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1 N° 57 Février 2018 www.banque-france.fr Rue de la Banque Les effets de la concurrence des importations chinoises sur la structure locale de l’emploi et des salaires en France Comment la concurrence des importations chinoises a-t-elle affecté le marché du travail en France ? Cet article contribue à répondre à cette question en exploitant les variations de l’exposition au choc de concurrence chinois entre zones d’emploi. Les résultats suggèrent qu’environ 13 % du déclin de l’emploi manufacturier en France de 2001 à 2007 serait imputable à la concurrence chinoise. L’effet négatif sur les salaires horaires est uniforme le long de la distribution dans le secteur manufacturier et concentré dans le milieu de la distribution dans les autres secteurs. Les salaires les plus bas sont peu affectés, probablement en raison du plancher que représente le Smic. Les effets estimés n’impliquent pas pour autant que le commerce avec la Chine n’a pas été globalement bénéfique. Une évaluation en matière de bien-être nécessiterait en particulier de mesurer les gains capturés par les consommateurs et les firmes utilisatrices de biens intermédiaires importés – dont les gains de productivité bénéficient finalement aux consommateurs. Cette lettre présente le résultat de travaux de recherche menés à la Banque de France. Les idées exposées dans ce document reflètent l’opinion personnelle de leurs auteurs et n’expriment pas nécessairement la position de la Banque de France. Les éventuelles erreurs ou omissions sont de la responsabilité des auteurs. Clément MALGOUYRES Service d’Études sur les Échanges extérieurs et sur les Politiques structurelles L’émergence de la Chine comme puissance industrielle et commerciale L’impact de la concurrence accrue des importations des pays à bas salaires sur l’emploi dans le secteur manufacturier et sur les inégalités salariales fait l’objet de vifs débats au sein des pays développés. Parmi les pays émergents, la Chine est un acteur clé. En une décennie (1998-2008), sa part dans les exportations mondiales est passée de 3,3 % à 9,5 %. Le graphique 1 montre les importations et la balance commerciale de la France vis-à-vis de la Chine et d’un ensemble de pays à bas coûts. La spécificité des relations commerciales entre la France et la Chine résulte non seulement du fort taux de croissance des exportations chinoises à destination de la France (cf. graphique 1a) mais encore du fort déficit de la balance commerciale française (cf. graphique 1b) 1 . Estimer les effets locaux d’un choc global Ce Rue de la Banque, issu de Malgouyres (2016), vise à estimer l’effet de l’augmentation massive de la concurrence exercée par les importations chinoises sur la structure locale de l’emploi et sur les inégalités salariales dans les zones d’emploi françaises 2 . Il suit la même stratégie empirique que celle d’Autor et al. (2013) mais mobilise la richesse des données françaises afin de mesurer l’impact de ce choc, non seulement sur le nombre 1 On remarque également une nette accélération à partir de 2001, date à laquelle la Chine a rejoint l’Organisation mondiale du commerce. 2 Une zone d’emploi est un espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l’essentiel de la main-d’œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts. Ce découpage constitue une partition du territoire appropriée pour les études sur le fonctionnement local du marché du travail.

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N° 57 ■ Février 2018

www.banque-france.fr

Rue de la Banque

Les effets de la concurrence des importations chinoises sur la structure locale de l’emploi et des salaires en France

Comment la concurrence des importations chinoises a-t-elle affecté le marché du travail en France ? Cet article contribue à répondre à cette question en exploitant les variations de l’exposition au choc de concurrence chinois entre zones d’emploi. Les résultats suggèrent qu’environ 13 % du déclin de l’emploi manufacturier en France de 2001 à 2007 serait imputable à la concurrence chinoise. L’effet négatif sur les salaires horaires est uniforme le long de la distribution dans le secteur manufacturier et concentré dans le milieu de la distribution dans les autres secteurs. Les salaires les plus bas sont peu affectés, probablement en raison du plancher que représente le Smic. Les effets estimés n’impliquent pas pour autant que le commerce avec la Chine n’a pas été globalement bénéfique. Une évaluation en matière de bien-être nécessiterait en particulier de mesurer les gains capturés par les consommateurs et les firmes utilisatrices de biens intermédiaires importés – dont les gains de productivité bénéficient finalement aux consommateurs.

Cette lettre présente le résultat de travaux de recherche menés à la Banque de France. Les idées exposées dans ce document reflètent l’opinion personnelle de leurs auteurs et n’expriment pas nécessairement la position de la Banque de France. Les éventuelles erreurs ou omissions sont de la responsabilité des auteurs.

Clément MALGOUYRESService d’Études sur les Échanges extérieurs et sur les Politiques structurelles

L’émergence de la Chine comme puissance industrielle et commerciale

L’impact de la concurrence accrue des importations des pays à bas salaires sur l’emploi dans le secteur manufacturier et sur les inégalités salariales fait l’objet de vifs débats au sein des pays développés. Parmi les pays émergents, la Chine est un acteur clé. En une décennie (1998-2008), sa part dans les exportations mondiales est passée de 3,3 % à 9,5 %. Le graphique 1 montre les importations et la balance commerciale de la France vis-à-vis de la Chine et d’un ensemble de pays à bas coûts. La spécificité des relations commerciales entre la France et la Chine résulte non seulement du fort taux de croissance des exportations chinoises à destination de la France (cf. graphique 1a) mais encore du fort déficit de la balance commerciale française (cf. graphique 1b) 1.

Estimer les effets locaux d’un choc global

Ce Rue de la Banque, issu de Malgouyres (2016), vise à estimer l’effet de l’augmentation massive de la concurrence exercée par les importations chinoises sur la structure locale de l’emploi et sur les inégalités salariales dans les zones d’emploi françaises 2. Il suit la même stratégie empirique que celle d’Autor et al. (2013) mais mobilise la richesse des données françaises afin de mesurer l’impact de ce choc, non seulement sur le nombre

1 On remarque également une nette accélération à partir de 2001, date à laquelle la Chine a rejoint l’Organisation mondiale du commerce.

2 Une zone d’emploi est un espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l’essentiel de la main-d’œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts. Ce découpage constitue une partition du territoire appropriée pour les études sur le fonctionnement local du marché du travail.

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Rue de la BanqueN° 57 ■ Février 2018

d’emplois et le salaire moyen, mais également sur la distribution locale des salaires et le type d’emploi affecté.

La stratégie empirique consiste à exploiter d’une part le fait que les progrès de la productivité et des exportations chinoises sont très inégaux entre industries au sein du secteur manufacturier 3 et d’autre part le fait qu’il existe une grande variation dans la spécialisation industrielle des différentes zones d’emploi françaises. Dès lors, une zone d’emploi donnée va être différemment affectée par la rapide montée en puissance de la concurrence chinoise en fonction de sa spécialisation initiale.

En interagissant la composition industrielle locale initiale et les importations sectorielles à l’échelle nationale, nous calculons un indice d’exposition à la concurrence des importations chinoises. Cet indice capture la valeur des importations par travailleur à laquelle fait face chaque zone d’emploi. Il varie en fonction de la part initiale et de la spécialisation locale du secteur manufacturier. Le graphique 2 montre la part de l’évolution de cet indice

au cours de la période 2001-2007 liée aux différences de spécialisation au sein du secteur manufacturier de chaque zone d’emploi pour l’ensemble de la France métropolitaine. On constate une forte hétérogénéité de l’évolution de cet indice entre zones d’emploi. C’est cette variation géographique que nous allons utiliser afin d’estimer l’effet de la concurrence chinoise sur le marché local du travail.

De forts effets sur l’emploi manufacturier

Nous nous intéressons en premier lieu aux effets sur l’emploi local. Le graphique 3 montre la relation entre la croissance de l’emploi local (axe des ordonnées) et l’évolution de l’indice d’exposition à la concurrence des importations en provenance de Chine (axe des abscisses) sur la période 1995-2007. On constate une relation très négative en ce qui concerne l’emploi dans le secteur manufacturier (cf. graphique 3a). Une relation négative mais de moindre ampleur est également observée entre la variation de l’emploi en dehors du secteur manufacturier et celle de l’indice d’exposition à la concurrence (cf. graphique 3b).

G2 La géographie de l’évolution de l’exposition à la concurrence des importations chinoises (2001-2007)

(1,3 ; 6] (0,9 ; 1,3] (0,7 ; 0,9] (0,5 ; 0,7] [0 ; 0,5]

Note : Les zones d’emploi sont classées en cinq catégories de couleur bleue, plus foncée si la hausse de concurrence chinoise a été forte de 2001 à 2007 (max (1.3, 6] = 1 300 à 6 000 dollars par emploi dans le secteur manufacturier).Source : Malgouyres (2016).

3 Par exemple la croissance des exportations chinoises a été très élevée dans les industries textiles et d’habillement ou encore celles des jouets et plutôt limitée dans les industries chimiques, pharmaceutiques ou agroalimentaires.

G1 Importations et balance commerciale de la France vis-vis de la Chine et autres pays à bas coûts

(en milliards de dollars courants)

a) Importations

0

10

20

30

40

50

60

1996 2000 20051997 2001 20061998 2002 20071999 2003 20082004 2009 2010 2011

b) Balance commerciale

- 40

- 30

- 20

- 10

0

10

1996 2000 20051997 2001 20061998 2002 20071999 2003 20082004 2009 2010 2011

ChinePays à bas coûts

Source : Malgouyres (2016).

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Rue de la BanqueN° 57 ■ Février 2018

L’analyse économétrique confirme la relation négative démontrée par le graphique 3. Les résultats portant sur le secteur manufacturier impliquent que la hausse moyenne de la concurrence des importations sur la période 2001-2007 – d’environ 1 000 dollars par travailleur – a causé une baisse d’environ 6 points de pourcentage (pp) de la croissance de l’emploi au niveau local.

La présence d’effets multiplicateurs

Les effets sont de moindre ampleur en ce qui concerne l’emploi en dehors du secteur manufacturier mais ils sont non négligeables et statistiquement significatifs. La hausse moyenne de la concurrence chinoise sur la période 2001-2007 implique une diminution de 3,5 pp de l’emploi non manufacturier au niveau local. Les effets négatifs sur une partie de l’emploi souvent considérée

comme abritée de la concurrence internationale attestent la présence d’effets de « multiplicateur local » non négligeables (Moretti, 2010).

Le secteur non manufacturier est en grande partie composé d’entreprises dont la production n’est pas exportable et qui dépendent fortement de la demande locale. Schématiquement, le choc négatif sur le secteur manufacturier induit par la hausse de la concurrence chinoise se transmet au secteur non exportable local via au moins deux canaux. Le choc implique une diminution de la demande locale, ce qui devrait pousser à la baisse de l’emploi dans le secteur non exportable. D’autre part, la diminution de l’emploi manufacturier au niveau local – en l’absence de mobilité spatiale parfaite des travailleurs – devrait se traduire par un choc positif sur l’offre de travail vers le secteur non exportable. L’effet estimé résulte de la somme fortement négative de ces deux canaux. Nos résultats suggèrent que la destruction locale de dix emplois dans le secteur manufacturier aboutit à la disparition de six emplois environ dans le secteur non exportable – sur un horizon de six ans.

Quel effet agrégé sur l’emploi en France ?

Évaluer l’effet agrégé du commerce avec la Chine sur l’emploi en France en utilisant des estimations effectuées sur la base de variations locales est délicat. En effet, les effets estimés sont des effets relatifs : les zones d’emploi les plus exposées ont connu un déclin accéléré de leur emploi manufacturier par rapport aux zones moins exposées. Néanmoins il est possible que les zones peu exposées aient bénéficié de l’exposition des autres zones via des effets d’équilibre général. Un canal d’équilibre général potentiellement important est la réallocation des travailleurs entre zones d’emplois. Si, par exemple, le déclin du secteur manufacturier d’une zone d’emploi fortement affectée donne lieu à des réallocations de main-d’œuvre vers d’autres bassins d’emploi, il est possible que les effets locaux estimés soient plus élevés que l’effet agrégé 4. La concurrence chinoise n’aurait alors, dans un cas limite, fait que redistribuer les emplois entre zones, sans aucun effet agrégé. Cette marge d’ajustement suppose néanmoins que l’on observe une baisse de la population dans les localités affectées directement par l’intensification de la concurrence chinoise, ce qui n’est pas le cas.

4 On note également que la hausse des exportations à destination de la Chine a pu générer des emplois dans d’autres secteurs, même si des résultats complémentaires sur la base du commerce net suggèrent que cet effet est certainement de faible ampleur.

G3 Relation entre emploi local et concurrence des importations de Chine (1995-2007)

(axe des abscisses : évolution de l’indice d’exposition à la concurrence chinoise ; axe des ordonnée : taux de croissance de l’emploi en %)

a) Secteur manufacturier

- 50

- 40

- 30

- 20

0

- 10

30

60

50

20

10

40

- 1 4- 4 0- 3 1- 2 2 3 65

b) Secteur hors manufacturier

- 50

- 40

- 30

- 20

0

- 10

30

60

50

20

10

40

- 1 4- 4 0- 3 1- 2 2 3 65

Note : Chaque point correspond à une zone d’emploi au cours d’une période (1995-2001,2001-2007). Les variables sont exprimées en écart à la moyenne de la période. Le hors manufacturier exclut l’emploi public et parapublic.Source : Malgouyres (2016).

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Nous effectuons un exercice simple de quantification qui suppose que les effets d’équilibres généraux entre zones s’annulent et qui vise à isoler la part de la croissance des exportations chinoises vers la France imputable aux progrès de la concurrence chinoise – et non aux évolutions de la demande française. Sur la période 2001-2007, on estime les destructions d’emplois imputables à la concurrence chinoise à 90 000 dans le secteur manufacturier et 190 000 en dehors de ce secteur. En ce qui concerne le secteur manufacturier, cela représente environ 13 % du déclin de l’emploi sur la période 2001-2007. Il s’agit d’un chiffre plus faible que celui trouvé par Autor et al. (2013) dans le cas des États-Unis où l’impact aurait été d’environ 50 % mais sensiblement plus élevé que dans d’autres pays européens – notamment l’Allemagne dont le tissu industriel comptait une part plus faible de secteurs dans lesquels la Chine allait voir son avantage comparatif augmenter le plus vite (Dauth et al., 2013).

La polarisation de l’emploi

Au-delà de son effet sur le nombre d’emplois, quel est l’impact de la concurrence chinoise sur la structure de l’emploi ? Le marché du travail en France, comme celui d’autres pays avancés, a été affecté par un phénomène de polarisation des emplois (Goos et al., 2014). Ce terme fait référence à la croissance disproportionnée de l’emploi au sein des occupations située traditionnellement aux extrêmes de la distribution des salaires par rapport à celles située au milieu de la distribution. Le graphique 4 montre que la polarisation des emplois sur la période 1995-2007 a principalement eu lieu en dehors du secteur manufacturier alors qu’au sein de ce secteur on observe plutôt une relation monotone décroissante entre le salaire initial d’une occupation et la croissance de son emploi.

En adaptant la méthode développée par Juhn et al. (1993), on constate que, à l’opposé des tendances agrégées observées, l’essor de la concurrence chinoise a contribué à polariser l’emploi au sein du secteur manufacturier, exception faite du secteur non exportable.

Effets négatifs mais différenciés sur les salaires

Une vaste et ancienne littérature théorique a étudié les effets du commerce international sur la rémunération relative des facteurs de production. Les modèles standards soulignent que, bien que le commerce international génère des gains agrégés, l’ouverture commerciale ne créé pas, en général, d’amélioration au sens de Pareto.

Les modèles de type HOS (Heckscher-Ohlin-Samuelson), par exemple, prédisent que l’ouverture commerciale augmente la rémunération du facteur relativement abondant dans chaque pays, au détriment du facteur de production, relativement rare. Dans un pays où le travail qualifié est relativement abondant, comme en France, cela suppose donc un effet inégalitaire qui verrait le salaire relatif des qualifiés augmenter. Des travaux plus récents, tant théoriques qu’empiriques, montrent qu’en la présence de firmes hétérogènes le commerce est susceptible d’augmenter les inégalités résiduelles – c’est-à-dire des inégalités non expliquées par des variables observables telles que la qualification 5.

G4 La polarisation du marché du travail en France 1995-2007

(axe des abscisses : classement inverse des occupations en fonction de leur salaire moyen en 1995 ; axe des ordonnées : taux de croissance de l’emploi en %)

a) Secteur manufacturier

- 50

- 25

0

100

75

25

50

150 5 10 20

b) Secteur hors manufacturier

- 50

- 25

0

100

75

25

50

150 5 10 20

Note : Chaque point représente une occupation. La taille du cercle est proportionnelle à l’emploi total au sein de l’occupation en 1995.Source : Malgouyres (2016).

5 Par exemple, Amiti et Davis (2012) montrent que la libéralisation des échanges en Indonésie a augmenté la dispersion salariale en générant une hausse des salaires au sein des exportateurs et importateurs par rapport aux entreprises desservant uniquement le marché intérieur. Voir Harrison et al. (2011) pour une revue récente du lien entre mondialisation et inégalité.

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Le graphique 5 montre l’effet estimé sur le salaire horaire pour différents percentiles de la distribution. On constate un effet moyen négatif dans le secteur manufacturier. Cela contraste avec les résultats d’Autor et al. (2013) qui ne trouvent pas d’effet sur les salaires dans le secteur manufacturier 6. L’effet est relativement uniforme le long de la distribution des salaires. En dehors du secteur manufacturier, l’effet moyen est plus faible et concentré dans le milieu de la distribution des salaires.

Par conséquent, on constate dans ce secteur que le choc local est associé à une hausse des inégalités dans le haut de la distribution des salaires – le ratio du 85e percentile par rapport au salaire médian augmente – et une baisse des inégalités dans le bas de la distribution – le ratio du salaire médian au 15e percentile diminue. Ces deux mouvements opposés laissent le ratio du 85e au 15e percentile – une mesure globale des inégalités salariales – inchangé. Néanmoins, une analyse complémentaire montre que la concurrence chinoise est associée à une hausse de ce ratio dans les zones d’emploi où la couverture du salaire minimum est faible.

Concernant la marge d’ajustement, l’effet négatif du choc sur le revenu total du travail s’explique à hauteur de 70 % par une baisse du volume d’heures et à hauteur de 30 % par la baisse du salaire horaire moyen.

Conclusion

L’impact négatif de la concurrence des importations chinoises sur l’emploi et les salaires n’implique pas pour autant que le commerce avec la Chine n’a pas été globalement bénéfique du point de vue de la France. Une évaluation globale de l’impact du commerce avec la Chine et autres pays émergents sur le bien-être agrégé en France nécessiterait notamment de mesurer les gains capturés par les consommateurs – qui sont évalués comme étant relativement favorables aux ménages à faible revenu (Fajgelbaum et Khandelwal, 2016) 7. Il conviendrait également d’intégrer les firmes utilisatrices de biens intermédiaires importés – dont les gains de productivité bénéficient également aux consommateurs.

Néanmoins, en présence d’effets multiplicateurs locaux importants et d’une mobilité, sectorielle et spatiale, limitée de la main-d’œuvre, les effets négatifs estimés sont susceptibles d’être durables dans les bassins d’emploi particulièrement touchés.

6 Il est à noter que l’effet négatif estimé n’est pas incompatible avec la présence de rigidité à la baisse des salaires dans la mesure où il peut simplement résulter d’une hausse moindre mais néanmoins positive des salaires ou encore d’une baisse des salaires à l’embauche.

7 Ainsi que les possibles effets positifs sur les exportations via notamment l’accès à des intrants dont le prix ajusté de la qualité est plus faible.

G5 Effet de la concurrence chinoise le long de la distribution des salaires(axe des abscisses : percentile ; axe des ordonnées : effet estimé sur la croissance du salaire horaire)

a) Secteur manufacturier b) Secteur hors manufacturier

- 7

- 6

- 5

1

0

- 4

- 2

- 3

- 1

7510 25 45 5515 35 8530 50 60 6520 40 8070 90- 7

- 6

- 5

1

0

- 4

- 2

- 3

- 1

7510 25 45 5515 35 8530 50 60 6520 40 8070 90

Note : Chaque point représente l’effet estimé sur la croissance du percentile placé en abscisse sur six ans. Par exemple, au 20e percentile (salaire tel que 20 % des salariés d’une zone d’emploi gagnent un salaire moins élevé et 80 % un salaire plus élevé), l’effet est de – 1,4 pp dans le secteur manufacturier et – 0,7 pp dans le secteur abrité (trait vertical : intervalle de confiance à 95 %).Source : Malgouyres (2016).

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Bibliographie

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Autor (D. H.), Dorn, (D.) et Hanson (G. H.) (2013)« The China syndrome : local labor market effects of import competition in the United States », American Economic Review, vol.103, n° 6, p. 2121–68.

Dauth (W.), Findeisen (S.) et Südekum (J.) (2014)« The rise of the East and the Far East : German labor markets and trade integration », Journal of the European Economic Association, vol. 12, n° 6.

Fajgelbaum (P.) et Khandelwal (A.) (2016)« Measuring the unequal gains from trade », Quarterly Journal of Economics, vol. 131.

Goos (M.), Manning (A.) et Salomons (A.) (2014)« Explaining job polarization », American Economic Review, vol. 104, n° 8, août

Harrison (A.), McLaren (J.) et McMillan (M.) (2011)« Recent perspectives on trade and inequality », Annual Review of Economics, vol. 3, p. 261–289.

Juhn (C.), Murphy (K.M.) et Pierce (B.) (1993)« Wage inequality and the rise in returns to skill », Journal of Political Economy, vol. 101, n° 3, p. 410–442.

Malgouyres (C.) (2017)« The impact of Chinese import competition on the local structure of employment and wages : evidence from France », Journal of Regional Science, vol. 57, n°3, p. 411-441.

Moretti, E. (2010)« Local multipliers », American Economic Review, vol. 100, n° 2, p. 373-377.

ÉditeurBanque de France

Directeur de la publicationOlivier GARNIER

Directeur de la rédactionFrançoise DRUMETZ

RéalisationDirection de la Communication

Février 2018 www.banque-france.fr