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Rupture ou survie du contrat individuel de travail dans un contexte de mise à pied : un conflit irrésoluble entre impératif économique et cohérence juridique ? Frédéric Desmarais* INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215 Partie I : La notion de mise à pied . . . . . . . . . . . . . . 216 Partie II : Les principales caractéristiques du contrat individuel de travail . . . . . . . . . . . . . . . . 221 Partie III : L’encadrement juridique de la mise à pied au Québec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 Partie IV : La jurisprudence au Québec . . . . . . . . . . . . 240 A. La théorie du congédiement déguisé . . . . . . . . . . . 241 B. La suspension unilatérale du contrat de travail et l’arrêt Cabiakman. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 213 * Avocat au sein du Groupe droit du travail et de l’emploi du cabinet Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., s.r.l. L’auteur tient à remercier Hugo Saint Laurent et Joe Abdul-Massih, étudiants, pour leur précieuse collaboration à la recherche. Les opi- nions et commentaires dans ce texte n’engagent que l’auteur. Ils ne lient aucune- ment le cabinet Borden Ladner Gervais ou toute personne qui y est liée à quelque titre que ce soit.

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Rupture ou survie du contratindividuel de travail dans uncontexte de mise à pied : un

conflit irrésoluble entreimpératif économique et

cohérence juridique ?

Frédéric Desmarais*

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

Partie I : La notion de mise à pied . . . . . . . . . . . . . . 216

Partie II : Les principales caractéristiques du contratindividuel de travail . . . . . . . . . . . . . . . . 221

Partie III : L’encadrement juridique de la mise à piedau Québec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229

Partie IV : La jurisprudence au Québec . . . . . . . . . . . . 240

A. La théorie du congédiement déguisé . . . . . . . . . . . 241

B. La suspension unilatérale du contrat de travail etl’arrêt Cabiakman. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243

213

* Avocat au sein du Groupe droit du travail et de l’emploi du cabinet Borden LadnerGervais, S.E.N.C.R.L., s.r.l. L’auteur tient à remercier Hugo Saint Laurent et JoeAbdul-Massih, étudiants, pour leur précieuse collaboration à la recherche. Les opi-nions et commentaires dans ce texte n’engagent que l’auteur. Ils ne lient aucune-ment le cabinet Borden Ladner Gervais ou toute personne qui y est liée à quelquetitre que ce soit.

C. La mise à pied constitue une résiliation unilatérale ducontrat de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

D. Le contrat de travail survit à la mise à pied. . . . . . . 256

E. L’obligation de mitigation du salarié mis à pied(art. 1479 C.c.Q.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

1. L’obligation de mitigation du salarié pendantla période de mise à pied . . . . . . . . . . . . . . . 267

2. L’obligation de mitigation du salarié en cas derappel au travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268

3. Le droit du salarié de travailler pendant lamise à pied . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272

Partie V : La mise à pied dans le cadre des lois sur lesnormes du travail des provinces et territoirescanadiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273

Partie VI : La jurisprudence au Canada . . . . . . . . . . . . 282

Partie VII : La mise à pied entraîne généralement la rupturedu contrat individuel de travail . . . . . . . . . . 296

Partie VIII : Recommandations pratiques pour les parties aucontrat de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . 300

CONCLUSION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304

214 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

INTRODUCTION

En cette ère de mondialisation des marchés, la méthode de lagestion du juste-à-temps (« just-in-time manufacturing ») et la dislo-cation des chaînes de production à travers plusieurs zones géographi-ques exercent une pression constante sur les entreprises. Dans cecontexte, la main-d’œuvre constitue une ressource qui doit êtreajustée momentanément à la hausse ou à la baisse en fonction desimpératifs intermittents de la production.

En conséquence, la flexibilité et la compétitivité sont des termesfaisant partie du vocabulaire quotidien employé par les gestionnairesde ressources humaines. La mise à pied constitue une stratégie deprédilection dans leur arsenal pour répondre aux demandes fluc-tuantes de main-d’œuvre.

La mise à pied est un phénomène courant sur le marché du tra-vail. Il s’agit rarement d’un sujet contentieux en matière de rapportscollectifs du travail1. La raison en est fort simple : une convention col-lective contient généralement des dispositions énonçant les droits etobligations des parties lorsqu’une vague de mises à pied est annoncéepar l’employeur.

En revanche, les effets d’une mise à pied sur le contrat indivi-duel de travail demeurent un sujet peu exploré par les tribunaux et ladoctrine. L’objectif de cet article est de répondre à la question sui-vante : est-ce que le contrat individuel de travail survit à une mise àpied ? En d’autres termes, est-ce qu’un employeur peut suspendretemporairement ses obligations de fournir du travail et de rémunérerun salarié pour des motifs économiques ou organisationnels sans que

215

1. Pour une analyse de la mise à pied en matière de rapports collectifs du travail,consultez notamment : Pierre MOREAU et Catherine MASSE-LACOSTE,« Décroissance et croissance : la gestion de la main d’œuvre dans un contexte decrise économique – Précis des règles applicables lors d’une mise à pied dans le cadrede rapports collectifs de travail », dans Service de la formation continue, Barreau duQuébec, Congrès annuel du Barreau du Québec (2009), Cowansville, Éditions YvonBlais, 2009, p. 1.

ce dernier puisse lui opposer que sa mise à pied constitue une résilia-tion unilatérale de son contrat de travail (congédiement déguisé) ?

Nous examinerons d’abord la définition de l’expression « mise àpied ». Nous discuterons ensuite des principales caractéristiques ducontrat de travail en vertu du Code civil du Québec (« C.c.Q. » ou« Code civil ») et des articles de la Loi sur les normes du travail2 enca-drant la mise à pied. Après avoir passé en revue la jurisprudence qué-bécoise pertinente, nous scruterons les dispositions relatives auxmises à pied contenues dans les lois sur les normes du travail desautres provinces et territoires canadiens. Nous survolerons aussi lajurisprudence canadienne se rapportant à l’impact d’une mise à piedsur le contrat individuel de travail. Enfin, nous démontrerons que,sous réserve de certaines exceptions, une mise à pied constitue géné-ralement un congédiement déguisé. Nous terminerons notre analyseavec certaines recommandations pratiques pour les deux parties aucontrat de travail.

Partie I : La notion de mise à pied

Le corpus législatif québécois ne contient aucune définition del’expression « mise à pied ». Les dispositions de la Loi sur les normesdu travail relatives à l’avis de cessation d’emploi ou de mise à pied(art. 82 et s.) réfèrent à cette notion sans pour autant en proposer unedéfinition.

La définition de « mise à pied » proposée par le Dictionnairecanadien des relations du travail3 est la suivante :

mise à pied / temporary lay-off : perte d’emploi temporaire due àdes motifs d’organisation interne ou liée à la vie économique. Lamise à pied se transforme en licenciement après une périodedéterminée s’il n’y a pas de rappel avant l’expiration de cettepériode. Le travailleur mis à pied continue de conserver certainsdroits dans l’entreprise comme le droit de rappel au travail et,s’il réintègre l’entreprise, son ancienneté, son appartenance aufonds de pension, etc.4

216 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

2. RLRQ, c. N.-1-1.3. Gérard DION, Dictionnaire canadien des relations du travail, 2e éd., Québec, Pres-

ses de l’Université Laval, 1986.4. Ibid., p. 301.

La jurisprudence canadienne suggère également des définitionsdu concept de « mise à pied ». Dans l’arrêt Canada Safeway Ltd. c.SDGMR5, la Cour suprême du Canada a confirmé la décision de laCour d’appel de la Saskatchewan selon laquelle l’arbitre de griefs acommis une erreur manifestement déraisonnable en concluant qu’unsalarié syndiqué dont les heures réelles de travail restent constantes,mais dont les heures normales de travail sont réduites, est victimed’une mise à pied déguisée.

Comme la convention collective ne définissait pas l’expression« mise à pied », la Cour suprême a examiné l’interprétation de cettenotion en droit du travail :

[71] En l’espèce, la convention collective de travail ne définit pasl’expression « mise à pied ». Nous devons donc nous tourner versla jurisprudence pour voir comment les tribunaux et les arbitresdu travail l’ont définie. Il semble que l’expression « mise à pied »soit utilisée en droit des relations du travail pour désignerl’interruption du travail qui n’est pas une cessation d’emploi. La« mise à pied », selon l’utilisation qui en est faite dans la juris-prudence, ne met pas fin à la relation employeur-employé. L’employé est plutôt congédié temporairement. Il y aencore espoir ou expectative d’un retour au travail. Mais pour lemoment, il n’y a pas de travail pour l’employé. On dit que cetemployé est mis à pied.

[72] Quelques décisions permettront d’illustrer cette utilisationde l’expression. Dans l’arrêt Air-Care Ltd. c. United Steel Wor-kers of America, [1976] 1 R.C.S. 2, à la p. 6, le juge Dickson (plustard Juge en chef) a adopté la définition suivante des mots« mise à pied » :

« Mise à pied » n’est pas défini au Code du travail du Québec,S.R.Q. 1964, c. 141. Cependant, le Nouveau Larousse Uni-versel, tome 2, définit « mise à pied » comme étant un« retrait temporaire d’emploi », et le Shorter Oxford EnglishDictionary définit « lay-off » comme étant [TRADUCTION]« une période durant laquelle un salarié est temporairementlicencié ».

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 217

5. Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, [1998] 1 R.C.S. 1079 [« Canada Safeway »]. Ausujet de la notion de mise à pied déguisée en matière de rapports collectifs, voir éga-lement Battlefords Co-ops c. RWDSU, [1998] 1 R.C.S. 1118 (une réduction appré-ciable des heures de travail s’assimile à une mise à pied déguisée).

[73] Bien qu’en langage ordinaire, l’expression « mise à pied »soit parfois utilisée comme synonyme de rupture de la relationemployeur-employé, elle sert en terminologie juridique à définirune cessation d’emploi lorsqu’il y a possibilité ou expectative deretour au travail. L’expectative peut se concrétiser ou non. Maisen raison de cette expectative, on dit que la relation employeur-employé est suspendue plutôt que rompue.6[nos soulignements]

Bien que ces définitions s’inscrivent dans le contexte desmilieux de travail syndiqués, l’expression « mise à pied » réfère aumême phénomène en matière de rapports individuels du travail. Enprincipe, une mise à pied s’opposerait à une rupture du contrat indivi-duel de travail au motif qu’il existe une expectative de rappel au tra-vail7.

Dans l’arrêt Cabiakman c. Industrielle-Alliance8 (« Cabiak-man »), la Cour suprême a écrit :

39. Dans ce contexte, la mise à pied n’est pas considérée en prin-cipe comme une rupture du contrat de travail. La mise à piedpour motif économique est plutôt traitée comme une suspensionunilatérale et temporaire du travail et des prestations del’employeur. Cette mesure vise à répondre aux impératifs del’entreprise. Notre Cour a d’ailleurs reconnu l’existence de cepouvoir de l’employeur, dans le cadre de l’application d’uneconvention collective, sans toutefois en préciser le fondement,dans Air-Care Ltd. c. United Steel Workers of America, 1974CanLII 200 (CSC), [1976] 1 R.C.S. 2.9[nos soulignements]

L’organisme chargé de veiller à la mise en œuvre et l’applicationdes normes du travail au Québec, la Commission des normes, del’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST »), qui a

218 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

6. Canada Safeway, ibid., par. 71-73. Voir au même effet : Advantech Réseaux de satel-lites inc. c. Frumkin, 2010 QCCS 3218, par. 63, requête pour permission d’appelerrejetée, C.A. Montréal, no 500-09-020925-103, 1er septembre 2010.

7. Voir notamment : Cabiakman c. Industrielle-Alliance, [2004] 3 R.C.S. 195, par. 39[« Cabiakman »] ; Cunningham c. Fonderie Poitras ltée, 2009 QCCQ 1004, par. 37[« Fonderie Poitras »] ; Laurier Auto inc. c. Paquet, [1987] R.J.Q. 804, EYB1987-70885, par. 12-15 (C.A.) [« Laurier Auto »]. Pour des références jurispruden-tielles supplémentaires au même effet, consultez la section D de la partie IV.

8. Cabiakman, ibid.9. Ibid., par. 39.

succédé à la Commission des normes du travail à compter du 1er jan-vier 2016, utilise la définition suivante de l’expression « mise à pied » :

La mise à pied suspend de façon temporaire le contrat de tra-vail entre l’employeur et le salarié. Le salarié mis à pied peutdonc être rappelé au travail. Il conserve son lien d’emploi pen-dant la durée de sa mise à pied et sa relation contractuelle estmaintenue10.

En somme, une mise à pied constitue une suspension tempo-raire, en principe sans solde, du contrat de travail pour des motifséconomiques ou organisationnels, tels une réorganisation adminis-trative ou un changement technologique, s’assortissant d’une expec-tative de rappel au travail à plus ou moins brève échéance et aucours de laquelle le lien d’emploi entre l’employeur et le salarié estmaintenu.

Il n’est pas de notre intention de remettre en question la défi-nition de l’expression « mise à pied ». Notre objectif est plutôt dedéterminer si, nonobstant cette définition, une mise à pied peuts’assimiler, dans certaines circonstances, à une résiliation unilaté-rale du contrat de travail de la part de l’employeur donnant le droit ausalarié de lui réclamer une indemnité tenant lieu de délai de congé(art. 2091 C.c.Q.).

Comme nous le verrons sous peu, une mise à pied se concilie malavec les règles au cœur du régime juridique du contrat individuel detravail. À ce titre, nous souscrivons aux propos de la Cour suprême dela Colombie-Britannique auxquels a récemment fait référence laCour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick :

15. Je vais d’abord examiner la position de la défenderesse sui-vant laquelle la mise à pied du demandeur se justifiait étantdonné le rendement de l’entreprise et la nécessité économique etn’était donc pas injustifiée au sens véritable du terme. J’accepteque la défenderesse a mis fin à l’emploi du demandeur en raisond’un ralentissement dans les activités de son entreprise etqu’elle n’y a donc pas mis fin par mauvaise foi. Cela ne signifie

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 219

10. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, Mise àpied, licenciement, congédiement et démission, disponible en ligne sur le site inter-net de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité dutravail, <http://www.cnt.gouv.qc.ca/fin-demploi/mise-a-pied-licenciement-congediement-et-demission/>.

pas nécessairement que le congédiement n’est pas injustifié ausens juridique. Cette question a été abordée dans la décisionGirling c. Crown Cork & Seal Canada Inc. (1994), 1994 CanLII3243 (BC SC), 2 C.C.E.L. (2d) 115 (C.S.C.-B.) (conf. à 1995CanLII 954 (BC CA), 127 D.L.R. (4th) 448 (C.A.C.-B.)) où il a étédiscuté, aux par. 13 et 14, du sens du terme « mise à pied » horsdu contexte syndical :

[TRADUCTION]

À mon avis, le sens que la société cherche à donner au terme« mise à pied » est inapproprié dans un milieu non syndiqué,qui est régi par le droit du travail. Une convention collectivedans un milieu syndiqué comprend souvent des dispositionssur les mises à pied et les rappels : dans un milieu syndiqué,il est courant que les employés qui perdent leur emploi, defaçon temporaire ou permanente, aient le droit de premierrappel à un emploi pour lequel ils sont qualifiés et qui seprésente dans un délai négocié. C’est très différent dans unmilieu non syndiqué où, en l’absence d’une dispositionexpresse du contrat de travail ou d’une protection législa-tive, il n’existe pas de droit de premier rappel quand unposte est à pourvoir.

Étant donné que l’employé qui perd son emploi dans unmilieu non syndiqué n’a généralement pas le droit d’être denouveau employé après sa cessation d’emploi, le terme« mise à pied » en milieu non syndiqué n’a aucun sens tech-nique. Ce n’est qu’un euphémisme décrivant une perted’emploi quand aucune faute n’est reprochée à l’employé. Ceterme est souvent utilisé pour expliquer les pertes d’emploicausées par une réduction des effectifs ou la fermeture d’usi-nes, et il veut toujours dire que l’employé ne travaille plusactivement. Dans le droit du travail, il n’existe, entrel’emploi et la cessation d’emploi, aucun moyen terme tel quecelui que propose la société. [Je souligne]11

[nos soulignements]

Afin d’illustrer la justesse de ces propos en droit civil québécois,il faut d’abord examiner les principales caractéristiques du contrat

220 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

11. Davenport c. Metalfab Ltd., [2012] N.B.J. No. 420, 2012 NBQB 371, par. 15 (B.R.N.-B.) [« Davenport »].

individuel de travail (partie II) ainsi que l’existence potentielle d’unpouvoir de l’employeur de mettre à pied un salarié en vertu de la Loisur les normes du travail (partie III).

Partie II : Les principales caractéristiques du contratindividuel de travail

De l’aveu même de la Cour supérieure, le « contrat de travailn’est pas un contrat comme les autres »12. C’est pourquoi un chapitreparticulier au sein du Code civil lui est consacré et que les« employeurs qui négocient un tel contrat comme s’il s’agissait den’importe quel autre contrat d’affaires commettent une grave erreurd’appréciation »13.

La régulation juridique du contrat de travail à titre de contratnommé n’opère pas en vase clos. L’article 1377 C.c.Q. l’assujettit auxdispositions relatives au droit commun des obligations (art. 1371 à1707 C.c.Q.) à moins qu’il n’y ait incompatibilité avec les règles parti-culières qui le régissent (art. 2085 à 2097 C.c.Q.)14.

Le contrat de travail est un contrat synallagmatique, les partiess’obligeant réciproquement de sorte que l’obligation de l’une est cor-rélative à l’obligation de l’autre (art. 1378 et 1380 C.c.Q.)15. Il est àtitre onéreux puisque chacune des parties retire un avantage enéchange de son obligation (art. 1378 et 1381 C.c.Q.)16. Il est égale-ment d’exécution successive, les obligations réciproques et corrélati-ves des parties s’exécutant de façon continue dans le temps (art. 1378et 1383 C.c.Q.)17.

Il y a formation d’un contrat de travail lorsque les trois élémentssuivants sont réunis dans une même convention : (1) la prestation de

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 221

12. Merlitti c. Excel Cargo inc., [2002] R.J.Q. 995, REJB 2002-31318, par. 1. (C.S.).13. Ibid., par. 2-3.14. Gauthier c. Dentaurum inc., 2013 QCCS 375, EYB 2013-217580, par. 87 (C.S.),

requête pour permission d’appeler rejetée, C.A. Montréal, no 500-09-023369-135,6 mai 2013, EYB 2013-221669 (C.A.).

15. Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., [2014] 2R.C.S. 514, par. 28 [« Asphalte Desjardins »] ; Cabiakman, supra, note 7, par. 27.

16. Robert P. GAGNON, Le droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, ÉditionsYvon Blais, 2013, par. 96 ; Marie-France BICH, « Le contrat de travail », dans leBarreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, La réforme du Codecivil : Obligations, contrats nommés, Sainte-Foy, Les Presses de l’UniversitéLaval, 1993, p. 741-50.

17. GAGNON, ibid., par. 97 ; BICH, ibid ; Cabiakman, supra, note 7, par. 27.

travail du salarié, (2) le versement d’une rémunération par l’em-ployeur et (3) un lien de subordination juridique entre les parties18.

La durée du contrat de travail peut être déterminée ou indéter-minée (art. 2086 C.c.Q.). Dans le premier cas, les parties ne peuventle résilier avant l’échéance du terme, sauf en présence d’un motifsérieux (art. 2094 C.c.Q.). Dans le second cas, chaque partie peut seprévaloir de sa prérogative de le résilier en tout temps moyennant, aupréalable, l’octroi d’un délai de congé (préavis) (art. 2091 C.c.Q.). Lesparties sont exonérées de leur obligation de donner un délai de congéen présence d’un motif sérieux (art. 2094 C.c.Q.). Enfin, qu’il soit àdurée déterminée ou indéterminée, le contrat de travail peut égale-ment prendre fin d’un commun accord entre les parties (art. 1439C.c.Q.).

Les principales obligations de l’employeur sont décrites à l’arti-cle 2087 C.c.Q. :

L’employeur, outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de laprestation de travail convenue et de payer la rémunérationfixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du tra-vail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité dusalarié.

En ce qui a trait à l’intensité des obligations de l’employeur, leministre de la Justice a émis les commentaires suivants :

L’intensité de l’obligation contractuelle de l’employeur n’a pasété précisée ; suivant les circonstances de chaque espèce, en rai-son de la diversité des tâches et des responsabilités qu’ellesimpliquent, il convient de laisser aux tribunaux le soin de déter-miner si l’obligation en est une de moyens ou de résultat.19

Les tribunaux ne se sont pas encore prononcés clairement ausujet de l’intensité des obligations de l’employeur codifiées à l’article2087 C.c.Q.

À notre avis, les obligations matérielles de l’employeur de per-mettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer la

222 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

18. Cabiakman, supra, note 7, par. 27.19. Québec, Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice, T. II,

Québec, Publications du Québec, 1993, p. 1312.

rémunération sont des obligations de résultat, sous réserve de stipu-lations contractuelles à l’effet contraire20. En principe, à moins que lacessation de la fourniture du travail ou du paiement de la rémunéra-tion ne soit liée au comportement du salarié, comme dans le cas d’unesuspension administrative ou disciplinaire, ou d’une mise à piedautorisée par un terme explicite ou implicite du contrat ou à laquellele salarié a consenti, l’employeur ne peut être exonéré pour l’inexé-cution de ses obligations matérielles qu’en cas de force majeure (art.1470 C.c.Q.). Des facteurs exogènes au salarié, tels que la précaritéfinancière de l’entreprise, une situation économique atone ou unerécession économique, ne constituent généralement pas des cas deforce majeure exonérant l’employeur de ses obligations matériellesconsacrées à l’article 2087 C.c.Q.21.

Pendant la durée du contrat, le salarié doit exécuter sa presta-tion de travail avec prudence, diligence et loyauté (art. 2088 C.c.Q.).L’obligation de loyauté continue de produire ses effets pendant undélai raisonnable suivant la cessation d’emploi (art. 2088 C.c.Q.). Enoutre, le salarié qui a souscrit à une stipulation de non-concurrencedoit la respecter à la suite de la rupture du contrat de travail (art.2089 C.c.Q.). En revanche, l’employeur ne peut se prévaloir de cettestipulation lorsqu’il résilie lui-même le contrat de travail sans motifsérieux ou s’il donne au salarié un tel motif de résiliation (art. 2095C.c.Q.).

Les stipulations contenues au contrat, les articles applicablesdu Code civil, la loi, y compris la Loi sur les normes du travail, sontautant de sources du contenu normatif du contrat de travail (art.1434 C.c.Q.). Le contrat de travail puise également son contenu nor-matif de tout ce qui en découle selon sa nature et suivant les usages(art. 1434 C.c.Q.).

Enfin, le fait que le contrat de travail soit un contrat d’exécutionsuccessive engendre certaines conséquences au niveau de sa résilia-tion en cas d’inexécution, par l’une ou l’autre des parties, de ses obli-gations. Un créancier a droit à la résiliation du contrat à exécutionsuccessive lorsque son débiteur fait défaut d’exécuter ses obligations

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 223

20. Voir notamment : Frédéric DESMARAIS, Le contrat de travail (Art. 2085 à 2097C.c.Q.), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 135-37.

21. Ibid., p. 377-79.

(art. 1604 C.c.Q.)22. En règle générale, le créancier ne peut se préva-loir de son droit à la résiliation lorsque le défaut du débiteur est depeu d’importance (art. 1604(2) C.c.Q.). Toutefois, un contrat à exécu-tion successive peut néanmoins être résilié dans de telles circonstan-ces si le défaut revêt un caractère répétitif (art. 1604(2) C.c.Q.).

Dans l’arrêt Cabiakman, la Cour suprême a bien articulé la dif-ficulté théorique que soulève la question de la suspension du contratde travail par l’employeur :

30. Le présent pourvoi nous invite à déterminer si l’employeurdétient le pouvoir implicite de suspendre temporairement leseffets d’un contrat de travail ou certaines de ses obligations cor-rélatives. La question présente des difficultés importantes surle plan de la théorie juridique. En effet, aucun texte législatif,qu’il s’agisse du Code civil ou de lois particulières, ne contientde dispositions qui explicitent le fondement du pouvoir del’employeur de procéder à une suspension du contrat de travail,que ce soit pour des motifs disciplinaires ou des raisons ditesadministratives.

31. La notion même d’un pouvoir de suspension unilatéral del’exécution des prestations synallagmatiques d’un contrat seconcilie d’ailleurs mal avec la théorie classique des obliga-tions. Il est en effet difficile de concevoir qu’une partie puisseunilatéralement et à sa guise suspendre les effets d’un contratvalablement conclu, en l’absence d’accord entre les contractantspour reconnaître l’existence d’une telle faculté.23

[nos soulignements]

Ces difficultés théoriques se posent avec plus d’acuité dans lecontexte d’une mise à pied pour motif économique ; en effet, non seu-lement l’employeur cesse-t-il de fournir du travail au salarié, mais ilcesse également de lui verser sa rémunération.

Le pouvoir d’imposer une mise à pied peut découler d’une pra-tique reconnue dans une industrie particulière en raison, entre

224 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

22. Alors qu’un contrat qui fait l’objet d’une résolution est réputé n’avoir jamaisexisté, chaque partie étant alors tenue de restituer à l’autre les prestations qu’ellea reçues, un contrat résilié ne cesse d’exister que pour l’avenir seulement (art.1606 C.c.Q.).

23. Cabiakman, supra, note 7, par. 30-31.

autres, du caractère intermittent ou saisonnier du travail (art. 1434C.c.Q.)24. Un tel pouvoir pourrait même faire partie intégrante ducontrat de travail, la mise à pied constituant une pratique qui sembleêtre reconnue par la Loi sur les normes du travail25.

Pour l’instant, force est d’admettre que la mise à pied se conciliemal avec la théorie classique des obligations et le régime juridiqueencadrant le contrat individuel de travail. À ce chapitre, les observa-tions suivantes s’imposent :

• En principe, une récession économique ou une croissance écono-mique atone ne constitue pas un cas de force majeure exonérantl’employeur de ses obligations matérielles de résultat de permettrel’exécution de la prestation de travail convenue et de payer larémunération fixée (art. 2087 C.c.Q.).

• Le droit de l’employeur d’imposer une mise à pied peut reposer surun usage reconnu dans un secteur économique donné, notammenten raison du caractère intermittent ou saisonnier du travail (art.1434 C.c.Q.).

• Tel que discuté dans la prochaine partie, certains prétendent quele droit de l’employeur d’imposer une mise à pied est difficilementcontestable en raison du fait que le législateur semble en recon-naître l’existence aux articles 82 et suivants de la Loi sur les nor-mes du travail. À notre avis, bien que la Loi sur les normes dutravail réfère au concept de mise à pied, elle ne consacre pas pourautant un droit d’imposer une telle mesure administrative à unsalarié non syndiqué. En fait, à moins de disposition expresse à ceteffet ou d’incompatibilité irrésoluble, la Loi sur les normes du tra-vail ne devrait pas faire échec au droit commun. Sous réservede quelques exceptions, le droit civil ne reconnaît pas à l’employeurle droit de mettre à pied ses salariés. En outre, dans son arrêt Com-mission des normes du travail c. Asphalte Desjardins26 (« AsphalteDesjardins »), la Cour suprême a conclu qu’une interprétationlarge et libérale de la Loi sur les normes du travail doit être préco-

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 225

24. Cabiakman, ibid., par. 74.25. Cabiakman, ibid., par. 47 citant Robert BONHOMME, Clément GASCON et

Laurent LESAGE, Le contrat de travail en vertu du Code civil du Québec, Cowans-ville, Éditions Yvon Blais, 1994, par. 4.3.2.

26. Supra, note 15.

nisée27. Elle a également insisté sur l’importance de favoriser uneinterprétation concordante des dispositions du Code civil et de laLoi sur les normes du travail en matière de cessation d’emploi.Enfin, nonobstant ce qui précède, la Loi sur les normes du travailn’offre aucune piste de solution pour déterminer si un employeurpeut mettre à pied un cadre supérieur pour qui les articles 82 etsuivants sont inapplicables.

• Lors d’une mise à pied valide sur le plan légal, le contrat de travailcontinue de produire ses effets. En conséquence, un salarié qui asouscrit à une stipulation de non-concurrence est contraint d’enrespecter les termes et conditions. Dépourvu de toute forme derevenu28, un salarié peut, à juste titre, considérer qu’il s’avèrepréférable de se trouver un nouvel emploi. La stipulation denon-concurrence constitue alors un obstacle majeur à sa recherched’emploi dans son domaine d’expertise. À cet égard, si la miseà pied découle d’un terme du contrat ou que le salarié y a donnéson assentiment, il est raisonnable que ce dernier ne puisse se pré-valoir de l’article 2095 C.c.Q. pour alléguer que son employeur lui adonné un motif sérieux de résiliation afin de se libérer de son obli-gation de respecter la stipulation de non-concurrence. En outre, sil’on reconnaît que la Loi sur les normes du travail confère une pré-rogative à l’employeur d’imposer une mise à pied d’une durée demoins de six mois, le salarié serait forclos de plaider l’existenced’un motif sérieux de résiliation (art. 2095 C.c.Q.). Considérant lemanque de clarté flagrant des dispositions de cette loi relatives à lamise à pied, nous ne croyons pas que le législateur ait eu l’intentionde reconnaître un tel droit à l’employeur et ainsi empêcher les sala-

226 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

27. Ibid., par. 36. Voir au même effet : Doyon et H. & R. Block Canada inc., D.T.E.93T-1130, AZ-93144529, p. 16 (C.T.) ; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1R.C.S. 27, par. 36, où la Cour suprême écrit au sujet de la Loi sur les normesd’emploi de l’Ontario : « [e]nfin, en ce qui concerne l’économie de la loi, puisque laLNE constitue un mécanisme prévoyant des normes et des avantages minimauxpour protéger les intérêts des employés, on peut la qualifier de loi conférant desavantages. À ce titre, conformément à plusieurs arrêts de notre Cour, elle doit êtreinterprétée de façon libérale et généreuse. Tout doute découlant de l’ambiguïtédes textes doit se résoudre en faveur du demandeur ». À notre avis, le raisonne-ment de la Cour suprême s’applique mutatis mutandis à l’interprétation de la Loisur les normes du travail.

28. Un salarié mis à pied peut toutefois recevoir des prestations d’assurance-emploidans la mesure où il satisfait les critères d’admissibilité prévus à la Loi sur l’assu-rance-emploi, L.C. 1996, ch. C-23 et, le cas échéant, les règlements adoptés sousson égide, y compris le Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332. À cesujet, voir notamment : Jean-Yves BRIÈRE et Réjane CARON, Assurance-emploi : loi commentée, 3e éd., Brossard, Publications CCH, 2005, par. 84.

riés qui ont souscrit à une stipulation de non-concurrence de sub-venir à leurs besoins et ceux de leur famille alors que c’est leuremployeur qui les place dans une situation de précarité et de vul-nérabilité en violant ses obligations de fournir du travail et depayer la rémunération (art. 2087 C.c.Q.). Enfin, advenant que lamise à pied ne découle pas d’un terme du contrat ou d’un droitdécoulant de la Loi sur les normes du travail et que le salarié nemanifeste pas son désaccord avec la mesure qui lui est imposée, lecontrat de travail demeure en vigueur pendant la période de mise àpied. Le salarié demeure ainsi assujetti aux dispositions de la sti-pulation de non-concurrence. Par contre, s’il avise son employeurque sa mise à pied s’assimile à un congédiement déguisé, il peut seconsidérer exonéré de ses obligations en vertu de la stipulation denon-concurrence, car l’employeur lui a donné un motif sérieux derésiliation (art. 2095 C.c.Q.)29.

• Similairement, l’ampleur et la rigueur de l’obligation de loyauté(art. 2088 C.c.Q.) s’avèrent plus importantes lorsque le contrat detravail est en vigueur qu’à la suite de sa rupture30. À moins que lamise à pied ne soit valablement imposée en vertu d’un terme ducontrat de travail ou que le salarié n’y ait donné son assentiment,nous nous expliquons mal sur la base de quel fondement juridiqueun salarié devrait être lié par une obligation de loyauté dontl’ampleur serait la même que si son employeur respectait ses obli-gations de fournir du travail et de payer la rémunération convenue(art. 2087 C.c.Q.).

• D’aucuns pourraient suggérer qu’une mise à pied de courte duréedonne lieu à un défaut de peu d’importance qui ne saurait justifierune résiliation du contrat de travail (art. 1604 C.c.Q.)31. À pre-mière vue, ce syllogisme est loin d’être dérisoire. Cependant, selonune certaine jurisprudence, l’inexécution, ou l’exécution défi-ciente, d’une obligation de résultat équivaut à une inexécution

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 227

29. Advenant que l’employeur désire se prévaloir de la stipulation de non-concur-rence, il reviendra au tribunal de déterminer si, en imposant une mise à pied, cedernier a donné un motif sérieux de résiliation au salarié (art. 2095 C.c.Q.).

30. Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc., 2007 QCCA 676,par. 42.

31. Nous n’avons repéré aucune décision où un tribunal aurait appliqué l’article 1604C.c.Q. pour déterminer si une mise à pied constitue une résiliation unilatérale ducontrat de travail. Voir toutefois : Station Mont-Tremblant, société en commanditeet Syndicat des travailleuses et travailleurs de la station Mont-Tremblant, [2001]R.J.D.T. 1502, D.T.E. 2001T-802 (T.A.) (application de l’article 1604 C.c.Q. enmatière d’absentéisme).

totale32. Elle ne pourrait donc s’assimiler à un défaut de peud’importance au sens de l’article 1604 C.c.Q. En principe, les obli-gations matérielles de l’employeur consacrées à l’article 2087C.c.Q. sont des obligations de résultat. En conséquence, cette juris-prudence fait échec, particulièrement lorsque la mise à pied est delongue durée ou d’une durée indéfinie, à la thèse suivant laquelleune telle mesure constitue un défaut de peu d’importance ne pou-vant justifier une résiliation du contrat de travail.

• Enfin, l’existence d’un pouvoir d’imposer une mise à pied n’est pascompatible avec les fondements et la raison d’être du contrat detravail à durée déterminée (art. 2086 C.c.Q.). Les parties à un telcontrat ne peuvent le résilier avant l’arrivée de son terme, saufpour un motif sérieux (art. 2094 C.c.Q.). En contrepartie d’unegarantie d’emploi pour une certaine période, le salarié s’engage àfournir sa prestation de travail pendant toute la durée du terme.L’employeur, quant à lui, peut compter sur l’exécution de la presta-tion de travail du salarié pendant la même période. Commentpeut-on justifier qu’un employeur puisse procéder à une mise àpied de plus ou moins longue durée et ainsi priver le salarié detoute forme de rémunération sans que ce dernier ne puisse vala-blement résilier le contrat avant l’arrivée du terme ? En effet, sil’on admet que l’employeur est en droit de mettre à pied temporai-rement un salarié, ce dernier ne pourrait, en principe, arguer quecette mesure lui donne un motif sérieux pour résilier le contrat(art. 2094 C.c.Q.). D’un point de vue pratique, il faut certesadmettre qu’un salarié peut résilier le contrat de travail à duréedéterminée avant son échéance sans encourir de risque majeur.Un employeur intentera rarement un recours en dommages-intérêts. En outre, il ne peut évidemment obtenir l’émission d’unemesure injonctive obligeant le salarié à revenir au travail jusqu’àl’échéance du terme33. Il n’en demeure pas moins que, sur le planthéorique, une mise à pied va à l’encontre même de l’institution ducontrat de travail à durée déterminée. Ainsi, il n’est guère éton-nant que la Cour du Québec ait récemment conclu qu’il semble

228 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

32. Voir notamment : Compagnie du Centre de divertissement du Forum/ForumEntertainment Center Company c. Société du Groupe d’embouteillage Pepsi(Canada)/Pepsi Bottling Group (Canada) Co., 2008 QCCS 4672, par. 272[« Pepsi »] citant Labplas inc. c. Réglage J. & F. inc., [2004] R.L. 179 (C.S.) [« Lab-plas »] ; St-Gelais c. Entreprises Dero inc., J.E. 99-1107 (C.S.) [« St-Gelais »]. Voirau même effet : Vincent KARIM, Les obligations, 4e éd., vol. 2, Montréal, Wilson &Lafleur, 2015, par. 1829, 1847.

33. DESMARAIS, supra, note 20, p. 351.

impossible de pouvoir suspendre le contrat de travail à duréedéterminée et ce, même en présence d’une interruption de travaildécoulant de véritables motifs économiques34.

Il nous faut maintenant examiner les dispositions pertinentesde la Loi sur les normes du travail en vue de déterminer si elles confè-rent à l’employeur une prérogative de mettre à pied un salarié faisantéchec à son droit de plaider le congédiement déguisé sur la base desarticles applicables du Code civil (art. 1604, 2087 et 2091 C.c.Q.).

Partie III : L’encadrement juridique de la mise à pied auQuébec

Hormis quelques modifications mineures, le libellé des articles82 à 83.2 de la Loi sur les normes du travail est demeuré le mêmedepuis le 1er janvier 199135.

Nous reproduisons ci-dessous les articles pertinents :

L’AVIS DE CESSATION D’EMPLOI OU DE MISE À PIED ETLE CERTIFICAT DE TRAVAIL

82. Un employeur doit donner un avis écrit à un salarié avant demettre fin à son contrat de travail ou de le mettre à pied poursix mois ou plus.

Cet avis est d’une semaine si le salarié justifie de moins d’un ande service continu, de deux semaines s’il justifie d’un an àcinq ans de service continu, de quatre semaines s’il justifie decinq à dix ans de service continu et de huit semaines s’il justifiede dix ans ou plus de service continu.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 229

34. Marcotte c. 9126-4333 Québec inc., D.T.E. 2012T-435, 2012 QCCQ 4390, appelprincipal rejeté et appel incident accueilli à la seule fin de modifier le montant dela condamnation, D.T.E. 2014T-202, 2014 QCCA 471 [« Marcotte »]. Dans sonrécent arrêt Groupe Lelys inc. c. Lang, 2016 QCCA 68 [« Groupe Lelys »], la Courd’appel semble conclure qu’un employeur ne pourrait mettre à pied un salarié liépar un contrat à durée déterminée sans continuer à lui verser sa rémunération. LaCour a émis cet avis dans le cadre d’un obiter dictum. Nous étudierons en profon-deur cet arrêt dans la section D de la partie IV.

35. Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives,L.Q. 1990, c. 73.

L’avis de cessation d’emploi donné à un salarié pendant lapériode où il a été mis à pied est nul de nullité absolue, sauf dansle cas d’un emploi dont la durée n’excède habituellement passix mois à chaque année en raison de l’influence des saisons.

Le présent article n’a pas pour effet de priver un salarié d’undroit qui lui est conféré par une autre loi.

82.1. L’article 82 ne s’applique pas à l’égard d’un salarié :

1o qui ne justifie pas de trois mois de service continu ;

2o dont le contrat pour une durée déterminée ou pour uneentreprise déterminée expire ;

3o qui a commis une faute grave ;

4o dont la fin du contrat de travail ou la mise à pied résulte d’uncas de force majeure.

83. L’employeur qui ne donne pas l’avis prévu à l’article 82 ouqui donne un avis d’une durée insuffisante doit verser au salariéune indemnité compensatrice équivalente à son salaire habi-tuel, sans tenir compte des heures supplémentaires, pour unepériode égale à celle de la durée ou de la durée résiduaire del’avis auquel il avait droit.

Cette indemnité doit être versée au moment de la cessationd’emploi ou de la mise à pied prévue pour plus de six mois ou àl’expiration d’un délai de six mois d’une mise à pied pour unedurée indéterminée ou prévue pour une durée inférieure àsix mois mais qui excède ce délai.

[...]

83.1. Dans le cas d’un salarié qui bénéficie d’un droit de rappelau travail pendant plus de six mois en vertu d’une conventioncollective, l’employeur n’est tenu de verser l’indemnité compen-satrice qu’à compter de la première des dates suivantes :

1o à l’expiration du droit de rappel du salarié ;

2o un an après la mise à pied.

230 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

Le salarié visé au premier alinéa n’a pas droit à l’indemnitécompensatrice :

1o s’il est rappelé au travail avant la date où l’employeur esttenu de verser cette indemnité et s’il travaille par la suitepour une durée au moins égale à celle de l’avis prévu dansl’article 82 ;

2o si le non-rappel au travail résulte d’un cas de force majeure.

84. À l’expiration du contrat de travail, un salarié peut exigerque son employeur lui délivre un certificat de travail faisantétat exclusivement de la nature et de la durée de son emploi, dudébut et de la fin de l’exercice de ses fonctions ainsi que du nomet de l’adresse de l’employeur. Le certificat ne peut faire état dela qualité du travail ou de la conduite du salarié.[nos soulignements]

La définition de l’expression « service continu » se lit ainsi(art. 1, par. 12) :

12o « service continu » : la durée ininterrompue pendantlaquelle le salarié est lié à l’employeur par un contrat de tra-vail, même si l’exécution du travail a été interrompue sansqu’il y ait résiliation du contrat, et la période pendantlaquelle se succèdent des contrats à durée déterminée sansune interruption qui, dans les circonstances, permette deconclure à un non-renouvellement de contrat.

Dans le récent arrêt Asphalte Desjardins36, la Cour suprême,sous la plume du juge Wagner, a mis en exergue l’importance de favo-riser une interprétation concordante des dispositions du Code civil etde la Loi sur les normes du travail en matière de cessation d’emploi :

[32] Aux principes édictés par le Code civil s’ajoutent les normesformulées par la Loi sur les normes du travail, laquelle vise àcorriger le déséquilibre des forces entre employeur et salarié enétablissant des normes minimales à l’intention des salariés aumoyen de dispositions d’ordre public (Martin c. Compagnied’assurances du Canada sur la vie, 1987 CanLII 371 (QC CA),

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 231

36. Supra, note 15.

[1987] R.J.Q. 514 (C.A.), p. 517 ; Syndicat de la fonction publiquedu Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC 28 (CanLII),[2010] 2 R.C.S. 61, par. 6-8). Les normes suppléent à la toile defond établie par les dispositions du Code civil.

[36] Ayant fait ce tour d’horizon des principes et normes applica-bles au contrat de travail à durée indéterminée, il y a lieu de rap-peler que le présent pourvoi soulève la question de l’interactiondes dispositions du Code civil et de la Loi sur les normes du tra-vail eu égard à l’effet du délai de congé. À mon avis, une inter-prétation concordante des dispositions du Code civil et de la Loisur les normes du travail en cause s’impose, puisqu’elles s’inscri-vent toutes dans le même contexte, à savoir la cessation desrelations de travail. Le Code civil tisse la toile de fond des rela-tions contractuelles entre le salarié et l’employeur en milieu detravail et il établit le droit commun applicable à toutes les par-ties liées par un contrat de travail. La Loi sur les normes du tra-vail, dans le contexte du présent pourvoi, vient préciser lesobligations de l’employeur et, vu son objectif, il y a lieu de l’inter-préter de manière large et libérale.[nos soulignements]

Dans le cadre de notre étude, il nous faut ainsi rechercher uneinterprétation concordante entre les dispositions du Code civil et dela Loi sur les normes du travail. Mais par-dessus tout, il nous faut évi-ter de préconiser une interprétation de la Loi sur les normes du tra-vail qui aurait pour effet d’être préjudiciable et désavantageuse pourles justiciables qu’elle vise à protéger.

À notre avis, les dispositions de la Loi sur les normes du travailne confèrent pas un droit à l’employeur d’imposer une mise à pied. Àtout événement, elles ne le font pas de manière suffisamment expli-cite pour faire échec aux dispositions du Code civil applicables au con-trat de travail en vertu desquelles il n’est pas possible, sous réservede quelques exceptions, d’asseoir une assise juridique pour justifierune mise à pied.

En fait, la Loi sur les normes du travail vise plutôt à établir laprocédure et les modalités applicables à une mise à pied de six moisou plus. Plus précisément, pour les salariés non syndiqués, la loiimpose une obligation aux employeurs de fournir un avis de cessationd’emploi, ou une indemnité compensatrice en tenant lieu, selon le cas,

232 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

lorsqu’ils procèdent à une mise à pied d’une durée de six mois ou plusou d’une durée inférieure ou indéterminée qui excède ultimement cedélai.

Dans l’arrêt Cabiakman, la Cour suprême a écrit :

37. [...] Certaines pratiques courantes en milieu de travail, tel-les les mises à pied pour des raisons économiques de même quel’absence pour cause de maladie ou d’accident, ou, dans uncontexte de rapports collectifs du travail, la grève ou le lock-out,constituent diverses formes de suspension de l’exécution du con-trat de travail reconnues et acceptées depuis longtemps.

38. Ces pratiques trouvent d’ailleurs une consécration législa-tive, au moins partielle, entre autres, dans la Loi sur les normesdu travail, L.R.Q., ch. N-1.1 (« L.N.T. »). Cette loi s’applique ausalarié, à l’exclusion du cadre supérieur, sauf pour certaines dis-positions (art. 2 et art. 3, al. 1(6) L.N.T.). La Loi sur les normesdu travail ne définit pas l’assise juridique qui justifie ces inter-ruptions, mais précise toutefois la procédure et les modalitésjuridiques applicables à ces divers cas de suspension du contratde travail.

39. Dans ce contexte, la mise à pied n’est pas considérée en prin-cipe comme une rupture du contrat de travail. La mise à piedpour motif économique est plutôt traitée comme une suspensionunilatérale et temporaire du travail et des prestations del’employeur. Cette mesure vise à répondre aux impératifs del’entreprise. Notre Cour a d’ailleurs reconnu l’existence de cepouvoir de l’employeur, dans le cadre de l’application d’uneconvention collective, sans toutefois en préciser le fondement,dans Air-Care Ltd. c. United Steel Workers of America, 1974CanLII 200 (CSC), [1976] 1 R.C.S. 2.

40. La Loi sur les normes du travail aménage les modalités del’exercice du pouvoir de l’employeur de mettre à pied un sala-rié. Avant d’effectuer une mise à pied de six mois ou plus,l’employeur doit donner un avis écrit au salarié qui compte aumoins trois mois de service continu (art. 82 et 82.1 L.N.T.).À défaut de préavis, l’employeur devra verser au salarié uneindemnité compensatrice tenant lieu de salaire (art. 83 L.N.T.).Ce préavis, qui varie en fonction de la durée de service du salarié

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 233

(art. 82, al. 2 L.N.T.), établit des normes minimales et n’em-pêche pas le salarié de réclamer une indemnité de préavis plusimportante en vertu des règles de droit civil prévues aux art.2091 et 2092 C.c.Q. (art. 82, al. 4 L.N.T.).37

Nous étudierons de manière approfondie l’arrêt Cabiakmandans la prochaine partie. Ceci dit, il importe de rappeler que la Coursuprême a été univoque à ce sujet : son pourvoi ne visait pas la mise àpied pour motif économique38. L’objet de son pourvoi portait exclusi-vement sur la « question du pouvoir unilatéral d’imposer une suspen-sion à un salarié visé par des accusations criminelles, pour des motifspurement administratifs rattachés à l’intérêt de l’entreprise ».39

En ce qui a trait aux motifs reproduits ci-haut, nous y revien-drons ultérieurement. À ce stade, il suffit de signaler que la Coursuprême réfère à une « consécration partielle ». En outre, la Coursuprême est d’avis que la Loi sur les normes du travail ne définit pasl’assise juridique qui justifie une mise à pied « mais précise toutefoisla procédure et les modalités juridiques applicables à ces divers cas desuspension du contrat de travail ».

Contrairement à certaines lois sur les normes du travail ded’autres provinces et territoires canadiens, la Loi sur les normes dutravail souffre d’une certaine ambiguïté au sujet de l’impact d’unemise à pied sur le contrat individuel de travail. Tel qu’illustré à lapartie V, certaines de ces lois octroient un droit à l’employeur demettre à pied un salarié pendant une certaine période. Si l’employeurne rappelle pas le salarié à l’expiration de cette période, la mise à piedse transforme alors en un licenciement.

La section de la loi où sont incorporés les articles 82 et suivantsest intitulée « L’avis de cessation d’emploi ou de mise à pied ». Le pre-mier alinéa de l’article 82 réitère cette distinction : « Un employeurdoit donner un avis écrit à un salarié avant de mettre fin à son contratde travail ou de le mettre à pied pour six mois ou plus ». Cette distinc-tion est également reprise au quatrième paragraphe de l’article 82.1.

Ainsi, le législateur semble référer à deux notions distinctes :(1) un avis de cessation d’emploi et (2) un avis de mise à pied. En

234 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

37. Supra, note 7, par. 37-40.38. Ibid., par. 33.39. Ibid.

revanche, dans la version française de la loi, la note marginale del’article 82 ne laisse guère de doute quant à l’intention du législa-teur40 ; en effet, elle renvoie à la notion d’« Avis de fin du contrat ». Lamême note dans la version anglaise de la loi est toutefois moins révé-latrice en renvoyant à la notion de « Written notice ».

En revanche, l’article 84.01 milite en faveur d’une interpréta-tion voulant qu’une mise à pied de six mois ou plus entraîne la rup-ture du lien d’emploi. Cet article prévoit qu’une mise à pied d’unedurée de six mois ou plus touchant au moins dix salariés d’un établis-sement au cours d’une période de deux mois consécutifs constitue unlicenciement collectif.

Quoi qu’il en soit, les tribunaux et les commentateurs sontpresque unanimes quant au fait qu’une mise à pied de six mois ouplus constitue une cessation d’emploi entraînant la rupture du con-trat de travail41. Par ailleurs, une mise à pied de moins de six moispourrait aussi s’assimiler à un licenciement lorsqu’il appert d’unepreuve prépondérante que l’employeur n’a jamais eu l’intention derappeler le salarié et qu’il a qualifié la mesure imposée de mise à pieden vue de se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu desarticles 82 et suivants de la Loi sur les normes du travail42.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 235

40. En principe, une note marginale ne peut être invoquée comme élément de la loi etservir à l’interpréter au motif qu’elle ne fait pas partie du texte promulgué par lalégislature. Le législateur fédéral a expressément prévu que les notes marginalesne figurent dans les lois qu’à titre de repère ou d’information : Loi d’interprétation,L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 14. Par ailleurs, en droit fédéral, les notes marginalessont rédigées par les personnes responsables de la rédaction du projet de loi. Ellessont également incorporées au texte déposé en première lecture au Parlement. Àl’opposé, au Québec, les notes marginales sont ajoutées au texte des lois par lespersonnes responsables de leur publication après leur sanction par l’Assembléenationale. En conséquence, cette différence explique, du moins en partie, que lestribunaux accordent plus d’importance aux notes marginales en droit fédéralqu’en droit québécois. Enfin, la jurisprudence admet qu’une partie puisse référeraux notes marginales dans son argumentation, mais elles ne possèdent qu’unevaleur limitée compte tenu de leur statut. À ce sujet, voir notamment : Cie pétro-lière Impériale ltée c. Canada, [2006] 2. R.C.S. 447, par. 57 ; Francis c. Baker,[1999] 3 R.C.S. 250, par. 42 ; R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, par. 70.

41. Voir notamment : Lang c. Groupe Lelys inc. (Flexo Express inc.), 2014 QCCS 3726[« Lang »], infirmé en partie, Groupe Lelys, supra, note 34 ; Commission des nor-mes du travail c. Stadacona, s.e.c., 2009 QCCQ 7061, requête pour permissiond’appeler accueillie (C.A. 2009-09-16), no 200-09-006795-097, 2009 QCCA 11703[« Stadacona »] ; Gauvin c. Lagran Canada inc., 2003 QCCRT 0380 [« Gauvin »] ;Alberga c. Garage V.N.G. inc., 2003 QCCRT 0304 ; Edward AUST & ThomasLAPORTE AUST, Le contrat d’emploi, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais,2013, p. 858.

42. Robert L. RIVEST, « Rupture à l’initiative de l’employeur pour des motifs écono-miques ou tenant à l’entreprise », dans Guylaine VALLEE et Katherine LIPPEL,

Toutefois, certaines décisions suggèrent que le contrat de tra-vail peut survivre à une mise à pied qui perdure plus de six mois lors-qu’il y a présence d’une expectative de retour au travail découlantd’une promesse de rappel au travail de l’employeur ou d’une politiqueou disposition contractuelle conférant un droit à l’employeur d’impo-ser une telle mesure pour une période de six mois ou plus43.

À notre avis, cette jurisprudence est erronée. Les justiciables nepeuvent par convention déroger à la Loi sur les normes du travail(art. 93) et autoriser la survie du contrat individuel de travail au-delàde la période qui, pour le législateur, entraîne sa résiliation.

Cette jurisprudence s’appuie aussi sur l’article 83.1 de la Loi surles normes du travail pour justifier qu’un employeur puisse imposerune mise à pied de plus de six mois. Cet article prévoit qu’un salariéqui bénéficie d’un droit de rappel pendant plus de six mois en vertud’une convention collective n’a droit à l’indemnité compensatricetenant lieu de l’avis de cessation d’emploi qu’à la première des éven-tualités suivantes : à l’expiration du droit de rappel ou un an après lamise à pied. Selon certaines décisions s’inscrivant dans cette juris-prudence, si les parties à une convention collective peuvent prévoirqu’une mise à pied de plus de six mois n’entraîne pas une cessationd’emploi, il n’y a aucune raison qui justifierait que les parties à uncontrat individuel de travail ne puissent en faire autant ou quel’employeur n’ait pas le droit d’adopter unilatéralement une politiqueà cet effet44.

236 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

Rapports individuels et collectifs du travail, vol. 2, Montréal, LexisNexis, 2009,p. 25/34, par. 45 ; Nathalie-Anne BÉLIVEAU, Les normes du travail, 2e éd.,Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 318.

43. Voir notamment : Martel c. Bois d’Énergie, 2006 QCCRT 0333, par. 41 et s. [« Boiesd’Énergie »] (la Commission des relations du travail a cependant conclu que, enl’espèce, il y avait absence d’une telle promesse ou disposition de sorte que la miseà pied de six mois ou plus a entraîné la rupture du contrat de travail) ; Ladouceuret Compumédia Design (1996) inc., D.T.E. 2002T-538, AZ-50121351 (C.T.) [« Com-pumédia »] ; Commission des normes du travail du Québec c. Studio SylvainDethioux Inc., D.T.E. 90T-934, AZ-90039104 [« Studio Sylvain »] (selon la preuvedécrite dans le jugement, il semblerait que la mise à pied imposée à l’une des sala-riées représentées par la Commission des normes du travail excédait six mois) ;Tremblay et Coopérative forestière Ferland-Boileau, D.T.E. 89T-700,AZ-89143027 (T.A.) [« Coopérative forestière »] ; Demers et Campeau Corp., D.T.E.84T-843, AZ-84141376 (T.A.) [« Campeau Corp. »] (une mise à pied supérieure àsix mois ne constitue pas automatiquement un licenciement) ; Gauvin, supra,note 41, par. 20 (la Commission des relations du travail a cependant conclu que, enl’espèce, il y avait absence d’une telle promesse ou disposition de sorte que la miseà pied de six mois ou plus a entraîné la rupture du contrat).

44. Voir notamment : Boies d’Énergie, ibid., par. 44 et s. ; Gauvin, ibid., par. 20 et s.

Avec égards, cette inférence est fort chancelante. L’article 83.1traite uniquement d’un droit de rappel prévu à une convention collec-tive. Si le législateur avait voulu que cette disposition s’applique éga-lement aux contrats individuels de travail, il aurait pu le spécifierclairement ou supprimer toute référence à l’expression « conventioncollective ». Par ailleurs, il est impossible de concilier cette jurispru-dence avec le fait que l’article 84.01 assimile une mise à pied desix mois ou plus à un licenciement collectif.

Une autre disposition qui nous permet d’écarter cette jurispru-dence est l’article 84 de la Loi sur les normes du travail. Cet articleprévoit que, à « l’expiration du contrat de travail », le salarié peut exi-ger de son employeur un certificat de travail. Le libellé de cette dispo-sition n’est pas des plus heureux. L’expression « expiration du contratde travail » renvoie intuitivement à l’expiration du terme d’un contratà durée déterminée. Il aurait été préférable que le législateur emploiele même libellé de la disposition analogue qui se retrouve dans leCode civil. En effet, l’article 2096 C.c.Q. confère au salarié le droitd’obtenir un certificat de travail « lorsque le contrat prend fin ». Cecidit, la survie du contrat individuel de travail au-delà d’une période desix mois tant qu’un droit de rappel existe impliquerait que le salariéne pourrait, dans l’intervalle, exiger un certificat de travail afin defaciliter ses démarches de recherche d’emploi. À notre avis, telle nepeut avoir été l’intention du législateur.

Nous ne croyons pas qu’il soit possible de conclure que, parceque le législateur assimile une mise à pied de six mois ou plus à unecessation d’emploi, une mise à pied d’une durée inférieure ne puisseentraîner la rupture du contrat de travail. Si l’intention du législa-teur en ce qui a trait aux mises à pied de plus de six mois n’est pas desplus limpides, elle l’est encore moins pour les mises à pied d’une duréeinférieure. En fait, la Loi sur les normes du travail est tout simple-ment silencieuse à leur sujet45.

En admettant qu’une mise à pied de six mois ou moins soitvalide, il faudrait forcément conclure qu’un employeur pourraitmettre à pied pendant au plus six mois un salarié lié par un contrat de

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 237

45. À ce sujet, voir notamment : Jean-Yves BRIÈRE, Fernand MORIN et al., Le droitde l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, par. II-161. Voirégalement : Cabiakman, supra, note 7, par. 40 où la Cour écrit « [l]a Loi sur les nor-mes du travail aménage les modalités de l’exercice du pouvoir de l’employeur demettre à pied un salarié. Avant d’effectuer une mise à pied de six mois ou plus... ».

travail à durée déterminée. À notre avis, cela porterait atteinte auxfondements mêmes de cette institution46 et irait à l’encontre d’uneinterprétation concordante des dispositions du Code civil et de la Loisur les normes du travail que la Cour suprême nous invite à favoriser.Si telle était l’intention du législateur, force est d’admettre qu’il ne l’apas véhiculée de façon suffisamment claire pour justifier la mise auxoubliettes des dispositions du Code civil. La Cour du Québec ad’ailleurs récemment conclu qu’il est impossible de suspendre un con-trat de travail à durée déterminée et ce, même en présence de vérita-bles motifs économiques47.

Enfin, certaines juridictions canadiennes prévoient qu’unemployeur ne peut pas mettre à pied un salarié pendant un certainnombre de semaines au cours d’une période de temps bien précise48.En cas de défaut de respecter ces balises législatives, la mise à pied setransforme alors en licenciement. Ces dispositions visent à éviterqu’un employeur procède à des mises à pied récurrentes sur unelongue période.

Une interprétation suivant laquelle seule une mise à pied desix mois ou plus constitue une rupture du contrat de travail pourraitmener à une situation que le législateur n’a certainement pas voulue.En effet, un employeur pourrait mettre à pied un salarié pendant unepériode relativement longue, mais inférieure à six mois49. Il pourraitensuite rappeler le salarié et le mettre à pied de nouveau et éventuel-lement répéter cette façon de faire afin de se soustraire à son obliga-tion de lui verser une indemnité compensatrice. Une telle pratique

238 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

46. Voir la partie précédente pour une analyse approfondie à ce sujet. En outre, descommentateurs sont d’avis que les règles relatives à la mise à pied ne sont pasapplicables au contrat à durée déterminée en vertu du deuxième paragraphe del’article 82.1 de la Loi sur les normes du travail : BRIÈRE, MORIN et al., ibid.,par. II-160. Cette disposition prévoit que l’article 82 ne s’applique pas à l’égardd’un salarié « dont le contrat pour une durée déterminée ou pour une entreprisedéterminée expire ». Une lecture littérale de cette disposition suggère plutôt quel’article 82 ne trouve pas application lorsque le contrat à durée déterminée vient àéchéance et non pas lorsque l’employeur met à pied un salarié.

47. Marcotte, supra, note 34.48. À ce sujet, consultez la partie V.49. L’article 82(3) de la Loi sur les normes du travail prévoit qu’un avis de cessation

d’emploi donné à un salarié alors qu’il est en mise à pied est nul de nullité absolue,sauf dans le cas d’un emploi dont la durée n’excède habituellement pas six mois àchaque année en raison de l’influence des saisons. En conséquence, un employeurqui désire mettre un terme à l’emploi d’un salarié mis à pied doit lui verser uneindemnité compensatrice tenant lieu de l’avis de cessation d’emploi. À ce sujet,voir notamment : BÉLIVEAU, supra, note 42, p. 369-70.

pourrait s’assimiler à une pratique interdite visant à éluder l’appli-cation de la Loi sur les normes du travail (art. 122, par. 5). Dans cer-taines circonstances, il demeure toutefois possible qu’un employeurpuisse imposer de telles mises à pied récurrentes pour des motifs éco-nomiques bien réels. Comment pourrait-on croire que le législateurait voulu que la Loi sur les normes du travail autorise la survie ducontrat de travail malgré l’imposition de mises à pied récurrentes ?

Enfin, le quatrième alinéa de l’article 82 prévoit que cette dispo-sition « n’a pas pour effet de priver un salarié d’un droit qui lui estconféré par une autre loi ». Cette disposition est habituellementinvoquée en vue de permettre au salarié de réclamer une indemnitéplus importante en vertu de l’article 2091 C.c.Q.50. Nul ne contesteque l’article 82 ne fait qu’établir des normes minimales qui ne fontpas échec au droit du salarié d’exiger une indemnité plus généreuseen vertu du Code civil (art. 2091 C.c.Q.).

Les lois sur les normes du travail de certains territoires et pro-vinces canadiens prévoient qu’elles ne font pas échec au droit du sala-rié de se prévaloir d’une loi, d’une coutume ou d’une règle de commonlaw lui conférant un droit supérieur51. En outre, une certaine juris-prudence s’appuyant, selon le cas, sur ces dispositions, soutient que,nonobstant les règles relatives à la mise à pied consacrées dans leslois sur les normes du travail, un salarié peut se prévaloir de la règlede common law suivant laquelle une mise à pied s’assimile à uncongédiement déguisé, à moins qu’elle ne soit autorisée par un termeexplicite ou implicite du contrat de travail ou que le salarié n’y aitdonné son assentiment52.

À notre avis, le libellé du quatrième alinéa de l’article 82 de laLoi sur les normes du travail est suffisamment large pour soutenirqu’un salarié n’est pas privé de son droit d’alléguer qu’une mise à piedconstitue un congédiement déguisé en vertu des dispositions du Codecivil et ainsi réclamer une indemnité tenant lieu de délai de congé(art. 2091 C.c.Q.)53. Si cet article ne prive pas le salarié de son droit de

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 239

50. Cabiakman, supra, note 7, par. 40. Voir également : Fernand MORIN, Fragmentssur l’essentiel du droit de l’emploi, Montréal, Wilson & Lafleur, 2007, p. K.8.

51. À ce sujet, consultez la partie V.52. À ce sujet, consultez la partie VI.53. À cet égard, voir Georges AUDET, Robert BONHOMME et al., Le congédiement en

droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., vol. 1, Cowans-ville, Éditions Yvon Blais, 1991, par. 2.1.10, où les commentateurs font référenceà la modification législative du 1er janvier 1991 en vertu de laquelle le législateur

se prévaloir de l’article 2091 C.c.Q. pour obtenir une indemnité plusimportante en cas de cessation d’emploi, pourquoi le priverait-il deson droit d’alléguer que sa mise à pied constitue un congédiementdéguisé lui donnant droit à une telle indemnité, même en admettantque la Loi sur les normes du travail autorise une mise à piedinférieure à six mois ?

Cette conclusion nous apparaît d’autant plus valable qu’elle estcompatible avec l’arrêt Asphalte Desjardins de la Cour suprême favo-risant une interprétation concordante des dispositions du Code civilet de la Loi sur les normes du travail en matière de cessation d’emploi.Ajoutons que la note marginale du quatrième alinéa de l’article 82renvoie à la notion de « droits acquis ». Une telle expression n’est pasincompatible avec la sauvegarde du droit du salarié de se prévaloirdes dispositions du Code civil pour contester la validité de la mise àpied.

En conclusion, outre les règles contenues dans la Loi sur les nor-mes du travail, la Charte des droits et libertés de la personne54 réfèreégalement à l’expression « mise à pied ». En effet, elle interdit àl’employeur de faire preuve de discrimination dans le cadre d’unemise à pied (art. 16).

Partie IV : La jurisprudence au Québec

Le point de départ de notre analyse est la théorie du congédie-ment déguisé (section A). Nous discuterons ensuite de l’arrêt Cabiak-man de la Cour suprême (section B). Par la suite, nous examineronsla jurisprudence suivant laquelle une mise à pied constitue générale-ment une résiliation unilatérale du contrat de travail (section C) etpasserons en revue la jurisprudence soutenant la thèse opposée(section D). Nous terminerons avec une analyse de l’étendue del’obligation de mitigation du salarié mis à pied (art. 1479 C.c.Q.)(section E).

240 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

a supprimé l’expression « nonobstant l’article 1668 C.c. » de l’article 82 de la Loisur les normes du travail pour la substituer par l’actuel quatrième alinéa. À cetégard, ils font remarquer que : « [c]ette modification entraîne ainsi la reconnais-sance du droit d’un salarié de pouvoir bénéficier à la fois des dispositions des arti-cles 82 et suivants ainsi que de toute autre disposition législative, telles que cellesdes articles 2091 et suivants C.c.Q. et de l’article 124 de la Loi sur les normes dutravail, sur lequel nous reviendrons » [nos soulignements].

54. RLRQ, c. C-12.

A. La théorie du congédiement déguisé

On distingue souvent un « congédiement déguisé par induction »du « congédiement déguisé circonstanciel »55. Dans le premier cas, onréfère à des situations où, sans qu’il n’y ait eu de violation d’une dis-position particulière du contrat de travail, un employeur, de par demultiples moyens ou subterfuges, crée un environnement de travailsi toxique que la démission devient inéluctable pour le salarié56. Dansle second cas, on réfère à une modification unilatérale apportée parl’employeur aux conditions essentielles du contrat de travail57.

Le congédiement déguisé par induction trouve difficilementapplication en cas d’une véritable mise à pied. En conséquence, notreanalyse focalise sur le congédiement déguisé dit circonstanciel.

Dans son récent arrêt Potter c. Commission des services d’aidejuridique du Nouveau-Brunswick58 (« Potter »), la Cour suprême a raf-finé les critères d’analyse pour conclure à l’existence d’un congédie-ment déguisé découlant d’une modification du contrat de travail. Letribunal doit établir la violation d’une condition expresse ou tacite ducontrat. Pour conclure à une telle violation, deux conditions doiventêtre satisfaites.

Dans un premier temps, le tribunal doit apprécier objective-ment l’existence d’une violation du contrat. Il lui faut conclure àl’existence d’une modification unilatérale du contrat par l’employeurqui s’avère préjudiciable pour le salarié. En présence d’une stipula-tion expresse ou tacite du contrat autorisant la modification, ou encas de consentement du salarié à celle-ci, il n’existe aucune modifica-tion unilatérale permettant de conclure à l’existence d’un congédie-ment déguisé.

En fait, comme nous le rappelait la Cour suprême dans l’arrêtFarber c. Cie Trust Royal (« Farber ») :

l’employeur peut faire toutes les modifications à la situation deson employé qui lui sont permises par le contrat, notamment

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 241

55. DESMARAIS, supra, note 20, p. 332.56. Ibid. Voir également : Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nou-

veau-Brunswick, [2015] 1 R.C.S. 500, par. 42 [« Potter »].57. Ibid. Voir également : Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, par. 24 [« Far-

ber »] ; Potter, ibid., par. 32.58. Potter, ibid.

dans le cadre de son pouvoir de direction. D’ailleurs, ces modifi-cations à la situation de l’employé ne constitueront pas desmodifications du contrat de travail, mais bien des applicationsde ce dernier. Cette marge de manœuvre sera plus ou moinsgrande selon ce qui a été entendu entre les parties lors de la for-mation du contrat.59

[nos soulignements]

En principe, un contrat de travail peut autoriser un employeur àimposer des mises à pied sans que l’exercice raisonnable de cette pré-rogative contractuelle ne puisse s’assimiler à un congédiementdéguisé60.

Dans un second temps, une fois que la violation du contrat estobjectivement établie, le tribunal doit déterminer si la modificationest substantielle et se rapporte à une ou des conditions essentiellesdu contrat. Pour ce faire, il doit se demander si, au moment où lamodification unilatérale est apportée au contrat, « une personne rai-sonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, auraitconsidéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des condi-tions essentielles du contrat de travail »61. Il s’agit d’une analyse émi-nemment factuelle tenant compte, entre autres, de la compatibilitédes modifications avec la description des fonctions du salarié.

La Cour suprême nous rappelle qu’une : « violation mineure –celle qui ne pourrait être considérée comme ayant modifié substan-tiellement une condition essentielle du contrat – n’équivaut pas à uncongédiement déguisé »62. Ces propos de la Cour suprême sont unemanifestation du principe consacré à l’article 1604 C.c.Q. suivantlequel un manquement de peu d’importance à une obligation à exécu-tion successive ne justifie pas la résiliation d’un contrat, à moins qu’ilne revête un caractère répétitif.

En ce qui a trait à la question des dommages-intérêts, l’inten-tion de l’employeur n’est pas un facteur pertinent :

Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’employeur ait eul’intention de forcer son employé à quitter son emploi ou qu’il ait

242 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

59. Farber, supra, note 57, par. 25.60. Voir par analogie : Cabiakman, supra, note 7, par. 73.61. Farber, supra, note 57, par. 26.62. Potter, supra, note 56, par. 39.

été de mauvaise foi en modifiant de façon substantielle lesconditions essentielles du contrat de travail, pour que celui-cisoit résilié. Toutefois, si l’employeur était de mauvaise foi, celaaurait un impact sur les dommages à accorder à l’employé. Dansla présente affaire, il n’est nullement question de mauvaise foide la part de l’intimée, mais bien d’une réorganisation de lastructure hiérarchique de l’entreprise faite en toute bonnefoi. Ainsi, les seuls dommages en cause sont ceux de la natured’un délai-congé63.

Considérant le cadre analytique élaboré par la Cour suprême,voici les facteurs qui doivent être présents pour conclure qu’une miseà pied constitue un congédiement déguisé :

1) L’existence d’une modification unilatérale constituant une viola-tion objective du contrat de travail préjudiciable pour le salarié.Une mise à pied qui serait autorisée par un terme explicite ouimplicite du contrat de travail, la loi ou à laquelle le salarié adonné son assentiment explicite ou tacite ne donne pas lieu à uncongédiement déguisé.

2) La modification doit être substantielle et se rapporter à desconditions essentielles du contrat de travail à la lumière du cri-tère de la personne raisonnable placée dans les mêmes circons-tances que le salarié mis à pied. Si la mise à pied constitue unmanquement de peu d’importance, elle pourra difficilement équi-valoir à un congédiement déguisé (art. 1604 C.c.Q.).

B. La suspension unilatérale du contrat de travailet l’arrêt Cabiakman

D’entrée de jeu, il faut signaler que, tout comme dans l’arrêtPotter64, la Cour suprême a été catégorique dans son arrêt Cabiak-man : son pourvoi ne visait pas la mise à pied pour motif écono-mique65.

Dans cette dernière affaire, le salarié, un directeur des venteschez Industrielle-Alliance, une compagnie d’assurance, a été sus-pendu sans solde à la suite d’accusations criminelles de tentative

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 243

63. Farber, supra, note 57, par. 27.64. Potter, supra, note 56, par. 68.65. Cabiakman, supra, note 7, par. 33.

d’extorsion à l’encontre de son courtier en valeurs mobilières. Laquestion à laquelle devait répondre la Cour suprême était de savoir siun employeur possède un pouvoir d’imposer unilatéralement unesuspension à un salarié visé par des accusations criminelles pour desmotifs administratifs rattachés à l’intérêt de l’entreprise.

Tout en gardant à l’esprit que la Cour suprême n’avait pasl’intention de déterminer si une mise à pied équivaut à une ruptureunilatérale du contrat de travail, nous énumérons ci-dessous les prin-cipaux éléments qui ressortent de cet arrêt et qui sont pertinentspour les fins de notre étude :

• La Cour suprême y exprime l’avis que la « notion même d’un pou-voir de suspension unilatéral de l’exécution des prestations synal-lagmatiques d’un contrat se concilie d’ailleurs mal avec la théorieclassique des obligations »66.

• La Loi sur les normes du travail ne définit pas l’assise juridiquejustifiant une mise à pied, laquelle trouve une consécration législa-tive, au moins partielle, aux articles 82 et suivants. Toutefois, auparagraphe 40 de sa décision, la Cour suprême semble reconnaîtreque seules les mises à pied de six mois ou plus sont encadrées par laLoi sur les normes du travail.

• Au paragraphe 39 de sa décision, la Cour suprême nous rappelleque la mise à pied ne constitue pas, en principe, une rupture ducontrat de travail. Elle a d’ailleurs reconnu l’existence de ce pou-voir dans le cadre d’une convention collective, sans toutefois enexpliciter les fondements juridiques67. Ces motifs sont trop laconi-ques pour y voir une reconnaissance du droit de l’employeur demettre à pied un salarié non syndiqué. Premièrement, la Coursuprême ne précise pas si cet énoncé s’applique aux rapports indi-viduels du travail. Deuxièmement, elle est tout aussi silencieusequant à savoir si cet énoncé vise les mises à pied de moins ou deplus de six mois aux fins de la Loi sur les normes du travail et s’ilest valable dans les cas où cette loi ne trouve pas application.

• La Cour suprême fait référence aux arrêts Laurier Auto inc. c.Paquet68 et Thomas c. Surveyer, Nenniger & Chênevert69 où la

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66. Ibid., par. 31.67. Air-Care Ltd. c. United Steel Workers of America, [1976] 1 R.C.S. 2.68. Laurier Auto, supra, note 7.69. (1989) 34 Q.A.C. 61, EYB 1989-63188 [« Surveyer »].

Cour d’appel du Québec a adopté des positions diamétralementopposées en ce qui a trait à la survie du contrat de travail à unemise à pied. Elle écrit que : « [c]es décisions contradictoires ne sontpertinentes dans l’unique mesure où elles portent sur des cas oùl’employeur suspend l’exécution des prestations corrélatives maisn’entend nullement rompre le lien d’emploi »70. Avec la plus hautedéférence, nous voyons mal en quoi l’intention de l’employeur derompre ou non le lien d’emploi peut s’avérer un facteur pertinentpour déterminer si une mise à pied équivaut à un congédiementdéguisé. Dans l’arrêt Farber, la Cour suprême a elle-même mis àl’écart l’intention comme facteur pertinent dans l’analyse relativeà la théorie du congédiement déguisé.

• En principe, une suspension administrative n’a pas pour corollairele droit de suspension du salaire :

60. [...] L’employeur ne peut se dégager unilatéralement, sansautre cause, de l’obligation de payer le salaire de l’employé s’ilprive ce dernier de la possibilité d’exécuter sa prestation.

61. L’employeur peut toujours renoncer à son droit de recevoir laprestation du salarié mais il ne peut se soustraire à son obliga-tion de payer le salaire lorsque le salarié demeure disponiblepour accomplir un travail dont l’exécution lui est refusée. Enchoisissant de ne pas mettre un terme au contrat de travail avecles compensations afférentes, fixées selon les principes applica-bles, l’employeur demeure en principe tenu de respecter ses pro-pres obligations réciproques même s’il n’exige pas la prestationde travail de l’employé.71

Ainsi, nous sommes d’avis que, à plus forte raison, il faut de soli-des fondements juridiques pour justifier qu’un employeur puisse nonseulement cesser de fournir du travail à un salarié, mais égalementfaire défaut de lui verser sa rémunération. Pour la Cour suprême, unsalarié qui se voit imposer une suspension administrative sans soldepeut, en général, considérer cette mesure comme un congédiementdéguisé :

72. [...] En effet, dans un cas pareil, l’employeur déroge à sesobligations de fournir le travail et de rémunérer le salarié

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 245

70. Cabiakman, supra, note 7, par. 52.71. Ibid., par. 60-61.

conformément à l’art. 2087 C.c.Q. En application de l’art. 1605C.c.Q., le salarié pourra constater la rupture du contrat et inten-ter un recours en dommages-intérêts sur la base de l’art. 2091 etdes principes applicables en la matière en vue de réclamerl’équivalent de l’indemnité de départ à laquelle il avait droit.(Voir Columbia Builders Supplies Co. c. Bartlett, [1967] B.R.111, p. 119-120 ; Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1R.C.S. 986 ; Wallace, précité).72

En conséquence, comment pouvons-nous justifier qu’une mise àpied, laquelle découle de facteurs exogènes au salarié, à l’opposéd’une suspension administrative similaire à celle étudiée dansl’arrêt Cabiakman qui trouve son origine d’un acte reproché ausalarié, puisse être valide alors qu’une suspension administra-tive sans solde est généralement considérée comme un congédie-ment déguisé ? À notre avis, il faut être en mesure de trouver unesolide assise juridique pour justifier qu’une mise à pied ne soitpas assimilée à un congédiement déguisé. Or, à moins de découlerd’un terme explicite ou implicite du contrat de travail ou duconsentement du salarié, une telle assise juridique est inexis-tante en vertu du Code civil.

• Tout en reconnaissant que le pouvoir résiduel de suspendre pourdes motifs administratifs en raison d’actes reprochés au salariéfait partie intégrante de tout contrat de travail, la Cour suprême aassujetti son exercice aux quatre conditions suivantes : (1) lamesure prise doit être nécessaire pour protéger les intérêts légiti-mes de l’entreprise ; (2) la bonne foi et le devoir d’agir équitable-ment doivent guider l’employeur dans sa décision d’imposer unesuspension administrative ; (3) l’interruption provisoire de la pres-tation du salarié doit être prévue pour une durée relativementcourte, déterminée ou déterminable, faute de quoi elle se distin-guerait mal d’une résiliation ou d’un congédiement pur et simple et(4) la suspension est en principe imposée avec solde, sous réservede cas exceptionnels.

• La Cour reconnaît que, dès la formation du contrat de travail, il estpossible que l’employeur jouisse du droit d’imposer une mise à piedà ses salariés en raison de la nature même du travail effectué (art.1434 C.c.Q.). C’est notamment le cas des mises à pied découlant du

246 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

72. Ibid., par. 72.

caractère intermittent ou saisonnier du travail, implicitementreconnu au troisième alinéa de l’article 82 de la Loi sur les normesdu travail.

• Sous réserve de l’ordre public et des dispositions impératives de laloi, la flexibilité et la malléabilité du contrat de travail comme ins-trument d’encadrement de la relation d’emploi permettent auxparties de convenir de dispositions encadrant le droit de l’em-ployeur de suspendre temporairement le contrat. En conséquence,il est loisible aux parties de s’entendre sur des dispositions autori-sant l’employeur d’imposer une mise à pied et d’en moduler l’exer-cice, notamment en ce qui a trait à sa durée et au droit de rappel.

Les éléments que nous venons de faire ressortir de l’arrêtCabiakman nous guideront dans notre analyse. En fait, ils sont, enquelque sorte, la source qui l’irrigue.

C. La mise à pied constitue une résiliation unilatérale ducontrat de travail

Certains commentateurs sont d’avis que, en principe, une miseà pied entraîne la rupture du contrat individuel de travail73. Seloncette école de pensée, l’employeur qui procède à une mise à piedenfreint de manière continue son obligation de permettre l’exécutionde la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée(art. 2087 C.c.Q.). En conséquence, le salarié est en droit de considé-rer que son contrat de travail est rompu et de réclamer l’indemnité àlaquelle il a droit en vertu des articles 2091 C.c.Q. et / ou 82 de la Loisur les normes du travail, selon le cas.

À cet égard, la juge Bich, alors professeure de droit, articule cepoint de vue en ces termes :

38. L’article 2087 C.c.Q. soulève toutefois une question que posedéjà le droit actuel : dans la mesure où l’employeur a l’obligationde permettre l’exécution de la prestation et donc celle de fournirle travail convenu, peut-il mettre un salarié à pied sans rompreipso facto le contrat ? [...]

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 247

73. Voir notamment : GAGNON, supra, note 16, par. 138 ; AUST & AUST, supra,note 41, p. 379 ; BICH, supra, note 16, p. 757-59 ; BRIÈRE, MORIN et al., supra,note 45, p. II-162.

40. L’application textuelle des dispositions du Code civil duBas-Canada en matière d’exécution des contrats devrait nousconvaincre que la mise à pied engendre toujours la rupture défi-nitive du contrat, pour cause d’inexécution. À cela, deux excep-tions toutefois : celle où le salarié accepte implicitement ouexplicitement la mise à pied et celle des mises à pied saisonniè-res (liées à la nature de l’entreprise), ces dernières étant pourainsi dire intégrées aux conditions d’emploi elles-mêmes. Dansles autres cas, l’employeur qui met à pied un salarié déroge à sonobligation de fournir le travail et d’en permettre l’exécution. Lecontrat peut-il survivre à une telle dérogation ? En principe, laréponse devrait être négative, soit à titre de sanction de l’inexé-cution aux termes de l’article 1065 C.c.B.-C. soit parce qu’un telacte équivaut à la résiliation unilatérale du contrat. [...]

43. Certainement, l’employeur qui met formellement à pied unsalarié lui indique clairement qu’il n’entend pas exécuter sonobligation, pendant un certain temps ; par ailleurs, lorsque lamise à pied prend effet, quelle qu’ait été la façon de l’annoncer,elle équivaut à refus répété d’exécuter une des obligationsconsacrées par l’article 2087 C.c.Q. En pareil cas, le salariépourrait donc à juste titre considérer que le contrat, en applica-tion de l’article 1605 C.c.Q., est rompu. Ceci n’empêcherait pasle salarié de consentir à la mise à pied, implicitement ou explici-tement, engendrant ainsi une suspension mutuelle du contrat,ce que les parties peuvent toujours faire.74

Ainsi, et ceci n’est pas source de polémique, une mise à piedn’équivaut pas à un congédiement déguisé lorsque le salarié yconsent explicitement ou tacitement75 ou lorsqu’elle découle d’unecondition implicite faisant partie du contrat de travail, notammentune pratique découlant du caractère intermittent ou saisonnier dutravail (art. 1434 C.c.Q.)76. En outre, sous réserve de l’ordre public etdes dispositions impératives de la loi, une mise à pied qui est imposée

248 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

74. BICH, ibid., p. 757-59.75. Ce qui est notamment le cas lorsque le salarié ne manifeste pas promptement son

désaccord à l’égard de la mise à pied qui lui a été imposée. Ainsi, un salarié quidésire se prévaloir de son droit d’alléguer que sa mise à pied équivaut à un congé-diement déguisé se doit de communiquer rapidement son opposition à sonemployeur.

76. Voir notamment : BRIÈRE, MORIN et al., supra, note 45, p. II-162 ; AUST &AUST, supra, note 41, p. 379 ; GAGNON, supra, note 16, par. 138. Voir égale-ment : Sabourin c. Pavages Dorval Inc., D.T.E. 86T-108, AZ-86141018 (T.A.)[« Pavages Dorval »] (une mise à pied saisonnière ne rompt pas le lien d’emploi).

en application des stipulations contenues au contrat de travail estvalide et n’entraîne pas, en principe, sa rupture77. L’employeur nepeut évidemment pas abuser de son droit contractuel (art. 6, 7 et 1375C.c.Q.).

Les tenants de la thèse suivant laquelle une mise à pied équi-vaut généralement à un congédiement déguisé peuvent invoquer unarrêt de la Cour d’appel au soutien de leur position. Il s’agit de l’arrêtSurveyer, Nenniger & Chênevert c. Thomas78.

Dans cette affaire, un ingénieur est informé le 4 février 1983 desa mise à pied temporaire en raison des difficultés économiques aux-quelles est confronté son employeur. La durée de sa mise à pied est dequatre mois (du 7 février au 8 juin 1983). Par la voix de ses procu-reurs, le salarié manifeste immédiatement son opposition à cettemesure qu’il assimile à un congédiement. À défaut d’une entente, ilinforme aussi son employeur qu’il sera contraint de déposer uneplainte à l’encontre d’un congédiement fait sans une cause juste etsuffisante en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail,ce qu’il fit le 3 mars 1983.

Avant le dépôt de sa plainte, l’employeur l’avait rappelé au tra-vail en date du 28 février pour une période s’échelonnant du 5 au30 mars. Le salarié avait accepté de retourner au travail, sous réserveet sans préjudice de ses droits et réclamations à l’égard de sonemployeur, y compris de son droit de déposer une plainte en vertu dela Loi sur les normes du travail. Par la suite, l’employeur a prolongé àquelques reprises la mise à pied. Ce n’est que le 16 novembre que lesalarié a été rappelé au travail pour accomplir un important projetd’ingénierie. Toutefois, le salarié s’est entre-temps trouvé un nouvelemploi et il a refusé de retourner au travail. Ainsi, sauf pour unebrève période de travail entre les 5 et 30 mars, la mise à pied s’est pro-longée sur une période d’environ neuf mois.

L’arbitre de griefs saisi de la plainte de congédiement déposéeen vertu de la Loi sur les normes du travail l’a rejetée au motif qu’elleétait prématurée79. Tout en statuant qu’il ne lui appartenait pas dedéterminer si l’employeur était en droit d’imposer une mise à piedtemporaire et de cesser de rémunérer le salarié, l’arbitre a considéré

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 249

77. AUST & AUST, ibid., p. 855. Voir également : Surveyer, supra, note 69, par. 11.78. Surveyer, ibid.79. Thomas et Surveyer, Nenniger & Chenevert Inc., D.T.E. 83T-957 (T.A.).

que le contrat de travail n’avait pas été résilié et que la mise à piedn’était pas un prétexte pour se débarrasser du salarié. S’appuyantsur la notion de service continu, l’arbitre a déterminé que le contratde travail n’est pas résilié par la simple interruption de l’exécution dutravail et qu’un congédiement sous-entend nécessairement sarésiliation.

La Cour supérieure a accueilli le recours du salarié visant àobtenir une indemnité tenant lieu de délai de congé au motif qu’unemise à pied, même temporaire, équivaut à un congédiement80. LaCour d’appel, sous la plume du juge Bernier, a confirmé la décision dujuge de première instance, notamment pour les motifs suivants :

7. Disposant tout d’abord de l’appel principal, le premier descinq moyens est que le juge de première instance aurait erré endroit en décidant qu’« une mise à pied temporaire n’est pas autrechose qu’un congédiement ».

8. En utilisant le mot « licenciement » au lieu de « congédie-ment », (Donohue Inc. c. Simard et Larocque [1988] R.J.Q.211827 Q.A.C. 304), je suis tout à fait d’accord.

11. Le Code civil ne reconnaît pas à une partie le droit de sus-pendre temporairement l’effet du contrat, ce qui est le cas de lamise à pied temporaire. L’employeur n’aura ce droit que si lecontrat d’emploi le prévoit ou si l’employé y consent. En l’espèce,le contrat d’emploi ne comporte aucune telle clause et, commevu précédemment, l’intimé n’y a jamais consenti.

12. Le refus de l’employeur de permettre à l’employé de fournirses services et la cessation du paiement du salaire constituentune résiliation unilatérale, un licenciement sans préavis. Sepose alors la question de la responsabilité de l’employeur endommages-intérêts pour licenciement intempestif.81

[nos soulignements]

La Cour d’appel ne traite pas de la question à savoir si les dispo-sitions de la Loi sur les normes du travail relatives à la mise à piedpeuvent constituer un fondement juridique suffisant pour justifierl’existence d’un pouvoir de l’employeur de mettre à pied un salarié.

250 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

80. Thomas c. Surveyer, Nenniger & Chenevert Inc., D.T.E. 85T-192 (C.S.).81. Surveyer, supra, note 69, par. 7-8, 11-12.

À cette époque, l’article 82 de la Loi sur les normes du travail selisait ainsi :

Malgré l’article 1668 du Code civil et sauf dans le cas d’un con-trat à durée déterminée ou pour une entreprise déterminée,un salarié qui justifie chez le même employeur d’au moinstrois mois de service continu a droit à un préavis écrit avant sonlicenciement ou sa mise à pied pour au moins six mois.

Ce préavis est d’une semaine si le salarié justifie de moins d’unan de service continu, de deux semaines s’il justifie d’un an àcinq ans de service continu, de quatre semaines s’il justifie decinq à dix ans de service continu et de huit semaines s’il justifiede dix ans de service continu ou plus.

Le présent article ne s’applique pas dans le cas des cadres.[nos soulignements]

À notre avis, en concluant que le droit civil n’autorise pas la miseà pied temporaire, à moins que le contrat d’emploi ne le prévoie ouque le salarié n’y consente, la Cour d’appel a reconnu, du moins tacite-ment, que la Loi sur les normes du travail ne constitue pas une assisejuridique suffisante pour justifier que l’employeur puisse se prévaloird’un tel pouvoir exorbitant du droit commun. Toutefois, force estd’admettre qu’il aurait été souhaitable que la Cour d’appel se pro-nonce sur l’existence potentielle d’un pouvoir de mettre à pied pourune période inférieure ou supérieure à six mois en vertu des disposi-tions pertinentes de la Loi sur les normes du travail.

Plus récemment, dans l’affaire Floyd c. Escher Grad inc.82, laCour supérieure a conclu que la mise à pied d’un salarié faisant partiede la haute direction d’une entreprise s’assimilait à un congédiementdéguisé.

Dans cette affaire, l’employeur a avisé le salarié qu’il devait lemettre à pied pour une durée indéterminée. Au moment de cetteannonce, l’employeur l’a également informé qu’il ne pouvait pas luiverser le salaire, les commissions et les remboursements de dépensesimpayées à ce jour en raison de la précarité financière dans laquelle

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 251

82. Floyd c. Escher Grad inc., 2012 QCCS 5672 [« Floyd »], requête en rejet d’appelaccueillie, 2013 QCCA 281. Voir au même effet : Ranger et Bureau d’expertise desassureurs ltée, [2001] R.J.D.T. 1911, D.T.E. 2001T-115 (C.T.).

se trouvait l’entreprise. Quelques jours plus tard, l’employeur a offi-cialisé la situation en remettant au salarié une lettre de mise à pieddans laquelle il l’a informé que, s’il n’était pas rappelé au travail d’icisix mois, son emploi prendrait fin conformément à la loi. À quelquesreprises, l’employeur a invité le salarié à communiquer avec lui afinde discuter de la question de la rémunération impayée. Toutes lestentatives du salarié en vue d’obtenir le paiement des sommes qui luiétaient dues se sont pourtant avérées infructueuses.

S’appuyant sur la théorie du congédiement déguisé telle qu’ex-plicitée par la Cour suprême dans l’arrêt Farber, la Cour supérieure aécrit :

[64] Applying these principles to the present case, it appearsclear that the employer Escher, in April 2009, made unilateraland unexpected changes to the employment contract enteredinto with Plaintiff without his consent, suspending him withoutpay and even failing to remit to him unpaid salary, severance,vacation pay, expenses and commissions, thereby contraveningits obligations to Plaintiff pursuant to CCQ.

[65] To use the terminology of the Supreme Court in Farber, areasonable person in the same situation as Mr. Floyd, wouldhave eventually realized, as he did, that he was being perma-nently terminated rather than temporarily laid off, especiallyonce his calls to Mr. Khalid were not returned, as essentialterms of his employment contract (duties and responsibilities,pay, expense reimbursement, commissions etc.) had been sub-stantially and unilaterally changed by his employer without hisconsent.

[66] Nevertheless, although the Court finds that Mr. Floyd wasconstructively dismissed in April 2009, it is also clear that hedid not realize or acknowledge his constructive dismissal untilsome weeks later. In fact, it appears that he initially accepted orrather hoped that his layoff might indeed be « temporary ».

[67] However, ensuing events brought Plaintiff to the realiza-tion that he had been terminated – in particular, once his backsalary was not paid and his calls were not returned. It is at thispoint, several weeks later, that Mr. Floyd realized that he was

252 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

constructively dismissed and began servicing former Escher cli-ents, to the knowledge of Mr. Khalid and with his approval.

[68] In other words, in the language of the Farber decision citedabove, Plaintiff was constructively dismissed in April 2009,even though he only realized that he had been dismissed someweeks later, when he effectively « resigned » from the Companyas a result.83

[nos soulignements]

La Cour supérieure reconnaît que le salarié a consenti, du moinstacitement, à sa mise à pied dans la mesure où il la croyait tempo-raire. Néanmoins, considérant le comportement inapproprié del’employeur, le salarié a finalement réalisé que son avenir au sein dela compagnie était compromis et que sa mise à pied n’était riend’autre qu’une cessation d’emploi permanente.

Pour résumer, dans cette affaire, la mise à pied constituait uncongédiement déguisé dès son annonce au salarié. Toutefois, cettesituation juridique s’est cristallisée ultérieurement lorsque, aprèsavoir consenti à la mise à pied qui se voulait temporaire, le salarié aréalisé que son employeur n’avait aucune intention de le rappeler autravail.

En dehors du contexte des dispositions de la Loi sur les normesdu travail relatives à la mise à pied (art. 82 et s.) ou du recours àl’encontre d’un congédiement fait sans une cause juste et suffisante(art. 124 et s.), plusieurs décisions des tribunaux civils confirmentqu’un employeur ne peut invoquer une mise à pied à titre de prétextepour camoufler une véritable cessation d’emploi84. Cependant, lestribunaux ne se sont pas prononcés clairement sur l’existence d’unpouvoir de l’employeur de mettre à pied un salarié ou semblent mêmeen reconnaître l’existence, tout en précisant qu’il ne peut être exercéde manière déraisonnable, de mauvaise foi ou à titre de subterfugepour éclipser un congédiement.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 253

83. Floyd, ibid., par. 64-68.84. Voir notamment : Gosselin c. Gestion CBCC inc., 2006 QCCQ 1736 ; Entreprises de

pipe-line Universel ltée c. Prévost, D.T.E. 88T-549, EYB 1988-62959 (C.A.)[« Entreprises de pipe-line »] ; Caron c. Gillette Canada, D.T.E. 87T-756, EYB1987-78790 (C.S.) [« Gillette Canada »].

La jurisprudence de l’organisme prédécesseur du Tribunaladministratif du travail (« TAT »), la Commission des relations dutravail (« CRT »), est riche en décisions traitant de la recevabilitéd’une plainte déposée en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normesdu travail dans le contexte d’une mise à pied.

Cet article institue le recours à l’encontre d’un congédiementfait sans une cause juste et suffisante. Pour saisir le TAT d’un telrecours, le plaignant doit faire la preuve qu’il est un salarié au sens dela Loi sur les normes du travail, qu’il justifie au moins de deux ans deservice continu dans une même entreprise, qu’il y a eu terminaisond’emploi, que sa plainte a été déposée dans les 45 jours suivant soncongédiement et qu’il ne bénéficie d’aucune procédure de réparation,outre un recours en dommages-intérêts, équivalant à ce recours.

Le TAT n’a pas juridiction pour se saisir d’une plainte déposéeen vertu de l’article 124 lorsque la fin d’emploi constitue un licencie-ment, c’est-à-dire une rupture du lien d’emploi découlant de facteursexogènes au salarié tels qu’une situation économique ou financièredifficile ou une réorganisation administrative85.

De l’avis de plusieurs juges administratifs, une véritable mise àpied ne constitue pas une fin d’emploi et ne peut s’assimiler à uncongédiement au sens de l’article 124 de la Loi sur les normes dutravail86. S’inspirant du test élaboré par la Cour d’appel dans l’arrêt

254 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

85. BÉLIVEAU, supra, note 42, p. 571-85.86. Voir notamment : MacDonald et Éclairage Unilight ltée, D.T.E. 2007T-284, 2007

QCCRT 0086 [« MacDonald « ] ; Bourgouin c. Bodycote essais de matériauxCanada inc., 2005 QCCRT 0081 [« Bodycote »] ; Santo c. Met-Chem Canada inc.,C.R.T. no CM-2000-5678, 17 décembre 2003, non rapportée [« Met-Chem »] ;Bourque c. Développement Cyrex inc., C.R.T., no CQ-1011-4584, 19 juin 2003, com-missaire R. Barrette, non rapportée [« Bourque »]. Voir également les décisionssuivantes qui, en s’appuyant notamment sur les articles 82 et suivants de la Loisur les normes du travail, concluent qu’une mise à pied n’entraîne pas la rupturedu contrat de travail et n’interrompt pas le service continu, selon le cas : Djemaï etClôtures Bénor inc., [2001] R.J.D.T. 1900, D.T.E. 2001T-1130 (C.T.) [« ClôturesBénor »] ; Commission des normes du travail c. Lumilec inc., D.T.E. 97T-244,AZ-97039010 (C.Q. civ.) [« Lumilec »] ; Commission des normes du travail c. Indus-tries Hancan inc., D.T.E 95T-221, AZ-95039007 (C.Q. civ.) [« Industries Han-can »] ; Langis et Garderie populaire Champagneur inc., D.T.E. 92T-838,AZ-92144507 (C.T.) [« Garderie populaire »] ; Labanowska c. Grands MagasinsTowers Inc., EYB 1991-75871 (C.Q.) [« Grands Magasins »] ; Internote Canada c.Commission des normes du travail, [1989] R.J.Q. 2997, EYB 1989-63161 (C.A.)[« Internote »] ; Le Syndicat de la boîte de carton de Québec Inc. (CSN) c. Les Car-tonniers Standard ltée et Laurent Bélanger, C.A. Québec, no 200-09-000368-792[« Cartonniers Standard »] ; Raymond et Landry Automobile ltée, D.T.E. 92T-372,AZ-92143009, p. 5 (T.A.) [« Landry Automobile »] (l’arbitre indique qu’il est

Donohue c. Simard87, les juges administratifs apprécient la véracitédu motif économique ou organisationnel invoqué pour justifier lamise à pied et les critères de sélection choisis pour déterminer quelsalarié sera visé par cette mesure en vue d’établir si la mise à pied estvéritable ou constitue plutôt un congédiement déguisé88. L’ancien-neté est un facteur parmi tant d’autres soupesés par les juges89. Àdéfaut d’autres critères, ce facteur est retenu « comme signe d’objec-tivité en présumant qu’une personne ayant plus d’expérience peutêtre plus utile à l’entreprise »90.

Dans la mesure où une preuve prépondérante corrobore lecaractère réel des motifs invoqués au soutien de la mise à pied, que lescritères de sélection retenus sont objectifs et impartiaux, que le con-trat de travail du salarié n’a pas été rompu et que le salarié a uneexpectative d’être rappelé au travail, le juge doit, en principe, pronon-cer l’irrecevabilité de la plainte91. À défaut de ce faire, il commet uneerreur juridictionnelle92.

En revanche, lorsque la preuve administrée démontre que lamise à pied ne repose pas sur des motifs réels ou que la sélection dusalarié mis à pied a été faite de mauvaise foi, avec partialité ou demanière discriminatoire, le juge peut se saisir de la plainte au motifque cette mesure n’est qu’un prétexte camouflant un congédiement93.En outre, dans certaines circonstances, la décision de l’employeur dene pas rappeler un salarié mis à pied peut équivaloir à un congédie-ment94.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 255

d’accord avec l’opinion du juge Lechevalier dans l’arrêt Internote de la Courd’appel suivant laquelle la mise à pied ne constitue pas à elle seule une résiliationdu contrat de travail) ; Groupe Purdel Inc. : division des produits de la mer etDupuis-Cloutier, [1987] T.A. 529, AZ-87143051 (T.A.) [« Groupe Purdel »] ; Ate-liers Roland Gingras Inc. et Desroches, [1987] T.A. 600, AZ-87143064 (T.A.) [« Ate-liers Roland Gingras »] ; Stadacona, supra, note 41.

87. [1988] R.J.Q. 2118 (C.A.).88. Dans le cadre de cette jurisprudence, la notion de congédiement déguisé ne réfère

pas en soi à une modification substantielle des conditions essentielles du contratde travail, mais plutôt à une situation où les motifs allégués par l’employeur ausoutien de la mise à pied sont un prétexte pour se débarrasser d’un salarié enparticulier.

89. MacDonald, supra, note 86, par. 36.90. Ibid.91. Bourque, supra, note 86.92. Ibid.93. Voir notamment : Scarpone c. Les instruments de musique Efkay ltée, 2010

QCCRT 0453 ; Boucher et Pliages Apaulo inc., D.T.E. 96T-148, AZ-96144508(C.T.).

94. Voir notamment : Nieto et Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce,section locale 501 (TUAC), 2008 QCCRT 0432, D.T.E. 2008T-858 ; Fournier et

Comme nous l’expliquerons plus loin, nous sommes d’avis quecette jurisprudence des juges administratifs de la CRT n’altère enrien le bien-fondé de notre position. En outre, même si un juge admi-nistratif conclut que le contrat de travail d’un salarié a été rompu à lasuite d’une véritable mise à pied, il doit, selon nous, décliner compé-tence puisqu’il s’agit d’une cessation d’emploi s’assimilant à unlicenciement.

D. Le contrat de travail survit à la mise à pied

La décision phare de ce courant jurisprudentiel est l’arrêt Lau-rier Auto inc. c. Paquet95 de la Cour d’appel. Dans cette affaire,l’employeur a remis un avis de mise à pied temporaire à durée indé-terminée à l’un de ses salariés. L’avis indiquait que l’employeur lerappellerait lorsque le volume de travail le justifierait. Près deneuf mois plus tard, le salarié a été rappelé au travail. Ce dernier aposé comme condition à son retour au travail que son employeur luigarantisse au minimum une année de travail continu. L’employeur arefusé cette condition. Le salarié a alors fait connaître son refus derevenir au travail, ce qu’il a confirmé par le biais de ses procureursquelques jours plus tard.

Le juge de première instance a conclu à un congédiement96,mais la Cour d’appel a infirmé sa décision. Dans ses motifs, auxquelssouscrit le juge Kaufman, la juge Dubé a conclu qu’une mise à piedn’entraîne pas la rupture du contrat de travail. En l’espèce, c’est ladémission du salarié qui a constitué le point de rupture de la relationd’emploi. À cet égard, la juge Dubé s’est exprimée comme suit :

12. Or, en l’espèce, quoique je sois d’accord avec le premier jugesur sa façon de régler un congédiement, je ne suis pas d’avis quela lettre du 14 août 1981 dont le contenu fut cité ci-dessus, ait eupour effet de mettre un terme au contrat de travail existantentre M. Paquet et Laurier Auto Inc. L’intimé Paquet n’a pas

256 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

¸Corporation de développement de la rivière Madeleine, 2007 QCCRT 0319 (l’em-ployeur ne s’est pas présenté à l’audience pour justifier sa décision de ne pas rap-peler la salariée) ; Boucher et Pliages Apaulo inc., D.T.E. 96T-148, AZ-96144508(C.T.) ; Émond et La Malbaie (Ville de), D.T.E. 92T-1874, AZ-92143003 (T.A.) ;Lamy c. Kraft limitée, D.T.E. 91T-49, EYB 1990-63552 (C.A.) ; Boyer c. HewittEquipment ltée, [1988] R.J.Q. 2112 (C.A.), EYB 1988-62911 (C.A.).

95. Supra, note 7.96. Paquet c. Laurier auto inc., J.E. 85-77, EYB 1984-142848 (C.S.).

fait l’objet, au mois d’août 1981, d’un congédiement mais plutôtd’une mise à pied qui n’a pas rompu le lien d’emploi entre lesparties, et ce lien, s’il a été brisé, ce n’est qu’à partir du 10 mai1982, date à laquelle l’intimé a remis à l’appelante sa démission.Cette Cour, dans l’affaire United Last Co. c. Tribunal du Tra-vail, [1973] R.D.T. 423 à la page 436 :

Ce n’est pas d’une simple mise à pied dont Adamowicz seplaint mais du fait qu’il a été renvoyé définitivement. Nonseulement Adamowicz était-il un salarié lorsqu’il a été mis àpied mais il a gardé cette qualité, pour les fins particulièreset spéciales de l’application des articles 14, 15 et 16 c.t. jus-qu’au moment où l’appelante lui a fait savoir qu’elle trans-formait sa décision de la suspendre temporairement à caused’un manque d’ouvrage en un congédiement parce qu’il cau-sait du trouble et qu’il parlait trop de syndicat.

13. Pour ces considérations, avec respect, je suis d’opinion que lejuge de première instance aurait dû rejeter la demande de M.Paquet.

14. L’intimé soutient dans son mémoire que la lettre du 14 août1981 doit nécessairement équivaloir à un avis de congédiementet non à un avis de mise à pied temporaire puisque le Code civildu Bas Canada, qui régit les rapports juridiques naissant d’uncontrat individuel de travail, ne contient aucune dispositionconcernant cette notion de mise à pied.

15. Je ne partage point cette opinion. Selon moi, notre droit dutravail admet clairement l’applicabilité de cette notion de miseà pied temporaire au contrat individuel de travail. Qu’il me suf-fise à ce propos de citer les articles 1 par. 12 et 82 de la Loi sur lesnormes du travail, L.R.Q. c. N-1.1, qui reconnaissent, en dehorsdu cadre d’une convention collective, l’existence de cette notion.[nos soulignements]

Dans ses motifs concordataires, le juge Tyndale fait une analysesuccincte qui se résume à une phrase :

Articles 1667 and following of the Civil Code of Lower Canadadealing with the contract of lease and hire of personal service donot specifically contemplate temporary suspension of such a

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 257

contract, or lay-off ; however, there is nothing to prevent a validagreement to that effect, and it is clear to me that such an agree-ment was made in this case.97

Avec la plus haute déférence, nous sommes d’avis que cet arrêtcomporte plusieurs lacunes et qu’il est loin de clore le débat.

Tout d’abord, la mise à pied dans cette affaire était à durée indé-terminée et s’est prolongée pendant près de neuf mois. En consé-quence, il est quelque peu expéditif de conclure que la loi autorise unemise à pied temporaire de plus de neuf mois alors que la version del’article 82 de la Loi sur les normes de travail en vigueur à cetteépoque prévoyait une obligation de fournir un préavis écrit en cas demise à pied de plus de six mois.

La Cour d’appel fait complètement abstraction de la questionvisant à savoir si la Loi sur les normes du travail permet effective-ment les mises à pied en matière de rapports individuels du travail etquel est l’impact d’une mise à pied de plus de six mois sur le contrat detravail. La juge Dubé se limite à affirmer que cette loi reconnaîtl’existence de la notion de « mise à pied ». Cependant, elle n’appro-fondit pas son raisonnement en vue de déterminer si la loi reconnaîtpour autant le pouvoir de mettre à pied. Chose certaine, la mise à pieddans cette affaire n’était pas temporaire et s’est prolongée durant unelongue période. Que l’employeur l’ait assortie d’une promesse de rap-pel est une chose ; que le contrat individuel de travail puisse survivreà une telle situation en est une autre.

En outre, le juge Tyndale semble valider la mise à pied non passur la base du raisonnement de la juge Dubé, mais plutôt sur le faitque le salarié y a consenti. Il aurait été souhaitable qu’il élabore sur labase factuelle justifiant cette conclusion. Néanmoins, ses motifs sug-gèrent que, contrairement à ses collègues, il ne semble pas considérerque l’employeur possède un pouvoir d’imposer une mise à pied à unsalarié non syndiqué.

Plus récemment, dans l’affaire Lang c. Groupe Lelys (FlexoExpress inc.)98, la Cour supérieure a dû se prononcer sur les répercus-sions d’une mise à pied sur un contrat individuel de travail ne com-

258 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

97. Laurier Auto, supra, note 7, par. 18.98. Supra, note 41.

portant aucun terme explicite ou implicite autorisant une tellemesure administrative.

Dans cette affaire, il n’existait aucun contrat de travail écrit. Lecontrat de travail verbal était à durée indéterminée. L’employeur areconnu qu’une lettre non-signée faisait état des conditions d’emploidu salarié. Cette lettre prévoyait notamment ce qui suit :

Flexo Express vous garantit un minimum de 35 heures de tra-vail par semaine. Les heures de travail excédant 40 heurespar semaine seront payées à temps et demi.[nos soulignements]

Le 5 janvier 2011, l’employeur a remis une lettre de mise à piedtemporaire au salarié. La lettre était silencieuse quant à la durée dela mise à pied, mais elle prévoyait que, à défaut d’être réintégré dansson poste après six mois, l’indemnité compensatrice prévue à la loi luiserait versée. Le 18 avril, croyant avoir fait l’objet d’un congédiementdéguisé, le salarié a transmis, par le biais de son procureur, une miseen demeure à son employeur lui réclamant une indemnité de find’emploi et des dommages-intérêts pour troubles et inconvénients.

La Cour supérieure a d’emblée donné raison à l’employeur quialléguait que le salarié n’avait pas fait l’objet d’un congédiementdéguisé le 5 janvier 2011. Pour la Cour, le salarié a fait l’objet d’unemise à pied temporaire et ce n’est qu’à l’expiration de la période desix mois mentionnée dans la lettre qu’il a été licencié. En somme, sansréellement approfondir la question, la Cour admet qu’un employeurpossède un pouvoir de mettre à pied un salarié et que le contrat indi-viduel de travail survit jusqu’à l’expiration de la période de six moisprévue à la Loi sur les normes du travail. Elle précise toutefois que, enl’espèce, ce n’est pas tant le pouvoir de l’employeur de mettre à piedque les conséquences sur certaines de ses obligations qui sont encause.

La Cour supérieure a ordonné à l’employeur de rembourser lesalaire perdu pendant la période de six mois suivant la mise à pied aumotif qu’il avait souscrit à une obligation de garantie de fournir unminimum de 35 heures de travail au salarié. Or, il ne pouvait unilaté-ralement se libérer de cette obligation, même en cas de force majeure.La Cour a également condamné l’employeur à verser une indemnitétenant lieu de délai de congé ainsi qu’une somme de 3,000 $ à titre decompensation pour les troubles et inconvénients subis par le salarié.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 259

L’employeur a interjeté appel de cette décision. Il contestait lebien-fondé de l’ordonnance l’obligeant à rembourser le salaire perdupendant la période de mise à pied. Dans le cadre d’un appel incident,le salarié a contesté la détermination de la date de fin d’emploi, lesindemnités qui en découlent et le rejet de ses prétentions de congédie-ment déguisé.

La Cour d’appel a rendu son pourvoi au mois de janvier 201699.Elle a accueilli l’appel principal de l’employeur et rejeté l’appel inci-dent.

La Cour d’appel est d’avis que la preuve ne démontre pas quel’employeur s’était engagé à garantir un salaire minimal au salariépendant une période déterminée. En outre, l’ordonnance en vertu delaquelle l’employeur était tenu de rémunérer le salarié va à l’encontrede la pratique reconnue voulant qu’une mise à pied soit sans solde.

Quant à l’existence d’un pouvoir de l’employeur d’imposer unemise à pied, la Cour d’appel s’exprime ainsi :

[16] Le syllogisme que tire le juge de première instance de cetarrêt [Cabiakman] est pour le moins étonnant, d’autant que laCour suprême y reconnait que la mise à pied pour des raisonsd’ordre économique est une pratique courante et acceptée auQuébec. Elle précise d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’une rupturedu contrat de travail, mais plutôt d’une « suspension unilatéraleet temporaire du travail et des prestations de l’employeur » etque cette mesure « vise à répondre aux impératifs de l’entre-prise ».

[17] En effet, la mise à pied pour des motifs économiques découleimplicitement du pouvoir de direction généralement reconnu àl’employeur, qui prend les décisions nécessaires à la sauvegardedes intérêts de l’entreprise. Le salarié s’y soumet en acceptantun poste et, ce faisant, il accepte également les aléas économi-ques qui pourraient toucher l’entreprise. C’est d’ailleurs ce quiparaît s’être produit en l’espèce puisque, selon le témoignage dureprésentant de Flexo, M. Didier Péladeau, M. Lang a étéinformé des aléas économiques et des possibilités de mouve-ments de personnel entre Lelys et sa filiale Flexo avant sonembauche.

260 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

99. Supra, note 34.

[18] Ici, la reconnaissance par le juge de première instance d’uneobligation de garantie de payer l’employé mis à pied, alors quece dernier fait l’objet d’une suspension temporaire pour desmotifs économiques, va à l’encontre de la pratique reconnue enla matière et équivaut à nier à l’employeur la possibilité d’avoirrecours à ce type de mise à pied. En effet, quel intérêt auraitl’employeur à mettre à pied temporairement un employé en rai-son de difficultés économiques tout en demeurant tenu de lerémunérer sans avoir le bénéfice de sa prestation de travail. Iln’y a là aucune logique.

[19] La situation serait fort différente si M. Lang avait étéembauché en vertu d’un contrat à durée déterminée, auquel casles obligations de l’employeur sont fermes. Or, tant M. Lang quele juge de première instance reconnaissent que le contrat de tra-vail intervenu est à durée indéterminée. Dans ce contexte, lejuge ne pouvait imposer à Lelys l’obligation de rémunérerM. Lang durant sa mise à pied.[nos soulignements]

Considérant l’absence d’unanimité au sein de la jurisprudenceet de la doctrine au sujet de l’impact d’une mise à pied sur le contratindividuel de travail, il aurait été souhaitable que la Cour d’appel sai-sisse l’opportunité qui lui était offerte pour examiner de manièreexhaustive toutes les facettes de cette question.

Avec la plus grande déférence, l’analyse de la Cour d’appel rela-tive à l’existence d’un pouvoir de l’employeur d’imposer une mise àpied à un salarié non syndiqué est loin de clore le débat. Commentpourrait-on conclure autrement alors qu’elle ne réfère même pas àson arrêt Surveyer où elle a catégoriquement rejeté l’existence d’untel pouvoir ?

Nous sommes d’avis qu’il existe plusieurs autres facteursdémontrant que ce récent arrêt de la Cour d’appel n’est pas fatal à lathèse en vertu de laquelle une mise à pied constitue, en principe, uncongédiement déguisé, à moins qu’elle ne soit autorisée par un termeexplicite ou implicite du contrat de travail ou que le salarié n’y donneson assentiment.

Premièrement, la Cour d’appel réfère aux propos de la Coursuprême dans l’arrêt Cabiakman. Néanmoins, même en admettant

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 261

que cet arrêt reconnaisse le pouvoir de l’employeur d’imposer unemise à pied en matière de rapports individuels du travail, ce qui, ànotre humble avis, est loin d’être le cas100, la Cour suprême n’a pasrenversé l’arrêt Surveyer.

En fait, eu égard aux arrêts contradictoires de la Cour d’appeldans les affaires Surveyer et Laurier Auto en ce qui a trait à l’impactd’une mise à pied sur le contrat individuel de travail, la Cour suprêmea écrit :

[c]es décisions contradictoires sont pertinentes dans l’uniquemesure où elles portent sur des cas où l’employeur suspendl’exécution des prestations corrélatives mais n’entend nulle-ment rompre le lien d’emploi.101

Deuxièmement, la Cour d’appel conclut que le pouvoir d’im-poser une mise à pied découle implicitement du pouvoir de directionde l’employeur et que, en acceptant un emploi, le salarié s’y soumetautomatiquement. À cet égard, la Cour semble accorder beaucoup depoids au fait que le salarié dans cette affaire avait été informé des« aléas économiques et des possibilités de mouvements de personnelentre Lelys et sa filiale Flexo avant son embauche. ».

L’employeur peut certes user de son pouvoir de direction pourapporter des modifications unilatérales au contrat de travail, maisest-ce que la mise à pied est inhérente à un tel droit en matière derapports individuels du travail ? Comment peut-on justifier qu’unsalarié consente implicitement à un pouvoir de l’employeur dontl’exercice fait échec aux obligations fondamentales de ce dernier defournir du travail et de verser la rémunération convenue (art. 2087C.c.Q.) ?

Le pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur est un prin-cipe de base dans le domaine du droit de l’emploi et du travail àl’échelle pancanadienne. Comme nous le verrons dans la partie VI,selon la jurisprudence majoritaire des provinces de common law, unemise à pied d’un salarié non syndiqué constitue généralement uncongédiement déguisé, à moins qu’elle ne découle d’un terme expli-cite ou implicite du contrat de travail ou que le salarié n’y ait donnéson assentiment. Pourquoi les employeurs québécois pourraient-ils

262 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

100. Voir la section B de la présente partie.101. Cabiakman, supra, note 7, par. 52.

user de leur pouvoir de direction pour imposer une mise à pied alorsque leurs homologues canadiens ne disposeraient pas d’un pouvoiréquivalent ?

Pour étayer sa position, la Cour d’appel réfère aux propos de cer-tains commentateurs102. Toutefois, ces derniers sont d’avis qu’unemise à pied entraîne généralement la rupture du contrat individuelde travail :

II-161 – L’article 82 L.N.T. – Pas plus qu’il ne traite des fonde-ments de l’autorité patronale (II-111), le Code civil du Québecne comprend aucune disposition pouvant directement servird’assises à la discrétion de l’employeur de procéder à des mises àpied. En droit positif, on ne trouve qu’un ensemble de disposi-tions qui traitent non des fondements juridiques de ce procédé,mais des voies et moyens applicables à son exercice. La Loi surles normes du travail ne traite que de la mise à pied d’une duréede six mois ou plus et du licenciement (art. 82, al. 1, L.N.T.) etainsi, la même procédure s’applique dans cette double situation(III-219). On peut déjà dégager de ce premier alinéa de l’article82 L.N.T. les premières observations qui suivent :

i) La mise à pied de moins de six mois serait possible, maisnullement contenue par ces règles de droit ; c’est à croire ouà supposer qu’elle serait laissée à l’initiative de l’employeur(II-165). Tel serait le sens de ce silence. La présence des arti-cles 83, al. 2 et 83.1 L.N.T. indique bien, et aussi énigma-tique soit-elle, que le législateur n’entendait pas traiter demises à pied inférieures à six mois et que ces dernières dis-positions de la loi ne s’appliquent que d’une façon secon-daire ou supplétive à celles que l’on peut retrouver à laconvention collective. Le salarié mis à pied pour une périodede moins de six mois peut néanmoins considérer que soncontrat de travail est résilié (II-162).

ii) La période de six mois serait suffisamment longue pour ques’estompe son caractère provisoire et que l’on traite cedépart imposé comme s’il s’agissait d’une résiliation du con-trat de travail. Malgré cette assimilation aux fins du traite-ment de la procédure applicable édictée par la Loi sur lesnormes du travail, il subsiste une distinction puisque le

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 263

102. Groupe Lelys, supra, note 34, par. 17, citant MORIN, supra, note 45, no II-161.

législateur sous-entend que cette mise à pied comprendraitun éventuel rappel (II-159). Sans ce sous-entendu, il ne peutpas ou ne peut plus s’agir d’une mise à pied, mais d’une rési-liation, d’un licenciement du chef de l’employeur.

[...]

II-162 – Mise à pied ou résiliation – L’étude des droits et desobligations des parties en situation de mise à pied implique laprise en considération à la fois de la position de l’employeur etdu statut possible du salarié au cours de cette période. Ainsinous faut-il savoir si le salarié peut valablement renoncer àcette mise à pied, c’est-à-dire à subir la suspension imposée del’exécution de sa prestation de travail et à être privé de sa con-trepartie, la rémunération. Il est évident, selon l’économie géné-rale du régime, que le salarié ne pourrait valablement imposer àl’employeur sa présence. De même, l’employeur ne saurait, surle strict plan juridique (II-160), légitimement imposer pareilstatut au salarié, c’est-à-dire le contraindre à accepter ou à sup-porter cette situation d’une « disponibilité passive », d’une miseen attente d’un éventuel rappel et notamment pour les motifssuivants :

– le travail, source principale de revenu du salarié, est unedonnée fongible : le temps de travail est irrécupérable et lesbesoins du salarié sont constants ;

– le contrat de travail est synallagmatique et comporte fonda-mentalement des obligations mutuelles à exécution succes-sive : on ne saurait unilatéralement imposer à la fois l’arrêttemporaire des prestations réciproques et imposer à l’un, lesalarié, l’obligation de maintenir sa disponibilité ;

– à l’obligation de disponibilité qui incombe normalement ausalarié (II 87) correspond l’obligation pour l’employeur d’enpermettre l’exécution et de payer la rémunération fixée (art.2087 C.c.Q.) ;

– la suspension de la prestation de travail n’a d’intérêt que pourl’employeur, qui bénéficie d’une réduction de ses coûts demain-d’œuvre, tandis que le salarié est placé en positiond’inactivité indésirée et pour le temps voulu par l’intéressé.

264 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

Pour ces raisons, nous semble-t-il, la mise à pied peut, a priori,être perçue et traitée à titre de résiliation unilatérale du contratde travail, et les règles alors applicables pourraient s’imposer(II-168). Cependant, la situation concrète des parties comprendd’autres données qui nous incitent à une analyse de la mise àpied sous un angle moins dogmatique ou draconien. En effet,dès l’engagement initial, il est possible que l’éventualité d’unemise à pied puisse être considérée ou sous-entendue et s’il en estainsi, même les modalités du délai de congé exigible devraientdépendre de cette donnée, comme l’indique d’ailleurs implicite-ment l’article 2091, al. 2, C.c.Q. (II-169). [...][nos soulignements]

Finalement, la Cour d’appel affirme que la « situation serait fortdifférente si M. Lang avait été embauché en vertu d’un contrat àdurée déterminée, auquel cas les obligations de l’employeur sontfermes ». Comment devons-nous interpréter cette assertion ? Dans lecontexte d’une relation d’emploi régie par un contrat à durée déter-minée, la Cour d’appel est-elle d’avis qu’une mise à pied ne peut êtreimposée ou est-elle plutôt d’avis que l’employeur qui se prévaut decette prérogative serait tenu de verser la rémunération pendant lapériode d’interruption du travail ? À tout événement, la secondeinterprétation annihile toute utilité pratique à la mise à pied et nesaurait être retenue. Pour reprendre les mots de la Cour d’appel ausujet de la conclusion du juge de première instance selon laquellel’employeur devait verser au salarié sa rémunération pendant lapériode de mise à pied, « il n’y a là aucune logique ». Que ce soit enmatière de contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée, ilcoule de source qu’une mise à pied est sans solde.

Ceci dit, dans l’éventualité où la prérogative d’imposer une miseà pied fait partie intégrante du pouvoir de direction et contrôle del’employeur, tout comme celui d’imposer une suspension administra-tive selon les paramètres établis par la Cour suprême dans Cabiak-man, il ne saurait y avoir, à notre avis, de distinction entre le contratà durée déterminée et indéterminée. Une telle distinction n’a pas étéétablie par la Cour suprême en matière de suspension administra-tive. Nous ne voyons pas pourquoi une telle distinction s’imposeraiten matière de mise à pied.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 265

Enfin, les propos de la Cour d’appel démontrent que l’existenced’un pouvoir d’imposer une mise à pied va à l’encontre de l’institutionqu’est le contrat à durée déterminée (art. 2086 C.c.Q.)103.

Abstraction faite des dispositions de la Loi sur les normes du tra-vail, d’autres décisions des tribunaux civils semblent reconnaîtrel’existence d’un pouvoir de l’employeur d’imposer une mise à piedbien qu’elles omettent de procéder à une analyse rigoureuse pour jus-tifier un tel manquement aux obligations matérielles de l’employeurconsacrées à l’article 2087 C.c.Q.104. Certains commentateurs sontd’avis qu’une mise à pied qui repose sur des motifs économiquesou organisationnels réels ne peut s’assimiler à un congédiementdéguisé105. D’autres prétendent que le pouvoir de l’employeur d’im-poser une mise à pied à un salarié non syndiqué est inhérent à toutcontrat de travail eu égard aux dispositions de la Loi sur les normesdu travail relatives à la mise à pied106.

Enfin, tel que discuté précédemment, il existe une abondantejurisprudence qui, en s’appuyant notamment sur les articles 82 et sui-vants de la Loi sur les normes du travail, conclut qu’une mise à pied,même de six mois ou plus lorsqu’il y a une possibilité de rappel107,

266 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

103. Pour en savoir davantage à ce sujet, consultez la Partie II.104. Voir notamment : Lapointe c. Musée d’art contemporain de Baie Saint-Paul,

EYB 2012-21675 (C.Q. civ.) ; Fonderie Poitras, supra, note 7, par. 37 ; GilletteCanada, supra, note 84 (dans cette affaire, la Cour supérieure a reconnu qu’unemployeur possède un droit de mettre à pied ses salariés. Ce droit doit êtreexercé de bonne foi et de manière raisonnable. En l’espèce, l’employeur avaitabusé de son droit).

105. Voir notamment : William HLIBCHUK, « Commentaire sur la décision Floyd v.Escher-Grad inc. – Mise à pied d’un haut dirigeant : congédiement déguisé ? »,dans Repères, avril 2013, La Référence Droit civil, EYB2013REP1341, p. 4.

106. Robert BONHOMME, Clément GASCON et Laurent LESAGE, Le contrat detravail en vertu du Code civil du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais,1994, p. 49.

107. Voir notamment : Boies d’Énergie, supra, note 43, par. 41 et s. (la Commissiondes relations du travail a cependant conclu que, en l’espèce, il y avait absenced’une expectative de retour au travail de sorte que la mise à pied de six mois ouplus a entraîné la rupture du contrat de travail) ; Compumédia, supra, note 43 ;Studio Sylvain, supra, note 43 (selon la preuve décrite dans le jugement, il sem-blerait que la mise à pied imposée à l’une des salariées représentées par la Com-mission des normes du travail excédait six mois) ; Coopérative forestière, supra,note 43 ; Campeau Corp., supra, note 43 (une mise à pied supérieure à six moisne constitue pas automatiquement un licenciement) ; Gauvin, supra, note 41,par. 20 (la Commission des relations du travail a cependant conclu que, enl’espèce, il y avait absence d’une expectative de retour au travail de sorte que lamise à pied de six mois ou plus a entraîné la rupture du contrat).

n’entraîne pas la rupture du contrat de travail et n’interrompt pas leservice continu, selon le cas108.

E. L’obligation de mitigation du salarié mis à pied(art. 1479 C.c.Q.)

La question de l’obligation du salarié de mitiger ses dommages(art. 1479 C.c.Q.) se soulève pendant la période de mise à pied et lors-que l’employeur rappelle le salarié au travail.

1. L’obligation de mitigation du salarié pendant la période demise à pied

Dans le cas où la mise à pied n’entraîne pas la rupture du con-trat de travail, nous voyons mal comment, d’un point de vue juri-dique, une obligation de mitigation pourrait échoir au salarié mis àpied. Non seulement le lien d’emploi subsiste-t-il pendant cettepériode, mais une expectative de retour au travail est égalementinhérente à la mise à pied.

Dans ces circonstances, un employeur doit faire preuve de cir-conspection avant d’imposer une mise à pied qui, selon toute vraisem-blance, ne s’accompagnera pas d’un retour au travail. En effet, dansl’affaire Cunningham c. Fonderie Poitras ltée109, la Cour du Québec aémis l’avertissement suivant aux employeurs :

[36] Toutefois, lorsque les circonstances justifiant la mise à piedrévèlent l’improbabilité d’un retour, il appartient à l’employeurde privilégier le licenciement et verser immédiatement l’indem-nité sinon il ne pourra reprocher à l’employé l’absence de recher-che d’emploi durant cette période de sursis.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 267

108. Voir notamment : MacDonald, supra, note 86 ; Bodycote, supra, note 86 ;Met-Chem, supra note 86 ; Bourque, supra, note 86 ; Clôtures Bénor, supra,note 86 ; Lumilec, supra, note 86 ; Industries Hancan, supra, note 86 ; Garderiepopulaire, supra note 86 ; Grands Magasins, supra, note 86 ; Internote, supra,note 86 ; Cartonniers Standard, supra, note 86 ; Landry Automobile, supra,note 86 (l’arbitre indique qu’il est d’accord avec l’opinion du juge Lechevalierdans l’arrêt Internote de la Cour d’appel suivant laquelle la mise à pied ne cons-titue pas à elle seule une résiliation du contrat de travail) ; Groupe Purdel,supra, note 86 ; Ateliers Roland Gingras, supra, note 86 ; Stadacona, supra,note 41.

109. Fonderie Poitras, supra, note 7.

[37] En effet, pendant la période de mise à pied, le lien d’emploiétant maintenu, l’employé peut espérer un retour éventuel etn’est pas obligé de chercher activement un emploi. Son obliga-tion de minimiser les dommages s’applique lorsqu’il apprendl’abolition de son poste.[nos soulignements]

Dans le cas d’une véritable mise à pied, il semblerait donc que lesalarié n’ait aucune obligation de mitiger ses dommages110. En consé-quence, l’employeur ne pourrait soulever son défaut de mitiger sesdommages qu’à compter de la date à partir de laquelle le contrat indi-viduel de travail a été définitivement rompu.

2. L’obligation de mitigation du salarié en cas de rappel au travail

Le point de départ de l’analyse visant à déterminer si un salariémis à pied fait défaut de mitiger ses dommages lorsqu’il refuse derevenir au travail à la suite d’un avis de rappel au travail del’employeur est l’arrêt Evans c. Teamsters Local Union No. 312008111

(« Evans ») de la Cour suprême.

Dans cet arrêt, la Cour suprême a déterminé qu’il faut recourirau critère objectif de la personne raisonnable pour déterminer si unsalarié congédié fait défaut de mitiger ses dommages lorsque sonemployeur le rappelle au travail dans le même poste ou dans un postecomparable112. La norme d’appréciation établie par la Cour suprêmeest objective. Elle consiste à se demander si une personne raison-nable placée dans la même situation que le salarié aurait acceptél’offre de son employeur. Il s’agit d’une analyse contextuelle. L’élé-ment capital à considérer est que le salarié n’a aucune obligation demitiger ses dommages en acceptant l’offre de son employeur si le cli-mat de travail dans lequel il évoluera sera malsain et acrimonieux.

Dans le cadre de cette analyse contextuelle, les tribunaux peu-vent prendre en compte de multiples facteurs, y compris les suivants :

• si le salaire offert est le même ;

268 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

110. La Cour d’appel a conclu que le salarié mis à pied lié par un contrat de travail àdurée déterminée n’avait aucune obligation de mitiger ses dommages jusqu’àl’échéance du terme. Voir : Marcotte, supra, note 34.

111. [2008] 1 R.C.S. 661 (en appel de la Cour d’appel du Yukon).112. À notre avis, les principes émis par la Cour suprême s’appliquent lorsqu’il s’agit

d’établir l’étendue de l’obligation de mitigation du salarié dans le contexte d’unemise à pied.

• si les conditions de travail offertes ne sont pas sensiblement diffé-rentes ;

• si le travail n’est pas dégradant ;

• si les relations personnelles ne sont pas acrimonieuses ;

• l’historique et la nature de l’emploi ;

• l’existence ou non d’une action en justice intentée par le salarié.

Il existe peu d’exemples jurisprudentiels au Québec concernantl’obligation de mitigation du salarié dans le contexte d’une mise àpied. C’est pourquoi nous référons à certaines décisions des provincescanadiennes de common law.

En l’absence de risque d’un environnement de travail malsain etacrimonieux, les tribunaux reconnaissent généralement qu’un sala-rié mis à pied ne réintégrant pas ses fonctions lorsqu’il est rappelé autravail dans son poste initial manque à son obligation de mitiger sesdommages et ce, même s’il considère avoir été victime d’un congédie-ment déguisé et qu’il a intenté un recours en justice à cet effet113.Ainsi, même si le tribunal statue que la mise à pied constitue uncongédiement déguisé et ordonne le paiement de dommages-intérêts,ces derniers couvriront généralement les pertes salariales encouruespar le salarié pendant la période s’échelonnant entre l’entrée envigueur de la mise à pied et l’avis de rappel au travail114.

Lorsque le salarié est rappelé dans un poste différent de celuiqu’il occupait avant sa mise à pied, mais dont les conditions sont iden-tiques ou similaires, les tribunaux devront apprécier les facteursétablis par la Cour suprême dans l’arrêt Evans en vue d’établir

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 269

113. Voir notamment : Hooge v. Gillwood Remanufacturing Inc., [2014] B.C.J. No. 16(QL), 2014 BCSC (C.S. B.C.) [« Hooge »] ; Janice Wiens v. Davert Tools Inc., 2014CanLII 47234 (C. sup. Ont.) ; Besse v. Dr. A.S. Machner Inc., [2009] B.C.J. No.1912, 2009 BCSC 1316 (C. sup. B.C.) [« Besse »] ; Davies c. Fraser Collection Ser-vices Ltd., 2008 BCSC 942 (C.S. B.C.) [« Davies »] ; Damery v. Matchless Inc.,[1996] N.S.J. 229, 151 N.S.R. (2d) 321 (C.S. N.S.) [« Damery »] ; Entreprises depipe-line, supra, note 84. Voir à l’effet contraire : Turner c. Uniglobe Custom Tra-vel Ltd., 2005 ABQB 513 (Q.B. Alta.) [« Turner »].

114. Voir notamment : Besse, ibid. ; Damery, ibid. ; Entreprises de pipe-line, ibid ;Davies, ibid.

s’il devait accepter l’offre de l’employeur afin de mitiger ses dom-mages115.

Il arrive quelquefois qu’un employeur rappelle le salarié mis àpied peu de temps après que ce dernier lui transmette une mise endemeure alléguant un congédiement déguisé et lui réclamant uneindemnité de fin d’emploi ou après qu’un recours en justice soitdéposé à son encontre. Un tel avis de rappel au travail peut mêmeconstituer un stratagème afin que l’employeur puisse alléguer unevéritable mise à pied alors que cette mesure n’était qu’un prétextepour se débarrasser du salarié. Même dans ces circonstances, toutporte à croire qu’un salarié qui refuserait de retourner au travailferait défaut de mitiger ses dommages. Il semble que seul un risqueobjectif d’un environnement de travail malsain ou acrimonieux pourle salarié puisse justifier un refus de revenir au travail.

Dans l’affaire Prévost c. Entreprises de Pipe-Line Universelltée116, la Cour supérieure du Québec a statué que la mise à piedimposée au salarié n’était rien d’autre qu’un congédiement déguisé.L’employeur a rappelé le salarié trois mois après le dépôt de sonrecours en justice. Pour la Cour, il n’y avait aucun doute que l’em-ployeur n’avait jamais eu l’intention de rappeler le salarié au travail.S’il y a eu un rappel au travail, c’est que l’employeur voulait plaider lamise à pied à titre de moyen de défense. Malgré cette preuve prépon-dérante, la Cour a considéré que le salarié avait manqué à son obliga-tion de mitiger ses dommages en refusant de revenir au travail. Enconséquence, l’indemnité de fin d’emploi a été limitée à la périodes’échelonnant entre l’avis de mise à pied et l’avis de rappel.

Plus récemment, dans l’affaire Hooge c. Gillwood Remanufactu-ring Inc.117, la Cour suprême de la Colombie-Britannique est arrivéeà la même conclusion dans le cadre d’un litige similaire où un salariéa intenté des procédures judiciaires un mois après sa mise à pied. Lesalarié alléguait avoir été victime d’un congédiement déguisé etréclamait une indemnité de fin d’emploi à son employeur. Ce dernierl’a rappelé au travail un mois plus tard, mais l’offre a été déclinée parle salarié.

270 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

115. Voir à titre d’exemple : Greene c. Chrysler Canada Ltd., [1982] B.C.J. No. 370, 38B.C.L.R. 347 (S.C. B.C.) [« Greene »] (la Cour se penche sur cette question dans lecadre d’un obiter dictum. Elle ne réfère évidemment pas à l’arrêt Evans, sa déci-sion précédant de plusieurs années cet arrêt).

116. Entreprises de pipe-line, supra, note 84.117. Hooge, supra, note 113.

La Cour était d’avis que la mise à pied constituait un congédie-ment déguisé. Elle a néanmoins estimé que le salarié a fait défaut demitiger ses dommages en refusant de revenir au travail :

[89] Even if the offer to re-employ was motivated by a desire toavoid the payment of damages in lieu of severance, that does notmake it reasonable to decline the offer. It seems to me that anemployer who has laid-off an employee, or wrongfully termi-nated an employee without due notice, may very well come tothe conclusion, particularly with the benefit of legal advice, thatits actions constituted a wrongful dismissal and may seek tomitigate its own exposure to the payment of damages by offer-ing to re-hire the employee. That is precisely what occurred inBesse. Indeed, it appears from what the Court said in Evans thateven if the offer is only return to temporary employment, theessential question remains whether a reasonable person in theemployee’s position would have accepted the offer, return to hisformer position from which he could then begin to search foralternative employment. The offer of re-employment does not,however, change the fact that the employer wrongfullybreached the contract of employment. It can only serve to pro-vide an opportunity for the employee to mitigate his loss result-ing from the breach, in whole or in part, by accepting the offer if,objectively viewed, it is reasonable to do so.

[90] I find that Mr. Hooge failed to mitigate his damages whenhe refused the offer to return to work.[nos soulignements]

Dans un arrêt rendu au mois de janvier 2016, la Cour d’appel,sous la plume de la juge Bich, a émis l’avis suivant en ce qui a trait àl’obligation de mitigation du salarié victime d’un congédiementdéguisé :

[78] En matière de congédiement sans cause ou de congédie-ment déguisé, je suis ordinairement réticente à l’idée que l’obli-gation de mitigation imposée au salarié le force à accepter l’offred’emploi que lui ferait l’employeur qui rompt le contrat. Il mesemble que c’est exiger beaucoup du salarié, dans un contexteoù la confiance risque de ne pas régner, même là où il n’y auraitni hostilité, ni gêne, humiliation ou perte de dignité, pourreprendre certains des éléments auxquels renvoie l’arrêt Evansc. Teamsters Local Union No. 31. Je note du reste que, dans

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 271

Evans, le juge Bastarache, au nom de la Cour, indique, par ren-voi à l’arrêt Farquhar c. Butler Brothers Supplies Ltd., qu’unetelle chose ne peut se faire que dans « une situation de compré-hension et de respect mutuel, et une situation où ni l’employeurni l’employé n’est susceptible de mettre en péril les intérêts del’autre ». Le congédiement sans cause ou déguisé paraît généra-lement peu propice à l’établissement d’un climat de compréhen-sion ou de respect mutuel.118

[nos soulignements]

Dans cette affaire, la Cour d’appel n’était pas saisie d’un litigedécoulant d’une mise à pied imposée au salarié. Il n’en demeure pasmoins qu’un salarié mis à pied pourrait fort bien se prévaloir de cesmotifs pour refuser de revenir au travail, sans pour autant contreve-nir à son obligation de mitiger ses dommages. Tel pourrait être le caslorsqu’il existe une preuve prépondérante que l’employeur n’a jamaiseu l’intention de rappeler le salarié au travail, que sa mise à piedn’était qu’un subterfuge pour mettre un terme à son emploi sansmotif sérieux ou que l’avis de rappel au travail a été communiqué sub-séquemment à la transmission d’une mise en demeure ou du dépôtd’un recours en justice par le salarié.

En somme, en l’absence de risque objectif d’un environnementde travail malsain et acrimonieux, un salarié a tout intérêt à bienréfléchir avant de refuser une offre de rappel au travail et ce, même sicette dernière ne constitue qu’une tentative de la part de l’employeurde pouvoir plaider la mise à pied alors que celle-ci n’était rien d’autrequ’un prétexte pour mettre fin à son emploi.

3. Le droit du salarié de travailler pendant la mise à pied

En principe, sous réserve de son obligation de loyauté et d’unestipulation de non-concurrence à laquelle il aurait souscrit, un sala-rié est libre de travailler pendant la durée de sa mise à pied sans quecela ne puisse s’assimiler à une démission119.

272 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

118. 2108805 Ontario inc. c. Boulad, 2016 QCCA 75, par. 78.119. Voir notamment : Fama et Primiani Chesterfield inc., D.T.E. 98T-647,

AZ-98144539 (C.T.) ; St-Nicéphore (Corp. mun. De) et Côté, D.T.E. 84T-213,AZ-84141102, p. 4-5 (T.A.) [« St-Nicéphore »] ; Landry Automobile, supra, note86 ; Coopérative forestière, supra, note 43.

Partie V : La mise à pied dans le cadre des lois sur lesnormes du travail des provinces et territoirescanadiens

Toutes les lois sur les normes du travail des provinces et terri-toires canadiens comportent des dispositions traitant de la mise àpied.

Le Labour Standards Act120 de Terre-Neuve-et-Labradordéfinit la mise à pied temporaire comme étant une mise à pied demoins de 13 semaines sur une période de 20 semaines consécutives(art. 49(1)a)). Une mise à pied temporaire excédant la durée statu-taire est réputée être une cessation d’emploi à compter de la date dedébut de la mise à pied (art. 50).

Beaucoup moins détaillé, l’Employment Standards Act121 del’Île-du-Prince-Édouard définit ainsi l’expression « lay-off » : « meansa temporary interruption of the employment relationship at thedirection of the employer because of a lack of work » (art. 1.).

L’obligation de l’employeur de remettre un avis de cessationd’emploi connaît certaines exceptions, notamment lorsque l’em-ployeur met à pied un salarié justifiant de six mois de service continupour une période inférieure à six jours consécutifs (art. 29(2)b)).

Ainsi, il semblerait que toute mise à pied excédant cette périodes’assimilerait à une cessation d’emploi, sous réserve qu’elle puissedécouler de l’un ou l’autre des cas de figure exonérant l’employeur deson obligation de fournir un avis de cessation d’emploi énumérés àl’article 29(2)d) :

(d) a person who is terminated or laid off for any reason beyondthe control of the employer, including

(i) the complete or partial destruction of a plant,

(ii) the destruction or breakdown of machinery or equip-ment,

(iii) the inability to obtain supplies and materials, or

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 273

120. R.S.N.L. 1990 c. L-2.121. R.S.P.E.I. c. E-6.2.

(iv) the cancellation or suspension of, or inability to obtain,orders for the products of the employer, if the employerhas exercised due diligence to foresee and avoid thecause of termination or layoff ;

Le Labour Standards Code122 de la Nouvelle-Écosse contientdes dispositions similaires à celles de la loi de l’Île-du-Prince-Édouard.

D’abord, l’article 6 prévoit ce qui suit :

This Act applies notwithstanding any other law or any custom,contract or arrangement, whether made before, on or after thefirst day of February, 1973, but nothing in this Act affects therights or benefits of an employee under any law, custom, con-tract or arrangement that are more favourable to him than hisrights or benefits under this Act.[nos soulignements]

La loi définit l’expression « lay-off » de cette manière : « meanstemporary or indefinite termination of employment because of lack ofwork and includes a temporary, indefinite or permanent terminationof employment because of the elimination of a position, and “laid off”has a corresponding meaning » (art. 2i)). La notion de « period ofemployment » inclut notamment toute période de mise à pied pourune durée inférieure à douze mois consécutifs (art. 2o)).

Tout comme c’est le cas à l’Île-du-Prince-Édouard, unemployeur néo-écossais est exonéré de son obligation de fournir unavis de cessation d’emploi à un salarié mis à pied pour une périodeinférieure à six jours consécutifs (art. 72(3)c)) ou dont la mise à pieddécoule de l’un ou l’autre des cas de figure énumérés à l’article72(3)d) :

a person who is discharged or laid off for any reason beyond thecontrol of the employer including complete or partial destruc-tion of plant, destruction or breakdown of machinery or equip-ment, unavailability of supplies and materials, cancellation,suspension or inability to obtain orders for the products of theemployer, fire, explosion, accident, labour disputes, weather

274 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

122. R.S.N.S. 1989 c. 246.

conditions and actions of any governmental authority, if theemployer has exercised due diligence to foresee and avoid thecause of discharge or lay-off.

La Loi sur les normes d’emploi123 du Nouveau-Brunswicks’aligne sur celle de sa province limitrophe. La mise à pied y estdéfinie comme étant « l’interruption temporaire d’une relationd’emploi pour cause de manque de travail selon la directive del’employeur » (art. 1). L’expression « période d’emploi » désigne, entreautres, toute période de mise à pied inférieure à douze mois (art. 1).

La règle générale veut que l’employeur remette un avis de ces-sation d’emploi à un salarié mis à pied (art. 30). Toutefois, il est exo-néré de cette obligation en cas de manque de travail dû à un motifimprévu par l’employeur pendant la période durant laquelle cemanque de travail se poursuit pour le même motif ou pour tout autremotif dont la durée n’excède pas six jours (art. 31(1)). En outre,l’employeur n’est pas tenu de remettre un tel avis lorsque la mise àpied est causée par la réduction, la fermeture ou la suspension saison-nière normale de son entreprise (art. 31(3)e)).

La Loi de 2000 sur les normes d’emploi124 de l’Ontario autorisedeux types de mises à pied temporaires : (1) une mise à pied d’au plus13 semaines au cours d’une période de 20 semaines consécutives et(2) une mise à pied de plus de 13 semaines au cours d’une période de20 semaines consécutives si elle est de moins de 35 semaines au coursd’une période de 52 semaines et que diverses conditions sont satisfai-tes (art. 56(2)). L’employeur qui met à pied un salarié pour unepériode plus longue que la période de mise à pied temporaire estréputé avoir licencié ce dernier (art. 56(1)c). L’article 63 de la loi pré-voit que l’employeur met fin à l’emploi d’un salarié s’il le met à piedpour une période de 35 semaines ou plus au cours d’une période de52 semaines consécutives ou s’il le met à pied en raison de l’interrup-tion permanente de toute l’entreprise qu’il exploite à un établisse-ment.

Au Manitoba, le Code des normes d’emploi125 énonce à sonarticle 3 qu’il n’a pas pour effet de porter atteinte, entre autres, àl’exercice de tout recours civil institué par un salarié ou un

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 275

123. L.N.-B. c. E-7.2.124. L.O. 2000 c.- 41.125. C.P.L.M. c. E-110.

employeur. Le Règlement sur les normes d’emploi126 adopté sous sonégide prévoit les cas de figure où une mise à pied s’assimile à une ces-sation d’emploi :

Mise à pied assimilée à une cessation d’emploi

23(1) Sauf dans les cas qui suivent, il y a cessation d’emploi sil’employé est mis à pied pendant une durée totale excédanthuit semaines sur une période de 16 semaines ou un nombresupérieur de semaines pendant une période plus longue –appelée « période de référence » au présent article – telle qu’elleest déterminée par le directeur, à la demande de l’employeur ; iln’y a pas cessation d’emploi si, dans le secteur d’activités danslequel l’employé travaille, des mises à pied régulières et fré-quentes surviennent et si l’employé a été mis au courant de cettesituation lors de son embauche ou si, pendant la période de miseà pied, l’employeur continue, avec le consentement de l’employé,de lui verser un salaire ou de lui verser une autre somme enremplacement ou d’effectuer des contributions, pour l’employé,à un régime de retraite ou à un régime d’assurance collective del’employé ou, si l’employé bénéficie à la fois d’un régime deretraite et d’un régime d’assurance, à ces deux régimes.[nos soulignements]

L’article 23(2) de ce règlement prévoit que, advenant qu’unemise à pied s’assimile à une cessation d’emploi, celle-ci est réputéeêtre survenue sans préavis le premier jour de la mise à pied et quel’employeur doit en conséquence verser à l’employé une indemnitécompensatrice.

Le Saskatchewan Employment Act127 définit l’expression« lay-off » comme suit : « the temporary interruption by an employer ofthe services of an employee for a period exceeding six consecutivedays » (art. 2-1(1)). Un employeur ne peut mettre à pied un salariéjustifiant de plus de 13 semaines consécutives de service continu sanslui donner au préalable un préavis ou une indemnité en tenant lieu(art. 2-60(1)). En revanche, un avis de licenciement collectif128 n’estpas requis, inter alia, en cas de cessation d’emploi d’employés saison-

276 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

126. Règlement du Manitoba, 6/2007.127. S.S. 2013 c. S-15.1.128. Un licenciement collectif correspond à la mise à pied de 10 employés ou plus dans

un établissement au cours d’une période de quatre semaines (art. 2-62(1)).

niers ou lorsque des employés sont licenciés pour une période demoins de 26 semaines129.

À l’instar du Code des normes d’emploi du Manitoba, l’Employ-ment Standards Code130 de l’Alberta prévoit que :

Civil remedies and greater benefits

3(1) Nothing in this Act affects

(a) any civil remedy of an employee or an employer ;

(b) an agreement, a right at common law or a custom that

(i) provides to an employee earnings, maternity and paren-tal leave, reservist leave, compassionate care leave orother benefits that are at least equal to those under thisAct, or

(ii) imposes on an employer an obligation or duty greaterthan that under this Act.

(2) If under an agreement an employee is to receive greaterearnings, maternity and parental leave, reservist leave or com-passionate care leave than those for which this Act provides, theemployer must give those greater benefits.

L’article 62 de ce code prévoit que, dans l’éventualité où unemployeur désire maintenir une relation d’emploi, il peut mettretemporairement un salarié à pied. Sous réserve de quelques excep-tions131, une mise à pied qui perdure au-delà de 60 jours consécutifs

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 277

129. The Employment Standards Regulations, c. S-15.1 Reg. 5, art. 31(2).130. R.S.A. 2000 c. E-9.131. L’article 63(2) énumère trois exceptions : « (a) after the layoff starts, and by

agreement between the employer and employee, an employer pays the employeewages or an amount instead of wages, in which case the employment terminatesand termination pay is payable when the agreement ends ; (b) the employermakes payments for the benefit of the laid off employee in accordance with a pen-sion or employee insurance plan or the like, in which case employment termina-tes and termination pay is payable when the payments cease ; (c) there is acollective agreement binding the employer and employee containing recallrights for employees following layoff, in which case employment terminates andtermination pay is payable when the recall rights expire ». En outre, un préavisde cessation d’emploi n’est pas requis lorsqu’un emploi saisonnier prend fin(art. 55(2)i)).

entraîne une cessation d’emploi et l’employeur doit alors payer uneindemnité tenant lieu de préavis (art. 63).

En Colombie-Britannique, l’Employment Standards Act132

décline la notion de « layoff » sous deux formes (art. 1). Dans un pre-mier temps, pour un employé syndiqué qui jouit d’un droit de rappel,une mise à pied temporaire désigne une interruption qui n’excède pas24 heures de l’échéance du droit de rappel133. Dans un deuxièmetemps, dans le cadre des rapports individuels du travail, une mise àpied désigne une interruption d’au plus 13 semaines sur une périodede 20 semaines consécutives (art. 1). Ainsi, l’emploi du salarié nonsyndiqué qui est mis à pied pour une période excédant une mise à piedtemporaire est réputé avoir pris fin à la date de début de la mise àpied (art. 63(5)).

Comme nous le verrons dans la prochaine partie, le ministèredu Travail de la Colombie-Britannique considère que la loi ne confèrepas aux employeurs un droit de mettre à pied un salarié non syndi-qué. En l’absence d’une disposition expresse ou implicite du contratde travail autorisant la mise à pied ou à moins que le salarié n’yconsente, une telle mesure s’assimile à une cessation d’emploi. End’autres termes, les dispositions de la loi encadrent l’exercice d’unemise à pied autorisée par le contrat de travail ou à laquelle consent lesalarié ; elles ne sont pas constitutives d’un droit d’imposer une miseà pied à un salarié non syndiqué.

Les trois territoires canadiens ont également des lois sur lesnormes du travail comportant des dispositions encadrant la mise àpied.

Tout d’abord, la Loi sur les normes du travail134 du Nunavuténonce qu’elle n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou avan-tages acquis par un salarié en vertu des règles de droit, usages, con-trats ou arrangements qui lui sont plus favorables (art. 3).

L’expression « mise à pied temporaire » renvoie à deux cas defigure (art. 14.01). Le premier consiste en une interruption du travailpour une période de 45 jours pendant une période de 60 jours consécu-

278 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

132. R.S.B.C. 1996 c. 113.133. Voir article 1 de la loi et l’article 1(2) des Employment Standards Regulations,

BC Reg 396/95.134. L.R.T.N.-O. (Nu), 1988 c. L-1.

tifs. Quant au second, il réfère à une période d’interruption supé-rieure à 45 jours si l’employeur rappelle le salarié dans un délai fixépar un agent des normes du travail.

L’employeur qui procède à une mise à pied temporaire doit don-ner un préavis écrit au salarié visé et y consigner la date à laquelle ilentend le rappeler (art. 14.05(1)). Une mise à pied qui ne respecte pasces conditions est assimilée à un licenciement (art. 14.05(2)). Enfin,lorsqu’une mise à pied perdure plus longtemps que le délai statutaireou celui fixé par l’agent des normes du travail, le salarié est réputéavoir été licencié le dernier jour de la mise à pied temporaire etl’employeur doit alors lui verser une indemnité de licenciement(art. 14.06).

Tout comme la Loi sur les normes du travail du Nunavut, celledes Territoires du Nord-Ouest135 prévoit que ses dispositions n’ontpas pour effet de limiter les avantages procurés à un salarié ou mis àsa disposition lorsque ceux-ci sont égaux ou supérieurs à ceux qui ysont consacrés (art. 4(1)a)). Similairement, ses dispositions n’ont paspour effet de limiter les obligations ou devoirs d’un employeur enversun salarié lorsque ceux-ci sont égaux ou supérieurs à ceux qui y sontconsacrés (art. 4(1)b)). Les recours civils, les droits en common law,les droits contractuels et les usages font partie des avantages, obliga-tions et devoirs (art. 4(3)).

Les dispositions encadrant la mise à pied sont similaires à cellesque l’on retrouve dans la loi du Nunavut. L’employeur qui désire pro-céder à une mise à pied temporaire doit remettre un avis écrit au sala-rié précisant la date à laquelle il prévoit le rappeler au travail(art. 42(1) et (3)). Une mise à pied qui n’est pas accompagnée d’un avisconforme à la loi est assimilée à une cessation d’emploi (art. 42(4)). Enprincipe, la mise à pied ne peut durer plus de 45 jours au cours d’unepériode de 60 jours consécutifs (art. 42(2)). Cependant, sous réservede certaines conditions, l’agent des normes d’emploi peut, par le biaisd’une ordonnance, proroger la durée d’une mise à pied au-delà de45 jours (art. 43(1)). Une mise à pied qui excède 45 jours ou le délaiétabli par l’ordonnance de l’agent des normes d’emploi a pour effet derompre le lien d’emploi et l’employeur se voit donc dans l’obligation deverser au salarié une indemnité de cessation d’emploi (art. 43(2)).

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 279

135. Loi sur les normes d’emploi, L.T.N.-O. 2007 c. 13.

Enfin, la Loi sur les normes d’emploi136 du Yukon prévoit elleaussi qu’elle n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou auxavantages qu’un salarié a acquis en vertu des règles de droit, usages,contrats ou autres types d’arrangements qui sont plus favorables queceux qu’elle lui accorde (art. 3). Une mise à pied temporaire réfère àune interruption d’emploi (1) pour une période d’au plus 13 semainesau cours d’une période de 20 semaines consécutives ou (2) de plus de13 semaines si l’employeur rappelle le salarié dans le délai fixé par leDirecteur des normes d’emploi (art. 48). Quant au licenciement, ilréfère, entre autres, à une mise à pied autre qu’une mise à pied tem-poraire (art. 48). Lorsqu’une mise à pied n’est plus temporaire, ils’agit d’un licenciement qui est réputé avoir eu lieu en date du débutde la mise à pied (art. 53(1)).

Finalement, le Code canadien du travail137 prévoit que, sousréserve de certaines exceptions réglementaires, une mise à pieds’assimile à un licenciement (art. 212(4), 230(3) et 235(2)). Parmi lesexceptions que l’on retrouve à l’article 30 du Règlement du Canadasur les normes du travail138, mentionnons les suivantes :

c) la durée de la mise à pied est de trois mois ou moins ;

d) la durée de la mise à pied est de plus de trois mois et quel’employeur

(i) avertit l’employé, par écrit, au moment de la mise à piedou avant, qu’il sera rappelé au travail à une date déter-minée ou dans un délai déterminé, cette date et ce délaine devant pas dépasser six mois à compter de la date dela mise à pied, et

(ii) rappelle l’employé à son travail conformément au sous-alinéa (i) ;

e) la durée de la mise à pied est de plus de trois mois et que

(i) l’employé continue de recevoir de son employeur,durant la période de mise à pied, des paiements dont lemontant a été convenu entre l’employeur et l’employé,

280 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

136. L.R.Y. 2002 c. 72.137. L.R.C. (1985) c. L-2.138. C.R.C. c. 986.

(ii) l’employeur continue de verser, à l’égard de l’employé,des cotisations à un régime de pension enregistréconformément à la Loi sur les normes des prestations depension ou à un régime d’assurance des employés oud’assurance collective,

(iii) l’employé touche des prestations supplémentaires dechômage, ou que

(iv) l’employé aurait droit à des prestations supplémentai-res de chômage mais est exclu du bénéfice de ces presta-tions sous le régime de la Loi sur l’assurance-emploi.139

Nous désirons faire ressortir ce qui suit de cette revue des dispo-sitions des lois des normes du travail des territoires et provinces duCanada :

• Le Code canadien du travail, ainsi que les lois de huit provinces etterritoires140 énoncent clairement qu’une mise à pied excédant ladurée maximale applicable à une mise à pied temporaire équivautà une cessation d’emploi.

• Les lois de sept provinces et territoires prévoient qu’une mise àpied ne peut excéder une certaine durée au cours d’une périodede semaines consécutives141.

• Les lois de cinq provinces et territoires contiennent une dispositionindiquant qu’elles ne portent pas atteinte aux avantages et droitssupérieurs conférés par les autres règles de droit, lois ou usages142.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 281

139. Aux fins de l’exception prévue au paragraphe c), l’employeur n’est pas tenu defournir un avis de la date de rappel au travail dans la mesure où le salarié estinformé, au moment de la mise à pied, que cette dernière sera d’au plustrois mois et qu’aucune autre communication ou action de l’employeur ne contre-dit cet engagement. À ce sujet, voir notamment : H & R Transport Ltd. c. Shaw,2004 CF 541.

140. Terre-Neuve-et-Labrador, Ontario, Manitoba, Alberta, Colombie-Britannique,Nunavut, Territoires du Nord-Ouest et Yukon.

141. Terre-Neuve-et-Labrador, Ontario, Manitoba, Colombie-Britannique, Nuna-vut, Yukon et Territoires du Nord-Ouest.

142. Nouvelle-Écosse, Alberta, Nunavut, Territoires du Nord-Ouest et Yukon.

• Enfin, la majorité des lois autorisent des mises à pied temporairesinférieures à la période de six mois édictée à l’article 82 de la Loisur les normes du travail143.

En conséquence, contrairement à plusieurs lois des provinces etterritoires canadiens, le libellé des articles 82 et suivants de la Loi surles normes du travail n’est pas des plus heureux en ce qui a trait àl’impact d’une mise à pied de moins ou de plus de six mois sur le con-trat individuel de travail. En outre, le délai de six mois qui y est édictéest supérieur à celui prévu par plusieurs provinces et territoires.

À notre avis, il s’agit d’arguments supplémentaires étayantnotre position suivant laquelle la Loi sur les normes du travail neconfère pas un pouvoir aux employeurs d’imposer une mise à pied àdes salariés non syndiqués et que, même si tel était le cas, elle ne faitpas échec au droit de ces derniers d’invoquer les dispositions du Codecivil pour plaider la théorie du congédiement déguisé.

Partie VI : La jurisprudence au Canada

Les tribunaux canadiens sont unanimes au sujet de la questionvisant à savoir si la common law reconnaît un pouvoir à l’employeurd’imposer une mise à pied à un salarié non syndiqué. En principe, envertu de la common law, une mise à pied constitue un congédiementdéguisé à moins que le salarié n’y consente ou qu’un terme expliciteou implicite du contrat de travail ne l’autorise144.

282 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

143. Terre-Neuve (mise à pied de 13 semaines au cours d’une période de 20 semainesconsécutives) ; Ontario (mise à pied de 13 semaines au cours d’une période de20 semaines consécutives ) ; Manitoba (mise à pied de 8 semaines au cours d’unepériode de 16 semaines) ; Alberta (mise à pied de 60 jours consécutifs) ;Colombie-Britannique (mise à pied de 13 semaines au cours d’une période de20 semaines consécutives) ; Nunavut (mise à pied de 45 jours au cours d’unepériode de 60 jours consécutifs) ; Territoires du Nord-Ouest (mise à pied de45 jours au cours d’une période de 60 jours consécutifs) ; Yukon (mise à pied de13 semaines au cours d’une période de 20 semaines consécutives).

144. Voir notamment : Bray c. Canadian College of Massage and Hydrotherapy, 2015CanLII 3452, par. 23-24 (Sm. Cl. Ct. Ont.) [« Bray »] ; Nuala MacDonald-Ross v.Connect North America, 2010 NBBR 250, par. 12 (Q.B. N.B.) [« Nuala »] ; Chen c.Sigpro Wireless Inc., 2004 CanLII 13956, par. 12 (C. sup. Ont.), confirmé parSigpro Wireless Inc. c. Chen, 2004 CanLII 6370 (C.A. Ont.) [« Sigpro Wireless »] ;Martellacci v. CFC/INX Ltd., 1997 CanLII 12327, par. 29 et s. (C. sup. Ont.)[« Martellacci »] ; Collins v. Jim Pattison Industries Ltd. (c.o.b. Jim PattisonAutomotive Group), 7 B.C.L.R. (3d) 13, [1995] B.C.J. No. 1201, par. 19 (S.C. B.C.)[« Collins »] ; Davenport, supra, note 11, par. 16 ; Damery, supra, note 113, par.37-38. Voir également : Geoffrey ENGLAND & Innis M. CHRISTIE, Employ-

Dans l’affaire Davenport c. Metalfab Ltd.145, la Cour du Banc dela Reine du Nouveau-Brunswick a réitéré cette règle de common lawen ces termes :

16. La common law en matière d’emploi ne permet pas que lesemployés soient mis à pied, à moins qu’une clause du contratd’emploi ne le permette (Collins c. Jim Pattison Industries Ltd.(1995), 1995 CanLII 919 (BC SC), 11 C.C.E.L. (2d) 74 ; voir éga-lement les observations que j’ai formulées sur la même questiondans MacDonald-Ross c. Connect North America Corp. et al.(2010), 84 C.C.E.L. (3d) 102). Dans Damery c. Matchless Inc.(1996), 1996 CanLII 5518 (NS SC), 151 N.S.R. (2d) 321, lejuge MacAdam a bien résumé le droit concernant la question dela mise à pied :

[TRADUCTION]

En toute déférence, il est difficile de comprendre commentune « mise à pied à durée indéterminée » ne constitue pasune « répudiation du contrat d’emploi par l’employeur ».Dans un contrat d’emploi, les éléments essentiels sontl’offre de l’employé de travailler et l’offre de l’employeur defournir du travail et de verser une rémunération. Enl’absence d’une disposition autorisant l’employeur à sus-pendre son obligation de fournir du travail pour une duréeindéterminée, même avec l’engagement de rappeler l’em-ployé dès que le travail reprend, les conséquences pourl’employé ne sont pas vraiment différentes de celles où il estmis fin à son emploi avec l’engagement de la part de l’em-ployeur de le réembaucher si un poste devient plus tarddisponible. Dans chaque cas, l’employé est à la merci del’employeur.

[...].

Pour les tribunaux civils canadiens, un employeur ne pourraitvalablement déroger à ses obligations principales de fournir du tra-vail et de verser la rémunération convenue en imposant une mise à

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 283

ment Law in Canada, 4th éd., vol 2, Markham, LexisNexis, 2005, par. 11.66,18.30 et 18.39 ; Stacey REGINALD BALL, Canadian Employment Law, vol. I,Toronto, Canada Law Book, 2015, par. 10 :110.

145. Davenport, supra, note 11.

pied en l’absence du consentement du salarié ou d’un droit législatifou d’un terme explicite ou implicite du contrat de travail autorisantune telle mesure exorbitante du droit commun. S’appuyant sur ladoctrine du congédiement déguisé, ils conviennent qu’il est difficilede justifier la transgression d’un terme du contrat de travail aussifondamental que celui du paiement de la rémunération convenue146.

En vertu du principe de la liberté contractuelle, il est loisibleaux parties de faire échec à cette règle de common law. Une stipula-tion expresse du contrat de travail autorisant une mise à pied147, unecondition implicite du contrat découlant d’une pratique connue dessalariés148, telle que les mises à pied saisonnières, ou le consente-ment tacite ou explicite du salarié149, sont autant d’exemples où unemise à pied peut être jugée valide. Le fardeau de démontrer l’exis-tence d’un terme explicite ou implicite du contrat de travail autori-sant la mise à pied incombe à l’employeur150.

La jurisprudence canadienne s’avère particulièrement perti-nente pour nos fins en ce qui a trait à l’impact des dispositions des loissur les normes du travail encadrant la mise à pied sur l’existencepotentielle d’un pouvoir de l’employeur d’imposer une mise à piedtemporaire qui ferait échec à la règle de common law. En effet, les tri-bunaux canadiens se sont prononcés à maintes reprises sur la ques-tion de savoir si les dispositions des lois sur les normes du travailencadrant la mise à pied sont intégrées au contrat de travail des sala-riés auxquels elles s’appliquent et autorisent, par le fait même, unemise à pied imposée conformément à leurs dispositions.

À cet égard, il y a lieu de rappeler les propos des commentateursEngland et Christie qui résument bien l’état de la jurisprudencecanadienne :

Moreover, until recently the Courts have held that it is irrele-vant for common law purposes that the layoff in question may

284 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

146. Voir par exemple : Bray, supra, note 144, par. 27 ; Martellacci, supra, note 144,par. 29.

147. MacKay c. Intertape Polymer Group, 2008 NSSM 1, [2008] N.S.J. No. 18 (Sm. Cl.Ct. N.S.) ; Chaffee v. Federated Cooperatives Ltd., 1987 B.C.J. No. 2000 (S.C.B.C.) ; Greene, supra, note 115.

148. MacKay, ibid. Voir également : ENGLAND & CHRISTIE, supra, note 144, par.18.35, où les commentateurs précisent que la règle contre l’incertitude (« ruleagainst uncertainty ») peut constituer un obstacle à la reconnaissance d’unterme implicite au contrat de travail autorisant une mise à pied.

149. Glover c. SNC Lavalin inc, [1998] A.J. No. 989, 1998 ABQB 752.150. Nuala, supra, note 144, par. 13. Voir aussi : BALL, supra, note 144, par. 10:110.

not constitute a termination of employment under the Employ-ment Standards Act definition of that term ; such a layoff stillconstitutes repudiation of the employment contract.151

[nos soulignements].

Leur réserve repose sur une décision albertaine. Nous y revien-drons sous peu.

Pour bien illustrer l’état de la common law dans les provincescanadiennes, nous examinerons la jurisprudence pertinente des pro-vinces suivantes : la Colombie-Britannique, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et l’Alberta.

Colombie-Britannique

Dans ses lignes directrices d’interprétation du EmploymentStandards Act, le ministère du Travail de la Colombie-Britanniquefait état d’une position administrative on ne peut plus univoque : laloi ne fait pas échec à la règle de common law. La loi ne vise qu’à enca-drer la mise à pied qui repose sur un terme explicite ou implicite ducontrat de travail ou à laquelle le salarié a donné son assentiment :

The Act does not give employers a general right to temporarilylay off employees. A fundamental term of an employment con-tract is that an employee works and is paid for his or her ser-vices. An employer cannot temporarily lay off an employeeunless temporary layoff :

• is expressly provided for in the contract of employment ;

• is implied by well-known industry-wide practice (e.g. logging,where work cannot be performed during « break-up ») ; or

• is agreed to by the employee.

In the absence of an express or implied provision allowing tem-porary layoff, a layoff constitutes termination of employment.

The onus is on the employer to prove that the employment rela-tionship provides for a temporary layoff in one of the above

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 285

151. ENGLAND & CHRISTIE, supra, note 144, par. 18.32. Voir également : BALL,supra, note 144, par. 10:110.

ways. In situations where temporary layoff is permitted by theterms and conditions of employment, the Act limits the length ofthe layoff.152

Ces lignes directrices ne lient pas les tribunaux. Toutefois, ellesreflètent bien l’état de la jurisprudence en Colombie-Britannique.

La décision de principe est celle de la Cour suprême de laColombie-Britannique dans l’affaire Collins c. Jim Pattison Indus-tries Ltd. (c.o.b. Jim Pattison Automotive Group)153. Dans cetteaffaire, la Cour a statué que la loi ne confère aucun droit à l’em-ployeur d’imposer une mise à pied. Selon la Cour, la loi vise plutôt àencadrer une mise à pied imposée en vertu d’un terme explicite ouimplicite du contrat ou à laquelle le salarié a donné son assentiment :

19. The position at common law therefore appears to be thatunless there is a term of the employment contract that isexpress, implied in fact, or implied by law that allows the defen-dant to temporarily lay off the plaintiff, such a lay-off is in fact atermination of employment.

21. As a result of the statutory recognition of the distinctionbetween termination and temporary lay-offs, the defendantsubmits that it no longer requires a contractual right to lay offthe plaintiff, as long as the lay-off is bona fide and does notexceed 13 weeks.

23. I agree with the plaintiff’s counsel. The plaintiff does notbring this proceeding under the Act and is not seeking its protec-tion. In my view, the Act does not grant all employers the statu-tory right to temporarily lay off employees, regardless of theterms of their employment contract. Rather than creating newrights, the Act appears to be qualifying employment agree-ments in which the right to lay off already exists. Therefore,unless the right to lay off is otherwise found within the employ-ment relationship, the above cited sections of the Act are notrelevant.

286 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

152. Ministry of Labour, British-Columbia, Interpretation Guidelines Manual – Bri-tish-Columbia Employment Standards Act and Regulations, disponible en ligne,<https://www.labour.gov.bc.ca/esb/igm/esa-part-1/igm-esa-s1-temporary-layoff.htm>.

153. Supra, note 144.

33. In my view, the evidence does not support an implied termthat the defendant could temporarily lay off the plaintiff. Thereis no persuasive evidence that the alleged industry practice waseither common or widespread, or that it was even known to bothparties. Moreover, there does not appear to be any evidence thatthe right to temporarily lay off was a practice that was knownand accepted at the defendant company.

34. Accordingly, it is my conclusion that there is no express orimplied contractual term or, for that matter, statutory entitle-ment of the defendant to lay off the plaintiff. Thus, the lay-off bythe defendant constituted a wrongful dismissal.154

[nos soulignements]

En d’autres termes, les articles de la loi encadrant la mise à piedne font pas échec à la règle générale de common law qui assimile lamise à pied à un congédiement déguisé.

Ontario

Dans l’arrêt Stolze c. Addario155, le plus haut tribunal de la pro-vince était saisi d’un appel d’une décision de la Cour divisionnaireayant rejeté la demande de révision judiciaire d’une décision d’unagent nommé en vertu de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.L’agent a conclu que le salarié avait fait l’objet d’une mise à pied tem-poraire et qu’il n’avait donc pas droit aux indemnités de licenciement(« termination pay ») et de cessation d’emploi (« severance pay »).

La Cour d’appel a précisé que la mise à pied soit temporaire ouindéfinie n’importe guère lorsqu’un tribunal doit déterminer si lesalarié a fait l’objet d’un congédiement déguisé, ce qui était le cas enl’espèce. En d’autres termes, la Cour d’appel a confirmé que les obli-gations de l’employeur en vertu de la common law peuvent l’empê-cher d’imposer une mise à pied, même lorsqu’elle est conforme auxdispositions de la loi.

S’appuyant sur cet arrêt, les tribunaux ontariens semblent pré-coniser, tout comme ceux de la Colombie-Britannique, une positionsuivant laquelle une mise à pied, même imposée conformément aux

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 287

154. Ibid., par. 19, 21, 23, 33-34. Voir au même effet : Hooge, supra, note 113 ; Besse,supra, note 113.

155. 36 O.R. (3d) 323, 1997 CanLII 764 (C.A. Ont.).

exigences de la loi, ne fait pas échec à la règle de common law et audroit du salarié de conclure qu’il a été victime d’un congédiementdéguisé156.

Dans l’affaire Style c. Carlingview Airport Inn157, l’employeur aprocédé à une mise à pied temporaire d’une salariée au mois de juin1992 sans en préciser la durée. La salariée a été rappelée au travailau mois d’août de la même année. Elle n’a toutefois pas pu revenir autravail, car elle était en convalescence à la suite d’une opération chi-rurgicale. Par la suite, l’employeur lui a confirmé qu’il avait embau-ché une nouvelle personne pour prendre sa relève.

En réponse à l’argument de l’employeur selon lequel la loi auto-rise les mises à pied temporaires d’une durée d’au plus 13 semaines,la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rétorqué :

the Act sets up a separate statutory code for the payment of ter-mination pay based on length of service. It does not affectcommon law rights and obligations regarding dismissal andconstructive dismissal.158

[nos soulignements]

Le même tribunal a réitéré ces principes quelques mois plustard. En effet, dans l’affaire Martellacci v. CFC/INX Ltd.159, l’em-ployeur a imposé à une salariée une mise à pied en date du 12 avril1996 pour une période qui devait se prolonger pour une douzainede semaines. À deux reprises, l’employeur a fait défaut de répondre àla demande de l’avocate de la salariée qui désirait savoir si l’em-ployeur avait l’intention de réintégrer sa cliente lorsque la mise àpied viendrait à échéance. Or, le 2 juin 1996, l’employeur a avisé lasalariée que la mise à pied se prolongerait jusqu’au 2 juillet suivant.

Cette affaire découle d’une procédure d’instruction sommaire.Ainsi, le tribunal n’était pas disposé à conclure que la mise à pieddu mois d’avril constituait un congédiement déguisé puisqu’il y avaitune question sérieuse à débattre quant à savoir si la salariée y avait

288 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

156. Voir notamment : Style v. Carlingview Airport Inn., [1996] O.J. No. 705, 90O.A.C. 83 (Ct. J. Ont.) [« Style »] ; Sigpro Wireless, supra, note 144 ; Martellacci,supra, note 144. Voir à l’effet contraire : Trites v. Renin Corp, 2013 ONSC 2715.

157. Style, ibid.158. Ibid., par. 12.159. Supra, note 144.

donné son assentiment. Toutefois, la seconde mise à pied s’assimilaità un congédiement déguisé.

Quant aux dispositions de la loi encadrant la mise à pied, laCour a écrit :

21. The employer relies on the Employment Standards Act. It isabundantly clear in the Act and in the case law interpreting theAct that it is a minimum standard only and does not remove orreduce any rights which an employee has at common law.

[...]

23. I make no determination as to whether or not Ms. Martel-lacci was « laid off » within the meaning of the EmploymentStandards Act or whether her employment was terminatedwithin the meaning of the Act. Such a determination is irrele-vant to the proceeding before me. Compliance by the employerwith the Employment Standards Act does not mean that therecan be no common law cause of action by an employee. This isclear even in the Stolze v. Delcan decision itself.

[...]

25. It is, therefore, well settled law that compliance by theemployer with the minimum provisions of the EmploymentStandards Act does not operate to circumscribe the employee’scommon law rights. Compliance with the Employment Stan-dards Act is not in and of itself a defence to a common law actionfor wrongful dismissal. This applies to the notice provisions aswell as to the lay-off provisions.

[...]

29. It is trite law that if an employer changes a fundamentalterm of employment, this may constitute constructive dis-missal. It is difficult to imagine a more fundamental term ofemployment than that the employee be paid his or her salary.

30. In this case, there was no agreement that the employer wasentitled to lay off the employee for any period of time. In theabsence of such an agreement, the employer cannot simply

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 289

place an employee’s employment status on hold without pay andwithout substantial benefits and expect that this will not consti-tute constructive dismissal. If the demotion of an employee or areduction in pay and responsibilities of an employee constituteconstructive dismissal, then surely indefinite suspension withno guarantee of recall, no salary and virtually no benefits mustalso qualify for the same treatment at law.

[...]

34 When an employer without prior agreement lays off anemployee, the employee may elect to wait and see. The employeemay acquiesce in the lay-off to see if later he will be able toreturn to his previous job. However, an employee is not obli-gated to do that. An employee may treat the lay-off as a wrong-ful dismissal. Ms. Martellacci clearly treated the July lay-off asa wrongful dismissal of her employment.160

[nos soulignements]

Enfin, plus récemment, dans un contexte où un employeurs’était conformé aux dispositions de la loi (voir art. 56(2)) et avaitinformé son salarié qu’il disposait de 35 semaines pour le rappeler autravail, pour finalement lui faire savoir près de six mois plus tard quesa mise à pied était permanente, le même tribunal a écrit :

[12] Did the purported temporary lay off of the plaintiff by thedefendant constitute a constructive dismissal ? While the provi-sions of the Employment Standards Act permits the employer totemporarily lay off the employee and while, in this case, thedefendant went through the form of a temporary lay off of theplaintiff using that expression in the concluding documentationand extending his health and dental insurance for a period ofthirty-five weeks, the question remains whether or not therewas any express or implied term in the contract of employmentthat permitted the defendant to temporarily lay off the plaintiff.The law is clear that the imposition of a lay off where there is noexpress or implied term in the contract of employment permit-ting such, repudiates a fundamental term of the employmentcontract that the defendant would be employed at an annualsalary for an indefinite period and thereby constitutes construc-

290 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

160. Ibid., par. 21, 23, 25, 29-30, 34.

tive wrongful dismissal. On the facts of this case there was nocontractual right accruing to the defendant either expressly orimpliedly to temporarily lay off the plaintiff. There is no refer-ence to any such right in the employment contract documentsnor were there any discussions between the plaintiff and thedefendant’s representatives either at the time of employment orduring the course of employment from which it could possibly beimplied that the parties had agreed that the plaintiff wouldhave such a right. I may say that although the defendant pur-ported to « temporarily » lay off the plaintiff on February 21,2003, I find as a fact that as of that date and thereafter, thedefendant had no intention whatsoever of bringing him back towork at any time in the future. The fact of the matter is thateffective that date, the plaintiff’s work on the first two stages ofthe project was over and there was no further work for him to do.The practical effect of referring to the plaintiff’s dismissal onFebruary 21, 2003 as a temporary lay off, was to postpone, to thebenefit of the plaintiff, payment by the defendant of severance.In the result the plaintiff was, on February 21, 2003, dismissedfrom his employment without notice and without cause.161

[nos soulignements]

La décision du juge de première instance a été confirmée par laCour d’appel de l’Ontario162.

Nouveau-Brunswick

Dans l’affaire Nuala MacDonald-Ross c. Connect North Ame-rica163, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick étaitsaisie de plusieurs questions, y compris celle à savoir si les disposi-tions de la Loi sur les normes d’emploi relatives à la mise à pied sontintégrées au contrat individuel de travail, écartant de ce fait la règlegénérale de common law qui assimile la mise à pied à un congédie-ment déguisé à moins qu’elle ne soit imposée en vertu d’un termeexplicite ou implicite du contrat ou que le salarié n’y donne sonassentiment.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 291

161. Sigpro Wireless inc., supra, note 144, par. 12.162. Ibid.163. Supra, note 144.

La Cour a rejeté l’argument de l’employeur suivant lequel lesdispositions de la loi sont intégrées au contrat de travail de sorte qu’ilpouvait imposer une mise à pied qui s’y conforme :

[15] De plus, Connect ne peut pas se prévaloir du fait que les dis-positions de la Loi sur les normes d’emploi sont intégrées aucontrat de travail de MacDonald. Malgré les dispositions légis-latives, c’est la common law qui est le principal ensemble desrègles de droit régissant l’interprétation des droits conférés parun contrat de travail et les décisions rendues à ce sujet. Dansl’ouvrage de S.R. Ball, intitulé Canadian Employment Law(Aurora : Canada Law Book, 2009), il est écrit, à la p. 10-22 :

[TRADUCTION]

Bien que les mises à pied soient courantes sous le régime desconventions collectives, la tradition de la common law nepermet pas aux employeurs de mettre à pied les employéspour des motifs économiques ou disciplinaires. Une mise àpied est normalement considérée par les tribunaux commeun congédiement déguisé, puisqu’elle manifeste l’intentionde l’employeur de ne pas être lié par le contrat de travail, et,comme il est indiqué ci-dessus, un excédent de personnel nejustifie pas en common law, de la part de l’employeur, unemodification unilatérale du contrat de travail. Comme il estindiqué dans un jugement, le terme « mise à pied » en milieunon syndiqué n’a aucun sens technique et n’est qu’un euphé-misme décrivant une perte d’emploi quand aucune fauten’est reprochée à l’employé. Le fait que la loi sur les normesd’emploi peut autoriser des mises à pied temporaires nechange rien aux droits et aux obligations en common law enmatière de congédiements.164

Alberta

La réserve des commentateurs à laquelle nous référions plus tôtse rapporte à la décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Albertadans l’affaire Vrana c. Procor Limited165. Plus précisément, ces com-mentateurs sont d’avis que :

292 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

164. Ibid., par. 15.165. 2003 ABQB 98.

It can safely be concluded that save for the recent decision inVrana v. Procor Ltd., Canadian employment law currently doesnot recognize a standard implied term allowing the employer tolayoff unilaterally for economic reasons.166

Dans cette affaire, le 20 mars 2000, l’employeur a informé lesalarié de sa mise à pied temporaire sans en préciser la durée.Croyant avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé, le salarié a ins-titué une action en justice le 2 mai suivant.

Malgré l’article 3(1) de l’Employment Standards Code qui pré-voit que cette loi ne porte pas atteinte à tout « civil remedy », la Cour aconsidéré que l’article 62 faisait échec à la règle générale de commonlaw et que le droit de mettre à pied de manière temporaire un salariéfait partie intégrante de tout contrat individuel de travail167. La Courétait d’avis que cette disposition sursoit temporairement au droit dusalarié d’invoquer la règle générale de common law pour justifier ledépôt d’un recours en congédiement déguisé jusqu’à l’expiration dudélai statutaire de 60 jours.

À cet égard, la Cour a exposé les motifs suivants pour étayer saposition :

[23] I am of the view that s. 62 of the Employment StandardsCode has created a new right for employers in Alberta. The plainand express language of s. 62 entitles an employer who wishesto maintain an employment relationship to temporarily lay offthe employee. The length of the temporary layoff is subject tothe terms contained in ss. 63 and 64. The effect of s. 62 is to sus-pend or delay the use of a common-law right until the occur-rence of certain events, (i.e., for at least 60 days (s. 63(1)), orsooner, in the event of a failure to return to work after recall (s.64(1)). Therefore, where at common law an action for wrongfuldismissal could be commenced immediately upon getting noticeof a layoff (where there is no express or implied term of the con-tract of employment permitting a temporary layoff withoutpay), s. 62 prevents the commencement of an action until such

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 293

166. ENGLAND & CHRISTIE, supra, note 144, par. 18.39.167. L’article 62 prévoit que, dans l’éventualité où un employeur désire maintenir

une relation d’emploi sans mettre un terme à l’emploi du salarié, il peut lemettre à pied temporairement pour une période n’excédant pas, sauf exception,60 jours consécutifs.

time as the time lines in s. 63 or s. 64 have been reached. Anaction by an employee for wrongful dismissal cannot be com-menced until after the expiration of the time lines in either s. 63or s. 64 because, pursuant to s. 62, there continues to exist anemployer-employee relationship even though the employee istemporarily laid off.168

[nos soulignements]

La Cour d’appel de l’Alberta a infirmé la décision du juge de pre-mière instance. Elle ne s’est toutefois pas prononcée sur la questionvisant à savoir si l’article 3 de la loi a préséance sur les articles 62 etsuivants et préserverait de ce fait le droit du salarié de considérer unemise à pied temporaire comme un congédiement déguisé et d’ins-tituer tout recours approprié dans les circonstances et ce, mêmeavant l’expiration du délai statutaire169.

La Cour d’appel est d’avis que l’article 62 requiert que l’em-ployeur mentionne clairement au salarié que sa mise à pied sera tem-poraire et la date à compter de laquelle elle entre en vigueur. L’avisde mise à pied doit aussi reproduire le libellé des articles 62 à 64 dela loi. Or, en l’espèce, l’employeur ne s’était pas conformé à ces exi-gences.

En conséquence, pour la Cour d’appel, il serait injuste de faireperdre les droits du salarié qui a déposé un recours en justicedeux semaines avant l’expiration du délai de 60 jours. La décision depremière instance a donc été infirmée. Le dossier a été retourné aujuge de première instance pour qu’il établisse les montants dus ausalarié.

Quelques mois plus tard, la Cour du Banc de la Reine a encoreété saisie d’un litige similaire où elle devait statuer si l’article 3 de laloi a préséance sur les articles 62 et suivants. Dans l’affaire Turner v.Uniglobe Custom Travel Ltd.170, l’employeur a procédé à une mise àpied dont la durée n’était pas précisée. L’avis de mise à pied précisaitcependant que, advenant que le volume de clients retrouve sonniveau habituel, la compagnie rappellerait le salarié dans les60 jours. Environ deux semaines plus tard, le salarié a transmis à sonemployeur une lettre de mise en demeure par le biais de laquelle il

294 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

168. Ibid., par. 23.169. Vrana c. Procor Limited, 2004 ABCA 126.170. Supra, note 113.

alléguait avoir été victime d’un congédiement déguisé et réclamaitune indemnité de fin d’emploi.

La Cour a écarté la décision dans l’affaire Vrana pour plutôt serallier aux décisions des autres provinces qui concluent que les dispo-sitions encadrant la mise à pied contenues dans les lois sur les nor-mes du travail ne font pas échec à la règle générale de common law :

[53] I am of the opinion that the statutory language in Ontarioand British Columbia is not so different as to render the Style,Martellacci, and Collins decisions inapplicable. While thoseprovinces do not have statutory provisions directly equivalentto s. 62 of the Code, the language of the provisions in those prov-inces clearly contemplates a layoff that does not constitutetermination. Furthermore, one could argue that had the Legis-lature expressly intended to extinguish the common law right ofan employee to treat a layoff as a termination, it could have doneso by stipulating that s. 3(1) did not apply to ss. 62, 63, and 64 ofthe Code.

[54] An interpretation of the Code that preserves the commonlaw right of an employee to treat a layoff as a termination alsoprevents the type of scenario contemplated by Fraser C.J.A. inthe Court of Appeal’s decision in Vrana. Fraser C.J.A. wrotethat if Ouellette J.’s interpretation was correct, an employeecould be caught in a revolving door layoff scenario where he orshe was repeatedly laid off, recalled for a short amount of time,and then laid off again. Ouellette J. also acknowledged that theprovisions could be abused (at para. 24).

[55] I am bolstered in my opinion that an employee’s commonlaw right to treat a layoff as a termination is preserved by theSupreme Court of Canada’s decision in Rizzo & Rizzo ShoesLtd., Re, 1998 CanLII 837 (SCC), [1998] 1 S.C.R. 27. Referringto the Employment Standards Act of Ontario, which is similar tothe Code, Iacobucci J. wrote that

. . . since the ESA is a mechanism for providing minimumbenefits and standards to protect the interests of employees,it can be characterized as benefits-conferring legislation. Assuch, according to several decisions of this Court, it ought tobe interpreted in a broad and generous manner. Any doubt

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 295

arising from difficulties of language should be interpretedin favour of the claimant (at para. 36).

[56] With the utmost deference to Ouellette, J, I now differ fromhim decision in Vrana ; and I find that Turner’s common lawright to treat her layoff as a termination is preserved, and sheshould be entitled to compensation for wrongful dismissal. IfI am wrong in this interpretation, then legislative reform maybe in order to clarify whether the layoff provisions are to takeprecedence, and also to protect employees from being subject torevolving door layoffs.171

[nos soulignements]

Dans ces circonstances, force est d’admettre que le courantjurisprudentiel majoritaire au Nouveau-Brunswick, en Ontario, enAlberta et en Colombie-Britannique prévoit que les dispositionsencadrant la mise à pied contenues dans les lois sur les normes dutravail ne font pas échec au droit du salarié de se prévaloir de lacommon law pour soutenir que sa mise à pied constitue un congédie-ment déguisé et d’instituer tout recours approprié dans les circons-tances172.

Partie VII : La mise à pied entraîne généralement larupture du contrat individuel de travail

En droit civil québécois, les facteurs suivants doivent être pré-sents pour conclure à l’existence d’un congédiement déguisé :

1) L’existence d’une modification unilatérale constituant une viola-tion objective du contrat de travail préjudiciable pour le salarié.Une mise à pied qui serait autorisée par un terme explicite ouimplicite du contrat de travail, la loi ou à laquelle le salarié adonné son assentiment, explicite ou tacite, ne donne pas lieu à uncongédiement déguisé ; et

2) La modification doit être substantielle et se rapporter à desconditions essentielles du contrat de travail à la lumière du cri-tère de la personne raisonnable placée dans les mêmes circons-tances que le salarié mis à pied. Si la mise à pied constitue un

296 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

171. Ibid., par. 53-56.172. Voir notamment : ENGLAND & CHRISTIE, supra, note 144, par. 18.39 ; BALL,

supra, note 144, par. 10:110.

manquement de peu d’importance, elle pourra difficilement équi-valoir à un congédiement déguisé (art. 1604 C.c.Q.)173.

Ainsi, en appliquant les critères établis par la Cour suprême duCanada, nous sommes d’avis qu’une mise à pied entraîne générale-ment la rupture du contrat de travail et équivaut à un congédiementdéguisé.

Une mise à pied présuppose une violation, de plus ou moinslongue durée, des obligations matérielles de l’employeur de per-mettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer larémunération fixée (art. 2087 C.c.Q.). Il s’agit clairement d’une viola-tion objective du contrat de travail préjudiciable pour le salarié. Celaest d’autant plus vrai si l’on considère que, selon une certaine juris-prudence, ces obligations seraient des obligations de résultat aux-quelles l’employeur ne peut déroger qu’en cas de force majeure. Enprincipe, des motifs d’ordre économique, financier ou organisationnelne sont pas assimilés à des cas de force majeure.

Il est évidemment loisible aux parties d’introduire des stipula-tions autorisant l’employeur d’imposer une mise à pied et d’établir lesmodalités encadrant l’exercice de cette prérogative. Ces dispositionspeuvent se retrouver dans le contrat de travail, dans une politique oudans tout autre document qui fait partie intégrante du contrat(art. 1435 C.c.Q.).

Une mise à pied imposée en vertu d’une stipulation du contratde travail ne pourrait s’assimiler à un congédiement déguisé si cetteprérogative est exercée de manière raisonnable et de bonne foi (art. 6,7 et 1375 C.c.Q.). Il en est de même lorsque la mise à pied est imposéeen vertu d’un terme implicite au contrat, notamment d’une pratiqueou d’un usage reconnu dans un secteur économique donné découlantdu caractère intermittent ou saisonnier du travail (art. 1426, 1434C.c.Q.).

En fait, pour reprendre les mots de la Cour suprême, une mise àpied imposée en vertu d’un terme explicite ou implicite du contrat detravail n’est pas une modification, mais bien une application de cedernier174.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 297

173. À ce sujet, voir la section A de la partie IV.174. Farber, supra, note 57, par. 25.

Une autre exception à la règle générale voulant qu’une mise àpied constitue un congédiement déguisé est le cas de figure où unsalarié y donne son assentiment explicite ou tacite. Plus souventqu’autrement, un salarié consentira à cette mesure administrativeafin de préserver ses acquis chez son employeur et d’éviter de se lan-cer dans une recherche d’emploi à l’issue incertaine alors qu’il existepour lui une expectative de retour au travail, condition inhérente àtoute véritable mise à pied175. En outre, le fait qu’un salarié mis àpied satisfaisant les critères d’éligibilité applicables puisse toucherdes prestations d’assurance-emploi contribue souvent à favoriser sonconsentement à cette mesure176. À tout événement, un salarié qui faitdéfaut de contester promptement la mesure qui lui est imposée seraréputé y avoir implicitement consenti et sera forclos de plaider lecongédiement déguisé.

Enfin, une mise à pied imposée à un salarié non syndiqué, quin’est pas un cadre supérieur et pour qui s’appliquent les articles 82 etsuivants de la Loi sur les normes du travail, pourrait faire échec àl’application de la théorie du congédiement déguisé dans la mesureoù il est établi que ces dispositions confèrent un droit à l’employeurd’imposer une telle mesure administrative et qu’elles font partie inté-grante de tout contrat individuel de travail (art. 1434 C.c.Q.).

Dans le cadre de la partie III, nous avons démontré que les arti-cles 82 et suivants de la Loi sur les normes du travail souffrent d’uneambiguïté certaine en ce qui a trait à l’impact d’une mise à pied sur lecontrat de travail. L’intention du législateur est loin d’y avoir été clai-rement consignée. Nous avons aussi expliqué que ces dispositions nesont pas créatrices d’un pouvoir d’imposer une mise à pied et ne fontque promulguer des obligations à l’employeur en matière de mise àpied de six mois ou plus.

Même en admettant que ces dispositions soient véritablementcréatrices d’un pouvoir de mettre à pied des salariés non syndiqués,une suspension des obligations de l’employeur qui excède six moiss’assimile à une cessation d’emploi. Nous considérons comme erronéela jurisprudence suivant laquelle une mise à pied de six mois ou plus

298 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

175. Voir notamment : AUST & AUST, supra, note 41, p. 856 ; MORIN, supra, note50, p. K.3-K.4.

176. À cet égard, le fait qu’un salarié mis à pied reçoive des prestations d’assurance-emploi n’entraîne pas la rupture du contrat de travail. Voir : Pavages Dorval,supra, note 76, p. 3 ; St-Nicéphore, supra, note 119, p. 4.

n’entraîne pas la rupture du contrat de travail lorsqu’il existe unevéritable expectative de retour au travail.

À tout événement, nonobstant l’existence d’un pouvoir d’im-poser une mise à pied qui découlerait de la Loi sur les normes du tra-vail, nous sommes d’avis que le quatrième alinéa de l’article 82permet au salarié de se prévaloir de son droit d’invoquer la théorie ducongédiement déguisé et de réclamer une indemnité tenant lieu dedélai de congé lorsque cette mesure ne repose sur aucun terme expli-cite ou implicite de son contrat de travail et qu’il n’y a pas donné sonassentiment (art. 2091 C.c.Q.). La jurisprudence pertinente de laColombie-Britannique, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et del’Alberta s’avère fort persuasive à cet égard. À notre avis, elle con-firme le bien-fondé de l’interprétation que nous préconisons.

Il faut maintenant examiner le second volet du critère appli-cable au congédiement déguisé. Il est difficile de concevoir des condi-tions aussi essentielles au contrat de travail que celles se rapportantà la fourniture du travail et le paiement de la rémunération convenue(art. 2087 C.c.Q.)177. Cela est d’autant plus vrai qu’il s’agit, à notreavis, d’obligations de résultat auxquelles l’employeur ne peut dérogerqu’en cas de force majeure.

La Cour suprême a rappelé qu’une modification du contrat detravail qui entraîne un manquement de peu d’importance peut diffici-lement équivaloir à un congédiement déguisé. L’article 1604 C.c.Q.est une illustration de ce principe.

À première vue, une mise à pied de courte durée qui s’assortiraitd’une date de rappel au travail certaine pourrait être considéréecomme étant un manquement de peu d’importance au sens de l’arti-cle 1604 C.c.Q. En théorie, eu égard à la jurisprudence suivantlaquelle l’inexécution, ou l’exécution déficiente, d’une obligation derésultat peut équivaloir à une inexécution totale et, en conséquence,ne peut s’assimiler à un défaut de peu d’importance, un salarié neserait pas forclos de plaider le congédiement déguisé. En pratique, lesalarié mis à pied n’aura que peu d’intérêt d’intenter des procéduresjudiciaires onéreuses contre son employeur en alléguant avoir étévictime d’un congédiement déguisé. Non seulement peut-il générale-

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 299

177. Voir notamment les décisions suivantes rendues par des tribunaux des provin-ces de common law : Bray, supra, note 144, par. 27 ; Martellacci, supra, note 144,par. 29.

ment recevoir des prestations d’assurance-emploi pendant la périodede sa mise à pied, mais il y a de fortes chances que le tribunal quientendrait sa cause considérerait qu’il a fait défaut de mitiger sesdommages s’il ne retourne pas au travail à la date prévue (art. 1479C.c.Q.).

Quant à ce second volet, il reviendra aux tribunaux de détermi-ner si une mise à pied équivaut à un manquement de peu d’impor-tance à la lumière des circonstances et spécificités de chaque casde figure. Dans le cadre de leur appréciation, ils devront tenir comptedu fait que les obligations matérielles de l’employeur consacrées àl’article 2087 C.c.Q. peuvent s’assimiler à des obligations de résultatet que le manquement à celles-ci ne peut être qualifié de peu d’impor-tance. Les facteurs suivants seront déterminants dans cette appré-ciation : (1) la durée de la mise à pied et (2) l’expectative d’un retourau travail et, plus particulièrement, l’existence d’une date connue etcertaine de rappel au travail.

Partie VIII : Recommandations pratiques pour les partiesau contrat de travail

Un employeur qui désire bénéficier d’une prérogative de mettreun salarié à pied a tout intérêt à introduire des stipulations à cet effetdans le contrat individuel de travail ou dans une politique en faisantpartie intégrante (art. 1435 C.c.Q.). Même si l’employeur exploite uneentreprise où les mises à pied sont courantes, notamment en raisondu caractère intermittent ou saisonnier du travail, il est néanmoinssouhaitable qu’il établisse les modalités de son pouvoir dans lecontrat.

Le contrat de travail devrait notamment prévoir ce qui suit :

• Les circonstances dans lesquelles l’employeur peut exercer sonpouvoir de mise à pied (croissance économique atone, situation deprécarité financière, etc.).

• Le fait que la mise à pied est sans solde.

• La durée maximale de la mise à pied.

• Les modalités relatives au droit de rappel au travail.

300 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

• Les indemnités payables au salarié lorsque la mise à pied excède ladurée maximale.

• La continuation, le cas échéant, de la participation du salarié auxrégimes d’assurance-collective et de retraite de l’employeur178. Il ya lieu de préciser si cette continuation est conditionnelle à ce que lesalarié paye les contributions qui sont à sa charge, si l’employeurcontinue de payer ses propres contributions ou si l’intégralité descoûts afférents aux régimes reviennent au salarié mis à pied. Ence qui concerne le régime de retraite, il importe de préciser sil’employeur continuera de verser ses contributions pendant lapériode de mise à pied advenant que le salarié décide de poursuivreles siennes.

La durée maximale de la mise à pied ne devrait pas excéder lapériode de six mois visée à la Loi sur les normes du travail. En effet,la jurisprudence majoritaire considère que, à l’expiration de cettepériode, il y a cessation d’emploi. La jurisprudence suivant laquelle lecontrat de travail pourrait survivre au-delà de cette période en pré-sence d’une expectative de retour au travail découlant d’une pro-messe de rappel au travail de l’employeur, d’une politique ou d’unedisposition contractuelle conférant un droit à l’employeur de mettre àpied pour une période de six mois ou plus est, à notre avis et avec défé-rence, erronée. Pour cette même raison, l’employeur devrait éviter deprévoir un droit de rappel qui excéderait cette période de six mois. Enthéorie, il pourrait certes le faire en prévoyant que, à l’expirationde cette période, il y a cessation d’emploi tout en s’engageant à com-muniquer avec le salarié advenant que la situation économiques’améliore et que ses services soient de nouveau requis. Il reviendraalors à l’employeur d’établir les modalités et conditions d’un telretour.

L’employeur doit faire preuve de modération et de circonspec-tion dans l’établissement des modalités encadrant son droit d’impo-ser une mise à pied lorsqu’elles ne font pas l’objet d’une véritabletractation avec le salarié (art. 1379 C.c.Q.). Une clause abusive d’uncontrat d’adhésion peut être invalidée (art. 1437 C.c.Q.). En cas dedoute, une clause d’un tel contrat s’interprète toujours en faveur de

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 301

178. À l’opposé de certaines interruptions de travail prévues à la Loi sur les normesdu travail, notamment un licenciement collectif (art. 84.0.8), une absence pourcause de maladie (art. 79.3) ou un congé de maternité, de paternité ou parental(art. 81.15), l’employeur n’a aucune obligation de permettre au salarié mis à piedde continuer sa participation aux régimes d’assurance collective et de retraite.

l’adhérent (art. 1432 C.c.Q.). Enfin, si l’employeur édicte les modali-tés encadrant son pouvoir de mettre à pied ses salariés dans un docu-ment autre que le contrat de travail lui-même, celles-ci pourraientêtre nulles si, au moment de la formation du contrat, elles n’ont pasété expressément portées à la connaissance du salarié (art. 1435C.c.Q.).

Dans ce contexte, notre recommandation d’aligner la duréemaximale de la mise à pied sur la période de six mois consacrée à laLoi sur les normes du travail s’avère d’autant plus indiquée lorsque lecontrat de travail s’assimile à un contrat d’adhésion. Même en admet-tant qu’il soit possible de mettre à pied un salarié non syndiqué pourune période excédant six mois, un tribunal pourrait, à juste titre, con-clure que cette durée s’avère abusive et invalider la clause qui lapromulgue.

Au chapitre de l’obligation de mitigation (art. 1479 C.c.Q.), nousvoyons mal comment l’employeur pourrait contractuellement impo-ser une telle obligation au salarié pendant la période de mise à pied.Tout d’abord, cette obligation irait à l’encontre de la notion mêmed’expectative de retour au travail qui est inhérente à une véritablemise à pied. Elle est aussi antinomique au caractère temporaire de lamise à pied.

D’un point de vue pratique, force est d’admettre qu’unemployeur potentiel serait hésitant à embaucher un salarié mis àpied considérant que ce dernier pourrait démissionner à plus oumoins brève échéance en cas de rappel au travail. Enfin, d’aucunspourraient croire que cette obligation est une tentative à peine voiléed’éluder l’application de la Loi sur les normes du travail (art. 122,par. 5) en forçant le salarié à mitiger ses dommages en vue de favori-ser une démission de sa part lorsqu’il n’y a pas de véritable possibilitéde rappel et ce, afin d’éclipser l’obligation de l’employeur de lui four-nir l’avis de cessation d’emploi (art. 82).

Le salarié mis à pied se doit d’agir avec doigté au chapitre de sonobligation de mitiger ses dommages. En règle générale, en cas demise à pied s’assimilant à un congédiement déguisé, il doit accepterde revenir au travail dès que son employeur lui en offre la possibilité,à moins qu’il n’y ait un risque objectif d’un environnement de travailmalsain et acrimonieux ou que le poste offert ne corresponde pas àson poste initial et que, selon les circonstances, il puisse valablementrefuser d’accepter un tel poste. Le salarié n’est généralement pas exo-

302 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

néré de son obligation de revenir au travail lorsqu’il a déposé unrecours en justice contre son employeur et que ce dernier le rappellepour pouvoir plaider après-coup une mise à pied.

Le salarié non syndiqué mis à pied a aussi tout intérêt à biens’informer au sujet des recours qui lui sont disponibles. Pour lescadres supérieurs et les salariés ne justifiant pas de deux ans de ser-vice continu qui ne peuvent se prévaloir du recours à l’encontre d’uncongédiement fait sans une cause juste et suffisante prévu aux arti-cles 124 et suivants de la Loi sur les normes du travail, il n’y a guèrede confusion possible quant au recours approprié. Ils doivents’adresser à un tribunal civil en vue de plaider que leur mise à piedconstitue un congédiement déguisé.

Le salarié qui peut se prévaloir du recours prévu aux articles124 et suivants de la Loi sur les normes du travail doit tenir compte dedivers facteurs. En présence d’indices démontrant que sa mise à piedn’est qu’un prétexte pour dissimuler un congédiement, le TAT peutvalablement se saisir du recours et conclure à l’existence d’un congé-diement. De même, le salarié mis à pied qui considère que sonnon-rappel au travail s’assimile à un congédiement déguisé peut sai-sir le TAT d’un tel recours.

Toutefois, en présence d’une véritable mise à pied, le TAT n’aaucune juridiction pour se saisir du recours. Tout comme le TAT n’apas compétence lorsque la cessation d’emploi découle d’un licencie-ment, il n’a pas compétence pour se saisir d’un recours déposé par unsalarié mis à pied, même si l’on considère qu’une telle mesure admi-nistrative constitue un congédiement déguisé en vertu du droit civil.Par ailleurs, tel qu’expliqué antérieurement, la Commission des rela-tions du travail (maintenant le TAT) conclut souvent que la mise àpied n’équivaut pas à une cessation d’emploi pour justifier son refusde se saisir du recours déposé par un salarié mis à pied. À notre avis etavec la plus haute déférence, cette jurisprudence est généralementerronée en ce qui a trait au fait que le contrat de travail puisse sur-vivre à la mise à pied. Néanmoins, elle n’a aucune répercussion surnotre conclusion suivant laquelle le TAT ne peut se saisir d’unrecours déposé en vertu des articles 124 et suivants de la Loi sur lesnormes du travail lorsque la mise à pied est véritable et n’est pas unprétexte pour camoufler un congédiement et ce, nonobstant la ques-tion visant à savoir si le lien d’emploi est rompu par une telle mesureadministrative.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 303

Enfin, sans égard à son statut ou à ses années de service, unsalarié qui estime que son employeur a fait preuve de discriminationau sens de l’article 16 de la Charte des droits et libertés de la personneen lui imposant une mise à pied peut déposer une plainte à la Com-mission des droits de la personne et des droits de la jeunesse179. Selonles circonstances, sa plainte peut être déférée au Tribunal des droitsde la personne.

CONCLUSION

L’objectif premier de cet article était de faire une recensionexhaustive de la jurisprudence et de la doctrine concernant l’impactd’une mise à pied sur le contrat individuel de travail. Considérantque ce sujet soulève de sérieuses questions d’ordre juridique, notam-ment en ce qui a trait à l’interaction entre les dispositions du Codecivil relatives au contrat de travail et les dispositions de la Loi sur lesnormes du travail encadrant la mise à pied, nous espérons qu’il vien-dra complémenter et bonifier la littérature juridique existante à cesujet.

En principe, une mise à pied d’un salarié non syndiqué constitueun congédiement déguisé à moins qu’un terme explicite ou implicitedu contrat de travail ne l’autorise ou que le salarié n’y consente. Ànotre avis, même en admettant que les articles 82 et suivants de laLoi sur les normes du travail puissent conférer un pouvoir auxemployeurs d’imposer une mise à pied à un salarié non syndiqué, cequi est loin d’être acquis, ils ne peuvent le priver de son droit de seprévaloir des dispositions du Code civil pour alléguer que cettemesure administrative s’assimile à un congédiement déguisé (art.82(4) de la Loi sur les normes du travail). Une telle interprétations’impose d’autant plus qu’elle permet de concilier les dispositions per-tinentes du Code civil et de la Loi sur les normes du travail et respectel’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Asphalte Desjardinssuivant lequel il faut favoriser une interprétation concordante desdispositions de ces lois en matière de cessation d’emploi.

Nous sommes conscients que notre position s’oppose à un cou-rant jurisprudentiel bien établi. Nous sommes également conscientsqu’elle s’oppose à celle préconisée par la CNESST et à la croyance

304 DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT DU TRAVAIL

179. Il peut aussi saisir un tribunal civil pour les mêmes motifs.

générale parmi les praticiens du droit de l’emploi et des profession-nels des ressources humaines qu’une mise à pied de moins de six moisn’entraîne pas la rupture du contrat de travail.

Toutefois, à notre humble avis, en l’absence d’une dispositionexpresse confirmant l’intention du législateur de déroger au droitcommun, la sauvegarde de l’intégrité du régime juridique applicableau contrat individuel de travail et d’une interprétation concordantedes dispositions du Code civil et de la Loi sur les normes du travailont, et doivent avoir, préséance sur toute autre considération d’ordreéconomique ou pratique.

Il ne faut pas perdre de vue que l’impact pratique de notre thèsedemeure marginal. Tout d’abord, notre thèse ne s’applique aucune-ment en matière de rapports collectifs du travail180. En outre, unemise à pied découlant d’un usage reconnu dans une industrie, notam-ment en raison du caractère intermittent ou saisonnier du travail, ouimposée en vertu d’un terme explicite ou implicite du contrat detravail est, en principe, valide. Par ailleurs, un salarié mis à pied agénéralement droit à des prestations d’assurance-emploi. Pour cetteraison, il arrive souvent qu’il accepte tacitement ou explicitementcette mesure administrative s’il croit que son retour au travail estimminent. Ce faisant, il choisit, souvent à juste titre, de conserver sesacquis chez son employeur plutôt que d’intenter des procédures judi-ciaires onéreuses et de se lancer dans une recherche d’emploi à l’issueincertaine.

Que notre position soit entérinée ou non par les tribunaux nedevrait pas dispenser les parties au contrat individuel de travail d’yintroduire des dispositions encadrant le droit de l’employeur d’im-poser une mise à pied. À ce jour, la liberté contractuelle des parties estle meilleur remède pour obvier au manque de prévisibilité juridiqueen ce qui a trait à l’impact d’une mise à pied sur le contrat individuelde travail.

RUPTURE OU SURVIE DU CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL 305

180. Dans l’éventualité où une convention collective est silencieuse au sujet de lamise à pied, ce qui est rarement le cas, il serait, en théorie, possible d’arguerqu’une telle mesure administrative équivaut à un congédiement déguisé.