saint etienne la miséricorde

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Saint Etienne La Miséricorde Recueil de poésies

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Page 1: Saint Etienne La Miséricorde

Saint Etienne

La Miséricorde

Recueil de poésies

Page 2: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Mon oiseau bleu a le ventre tout bleu

Sa tête est un vert mordoré

Il a une tâche noire sous la gorge

Ses ailes sont bleues avec des touffes de petites

plumes jaune doré.

Au bout de la queue il y a des traces de vermillon

Son dos est zébré de noir et de vert

Il a le bec noir les pattes incarnat et de petits yeux de

jais.

Il adore faire trempette se nourrit de bananes et

pousse un cri

Qui ressemble au sifflement d'un tout petit jet de

vapeur

On le nomme le septicolore.

Blaise Cendrars

Page 3: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

L'air c'est rafraîchissant

le feu c'est dévorant

la terre c'est tournant

l'eau - c'est tout différent

L'air c'est toujours du vent

le feu c'est toujours bougeant

la terre c'est toujours virant

l'eau–c'est tout différent

L'air c'est toujours changeant le feu c'est toujours

mangeant la terre c'est toujours germant l'eau–

c'est tout différent

Et combien davantage encore ces drôles

d'hommes espèces de vivants

qui ne se croient jamais dans leur vrai élément

Claude Roy

Page 4: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

J’écrirai le jeudi j’écrirai le dimanche

quand je n’irai pas à l’école

j’écrirai des nouvelles j’écrirai des romans

et même des paraboles

je parlerai de mon village je parlerai de mes parents

de mes aïeux de mes aïeules

je décrirai les prés je décrirai les champs

les broutilles et les bestioles

puis je voyagerai j’irai jusqu’en Iran

au Tibet ou bien au Népal

et ce qui est beaucoup plus intéressant

du côté de Sirius ou d’Algol

où tout me paraîtra tellement étonnant

que revenu dans mon école

je mettrai l’orthographe mélancoliquement

Raymond Queneau

Page 5: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Quand je suis né, j'étais noir;

Quand j'ai grandi, j'étais noir;

Quand je suis au soleil, je suis noir;

Quand je suis malade, je suis noir;

Quand je mourrai, je serai noir...

Tandis que toi homme blanc,

Quand tu es né, tu étais rose;

Quand tu as grandi, tu étais blanc;

Quand tu es au soleil, tu es rouge;

Quand tu as froid, tu es bleu;

Quand tu as peur, tu es vert;

Quand tu es malade, tu es jaune;

Quand tu mourras, tu seras gris...

Alors, de nous deux,

Qui est l'homme de couleur??

Léopold Sédar Senghor

Page 6: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Il dit non avec la tête

mais il dit oui avec le cœur

il dit oui à ce qu’il aime

il dit non au professeur

il est debout

on le questionne

et tous les problèmes sont posés

soudain le fou rire le prend

et il efface tout

les chiffres et les mots

les dates et les noms

les phrases et les pièges

et malgré les menaces du maitre

sous les huées des enfants prodiges

avec des craies de toutes les couleurs

sur le tableau noir du malheur

il dessine le visage du bonheur.

Jacques Prévert

Page 7: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie,

Et s’est vêtu de broderie,

De soleil luisant, clair et beau.

Il n’y a bête ni oiseau

Qu’en son jargon ne chante ou crie :

« Le temps a laissé son manteau !

De vent, de froidure et de pluie, »

Rivière, fontaine et ruisseau

Portent, en livrée jolie,

Gouttes d’argent, d’orfèvrerie;

Chacun s’habille de nouveau.

Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie,

Et s’est vêtu de broderie,

De soleil luisant, clair et beau.

Charles d’Orléans

Page 8: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

L'intelligence dit que la fourmi travaille.

L'amour dit qu'elle souffre.

L'intelligence dit que la fleur est éclose.

L'amour dit qu'elle est belle et va mourir.

L'intelligence dit que la pierre est muette.

L'amour dit qu'elle a peur de parler.

L'intelligence dit que l'astre en cache d'autres.

L'amour dit qu'il est seul dans sa gloire infinie.

L'intelligence dit que la rivière coule.

L'amour dit qu'elle passe et que c'est triste.

L'intelligence dit qu'elle est lumière.

L'amour dit qu'il accepte d'être aveugle.

L'intelligence dit que le jour suit la nuit.

L'amour dit que le jour et la nuit se confondent.

L'intelligence dit qu'il faut comprendre.

Lamour dit qu'on a tort de trop s'interroger.

L'intelligence dit que l'oiseau vole.

Lamour dit que l'oiseau est un dieu.

L'intelligence dit que l'amour le dérange.

L'amour dit qu'il envie intelligence.

Alain Bosquet

Page 9: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Vous me copierez deux cents fois le verbe:

Je n'écoute pas. Je bats la campagne.

Je bats la campagne, tu bats la campagne,

Il bat la campagne à coups de bâton.

La campagne ? Pourquoi la battre ?

Elle ne m'a jamais rien fait.

C'est ma seule amie, la campagne,

Je baye aux corneilles, je cours la campagne.

Il ne faut jamais battre la campagne :

on pourrait casser un nid et ses œufs.

On pourrait briser un iris, une herbe,

On pourrait fêler le cristal de l'eau.

Je n'écouterai pas la leçon.

Je ne battrai pas la campagne.

Claude Roy

Page 10: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

À l’école des sorcières

On apprend les mauvaises manières

D’abord ne jamais dire pardon

Être méchant et polisson

S’amuser de la peur des gens

Puis détester tous les enfants

À l’école des sorcières

On joue dehors dans les cimetières

D’abord à saute-crapaud

Ou bien au jeu des gros mots

Puis on s’habille de noir

Et l’on ne sort que le soir

À l’école des sorcières

On retient des formules entières

D’abord des mots très rigolos

Comme "chilbernique" et "carlingot"

Puis de vraies formules magiques

Et là il faut que l’on s’applique.

Jacqueline Moreau

Page 11: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Feu vert Feu vert Feu vert !

Le chemin est ouvert !

Tortues blanches, tortues grises, tortues noires,

Tortues têtues Tintamarre !

Les autos crachotent,

Toussotent, cahotent

Quatre centimètres

Puis toutes s’arrêtent. Feu rouge Feu rouge Feu rouge !

Pas une ne bouge !

Tortues jaunes, tortues beiges,

tortues noires,

Tortues têtues Tintamarre !

Hoquettent, s’entêtent,

Quatre millimètres,

Pare-chocs à pare-chocs

Les voitures stoppent.

Blanches, grises, vertes, bleues,

Tortues à la queue leu leu,

Jaunes, rouges, beiges, noires,

Tortues têtues Tintamarre !

Bloquées dans vos carapaces

Regardez-moi bien : je passe !

Jacques Charpentreau

Page 12: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

C'est un trou de verdure où chante une rivière,

Accrochant follement aux herbes des haillons

D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,

Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud

Page 13: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Un petit chat bleu

Semé de pois blancs

Vit un gros rat blanc

Semé de pois bleus.

Leurs mignonnes queues

Différaient de peu.

Oui, mais seulement

Le nez du chat bleu

Etait tout tout blanc,

Le nez du rat blanc

Etait tout tout bleu.

Leurs joues et leurs yeux

Différaient de peu.

Oui, mais seulement

Un cil du chat bleu

Etait tout tout blanc,

Un cil du rat blanc

Etait tout tout bleu.

A cause de ce peu,

De ce petit peu

De blanc et de bleu,

Ils continuèrent

A se faire la guerre.

Maurice Carême

Page 14: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Séraphine, dans sa main,

Tient QUATRE fleurs du jardin

Qu’elle a cueillies à QUATRE pattes,

Quatre fois un, quatre,

Va au marché, choisit des truites,

Quatre fois deux, huit,

Qu’elle pose dans sa blouse

Quatre fois trois, douze,

Achète un panier de fraises,

Quatre fois quatre seize,

Une bouteille de vin,

Quatre fois cinq, vingt,

Un cornet de belles dattes,

Quatre fois six, vingt-quatre,

Puis une douzaine d’huîtres,

Quatre fois sept, vingt-huit,

Puis un ananas juteux,

Quatre fois huit, trente-deux

Enfin, des grappes de cassis,

Quatre fois neuf, trente-six

Pour la fête de sa tante,

Quatre fois dix, quarante. Jean Tardieu

Page 15: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Ce sont les mères des hiboux

Qui désiraient chercher les poux

De leurs enfants, leurs petits choux,

En les tenant sur les genoux.

Leurs yeux d'or valent des bijoux

Leur bec est dur comme cailloux,

Ils sont doux comme des joujoux,

Mais aux hiboux point de genoux !

Votre histoire se passait où ?

Chez les Zoulous ? Les Andalous ?

Ou dans la cabane bambou ?

A Moscou ? Ou à Tombouctou ?

En Anjou ou dans le Poitou ?

Au Pérou ou chez les Mandchous ?

Hou ! Hou !

Pas du tout, c'était chez les fous.

Robert Desnos

Page 16: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

« Oui, le silence est d'or »,

Me dit toujours maman.

Et pourquoi pas alors,

En fer ou en argent ?

Je ne sais pas en quoi

Je puis bien être faite :

Graine de cacatois

M'appelle la préfète.

D'accord ! Je suis bavarde.

Mais est-ce une raison

Pour que l'on me brocarde

En classe, à la maison,

Et que l'on me répète

Et me répète encor

A me casser la tête

Que le silence est d'or ?

Est-ce, ma faute à moi

Si j'ai là dans la gorge,

Un petit rouge-gorge

Qui gazouille de joie ?

Maurice Carême

Page 17: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Mon cartable a mille odeurs,

Mon cartable sent la pomme,

Le livre, l'encre, la gomme,

Et les crayons de couleurs.

Mon cartable sent l'orange,

Le bison et le nougat,

Il sent tout ce que l'on mange,

Et ce qu'on ne mange pas.

La figue, la mandarine,

Le papier d'argent ou d'or,

Et la coquille marine,

Les bateaux sortant du port.

Les cowboys et les noisettes,

La craie et le caramel,

Les confettis de la fête,

Les billes remplies de ciel.

Les longs cheveux de ma mère,

Et les joues de mon papa.

Les matins dans la lumière,

La rose et le chocolat.

Pierre Gamarra

Page 18: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Une jeune guenon cueillit

Une noix dans sa coque verte ;

Elle y porte la dent, fait la grimace... ah ! Certes,

Dit-elle, ma mère mentit

Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.

Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes

Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit !

Elle jette la noix. Un singe la ramasse,

Vite entre deux cailloux la casse,

L'épluche, la mange, et lui dit :

Votre mère eut raison, ma mie :

Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.

Souvenez-vous que, dans la vie,

Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.

Jean-Pierre Claris de Florian

Page 19: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Un pauvre petit grillonCaché dans l'herbe fleurieRegardait un papillonVoltigeant dans la prairie.L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ;Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,Prenant et quittant les plus belles.Ah! disait le grillon, que son sort et le mienSont différents ! Dame naturePour lui fit tout, et pour moi rien.je n'ai point de talent, encor moins de figure.Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas :Autant vaudrait n'exister pas.Comme il parlait, dans la prairieArrive une troupe d'enfants :Aussitôt les voilà courantsAprès ce papillon dont ils ont tous envie.Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper ;L'insecte vainement cherche à leur échapper,Il devient bientôt leur conquête.L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ;Un troisième survient, et le prend par la tête :Il ne fallait pas tant d'effortsPour déchirer la pauvre bête.Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.Combien je vais aimer ma retraite profonde !Pour vivre heureux, vivons caché.

Jean-Pierre Claris de Florian

Page 20: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Mon école est pleine d'images,

Pleine de fleurs et d'animaux,

Mon école est pleine de mots

Que l'on voit s'échapper des pages,

Pleine d'avions, de paysages,

De trains qui glissent tout là-bas

Où nous attendent les visages

Des amis qu'on ne connait pas.

Mon école est pleine de lettres,

Pleine de chiffres qui s'en vont

Grimper du plancher au plafond

Puis s'envolent par les fenêtres,

Pleine de jacinthes, d‘œillets,

Pleine de haricots qu'on sème ;

Ils fleurissent chaque semaine

Dans un pot et dans nos cahiers.

Ma classe est pleine de problèmes

Gentils ou coquins quelquefois,

De chansons, de vers, de poèmes,

Dont on aime la jolie voix

Pleine de contes et de rêves,

Blancs ou rouges, jaunes ou verts,

De bateaux voguant sur la mer

Quand une brise les soulève.

Pierre Gamarra

Page 21: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Le petit cheval dans le mauvais temps,

Qu'il avait donc du courage !

C'était un petit cheval blanc,

Tous derrière et lui devant.

Il n'y avait jamais de beau temps

Dans ce pauvre paysage.

Il n'y avait jamais de printemps,

Ni derrière ni devant.

Mais toujours il était content,

Menant les gars du village,

A travers la pluie noire des champs,

Tous derrière et lui devant.

Sa voiture allait poursuivant

Sa belle petite queue sauvage.

C'est alors qu'il était content,

Eux derrière et lui devant.

Mais un jour, dans le mauvais temps,

Un jour qu'il était si sage,

Il est mort par un éclair blanc,

Tous derrière et lui devant.

Il est mort sans voir le beau temps,

Qu'il avait donc du courage !

Il est mort sans voir le printemps

Ni derrière ni devant.

Paul FORT

Page 22: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

J’aime les très vieuxassis à la fenêtrequi regardent en souriantle ciel perclus de nuageset la lumière qui boite dans les rues de l’hiver

J’aime leur visageaux mille ridesqui sont la mémoire de mille viesqui font une vie d’homme

J’aime la main très vieillequi caresse en tremblantle front de l’enfantcomme l’arbre penchéeffleure de ses branchesla clarté d’une rivière

J’aime chez les vieuxleur geste fragile et lentqui tient chaque instant de la viecomme une tasse de porcelaine

Comme nous devrions faire nous aussià chaque instantavec la vie

Jean Pierre Siméon

Page 23: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.

Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.

Mais on entend parfois, comme une morne plainte,

Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.

La lune est large et pâle et semble se hâter.

On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.

De son morne regard elle parcourt la terre,

Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.

Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !

Un vent glacé frissonne et court par les allées ;

Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,

Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

Dans les grands arbres nus que couvre le verglas

Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;

De leur oeil inquiet ils regardent la neige,

Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.

Guy de Maupassant

Page 24: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

A trop crier au loup,

On en voit le museau.

Un enfant bâillait comme un pou

Tout en gardant son troupeau.

Il décide de s'amuser.

"Au loup ! hurle-t-il. Au loup !

Vos troupeaux sont en grand danger ! "

Et il crie si fort qu'il s'enroue.

Pour chasser l'animal maudit,

Les villageois courent, ventre à terre,

Trouvent les moutons bien en vie,

Le loup, ma foi, imaginaire…

Le lendemain, même refrain.

Les villageois y croient encore.

Troisième jour, un vrai loup vint

Et c'était un fin carnivore.

Au loup ! cria l'enfant.

Un loup attaque vos troupeaux !

"Ah! Le petit impertinent !

Mais il nous prend pour des nigauds! "

S'écrièrent les villageois.

Le loup fit un festin de roi.

Esope

Page 25: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues

Sur toutes les pages blanches

Pierre sang papier ou cendre

J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon

Sur les ailes des oiseaux

Et sur les moulins des ombres

J’écris ton nom

Sur chaque bouffé d’aurore

Sur la mer sur les bateaux

Sur la montagne démente

J’écris ton nom

Sur toute chair accordée

Sur le front de mes amis

Sur chaque main qui se tend

J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises

Sur les lèvres attentives

Bien au-dessus du silence

J’écris ton nom

Sur la santé revenue

Sur le risque disparu

Sur l’espoir sans souvenir

J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaitre

Pour te nommer

Paul Eluard

Page 26: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :

On a souvent besoin d'un plus petit que soi.

De cette vérité deux Fables feront foi,

Tant la chose en preuves abonde.

Entre les pattes d'un Lion

Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.

Le Roi des animaux, en cette occasion,

Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.

Ce bienfait ne fut pas perdu.

Quelqu'un aurait-il jamais cru

Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ?

Cependant il advint qu'au sortir des forêts

Ce Lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne le purent défaire.

Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents

Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.

Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage.

Jean de La Fontaine

Page 27: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.

Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point

Sitôt que moi ce but. - Sitôt ? Etes-vous sage ?

Repartit l'animal léger.

Ma commère, il vous faut purger

Avec quatre grains d'ellébore.

- Sage ou non, je parie encore.

Ainsi fut fait : et de tous deux

On mit près du but les enjeux :

Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,

Ni de quel juge l'on convint.

Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ;

J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint

Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,

Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,

Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la Tortue

Aller son train de Sénateur.

Elle part, elle s'évertue ;

Elle se hâte avec lenteur.

Lui cependant méprise une telle victoire,

Tient la gageure à peu de gloire,

Croit qu'il y va de son honneur

De partir tard. Il broute, il se repose,

Il s'amuse à toute autre chose

Qu'à la gageure. A la fin quand il vit

Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,

Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit

Furent vains : la Tortue arriva la première.

Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?

De quoi vous sert votre vitesse ?

Moi, l'emporter ! et que serait-ce

Si vous portiez une maison ? Jean de La Fontaine

Page 28: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Travaillez, prenez de la peine :

C'est le fonds qui manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,

Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.

« Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage

Que nous ont laissé nos parents.

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage

Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.

Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût.

Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place

Où la main ne passe et repasse. »

Le père mort, les fils vous retournent le champ

Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an

Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché. Mais le père fut sage

De leur montrer avant sa mort

Que le travail est un trésor.

Jean de La Fontaine

Page 29: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo

Page 30: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Sur une barricade, au milieu des pavés

Souillés d'un sang coupable et d'un sang pur lavés,

Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.

- Es-tu de ceux-là, toi ?

L'enfant dit : Nous en sommes.

- C'est bon, dit l'officier, on va te fusiller. Attends ton tour.

L'enfant voit des éclairs briller,

Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.

Il dit à l'officier : Permettez-vous que j'aille

Rapporter cette montre à ma mère chez nous ?

Tu veux t'enfuir ?

Je vais revenir.

Ces voyous ont peur ! Où loges-tu ?

- Là, près de la fontaine. Et je vais revenir, monsieur le capitaine.

Va-t'en, drôle !

L'enfant s'en va.

Piège grossier !

Et les soldats riaient avec leur officier,

Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle ;

Mais le rire cessa, car soudain l'enfant pâle,

Brusquement reparu, fier comme Viala,

Vint s'adosser au mur et leur dit : Me voilà.

La mort stupide eut honte et l'officier fit grâce.

Victor Hugo

Page 31: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Mon père, ce héros au sourire si doux,

Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous

Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,

Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,

Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.

Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.

C'était un Espagnol de l'armée en déroute

Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,

Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.

Et qui disait: " A boire! à boire par pitié ! "

Mon père, ému, tendit à son housard fidèle

Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,

Et dit: "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. "

Tout à coup, au moment où le housard baissé

Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure,

Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,

Et vise au front mon père en criant: "Caramba! "

Le coup passa si près que le chapeau tomba

Et que le cheval fit un écart en arrière.

"Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.

Victor Hugo

Page 32: Saint Etienne La Miséricorde

Le dauphin57

Recueil de poésies

Elle me dit : « Quelque chose

Me tourmente ». Et j'aperçus

Son cou de neige, et, dessus,

Un petit insecte rose.

J'aurais dû - mais, sage ou fou,

A seize ans on est farouche -,

Voir le baiser sur sa bouche

Plus que l'insecte à son cou.

On eût dit un coquillage ;

Dos rose et taché de noir.

Les fauvettes pour nous voir

Se penchaient dans le feuillage.

Sa bouche fraîche était là :

Je me courbai sur la belle,

Et je pris la coccinelle ;

Mais le baiser s'envola.

- Fils, apprends comme on me nomme,

Dit l'insecte du ciel bleu,

Les bêtes sont au bon Dieu,

Mais la bêtise est à l'homme.

Victor Hugo