russie-turquie : une relation déterminée par l'énergie

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  • 7/29/2019 Russie-Turquie : une relation dtermine par l'nergie

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    Russie-Turquie :une relation dtermine

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    L'Ifri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,d'information et de dbat sur les grandes questions internationales. Cren 1979 par Thierry de Montbrial, l'Ifri est une association reconnued'utilit publique (loi de 1901). Il n'est soumis aucune tutelleadministrative, dfinit librement ses activits et publie rgulirement sestravaux.

    Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), l'Ifri s'impose comme undes rares think tanks franais se positionner au cur mme du dbateuropen.

    L'Ifri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans unedmarche interdisciplinaire, dcideurs politiques et conomiques,chercheurs et experts l'chelle internationale.

    Les opinions exprimes dans ce texte nengagent que la

    responsabilit de lauteur.

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    Russie.Nei.Visions

    Russie.Nei.Visions est une collection numrique consacre laRussie et aux nouveaux tats indpendants (Bilorussie, Ukraine,Moldavie, Armnie, Gorgie, Azerbadjan, Kazakhstan, Ouzbkistan,Turkmnistan, Tadjikistan et Kirghizstan). Rdigs par des expertsreconnus, ces articles policy oriented abordent aussi bien lesquestions stratgiques que politiques et conomiques.

    Cette collection respecte les normes de qualit de l'Ifri(valuation par des pairs et suivi ditorial).

    Si vous souhaitez tre inform des parutions par courrierlectronique, vous pouvez crire ladresse suivante :[email protected]

    Derniers numros

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    R. Bourgeot / Russie Turquie

    Auteur

    Diplom de lInstitut suprieur de laronautique et de lespace(Suparo) et de lEcole dconomie de Toulouse, Rmi Bourgeotest responsable des tudes conomiques de la Financire de laCit, Paris. Paralllement ses travaux dconomie montairesur la zone euro et sur les pays mergents, il crit rgulirementsur la Turquie. Sa dernire publication sur la Turquie : Unerorientation de lconomie turque vers le Moyen-Orient ? inD. Schmid (dir.), La Turquie au Moyen-Orient : le retour dune

    puissance rgionale ?, Paris, CNRS ditions, dcembre 2011.

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    Sommaire

    RSUM............................................................................................. 4INTRODUCTION ................................................................................... 5

    DSQUILIBRES CONOMIQUES ET DPENDANCE NERGTIQUE ........... 7

    Une relation centre sur lnergie ............................................... 8

    Rengociation des contrats gaziers ............................................ 9

    Projets nuclaires en Turquie .................................................... 10VERS UN RQUILIBRAGE DES FORCES ? ........................................... 12

    Gravitation europenne ............................................................. 12

    Corridor sud et risque gopolitique .......................................... 13

    Marchandages autour de South Stream ................................... 16

    CONCLUSION 9

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    Rsum

    Lapprofondissement des projets nergtiques entre la Turquie et laRussie conduit sinterroger sur lquilibre entre les deux pays, dansun contexte de forte dpendance nergtique dAnkara enversMoscou. Face aux tentatives europennes de diversificationnergtique et ses tensions avec lUkraine, la Russie dveloppe legazoduc South Stream qui doit traverser les eaux territoriales turquesen mer Noire. Dans le mme temps, la Turquie parvient renforcerson poids dans les projets de gazoducs concurrents de South Stream,qui visent alimenter lUnion europenne en gaz de la merCaspienne. Un quilibre complexe se met ainsi en place entre lesdeux pays, ngociant suivant plusieurs lignes dintrts conomiquesquils tentent de faire converger. Alors que la Russie tente de scuriserses revenus europens, la Turquie sefforce de dvelopper son statutde hubnergtique entre Europe, Caucase et Moyen-Orient.

    Paralllement aux grands projets de pipelines, ltat et de plusen plus dacteurs privs turcs dveloppent avec la Russie unpartenariat nergtique pouss dans un nombre grandissant ded i d l l i i il C l i i

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    Introduction

    La premire phase de la crise mondiale, initie en 2007, avaitconsacr le groupe des BRIC comme un ple de croissance mme de prendre le relais des tats-Unis pour endosser le rle de locomotive de lconomie mondiale. Ces grands pays mergents,incluant la Russie, ont progressivement t rejoints par laTurquie 1

    La Turquie dveloppe en ralit, depuis les annes 1980, une

    . Ils ont poursuivi lapprofondissement de leurs liensconomiques bilatraux, pour faire face latonie des conomiesavances, mais aussi tenter de corriger une partie de leurs propresdsquilibres commerciaux et financiers. Dans ce contexte, la Russie

    et la Turquie ont acclr le dveloppement de leurs relationsconomiques dans des secteurs aussi varis que lestlcommunications, la construction, le tourisme et surtout lnergie.Le volume de leurs changes a t multipli par sept en dix ans, pouratteindre 32 milliards de dollars en 2011 ; la Russie est devenue, en2008, le premier partenaire commercial de la Turquie, devantlAllemagne2.

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    et de financement par le groupe Rosatom dune centrale nuclaire sur

    la cte turque de la Mditerrane4

    .La recherche de sources de croissance est dautant plus

    cruciale pour la Turquie et la Russie quelles ont toutes les deux connudes pisodes de crise conomique et montaire particulirementsvres dans le pass, avant de retrouver une certaine stabilit aucours de la dernire dcennie. Les dsquilibres de leurs conomies,qui sont le rsultat dun dveloppement industriel incomplet, lesincitent donc scuriser des sources de revenus sur la dure, afin

    dalimenter des stratgies de puissance leur chelle respective. Unquilibre complexe sest ainsi install entre la Turquie et la Russie, quientretiennent une relation asymtrique, tout en cultivant certainsintrts communs, notamment vis--vis de lUnion europenne. Lesdeux pays se sont engags dans une stratgie de diversificationgographique pour atnuer limpact de la crise europenne sur leurcommerce extrieur ; ils sont nanmoins appels conserver uneorientation europenne durable et ainsi sentendre sur les bnfices

    issus des flux nergtiques vers lOuest.La dynamique conomique, et plus particulirement

    nergtique, qui se dveloppe entre la Russie et la Turquie apporteaujourdhui un clairage significatif sur les rapports politiques entre lesdeux pays. Le poids de lentente nergtique dans la relation russo-turque est ainsi particulirement visible sur le dossier des printempsarabes . Les deux pays accueillent les bouleversements en cours auMoyen-Orient de faon diffrente et affichent notamment des positions

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    Dsquilibres conomiques etdpendance nergtique

    Les profils conomiques de la Turquie et de la Russie prsententcertaines similitudes, notamment si lon sen tient au niveau dedveloppement6. Pour autant les diffrences sont nombreuses etpermettent dexpliquer certains traits fondamentaux de la relationrusso-turque. En premier lieu, lconomie turque prsente unedemande structurellement dynamique7, en dcalage avec lvolutionde la production nationale et malgr la richesse de son tissu

    entrepreneurial (les fameux tigres anatoliens ). Le pays affiche dece fait un dficit des comptes courants qui dpasse rgulirement les5 % du PIB, et a frl les 10 % en 2011. Etant donn que la Turquieimporte 93 % de sa consommation de ptrole et 97 % de saconsommation de gaz8, son dficit commercial provient pour moiti delimportation dnergie, la Russie se prsentant ici comme unfournisseur majeur (58 % des importations de gaz et 12 % du ptroleen 2011). Or, la propension dficitaire de lconomie turque a

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    globale trs dynamique, la croissance de lconomie russe repose au

    contraire fortement sur la demande extrieure, essentiellementnergtique.

    Malgr des modles conomiques qui apparaissentdiamtralement opposs, les deux pays ont en commun davoir, lasuite de crises conomiques et montaires majeures, russi stabiliser leurs conomies, notamment en matire dinflation et decroissance. Par ailleurs, ils ont tous les deux rencontr des difficultsdans leur dveloppement industriel au cours des deux dernires

    dcennies, confronts une concurrence asiatique qui sinstallait surles marchs europens grce des cots de production plus bas, surles segments technologiquement accessibles aux industriesmergentes. La Russie en particulier sest retrouve dans unesituation conomique prilleuse, fragilise par la concentration desinvestissements sur le secteur nergtique, au dtriment desinfrastructures et de lindustrie, et malgr le potentiel scientifique ettechnologique du pays. Cette concentration est telle que le secteur des

    hydrocarbures reprsente aujourdhui, avec les mtaux, 80 % desexportations russes.

    On constate, dans les deux pays, une carence delinvestissement dans le secteur industriel et des difficults depositionnement face la concurrence mondiale9. Dans ce contexte, lesdeux conomies sont bloques un certain palier dans leurdveloppement, correspondant un niveau de richesse par habitantcertes apprciable, mais qui nvolue pas vers les standards les plus

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    frlaient les 23 milliards de dollars13, dont 17,9 milliards de dollars pour

    les nergies fossiles. On note aussi une multiplication des rencontresbilatrales entre responsables politiques et groupements dindustriels,sur diffrents types de projets conomiques, et nergtiques enparticulier14 : Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan se sontrencontrs pas moins de trente fois en dix ans. Environ3000 entreprises turques sont prsentes en Russie avec un stockdinvestissements directs de 7,3 milliards de dollars ; les entreprisesde construction elles seules sont impliques dans prs de1400 projets en Russie, pour un montant de 38,5 milliards de dollars15.Enfin, on a compt en 2011 plus de trois millions de touristes russesen Turquie16, et la tendance devrait saccrotre avec la suppression durgime des visas, mise en place cette mme anne.

    Bien que les liens conomiques entre les deux pays soientdevenus beaucoup plus intenses au cours des dernires annes, leursrelations dans le domaine nergtique ne sont pas nouvelles. Ds1984, la Turquie, membre de lOTAN, signait avec lUnion sovitique

    un accord dachat de gaz naturel pour une dure de vingt-cinq ans

    17

    .Bien que ce trait ft, lpoque, relativement favorable la Turquiedu point de vue des tarifs, il ouvrait en mme temps la voie unerelation de dpendance nergtique qui na fait que samplifier depuis.En outre, le niveau initialement avantageux des prix du gaz aencourag en Turquie le recours massif du gaz naturel comme sourcedlectricit : 50 % environ de la production turque dlectricit recourtau gaz, et 55 % des volumes de gaz imports par la Turquie sontaffects la gnration dlectricit18. Cette spcificit coteuse rend

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    pnalisants de type take or pay 19. la suite dune augmentation de

    39 % du prix du gaz russe au cours de lanne 2010, la Turquie acherch rengocier les tarifs, soufflant le chaud et le froid sur lerenouvellement dun contrat dimportation annuel de 6 milliards demtres cubes par lintermdiaire du Western Pipeline (par lesBalkans)20. Le contrat entre Gazprom et loprateur public turc Botanayant pas t renouvel, plusieurs entreprises nergtiques privesturques ont montr, dans le contexte dune libralisation du rseau, unvif intrt prendre le relais. Des contrats ont alors t signs, pourdes dures allant de 23 30 ans, entre Gazprom et les entreprisesprives Akfel, Bosphorus, Kibar et Bati Hatti, pour limportation de 6mds de mtres cubes par an par le Western21. Certains groupesnergtiques turcs, comme Aksa et Bosphorus, avaient dailleurs djdvelopp des projets avec Gazprom, pour limportation et ladistribution de gaz sur le rseau turc.

    On observe ainsi une implication croissante de la sphre priveturque dans les relations nergtiques avec la Russie, et mme une

    substitution du priv au public dans le cas de ces contrats gaziers.Cette tendance signale a prioriun affaiblissement relatif du pouvoir dengociation de la Turquie, en comparaison de ngociations dtat tat ; il faut cependant garder lesprit les liens troits quentretientltat avec les groupes nergtiques en Turquie. Ces entreprisesprives sont, en outre, davantage focalises sur la rentabilit et labaisse des tarifs ; les groupes privs ont ainsi obtenu de Gazprom destarifs jusqu 40 % moins chers que ceux ngocis par Bota.

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    par linclusion du nuclaire dans le cadre de leurs relations

    nergtiques. La Turquie affirme rgulirement depuis plus dequarante ans son intention de se lancer dans le nuclaire civil. En mai2010, la signature dun contrat de plus de 20 milliards de dollars pourla construction dici 2019 par le groupe Rosatom dune centralenuclaire (avec quatre racteurs et une capacit de 4800 mgawatts) Akkuyu, sur la rive turque de la Mditerrane, a enfin donn corps cette annonce23. Des critiques ont cependant t mises en Turquiesur ce contrat, contestant le cot du projet et sinquitant dunrenforcement de la dpendance lgard de la Russie24. Le contratprsente en effet des aspects remarquables du point de vue aussi bienpolitique quconomique : Rosatom, qui finance la construction, doitdtenir dans un premier temps lintgralit de la centrale et nencdera ensuite quune part minoritaire (49 %) un autre investisseur,laissant la possibilit ltat turc dentrer au capital. Les autoritsturques se sont galement engages ce que la compagnie publiquede distribution dlectricit TEDAS achte 70 % de la production desdeux premiers racteurs, puis 30 % de celle des troisime et

    quatrime, pendant quinze ans, prix fixe25. Des craintes dordretechnique ont galement merg la suite de la catastrophe deFukushima, dautant plus que le site dAkkuyu se trouve dans unezone sismique26.

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    Vers un rquilibrage des forces ?

    Cet tat de dpendance nergtique a des implications importantespour la stabilit conomique de la Turquie. Il semble donc naturelquelle cherche rquilibrer sa relation avec Moscou pour peserdavantage lors des ngociations sur ses importations dhydrocarburesrusses. La Turquie peut envisager deux approches pour favoriser cerquilibrage. La premire consiste diminuer sa dpendance vis--vis des importations de gaz russe en diversifiant ses sourcesdapprovisionnement. La seconde option serait daider la Russie danssa stratgie vis--vis dun tiers, en change de meilleurs termes dans

    leurs relations bilatrales. En pratique, les autorits turques tentent decombiner ces deux approches.

    Gravitation europenne

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    traitance et de joint-ventures industrielles, notamment dans le secteur

    automobile dans le Nord-Ouest du pays (Bursa). En outre, lconomieturque dpend fortement des capitaux europens pour le financementde son dficit courant.

    En ce qui concerne la Russie, lUnion europenne est de loinson premier march dexportation dans le secteur des hydrocarbures.L encore, lUE sest trouve, par les dbouchs quelle offre, au curdu dveloppement du modle conomique russe contemporain,caractris par une trs forte concentration sur le secteur des

    hydrocarbures et son corollaire, une base industrielle rduite. Or, lesecteur nergtique russe doit faire face des incertitudes lies lavolatilit des prix des hydrocarbures, laugmentation des cotsdextraction du ptrole (qui pse sur les marges)29 et auperfectionnement des techniques concurrentes dans le reste dumonde (dont gaz et ptrole de schiste). Il est donc vital pour Moscoude maintenir sa position dominante sur les flux dnergie en directionde lUnion europenne, dautant que les infrastructures existantes sont

    orientes dans ce sens. Les autorits russes sont aujourdhuiconvaincues de la ncessit dtablir des routes de contournementvers lEurope occidentale, que ce soit par le Nord de lEurope (NordStream, dj oprationnel) ou par le Sud (South Stream, dont laconstruction a t lance en dcembre 2012)30. Avant lentre enservice de Nord Stream, environ 80 % des flux de gaz russe verslEurope transitaient par lUkraine et 20 % par la Bilorussie, pays aveclesquels se sont nous des conflits gaziers rptition.

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    nom gnrique de Corridor sud . Un ensemble ambiteux de projets

    qui se heurte nanmoins la diversit des intrts des pays figurantsur litinraire, dont la Turquie, ainsi qu des questions de rentabilit,notamment en comparaison du projet concurrent South Stream.

    Le fait que la quasi-totalit des projets de gazoducs du Corridorsud impliquent un transit par le territoire turc31 ( lexception du WhiteStream, qui constitue prcisment une alternative aux trajets incluantla Turquie) est au centre de la stratgie de hubdes autorits turques.Cette stratgie vise dvelopper les flux dnergie travers le

    territoire turc et en extraire des revenus importants. La Turquie adailleurs cr la surprise en sentendant directement aveclAzerbadjan sur un projet quivalent un premier tronon, TANAP32,qui, avec une capacit initiale de 16 milliards de mtres cubes issus dela seconde phase de dveloppement du champ azri de Shah Deniz,doit stendre jusqu la frontire turco-bulgare. Notons que la plupartdes questions souleves par les itinraires et les ventuelsprolongements impliquent aussi la Russie. La place de lAzerbadjan

    dans ces projets est un sujet dlicat du point de vue des relationsrusso-turques, tant donn le conflit qui oppose le pays lArmniesur le territoire du Nagorno-Karabakh : lAzerbadjan esttraditionnellement soutenu par la Turquie et lArmnie par la Russie.Or, Bakou a dj tent de faire pression sur la Turquie par le biais dela question nergtique pour empcher un dbut de rconciliationturco-armnienne33.

    Litinraire principal du Corridor sud (qui doit relier lAzerbadjan

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    par la Gorgie favoriserait plutt loption iranienne pour atteindre la

    Caspienne, si celle-ci ntait exclue, en tout cas dans un avenirproche, par la crise du nuclaire iranien. En attendant une amliorationsur ce front, la Turquie tente autant que possible de maintenir sesimportations de gaz iranien mais doit toujours compter sur Gazprompour faire face ses difficults dapprovisionnement35.

    Plusieurs ramifications sont envisages pour dventuellesphases ultrieures de dveloppement du Corridor sud. La premiremanerait du nord de lIrak et ncessiterait donc une bifurcation du

    Corridor sud depuis sa partie turque, ce qui aurait pour consquencede renforcer le rle de la Turquie. La seconde option consisterait multiplier les sources dapprovisionnement dans la Caspienne, enparticulier au Turkmnistan et au Kazakhstan.

    En ce qui concerne la ramification irakienne, les tensions entrele gouvernement central et les autorits de la rgion autonome duKurdistan compliquent la situation36. Cette branche hypothtiquetraverserait en outre le Sud-Est de la Turquie, o les tensions

    persistantes avec les Kurdes posent un problme scuritaire. Facteuraggravant, la guerre civile en cours en Syrie encourage les vellitsdindpendance dune partie des 1,9 million de Kurdes syriens : lergime baasiste a parl de leur accorder une rgion autonome37,tandis quune grande partie dentre eux se bat aux cts des insurgs,contrlant dsormais des portions entires de territoires la frontireturque. La question kurde pourrait donc compliquer les grands projetsconomiques et nergtiques du Moyen-Orient.

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    accord, mme tacite, avec la Russie, qui na, sous la forme actuelle du

    projet, aucun intrt son dveloppement.Sur cette toile de fond complexe et incertaine du Corridor sud,

    la Turquie poursuit, en parallle, les ngociations avec Moscou sur leprojet de gazoduc South Stream41. Cest sur ce dossier particulier queles deux pays se sont engags dans une forme de marchandagestratgique42.

    Marchandages autour de South Stream

    Le projet de gazoduc South Stream43 a t propos par la Russie lasuite du refus par la Turquie de permettre le dveloppement de BlueStream II, qui devait longer le gazoduc Blue Stream44 pour atteindrelEurope du Sud. South Stream devrait transporter du gaz russe par la

    mer Noire en traversant les eaux territoriales turques, jusquenBulgarie, pour rejoindre principalement lAutriche. Sa capacit initialeserait denviron 16 milliards de mtres cubes par an, pour atteindre63 milliards dici 2019. On peut fortement douter que la demande degaz soit suffisante pour absorber le dbit issu la fois de SouthStream et du Corridor sud.

    Il peut sembler paradoxal que la Turquie soit implique dansles deux projets en mme temps. Elle lest cependant de faon

    45

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    Toutefois, laccord entre la Turquie et lAzerbadjan sur TANAP,

    comme premier tronon du Corridor Sud, affaiblit davantage SouthStream. Les autorits turques semblent donc vouloir influencerlquilibre stratgique rgionale en profitant de la ncessit de leuraccord pour le dveloppement de South Stream. En plus dventuelsconcessions sur le prix du gaz, la Turquie a reu le soutien de Moscoupour un autre projet de pipeline, qui transporterait du ptrole dun bout lautre du territoire turc, de Samsun, sur la mer Noire, Ceyhan, surla cte mditerranenne. Cet oloduc permettrait au port de Ceyhande recevoir, en plus des flux dj existants, du ptrole russe et kazakh,qui pourrait tre rexport par la Mditerrane. Du point de vue turc,en plus de renforcer le statut de hub de son centre ptrolier sur laMditerrane, loloduc Samsun-Ceyhan permettrait dedcongestionner les dtroits du Bosphore et des Dardanelles48. LaRussie a propos dalimenter loloduc hauteur de 25 millions detonnes, mais un accord final na pas encore t atteint, ni sur levolume garanti par la Russie, ni surtout sur les frais de transit quiseront accords la Turquie.

    Ces ngociations montrent que la Turquie ne souhaite passeulement simposer comme territoire de transit des grands fluxdhydrocarbures : les conditions de ralisation des flux lui importentparticulirement. Le noeud install Ceyhan illustre bien lambitionturque de dpasser le simple statut de zone de transit et de sepositionner comme un centre intgr, la fois de rexportation, maisaussi de raffinage et de stockage49. Cest le principe mme du hubdhydrocarbures : non seulement collecter un droit de passage mais,

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    La Turquie peut ainsi tirer profit de son statut central pour

    mettre en concurrence diffrents projets qui doiventncessairement traverser son territoire, et ngocier les termes descontrats. Dans le cas du Corridor sud, elle avait ainsi exig de lUnioneuropenne (dont les tats membres se concertent relativement peuvis--vis de leurs partenaires nergtiques communs) que 15 % dugaz de Nabucco50 transitant par son territoire soit allou saconsommation domestique51. Les hsitations passes de la Russie surSouth Stream ont aussi encourag la Turquie a projeter son propretronon du Corridor sud, qui, sil est ralis, la placerait dans uneposition de force tout fait indite quant lapprovisionnementeuropen en gaz52.

    Bien que le rapport russo-turc paraisse peu quilibr,lintensification des relations entre les deux pays dans le domainenergtique (projets nuclaires, engagement russe dans la grillenergtique turque) naffaiblit pas davantage pour le moment laposition turque. En effet, la Turquie parvient, de faon efficace, maisaussi risque certains gards, consolider sa place centrale dansles projets du Corridor sud ou de South Stream afin daffirmer sonpoids. Du point de vue conomique, la tendance est donc plutt lapoursuite de lintgration ngocie entre Russie et Turquie.

    Au vu de la profondeur et de limportance, en termes de cotset dinvestissements, des enjeux qui lient les deux pays, on ne peutgure stonner du souhait des gouvernements russe et turc de faire lemoins possible talage de leurs dsaccords politiques, notamment sur

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    Conclusion

    Malgr les succs conomiques relatifs de la Russie et de la Turquie,les deux pays doivent affronter des dsquilibres conomiques quisont directement lis la question nergtique et certainescaractristiques de leur orientation europenne. La Russie et laTurquie ont, chacune leur faon, intgr dans leur vision stratgiquelide de diversification de leurs relations conomiques extrieures. LaRussie tente ainsi de dvelopper ses exportations dhydrocarburesvers lAsie, et la Turquie ses changes conomiques avec sespartenaires moyen-orientaux.

    Cependant, dans les deux cas, la diversification risque dtredifficile. LAsie est aujourdhui elle-mme affecte par laffaiblissementdes dbouchs mondiaux ; quant au Moyen-Orient, il noffre pas lesmmes perspectives que les marchs europens, en termes devolume et surtout de sophistication industrielle. Dans ce contexte, il estessentiel pour la Russie de scuriser sa position sur les importationseuropennes dhydrocarbures et pour la Turquie de se construire unrle central dans les flux nergtiques rgionaux, afin de rduire son

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    satisfaire, dans la complexit, leurs stratgies de puissance

    respectives

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    21 Ifri

    Annexe : Projets de gazoducs : South Stream et le Corridor sud

    Source :KircherBurkhardt Infografik, site de Wingaz, .

    http://www.wingas.com/2268.html?&L=1http://www.wingas.com/2268.html?&L=1