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Campus adventiste du Salève Faculté adventiste de théologie Rôle et impact de l’intercession dans la guérison spirituelle et physique de l’intercédé Réflexions à partir de l’étude narrative du récit de la guérison de l’homme atteint d’une paralysie en Lc 5.17-26 Mémoire présenté en vue de l’obtention du Master en théologie adventiste par Mélanie BARRETO-COGNE Directeur de recherche : Luca MARULLI Assesseur : Rivan DOS SANTOS Collonges-sous-Salève Avril 2015

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  • Campus adventiste du Salve Facult adventiste de thologie

    Rle et impact de lintercession dans la gurison spirituelle et physique de

    lintercd Rflexions partir de ltude narrative du rcit de la gurison de

    lhomme atteint dune paralysie en Lc 5.17-26

    Mmoire

    prsent en vue de lobtention du Master en thologie adventiste

    par Mlanie BARRETO-COGNE

    Directeur de recherche : Luca MARULLI

    Assesseur : Rivan DOS SANTOS

    Collonges-sous-Salve Avril 2015

  • 2

    Remerciements

    Je tiens remercier Dieu, qui ma accompagn tout le long de ce travail et qui ma

    permis de le terminer et de vivre concrtement le sujet dtude de ce mmoire.

    Je remercie mon formidable poux pour son encouragement permanent et son

    intercession mon gard. Il a su me soutenir dans les moments les plus difficiles.

    Je tiens dire merci dune manire spciale mon directeur, Luca Marulli, pour sa

    disponibilit et ses prcieux conseils qui mont permis de mieux comprendre mon

    sujet dtude.

    Je remercie Rivan Dos Santos pour son soutien spirituel durant mes tudes ainsi que

    davoir accept de critiquer ce travail et de partager ses connaissances.

    Je suis galement reconnaissante Yvan Bourquin pour le cours danalyse narrative

    quil a dispens la FAT lors de ma seconde anne de master ainsi que pour la

    relecture de la partie exgtique de mon travail.

    Je souhaite remercier tous les professeurs de la Facult pour leur enseignement et

    leur soutient quils mont apports durant ma formation et notamment les

    discussions changes concernant mon tude.

    Jadresse aussi mes remerciements aux administrateurs du Campus, lglise du

    Genevois et celle du Salve, ma famille et mes amis qui nont pas cess de

    mencourager et de me soutenir durant tout mon parcours.

    Je remercie Renaud Bruel pour le temps quil a accord la relecture pointilleuse de

    ce travail.

    Enfin, jaimerai dire merci toutes les personnes qui mont gard Mlissa savoir

    la famille Laviolette, mes voisins du Parc, Christelle Hoareau, Amel Bettache et

    dautres encore car elles mont permis de travailler sur mon mmoire.

  • 3

    Introduction

    Une simple lecture de lvangile de Luc nous permet de comprendre lintrt que

    Jsus portait aux malades en les gurissant. Il y a la gurison de la belle mre de

    Simon (Lc1 4.38-39), de lhomme la main paralyse (Lc 6.6-11), de la rsurrection

    de la petite fille du chef de la synagogue (Lc 8.40-47, 49-56), la gurison de la

    femme hmorragique (Lc 8.43-48), le recouvrement de la vue de laveugle (Lc

    18.35-43), la gurison du serviteur du Grand Prtre venu larrter, celui qui avait t

    frapp par lpe par un des disciples de Jsus (Lc 22.50-51) et encore beaucoup

    dautres (Lc 5.15, 6.17-18, 9.11 etc.). Seulement aucune des gurisons miraculeuses

    nest associe explicitement au pardon des pchs mise part la gurison de

    lhomme atteint dune paralysie en Lc 5.17-26.

    Explicitement, car lhistoire de la purification du lpreux prcdant notre rcit

    suggre que cet homme a t pardonn. Le mot utilis dans ce rcit miraculeux de

    Lc 5.12-14 nest pas gurir mais purifier. Gurir par contre se retrouve dans

    lhistoire de la gurison de la femme hmorragique en Lc 8.43-48. Le lpreux,

    comme la femme aux pertes de sang taient considrs comme des personnes

    impures (Lv 13.8, 15.25), mais la diffrence de la femme aux pertes de sang,

    limpuret du lpreux, comme le flux de sang chez lhomme, taient associs une

    condition de pch moral, de jugement et de punition de Dieu (Lv 14.34, Nb 12.10,

    2 Ro 5.27, 2 Sam 3.29 etc.). A Qumran aussi lcoulement chez lhomme et la lpre

    taient considrs comme des conditions qui demandaient la repentance. Dans le

    fragment qumrniens du Document de Damas 4Q270 ii, on trouve une liste de

    pcheurs, et parmi eux on trouve seulement deux cas dimpuret : le lpreux et le

    zab (homme qui a un coulement)2.

    1 Nous suivrons, tout le long de ce travail, le standard dabrviation des livres bibliques de la NSB, 2 Hannah K. HARRINGTON, The Nature of Impurity at Qumran, in Lawrence W. SCHIFFMAN, Emanuel TOV, James C. VANDERKAM (d.), The Dead Sea Scrolls Fifty Years After Their Discovery. Proceedings Of The Jerusalem Congress. July 20-25. 1997, Jerusalem, Israel Exploration Society / The Shrine Book /Israel Museum, 2000, p. 610-616.

  • 4

    Cela laisse entendre un lecteur juif de lpoque que la gurison du lpreux de Lc

    5.12-14 tait associe son pch, donc en le gurissant, son pch tait pardonn.

    Dailleurs, aprs lavoir purifi, Jsus lenvoie au Temple pour offrir le sacrifice

    dexpiation. Il montre ainsi quil est daccord avec la fonction du Temple.

    Cependant, Jsus pardonne directement les pchs de lhomme atteint dune

    paralysie de Lc 5.17-26 sans passer par le Temple. Cela montre la fois quil est

    conscient et daccord sur le fond de la fonction du Temple o sy pratiquaient les

    sacrifices pour lexpiation des pchs du peuple, mais aussi, quil est venu le

    remplacer. Nous voyons alors, entre les deux histoires du lpreux et de lhomme

    atteint dune paralysie, une volution de Jsus : il passe dun Jsus simplement

    gurisseur, un Jsus qui se charge aussi du pardon des pchs.

    De plus, ce rcit est polmique car Jsus pardonne les pchs de lhomme

    handicap et le gurit en voyant la foi de ses porteurs. Lhomme infirme ne fait

    aucune confession alors que Jsus suggrait que pour tre pardonn il fallait le

    demander Dieu (Lc 11.4). Cela nous interroge donc sur la fonction des porteurs

    vis--vis de lhomme atteint dune paralysie et plus gnralement sur la fonction de

    lintercesseur vis--vis de lintercd.

    Cet acte dintercession a permis aux pchs de cet homme dtre pardonns, mais

    aussi lhomme dtre guris. Luc laisse clairement apparaitre dans ce texte le lien

    entre le pardon des pchs et la gurison physique3 notamment par la question de

    Jsus pose aux matres de la loi Quest ce qui est plus facile, dire : tes pchs

    tont t pardonns, ou bien dire : lve-toi et marche ? .

    Nous nous demandons alors, la lumire de ce texte, quel est aujourdhui le rle et

    limpact de lintercession dans le pardon des pchs et la gurison physique dune

    personne.

    Pour apporter des rponses cette problmatique, nous diviserons notre travail en

    cinq chapitres. Premirement nous comprendrons qui tait lauteur de lvangile de

    Luc, ainsi que le message quil a voulu transmettre son lectorat par son uvre.

    3 Franois VOUGA, Evangile et vie quotidienne, Genve, Labor et fides, 2006, p. 176.

  • 5

    Cela nous aidera saisir le contexte dans lequel le rcit de la gurison de lhomme

    atteint dune paralysie t rapport.

    Ayant compris la vision gnrale de luvre lucanienne ainsi que le contexte de

    notre texte dtude, nous pourrons alors ltudier en second temps grce au moyen

    que propose lanalyse narrative. Nous verrons comment le narrateur a su mettre en

    avant la rvlation de lautorit de Jsus par ses diffrents commentaires et les

    deux intrigues du texte. Nous y dcouvrirons la fonction des personnages ainsi que

    le rle primaire qua jou la foi dans le miracle.

    Avant dinterprter ces nouvelles dcouvertes et comprendre le rle et limpact de

    lintercession dans la gurison spirituelle et physique de lintercd, nous verrons,

    dans notre troisime chapitre, comment lacte de mdiation tait compris

    lpoque du rcit. Nous saisirons alors la porte et le rle du ministre de gurison

    de Jsus sur terre.

    Nous comprendrons dans un quatrime temps, en quoi les porteurs de notre rcit

    ont t des intercesseurs. Nous y dcouvrirons les impacts qua eus leur acte

    damiti, notamment en ce qui concerne la rvlation du ministre de Jsus.

    Enfin, en cinquime et dernire chapitre, nous tablirons un bilan de notre tude en

    tirant les applications de lacte dintercession des porteurs et en saisissant

    limportance de devenir aujourdhui des mdiateurs du salut divin.

  • 6

    Chapitre 1 : introduction gnrale et

    tablissement du texte

  • 7

    Lintercession dans la gurison spirituelle et physique de lintercd fait cho

    lhistoire de la gurison de lhomme atteint dune paralysie, rapporte dans les trois

    vangiles synoptiques dont celui de Luc en Lc 5.17-26. En effet ce texte parle du

    pardon des pchs de lhomme handicap port par ses amis et de sa gurison

    physique. Avant de comprendre ce processus dintercession, il nous parat

    important de comprendre le contexte dans lequel le rcit a t crit. Cest la raison

    pour laquelle, nous allons, premirement, le replacer dans son contexte puis nous

    en ferons la traduction qui servira de base notre tude.

    1. Lvangile selon Luc

    1.1. Lauteur

    Lauteur de lvangile selon Luc ne nous livre pas beaucoup dinformations sur son

    identit. La tradition le considre comme lauteur de lvangile de Luc et celui des

    Actes des Aptres cause des nombreuses ressemblances stylistiques, de

    vocabulaire, et de langue4.

    Le prologue nous renseigne sur le fait quil nest pas un tmoin directe de ce quil

    relate car il appartient aux chrtiens de la seconde ou de la troisime gnration5. Il

    se peut que lauteur ait t un Grec qui stait rapproch dabord de la religion juive

    avant de se convertir au christianisme6. Le rcit de lenfance (Lc 1 et 2) par exemple,

    est crit dans un style biblique7 et montre ainsi lattachement de lauteur aux

    Ecritures mme si sa connaissance en reste partielle. Effectivement, il connaissait

    mal les vieux rituels juifs8 comme la purification de laccouche qui ne ncessitait

    pas la prsence du nouveau n (Lv 12)9.

    4 Pour plus de dtails, voir Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , in Daniel MARGUERAT (d.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire. Son criture. Sa thologie, Genve, Labor et fides, 2004, p. 84, 97. 5 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, Genve, Labor et fides, 1991, p. 27. 6 Ibid. 7 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 96. Luc fait rfrence plusieurs textes de lAncien Testament, comme la promesse de So 3.14-17 concernant la conception virginale de Marie (Lc 1.26-33), ou bien la rfrence la ligne de David de 2 Sa 7.12-16 Jsus (Lc 1.32-33). Franois BOVON, Luc le thologien, Genve, Labor et fides, 2006, p. 172. 8 Charles AUGRAIN, LEvangile selon saint Luc, Paris, Mediaspaul, 1987, p. 7. 9 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 96.

  • 8

    En revanche, sa matrise du grec et ses connaissances de la rhtorique nous font

    deviner quil tait un crivain de bonne ducation dot dune formation scolaire

    suprieure10 . Dailleurs, cest un des arguments utiliss pour montrer que lauteur

    de lEvangile de Luc tait un mdecin. En effet, la position traditionnelle de lEglise

    lidentifie comme le mdecin et disciple de Paul salu en Col 4.14 originaire

    dAntioche. Selon elle, lauteur de lvangile fait preuve dune bonne connaissance

    mdicale en dcrivant la maladie (Lc 4.38, 13.11) ou les remdes mdicaux (Lc

    10.34) avec prcision. De plus lauteur omet la critique des mdecins de Mc 5.26 (Lc

    8.43)11. Cette argumentation reste limite car la description mdicale nest pas

    aussi prcise que cela.

    1.2. Date et lieu de rdaction

    Lvangile de Luc et les Actes des Aptres nont pas t rdigs la mme date. Le

    livre des Actes des Aptres est postrieur lvangile12. Il semble rapporter des

    vnements contemporains aux annes 80 9513. En ce qui concerne la rdaction

    de lvangile, plusieurs commentateurs pensent quil a t crit aprs la destruction

    de temple de Jrusalem, soit aprs les annes 70. Ils sappuient sur lallusion de la

    prise de Jrusalem par les armes en Lc 21.20. Selon eux, Luc aurait vcu cet

    vnement et la rdaction de son vangile prendrait en compte les consquences

    que la prise de Jrusalem a eues sur la communaut. Ils datent alors lvangile de

    Luc autour des annes 8014.

    Il nest pas facile de dterminer le lieu de rdaction des deux uvres de Luc. Des

    indices penseraient dire quil laurait crit Rome, dautres font penser plutt

    Ephse, Antioche, la Macdoine, lAchae15.

    10 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 95. 11 Ibid., p. 97 12Ibid. 13 Donald JUEL, Luc-Actes. La promesse de lhistoire, Paris, Cerf, 1987, p. 17. 14 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 96 ; Donald JUEL, Luc-Actes, p. 17 ; Hans CONZELMANN, Andreas LINDEMANN, Guide pour ltude du Nouveau Testament, Genve, Labor et fides, 1999, p. 369 ; Roselyne DUPONT-ROC, Saint Luc, Paris, Editions de latelier, 2003, p. 17-18. 15 On pense Rome parce que les Actes des aptres sy terminent, Antioche ou Ephse cause dune mention des Reconnaissances pseudo clmentines 10.71, lAchae pour des prologues antimarcionites et la Macdoine car la premire section en nous dans les Actes des aptres sy droule. Pour plus dinformations, voir Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 97.

  • 9

    1.3. Destinataires de lvangile

    Luc ddie son ouvrage au trs excellent Thophile . Certains commentateurs

    pensent que ce dernier tait un haut fonctionnaire cause de ladjectif

    excellent , kra,tistoj quutilise Luc pour le qualifier. Luc emploie effectivement ce

    terme pour parler de personnages officiels (Ac 23.26, 24.3, 26.23)16. Franois Bovon

    met tout de mme une objection en rappelant que cet adjectif ntait pas utilis

    seulement pour dsigner dminents personnages, mais quil tait souvent employ

    dans des ddicaces duvres littraires dont les ddicataires ntaient pas

    forcment des personnalits officielles17. Que Thophile soit un haut fonctionnaire

    ou non, la tradition antique voulait que ce soit le ddicataire qui soccupe de la

    premire diffusion de luvre en la faisant recopier par des esclave-scribes pour les

    premiers lecteurs, lesquels en faisaient de mme pour leurs amis18.

    Luvre de Luc visait la fois Thophile, mais aussi des chrtiens convertis comme

    des personnes intresss par le christianisme ou voulant en tre plus informes. Ce

    qui est sr, cest que tous taient de culture grecque19. En effet, plusieurs indices

    dans lvangile de Luc nous indiquent quil sadresse un public de cette culture. En

    le comparant avec lvangile de Marc, qui est un judo-chrtien20, nous nous

    rendons compte quil efface plusieurs particularits typiquement palestiniennes

    comme le fait de considrer les maisons de Galile avec un toit de tuile (style

    architectural grec) au lieu dune terrasse (style architectural palestinien)21 (Mc 2.4

    et Lc 5.19) ; il remplace des tournures palestiniennes par des tournures grecques

    comme rabbouni, par ku,rie (Mc 9.5 et Lc 9.33)22, donne plusieurs indications

    gographiques comme dexpliquer que Nazareth est en Galile (Lc 1.26)23.

    16 George B. CAIRD, Saint Luke, Philadelphia, The Westminster Press, 1963, p. 44 ; Alfred KUEN, Soixante-six en un Introduction aux livres de la Bible, Saint-Lgier-sur-Vevey, Emmas, 1998, p. 173 ; Donald JUEL, Luc-Actes, p. 23. 17 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, p. 41. 18 Alfred KUEN, Soixante-six en un, p. 172. 19 Franois BASSIN, Frank HORTON, Alfred KUEN, Evangiles et Actes, Saint-Lgier-sur-Vevey, Emmas, 1990, p. 259. 20 Corina COMBERT-GALLAND, Lvangile selon Marc , in Daniel MARGUERAT (d.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire. Son criture. Sa thologie, Genve, Labor et fides, 2004, p. 48. 21 Voir infra p. 25. 22 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 98. 23 Alfred KUEN, Soixante-six en un, p. 173.

  • 10

    1.4. Une thologie de la compassion

    Luc, appel lvangliste de la compassion24 , ce qui en dit long sur lorientation

    de son vangile. Le thme de la libration et de la misricorde sont centraux dans

    son vangile25. Lauteur fait preuve dun profond intrt pour les malheureux, les

    pauvres, les affligs, les samaritains, les femmes, et souhaite transmettre le

    message que le Royaume de Dieu est aussi pour eux26. Dailleurs, Luc confre la

    pricope de la prdication de Jsus Nazareth (4.16-30) un rle programmatique.

    En effet, lvanglisation des pauvres et la libration des captifs annoncent la

    dimension thique de lEvangile lucanien27 . Lexemple de la veuve de Sarepta et

    de Naaman en Lc 4.24-27 exprime lintrt de Jsus pour des personnes qui sont

    considres comme des exclus du peuple juif du fait quelles soient paennes28.

    Luc construit son vangile en fonction des trois grandes priodes qui ordonnent la

    vie de Jsus : son ministre en Galile (3.14-9.50), son voyage vers Jrusalem au

    cours duquel il apporte son enseignement et opre des gurisons (9.51-19.27) et

    enfin son uvre Jrusalem, sa passion, sa mort, sa rsurrection et son ascension

    (19.28-24.53)29. Le voyage vers Jrusalem est la partie centrale de lvangile. Il a t

    interprt comme lantitype de voyage du peuple dIsral vers la terre promise.

    Dans cette lecture typologique, Jsus est le nouveau Mose, le dernier prophte30,

    celui qui conduit le peuple de Dieu vers la Nouvelle Terre. Les nombreuses allusions

    lAncien testament (Lc 2.22-24, 3.3-4, 4.1-13, 19.46 etc.) montrent que Jsus est

    totalement immerg dans le judasme. Emmanuel Steffek pense que ce balisage

    vtrotestamentaire de la vie de Jsus prouve quil est, aux yeux de Luc, le messie

    dIsral que les prophtes ont annonc (Es 7.14, 53, Za 9.9 etc.)31.

    24 Andr GILBERT, O fut crit lvangile de Luc ? , Science et Esprit 39 (1987/2), p. 230. 25 Eric FUCHS, Lthique chrtienne. Du Nouveau Testament aux dfis contemporains, Genve, Labor et fides, 2003, p. 70. 26 Alfred KUEN, Soixante-six en un, p. 175-176. 27 Daniel MARGUERAT, Lvangile selon Luc , p. 92. 28 Pierre HAUDEBERT, Thologie lucanienne. Quelques aperus, Paris, l'Harmattan, 2010, p. 119. 29 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, p. 21. 30 Franois BOVON, Luc le thologien, Genve, Labor et fides, 2006, p. 455. 31 Emmanuel STEFFEK, Luc-Actes et lAncien Testament , Foi et vie 100 (2001/4), p. 34.

  • 11

    2. Jsus au centre de la scne

    2.1. La squence narrative : Les matres de la loi contre

    Jsus

    Notre texte dtude appartient la premire partie de lvangile, lorsque Jsus tait

    encore en Galile, et notamment une squence narrative compose de quatre

    micro-rcits rapportant chacun une controverse entre Jsus et les matres de la loi

    (Lc 5.17-26, Lc 5.27-39, Lc 6. 1-5, Lc 6.6-11).

    Les matres de la loi sont toujours les amorceurs de la controverse et Jsus, le

    hro de notre squence, les conclut chaque fois. Alors quil reste toujours serein

    face ses adversaires, ces derniers en revanche sagacent vite. Les premiers micro-

    rcits montrent les pharisiens et les spcialistes de la loi murmurer entre eux et

    poser des questions Jsus, ou ses disciples, qui pourraient les dstabiliser.

    Mme lorsque ces questions et reproches sadressent aux disciples, cest Jsus, leur

    Matre, qui rpond, tel un hro qui vole au secours de celui qui est en danger. Le

    dernier micro-rcit de la squence narrative marque une volution importante dans

    leur relation avec Jsus : les matres de la loi cherchent cette fois-ci piger Jsus,

    et, voyant quune fois de plus celui-ci a le dernier mot, ils furent remplis de fureur

    et se consultrent pour chercher ce quils feraient Jsus (6.11). Le rcit

    correspondant dans lvangile de Marc va jusqu dire que les pharisiens tinrent

    conseil avec les hrodiens sur le moyen de faire mourir Jsus (Mc 3.6).

    Les quatre micro-rcits sont tous dots de leur propre intrigue pisodique32, et

    thmatisent la reconnaissance de lautorit de Jsus. En effet, le narrateur revient

    sans cesse ce thme : autorit face au pardon, autorit face au jene, autorit

    face au sabbat, autorit face au vrai sens de la loi. Chacune de leur intrigue sinscrit

    au sein de lintrigue unifiante de Lc 5.17-6.11 (la reconnaissance de lautorit de

    32 Lc 5.27-39 rvle lautorit de Jsus comme celle de pardonner les pchs ; Lc 5.27-39 se focalise autour de la toute suffisance de la prsence de Jsus ; Lc 6.1-5 se centre sur le fait que Jsus est matre du sabbat ; et enfin Lc 6.6-11 montre Jsus comme ayant compris le sens de la loi contrairement aux spcialistes de la loi.

  • 12

    Jsus) qui est elle-mme surplombe par lintrigue de lvangile : reconnatre Jsus

    comme le Christ33.

    Roland Meynet distingue un arrangement concentrique dans les rcits composant

    la squence narrative avec comme centre la parabole du vieux et du neuf (5.36-39).

    Les deux pisodes des extrmits sont des gurisons (5.17-26 et 6.6-11), puis ceux

    se rapprochant du centre sont des controverses (5.27-35 et 6.1-5). Selon lui, le

    centre de cette structure vient montrer que les matres de la loi, sattachant au

    vieux, ne peuvent sattacher au neuf que Jsus apporte. Sils ny arrivent pas cest

    quils ne sont pas prts reconnatre Jsus comme ayant reu tout pouvoir du

    Pre34.

    Cette squence de micro-rcits dbute avec le rcit que nous tudions. Il est

    diffrent du rcit prcdent car le temps nest plus le mme : un de ces jours-l

    (5.17). De plus, le lieu change. Jsus est dans un endroit abrit par un toit comme

    une maison (5.19) alors quil sort dune ville pour prier dans un lieu dsert dans le

    rcit prcdent (5.15). Enfin, de nouveaux personnages interviennent : les

    pharisiens et docteurs de la loi (5.17), autrement dit, les matres de la loi.

    La seconde histoire (5.27-39) est distincte de la premire car il y a un changement

    de temps : aprs cela (5.27). Lendroit o se trouve Jsus est galement

    diffrent : il sort du lieu o il a guri lhomme atteint dune paralysie et se retrouve

    dans la maison de Levi, le collecteur dimpt (5.29). De nouveaux personnages

    comme Levi (5.27), les collecteurs dimpts (5.29), les disciples (5.30) apparaissent.

    Le sujet de la controverse est tout de mme diffrent puisque dans le premier rcit

    il concerne le pouvoir de pardonner de Jsus, alors que dans le second il se centre

    sur le fait de manger avec des collecteurs dimpt et des pcheurs et sur le

    jene.

    Le troisime micro-rcit est cltur par un indicateur de temps : un jour de

    sabbat (6.1), par un indicateur de lieu : Jsus et ses disciples sont prsent dans

    33 Voir infra p. 49. 34 Roland MEYNET, Avez-vous lu saint Luc ? Guide pour la rencontre, Paris, Cerf, 1990, p. 75-76.

  • 13

    des champs (6.1). La controverse entre Jsus et les matres de la loi porte cette

    fois-ci sur lessence du sabbat.

    Enfin, le dernier micro-rcit de la squence narrative se distingue de celui qui le

    prcde par un marqueur de temps : un autre jour de sabbat , et un marqueur

    de lieu la synagogue (6.6). Un nouveau personnage apparait un homme qui

    avait la main paralyse (6.8). La controverse a pour sujet la gurison le jour du

    sabbat.

    La squence narrative est encadre par deux versets qui montrent Jsus se retirant

    dans un lieu dsert ou sur une montagne pour prier (5.16 ; 6.12).

    2.2. La camra centre sur Jsus

    Un rcit est constitu de deux composantes indissociables : lhistoire raconte et la

    mise en rcit35. Lhistoire raconte peut tre la mme mais narre de manire

    diffrente. Les vangiles en prsentent un grand nombre. Le rcit de Lc 5.17-26 en

    est un exemple. Il est un pisode compos de 6 tableaux36.

    Premier tableau (v. 17) : Jsus enseigne en prsence de Pharisiens et docteurs de la

    loi. Il a la puissance doprer des gurisons.

    Second tableau (v.18, 19) : des hommes cherchent faire entrer un homme atteint

    dune paralysie. Ne trouvant aucune ouverture cause de la foule, ils le descendent

    par le toit pour le placer au milieu, devant Jsus.

    Troisime tableau (v. 20) : Jsus, voyant la foi de ces hommes, pardonne les pchs

    de lhomme atteint dune paralysie.

    Quatrime tableau (v. 21-23) : controverse opposant les Pharisiens et scribes contre

    Jsus au sujet du fait que Jsus pardonne les pchs.

    35 Daniel MARGUERAT, Yvan BOURQUIN, Pour lire les rcits bibliques. Initiation lanalyse narrative, Paris, Cerf, 2004, p. 27. 36 Nous avons choisi de dcouper lpisode ainsi en nous fondant sur les diffrentes actions des personnages : Jsus enseigne ; les hommes porteurs font descendre le malade ; Jsus pardonne ; Jsus dbat avec les matres de la loi ; Jsus guris ; lhomme guri et les tmoins de la scne glorifient Dieu.

  • 14

    Cinquime tableaux (v.24) : Cette discussion se conclut par la gurison miraculeuse

    de lhomme atteint dune paralysie.

    Sixime tableau (v.25, 26) : lhomme se lve, prend sa civire et sen va dans sa

    maison en glorifiant Dieu. Tous sont stupfaits et glorifient Dieu.

    La mise en rcit, quant elle, est diffrente de celles de Matthieu et de Marc. La

    camera lucanienne cible un Jsus qui enseigne, opre des gurisons. Il semble

    tre le centre dattention de beaucoup. Dune part, les matres de la loi sont venus

    de tous villages de Jude, Galile et de Jrusalem pour lcouter (v. 17) et dautre

    part une foule nombreuse37 tait prsente pour le rencontrer. La suite du texte

    nous dit, contrairement aux rcits des deux autres vanglistes (Mt 9.2 ; Mc 2.2),

    que lhomme atteint dune paralysie fut dpos devant Jsus. Le narrateur, citant

    encore Jsus, en fait le centre de la scne. Le Jsus de Marc est aussi en train

    denseigner. La composition de son auditoire nest pas prcise, mais le narrateur

    laisse entendre quil y avait aussi beaucoup du monde (Mc 2.2). Matthieu, quant

    lui, ne donne aucune prcision sur ce que fait Jsus, ni mme sur ceux qui sont

    prsents. Nous savons seulement que Jsus vint dans sa ville (Mt 9.2).

    Jsus sadresse dans ce rcit deux reprises lhomme handicap (v. 20, 24). Lors

    de la premire intervention, lhomme reste passif, alors qu la seconde il devient

    actif. Le narrateur de Luc introduit les premires paroles de Jsus lhomme

    malade par il dit (v. 20). Les narrateurs de Matthieu et de Marc rajoutent au

    paralytique et appellent lhomme handicap enfant . Matthieu prcde ce titre

    par qa,rsei prend courage (Mt 9.2 ; Mc 2.5) alors que Luc lappelle simplement

    homme . Lhomme reste passif cette dclaration. En revanche, lors de la

    seconde intervention verbale de Jsus, lhomme ragit : il se lve, prend sa civire,

    rentre chez lui en glorifiant Dieu. Cette scne se trouve aussi chez Matthieu et

    Marc.

    La comparaison de ces mises en rcit nous montre que Jsus, chez Matthieu et

    Marc, semble plus proche, plus doux, plus paternel envers lhomme atteint dune

    37 Nombreuse puisquelle empchait les hommes portant lhomme atteint dune paralysie de lintroduire l o se trouvait Jsus (v.19).

  • 15

    paralysie que celui de chez Luc. Cela peut se comprendre par le fait que Matthieu et

    Marc ciblent leur camra sur le paralys, tandis que Luc se focalise sur Jsus, le

    centre de la scne.

    3. Etablissement du texte

    Pour proposer une traduction qui se rapproche le plus fidlement du texte grec,

    nous nous devons danalyser la critique textuelle, verset, par verset.

    3.1. Critique textuelle

    v.17

    La phrase kai. auvto.j h=n dida,skwn( kai. h=san kaqh,menoi Farisai/oi kai.

    nomodida,skaloi oi] h=san evlhluqo,tej38 retenue dans le Nouveau Testament grec39

    laisse entendre que ce sont les pharisiens et docteurs de la loi qui sont venus voir et

    entendre Jsus Christ. Cela grce au mot oi] qui reprend Farisai/oi kai.

    nomodida,skaloi..

    Le texte occidental (D) remplace cette phrase par autou dida,skontoj sunelqeivvvvvvvn touj

    Farisai/ouj kai. nomodida,skalou^ h=san de sunelhluqo,tej40. Selon ce texte, ce ne

    seraient pas les pharisiens et docteurs de la loi qui seraient venus voir Jsus, mais

    dautres personnes. Metzger interprte ces autres personnes comme tant des

    malades41. Cela se comprend grce au point en haut qui marque une sparation

    entre autou dida,skontoj sunelqeivvvvvvvn touj Farisai/ouj kai. Nomodida,skalouj et h=san

    de sunelhluqo,tej ; mais aussi grce la particule dequi a le sens de mais , au

    contraire marquant le contraste entre ce qui prcde et ce qui suit42. Il est vrai

    que la variante propose par D est plus facile lire que le texte retenu, mais selon le

    38 et lui tait en train denseigner, et taient assis des pharisiens et des docteurs de la loi qui taient venus . 39 Nous nous appuyons sur la 28me dition du Nouveau testament grec, de Eberhad Nestle et kurt Aland. NESTLE Eberhad, ALAND Kurt, Novum Testamentum Graece. 28, Stuttgart, Deutsche bibelgesellschaft, 2012. 40 lui enseignant, ce sont rassembls des pharisiens et des docteurs de la loi. Mais dautres taient venus . 41 Bruce M. METZGER, A Textual Commentary On The Greek New Testament, London, United Bible Societies, 1975, p. 138. 42 Cependant, cette particule peut aussi avoir le sens de et et faire tout simplement le lien entre la phrase qui prcde et celle qui suit. Dans ce sens, elle nest souvent pas traduite. Danielle ELLUL, Odile FLICHY, Pour apprendre le grec biblique par les textes, Paris, Cerf, 2004, p. 238.

  • 16

    principe de la lectio difficilior, le texte le plus compliqu lire est probablement le

    plus ancien. En effet il est plus logique quun scribe ait voulu simplifier un texte que

    le compliquer. Nous ne retiendrons pas la proposition de D car la variante quil

    propose est srement une simplification du texte retenu. La difficult du texte

    pourrait se comprendre comme tant de lironie de lauteur : les ennemis de

    Jsus 43 viennent apprendre de lui !

    Le texte occidental omet Ierousalh,m de la phrase kw,mhj thj Galilai,aj kai. Ioudai,aj

    kai. Ierousalh,m. Cette omission est logique avec la variante prcdente car les

    pharisiens et docteurs de la loi viennent de Jrusalem. Garder

    laisserait entendre que les pharisiens et docteurs de la loi feraient partie de ceux

    qui sont venus de tous les villages. Nous ne retiendrons donc pas cette proposition.

    Le manuscrit H (6me sicle) ainsi quun manuscrit de la Vulgate omettent thj

    Galilai,aj. Les manuscrits 1241 et la tradition boharique omettent le mot kw,mhj.

    Ces textes ne font pas partie des textes les plus fiables pour lvangile de Luc. Nous

    ne retiendrons donc pas ces propositions.

    La phrase kai. du,namij ku,riou h=vn eij to iasqai auto,n peut se traduire de deux

    manires : soit et la puissance du seigneur tait pour le gurir (dans ce cas,

    est lobjet) ; soit et la puissance du seigneur tait pour quil gurisse :

    dans cette manire de traduire, auto,n, bien que soit conjugu laccusatif, est le

    sujet de linfinitif. En effet un accusatif peut tre sujet lorsque le verbe est conjugu

    linfinitif44. Nous retenons donc cette seconde proposition. Beaucoup de tmoins

    comme A, C et D remplacent auto,n par autouj. Dans ce sens-l, ce dernier mot

    serait prendre en tant quobjet et le sujet sous-entendu : et la puissance du

    Seigneur tait pour les gurir . Nous prfrons le texte retenu car les tmoins

    Aleph et B, qui ont bien le auto,n, ont plus de poids ensemble que A, C et D.

    v.18

    Le mot aut,on est omis de plusieurs manuscrits comme Aleph, A, C, D et W. Ceux qui

    ont choisi de le garder dans le texte grec ont quand mme mis ce mot entre

    43 Danielle ELLUL, Odile FLICHY, Pour apprendre le grec biblique par les textes, p. 138. 44 Ibid., p. 176.

  • 17

    crochets. Cela montre quil y a un doute ce quil soit primitif. Ce choix sexplique

    certainement du fait que le tmoin Aleph et le tmoin B sont presque toujours en

    accord. Et dans ce cas ils ne le sont pas. Si nous gardons ce mot nous traduisons

    le placer ; si nous lenlevons, cela donne : placer . Les scribes ayant choisi de

    le garder ont certainement trouv plus adquat de le maintenir car cela est en

    accord avec le contexte. En effet les hommes portant celui qui tait comme

    paralys cherchaient le faire entrer et le placer, lui, celui qui tait comme

    paralys, devant Jsus, do la prsence de auto,n.

    v.19

    Au lieu de avnaba,ntej evpi. to. dw/ma dia. tw/n kera,mwn kaqh/kan auvto.n su.n tw/|

    klinidi,w|45, le texte occidental (D) propose anebh,san evpi. to. dw/ma kai.

    apostegasantej touj opou hn kaqhkan ton krabatton sun tw/| paralutikw|46. Cette

    variante a t influence par un ou plusieurs vangiles. En effet, nous ne retrouvons

    jamais le mot paralutiko,j dans la pricope de Luc, mais nous le retrouvons dans

    celles de Matthieu et de Marc (Mt 9.2 ; Mc 2.4). De mme le mot kra,batton ne se

    trouve pas en Lc 5.17-26 mais en Mc 2.4. Nous ne retiendrons pas cette proposition

    car elle a certainement t influence par un dsir dharmonisation.

    Le texte B remplace vIhsou par pa,ntwn. Celui qui est comme paralys serait dpos

    devant tout le monde et non devant Jsus. Selon le principe de la lectio difficilior,

    nous pourrions garder pa,ntwn qui est moins logique (donc plus difficile), mais nous

    ne le ferons pas car le poids des tmoins (tous les autres mss47) est tellement grand

    que la lectio difficilior ne peut pas tre applique.

    v.21

    Le texte occidental (D, it) rajoute en tai,j kardi,aij auvtw/n. Ce texte aussi est

    influenc par lvangile de Marc (en tai/j kardi,aij auvtw/n dans leur cur Mc

    2.6). Le verbe le,gw qui suit est conjugu au participe prsent actif nominatif

    45 ils montrent sur le toit travers les tuiles, ils le firent descendre avec la civire . 46 ils montrent sur le toit et, ayant enlev les tuiles l o il tait, ils firent descendre le grabat avec le paralytique . 47 Abrviation de manuscrits

  • 18

    masculin pluriel et se traduit en disant . Le participe indique souvent la modalit

    de laction principale : ils commencrent rflchir en disant etc. ( haute voix ?).

    Jsus dit au verset 22 : ti, dialogi,zesqe evn tai/j kardi,aij u`mw/n (dans ce cas le

    raisonnement est dans le cur, sige de lintelligence). Si Jsus a discern que les

    pharisiens et docteurs de la loi dbattaient dans leur cur, cest certainement quils

    le faisaient vraiment mais cause du fait que les meilleurs mss nont pas cette

    version, nous ne garderons pas la proposition du tmoin D it.

    v.22

    Le texte D rajoute aprs e,n tai/j kardi,aij u`mw/n. Ce rajout est influenc par

    Mt 9.4. Nous ne retiendrons donc pas cette proposition qui semble moins

    authentique que la version retenue.

    v.23

    Des tmoins importants pour lvangile de Luc comme Aleph, D et W omettent le

    mot soi soi ai a`marti,ai sou : tes pchs plutt que toi tes pchs .

    Dautres comme N et omettent sou et se traduit toi les pchs . Du fait de

    limportance des mss et de la fiabilit de A et B pour lvangile de Luc, qui ont soi

    ai a`marti,ai sou, nous retiendrons cette leon. La redondance est certainement

    voulue par Luc pour souligner que ce sont effectivement les pchs de lhomme

    atteint dune paralysie qui sont pardonns et non ceux de quelquun dautre.

    v.24

    Le tmoin D conjugue le verbe le,gw la troisime personne du prsent de lindicatif

    actif (le,gei), alors que le texte retenu le conjugue la troisime personne de

    laoriste de lindicatif actif (ei=pei). Nous retiendrons la conjugaison laoriste car les

    verbes utiliss dans la narration de la pricope sont conjugus laoriste ou

    limparfait, mais pas au prsent.

    Le texte D ainsi que dautres tmoins remplacent paralelume,nw| par paralutikw.

    Nous ne retiendrons pas cette proposition car elle a t influence par lvangile de

  • 19

    Matthieu et de Marc, de plus, nous retrouvons toujours le verbe paralu,w sous la

    forme dun participe aoriste.

    Le texte D remplace a;raj to. klini,dio,n par aron ton . Le verbe est

    conjugu dans le premier cas comme un participe aoriste actif nominatif masculin

    singulier, alors que, dans le second cas, le verbe est un impratif aoriste actif

    deuxime personne du singulier. Le texte D tant influenc par lvangile de

    Matthieu et de Marc (Mt 9.6 ; Mc 2.11) est certainement moins primitif que celui

    retenu. Nous garderons donc la proposition a;raj to. klini,dio,n.

    v.25

    Le texte D remplace evfV o] kate,keito par thn kli,nhn. Cette proposition est trange

    car le texte occidental utilise toujours to,n krabbato,n plutt que thn kli,nhn. Nous ne

    retiendrons pas cette variante.

    v.26

    La phrase kai e,kstasij e,laben a,pantaj kai evdo,xazon to.n qeo.n est omise chez

    plusieurs tmoins comme D, W et et est prsente dans la plupart et les plus

    importants mss.

    3.2. Traduction

    Voici prsent la traduction que nous utiliserons pour ltude narrative de Lc 5.17-

    26.

    17 Un de ces jours-l, il tait en train denseigner. Des Pharisiens et docteurs de la

    loi qui taient venus de tous les villages de Galile et de Jude, et de Jrusalem,

    taient assis. La puissance du Seigneur tait luvre pour quil opre des

    gurisons.

    18 Et voici que des hommes, portant sur une civire un homme qui tait atteint

    dune paralysie48, cherchaient le conduire et le placer devant lui.

    48 Lvangile de Luc est le seul parmi les synoptiques utiliser le mot paralelme,noj. Marc et Matthieu utilisent le mot paralutiko,j (Mt 9.2 ; Mc 2.4). paralelme,noj vient de la racine paralu,w qui se divise en deux mot para signifiant contre et lu,w dlier , librer . Jean-Claude INGELAREE, Pierre

  • 20

    19 Nayant pas trouv par o ils le conduiraient cause de la foule, ils montrent

    sur le toit et, travers les tuiles, ils le firent descendre avec la civire au milieu,

    devant Jsus.

    20 Ayant vu leur foi, il dit : Homme, tes pchs tont t pardonns

    21 Et les scribes et les Pharisiens commencrent raisonner en disant : Qui est

    celui-ci qui prononce des blasphmes ? Qui est capable de pardonner les pchs

    sinon Dieu seul ?

    22 Mais Jsus, ayant discern leurs penses, rpondit : De quelle chose dbattez-

    vous dans vos curs ?

    23 Quest-ce qui est plus facile, dire : tes pchs tont t pardonns, ou bien dire :

    lve-toi et marche ?

    24 Mais afin que vous sachiez bien que le Fils de lhomme a lautorit sur la terre de

    pardonner les pchs, il dit celui qui tait atteint dune paralysie : je te dis, lve-toi

    et prends ta civire et va dans ta maison.

    25 Immdiatement, stant lev en face deux, et ayant pris ce sur quoi il tait

    couch, il sen alla dans sa maison glorifiant Dieu.

    26 La stupeur saisit tout le monde et ils glorifiaient Dieu. Ils furent remplis de

    crainte disant : Nous avons vu aujourdhui des choses contres ce quon

    pensait49 .

    MARAVAL, Pierre PRIGENT, Dictionnaire Grec-Franais du Nouveau Testament, Villiers-le-Bel, Socit biblique franaise, 2008, p. 111, 92. Littralement paralu,w voudrait dire contre la libration , en dautres termes, ce verbe exprimeraitune condamnation un mal tre, et pas forcment une paralysie, comme il est souvent compris. Hb 12.12 utilise paralelume,na pour parler des genoux affaiblis , Es 36.10 utilise le mme mot pour qualifier les genoux comme chancelants . Dt 32.36 utilise le verbe paralu,w pour exprimer le manque de force de ses serviteurs. Nous voyons donc que le verbe paralu,w nexprime pas toujours la paralysie physique ; mais plutt un tat dimpuissance, de faiblesse, qui peut tre la cause dune paralysie. Paralutiko,j correspondrait au fait dtre paralys tandis que paralelume,noj exprimerait davantage ltat de faiblesse qui pourrait tre une cause la paralysie. William F. ARNDT, Wilbur F. GINGRICH, Frederick W. DANKER, A Greek-English Lexicon Of The New Testament And Other Early Christian Literature, Chicago/London, The University Of Chicago Press, 2000, p. 768-769. 49 Anatole BAILLY, Abrg du dictionnaire grec-franais, Paris, Hachette, 1984, p 225-226.

  • 21

    conclusion

    Parvenu ce terme, nous pouvons dj relever plusieurs lments intressants

    pour notre tude du texte. Luc tait un vangliste trs attach aux pauvres, aux

    malades, aux malheureux... Si Jsus est venu sur terre, cest aussi pour montrer

    ces personnes que le Royaume de Dieu leur tait accessible. Durant son ministre,

    Jsus a redonn de la valeur ces personnes en les gurissant, en leur pardonnant

    les pchs. Cest dailleurs ce quannonce son programme missionnaire en Lc 4.18-

    19. En plus de redonner de limportance ces personnes souvent exclues de la

    socit ancienne, Luc replace Jsus comme le centre de lvangile car Jsus a reu

    lautorit du Pre. Cette conception nest pas partage par les matres de la loi

    puisquils sopposent son autorit dans les quatre micro-rcits de la squence

    narrative dont notre rcit est le premier. Nous allons pouvoir prsent continuer

    notre tude grce aux outils que propose lanalyse narrative.

  • 22

    Chapitre 2 : analyse narrative du rcit de

    Lc 5.17-26

  • 23

    En pardonnant les pchs et en gurissant les hommes, Jsus leur montre la

    bienveillance de Dieu leur gard. Notre rcit dtude (Lc 5.17-26) en est un

    exemple car il parle du rtablissement spirituel et physique de lhomme handicap.

    Ce rtablissement a t rendu possible grce aux porteurs, et nous allons

    comprendre comment. Pour cela, nous tudierons le rcit de la gurison de

    lhomme atteint dune paralysie grce aux moyens que propose lanalyse

    narrative50. Nous analyserons premirement le cadre et la temporalit du texte ;

    puis nous saisirons secondement le sens des deux intrigues du texte ; nous

    comprendrons troisimement le rle des personnages et actants ; et enfin nous

    analyserons les commentaires narratifs.

    1. Le cadre et la Temporalit

    Le narrateur utilise le cadre social et les mouvements gographiques des

    personnages pour communiquer son message au lecteur. En ce qui concerne le

    cadre temporel, il reste imprcis et vague un de ces jours-l . Quant aux

    indicateurs gopolitiques, nous savons que la scne se passe en terre juive : Jsus

    est en Galile. Les matres de la loi viennent de tout prs, de Galile, puis dun peu

    plus loin : de Jude et de Jrusalem, capitale thologique et religieuse.

    1.1. Le cadre socioreligieux lourd porter

    Le rcit de Lc 5.17-26 sinscrit dans un contexte social qui nest pas ngliger. La

    tradition juive considrait lpoque de lhistoire raconte, les personnes atteintes

    dun handicap, de ccit, de lpre, comme profanes. Les aveugles et les lpreux

    taient mme jugs comme responsables de leur tat cause dun pch quils

    auraient commis (Lv 13.45-46, Jn 9.2-3). La mise lcart qui en rsultait tait le

    signe dune punition divine51. Cette ide sappuyait sur les exemples o Dieu avait

    frapp certaines personnes de la lpre cause de leur dsobissance.

    Effectivement, Myriam, la sur de Mose, a t frappe par la lpre parce quelle

    avait critiqu son frre et revendiqu une part de son autorit (Nb 12.10). Ozias a

    50 Nous utiliserons la mthode explique dans le manuel danalyse narrative de Daniel Marguerat et dYvan Bourquin tout le long de notre tude narrative. Daniel MARGUERAT, Yvan BOURQUIN, Pour lire les rcits bibliques. 51 Emmanuel BELLUTEAU, Quand la Bible parle du handicap. Un autre regard, Paris, Salvator, 2007, p. 100.

  • 24

    t atteint de la lpre car il a offert du parfum dans le temple alors que cela tait

    rserv aux sacrificateurs (2 Ch 26.16-21)52. Ces textes laissent apparatre que la

    maladie tait le signe du pch entr sur terre53, le signe de la prsence du mal

    dans ce monde. Elle ne signifie pas pour autant quelle tait systmatiquement une

    punition divine cause dun pch54.

    Quant lhomme atteint dune paralysie, il tait considr comme profane. (Lv

    21.16-24, 2 Sa 5.8). En effet, le boiteux, comme celui qui prsentait un dfaut

    corporel, ne pouvait devenir prtre mme sil descendait de la ligne dAaron. Il ne

    pouvait pas entrer dans le sanctuaire et sapprocher du voile sparant le lieu saint

    du lieu trs saint de peur de le profaner. Selon Christian Grappe, le profane se

    dfinit par labsence de saintet. Celui qui avait un dfaut corporel ntait pas saint

    et par consquent ne pouvait pas entrer en relation avec Dieu, contrairement aux

    sacrificateurs qui, eux, taient saints (Lv 21.6)55.

    En ce qui concerne celui qui peut accorder le pardon des pchs, la tradition juive

    est claire : seul Dieu peut le faire. Giorgio Giradet explique que le pardon des

    pchs, ou plus techniquement la remise des pchs, signifie dans la conscience

    collective dIsral tre libre de lesclavage inflig par Dieu pour une mauvaise

    conduite. En effet, les prophtes avaient annonc que lesclavage politique allait

    de pair avec la rvolte contre la volont de Dieu56 . Faire lobjet dune remise des

    pchs signifie dans la tradition juive ne plus tre ennemi de Dieu et par

    consquent, lhomme pardonn avait une relation nouvelle avec Dieu et avec les

    hommes. Il tait libre. Le pardon cest la restauration de la relation homme/Dieu.

    Lorsque Jsus remet les pchs de cet homme, il montre quil a les lettres de

    crance qui lui permettent dannoncer une telle libration57. Cela devient

    52 Andr ADOUL, Foi et gurison, Mont de Marsan, France vanglisation communication, 1994, p. 93. 53 Voir infra, p. 50. 54 Philippe GAUER, Le Christ-mdecin. Soigner. La dcouverte d'une mission la lumire du Christ-mdecin, Paris, Editions de lEmmanuel, 1995, p. 35 55 Christian GRAPPE, Jsus et limpuret , Revue dhistoire et de philosophie religieuse 84 (2004/4), p. 398. 56 Giorgio GIRARDET, Lecture politique de lvangile de Luc, Bruxelles, Vie ouvrire, 1978, p. 52. 57Ibid., p. 52-53.

  • 25

    insupportable pour les dfenseurs de la stricte interprtation traditionnelle de la

    loi Mosaque58 et de la tradition qui lentoure.

    1.2. Des jeux de positions et de mouvement rvlateurs

    La squence narrative est encadre par une escale de Jsus dans le dsert59. Le

    narrateur nous fait passer dun lieu dsertique un lieu habit. La maison o se

    trouve Jsus semble tre de style grec et non palestinien60.

    Sur le plan architectural, on notera une prdominance de dplacements de

    lextrieur vers lintrieur : les matres de la loi viennent, des hommes entrent avec

    lhomme handicap. Personne ne sort de la pice si ce nest lhomme guri qui

    rentre chez lui.

    Les mouvements des personnages sont situs sur le plan vertical : les matres de la

    loi sont assis, les porteurs montent sur le toit, ils descendent lhomme atteint dune

    paralysie, Jsus lui ordonne de se lever, il se lve. Jsus est quant lui statique et

    est prsent par le narrateur comme tant au centre de lespace puisque le texte

    nous dit quon dpose lhomme au milieu devant Jsus.

    Les mouvements des porteurs et de lhomme paralys sont tout aussi parlants.

    Lhomme handicap est descendu par le toit, travers les tuiles. Le fait de monter

    et denlever une partie du toit, laisse apparaitre le ciel qui ntait pas visible de

    lextrieur. Le narrateur prcise que, une fois dpos, lhomme handicap est face

    Jsus et couch sur sa civire. Lorsque Jsus lui pardonne et lui ordonne de se

    lever, il se met debout en face des matres de la loi qui eux restent assis. Lhomme

    guri, en se mettant debout face eux leur montre que Jsus la bien guri et quil

    est une nouvelle personne.

    58 Lopold SABOURIN, L'Evangile de Luc, p. 148. 59 Voir supra p. 13. 60 Odon Vallet, spcialiste des religions pense que Luc fait une erreur de rdaction car les maisons palestiniennes avaient une terrasse et non un toit. Odon VALLET, Lvangile des paens. Une lecture laque de lvangile de Luc, Paris, Albin Michel, 2006, p. 71. Tout comme Lopold Sabourin, nous pensons que ce choix est volontaire, il est comme un clin dil du narrateur un lectorat compos de juifs mais aussi dhellnistes. Lopold SABOURIN, L'Evangile de Luc, p. 148.

  • 26

    Ces mouvements raliss tout autour de Jsus expriment une fois de plus la volont

    de lauteur de faire de Jsus un personnage central, un pilier61.

    1.3. La vitesse du rcit et ses bons en arrire et en avant

    Notre rcit sinscrit dans lordre de la scne c'est--dire quil avance la mme

    vitesse que lhistoire raconte. Sa vitesse est normale et nous ne retrouvons ni

    sommaire, ni ellipse, ni pause descriptive62. De plus, il est singulatif au niveau de la

    frquence : le narrateur raconte une fois ce qui sest pass.

    Le narrateur insre un commentaire implicite qui entre dans le cadre de

    lintertextualit pour montrer que Jsus, dsign comme Fils de lhomme, est le

    mme que celui dont nous parlent les textes apocalyptiques (Da 7.13; Ap 1.13). Ce

    titre est employ pour parler de la puissance et de la suprmatie de cet individu. Il

    se trouve 74 fois dans les vangiles pour montrer la condition humaine de Jsus (Lc

    7.34), lannonce de la passion (Lc 9.22), mais aussi la glorification (Lc 9.26) et la

    seconde venue de Jsus (Lc 12.40). La fonction de cette intertextualit pourrait tre

    de faire le lien entre le Fils de lhomme dont parle lAncien Testament et Jsus63,

    dans le but daider lassistance comprendre quil a lautorit sur la terre de

    pardonner les pchs.

    Cette autorit quil a sur la terre peut tre aussi une prolepse interne lvangile,

    c'est--dire un bond en avant dans le sens o Jsus est celui par qui le grand pardon

    de lhumanit se ralisera, par son sacrifice (Lc 24.46-47) comme le prophte Esae

    avait annonc : il sest livr lui-mme la mort et il a t compt parmi les

    coupables parce quil a port le pch de beaucoup , Es 53.12b. Le chapitre 53 du

    livre dEsae fait lobjet dune relecture messianique64 par les chrtiens (Luc y

    61 Voir supra p. 14-15. 62 Il ny a peut tre pas de pause descriptive qui marquerait un temps zro dans le rcit, mais nous trouvons une description : la dmarche pour faire entrer lhomme atteint dune paralysie. Le narrateur aurait pu dire que des hommes firent entrer lhomme et le placrent devant Jsus, mais au lieu de cela, il dcrit la raison et le processus utilis pour le faire entrer. Ce passage nest pas pause descriptive, car il comporte plusieurs verbes daction, mais il a la mme fonction dans le sens quil vient justifier la foi de ces hommes discerne par Jsus. 63 Jacques BONNET, Joseph CHESSERON, Philippe GRUSON et al., 50 mots de la Bible, Paris, Cerf, 2003, p. 22. 64 Les ressemblances de ce qui arrive cet homme et ce qui est arriv Jsus sont marquantes : il a t compt parmi les coupables (Es 53.12, Lc 23.33), il a t mpris (Es 53.3, Lc 23.11), il sest livr

  • 27

    compris en Lc 22.37), mais il sagit dune relecture qui exprime, la fois la continuit

    avec le texte dIsae, mais aussi le dpassement, puisque cest Jsus qui pardonne

    indpendamment de son sacrifice.

    2. Lintrigue double

    Yvan Bourquin explique quil existe deux styles dintrigues : lintrigue de situation et

    lintrigue de rvlation. La premire consiste en la solution dun problme ou bien

    dune crise qui finit par se dnouer alors que la seconde correspond la rvlation

    progressive dun personnage65. Le narrateur nous laisse percevoir ces deux

    intrigues.

    2.1. Lhistoire dune belle amiti

    Une intrigue possible est celle de situation. Le problme se traduit par des hommes

    cherchant faire se rencontrer Jsus et un homme atteint dune paralysie. Le

    schma quinaire que nous allons dresser nous parle dune belle histoire damiti.

    La situation initiale correspond au verset 17. Le narrateur donne les informations

    ncessaires pour comprendre la situation, et que le rcit va modifier : Jsus

    enseigne, il a la puissance doprer des gurisons ; des matres de la loi sont venus

    et sont assis. Le suspense est dj prsent : qui va tre guri ? Pour le moment les

    auditeurs sont des autorits religieuses. La surprise est que ce ne sont pas eux qui

    recevront la gurison.

    Le nouement se comprend aux versets 18 et 19. Cest ici que la tension narrative

    samorce et que se dclenche laction. Des hommes cherchent faire entrer un

    homme atteint dune paralysie pour lamener devant Jsus. Remarquons quaucune

    demande nest formule de la part de ces hommes. Ce qui est sr cest quils ont le

    dsir que lhomme quils portent rencontre Jsus. Nous pouvons imaginer, vu ltat

    de cet homme, que cest pour obtenir la gurison de son handicap.

    pour port comme un sacrifice (Lc 24.7, Es 53.10, 12) etc. De plus, limage du rejeton et de la racine employ par le prophte en Es 53.2 est le mme quil utilise pour comparer le messie en Es 11.1-10. 65 Yvan BOURQUIN, La confession du centurion. Le Fils de Dieu en croix selon lvangile de Marc, Poliez-le-Grand, Editions du moulin, 1996, p. 15.

  • 28

    Le lecteur sattend ce que laction transformatrice consiste en un acte ponctuel de

    gurison, mais, en ralit, elle sinscrit dans un plus long processus de changement

    (v. 20-24). Jsus pardonne les pchs de lhomme, ce qui entrane une controverse

    avec les matres de la loi. Pour la conclure, il gurit lhomme atteint dune paralysie

    montrant ainsi quil a autorit de pardonner les pchs. Ce dcalage produit

    plusieurs questionnements chez le lecteur66.

    Le dnouement, paralllement au nouement, se situe au verset 25. Lhomme se

    lve, prend sa civire et retourne dans sa maison en glorifiant Dieu.

    La situation finale est dcrite au verset 26. Tous67 sont remplis de crainte et rendent

    gloire Dieu.

    Le fait que la demande ne soit pas explicite rend linterprtation de cette intrigue

    difficile. Cependant le commentaire du narrateur fait au dbut de lhistoire (v.17)

    nous invite comprendre que la volont des porteurs tait la gurison de leur ami.

    2.2. La rvlation de lautorit de Jsus

    Les intrigues des quatre micro-rcits rvlent lautorit de Jsus par rapport

    quelque chose, comme le sabbat, le jene etc. Lapproche smiotique par les

    modalits de notre rcit rvle elle aussi lautorit de Jsus. Elle prsente un

    scnario organis en six phases. La premire est la mme que la situation initiale du

    schma quinaire.

    La seconde phase, dite de la manipulation, exprime un vouloir et un devoir-faire.

    Les hommes portant lhomme handicap cherchent le faire entrer dans lendroit

    o se trouve Jsus pour le placer devant lui. Ne trouvant pas douverture, ils

    66 La question qui pose problme dans cette tape de lintrigue cest pourquoi Jsus na-t-il pas guri lhomme avant de lui pardonner, rpondant ainsi la qute des porteurs, ainsi qu celle de tous les tmoins de la scne? Cela remet en question le rel besoin de lhomme handicap. Avait-il plus besoin du pardon ou de marcher ? Est-ce que les hommes qui le portaient avaient pour seul objectif quil soit guri ? Est-ce que Jsus le pardonne dans le seul but daffirmer son autorit ? Voil tant de questions qui se posent dans cette tape. Nous proposerons des rponses dans la suite de notre travail. 67 Nous pourrions nous poser la question de savoir si les matres de la loi sont compris dans le tous . Nous aurions tendance rpondre ngativement cause de lhostilit des matres de la loi envers Jsus, telle que tmoigne par les rcits de la squence narrative.

  • 29

    dcident de le faire passer par le toit, acte allant lencontre des usages. Ils se

    doivent de russir ce quils avaient lattention de faire. (v. 18-19).

    La troisime, dite de la comptence (v. 20-24), atteste du savoir et du pouvoir-faire

    de Jsus. Il pardonne les pchs de lhomme atteint dune paralysie en voyant la foi

    des porteurs. Cette action, qui pourrait tre comprise comme le faire de ltape

    suivante est en fait un processus utilis par Jsus pour montrer que sil gurit, cest

    quil a lautorit de pardonner.

    Ltape suivante, dite de la Performance (v.25 a), montre la ralisation du pouvoir-

    faire de ltape prcdente : tout le monde voit enfin saccomplir la gurison de

    lhomme. Ce dernier obit lordre de Jsus en se levant. Le miracle a bien opr !

    Lavant dernire tape est celle de la sanction. Cette tape a pour but de

    reconnatre la nouvelle situation cre (v.25 b.) : cet homme, debout, face aux

    matres de la loi sen va, glorifiant Dieu. Il reconnait ainsi lintervention divine en sa

    faveur, donc lautorit de Jsus. En se mettant debout, lhomme est le signe que

    Jsus a lautorit sur la terre de pardonner les pchs.

    La dernire tape, celle de la situation finale (v.26), est la mme que celle du

    schma quinaire : tous sont stupfaits et glorifient Dieu comme lhomme guri.

    3. Les personnages

    Plusieurs personnages coexistent dans cette scne et assument chacun un rle

    mineur ou majeur dans lintrigue. Aprs une brve prsentation des personnages,

    nous tenterons de comprendre en quoi la foi des porteurs est si importante dans

    lintrigue et enfin nous couterons la voix narrative de ce rcit.

    3.1. Une brve prsentation des personnages

    3.1.1. Jsus

    Jsus est un protagoniste car il joue un rle important dans le dveloppement de

    lintrigue. Cest lui qui accorde le pardon et la gurison de lhomme atteint dune

    paralysie. Nous pouvons le considrer comme un personnage rond car le narrateur

    le dcrit comme un enseignant ; il a la puissance doprer des gurisons (5.17) et

  • 30

    lautorit sur la terre de pardonner les pchs (5.24). Il sait discerner les penses

    (5.22). Il est le Fils de lhomme (5.24). Le texte nous montre aussi quil a du

    rpondant et quil ne se laisse pas impressionner par les matres de la loi.

    3.1.2. Les pharisiens et docteurs de la loi

    Cest la premire fois quapparaissent les matres de la loi dans lvangile de Luc. Ils

    sont composs de Pharisiens et de docteurs de la loi. Au niveau historique, la

    majorit68 des Pharisiens taient considrs comme des hypocrites car leurs actes

    ne refltaient pas leurs dires69. Jsus a dailleurs dit en Mt 23.3 : Faites donc et

    observez tout ce qu'ils vous disent; mais n'agissez pas selon leurs uvres. Car ils

    disent, et ne font pas . Les scribes ou docteurs de la loi70 taient majoritairement

    Pharisiens et avaient tudi plusieurs annes pour obtenir le titre de docteur de la

    loi. Ils assumaient une triple fonction : celle de faire comprendre les Ecritures en les

    interprtant et les actualisant, celle denseigner la Torah et celle de tenir un rle

    juridique en sigeant dans les tribunaux juifs71.

    Ils semblent tre nombreux car le narrateur prcise quils viennent de tous les

    villages de Galile et de Jude et de Jrusalem. Le fait daccuser Jsus de profrer

    des blasphmes et de se prendre pour Dieu (5.21) montre leur hostilit lgard de

    Jsus. La squence narrative mettant en scne plusieurs controverses entre eux et

    68 Il ne faut pas gnraliser le parti des Pharisiens car il en existait qui taient amis de Jsus et tait daccord avec son enseignement comme Nicodme, Joseph dArimathe et mme Gamaliel. Ces derniers appartenaient lcole dHillel, rabbin tendance librale, alors que la grande majorit se rclamait de son concurrent : Shamma, rabbin rigoureux tendance agressive. Dailleurs, Emile Moreau parle de sept types de Pharisiens allant du Pharisien fort dpaule au Pharisien du devoir en passant par le Pharisien de la peur . Emile MOREAU, Ce que les chrtiens devraient savoir. Sils veulent comprendre la Bible, Paris, Lethielleux, 2010, p. 71-72. 69 Alexandre Janne, le roi saducen des annes 103 76 av J.C. parlait deux comme des hommes maquills . David FLUSSER, Jsus, Paris/Tel Aviv, Editions de lclat, 2005, p. 64. La cause de cela tait due la radicalisation de la plupart des Pharisiens. En effet, le parti juif des Pharisiens stait fortement attach au respect de la loi de Mose la suite de linfluence quavaient eue les hellnistes sur le peuple juif. Cet objectif, bien quhonorable, sest malheureusement radicalis. Andr PAUL, Le Nouveau Testament et son milieu 1. Le Monde des juifs l'heure de Jsus. Histoire politique, Paris, Descle de brouwer, 1981, p. 61. Andr Trocme va mme jusqu dire que la plupart des Pharisiens ont enferm le judasme dans une prison de prescriptions ngatives o lamour et la foi ne primaient pas69. Andr TROCME, Jsus-Christ et la rvolution non-violente, Genve, Labor et fides, 1961, p. 97-98. 70 Le terme docteurs de la loi est la traduction logieuse pour parler des scribes. Bda RIGAUX, Tmoignage de lvangile de Luc. Pour une histoire de Jsus, Paris, Descle de brouwer, 1980, p. 158. 71 Luc AERENS, Jean-Philippe DEPREZ, Jacqueline JARDON et al., Bible ouverte. Itinraires de lecture pour la catchse, Bruxelles, Lumen vitae, 1992, p. 90-91.

  • 31

    Jsus nous laisse entendre quils sont des protagonistes. Cependant malgr

    limportance de leur rle dans lintrigue, le narrateur les considre comme un

    groupe de personnages plats : ils ne changent pas. Ils sont mme des personnages

    blocs, car leur rle est invariable dans la squence.

    3.1.3. La foule

    La foule, dans lvangile de Luc, est souvent la recherche de Jsus, elle le suit,

    lentoure, lcoute, bnficie peut tre de gurisons72. Elle est prsente comme

    figurante mme si son rle nest pas tout fait passif puisquelle empche dentrer

    les hommes portant lhomme malade cause du nombre de personne qui la

    compose. Elle est cependant un personnage collectif rond vu sa complexit : elle

    accepte de voir Jsus, mais sacharne au point dempcher les porteurs de passer

    avec lhandicap, mais finit par glorifier Dieu.

    3.1.4. Lhomme atteint dune paralysie

    Lhomme atteint dune paralysie pourrait tre, premire vue, un personnage

    jouant un rle important. Malgr son importance dans lintrigue (il est le rcepteur

    du pardon et de la gurison), il reste un personnage-ficelle et rond. Son rle est

    simple mais volue au cours de lintrigue : il est dabord paralys, puis va ensuite se

    mettre debout, prendre sa civire, et glorifier Dieu en sen allant.

    3.1.5. Les porteurs

    Ces hommes jouent un rle trs important dans le dveloppement de lintrigue.

    Sans eux, la scne naurait pas eu lieu. Nous pouvons les considrer comme un

    personnage collectif rond car ils voluent au cours de lintrigue : ils dsirent

    prsenter lhomme handicap Jsus mais sont empchs par la foule. Au lieu de

    se dcourager, ils montent sur le toit, passent travers les tuiles pour dposer

    lhomme atteint dune paralysie aux pieds de Jsus. En plus de cela, le narrateur

    prcise quils ont la foi.

    72 Jean Nol ALETTI, Lart de raconter Jsus Christ. Lcriture narrative de lvangile de Luc, Paris, Seuil, 1989, p. 91.

  • 32

    3.2. La foi qui va tout dclencher

    Le narrateur fait de la foi une pice importante de lintrigue car sans elle il ny aurait

    pas de miracle. Nous comprendrons cela grce au schma actantiel et au concept

    telling/showing (disant/montrant)73.

    3.2.1. Schma actantiel : la foi mise en avant

    Le schma actantiel nous permet de comprendre la dimension fonctionnelle des

    rles appels actants 74 au service de lintrigue. Le rcit met en scne des

    hommes (destinateurs) portant lhomme atteint dune paralysie (destinataire)

    Jsus (sujet), dans le but de rencontrer Jsus, certainement pour obtenir la gurison

    (objet dsir) de lhomme atteint dune paralysie. Pour cela, la foi (adjuvant) de ces

    hommes va contribuer la qute de lobjet. La foule fait barrage et les matres de la

    loi sindignent face lintervention de Jsus (opposants).

    Ce schma nest pas clairement identifiable, notamment en ce qui concerne lobjet

    dsir. Il ny a pas de demande prcise du fait du destinateur comme on pourrait

    avoir dans dautre rcits de gurison (la demande de gurison de lesclave par

    lofficier romain en Lc 7.2-3 ; la demande de dlivrance dun fils par son pre en Lc

    9.38). La demande est implicite : on suppose que ces hommes amenaient lhomme

    handicap Jsus dans le but de le gurir. Le premier verset du rcit nous aide

    comprendre cela car il dit que Jsus avait la puissance doprer des gurisons (5.17).

    Ce qui est plus clair cest que ce sont bien les hommes portant lhomme malade

    ainsi que Jsus qui mnent laction. Tout dabord, les destinateurs (les hommes

    portant lhandicap) mnent le destinataire (lhandicap) vers le sujet (Jsus) qui

    pardonne et gurit le destinataire. Les destinateurs seffacent aprs avoir fait ce

    73 Ces deux termes proviennent de la terminologie de lanalyse narrative. Lorsque le narrateur dcrit une scne ou bien utilise le style indirect pour un discours, on dit quil est dans le telling. Il dit plutt que de montrer. Sa prsence est donc bien marque. Lorsquil retranscrit un discours de manire directe ou bien montre un vnement sans le qualifier, il est dans un mode dexposition type showing. Il montre plutt quil dit. Sa prsence se fait plus discrte. 74Julien Greimas sest intress la fonction narrative des personnages et sest rendu compte que le terme de personnage ntait pas tout fait appropri et il prfre parler d actant pour toute fonction narrative qui sert lintrigue . Lactant, contrairement au personnage, peut tre plusieurs personnes en mme temps, ou bien il peut tre un objet ou un sentiment etc. Le schma actantiel vient de ce terme et nous aide mieux comprendre les choix du narrateur. Algirdas Julien GREIMAS, Smantique structurale. Recherche de mthode, Paris, Presses universitaires de France, 1986, p. 172,176-180.

  • 33

    quils devaient faire, laissant lhomme entre les mains de Jsus. Ce que lon peut

    dire par rapport la position et au dplacement des personnages, cest que Jsus

    est la pice centrale : il reste statique tout au long de lpisode et tout se fait vers

    lui : on part de l o il est. Les matres de la loi vont vers lui pour lcouter, les

    hommes portant lhomme malade vont galement vers lui. Lhomme atteint dune

    paralysie, lorsquil reoit la gurison, part de l o Jsus est. Jsus est central, il est

    comme un point de rencontre ; on sy arrte, puis on en repart75.

    3.2.2. Telling/Showing : la foi dite et montre

    Cette foi est non seulement dite explicitement par le narrateur, mais est aussi

    montre et cela grce au mode dexposition du et du showing. A part le verset 17,

    qui a comme mode, le telling, le reste du rcit est sous le mode du showing, aussi

    appel le mode dramatique. Le narrateur se fait discret et laisse la premire place

    aux personnages. Il relate des vnements sans les qualifier, puis retranscrit

    directement le discours entre Jsus, lhomme atteint dune paralysie et les matres

    de la loi. Jusqu la fin du rcit, il nvalue pas les vnements mais se contente de

    les montrer. Un vnement vu est plus marquant et raliste quun vnement

    dcrit par un tiers. Cest peut tre la raison de son choix.

    Remarquons que les hommes aidant lhomme atteint dune paralysie sont vus par

    Jsus comme ayant la foi. Le narrateur utilise ce moment le mode telling. En plus

    de dire cette foi, il la montre par la mise en action des porteurs pousss par leur

    foi : ils descendent par le toit pour amener lhandicap. La foi est visible de tous.

    Elle est un point important de notre intrigue et joue un rle primordial.

    3.3. Focalisation et utilisation narrative des personnages

    3.3.1. La foi remarque par Jsus

    Les jeux de focalisation nous montrent aussi que le narrateur laisse toute leur place

    aux personnages. A part le premier verset de notre rcit, o il fourni les

    informations o dominent le temps et lespace, le reste des points de vue est celui

    des personnages. La camra se focalise sur les personnages de sorte que tous,

    75 Voir supra p. 25.

  • 34

    acteurs comme lecteurs, voient ce quil se passe. Cependant, Le narrateur donne

    une information qui est cache tous les personnages sauf Jsus puisquil la

    partage avec le lecteur, cest le sentiment intrieur de Jsus concernant les

    porteurs, voyant leur foi . Les personnages du rcit ne comprennent pas la raison

    pour laquelle Jsus pardonne les pchs de cet homme, mais le lecteur la comprend

    grce cette mention. Il y a une forme de supriorit du lecteur face aux

    personnages.

    3.3.2. Sentiments produits par les personnages

    Les acteurs du rcit provoquent chez le lecteur des sentiments qui, pour certains,

    voluent au cours de lintrigue. Cest ce quon appelle le point de vue valuatif du

    narrateur.

    Jsus produit chez nous de lempathie. Il a de la compassion pour un homme atteint

    dune paralysie. Il le rtablit tant sur le plan spirituel que physique. Cette

    dmonstration damour est un exemple pour le lecteur linvitant ne pas juger les

    personnes diffrentes, mais au contraire, les accepter. De plus, Jsus reste fort

    face aux attaques des matres de la loi. Cette force lui venait certainement des

    moments passs avec Dieu le Pre dans la prire lorsquil se trouvait dans des lieux

    dserts76.

    La foule est au dbut sympathique car elle vient couter et voir Jsus, peut tre

    mme esprer des gurisons quil oprait. Elle fait ensuite barrage aux hommes

    portant lhomme atteint dune paralysie et apparat cette fois-ci antipathique. Aprs

    la gurison, elle rapparat comme sympathique parce quelle glorifie Dieu et

    reconnat avoir vu des choses contre ce quon croyait77 .

    Les matres de la loi sont premirement sympathiques puisquils viennent voir et

    couter Jsus. Puis, ils deviennent antipathiques en sopposant Jsus. Ils le

    resteront tout le long de la squence narrative.

    76 Voir supra p. 13. 77 Le terme contre ce quon pensait peut faire rfrence lautorit de pardonner les pchs que Jsus a sur la terre.

  • 35

    Lhomme atteint dune paralysie est un personnage sympathique. Il produit mme

    en nous de la piti cause de son tat de paralysie, dimmobilit, surtout

    connaissant le contexte socioreligieux dun tel homme78. Lorsque Jsus lui pardonne

    et le gurit, cet homme se lve en face des matres de la loi, prend sa civire, et part

    en glorifiant Dieu. Il passe alors de sympathique empathique car il reconnat que

    Dieu, par lintermdiaire de Jsus, lui a pardonn et la guris.

    Les hommes qui portent lhomme atteint dune paralysie sont des personnages

    empathiques. Le lecteur sy identifie fortement. Il souhaite avoir le mme courage,

    la mme foi reconnue par Jsus, la mme persvrance pour affronter les obstacles.

    4. La voix narrative : une demande plus quhonore

    Le narrateur, bien quil ne soit pas prsent et quil nintervienne pas dans le rcit79

    reste fiable dans ses propos et ses interprtations, ainsi quomniscient : Le verset 17

    le montre bien, car, l, il annonce la gurison qui se ralisera. Le narrateur fait

    plusieurs commentaires pour orienter le lecteur dans la lecture.

    4.1. Des commentaires inversant la tendance

    Le narrateur fait intervenir les Pharisiens et docteurs de la loi, hommes de Dieu. Ils

    sont venus voir et couter Jsus. La station assise nous rappelle Marie qui tait

    assise aux pieds de Jsus pour couter sa Parole (Luc 10.39). Le texte est ironique

    car les matres de la loi, qui sont prsents par la squence narrative comme les

    opposants Jsus, viennent apprendre de lui 80 ! Lutilisation de ce commentaire

    implicite peut avoir comme objectif de prparer le lecteur la controverse qui va

    suivre.

    78 Voir supra p. 23-24. 79 Nous ne remarquons aucun signe de la premire personne qui montrerait lintervention du narrateur dans le texte, et le texte ne nous laisse pas entendre quil tait prsent au moment de lhistoire raconte. Il est donc extradigtique et htrodigtique. Pour plus dinformations sur ces deux termes, voir Yvan BOURQUIN et Daniel MARGUERAT, Pour lire les rcits bibliques, p. 35-36. 80 Afin de lever cette ambigut qui pourrait gner, certains tentent de donner des raisons leur venue. Ils seraient venus examiner ce nouveau leader pour lui faire passer un jugement. Philippe BOSSUYT, Jean RADERMAKERS, Jsus Parole de la grce 2. Lecture continue, Bruxelles, Institut d'tudes thologiques, 1984, p. 185 ; Giorgio GIRARDET, Lecture politique de lvangile de Luc, p. 52.

  • 36

    Il fait aussi un commentaire explicite en introduisant une glose explicative au verset

    19. Cest la raison qui a empch les hommes dentrer normalement, savoir la

    foule. Ce commentaire induit que ceux qui viennent couter et voir Jsus peuvent

    constituer un barrage pour dautres.

    Aprs avoir prvenu le lecteur, le narrateur use dhumour pour montrer la

    dmarche des porteurs. Ils amnent lhomme atteint dune paralysie Jsus en

    passant par le toit. Cette manire dentrer ntait pas commode, et trs

    surprenante. Le fait de retirer les tuiles devait faire tomber de la poussire, des

    morceaux de tuiles etc. On peut imaginer que Jsus a d arrter denseigner et que

    tous les regards taient fixs vers le toit se dfaisant. Lutilisation de lhumour par le

    narrateur transcrit peut tre la revanche des hommes sur la foule qui lui faisait

    obstacle. Il montre ainsi quils ont russi atteindre leur objectif malgr les

    barrages.

    4.2. Lambigut de la situation

    Il existe deux ambigits dans le texte qui pourraient nous faire penser que le

    narrateur sest tromp. Jsus pardonne avant de gurir alors que le texte prcise

    quil avait la puissance doprer des gurisons. On sattendrait plus ce quil

    gurisse lhomme atteint dune paralysie (v.20) plutt quil lui pardonne ses pchs.

    Lautre ambigut du texte concerne la conjugaison du verbe a=fi,hmi (v. 20). Jsus,

    pour dclarer lhomme que ses pchs lui sont pardonns, emploie un passif

    parfait81 qui se comprend comme tes pchs tont t pardonns , alors que

    Matthieu et Marc emploient un prsent. Si ses pchs lui ont t pardonns dans le

    pass, alors ce nest pas Jsus qui lui pardonne ses pchs dans le rcit et donc sa

    dclaration quil a autorit de pardonner les pchs sur terre na pas de sens.

    Pour comprendre cette ambigut, Franois Bovon explique quen effet le pardon lui

    a t accord dans le pass, mais que ce pardon entre en vigueur au moment o

    Jsus le lui annonce82. Rolland Minerath, quant lui, comprend cet emploi comme

    tant un passif divin. Jsus est celui par qui le pardon arrive, mais quil est accord

    81 Cette conjugaison exprime une action ralise dans le pass qui a des implications qui durent dans le prsent. 82 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, p. 241.

  • 37

    par Dieu83. Jsus, en tant que mdiateur du Pre84, exprime la volont du Pre en

    accord avec son programme missiologique de Lc 4.18-1985. Cette dernire

    comprhension est plus logique avec la suite du texte car Jsus exprime que

    lautorit lui a t accorde pour pardonner les pchs. Cela sous-entend quil ne

    fait rien de lui-mme.

    Aprs avoir compris cela, nous pouvons saisir le choix davoir pardonn avant de

    gurir. Lorsque Jsus dclare lhandicap ses pchs pardonns, les matres de la

    loi sindignent en se demandant comment cet homme qui nest pas Dieu peut

    pardonner les pchs dun homme (v.21). La question pose par Jsus aux matres

    de la loi quest-ce qui est plus facile, dire : tes pchs te sont pardonns ou

    dire : lve toi et marche ! est purement rhtorique et fait comprendre que si

    Jsus gurit, cest quil a pu pardonner les pchs car il en a lautorit. La gurison

    nest que lexemple utilis par Jsus pour rvler quil tait le Fils de lhomme, celui

    qui a autorit sur terre de pardonner les pchs.

    4.3. Le paralllisme : la clef de lambigut

    Le paralllisme prsent par le narrateur entre le pardon des pchs et la gurison

    de la paralysie exprime le lien entre ces deux gurisons. Le pch, selon Odon

    Vallet est une erreur ditinraire, un cart de conduite, qui, rpt, peut conduire

    la perdition 86. Pardonner les pchs, littralement les laisser aller , les

    relcher est une sorte de leon de bonne marche : redonner le bon chemin. La

    paralysie, quant elle, traduit un tat dinertie, de non marche. Etre couch et se

    laisser porter par dautres montre lincapacit de lhomme se prendre en charge87.

    En affirmant que ses pchs lui ont t relchs, Jsus lui donne la possibilit de

    remarcher socialement et religieusement. Cette ralit invisible devient visible car

    Jsus lui ordonne de se lever, de se remettre en marche88. Tous sont tmoins de

    cette rsurrection spirituelle sexprimant par une rsurrection physique. La gurison

    83 Roland MINNERATH, Jsus et le pouvoir, Paris, Beauchesne, 1987, p. 61. 84 Voir infra p. 42-44. 85 Voir infra p. 43-44. 86 Odon VALLET, Lvangile des paens, p. 70. 87 Lytta BASSET, Culpabilit. Paralysie du cur. La gurison du paralys (Luc 5,17-26). Sentiment. Ambivalence et dpassement de la culpabilit, Genve, Labor et fides, 2003, p. 22. 88 Franois BOVON, LEvangile selon saint Luc. 1.1-9.50, p. 243.

  • 38

    physique et la gurison spirituelle sont lies. La demande implicite des hommes

    porteurs a t plus quhonore, puisque cet homme a une double chance de

    revivre.

    Conclusion

    Ltude faite dans ce chapitre nous a permis de nous rendre compte quun homme

    handicap au temps du rcit ntait pas considr comme lgal de tous car son

    handicap faisait de lui un homme profane. Jsus ayant cur de rtablir cet

    homme, le gurit, mais avant il lui pardonne car il est le Fils de lhomme qui a

    autorit sur la terre de pardonner les pchs. Ces deux indications intertextuelles

    nous montrent que Jsus est celui que les prophtes ont annonc, celui qui est venu

    donner sa vie en sacrifice et porter pchs des hommes (Es 53. 10, 12). De plus, les

    jeux de positions indiquent quil est le personnage central. Lintrigue de rvlation

    va dans le mme sens car elle rvle justement lautorit de Jsus rendue possible

    par la gurison du malade. Sans la foi des porteurs, le miracle et la rvlation de

    Jsus nauraient pas eu lieu. La foi des hommes porteurs les a pousss braver

    lobstacle de la foule en passant par le toit. Lopposition des matres de la loi vis--

    vis de Jsus fait aussi deux des obstacles car en sopposant Jsus, ils sopposent

    la gurison qui a t utilise pour rvler lautorit de Jsus. Le lecteur sidentifie

    fortement aux porteurs qui ont t braves, lex-paralys qui reconnat Dieu,

    lauteur de son miracle, et la foule qui fut un moment antipathique mais redevient

    sympathique grce la louange de lex malade.

    Avant dinterprter ce que nous venons de reprer dans le texte par les moyens que

    propose lanalyse narrative, nous allons tudier le thme de la gurison et de

    lintercession dans luvre de Luc.

  • 39

    Chapitre 3 : lintercession et la gurison

    dans lvangile de Luc

  • 40

    Pour rpondre notre problmatique concernant le rle et limpact de

    lintercession dans la gurison de lintercde, nous nous demandons comment ces

    deux concept taient peru par Luc ? Pour rpondre cette question, nous

    comprendrons dabord lintercession la lumire de lpoque du rcit, puis nous

    saisirons limportance du ministre de gurison de Jsus et ses implications.

    1. Lintercession dans lvangile de Luc

    Le verbe entugcavw pour parler de lintercession se trouve une seule fois dans

    luvre de Luc (Ac 25.24). Il a le sens d en appeler , adresser une demande

    quelquun 89. Lide de mdiation ressort de ce verbe o lintercesseur a le rle de

    mdiateur vis--vis de lintercd et de celui qui il adresse la demande, savoir

    Dieu. Cette ide de mdiation se retrouve dans luvre de Luc comme la mdiation

    religieuse et comme la mdiation socio-conomique. Nous allons tudier ces deux

    sortes de mdiation qui existaient lpoque de lhistoire raconte et nous

    comprendrons ensuite en quoi lintercession/mdiation tend lentraide.

    1.1. La mdiation religieuse

    Jsus, en pardonnant les pchs de lhomme atteint dune paralysie, rpond

    lintercession des porteurs qui ont dpos lhomme aux pieds de Jsus. Ce qui est

    tonnant, cest que le rle dintercesseur tait tenu exclusivement par les prtres

    au Temple, centre de la vie nationale juive90 et lieu de la manifestation de la

    prsence de Dieu (Ex 25.8). Les prtres taient tous des descendants dAaron (Nb

    3.10) et devaient se conformer certaines rgles car ils taient des modles de

    puret91. Les prtres prsidaient les crmonies des sacrifices du soir et du matin

    qui invitaient Dieu rencontrer et communiquer avec le peuple (Ex 29.42-43) qui

    saccompagnaient de nombreux sacrifices privs. Si un homme avait pch, le

    prtre faisait pour cet homme l'expiation du pch qu'il avait commis pour quil soit

    89 William F. ARNDT, Wilbur F. GINGRICH, Frederick W. DANKER, A Greek-English Lexicon Of The New Testament And Other Early Christian Literature, p. 341. 90 Le Temple tait au centre de la vie nationale juive car ctait dans cet endroit que se faisaient toutes les crmonies religieuses, et sur les parvis extrieurs se tenaient toutes sortes de runions. Charles GUIGNEBE, Le Monde juif vers le temps de Jsus, Paris, Albin Michel, 1969, p. 76, 78. 91 Ils ne devaient tre ni boiteux, ni aveugles, ni affect dune malformation physique. Ils ne devaient pas prendre de femme rpudie, ni prostitue. Leurs filles devaient avoir une conduite pure car si lune dentre elles se prostituait par exemple, elle rendait son pre profane (Lv 21).

  • 41

    pardonn (Lv 4.27-35). Les prtres assuraient donc la mdiation entre Dieu et le

    peuple sur le plan religieux92.

    Jsus, en pardonnant les pchs de cet homme, rend le rcit polmique envers la

    prtrise. Premirement il prend la place du prtre en dclarant le pcheur

    pardonn. Normalement, ctait le prtre qui faisait lexpiation du pch de

    lhomme devant lEternel pour quil lui soit pardonn. Deuximement il laisse

    entendre que le pardon des pchs ne ncessite plus de sacrifice. Finalement, il

    annonce une nouvelle conomie o lintercession professionnelle nest plus

    ncessaire, car le Fils de lhomme est dsormais l et assure la communion

    directe avec Dieu.

    Sil assure la communion directe avec Dieu, cest parce quil a pris sa fonction de

    Christ aprs sa mort et sa rsurrection. Cela a t rendu est possible parce quil est

    Christ dans son tre93. En effet, ds le dbut de lvangile selon Luc, Jsus est

    prsent comme le messie. Il est appel Fils du Trs Haut lors de lannonce Marie

    de sa naissance (Lc 1.32) ; Symon lappelle salut (Lc 2.30) et annonce quil est venu

    pour la chute et le relvement de beaucoup en Isral (Lc 2.34) ; la prophtesse Anne

    parlait de lenfant Jsus tous ceux qui attendait la rdemption (Lc 2.38). Durant

    son ministre Jsus annonce sa mort et sa rsurrection aux disciples (Lc 9.22, 18.32-

    33) et notamment que son sang sera pour le peuple le signe dune nouvelle alliance

    (Lc 22.20). Effectivement tout ce quil avait annonc sest produit. Jsus est mort et

    ressuscit le troisime jour pour le pardon des pchs (Lc 24.46-47).

    Au moment de sa mort, le voile du temple, celui qui sparait le lieu saint du lieu trs

    saint, sest dchir par le milieu. En plus de sparer ces deux lieux, il couvrait ce qui

    se trouvait derrire lui dans le lieu trs saint, savoir le coffre de lalliance et le

    propitiatoire pos dessus (Ex 35.12) considr comme le trne de Dieu (1 Sa 4.4).

    Personne ne pouvait entrer dans le lieu trs saint et voir lArche de peur dy laisser

    sa vie (1 Sa 6.19), mis part le grand prtre qui assumait le rle de mdiateur une

    92 Bernard GUILLIERON, Dictionnaire biblique, p. 169. 93 Etienne CHARPENTIER, Pour lire le Nouveau Testament, Paris, Cerf, 1981, p. 88.

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    fois dans lanne en entrant dans ce lieu trs saint pour y offrir le sang dun animal

    comme moyen dexpiation des pchs du peuple (Lv 16)94.

    Une fois ce voile dchir la mort de Jsus, il ny a plus de sparation des deux lieux

    donc plus de sparation entre Dieu et lhomme. Par sa mort, Jsus inaugure un

    nouvel ordre des relations entre lhomme et Dieu95 et signe la fin du culte

    sacrificiel96. Cest dailleurs ce quexprime lauteur de lptre aux Hbreux en

    disant quau moyen du sang de Jsus, nous avons une libre entre dans le

    sanctuaire par la route nouvelle et vivante qu'il a inaugure pour nous au travers du

    voile, c'est--dire, de sa chair He 10. 19-20. Jsus est la fois le dernier sacrifice,

    mais aussi le grand prtre qui a amen son propre sang derrire le voile. (He 9.11-

    12). Voil comment il permet ltre humain la communication directe avec Dieu.

    Cette ide trouve sa continuit dans le livre des Actes des Aptres o Jsus est

    dsormais appel Jsus-Christ (Ac 2.38, 4.10, 10.36 etc.). La mort et la rsurrection

    de Jsus sont aussi prches par les aptres (Ac 2.31, 4.33) pour m