sébastien rival tome 1

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AVERTISSEMENT Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le jury de soutenance et mis à disposition de l'ensemble de la communauté universitaire élargie. Il est soumis à la propriété intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pénale. Contact : [email protected] LIENS Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

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  • AVERTISSEMENT

    Ce document est le fruit d'un long travail approuv par le jury de soutenance et mis disposition de l'ensemble de la communaut universitaire largie. Il est soumis la proprit intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de rfrencement lors de lutilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pnale. Contact : [email protected]

    LIENS Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

  • cole doctorale Perspectives interculturelles : crits, mdias, espaces, socits

    Anne universitaire 2011-2012

    Lchange des assistants de langue vivante

    entre la France et lAllemagne avant la Seconde Guerre mondiale :

    les directeurs de conversation et la langue de lennemi

    Tome 1

    Thse de lUniversit de Lorraine - Site de Metz

    en tudes germaniques

    Soutenue par Sbastien RIVAL

    Prpare en cotutelle sous la direction de

    M. Michel GRUNEWALDProfesseur des universits mrite

    (12me section : Langues et littratures germaniques et scandinaves)

    Universit de LorraineCentre d'Etudes germaniques interculturelles

    de Lorraine

    M. Hans-Jrgen LSEBRINKProfesseur lUniversit de la

    Sarre - SarrebruckFacult des Lettres et Sciences Humaines II

    Dpartement dtudes romanes

    pour lobtention du grade de Docteurde lUniversit de Lorraine

    Prsente et soutenue publiquement le 29 novembre 2012A lUniversit de Lorraine - Site de Metz

    Jury

    Mme Corine Defrance (CNRS - Universit de Paris I Panthon-Sorbonne)M. Michel Grunewald (Universit de Lorraine)

    M. Hans-Jrgen Lsebrink (Universitt des Saarlandes)M. Reiner Marcowitz (Universit de Lorraine)

    Mme Christiane Solte-Gresser (Universitt des Saarlandes)M. Christoph Vatter (Universitt des Saarlandes)

  • 29.11.2012

    Sbastien RIVAL

    Der Austausch von Fremdsprachenassistenten

    zwischen Frankreich und Deutschland vor dem zweiten Weltkrieg :

    von den Konversationslehrern und der Sprache des Feindes"

    Band 1

    Dissertationzur Erlangung des akademischen Grades eines

    Doktors der Philosophie (Dr. phil.)der Philosophischen Fakultt II Sprach-, Literatur- und Kulturwissenschaften

    der Universitt des Saarlandes

    im Rahmen eines binationalen Betreuungsverfahrens zwischenUniversit de Lorraine-Site de Metz, U.F.R. Lettres et langues

    und der Philosophischen Fakultt II Sprach-, Literatur- und Kulturwissenschaftender Universitt des Saarlandes

    Gutachter:

    Prof. Dr. Michel GRUNEWALDProfesseur des universits mrite

    (12me section : Langues et littratures germaniques et scandinaves)

    Universit de LorraineCentre d'Etudes germaniques interculturelles de

    Lorraine

    Prof. Dr. Hans-Jrgen LSEBRINKPhilosophische Fakultt II

    Sprach-, Literatur- und KulturwissenschaftenF.R. Romanistik

    der Universitt des Saarlandes

    Dekan : Prof. Dr. Roland Marti

    Prfungskommission

    Prof. Dr. Corine Defrance (CNRS - Universit de Paris I Panthon-Sorbonne)Prof. Dr. Michel Grunewald (Universit de Lorraine)

    Prof. Dr. Hans-Jrgen Lsebrink (Universitt des Saarlandes)Prof. Dr Reiner Marcowitz (Universit de Lorraine)

    Prof. Dr. Christiane Solte-Gresser (Universitt des Saarlandes)Junior-Prof. Christoph Vatter (Universitt des Saarlandes)

  • 1

    Mes sincres remerciements vont ma famille, mes amis

    et tous ceux qui ont rendu possible la rdaction de ce texte.

  • 2

    Avant-propos

    On se plonge rarement dans laccomplissement dun travail aussi ample et exigeant

    quune thse de doctorat, sans y trouver une menue familiarit, un lien tnu ou une rsonance,

    aussi infime soit-elle, dans sa propre trajectoire biographique. Je ne droge pas ce

    phnomne, jen suis mme un parfait exemple. Je ne me serais certainement jamais intress

    aux assistants de langues trangres, locuteurs natifs invits appuyer les professeurs de

    langues vivantes dans lexercice de leurs fonctions, si moi-mme, je navais eu la chance de

    connatre cette exprience1. De ces deux annes scolaires (2004-2005 et 2005-2006) o je suis

    intervenu dans diffrents tablissements de lenseignement primaire et secondaire de Sarre, je

    conserve aujourdhui un souvenir mu et, comme il se doit, de savoureuses anecdotes. Jy ai

    connu maints lves, nombre denseignants et presque autant de manires de collaborer

    avec le locuteur natif que jtais !

    Lorsque jai commenc cette activit, lchange dassistants de langue trangre entre la

    France et lAllemagne tait confront ce que lon peut appeler une crise la fois

    quantitative et qualitative. Les difficults quantitatives taient parfaitement perceptibles la

    lecture des documents statistiques et des comptes rendus manant des deux institutions en

    charge de lchange : le Pdagogischer Austauschdienst (PAD) en Allemagne et le Centre

    international dtudes pdagogiques (CIEP) en France. En sappuyant sur les diffrentes

    brochures du PAD2, on pouvait relever lvolution suivante : un extraordinaire essor des

    changes dassistants depuis 1950, suivi dun ralentissement progressif de cette croissance

    partir du milieu des annes 1980, puis lapparition dun phnomne de diminution des

    changes partir de lanne 2000. Le nombre de personnes changes de nos jours est

    infrieur au nombre de personnes changes dans les annes 19703. Cette tendance valable

    pour lensemble des changes dassistants mens par lAllemagne sapplique tout

    particulirement aux changes dassistants mens avec ses deux principaux partenaires depuis

    plus de cent ans : la France et lAngleterre. Au sein de ce mouvement dcroissant, le nombre

    dassistants changs entre la France et lAllemagne est devenu si critique au milieu des

    annes 2000 que les institutions, trs inquites, ont dcid de ragir par une srie de mesures

    1 Certes la notion dassistant de langue trangre est aujourdhui reprise dans diffrents programmes dchange, par exemple, dans le cadre du programme Comenius, mais nous nous rfrons ici au programme dchange originel, aujourdhui men par le Pdagogischer Austauschdienst (PAD), en charge du programme depuis 1952 et le Centre international dtudes pdagogiques (CIEP) en charge du programme depuis 1998. 2 Voir le dtail de ces donnes statistiques dans lannexe 1. 3 Il sagit l dune baisse dautant plus significative si lon considre qu cette poque, le PAD nadministrait que les changes de lex-Rpublique fdrale dAllemagne.

  • 3

    dont lavenir se chargera dvaluer lefficacit et quil ne nous appartient pas de dcrire ici en

    dtail4. Les raisons invoques traditionnellement pour expliquer cette crise sont les

    suivantes :

    - le recul continu de ltude de la langue du pays partenaire, qui se rpercute sur les

    effectifs de germanistes et de romanistes dans lenseignement suprieur et par

    consquent sur le nombre de demandes de participation au programme dchanges ;

    - les choix oprs par les tudiants vis--vis de lvolution du march de lemploi.

    Encourags terminer leurs tudes le plus vite possible dans le cadre de

    lharmonisation de lenseignement suprieur au niveau europen (Licence-Master-

    Doctorat), nombre dentre eux pensent quils ne peuvent se permettre de perdre une

    anne , lorsque leur service dassistant ne fait lobjet daucune reconnaissance dans le

    cadre de leurs tudes5 ;

    - la concurrence accrue de programmes dchanges multilatraux, tel le programme

    Erasmus, qui bnficient dune inscription dans le cursus universitaire de ltudiant ;

    - le manque de moyens financiers des institutions qui ne bnficient pas, pour ce type de

    programme bilatral, des fonds europens.

    Naturellement, ce faisceau de phnomnes externes lchange constitue un cadre

    dexplications valide pour ses difficults, mais on peut galement voir en ces dernires le

    symptme dun dfaut dattractivit du programme.

    En effet, des critiques se sont galement leves dun point de vue qualitatif au dbut

    des annes 2000. Rcemment, seules deux publications nmanant pas des institutions

    officielles ont eu pour objet spcifique lchange dassistants de langues trangres. La

    premire, intitule Auslandsaufenthalt und Fremdsprachenlehrerbildung, est luvre de

    Susanne Ehrenreich6. Son auteure, dsirant interroger la pertinence et lefficacit de cet

    change, se place ici dans un mouvement densemble dvaluation des changes scolaires et

    4 Parmi celles-ci de nombreuses campagnes de publicits ont t menes et on notera galement que ce phnomne a eu pour consquences en France dune part louverture du programme des tudiants non-germanistes, dautre part louverture aux assistants trangers de certains types dtablissement comme les tablissements primaires ou les Instituts universitaires de formation des matres.5 Des efforts ont t entrepris depuis 2008-09 en ce sens en France o cela savrait problmatique, mais seulement titre exprimental. 6 Voir Susanne Ehrenreich, Auslandsaufenthalt und Fremdsprachenlehrerbildung. Das assistant-Jahr als ausbildungsbiographische Phase, Mnchener Arbeiten zur Fremdsprachen-Forschung (Band. 10), Langenscheidt, Mnchen, 2004. Au sein de cet ouvrage, elle reprend sa thse de doctorat soutenue en 2003 lUniversit de Munich. Cet ouvrage linstar de publications antrieures comme celles de Michael Byram dont elle sinspire fortement naborde pas lchange entre la France et lAllemagne, ne nous permettant pas dexploiter directement ses rsultats.

  • 4

    acadmiques. Ce mouvement trouve son origine au dbut des annes 1990, la faveur, dune

    part, du succs et de la multiplication des programmes dchanges multilatraux, dautre part,

    de lavnement de la communication interculturelle comme discipline part entire dans

    lenseignement suprieur de certains pays, soutenu par la constitution dun corpus conceptuel

    et mthodique correspondant7. Aprs que lon a considr, durant plusieurs dcennies, que les

    changes acadmiques et scolaires amlioraient per se les relations culturelles entre deux

    nations8, on prend conscience quils peuvent, sous certaines conditions (brivet de lchange,

    absence de prparation, de vises clairement dfinies et de post-prparation), mener lexact

    contraire du but poursuivi, cest--dire la conservation et au renforcement des prjugs des

    participants. Louvrage de Susanne Ehrenreich est consacr certes aux changes rcents

    dassistants de langue allemande avec les pays anglophones, mais il met en lumire la

    ncessit de relativiser, en fonction de situations concrtes souvent trs varies, les bnfices

    effectifs du sjour des assistants de langue, tant sur le plan de leurs comptences linguistiques

    que sur celui de leurs comptences interculturelles et pdagogiques. La seconde publication

    que nous dsirons mettre en valeur est un article de Genevive Gaillard dat de 2004 et

    intitul Les assistants de langue vivante trangre : quelle valeur ajoute ? 9. Lauteure,

    Inspectrice gnrale de lducation nationale en France, pose, elle aussi, la question de la

    cohrence interne du programme dchange et dune meilleure utilisation de lassistant des

    fins pdagogiques. Elle joue ici son rle de porte-parole de linstitution scolaire et le but de

    larticle, semble-t-il, est de prparer une srie de rformes sur le statut des assistants de langue

    trangre dans les tablissements franais. Elle affirme, pour ce faire, que lassistanat ne

    remplit pas lensemble des attentes que lon nourrit son endroit :

    En dpit de ce type de recommandation et des efforts gnralement consentis au plan local, on a le sentiment que le potentiel quils reprsentent pourrait tre beaucoup plus largement mis profit.10

    7 Dans ce mouvement, on notera, sans en donner le dtail, limportance des nombreux travaux empiriques sur les changes dassistants de langue (principalement entre la France et lAngleterre) mens par Michael Byram de 1991 2002, ainsi quune tude sur la mobilit tudiante dElizabeth Murphy-Lejeune en 2002 o elle se rfre galement lchange dassistants. Voir par exemple pour le premier Michael Byram, Alred Geof, A narrative Study of the Long-term Educational Significance of the Year Abroad , Report to the Economic and Social Research Council, 2001 ; pour la seconde, Elizabeth Murphy-Lejeune, Student Mobility and Narrative in Europe. The new Strangers. Routledge, New York, 2002. 8 Cette idologie dominante fournit une argumentation particulirement prise dans le cas des relations franco-allemandes daprs-guerre, notamment au moment de la signature du Trait de llyse en 1963 et tout au long de sa mise en oeuvre.9 Genevive Gaillard, Les assistants de langue vivante trangre : quelle valeur ajoute ? , dans :Administration et ducation, n1 Administrer lenseignement des langues vivantes , Association franaise des administrateurs de lducation, Paris, 2004, pp. 115-127. (GGLES)10 Ibid. , p. 119.

  • 5

    Ces deux analyses sont venues confirmer et clairer des impressions que javais, moi-

    mme, pu ressentir sur le terrain11. Elles ont surtout corrobor les rsultats de ltude

    empirique que javais pu mener dans le cadre de mon mmoire de DEA sur le rle de

    lassistant de langue franaise en Sarre. Les principales questions qui avaient guid mes

    questionnaires et interviews auprs dautres assistants affects en Sarre taient :

    - Quattend-on des assistants ?

    - Quattendent ceux-ci de leur sjour ?

    - Quels sont les facteurs contribuant au sentiment de succs ou dchec de cette

    exprience ?

    lissue de lanalyse, on avait pu mettre jour de grandes tendances : la ralit du choc

    culturel, la sensation disolement de nombre dassistants, les difficults face aux diffrences

    pdagogiques et culturelles et parfois labsence de gains linguistiques ou interculturels... Il

    tait apparu que les exigences vis--vis du rle de lassistant de langue se rvlaient

    extrmement diverses selon le type dtablissement, la classe considre, le professeur et la

    perception mme de ses tches par lassistant. On tait encore davantage frapp par la

    diversit des situations en classe et hors de la classe. La description du rle de lassistant par

    les institutions administrant lchange offrait, elle-mme, une grande libert dinterprtation,

    tandis quentre les descriptions franaises et allemandes, on pouvait relever quelques

    diffrence significatives12. Le manque de prcision quant au rle exact de lassistant offrait

    ainsi une large marge de manuvre aux diffrents acteurs de lchange. Dans certains cas,

    une marge tait apprciable et dun effet positif ; dans dautres cas, elle favorisait lapparition

    de malentendus interculturels, susceptibles de mener de part et dautre un irrmdiable

    sentiment dchec. Les changes dassistants de langue semblaient par consquent reflter des

    directives quivoques dont lempreinte tait lisible jusque dans les rglements censs les

    encadrer. Je dcidai donc de procder une archologie de ces textes et trs vite, un passage

    de larticle de Genevive Gaillard propos dune circulaire du Board of Education date du

    1er juin 1905 et revenant sur les premires conventions signes entre la France et la Prusse

    mindiqua la voie suivre :

    11 Au cours de ces deux annes, une perplexit croissante stait peu peu substitue la motivation initiale face la varit des tches qui mtaient confies et au sentiment dinutilit qui parfois maccablait.12 Pour le dtail, comparer http://www.ciep.fr/assistantfr/index.php et http://www.kmk-pad.org/programme/ausl-fsa.html [consults le 01.05.12].

  • 6

    lexception de quelques aspects du dispositif que lon jugerait anachronique aujourdhui en raison de lge du programme et des pratiques de lpoque, lon est frapp par le ct prenne des principes de bases, voire par la rsonance moderne de certains aspects du texte.13

    Cet nonc constitua pour moi une confirmation quil me fallait remonter lorigine de

    lchange afin dclairer certaines de ses difficults rcentes. Il importait donc de porter mon

    regard sur les cent ans qui venaient de scouler : dune enqute empirique sur lactualit de

    lchange, mon travail sorienta partir de ce moment vers une tude rsolument historique.

    Aprs seulement quelques sances de travail dans les centres darchives, le foisonnement des

    documents, leur parpillement ainsi que limpossibilit de consulter ceux qui avaient trait aux

    annes les plus rcentes de lchange, minvitrent rviser mes prtentions et dfinir un

    cadre temporel plus raisonnable : je choisis donc de me concentrer sur la priode antrieure

    la Seconde Guerre mondiale.

    13 GGLES, p. 115.

  • 7

    Introduction

    La mobilit acadmique dont on parle tant de nos jours nest pas un phnomne

    rcent. Elle existe depuis la fin du Moyen-ge, mais ne concerne avant le 18me sicle quun

    petit groupe drudits brillants et fortuns, unis par la matrise du latin. Lorigine

    gographique de ces derniers est alors un critre peu dterminant et cest seulement avec

    lmergence des identits nationales et la distinction des units territoriales que leur mobilit

    devient une vritable problmatique14. lheure actuelle, la faveur de lessor des

    programmes multilatraux comme Erasmus, on rencontre galement de manire rcurrente le

    terme d change (acadmique ou scolaire) mais ce dernier est souvent galvaud. En effet,

    il implique stricto sensu une volont de rciprocit numrique dfinie par une convention

    bilatrale tablie entre deux tats15. Cette volont de rciprocit est absente de la plupart des

    programmes actuellement mis en uvre, qui se fondent dailleurs le plus souvent sur des

    conventions passes entre les universits, et un autre niveau entre ces dernires et le

    candidat. L change , dans son acception la plus restreinte, caractrise par consquent une

    minorit de programmes. Fait paradoxal, il trouve pourtant son origine avant tous les autres

    avec la signature des premires conventions qui rglent les changes dassistants de langue

    entre la France, lAngleterre et la Prusse ds 1905. Ces textes explicitent les conditions

    daccueil et de sjour de ces locuteurs natifs invits mener des cours de conversation avec

    les lves des tablissements secondaires de garons de lautre pays.

    La signature cette poque de la convention entre la France et la Prusse et la longvit

    du programme ne peuvent manquer dveiller la curiosit du chercheur, car sil est ais de

    comprendre comment ce programme a pu tre soutenu aprs la Seconde Guerre mondiale, on

    peut sinterroger sur la priode antrieure :

    - Comment, prcisment cette poque de tensions politiques internationales

    importantes, un change de cet ordre a-t-il vu le jour entre la France et la Prusse ?

    14 Voir ce propos larticle dIsabelle Guinaudeau, Pereginatio academica, voyages dtudes / Pregrinationacademica, Gelehren- und Bildungsreisen , dans : Isabelle Guinaudeau, Astrid Kufer, Christophe Premat (ds.), Dictionnaire des relations franco-allemandes, Perspectives europennes, Presses universitaires de Bordeaux, Pessac, 2009, pp. 184-187. 15 Ainsi Reinhart Mayer-Kalkus avertit les lecteurs contre les fausses attentes que peut faire natre le concept form dans les annes 1920 d changes acadmiques qui ne sapplique que dans le cadre de conventions dchanges entre deux tats et ne recouvre donc quune partie de la mobilit gnrale. Voir Reinhart Mayer-Kalkus, Die akademische Mobilitt zwischen Deutschland und Frankreich (1925-1992), DAAD-Forum Studien, Berichte, Materialen 16, DAAD, Bonn, 1994, p. 26. (RMKDA)

  • 8

    - Comment, par ailleurs, lchange, a-t-il pu se prenniser au-del de la rupture que

    reprsenta la Premire Guerre mondiale et aprs lavnement des nazis au pouvoir ?

    Ces questions relatives lorigine et de la prennit du programme dchange dassistants de

    langue entre la France et lAllemagne une poque caractrise par la rcurrence des tensions

    entre les deux nations sont celles auxquelles nous essaierons de rpondre travers cette tude.

    Ltat de la recherche

    Lorsque lon considre ltat de la recherche sur lchange dassistants de langue

    trangre entre la France et lAllemagne, on est cependant contraint davouer, en usant dun

    euphmisme, que les sources manquent. Les enqutes empiriques rcentes qui ont t menes

    par Michael Byram, Susanne Ehrenreich ou Elizabeth Murphy-Lejeune sur les changes

    dassistants ne traitent ni de la priode, ni des espaces nationaux que nous entendons

    considrer. En outre, ces chercheurs mettent en uvre des mthodes denqute empirique qui

    ne nous sont daucun secours, la limite temporelle la plus rcente de notre objet remontant

    plus de 70 ans. Il existe certes quelques articles et brochures, qui survolent lhistoire du

    programme dchange dassistants de langue trangre en y incluant sa dimension franco-

    allemande. Cest notamment le cas dune brochure du PAD16 et de larticle de Genevive

    Gaillard que nous avons cit prcdemment, mais ces documents se contentent dvoquer les

    premires conventions comme des repres temporels. Ils ne permettent ni de comprendre leur

    origine, ni la manire dont celles-ci furent concrtement appliques.

    Il existe en revanche une longue tradition dtudes des relations culturelles franco-

    allemandes, dont certaines se penchent particulirement sur la priode de lentre-deux-

    guerres. Celles-ci voquent parfois en quelques mots lchange des assistants parmi dautres

    changes, lorsquil sagit dvaluer quantitativement les relations intellectuelles et culturelles

    entre les deux tats. Le plus souvent, on assimile les assistants aux lecteurs ou aux tudiants,

    ce qui est naturellement regrettable mais comprhensible. Il se trouve en effet qu certaines

    priodes, quelques assistants ont suivi des cours luniversit ou y ont t affects pour y

    faire office de lecteurs. De plus, les chercheurs ont t, jusquici, moins enclins sintresser

    16 Voir Martin Finkenberger, Von den Anfngen des Programms bis 1914 Behufs Frderung des Neusprachlichen Unterrichts an den hheren Schulen , Sekretariat der Kultusministerkonferenz Pdagogischer Austauschdienst (PAD) (d.), 100 Jahre Fremdsprachenassistent, Bonn, 2005, pp. 67-73. (MFANF). / Nous rendons ici la paternit de cet article son auteur. Ce dernier que nous avons rencontr dans les locaux du PAD Bonn nest cit au sein de la publication que comme Redakteur de celle-ci.

  • 9

    aux assistants quaux tudiants des grandes coles et aux lecteurs17, plus susceptibles de

    constituer, aprs leur sjour, des acteurs de premier plan dans les champs intellectuels,

    universitaires ou politiques et jouant parfois un rle important dans certains transferts

    culturels. voluant dans lenseignement secondaire et semblant a priori promis des carrires

    sans rayonnement particulier, les assistants semblent pour la plupart dentre eux ne pas

    bnficier de cette visibilit long terme et il est ainsi difficile de dire sils ont particip la

    rception dobjets culturels. Pourtant, bien quelles nabordent lchange dassistants de

    langue entre la France et lAllemagne quen marge de leurs centres dintrts, ces tudes

    prsentent des problmatiques qui peuvent savrer tout fait pertinentes pour notre objet.

    Dans lintroduction de louvrage quil a codirig avec Gilbert Krebs, changes culturels

    et relations diplomatiques. Prsences franaises Berlin au temps de la Rpublique de

    Weimar, Hans Manfred Bock offre un tat des lieux de la recherche sur les relations

    culturelles franco-allemandes18. Selon lui, celle-ci a connu au dbut des annes 1980, un

    renouvellement de ses bases conceptuelles, qui a consist abandonner les anciennes

    thories onthologisantes de la nation pour voir simposer les thories constructivistes o

    cette dernire est considre non comme une ralit prexistante mais comme une ralit

    reprsente 19. Ce changement de paradigme serait intervenu sur une toile de fond constitue

    de phnomnes historiques rels, parmi lesquels on compterait la globalisation conomique,

    les migrations sociales ou encore la transformation des traditions culturelles nationales par

    lhybridation des cultures suprieures et le nivellement des cultures de masses 20. Hans

    Manfred Bock met galement en relief la conjonction de phnomnes spcifiques lespace

    franco-allemand. Dans la perspective de lintgration europenne, linjonction dune

    meilleure coopration entre les deux nations aurait ainsi conduit une analyse rtrospective

    de leur action afin de loptimiser, un mouvement partag par maintes institutions et

    17 Nous pensons ici de nombreuses contributions qui se concentrent sur ces lites tudiantes, telles, par exemple, celles prsentes dans louvrage dirig par Michel Espagne, Lcole normale suprieure etlAllemagne, actes du colloque ponyme ou encore celles dun autre ouvrage dirig par Michel Espagne et Michael Werner (ds.), Histoire des tudes germaniques en France (1900-1970). Voir Michel Espagne (d.),LEcole normale suprieure et lAllemagne, Leipziger Universitt Verlag, Leipzig, 1995 et Michel Espagne, Michael Werner (ds.), Histoire des tudes germaniques en France (1900-1970), CNRS ditions, Paris 1994, notamment la contribution dlisabeth Tauch, Les changes de lecteurs duniversits entre la France et lAllemagne, des origines 1939 , pp. 307-320. 18 Voir Hans Manfred Bock, Introduction. Transaction, transfert et constitution de rseaux. Concepts pour une histoire sociale des relations culturelles transnationales , dans : Hans Manfred Bock, Gilbert Krebs (ds.), changes culturels et relations diplomatiques. Prsences franaises Berlin au temps de la Rpublique de Weimar, Publications de linstitut dallemand, Universit de la Sorbonne nouvelle, n37, Paris, 2004, pp. 7-31. Cet ouvrage fit suite un colloque qui eut lieu Berlin la suite de la publication des lettres de jeunesse du germaniste Pierre Bertaux. (HMBIN)19 Ibid. , pp. 8-9. 20 Ibid. , p. 9.

  • 10

    organisations binationales apparues aprs la signature du trait de lElyse. Un faisceau

    dlments serait donc venu soutenir ce changement de paradigme dans la recherche sur les

    relations culturelles franco-allemandes.

    Le chercheur allemand distingue trois dimensions autour desquelles elle se serait

    finalement constitue :

    - ltude de la perception vise reconnatre les modles collectifs qui dterminent la

    manire dont la nation voisine est perue . Longtemps focalise sur les auto- ou les

    htro-strotypes, cette approche est de nos jours dpasse, parce quelle mconnat

    lexistence dune interaction de principe entre la perception de soi et la perception

    dautrui et elle nglige le caractre construit de la perception de ltranger 21 ;

    - ltude de la rception porte, quant elle, sur la manire dont les produits imports

    dune nation culturelle trangre sont imports et transforms 22. On sintresse non

    seulement aux canaux qui permettent cette rception, aux modifications que peut subir

    son contenu et lvolution de ces significations lorsque lobjet pntre le champ

    culturel dun autre pays ;

    - ltude de la transaction porte sur laction des agents de linteraction culturelle.

    Jusquaux annes 1980, seuls les services culturels des affaires trangres, dont la

    mission tait de prsenter ltranger une image engageante de la culture

    nationale 23, apparaissaient comme les agents lgitimes, mais les recherches rcentes

    sinterrogent sur leur importance relle et a contrario sur celle dautres acteurs non

    gouvernementaux.

    Le changement de paradigme a ainsi fait merger de nouveaux objets de recherches et de

    nouvelles approches. Hans Manfred Bock distingue ainsi trois grandes orientations rcentes

    de la recherche, dont les objets et les rsultats se rejoignent de nombreux gards.

    Une de ces orientations, originellement issue des tudes comparatives en sciences de

    lducation, est celle principalement reprsente par le groupe de travail international sur les

    universits europennes fond Paris en 1987 et runissant notamment Victor Karady,

    Rudolf Stichweh, Jrgen Schwierer et Christophe Charle. Leurs travaux se focalisent sur les

    acteurs institutionnels transnationaux et plus prcisment sur les rseaux dexperts.

    Mobilisant des mthodes statistiques et empiriques, ils se concentreraient pourtant, en ce qui

    concerne la transaction, davantage sur l tude comparative, quantitative et

    21 Ibid. , p. 10.22 Ibid. , p. 10. 23 Ibid , p. 10.

  • 11

    prosopographique des populations denseignants et dtudiants des pays europens 24 que sur

    leurs rencontres interculturelles dans un contexte scientifique. Leurs rflexions sur la

    perception les conduisent analyser paralllement les relations sociales entre universitaires et

    la constitution de paradigmes dominants dans les disciplines scientifiques tandis que la

    dimension de la rception serait davantage apprhende travers le nombre de mentions ou

    de citations dun auteur dans le champ scientifique du pays de rception. Centre sur les

    rseaux dexperts acadmiques et des lites, elle constitue lorientation laquelle nous nous

    rfrerons certainement le moins.

    Une autre orientation voque par Hans Manfred Bock est celle prise par le groupe du

    CNRS organis autour de Michel Espagne et Michael Werner, qui, partant dune dmarche

    plus littraire, sintressent aux transferts culturels. Dans leurs tudes monographiques qui

    concernent essentiellement les 18me et 19me sicles, ceux-ci postulent, pour la perception,

    une influence rciproque entre les cultures nationales contribuant la perception de lautre

    nation, rejetant ainsi lide de monades culturelles. Cette position est entre-temps largement

    partage par lensemble des chercheurs sur les relations culturelles franco-allemandes. Le

    groupe du CNRS se concentre, en ce qui concerne la rception, sur les processus de

    transformation affectant les transferts, qui correspondent le plus souvent chez les agents de

    la rception des intrts de lgitimation ou de critique 25. Pour la dimension de la

    transaction, ils ont su montrer que les transferts culturels taient souvent assurs par des

    groupes sociaux ou professionnels spcifiques, chappant aux politiques dinfluence culturelle

    initie par les tats26.

    La dernire orientation a t initie par Reinhart Meyer Kalkus, Michel Treibtisch et

    Hans Manfred Bock justement, partir de 1990. Leur but a t ds le dbut dasseoir, dans les

    sciences sociales, la lgitimit des relations culturelles avec ltranger comme objet dtude,

    lgal des relations diplomatiques et conomiques27. Sintressant aux diverses organisations

    actives dans les relations culturelles transnationales (avec, en filigrane, lide de rendre leur

    action venir plus efficace), ils se focalisent davantage sur les dimensions de la transaction et

    de la perception et moins sur celle de la rception. Pour la premire, ils ont notamment

    soulign le foisonnement et limportance dorganismes issus de la socit civile certaines

    priodes, particulirement dans lentre-deux-guerres. Pour la seconde, ils sattachent reprer

    24 Ibid. , p. 16.25 Ibid. , p. 13. 26 Ibid. , p. 12.27 Ibid. , p. 14.

  • 12

    les discours dentente ou dantagonisme de groupes sociaux, culturels, politiques ou religieux

    prcis, ainsi que leurs canaux.

    Ces diverses orientations de la recherche sur les relations culturelles franco-allemandes

    se rejoignent plusieurs niveaux. Les publications en question ont le mrite davoir ouvert de

    nombreuses pistes pour ltude des divers organismes, gouvernementaux ou non, qui ont

    particip la mise en uvre de ces relations culturelles. Comme Hans Manfred Bock, nous

    sommes davis que ltude rtrospective des acteurs de ces dernires est susceptible doffrir,

    en une dmarche autorflexive, de nouvelles pistes de rflexion pour ceux qui, de nos jours,

    svertuant enrichir les contacts entre les deux nations, sont confronts de nombreux dfis.

    Par notre objet et la vise de notre tude, nous nous inscrivons dans le champ des recherches

    sur les relations culturelles franco-allemandes. Bien que nous centrions notre tude sur les

    dimensions de la perception de la transaction (pour des raisons dj esquisses et sur

    lesquelles nous revenons par la suite) plutt que sur celle de la rception, nous convoquons

    presque indiffremment les travaux de ces trois orientations de la recherche, autour de deux

    grands objets :

    - la constitution des disciplines et la formation des paradigmes autour desquels elles

    sorganisent ;

    - la composition du tissu form par les acteurs gouvernementaux ou issus de la socit

    civile intervenant dans les relations culturelles franco-allemandes.

    La dsignation de ce premier objet vient de la ncessit de considrer lchange dassistants

    de langue trangre comme un chanon du systme ducatif et a fortiori des disciplines et des

    matires. Dune part, parce que les assistants sont dcrits comme de (futurs) enseignants de

    langue, et sont en cela, dpositaires dune certaine tradition idologique et pdagogique ;

    dautre part, parce quils intgrent le systme ducatif du pays daccueil et sont donc

    confronts une autre tradition. Nous puiserons par consquent largement dans les travaux se

    rapportant lhistoire des disciplines menes par les deux premiers groupes de chercheurs que

    nous avons voqus. La voie ouverte, au croisement des tudes germaniques et de lhistoire

    de lducation, par Michel Espagne, Franoise Lagier et Michael Werner28 et poursuivie par

    28 Voir notamment ce propos Michel Espagne, Franoise Lagier, Michael Werner, Philologiques II. Le matre de langues. Les premiers enseignants dallemand en France (1830-1850), dition de la maison des sciences de lhomme, Paris, 1991. (MEPHI)

  • 13

    Jacques Brethom29, Monique Mombert30 ou Jacques Gandouly31 a t dune importance

    capitale pour nos travaux. La dsignation du second objet est plus vidente comprendre : il

    sagissait pour nous de pouvoir situer lchange dassistants de langue dans le champ des

    relations culturelles franco-allemandes afin den clairer les ambiguts. En effet, la question

    est de savoir si lchange peut tre considr ou non comme un lment de la politique

    culturelle trangre des deux tats. Afin de comprendre quels taient ces acteurs

    institutionnels et le rle exact dvolu aux assistants, nous avons largement pris appui sur les

    travaux du groupe de chercheurs constitu autour de Reinhart Meyer Kalkus, Michel

    Treibtisch et Hans Manfred Bock et qui sest spcialis sur la priode de lentre-deux-

    guerres32.

    Le fait que nous dlaissions la dimension de la rception au profit de celles de la

    perception et de la transaction est moins le rsultat dun choix que dune double contrainte.

    Comme nous lavons mentionn, de rares exceptions prs, les assistants bnficient

    rarement aprs leur sjour dune visibilit acadmique, intellectuelle ou politique, qui

    permettrait de suivre leur parcours et valuer limpact de celui-ci sur le champ dans lequel ils

    voluent. La seconde contrainte est tout simplement matrielle. Ltude des trois dimensions

    dessines par Hans Manfred Bock prsuppose que lon dispose de sources et, comme nous

    lavons indiqu, ltat de la recherche sur les assistants de langues ne nous permettait pas

    vritablement de compter sur un grand nombre dentre elles. La recherche des archives de

    lassistanat fut un travail fastidieux. Deux courts sjours auprs des acteurs institutionnels

    actuellement en charge de lchange, le CIEP et le PAD, eurent des rsultats dcevants du fait

    du caractre rcents de leurs activits (1998 pour le premier, 1952 pour le second)33. La

    29 Voir Jacques Brethom, La langue de lautre. Histoire des professeurs dallemand des lyces (1850-1880),Ellug Universit Stendhal Grenoble, Grenoble, 2004.30 Voir Monique Mombert (d.), Lenseignement de lallemand XIXe-XXe sicles, numro spcial de la revue Histoire de lducation, Institut National de la Recherche Pdagogique, 2005. (MMENSA1) ; voir aussi Monique Mombert, Lenseignement de lallemand en France 1880-1918. Entre modle allemand et langue de lennemi , Coll. Faustus/Etudes germaniques, Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 2001. (MMENS)31 Voir Jacques Gandouly, Pdagogie et enseignement en Allemagne de 1800 1945, Coll. Les mondes germaniques, Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 1997. (JGPED)32 Voir notamment Hans Manfred Bock, Reinhart Meyer-Kalkus, Michel Trebtisch (ds.), Entre Locarno et Vichy. Les relations culturelles franco-allemandes dans les annes 1930, Vol. 1 et 2, Coll. De lAllemagne, CNRS ditions, Paris, 1993 et Hans Manfred Bock, Gilbert Krebs (ds.), changes culturels et relations diplomatiques. Prsences franaises Berlin au temps de la Rpublique de Weimar, Publications de linstitut dallemand, Universit de la Sorbonne nouvelle, n37, Paris, 2004. / Pour lhistoire dune de ces organisations,le Deutscher Akademischer Austauschdienst (DAAD), nous nous appuierons largement sur les contributions de Volkhard Laitenberger : voir notamment Volkhard Laitenberger, Akademische Austausch und auswrtige Kulturpolitike. Der Deutsche Akademische Austauschdienst (DAAD) 1923-1945, Quellensammlung zur Kulturgeschicht, Band 20, Musterschmidt Gottingen-Frankfurt-Zrich, 1976. (VLAA).33 Ces sjours me firent nanmoins progresser : je russis notamment remettre la main sur la convention originelle de lchange entre la France et la Prusse date de 1905, gare dans les archives du PAD, et grce

  • 14

    suite ne fut pas moins difficile, pour deux raisons essentielles. La premire est que lassistanat

    de langue trangre a impliqu travers son histoire diverses organisations franaises et

    allemandes dont les archives se situent dans diffrents centres. Nous avons ainsi explor34 :

    - le Centre des archives diplomatiques de Nantes (MAE CAD Nantes) Centre des archives

    diplomatiques de Nantes (MAE CAD Nantes);

    - le Bureau des archives de loccupation en Allemagne et en Autriche de Colmar35 ;

    - le Centre des archives contemporaines de Fontainebleau (CAC) ;

    - le Centre historique des archives nationales de Paris (CHAN) ;

    - le Centre des archives du Ministre des Affaires trangres de Paris (MAE Paris) ;

    - le Geheimes Staatsarchiv Preuischer Kulturbesitz de Berlin-Dalhem (GStA, Pk);

    - le Bundesarchiv de Berlin-Lichterfelde (BA) ;

    - le Politisches Archiv des Auswrtigen Amts de Berlin (AA , Pol. Archiv.).

    Au sein mme des fonds dcouverts, il tait rare que les documents concernant lchange

    dassistants de langue trangre fassent lobjet dune section spcifique. Notre premire tche,

    non des moindres, fut donc, aprs avoir explor ces fonds, de rassembler les documents et de

    leur rendre leur ordre chronologique. Leur nombre considrable, et le fait que nous nayons

    pu avoir accs aux documents les plus rcents, finit de nous convaincre de la ncessit de

    nous concentrer sur larc temporel prcdant la Seconde Guerre mondiale. La seconde

    difficult que nous avons rencontre fut le caractre disparate de ces archives. Leur nombre et

    leur nature varient en fonctions des pays, des institutions concernes et des annes. En rgle

    gnrale, nous disposons de nombreux documents sur la constitution de lchange et

    ladministration de celui-ci par les acteurs institutionnels, documents qui nous permettent

    dexplorer pour ceux-ci les dimensions de la perception et de la transaction. En revanche,

    nous ne disposons pas, hormis pour quelques annes, des tmoignages et rapports dactivit

    des assistants qui nous auraient permis danalyser de manire systmatique les transferts de

    produits (ouvrages, manuels) ou de pratiques (pratiques pdagogiques) culturels et leur

    rception.

    Le cadre chronologique

    Martin Finkenberger, je reus des indications sur les lieux o se trouvaient quelques archives de lchange datant davant la Seconde Guerre mondiale. 34 Le dtail des archives consultes est donn en bibliographie.35 Ces archives ont depuis t dmnages au Centre de La Courneuve. Nous navons pas eu loccasion dutiliser celles-ci pour cette tude qui sarrte au seuil de la Seconde Guerre mondiale.

  • 15

    La prsentation des rsultats de notre tude obit un systme de cadres double. Elle

    sinscrit dabord dans un cadre chronologique classique, nos trois priodes tant dlimites

    par les guerres qui ont oppos la France et lAllemagne. Si la date officielle de la naissance de

    lchange est situer exactement en 1905, celui-ci rsulte de phnomnes et de processus qui

    trouvent leur origine dans la conclusion de la guerre de 1870-1871. Le droulement de

    lchange sera une premire fois interrompu au dbut de la Premire Guerre mondiale. Ce

    repre temporel marquera la fin de notre premire partie. Notre deuxime partie traitera de la

    priode souvrant la fin de la Premire Guerre mondiale et se clturant avec larrive au

    pouvoir des nationaux-socialistes en Allemagne, date qui marque naturellement un

    changement de paradigme politique et qui nest pas sans consquence sur la poursuite des

    relations culturelles franco-allemandes. Enfin notre troisime partie se portera logiquement

    sur les annes qui courent de 1933 1939, lchange connaissant une nouvelle (et dernire)

    interruption lorsque dbute la Seconde Guerre mondiale. Le cadre chronologique que

    dessinent les deuxime et troisime parties sera sous-tendu par la question de la validit pour

    notre objet du dcoupage chronologique propos par Hans Manfred Bock pour les relations

    culturelles franco-allemandes de lentre-deux-guerres. Il propose une distinction des priodes

    suivantes:

    - 1918-192536 : une priode de guerre froide franco-allemande , qui se caractrise par

    une rupture des contacts culturels, acadmiques et scientifiques entre la France et

    lAllemagne ;

    - 1925-193037 : ce que daucuns ont pu nommer la suite des accords de Locarno, le

    Locarno intellectuel : la reprise de contacts entre la France et lAllemagne est

    assure par de multiples acteurs et organismes issus de la socit civile, alors que les

    gouvernements sont encore rticents cette ide ;

    - 1930-193938 : la faveur de la crise conomique et de la monte du nationalisme, les

    organismes de la socit civile perdent lors de cette priode en dynamisme et laction

    culturelle devient, notamment aprs 1933, lapanage dinstitutions officielles places

    sous tutelle gouvernementale.

    36 Voir HMBIN, pp. 20-22.37 Ibid. , pp. 22-23.38 Ibid. , pp. 23-25.

  • 16

    La question sera pour nous de savoir si lhistoire de lchange dassistants de langue respecte

    ou non ce schme.

    Le cadre thmatique

    l intrieur de ce cadre chronologique, nous avons choisi dbaucher un cadre

    thmatique. Dans chacune des trois parties de notre travail, nous essaierons donc de procder

    de manire similaire en allant de linternational lindividuel, du gnral au particulier, du

    collectif au singulier, en ce que lon est tent dappeler une valse quatre temps . Si

    limage nest pas conventionnelle, elle a le mrite de suggrer une forme de mouvement

    continu. Puisquau quatrime temps succde de nouveau le premier temps, elle rend son

    caractre dynamique un dcoupage qui pourrait sembler quelque peu statique et nous

    renvoie linterdpendance constitutive des niveaux que nous diffrencions.

    Au premier temps le temps politique

    Nous nous rangeons pleinement derrire largument de lhistorien de lducation

    Herbert Christ qui considre lenseignement des langues comme un fait politique, ayant des

    causes et des consquences politiques39. En ce sens, puisque la revendication institutionnelle

    reflte ncessairement la demande dune partie des opinions publiques et de ses reprsentants

    politiques, la mise en oeuvre dun change acadmique ou scolaire comme lchange

    dassistants de langue trangre suite la signature dune convention entre deux Ministres

    de lducation nest pas un simple fait ducatif. Au vu des relations contrastes entre la

    France et lAllemagne dans la priode qui nous concerne, et donc de la dimension paradoxale

    de cette signature, un tel syllogisme veille naturellement la curiosit. Cest la raison pour

    laquelle nous consacrerons le premier temps de nos analyses aux relations politiques et

    39 Der Verfasser geht von der berzeugung aus, da Fremdsprachenunterricht in Europa als solcher auch wenn man seiner Inhaltlichkeit absieht politische Optionen zum Ausdruck bringt. Da auch die Inhalte des Fremdsprachenunterrichts politisch wirksam sein knnen und wirksam sind, zeigt ein Blick in die Geschichte und in die Gegenwart des Fremdsprachenunterrichts. . Voir Herbert Christ, Fremdsprachenunterricht undSprachenpolitik, Klett-Cotta, Stuttgart, 1980, p. 11. (CHFRE) / Friedrich Paulsen , au dbut du 20me sicle, insistait dj sur lhtronomie du champ scolaire : [] da wurde mir vor allem eines klar, dass die Schule keine Eigenbewegung hat, sondern der allgemeinen Kulturbewegung folgt. Nicht pdagogische Erwgungen bestimmen im groen ihren Entwicklungsgang, sondern der groe Gang des geschichtlichen Lebens. Voir Friedrich Paulsen, Geschichte des gelehrten Unterrichts auf den deutschen Schulen und Universitten vom Ausgang des Mittelalters bis zur Gegenwart. Mit besonderer Rcksicht auf den Klassischen Unterricht. Vol. 2. Der gelehrte Unterricht im Zeichen des Neuhumanismus 1740-1892 (3me d., revue et mise jour par Rudolf Lehmann), W. de Gruyter & C, Berli, 1921, p. 642. Cit dans MMENS, p. 20.

  • 17

    diplomatiques entre ces deux nations et limpact de celles-ci sur la place et la structure de

    lenseignement des langues dans chaque pays, ainsi que sur les paradigmes idologiques

    autour desquels ce dernier sorganise. Nous reviendrons partiellement sur lhistoire de la

    constitution des disciplines universitaires40 et soulignerons leur influence dans lenseignement

    secondaire. Les questions qui constitueront le fil rouge de cette sous-partie thmatique seront

    les suivantes :

    - Quelles relations politiques et diplomatiques entretiennent la France et lAllemagne ?

    - Comment sorganisent leurs relations culturelles et que change pour celles-ci

    linstitutionnalisation et la mise en concurrence des politiques culturelles extrieures

    aprs la Premire Guerre mondiale ?

    - Dans quelle mesure ces lments, ainsi que la puissance des opinions publiques,

    influencent-ils le positionnement dans le champ scolaire, le dveloppement

    institutionnel et la fonction assigne lenseignement des langues de part et dautre du

    Rhin?

    Au deuxime temps le temps ducatif

    Au-del de la fonction qui lui est assigne par le champ politique et du soutien quelle

    reoit de celui-ci, toute discipline est contrainte, afin dassurer son positionnement dans le

    champ scolaire et acadmique, dassurer sa prennit et, au-del de ses dbats internes, son

    homognit. Pour chapper lhtronomie, il est donc souhaitable et ncessaire quelle se

    dote des structures ncessaires la formation de son personnel, ainsi que dun socle de

    doctrines et/ou de mthodes susceptibles de permettre celui-ci de faire corps. Parce quil

    permet de futurs professeurs de bnficier dune exprience pdagogique ltranger et

    organise en ce sens la rencontre de deux modles pdagogiques et de formation, lchange

    dassistants de langue se situe bien videmment au cur de ces questions. Nos analyses dans

    cette deuxime sous-partie seront donc axes autour des problmatiques suivantes :

    - Comment devient-on enseignant de langue allemande en France et enseignant de langue

    franaise en Allemagne ?

    40 Comme le note Monique Mombert propos de lallemand : La matire denseignement qutait lallemand et le mtier de professeur dallemand ne peuvent tre dissocis du double cadre global des tudes germaniques et des langues vivantes, le premier agissant sur la dfinition dun profil denseignant, sur un canon de connaissances et de comptences, le second sur les missions et les modalits du mtier. Voir MMENSA, p. 72.

  • 18

    - Quelles les composantes de cette formation ?

    - De quelles liberts disposent les enseignants de langue face au corps de doctrines ou/et

    de mthodes qui leur est prconis ou impos ?

    Au troisime temps le temps institutionnel

    La prparation et la mise en oeuvre dun change constituent toujours les rsultats de

    ngociations entre diffrents partenaires. Il se trouve que lchange dassistants de langue

    entre la France et lAllemagne a intress ou mobilis, directement ou indirectement, de

    nombreuses institutions gouvernementales ou semi gouvernementales, qui ont volu au cours

    du temps. Puisque le succs du programme repose en partie sur la qualit de leur service et de

    leurs relations, il apparatra ncessaire dans cette troisime phase de considrer avec attention

    ladministration et la conduite de lchange :

    - Quelles organisations et personnes interviennent lors de la fondation et la mise en

    uvre de lchange dassistants de langue entre la France et lAllemagne ?

    - Celles-ci manent-elles des autorits gouvernementales ou bien sagit-il dacteurs

    institutionnels issues de la socit civile ?

    - Comment se droule la coopration et, le cas chant, le transfert des responsabilits ?

    - Quel est le nombre dassistants changs ?

    Au quatrime et dernier temps le temps de lexprience

    Si lchange dassistants de langue entre la France et lAllemagne prend racine dans

    des dimensions la fois politiques, ducatives et institutionnelles, son coeur demeure malgr

    tout lexprience vcue par ceux-ci. Au risque de paratre catgorique, on peut affirmer que

    les assistants font et sont lchange. Le terme dexprience ne renvoie pas seulement ici leur

    activit au sein des tablissements mais fait galement rfrence la dimension sociale de

    leur sjour, cest--dire au quotidien hors de ltablissement. Plongs parfois pour la premire

    fois dans la culture cible , les assistants sont, en fonction dune multiplicit de facteurs

    dont ils nont pas ncessairement la matrise, susceptibles de connatre des msaventures tant

    sur le plan pdagogique que sur le plan culturel. Lors des priodes o les tensions entre les

    deux pays sont exacerbes, le risque quils soient davantage perus comme des agents

    culturels de surveillance ou de propagande que comme des agents pdagogiques augmente.

  • 19

    Sur le plan de la transaction, lambigut rgne. Il est ais de dterminer si un acteur

    institutionnel reprsente ou non les autorits de son pays et se conforme une certaine vision

    du monde. Il savre bien plus difficile de savoir si le participant un programme

    gouvernemental, thoriquement slectionn sur des critres acadmiques et non politiques,

    doit tre considr comme un agent de sa politique culturelle. Hlne Barbey-Say a bauch

    dans son livre Le voyage de France en Allemagne de 1871 1914 une classification des

    voyages ( entendre ici au sens large, sans restriction temporelle), et donc implicitement une

    classification des voyageurs41. Cette classification, quil est inutile dexposer en dtail ici, est

    critique juste titre par Hans Manfred Bock. Elle encourage ce dernier mettre en valeur

    pour la priode de lentre-deux-guerres lapparition de voyages de groupe (Gruppenreisen)

    quil oppose aux voyages individuels traditionnels. Il prcise :

    Im Mittelpunkt der traditionellen Reisen stand immer der Wille einer Person, ein symbolisches Kapital zu erwerben, das kultureller, gesellschaftlicher oder wirtschaftlicher Art sein konnte. Im Mittelpunkt dieser neuen Art der Reise steht eine politische Zwecksetzung, die von zivilgesellschaftlich verankerten Vereinigungen oder von gouvernementalen Akteuren definiert wird, wobei letztere sich fters der gesellschaftlichen Vereinigungen bedienen, um ihren Willen zur Beherrschung oder zur Durchdringung der anderen Nation zu tarnen.42

    De laquelle de ces deux catgories relve lchange des assistants, dont lorigine se situe

    avant la Premire Guerre mondiale ? Lassimilation de lchange aux voyages

    dtudes universitaires , qui constitue une des catgories proposes par Hlne Barbey-Say,

    semble ici inapproprie dans la mesure o elle masquerait limportance de la machinerie

    institutionnelle lorigine de telles initiatives. Il sagit certes de voyages individuels, mais les

    assistants sont dsigns comme un groupe dans le cadre institutionnel et leurs institutions de

    tutelle servent les intrts des gouvernements. On serait donc plutt enclin assimiler

    lchange dassistants un voyage de groupe. Pour ces voyages de groupe, Hans Manfred

    Bock propose de distinguer entre les voyages de mdiateurs (Mittler-Reise) dont le but serait

    de crer des rseaux transnationaux long terme et les voyages de lgitimation

    (Legitimations-Reise) dont le but serait, non sans arrire-pense, de transmettre une image

    favorable de son pays et de sa culture :

    41 Hlne Barbey-Say, Le voyage de France en Allemagne de 1871 1914, Presses universitaires de Nancy, Nancy, 1994, ici, p. 9. (HBSLE)42 Hans Manfred Bock, Reisen zwischen Berlin und Paris in der Zwischenkriegszeit. Ein historisch-sozioligischer berblick , dans : Wolgang Asholt, Claude Leroy (ds.), Die Blicke den anderen Paris-Berlin-Moskau. Coll. Reisen Texte Metropolen, Band. 2, Aisthesis Verlag, Bielefeld, 2006, p. 25-46, ici pp. 32-33. (HMBRE)

  • 20

    Je nachdem, ob der eine oder der andere Akteur ausschaggebend ist, kann man von Mittler- oder Legitimations-Reisen sprechen. Die Mittler-Reise verfolgt den Zweck, das Zusammentreffen von Vertretern verschiedener gesellschaftlicher Bereiche beider Nationen zu ermglichen, damit diese sich besser kennen lernen und damit sie in eine lngere kommunikationsbeziehung ber die nationale Grenze hinweg eintreten. Die Legitimationsreise verfolgt das Ziel, Gruppen aus der anderen Nation (in der Regel aufgrund einer mehr oder weniger offiziellen Einladung) kommen zu lassen, oder Gruppen, die nach politischen Kriterien zusammengestellt wurden, in das andere Land zu schicken, um dort eine gnstige Meinung zu schaffen und die Teilnehmer zum ideologischen Wettbewerb anzuhalten. Die mehr oder minder offiziellen Veranstalter dieser Legitimationsreisen bedienen sich in der Regel einer Strategie der indirekten Propaganda, die sich auf die Mittel der berredung und der verfhrung sttzt.43

    En effectuant cette distinction, on peut penser que Hans Manfred Bock entend lgitimer une

    autre de ses distinctions : celle qui oppose le dynamisme des organisations de la socit civile

    qui ractivent les relations culturelles franco-allemandes entre 1925 et 1930, au modle

    institutionnel organis dans le cadre des politiques culturelles trangres et impos par les

    rgimes partir de 1930, particulirement partir de 1933. Or, l encore, lchange des

    assistants de langue entre la France et lAllemagne semble chapper cette distinction : en

    effet, si sa composante institutionnelle nous invite naturellement les considrer comme des

    voyages de lgitimation et les indices abondent en ce sens aprs 1933, lorsque surveillance

    et propagande viennent sajouter aux missions pdagogiques , la logique qui prside la slection des candidats, y compris aprs 1933, nous invite envisager la solution inverse.

    Nombre de tmoignages nous prouvent de surcrot que certains assistants, y compris aprs

    1933, se peroivent comme des mdiateurs. Il semble donc que seule une analyse au cas par

    cas puisse dterminer la logique interne de ces sjours et nous permettre de dsigner ou non

    les assistants comme des agents de la politique culturelle des tats. Afin dclaircir ce

    point central de notre quatrime sous-partie, nous essaierons par consquent de rpondre aux

    questions suivantes :

    - Comment les assistants sont-ils slectionns ?

    - Bnficient-ils dune formation avant leur dpart ?

    - Dans quelles conditions matrielles et sociales vivent-ils ?

    - Comment sont-ils encadrs par les institutions lors de leur sjour ?

    - En quoi consiste exactement leur activit ? Comment collaborent-ils avec les autres

    enseignants ? Selon quelles mthodes et avec quels contenus ?

    - A-t-on eu connaissances dincidents politiques ?

    - Que deviennent-ils aprs leur sjour ?

    43 HMBRE, p. 33.

  • 21

    Le systme de cadres que nous avons bauch devrait nous permettre de balayer un

    large spectre de phnomnes logiques et chronologiques interdpendants, qui concernent

    lchange dassistants de langue entre la France et lAllemagne. Il devrait nous permettre de

    cerner les spcificits de celui-ci et de comprendre ltonnant succs qui le caractrise de sa

    cration jusquau dbut de la Seconde Guerre mondiale, une priode durant laquelle le

    nombre dassistants ne cesse de dpasser le nombre dtudiants changs entre les deux pays.

    Il devrait enfin nous renseigner sur les permanences et les volutions de lchange plus long

    terme, et ainsi nous apporter matire rflexions sur la crise actuelle que connat lchange

    entre les deux pays.

  • 22

    I. Les directeurs de conversation (1904-1914)

  • 23

    A. Le temps politique

    Lide dintroduire des locuteurs natifs dans les cours de langues vivantes ne date certes

    pas du dbut du 20me sicle, mais lapparition presque simultane dans les systmes ducatifs

    franais, prussien et anglais de la figure de lassistant de langue trangre, qui lon confie la

    mission trs spcifique de converser avec les lves dans sa langue maternelle, ne doit rien au

    hasard. Ce phnomne repose sur deux prmisses fondamentales : dune part, une volution

    de la perception par lopinion publique des relations internationales qui cre un besoin et

    invite ltude dune langue trangre ; dautre part, une volont dinnover de la part des

    reprsentants dune discipline pour satisfaire les exigences de cette opinion publique et, par la

    mme occasion, asseoir leur position dans le champ o ils se situent. Ds lors que le

    phnomne se diffuse, il ne peut chapper longtemps une certaine forme

    dinstitutionnalisation. Des rgles sont conues afin damliorer son efficacit et faciliter sa

    mise en uvre, dabord au niveau national, puis au niveau international par la signature de

    conventions. Dans cette perspective, lchange dassistants de langues trangres institu

    entre la France et lAllemagne savre intressant car cest entre ces deux tats, plus

    prcisment entre la France et la Prusse, que la premire convention relative un change

    dassistants est produite en 190544. Il sagit dun vnement qui semble minemment

    paradoxal si lon considre les relations contrastes quentretiennent les deux tats entre 1870

    et 1914. Avant de nous pencher davantage sur la mise en uvre de lchange, il nous parat

    par consquent souhaitable et ncessaire de nous interroger dans un premier temps sur les

    volutions des opinions publiques franaise et allemande et leur impact sur les dcisions

    politiques en matire dducation.

    1. Antagonismes franco-allemands et politique culturelle avec ltranger

    Sil existe un antagonisme avant 1870 entre lAllemagne et la France, il sagit dune

    opposition floue entre deux reprsentations du monde qui non seulement ne se traduit pas

    ncessairement en actes sur le plan politique, mais qui se fonde en outre sur une forme

    44 La convention franco-prussienne est rdige la premire, mais en raison de tensions entre la France et la Prusse, sa signature na lieu quen 1905, aprs la signature dune convention franco-anglaise similaire.

  • 24

    dadmiration culturelle rciproque. Ainsi, en France, par son ouvrage De lAllemagne (1813),

    Madame de Stal a beaucoup contribu la propagation dune vritable fascination pour la

    littrature et la pense allemandes45. Cest galement pour rendre hommage aux gnies

    des deux pays que nat le mythe de la complmentarit franco-allemande, dont use Victor

    Hugo dans un texte clbre de 1841:

    La France et lAllemagne sont essentiellement lEurope. LAllemagne est le cur ; la France est la tte. LAllemagne et la France sont essentiellement la civilisation. LAllemagne sent ; la France pense. (Le Rhin, Lettres un ami, conclusion)46

    Mais comme le souligne Stphanie Krapoth, dans son ouvrage France-Allemagne. Du duel au

    duo, de Napolon nos jours, une telle mulation ne rsiste pas aux tensions politiques, et le

    mpris peut rapidement se substituer ladmiration :

    Le dnigrement, voire la ngation, des apports culturels de lAutre est un de ces mcanismes susceptibles de rehausser limage affaiblie de Soi et daider ainsi mieux supporter la domination de lAutre.47

    Cest ce mcanisme qui est loeuvre aprs la guerre de 1870. De 1871 1875, la menace

    dune nouvelle guerre plane de faon diffuse, tandis que Bismarck russit isoler la France en

    forgeant une alliance avec lAutriche-Hongrie et lItalie par le trait du 20 mai 188248. Le

    ressentiment en France est fort49. partir de 1885, malgr la tension autour de laffaire

    Schnaebele50, la rception intellectuelle de ce qui vient dAllemagne, notamment sur les plans

    scolaire et universitaire, est cependant plus sereine51. Tandis quen Allemagne, on svertue

    consolider ltat-nation52, la France senfonce dans la considration excessive de sa rivale :

    cest ce quon appelle la crise allemande de la pense franaise du titre de la clbre tude

    de Claude Digeon date de 1959. Sous limpulsion des penses de Maurice Barrs et Charles

    Maurras, une partie de lopinion publique franaise se dfinit de plus en plus comme

    45 Stphanie Krapoth, France-Allemagne. Du duel au duo, de Napolon nos jours, ditions Privat, Toulouse, 2005, ici, pp. 125-126. Dans cet ouvrage, lauteure procde une analyse des manuels scolaires franais cette priode. (SK)46 Ibid. , p. 129.47 Ibid. , p. 132. 48 Humilie par la France en Tunisie, lItalie sy engage volontiers. Voir Raymond Poidevin, Sylvain Schirmann, Histoire de lAllemagne, Coll. Nation dEurope, Hatier, Paris, 1992, p. 129. (RPHIS).49 SK, pp. 17-19, p. 21. Les manuels scolaires franais insistent davantage sur lhorreur de la guerre et offrent un ton plus patriotique. Lauteure nous informe quaprs 1918, ce schma sinversera.50 Le commissaire franais Schnaebele avait t attir dans un traquenard mortel par un de ses collgues allemands. Voir RPHIS, p. 130.51 Voir MMENS, p. 288.52 RPHIS, p. 145. / Cette construction passe notamment par une politique interventionniste dans les rgions annexes. Voir Henri Lichtenberger, LAllemagne daujourdhui dans ses relations avec la France, Les ditions G. Crs et Cie, 1922, ici p. 12. (HLAUJ)

  • 25

    une anti-Allemagne 53. Sur le plan diplomatique, la France obtient progressivement des

    accords de non-agression avec la Russie en 1892 et lItalie en 190254. LAllemagne sinquite

    bientt de la formation dune Entente cordiale franco-anglaise en 1904, puis de la Triple-

    Entente (France, Russie et Angleterre) en 190755. Lopinion franaise, quant elle, voit dun

    mauvais il les discussions entre le Reich et la Russie, la suite de la crise de la Bosnie-

    Herzgovine en 190856. Sur la toile de fond que constitue cet chiquier diplomatique, les

    crises du Maroc en 190557 et 191158 ont pour consquence le rveil de part et dautre des

    aspirations nationalistes :

    Avec la crise de Tanger, la porte est ouverte en France au chauvinisme et lanti-germanisme et en Allemagne la hantise de lencerclement (Einkreisung). La guerre tait devenue moins improbable.59

    Lintervention de la Grande-Bretagne en 1911 en faveur de la France marque les dbuts de la

    marche vers la guerre. Elle acclre la monte des aspirations nationalistes et bellicistes dans

    les rangs des partis et associations de droite, notamment dans les mouvements

    pangermanistes :

    lvidence la tension internationale monte partir de 1911. La course aux armements, le renforcement des alliances, lexaspration des rivalits conomiques contribuent alourdir latmosphre60.

    Le dsaccord sur lAlsace-Lorraine vient parachever cette funeste constellation. Elle est

    relance, dune part, par le vote par le Reichstag le 26 mai 1911 dune constitution qui vise

    53 Sappuyant sur une analyse de Christophe Charles qui compare deux enqutes dopinion auprs des intellectuels franais en 1902 et 1912, Monique Mombert note ce propos, une vritable scission entre des crivains, devenus fervents nationalistes, et des universitaires qui continuent dfendre une certaine vision du gnie allemand, en invoquant le mythe des deux Allemagnes : lAllemagne matrialiste et agressive aurait pris le pas sur lAllemagne aimable et spirituelle. Voir MMENS, pp. 292-294. 54 RPHIS, p. 168.55 Ibid. , pp. 169-170.56 Ibid. , pp. 171-172. Suite la proclamation de lannexion de la Bosnie-Herzgovine par le gouvernement austro-hongrois, la Russie, qui dfend traditionnellement les intrts serbes, est contrainte de sincliner, abandonne par ses allis franais et anglais. Par la suite, le Reich essaie de dtourner la Russie de la triple entente. 57 Ibid. , pp. 169-170. Avec laccord de lItalie, LEspagne et la Grande-Bretagne, la France procde une pntration pacifique au Maroc. LAllemagne essaie dobtenir la faveur du Sultan pour dsaronner le Ministre franais des affaires trangres Delcass et obtenir lgalit conomique. Elle obtient sa dmission, le 6 juin 1905, mais est isole lors des ngociations dAlgsiras, provoquant, malgr elle, le rapprochement de la Russieet de lAngleterre, qui aboutit la formation de la Triple-Entente. 58 Ibid. , pp. 173-174. Aprs les espoirs dus daccords financiers entre les deux pays et lentre de larme franaise Fs, lAllemagne dcide denvoyer le 1er juillet 1911, la canonnire Panther dans le port dAgadir afin dobtenir des compensations. Des ngociations sengagent et lAllemagne rclame la cessation du Congo, mais elle nobtient quune cessation partielle de celui-ci.59 MMENS, p. 290.60 RPHIS, p. 174.

  • 26

    dtourner dfinitivement cette rgion de la France ; dautre part, par laffaire de Saverne en

    novembre 191361. En Allemagne, on doute de la loyaut des Alsaciens et des Lorrains qui

    seront envoys sur le front oriental en 1914, tandis quen France, la menace allemande

    ressurgit et les ouvrages sur lAlsace-Lorraine se multiplient de nouveau62. Relativement

    indiffrente dans un premier temps, on en vient penser outre-Rhin que la France aspire

    touffer toute initiative germanique63. La succession de ces diverses confrontations,

    essentiellement linternational aboutit peu peu la ractivation virulente, de part et

    dautre, de strotypes ngatifs :

    Entre la guerre franco-prussienne de 1870 et la Premire Guerre mondiale, les auteurs franais et allemands voient lAutre comme ladversaire des conflits passs et venir. Cest lpoque o le concept d ennemi national atteint son paroxysme en se doublant dune composante ethnique64. Limage de lAllemand au regard furibond sous son casque pointe soppose celle du Franais dsireux dopprimer celui-ci depuis Louis XIV, si ce nest depuis toujours. De part et dautre, ces pralables de pense conduisent lever la prparation au prochain affrontement arm au rang de priorit absolue.65

    Au terme de son tude, Stphanie Krapoth formule ce propos une hypothse non dnue

    de sens sur la reprsentation de lAutre, en appelant diffrencier les mcanismes

    luvre en France et en Allemagne :

    La comparaison des deux visions de ladversaire permet de formuler une hypothse gnrale sur la divergence des mcanismes de reprsentation de part et dautre. Les Franais associent volontiers leur propre pays des idaux universels et dveloppent au sujet de lennemi des strotypes germanophobes dtaills et haut en couleur. Pendant longtemps en manque didentification nationale, les Allemands sattachent surtout mettre en valeur les atouts propres leur nation et dnigrent les autres, dont les Franais, pour leur opposition ces vises spcifiquement allemandes. Leur regard se focalise sur leur lgitimit et leurs besoins propres. Dans ces conditions, limage de lAutre prend moins de contours prcis.66

    61 Le Lieutenant von Forstner sen prend violemment aux recrues alsaciennes-lorraines et provoquent ainsi une vague de protestation dans toute lAlsace. Laffaire remonte alors jusquau chancelier qui dfend larme. Voir Ibid. , p. 153. 62 MMENS, p. 289. 63 SK, p. 137.64 En France, lhistoire est particulirement mobilise dans cette lutte idologique: Pour pouvoir condamner la conception allemande de la race, on gnralisait le thme du racisme ds quil tait question de Volk, on opposait lethnocentrisme allemand luniversalit franaise, la recherche danctres faisait de Hegel, Fichte ou Luther des intellektuelle Unheilsstifter [] Que ce soit le mythe de lennemi hrditaire , la volont de domination , le surhomme : tous les lieux communs trivialiss par la presse passaient la frontire. Le caractre allusif des rfrences ces topo, et leur frquence tmoignent de leur implantation. Voir MMENS, p. 301. 65 SK, p. 185.66 Voir SK, p. 148.

  • 27

    Il nous semble que lon peut, au moins partiellement, consentir cette hypothse qui oppose

    ici deux mouvements : lun plutt centripte , tourn vers son centre, caractriserait

    lattitude allemande ; lautre plutt centrifuge , tourn vers lAutre, caractriserait

    lattitude franaise. Dans cette lutte engageant limage de lAutre dans la dfinition, le

    renforcement ou le rassemblement de leur tat-nation, France et Allemagne trouvent des

    ressources dans lantagonisme idologique traditionnel qui les caractrise, en forant le trait,

    en lui donnant une dimension paroxystique.

    Dans lopposition de style et de centre dintrt qui caractrise les deux nations cette

    poque, lAllemagne ne songe nullement mettre en oeuvre une vritable politique culturelle

    trangre avant la Premire Guerre mondiale. Avant dengager un tel processus, il et en effet

    t ncessaire, dune part, que chaque tat composant lEmpire allemand abandonnt ses

    prrogatives culturelles, ducatives et scolaires ; dautre part, que lEmpire allemand vt un

    intrt sengager dans cette voie alors mme quil cherchait tendre son influence par des

    conqutes militaires. Inquites de voir lempire allemand revendiquer son tour une place

    au soleil et venir partant concurrencer le rayonnement de la Rpublique ltranger, les

    autorits franaises prennent rapidement conscience de la ncessit de se doter des

    instruments lui permettant de mener une politique culturelle trangre. Deux structures cres

    ds le dbut du 20me sicle vont demeurer les fers de lance de celle-ci avant la Seconde

    Guerre mondiale. La premire structure que nous devons voquer est cre en 1909 au sein du

    Ministre des Affaires trangres (MAE) et donnera naissance en 1920 au Service des uvres

    franaises ltranger. Elle change une fois de nom et plusieurs fois de responsable avant

    191867. Le tableau suivant donne une ide de la constitution progressive de ce service et des

    hommes qui lont dirig jusqu cette date68 :

    67 Les informations dont nous disposons sont ici extraites de linventaire de la Srie SOFE (Service des uvres franaises ltranger) qui a t fait aux Centre des archives diplomatiques de Nantes. Voir MAE CAD Nantes,, Inventaire de la Srie SOFE. 68 Nous avons ici repris un document bas sur la thse de Jean-Marc Delaunay, Des palais en Espagne. Lcole des Hautes tudes hispaniques et la Casa de Velquez au cur des relations espagnoles du 20me sicle (1909-1979), thse 3me cycle, Paris-1, 1988. Nous lavons insr dans un tableau et complt. Voir MAE CAD Nantes,Inventaire de la Srie SOFE.

  • 28

    Dnomination de linstitution Responsable Priode

    Service des coles et des uvres franaises ltranger (SEOFE)

    1909-1910Paul Gauthier (1873-1956) 1909-1910

    Bureau des coles et des uvres franaises ltranger (BEOFE)

    1910-1918

    Paul Gauthier 1910-1912

    Albert Pingaud (1856-1942) 1912-1913

    Ren de Cherisey (1868- 1945 ) 1913-1916

    Sans titulaire (Maison de la presse) 1916-1918

    Laction du service jusquen 1918 semble encore limite ladministration des tablissements

    franais ltranger. La structure qui lui succdera partir de cette date gagnera en

    importance intgrant la fois ses missions et celles du Service de la Propagande. La seconde

    structure, plus centrale pour notre objet, est lOffice national des Universits et coles

    franaises (ONUEF)69. Il est difficile de mesurer aujourdhui limportance politique qui fut

    accorde cet organisme et la varit des tches qui lui incomba. Jacques Poujol, dans le

    document sur lequel nous nous appuyons ici, caractrise son objet dtude comme ce qui fut

    pendant plus de soixante-dix ans un outil efficace au service des relations internationales des

    Universits et coles franaises 70. Selon lui, lONUEF fonctionne avant mme que

    lassemble gnrale constitutive du 29 juin 1910 ne lrige en association de type loi 190171.

    Le premier embryon dorganisation remonterait probablement 1905 et aurait t patronn

    par une vingtaine de personnes dont des personnalits de premier plan comme Paul Doumer,

    Paul Deschanel, Lon Bourgeois, Louis Liard, Paul Appell, Louis Renault ou Henry Leroy-

    Beaulieu. cette poque, aucun organisme officiel des ministres nintervient encore dans les

    liaisons universitaires internationales et les lites franaises entendent par cette cration

    contrebalancer lexpansionnisme germanique . Puisque lOffice nat lpoque de

    69 Nous nous appuyons ici principalement sur un document retrouv dans CHAN, 70/AJ art. 1. Il sintitule Histoire abrge de lOffice national des universits et coles franaises et a t rdig par Jacques Poujol en juin 1978 (JPOHI). Son auteur, philologue, prsident d AFS Vivre sans frontire de 1967 1981, a lui-mme t conseiller lONUEF, avant de devenir professeur au CIEP.70 Il annonce de surcrot vouloir en narrer lhistoire, de lpoque o son Directeur recevait les Prsidents de la Rpublique ou parlait dgal gal avec les Ministres de lInstruction publique , celle des fourmis laborieuses qui manipulent sans gloire des milliers de dossiers dtudiants franais et trangers, conoivent et ralisent des brochures diffuses des dizaines de milliers dexemplaires et assurent quelques unes des innombrables tches obscures sans lesquelles il nest pas de coopration universitaire internationale . Voir JPOHI, p. 2.71 Le terme office , inusit lpoque, est destin selon Jacques Poujol rassurer les universitaires anglo-saxons frus dautonomie et peu enclins traiter avec les Universits franaises par le truchement du Ministre de lInstruction publique . Le terme coles , qui renvoie originellement aux uniques grandes coles , savre pratique, partir de 1925 lorsque lon commence administrer les changes scolaires internationaux. Ibid. , p. 3.

  • 29

    lentente cordiale, la promotion de la culture franaise est une tche mener en premier lieu

    dans les pays anglophones. Cest la raison pour laquelle sont appels en priorit des

    anglicistes comme Charles Petit-Dutaillis72 et Firmin Roz73, puis au moment de lentente

    franco-russe, des slavisants comme Anatole Leroy-Beaulieu74 et Louis Eisenmann75 pour

    ladministrer. Ds sa cration, loffice dispose des moyens pour rmunrer un directeur, un

    secrtaire, une dactylographe et un garon de bureau. Il est dabord install dans un local

    prt par la Sorbonne, puis en 1912, la faveur de nouvelles subventions, un immeuble situ

    au 96 boulevard Raspail est mis sa disposition. En 1914, le grand industriel belge Ernest

    Solvay fait un don important lorganisme, ce qui permet de recruter un secrtaire et une

    dactylographe de plus. Selon Jacques Poujol, lefficacit de loffice est due essentiellement

    la qualit de son fonctionnement associatif. Lassemble gnrale est compose de

    fonctionnaires et duniversitaires : 20 en 1910, ils seront environ deux cents en 1935.

    Lassemble gnrale a lieu une fois par an et le conseil dadministration au moins deux fois

    par an. Le comit de direction, presque mensuel, runit quant lui les diverses tutelles de

    lOffice, cest--dire les universits et les ministres et est prsid successivement par Paul

    Deschanel, Paul Doumer et Edouard Herriot. Les statuts initiaux de 1910 donnent deux

    missions lOffice : dune part, coordonner les actions mener par les universits franaises

    pour attirer les tudiants trangers ; dautre part, organiser un service de renseignements et de

    propagande en faveur du rayonnement de lenseignement franais linternational76. Ds le

    rapport de 1912 du premier Directeur, le Professeur Coulet77, les tches qui lui sont dvolues

    sont les suivantes :

    - le dtachement des enseignants franais qui ne font pas partie des cadres avant leur dpart

    - linformation dtudiants trangers qui veulent poursuivre leurs tudes en France

    72 Voir JPOHI, note 3 : Charles Petit-Dutaillis (1868-1947) tait un historien mdiviste dont une grande partie de luvre tait oriente vers lAngleterre. Il sest illustr par ses tudes sur la vie et le rgne de Louis VIII et sa traduction de Stubbs : Histoire constitutionnelle de lAngleterre (1913). Il fut recteur de Grenoble de 1908 1916 avant de devenir Directeur de lOffice quil dirige dune main ferme pendant 22 ans. Il cumulait avec cette fonction celle dInspecteur Gnral de lInstruction publique avec juridiction sur les enseignants franais ltranger. Cet homme lactivit inlassable ninterrompit jamais ses travaux historiques. Il publie entre autres en 1933 : La Monarchie fodale en France et en Angleterre. Il fut admis lAcadmie des inscriptions en 1930. 73 Voir JPOHI, note 3. N en 1866, celui-ci tait crivain, auteur douvrages sur lAngleterre et les tats-Unis et traducteur de Kipling. Il collabora avec lOffice jusquen 1927.74 Anatole Leroy-Beaulieu (1842-1912) tait un historien spcialiste de la Russie. Officiant dabord comme professeur, il devient directeur de lInstitut dtudes Politiques, la suite dAlbert Sorel, de 1906 jusqu sa mort. 75 Voir JPOHI, note 3 : Louis Eisenmann (1869-1936) tait professeur de russe La Sorbonne.76 Voir JPOHI, p. 3.77 Celui-ci est galement Directeur du Muse pdagogique, qui est en charge de lchange des assistants avant 1914. Sa nomination annonce le transfert dune partie des comptences du Muse qui aura lieu aprs 1918.

  • 30

    - la constitution dun fichier de distribution ltranger et du recensement des coles franaises

    ltranger

    Un rle de prcurseur dans ldification dune politique culturelle trangre coordonne lui

    est galement assign. Ainsi Charles Petit-Dutaillis, directeur de lOffice de 1916 1938,

    ouvre des bureaux New York ils seront supprims en 1926 et Londres, tandis que dans

    dautres pays, comme la Yougoslavie, la Roumanie, la Pologne, lEspagne et le Luxembourg,

    on nomme des enseignants correspondants. LONUEF est le premier organisme pourvoir

    des titulaires aux postes disponibles ltranger, mettre en place un systme dquivalence

    pour les tudiants trangers ou procder des enqutes sur les bibliothques franaises

    ltranger dans loptique dune promotion du livre franais78. En outre, pendant la premire

    Guerre mondiale, tous les documents transmis de ltranger lInstruction publique par le

    MAE sont transfrs lOffice. cheval entre le Ministre de lInstruction publique et celui

    des Affaires trangres, lONUEF se pose donc avant la Premire Guerre mondiale comme le

    principal vecteur de la politique culturelle franaise ltranger, tandis qu la mme poque

    on ne note en Allemagne aucun mouvement en ce sens.

    2. Les rformes de lenseignement secondaire

    La lutte idologique qui oppose la France et lAllemagne cette poque ne se joue

    cependant pas uniquement lextrieur de leurs frontires. Elle suppose surtout la

    mobilisation durable de leurs citoyens et leur sensibilisation de nouvelles ides et de

    nouvelles pratiques par le biais de rformes ducatives. Alors que la France prend de lavance

    avant 1914 dans la constitution dune politique culturelle avec ltranger, les volutions des

    deux pays sur les questions dducation la fin du 19me sicle aboutissent des rsultats

    tonnamment similaires. Dans les deux pays, les rformes de lenseignement primaire

    assurent les progrs de lalphabtisation, lunification linguistique et le rassemblement de la

    nation. Celles de lenseignement secondaire qui suivent tant en Allemagne quen France

    savrent non moins cruciales. dfaut dengager lcole dans la voie dune relle

    dmocratisation scolaire, elles vont permettre par lmergence dun enseignement secondaire

    moderne de rendre possible lascension sociale de certains groupes jusque-l condamns

    78 JPOHI, p. 4.

  • 31

    demeurer au bas de lchelle sociale. Dans le dbat qui prcde cet avnement, la question de

    la place donner aux langues vivantes qui ont pourtant intgr lenseignement

    secondaire ds 1760 sur le territoire allemand et ds 1829 en France79 est lune de celles qui

    polarisent, dun ct, les tenants dun enseignement dit moderne ou raliste , de lautre,

    les tenants de lenseignement secondaire classique.

    En Allemagne, la tentation des tats de disputer les terrains de lducation et de

    linstruction aux congrgations, afin de dfinir des normes pour la forme et le contenu de

    lenseignement natteint lenseignement secondaire qu la fin du 19me sicle, aprs les

    rformes des enseignements primaire et suprieur. Ces dernires font de lenseignement

    primaire un puissant instrument au service de la formation et de la consolidation de ltat-

    nation, tandis que lenseignement suprieur, fort de son prestige80, sengage sur la voie dune

    modernisation visant laugmentation des effectifs, la spcialisation des savoirs81 et

    lmergence de finalits professionnelles. Comme en France la mme poque, la distance

    qui spare lenseignement primaire et lenseignement secondaire reflte et participe la

    reproduction dune csure entre le peuple et les classes dirigeantes. Aux environs de 1890,

    93,4% des lves frquentent lenseignement primaire, qui inclut jusquen 1901 les

    Realgymnasien82 et les Oberrealschulen83, mais seulement une infime partie dentre eux

    79 Voir Jean-Antoine Caravolas, Le point sur lhistoire de lenseignement des langues (~3000-1950), Centre ducatif et culturel, Montral, 1995, p. 135. (JACPO)80 Au dbut du 19me sicle, la science et luniversit allemandes occupent une position minente : on admire ses dcouvertes scientifiques. Le modle universitaire cr par Humboldt fait apparatre une symbiose entre lenseignement et la recherche , qui influence les universits trangres (tats-Unis, Russie, Japon, France) et attire les tudiants trangers : en 1911-1912, leur nombre atteint 4589 soit 8,27% des inscrits. Voir JGPED, p. 77.81 Selon Jacques Gandouly, ce mouvement de spcialisation est gnr par limportance de plus en plus grande accorde la recherche. Il se concrtise non seulement par la prtention de nouvelles disciplines la reconnaissance universitaire mais aussi par la cration hors de luniversit de centres de recherche et mme dcoles de commerce, celles-ci demeurant, jusqu la guerre, dpendantes des universits. Ibid. , pp. 79-81.82 lorigine, les Realanstalten doivent rpondre aux besoins de la nouvelle bourgeoisie du commerce et de lindustrie. Les enseignements purement techniques sont peu peu remplacs par des enseignements scientifiques et les langues vivantes et partir de 1832, les hhere Brgerschulen et les Realschulen sont habilites dlivrer le Reifezeugnis (certificat de fin dtudes). On permet galement aux Realschulen de mettre en place un enseignement sur neuf classes proposant sur le modle du Gymnasium, lenseignement des langues franaise et anglaise. Vers 1850, les mairies qui les financent y introduisent le latin, lequel est considr comme indispensable pour le fonctionnaire prussien moyen, et en 1882, ces tablissements prennent le nom de Realgymnasien. Ibid. , note 22, p. 45 ; pp. 70-71. 83 partir de 1870, une mutation de 20 tablissements (Provinzialgewerbeschulen) qui prparaient originellement lentre lInstitut technique de Berlin et avaient perdu leur caractre professionnel originel, provoque lessor rapide dun troisime type dcole. Ces dernires, les Oberrealschulen sont bientt les seuls tablissements dispensant un enseignement long et sans latin. Le franais doit y jouer le rle que joue le latin au Gymnasium pour lapprentissage du discours logique. Ibid. , p. 75.

  • 32

    accde aux Gymnasien, cest--dire lenseignement secondaire84. Les lites se dirigent

    exclusivement vers ce dernier, surtout en Prusse, o ltat a impos un lien fort entre le

    niveau de formation et lemploi. Le Gymnasium reste le passage oblig pour accder la

    fonction publique, valeur de rfrence au niveau des carrires85. Si, au cours du sicle, les

    Realanstalten (Realgymnasien et Oberrealschule) ont volu leur tour vers un

    enseignement long , les Gymnasien continurent nanmoins de sen diffrencier par leurs

    attributs, les Berechtigungen (qualifications), qui dune part permettent daccder

    luniversit et dautre part impliquent le Einjhrige86, service militaire dun an accessible la

    fin de lObertertia soit aprs 5 ans dtudes secondaires.

    Avant 1890, des critiques slvent progressivement lencontre du Gymnasium. Ce

    mouvement appel Kulturkritik dnonce principalement la faillite de la culture classique,

    mais il ne sagit pas dun mouvement homogne. Il mobilise autant des personnalits, que des

    associations ( pro-Gymnasium ou pro-Realien ) ou des corps professionnels

    (professeurs, industriels, commerants, militaires). Les premires critiques sont celles des

    partisans de la culture classique, qui dnoncent la drive de la Bildung87 vers un savoir

    purement formel88, lexcs de travail de mmoire, la perte dune vision humaniste englobante

    84 Les Gymnasien sont imposs par Wilhelm von Humboldt au dbut du XIXme sicle en conformit avec son idal de la Bildung. Idal de formation de soi, dans la mesure o tout individu doit se raliser en donnant forme ses talents et ses capacits, cette philosophie de la culture et de lducation dsintresse est tout autant une philosophie politique puisque pour lhomme accompli, lintrt pour les affaires publiques relve du devoir. Pour imposer sa vision, Humboldt rforme lenseignement secondaire en dfinissant de nouveaux programmes qui font une large place ltude des langues anciennes et en offrant une meilleure formation aux enseignants qui doivent passer par les universits. En 1812, limposition de lAbitur, cre en 1788, comme examen ouvrant la voie aux tudes universitaires peut tre considre comme lacte de naissance de lhumanistisches Gymnasium,alors seul tablissement autoris dlivrer celui-ci. Voir MMENS, p. 43 et JGPED, pp. 26-28. 85 Ibid. , pp. 69-70.86 Le Einjhrige rsulte du Ministre de von Boyen (Ministre de la guerre de 1814 1819). Celui-ci voulait imposer un service militaire de trois an