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1 La validité de la théorie du financement hiérarchique : le cas des entreprises françaises et libanaises. Virginie Nahas Doctorante à L’ED SORG laboratoire CRIEF Résumé Nous présentons les hypothèses relatives à la théorie du financement hiérarchique de Myers et Majluf (1984) afin d’examiner leur validité sur les PME françaises et libanaises. Cet article mettra en perspective la relation principale-agent ainsi que les imperfections liées au financement d’entreprises: comportement des entreprises, coûts d’agence et asymétrie d’informations. Nous ferons précéder cette étude d’un descriptif des différentes formes de l’asymétrie d’informations dans le financement d’entreprises. Ensuite, à travers le mécanisme de rationnement de crédit, nous présenterons les conséquences de cette asymétrie d’information sur le choix des modes de financement et les dispositifs adoptés par les banques pour se protéger sur le marché de crédit. Nous évoquerons par la suite, la théorie du signal utilisée par les dirigeants d’entreprises comme outil de communication de la solvabilité de leurs projets. Sur le plan de la méthode, des travaux déjà réalisés sur ce sujet seront présentés. Nous orienterons ainsi notre étude sur les apports et les limites des travaux de la théorie du financement hiérarchique. Enfin une discussion présentera l'orientation envisagée pour ce travail que nous prévoyons de compléter ultérieurement, par les données comptables et financières des entreprises, recueillies à travers des enquêtes de terrain. La question de la prise en compte de la dimension culturelle et de son impact sur la relation principal-agent constituera un point important de l'étude. Abstract We present the assumptions related to the pecking order theory formulated by Myers and Majluf (1984) in order to examine their validity on French and Lebanese SMEs. This article will put into perspective the principal-agent relationship as well as the imperfections related to corporate finance: corporate behavior, agency costs and asymmetric information. We will precede this study with a description of the different forms of information asymmetry in corporate finance. Then, through the credit rationing mechanism, we will present the consequences of this information asymmetry on the choice of financing methods and the devices adopted by the banks to protect themselves on the credit market. We will discuss later the signal theory used by business leaders as a tool for communicating the solvency of their projects. In terms of methodology, prior studies about this subject will be presented. We will focus our study on the contributions and limits of the researches done on the pecking order theory. Finally, a discussion will expound the orientation considered for this work, which is expected to be supplemented later, by companies' accounting and financial data, collected through field surveys. The cultural dimension and its impact on the principal-agent relationship will be an important point of the study. Mots Clés: Théorie du financement hiérarchique, Financement d’entreprise, PME, Problème principal-agent, Asymétrie d’informations.

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La validité de la théorie du financement

hiérarchique : le cas des entreprises françaises et libanaises.

Virginie Nahas – Doctorante à L’ED SORG – laboratoire CRIEF

Résumé

Nous présentons les hypothèses relatives à la théorie du financement hiérarchique de Myers et

Majluf (1984) afin d’examiner leur validité sur les PME françaises et libanaises. Cet article

mettra en perspective la relation principale-agent ainsi que les imperfections liées au

financement d’entreprises: comportement des entreprises, coûts d’agence et asymétrie

d’informations. Nous ferons précéder cette étude d’un descriptif des différentes formes de

l’asymétrie d’informations dans le financement d’entreprises. Ensuite, à travers le mécanisme

de rationnement de crédit, nous présenterons les conséquences de cette asymétrie d’information

sur le choix des modes de financement et les dispositifs adoptés par les banques pour se

protéger sur le marché de crédit. Nous évoquerons par la suite, la théorie du signal utilisée par

les dirigeants d’entreprises comme outil de communication de la solvabilité de leurs projets.

Sur le plan de la méthode, des travaux déjà réalisés sur ce sujet seront présentés. Nous

orienterons ainsi notre étude sur les apports et les limites des travaux de la théorie du

financement hiérarchique. Enfin une discussion présentera l'orientation envisagée pour ce

travail que nous prévoyons de compléter ultérieurement, par les données comptables et

financières des entreprises, recueillies à travers des enquêtes de terrain. La question de la prise

en compte de la dimension culturelle et de son impact sur la relation principal-agent constituera

un point important de l'étude.

Abstract

We present the assumptions related to the pecking order theory formulated by Myers and

Majluf (1984) in order to examine their validity on French and Lebanese SMEs. This article

will put into perspective the principal-agent relationship as well as the imperfections related to

corporate finance: corporate behavior, agency costs and asymmetric information. We will

precede this study with a description of the different forms of information asymmetry in

corporate finance. Then, through the credit rationing mechanism, we will present the

consequences of this information asymmetry on the choice of financing methods and the

devices adopted by the banks to protect themselves on the credit market. We will discuss later

the signal theory used by business leaders as a tool for communicating the solvency of their

projects. In terms of methodology, prior studies about this subject will be presented. We will

focus our study on the contributions and limits of the researches done on the pecking order

theory. Finally, a discussion will expound the orientation considered for this work, which is

expected to be supplemented later, by companies' accounting and financial data, collected

through field surveys. The cultural dimension and its impact on the principal-agent relationship

will be an important point of the study.

Mots Clés: Théorie du financement hiérarchique, Financement d’entreprise, PME, Problème

principal-agent, Asymétrie d’informations.

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Introduction

De nombreuses recherches théoriques et travaux empiriques ont été consacrés aux PME1 en

France2 (Chertok, de Mallerey & Pouletty, 2009) et au Liban3 (Haddad, 2014). Ces études

mettent l’accent sur le financement interne ou externe de ces entreprises et sur la pertinence

des théories qui tentent d’expliquer leur structure de financement. En effet, le choix du mode

de financement est crucial pour toute sorte de société, quelle que soit sa taille ou son secteur

d’activité. Un mauvais choix de financement est susceptible de menacer la viabilité d’une firme

ou de lui engendrer des problèmes financiers.

Notre étude s’inscrit dans le cadre de la relation principal-agent (créanciers-dirigeants) qui

explique l’incidence entre le comportement de l'entreprise ou plus particulièrement de son

dirigeant et le choix des modes de financement. La présence d’une asymétrie d’informations

au sein du marché financier témoigne de la non-conformité du comportement du dirigeant avec

les intérêts de ses actionnaires. Afin d’examiner les principaux déterminants de cette asymétrie

d’informations et d’expliquer son incidence sur le choix de financement des PME en France et

au Liban, nous répondrons aux questions suivantes : quelles sont les différentes formes de

l’asymétrie d’informations au sein du marché financier ? La théorie du financement

hiérarchique, souvent destinée aux grandes entreprises, s’applique-elle aux choix de

financement des PME ?

Cet article est organisé comme suit : la première partie examine le problème principal-agent

ainsi que les deux formes d’asymétrie d’informations : l’aléa moral et la sélection adverse. La

seconde partie, expose la théorie du signal qui incite à s'interroger sur la perception qu'auront

les investisseurs des diverses décisions financières. En dernier lieu, des études empiriques qui

visent à tester la théorie du financement hiérarchique sur des entreprises françaises et libanaises

seront présentées et leurs résultats interprétés par une discussion finale.

1 Selon l’INSEE une PME ou petite et moyenne entreprises sont ceux qui ne dépassent pas les 250 personnes, et

qui ont un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions

d'euros.

2 Voir le rapport « Le Financement des PME » de Chertok et Pouletty (2009).

3 Voir « Modes de financement : critères et types disponibles aux PME Libanaises » (Haddad, 2014).

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Première Partie

1. La théorie de l’agence

Cette approche s’inscrit dans le cadre de l’économie de l’information, développée par Ross

(1973) et Jensen M. et Meckling W. (1976). Elle s‘intéresse à la détention de l’information et

son partage entre un mandant (principal) et un mandataire (agent). Cette théorie repose sur la

notion de relation d’agence : il s’agit d’un arrangement (parfois implicite) entre deux parties,

selon lequel un principal qualifie un agent pour accomplir les missions qui nécessitent une

délégation.

Toutefois, cette relation d’agence suppose une asymétrie d’informations, du fait de la

divergence d’intérêts entre les contractants. Chacune de ces parties rationnelles va chercher à

maximiser sa fonction d’utilité de manière à tirer profit des failles du contrat. L’imperfection

de l’information peut émerger de deux façons : soit le principal ignore certaines

caractéristiques de l’agent (ses compétences, la correspondance du bien ou du service qu’il

offre par rapport aux besoins du principal, la question de la qualité ou la solvabilité de ce

bien/service…), situation dite de sélection adverse « ex-ante »4, soit l’agent se comporte d’une

manière différente de ce qu’il était convenu, on est alors en situation d’aléa moral « ex-post »5.

Toute relation d’agence génère trois types de coûts d’agence. Il s’agit de certains coûts

supportés par les acteurs internes ou externes d’une entreprise et qui ont pour but d’aligner les

intérêts entre les différents agents d’une société :

Les coûts de surveillance : il s’agit d’un système de contrôle ou d’un audit supporté

par le principal et qui a pour but d’assurer une gestion de l’entreprise en harmonie

avec ses intérêts.

Les coûts d'engagement : ce sont les coûts supportés par l’agent en vue de mettre le

principal en confiance : « Les coûts d'engagement résultent de la rédaction par la

firme de rapports financiers et de la réalisation d'audits par des experts extérieurs

à la firme » (Gabrié H. et Jacquier J.L., 2001, p. 248).

4 Avant la signature du contrat entre principal et agent. 5 Après la signature du contrat entre principal et agent.

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Les coûts résiduels ou d'opportunités : les deux parties supportent ce coût dans la

mesure où leurs intérêts divergent (écart entre le résultat de l’action de l’agent et le

comportement optimal pour le principal).

Par conséquent, les mécanismes permettant de minimiser les coûts d’agence seront au cœur

de nos analyses. En effet, le principal, mal-informé va chercher de mettre en place des outils

d’incitation dans le but de pousser l’agent soit à révéler son information (modèle de sélection

adverse), soit à adopter un comportement conforme aux intérêts du principal (modèle d’aléa

moral).

Suite à cette présentation générale, nous exploiterons plus en détails ces deux types d’asymétrie

d’informations et leurs mécanismes incitatifs respectifs.

2. L’aléa moral

Cette forme de l’asymétrie d’informations est généralement associée aux mauvais

comportements que peuvent adopter les dirigeants dans la conduite de leurs activités et les

décisions concernant leurs entreprises. Il existe plusieurs types d’aléa moral susceptibles d’être

à l’origine des conflits entre principal et agent. Nous nous sommes inspirés de Tirol (2006)

pour présenter ce type d’asymétrie d’informations.

1. Allocation du temps de travail

La première forme concerne l’allocation du temps de travail des dirigeants : c’est un des sujets

exploité par l’économiste Mintzberg (1973). Il s’est basé sur l'observation quotidienne et

intensive de cinq gestionnaires sur une période de cinq semaines. Cette étude lui avait permis

de caractériser le type des activités quotidiennes suivies par les dirigeants. Il distingue trois

grands traits de fonctions : les rôles interpersonnels, les rôles associés à l’information et les

rôles décisionnels. Mintzberg estime que les managers doivent bien comprendre leur travail et

se comprendre eux-mêmes, pour qu’ils puissent être sensibles aux besoins de leurs entreprises

et améliorer davantage leurs performances. Dans un esprit similaire et à travers un article plus

récent, les auteurs Bandiera, Guiso, Prat & Sadun, (2011), étudient cette variable d’allocation

du temps des PDG, qui va les aider à identifier des problèmes de gouvernance. Une des

conclusions de cette étude indique que « le temps passé avec le personnel de l’entreprise

contribue à l’amélioration de la production alors que le temps passé seul avec des individus

externes ne profite qu’au PDG. Un bon dirigeant s’intéressera ainsi à ses propres employés et

cherchera à identifier les besoins de son entreprise dans le but d’accroître sa performance. Alors

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5

qu’un mauvais dirigeant, qui ne s’intéresse qu’à ses propres fins, passera son temps à tenir des

réunions avec des outsiders6 de sa société ».

2. Les projets favoris

Une deuxième forme d’aléa moral se traduit par la capacité de certains dirigeants à favoriser

des investissements en fonction de leurs préférences. Ce sont les « pets projects » en anglais,

ou les projets favoris des managers. Ces projets s’avèrent généralement peu intéressants pour

l’entreprise concernée, mais quand un dirigeant de grande influence soutient et défend ce type

de projets, ceux-ci finissent par obtenir un accord d’investissement. « Dans l’idéal, ces projets

favoris doivent passer à l'examen et doivent être sélectionnés sur la base de leur propre mérite.

Mais, malheureusement, les projets favoris sont souvent sélectionnés sans subir une analyse

normale de la budgétisation du capital. Même s’ils reçoivent cette analyse, des projections trop

optimistes sont alors utilisées pour gonfler la rentabilité de ceux-ci » (Clayman, Fridson &

Throughton, 2012, p.56).

3. Des dépenses révélatrices

Ce genre d’aléa moral est très répandu de nos jours, il s’agit de comportements ou plus

précisément, de dépenses privées qui sont faciles à détecter. Selon Tirole (2006), les

gestionnaires « sont capables d’accroître leurs bénéfices privés en s'engageant dans une grande

variété de comportements autonomes, allant des actes bienveillants à des activités illégales »

(Tirol, o.c., p. 16). Ce type de dirigeants a souvent tendance à profiter des avantages de son

travail comme : les voitures avec chauffeur, les assistants personnels, la planification

financière, les systèmes de sécurité domiciliaire, l’adhésion aux clubs luxueux, les billets de

sport VIP, des bureaux de haut de gamme, le service de téléphone mobile et l'accès aux salles

de sports […] (Bebchuck & Fried, 2004). La liste des avantages de travail dont les dirigeants

abusent est longue ; elle ne se limite pas qu’aux jets privés, yachts, clubs et hôtels luxueux, elle

peut pendre d’autres aspects comme celui du recrutement des proches, des épouses ou même

des amis qui s’avèrent souvent non adaptés au poste. Ces affaires font scandales de nos jours.

4. Des stratégies confuses

Cette dernière forme d’aléa moral regroupe des stratégies et/ou des techniques adoptées par les

dirigeants d’entreprise, qui ne satisfont que leurs propres objectifs personnels. Ces mesures ne

sont pas forcément dans le meilleur intérêt de l’entreprise ou de ses actionnaires, mais elles

6 Outsider : mot anglophone qui signifie « celui qui est en dehors », toute personne externe a l’entreprise.

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6

représentent néanmoins une sorte de garantie du statut de manager. Ce genre de stratégies et

de techniques nuisent à l’entreprise et sont donc mises en œuvre dans le seul but de préserver

des postes prestigieux. Tirole (2006) identifie trois types de stratégies ou techniques utilisées :

- Investir dans des secteurs d’activités défaillants pour la simple raison que le dirigeant

les maîtrise bien. Celui-ci se manifeste ainsi comme indispensable pour son entreprise.

- Utiliser des techniques comptables pour manipuler les indices de performance dans le

but de cacher de mauvais résultats (risque de licenciement) ou de bénéficier d’une

augmentation des rémunérations managériales. Ces manipulations servent aussi comme

mesures pour diminuer l’intervention des actionnaires, permettre à l'entreprise de ne

pas violer les clauses restrictives bancaires et pour garantir le financement continu.

- Renoncer aux tentatives d’acquisitions hostiles7 qui menacent leur position à long

terme.

- Défendre les pratiques juridiques qui limitent le pouvoir des actionnaires sur

l’entreprise.

Récemment le géant japonais Toshiba Corp. spécialisé dans le matériel électronique et

informatique, a été impliqué dans un scandale comptable en mai 2016. Les bénéfices ont été

gonflés de plus de 1 milliard de dollars à travers l’exagération des coûts de projets, ce qui a

permis à l’entreprise d’augmenter ses bénéfices d’exploitation durant les années 2008 et 2014

d’au moins 151 milliards de yens (environ 1.2 billions de dollars). Suite à une enquête

gouvernementale, les deux PDG Atsutoshi Nishida (secteur de l’informatique) et Norio Sasaki

(secteur de l’électricité), ont démissionné

3. Théorie de la sélection adverse

3.1. Le problème des citrons

Dans son célèbre article « The Market for Lemons : Quality Uncertainty and the Market

Mechanism », Akerlof (1970) utilise l’exemple des automobiles d’occasion aux Etats-Unis

7 Acquisition hostile : correspond au rachat d’une entreprise par une autre, sans le consentement de la première.

Pour ce faire, l’entreprise acquérante rachète la majorité ou l’intégralité des parts de l’entreprise acquise, pour

prendre le contrôle de celle-ci.

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7

pour expliquer l’asymétrie d’information « ex-ante »8. Les ‘lemons’ ou citrons correspondent

aux voitures d'occasion défectueuses qui sont présentes sur un marché non-réglementé et au

sein duquel le contrôle de la qualité des voitures vendues est absent. Un vendeur ayant déjà

utilisé son véhicule, connait son état réel, en revanche, l’acheteur potentiel ne possède pas les

informations liées à la qualité de celui-ci.

Cette étude montre comment les prix peuvent déterminer la qualité des biens échangés sur le

marché. Nous supposons qu’il existe deux types de voitures : celles qui sont bonnes et celles

qui sont défectueuses. Un vendeur qui possède une bonne voiture n’acceptera de la vendre

qu’au prix conforme à sa qualité. Alors qu’un vendeur possédant une voiture défectueuse, sera

prêt à la vendre à un prix plus faible.

Quand un acheteur rationnel suspecte qu’il y a possibilité de tomber sur une voiture de

mauvaise qualité, il sera décidé à payer une somme moindre pour des voitures d'occasions que

pour des voitures neuves dont il est certain de leur bon état de fonctionnement. Cela signifie

que les meilleures voitures d’occasions ne se vendent pas : leurs prix sont trop élevés pour les

acheteurs. C’est pourquoi les propriétaires de ces meilleurs véhicules ne mettent pas leurs

voitures sur le marché : eux aussi n’ont pas intérêt à vendre leurs véhicules à ce prix moyen.

Ainsi les voitures de haute qualité vont progressivement quitter le marché pour céder la place

aux citrons, jusqu’au jour où il ne restera que ce type de voitures défectueuses.

Dans un marché où le vendeur a plus d'informations sur le produit par rapport à l'acheteur, de

mauvais produits peuvent entraîner la sortie des bons produits hors du marché. Ce phénomène

de sélection adverse ou anti-sélection porte un coût important pour l'ensemble de la société.

3.2. La sélection adverse au sein du secteur bancaire

Le phénomène de la sélection adverse dans le secteur bancaire a lieu avant même la signature

d’un contrat de crédit entre un emprunteur et la banque. Ce problème est basé sur l’incertitude

concernant le risque de défaillance lié au projet qu’un dirigeant désire financer. Un dirigeant

est susceptible de conserver un avantage informationnel sur son projet, malgré son examen de

la part du créancier. Souvent, l’emprunteur qui porte un projet risqué a tendance à camoufler

sa situation afin que ce projet apparaisse moins risqué. Ce manque de transparence va

compliquer la tâche des prêteurs qui s’investissent dans l’évaluation des projets soumis à la

banque et sélectionnent les meilleurs qui méritent un financement (Stiglitz & Weiss, 1981).

8 Ex ante est une locution latine signifiant « au préalable ». Dans notre contexte il s’agit de la sélection adverse

ou l’asymétrie d’information qui existe, avant-même la signature d’un contrat, entre deux acteurs économiques.

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Comme tous les emprunteurs prétendent détenir un bon projet, la banque aura tendance à

appliquer un taux unique reflétant la qualité moyenne des projets sur le marché (phénomène

du rationnement de crédit 3.3). Une telle pratique est en mesure de pénaliser les bons

emprunteurs dont le projet est peu risqué, en leur faisant payer une prime de risque9 plus

importante que leur risque réel. La banque privilégie inversement les mauvais emprunteurs

détenant des projets risqués : la prime de risque facturée étant inférieure au risque que

supportent leurs projets. Tout comme sur le marché d'Akerlof (1970), où les bons véhicules

d’occasion quittent le marché, ici ce sont les bons projets qui disparaîtront du marché. Par suite

la banque risque de financer les mauvais types d’emprunteurs qui restent sur le marché : d’où

la sélection adverse.

3.3. Le rationnement de crédit

Le rationnement de crédit est mécanisme utilisé par les banques, lorsqu’elles développent un

sentiment de doute, face à la croissance des risques de créances sur le marché financier. Cela

génère un phénomène de réclamation de prime de risque élevée et l’augmentation des

conditions d’émission de prêts. Ainsi certains emprunteurs obtiennent des prêts, d’autres non,

même s’ils sont prêts à payer des taux d’intérêt élevés (Stiglitz & Weiss, 1981).

Le rationnement de crédit est loin d’être un mécanisme efficace pour résoudre notre problème

informationnel, ce n’est qu’un outil de protection conçu par les banques, qui les aide à limiter

leur risque assumé en tant que prêteur. Toutefois, c’est également une pratique délicate : quand

la banque limite son émission de crédit, elle est aussi en train de limiter ses gains potentiels.

Au niveau macroéconomique, cette baisse d’émission de crédit diminue les investissements et

ralentit donc la croissance économique d’un pays. C’est pourquoi ce phénomène reste un

moyen de protection fragile pour la banque et menace l’économie en général.

Pour leur part, les bons types de dirigeants ayant besoin d’un financement pour lancer leur

projet, se trouvent en situation de sous-évaluation à cause du manque de transparence des autres

emprunteurs. Par conséquent, des opportunités d’investissements très lucratifs seront

éventuellement perdues faute de financement. Les bons types de dirigeants, vont devoir

convaincre le marché de crédit de la viabilité et la rentabilité de leurs projets. Pour se

différencier, ils ont recours à une forme de politique de communication : le signal.

9 Prime de risque: désigne un supplément de rendement exigé par un investisseur (la banque dans notre cas) afin

de compenser un niveau de risque supérieur à la moyenne.

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9

Deuxième Partie

4. La théorie du signal

A ce point de notre réflexion, les dirigeants disposent des informations supérieures à celles des

investisseurs : ils sont capables de mieux prévoir les flux futurs ainsi que les risques potentiels

liés à leurs projets. Cette asymétrie d’informations entre dirigeants et investisseurs conduit ces

derniers à sous- ou surévaluer une entreprise. Comment convaincre alors les investisseurs

potentiels par la productivité de leurs firmes et/ou la rentabilité de leurs projets ? Une politique

de communication s’avère dès lors nécessaire. C’est la raison pour laquelle les dirigeants ont

recours à l’émission des signaux.

Signalisation par autofinancement :

Compte tenu de la croissance rapide des marchés et de ses différents défis, le choix du bon

outil de financement s’avère stratégique. Ces outils supportent néanmoins des coûts de

financement. Parmi les trois modes possibles (autofinancement, endettement ou émissions

d’actions), Ross (1977) démontre que l’autofinancement est le moyen qui supporte le moins ce

type de coûts, suivi par la dette et enfin l’émission d’action. L’autofinancement qui représente

le profit non distribué, reflète un signal mitigé. « En réalité ce mode de financement favorise

une bonne allocation des ressources ainsi qu’une opportunité de diversification pour les

grandes entreprises comme la création de filiales, ou le transfert de capitaux propres d’une

entité à capacité de financement vers une autre en besoin, dans le but de financer des potentiels

opportunités d’investissement. Seulement, avec l’émergence du concept de la RSE de nos

jours, on considère que la performance des entreprises ne doit pas être limitée au seul capital

financier. En conséquence, nous nous interrogeons d’avantage sur la pertinence de la

répartition du surplus de ressources dégagé par l'activité, notamment au niveau de la partie

affectée à l'autofinancement » (Causse, 2017, p.1).

Signalisation par l’endettement :

Le financement par endettement bancaire engage un dirigeant à rembourser l’intégralité de son

emprunt ainsi que les intérêts associés à l’échéance. Si l’emprunteur manque d’honorer sa

dette, en ce cas le prêteur a la possibilité de mettre la main sur l’entreprise. Cependant, un

niveau élevé d’endettement témoigne aussi d’une entreprise en bonne situation. En effet, une

dette augmente le risque de faillite et incite les dirigeants à mieux performer afin de limiter ce

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10

risque et d’accroître la valeur de leurs entreprises. Par conséquent, ce sont surtout les dirigeants

confiants en leurs projets qui ont recours à la dette, ce qui est jugé comme bon signal.

Signalisation par augmentation de capital :

Bien que la dette puisse paraitre un moyen plus risqué, elle est désormais moins coûteuse que

le financement par actions. En effet, les intérêts d’un emprunt sont déductibles fiscalement. Par

contre les bénéfices réalisés par une entreprise, sont imposables avant d’être repartis sous forme

de dividendes sur les actionnaires, sauf en cas d’absence ou d’insuffisance de bénéfices.

Contrairement à l’endettement, l’augmentation de capital est susceptible de faire baisser le prix

des actions d’une entreprise. L’émission de nouvelles actions est souvent interprétée par les

investisseurs comme étant un signal de surévaluation de la valeur des actions de l’entreprise

concernée (Brealey & Myers, 1977).

En outre, les dirigeants semblent toujours acheter et vendre leurs actions au bon moment, cela

n'est évidemment pas par hasard, puisqu’ils ont accès à toutes les informations relatives à leurs

entreprises et possèdent parfois des documents qui ne sont pas encore exposés au public

(Tirole, 2006). Un dirigeant qui vend sa participation émet donc un signal négatif de la situation

de son entreprise et inversement s’il renforce sa participation.

La signalisation est encore une solution partielle aux problèmes causés par l’asymétrie

d’informations, puisque les mauvais projets sont capables de présenter les signaux erronés

comme convenables et obtenir ainsi de bons profits. D’où l’importance de la crédibilité d’un

signal et la nécessité des sanctions en cas d’imposture.

5. La théorie du financement hiérarchique

Cette théorie formulée par Myers et Majluf (1984) suppose l’existence d’une classification des

modes de financement des entreprises. Dans le but de diminuer les coûts liés à l’asymétrie

d’informations, les dirigeants préfèrent avoir recours au financement interne qu’au

financement externe. Une entreprise qui dispose de financement interne est considérée comme

étant une société rentable. Dès lors, nous pouvons classer les modalités de financement d’une

société :

- L’autofinancement

- L’endettement (les emprunts, la dette)

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- L’émission d’actions (ou l’augmentation du capital)

Comme nous l’avons déjà constaté, l’augmentation du capital porte un signal négatif : cette

modalité provoque une baisse des prix des actions de l’entreprise, c’est pour cela qu’elle figure

en bas de la hiérarchie. Quant à l’endettement même s’il est perçu comme un signal positif

témoignant de la capacité de l’entreprise à faire face à la dette, ce mode de financement subit

des coûts supplémentaires tels que : les frais de dossier, les garanties et le taux d’intérêt exigés

pour le financement. Une société ne cherchera pas à s’endetter lorsqu’elle est capable de

couvrir ses besoins par le biais des bénéfices antécédents, mis en réserve. Ainsi

l’autofinancement, lorsqu’il est disponible, demeure le choix le plus bénéfique pour le

financement d’une firme. Cette théorie est indépendante de la politique de financement, elle

représente en revanche, une sorte d’explication du comportement des sociétés et la personnalité

de leurs dirigeants.

Néanmoins, quand nous faisons face à des dirigeants d’entreprises malhonnêtes : leurs objectifs

seraient de maximiser leurs utilités. A ce propos, Myers (1984) définit un surplus

organisationnel composé d'attributs divers (salaires élevés, consommation de biens et services

à titre personnel, gratifications...). Vis-à-vis de ce surplus et étant donné l’activité de

monitoring10 liée à l’endettement surtout bancaire, un mauvais manager établira une hiérarchie

différente : autofinancement, augmentation de capital puis endettement. Myers souligne

toutefois que ce type de comportement peut être limité par la vigilance plus ou moins stricte

des actionnaires.

Cette théorie, souvent analysée sur des firmes anglo-saxonnes, est-elle valide au niveau des

sociétés françaises et libanaises ?

Selon l’étude d’un large échantillon de 1520 PME françaises, sur une période de cinq ans,

Adair et Adaskou (2011), tentent d’expliquer les déterminants du taux d’endettement des PME

en France11. Ils testent ainsi la pertinence de la théorie du financement hiérarchique ainsi que

l’existence d’asymétrie d’informations entre les dirigeants et leurs créanciers. Leur analyse

confirme la validité de cette théorie. Pourtant, concevoir un cadre théorique unifiant les

10

Terme d’origine anglaise désignant l’ensemble des techniques permettant d'analyser, de contrôler et de

surveiller la qualité d'une activité.

11 Selon OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) les PME représentent plus de

85% des entreprises en France et assurent de 60% à 70% des emplois.

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12

comportements financiers de ces divers PME, parait difficile 12 et la prise en compte du

rationnement du crédit a été négligée.

En revanche, le marché libanais constitué essentiellement de PME13, privilégie l’endettement.

Effectivement la dette au Liban semble un moyen incontournable à cause du manque de choix :

la majorité de ces PME ne sont pas cotées en bourse et un grand nombre de ces entreprises

détiennent le statut familial et manquent de ressources internes. (Chaarani et Saleh, 2015)

Afin de stimuler ce marché, la Banque du Liban (BDL) décide d’investir au niveau des PME

privées, moteur de l’économie libanaise. En 2013, la BDL débute son plan et verse environ 2.2

milliards de livres libanaises aux banques commerciales. Pour leur part ces banques sont

chargées d’émettre des crédits à ces PME à des taux d’intérêt bas. Suite aux succès de ce moyen

d’incitation au prêt, la BDL relance ce plan en 2014 et 2015 (Banque du Liban Stimulus

Package, 2015). D’ailleurs, les dirigeants-entrepreneurs libanais sont également prudents quant

à l’ouverture du capital social de leurs entreprises : pour eux c’est une perte de contrôle de leur

bien et ils préfèrent conserver un statut familial.

Cette concentration de la propriété, des pouvoirs et des responsabilités chez les dirigeants-

entrepreneurs libanais, porte plusieurs conséquences : la proximité entre le patrimoine social

de la compagnie et le patrimoine familial de ces dirigeants-entrepreneurs, un type de

management spécifique de l’entreprise ainsi que des relations d’agence particulières.

Compte tenu de l’influence culturelle des marchés français et libanais sur les théories de

financement d’entreprises, il est évident que ce sujet mérite des prolongements de recherches.

D’ailleurs, les limites relatives aux études empiriques antécédentes nous poussent à analyser

de manière plus approfondie la validité de ces théories sur les deux marchés en question.

Discussion

La suite de notre étude nous permettra d’examiner la validité de certaines théories de la finance

d’entreprise se fondant sur des études comparatives de sociétés françaises et libanaises. La

12

« Les PME recouvrent des caractéristiques variées, notamment selon la taille et l’âge, le statut juridique ainsi

que la propriété du capital. Ces deux derniers déterminants des comportements financiers méritent une exploration

approfondie » (Adair et Adaskou, 2011, p. 165)

13 Les PME libanaises représentent 97 % du total des entreprises au Liban et emploient plus de 51 % de la

population active.

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dimension culturelle et son impact sur la finance d’entreprise constituera notamment, un point

important de nos recherches. Le cadre empirique de cette étude, met en relief un nouveau

contexte de rapprochement institutionnel : celui d’un pays en voie de développement face à un

pays développé. Nos recherches vont également nous permettre de mettre en évidence les

principales caractéristiques de la finance d’entreprise au Liban (où les marchés financiers sont

moins évolués) et en France où certaines divergences culturelles persistent par rapport à

d’autres pays développés et affectent bien évidemment ce marché.

Nos analyses empiriques sont susceptibles de dévoiler des interactions principal-agent

spécifiques compte tenu de la singularité des entreprises libanaises. La comparaison avec un

pays développé, la France, nous permettra de valider ou d’infirmer certaines théories du

financement d’entreprises.

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