces choses taient moi, et il n'et pas fait bon de me les disputer; mais jamais je ne songeai empiter sur le bien des autres.J'avais aussi une qualit qu'on apprciait beaucoup. Jamais je ne mangeai de ces immondices dont presque tous les chiens sont friands, et je ne me roulais jamais dessus. Si, pour avoir couch sur le charbon ou m'tre roul sur la terre, j'avais noirci ou jauni ma robe blanche, on pouvait tre sr que je ne m'tais souill aucune chose malpropre.Je montrai aussi une qualit dont on me tint compte. Je n'aboyai jamais et ne mordis jamais personne. L'aboiement est une menace et une injure. J'tais trop intelligent pour ne pas comprendre que les personnes salues et accueillies par mes matres devaient tre reues poliment par moi, et, quand aux dmonstrations de tendresse et de joie qui signalaient le retour d'un ancien ami, j'y tais fort attentif. Ds lors, je lui tmoignais ma sympathie par des caresses. Je faisais mieux encore, je guettais le rveil de ces htes aims, pour leur faire les honneurs de la maison et du jardin. Je les promenais aussi avec courtoisie jusqu' ce que mes matres vinssent me remplacer. On me sut toujours gr de cette notion d'hospitalit que personne n'et song m'enseigner et quee trouvai tout seul.Quand il y eut des enfants dans la maison, je fus vritablement heureux. la premire naissance, on fut un peu inquiet de la curiosit avec laquelle je flairais le bb. J'tais encore imptueux et brusque, on craignait que je ne fusse brutal ou jaloux. Alors, ma vieille matresse prit l'enfant sur ses genoux en disant: Il faut faire la morale Fadet; ne craignez rien, il comprend ce qu'on lui dit. Voyez, me dit-elle, voyez ce cher poupon, c'est ce qu'il y a de plus prcieux dans la maison. Aimez-le bien, touchez-y doucement, ayez-en le plus grand soin. Vous m'entendez bien, Fadet, n'est-ce pas? Vous aimerez ce cher enfant.Et, devant moi, elle le baisa et le serra doucement contre son cur.J'avais parfaitement compris. Je demandai par mes regards et mes manires baiser aussi cette chre crature. La grand'mre approcha de moi sa petite main en me disant encore: Bien doucement, Fadet, bien doucement! Je lchai la petite main et trouvai l'enfant si joli, que je ne pus me dfendre d'effleurer sa joue rose avec ma langue, mais ce fut si dlicatement qu'il n'eut pas peur de moi, et c'est moi qui, un peu plus tard, obtins son premier sourire.Un autre enfant vint deux ans aprs, c'taient alors deux petites filles. L'ane me chrissdj. La seconde fit de mme, et on me permettait de me rouler avec elle sur les tapis. Les parents craignaient un peu ma ptulance, mais la grand'mre m'honorait d'une confiance que j'avais cur de mriter. Elle me rptait de temps en temps: Bien doucement, Fadet, bien doucement!Aussi n'eut-on jamais le moindre reproche m'adresser. Jamais, dans mes plus grandes gaiets, je ne mordillai leurs mains jusqu' les rougir, jamais je ne dchirai leurs robes, jamais je ne leur mis mes pattes dans la figure. Et pourtant Dieu sait que, dans leur jeune ge, elles abusrent souvent de ma bont, jusqu' me faire souffrir. Je compris qu'elles ne savaient ce qu'elles faisaient, et ne me fchai jamais. Elles imaginrent un jour de m'atteler leur petite voiture de jardinage et d'y mettre leurs poupes! Je me laissai harnacher et atteler, Dieu sait comme, et je tranai raisonnablement la voiture et les poupes aussi longtemps qu'on voulut. J'avoue qu'il y avait un peu de vanit dans mon fait parce que les domestiques taient merveills de ma docilit. Ce n'est pas un chien, disaient-ils, c'est un cheval!Et toute la journe les petites filles m'appelrent cheval blanc, ce qui, je dois le confesser, me flatta infiniment.On me sut d'autant plus de gr de ma raison et de ma douceur avec les enfants que je ne supportais ni injures ni menaces de la part des autres. Quelque amiti que j'eusse pour mon matre, je lui prouvai une fois combien j'avais cur de conserver ma dignit. J'avais commis une faute contre la propret par paresse de sortir, et il me menaa de son fouet. Je me rvoltai et m'lanai au-devant des coups en montrant les dents. Il tait philosophe, il n'insista pas pour me punir, et, comme quelqu'un lui disait qu'il n'et pas d me pardonner cette rvolte, qu'un chien rebelle doit tre rou de coups, il rpondit: Non! Je le connais, il est intrpide et entt au combat, il ne cderait pas; je serais de le tuer, et le plus puni serait moi.Il me pardonna donc, et je l'en aimai d'autant plus.J'ai pass une vie bien douce et bien heureuse dans cette maison bnie. Tous m'aimaient, les serviteurs taient doux et pleins d'gards pour moi; les enfants, devenus grands, m'adoraient et me disaient les choses les plus tendres et les plus flatteuses; mes matres avaient rellement de l'estime pour mon caractre et dclaraient que mon affection n'avait jamais eu pour mobile la gourmandise ni aucune passion basse. J'aimais leur socit, et, devenu vieux, moins dmonstratif par consquent, je leur tmoignais mon amiti en dormant leurs pieds ou leur porte quand ils avaient oubli de me l'ouvrir. J'tais d'une discrtion et d'un savoir-vivre irrprochables, bien que trs indpendant et nullement surveill. Jamais je ne grattai une porte, jamais je ne fis entendre de gmissements importuns. Quand je sentis les premiers rhumatismes, on me traita comme une personne. Chaque soir, mon matre m'enveloppait dans mon tapis; s'il tardait un peu y songer, je me plantais prs de lui en le regardant, mais sans le tirailler ni l'ennuyer de mes obsessions.La seule chose que j'aie me reprocher dans mon existence canine, c'est mon peu de bienveillance pour les autres chiens. tait-ce pressentiment de ma prochaine sparation d'espce, tait-ce crainte de retarder ma promotion un grade plus lev, qui me faisait har leurs grossirets et leurs vices? Redoutais-je de redevenir trop chien dans leur socit, avais-je l'orgueil du mpris pour leur infriorit intellectuelle et morale? Je les ai rellement houspills toute ma vie, et on dclara souvent que j'tais terriblement mchant avec mes semblables. Pourtant je dois dire ma dcharge que je ne fis jamais de mal aux faibles et aux petits. Je m'attaquais aux plus gros et aux plus forts avec une audace hroque. Je revenais harass, couvert de blessures, et, peine guri, je recommenais.J'tais ainsi avec ceux qui ne m'taient pas prsents.Quand un ami de la maison amenait son chien, on me faisait un discours srieux en m'engageant la politesse et en me rappelant les devoirs de l'hospitalit. On me disait son nom, on approchait sa figure de la mienne. On apaisait mes premiers grognements avec de bonnes paroles qui me rappelaient au respect de moi-mme. Alors, c'tait fini pour toujours, il n'y avait plus de querelles, ni mme de provocations; mais je dois dire que, sauf Moutonne, la chienne du berger, pour laquelle j'eus toujours une grande amiti et qui me dfendait contre les chiens ameuts contre moi, je ne me liai jamais avec aucun animal de mon espce. Je les trouvais tous trop infrieurs moi, mme les beaux chiens de chasse et les petits chiens savants qui avaient t forcs par les chtiments matriser leurs instincts. Moi qu'on avait toujours raisonn avec douceur, si j'tais, comme eux, esclave de mes passions certains gards o je n'avais risquer que moi-mme, j'tais obissant et sociable avec l'homme, parce qu'il me plaisait d'tre ainsi et e j'eusse rougi d'tre autrement.Une seule fois je parus ingrat, et j'prouvai un grand chagrin. Une maladie pidmique ravageait le pays, toute la famille partit emmenant les enfants, et, comme on craignait mes larmes, on ne m'avertit de rien. Un matin, je me trouvai seul avec le domestique, qui prit grand soin de moi, mais qui, proccup pour lui-mme, ne s'effora pas de me consoler, ou ne sut pas s'y prendre. Je tombai dans le dsespoir, cette maison dserte par un froid rigoureux tait pour moi comme un tombeau. Je n'ai jamais t gros mangeur, mais je perdis compltement l'apptit et je devins si maigre, que l'on et pu voir travers mes ctes. Enfin, aprs un temps qui me parut bien long, ma vieille matresse revint pour prparer le retour de la famille, et je ne compris pas pourquoi elle revenait seule; je crus que son fils et les enfants ne reviendraient jamais, et je n'eus pas le courage de lui faire la moindre caresse. Elle fit allumer du feu dans sa chambre et m'appela en m'invitant me chauffer; puis elle se mit crire pour donner des ordres et j'entendis qu'elle disait en parlant de moi: Vous ne l'avez donc pas nourri? Il est d'une maigreur effrayante; allez me chercher du pain et de la soupe.Mais je refusai de manger. Le domestique parla de mon chagrin. Elle me caressa beaucoup et ne put me consoler, elle et d me dire que les enfants se portaient bien et allaient revenir avec leur pre. Elle n'y songea pas, et s'loigna en se plaignant de ma froideur, qu'elle n'avait pas comprise. Elle me rendit pourtant son estime, quelques jours aprs, lorsqu'elle revint avec la famille. Les tendresses que je fis aux enfants surtout lui prouvrent bien que j'avais le cur fidle et sensible.Sur mes vieux jours, un rayon de soleil embellit ma vie. On amena dans la maison la petite chienne Lisette, que les enfants se disputrent d'abord, mais que l'ane cda sa sr en disant qu'elle prfrait un vieil ami comme moi toutes les nouvelles connaissances. Lisette fut aimable avec moi, et sa foltre enfance gaya mon hiver. Elle tait nerveuse et tyrannique, elle me mordait cruellement les oreilles. Je criais et ne me fchais pas, elle tait si gracieuse dans ses imptueux bats! Elle me forait courir et bondir avec elle. Mais ma grande affection tait, en somme, pour la petite fille qui me prfrait Lisette et qui me parlait raison, sentiment et moralit, comme avait fait sa grand'mre.Je n'ai pas souvenir de mes dernires annes et de ma mort. Je crois que je m'teignis doucement au milieu des soins et des encouragements. On avait certainement compris que je mritais d'tre homme, puisqu'on avait toujours dit qu'il ne me manquait que la parole. J'ignore pourtant si mon esprit franchit d'emble cet abme. J'ignore la forme et l'poque de ma renaissance; je crois pourtant que je n'ai pas recommenc l'existence canine, car celle que je viens de vous raconter me parat dater d'hier. Les costumes, les habitudes, les ides que je vois aujourd'hui ne diffrent pas essentiellement de ce que j'ai vu et observ tant chien...Le srieux avec lequel notre voisin avait parl nous avait forcs de l'couter avec attention et dfrence. Il nous avait tonns et intresss. Nous le primes de nous raconter quelque autre de ses existences.C'est assez pour aujourd'hui, nous dit-il; je tcherai de rassembler mes souvenirs, et peut-tre plus tard vous ferai-je le rcit d'une autre phase de ma vie antrieure.Deuxime partie: La fleur sacre Aurore Sand.Quelques jours aprs que M. Lechien nous eut racont son histoire, nous nous retrouvions avec lui chez un Anglais riche qui avait beaucoup voyag en Asie, et qui parlait volontiers des choses intressantes et curieuses qu'il avait vues.Comme il nous disait la manire dont on chasse les lphants dans le Laos, M. Lechien lui demanda s'il n'avait jamais tu lui-mme un de ces animaux.Jamais! rpondit sir William. Je ne me le serais point pardonn. L'lphant m'a toujours pai prs de l'homme par l'intelligence et le raisonnement que j'aurais craint d'interrompre la carrire d'une me en voie de transformation.Au fait, lui dit quelqu'un, vous avez longtemps vcu dans l'Inde, vous devez partager les ides de migration des mes que monsieur nous exposait l'autre jour d'une manire plus ingnieuse que scientifique.La science est la science, rpondit l'Anglais. Je la respecte infiniment, mais je crois que, quand elle veut trancher affirmativement ou ngativement la question des mes, elle sort de son domaine et ne peut rien prouver. Ce domaine est l'examen des faits palpables, d'o elle conclut des lois existantes. Au del, elle n'a plus de certitude. Le foyer d'mission de ces lois chappe ses investigations, et je trouve qu'il est galement contraire la vraie doctrine scientifique de vouloir prouver l'existence ou la non-existence d'un principe quelconque. En dehors de sa dmonstration spciale, le savant est libre de croire ou de ne pas croire; mais la recherche de ce principe appartient mieux aux hommes de logique, de sentiment et d'imagination. Les raisonnements et les hypothses de ceux-ci n'ont, il est vrai, de valeur qu'autant qu'ils respectent ce que la science a vrifi dans l'ordre des faits; mais l o la science est impuissante nous clairer, nous sommes tous libres de donner aux faits ce que vous appelez une interprtation ingnieuse, ce qui, selon moi, signifie une explication idaliste fonde sur la dduction, la logique et le sentiment du juste dans l'quilibre et l'ordonnance de l'univers.Ainsi, reprit celui qui avait interpell sir William, vous tes bouddhiste?D'une certaine faon, rpondit l'Anglais; mais nous pourrions trouver un sujet de conversation plus rcratif pour les enfants qui nous coutent.Moi, dit une des petites filles, cela m'intresse et me plat. Pourriez-vous me dire ce que j'ai t avant d'tre une petite fille?Vous avez t un petit ange, rpondit sir William.Pas de compliments! reprit l'enfant. Je crois que j'ai t tout bonnement un oiseau, car il me semble que je regrette toujours le temps o je volais sur les arbres et ne faisais que ce que je voulais.Eh bien, reprit sir William, ce regret serait une preuve de souvenir. Chacun de nous a une prfrence pour un animal quelconque et se sent port s'identifier ses impressions comme s'il les avait dj ressenties pour son propre compte.Quel est votre animal de prdilection? lui demandai-je.Tant que j'ai t Anglais, rpondit-il, j'ai mis le cheval au premier rang. Quand je suis devenu Indien, j'ai mis l'lphant au-dessus de tout.Mais, dit un jeune garon, est-ce que l'lphant n'est pas trs laid?Oui, selon nos ides sur l'esthtique. Nous prenons pour type du quadrupde le cheval ou le cerf; nous aimons l'harmonie dans la proportion, parce qu'au fond nous avons toujours dans l'esprit le type humain comme type suprme de cette harmonie; mais, quand on quitte les rgions tempres et qu'on se trouve en face d'une nature exubrante, le got change, les yeux s'attachent d'autres lignes, l'esprit se reporte un ordre de cration antrieure plus grandiose, et le ct fruste de cette cration ne choque plus nos regards et nos penses. L'Indien, noir, petit, grle, ne donne pas l'ide d'un roi de la cration. L'Angla, rouge et massif, parat l plus imposant que chez lui; mais l'un et l'autre, qu'ils aient pour cadre une cabane de roseaux ou un palais de marbre, sont encore effacs comme de vulgaires dtails dans l'ensemble du tableau que prsente la nature environnante. Le sens artiste prouve le besoin de formes suprieures celles de l'homme, et il se sent pris de respect pour les tres capables de se dvelopper firement sous cet ardent soleil qui tiole la race humaine. L o les roches sont formidables, les vgtaux effrayants d'aspect, les dserts inaccessibles, le pouvoir humain perd son prestige, et le monstre surgit nos yeux comme la suprme combinaison harmonique d'un monde prodigieux. Les anciens habitants de cette terre redoutable l'avaient bien compris. Leur art consistait dans la reproduction idalise des formes monstrueuses. Le buste de l'lphant tait le couronnement principal de leurs parthnons. Leurs dieux taient des monstres et des colosses. Leur architecture pesante, surmonte de tours d'une hauteur dmesure, semblait chercher le beau dans l'absence de ces proportions harmoniques qui ont t l'idal des peuples de l'Occident. Ne vous tonnez donc pas de m'entendre dire qu'aprs a trouv cet art barbare et ces types effrayants, je m'y suis habitu au point de les admirer et de trouver plus tard nos arts froids et nos types mesquins. Et puis tout, dans l'Inde, concourt idaliser l'lphant. Son culte est partout dans le pass, sous une forme ou sous une autre. Les reproductions de son type ont une varit d'intentions surprenante, car, selon la pense de l'artiste, il reprsente la forme menaante ou la bnigne douceur de la divinit qu'il encadre. Je ne crois pas qu'il ait t jamais, quoi qu'en aient dit les anciens voyageurs, ador personnellement comme un dieu; mais il a t, il est encore regard comme un symbole et un palladium. L'lphant blanc des temples de Siam est toujours considr comme un animal sacr.Parlez-nous de cet lphant blanc, s'crirent tous les enfants. Est-il vraiment blanc? l'avous vu?Je l'ai vu, et, en le contemplant au milieu des ftes triomphales qu'il semblait prsider, il m'est arriv une chose singulire.Quoi? reprirent les enfants.Une chose que j'hsite vous dire, non pas que je craigne la raillerie en un sujet si grave, mais en vrit je crains de ne pas vous convaincre de ma sincrit et d'tre accus d'imoviser un roman pour rivaliser avec l'difiante et srieuse histoire de M. Lechien.Dites toujours, dites toujours! Nous ne critiquerons pas, nous couterons bien sagement.Eh bien, mes enfants, reprit l'Anglais, voici ce qui est arriv. En contemplant la majest de l'lphant sacr marchant d'un pas mesur au son des instrumen