saint-simon, claude h de rouvroy conde de - la physiologie sociale, oeuvres choisis

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  • 8/14/2019 SAINT-SIMON, Claude H de Rouvroy Conde de - La Physiologie Sociale, Oeuvres Choisis

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    Claude-Henri de Saint-Simon

    La physiologiesocialeuvres choisies

    par Georges Gurvitch

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel:[email protected] web: http://pages.infinit.net/sociojmt

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    Cleude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale (Extraits, 1803-1825) 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-MarieTremblay, bnvole, professeur de sociologie au Cgep deChicoutimi partir de :

    Claude-Henri de Saint-Simon

    La physiologie sociale.uvres choisies par Georges Gurvitch

    Une dition lectronique ralise partir du livre Claude-Henri de Saint-

    Simon, La physiologie sociale. Oeuvres choisies. Introduction et notes deGeorges Gurvitch, professeur la Sorbonne. Paris: Presses universitaires deFrance, 1965, 160 pages. Collection: Bibliothque de sociologie contemporaine.

    (Extraits de textes datant de 1803 1825).

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 16 mars 2003 Chicoutimi, Qubec.

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    Cleude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale (Extraits, 1803-1825) 3

    Table des matires

    Avant-propos de Georges Gurvitch

    Choix et ordre des textes

    CROIX DE TEXTES1. Lettres d'un habitant de Genve ses contemporains, 18032. Introduction aux travaux scientifiques du XIXe sicle, t. I, 18083. Ibid., t. II, 18094. Fragments de l'histoire de sa vie, 18095. Introduction la philosophie du XIXe sicle, 18106. Prface de la Nouvelle Encyclopdie, 1810

    7. Correspondance avec M. de Redern, 18118. Travail sur la gravitation universelle, 18139. De la physiologie sociale, 181310 Mmoire sur la science de l'homme, 181311. De la rorganisation de la socit europenne, 181412. L'industrie, vol. Il, 1817

    Lettre un Amricain13. Ibid., vol. III, premire partie, 181714. Ibid., vol. III, seconde partie, 181815. Le parti national ou industriel, compar au parti antinational, extrait de la 2e

    livraison du Politique, 181916. - Sur la querelle des abeilles et des frelons, extrait de la 11e livraison du Politique17. L'organisateur, vol. I, 1819

    18. Lettre de H. Saint-Simon MM. les Jurs, 182019. Du systme industriel, t. I, 182120. Ibid., t. I, seconde partie, 182121. Ibid., t. II, deuxime partie, 182222. Brouillons indits, nos 1 et 2, 1822 (probablement)23. Du systme industriel, t. II, suite de la deuxime partie, 182224. Ibid., t. III, fin de la deuxime partie, 182225. Des Bourbons et des Stuarts, 182226. Premier chant des Industriels, 1821 (paroles et musique de Rouget de Lisle)27. Catchisme des industriels, Cahier 1, 182328. Ibid., Cahier 2, 182329. Ibid., Prface au Cahier 3, 182430. Ibid., Cahier 4, 182431. Opinions littraires, philosophiques et industrielles, 182532. Ibid., De l'organisation sociale , Fragments indits, 182533. Nouveau christianisme, 1825

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    Cleude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale (Extraits, 1803-1825) 4

    Avant-proposPar Georges Gurvitch

    Retour la table des matires

    Ce choix de textes de Claude-Henri de Saint-Simon (1760-1825) se dis-tingue de plusieurs autres 1 (dont nous sommes les premiers reconnatre lesmrites), par les traits suivants.

    Nous n'avons retenu que les passages ayant un rapport direct ou implicite la sociologie proprement dite, dont Saint-Simon, comme l'avait dj faitressortir mile Durkheim, est le vrai fondateur. Ce dernier n'a-t-il pas crit : C'est Saint-Simon qu'il faut, en bonne justice, attribuer l'honneur que l'onattribue couramment Comte , d'avoir fond une nouvelle science : lasociologie... Et de cette science nouvelle, il n'en a pas seulement dress leplan, il a essay de la raliser... On rencontre chez Saint-Simon les germesdj dvelopps de toutes les ides qui ont aliment la rflexion de notre

    poque 2. Mais Durkheim a cru tort - comme beaucoup d'auteurs de sontemps - que Comte tait un continuateur de Saint-Simon, tandis que les

    1 Cf. Charles LEMONNIER, Oeuvres choisies de Saint-Simon, vol. I-III, 1854-1861 ;

    Clestin BOUGL, Choix de textes de Saint-Simon, 1925, 2e d., 1935 ;. VOLGUINE,Oeuvres choisies de Saint-Simon, vol. I-III, 1948 (en russe) ; J. DAUTRY, Saint-Simon,textes choisis, Paris, ditions Sociales, 1960.

    2 mile DURKHEIM, Le socialisme (posthume), 1927, pp. 148-150. Voir lditionnumrique des Classiques des sciences sociales [JMT]

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    sources relles de Comte sont bien diffrentes : de Bonald et de Maistre d'unepart, Condorcet de l'autre, dont il cherche rconcilier les ides 1. Par ailleurs,Durkheim n'a pas vu que les vrais successeurs de Saint-Simon-sociologuefurent Proudhon et surtout Karl Marx.

    Cela nous conduit au second trait caractrisant notre choix de textes deSaint-Simon. Nous avons essay de mettre en relief tous les passages qui fontressortir la parent de la sociologie de Saint-Simon avec celle de Proudhon etde Marx, tout en marquant dans notre introduction, et parfois dans des notes,les points de divergence.

    Enfin, et c'est le troisime aspect de notre choix, nous avons essay delaisser de ct autant que possible la doctrine sociale et politique, c'est--direles prtendues applications pratiques de la sociologie de Saint-Simon.C'est que les valeurs poses d'avance et culminant dans un idal social projetdans l'avenir ne dcoulent jamais de la sociologie conue comme science,mais ne font que l'utiliser : consciemment - pour rechercher les voies et

    moyens stratgiques ; inconsciemment - pour camoufler l'idal prconu etaffirm comme impos par la ralit des faits. Saint-Simon, qui fut le plusraliste des utopistes et le plus utopiste des sociologues, facilite lui-mmecette sparation entre doctrine socio-politique et sociologie. En effet, selon lesrgimes et les conjonctures, il modifie les moyens : rvolutionnaire pour lesrgimes militaires et prcapitalistes, il est rformiste pour les rgimes capita-listes et post-capitalistes. Il change d'idal au cours des diffrentes tapes desa vie : productivit industrielle maximum d'abord, lie un utilitarismed'inspiration benthamienne, accordant aux savants le pouvoir spirituel, et lepouvoir temporel aux industriels-entrepreneurs ; ensuite planification fondesur la pyramide industrielle ayant sa tte les chefs des travaux - unetechnocratie, par consquent, mais librale, car l'administration des chosesremplacera le gouvernement des personnes , et les producteurs-ouvriers

    devront profiter trs largement d'une abondance toujours plus grande ; enfin,dans ses tout derniers ouvrages, Saint-Simon prche l'union de l'amour et dutravail grce laquelle les proltaires deviendront socitaires et adminis-trateurs , mais sans indiquer les moyens prcis qui permettraient d'y parvenir.Cependant ces changements de doctrine socio-politique, dont le panthismehumaniste est d'ailleurs explicitement formul dans le Nouveau christianisme,n'entranent pas une modification de la thorie proprement sociologique deSaint-Simon, si l'on excepte une plus grande prcision dans la diffrenciationdes classes sociales parmi les producteurs .

    videmment, en sociologie, les coefficients idologiques ne peuvent trelimins d'aucune thorie, ni mme d'aucune recherche empirique. Mais celaest vrai de toute science, qui est toujours une oeuvre humaine et une oeuvre

    collective. Il ne s'agit que de diffrents degrs d'intensit de ces coefficients.Par ailleurs, ils peuvent toujours tre diminus tant rendus conscients. L'ido-logie fluctuante et incertaine propre la sociologie de Saint-Simon affaiblitplutt qu'elle n'augmente ce coefficient. C'est ce qui rend cette sociologieparticulirement attirante au point de vue scientifique.

    1 Cf. mon cours ronotyp, Pour le centenaire de la mort d'Auguste Comte, 1957, C.D.U.,

    pp. 4-10.

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    C'est galement ce que nous allons essayer de montrer par notre choix detextes.

    ** *

    Il existe deux ditions des Oeuvres compltes de Saint-Simon. Celled'Olinde Rodrigues d'abord (Ire d. 1832, 2e d. 1841), mais elle est loin decomprendre toutes les publications de notre auteur. L'autre est due auxexcuteurs testamentaires d'Enfantin. Cette dition, qui s'chelonne de 1868 1876, est beaucoup plus complte que la prcdente, mais trs mal ordonne.Sur 47 volumes, onze seulement sont consacrs aux oeuvres de Saint-Simon ;les textes de Saint-Simon sont disperss au hasard, du volume XI au volume

    XXXVII, car des ouvrages d'Enfantin sont intercals parmi ceux de Saint-Simon. Par ailleurs, les Oeuvres compltes sont videmment puises depuistrs longtemps. On comprendra tout le bien-fond de la demande de Pierre-Maxime Schuhl d'une dition nationale des Oeuvres compltes de Saint-Simon 1. De mme on s'expliquera mieux le besoin permanent, durant cesdernires dcennies, de nouveaux morceaux choisis des Oeuvres de Saint-Simon, dont nous prsentons ici un chantillon 2.

    ** *

    Mais auparavant, et aprs avoir numr les ouvrages de Saint-Simon dansl'ordre chronologique (mme ceux dont aucun passage n'est entr dans notrechoix), nous allons essayer d'introduire l'ensemble de la pense sociologiquede Saint-Simon.

    1 P.-M. SCHUHL, Henri de Saint-Simon (1760-1825),Revue philosophique, 1960,p. 457.2 Les textes que nous reproduisons sont cits de prfrence d'aprs les Oeuvres compltes,

    1868-1876. Lorsque, pour diffrentes raisons, certains textes n'ont pu tre cits seloncette dition, ce sont surtout les Oeuvres choisies de C. LEMONNIER qui ont tutilises. Chaque source est indique en note.

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    Choix et ordredes textes choisis

    Retour la table des matires

    Les publications de Saint-Simon, selon leur ordre chronologique aussibien que selon leur contenu, se divisent en quatre sries :

    La premire srie, formellement consacre la mthodologie des sciences,contient en ralit des considrations sur les cadres sociaux de ces dernires.Elle comprend :

    1. Lettres d'un habitant de Genve ses contemporains, 1802.2. Introduction aux travaux scientifiques du XIXe sicle, vol. I et II,

    1807-1808.3. Lettres au Bureau des Longitudes, 1808.4. Fragments de l'histoire de ma vie, ajouts la 2e d. des prcdentes

    lettres, 1809.5. tudes sur l'Encyclopdie et la ncessit de fonder une NouvelleEncyclopdie, 1810 et 1813.

    6. Introduction la philosophie du XIXe sicle, 1810.7. Travail sur la gravitation universelle, 1813.

    Si on se laissait guider exclusivement par les titres de ces ouvrages, onpourrait croire qu'ils n'ont aucun rapport avec la sociologie, ou pis encoresupposer que l'auteur tait inspir par le physicisme et les conceptions mca-

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    nistes. Or, en fait, Saint-Simon cherche montrer que toutes les sciences, enimpliquant un effort collectif humain, se trouvent en rapport avec les cadressociaux o elles s'affirment, et que les fonctions sociales des sciences, demme que leur unit toujours relative et jusqu' leur classification, varientselon les caractres des socits. Ds ces publications, en posant le problmede la sociologie des sciences, Saint-Simon l'oriente vers la physiologie . Ceterme, conu comme tude de l'effort global, et aucunement limit labiologie, Saint-Simon l'emprunte, comme il l'indiquera plus lard, Vicq-d'Azyr, Cabanis et Bichat, sur lesquels le Dr Burdin avait attir son attention.

    La seconde srie, proprement sociologique, comprend :

    1. Histoire de l'homme, avertissement, 1810.2. De la physiologie sociale, 1812.3. Mmoire sur la science de l'homme, 1813.4. L'organisateur, vol. I et II, 1819-1820.5. Le systme industriel, 1821.

    La troisime srie contient des ouvrages de prfrence conomiques,politiques, historiques ou traitant des problmes internationaux :

    1. Industrie ou discussions politiques, morales et philosophiques, vol. I-IV, 1816-1818. Le premier volume est d'Augustin Thierry, les troispremiers cahiers du vol. IV, d'Auguste Comte. Ce ne sont donc que lesvol. II et III, et le IVe cahier du vol. IV qui sont de Saint-Simon.

    2. De la rorganisation de la socit europenne, 1814, crit en colla-boration avec A. Thierry.

    3. Opinions sur les mesures prendre contre la coalition, 1815, crit avec

    la mme collaboration.4. Des Bourbons et des Stuart, 1822.

    Dans la quatrime srie se combinent des considrations sociologiques etl'expos d'une doctrine socio-politique :

    1. Le catchisme des industriels, cahiers 1, 2 et 4, 1823-1824. Le troisi-me cahier, d Auguste Comte, a t dans une prface condamn parSaint-Simon pour son intellectualisme. D'o la rupture entre les deuxauteurs.

    2. De l'organisation sociale, 1825 (fragments d'un ouvrage indit).3. Opinions littraires, philosophiques et industrielles, 1825.

    4. Le nouveau christianisme, 1825.

    C'est dans cet ordre que nous reproduirons les textes choisis.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    CHOIX DE

    TEXTES

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    Les textes souligns par lditeur (les Presses universitaires de France)sont composs en italiques. Les textes souligns par Saint-Simon sontcomposs en PETITES CAPITALES.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    1.

    Lettres d'un habitant de Genve

    ses contemporains (1803)(Vol. XV) Vol. I des uvres compltes,dition de 1868

    Retour la table des matires

    ... Jusqu' prsent, les gens riches n'ont gure eu d'autres occupations quecelle de vous commander, forcez-les vous clairer et vous instruire ; ilsfont travailler vos bras pour eux, faites travailler leurs ttes pour-vous...

    ... Mes amis, nous sommes des corps organiss ; c'est en considrantcomme phnomnes physiologiques nos relations sociales que j'ai conu leprojet que je vous prsente, et c'est par des considrations puises dans lesystme que j'emploie pour lier les faits physiologiques que je vais vousdmontrer la bont du projet que je vous prsente.

    Un fait constat par une longue srie d'observations, c'est que chaquehomme prouve un degr plus ou moins vif le dsir de dominer tous lesautres hommes. Une chose claire par le raisonnement, c'est que tout hommequi n'est pas isol se trouve actif et passif en domination dans ses relations

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    avec les autres, et je vous engage faire usage de la petite portion de domi-nation que vous exercez sur les gens riches... Mais avant que d'aller plus loinil faut que j'examine avec vous une chose qui vous chagrine beaucoup : vousdites, nous sommes dix fois, vingt fois, cent fois plus nombreux que lespropritaires, et cependant les propritaires exercent sur nous une domina-tion bien plus grande que celle que nous exerons sur eux.

    ... La suppression des privilges de naissance a exig des efforts quiavaient rompu les liens de l'organisation ancienne, et n'a point t un obstacle la rorganisation sociale...

    ... Les premiers besoins de la vie sont les plus imprieux ; lesnon-propritaires ne peuvent les satisfaire qu'incompltement. Un physio-

    logiste voit clairement que leur dsir le plus constant doit tre celui de ladiminution de l'impt, ou de l'augmentation de salaire...

    Ouvrez une souscription devant le tombeau de Newton souscrivez tous

    indistinctement pour la somme que vous voudrez.Que chaque souscripteur nomme trois mathmaticiens, trois physiciens,

    trois chimistes, trois physiologistes, trois littrateurs, trois peintres, troismusiciens.

    Renouvelez tous les ans la souscription, ainsi que la nomination, maislaissez chacun la libert illimite de renommer les mmes personnes.

    Exigez de ceux que vous nommerez qu'ils ne reoivent ni places, nihonneurs, ni argent d'aucune fraction de vous...

    Je crois que toutes les classes de la socit se trouveraient bien dans cetteorganisation : le pouvoir spirituel entre les mains des savants ; le pouvoirtemporel entre les mains des propritaires ; le pouvoir de nommer ceuxappels remplir les fonctions de grands chefs de l'humanit, entre les mainsde tout le monde ; pour salaire aux gouvernants, la considration...

    ... J'ai entendu ces paroles : Que l'humanit travaille se perfectionnerdans la connaissance du bien et du mal, et j'amliorerai son sort; un jourviendra queje ferai de la terre un paradis.

    ... La runion des vingt-un lus de l'humanit prendra le nom de conseil deNewton ; le conseil de Newton me reprsentera sur la terre ; il partageral'humanit en quatre divisions, qui s'appelleront Anglaise, Franaise, Alleman-

    de, Italienne ; chacune de ces divisions aura un conseil compos de mme quele conseil en chef. Tout homme, quelque partie du globe qu'il habite,s'attachera une de ces divisions et souscrira pour le conseil en chef et pourcelui de la division.

    LES FEMMES SERONT ADMISES SOUSCRIRE ; ELLESPOURRONT TRE NOMMES.

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    Cleude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale (Extraits, 1803-1825) 12

    Chaque conseil fera btir un temple qui contiendra un mausole enhonneur de Newton.

    ... Dans les environs du temple, il sera bti des laboratoires, des ateliers etun collge ; tout le luxe sera rserv pour le temple ; les laboratoires, lesateliers, le collge, les logements des membres du conseil et ceux destins recevoir les dputations des autres conseils seront construits et dcors dansun mode simple.

    ... TOUS LES HOMMES TRAVAILLERONT ; ils se regarderont touscomme des ouvriers attachs un atelier...

    ... Tous les conseils de Newton respecteront la ligne de dmarcation quispare le pouvoir spirituel du pouvoir temporel.

    ... L'obligation est impose chacun de donner constamment ses forces

    personnelles une direction utile l'humanit ; les bras du pauvre continueront nourrir le riche, mais le riche reoit le commandement de faire travailler sacervelle, et si sa cervelle n'est pas propre au travail, il sera bien oblig de faire travailler ses bras ; carNewton ne laissera srement pas sur cetteplante, une des plus voisines du soleil, des ouvriers volontairement inutilesdans l'atelier.

    Nous ne verrons plus la religion avoir pour ministres des hommes pourvusdu droit de nommer les chefs de l'humanit ; ce seront tous les fidles quinommeront leurs guides, et les qualits auxquelles ils reconnatront ceux queDieu a appels le reprsenter ne seront plus d'insignifiantes vertus, telles quela chastet et la continence ; ce seront les talents, ce sera le plus haut degr detalents.

    ... Je compte vous crire une lettre dans laquelle j'envisagerai la religioncomme une invention humaine, que je considrerai comme tant la seulenature d'institution politique qui tende l'organisation gnrale de l'humanit.

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    Cleude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale (Extraits, 1803-1825) 13

    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    2.

    Introduction aux travaux scientifiques

    du XIXe sicle (1808) - (Tome 1er)(Oeuvres choisies par Ch. Lemonnier, 1er vol.,

    Bruxelles, 1859)

    Retour la table des matires

    Les rvolutions scientifiques suivent de prs les rvolutions politiques.Newton a trouv le fait de la gravitation universelle peu d'annes aprs la mortde Charles 1er. Je prvois, je pressens qu'il s'oprera incessamment unegrande rvolution scientifique. ... Newton ne doit pas tre plac avantDescartes ; il ne doit pas mme tre mis sur la mme ligne ; il n'est point sorti

    du pays scientifique dcouvert par le grand homme que les Franais ont lebonheur de compter au nombre de leurs aeux.

    ... C'est Descartes qui a organis l'insurrection scientifique. C'est lui qui atrac la ligne de dmarcation entre les sciences anciennes et modernes ; c'estlui qui a plant le drapeau auquel se sont rallis les physiciens pour attaquerles thologiens...

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    ... Descartes, qui avait autant d'adresse que de force, a su se mettre l'abrides perscutions du clerg, sans entraver la marche de sa pense, sans gnerson mission ; il a fait la dclaration formelle qu'il reconnaissait l'existence deDieu, et il n'a fait jouer aucun rle aux ides rvles, il n'a soumis sacroyance aucune d'elles ; il ne les a considres que comme des aperusscientifiques, produits par des hommes de gnie, une poque o l'humanittait encore dans l'ignorance, parce qu'elle tait dans l'enfance.

    ... L'ENTREPRISE faite par Descartes ne pouvait tre termine ni par unhomme, ni par une gnration, ni par les travaux runis des diverses gn-rations qu'un sicle voit natre. Cette entreprise est la plus importante ; elle estla plus vaste que l'esprit humain pouvait faire ; elle est, par consquent, celledont l'excution demande le plus de temps.

    ... Les quatre ouvrages scientifiques du XVIIIe sicle (crits et publispostrieurement ceux de Locke et de Newton), qui me paraissent avoir tles plus marquants, sont : d'une part, la Thorie des fonctions et laMcanique

    cleste ; de l'autre part, le Trait des sensations et l'Esquisse d'un tableauhistorique des progrs de l'esprit humain.

    Les deux premiers ouvrages font suite ceux de Newton les deux autressont une continuation de ceux de Locke.

    ... Les circonstances gnrales dans lesquelles Condorcet s'est trouv, lescirconstances particulires dans lesquelles il s'est plac, lui ont chauff latte ; elles ne lui ont pas laiss le loisir de peser tranquillement les faits, d'ob-server leur enchanement, et de dduire mthodiquement les consquences desprincipes qu'il avait poss.

    ... Condorcet aurait ncessairement conclu, s'il avait fix son attention sur

    cette partie de la rcapitulation de la marche de l'esprit humain : 1 que lesdifficults, pour se distinguer dans la carrire active et dans la carrirespculative, taient gales ; 2 que la capacit et les qualits ncessaires pourobtenir des succs dans chacune de ces carrires taient diffrentes, qu'elless'excluaient rciproquement.

    ... Condillac et Condorcet n'ont tudi ni l'anatomie, ni la physiologie.Leur ignorance sur ces parties essentielles de la physique des corps organissa t cause des erreurs capitales qu'ils ont commises l'un et l'autre.

    ... Les travaux qui ont pour objet le progrs de la science ne sont pas lesseuls dont l'cole s'occupe. Il est une loi laquelle les savants sont soumis demme que les autres hommes. TOUT HOMME, TOUTE COALITIOND'HOMMES, DE QUELQUE NATURE QU'ELLE SOIT, TEND ACCROTRE SON POUVOIR. Le militaire avec le sabre, le diplomate avecses ruses, le gomtre avec le compas, le chimiste avec les cornues, le physio-logiste avec le scalpel, le hros par ses actions, le philosophe par sescombinaisons, s'efforcent de parvenir au commandement, ils escaladent pardiffrents cts le plateau au sommet duquel se trouve l'tre fantastique quicommande toute la nature, et que chaque homme fortement organis tend remplacer.

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    J'ai rang dans la premire classe les travaux ayant pour objet direct leprogrs de la science. Je place dans la seconde les efforts de la nouvelle colepour amliorer son existence sociale.

    Je vais parler du grand combat livr l'ancienne cole, et de la victoireclatante remporte par les savants novateurs sur le clerg dfenseur del'ancien systme, sur le clerg dfenseur du systme conu par l'humanit l'poque de la plus grande vigueur de son imagination, et de sa plus grandeincapacit en raisonnements.

    Vers le milieu du XVIIIe sicle, Diderot et d'Alembert ont fait appel auxpartisans des ides de Bacon, de Descartes, de Locke et de Newton, ils les ontcoaliss, ils se sont mis la tte de cette arme de physiciens pour attaquer lesthologiens.

    ... Je me figure les principes du systme thologique solidifis formant desremparts, et le clerg rfugi dans l'enceinte de cette fortification. Je me

    reprsente les physiciens composant une arme occupe battre en brche cesremparts. Enfin, j'envisage Diderot et d'Alembert comme les gnraux, sousles ordres desquels les physiciens ont donn un assaut gnral la placedfendue par les thologiens.

    ... Il existe deux choses distinctes : CE QUI EST NOUS ; CE QUI ESTEXTRIEUR A NOUS.

    L'action de NOUS sur l'EXTRIEUR A NOUS. L'action DE CE OUI ESTEXTRIEUR A NOUS sur NOUS. Cette division est bien plus large que celledes facults de notre intelligence, qui n'est bien prendre qu'une sous-division.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    3.

    Introduction aux travaux scientifiques

    du XIXe sicle (1809) - (Tome 2)(Oeuvres choisies par Ch. Lemonnier, 2e vol.,

    Bruxelles, 1859)

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    ... Pendant le cours de la Rvolution, les chefs du gouvernement ont com-mis de grandes erreurs, faute d'avoir pris connaissance des faits observs parles physiologistes.

    ... Le physiologiste, en tudiant l'histoire de l'humanit, remarque, avec le

    plus vif intrt, les moyens par lesquels les anomalies sont parvenues s'organiser en corporations privilgies ; il distingue deux sortes d'anomalies,les anomalies militaires et les anomalies scientifiques, etc.

    ... L'homme est un petit monde ; il existe en lui, sur une petite chelle, tousles phnomnes qui s'excutent en grand dans l'univers.

    ... L'INTELLIGENCE gnrale et l'intelligence individuelle se dvelop-pent d'aprs la mme loi. Ces deux phnomnes ne diffrent que sous le

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    rapport de la dimension des chelles sur lesquelles ils ont t construits. Cettevrit, facile constater par l'examen compar de la marche de l'esprit humainet du dveloppement de l'intelligence individuelle, offre l'avantage de pouvoirconnatre le sort futur de l'humanit jusqu' sa mort.

    ... La ligne de dmarcation entre l'intelligence de l'homme et l'instinct desanimaux n'a t clairement trace qu'aprs la formation du systme des signesde convention parls et crits.

    C'est sur les faits politiques, religieux ou militaires que les historiens ont, jusqu' prsent, fix leur attention ; ils ne se sont point placs un point devue assez lev. Condorcet est le premier crivain qui ait entrepris de rdigerl'histoire de l'esprit humain, et la passion philanthropique qui le dominait lui afascin les yeux. Ce n'est point une histoire dont il nous a donn l'bauche;c'est un roman qu'il a esquiss : il n'a pas vu les choses comme elles sont, maiscomme il voulait qu'elles fussent.

    ... Je connais plusieurs personnes qui croient la ncessit d'une religionpour le maintien de l'ordre social, et qui sont convaincues que le disme estus ; que la religion fonde sur le disme ne peut pas tre rajeunie, et quitravaillent, en consquence de cette opinion, organiser une religion fondesur le physicisme. Ces personnes se trompent sur un point essentiel : l'organi-sation d'une nouvelle religion n'est pas encore possible.

    ... LA RELIGION VIEILLIT DE MME QUE LES AUTRES INSTITU-TIONS. DE MME QUE LES AUTRES INSTITUTIONS, ELLE A BESOIND'TRE RENOUVELE AU BOUT D'UN CERTAIN TEMPS.

    TOUTE RELIGION EST UNE INSTITUTION 13IENFAISANTE ASON ORIGINE. LES PRTRES EN ABUSENT QUAND ILS NE SONTPLUS CONTENUS PAR LE FREIN DE L'OPPOSITION, QUAND ILSN'ONT PLUS DE DCOUVERTES A FAIRE DANS LA DIRECTIONSCIENTIFIQUE QU'ILS ONT REUE DE LEUR FONDATEUR : ELLEDEVIENT ALORS OPPRESSIVE. QUAND LA RELIGION A TOPPRESSIVE, ELLE TOMBE DANS LE MPRIS, ET SES MINISTRESPERDENT LA CONSIDRATION ET LA FORTUNE QU'ILS AVAIENTACQUISES.

    ... L'homme aprs avoir invent Dieu s'est regard comme un tre trsimportant ; il a cru que l'Univers avait t cr pour lui; que la plante qu'ilhabitait tait au centre du monde; que les astres tournaient autour d'elle et

    avaient pour destination de l'clairer, toutes ides reconnues aujourd'hui pourfausses.

    ... Je dis, je crois avoir prouv que l'ide DIEU ne doit point tre employedans les sciences physiques, mais je ne dis pas qu'elle ne doit pas servir dansles combinaisons politiques, au moins pendant longtemps. Elle est la meilleurematire qu'on ait trouv de motiver les hautes dispositions lgislatives.

    Je propose de substituer le principe suivant celui de l'vangile :

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    L'HOMME DOIT TRAVAILLER.

    L'homme le plus heureux est celui qui travaille. La famille la plusheureuse est celle dont tous les membres emploient utilement leur temps. Lanation la plus heureuse est celle dans laquelle il y a le moins de dsuvrs.L'humanit jouirait de tout le bonheur auquel elle peut prtendre s'il n'y avaitpas d'oisifs.

    J'observe qu'il est bien essentiel de laisser l'ide de travail toute lalatitude dont elle est susceptible. Un fonctionnaire public quelconque, unepersonne adonne aux sciences, aux beaux-arts, l'industrie manufacturire etagricole, travaillent d'une manire tout aussi positive que le manuvrebchant la terre, que le portefaix portant des fardeaux. Mais un rentier, unpropritaire qui n'a pas d'tat et qui ne dirige pas personnellement les travauxncessaires pour rendre sa proprit productive, est un tre charge lasocit, mme quand il est aumnier.

    Les hommes qui cultivent le champ de la science sont ceux qui ont lameilleure moralit, et qui sont les plus heureux parce que leurs travaux sontutiles toute l'humanit.

    LE LGISLATEUR DOIT ASSURER LE LIBRE EXERCICE DE LAPROPRIT.

    LE MORALISTE DOIT POUSSER L'OPINION PUBLIQUE PUNIRLE PROPRITAIRE OISIF EN LE PRIVANT DE TOUTE CONSI-DRATION.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    4.

    Fragments de l'histoire de sa vie(1809)(Seconde rdaction des deux Lettres au Bureau des Longitudes,crites en 1808) (Vol. XV) - Vol. I des Oeuvres compltes, ditionde 1868

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    Pour acclrer les progrs de la science, le plus grand, le plus noble desmoyens, est de mettre l'univers en exprience...

    Une des expriences les plus importantes faire sur l'homme consiste l'tablir dans de nouvelles relations sociales.

    ... Parcourir toutes les classes de la socit ; se placer personnellementdans le plus grand nombre de positions sociales diffrentes, et mme crer,pour les autres et pour lui, des relations qui n'aient point exist.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    5.

    Introduction la philosophiedu XIXe sicle (1810)(Vol. XV) - Vol. I des Oeuvres compltes, dition de 1868

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    La philosophie du XVIIIe sicle a t critique et rvolutionnaire, celle duXIXe sera inventive et organisatrice.

    DPOUILLEMENT DE L'HISTOIRE DES PROGRSDE L'ESPRIT HUMAIN :

    Les premiers hommes ont t peu suprieurs en intelligence aux autresanimaux. C'est par des progrs successifs que l'esprit humain s'est lev :

    un systme de signes de convention, un systme d'arts et mtiers, un systme de beaux-arts, un systme de sciences morales et politiques,

    un systme de sciences physiques et mathmatiques.Nous ignorons le nom du peuple qui a organis le systme de signes ; mais

    nous sommes certains qu'il a exist antrieurement aux gyptiens.

    Depuis les gyptiens, aucun peuple n'a fait de travaux comparables ceuxqui ont utilis les eaux du Nil.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    6.

    Prface de

    la Nouvelle Encyclopdie (1810)(Fragments de la Lettre son neveu)(Vol. XV) - Vol. 1 des Oeuvres compltes, dition de 1868

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    ... Aujourd'hui, ... on ne considre plus les ides rvles que comme desaperus scientifiques produits par l'humanit dans son enfance, et qui sont, parconsquent, tout fait insuffisants pour rgler la conduite de l'espcehumaine, l'poque de sa maturit...

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    Cleude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale (Extraits, 1803-1825) 22

    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    7.

    Correspondance

    avec M. de Redern (1811)(Vol. XV) - Vol. I des Oeuvres compltes, dition de 1868

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    C'est Condorcet qui a conu le premier le projet de faire l'histoire du passet de l'avenir de l'intelligence gnrale. Son projet tait sublime, l'excutionn'a rien valu.

    Premire faute de Condorcet. - Celui qui apprendra la philosophie dansson ouvrage croira que la premire gnration de l'espce humaine a possd,

    comme nous, un systme de signes de convention, qu'elle a parl une langue ;il perdra de vue que le travail de la formation d'une langue a t le plus long etle plus pnible de tous les travaux d'intelligence.

    ... Le dbut de Condorcet tait vicieux, le rsum de son histoire du passet de l'avenir de l'esprit humain a t extravagant.

    Deuxime faute. - ... Il a prsent les religions comme ayant t unobstacle au bonheur de l'humanit.

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    ... La vrit est que les religions, de mme que les autres institutions, ontleur enfance, l'poque de leur vigueur, celle de leur dcadence, et que pendantleur dcadence elles sont nuisibles, de mme que pendant leur enfance ellessont insuffisantes.

    ... C'est aux progrs de la physiologie et de la psychologie que nousdevons l'anantissement de la superstition et l'avilissement des charlatans.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    8.

    Travail sur la gravitation universelle

    (1813)(Vol. XL) - Vol. Il des Oeuvres compltes, o il est imprimcomme partie du Mmoire sur la science de l'homme (1813),dition de 1875

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    ... Depuis Platon jusqu'aux califes, la science de l'homme a march avecplus de rapidit que celle des corps bruts, tandis que depuis les Arabes desVIIe et VIIIe sicles jusqu' nous, c'est dans la science des corps bruts quel'esprit humain a fait de plus rapides progrs...

    ... La religion chrtienne, qui avait civilis les peuples du Nord, mis unfrein la dbauche dans laquelle l'Italie tait plonge, fait dfricher leterritoire europen, dessch les marais dont son sol tait couvert, assainir sonclimat ; qui avait fait percer des routes, construire des ponts, tablir deshpitaux ; qui avait rpandu parmi les peuples l'importante science de lalecture et de l'criture ; qui avait partout ouvert des registres pour les actescivils ; qui avait commenc rassembler des matriaux pour l'histoire; quiavait diminu et presque ananti l'esclavage ; enfin, qui avait organis la

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    socit politique la plus nombreuse qui ait jamais exist ; la religion chr-tienne, disons-nous, aprs avoir rendu tous ces importants services, tait uneinstitution qui avait rempli son temps, fourni toute la partie utile de sacarrire ; elle avait vieilli ; et cette institution, sous le rapport des lois qu'elleavait donnes la socit, comme sous celui des juges auxquels elle l'avaitsoumise, sous le rapport de la morale qu'elle enseignait, comme sous celui desprdicateurs qu'elle mettait en activit, tait devenue charge la socit.

    ... L'histoire n'est pas encore sortie des langes de l'enfance. Celle impor-tante branche de nos connaissances n'a pas encore d'autre existence que celled'une collection de faits plus ou moins bien constats. Ces faits ne sont lispar aucune thorie, ils ne sont point enchans dans l'ordre des consquences ;ainsi l'histoire est encore un guide insuffisant.... elle ne donne (pas)... lesmoyens de conclure ce qui arrivera de ce qui est arriv.

    Il n'existe encore que des histoires nationales, dont les auteurs se sontproposs pour principal objet de faire valoir les qualits de leurs compatriotes,

    et de dprcier celles de leurs rivaux. Aucun historien ne s'est encore plac aupoint de vue gnral ; aucun n'a fait encore l'histoire de l'Espce...

    ... L'unique point important sur lequel les historiens modernes de toutes lesnations se soient gnralement accords est une erreur, ainsi que je vais leprouver. Ils ont tous appel les sicles qui se sont couls depuis le IXejusqu'au XVe, des sicles de barbarie, et la vrit est que ce sont ceux pendantlesquels se sont tablies toutes les institutions de dtail, qui ont donn laSocit europenne une supriorit politique dcide sur toutes celles quil'avaient prcde.

    ... L'observation prouve que les rvolutions scientifiques et politiques sontsuccessivement, l'gard les unes des autres, causes et effets. Locke et New-

    ton ont paru peu de temps aprs la Rvolution d'Angleterre. Nous devons nousattendre tous les jours voir clore des ides scientifiques neuves et de la plusgrande importance.

    ... Messieurs, faites l'exprience suivante : quand quelqu'un vous entre-tiendra de son opinion en politique, exigez de lui qu'il la base sur desconsidrations puises dans un pass et dans un avenir trs distants, et que leprsent n'y joue d'autre rle que celui d'tre le point de runion de ces deuxsries ; vous verrez qu'il sera forc de raisonner juste, c'est--dire que sonraisonnement aura au moins de la gnralit, et se ressentira le moins possiblede la position de faveur ou de fortune de celui qui le fera.

    ... Nous nous adresserons d'abord la secte philosophique anglo-franaise,et nous lui dmontrerons que si, d'une part, elle a raison d'exclure de sescombinaisons l'ide d'une cause gnrale anime, d'une autre part, elle a com-pltement tort en continuant de s'occuper exclusivement de la recherche denouveaux faits, sans travailler coordonner d'une manire gnrale l'immensequantit de ceux qu'elle a runis et constats ; en un mot, qu'il est temps pourelle de quitter la direction a posteriori pour prendre celle a priori.

    Nous nous adresserons ensuite la secte allemande et nous lui dirons :vous avez bien raison d'enseigner qu'il est grand temps pour l'esprit humain de

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    considrer les choses a priori ; vous avez bien raison de tonner dans voschaires philosophiques contre la manie anglo-franaise de chasser continuelle-ment, d'emplir le garde-manger de gibier et de ne jamais se mettre table.Vous avez bien raison de prcher qu'il faut une thorie gnrale, et que c'estseulement sous son rapport philosophique que la science est directement utile la socit, et que les savants peuvent former la corporation politique gn-rale qui est ncessaire pour lier entre elles les nations europennes et pourmettre un frein l'ambition des peuples et des rois ; mais vous avez grand tortquand vous voulez donner pour base votre philosophie l'ide d'une causeanime : ce n'est plus l'ide de Dieu qui doit lier les conceptions des savants...

    ... Nous prouverons qu'on a jusqu' prsent appel spiritualistes ceuxqu'on aurait d appeler matrialistes, et matrialistes ceux qu'on aurait dappeler spiritualistes ; en effet, corporifier une abstraction, n'est-ce pas trematrialiste ? De l'tre-Dieu, extraire l'ide-loi, n'est-ce pas tre spiritua-liste ?

    ... Nous prsenterons la science de l'homme base sur des observationsphysiologiques.

    ... Il est de la nature des choses qu'une thorie scientifique vieillisse, et quele clerg qui la professait soit ananti quand elle est devenue insuffisante ; ilest galement de la nature des choses que les laques, qui ont organis unenouvelle thorie scientifique gnrale, remplacent l'ancien clerg et se consti-tuent en corps sacerdotal.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    9.De la physiologie sociale(1813)(Vol. X) Vol. 39 des Oeuvres compltes, dition de 1875

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    Le domaine de la physiologie, envisage d'une manire gnrale, secompose de tous les faits qui se passent chez les tres organiss.

    La physiologie examine l'influence des agents extrieurs sur l'organisa-tion ; elle apprcie les modifications que ces agents dterminent dansl'exercice de nos fonctions ; elle nous fait connatre ceux dont l'action parl'conomie est contraire notre sant, notre bien-tre, la satisfaction de nosbesoins ou de nos dsirs, et ceux qui ont pour effet ncessaire d'augmenter

    l'tendue de nos moyens d'existence, de multiplier les forces de raction pro-pres rsister aux forces dltres qui nous environnent, enfin, de satisfaire leplus compltement possible nos premiers besoins et de nous procurer une plusgrande somme de plaisirs et de jouissances.

    La physiologie n'est pas seulement cette science qui, pntrant dans l'int-rieur de nos tissus l'aide de l'anatomie et de la chimie, cherche endcouvrir la trame intime, pour en mieux connatre les fonctions ; elle n'estpas seulement cette science spciale qui, s'adressant un un nos organes,

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    exprimente sur chacun d'eux, en exalte artificiellement ou en abolit momen-tanment les fonctions, pour mieux dterminer leur sphre d'activit et la partqu'ils ont la production de la vie, considre dans son ensemble.

    Elle ne consiste pas seulement dans cette connaissance comparative quiextrait de l'examen dtaill des plantes et des animaux des notions prcieusessur les fonctions des parties que nous possdons en commun avec cesdiffrentes classes d'tres organiss.

    Enfin, elle ne se borne pas puiser dans l'tude approfondie des maladieset des monstruosits, les connaissances les plus positives que nos moyensd'investigation puissent nous rvler par les lois de notre existence indi-viduelle.

    Riche de tous les faits qui ont t dcouverts par des travaux prcieuxentrepris dans ces diffrentes directions, la physiologie gnrale se livre desconsidrations d'un ordre plus lev ; elle plane au-dessus des individus qui

    ne sont plus pour elle que des organes du corps social dont elle doit tudierles fonctions organiques, comme la physiologie spciale tudie celles desindividus.

    Car la socit n'est point une simple agglomration d'tres vivants, dontles actions indpendantes de tout but final n'ont d'autre cause que l'arbitrairedes volonts individuelles, ni d'autre rsultat que des accidents phmres ousans importance ; la socit, au contraire, est surtout une vritable machineorganise dont toutes les parties contribuent d'une manire diffrente lamarche de l'ensemble.

    La runion des hommes constitue un vritable TRE, dont l'existence estplus ou moins vigoureuse ou chancelante, suivant que ses organes s'acquittentplus ou moins rgulirement des fonctions qui leur sont confies.

    Si on le considre comme un tre anim, et qu'on l'tudie, le corps social, sa naissance et aux diffrentes poques de son accroissement, prsente unmode de vitalit dont le caractre varie pour chacune d'elles, de mme quenous voyons la physiologie de l'enfance ne pas tre celle de l'adulte, et celledu vieillard n'tre plus celle des premiers temps de la vie.

    L'histoire de la civilisation n'est donc que l'histoire de la vie de l'espcehumaine, c'est--dire la physiologie de ses diffrents ges, comme celle de sesinstitutions n'est que l'expos des connaissances hyginiques dont elle a faitusage pour la conservation et l'amlioration de sa sant gnrale.

    L'conomie politique, la lgislation, la morale publique et tout ce qui cons-titue l'administration des intrts gnraux de la socit, ne sont qu'unecollection de rgles hyginiques dont la nature doit varier suivant l'tat de lacivilisation ; et la physiologie gnrale est la science qui a le plus de donnespour constater cet tat, et pour le dcrire, puisqu'il n'est pour toute socit quel'expression des lois de son existence.

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    La politique elle-mme, envisage non pas comme systme hostile conupar chaque nation pour tromper ses voisins, mais comme science dont le butest de procurer la plus grande somme de bonheur l'espce humaine, n'estqu'une physiologie gnrale pour laquelle les peuples ne sont que des organesdistincts : la runion de ces organes forme un seul tre (L'ESPCEHUMAINE), l'accroissement duquel ils sont chargs de contribuer, enfournissant la part d'action qui dpend de leur nature particulire.

    Ainsi, soit qu'on examine les changements que les influences extrieuresapportent dans l'existence des individus isols ; soit que l'on considre lesmodifications que cette existence reoit de la circonstance mme de la runiondes hommes en socit, et de tous les phnomnes secondaires qui rsultent dece rapprochement ; soit enfin que, s'levant au-dessus des nations, on envisageles relations qui les unissent, les avantages qu'elles peuvent retirer de leursrapports commerciaux, de leurs associations amicales, pour s'entraider tirerle meilleur parti de la nature qui les environne, du sol qui les nourrit, et desproduits de chaque industrie locale, on n'a jamais pour ces diffrents buts

    qu'un mme ordre d'ides exposer, qu'un seul objet examiner ; il n'estjamais question que de l'homme environn d'agents qui peuvent lui tre utilesou nuisibles : on n'a donc jamais exposer que des phnomnes physiologi-ques, si on fait l'histoire de l'individu ou de la socit ; et les conseils qu'onpeut adresser l'un ou l'autre ne sont que des prceptes d'hygine.

    La physiologie est donc la science, non seulement de la vie individuelle,mais encore de la vie gnrale, dont les vies des individus ne sont que lesrouages. Dans toute machine, la perfection des rsultats dpend du maintiende l'harmonie primitive tablie entre tous les ressorts qui la composent ; cha-cun d'eux doit ncessairement fournir son contingent d'action et de raction ;le dsordre survient promptement quand des causes perturbatrices augmententvicieusement l'activit des uns aux dpens de celle des autres.

    L'espce humaine, considre comme un seul tre vivant, est susceptibled'offrir de semblables irrgularits dans les diffrentes priodes de sonexistence. Nous sommes donc intresss tudier la cause de ce drangement,afin de le prvenir ou de le faire disparatre si nous n'avons pu nous opposer son arrive.

    Une physiologie sociale, constitue par les faits matriels qui drivent del'observation directe de la socit, et une hygine renfermant les prceptesapplicables ces faits, sont donc les seules bases positives sur lesquelles onpuisse tablir le systme d'organisation rclam par l'tat actuel de lacivilisation.

    Mais, pourrait-on nous objecter, les socits humaines existent depuis untemps assez considrable pour que leur existence puisse faire supposer celled'un systme d'organisation favorable leur conservation. Pourquoi proposez-vous des changements qui ne seraient utiles que dans ces cas de trouble ou demaladie dont rien n'atteste la prsence ?

    Un coup d'il jet sur la marche de la civilisation va nous servir derponse.

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    L'enfance des socits, de mme que celle des individus, est caractrisepar une tendance irrsistible s'approprier tout ce qui leur est utile pour leurdveloppement. Les passions les moins raisonnes sont les seuls guides decette poque de la vie. Le pouvoir absolu d'un pre ou d'un chef despote estalors ncessaire pour que l'individu ou la socit ne fassent pas tourner leurdsavantage des intrts particuliers qu'aucune instruction ne dirige, qu'aucuneraison ne domine. Il n'y a point d'arrangement possible entre le fils qui neconnat point la ncessit d'imposer une limite ses devoirs, et le pre qui sentcette ncessit et ne peut se faire comprendre. Il n'y a point d'organisationpraticable pour une runion d'individus qui, ne concevant rien l'avantage defaire quelque chose pour la socit, se laissent gouverner par leur intrt privqu'ils sentent fortement et exclusivement. Enfin, il n'y a point d'accommode-ment possible entre un chef que le hasard ou des qualits particulires ont mis la tte d'une socit, et des gens ignorants et passionns qui ne cherchentqu' lutter contre un pouvoir auquel ils voudraient se soustraire.

    C'est pourquoi la socit ne peut pas tre considre jusqu'ici commeayant joui d'un systme d'organisation bas sur des principes hyginiques, carsi les chefs ont dploy une force despotique qui a maintenu pendant quelquetemps l'ordre parmi les gouverns, ce calme rsultant plus d'une oppression defacults que de leur quilibre entre elles, a t plutt artificiel que naturel,semblable un ressort comprim par un poids : l'esprit public s'est maintenudans cet tat tant que l'nergie des chefs a pu lutter contre son lasticit ; maisla tendance permanente la raction a fini par triompher d'une puissancephmre, et le pouvoir populaire a succd celui d'une monarchie fondesur la ruse et sur la violence. Si nous consultons l'histoire d'une des rpubli-ques anciennes, nous avons la mme observation faire que pour la monar-chie des premiers ges, c'est--dire que ni l'une ni l'autre forme de gouverne-ment n'a pu exister longtemps sans quelque interruption : car les peuples

    n'tant pas plus faits pour se gouverner sagement eux-mmes que les chefs quitaient placs la tte des affaires n'taient capables de se diriger selon lajustice et les besoins de la socit, il y eut une succession de gouvernementsqui se renversrent les uns les autres, suivant que les circonstances favoris-rent le parti des gouvernants contre les administrs ou celui des peuples contreles administrateurs.

    L'clat et la splendeur dont les peuples ont brill tour tour n'tablissentpas davantage la solidit des principes sociaux qui les ont dirigs. On peutmme les citer comme la preuve la plus convaincante de la fragilit de leursinstitutions ; car il faut des vices d'administration bien plus prononcs pourrenverser une nation que la victoire a rendu matresse des richesses de toutesles autres, que pour anantir un peuple qui est priv des principaux moyens de

    dfense, et dont la conqute facile est la merci de ses voisins.

    Si le pouvoir de commander des armes nombreuses, de disposer d'unegrande quantit d'argent et d'esclaves, de se procurer, par un commerce ten-du, les productions de toutes les parties du monde, de lever sans rsistance desimpts normes sur un peuple ignorant et superstitieux ; si l'excution de cettemultitude de monuments immenses dont les ruines nous rvlent, chez lesnations qui les ont levs, de grands symptmes d'activit et de vigueur ; si,dis-je, tant d'lments combins d'une force imposante n'ont pas empch la

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    destruction des peuples de l'gypte, de la Grce et de Rome ; si le thtre detant de grandeur a besoin, pour tre reconnu au milieu de ses dbris, d'unerudition puise dans les traditions incompltes qui ont chapp l'anantisse-ment d'une antiquit aussi puissante, c'est que la force d'un peuple gt bienplus dans le pacte social qui associe toutes les capacits pour l'accomplis-sement de travaux d'une utilit commune, que dans la multiplicit deslments de richesse et de pouvoir dont aucun esprit philanthropique ne com-bine la valeur.

    Quel obstacle s'est jusqu' prsent oppos l'tablissement d'une constitu-tion physiologique des socits ? La lutte qui a toujours exist entre lesorganes du corps social, entre les chefs et les administrs. La force seule etl'adresse ont donn naissance aux principales institutions qui ont t tabliescar il y a toujours eu absence d'accord entre les rois qui n'ont song qu'consolider leur pouvoir, et les peuples qui, assez souvent les plus faibles, ontt contraints d'obir.

    De mme que, par l'imperfection de son dveloppement organique, lamasse des hommes, considre comme un seul individu, n'a jamais t en tatde rflchir sagement sur les moyens d'amliorer sa position ; de mme, lesrois, comme tuteurs, n'ont jamais trouv les peuples assez mrs et assez rai-sonnables pour leur accorder spontanment un rgime socitaire qu'ilsn'auraient accept que pour en abuser.

    Nous avons compar plus haut le dveloppement du corps social celuides hommes considrs comme individus ; c'est ici le lieu de complter ce quinous reste dire cet gard.

    L'organisation humaine, comme celle des animaux et des plantes, ne sedveloppe pas galement et en mme temps dans toutes les parties, de manire

    ce qu' chaque priode de l'existence tous les organes prsentent entre eux lemme degr de dveloppement.

    L'exprience et le raisonnement s'accordent pour nous dmontrer qu'aucontraire nos organes ne se perfectionnent que les uns aprs les autres.

    Aussitt aprs la naissance, la vie se porte spcialement sur quelquesorganes seulement, les autres restent peu prs stationnaires. Au bout d'untemps dtermin, les parties qui ont commenc crotre s'arrtent et la forcede dveloppement se porte successivement sur les autres, jusqu' ce que toutesaient ainsi acquis le volume et la force qu'elles doivent avoir.

    Alors l'activit de la nutrition revient aux parties qu'elle avait d'abord exci-

    tes, et ensuite abandonnes, jusqu' ce que, par cette srie de rvolutionspriodiques, tout le corps ait acquis son entier dveloppement.

    Des maladies particulires correspondent chacune de ces poques etindiquent bien clairement le dfaut d'ensemble dans une organisation tyranni-se tour tour par quelques parties dont l'activit n'est point en rapport avecl'inertie des autres : les passions les plus dsordonnes rsultent de cet tatgnral de souffrance et de tourments ; et les individus, de mme que lessocits, dont le dveloppement n'est pas complet, ne sont susceptibles que de

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    produire des actions le plus souvent en opposition avec leur bien particulier,pour les individus, et avec le bien gnral, pour les socits.

    Pendant toutes ces premires priodes, l'individu est incapable de conce-voir un plan de conduite rflchi et convenable sa position ; le manqued'instruction et de sant se montre dans ses projets. Son imprvoyance et safaiblesse seraient bientt la cause de sa propre destruction, si on l'abandonnait ses inspirations ; il a besoin, pour continuer d'exister, d'une surveillance quil'empche d'tre livr lui-mme, qui comprime ses dsirs illgitimes, et quile force des travaux utiles pour sa conservation, quoiqu'il n'en conoive pasl'utilit.

    Mais lorsque chacun des organes a acquis tout le dveloppement dont ilest susceptible ; lorsque aucune partie ne prdomine sur les autres ; lorsquel'galit d'action de chacune d'elles amne l'harmonie et l'unit dans toutel'conomie ; lorsque enfin toutes les facults physiques et morales sont tellesqu'elles peuvent tre appliques avec instruction et avec calme l'tude des

    objets extrieurs dont elles doivent tirer parti ; lorsqu'on est en tat d'avoir uneconscience raisonne de la position qu'on occupe dans ce monde, c'est alorsque l'individu est capable de coordonner toutes les ides qu'il a acquisespendant la tutelle pour l'heureuse influence de laquelle il a t lev.

    C'est alors seulement que la sant dont il jouit et que l'ducation qu'il areue lui permettent de faire servir le pass la connaissance du prsent,d'appliquer son exprience son tat venir, enfin de se crer un systme deconduite dont auparavant il tait incapable de concevoir le plan et d'apprcierl'utilit.

    La socit europenne a successivement prsent ces priodes distinctesde dveloppement et de prdominance organique exclusive : tour tour, elle a

    t agite par des activits vicieuses, chaque temps de son accroissement a tcaractris par des maladies et des mouvements critiques particuliers, commeles individus elle a eu son ge des illusions et des superstitions ; des convul-sions terribles ont menac son existence ; des rvolutions affreuses ont t lersultat d'une foule de ractions vitales qui ont boulevers momentanmentl'organisation sociale.

    Enfin la plus importante de toutes les rvolutions a t produite l'escla-vage a t aboli, l'galit des droits a t proclame, la nation a t dclaremajeure, et la cessation des institutions des premiers ges, amene par le coursnaturel des choses, nous a prouv que les Europens avaient subi tous lesaccroissements partiels qui devaient les amener cette poque de maturit que

    tout tre organis doit acqurir, et laquelle seulement il lui est permis dedvelopper toute l'action, toute l'nergie suffisante pour se crer un plan deconduite favorable la sant gnrale, et pour tirer de ses facults industriellestout le parti qu'il lui est accord d'en attendre.

    Avant l'abolition de l'esclavage, quel systme hyginique pouvait treadopt ? On pourra soutenir qu' chaque poque les peuples ont t admi-nistrs comme ils pouvaient l'tre, en raison de leur tat moral, et que desrglements plus conformes la justice, relativement nous, eussent t

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    dangereux dans un tat de civilisation diffrent du ntre. Je suis loin decritiquer ce mode d'administration, puisque la nature a inspir aux hommes, chaque poque, la forme de gouvernement la plus convenable, et ce seraprcisment d'aprs ce mme principe que nous insisterons sur la ncessitd'un changement de rgime, pour une socit qui n'est plus dans les conditionsorganiques qui ont pu justifier le rgne de l'oppression. Car, si on accorde quele cours naturel des choses a fait natre les institutions ncessaires chaquege du corps social ; s'il a amen le rgime sanitaire qui tait le mieux enrapport avec sa constitution aux diffrentes poques, pourquoi conserverions-nous des habitudes hyginiques contradictoires avec notre tat physiolo-gique ? Pourquoi voudrait-on maintenir le rgime qui convient l'enfance,aujourd'hui que nous avons acquis l'tat organique propre l'adulte ?

    Qu'ont t les nations avant l'poque actuelle ? Une runion d'individusincapables de s'administrer sagement, et par consquent devant tre soumis une volont absolue. Les rois, jusqu' prsent, ont donc en quelque sortetoujours agi en dehors des nations ; ils ont fait ce qu'ils ont cru juste, ou ce

    qu'il leur a plu de faire ; enfin, ils n'ont en gnral consult que leur propresagesse ou leur passion ; ils n'ont jamais rendu compte de leur conduite ; lachose et t inutile : ils n'auraient pas t compris. Mais aujourd'hui les roisne doivent plus gouverner en dehors de leurs peuples ; ils doivent ne rien faired'important sans leur en exposer les motifs, les admettre dans leurs conseils,leur demander leur opinion sur les mesures prendre, les consulter sur lesbesoins de l'tat, et leur accorder le pouvoir de voter ou de refuser l'impt,c'est--dire la facult de favoriser ou d'empcher les entreprises qu'ils soumet-tent leur examen.

    Les rois et les nations qui, autrefois, formaient deux partis bien distincts etennemis, comme le sont le matre et l'esclave, n'auront donc plus d'autresrapports que ceux qui existent entre un administrateur et ses administrs, ou

    bien entre des associs qui chargent un d'entre eux de diriger les intrtsgnraux...

    ... Le dsuvr est charge lui-mme, en mme temps qu'il est unfardeau pour la socit.

    Le dsuvrement est le pre de tous les vices.

    Le dsuvrement constitue l'homme dans un tat de maladie.

    Ainsi, d'aprs les principes de politique et de morale, en mme temps quede physiologie et d'hygine, le lgislateur doit combiner l'organisation sociale

    de manire stimuler, le plus possible, toutes les classes au travail etparticulirement aux travaux les plus utiles la socit.

    L'organisation sociale qui accorde le premier degr de considration audsuvrement et aux travaux les moins utiles la socit est donc essentiel-lement et radicalement vicieuse...

    Le vice de l'organisation sociale est d'autant plus grand qu'en rsultat de sadisposition fondamentale, les travailleurs aspirent entrer ou faire entrer

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    leurs enfants dans la classe des oisifs ; de manire que toute la population setrouve stimule tendre, avec le plus d'nergie possible, un tat de dsu-vrement, c'est--dire un tat o l'homme est malade d'une maladie qui lerend ncessairement immoral.

    L'organisation sociale actuelle n'a point t conue primitivement tellequ'elle existe aujourd'hui.

    l'origine du systme thologique et fodal, les classes du clerg et de lanoblesse n'taient point dsuvres et incapables.

    cette poque, la guerre tait continuelle, et les nobles, qui formaientexclusivement la classe militaire, taient par consquent continuellement enactivit.

    cette mme poque, les nobles dirigeaient les travaux de l'agriculture,qui taient les seuls travaux industriels importants.

    Le clerg tait alors le seul corps savant. Le clerg tait alors exclusi-vement charg de l'ducation publique.

    D'aprs les observations physiologiques, il est constat que les socits,ainsi que les individus, sont soumis deux forces morales qui sont d'une galeintensit, et qui agissent alternativement : l'une est la force de l'habitude,l'autre est celle qui rsulte du dsir d'prouver de nouvelles sensations.

    Au bout d'un certain temps, les habitudes deviennent ncessairementmauvaises, parce qu'elles ont t contractes d'aprs un tat de choses qui necorrespond plus aux besoins de la socit. C'est alors que le besoin des chosesneuves se fait sentir, et ce besoin, qui constitue le vritable tat rvolution-naire, dure ncessairement jusqu' l'poque o la socit est reconstitue d'unemanire proportionne sa civilisation.

    La population europenne est domine par la force rvolutionnaire depuisle XVe sicle, et cette force ne cessera d'tre dominante qu' l'poque o unsystme social, radicalement distinct du systme thologique et fodal, seratabli sa place.

    La premire opration pour arrter l'action rvolutionnaire consistait concevoir et prsenter clairement le systme social qui convient l'tat pr-sent des lumires.

    Cette premire opration est termine.Il est clair que, dans le systme dont l'tablissement doit subalterniser la

    force rvolutionnaire, les hommes occupations et habitudes pacifiquesdoivent exercer la principale influence, et que, parmi les hommes pacifiques,ce sont les plus capables qui doivent diriger les intrts nationaux.

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    Or, les hommes les plus capables, attendu que ce sont leurs travaux quicontribuent le plus la prosprit sociale, sont les ARTISTES, les SAVANTSet les INDUSTRIELS.

    ... Que les artistes, par un effort d'imagination, dpouillent le pass de l'ged'or, et qu'ils en enrichissent l'avenir ;

    Que les physiologistes se placent en tte du corps des savants laques ;

    Que les banquiers combinent leurs forces politiques avec celles dessavants et des artistes ;

    Et les hommes du systme thologique et fodal ne figureront bientt plusque dans les souvenirs, de la mme manire que les haruspices et les consulsde Rome.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    10.Mmoire sur la science de lhomme

    (1813)(Vol. XI) - Vol. 40 des Oeuvres compltes,dition de 1875

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    Anim du dsir de faire la chose la plus utile pour le progrs de la sciencede l'homme, ...j'ai commenc par examiner avec la plus scrupuleuse attentiondans quelle situation se trouvait cette science. Voici quel a t le rsultat demon examen :

    Les quatre ouvrages les plus marquants, relativement cette science,m'ont paru tre ceux de Vicq-d'Azyr, de Cabanis, de Bichat et de Condorcet,En comparant les ouvrages de ces quatre auteurs avec ceux de leursdevanciers, j'ai trouv :

    1 Que ces auteurs avaient fait faire un pas bien important la science, enla traitant par la mthode employe dans les autres sciences d'observation,c'est--dire en basant leurs raisonnements sur des faits observs et discuts, aulieu de suivre la marche adopte pour les sciences conjecturales, o onrapporte tous les faits un raisonnement ;

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    2 Que toutes les questions importantes, relatives cette science, avaientt traites par l'un ou l'autre de ces quatre auteurs.

    Et j'ai conclu de cet examen que le pas le plus important faire pour lascience de l'homme, que celui qui suivrait immdiatement ceux faits par Vicq-d'Azyr, Cabanis, Bichat et Condorcet, tait de traiter cette science dans un seulet mme ouvrage, en compltant les matriaux que ces quatre grands hommesnous avaient laisss. Tel est l'objet que je me suis propos dans le prsentmmoire, qui sera divis en deux parties, chacune desquelles sera partage endeux sections.

    La premire partie traitera de l'individu-homme, et la seconde, de l'espcehumaine.

    La premire section de la premire partie sera un rsum physiologique, laseconde, un rsum psychologique.

    La premire section de la seconde partie contiendra une esquisse de l'his-toire des progrs de l'esprit humain, depuis son point de dpart jusqu' ce jour.Dans la seconde, je prsenterai un aperu sur la marche que suivra l'esprithumain aprs la gnration actuelle.

    Je donnerai la premire partie le titre d'examen des ouvrages de Vicq-d'Azyr, et la seconde, celui d'examen du Tableau historique des progrs del'esprit humain, par Condorcet. Par la discussion, je rejetterai certaines idesmises par ces auteurs, j'en admettrai d'autres, et je complterai celles quej'aurai admises, de manire en former un tout systmatiquement organis.

    ... Au XVe sicle, l'enseignement public tait presque entirement tholo-gique. Depuis la rforme de Luther jusqu' la brillante poque du sicle de

    Louis XIV, l'tude des auteurs profanes, grecs et latins, s'est introduite pardegrs dans l'instruction publique, et cette tude, qui a continuellement pris del'extension aux dpens de la thologie, est devenue exclusive, de manire quela science dite sacre a t relgue dans des coles spciales, auxquelles on adonn le nom de sminaires, et qui n'ont t frquentes que par ceux qui sedestinaient l'tat ecclsiastique. Sous le rgne de Louis XV, les sciencesphysiques et mathmatiques ont commenc faire partie de l'instruction pu-blique ; sous le rgne de Louis XVI, elles y ont jou un rle important ; enfinles choses sont arrives au point qu'elles forment aujourd'hui la partieessentielle de l'enseignement. L'tude de la littrature n'est plus considre quecomme un objet d'agrment. Telle est la diffrence, cet gard, entre l'ancienordre de choses et le nouveau, entre celui qui existait il y a cinquante ans,quarante ans, trente ans mme, et celui actuel, que pour s'informer, ces po-

    ques encore bien rapproches de nous, si une personne avait reu uneducation distingue, on demandait : Possde-t-elle bien ses auteurs grecs etlatins ? et qu'on demande aujourd'hui : Est-elle forte en mathmatiques ? est-elle au courant des connaissances acquises en physique, en chimie, en histoirenaturelle, en un mot dans les sciences positives et dans celles d'observation ?

    En se rappelant les notions gnrales que tous les hommes instruits ontreues dans leur ducation, sur la marche que l'esprit humain a suivie depuis

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    l'origine de son dveloppement, en rflchissant d'une manire particulire surla marche qu'il suit depuis le XVe sicle, on voit :

    1 Que sa tendance, depuis cette poque, est de baser tous ses raisonne-ments sur des faits observs et discuts ; que dj, il a rorganis sur cettebase positive l'astronomie, la physique, la chimie ; et que ces sciences fontaujourd'hui partie de l'instruction publique, qu'elles en forment la base. Onconclut de l ncessairement que la physiologie, dont la science de l'hommefait partie, sera traite par la mthode adopte pour les autres sciences physi-ques, et qu'elle sera introduite dans l'instruction publique quand elle aura trendue positive;

    2 On voit que les sciences particulires sont les lments de la sciencegnrale ; que la science gnrale, c'est--dire la philosophie, a d treconjecturale, tant que les sciences particulires l'ont t ; qu'elle a d tre mi-conjecturale et positive, quand une partie des sciences particulires est deve-

    nue positive, pendant que l'autre tait encore conjecturale ; et qu'elle sera tout fait positive quand toutes les sciences particulires le seront. Ce qui arrivera l'poque o la physiologie et la psychologie seront bases sur des faitsobservs et discuts ; car il n'existe pas de phnomne qui ne soit astronomi-que, chimique, physiologique ou psychologique. On a donc conscience d'unepoque laquelle la philosophie qui sera enseigne dans les coles serapositive;

    3 On voit que les systmes de religion, de politique gnrale, de morale,d'instruction publique, ne sont autre chose que des applications du systmedes ides, ou, si on prfre, que c'est le systme de la pense, considr sousdiffrentes faces. Ainsi, il est vident qu'aprs la confection du nouveau syst-me scientifique, il y aura rorganisation des systmes de religion, de politiquegnrale, de morale, d'instruction publique, et que, par consquent, le clergsera rorganis;

    4 On voit que les organisations nationales sont des applications parti-culires des ides gnrales sur l'ordre social, et que la rorganisation dusystme gnral de la politique europenne amnera sa suite les rorgani-sations nationales des diffrents peuples qui, par leur runion politique,forment cette grande socit.

    Dans son rsum le plus succinct, voici la conception dont mon ouvragesera le dveloppement :

    Tous les travaux de l'esprit humain, jusqu' l'poque o il a commenc baser ses raisonnements sur des faits observs et discuts, doivent treconsidrs comme des travaux prliminaires ;

    La science gnrale ne pourra tre une science positive qu' l'poque oles sciences particulires seront bases sur des observations ;

    La politique gnrale, qui comprend le systme religieux et l'organisationdu clerg, ne sera une science positive qu' l'poque o la philosophie sera

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    devenue dans toutes ses parties une science d'observation ; car la politiquegnrale est une application de la science gnrale ;

    Les politiques nationales se perfectionneront ncessairement quand lesinstitutions de politique gnrale seront amliores.

    ... Mes ides sur la science de l'homme seront bases sur les ouvrages deVicq-d'Azyr, de Bichat, de Condorcet et de Cabanis, ou plutt, je m'attacheraidans ce mmoire lier, combiner, organiser, complter les ides produites parVicq-d'Azyr, Bichat, Cabanis et Condorcet, de manire en former un toutsystmatique.

    Cabanis et Bichat ont certainement trait l'un et l'autre des questions duplus haut degr d'intrt ; mais comme cependant ils n'ont agit l'un et l'autre,ou plutt chacun d'eux, qu'une question particulire relativement la sciencede l'homme, je n'ai pas cru devoir consacrer une des divisions de ce mmoire l'examen de leurs ides, je les ai considres comme des appendices de celles

    de Vicq-d'Azyr.Ce mmoire sera, ainsi que je l'ai dit plus haut, divis en deux parties :

    dans la premire, j'examinerai les ides de Vicqd'Azyr, et dans la seconde,celles de Condorcet. Ces examens auront des caractres bien diffrents : jecritiquerai peu Vicqd'Azyr, parce que ses ides de dtail m'ont paru en gnraltrs justes, je m'occuperai seulement de les coordonner et de les complter, demanire en former les sries les plus tendues qu'il me sera possible. Jesuivrai une marche absolument diffrente l'gard de Condorcet. Je le criti-querai beaucoup, attendu que toutes ses ides de dtail me paraissent mauvai-ses, et je referai son ouvrage, dont la conception est de la plus admirable justesse et de la plus sublime lvation. Il se trouvera, comme on voit, quedans la premire partie je traiterai de la science de l'homme relativement la

    connaissance de l'individu, et dans la seconde relativement celle de l'espce.Je parlerai cependant de l'espce dans la premire et de l'individu dans laseconde, mais ce ne sera qu'accessoirement.

    ... C'est le Dr Burdin qui m'a fait connatre l'importance de la physiologie.Voici peu prs le langage qu'il m'a tenu

    Toutes les sciences ont commenc par tre conjecturales le grand ordredes choses les a appeles toutes devenir positives. L'astronomie a commencpar tre de l'astrologie ; la chimie n'tait son origine que de l'alchimie ; laphysiologie qui, pendant longtemps, a nag dans le charlatanisme, se baseaujourd'hui sur des faits observs et discuts ; la psychologie commence sebaser sur la physiologie et se dbarrasser des prjugs religieux sur les-quels elle tait fonde.

    Les sciences ont commenc par tre conjecturales, parce qu' l'origine destravaux scientifiques il n'y avait encore que peu d'observations faites, que lepetit nombre de celles qui avaient t faites n'avaient pas eu le temps d'treexamines, discutes, vrifies par une longue exprience, et que ce n'taientque des faits prsums, des conjectures. Elles ont d, elles doivent devenirpositives, parce que l'exprience journellement acquise par l'esprit humain luifait acqurir la connaissance de nouveaux faits, et rectifier celle plus ancien-

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    nement acquise de certains faits qui avaient t observs d'abord, mais unepoque o l'on n'tait pas encore en tat de les analyser. L'astronomie tant lascience dans laquelle on envisage les faits sous les rapports les plus simples etles moins nombreux, est la premire qui doit avoir acquis le caractre positif.La chimie doit avoir march aprs l'astronomie et avant la physiologie, parcequ'elle considre l'action de la matire sous des rapports plus compliqus quel'astronomie, mais moins dtaills que la physiologie.

    Par ce peu de mots, je crois avoir prouv que ce qui est arriv est ce quidevait arriver. C'est beaucoup de savoir la raison qui a amen successivementl'ordre des choses qui nous ont prcds, puisqu'elle donne le moyen dedcouvrir ce qui arrivera.

    Une ide me reste poser pour complter la base sur laquelle se fonderace que j'ai vous dire : c'est que l'astronomie a t introduite dans l'instructionpublique, ainsi que la chimie, ds l'instant qu'elles ont acquis le caractrepositif. D'o je conclus, comme ide gnrale, que toute science qui acquerra

    le caractre positif sera introduite dans l'instruction publique.Je vais maintenant vous exposer directement ce que je pense sur l'tat

    actuel de la physiologie, sur ce qu'elle deviendra, sur les effets que ses progrsproduiront dans le systme gnral des ides, dans l'organisation du corpsscientifique, dans le systme religieux, dans le systme politique, dans celuide la morale, etc.

    La physiologie ne mrite pas encore d'tre classe au nombre des sciencespositives; mais elle n'a plus qu'un seul pas faire pour s'lever compltementau-dessus de l'ordre des sciences conjecturales. Le premier homme de gniequi paratra dans cette direction scientifique basera la thorie gnrale de cettescience sur des faits observs ; il n'y a qu'une vue d'ensemble donner sur les

    travaux de Vicq-d'Azyr, de Cabanis, de Bichat et de Condorcet, pour orga-niser la thorie gnrale de la physiologie ; car ces quatre auteurs ont traitpresque toutes les questions physiologiques importantes, et ils ont bas tousles raisonnements qu'ils ont produits sur des observations discutes.

    Je vais numrer les principaux effets qui rsulteront de l'organisationpositive de la thorie Physiologique, science dont la sommit est la science del'homme ou la connaissance du petit monde. Je vous les prsenterai mthodi-quement, c'est--dire ils se dduiront les uns des autres, ils s'enchaneront dansl'ordre de consquence ; en un mot, ils seront consquence les uns des autres.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    11.

    De la rorganisation de la socit

    europenne (1814)(Vol. XV) - Vol. I des Oeuvres compltes,dition de 1868

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    Les progrs de l'esprit humain, les rvolutions qui s'oprent dans la mar-che de nos connaissances, impriment chaque sicle son caractre.

    ... Quel sera le caractre du ntre ? Jusqu'ici, il n'en a eu aucun. Setranera-t-il toujours sur les traces du sicle prcdent ? et nos crivains neseront-ils rien autre chose que les chos des derniers philosophes ?

    Je ne le pense pas ; la marche de l'esprit humain, ce besoin d'institutionsgnrales qui se fait sentir si imprieusement par les convulsions de l'Europe,tout me dit que l'examen des grandes questions politiques sera le but destravaux de notre temps.

    La philosophie du sicle dernier a t rvolutionnaire celle du XIXe sicledoit tre organisatrice.

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    Cleude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale (Extraits, 1803-1825) 42

    ... Il n'y a point de changement dans l'ordre social, sans un changementdans la proprit. L'enthousiasme du bien public peut bien faire consentird'abord aux sacrifices que ce changement commande, et c'est la premirepoque de toute rvolution ; mais on se repent bientt, on s'y refuse, et c'est laseconde. Or, la rsistance des propritaires ne peut tre vaincue, si les non-propritaires ne s'arment, et de l, la guerre civile.

    ... L'imagination des potes a plac l'ge d'or au berceau de l'espcehumaine, parmi l'ignorance et la grossiret des premiers temps ; c'tait bienplutt l'ge de fer qu'il fallait y relguer. L'ge d'or du genre humain n'estpoint derrire nous, il est au-devant, il est dans la perfection de l'ordre social;nos pres ne l'ont point vu, nos enfants y arriveront un jour; c'est nous deleur en frayer la roule.

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    Claude-Henri de Saint-Simon, La physiologie sociale.

    12.

    L'industrie (1817), vol. II

    (Vol. XVIII) - Vol. 2 des Oeuvres compltes,dition de 1868

    Retour la table des matires

    nos yeux, la socit est l'ensemble et l'union des hommes livrs destravaux utiles ; nous ne concevons point d'autre socit que celle-l.

    La socit a deux ennemis qu'elle craint et qu'elle dteste dans une mesureparfaitement gale : l'anarchie et le despotisme.

    Objet de l'entreprise. - Les hommes livrs l'industrie, et dont la collec-tion forme la socit lgitime, n'ont qu'un besoin, c'est la libert : la libertpour eux, c'est de n'tre point gns dans le travail de la production, c'est den'tre pas troubls dans la jouissance de ce qu'ils ont produit.

    L'homme est naturellement paresseux : un homme qui travaille n'est dter-min vaincre sa paresse que par la ncessit de rpondre ses besoins, oupar le dsir de se procurer des jouissances. Il ne travaille donc que dans lamesure de ses besoins et de ses dsirs. Mais, dans l'tat de socit, les jouis-

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    sances qui le sollicitent tant trs multiplies, et beaucoup plus nombreusesque ses facults productives, il est forc de donner une partie de ce qu'il peutproduire, en change de certains produits qu'il n'obtient pas directement parson travail. Cette ncessit (qui s'est convertie pour lui en une source derichesses) est la seule qu'il reconnaisse, la seule laquelle il consente sesoumettre : c'est--dire que l'homme industrieux, comme tel, n'est vritable-ment soumis qu' une seule loi, celle de son intrt.

    ... [Au sein de toute socit] circule une foule d'hommes parasites qui,ayant les mmes besoins et les mmes dsirs que les autres, n'ont pu sur-monter comme eux la paresse naturelle tous, et qui, ne produisant rien,consomment ou veulent consommer comme s'ils produisaient. Il est de forceque ces gens-l vivent sur le travail d'autrui, soit qu'on leur donne, soit qu'ilsprennent; en un mol, il y a des fainants, c'est--dire des voleurs.

    Les travailleurs sont donc exposs se voir privs de la jouissance qui estle but de leur travail. De ce danger rsulte pour eux un besoin d'une espce

    particulire, lequel donne lieu un travail distinct des autres, celui qui a pourbut d'empcher la violence dont l'oisivet menace l'industrie.

    Aux yeux de l'industrie, un gouvernement n'est autre chose que l'entreprisede ce travail.La matire du gouvernement, c'est l'oisivet; ds que son actions'exerce hors de l, elle devient arbitraire, usurpatrice et par consquenttyrannique et ennemie de l'industrie; il fait le mal que son but est d'empcher.Puisqu'on travaille pour soi, on veut travailler sa manire. Toutes les foisqu'une action suprieure et trangre l'industrie se mle la sienne etprtend la gouverner, elle l'entrave et la dcourage. L'action de l'industriecesse dans la proportion exacte de la gne qu'elle prouve ; si les industrieuxsont susceptibles d'tre gouverns, ce n'est pas en tant qu'industrieux.

    L'action du gouvernement tant juge un service utile la socit, lasocit doit consentir payer ce service.

    Pendant que le navigateur parcourt les mers, il ne cultive pas les champs ;pendant que celui qui gouverne veille la sret de ceux qui produisent, il neproduit pas. Mais le navigateur, aussi bien que celui qui gouverne, payent leurpart de travail utile. L'un et l'autre mritent leur part dans les produits ; celledu navigateur s'apprcie facilement par la concurrence ; celle du gouverne-ment que doit-elle tre ?

    La solution de ce problme est sur toute chose ce qui intresse l'industrie ;car si elle ne fait pas les sacrifices ncessaires, le service languira, et la sret

    dont elle a besoin ne sera pas complte.D'un autre ct, si faute de donnes suffisantes pour apprcier la valeur du

    service, elle le paye beaucoup plus qu'il ne devrait l'tre, il en rsulte pour elleun double inconvnient. D'abord elle retire ses occupations productives unepartie des capitaux dont elle a besoin pour prosprer ; et de l'autre, elle donneau gouvernement un excs de force et d'action qui ne peut manquer des'tendre jusqu' elle et de s'exercer son dtriment.

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    L'industrie a besoin d'tre gouverne le moins possible, et pour cela il n'estqu'un moyen, c'est d'en venir tre gouverne au meilleur march possible.

    Qu'on cherche dans la socit industrielle l'homme de tous, le moins pour-vu d'intelligence, un homme dont les ides ne s'tendent pas au-del de sesaffaires domestiques, et aprs lui avoir appris que l'impt lev sur lui est engrande partie le salaire d'un travail qui lui procure la tranquillit et quiempche qu'il ne soit inquit dans la jouissance de ses proprits, qu'on luipose cette question :

    S'il tait possible de faire que vous eussiez pour peu d'argent ces mmesavantages que vous payez aujourd'hui si cher, ne seriez-vous pas de cet avis ?

    Et s'il tait clair vos yeux qu'en payant votre tranquillit moins cher, elledut par cela mme se trouver plus com