ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

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Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du type de culture en Afrique occidentale (l) Eric J. ROOSE Pédologue O.R.S.T.O.M., 21, rue Ragard, 75008 Paris et Laboratoire de Geologie, Université d’Orléans, 45046 Orléans Cedex RÉSUME La fertilité des sols ferrallitiques des régions iropicales humides d’Afrique dépend pour une large part de leur stock de matières organiques. Or celles-ci sont rapidement minéralisées sous ces climats chauds et agressifs et la structure de ces sols se dégrade en quelques années dès qu’ils sont défrichés. Leur mise en valeur agricole pose donc des problèmes délicats. De nombreux auteurs ont constaté la dégradation du sol après défrichement et culture et en ont cherché les causes dans la minéralisation des matières organiques (brûlis), l’érosion et le. lessivage des éléments nutritifs. Or, les résultats des mesures d’érosion et de lixiviation montrent qu’il peut y avoir une dégradation plus ou moins poussée du sol même en absence de croissance des pertes par érosion et drainage, par exemple dans le cas des cultures arbustives pérennes avec sous-étage. En effet, si la forêt, écosystème très complexe, est capable d’amener les sols à leur niveau de fertilité le plus élevé dans un contexte donné, c’est qu’elle est plus apte qu’un système cultivé simplifié, non seulement à limiter les pertes, mais aussi à concentrer dans les horizons humifères les éléments nécessaires au développement des plantes et des activités biologiques très diversifiées. Si une certaine dégradation est inévitable, elle peut cependant être réduite ou au moins ralentie par l’adoption de méthodes progressives de défrichement (respectant l’horizon humifère et le réseau racinaire, brûlis progressif sur place), par le choix de systèmes de culture couvrant bien le sol (cultures associées et cultures arbustives avec sous-étage sont les mieux adaptées aux régions très humides) et par l’adoption de techniques culturales modernes bien adaptées au milieu physique. Finalement, s’il reste encore à développer des systèmes de culture faibles consommateurs d’énergie, le dèvelop- pement d’une agriculture vivrière moderne se heurte moins à des problèmes techniques qu’à des décisions d’ordre économique et politique. MOTS-CLES : Afrique occidentale - Méthodes de défrichement - Érosion -~ Ruissellement - Dégradation des sols - Systèmes culturaux - Mécanisation. ABSTRACT RUNOFF AND EROSION BEFORE AND AFTER CLEARING DEPENDING ON THE TYPE OF CROP IN WESTERN AFRICA The fertility of ferrallitic soils in humid tropical regions of Africa depends largely on their storage of organic matter. New, the latter is quickly mineralized under these warm and aggressive climatic conditions and, once they have been cleared, their structure is degrading within a few years. Therefore, iheir agricultural development raises some critical problems. (1) Communication à la Conf. Intern. sur le defrichement et la mise en valeur en régions tropicales humides, I.I.T.A., Ibadan, Nigeria, 23-26 novembre 1982. Cah. O.R.S.T.O.M., s&. Pédol., uol. XX, no 4, I!l83: 327-339. 327

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Page 1: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

Ruissellement et érosion avant et après défrichement

en fonction du type de culture en Afrique occidentale (l)

Eric J. ROOSE

Pédologue O.R.S.T.O.M., 21, rue Ragard, 75008 Paris et Laboratoire de Geologie, Université d’Orléans, 45046 Orléans Cedex

RÉSUME

La fertilité des sols ferrallitiques des régions iropicales humides d’Afrique dépend pour une large part de leur stock de matières organiques. Or celles-ci sont rapidement minéralisées sous ces climats chauds et agressifs et la structure de ces sols se dégrade en quelques années dès qu’ils sont défrichés. Leur mise en valeur agricole pose donc des problèmes délicats.

De nombreux auteurs ont constaté la dégradation du sol après défrichement et culture et en ont cherché les causes dans la minéralisation des matières organiques (brûlis), l’érosion et le. lessivage des éléments nutritifs. Or, les résultats des mesures d’érosion et de lixiviation montrent qu’il peut y avoir une dégradation plus ou moins poussée du sol même en absence de croissance des pertes par érosion et drainage, par exemple dans le cas des cultures arbustives pérennes avec sous-étage. En effet, si la forêt, écosystème très complexe, est capable d’amener les sols à leur niveau de fertilité le plus élevé dans un contexte donné, c’est qu’elle est plus apte qu’un système cultivé simplifié, non seulement à limiter les pertes, mais aussi à concentrer dans les horizons humifères les éléments nécessaires au développement des plantes et des activités biologiques très diversifiées.

Si une certaine dégradation est inévitable, elle peut cependant être réduite ou au moins ralentie par l’adoption de méthodes progressives de défrichement (respectant l’horizon humifère et le réseau racinaire, brûlis progressif sur place), par le choix de systèmes de culture couvrant bien le sol (cultures associées et cultures arbustives avec sous-étage sont les mieux adaptées aux régions très humides) et par l’adoption de techniques culturales modernes bien adaptées au milieu physique.

Finalement, s’il reste encore à développer des systèmes de culture faibles consommateurs d’énergie, le dèvelop- pement d’une agriculture vivrière moderne se heurte moins à des problèmes techniques qu’à des décisions d’ordre économique et politique.

MOTS-CLES : Afrique occidentale - Méthodes de défrichement - Érosion -~ Ruissellement - Dégradation des sols - Systèmes culturaux - Mécanisation.

ABSTRACT

RUNOFF AND EROSION BEFORE AND AFTER CLEARING DEPENDING ON THE TYPE OF CROP IN WESTERN AFRICA

The fertility of ferrallitic soils in humid tropical regions of Africa depends largely on their storage of organic matter. New, the latter is quickly mineralized under these warm and aggressive climatic conditions and, once they have been cleared, their structure is degrading within a few years. Therefore, iheir agricultural development raises some critical problems.

(1) Communication à la Conf. Intern. sur le defrichement et la mise en valeur en régions tropicales humides, I.I.T.A., Ibadan, Nigeria, 23-26 novembre 1982.

Cah. O.R.S.T.O.M., s&. Pédol., uol. XX, no 4, I!l83: 327-339. 327

Page 2: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

E. J. ROOSE

Numerous aufhors observed fhaf soi1 was degrading affer clearing and culfivafion and fhey fried fo find fhe reasons for if in fhe mineralization of organic maffer (burning), erosion and the leaching of nutrienfs. New, the results obtained by measuring erosion and leaching show that soit degradation may be more or less advanced even without any increase in losses by erosion and drainage, such is, for instance, fhe case of perennial tree crops associafed wifh caver crops. As a mafter of fact, if fhe f orest which is a very complex ecosystem cari cause soils to reach their highest level of fertility under certain conditions, it is more likely than a simplified cuttivated system, not only to timit losses, but atso to concentrate in humiferous horizons the elemenfs which are necessary for the plant growth and the development of very diversified biotogical activities.

If ii is impossible to avoid a certain degradation, ii is, however, possible to reduce it or ut least to slow it down by turning to gradua1 methods of ctearing such as the gradua1 burning in situ which will preserve the humiferous horizon and the root system, by selecting cropping systems which Will caver the soi1 perfectly (for instance, associated crops and tree crops with caver crops are the best suited to fhe very humid regions) and by turning to modern cultural techniques which wilt be perfectly suited to the physicat environment.

Finally, the development of a modern agriculture based on food crops must tope less with technical problems than with economic and political decisions, although cropping systems which witt not be very energy intensive are sfitt to be found.

KEY ‘L~ORDS : Western Africa - Erosion - Run-off systems - Mechanization.

_ - Soi1 degradation - Clearing systems - Cropping

1. INTRODUCTION

Face a la pression démographique et à la nécessité de réduire la faim dans le monde, les autorités régio- nales et internationales ont proposé divers program- mes de développement de l’agriculture, en particulier dans les pays tropicaux où la demande est la plus forte. Paradoxalement, la famine s’est installée non seulement dans les zones semi-arides a la faveur des années sèches, mais on observe aussi la malnutrition dans des régions très humides où la végétation natu- relle est pourtant abondante.

En Afrique de l’Ouest où existent encore de vastes étendues peu peuplées, les programmes de dévelop- pement se sont attachés moins à augmenter les rendements des exploitations existantes, qu’à étendre les surfaces cultivées en mécanisant les opérations de défrichement et parfois même l’ensemble des travaux culturaux. Or, ces régions sont soumises à une agressivité climatique élevée du fait de l’humi- dité, de la chaleur, de l’intensité et de l’énergie des pluies qui favorisent la minéralisation des matières organiques, la dégradation des propriétés physiques des horizons superficiels, l’érosion des terres et le lessivage des nutriments (HARR~Y, 1944 ; CHARREAU, 1971-1972 ; RO~SE, 1973-1980 ; HUMBEL, 1974). Et pour les régions les plus sèches s’ajoute l’ambiance desséchante de l’air pendant deux à six mois de l’année (HUMBEL, 1974 ; CHAUVEL, 1977). Aussi les sols sont-ils en équilibre fragile tant du point de vue chimique que structural. Dans la nature, cet équilibre ne se maintient que par le jeu de l’ensemble des activités biologiques ; que l’une d’elles soit modifiée et le milieu se dégrade plus ou moins rapidement selon la puissance de l’intervention.

Qu’en est-il lors du défrichement et de la mise en culture ? On s’est longtemps trompé sur la fertilité potentielle des terres tropicales en l’évaluant à partir de la luxuriance de la végétation. En réalité la forêt vit sur ses propres débris et réutilise sans arrêt les éléments nutritifs que diverses activités biologiques concentrent à la surface du sol. Une fois minéralisées les réserves de matières organiques, la couverture pédologique ferrallitique n’est plus qu’un squelette complètement altéré, un milieu de culture relative- ment favorable mais presque dépourvu de réserves minérales. Dès que la forêt disparaît et qu’il est mis fin aux apports réguliers de matières organiques, les teneurs de carbone du sol diminuent, les éléments nutritifs faiblement retenus par les argiles kaolini- tiques sont lixiviés, les activités biologiques sont réduites, tandis que la macroporosité s’effondre et que la structure se dégrade dans les horizons super- ficiels (NYE et GREENLAND, 1964 ; FAUCK et al., 1967 ; CHARREAU et FAUCK, 1970 ; SIBAND, 1972- 1974 ; RO~SE, 1973-1980). C’est pourquoi le défri- chement et la mise en culture des terrains vierges posent des problèmes délicats de protection des sols.

Dans cette note sont rapportés une série de résul- tats ayant trait a l’évolution du ruissellement et de l’érosion depuis le milieu naturel (forêt ou savane) jusqu’à différents types de cultures pérennes ou annuelles. Il ne s’agit pas de considérer la conserva- tion des sols comme une fin en soi : mais l’érosion ainsi que le ruissellement représentent des critères de déséquilibre entre le milieu physique et son mode d’exploitation, un risque de dégradation du capital foncier contre lequel il faut se prémunir. En exami- nant les pertes en eau et en terre des différents systèmes de production, on pourrait estimer ces

328 Cah. O.R.S.T.O.Jf., sér. Pédol., vol. XX, no 4, 1983: 327-339.

Page 3: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

Ruissellemenf et érosion avant et après défrichemenl

Go& : ORSTOM - CTFT

Gompela : CTFT - ORSTOM

Saria : ORSTOM - IRAT

Korhogo : ORSTOM

Bouoké : IRAT - ORSTOM

Oivo : ORSTOM - IFCC

Azagui; : ORSTOM - IRFA

Anguédédou : ORSTOM - IRCA

Adiopodoumé : ORSTOM

AGONKAMEY : ORSTOM

Ibodon : IITA

A Case érosion D Case ERLO

0 Cos.2 DV

60 40 20 00 20 40

Fig. 1. - Carte de situation des stations de mesure de l’érosion et du drainage

risques et tirer des recommandations pour le dévelop- pement agricole futur de ces régions.

2. METHODE ET CARACTÉRISATION DU MI- LIEU

De nombreux chercheurs de 1’O.R.S.T.O.M. (1) et du Gerdat (2) ont étudié la dynamique des sols tropicaux soumis au défrichement et a la culture mécanisée ou non (FAUCK et al., 1969 ; CHARREAU et FAUCK, 1970 ; SIBAND, 1972, BLIC, 1976 ; BLIC et MOREAU, 1979432 ; RO~SE, 1980). Nous ne rappor- terons ici qu’une série de résultats d’expérimentation en parcelles d’érosion (quelques centaines de métres carrés) et d’observations suivies au champ dans de

grandes plantations de Côte d’ivoire sur des sols ferrallitiques issus de sédiments sablo-argileux ter- tiaires (station O.R.S.T.O.M. d’Adiopodoumé, planta- tion I.R.C.A. 9 l’Anguededou), de schistes chloriteux (station I.R.F.A. d’Azaguie) ou de granito-gneiss (station I.F.C.C. de Divo, station I.R.A.T. à Bouaké, bassin O.R.S.T.O.M. à Korhogo). Les dispositifs ont été décrits dans des publications antérieures (RO~SE, 1973 a 1980). Les principales caractéristiques du milieu sont résumées au tableau 1. 11 en résulte que l’agressivité climatique de ces régions tropicales humides est très élevée (Rusa = 1 200 à 450) et augmente avec la hauteur des précipitations annuelles et avec leur concentration en une seule saison. Par contre, le relief est peu accentué et les pentes ne dépassent 20 y0 que très localement.

(1) O.R.S.T.O.M. : Institut français de Hechcrche scientifique pour le développement en coop&ation. (2) Gerdat : Groupement d’Étude et de Recherche sur le Développement de l’Agriculture Tropicale.

Cah. O.H.S.T.O.M., sér. Pédol., uol. XX, no 4, 1983: 327-33.9. 329

Page 4: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

TABLEAU 1

Carack5sliques du milieu espbrimental

~l.~r.lrlrr-~~,rr~r~-~--~~~.~~~~~~~~~~~.~~~~.~~~.~~.~~~~..

ANCUEDEDOU AZACUIE DIVO BOUAKE

5'25' N 5'33' N 5.48 N 7.46' N 4*08' w 4.03' w 5'18 w 5.06' W "mm 18Om -I5om ,370m

9'25' N 5.39' u 39Om

TROPICAL rrAnAition

1350 1660 27.0* 676

SOdAnAiAA

AV. brû1Cc sol nu,mAiA

Fertil. feu

Plot. TAb. Long ClAciA

COUCAVC

3 150 a 1000

by .D&At .

remoni&

WdAL

Granjto- gncxrr

+ fiI.quar

SITUATION Latitude Longitude Altitude

12.16’ N 2.09’ w

12’22’ N 1.19' w

-3OOn

EQUATORIAL DE TRANSITION (2 SAISONS DES PLUIES)

q-7qqg-

TROPICAL PUR

1 CL MATS

1200 1300 26.1.

512

860 1905 28.1. 430

Pluie an. n0y. b ETP A.rn. I,

TemppérAture (‘C Ind. Agrers. PUAA

VEGETATION NAT.

régit .CompAree

FORET DENSE HUMIDE Semoervircnte

E SoudAno-SAh6lienne

rv.pAt.+Feu SAv.Arb.brûl.

memi-decidue

‘orêt 2Aire CACAO

ferttIiA6

uinlcnne

w.Arbust. lia & div.

!rtiI. Feu

PlAteAux

4-7-l I-20-65

lu, Aorgho 1 -

fertiIiA6 dAte VAriAbL du feu

PlAt. Tab. cuirassi? TreA long

glacis 0.5 3OinI

Lrrpe croupe HoIl. ondu

4 700

~~SAGES DômL Aurb. Très long

SlACiA

LArgc croupe HoIl. ondul6

10 300

‘enter x rersAnt (m)

iOLS - FERRALLITIOUE TraA déroturk Hoyen.DCAAt

AppAWri AppAUvri rermnie reuwib

FERRUGINEUX-TROPICAL .eeeiv8A

ndures a taches L concrCt. Cuir. prof onde

Très dC.it.

rAjauni

remAni< ur cuir. eu prof.

modal / modA1 /AppAuvri 1 mode1

I Sediment. III Sbdim. III SchiAt.chlor CrAnito-gnei

AAblO-Are.

I

AAbIO-Arg. filon.QuArtr CAICo-AlC.

granito-

gnciar

Page 5: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

Ruissellement ei érosion avant et après défrichement

Pluie, ruissellement et Erosion mesurés à la parcelle P6 du Centre O.R.S.T.O.M. d’Adiopodoumé avant et après défrichement. Sol ferrallitique très désaturé sur sédiments tertiaires argile-sableux :

a = dkfrichement manuel le 25 avril 1966. Plantation de manioc/butte b = arachides à plat plantées fin avril

S/E = Rapport des matériaux érodés en suspension fines (perte jusqu’à la mer) à l’érosion totale (flnefgrossière, c’est-à-dire sables et agrégats qui peuvent se déposer en bas de pente pour former les colluvions)

1960 1961 1962 1963 1964 1965 For&t mCdiane 1966’ 1967b 1968 1969 1970 For&t Foret 1956-65 Hanloc/butte arachidelplat sol nu sol n” sol “”

Pluie mn 2713 2434 1647 2300 2321 1496 1673 2084 1951 1655

1927 1358 1084 1673 614 990 861 989 1251

0,l 0.2 0,5 0.6 0.5 18.3 25.0 24.7 26,l 31.2

1 3.4 3,9 7.3 3.2 75 77 65 76 68

0,013 0,007 0,052 0,227 0,052 162.4 427.3 622.3 564.2 746,6

100 100 100 100 100 527 1.7 2 2,6 2.7

3. LES RESULTATS

Les résultats sont présentés sous forme de tableaux où sont comparés les taux de ruissellement annuels moyens (KRAM en % des pluies), les taux de ruissellement maxima au cours d’une averse de fré- quence annuelle (KRMAX %), l’érosion totale (particules fines en suspension+transports de fond en t/ha/an) et le rapport entre les pertes en suspension et l’érosion totale (S/E en l/o).

3.1. Au tableau II sont rapportées les observations effectuées sur une parcelle de 15 m de long, 23 o/O de pente sous forêt humide Fecondarisée (10 années de mesure) qui a été défrichée le 15 avril 1966 et plantée en manioc sur buttes, puis en 1967 en arachide A plat, et ensuite maintenue en sol nu labouré, plané et sarclé chaque année. Lorsqu’on défriche, même manuellement, ces pentes raides sous ces climats très agressifs, on passe brutalement de taux de ruissellement (K.R. = 0,5 à 3 %) et. d’érosion (E = 52 kg/ha/an) négligeables à des ruissellements 25 à 100 fois plus élevés (K.R. = 15 à 00 %) et à des pertes en terre considérables (E = 400 à 750 t/ha/ an). Sous la forêt dense, seules les particules fines remontées au-dessus de la litière par la mésofaune sont susceptibles de migrer (S/E = 100 O&). Par contre, sous les cultures annuelles (souvent chétive? sur ce type de pente) et sur sol nu, l’érosion est si vive qu’elle décape tout l’horizon humifère : elle cesse d’être sélective (= microravinement) et la proportion de particules fines érodées en suspension régresse à moins de 6 o/O de l’érosion totale. Notons aussi que lors de la première année de culture, ruissellement et érosion ont été nettement moindres

(1) I.F.C.C. : Institut Français du Café et du Cacao.

que les années suivantes. On peut l’attribuer à une moindre agressivité des pluies, mais surtout. A une meilleure résistance du sol (taux de matières orga- niques et structure encore favorables) car la cou- verture du sol par la culture de manioc ne devient effective qu’au bout. de six mois, c’est-à-dire après la période des fortes pluies (RO~SE, 1973-1977).

3.2. AU tableau III sont présentés les résultats des observations effectuées sur une parcelle de 38 m de long et 10 yo de pente, de haute forêt semi-décidue de la station I.F.C.C. (1) située près de Divo au centre ouest de la Côte d’ivoire (RO~SE, JADIN, 1969). Après 4 années de mesures, cette forêt a été abattue à la scie mécanique, brûlée légèrement, les gros bois tronçonnés et roulés dans les interlignes, des cacao- yers sélectionnés ont été plantés en ligne selon les courbes de niveau : il n’y eut pas de dessouchage en dehors des lignes de plantation et le recru forestier des interlignes a servi d’ombrage latéral aux jeunes plants.

Dans cet exemple, le sol n’a pratiquement jamais été dénudé, la minéralisation du stock organique lors du brûlis a été réduite et les apports organiques, quoique plus faibles, n’ont jamais cessé. Aucune modification n’a été observée dans les eaux de drai- nage et les activités biologiques, en particulier celle des vers de terre, sont intenses. D’après CoLLINE,r (1974 : communication personnelle), les densités appa- rentes sont très voisines sous forêt et cacaoyère (même en surface) et la vitesse d’infiltration (mesurée sur Muntz de 1 m2) quoique plus faible sous cacaoyer, est restée supérieure à l’intensité des pluies habi- tuelles. Il n’est donc pas étonnant que le ruissellement et l’érosion soient restés négligeables après un

Cah. O.H..S.ï:O.M., sér. Pédol., uol. .Y.Y, nu 4, 1983: 327-339. 331

Page 6: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

E. J. ROOSE

TABLEAU III

Pluie, ruissellement et érosion mesurés à la parcelle E.R.L.O., de la station I.F.C.C., près de 11ivo avant et après défrichement (decembre 1970). Sol ferrallitique moyennement remanie sur granite. Pente 10 %. Plantation cacaoyers sur lignes distantes de 4,5 m

avec interligne en pewn forestier

Pluie (a .n lnn) Agrersivit6 Rusa

KJlAH x

m tlrr x

Erosion (k8h)

S/E x

FORET SEHI - i --

1967 1968 -m-ms-s __-_-_-___ ---r 1242 195.5

601 1100

:IDlJE

1969 1970 .-____- ___--__

-T-

1211 1436

SD0 048

T CACAO;ERE + RECRU PORESTIER

1971 1972 1973 .___________-______-_ .-______<

1220 1291 1386

599 684 795

0.3 0.1 0.4

1.2 1.5 2.6

133 73 58

8 22 65

tel défrichement et sous ce type de culture cou- vrante, malgré des indices d’agressivité des pluies (Médiane = 672) comparables aux indices les plus élevés observés aux U.S.A. (WISCIIMEIER et SMIDT? 1978). Le milieu semble en équilibre, la culture qui ne reçoit qu’une légère fumure minérale, est en excellente santé : en quatre ans les cacaoyers ont couvert, toute la surface.

Des résultats semblables (érosion et ruissellement négligeables) ont aussi été observés à la plantation I.R.C.A. de 1’Anguededou (cf. 6e ligne du tabl. IV) sous hévéas plantés sur une pente de 30 o/. sur des sols ferrallitiques très désaturés, sablo-argileux (RO~SE et al., 1970 ; TRAN THANH CANH, 1972). Moyennant un choix judicieux des cultures et des techniques culturales adaptées, il est donc possible de mettre en valeur ces régions chaudes et humides sans les dégrader.

3.3. Au tableau IV sont présentés des résultats de mesures effectuées en parallèle sur des parcelles voisines sous végétation naturelle et sur sol nu ou cultivé, une ou plusieurs années après le défriche- ment. Les pentes sont les plus communes pour ces régions. On peut constater que dans le milieu naturel, quelque soit le type de forêt ou de savane non dégradée, le ruissellement (KRAM = 0,l à 5,5 %) et l’érosion (E = 10 à 500 kg/ha/an) sont très limités malgré des pentes raides (jusqu’à 65 %) et des pluies très agressives (RUSA de 600 à plus de 1 200). Sur sol nu, il en va tout autrement. Le ruissellement atteint 15 à 50 o/. des précipitations annuelles, et

1375 659

0.4

1.7

98

33

tm, IANE

1967-197 .______

1333 612

0.4

2.1

plus de 80 yo de certaines averses orageuses. Les pertes en terre croissent rapidement de 50 a 600 t/ha/ an (plus de mille fois celles du milieu naturel) pour des pent,es de 3 à 20 %. L’implantation d’une culture réduit ces phénomènes de transferts superficiels de matières, mais dans des proportions très variables en fonction des techniques culturales et surtout en fonction du taux de couverture végétale et de l’état structural de la surface du sol à l’époque des averses les plus érosives. Pour préciser quelque peu le type dégradant ou protecteur des cultures, on a reporté au tableau V le rapport entre l’érosion mesurée sous une culture donnée et celle que l’on a mesurée sur une parcelle nue voisine. C’est le facteur C de l’équa- tion de WISCHMEIER et SMIDT (1960-78) lequel recouvre à la fois l’influence du couvert végétal et des techniques culturales qui lui sont associées.

3.4. Du tableau V il ressort qu’en dehors du milieu naturel, les prairies et cultures fourragères installées, les banareraies, les cultures arbustives associées à des plantes de couverture et les cultures paillées (ou mulch de résidus abondants) réduisent l’érosion à une fraction négligeable (C < 0,Ol). La plupart des cultures vivrières ou annuelles ne réduisent les pertes en terre que de 20 à 80 %, ce qui ne sufit pas pour arrêter la dégradation plus ou moins rapide des terres sous ces climats agressifs. Le bilan des horizons superficiels est déséquilibré par les énormes pertes subies du fait de l’érosion et par la réduction des activités biologiques.

332 Cnh. O.R.S.T.O.M., sér. PédoI., vol. XX, no 4, 1983: 327-339.

Page 7: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

TABLEAU IV

Ruissellement (en ‘j!! des pluies annuelles ou des pluies unitaires) et Erosion (t/ha/an) en Afrique de l’Ouest sous végktation naturelle, cultivée ou sur sol nu travail16

1 3

J

Page 8: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

E. J. ROOSE

Facteur couvert végktal x techniques culturales (Ci pour diverses cultures en Afrique Occidentale (R~OSE, 1977)

Z annuel moyen

Sol nu 1

Forlt, fourré dense, culture bien paillée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..O.OOl Savane et prairie en bon état . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..O.O] Savane ou prairie brûlée ou surpâturée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..O.] Flante de couverture à développement lent ou plantation

tardive, première année . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ...0.3 R 0.8 Plante de couverture à développement rapide ou plantation

hâtive, première année . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..O.Ol à 0.1 Plante de couverture à développement lent ou plantation

tardive, deuxième année . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..O.Ol à 0.1 Maîs. mil, sorgho (en fonction des rendements)..............O.4 à 0.9 Riz de plateau en culture intensive.........................O.I à 0.2 Coton, tabac en deuxième cycle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ...0.5 à 0.7 Arachide (en fonction du rendement et de la date de

plantation) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ...0.4 B 0.8 Manioc, première année et igname (en fonction de la

date de plantation) 0.2 à 0.8 Palmier, hévéa, café, cacao avec plantes de couverture..... O.OOlà 0.3 Ananas à plat (en fonction de la pente) plantation hâtive 0.001à 0.3

- avec résidus brûlés > . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..0*2 R 0.5 - avec résidus enfouis ) Plantation tardive . .. 0.1 à 0.3 - avec résidus en surface ).......................o.oolà 0.01

hnanas sur bilions cloisonnés (pente 7X), plantation.............o , tardive

.

4. DISCUSSION

4.1. La d&radation du sol est fonction du type de défrichement et de culture

De nombreux résultats montrent que dans le milieu naturel peu dégradé (forêt ou savane), les bilans de matière des horizons superficiels sont équi- librés (R~OSE, 1980). Les pertes par érosion et par drainage sont faibles et largement compensées par les apports (pluies, poussières et surtout remontées biologiques) puisque seules les forêts et les jachères forestières sont capables de restaurer le plus haut niveau de fertilité des horizons de surface pour des conditions pédoclimatiques données (LAUDELOUT et VAN BLADEL, 1967). Sous forêt, le turnover et l’ensem- ble des activités biologiques sont très rapides et permettent la concentration des éléments nutritifs en surface ainsi que la formation d’une structure fine relativement stable et très aérée (densité appa- rente souvent infërieure a 1 et porosité totale supé- rieure à 60 o/O dont les 2/3 de macroporosité).

Tout défrichement s’accompagne nécessairement d’un déséquilibre par augmentation des pertes, miné- ralisation brutale des réserves et d’une diminution

des apports biologiques (au moins entre les andains). Encore faut-il distinguer l’influence des différents types de défrichement et de mise en valeur :

- Ou bien le défrichement est de type traditionnel, manuel, sans travail du sol, avec brûlis progressif sur place du matériel végétal (enrichissement tem- poraire de la terre), respect du système racinaire et de la structure des horizons superficiels (MOREAU, 1982). La culture associée de différents types de plantes vivrières couvre bien la terre pendant toute l’année. La dégradation du sol est limitée, progressive et ne se manifeste qu’au bout de 3 à 5 ans (apres pourrissement du réseau racinaire). L’abandon de telles défriches tient généralement à l’envahissement par les mauvaises herbes et les prédateurs plutôt qu’à une baisse de fertilité chimique (JUR~ON, HENRY, 1967) ;

- Ou bien le défrichement est manuel ou semi- mécanisé en vue de cultures arbustives pérennes inten- sives avec plantes de couverture ou recru forestier : le brûlis est limité au petit bois et enrichit la couche superficielle de terre s’il est effectué en dehors de la saison des fortes pluies. La trame racinaire est préservée ainsi que la structure ; les transports du

334 Cah. O.H.S.l’.O.M., ~6%. I’édol., ml. XX, 120 4, 1983: 327-3311,

Page 9: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

Ruissellement et érosion auanf et awès d&ichement

gros bois sont très limités. La dégradation du sol est réduite et un équilibre favorable aux cultures arbustives peut s’établir moyennant un faible apport d’engrais. On peut citer en exemple les plantations de cacaoyer et caféier de 1’I.F.C.C. a Divo et les plantations d’hévéa de 1’I.R.C.A. en basse Côte d’ivoire (TRAN THANH CANH, 1972 ; RO~SE, 1980) ;

- Ou bien le défrichement est mécanisd et s’effectue en vue de cultures pérennes avec de puissants trac- teurs ti chaînes (200 à 300 H.P.) mais en dehors de la saison des pluies ; aprés brûlis, les gros bois sont andainés dans les interlignes (1 rang sur 2) et le sol est immédiatement couvert soit par le recru forestier, soit par un semis de légumineuses (Pueraria, Cen- trosema ou Flemingia). La dégradation du sol est limitée dans l’espace et les inconvénients du défri- chement mécanisé (tassement et destruction des horizons de surface) disparaissent au bout de quelques années. Ainsi, TALINEAU a montré qu’au bout de 4 ans, il n’y avait plus de différence significative entre les propriétés physiques des horizons superfi- ciels d’un sol ferrallitique désaturé sableux (planta- tion I.R.C.A. à Anguededou) soumis à différents types de défrichement, mécanisé ou non (communication personnelle).

Dans la plantation de palmiers de l’I.R.H.O. à La Mé (basse Côte d’ivoire), les résultats d’une enquête ont montré qu’après une brève période (2 ans) d’enrichissement (suite au brûlis et à la minéralisation des bois), la fertilité des horizons superficiels (30 cm) diminue rapidement pour se stabiliser vers 14 ans avec 60 O/” des matières orga- niques observées sous forêt, 73 y0 de l’azote et 90 y0 de la somme des cations. Un apport de 80 à 180 k@ha/ an de potasse sufit à maintenir un nouvel équilibre favorable à la production des palmiers (OLLAGNIER

et al., 1978) ;

- Ou bien le défrichement est mécanisé en vue de l’installation de cultures annuelles. Dans ce cas il est beaucoup plus dommageable, car il entraîne le trans- port de tout le matériel végétal sur des andains distants de 50 à 150 m, le compactage du sol, l’extrac- tion des racines, le soussolage et la préparation fine du lit de semence. C’est le cas où l’on observe le plus d’échecs (abandon des terres dégradées après 2-3 ans de culture) car la terre g cultiver est privée du stock minéral et organique inclus dans le matériel végétal rassemblé sur les andains, et de plus, elle est souvent décapée des couches superficielles les plus riches en nutriments et en organismes vivants. La terre est exposée à l’ardeur du soleil et à la battance des pluies ; après lui avoir arraché la trame racinaire, elle est mélangée aux couches profondes stériles. Le nouvel équilibre sera atteint plus tard et sera situé beaucoup plus bas dans l’échelle de fertilité, d’autant plus bas que le milieu est sensible a l’érosion (forte

pente, sol érodible, climat agressif et couvert végétal discontinu).

Nos observations dans les grandes plantations ont toujours fait apparaître que les méthodes mécaniques de défrichement faisant appel à des engins lourds entraînent forcément une dégradation de la structure du sol et le développement des problèmes d’érosion. Ainsi dans les plantations d’ananas de la région de Ono, tous les blocs défrichés et cultivés mécanique- ment posent de sérieux problèmes d’érosion, gênant leur exploitation mécanisée (ravines coupant les routes, mouillères et ensablement des bas-fonds). Sur les blocs voisins défrichés manuellement et pro- gressivement par les petits planteurs, l’érosion reste très discrète, même sur des pentes plus fortes.

Cependant, cette dégradation n’est pas forcément définitive. Dans la jeune palmeraie de Dabou par exemple, eut lieu en 1965 une averse exceptionnelle (234 mm/24 h) ; elle a entraîné une érosion catastro- phique et un retard considérable des jeunes planta- tions tant sur les collines érodées que sur les bas-fonds ensablés (30 cm de sables grossiers colluvionnés). Moyennant des apports minéraux fractionnés, la plante de couverture (Pueraria) a rétabli une activité biologique correcte et le retard de croissance des palmiers fut comblé en quatre ans.

4.2. Les causes de la dégradation des terres après défrichement

De nombreux auteurs ont remarqué que le défriche- ment des terres tropicales entraînait une dégradation rapide des propriétés chimiques et physiques des horizons superficiels et l’ont interprété comme une conséquence de l’agressivité du climat, de la fragilité des sols, de la minéralisation rapide des matières organiques entraînant une accélération des pertes par érosion et drainage : bien peu ont mesuré ces phénomènes pendant des périodes suffisamment lon- gues. Or :

- le rythme de la dégradation est rapide les premières années puis se ralentit pour atteindre un nouvel équilibre au bout de 5 à 15 ans, en fonction du système de production ;

- les phénomènes d’érosion augmentent beaucoup dès que le sol est dénudé ; ils croissent encore les années suivantes en cas de culture discontinue, mais ils sont vite arrêtés sous culture arbustive pérenne ;

- les phénomènes de lixiviation des nutriments par les eaux de drainage ne sont guère plus élevés sous culture que dans le milieu naturel, sauf si l’on provoque un déséquilibre entre les apports en nutri- ments et les besoins des cultures augmentés de la capacité de fixation du sol (RO~SE, 1977-80).

Cah. O.R.S.T.O.AI., sér. Pédol., vol. XX, no 4, 1953: 327-339. 335

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E. J. ROOSE

TENEUR

biologiqu0 . .

1

LIXIVIATION SOI nu 0” fIamure deréquilibrir

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Fig. 2. -- Schéma de la dynamique des sols ferrallitiques après dbfrichement et culture

L’augmentation des pertes par érosion et drainage n’explique donc pas entièrement les phénomènes de dégradation observés après défrichement : ce ne sont que des causes secondes.

II nous semble important de souligner ici le rôle des activités biologiques dans l’équilibre dynamique entre les pertes et les gains sous forêt et sous divers systèmes de culture. Le défrichement supprime les apports de matières organiques sous forme de litière sur le champ (sol appauvri) mais l’augmente sous les andains (sol enrichi). La dénudation et le brûlis accélérent la minéralisation des stocks organiques

retenus dans les végétaux mais aussi dans les horizons humifères superficiels. La minéralisation de l’humus, des racines et des débris végétaux de surface va se poursuivre pendant quelques années. Parallèlement a la disparition de ressources alimentaires carbonées, on peut constater la diminution des activités biolo- giques de la mésofaune et de la microflore, lesquelles assurent à la fois la concentration en surface des nutriments et la structure aérée des horizons humi- fères. Des apports organiques du nouveau système de culture et de la limitation des pertes va dépendre le nouvel équilibre du sol. Très tôt des agronomes

336 Cah. O.R.S.T.O.M., sér. Pédol., vol. XX, no 4, 1983: 327-339.

Page 11: Ruissellement et érosion avant et après défrichement en fonction du

Ruissellement et érosion avant et aprés défrichement

et des pédologues (HARR~Y, 1944 ; Van DEN ABEELE et al., 1956 ; AUBERT, 1959 ; CUNNINGHAM, 1963 ; JCRION et HENRY, 1967) ont conclu qu’il était important de couvrir le sol soit pour le protéger des rayons directs du soleil (accélération de la miné- ralisation de l’humus), soit pour amortir l’énergie des gouttes de pluie (DABIK, LENEUF, 1958 ; FOURNIER, 1967 ; RO~SE, 1967 à 1980). Lorsque le principe de la couverture du sol a été respecté (cas général des cultures arbustives avec plantes de couverture), l’érosion après défrichement est restée faible (cf. tabl. III-IV et V), mais la dégradation du sol, quoique plus discrète que sous culture temporaire, a toujours été significative : cf. OLLAGNIER ef al.

(1978) sous palmier, CUNNINGHAM (1963) sous cacao- yére, MO~L~ (1974) sous bananeraie et TRAN THANH CANH (1972) sous hévéa. On est bien obligé d’admettre que tous les systèmes de cultures, y compris les cultures arbustives avec sous-étage et les savanes, sont très simplifiés et moins efficaces pour réduire les pertes et surtout pour favoriser les activités biologiques que la forêt tropicale (dense ou semi- décidue) avec ses associations très complexes de plantes et d’animaux extrêmement variés,

5. CONCLUSIONS

L’ensemble des mesures d’érosion et des observa- tions au champ qui ont été exposées, laissent peu d’espoir de voir un développement facile et rapide d’une agriculture vivriére intensive motorisée en région tropicale humide : le climat est très agressif et les sols dépendent des matières organiques pour leur fertilité chimique et physique. Or, les matières organiques se minéralisent très vite en milieu chaud et humide et l’érosion se développe considérablement dès que le sol est découvert.

Le passage de la forêt à la culture entraîne toujours une dégradation physique et chimique plus ou moins poussée du milieu en fonction de l’appauvrissement biologique lié à la simplification de l’écosystème. La forêt, système très complexe, est nettement plus efficace que les autres (y compris que la savane) pour réduire les pertes de substances et concentrer dans l’horizon humifére les éléments organiques et miné- raux nécessaires au développement.

On connaît cependant divers moyens d’atténuer cette dégradation :

- lors du défrichement, en utilisant des méthodes progressives et faibles consommatrices d’énergie

(abattage manuel ou à la scie mécanique, brûlis sur place du petit bois, respect de l’horizon humifère et du réseau racinaire, réduction du dessouchage, du travail du sol et du transport du gros bois résiduel) ;

- préférence de cultures arbustives avec sous- étage de protection du sol recréant une ambiance forestière, la mieux adaptée aux régions tropicales très humides (P > 1 800 mm) ;

- limitation et cloisonnement des surfaces en cultures vivrières (système antiérosif) en veillant à couvrir le sol pendant toute la saison des pluies de plantes variées (rot,ation, association), à fractionner les apports d’éléments minéraux au moment où les plantes en ont besoin et à entretenir la stabilité de la structure du sol par une jachère fourragère et par l’utilisation au champ des résidus de culture (asso- ciation culture-élevage).

La mise au point de systèmes de culture vivrière modernes à la fois non dégradants et rentables a fait l’objet de nombreuses études. Elle fait appel à un ensemble de techniques étroitement adaptées aux conditions locales, donc difficilement généralisables (cf. travaux du Gerdat ; JURION et HENRY, 1967 ; FAUCK et al., 1967 ; CHARREAU et NICOU, 1971 ; LE BUANEC, 1972-1979). L’ensemble de ces techniques qui représentent un certain niveau de connaissances et augmentent les risques financiers (Le BUANEC, 1979) sont indispensables pour obtenir des rende- ments nettement supérieurs à ceux des systèmes traditionnels. Mais ces systèmes modernes sont rare- ment rentables surtout avec l’accroissement brutal du coût de l’énergie, des engrais et des machines. Peut-être est-ce l’occasion de pousser les investiga- tions sur des systèmes de production peut-être moins performants, mais moins sophistiqués et moins consommateurs d’énergie, respectant mieux les contraintes du milieu naturel. L’étude approfondie des systèmes traditionnels pourrait nous y aider.

En conséquence, le problème de la production de denrées alimentaires en régions tropicales sèches et humides est moins d’ordre technique que d’ordre économique (organisation du marché local et inter- national) et politique (juste rémunération des pro- ducteurs). Cependant on pourrait mettre au point des techniques plus rentables, basées sur une meilleure observation des facteurs naturels de conservation de la fertilité des sols.

Manuscrit reçu au Service des Éditions de 1’O.R.S.T.O.M. le 17 mai 1984

Cah. O.R.S.T.O.M., sér. Pédol., uol. XX, no 4, 1983: 327-339. 337

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