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    Revue

    Socialiste

    La

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    La justice

    dans la Cit

    Avril 2014

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    2 Sommaire

    Edito

    Alain Bergounioux,

    Dabord la justice p. 5

    Le dossier

    Marie-Pierre de la Gontrie,Quelles priorits pour la justice de demain ? p. 9

    Robert Badinter, La courte peine demprisonnement doit tre exceptionnelle p. 15

    Christiane Taubira, Nous voulons prvenir la rcidive du prononc lexcution de la peine p. 19

    Mireille Delmas-Marty, Ce sont les acteurs en apparence les plus faibles et les plus dmunisqui font le plus bouger le monde p. 25

    Henri Nallet,La gauche et la justice 1981-2013 p. 35

    Serge Portelli,

    La place des juges en dmocratie p. 43Jean-Jacques Urvoas,

    Justice et scurit : impossible quation ? p. 47

    Fabien Jobard,Lconomie politique de la prison. Regards comparatifs sur la prison p. 53

    Christine Lazerges,La juste place de la victime sur la scne pnale p. 57

    Jean-Pierre Rosenczveig,

    Rendre justice aux enfants p. 65Alain Christnacht,

    La justice administrative, garante de lquilibre entre intrts publicset droits des citoyens p. 75

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    3Sommaire

    William Bourdon,Le rle de lavocat p. 79

    Dominique Raimbourg,Le contexte et les enjeux de la rforme pnale p. 83

    Pierre Joxe, Alors je suis mont vers mon malheur p. 89

    Andr Vallini,Noublions pas la justice des oublis ! p. 93

    Grand texte

    Jean Jaurs,Pour la Laque - 1910 p. 99

    propos de

    Jean-Jacques Urvoas,Le dbat institutionnel des socialistes p. 105

    Jean-Pierre Sueur,

    Entre parlementarisme et prsidentialisme, les paradoxesdu mouvement socialiste p. 109

    Grard Grunberg,Les socialistes et le dbat institutionnel p. 113

    Actualits internationales

    Olivier Costa,

    Qui fait quoi dans lUnion europenne ?Larticulation des comptences nationales et europennes p. 119

    Henri Weber,Les enjeux des lections europennes de mai 2014 p. 125

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    Alain Bergouniouxest directeur deLa Revue socialiste

    Dabord la justice

    uand nous avions dcid de consa-crer un numro de la Revue socia-

    liste la justice, nous ne savions pas que

    nous serions, nouveau, dans un vif dbatsur lindpendance de la justice. Au momento ces lignes sont crites, je nen connaisvidemment pas la fin. Mais on peut constaterquune part importante de la droite a unproblme permanent avec le principe de lasparation des pouvoirs pourtant si essen-tiel la ralit de la dmocratie. Car, enfin,au-del des pripties du dbat politique,linitiative de lenqute sur lancien prsident

    de la Rpublique a t le fait de la justice.Il faut partir de l et ne pas loublier avantque les conclusions de linstruction ne soientrendues.

    Lactualit ne doit cependant pas occulter les ques-tions de fond concernant la justice, ses principes etson tat. Cest lambition des articles et des textes quicomposent notre dossier dexaminer les problmes

    Q et denvisager les perspectives qui se posent nous.Cela suppose que les socialistes aient une thorieclaire de ce que doit (et peut) tre linstitution judi-

    ciaire dans notre pays. Celle-ci existe bien. Maiselle est somme toute assez rcente. Robert Badinter,dans une rflexion quil prsentait en 2005, lors dela Commmoration du centenaire du Parti socia-liste, soulignait que les socialistes ont men degrands combats pour la justice dans lhistoire maisque la longue influence du marxisme, qui faisait du

    Robert Badinter, dans une rflexion quilprsentait en 2005, lors de la Commmoration

    du centenaire du Parti socialiste, soulignaitque les socialistes ont men de grands

    combats pour la justice dans lhistoire maisque la longue influence du marxisme, qui

    faisait du droit une simple superstructure ,avait empch les socialistesden avoir une thorie solide.

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    droit une simple superstructure , avait empchles socialistes den avoir une thorie solide. Laguerre dAlgrie, avec les errances quelle entrana,a t un choc qui a amen de plus en plus de socia-listes considrer que la justice tait un indispen-

    sable contre-pouvoir au service des liberts. Lesannes 1960 et 1970 ont vu ainsi se mener toutun ensemble de rflexions, dabord dans des clubs,puis au Parti socialiste, qui ont abouti la floraisondes rformes des annes 1981-1983 qui ne se rsu-ment pas seulement (mme si cela est essentiel) labolition de la peine de mort.videmment, tout na pas t dit. Et, il y a encorebeaucoup faire, malgr les progrs accomplis. Degrands dossiers demandent un approfondissement

    des dbats et de nouveaux textes lgislatifs selonles cas, particulirement la protection des droits dela dfense, la rforme de la procdure pnale, lagarantie de lindpendance de la magistrature, lajustice des mineurs. Ce nest pas un combat secon-daire malgr les impratifs majeurs que sont lesrformes conomiques et sociales. Car la confiance

    Dabord la justice

    dans la justice est indispensable lquilibre denotre dmocratie. Le philosophe amricain JohnRawls, connu mondialement pour sa Thorie dela justice , a crit que la justice est la premirevertu des institutions sociales, comme la vrit est

    celle des systmes de pense. Dans cet avant-propos, je nentrerai pas dans lesanalyses et les prconisations quoffre ce numro.Je soulignerai seulement la double nature de lajustice. Elle est, la fois, une ide (les anciensdisaient une vertu) et une institution politique.Elle est ncessaire, la fois, pour permettre queles individus soient en paix avec eux-mmes (etque nous ne vivions sous lemprise de la loi dutalion ) et pour quun ordre dmocratique puisse

    tre respect. La justice, comme institution, dpenddu politique (ne serait-ce que pour ses moyens, etpour ses conditions dexercice), mais elle est aussiune exigence qui ne peut pas tre que le produit dupolitique. Cest pour ces raisons que nous parlonsdautorit judiciaire et non de pouvoir au senspropre. Cela entrane invitablement des tensions,entre les ralits humaines, politiques et sociales etles principes. Et ce nest pas pour rien que la justiceest reprsente comme une femme aveugle par un

    bandeau, tenant, dans la main droite, un glaivesymbole de la force et, dans la main gauche, unebalance reprsentant lquit ! Mais, il nempcheque la justice est lide rgulatrice de la dmocratiequi permet de rendre compte de ltat dune socit.Il est donc tout fait comprhensible que les dbatssoient continus. nous de faire en sorte quilssoient la hauteur de lenjeu.

    Il y a encore beaucoup faire, malgrles progrs accomplis. De grands dossiers

    demandent un approfondissement des dbatset de nouveaux textes lgislatifs selon les cas,

    particulirement la protection des droitsde la dfense, la rforme de la procdure

    pnale, la garantie de lindpendance de lamagistrature, la justice des mineurs.

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    Le dossier

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    dans ses principes fondateurs. La loi sur la rten-

    tion de sret en a t la manifestation la plus cla-tante, permettant lenfermement de personnes nonpour lacte quelles auraient commis mais pour lesactes quelles seraient susceptibles de commettre.Nous continuerons en demander labrogation touten travaillant sur la question de la prise en chargedes auteurs des crimes particulirement graves.En privilgiant la mise lcart, lenfermement

    Marie-Pierre de la Gontrieest vice-prsidente du Conseil rgional dIle-de-France

    et secrtaire nationale du Parti socialiste aux liberts publiques et la Justice.

    Quelles priorits pour la justicede demain ?

    La justice lve sa voix,mais elle a peine se faire entendre

    dans le tumulte des passions. Montesquieu

    a justice renvoie ce quune socit

    attend delle-mme. Elle est la foisun rempart qui protge les individus lesuns des autres et un gardien qui protgeles rgles du vivre ensemble et les droits etdevoirs de chacun. Rien dtonnant, donc, ce quelle constitue un marqueur politique part entire. Pour la gauche revenue aupouvoir en 2012, il sagit de rtablir unecertaine ide de la justice mise mal par dixans de pouvoir de droite.

    Rparer et rformer une institutionblesse

    La politique en matire de justice mene par ladroite de 2002 2012 a rendu exsangue linstitu-tion judiciaire. Fragilise, pauprise, malmenepar le pouvoir politique, la justice a t atteinte

    L

    En privilgiant la mise lcart, lenfermementsystmatique des individus, auteurs

    dinfractions ou seulement potentiellementdangereux, en rduisant le pouvoir

    dapprciation des juges, la droite ainstrumentalis un besoin lgitime de scuritpour affaiblir la justice et rduire les liberts,

    rompant ainsi un quilibre toujours fragile.

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    dans les juridictions : crations de postes, notam-ment de magistrats et de greffiers. Enfin, a tsupprim le timbre 35 institu par la droite etqui faisait peser sur le justiciable le financement delaide juridictionnelle et privait les plus modestesde laccs la justice. videmment, beaucoup reste

    faire tant le chantier tait immense. Pour autant,sil a t ncessaire de rpondre aux urgences,il aurait t absurde de rformer dans lurgence.La justice, tant bouscule, avait aussi besoin dereprendre son souffle. Cette institution majeuremrite quon prenne le temps de construire unerforme profonde et durable.

    Et demain ?

    La justice doit faire face aujourdhui aux volu-tions, aux mutations de la socit. Les citoyens ontde nouvelles demandes, de nouveaux besoins. Lademande de justice sest accrue de manire consi-drable. Dans quasiment tous les domaines de lavie quotidienne, des nouvelles normes apparaissentque la justice doit accompagner. Les juridictions etacteurs judiciaires doivent y faire face et intgrerdes contentieux nouveaux. Le temps est venu de

    repenser globalement lorganisation judiciaire et lefonctionnement des juridictions pour construire lajustice du XXIesicle. Les socialistes voulaient en1981 restituer la justice au peuple franais , cesttoujours aujourdhui cette mme volont qui guidela gauche dans sa conception de la justice. Rappro-cher la justice du peuple, garantir son gal accs,son impartialit et son efficacit tout en prservantsa mission de protection, cest ces seules condi-

    systmatique des individus, auteurs dinfractionsou seulement potentiellement dangereux, en rdui-sant le pouvoir dapprciation des juges, la droite ainstrumentalis un besoin lgitime de scurit pouraffaiblir la justice et rduire les liberts, rompant

    ainsi un quilibre toujours fragile.Le dnigrement permanent des magistrats, la ror-ganisation brutale de la carte judiciaire et laccu-mulation de textes sans cohrence ont galementcontribu ternir limage dune justice peruepar les citoyens comme fige et loigne de leursproccupations. Une justice deux vitesses quidistingue les puissants des humbles. Le malaisetait profond pour ces femmes et ces hommes quiparticipent au quotidien laction de justice. Le

    dernier discours de Jean-Louis Nadal1

    , procu-reur gnral prs la cour de cassation, en a tune parfaite illustration. En dplorant les attaquescontre la justice, qui ne lassent pas dinquiterquand les coups sont ports par ceux qui, prci-sment, sont en charge de la faire respecter , ilstait fait le porte-parole dun monde judiciaireen plein dsarroi. Le malaise tait profond et lesattentes des acteurs de la justice dautant plusfortes au moment o la gauche revient au pouvoir

    en mai 2012.Indniablement, les socialistes ont marqu unerupture importante et ncessaire avec la politiquemene par leurs prdcesseurs. Le dialogue estrenou, le climat apais, la justice et ses profes-sionnels nouveau respects. La confrencede consensus indite organise par ChristianeTaubira sur la rforme pnale est la preuve que leparadigme des relations entre le gouvernement etles professionnels de la justice nest plus le mme.

    Les premiers changements sont dj perceptibles.Le gouvernement et la garde des Sceaux ont lancdes initiatives pour garantir lindpendance de lajustice et, comme nous lavions fait dj entre 1997et 2002, nous avons rompu avec la pratique de ladroite qui procdait des nominations ou mutationsde complaisance. Des efforts ont t faits, dans uncadre budgtaire contraint par le contexte cono-mique, pour amliorer les conditions de travail

    Quelles priorits pour la justice de demain ?

    Des efforts ont t faits, dans un cadrebudgtaire contraint par le contexte

    conomique, pour amliorer les conditionsde travail dans les juridictions :

    crations de postes, notamment de magistratset de greffiers.

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    11Le dossier

    les dcisions quelle rend, que lon soit demandeurou dfendeur, victime ou accus. La justice peutcondamner pour une faute, mais la peine quelleprononce nest utile que si elle est comprise, tantpar le condamn que par la victime. Efficace dans

    les dlais de rponse qui doivent tre raisonnables,comme lexige la convention europenne des droitsde lhomme dans son article 6. Efficace aussi dansles suites donnes aux dcisions de justice et leurexcution.La prise en compte de la situation des victimes estgalement au cur des politiques menes par lagauche en matire de justice. Contrairement ceque voudrait faire croire la droite, ce sont les socia-listes, avec Robert Badinter, qui ont le plus uvr

    pour tendre les droits des victimes. La mise enplace dune action de groupe, tant de fois promisepar la prcdente majorit, mais qui na t possibleque grce la volont du gouvernement Ayrault,permettra de mieux protger les victimes de faiblemontant. Nous souhaitons quelle soit possible dansdautres domaines tels que lenvironnement ou lasant. Plus gnralement, nous devrons uvrerpour amliorer toujours laccueil des victimes etleur faciliter les dmarches.

    Comme lindiquait la garde des Sceaux, ChristianeTaubira, le 11 janvier dernier, voquant la justicedu XXIesicle : nous la voulons de qualit, nous lavoulons juste, nous la voulons comprise et accepte,nous la voulons bien excute . Voil qui rsumeparfaitement ce que doit tre un service public dela justice pour le XXIesicle.

    tions que nous pourrons rtablir la confiance quedoivent porter en elle les citoyens.

    Restaurer le service public de la justice

    Dans un monde o laccs linformation sest trslargement ouvert, o les citoyens sont de plus enplus clairs, le fonctionnement et lorganisationde la justice restent paradoxalement obscurs pourqui nest pas praticien.Trop lente, trop rigide, tropcomplique, trop lourde, la justice est parfois malperue des citoyens qui peuvent se sentir dsem-pars devant le langage et lorganisation judiciaire.Pourtant, elle est rendue en leur nom et joue un rleessentiel lquilibre de la socit. Les citoyens

    aspirent une justice qui soit plus proche deux.Plus proche deux gographiquement cela sembleune vidence. Plus proche deux galement sur unplan humain. Plus proche enfin en termes de dlais.Parce que cest la justice des plus prcaires et desplus fragiles, lorganisation des juridictions socialesdoit tre clarifie pour en amliorer la cohrence.La cration de vritables guichets universels degreffe 2 dans les tribunaux, en permettant auxjusticiables davoir un seul interlocuteur, est un

    lment essentiel dans la mise en place dune vri-table justice de proximit. Toute rforme de lins-titution devra prendre en compte ces aspirationsprofondes et faire en sorte que la justice soit acces-sible, comprhensible et efficace.Accessible tous, quelle que soit sa situation sociale,matrielle ou gographique, selon ses besoins, celaimplique de garantir un maillage territorial suffi-sant, une aide juridictionnelle digne et de simplifierles dmarches et procdures. Comprhensible dans

    La prise en compte de la situation desvictimes est galement au cur des politiques

    menes par la gauche en matire de justice.Contrairement ce que voudrait faire croirela droite, ce sont les socialistes, avec Robert

    Badinter, qui ont le plus uvr pour tendreles droits des victimes.

    Dans un monde o laccs linformation sesttrs largement ouvert, o les citoyens sontde plus en plus clairs, le fonctionnement

    et lorganisation de la justice restentparadoxalement obscurs pour

    qui nest pas praticien.

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    la responsabilit des socialistes de garantir cetteindpendance sur la dure, car cest l un lmentcl dune conception de gauche de la justice.

    Concilier protection des liberts et efficacit

    Le prcdent quinquennat avait t largementmarqu par une drive scuritaire qui sest rvleinefficace tout autant quelle tait liberticide. Lac-cumulation de lois scuritaires a contribu rendreillisibles les peines prononces pour les justiciables, compliquer toujours plus le travail des magistrats,pour une efficacit finalement plus que limite. Aunom dune idologie de linstantan et du spectacle,chaque motion mdiatique a eu pour seul effet

    dalourdir et dendurcir le code pnal, sans jamaisse soucier de lefficacit des mesures adoptes. loppos, la rforme pnale porte par la gauchesinscrit dans une double dmarche de protection desliberts et defficacit de la sanction pnale. Cetterforme majeure restaurera le principe dindividua-lisation des peines avec la suppression des peinesplancher, mises en place par la droite. Elle est fondesur le principe de rponses adaptes et effectives auxinfractions. Le recours systmatique lemprison-

    nement, sans considration de la gravit relative nide la personnalit de lauteur est aujourdhui un desprincipaux facteurs de rcidive et dinscription dansla dlinquance. La cration de la contrainte pnale,une sanction part entire non fonde sur lempri-sonnement, rpond clairement ce besoin.La justice ne peut tre uniquement une machine mettre en prison tous ceux qui scartent du chemin.Dautres rponses, plus efficaces, existent. Pourautant, quand la peine de prison est ncessaire, elle

    doit tre prononce mais ne doit pas tre du tempsperdu. Ce temps de la prison doit tre un tempsutile, orient vers le moment de la sortie. Malrauxa crit que les hommes qui sortent de prison neregardent plus comme des hommes . Pour treutile la socit, la peine de prison doit permettreau dtenu de se reconstruire, de samliorer, deprparer son avenir, de redevenir un membre partentire de la socit.

    Raffirmer lindpendance de la justice

    Il ny a point de libert si la puissance de jugernest pas spare de la puissance lgislative et delexcutrice , crivait Montesquieu. Cette ind-

    pendance est une condition de nos liberts et unpralable lambition socialiste dune justice auservice de lhumanit, cest--dire au service detous qui prend en compte la spcificit de chacun.Ds mai 2012, comme aux autres priodes o elletait en responsabilit, la gauche a raffirm savolont de garantir lindpendance de la justice,conformment aux principes qui font lquilibredmocratique de nos institutions. Cet engage-ment du prsident de la Rpublique a t un des

    chantiers majeurs du dbut du quinquennat. Lesmesures ont t prises pour permettre et garantirque la justice fonctionne en toute indpendance,mme si le projet de loi constitutionnelle rformantle Conseil suprieur de la magistrature na pu treadopt, la droite nayant pas su dpasser ses consi-drations partisanes pour garantir une majorit cette rforme. Or, le Conseil suprieur de la magis-trature doit tre le garant de lindpendance de lajustice et, pour ce faire, sa composition, son fonc-

    tionnement et donc ses dcisions doivent tre incon-testables. La gauche naura de cesse de convaincresur ce sujet une majorit qui permettrait daboutir cette rforme essentielle. Pour que la justicesoit impartiale, elle doit tre rellement indpen-dante. Si la pratique des gouvernements de gauchesinscrit dans cette ncessit, il est galement de

    Quelles priorits pour la justice de demain ?

    loppos, la rforme pnale porte par lagauche sinscrit dans une double dmarchede protection des liberts et defficacit dela sanction pnale. Cette rforme majeure

    restaurera le principe dindividualisation despeines avec la suppression des peines plancher,mises en place par la droite. Elle est fonde sur

    le principe de rponses adaptes et effectivesaux infractions.

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    souhaitent raffirmer la spcificit de la justice desmineurs et de ses juridictions, exigence constitu-tionnelle.Nous voulons privilgier pour les mineursdes mesures de rparation, mesures ducatives quipermettent aux mineurs de prendre conscience de

    leurs actes. Enfin, nous voulons une vritable poli-tique de prvention de la primo-dlinquance pourviter la premire infraction. Cette politique, pourtre efficace, devra tre mene conjointement avectous ceux qui ont faire avec la jeunesse (ducationnationale, Justice, Sport)La gauche a su marquer lhistoire de la justice pardes rformes, des changements de paradigmes.Cest la gauche qui a aboli la peine de mort,supprim le dlit dhomosexualit et les juridictions

    dexception, inscrit dans la loi les rgles ncessairesau respect de la prsomption dinnocence ou encorefait avancer profondment les droits des victimes.Cest aujourdhui aussi la gauche et aux socia-listes quil revient de remdier aux graves atteintesportes aux valeurs fondamentales de la justicependant des annes de sarkozysme. Cest encoreaux socialistes quil appartiendra demain dallerplus loin et dengager les rformes qui, dans uneaction concerte, cohrente et durable, construiront

    la justice du XXIe

    sicle. Avoir confiance en nosides, en notre dmarche, en notre identit, bref ennous-mmes, tel est le devoir des socialistes.

    La justice ne sera respecte que si elle repose surdes rgles justes et contribue carter du champdmocratique les atteintes aux liberts individuelleset collectives. La justice ne sera efficace que si la

    sanction pnale allie rapidit dexcution, propor-tionnalit et respect des capacits de rinsertion.Les mineurs ont t des cibles privilgies de laprcdente majorit. La droite na cess daligner sespolitiques sur celles des majeurs et de privilgier lesmesures rpressives, refusant par principe de consi-drer la spcificit de la justice des mineurs. Or,pour tre efficace, cette justice ne doit pas ignorerque les mineurs sont des adultes en construction, endevenir. Face ces publics particuliers, la primaut

    de lducatif sur le rpressif, prvue par lordonnancedu 2 fvrier 1945 pour les mineurs dlinquantsest plus que jamais indispensable. Les socialistes

    Le dossier

    Face ces publics particuliers, la primautde lducatif sur le rpressif, prvue parlordonnance du 2 fvrier 1945 pour lesmineurs dlinquants est plus que jamaisindispensable. Les socialistes souhaitent

    raffirmer la spcificit de la justicedes mineurs et de ses juridictions,

    exigence constitutionnelle.

    1.Discours loccasion de la rentre solennelle de la Cour de cassation le 7 janvier 20112.Expression issue du rapport dinformation doctobre 2013 rdig par les snateurs Virginie Kls et Yves Detraigne Pour une rforme pragmatique de la justice de premire instance .

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    mesure o celle-ci dpend de lexcutif, par rapportaux pouvoirs des magistrats ; elle prfrera les loisdexception aux rgles de droit commun. Je pour-

    rais continuer numrer les caractristiques decette droite judiciaire mais je nen citerai quunedernire : lhostilit aux droits de la dfense, quimarquait si fortement une disposition de la loiScurit et libert que le Conseil constitutionnela annule.En outre, cette droite judiciaire donne systmati-

    Robert Badintera t garde des Sceaux, ministre de la Justice de 1981 1986,

    puis Prsident du Conseil constitutionnel de 1986 1995

    La courte peine demprisonnementdoit tre exceptionnelle

    a Revue socialiste : Existe-t-il selonvous, des diffrences fondamentales

    entre la gauche et la droite sur leurs visions

    de la justice ? Et si oui, tiennent-elles avanttout la doctrine ou aux pratiques ?Robert Badinter :En 1982, lAssemble natio-nale, je dclarais : Jai utilis les termes de droitejudiciaire, et vous vous en tonnez. Alors, je vaistre trs prcis. () je ne la confonds pas avec ladroite politique car sinon jaurais utilis le termede droite , tout simplement ()Il existe une certaine conception de la justice etde son action, qui relve de la droite judiciaire. En

    voulez-vous les axes principaux ? Je vous les donnebien volontiers.Dabord, sur le plan lgislatif, cette droite judi-ciaire donnera toujours priorit la raison dtatplutt qu ltat de droit. Elle prfrera toujoursle recours aux juridictions dexception qui sont la discrtion du pouvoir politique au recours auxjuridictions de droit commun. Elle cherchera aussitoujours accrotre les pouvoirs de la police dans la

    L

    Cette droite judiciaire donnera toujourspriorit la raison dtat plutt qu ltat de

    droit. Elle prfrera toujours le recours auxjuridictions dexception qui sont la discrtiondu pouvoir politique au recours aux juridictionsde droit commun. Elle cherchera aussi toujours

    accrotre les pouvoirs de la police dans lamesure o celle-ci dpend de lexcutif, par

    rapport aux pouvoirs des magistrats.

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    La courte peine demprisonnement doit tre exceptionnelle

    quement la prfrence la rpression sous sa formela plus carcrale plutt qu la prvention. Pour-quoi ? Parce que politiquement, cest plus commode.De plus, cela permet de ne pas prendre en compteles carences dune socit. Cest tout cela, la droite

    judiciaire.

    L. R. S. : Un des procs habituels faits la gauche en matire de justice consiste dire quelle privilgie les dlinquants auxvictimes. Pourtant, le rle de la gauche enmatire de droits des victimes nest plus dmontrer. Comment expliquez-vous cescritiques ?R. B. :Dire, la main sur le cur, quon ne pense

    quaux victimes est une attitude trs payante poli-tiquement. Chacun, en effet, se pense en victimeet nul ne simagine soi-mme ou ses enfants endlinquant ou en criminel. De surcrot, le proposlaisse entendre que vos adversaires se soucient descriminels en priorit. Largument dmagogique esttoujours trs efficace.

    L. R. S. : Vous tes trs engag sur la situa-tion des prisons, dnonant notamment la

    surpopulation et la vtust des quipements.Cest un problme toujours prgnant, quelregard portez-vous sur cette situation et que

    faudrait-il faire pour y rpondre ?R. B. :Faire admettre par le grand public que laprison, surtout pour les courtes peines, est crimino-gne. Effectues dans des maisons darrt parfoisvtustes, toujours surpeuples, ces peines inter-disent toute formation professionnelle et engendrentpromiscuit entre dlinquants primaires et rci-

    divistes, sans oublier la propagande intgriste etle recrutement des jeunes dans des rseaux decriminalit organise ou terroristes. La courtepeine demprisonnement doit tre exceptionnelle,motive spcialement dans le jugement et justifie

    par des considrations exposant les raisons quicommandent exceptionnellement lincarcration.

    L. R. S.:Le projet de loi sur la prventionde la rcidive et lindividualisation des

    peines veut mettre laccent sur la rinsertiondes personnes condamnes. Il rejoint encela lune de vos proccupations majeures.

    En quoi un tel texte est-il ncessaireaujourdhui ?

    R. B. : Regardez la surpopulation carcrale. Ellena pas baiss malgr les circulaires bienvenues dela garde des Sceaux.

    L. R. S.: Une vaste rflexion a t lanceau cours de lanne 2013 sur la justice duXXIesicle, avec pour objectif une rformeprofonde de linstitution judiciaire. Vous-mme avez donn une confrence endcembre dernier sur la justice de demain.

    Quelle est votre vision de la justice dedemain ? Quels doivent tre, selon vous, lesprincipaux chantiers de cette rforme ?R. B. : La rvolution numrique va profondmenttransformer la justice, ses pratiques et ses habitudes.Il faut sy prparer, non seulement par la formationtechnique donne aux personnels de justice, maispar une adaptation des textes de procdure prenanten compte les progrs de la technologie, en veillant ce quils respectent les principes fondamentaux

    de la justice, et notamment les droits de la dfense.

    L. R. S. : Vous avez, en tant que garde desSceaux, port des rformes majeures pour la

    justice daujourdhui, quil sagisse de labo-lition de la peine de mort, de la suppressiondu dlit dhomosexualit ou de la crationdes travaux dintrt gnral. Quel regard

    portez-vous sur votre passage la Chan-

    Cette droite judiciaire donne systmatiquementla prfrence la rpression sous sa formela plus carcrale plutt qu la prvention.Pourquoi ? Parce que politiquement, cest

    plus commode. De plus, cela permet de ne pasprendre en compte les carences dune socit.

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    17Le Dossier

    du recours individuel devant la Cour europennedes Droits de lHomme de Strasbourg, ce qui apermis dassurer un progrs continu des liberts etdes droits des justiciables dans la justice franaise.Tant de progrs sont encore raliser pour libra-

    liser, humaniser, moderniser la justice, y comprisles prisons. Aux jeunes gnrations dagir.

    cellerie ? Quelles sont les ralisations dontvous tes plus fier ? Auriez-vous aim aller

    plus loin ?R. B. :Labolition de la peine de mort parce quellechangeait la nature de la justice franaise, qui

    cessait dtre une justice qui tue. Et aussi, enoctobre 1981, louverture aux justiciables franais

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    du droit des affaires, sont autant de marqueursdune conception de la Justice porte par la droite,qui entretient avec cette institution un rapport de

    dfiance. La gauche, pour sa part, raffirme toujoursson choix de lindpendance de la justice et du droitcommun, soit une justice gale pour tous et sur toutle territoire. Ainsi, appliquant les engagements duprsident de la Rpublique, nous nous sommesconforms aux avis du CSM, aussi bien pour lesnominations que pour les dcisions disciplinaires,sans y tre contraints par la Constitution ; nousavons rendu transparentes les nominations de hautsmagistrats, ds juillet 2012 ; nous nous sommes

    interdit toute instruction dans les affaires pnales,et nous avons inscrit cette interdiction dans la loidu 25 juillet 2013 ; et nous solliciterons de nouveaule Parlement, en esprant obtenir les 3/5esde voixncessaires pour rformer le conseil suprieur dela magistrature afin de renforcer les conditionsdimpartialit et de neutralit des magistrats duparquet. Nous avons divis par 10 en 20 mois lesremontes dinformations, pour ne disposer que de

    Christiane Taubiraest garde des Sceaux, ministre de la Justice.

    Nous voulons prvenir la rcidivedu prononc lexcution de la peine

    a Revue socialiste : Selon vous, quellessont les diffrences fondamentales

    entre la gauche et la droite sur leurs visions

    de la justice ? Tiennent-elles avant tout ladoctrine ou aux pratiques ?Christiane Taubira : Je pourrais faire unerponse expditive, qui ne serait pas dnue defondement, en disant que la gauche dfend desprincipes et la droite des intrts. La Justice,mission constitutionnelle, qui relve du pouvoirrgalien de ltat, doit chapper la caricature,et les diffrences doivent tre tayes. Il y a desdiffrences de doctrine, qui sillustrent par les

    pratiques. Par-dessus les hommes et les femmesqui ont eu assumer cette responsabilit, il y ades invariants sous la gauche, et dautres sous ladroite. Nominations de procureurs contre lavis duconseil suprieur de la magistrature, mutations deprocureurs sans quils soient candidats, instructionsdans les affaires pnales, dlocalisation etdmembrement des procdures, tentative desuppression du juge dinstruction, dpnalisation

    L

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    Nous voulons prvenir la rcidive du prononc lexcution de la peine

    C. T. :Jai effectivement trouv mon arrive desprofessionnels dvous mais dcourags, tant ilsavaient t malmens. Jaurais pu rformer en sixmois, mais jai compris que mme pour rparerles dgts de la carte judiciaire, il fallait prendre

    le temps de la concertation. Linstitution judiciaireavait besoin dune pause ; elle avait d, outre lesinsultes et mises en cause, assimiler 70 lois pnalesen 10 ans. Par le respect et lcoute, nous avonsramen la srnit. La mthode a consist rtablirla confiance avec le parquet, me rendre dans lesjuridictions pour prendre la mesure des difficults, en faire de mme dans les tablissements quiaccueillent les mineurs, et dans les tablissementspnitentiaires. Rencontrer les personnels in situ, en

    plus des sances de travail avec leurs reprsentantssyndicaux, permet de mieux saisir les difficultset les urgences. Et nous avons pu ainsi apportertoute une srie damliorations pratiques dansles conditions de travail. Plus lourdement, nousavons amlior les recrutements, par 500 crationsdemplois chaque anne, et des redploiementsissus de choix de modernisation informatique.Ainsi, pour les magistrats, dont 1 400 partiront laretraite sur le quinquennat, nous avons ouvert et

    pourvu 384 postes en 2013, contre 105 par an souslancien quinquennat. Nous avons fait progresserle rgime indemnitaire des adjoints administratifset techniques, et nous travaillons avec le ministrede la Fonction publique pour amliorer la situationdes greffiers et fonctionnaires de catgorie C. Jeparticipe activement aux instances de dialoguesocial et nous avons pu adopter un plan ministrielde prvention des risques psychosociaux.

    celles qui sont utiles au bon fonctionnement desjuridictions.La gauche et la droite ont chacune une filiation :

    historiquement, la droite a prfr les juridictionsdrogatoires au droit commun, la gauche les asupprimes. Badinter a supprim les juridictionsdexception, Cour de sret de ltat et tribunauxmilitaires. 20 et 30 ans aprs, la droite a inventles juridictions doccasion (tribunaux dits deproximit, en septembre 2002, quelle-mmevoudra supprimer 10 ans plus tard ; tribunauxcorrectionnels pour mineurs, aot 2011).Concernant laccs la justice, la carte judiciaire

    a cr de vritables dserts, et la droite a instauren 2011 une contribution de 35 euros, qui entravaitlaccs gratuit au juge. A contrario, Henri Nalleta cr lAide juridictionnelle en 1991, ElisabethGuigou a amlior la protection des victimes et crle juge des liberts et de la dtention en 2000, nousavons supprim cette taxe de 35 euros qui loignaitles plus dmunis de la justice, nous avons rouvertdes juridictions et nous renforons le tissu de lieuxdaccs au droit et la justice (Maison de Justice et

    du Droit, Conseil dpartemental de laccs au droit,Point daccs au droit).

    L. R. S. : Avant votre arrive la Chancellerie,la situation de linstitution judiciaire tait

    juge, de faon quasi unanime alarmante.Lattente votre gard nen tait que plusgrande. Quel regard portez-vous aujourdhuisur ltat de la justice et sur votre action ?

    La gauche raffirme toujours son choix delindpendance de la justice et du droit

    commun, soit une justice gale pour touset sur tout le territoire. La gauche et la droiteont chacune une filiation : historiquement, ladroite a prfr les juridictions drogatoires

    au droit commun, la gauche les a supprimes.Badinter a supprim les juridictions

    dexception, Cour de sret de ltat ettribunaux militaires.

    Nous avons amlior les recrutements, par500 crations demplois chaque anne, et des

    redploiements issus de choix de modernisationinformatique. Ainsi, pour les magistrats, dont

    1 400 partiront la retraitesur le quinquennat, nous avons ouvert

    et pourvu 384 postes en 2013, contre 105par an sous lancien quinquennat.

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    21Le Dossier

    consensus. De septembre 2012 fvrier 2013,des centaines de contributions spontaneset dauditions de professionnels, praticiens,associations, victimes, experts ont permisdlaborer un diagnostic partag. Puis le jury de

    consensus a rendu douze recommandations faisantlunanimit de ses 20 membres, lissue de deuxjours de dbats publics ayant runi plus de 2 300personnes. Il sest notamment dgag un principedirecteur : une peine ne peut efficacement prvenirla rcidive que si elle adapte la gravit desfaits, leur retentissement sur les victimes et lapersonnalit de lauteur. Cest une vidence quetous les textes vots par la droite ont obstinmentignore, privilgiant les effets dannonce. Nous

    voulons prvenir la rcidive du prononc lexcution de la peine. Il faudra accompagnerles personnes, tre exigeant sur leur projetdinsertion, assurer un suivi efficace. Les forcesde scurit seront associes au contrle en milieuouvert. Les automatismes tels que les peinesminimales (exemple, un an demprisonnementpour un vol simple) ou la rvocation automatiquedes sursis seront supprims. Le juge retrouve de lalibert dapprciation, y compris pour prononcer

    le double de la peine maximale en cas de rcidive,sil lestime fond. Il pourra galement rvoquerles sursis sil lestime opportun.Nous crons une contrainte pnale, nouvelle peinequi comportera un suivi et un contrle renforcs,rgulirement valus. Pour assurer lefficacit deces dispositions contre la rcidive, nous crons1 000 emplois sur trois ans au sein des servicespnitentiaires dinsertion et de probation. Quatre

    L. R. S. : Vous avez lanc au cours de lanne2013 une vaste rflexion de fond sur larforme de linstitution judiciaire. Quelsseront pour vous les axes majeurs pourconstruire cette justice duXXIesicle ?

    C. T. :Le Prsident de la Rpublique a fait de lajustice de proximit sa priorit. Nous avons pris letemps de la rflexion, de la consultation, et de laconcertation. Nous disposons ainsi du rapport delInstitut des hautes tudes sur la justice (IHEJ)qui a servi de base deux groupes de travail surle magistrat et sur les juridictions du XXIesicle,et la commission prside par Jean-Louis Nadal,Procureur gnral honoraire prs la cour decassation a travaill sur la modernisation de

    laction publique. Le dbat national organis les10 et 11 janvier 2014 la Maison de lUNESCO Paris a permis de mettre en cohrence ces travaux(268 propositions contenues dans les 4 rapports etdans le rapport des snateurs Kls et Dtraigne surla juridiction de premire instance). Ces dbats,auxquels ont particip 1 900 personnes, ont permisde dgager trois axes principaux pour la rformejudiciaire : des citoyens pleinement acteurs deleurs droits, par lamlioration de la conciliation

    et de la mdiation ; une meilleure accessibilitgographique et une justice plus lisible pourle citoyen ordinaire, par une juridiction uniquede premire instance (nous commenons avecles guichets universels de greffe) ; une quipeautour des magistrats pour mieux prparer lesdcisions. Dici mi-avril, nous aurons le retourdes concertations en juridiction, et pour juin 2014,nous pourrons mettre en uvre cette rforme, laplus importante depuis 1958.

    L. R. S. : Pouvez-vous expliquer la philosophiede votre projet de loi sur la prvention de larcidive et lindividualisation des peines et leschangements quil apportera notre justice

    pnale ?C. T. : Ce projet de loi a t labor la suitedune dmarche totalement indite au seinde linstitution judiciaire : la confrence de

    Une peine ne peut efficacement prvenir larcidive que si elle adapte la gravit des

    faits, leur retentissement sur les victimes et la personnalit de lauteur. Cest une vidence

    que tous les textes vots par la droiteont obstinment ignore, privilgiant

    les effets dannonce.

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    Nous voulons prvenir la rcidive du prononc lexcution de la peine

    tensions : quelle est votre analyse sur lasituation des prisons franaises aujourdhui ?C. T. : Les difficults que vous relevez sontrelles et mettent en lumire la situationgravement dgrade dans laquelle jai trouv

    les tablissements pnitentiaires. Et jai dciddagir de faon concrte ds ma nomination, enmettant en cohrence politique pnale et politiquepnitentiaire, et en dfinissant une politiquepnitentiaire globale autour de trois axes essentiels,et ds le premier budget triennal : un programmeimmobilier bas sur des critres objectifs devtust et de surpopulation, et entirement financ,contrairement lancienne majorit qui avaitpromis 23 000 nouvelles places, sans prvoir aucun

    financement. Nous construisons 6 500 places, 1 082places vtustes seront fermes et les crdits dernovation ont augment de 20 % en 2013. Ensuite,jai dcid dun plan de scurisation sans prcdent hauteur de 33 millions deuros le 3 juin 2013.Outre le dploiement de matriels de scurit(dispositifs anti-projections, portiques de dtection masse mtallique et ondes millimtriques), ceplan prvoit un renforcement du partenariat avecles autorits judiciaires et les forces de scurit,

    et un travail sur les pratiques professionnelles.En troisime lieu, ma politique pnitentiaireest rsolument tourne vers la rinsertion despersonnes dtenues, essentielle la prvention dela rcidive pour garantir un retour serein dans lasocit, en lien avec les autres ministres et autrespartenaires, pour le logement, la sant, lducation,lemploi.

    groupes travaillent galement sur les profils derecrutement, les mthodes et outils dvaluation,lorganisation des mtiers. Nous voulons rduirede faon significative ces nouveaux actes dedlinquance commis la sortie des prisons, pour

    viter de nouvelles victimes. Et la prison pourra,dans de meilleures conditions, exercer son officedans lexcution de la peine et la prparation larinsertion.

    L. R. S. : Le gouvernement a fait de lajustice lune de ses priorits dans uncontexte conomique difficile. Pourtant, lesorganisations syndicales continuent dalertersur la situation dans les juridictions. Selon

    vous, comment faire pour que la justiceretrouve un fonctionnement normal etsatisfaisant ?C. T. :Le ministre de la Justice reste prioritaire ;le budget a augment de 4,2 % en 2013 et encorede 1,5 % en 2014. Jai obtenu lanne dernireun dgel de 209 millions deuros pour les crditsde fonctionnement des juridictions et les frais dejustice. Nous avons augment de 33 % le budgetde fonctionnement pour limmobilier judiciaire en

    2014. En dbut danne, nous avons pu procder un apport budgtaire exceptionnel de 7 millionsdeuros pour parer au plus urgent (travauximmobiliers, parc informatique) et recruter desassistants spcialiss.Mais les moyens ne sont pas lunique rponse.Nous rationalisons les missions, au lieu de lesaugmenter comme par le pass. Ainsi, par le projetdhabilitation pour lgifrer par ordonnances, nousintroduisons la convocation par voie lectronique,

    moins coteuse et plus efficace. Enfin, jai misen place un programme dcoute et de soutiendes juridictions, VIA-Justice pour valoriser lesexpriences, les savoir-faire et accompagner lesjuridictions dans la ralisation de projets innovants.Le projet de rforme des tribunaux de commerce estgalement porteur de vritables avances.

    L. R. S. : Surpopulation carcrale, vtust,

    Nous respectons les victimes et nous refusonsde les instrumentaliser. La justice ce nest nide la vengeance ni de la compassion, cest ce

    qui rend son exercice si difficile. Alors que sousle quinquennat prcdent les crdits ddis

    laide aux victimes ont t en baisse constante,jai revaloris le budget ddi de 25 % ds mon

    arrive, et de 7 % cette anne encore.

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    alors que la transposition de cette directive doitintervenir fin 2015. La gauche fait mieux pour lesvictimes, elle fait par avance et en vigilance, mais

    nous ne le crions pas sur les toits. Car nous agissonspar conviction et en respect.Cest loccasion de dire aux militants socialistesquils ont toutes les raisons dtre fiers de lacampagne quils ont faite pour offrir aux Franaisdchapper un nouveau quinquennat marqupar la vulgarit, la connivence avec les nantis, larvrence envers les puissants, linjure et le mprisrservs aux pauvres et aux chmeurs traits deparesseux, dassists, de tricheurs, la dmagogie

    envers les classes moyennes. Cette campagne apermis de mettre un terme aux pratiques de divisiondes Franais en catgories dresses les unes contreles autres, enseignants contre ouvriers, magistratscontre policiers, etc. Les socialistes ont toutes lesraisons dtre fiers de leurs idaux et de les assumer,sans se laisser intimider par les conservateurssans scrupule, les puissants sans conscience, lesprogressistes honteux, et surtout cette oppositionsans vergogne qui oublie quelle a creus le dficit,

    aggrav la dette de 600 milliards deuros, dtriorla balance commerciale 70 milliards et surtoutaugmentdun million le nombre de chmeurs parses politiques conomiques inappropries et sespolitiques fiscales et sociales injustes. Il nous restebeaucoup faire pour consolider la confiance etrduire les injustices et les ingalits, et nous nedevrons pas faillir cette mission.

    L. R. S. : Un des procs habituels faits lagauche en matire de justice consiste direquelle privilgie les dlinquants aux victimes.

    Pourtant, le rle de la gauche, comme votreaction, en matire de droits des victimes nest

    plus dmontrer. Comment expliquez-vousces critiques ?C. T. :Ces critiques sont rcurrentes, et cyniques.Lancien gouvernement na cess dinstrumentaliserles victimes, tout en rduisant les moyens eten compromettant leffectivit de leurs droits.La gauche a toujours, au contraire, men despolitiques volontaristes en faveur des victimes.Robert Badinter, ouvre en 1981 un service daideaux victimes au ministre, il met en place des

    fonds dindemnisation des victimes, soutient lacration de lINAVEM et son rseau dassociations,160 aujourdhui. Ensuite, la loi Nallet sur laidejuridictionnelle, la loi Guigou qui conforte le statutde protection de la victime, et aujourdhui ce projetde loi pour lutter contre la rcidive et viter denouvelles victimes. Simplement, nous respectonsles victimes et nous refusons de les instrumentaliser.La justice ce nest ni de la vengeance ni de lacompassion, cest ce qui rend son exercice si

    difficile. Alors que sous le quinquennat prcdentles crdits ddis laide aux victimes ont t enbaisse constante, jai revaloris le budget ddide 25 % ds mon arrive, et de 7 % cette anneencore. Alors que la gouvernance de laide auxvictimes tait en dshrence, que le conseil nationalde laide aux victimes navait pas t runi depuis2010, je lai runi nouveau et le prside dsormaisdeux fois par an. Alors que le gouvernementprcdent annonait la mise en place de bureaux

    daide aux victimes dans les juridictions et nen acr que 50 en 3 ans, jen ai install une centaineen la seule anne 2013, un dans chaque TGI. Etpar anticipation, jai lanc une exprimentation,ds janvier 2014, dans 8 TGI, des dispositions dela directive europenne doctobre 2012 tablissantdes normes minimales sur les droits, le soutien et laprotection des victimes, et leur suivi individualis,

    Les militants socialistes ont toutes les raisonsdtre fiers de la campagne quils ont faite pour

    offrir aux Franais dchapper un nouveauquinquennat marqu par la vulgarit, la

    connivence avec les nantis, la rvrence enversles puissants, linjure et le mpris rservs auxpauvres et aux chmeurs traits de paresseux,

    dassists, de tricheurs, la dmagogieenvers les classes moyennes.

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    ractions conduit une sorte denchevtrement entrenormes nationales et normes internationales, asso-ciant le rle des juges nationaux celui des juges

    internationaux. Par exemple, le juge franais inter-prte et applique le droit franais, mais il est aussijuge du droit europen, que ce soit celui de lUnioneuropenne ou de la Convention europenne desdroits de lhomme et il devient parfois juge mondial.Quand on poursuit des crimes contre lhumanit enFrance, cest au nom de lhumanit et pas au nomdu peuple franais. Face ces perturbations trsfortes, je rencontre depuis des annes une questionlancinante : que peut le droit face ces phnomnes

    qui dpassent bien videmment la sphre juridiqueet viennent des mutations profondes de nos socits.Le titre du livre est un peu un essai de rponse. Cenest pas ce que fait le droit, mais ce quil pourraitfaire.

    L. R. S. : Cette rponse, si on suit votre titre,se mnerait par trois actions. Tout dabord,rsister.

    Mireille Delmas-Martyest professeur au Collge de France. Elle a notamment publi

    Rsister, responsabiliser, anticiper ou comment humaniser la mondialisation, Le Seuil, 2012.

    Ce sont les acteurs en apparenceles plus faibles et les plus dmunisqui font le plus bouger le monde

    a Revue Socialiste : Votre ouvragesappelle Rsister, responsabiliser,

    anticiper. Pouvez-vous nous dire quel est

    lobjectif de ce livre ?M. Delmas-Marty : Cest une rponse linterro-gation qui court tout au long de mes travaux. Depuisdes annes, je travaille sur linternationalisationdu droit. Pas le droit international, mais les inte-ractions, de plus en plus nombreuses et de plus enplus fortes, entre les droits internes (nationaux) etle droit international. Ces interactions ont des effetsperturbateurs, pour les droits nationaux et pourle droit international parce que le modle auquel

    nous tions habitus tait le modle souverainiste,identifiant le droit ltat et le droit international un droit intertatique. Or lheure actuelle, ledroit international pntre de plus en plus dans lesdroits nationaux et inversement, les droits natio-naux remontent pour irriguer, nourrir le droit inter-national.Il ne sagit pas non plus du modle universaliste, quilargirait ltat la plante. En effet le jeu des inte-

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    Ce sont les acteurs les plus faibles et les plus dmunis qui font le plus bouger le monde

    Rsister la dshumanisation, est donc un objectifessentiel. Est ce que le droit rsiste la dshuma-nisation ? Pas compltement, comme le dmontrentles exemples que je viens de citer, mais il y atout de mme une certaine rsistance au niveau

    par exemple de la Cour europenne des droits delhomme qui a tenu bon par rapport linterdictionde la torture. Mme pour les personnes soupon-nes de terrorisme, elle a jug quun tat ne pouvaitni torturer, ni extrader vers un pays qui pratique latorture. Et dans le cas des internements de sret,la Cour europenne a condamn lAllemagne pourun systme qui est quasiment le mme que lesystme franais, puisque la France a copi la loiallemande. Rsister, cest une premire rponse.

    Cela ne suffit videmment pas.

    L. R. S. : Vous proposez ensuite de respon-sabiliser les titulaires du pouvoir. qui

    pensez-vous ?M. D. M. : mesure que le pouvoir stend lchelle globale, il est important que les acteurs quidisposent dun pouvoir global se voient reconnatreune responsabilit pour les consquences de leursactes. A lexercice dun pouvoir global doit corres-

    pondre une responsabilit aussi globale. On en esttrs loin. Mais il y a des jalons. Par exemple pour cequi concerne les tats, il y a dans plusieurs rgionsdu monde des cours qui peuvent condamner destats pour violation des droits de lhomme, ce quiaurait t impensable il y a un sicle. En Europe,la Cour europenne des droits de lhomme nhsitepas condamner les tats. En Amrique latine, laCour interamricaine des droits de lhomme est deplus en plus active. En Afrique, on peut esprer que

    la Cour africaine des droits de lhomme qui vient dese mettre en place sera appele jouer un certainrle. En tout cas, elle existe. En ce qui concerne lesautres parties du monde, il y a le travail du Comitdes droits de lhomme de lONU qui se judiciariseprogressivement. Ce nest pas une vritable courmais il peut qualifier un certain nombre de compor-tements de violations des droits de lhomme.La responsabilit des tats est aussi reconnue

    M. D. M. :Rsister, cest rsister la dshuma-nisation, qui accompagne un courant scuritairetrs fort, en quelque sorte libr par les attentatsdu 11 septembre. Ces attentats ont lev un tabouen conduisant auPatriot Actqui reste en vigueur,

    mme si les tats-Unis ont chang de prsident.Au nom de ce dispositif, le chef dtat peut dciderdun assassinat cibl contre un suspect de terro-risme. Or un assassinat cibl cest la peine demort prononce sans procs et sans preuve par lepouvoir excutif. Sans aller jusqu de telles extr-mits, cest la suite des attentats du 11 septembrequil y a eu, mme en Europe, dans des pays atta-chs aux droits de lhomme, un durcissement dela rpression et surtout un glissement vers une

    justice pnale prventive. Le concept de dangero-sit lgitime la possibilit dincarcrer pour une vieentire, en France par priode dun an renouvelableindfiniment, une personne non pas pour linfrac-tion quelle a commise mais pour une dangerositsuppose. Mais comment faire la preuve contraire ?On peut dmontrer son innocence tant quon restedans le domaine de la responsabilit pour unefaute commise dans le pass. Mais quand il sagitde lavenir et dune justice qui devient prdictive,

    comment dmontrer lerreur ? Ce glissement scu-ritaire est inquitant car il va vers une sorte dedshumanisation. Punir une personne pour la fautequelle a commise, cest reconnatre sa responsa-bilit dtre humain. Lenfermer pour une dange-rosit suppose cest la traiter comme un produitdangereux ou comme un animal dangereux, et noncomme un tre humain libre de ses actes.

    Ce glissement scuritaire est inquitant car ilva vers une sorte de dshumanisation. Punir

    une personne pour la faute quelle a commise,cest reconnatre sa responsabilit dtre

    humain. Lenfermer pour une dangerositsuppose cest la traiter comme un produit

    dangereux ou comme un animal dangereux, etnon comme un tre humain libre de ses actes.

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    27Le dossier

    complices ou coauteurs de crimes internationauxgraves. Mais les juridictions internationales nontpas comptence leur gard. Cest tonnant parcequune entreprise qui estime tre victime duneviolation peut mener une action Strasbourg pour

    violation de ses droits de lhomme , par exemplele droit un procs quitable. Mais si lentreprisecommet une violation beaucoup plus grave, du droit la vie ou du droit la libert, on ne peut pas lapoursuivre. Certes il y a des rponses de soft law,des mesures de prvention, mais pas de sanctionsparce que le pays dimplantation na en gnralpas les moyens, et sil les a, il craint de dissuaderles investisseurs potentiels. Il est en situation defaiblesse. Le pays dorigine, pour des raisons cono-

    miques na pas intrt poursuivre. Et il ny a pasde comptence des juridictions internationales.Pour les crimes les plus graves, on pourrait largirles comptences de la Cour pnale internationaleaux personnes morales. Ce serait possible puisquectait le cas Nuremberg. Mais pour le reste, ilfaudrait laborer une convention internationale quiattribue la comptence de faon plus stricte. Etquand on attribue la comptence au pays dimplan-tation, il faudrait lui donner les moyens dexercer

    vraiment les poursuites. Il y a encore beaucoup faire dans ce domaine.Ce qui commence fonctionner un peu, cest lacomptence universelle, comme celle quont exerceles juridictions fdrales amricaines pour violationdes droits fondamentaux sur la base dune vieilleloi : lAlien Tort Statute (ATS). Mais un coup darrt at donn par la Cour suprme des tats-Unis dansune affaireKiobel(avril 2013) qui limite considra-

    maintenant dans le domaine du commerce puisque,au sein de lOMC, le panel dexperts joue un rlequasi-juridictionnel, et des sanctions sont impo-ses aux tats, et gnralement acceptes, mmepar les tats-Unis, mme par la Chine. Il y a donc

    un dbut de responsabilisation des tats, mais ilfaudrait aller plus loin, notamment en matire den-vironnement. Enfin la Cour pnale internationalepeut condamner, mme un chef dtat en exercice,pour les crimes, notamment contre lhumanit, quirelvent de son statut. Cest une vritable rvo-lution quune cour internationale puisse avoir untel pouvoir, mme si la mise en uvre est lente.Noublions pas qu Nuremberg, ce sont les vain-queurs qui ont condamn les vaincus, ctait plus

    facile. Puis il y a eu les juridictions spciales, adhoc, pour lex-Yougoslavie, le Rwanda, le Cambodgeetc., sur des modles assez diffrents les uns desautres. Et maintenant la Cour pnale internatio-nale. Ds lors que les crimes internationaux (crimescontre lhumanit, crimes de guerre, gnocides,agressions, etc.) ne peuvent pas tous tre jugs parla CPI, et quune partie doit tre juge par les juri-dictions nationales, il faudra construire une justicepnale internationale plusieurs niveaux et la voca-

    tion de la CPI est de devenir la cour suprme quidonnera cohrence lensemble. En somme, pource qui est de responsabiliser les tats, il y a beau-coup faire mais le mouvement est en route.En revanche, pour les autres acteurs globaux, lesvolutions sont plus lentes. Je pense principale-ment aux entreprises transnationales. On dcouvrede plus en plus quelles peuvent commettre desviolations des droits de lhomme et sont parfois

    La Cour pnale internationale peut condamner,mme un chef dtat en exercice, pour lescrimes, notamment contre lhumanit, quirelvent de son statut. Cest une vritable

    rvolution quune cour internationale puisseavoir un tel pouvoir, mme

    si la mise en uvre est lente.

    On dcouvre de plus en plusque les entreprises transnationales peuvent

    commettre des violations des droits delhomme et sont parfois complices ou

    coauteurs de crimes internationaux graves.Mais les juridictions internationales nont pas

    comptence leur gard.

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    Ce sont les acteurs les plus faibles et les plus dmunis qui font le plus bouger le monde

    experts, notamment dans le domaine des nouvellestechnologies ou de lenvironnement. Pour le change-ment climatique, on sait que ce qui a t dtermi-nant, cest la pression des associations de dfense delenvironnement et lalerte lance par les experts du

    GIEC. En pratique les experts exercent un certainpouvoir de facto dans la mesure o ils dtiennentun savoir qui chappe aux responsables politiqueset sont dj organiss lchelle mondiale. Il nestdonc pas anormal que ce savoir, qui devient pouvoir,se traduise par une responsabilit. En arrire-planse posent les questions sur les conflits dintrt, quidevraient amener renforcer le statut de lexpertpour quil soit vritablement impartial et indpen-dant.

    Mais il ne faut pas mlanger les rles : les acteursscientifiques ont une responsabilit sur le terrainscientifique, sils font des erreurs. En revanche, silsagit de dcider, face au risque, si on le court ousi on refuse de le courir, la responsabilit devraitrevenir aux acteurs politiques. Do la recherchedindicateurs de risques, distinguant indicateursscientifiques de vraisemblance des risques etindicateurs politiques de tolrance. En effet, aveclacclration de linnovation technologique, on ne

    peut pas se contenter dun choix binaire qui seraitde dire que tout ce qui est possible est permis ouque tout ce qui est nouveau doit tre interdit. Maisselon quel critre dcider, par exemple, dans un casdadmettre linnovation pour la procration artifi-cielle, et de linterdire pour le clonage reproductifhumain ou la fabrication de chimres par croise-ment des espces.

    blement la possibilit de poursuivre aux tats-Unisles agissements des multinationales ltrangersur des victimes trangres. Quand on lit larrt,on voit que les juges taient tous daccord pour nepas admettre la poursuite, mais pour des raisons

    diffrentes. Les uns ferment compltement la porteen prsumant la comptence universelle exclue,de manire viter de la voir un jour oppose auxtats-Unis. Les autres juges proposaient, de faonplus novatrice, de reprer les critres qui peuventfonder la comptence universelle des juridictionsamricaines sur la base de lATS. Pour eux, il fautchercher le sens profond de cette loi : les tats-Unis, lpoque et a fortiorimaintenant, ne veulent pasdonner limpression dtre le refuge des criminels.

    Donc ils doivent prendre en charge les crimes lesplus graves contre le genre humain , commeon disait en 1789. lpoque, les crimes contre legenre humain, taient principalement le piratageen haute mer. De faon trs image, lun des jugesdit quil faudrait dfinir maintenant qui sont lespirates du XXIesicle : probablement les auteursde crimes contre lhumanit, voire de dsastresenvironnementaux. Le principe de la comptenceuniverselle devrait alors sappliquer. Mais le raison-

    nement reste purement thorique. Ds lors queseuls les tats puissants peuvent lexercer, une tellecomptence ne peut exister qu titre transitoire.En revanche la comptence universelle est unemanire daiguillonner les tats et de stimuler lesjuges, nationaux et internationaux. La vritablesolution serait de crer une juridiction internatio-nale sur le modle de complmentarit de la CPI,cest--dire une juridiction qui jugerait les casles plus exemplaires, les autres cas relevant de la

    comptence, au niveau national, du pays dorigineou du pays dimplantation. Mais avec des rglesprcises qui ne permettent pas au pays doriginede refuser dexercer sa comptence, et qui donnentau pays dimplantation, sil est saisi, les moyensdagir. Sur le terrain de la responsabilit des acteursconomiques, des entreprises, il y a donc encorebeaucoup faire.Reste le rle croissant des acteurs scientifiques, des

    En pratique les experts exercent un certainpouvoir de facto dans la mesure o ilsdtiennent un savoir qui chappe aux

    responsables politiques et sont dj organiss lchelle mondiale. Il nest donc pas anormalque ce savoir, qui devient pouvoir, se traduise

    par une responsabilit.

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    tions. Aujourdhui on en vient au contraire lidequil faut intgrer au droit positif les intrts desgnrations futures notamment dans le domaine delenvironnement.Cette entre du futur dans le champ juridique pose

    nanmoins le problme des limites. Parce quonne peut anticiper linfini, au point de sacrifier lagnration prsente aux gnrations futures. Doncjusquo anticiper ? Cela fait partie des questionsposes maintenant aux juristes, et dabord au juge.Des travaux sont en cours sur la faon dont on peutprotger les gnrations futures, par exemple en cequi concerne lusage du nuclaire. Si lon ne veutpas renoncer totalement aux innovations, il fautarriver trouver un quilibre qui nest pas donn

    davance. Dun ct, lanticipation fait partie du rledu droit. Sans un minimum danticipation on levoit dans certains domaines comme lInternet , ledroit court derrire linnovation technologique. mesure que les dysfonctionnements apparaissent,on fait une nouvelle loi. Mais quand la loi entreen vigueur les dysfonctionnements ne sont plus lesmmes parce que les techniques ont dj chang.Cest le problme du droit loubli sur Internet,dautant plus difficile garantir que les techniques

    empchant loubli se dveloppent.Ce qui est nouveau, ce nest pas lexistence desnouvelles technologies il y en a eu tout au longde lhistoire de lhumanit , cest lacclration destransformations : partir dune certaine vitesse, onpasse en pilotage automatique , cest--dire quepersonne ne contrle plus le processus en cours,personne nest en position darrter le mouve-ment. Comment faire face cette acclration dutemps technologique ? Comment le droit pour-

    rait reprendre la main ? Lune des conditionsserait, pour viter linflation normative, de penseren terme dobjectifs. Dans un livre qui vient desortirLa bureaucratisation du monde lre noli-brale, Batrice Hibou montre comment linvasiondes normes, juridiques et non juridiques, finit parenserrer toute action humaine dans une sorte debureaucratie, le rsultat tant qu mesure que lenombre de normes augmente, le sens diminue. Tout

    L. R. S. : La question est donc de savoir oon place le curseur ?M. D. M. : Il est trs intressant que vousemployiez le mot curseur, ce qui veut dire que leraisonnement chappe une logique binaire pour

    relever dune logique de gradation. Il faut doncfixer un seuil, qui peut varier selon les poques ousuivant les pays. On peut avoir les mmes principes lchelle europenne mais le seuil peut varierselon la notion que la Cour europenne appelle la marge nationale dapprciation . Ce changementde logique nous amne une sorte de rvolutionculturelle sur la manire de penser les systmes dedroit. Prcisment parce quon ne peut plus resterenferms dans un seul systme juridique, il faut

    une logique de gradation pour arriver combinerles diffrents systmes.

    L. R. S. : Vous prconisez en dernier pointdanticiper sur les risques venir. Commentsexprime cet objectif ?M. D. M. :Le droit est de plus en plus amen anti-ciper. Le mot anticipation est encore peu utilismais on voit entrer dans le vocabulaire juridiquedes expressions qui introduisent la longue dure :

    le dveloppement durable , la paix durable ,et surtout lexpression gnrations futures quiest maintenant rentre dans les textes, ce qui taitimpensable autrefois.Le projet de Constitution de1793 avait mme prcis quon ne pouvait lgifrerque pour les gnrations prsentes pour viter deporter atteinte la souverainet des futures gnra-

    Le droit est de plus en plus amen anticiper.Le mot anticipation est encore peu utilis

    mais on voit entrer dans le vocabulairejuridique des expressions qui introduisent lalongue dure : le dveloppement durable ,

    la paix durable , et surtout lexpression gnrations futures qui est maintenant

    rentre dans les textes,ce qui tait impensable autrefois.

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    Ce sont les acteurs les plus faibles et les plus dmunis qui font le plus bouger le monde

    ancienne organisation internationale cest lOrgani-sation internationale du travail, lOIT, qui remonte 1919 alors que lOMC a t cre en 1994.Il y a l un problme de dyschronie, cest--dire devitesses qui ne sont pas synchronises. Lintgration

    des normes du commerce sest faite extrmementvite alors que dans le domaine du droit du travail oudes droits de lhomme, les dispositifs, crs plus tt,ont avanc plus lentement. Do cette dissociation effet pervers. Au niveau international, la dyschronieest possible parce quil y a une fragmentation dessystmes de droit, chaque espace normatif ayant sapropre cohrence et aucun organe ntant en posi-tion de synthtiser, ni mme de coordonner toutlensemble : les pratiques ressemblent moins un

    ordre mondial quau grand dsordre juridique dumonde. Do les nombreuses contradictions. Outrecelle que nous venons dvoquer, il y a aussi lacontradiction inacceptable entre louverture desfrontires aux marchandises, aux investissements,aux capitaux, et la fermeture aux hommes, auxmigrations. Une telle situation pourra-t-elle durerlongtemps, perptuant cette habitude de construiredes murs, et autres barrires de scurit, et allantjusqu transformer lEurope qui se veut ouverte en

    vritable forteresse ?Lune des cls de la mondialisation serait de russir rgler le problme des migrations, autrement quepar la construction de barrires, que les hommesarrivent toujours franchir. Un texte avait tlabor en 1990 dans le cadre des Nations Uniessur les droits des travailleurs migrants et de leurfamille : trs complet il prvoit mme des droitspour les travailleurs irrguliers. Comme treshumains, ils ont le droit au respect de leur dignit.

    Mais ce texte na t ratifi que par les pays dmi-gration. Javais pens, au moment dit des prin-temps arabes quil y avait l une belle occasionpour lUnion europenne de ratifier ce texte. Elleavait le pouvoir de le faire puisquelle a la person-nalit juridique. Au lieu de cela, elle a renforc lesfrontires.Il en dcoule un autre paradoxe de la mondialisa-tion, car louverture des frontires aux marchan-

    le monde le dplore mais personne ne sait commentarrter cette bureaucratisation. Or le droit est lafois le problme et la solution puisquil participe cette inflation normative mais pourrait aider lafreiner, en se recentrant davantage sur des objectifs

    et des principes qui indiquent une direction.

    L. R. S. : Vous voquez dans la premirepartie de louvrage toutes les contradic-tions de la mondialisation et notamment ladistorsion entre lvolution rapide de la lib-ralisation de lconomie et celle plus lentedes droits humains.M. D. M. : Jobserve diffrentes contradictions.Lune des principales tant en effet que la prosp-

    rit mondiale augmente mais que lexclusion socialeaugmente en mme temps. Cest une contradic-tion qui tient dabord des facteurs politiques etconomiques mais il me semble que le droit a aussiune part de responsabilit parce quil y a eu uneintgration plus rapide des normes du commerceque des normes sociales. Autrement dit, il y a unedissociation entre les normes du march qui sontdj mondialises, et judiciarises avec lorgane decontrle de lOMC, quasi juridictionnel, alors que

    les normes sociales restent pour lessentiel au niveaunational. Or les tats eux-mmes ont une marge demanuvre assez faible en raison du phnomnequAlain Supiot appelle le march des droits :ltat doit tre comptitif sur le march des droitssil veut attirer des investisseurs. Avec des normessociales trop protectrices, on fait fuir les investis-seurs. Cest dautant plus paradoxal que la plus

    La prosprit mondiale augmente maislexclusion sociale augmente en mme temps.

    Cest une contradiction qui tient dabord des facteurs politiques et conomiques

    mais il me semble que le droit a aussi unepart de responsabilit parce quil y a eu

    une intgration plus rapide des normes ducommerce que des normes sociales.

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    juristes, le droit est gnralement peru commecelui des lgistes, un instrument au service des plusforts. Et cela correspond souvent la ralit. Maisle droit peut aussi tre un instrument civique pourfaire voluer vers plus de justice. Il ne doit pas tre

    la proprit des juristes. Les citoyens doivent senemparer, en faire un instrument de progrs et passeulement de renforcement des pouvoirs. On revient la rsistance : quand jai commenc travaillersur le droit des droits de lhomme, jai compris queles droits de lhomme ntaient pas naturels mais protestation contre la nature. Dans la nature,les hommes ne naissent pas libres et gaux, maisen proclamant un tel principe, on se donne un outilpour protester, une arme pour rsister.

    L. R. S. : Quand vous voquez cette nces-sit de rsister, vous pensez avant tout auxcitoyens ?M. D. M. :Je pense en effet que les acteurs civiquesont un rle important jouer, et quils ont commenc le jouer. Revenons aux exemples cits : la Courpnale internationale naurait jamais pu tre cresans les ONG qui ont inlassablement fait pressionsur les tats pour obtenir la convention de Rome.

    Mme constat pour le changement climatique, sansle rle des experts et des ONG, le protocole de Kyoto,qui limite les missions de gaz effets de serre,nexisterait pas. Le trait de Lisbonne offre dsor-mais un outil avec laction citoyenne. La premire at lance pour crer un crime dcocide et lappelde Bruxelles (janvier 2014) qui fdre de nombreuxacteurs civiques demande la cration dune courpnale internationale pour lenvironnement. Cesont les acteurs en apparence les plus faibles et les

    dises et aux capitaux correspondent des crispationsidentitaires et un repli souverainiste. Ce repli et cescrispations tiennent une sorte de peur, de peur delautre. Dans un prcdent ouvrage1, javais beau-coup insist sur ce problme de la peur. Car ellepeut tre de plusieurs sortes. Quand cest la peurde lautre, elle conduit lexclusion, la haine, et

    la guerre, en revanche la peur de risques globaux,donc communs tous, peut conduire la solidarit.Donc il faut faire attention dans lusage de lexpres-sion de socits de la peur : il y a une face nga-tive et une face qui peut redevenir positive.Pour russir construire une communautmondiale, il faudrait peut-tre partir de cette peurcommune des risques globaux, et aller vers lobjectifplus positif dune communaut de destin.Ce termepourrait exprimer un sentiment dappartenance

    la mme communaut, donc quelque chose quiressemble une citoyennet mondiale. Une citoyen-net qui apparat dailleurs par fragments, parexemple travers les ractions de solidarit faceaux catastrophes naturelles, ou dans le domaine dela protection de lenvironnement qui suscite, chezbeaucoup de jeunes, un sentiment dappartenance la mme plante. Mais ce nest pas vrai dans tousles domaines. Sans doute parce que nous sommesdans une priode de transition. Toute lhistoire de

    lhumanit est faite de transitions mais celle-ci estparticulirement rapide. Les anciens modles nefonctionnent plus cela devient vident , maisles nouveaux modles ne fonctionnent pas encore.Il en rsulte une sorte dangoisse collective. Certesle droit ne peut rpondre cette angoisse tout seulmais il a un rle jouer, sans doute plus importantquon ne croit. Il faut faire connatre aux citoyenstout ce quon peut faire avec le droit. Pour les non-

    Quand je parle de rsistance, ce nest pasune rsistance passive, cest une rsistance

    imaginative, novatrice et anticipatrice.Le citoyen doit apprendre se servir

    de loutil juridique, par exemple pour inventerle crime dcocide.

    Pour russir construire une communautmondiale, il faudrait peut-tre partir de cette

    peur commune des risques globaux,et aller vers lobjectif plus positif

    dune communaut de destin.

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    Ce sont les acteurs les plus faibles et les plus dmunis qui font le plus bouger le monde

    comme la marge nationale dapprciation qui permet davoir des principes internationaux

    communs et des diffrences au niveau national. Onpeut aussi admettre une polychronie , cest--dire un espace juridique o lintgration des normesavance plus vite, comme lespace Schengen ou lazone euro au niveau europen.Jai entrepris, avec un petit groupe de juristes, uninventaire de ces instruments qui permettraientde se reprsenter un ordre dun type nouveau, quine soit conu ni sur le modle national, ni sur unmodle universaliste qui ne fonctionnerait pas ou

    serait impos par le pays le plus puissant. Cest ceque jappelle le pluralisme ordonn , un modlecomportant un noyau commun et des marges dauto-nomie.De mme que les acteurs les plus faibles fontparfois davantage bouger les choses, cest souventpar la priphrie que le mouvement commence.Dans limmdiat, je ne crois pas une refontecomplte de lONU. Cest prmatur et risqueraitdentraner des bagarres nen plus finir sur desquestions de souverainet.

    L. R. S. : tes-vous confiante sur la ralisa-tion de cette volution ?M. D. M. : Le pluralisme ordonn est lemodle que je souhaiterais, mais son avnementnest pas garanti. On peut aussi aller vers un granddsordre juridique, ou vers un modle hgmoniquesi le pays le plus puissant tendait son pouvoir lensemble du monde. Ce que les tats-Unis ont cru

    plus dmunis qui font le plus bouger le monde. Aufond, les puissants nont pas intrt changer unmonde qui leur convient, cest pourquoi je crois la ncessit de laction citoyenne. Quand je parle dersistance, ce nest pas une rsistance passive, cest

    une rsistance imaginative, novatrice et anticipa-trice. Le citoyen doit apprendre se servir de loutiljuridique, par exemple pour inventer le crime dco-cide. On peut critiquer le dtail du texte (qui est mon avis trop large), mais il faut saluer un travailimaginatif qui conduit du crime de gnocide celuidcocide. Le principe de prcaution tait aussiune innovation juridique, ncessaire au mme titreque linnovation technologique

    L. R. S. : Vous dites que nous sommes dansune phase de transition ?M. D. M. :En ltat actuel de lONU, le problmeest labsence de structures efficaces pour penserlorganisation politique lchelle du monde. Cellesqui existent pour penser lEurope sont dj trsfragiles. lchelle mondiale, les tats dfendentleurs intrts mais personne nest en charge delintrt mondial. Certains acteurs sautoprocla-ment tels : des ONG croient prfigurer un parlement

    mondial, des experts se voient en dfenseurs delenvironnement, des entreprises se considrent encharge de lorganisation de la sant et de lducationdans les pays dimplantation mais il ny a ni lgi-timit, ni cohrence densemble.Le problme est en mme temps quon ne peut pasconstruire un tat mondial sur le modle de ltatnational. Kant avait dj peru quune Rpubliqueuniverselle conduirait au despotisme le plus effroy-able. Donc il faut arriver l aussi imaginer un

    mode dorganisation nouveau, sans prcdent,car lEurope donne actuellement plutt voir cequi ne marche pas. Il est vrai que les checs sontutiles aussi pour inventer ce qui peut russir. Cestnanmoins difficile car nous restons trs marquspar une culture juridique qui privilgie un droithirarchique et unifi, alors quil faudrait arriver concevoir un droit interactif, volutif et pluraliste.Il faut donc travailler sur des techniques juridiques

    Jai entrepris, avec un petit groupe dejuristes, un inventaire de ces instruments

    qui permettraient de se reprsenter unordre dun type nouveau, qui ne soit conuni sur le modle national, ni sur un modleuniversaliste qui ne fonctionnerait pas ou

    serait impos par le pays le plus puissant.Cest ce que jappelle le pluralisme

    ordonn , un modle comportant un noyaucommun et des marges dautonomie.

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    peut assurer la survie de lespce, mais au prixdune dshumanisation de lindividu qui, perdantde plus en plus son autonomie, cesserait de penserpar lui-mme. Mais je persiste esprer quil yaurait suffisamment de forces vives pour rsister,

    suffisamment desprits originaux et indpendants,critiques, voire rvolts, pour empcher ce totalita-risme insidieux. En somme je garde confiance dansnotre capacit de rebond.

    faire un moment, mais ne feront sans doute pas,car il y a suffisamment de contrepoids pour viterlhgmonie dun seul pays. Mais le plus dange-reux serait mes yeux une socit de plus en plusbureaucratise, qui applique des normes de plus

    en plus dtailles, sans en connatre le sens. Ceserait le modle que Tocqueville avait prophtis,imaginant que le despotisme en dmocratie seraitplus tendu et plus doux, et dgraderait les hommessans les tourmenter . Couvrant la socit dunrseau de petites rgles compliques, minutieuses,uniformes , il tendrait fixer les humains danslenfance et rduire chaque nation ntre plusquun troupeau danimaux timides et industrieux,dont le gouvernement est le berger . Transpos

    lchelle mondiale, ce totalitarisme doux et moupourrait nous transformer en une socit de robots,la robotisation de lhomme, que les nouvelles tech-nologies rendent dsormais possible, allant de pairavec lautonomisation des robots. Une telle socit

    Le plus dangereux serait mes yeux unesocit de plus en plus bureaucratise, qui

    applique des normes de plus en plus dtailles,

    sans en connatre le sens. Ce serait le modleque Tocqueville avait prophtis, imaginant

    que le despotisme en dmocratie seraitplus tendu et plus doux, et dgraderait les

    hommes sans les tourmenter.

    1.Liberts et sret dans un monde dangereux, Seuil 2009

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    Quels sont les grands principes et valeurs quipeuvent guider la politique de la gauche vis--visde la justice ?

    Lhritage de 1981, entreamliorations et critiques

    De 1981 2002, la gauche a entrepris de profondesrformes qui accompagnent encore aujourdhui unvritable changement de socit. Les deux cohabi-tations (1986-1988) et (1993-1997), interrompantles quinze ans de gouvernement avec Franois

    Mitterrand llyse puis Lionel Jospin Matignonse traduisent nettement par un renversement enmatire de politique et de pratique judiciaires.Alors que la gauche axe sa politique sur les droits etles liberts, la droite met les proccupations scuri-taires au cur de sa politique. La politique meneen 2007 par Nicolas Sarkozy confirmera cettetendance dont linstitution judiciaire ne sortira pasindemne. Faut-il prendre l, comme dans dautres

    Henri Nalleta t garde des Sceaux, ministre de la Justice de 1990 1992.

    La gauche et la justice 1981-2013

    a gauche sest toujours pose commele dfenseur dune socit plus juste.

    Le prsident Franois Hollande a fait du

    rtablissement de la justice une des prio-rits de son mandat. Cette aspiration, large-ment partage, recouvre des pratiques etdes institutions diffrentes. Au premier rangdesquelles la Justice, lautorit chargede faire respecter la rgle commune et desanctionner ceux qui la transgressent.

    Or, le malaise de linstitution judiciaire est bienrel. La justice est mine par une crise de confiance

    de la part des citoyens, une crise budgtaire tant lenombre de sollicitations croit sans que le nombrede moyens naugmente, une crise de conscienceenfin touche linstitution, les juges ont du mal croire en leur mission tant celle-ci a t dvalorisepar une politique marque de plus en plus par letout rpressif et le tout scuritaire. lheure o lagauche gouverne nouveau, les socialistes peuvent-ils redonner confiance aux citoyens en la justice ?

    L

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    domaines, le contre-pied de la priode prcdente ?La gauche naurait-elle alors comme laffirment

    encore ses dtracteurs quune vision laxiste de lajustice ? Cette tiquette est rductrice et fausse maisreflte bien le malaise de la gauche face aux aspi-rations scuritaires dune socit qui doute delle-mme. Pour comprendre ce malaise il convient sansdoute de revenir sur les rformes entreprises depuis1981.Lorsque lon interroge les observateurs sur lesgrandes rformes menes par la gauche, cesderniers retiennent la plupart du temps quelques

    squences : le moment lumineux de labolition dela peine de mort, la sombre priode des affairespolitico-financires, la dmarche rformatrice dugouvernement Jospin. Au-del de ce squenagecommode, on peut retenir quatre grandes avancesdont les trois premires ne sont plus discutes1.Dabord llargissement des liberts. Cest la justiceselon Jaurs, la Ligue des droits de lhomme et lesdreyfusards. La gauche dcide labolition de lapeine de mort, combat incarn par Robert Badinter,

    supprime les tribunaux spciaux, dpnalise lho-mosexualit, contrle les coutes tlphoniques,renforce la prsomption dinnocence, instituelappel des jugements des cours dassises, faitadopter le PACS. Ensuite la priorit est donne lamlioration et la dmocratisation de laccs lajustice. Ces rformes sont menes par laile socialede la gauche : aide juridictionnelle, accs au droit,rnovation immobilire reprenant des demandes

    du Syndicat de la Magistrature et le Syndicat desavocats de France. La modernisation de linstitu-tion, cest la gauche modernisatrice qui amliorele statut des magistrats, qui fusionnent les conseilsjuridiques avec les avocats, qui crent des ples

    financiers, et le service des affaires europennesqui intgre le droit communautaire, et amliore ladotation budgtaire du ministre.La justice doit protger mais elle doit aussi rin-srer. La gauche sest applique proposer danstous les domaines des alternatives aux poursuiteset aux courtes peines demprisonnement : TIG(travail dintrt gnral), mdiation, rparation,maison de Justice. Elle a maintenu une politiquecomprhensive lgard des jeunes : PJJ (Protection

    judiciaire de la jeunesse), aide sociale lenfance,respect des droits de lenfant, accs des parentsau dossier, motivation des dcisions, recours auxjuges, respect de la philosophie de lordonnance de1945. Cette politique dominante trouve bien sonorigine dans les racines humanistes de la vision de gauche de la socit. Cette politique, loin dela culture rpressive dominante va aujourdhui dansle sens port par la gauche. La prison ne peut tre,seule, toute la solution. Cette prise de parti nous est

    souvent reproche, et nourrit sans discontinuer lesprocs en laxisme qui nous sont instruits, accusede laxisme, la gauche vise simplement rappeler lancessit des peines adaptes chacun. Car si lajustice doit sanctionner, elle doit le faire de manireadapte, pour faciliter aussi la rinsertion sans lau-tomatisme brutal des justiciers expditifs.Les avances ralises par la gauche ont cepen-dant dans leur ensemble t prennises : leur

    La gauche et la justice 1981-2013

    La justice doit protger mais elle doit aussirinsrer. La gauche sest applique proposer

    dans tous les domaines des alternativesaux poursuites et aux courtes peines

    demprisonnement : TIG (travail dintrtgnral), mdiation, rparation,

    maison de Justice.

    Dabord llargissement des liberts. Cest lajustice selon Jaurs, la Ligue des droits de

    lhomme et les dreyfusards. La gauche dcidelabolition de la peine de mort, combat incarn

    par Robert Badinter, supprime les tribunauxspciaux, dpnalise lhomosexualit, contrle

    les coutes tlphoniques, renforcela prsomption dinnocence, institue lappel des

    jugements des cours dassises,fait adopter le PACS.

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    37Le dossier

    maintien dmontre quelles suscitent lapprobationdans leur fort intrieur de lensemble des respon-sables politiques. Cependant un dernier pan delaction qui consistait voir au-del de linstitution,a en revanche rencontr plus dopposition notam-

    ment en matire damnagement des peines et desa politique comprhensive lgard des jeunes.Enfin la notion dindpendance de la justice mise mal par les scandales politico-judiciaires des trentedernires annes porte encore aujourdhui atteinte la crdibilit de linstitution. Et les rformes portespar les gouvernements de Jacques Chirac puis deNicolas Sarkozy nont pas amlior cette situation.

    La politique de droite,entre rationalisation des moyenset durcissement des sanctions

    Durant le mandat de Jacques Chirac (1995-2007),les rformes ont t conduites par une politiquegestionnaire de linstitution judiciaire et un durcis-sement de larsenal rpressif. Dominique Perbenalors garde des Sceaux fait voter le 9 mars 2004une loi portant sur ladaptation de la justice aux

    volutions de la criminalit2. Pour lutter contreles organisations qui peuvent mettre en pril notresocit, et rendre plus efficace et rapide le traite-ment de la dlinquance gnrale, cette loi fait entreren vigueur en France la reconnaissance pralablede culpabilit, galement appele le plaidercoupable . Cette procdure simplifie permet deproposer une personne une amende ou une peineallge sans procs public. On a souvent critiqulabsence de transparence de cette rforme, le

    juge devant homologuer une dcision prise par leprocureur3. Cette procdure allge vise gagnerdu temps et est surtout utilise pour traiter plusrapidement les petits dlits. Mais dautres dispo-sitions prsentes dans la loi pourraient contribuer entraver les liberts individuelles : la possibilitdallongement de la garde vue, lextension despossibilits de perquisition, la mise sur coute deslieux dhabitation ou des vhicules et enfin, larticle

    434-7-24 qui, pour protger linstruction, permetde poursuivre et de sanctionner un avocat soup-onn dans le cadre de lenqute ou de linstruc-

    tion de rvler des informations qui sont de nature entraver les investigations ou la manifestation dela vrit. partir de 2007, le quinquennat de NicolasSarkozy a t caractris par une profusion lgisla-tive. chaque vnement, une raction simposait :celle de la cration dune norme. Cet empilement derformes rapides et parfois inapplicables a provoquun rel rejet de la part des acteurs de linstitution.Ces rformes sont aujourdhui dailleurs remises en

    cause au grand soulagement des magistrats. Maisrevenons un instant sur les principes ayant guidces politiques.Sans faire une liste exhaustive des principalesrformes et de leurs principes, notons que lescrispations se sont concentres en ralit sous lemandat de Nicolas Sarkozy vis--vis de certainesmesures portes par les ministres de la justice,Rachida Dati puis Michle Alliot-Marie. Les loisvotes sont animes par un durcissement en matire

    de sanctions et un recul de lindpendance de lins-titution.Concernant le fonctionnement de la justice :la lutte contre la rcidive est une des