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12 | La Lettre du Cardiologue • N° 494 - avril 2016 MISE AU POINT Rétrécissement aortique serré paradoxal Paradoxical aortic stenosis C. Tribouilloy* * Département de cardiologie, CHU d’Amiens. E n raison du vieillissement de la population, le rétrécissement aortique (RA) calcifié est actuellement la valvulopathie native la plus fréquente en Europe. La Société européenne de cardiologie définit aujourd’hui le RA serré par une vitesse transaortique maximale (Vmax) > 4 m/s, un gradient moyen (GM) > 40 mmHg et une surface valvulaire aortique (SAo) < 1 cm 2 ou 0,6 cm 2 /m 2 (1). Néanmoins, ces paramètres sont discordants chez 20 à 30 % des patients (2). Ces discordances cor- respondent, dans la très grande majorité des cas, à une Vmax < 4 m/s (ou un GM < 40 mmHg) en faveur d’un RA modéré et une SAo < 1 cm 2 ou < 0,6 cm 2 /m 2 plaidant pour un RA serré. Une nouvelle classification des RA serrés à frac- tion d’éjection (FE) préservée (définis par une SAo < 1 cm 2 ou < 0,6 cm 2 /m 2 et une FE > 50 %) en 4 groupes a donc été proposée selon le niveau de GM (< ou > 40 mmHg) et de volume d’éjection sys- tolique indexé (VESi) [< ou > 35 ml/m 2 ] (tableau). Les 2 premiers groupes correspondent aux patients dont la SAo est < 1 cm 2 et le GM > 40 mmHg, soit avec un VESi > 35 ml/m 2 (RA serré haut gradient, débit normal) soit avec un VESi < 35 mm/m 2 (RA serré haut gradient, bas débit). Le caractère sévère du RA sur le plan hémodynamique ne fait ici aucun doute. Les 2 autres groupes sont caractérisés par une SAo toujours < 1 cm 2 mais avec un “bas gra- dient” < 40 mmHg, soit avec un VESi > 35 mm/m 2 (RA bas gradient, débit normal), soit avec un VESi < 35 ml/m 2 (RA bas gradient, bas débit, ou RA paradoxal). Le caractère sévère du RA chez ces patients qui ont une SAo en faveur d’un RA sévère et un gradient plus bas que celui que l’on attend, fait l’objet de discussions. Il est habituellement admis que les RA avec SAo < 1 cm 2 en échocardiographie, et débit normal et bas gradient, correspondent à des RA non serrés (3). En effet, la seule explication logique d’une diminution du GM en dessous de 40 mmHg en présence d’un RA serré à FE conservée est une baisse significative du débit cardiaque. En d’autres termes, si le débit est conservé, un GM < 40 mmHg est en faveur d’un RA modéré. Le groupe qui nous intéresse dans cet article est celui des patients avec SAo < 1 cm 2 , débit abaissé (VESi < 35 ml/m 2 ) et bas gradient (GM < 40 mmHg), encore appelé RA para- doxal. Cette entité clinique rapportée en 2007 par l’équipe de Québec (4) suscite encore de nombreuses questions auxquelles nous allons essayer de répondre. Quelles sont la physiopathologie, la fréquence et les difficultés diagnostiques de cette forme de RA ? Quel est son pronostic ? Quelle prise en charge proposer ? Physiopathologie et fréquence Les patients avec RA paradoxal sont le plus souvent des personnes âgées et des femmes. L’hypertension Tableau. Classification et fréquence des rétrécissements aortiques calcifiés à fraction d’éjection préservée (> 50 %) en 4 groupes, en fonction du débit cardiaque et du gradient transvalvulaire. Auteurs Débit normal/ haut gradient Débit normal/ bas gradient Bas débit/ haut gradient Bas débit/ bas gradient Adda et al. (5) (n = 340) 63 % 15 % 13 % 9 % Lancellotti et al. (6) (n = 150) 52 % 31 % 10 % 7 % Mohty et al. (7) (n = 768) 50 % 22 % 15 % 13 % Eleid et al. (8) (n = 1704) 73 % 21 % 3 % 3 % VES indexé supérieur (débit normal) ou inférieur (bas débit) à 35 ml/m² ; gradient moyen supérieur (haut gradient) ou inférieur (bas gradient) à 40 mmHg.

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Page 1: Rétrécissement aortique serré paradoxalserré paradoxal : vitesse maximale aortique à 3,3 m/s, gradient moyen VG/aorte à 28 mmHg, surface fonctionnelle calculée par équation

12 | La Lettre du Cardiologue • N° 494 - avril 2016

MISE AU POINT

Rétrécissement aortique serré paradoxalParadoxical aortic stenosis

C. Tribouilloy*

* Département de cardiologie, CHU d’Amiens.

En raison du vieillissement de la population, le rétrécissement aortique (RA) calcifié est actuellement la valvulopathie native la plus

fréquente en Europe. La Société européenne de cardiologie définit aujourd’hui le RA serré par une vitesse transaortique maximale (Vmax) > 4 m/s, un gradient moyen (GM) > 40 mmHg et une surface valvulaire aortique (SAo) < 1 cm2 ou 0,6 cm2/m2 (1). Néanmoins, ces paramètres sont discordants chez 20 à 30 % des patients (2). Ces discordances cor-respondent, dans la très grande majorité des cas, à une Vmax < 4 m/s (ou un GM < 40 mmHg) en faveur d’un RA modéré et une SAo < 1 cm2 ou < 0,6 cm2/ m2 plaidant pour un RA serré.Une nouvelle classification des RA serrés à frac-tion d’éjection (FE) préservée (définis par une SAo < 1 cm2 ou < 0,6 cm2/m2 et une FE > 50 %) en 4 groupes a donc été proposée selon le niveau de GM (< ou > 40 mmHg) et de volume d’éjection sys-tolique indexé (VESi) [< ou > 35 ml/m2] (tableau). Les 2 premiers groupes correspondent aux patients dont la SAo est < 1 cm2 et le GM > 40 mmHg, soit avec un VESi > 35 ml/m2 (RA serré haut gradient, débit normal) soit avec un VESi < 35 mm/m2 (RA serré haut gradient, bas débit). Le caractère sévère du RA sur le plan hémodynamique ne fait ici aucun doute. Les 2 autres groupes sont caractérisés par une SAo toujours < 1 cm2 mais avec un “bas gra-dient” < 40 mmHg, soit avec un VESi > 35 mm/ m2

(RA bas gradient, débit normal), soit avec un VESi < 35 ml/m2 (RA bas gradient, bas débit, ou RA paradoxal). Le caractère sévère du RA chez ces patients qui ont une SAo en faveur d’un RA sévère et un gradient plus bas que celui que l’on attend, fait l’objet de discussions. Il est habituellement admis que les RA avec SAo < 1 cm2 en échocardiographie, et débit normal et bas gradient, correspondent à des RA non serrés (3). En effet, la seule explication logique d’une diminution du GM en dessous de 40 mmHg en présence d’un RA serré à FE conservée est une baisse significative du débit cardiaque. En d’autres termes, si le débit est conservé, un GM < 40 mmHg est en faveur d’un RA modéré. Le groupe qui nous intéresse dans cet article est celui des patients avec SAo < 1 cm2, débit abaissé (VESi < 35 ml/m2) et bas gradient (GM < 40 mmHg), encore appelé RA para-doxal. Cette entité clinique rapportée en 2007 par l’équipe de Québec (4) suscite encore de nombreuses questions auxquelles nous allons essayer de répondre. Quelles sont la physiopathologie, la fréquence et les difficultés diagnostiques de cette forme de RA ? Quel est son pronostic ? Quelle prise en charge proposer ?

Physiopathologie et fréquence

Les patients avec RA paradoxal sont le plus souvent des personnes âgées et des femmes. L’hypertension

Tableau. Classification et fréquence des rétrécissements aortiques calcifiés à fraction d’éjection préservée (> 50 %) en 4 groupes, en fonction du débit cardiaque et du gradient transvalvulaire.

Auteurs Débit normal/ haut gradient

Débit normal/ bas gradient

Bas débit/ haut gradient

Bas débit/ bas gradient

Adda et al. (5) (n = 340) 63 % 15 % 13 % 9 %

Lancellotti et al. (6) (n = 150) 52 % 31 % 10 % 7 %

Mohty et al. (7) (n = 768) 50 % 22 % 15 % 13 %

Eleid et al. (8) (n = 1704) 73 % 21 % 3 % 3 %

VES indexé supérieur (débit normal) ou inférieur (bas débit) à 35 ml/m² ; gradient moyen supérieur (haut gradient) ou inférieur (bas gradient) à 40 mmHg.

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Points forts

Figure. Patiente de 75 ans (surface corporelle 1,82 cm2), hypertendue, atteinte d’un rétrécissement aortique calcifié serré paradoxal : vitesse maximale aortique à 3,3 m/s, gradient moyen VG/aorte à 28 mmHg, surface fonctionnelle calculée par équation de continuité à 0,69 cm2, soit 0,38 cm2/m2, volume d’éjection systolique indexé à 29,6 ml/ m2. On note une franche hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) et un VG de petit volume.

» Le rétrécissement aortique paradoxal (RAP) est défini par une SAo < 1cm2, un gradient moyen (GM) < 40 mmHg, un volume d’éjection systolique indexé (VESi) < 35 ml/m2 et une fraction d’éjection (FE) conservée. Il représente moins de 10 % des RA serrés à FE préservée.

» Ce diagnostic est souvent effectué par excès. Il est impératif d’éliminer une erreur de mesure, d’utiliser systématiquement l’incidence parasternale droite et sus-sternale pour ne pas sous-estimer le gradient.

» Le diagnostic doit être confirmé par la mesure du score calcique par scanner. » Un remplacement valvulaire percutané ou chirurgical n’est envisagé qu’après avoir vérifié que le RAP

est véritablement serré et que la symptomatologie fonctionnelle est directement liée à la valvulopathie.

Mots-clésRétrécissement aortique paradoxal

Pronostic

Recommandations

Highlights » Paradoxical aortic stenosis

(PAS) is defined by aortic valve area <1cm2, mean pressure gradient <40mmHg, indexed stroke volume <35 ml/m2 and preserved ejection fraction; it represents less than 10% of all cases of severe AS. These patients are characterized by a small left ventricle which generates a low cardiac output responsible for the low pres-sure gradient despite preserved ejection fraction. » The diagnosis of PAS is often

excessive. It is mandatory to eliminate echocardiography measure errors, to systemati-cally use the right parasternal and suprasternal views in order not to underestimate the pres-sure gradient. » The diagnosis of PAS needs

to be consolidated by the measure of calcium score on MDCT. » This group of patients is het-

erogeneous as it includes real cases of severe aortic stenosis as well as a number of mod-erate aortic stenoses possibly associated with “heart failure with preserved ejection frac-tion”. Percutaneous or sur-gical aortic valve replacement should be recommended only after confirming that the PAS is a genuine severe one and that the functional symptoms of the patients are directly linked to the valvular stenosis.

KeywordsParadoxical aortic stenosis

Prognosis

Guidelines

artérielle (HTA) est très fréquente, souvent associée à une diminution de la compliance artérielle systé-mique (4). Sur le plan théorique et physiopatho-logique, l’association FE conservée/bas GM et RA serré est expliquée par un remodelage concentrique du ventricule gauche (VG) franc avec petit VG, à l’origine d’une diminution du volume télédiasto-lique VG, qui conduit à une diminution du VES en dépit d’une FE encore conservée (figure) [4]. Cette diminution du VES et du débit transvalvulaire aor-tique explique le bas gradient. Il est important de rappeler que la FE conservée n’implique pas l’ab-sence d’altération de la contractilité myocardique. Ainsi, ces patients avec remodelage concentrique ont habituellement une altération de la contrac-tilité longitudinale, reflétée par une diminution du

Strain Global Longitudinal en Speckle Tracking (5). Initialement considéré comme fréquent (plus de 20 % des RA serrés), le RA paradoxal varie dans les séries récentes de la littérature de 3 à 13 % (3, 6-8). La plupart des RA sévères, en termes de surface valvulaire, ont donc des paramètres (GM, Vmax, SAo) concordants.

Difficultés du diagnostic

Le diagnostic de RA paradoxal est initialement écho-cardiographique. Le principal problème est de distin-guer un “vrai” RA sévère à bas débit paradoxal, d’un RA plus modéré. Différentes étapes vont conduire à ce diagnostic de “vrai” RA (4, 9).

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MISE AU POINTRétrécissement aortique serré paradoxal

Éliminer une HTA mal contrôlée

C’est la première étape du diagnostic, réalisée en mesurant la TA de manière systématique lors de l’échocardiographie. En effet, une pression artérielle élevée peut conduire à une diminution du débit cardiaque et du gradient. Dans ce cas, l’évaluation échocardiographique doit être contrôlée après nor-malisation de la pression artérielle. Par ailleurs, il est intéressant d’évaluer l’impédance valvulo-artérielle (ZVA = [(PA systolique + GM/VESi)]. Ce critère écho-cardiographique représente grossièrement la charge hémodynamique globale contre laquelle le VG doit lutter, d’une part valvulaire liée au RA, et d’autre part vasculaire due à l’HTA et au vieillissement.

Éliminer une erreur de mesure échocardiographique

Cette deuxième étape permet d’éliminer la plus fréquente des erreurs, liée à l’évaluation du dia-mètre de la chambre de chasse du VG, que l’on doit effectuer en mode zoom avec un minimum de 3 mesures. Cette évaluation est parfois difficile en raison des calcifications et/ou d’une mauvaise échogénicité. De plus, sur le plan anatomique, des études utilisant le scanner ont montré que cette chambre de chasse était assez souvent elliptique avec, dans ce cas, un risque de sous-estimation de la SAo par le calcul à partir du diamètre mesuré en échocardiographie (plus petit diamètre de l’ellipse). La seconde erreur concerne le positionnement du volume d’échantillon doppler pulsé lors de la mesure de l’intégrale-temps-vitesse (ITV) sous-aortique, source de sous-estimation ou de surestimation de cette ITV et donc de la SAo. La troisième erreur qui nous paraît fréquente est la sous-estimation de la vitesse maximale aortique et du GM quand on utilise la seule voie apicale. En effet, une vitesse et un GM plus élevés sont obtenus dans environ 20 % des cas par voie parasternale droite ou sus-sternale. Dans notre expérience, l’utilisation systématique de la voie parasternale droite et sus-sternale permet souvent de “transformer” un RA paradoxal en un RA serré classique à haut gradient. Enfin, si le VG est de volume normal, et la FE conservée, il faut garder à l’esprit que le débit est logiquement conservé, et qu’un bas gradient en l’absence d’un petit VG est en faveur d’un RA modéré. En effet, une sous-estima-tion du VESi par sous-estimation du diamètre de la chambre de chasse ou de l’ITV sous-aortique peut conduire le clinicien à conclure de façon erronée à

un RA serré paradoxal, alors qu’il s’agit en fait d’un RA plus modéré. Rappelons que des valeurs basses de Vmax < 3 m/s ou de GM < 20 mmHg sont des arguments de poids contre le diagnostic de RA serré à FE préservée, même si le VESi est estimé à moins de 35 ml/m2.

Tenir compte de la surface corporelle

L’étape 3 consiste à tenir compte de la surface corporelle (Body Surface Area [BSA]) pour ne pas surestimer la surface valvulaire aortique en cas de petite BSA. En effet, les patients avec un diagnostic de RA paradoxal sont parfois des femmes de petite taille, et donc de petite BSA. Il est alors recommandé d’indexer systématiquement la SAo “brute” à la BSA pour s’assurer qu’il n’y a pas discordance entre une SAo < 1 cm2 et une SAo indexée > 0,6 cm2/m2, qui emporte dans ce contexte la conviction en faveur d’un RA moyennement serré. D’une manière beau-coup plus rare, l’indexation ira dans l’autre sens en présence d’une BSA particulièrement importante, avec dans ce cas une SAo “brute” > 1 cm2 et une SAo indexée < 0,6 cm2/ m2, plaidant pour un RA sévère. Rappelons que l’indexation est à éviter chez le patient obèse car elle risque de surestimer la sévé-rité du RA.

Éliminer une sous-estimation de la surface valvulaire aortique liée à un phénomène de recouvrement de pression

Le GM, mesuré en échocardiographie, comparati-vement au gradient évalué par cathétérisme, ne prend pas en compte ce phénomène qui conduit à une surestimation du gradient doppler et de l’ITV transvalvulaire aortique. Cette dernière est signi-ficative chez les patients ayant une petite aorte ascendante que l’on individualise habituellement à partir de la mesure du diamètre de l’aorte à la jonction sinotubulaire. Quand ce diamètre est < 30 mm, il est recommandé de tenir compte de ce phénomène de restitution de pression lors de l’échocardiographie et de calculer l’index de perte d’énergie [IPE = (SAo × SAA)/(SAA − SAo)]. SAo correspond à la surface fonctionnelle aortique calculée par équation de continuité et SAA, à la surface de l’aorte ascendante calculée à partir du diamètre à la jonction sinotubulaire (SAA = πD2/4). Le RA serré est alors défini par un IPE < 0,6 cm2/ m2.

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La Lettre du Cardiologue • N° 494 - avril 2016 | 15

MISE AU POINT

Ces petites aortes sont rencontrées chez les patients de petite surface corporelle, et le calcul de l’IPE conduit parfois à reclasser ces RA paradoxaux dans le groupe des RA plus modérés.

Éliminer un RA paradoxal “pseudosévère”

La cinquième étape consiste à éliminer un RA para-doxal “pseudosévère”, une entité mieux connue dans le RA à bas GM/FE basse. En effet, l’équipe de Québec, dans un travail multicentrique, a rap-porté un peu plus de 30 % de “pseudosténoses” dans le RA paradoxal, c’est-à-dire un état de bas débit transvalvulaire conduisant à une ouverture incomplète de la valve dans un contexte de RA modéré (10). Cette situation peut être détectée par une échocardiographie de stress à la dobuta-mine à faible dose ou à l’effort, quand cet examen arrive à majorer le débit cardiaque et à obtenir “une ouverture plus complète” de la valve aortique. Au contraire, l’augmentation du débit associé à un GM qui se majore (GM > 40 mmHg) et à une SAo qui demeure < 1 cm2 conforte le diagnostic de RA paradoxal serré. Néanmoins, l’échocardiographie d’effort peut ne pas être réalisable chez ces patients âgés. De plus, l’examen est non informatif chez bon nombre de patients dont le débit cardiaque n’aug-mente pas suffisamment à l’effort ou sous faible dose de dobutamine, en raison de la physiologie de type restrictif du VG.

Calcul du score calcique aortique valvulaire

Sixième étape. Si l’on discute un remplacement valvulaire chirurgical ou percutané, il faut calculer systématiquement le score calcique aortique valvulaire par scanner multicoupe. Cet examen permet une quantification semi-automatique et non invasive de la masse calcique valvulaire, sans injection de produit de contraste, au prix d’une faible irradiation. Ce score classique est bien corrélé à la sévérité du RA. Quantitativement, un score chez l’homme > 2 000 UA est très en faveur d’un RA serré. Il en est de même d’un score > 1 200 UA chez la femme (11). Cette mesure simple et rapide constitue, à nos yeux, un garde-fou impératif vis-à-vis de l’évaluation échocardiographique : un score calcique en dessous de ces seuils amène à rediscuter très sérieusement de la sévérité du RA

paradoxal et à réévaluer le patient si besoin par cathétérisme.

Si besoin, cathétérisme cardiaque gauche et droit

Septième étape. Si le doute persiste après ces 6 étapes quant à la sévérité du RA, on n’hésitera pas à pratiquer un cathétérisme cardiaque gauche et droit.

Pronostic

L’équipe de Québec a initialement rapporté que le RA paradoxal était à un stade plus avancé de la maladie que le RA classique à FE conservée et haut gradient, associé à un plus mauvais pronostic sous traitement médical (4). Cette équipe a aussi souligné que le traitement chirurgical était sous-utilisé chez ces patients en raison d’une méconnaissance ou d’une sous-estimation de la sévérité de cette entité par le clinicien (4). Par la suite, d’autres études sont allées aussi dans le sens d’un pronostic particulièrement péjoratif du RA paradoxal en l’absence de chirurgie, par rapport aux 3 autres formes de RA serré à FE conservée, et ont suggéré un effet bénéfique de la chirurgie sur la survie (6-8, 12). Néanmoins, la com-paraison en termes de survie de groupes de sujets différents est toujours sujette à caution même si l’on utilise, afin de s’affranchir des différences entre les groupes, des analyses statistiques multivariées ou des méthodes d’appariement. Par ailleurs, après remplacement valvulaire, la mortalité à moyen terme du RA paradoxal demeurait plus importante que dans le groupe à haut gradient, suggérant que ces patients étaient opérés trop tardivement. On peut aussi émettre l’hypothèse que la surmortalité de ce groupe n’est pas entièrement liée à la valvu-lopathie, mais qu’elle peut être liée à une altération associée de la fonction VG non liée à la valvulo pathie ou à des comorbidités extracardiaques. D’autres études, au contraire, sont en faveur d’un pronostic du RA paradoxal proche de celui des RA modérés (3, 13, 14) et ne rapportent pas de bénéfice évident du traitement chirurgical. Une étude rétrospective a montré par ailleurs que les patients atteints d’un RA paradoxal évoluaient très majoritairement vers une majoration de leur gradient et une réduction de la SAo, donc vers le RA classique à haut gradient, ce qui va contre l’hypothèse selon laquelle le RA paradoxal correspond à un stade plus avancé de la maladie que le RA classique (15).

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MISE AU POINTRétrécissement aortique serré paradoxal

Recommandations actuelles

Les dernières recommandations européennes et amé-ricaines précisent la conduite à tenir devant un RA paradoxal (1, 16). Ce diagnostic n’est retenu que si l’ensemble des étapes décrites dans le paragraphe “Difficultés du diagnostic” plaident effectivement pour un RA sévère. L’évaluation du score calcique nous paraît impérative pour confirmer le diagnostic. La chirurgie ne sera discutée que chez les patients symptomatiques (indication de classe IIa), à condition bien entendu que les symptômes soient rattachés à la valvulopathie (1, 2). Ce lien symptomatologie fonc-tionnelle-RA paradoxal est loin d’être évident à établir chez ces patients âgés, majoritairement hypertendus, parfois coronariens ou en fibrillation atriale, et qui ont, par ailleurs, souvent des comorbidités extracardiaques. Si le patient décrit une dyspnée d’effort invalidante, il est intéressant de doser le Brain Natriuretic Peptide (BNP) ou le pro-BNP. En effet, si le taux est normal, il est peu probable que cette dyspnée soit véritablement liée au RA. Finalement, ce groupe de patients est pro-bablement hétérogène, comprenant de vrais RA serrés que l’on se doit d’identifier, à côté de RA modérés.

Conclusion

Le pronostic du RA paradoxal est donc l’objet d’une controverse. Il est, pour certains, particu-lièrement sévère (le plus mauvais parmi les RA à FE conservée), pour d’autres, plus proche du RA modéré. Les données de la littérature sont discor-dantes concernant le bénéfice de la chirurgie, qui n’est donc pas évident dans ce groupe de patients probablement hétérogène, qui n’ont visiblement pas tous un RA sévère expliquant la symptomato-logie. Le mauvais pronostic pourrait donc être en partie lié chez certains patients à une insuffisance cardiaque à FEVG préservée associée (par exemple secondaire à l’HTA, à une atteinte coronarienne, à la fibrillation atriale qui est fréquente) ou à des comorbidités extracardiaques parfois lourdes. Pour un patient donné, le diagnostic de RA paradoxal serré symptomatique ne doit être retenu qu’au cas par cas, après une évaluation très rigoureuse comprenant toute une série d’étapes ; la chirurgie n’est envisagée que lorsque la symptomatologie fonctionnelle apparaît clairement liée à la valvulo-pathie. ■

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation

avec cet article.

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