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TOUTE REPRODUCTION OU PHOTOCOPIE EST FORMELLEMENT AUTORISEE. Rhizome N° 4 - Mars 2001 - Actualités RHIZOME est un bulletin national trimestriel édité par l’Observatoire Régional sur la Souffrance Psychique En Rapport avec l’Exclusion (ORSPERE) avec le soutien de la Direction Générale de l’Action Sociale Directeur de publication : Jean FURTOS Secrétaire de rédaction : Claudine BASSINI Comité de rédaction : - Guy ARDIET, psychiatre (St Cyr au Mont d’Or) - Pierre BELMANT, Fnars (Paris) - Marie Dominique BENEVENT, CRACIP (Lyon) - Jean-Paul CARASCO, infirmier (St Maurice) - Jean DALERY, prof. de psychiatrie (Univ. Lyon 1) - Philippe DAVEZIES, enseignant, chercheur en médecine du travail (Univ. Lyon 1) - Jean FURTOS, psychiatre, Orspere - Marie GILLOOTS, pédopsychiatre (Vénissieux) - Jean-François GOLSE, psychiatre (Picauville) - Jalil LAHLOU, psychiatre, Orspere - Pierre LARCHER, DGAS - Christian LAVAL, sociologue, Orspere - Antoine LAZARUS, prof. santé publique (Bobigny) - Marc LIVET, cadre infirmier (Paris) - Jean MAISONDIEU, psychiatre (Poissy St Germain en Laye) - Jean-Pierre MARTIN, psychiatre (Paris) - Alain MERCUEL, psychiatre (St Anne Paris) - Michel MINARD, psychiatre (Dax) - Gladys MONDIERE, psychologue (Lille) - Pierre MORCELLET, psychiatre (Marseille) - Christian MULLER , psychiatre (Lille) - Jean PERRET, ancien directeur SMC (Villeurbanne) - Eric PIEL, psychiatre (Paris) - Olivier QUEROUIL, conseiller technique fonds CMU (Paris). Contact rédaction : Claudine BASSINI - Tél. 04 37 91 54 60 Valérie BATTACHE - Tél. 04 37 91 53 90 CH Le Vinatier, 95, Bd Pinel 69677 Bron Cedex Tél. 04 37 91 53 90 Fax 04 37 91 53 92 E-mail : [email protected] Web : www.ch-le-vinatier.fr/orspere Impression et conception : MEDCOM (Lyon) - Tél. 04 72 78 01 33 Tirage : 8 000 ex. ISSN 1622 2032 Nous avons lu : Les travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale : - un ouvrage synthétique : le « Rapport 2000 » - un ouvrage plus développé : « Les travaux de l’Observatoire 2000 » Ed Documentation Française. Ouvrages précieux pour savoir de quoi on parle. Chômage et travail social en Pologne et en France. L’Institutionnalisation. Sous la direction de : Odile Carré et Ewa Marynowicz-Hetka (Presses Universitaires de Lyon, 1999) Le résultat d’une collaboration exemplaire entre universitaires de pays à l’épistémologie et aux pratiques sociales différentes. A noter, un chapi- tre sur la souffrance psychique des jeunes en difficulté de J.P Pinel. Itinérance et santé mentale Coédition de la revue Santé mentale au Québec avec la revue L’Information Psychiatrique (Volume XXV, Numéro 2, Automne 2000) Ce numéro spécial traite deux thèmes : celui du phénomène de l’itiné- rance (sa transformation radicale depuis les années 1970, ses principales causes, les nouvelles populations itinérantes), et celui de la pathologie de la désorganisation. La maladie mentale en mutation. Psychiatrie et société. Alain Ehrenberg , Anne –M. Lovell & Collectif Ed. Odile Jacob 2001 Le trouble mental est aujourd’hui une question sociale et politique autant que médicale ; elle concerne toutes les institutions, aussi bien la famille, l’école, que l’entreprise. L’originalité de cet ouvrage consiste à croiser les analyses de psychiatres, de sociologues, d’anthropologues, d’historiens et de philosophes. Ensemble, ils s’efforcent de cerner les enjeux de ces transformations. Les inégalités sociales de santé Didier Fassin. Ed de la Découverte, Collection Recherche (Sept. 2000) Des travaux de l’INSERM enfin mis à disposition : à consulter absolu- ment. Informations Le rapport annuel de la Cour des comptes rendu public le 24 janvier dernier a émis de vives critiques sur l’organisation des soins psychiatriques. La Cour des Comptes pointe et analyse « le manque de pilotage au niveau national pour l’organisa- tion des soins psychiatriques », constate que « les alternatives à l’hospitalisation sont toujours insuffi- samment développées », et demande d’étudier les causes de l’augmentation des hospitalisations à la demande d’un tiers. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, a rappelé, lors de l’ouverture des IVèmes Rencontres de la psychiatrie le 28 février 2001 : «il faut dépasser la vision cadastrale de la psychiatrie, en rénovant la notion de secteur, pour l’intégrer véritablement à un réseau d’acteurs de santé mentale, avec les médecins généralistes, les services médicaux-sociaux et sociaux des municipalités notamment » Enfin, il s’agit « de construire une santé mentale autour de l’usager et non plus autour des statuts et des structures ». Agenda Journée mondiale de la santé 2001 « Santé mentale : Non à l’exclusion, oui aux soins » Jeudi 5 avril 2001: Ministère de la Santé, salle Laroque, 8 avenue de Ségur-75007 Paris- Tél : 01 40 55 05 95 - Fax : 01 40 55 90 70. On pourra se procurer en juin 2001 le rapport de l’OMS sur la santé dans le monde, consacré à la santé mentale et à certains troubles cérébraux. Quel avenir pour la pluriprofessionnalité en psychiatrie ? Journée d’étude organisée par l’Association des Cadres et Infirmiers en Santé Mentale (ASCISM) : Vendredi 18 mai 2001 Maison des Sociétés, square Grimma 69500 Bron Renseignements et inscriptions : Tél 04 92 65 51 35 - Fax : 04 92 65 51 00 Congrès national : Douleur et Exclusion Vendredi 15 juin 2001 (8H à 18H) Université Claude Bernard Lyon 1 Adresse : 8, avenue Rockefeller 69373 Lyon cedex Renseignements : Tél 01 46 38 77 37 - Fax 01 46 38 77 31 Peintures aimablement mises à disposition par les ateliers d’expression d’Hervé FAYEL (CHRS Relais SOS) et de Patrick GERMIGNANI (CH le Vinatier)

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-Actualités

RHIZOME est un bulletin nationaltrimestriel édité par l’ObservatoireRégional sur la Souffrance Psychique EnRapport avec l’Exclusion (ORSPERE) avec le soutien de la Direction Généralede l’Action SocialeDirecteur de publication : Jean FURTOSSecrétaire de rédaction : Claudine BASSINIComité de rédaction : - Guy ARDIET, psychiatre (St Cyr au Mont d’Or)- Pierre BELMANT, Fnars (Paris) - Marie Dominique BENEVENT, CRACIP (Lyon) - Jean-Paul CARASCO, infirmier (St Maurice)- Jean DALERY, prof. de psychiatrie (Univ. Lyon 1)- Philippe DAVEZIES, enseignant, chercheur en

médecine du travail (Univ. Lyon 1) - Jean FURTOS, psychiatre, Orspere - Marie GILLOOTS, pédopsychiatre (Vénissieux) - Jean-François GOLSE, psychiatre (Picauville) - Jalil LAHLOU, psychiatre, Orspere- Pierre LARCHER, DGAS- Christian LAVAL, sociologue, Orspere - Antoine LAZARUS, prof. santé publique (Bobigny)- Marc LIVET, cadre infirmier (Paris) - Jean MAISONDIEU, psychiatre (Poissy

St Germain en Laye) - Jean-Pierre MARTIN, psychiatre (Paris)- Alain MERCUEL, psychiatre (St Anne Paris) - Michel MINARD, psychiatre (Dax) - Gladys MONDIERE, psychologue (Lille)- Pierre MORCELLET, psychiatre (Marseille)- Christian MULLER , psychiatre (Lille)- Jean PERRET, ancien directeur SMC

(Villeurbanne) - Eric PIEL, psychiatre (Paris) - Olivier QUEROUIL, conseiller technique fonds

CMU (Paris).

Contact rédaction : Claudine BASSINI - Tél. 04 37 91 54 60Valérie BATTACHE - Tél. 04 37 91 53 90

CH Le Vinatier, 95, Bd Pinel 69677 Bron Cedex Tél. 04 37 91 53 90 Fax 04 37 91 53 92 E-mail : [email protected] : www.ch-le-vinatier.fr/orspereImpression et conception : MEDCOM(Lyon) - Tél. 04 72 78 01 33Tirage : 8 000 ex.ISSN 1622 2032

Nous avons lu :

■ Les travaux de l’Observatoire national de la pauvreté etde l’exclusion sociale : - un ouvrage synthétique : le « Rapport 2000 »- un ouvrage plus développé : « Les travaux de l’Observatoire 2000 »Ed Documentation Française.Ouvrages précieux pour savoir de quoi on parle.

■ Chômage et travail social en Pologne et en France.L’Institutionnalisation.Sous la direction de : Odile Carré et Ewa Marynowicz-Hetka (PressesUniversitaires de Lyon, 1999)Le résultat d’une collaboration exemplaire entre universitaires de pays àl’épistémologie et aux pratiques sociales différentes. A noter, un chapi-tre sur la souffrance psychique des jeunes en difficulté de J.P Pinel.

■ Itinérance et santé mentaleCoédition de la revue Santé mentale au Québec avec la revueL’Information Psychiatrique (Volume XXV, Numéro 2, Automne 2000) Ce numéro spécial traite deux thèmes : celui du phénomène de l’itiné-

rance (sa transformation radicale depuis les années 1970, ses principalescauses, les nouvelles populations itinérantes), et celui de la pathologiede la désorganisation.

■ La maladie mentale en mutation. Psychiatrie et société.Alain Ehrenberg , Anne –M. Lovell & CollectifEd. Odile Jacob 2001Le trouble mental est aujourd’hui une question sociale et politiqueautant que médicale ; elle concerne toutes les institutions, aussi bien lafamille, l’école, que l’entreprise.L’originalité de cet ouvrage consiste à croiser les analyses de psychiatres,de sociologues, d’anthropologues, d’historiens et de philosophes.Ensemble, ils s’efforcent de cerner les enjeux de ces transformations.

■ Les inégalités sociales de santé Didier Fassin. Ed de la Découverte, Collection Recherche (Sept. 2000)Des travaux de l’INSERM enfin mis à disposition : à consulter absolu-ment.

Informations

■ Le rapport annuel de la Cour des comptes rendu public le 24 janvier dernier a émis de vivescritiques sur l’organisation des soins psychiatriques.La Cour des Comptes pointe et analyse « le manque de pilotage au niveau national pour l’organisa-tion des soins psychiatriques », constate que « les alternatives à l’hospitalisation sont toujours insuffi-samment développées », et demande d’étudier les causes de l’augmentation des hospitalisations à lademande d’un tiers.

■ Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, a rappelé, lors de l’ouverture des IVèmesRencontres de la psychiatrie le 28 février 2001 : «il faut dépasser la vision cadastrale de la psychiatrie,en rénovant la notion de secteur, pour l’intégrer véritablement à un réseau d’acteurs de santé mentale, avecles médecins généralistes, les services médicaux-sociaux et sociaux des municipalités notamment » Enfin, ils’agit « de construire une santé mentale autour de l’usager et non plus autour des statuts et des structures ».

Agenda

■ Journée mondiale de la santé 2001 « Santé mentale : Non à l’exclusion, oui auxsoins »Jeudi 5 avril 2001: Ministère de la Santé, salle Laroque, 8 avenue de Ségur-75007 Paris- Tél : 01 40 55 05 95 - Fax : 01 40 55 90 70.On pourra se procurer en juin 2001 le rapport de l’OMS sur la santé dans le monde, consacré à lasanté mentale et à certains troubles cérébraux.

■ Quel avenir pour la pluriprofessionnalité en psychiatrie ? Journée d’étude organisée par l’Association des Cadres et Infirmiers en Santé Mentale (ASCISM) : Vendredi 18 mai 2001 Maison des Sociétés, square Grimma 69500 BronRenseignements et inscriptions : Tél 04 92 65 51 35 - Fax : 04 92 65 51 00

■ Congrès national : Douleur et Exclusion Vendredi 15 juin 2001 (8H à 18H)Université Claude Bernard Lyon 1 Adresse : 8, avenue Rockefeller 69373 Lyon cedexRenseignements : Tél 01 46 38 77 37 - Fax 01 46 38 77 31

Peintures aimablement mises à disposition par les ateliers d’expression d’Hervé FAYEL(CHRS Relais SOS) et de Patrick GERMIGNANI (CH le Vinatier)

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eCe numéro 4 de Rhizome a été conçu comme un numéro charnière :

Il appelle à une distanciation de l’imaginaire collectif pour défusionner lasituation de précarité sociale et la figure archétypale de l’homme de la rue.

Il énonce, au fil des textes, la structuralité du lien entre le psychique et lesocial dont rend compte aujourd’hui l’appellation souffrance psychique.

On sait que la psychiatrie de secteur construit progressivement, sur tout leterritoire, des modalités concrètes pour proposer un soin psychique aux plusdémunis, toujours avec le souci du partenariat. Cela reste à étendre et àpérenniser.

En même temps, nous vivons dans une société globalement précaire marquéepar l’obsession généralisée de perdre ses objets sociaux, ses signes dereconnaissance, ses valeurs, bref, ce qui fait Monde. Pourquoi certains s’ensortent-ils plutôt bien, d’autres plutôt mal ou même très mal ? Nous disons quela position sociale est davantage qu’un paramètre parmi d’autres, car lenarcissisme marche avec la reconnaissance d’existence effectuée par le groupe surla scène sociale.

La liste est longue lorsqu’il s’agit de compter les incomptés de la précaritépsychique et sociale, et notre propos ne vise aucunement à l’exhaustivité. Entreautre, nous n’avons pas traité le point particulier de la précarité rurale et semi-rurale dont la méconnaissance mérite un développement ultérieur. Le déni deréalité d’une véritable clinique de la disparition doit être levé, même si cettedisparition (du sujet, voire d’un groupe entier) peut réapparaîtreparoxystiquement sous la modalité de la violence, ou plus souvent êtreappréhendée sous le registre de la souffrance psychique et de ses avatars.

C’est pourquoi s’impose maintenant avec acuité la nécessité de rendre comptede l’émergence intrusive et durable de cette notion de souffrance psychique dansl’épistémologie contemporaine. Cette investigation constituera le thème de notreprochain numéro.

Bulletin national santé mentale et précarité

édit

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RHIZOME n.m. (gr. rhiza, racine). Tige souterraine vivante, souventhorizontale, émettant chaque année des racines et des tiges aériennes.

4Au sommaire

DOSSIER L’Exclusion, une catégorie mouvante p. 2

Olivier Quérouil

Définir et mesurer , selon l’Observatoirenational de la pauvreté et de l’exclusionsociale Marie-Thérèse Espinasse p. 3

Figures de la précarité au travail p. 4Philippe Davezies

Processus de précarisation au féminin p. 5Nathalie Frigul

Adolescence et Société : une crise peut encacher une autre Jean Darrot p. 6/7

Judiciarisation des adolescents difficiles et souci thérapeutique Nadia Zeghmar p. 8

Souffrances d’étrangers Pierre Belmant p. 9

Force et fragilité des familles p. 10/11« en transit » Association Domino

Droit formel des malades mentaux et risqued’abandon Jacques Houver p. 12/13

RUBRIQUES

SUR LE TERRAIN DES PRATIQUESL’entretien dans la rue p. 13J.P Carasco

LE COIN DU CLINICIENDe l’exclusion pathogène au syndrome

de l’exclusion Jean Maisondieu p. 14

LA PAROLE EST À VOUS p. 15

ACTUALITÉS p. 16

Mars 2001

Christian LAVALJean FURTOS

Précarité visible,précarités invisibles

RHIZOME est téléchargeablesur le Web : www.ch-le-vinatier.fr/orspere

Dossier : Précarité visible, précarités invisibles R

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L’Exclusion, une catégorie mouvante

Olivier QUEROUILConseiller techniqueFonds CMU

BIBLIOGRAPHIE :

(1) « Les Exclus, un françaissur dix » de René LENOIREd Seuil 1989

* Robuste veut dire que cen’est pas très malin, maissimple et efficace par rapportà l’objectif recherché.

** Workfare : Aide publiquefournie sous la condition,d’une part, que le bénéficiaireait un comportement actif derecherche d’emploi ou, àdéfaut, suivi une formation,et d’autre part, qu’il ne refusepas les propositionsd’embauche qui lui sontfaites.S’oppose au terme anglo-saxon welfare qui, lui, nesuppose pas de contrepartie àl’aide.

L’ouvrage de R. Lenoir« les Exclus »(1) date de 1974.

Par cet ouvrage, il construit unenouvelle catégorie, dont il cher-che à définir les contours.Elle comprend environ 6 millionsde personnes qui se répartissenten trois groupes : les inadaptésphysiques (2 millions), les débilesmentaux (1 million), les inadap-tés sociaux (3 millions). Lesinadaptés sociaux sont d’une partles jeunes de l’Aide Sociale àl’Enfance (650 000, dont 300 000retraits et 170 000 délinquants) etd’autre part les adultes (300 000malades mentaux, 165 000 suici-daires, 200 000 alcooliques,260 000 délinquants, 150 000marginaux et asociaux, et desgroupes vulnérables comme les200 000 français musulmans). Cette catégorisation, qui ne résu-me évidemment pas l’ouvrage,porte la marque de cette époqueoù sont instaurées trois presta-tions qui réorganisent le paysagesocial et font sortir de la misère les« filles mères », les vieux sansretraites et les handicapés : l’allo-cation parent isolé, le minimumvieillesse, l’allocation adulte han-dicapé. R. Lenoir a été un desacteurs majeurs de ces réformes.

Il n’empêche, 25 ans ce n’est pasbien loin, et pourtant ces catégo-ries nous font quand même uneffet assez bizarre. Le contexte atellement changé que le sensmême de ces catégories nouséchappe : les notions d’inadapta-tion physique ou sociale et dedébilité ne sont plus en usagepour décrire l’exclusion.L’arrivée du chômage de masse abouleversé les représentations del’exclusion : en 1974, avant lepremier choc pétrolier, il y a500 000 chômeurs, dont 60 000de longue durée, et le Président

Pompidou estimait peu avantqu’un mouvement révolutionnaireserait probable si par malheur onatteignait le million. En 1998, onavait plus de trois millions dechômeurs dont un de longuedurée.

Les populations qui sont désignéescomme exclues avec les politiquessociales des années 1980/1995 sedéfinissent désormais selon deuxaxes :

- Celui de leur insertion, ce quiamène à s’adresser non pas à desindividus, mais à des champs deproblèmes : quartiers en difficul-

té, jeunes sans qualification,enfants en échec scolaire, sansdomicile fixe, et tout récemmenthabitants des DOM par la loi du13 décembre 2000. Ces publicsne sont pas empêchés de travaillerpour des raisons d’âge ou de han-dicap, mais pour des raisonssociales ou culturelles. En d’autrestemps, on aurait parlé du lumpenprolétariat.

- Celui de leurs revenus, quidevient le critère « robuste »*,comme disent les statisticiens,

permettant de définir l’exclusion :le RMI et la CMU sont les deuxprestations qui incarnent lemieux ces politiques. C’est surcette base des minima sociauxque va réapparaître le chiffre de6 millions d’exclus. Ce chiffre estd’une étrange solidité moins parréférence à un chiffrage précis,que par ce qu’il désigne le dernierdécile de la population, sur lequelvont se construire les objectifs despolitiques sociales (sur ces sujets,voir en particulier les deux tomesdu rapport 2000 de l’Obser-vatoire national de la pauvreté etde l’exclusion). Les catégories des politiquessociales ont une durée de vie limi-tée, guère plus d’une décennie. Lerenversement brutal du marchédu travail est en train de modifiercomplètement les références : ilest étonnant de voir qu’en deuxans on est passé de l’idée commu-ne que tout le monde pouvait seretrouver SDF et qu’il n’y avaitpas de travail pour tous à celle dela pénurie de main d’œuvre.L’opinion, convenablement miseen forme par des débats douteuxsur la trappe à pauvreté qu’aucu-ne étude sérieuse n’a pu prouver,s’est renversée : le RMI est désor-mais majoritairement perçu néga-tivement, comme un moyen dis-cutable d’entretenir aux frais ducontribuable des « paresseux etdes marginaux ». Les discourspolitiques aux Etats-Unis ou enAngleterre le disent avec encoreplus de brutalité, pour légitimerle Workfare**.D’autres questions sont en voiede constitution autour des tra-vailleurs pauvres, de la délinquan-ce des jeunes à la dérive, des nou-veaux migrants qui ne provien-nent plus des reliquats d’une his-toire coloniale. ■

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1Dossier : Précarité visible, précarités invisibles

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Définir et mesurer selonl’Observatoire national de lapauvreté et de l’exclusion sociale

Marie ThérèseESPINASSESecrétaire Généralede l’Observatoire nationalde la pauvreté et del’exclusion sociale.

BIBLIOGRAPHIE :

(1) Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusionsociale, « Rapport 2000 »,Ed Documentation Française.Pour plus d’approfondissementsur les questions traitées dansle rapport voir également « Les travaux del’Observatoire 2000 »Ed Documentation française

(2) Stefan Lollivier ,« Inégalités et pauvreté :limites conceptuelles ettendances récentes »,Revue Française d’Economie,N° 3/2000

(3) Cf les travaux dusociologue Serge Paugam

Créé par la loi du 29 juillet 98relative à la lutte contre

l’exclusion, l’Observatoirenational de la pauvreté et del’exclusion sociale répond à

une triple mission : collecter,organiser et diffuser les

informations disponiblesconcernant la pauvreté, la

précarité et l’exclusion ;éclairer les phénomènes peuou mal connus ; améliorer la

collecte d’information

Dans son premier rapport annuel(1),l’Observatoire a voulu dresser unétat des lieux des connaissances :il a cherché à préciser et discuterles notions utilisées - pauvreté,précarité, exclusion - et donnédes estimations des phénomènesobservés .

1. Définir et mesurer lapauvretéTout d’abord – et c’est importantde le rappeler – aucune définitionde la pauvreté n’est universelle.Toutes les définitions reposentsur des conventions.Depuis près de vingt-cinq ans, lapauvreté est mesurée en France etdans les pays de l’Union Euro-péenne en termes relatifs à l’aided’un indicateur monétaire :« sont considérés comme pauvresles ménages dont les ressourcessont inférieures à la moitié durevenu médian, c’est à dire leniveau qui sépare la populationen deux groupes équivalents».Selon cet indicateur, entre 4,5millions et 5,5 millions de per-sonnes vivent en dessous du seuilde pauvreté (8 à 10% des ména-ges). Comme le rappellent régu-lièrement les statisticiens sanstoujours être entendus : « cetindicateur doit être compriscomme un indicateur relatif d’i-négalités. Si l’on double le niveaude vie de chacun, il y a toujoursautant de pauvres. Si le revenudes pauvres progresse mais moinsrapidement que le niveau de viemédian, alors le nombre de pau-vres augmente automatique-

ment. A la limite, si personne n’arien, il n’y a pas de pauvres… »(2)

A côté de cet indicateur monétai-re, d’autres indicateurs sont utili-sés pour définir et mesurer lapauvreté.L’indicateur de « conditions devie » se fonde sur une approchequi n’est pas uniquement moné-taire ; il prend en compte diffé-rentes dimensions de la vie cou-rante pour lesquelles les ménagesressentent des difficultés : confortdu logement, endettement, con-sommation, équipement… Autotal, 28 indicateurs élémentairessont retenus et regroupés engrands domaines : difficultésbudgétaires, retards de paiement,restriction de consommation,conditions de logement. Lesenquêtes régulières auprès desménages permettent d’établir lenombre de ménages confrontés àplusieurs types de difficultés.Ainsi, en 1999, 12,6% des ména-ges sont confrontés à un cumulde huit difficultés ou plus en ter-mes de conditions de vie. Avecun seuil de sept difficultés, ontrouverait 16% de ménages défa-vorisés et 9% si on avait retenuneuf difficultés.Enfin, on peut mesurer la pau-vreté à l’aide d’un indicateuradministratif, c’est à dire le nom-bre de ménages bénéficiaires del’un des huit minima sociaux, soit3,2 millions d’allocataires au 31décembre 1999 ou 5,5 millionsde personnes vivant dans un foyerallocataire. Mais cette mesure dela pauvreté est très influencée parla législation sociale. Toutes lespersonnes n’ont pas droit au RMI(les jeunes de moins de 25 ans,sans enfant, par exemple). Parailleurs, toute amélioration desbarèmes, toute extension desconditions d’attribution entraî-nent des augmentations des effec-tifs sans pour autant que la pau-vreté augmente. Enfin, les mon-tants alloués diffèrent selon lesminima, certains étant supérieursau seuil de pauvreté.

2. La précarité : des défini-tions mais pas de mesure.La précarité est plus difficile àdéfinir. C’est l’instabilité, la fragi-lité des situations. Elle renvoie àl’incertitude, aux aléas qui pèsentsur les individus. La précaritéconstitue un risque de pauvretémais les risques peuvent ne pas seproduire. Elle peut même êtrechoisie lorsque les individusdisposent de sécurités (patrimoi-ne, solidarités familiales) qui leurpermettent de faire face auxrisques. La précarité ne peut êtremesurée qu’en référence à l’insta-bilité des situations au regard demultiples dimensions : irrégulari-té des ressources, liens avec lemarché du travail, capital scolai-re, situations familiales, condi-tions de logement, santé…Il n’existe pas de mesure globalede la précarité en dehors de don-nées partielles relatives au marchédu travail (chômage, CCD,temps partiel contraint…), à lasituation familiale ou encore auxconditions de logement .

3. Définir et mesurer l’ex-clusion ?Si la précarité peut être définiemais non mesurée, la notion d’ex-clusion est d’emblée difficile à défi-nir. Il n’existe pas de définition sta-bilisée qui autorise la mesure et laconstruction d’indicateurs. Pourles instances du Conseil del’Europe « l’exclusion est la déné-gation ou le non respect des droitsfondamentaux et notamment desdroits sociaux ». Pour certains,cette définition peut sembler laplus opératoire. Toutefois, ellereste très discutée et de plus, elleest difficile ou quasi impossible àcerner et à mesurer dans un traite-ment statistique. En tout état decause, et tous les travaux de recher-che le soulignent(3), l’exclusion n’estpas isolée par une sorte de « cor-don sanitaire » de ceux qui seraientinsérés dans la société ; il y a uncontinuum de situations, unensemble de positions dont lesrelations avec le centre sont plus oumoins distendues. ■

Dossier : Précarité visible, précarités invisibles R

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Figures de la précarité au travail

Philippe DAVEZIESEnseignant chercheuren médecine du travail - Université Lyon 1 -

Précarité et exclusion posenten priorité la question de

l’emploi mais la précarisationdu travail ne se limite pas à

cet aspect : elle touchel’activité, même dans le cas où

l’emploi est préservé.Trois mécanismes distincts

y contribuent.

Le plus évident est le recourssystématique aux formes d’em-plois temporaires. Ceux-ci sontparticulièrement coûteux pour lessalariés. Les travailleurs précairesse voient, en effet, attribuer enpriorité les travaux inintéressants,pénibles ou dangereux. L’enquêtela plus documentée sur ce typed’emploi a porté sur 2500 salariésde la sous-traitance intervenantdans les centrales nucléaires(Doniol-Shaw, Huez, Sandret,1995)(1). Elle a montré que cessalariés recevaient 80 % des dosesde rayonnement supportées parl’ensemble des salariés interve-nant en zone contrôlée. Maisl’enquête soulignait aussi la préca-risation de leur activité : dans60 % des cas, celle-ci était sanslien avec leur formation initiale ;pour près de 37 %, c’était lapremière fois qu’ils réalisaient letype d’intervention pour laquelleils se trouvaient sur le site ; et35 % d’entre eux n’avaient pastravaillé auparavant avec la majo-rité des membres de leur équipede travail. Ces conditions dégra-dées sont à l’origine d’accidents,de maladies professionnelles,d’usure physique et de souffrance

psychique. Elles fragilisent vis-à-vis des phénomènes d’exclusionsur critères de santé, très puissantsau sein du monde du travail.

Un aspect moins connu desprocessus de précarisationconcerne le groupe ouvrier. Cegroupe professionnel a disparudu discours public. Lesétudiants en sociologie ou energonomie eux-mêmes sous-évaluent son importance, le chif-frant souvent en centaines demilliers alors que l’INSEE recense6,5 millions d’ouvriers. Dansl’opinion, le travail ouvrier n’estplus vu que comme une survi-vance de formes d’activitésarchaïques dans un monde voué àla dématérialisation des activités,à l’intelligence et à la communi-cation. Le groupe ouvrier est ainsisoumis à un processus de dévalo-risation symbolique et de disqua-lification (Beaud et Pialoux,1999)(2). La collectivité se représenteaujourd’hui le salarié engagé dansla production industrielle sousl’aspect d’un technicien pilotantdes robots. La réalité est biendifférente. Contrairement à ceque beaucoup croient, le travail àla chaîne n’a pas reculé au coursdes dernières décennies. Sur leschaînes de montage de l’automo-bile, il y très peu de robots etbeaucoup de salariés qui vissent,clippent, frappent, poussent,portent, .. Comme en témoigne l’explosiondes pathologies tendineuses

d’hyper-sollicitation, la réalité dutravail dans de nombreux secteursest aujourd’hui celle d’activitésrépétitives, déqualifiées, réaliséessous une pression temporellepoussée à son maximum. Enrevanche, la fierté liée au statutouvrier et les ressources identitai-res que conférait l’appartenanceau groupe ont disparu, ouvrant laplace au sentiment de dévalorisa-tion personnelle. Cette situationexplique le refus, parfois affirmépar les jeunes, d’une insertiondans de telles conditions.

Enfin, au-delà même des sala-riés à statut précaire et desouvriers, les phénomènes deprécarisation de l’activitémenacent la totalité des grou-pes professionnels, cadrescompris. La cause en est uneintensification du travail quitouche la totalité des secteurs.Partout s’exerce une pression àfaire plus, plus vite et avec moinsde moyens. A tous niveaux, lessalariés se trouvent confrontésaux contradictions entre lesexigences quantitatives portéespar la hiérarchie et les critèresqualitatifs sur lesquels ils enga-gent leur identité et donnent sensà leur travail. L’impossibilité defaire un travail de bonne qualitéest à l’heure actuelle le facteur defragilisation le plus répandu dansle monde du travail. Les appro-ches cliniques comme les enquê-tes quantitatives montrent qu’elleest généralement associée auxpathologies d’hyper sollicitation,aux manifestations de souffrancepsychique et aux diverses formesde décompensation et d’exclu-sion. Tous ces éléments contribuent àinstaller de nombreux salariésdans une situation de vulnérabi-lité objective et subjective que leretour à l’emploi ne suffira pas àfaire disparaître. ■

BIBLIOGRAPHIE :

(1) Doniol-Shaw G, Huez D,Sandret N Les intermittents du nucléaire.Octares Editions, Toulouse,1995.

(2) Beaud S, Pialloux MRetour sur la conditionouvrière. Fayard, Paris, 1999.

«...La fierté liée au statut ouvrier et les

ressources identitaires que conférait

l’appartenance au groupe ont disparu,

ouvrant la place au sentiment de déva-

lorisation personnelle...»

Dossier : Précarité visible, précarités invisibles

Processus de précarisation auféminin

Nathalie FRIGULSociologue, InsermE9905, CRESPUniversité Paris XIII(Bobigny).

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Les conditions de vie nouvellesimposées aux hommes et aux

femmes dans l’emploi sousl’effet des transformations du

travail(1) engendrent,on l’oublie souvent,

des souffrances psychiquesdont l’ampleur et les formes

sont encore aujourd’huipeu étudiées. [...]

Le temps partiel notamment, quitouche particulièrement les fem-mes, est une forme de contraintetemporelle subie qui, loin de lessatisfaire et quoiqu’en dise le senscommun, les obligent à unedisponibilité plus grande à l’en-treprise, aux détriments de la viefamiliale. C’est par exemple le casdes caissières d’hypermarchésmais aussi celui des ouvrières dunettoyage industriel et urbain oudes infirmières. La précaritésociale particulière liée à ces situa-tions professionnelles s’inscritdans la réalité des conditions detravail d’une part, dans celle de lacondition féminine d’autre part.Dans le couple, les femmes ontencore massivement à charge l’or-ganisation familiale et domes-tique. Celle-ci entre encontradiction avec les exigencesd’un travail salarié féminin quis’inscrit sur l’envers de l’emploidu temps des autres (travail denuit, en horaires décalés ou frac-tionnés qui obligent à des tempsde présence dans l’entreprise pluslongs que le temps de travail lui-même rendant par exempleimpossible, pendant la coupured’une heure et demie, le retour audomicile). Ensuite, leur participa-tion sociale au travail salarié estpeu valorisée : à emploi égal, lessalaires, les qualifications restentmoins élevés pour les femmes quepour les hommes. Les smicardessont aussi deux fois et demie plusnombreuses que les smicards.Enfin, elles se retrouvent plusfacilement en contrats précaires, à

temps partiel et au chômage(2).Ici, les processus de précarisationféminine sont peu questionnés enregard des parcours profession-nels. Même si des carrières se des-sinent, ceux-là restent fortementmarqués par l’alternance despériodes de travail temporaire etde chômage, des grossesses et del’éducation des enfants. Ces par-cours discontinus brisent souventles aspirations professionnelles(projet de formation ou de pro-motion, perspectives d’embau-che). La monoparentalité quitouche davantage les femmes queles hommes est un autre élémentpour comprendre les difficultéssupplémentaires qu’elles ont àréunir les conditions d’une éman-cipation professionnelle(3). Parailleurs, les pénibilités du travail(surtout les pénibilités physiquesou nerveuses typiques du travailindustriel féminin) cumulées auxévénements de la santé reproduc-tive sont peu évoquées pour com-prendre les phénomènes d’usureet de sortie précoces du travail (4). Cette institutionnalisation du tra-vail temporaire et du temps par-tiel féminin, associée à l’idéequ’ils sont les conditions légiti-mes par lesquelles les femmespeuvent exercer des tâchesdomestiques et familiales qui leurseraient “ naturelles ”, participe à

l’inscription d’un malaise socialchez celles, nombreuses, qui sou-haitent réaliser pleinement etréussir leur vie professionnelle.Ce malaise est peu analysé dansles souffrances psychiques qu’ilinduit et qui sont pourtant mani-festes lors des situations de rup-ture involontaire d’emploi et demise au chômage. La perte dutravail, si chèrement gagné etpayé de sa personne, est vécuecomme une situation humilianteet dégradante (5) et s’accompagnesouvent de symptômes soma-tiques (migraines répétées,insomnies, prise ou perte depoids, alopécie, dysfonctionne-ment thyroïdien, troubles diges-tifs), et/ou de réclusion audomicile. Ils traduisent des boule-versements profonds dans l’orga-nisation du temps, dans lesrelations familiales et de couplequi deviennent quelquefoisconflictuelles, dans les rapportsétablis aux institutions. De façonplus déterminante, ils exprimentune crise identitaire. Face à unesituation devenue précaire à toutpoint de vue (perte du salaire etde l’autonomie financière, pertede l’identité et du statut profes-sionnels…), il y a difficulté réellepour la femme à redonner du sensà une existence construite dehaute lutte sur le travail. [...] ■

BIBLIOGRAPHIE :

(1) Kergoat J., Boutet J., LinhartD. Le monde du travail. LaDécouverte. 1998.

(2) Kergoat D. « La division dutravail entre sexes » in Kergoat J.,Boutet J., Linhart D. Le mondedu travail. La Découverte. 1998.

(3) Portrait social. « Lesfemmes ». Contours et caractères.Service des Droits des Femmes,Insee. 1995

(4) Cottereau A. « Usure autravail. Destins masculins etdestins féminins dans les culturesouvrières, en France, au XIXèmesiècle ». In Le mouvement social.Les éditions ouvrières. Juillet-septembre, n°124. 1983.

(5) Frigul N. Penser le rapport autravail pour comprendre lechômage. Une analyse de laconstruction sociale de laprécarisation du travail et de lasanté. Thèse de doctorat ensociologie. Université RenéeDescartes. (Paris V). 1997.

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Adolescence et Société : unecrise peut en cacher une autre

Jean DARROTChef de servicede l’intersecteur depsychiatrie infanto-juvénile- Annecy -

n quart des adultes sansdomicile fixe n’habitaient déjà

plus chez eux à l’âge de 16 ans : lasouffrance dite «psycho-sociale»commence donc de bonne heure.Le qualificatif de psycho-socialest d’ailleurs un peu gênant oupléonastique, pour des soi-gnants dont la discipline estréférée à 1’unité psycho-socio-biologique de l’être humain. Lasouffrance s’inscrit toujoursdans une dialectique paradoxalefaite de ruptures et de confron-tations, interrogeant trois espa-ces plus ou moins imbriqués :l’intime d’un sujet, le privéd’une famille, le public d’unecommunauté sociale. A cesespaces correspondent troisniveaux de mise en tension eten perspective, avec leur dyna-mique propre, mais aussi leursempiétements, leurs chevauche-ments, leurs conflits et leursrésonances mutuelles. Exami-nons successivement ces diffé-rents espaces.

Tout d’abord, le malaise de l’a-dolescent : la souffrance intime.L’adolescence est un mouve-ment dynamique de maturationde la personne. Après la mise enplace très conflictuelle et tumul-tueuse des structures mentales,dès les premières années de lavie, l’enfant a connu entre 6 anset la puberté une période ditede latence, de déconflictualisa-tion propice au plaisir d’ap-prendre et de découvrir. Avec lapuberté et l’accès à un corps etun statut d’adulte, l’identitébascule à nouveau et plus rienne va de soi: des conflits se réac-tivent entre les aspirations dujeune, ses capacités physiques etsexuelles nouvelles, les limitesculturelles et sociales qui luisont opposées. C’est un état decrise, auquel inévitablementparticipe l’entourage. Car iln’est pas évident qu’on en sorte,et les parents la revivent à tra-

vers celle de leurs enfants. C’estvrai aussi des maîtres, des édu-cateurs et des soignants commede toute la communautésociale : d’où la crudité parfoissauvage des affrontements sur lethème de l’adolescence. Sur la fragilité propre à cettepériode de la vie, toutes sortesd’idées reçues circulent. Il estvrai qu’elle est dominée par desmenaces de déliaison : dans lapersonne de l’adolescentcomme dans son commerceavec ses proches. Il y a la des-tructivité, la précipitation dutemps, la fascination pour l’i-mage renvoyée par autrui, lesurinvestissernent de l’acte audétriment de la pensée, la péjo-ration de l’avenir social et pro-fessionnel, l’exaltation amou-reuse, l’ambivalence passion-nelle envers les parents... Toutcela est vrai. Mais ce qui rendl’adolescent fragile est beaucoupplus intérieur : ce ne sont pas lesévénements, c’est l’histoire qu’ilse raconte. Ce n’est pas que sonavenir soit fermé, c’est qu’il s’enconsidère indigne et coupable.Ce n’est pas qu’il ne soit pasaimé, c’est qu’il se trouve nul etsans charme. Ce n’est pas qu’ilait «la haine» contre le mondeadulte, c’est qu’il cherche àpunir en lui cette haine. Et dansles conduites suicidaires à cetâge, ce qui apparaît particulière-ment en souffrance, c’est l’es-time de soi, l’exercice de sacompétence à lutter, à s’autori-ser, à rêver.

Au delà de l’intime apparaît lemalaise de la famille : la souf-france privée. L’adolescence desenfants, c’est toujours la ren-contre et l’affrontement avecl’adolescence des parents, voiredes grands parents. Les famillesont bien sûr leur configurationpropre: crises conjugales, sépa-ration des parents, structuresmonoparentales ou famillesreconstituées, couples paren-

taux frileux ou isolés, parentsmalades mentaux, chômeurs oumarginaux, familles incestueu-ses, sévices... Tous ces dramessont tristement présents dansles facteurs qui favorisent lesconduites antisociales. Educa-teurs, enseignants et soignantsont à y prêter attention pouroffrir une aide quand le risqueest repéré. Le recours à un tierspeut être décisif pour rompre deprétendues malédictions trans-générationnelles : parents battusdevenant maltraitants etc... Ilest toujours temps de «dé-clôtu-rer» de telles répétitions. Ce quiest plus étrange, c’est de voircertains jeunes réactiver desconflits qui étaient ceux desparents avec leurs propresparents et plus précisémentceux de ces conflits qui ont étécachés, comme mis en réservepour la génération suivante.Plus étrange encore : ce sont lestraumatismes les plus profondset les plus archaïques comme lesincestes qui ont tendance à êtreplutôt transmis de la sorte quemis en représentation ou résolusdans le conflit. Alors souvent,dans la souffrance endosséeconfusément par un adolescent,vient affleurer une souffranceininterprétable car venue d’ail-leurs : identité personnelle etidentité familiale sont icifusionnées. La conduite suici-daire vise alors à une séparation,une libération ou une rupturequi n’ont pas pu se faire avant.C’est souvent à ce type de pro-blématique que les famillesrésistent le plus fortement, reje-tant et isolant l’adolescent quisouvent assume délibérément cestatut de bouc émissaire.Certaines trajectoires d’immigra-tion y sont propices. Il est clairqu’en pareil cas ce sont lesfamilles qu’il faut aider : rien nesert de prodiguer isolément dessoins quand la violence n’est pasrepérée dans son origine. Le para-tonnerre ne sait rien de la foudre.

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Dossier : Précarité visible, précarités invisibles

Adolescence et Société : une crise peut en cacher une autre (suite)

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Troisième dimension à prendreen compte, la maladie des lienssociaux : la souffrancepublique.Les jeunes sont aujourd’huil’objet de mouvements passion-nels : tantôt sacralisés, tantôtdiabolisés... Les familles égale-ment : tour à tour sanctuaires,creusets de l’ordre culturel oufossoyeurs des garanties sécuri-taires quand on en appellenoblement à la responsabilisa-tion des parents. Un exemple :une jeune fille de 15 ans,récemment hospitalisée pourune tentative de suicide, révèlesa détresse en présence de samère. Ces deux femmesvivaient seules dans une préca-rité digne et discrète mais quo-tidienne. Avant Noël, la jeunefille succombe à une campagnepublicitaire particulièrementciblée sur les jeunes pour l’achatd’un pack téléphonique. A lasouscription du contrat on s’a-vise qu’elle est mineure : on luiréclame simplement la carte d’i-dentité photocopiée de sa mèreet on recueille sa signature. A lapremière facture, la mère qui n’apas un sou l’accable de repro-ches puis cherche à faire annulerle contrat. L’agence et le com-merçant exigent alors de la mèreun dépôt de plainte contre safille, ce qu’elle refuse. A la gen-darmerie, qu’elle consulte mal-gré tout, personne ne s’avise del’illégalité d’une telle procédure.Pour ces deux femmes quelquechose s’est brisée. Les jeunes, dont on invoqueavec compassion le malaise etles difficultés d’insertion, ontune place de choix sur le mar-ché de la consommation : on laleur concède sans état d’âme etles techniques de vente sontautrement plus efficaces que lesprogrammes éducatifs. Quandil s’agit de les secourir, on faittrès peu d’efforts pour faciliterl’accès des jeunes aux soins. Lagravité des tableaux dépressifs à

cet âge est unanimement invo-quée mais les dépressions sontencore très rarement diagnosti-quées. La plupart des antidé-presseurs sont réputés contreindiqués chez les enfants, petitset grands, comme les antal-giques étaient refusés auxenfants jusqu’à une période trèsrécente. Sur le prétendu«monde de l’enfance», la sociétése raconte des histoires et desboniments lénifiants : dans lapratique sociale, on ne leur faitpas de cadeau. Il y a là, vérita-blement, une duplicité collec-tive. A travers l’histoire, l’affronte-ment des générations a toujoursexisté. Dans la Républiqued’Athènes, ancêtre des démo-craties occidentales, les statutssociaux étaient étroitementcodifiés . Entre la Cité et la péri-phérie, l’affiliation de l’autre à lacommunauté faisait l’objet d’untraitement cultuel ritualisé.Pour chaque catégorie «d’étran-ger», une divinité médiatisait larencontre : la Gorgone pour leBarbare, Artémis pour lafemme, Dionysos pour le jeune.Rien ne subsiste aujourd’hui deces procédures d’initiation et lesstatuts sociaux sont plus flous,les différences mal jalonnées, lesidentités incertaines. Entre lecitoyen et le pouvoir, l’étrangeret l’indigène, l’homme et lafemme, l’adulte et l’adolescent,«pareil» et «pas pareil» ne sontplus reconnus dans leurs distan-ces ni dans leurs rencontres. Or,l’adolescence, c’est l’expériencede se reconnaître pareil à soiquand on change pour devenirgrand. Chacun est alors amenéà intérioriser, dans sa culpabilitépersonnelle, les tensions que lasociété ne ritualise plus. Si telle est bien la situation,alors reconnaissons, en dépitdes imprécations médiatiques,que les jeunes d’aujourd’hui nevont pas si mal et qu’ils seraientmême plutôt sages. Tout le

bruit qu’on leur prête n’est nitrès nouveau, ni vraimentgrave : les banlieues et leurs vio-lences, rapportées aux violencesdu marché, ce n’est pas la guerremondiale ! Soigner la «souffrance sociale»nécessite de travailler à tous lesniveaux à une révision des pers-pectives, convoquer les compé-tences respectives et lesflexibilités du jeune, de lafamille, du groupe social, quitteà organiser pour un temps lestensions. Il s’agit donc de créerdes cadres de négociation pourcontenir les angoisses et les éla-borer ensemble. De tels cadresdoivent être clairs et les man-dats bien délimités : éducatifs,sociaux, judiciaires, thérapeu-tiques. Dans la multitude desdispositifs et dans nos milieuxen perpétuelle recherche, tou-jours sollicités par la nécessitéd’agir, la confusion nous guette.Il est urgent d’y résister. Car c’est à ce seul prix quepourra être représenté et penséce qui est en train de se fairedans les strictes limites de nosmandats respectifs : ce seraitdéjà prendre soin de nos jeunes.Mais au delà, un autre chantierpourrait s’ouvrir : rechercheraux confins de nos logiquesprofessionnelles autorisées, desespaces de rencontres et d’éla-boration où la dynamique del’adolescence en devenir, avecses doutes et ses incertitudes,apporterait toute sa force poli-tique à la maturation culturelledu groupe social. L’enjeu d’untel chantier serait alors le soinoffert par les jeunes à l’adoles-cence de la société. [...]La mise en pensée, valeur ajou-tée spécifique à la psychiatrie,convoque bien un acte de fon-dation d’une part, un acte derésistance d’autre part. C’estdire que le soin psychiatriqueest une activité politique. ■

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BIBLIOGRAPHIE :

(1) je renvoie sur ce point auxtravaux de Denis Sa]as,Antoine Garapon - «La justicedes mineurs, évolution d’unmodèle» LGDJ et EditionsBruylat, 1995.

(2) Cf. Hugues Lagrange« Reconnaissance, délinquanceet violences collectives »,Esprit, Octobre 2000.

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Judiciarisation des adolescents difficileset souci thérapeutique

Nadia ZEGHMARDirectrice de Service de la Protection Judiciairede la Jeunesse régionRhône-Alpes

Par essence et par tradition, lajustice des mineurs est

sensible à la question desconflits intra psychiques dans

la genèse des conduiteshumaines et rompue

à l’analyse des comportementsindividuels rapportables à des

difficultés socialeset psychologiques.

Dans ce champ particulier, lanotion de souffrance psychique faitsens dans la logique de l’accompa-gnement éducatif d’un mineursocialement démuni et psychologi-quement éprouvé, qui exprime sasouffrance dans tous les registres,du comportement suicidaire à latransgression délibérée des règles devie en société. La démonstration que la souf-france psychique est prise encompte dans le regard porté surles adolescents difficiles n’estplus à faire, mais elle n’est pluscentrale dans le débat sur le traite-ment de la délinquance juvénile aumoment où la question de l’insécu-rité occupe le devant de la scènepolitique. Toute une dimension de la situa-tion actuelle au regard des évolu-tions de la délinquance juvénileéchappe au schéma classique : lesphénomènes de «violences urbai-nes» renvoient à l’apparitiond’un nouveau type de délin-quance, «la délinquance d’exclu-sion» et ne donnent pas prise à deslectures en termes de précaritépsychique(1).Dans un cadre tracé par la questiondite des « zones de non droit » etl’évocation sans cesse réitérée desquartiers sensibles, la souffrancepsychique des adolescents n’a plusdroit de cité, ou plus précisément,elle n’est plus un enjeu dans ledébat public qui se tourne vers lavalorisation des logiques decontrat, la sécurisation des espaceset le renouvellement urbain. Ce n’est pas seulement une délin-quance collective et territorialiséeque l’on opposerait à des actesdélictueux individuels car il s’agit

en fait d’autre chose, qui laisse biendémuni les modes classiques d’ap-proche du travail social associant àchaque sujet inquiétant une nuéede professionnels.

Cette délinquance n’est pas acqui-sitive ou prédatrice. Elle ne vise pasdirectement les biens, elle est tropbruyante et visible pour s’accom-moder de la seule logique des« business » souterrains ; elle a sur-tout la particularité de s’inscriredans des fonctionnements de ban-des dont le ressort tient à la provo-cation collective et ostensible desreprésentants de l’autorité surfonds de destruction et de dégrada-tions matérielles, quand il ne s’agitpas de la mise en scène de violencescollectives dans les temples de lasociété de consommation...Si la production massive des illéga-lismes est le fait d’une populationde jeunes de quartiers périphé-riques faisant irruption sur desespaces publics fortement médiati-sés de centre ville, il semble que ladimension politique et symboliquedes phénomènes dits de «violencesurbaines» ne peut plus être occul-tée.

Focalisé sur la (re)définition desmodes adéquats de sanction desconduites délictueuses ou sur lanécessité de produire de “nouvel-les” formes de prise en charge despopulations déviantes, le débatpublic passe à coté du caractèreexpressif de ces agissements. Iloublie que si tout l’art de la «copro-duction de la sécurité» est aussi l’artde la cogestion du conflit, le préala-ble est bien de nommer le conflit etde qualifier ces acteurs. Les analyses portées en termes descénarios de lutte pour la recon-naissance(2) nous apparaissent à cetégard particulièrement fécondes.Elles nous rappellent qu’à l’ambi-tion fortement déterminée dereconquérir l’estime de soi cor-respond la «carrière délinquante»comme moyen illégal de rester à lasurface sous peine d’être pris dans

le processus de la disqualificationsociale, scolaire, culturelle, symbo-lique et spatiale.

L’exigence de reconnaissance per-sonnelle par des « autrui significa-tifs » s’ouvre sur des codes del’honneur particuliers, mélanged’individualisme consumériste, decomportements grégaires fondéssur la défense du territoire et del’honneur du groupe, et de valori-sation de la masculinité par la vio-lence, en rupture avec la culture despères (notamment ceux issus del’immigration), et en décalage avecl’accès aux gratifications socialesdes jeunes issus des classes moyen-nes et supérieures. La fabrique délinquante témoignede processus de stigmatisation etd’humiliation dans la dynamiqued’une interrelation entre groupesbien plus que d’une «sous culture»émergente dans des zones de relé-gation territoriale.

A l’horizon de ces évolutions, d’unepart, une transformation déjà encours des modes d’action de la jus-tice des mineurs visant à produiresous la férule du parquet un traite-ment de masse de la délinquancejuvénile ; d’autre part, une explo-sion du marché de la sécurité privéeet de l’offre publique de média-tion.. .La notion de souffrance psychiqueentre en résonance avec le champde la justice des mineurs mais elleest absente des réflexions sur lesnouvelles formes de la délinquancejuvénile. C’est moins sa pertinencequi est à interroger que notre cécitéà ne prendre en compte ses phéno-mènes que sous l’angle pénal, tra-duisant en cela une évolution àl’américaine dans les diagnosticscomme dans les solutions inspiréespar le credo de la tolérance zéro

Il est donc urgent de renouvelernotre analyse, sous peine d’inventersans cesse des solutions à des pro-blèmes que nous n’avons pas pris lapeine de circonscrire. ■

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Dossier : Précarité visible, précarités invisibles

Souffrances d’étrangers

Pierre BELMANTChargé de mission à laFNARS (FédérationNationale des Associationsd’Accueil et deRéinsertion Sociale)

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Depuis quelques années, lescentres d’hébergement ou

d’accueil du réseau Fnars sontamenés à recevoir des étran-

gers, soit des demandeurs d’a-sile primo-arrivants, soit desirréguliers, en raison de l’en-

gorgement du dispositif natio-nal d’accueil des demandeurs

d’asile. Ces lieux d’accueil sonten quelque sorte une salle de(longue) attente, où la souf-

france peut se révéler.

Pour les demandeurs d’asile (quisont réguliers, rappelons-le…),cette attente est une périodeangoissée par l’incertitude durésultat des démarches : en gros 15% de réponses positivespour les demandeurs d’a-sile politique, nettementmoins pour l’asile terri-torial.Mais aussi par beaucoupd’autres choses.La peur est toujours pré-sente : peur des refusadministratifs et de leursconséquences, peur deperdre l’anonymatquand on a une « fatwa » sur satête, peur des passeurs mafieux quipeuvent toujours les retrouver etles faire « chanter », eux ou leurfamille restée au pays.

L’angoisse générée par la peur estparfois renforcée par d’autres élé-ments, tels que l’absence de nou-velles de ceux qu’on a laissé aupays, la difficulté de donner desnouvelles, ou certaines nouvellesmêmes : la maladie ou ledécès de proches, parexemple, avec l’impossi-bilité d’aller faire sondeuil ou apporter sonsoutien sur place.

Le désenchantement s’ajoute àcette angoisse de l’avenir. LaFrance n’est pas tout à fait cellequ’ils croyaient… les français nonplus.S’apercevoir que l’arrivée enFrance n’est pas la fin du voyage,mais le début d’une très longue etincertaine attente. Découvrir l’ad-

ministration française et ses méan-dres. Se frotter à la xénophobieparfois vivement exprimée par leshébergés « franco-français » du lieumême où ils se trouvent, commepar certains guichetiers, commer-çants, voire passants ordinaires, etmême par certaines affiches électo-rales. Réaliser l’ampleur de la bar-rière de la langue et des différencesculturelles. Ne pas pouvoir tra-vailler, avoir le sentiment de gâcherses compétences, s’ennuyer. Et en plus, gérer les souvenirs. Lesouvenir de tout ce qu’on a laissé,bien sûr, mais aussi de tout cequ’on a vécu pour en arriver là.Tous ont connu les passeurs plusou moins mafieux leur imposant

un périple souvent risqué. Certainsont subi personnellement des for-mes violentes de répression, et engardent des traces dans leur corpset/ou dans leur tête : prison, tortu-res, sévices divers, pertes de pro-ches du fait de cette mêmerépression.D’autres sont « seulement » desréfugiés économiques, mais çan’est pas rien, après tout.Pour les « sans-papiers », quelle

qu’en soit la cause, vient s’ajouterla peur des contrôles, ou de la déla-tion, de l’incarcération ou de larétention, et de l’expulsion, poursoi et pour ses proches : aller dansun lieu public est vécu comme undanger.Tout cela n’est pas sans répercus-sions sur la santé, aussi bien phy-

sique que psychique. Somati-sations, états dépressifs, symptô-mes divers, notamment douleurset insomnie, bien sûr. Mais aussid’autres formes plus masquées :demandes de « bilans » de santéqui sont aussi des demandes derelation, de « réparation », dereconnaissance de la souffrance.Demande de « certificats »,indispensables pour certainesdémarches, certes, mais aussi pou-vant s’inscrire dans une sorte demythe de la preuve à fournir pourêtre reconnu réfugié « politique »,et non économique. Cela peutintroduire une relation au médecinparticulière, cette demande de cer-tificats étant la conséquence de la

suspicion, voire de la néga-tion, de la parole desdemandeurs d’asile, queseule la « parole » du méde-cin au travers de son certi-ficat pourrait valider. Maiscomment certifier les« cicatrices psychiques »pour ceux qui n’ont pas detraces corporelles desévices ?Bien plus même, si la

Convention de Genève parle de« menaces de persécution », larecherche quasi mythique de la cer-tification de preuves de tortureaboutit parfois à une ambiguïté : àvouloir « absolument » être reconnu« exilé-torturé-malade », pour pou-voir être admis et reconnu commeréfugié, on se fait étiqueter de« malade-réfugié », au risque par-fois de s’inscrire soi-même danscette inversion sémantique.

Cela pose la question dechoisir, pour le médecin,entre être le thérapeute etl’expert, celui qui écouteles souffrances, ou celuiqui « certifie » … ou non,

et permet, ou non, de rester enFrance. Cette « certification »demande une distance que ne per-met pas la prise en charge théra-peutique. Mais la prise en chargeelle-même demande un minimumde prise de distance, avec une dosesuffisante d’empathie en prime. ■

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Madame Y est en France avec ses 5 enfants. Selonelle, son mari est « mort dans une répression poli-tique ». Malgré cela, elle n’a pas obtenu le statut deréfugiée. Mais on ne peut l’expulser avec ses enfantsmineurs. Son angoisse essentielle est que son aîné vabientôt avoir 18 ans, et qu’elle le voit déjà pris par uncontrôle et expulsé. Et elle se projette dans un avenirredouté fait de l’expulsion de chacun de ses enfantsdevenus majeurs, jusqu’à ce que son tour viennequand le cadet sera majeur… « Comment dormir ? »,dit-elle…et comment la rassurer tout à fait ?

Monsieur et Madame X sont ingénieurs en informa-tique, en attente de décision de l’OFPRA ; ils nepeuvent travailler, le CHRS, centre d’hébergement etde réinsertion sociale, doit les héberger mais nepeut les insérer… ils s’occupent en faisant de l’initia-tion à « Windows » et internet… mais quel gâchis !

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Force et fragilité des familles «en transit»

Bernadette RIMBES Présidente del’Association Domino69380 Civrieuxd’Azergues

Depuis seize ans, Dominoaccueille, de manière tempo-

raire, des familles en difficulté,plus spécialement des deman-deurs d’asile et des étrangers.

Dans le but même de l’associa-tion semble inscrite la précarité :« temporaire », « en difficulté »,« demandeur d’asile », « étran-gers » ; ces mots ne représentent-ils pas spontanément deséléments de ce qui pourrait défi-nir des situations précaires ? Pour toutes les familles, fran-çaises ou étrangères, quel quesoit leur statut, l’arrachementd’un lieu, d’une situation,même difficile, ébranle profon-dément. Langue, points derepère, coutumes, climat, envi-ronnement affectif, culturel etc ...sont bouleversés. Le paysage exté-rieur prend les couleurs du désar-roi intérieur. Le vent dans lesgrands arbres de la propriété quientoure la maison rappelle, pourcette petite fille algérienne de 5ans, le bruit et la fureur de l’arri-vée de ceux qui viennent piller,saccager, tuer.Le déracinement culturel créeune perturbation importantedans l’appréhension et la compré-hension de la nouvelle réalité àvivre. La confrontation avec d’au-tres façons de penser, de vivre,déstabilise en profondeur. La sim-plicité de vie antérieure, voire lapauvreté, n’a pas permis de sefamiliariser avec d’autres « mon-des », même pas par les livres oula télévision.

Les changements brutaux, peupréparés, peu parlés, entraînentdes malaises profonds qui pertur-bent l’équilibre personnel déjàmis à rude épreuve par le quoti-dien : la nourriture, le climat , lesodeurs, les saveurs etc ... Il fautfaire face trop rapidement à unequantité de nouveautés dont cer-taines vous réjouissent, mais dont

beaucoup d’autres vous agres-sent !L’adaptabilité plus immédiate desenfants n’est pas sans créer un cer-tain trouble chez les parents plusspécialement chez les mères carune distance supplémentaire estintroduite entre elles et leursenfants. L’apprentissage du fran-çais, par exemple, se double chezles enfants d’une moins bonnepratique de la langue maternelle.Nous pourrions encore réperto-

rier d’autres éléments porteursd’éloignement, de séparation …

Les bouleversements culturels,rapides et profonds, n’épar-gnent pas les croyances reli-gieuses de chacun. A qui seraccrocher puisque le Dieu lui-même auquel on croit, subitaussi, des changements radicaux ?Etre musulman de France, deMacédoine, de Guinée oud’Algérie ne recouvre pas lamême réalité. Ce qui aurait puparaître, a priori, stable et solide,point de convergence et lieu decommunion, devient à son tour,cause de dissension avec les autreset de distorsion pour soi-même.Ce qui est vrai pour les musul-mans l’est autant pour les chré-tiens ; être chrétien assyro-

chaldéen de Turquie ou d’Irak nepermet pas de rentrer facilementen dialogue avec des chrétiens deFrance, ou baptistes d’Afrique … Arrachement et déracinemententraînent tant d’éclatement, dedispersion, d’émiettement, qu’ilfaut avoir soit une dose d’utopie,de rêve, peu commune, soit unecertaine inconscience, soit lesdeux, pour pouvoir résister auchoc, avons nous constaté.Plusieurs des familles accueillies

arrivaient de pays où la violencefaisait rage. Venant duCambodge, du Congo, duKosovo ou d’Algérie on peut par-fois garder jusque dans sa chair,mais sûrement dans son esprit etdans son cœur des plaies lentes àse cicatriser. Pourquoi tant dehargne, de violences verbales etautres, chez d’adorables fillettescongolaises ? Mais peut-il en êtreautrement quand on a été témoind’exactions de toutes sortes.Même constat pour des enfantsfrançais qui ont vécu des violen-ces familiales. Autre facteur de précarité : l’in-certitude face au lendemain. Endistinguant les adultes et lesenfants. Ces derniers dès qu’ilssentent que la situation se stabi-lise (qu’est-ce que le «temporaire»10

«...Nous avons constaté ce mélange

de solidité et de précarité, de stabi-

lité et de mouvance. Les femmes sur-

tout, françaises et étrangères, nous

ont paru porteuses de ces aspects

assez paradoxaux...»

Dossier : Précarité visible, précarités invisibles

Force et fragilité des familles « en transit » (suite)

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pour eux ?) reprennent vite lescomportements habituels de l’en-fance. Le fait d’être pris dans unréseau plus large que leursparents, les libère, pour une part,d’être sans cesse confrontés auxinquiétudes immédiates de cesderniers. « On ne parle pas tou-jours de ce qui ne va pas » ont punous dire de jeunes irakiens de 8à 14 ans. Un appel d’air se créé,en quelque sorte, et leur permetde mieux respirer.

L’incertitude des adultes porte surla quasi-totalité de leur vie. Pourles familles étrangères, à cesmêmes incertitudes parfois,s’ajoutent celles-ci préoccupantes,taraudantes : aurons-nous le droitde rester en France ? Nous met-tra-t-on à la porte d’ici, deFrance ? Faudra-t-il après un telpériple repartir à la case départ ?Tout cela pour rien ? Le temps laissé par l’absence detravail, de relations, de loisirs cul-turels ou autres, ne peut être vala-blement rempli. Les propositionsd’activités ne soulèvent pasenthousiasme et participation.Dans sa tête, dans son cœur, c’estencore et toujours le transit, on

est hanté par hier, happé pardemain, aujourd’hui n’est que levecteur pour passer de l’un à l’au-tre. Tout ce qui précède représente laface sombre, mais il y a aussi laface lumineuse. On ne choisit pasde quitter son pays, de traverserles frontières, de franchir lesdéserts et les mers, de faire desdettes auprès de ceux qui, enFrance, nous ont aidé, si on n’apas une solidité réelle, un vouloirvivre fort, une résistance à touteépreuve. Voilà bien le contraire dela précarité ! En effet nous avons constaté cemélange de solidité et de préca-rité, de stabilité et de mouvance.Les femmes surtout, françaises etétrangères, nous ont paru porteu-ses de ces aspects assez para-doxaux. Elles semblent subirl’éclatement de la famille ou ledépart du pays et en même tempsce sont elles, dans la majorité descas, qui sont l’axe de la recons-truction : elles tiennent, elles tis-sent les liens nouveaux et vitaux.Les hommes ont pris les déci-sions, les femmes les assumentdans le quotidien, serions-noustentés de dire. La présence des

enfants n’est sans doute pas sansimportance pour expliquer cesursaut des femmes.

Loin de nous ériger en principe,un simple constat : en situationdifficile , ce n’est sûrement pas leconfort qui est le besoin premier,mais la chaleur humaine, la proxi-mité, tout ce qui peut permettrede reconstituer le tissu familial,social. Ce qui est ressenti commedispersion, isolement, est porteurd’une menace.Précarité et santé mentale, tel aété le fil conducteur de cesquelques réflexions à partir del’expérience. La précarité peut seprésenter sous différentes formes.Celles dont nous avons ététémoins est temporaire, une issuepeut-être entrevue, si ce n’estimmédiatement trouvée. Il n’em-pêche que certains, peu nom-breux parmi ceux que nous avonsconnus, n’y résistent pas. Qu’ensera-t-il donc pour celles et ceuxdont les situations semblent s’é-terniser ? Quels soutiens, quelenvironnement, quelles média-tions pourront leur permettre dene pas sombrer ? ■

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Dossier : Précarité visible, précarités invisibles R

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Droit formel des malades mentauxet risque d’abandon

Jacques HOUVERCadre socio-éducatifC. H. Le Vinatier69500 Bron

*GIA : GroupementInformation Asile

** FNAP Psy : FédérationNationale des Associationset ex Patients en Psychiatrie

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« Découverte par un huissier unan après sa mort »

C’est le titre qu’affichait récem-ment un quotidien relatant ladécouverte d’une femme de 57ans, dans son appartementHLM, par un huissier venu luiréclamer ses loyers impayés. Lamalheureuse, momifiée sur lesol, était décédée depuis plusd’un an dans la plus absolue dessolitudes.

« Je lègue mes biens aux pompierset aux policiers qui feront l’en-quête », tel est le dernier messagelaissé par cette personne quivivait avec une allocation pouradultes handicapés.Elle avait bénéficié dans le passéd’un suivi psychiatrique ambula-toire.Pas de famille, pas d’amis, pas devoisins pour s’inquiéter de sadisparition, perte de contactavec l’équipe soignante, boîteaux lettres qui déborde de factu-res impayées et de recomman-dés, disparition de la file activedu secteur, service minimum desfunérailles prises en charge par laville, inhumation dans le carrédes indigents et des anonymes.

Chaque professionnel de la psy-chiatrie connaît des faits simi-laires et mon propos n’est pas derechercher des responsabilités.Mais cette triste histoire illustrel’isolement total dans lequelpeuvent vivre certaines femmesou certains hommes malades quin’intéressent personne , en2001, au sein d’une sociétéconfrontée à de multiples phé-nomènes d’exclusion frappantcertains groupes de la popula-tion.La désinstitutionnalisation despatients psychiatriques et l’é-volution du mode de leur priseen charge est loin d’avoir sou-lagé toutes leurs souffrances et

apporté une meilleure qualitéde vie à l’ensemble d’entre eux.En 1975, une « charte des inter-nés » était publiée par un collec-tif d’associations dont le GIA*,regroupant des personnes psy-chiatrisées et des travailleursmilitants (soignants ou non)engagés dans une lutte visant àconquérir les droits démocra-tiques les plus élémentaires pourles personnes internées et rom-pre leur isolement.

A partir de 1983, le Conseil del’Europe s’est engagé dans lapromulgation d’une longue listede recommandations invitant lesgouvernements à développerune politique en matière desanté mentale respectant mieuxles Droits de l’Homme, rappro-

chant les lieux de soins des lieuxde vie des populations, s’enga-geant vers une disparition desconcentrations asilaires.A partir de 1985, la France s’estprogressivement dotée d’outilsqui devaient favoriser cette évo-lution.Mais en décembre 2000, laFNAP Psy** et la ConférenceNationale des Présidents deCME des CHS éprouvent toutde même le besoin de rappelerdans une « charte de l’usager ensanté mentale » que cet usager

est une personne à part entière,une personne qui souffre, qui doitêtre informée, qui doit participeraux décisions la concernant, unepersonne responsable, citoyennequi doit être aidée à sortir de sonisolement. Cette charte reven-dique que soit développée à l’in-tention des usagers une politiquevisant à véhiculer une imagemoins dévalorisante de la maladiementale, afin de favoriser l’ inser-tion sociale et professionnelle de cespersonnes trop souvent victimes dediscrimination.

Malgré les avancées de la chi-miothérapie et le développe-ment de dispositifs de plus enplus déployés au sein de la com-munauté, certains malades men-taux, notamment ceux souffrantde troubles sévères et persistants,sont confrontés à des difficultésspécifiques limitant leur inser-tion sociale et leur intégrationdans la société.

Beaucoup de ces personnesconnaissent de longues périodesde blocage alternant avec despériodes de crise.Ce blocage atteint le rapport auxautres et peut conduire ces per-sonnes à s’isoler de plus en plus,à couper la communication avecautrui. Il est source de manquede concentration, de perte deconfiance en soi, de sentimentque tout échappe, de repli, detristesse, et de désespoir.Les crises engendrent des chan-gements profonds dans la vie,provoquant des détériorationsparfois irréparables : perte del’emploi, du logement, incapa-cité de prendre soin de soi, degérer la vie quotidienne, divorce,éloignement des enfants, aban-don de la part de l’entourage etdes amis, débordement total,souffrance condensée insuppor-table, confusion, et parfois pertetotale de l’autonomie.

(suite page 13)

13

-Jean-Paul CARASCOInfirmier psychiatriqueRéseau «Souffrances etPrécarité»Hôpital Esquirol94000 St Maurice

Sur le terrain des Pratiques

Il s’agit là d’une pratique nouvelletrès marginale pour la plupart desinfirmiers.Le plus souvent, la personne n’estpas demandeuse de cet entretien,ni de soins.

■ La présentation, le nom,mais aussi la fonction et le rôledans l’institution permettent desituer clairement le niveau auquelse situera la relation. Il ne s’agitpas de venir compatir ou conso-ler, mais bien de proposer uneévaluation et un soin du domainedu psychologique. « Je me suis rendu sur place unepremière fois avec un véhicule duSAMU social permettant ainsi àNicole d’identifier immédiatementmon appartenance institutionnelle.Je me suis présenté par mon nom,mais aussi surtout par ma fonction,tant il me semblait important pourla suite de la prise en charge éven-

tuelle qu’elle sache qu’elle avait àfaire à un infirmier psy ».

■ Le respect du rythme del’autre : une relation ne sedécrète pas unilatéralement, elles’instaure. Il s’agit de gagner laconfiance, mais aussi de faireconfiance.« Lorsque je lui ai dit que je revien-drai la voir, je lui ai donné unrepère dans le temps (le même jour,une semaine après) en spécifiant laplage horaire (après-midi). J’aivolontairement mis un laps detemps relativement long afin de nepas être sur un registre persécu-tant ».

■ L’observation tient ici unrôle primordial en l’absence dedialogue, mais elle est en généralune précieuse source de rensei-gnements. Ce que nous voyonsnous parle.

« Je notais quelques détails : malgréla saison, elle portait un bonnet delaine qui recouvrait les oreilles. Cequi me frappa, par ailleurs, c’était sapropreté et l’occupation ordonné del’espace (linge séchant sur un cartondevant la ventilation, aménagementde la poubelle en table, ses sacscachés dans le bac à fleurs ».

■ Enfin, l’évaluation. L’entre-tien n’est pas un but en lui-même ; il peut y avoir mieux àfaire, parfois, que de le poursui-vre. On peut en effet juger qu’uneprise en charge médicale ousomatique s’impose.« Il fallait accepter que nos rencon-tres ne conduisent pas tout de suiteà une prise en charge psychiatrique,évaluer l’état somatique, faire lapart entre sa souffrance, sa liberté,sa possibilité à demander de l’aide.Je me fixais à chaque fois un objec-tif minimum. ».

L’entretien dans la rue

BIBLIOGRAPHIE :

Extraits de « Pratique del’entretien infirmier »Collection souffrance psychique etsoins , Ed Masson, déc.2000

Droit formel des malades mentauxet risque d’abandon (suite)

L’évolution de la pathologieentraîne alors chez la personneune vulnérabilité occasionnantdes pertes au niveau psycho-social. Elle conduit à des détério-rations, des déficits, deshandicaps majorés par différentsévènements stressants (faiblessedes revenus, conditions d’héber-gement ou de logement mauvai-ses ou inadaptées, alimentationmal équilibrée, chômage dansune société valorisant le tra-

vailleur performant, isolement,rejet social, stigmatisation...).

Certains, contraints de suppor-ter ces souffrances sans une aideadéquate ou suffisante, ont lesentiment de ne pas avoir trouvédans la psychiatrie un espace d’é-coute dont ils avaient besoin. Ilsse détournent alors des soins etdes divers supports sociaux pourplonger dans un isolement total,un mal de vivre tellement insup-

portable qu’ils poussent certainsà remettre en cause la vie elle-même.La réflexion sur l’accompagne-ment, le soutien social , la néces-sité de développer unmouvement d’entraide en faveurdes patients psychiatriques, usa-gers et citoyens, doit aussi deve-nir une priorité dans le champde la lutte contre les exclusions.■

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-Le coin du Clinicien

De l’exclusion pathogène au syndrome d’exclusion

Tout groupe humain fonctionneà l’exclusion et à l’inclusion.

Ceux qui y trouvent place (lesinclus) se définissent et se recon-naissent entre eux à partir de carac-téristiques communes fixéesconventionnellement. Ceux qui neprésentent pas ces caractéristiquessont exclus et leur exclusion n’estpas pathogène. Il y a un seul groupe auquel on nepeut pas ne pas appartenir et quel’on ne peut absolument pas quit-ter de son vivant : le groupe naturelque constitue la famille humaine. Al’intérieur de ce groupe, les démo-craties constituent autant de sous-groupes au sein desquels, au nomde la fraternité, chaque citoyen sedoit de posséder sa place :- Place dans la réalité concrète.- Place dans le champ des échangessymboliques : tout citoyen est l’in-terlocuteur potentiel de tous lesautres qui le reconnaissent commeleur égal et leur semblable.

Ici l’exclusion est pathogène parcequ’elle est liée à l’escamotage de laplace de certains citoyens : les laisséspour compte de l’Economie. Bienqu’ils soient toujours officiellementdes citoyens à l’égal des autres, ils seretrouvent illégitimement dans unespace virtuel situé en deçà des limi-tes de l’humanité mais au-delà leslimites de la société des inclus dontl’accès leur est interdit de fait (fautede place).Les exclus perdent leurs moyensd’existence (même si le RMI lesaide un tant soit peu) et leursmoyens psychologiques car ils ne sesentent pas à leur place parmi desinclus mieux lotis qui ne les recon-naissent pas comme de vrais sem-blables dès lors qu’ils ne sont pas deleur monde puisqu’ils sont exclus !Condamnés à chercher une placehypothétique, ils font d’abord desefforts d’insertion. S’ils n’aboutis-

sent pas, confrontés au manque àavoir et au manque à être, ils per-dent leur aisance dans tous les sensdu terme et leur désinsertion s’ac-croît. Puis, n’ayant plus rien àéchanger et ne comptant pour rien,ils renoncent à se battre et devien-nent des morts sociaux. Ils sous-vivent quelques temps dans la ruesans domicile fixe, avant de rejoin-dre la fosse commune des disparussans laisser d’adresse ni de regrets. Cette trajectoire spontanémentmortifère est liée à un véritablesyndrome d’exclusion associanthonte, désespérance et inhibitionaffectivo-cognitive. Engendré parla situation d’exclusion (que l’exclusoit en bonne santé ou malademental avant son exclusion), il évo-lue ensuite pour son proprecompte, créant et entretenant unétat de mal-être qui s’aggrave etaggrave inexorablement l’exclusionqui lui a donné naissance.

- La honte pousse les exclus à secacher et à cacher leur misère, maiselle est aussi paradoxalement unlien qui les relie aux inclus tout enles tenant à distance. Affect péniblede dévalorisation, sa présence chezles exclus signifie qu’ils se méprisentautant que les inclus les méprisentpuisqu’ils ne leur font pas placeparmi eux. En ayant honte d’eux-mêmes, ils légitiment leur exclu-sion. Dès lors, non seulement larévolte leur est interdite, mais enplus faute de pouvoir faire envie, ilsn’ont pas d’autre ressource qued’apprendre à faire pitié. Et le piègese referme, ils doivent rester pitoya-bles, c’est-à-dire exclus, pour qu’ons’occupe d’eux.

- La désespérance : elle n’est pas ladépression bien qu’elle puisse la sin-ger en tous points, elle est la cons-cience douloureuse d’une im-puissance totale à modifier son état

d’exclu et le vécu d’une solitudeextrême, associées au sentiment quecela n’intéresse personne. Elle peutculminer en désespoir et conduireau suicide. A la différence de ladépression qui a besoin d’un traite-ment pour se dissiper, la dé-sespérance est susceptible dedisparaître si le contexte se modifieet si d’authentiques liens humainsparviennent à se tisser entre l’excluet son entourage .

- L’inhibition affectivo-cognitivevise à engourdir la souffrance liée àla honte et à la désespérance. C’estun effort permanent plus ou moinsinconscient pour ne penser à riencar il n’y a rien de bon à penser dansla galère, et pour ne rien ressentircar éprouver des sentiments est troppénible quand on se sentindésiré/indésirable, et trop dange-reux quand on est confronté à laviolence de la rue, il ne faut pasmontrer de faiblesse.

Victimes de l’indifférence collec-tive, les exclus essayent de s’y ren-dre indifférents pour ne pas tropen souffrir. Ils s’aident parfois del’alcool et des drogues au risque des’enfoncer un peu plus dans leurexclusion et de se faire rejeterdavantage. A une société qui lesméprise assez pour ne pas leur faireplace, ils font le coup du mépris enrefusant des soins qu’ils voientcomme des cache-misère destinés àles faire passer pour des maladesalors qu’ils savent bien qu’ils sontd’abord des maltraités sociaux.Pour qu’ils changent de point devue, et acceptent les soins dont ilsont souvent besoin, nous devonscomprendre avant de les aborderqu’on peut souffrir à en mourirsans être malade : il suffit d’êtreexclu. ■

Jean MAISONDIEUPsychiatre des HôpitauxCentre Hospitalier dePoissy St Germain en Laye

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-La psychiatrie dans notre départe-ment souffre de problèmes trèsspécifiques. Les moyens humainsn’ont cessé de diminuer pour arri-ver à un déficit situant le Tarn etGaronne comme « lanternerouge » de la région MidiPyrénées (source projet médicald’établissement 2000-2004).Cette situation s’explique facile-ment : le budget global du CH deMontauban ne permet pas d’i-dentifier comme dans les autresdépartements les moyens spéci-fiques affectés à la santé mentale.Ceci permet une érosion régulièredes moyens par absorption surdivers services généraux considé-rés a priori comme prioritaires.

Parallèlement, le Tarn etGaronne, carrefour de communi-cation, connaît les plus forts indi-ces de fragilité sociale (AAH,RMI, AS…etc) de Midi Pyrénées(sources DDASS, CAF, INSEE).Ces situations sont souvent

accompagnées de fortes souffran-ces psychologiques nécessitantdes prises en charge spécifiques.Ce contexte entraîne bien sûr,faute de moyens, une violenceinstitutionnelle porteuse dedrame potentiel mais plus large-ment on constate la marginalisa-tion d’une catégorie depopulation souvent jeune, por-teuse de troubles de santé mentalede type nouveau. Ceux-là, sonthélas bien visibles, accroupis aucoin de nos rues. Mais il y a tousceux : toxicomanes, « déséquili-brés », « pervers », « forcenés »,aujourd’hui incarcérés, et à quil’univers pénitentiaire inhumainn’offre plus que le suicide ou larécidive comme issue à leurs souf-frances (voir statistiquesObservatoire des prisons – rap-port parlementaire).

Face à cela la meilleure prise encharge reste celle que peuventassurer les professionnels : psy-

chiatres, infirmiers, assistantessociales, éducateurs, psycholo-gues, à condition qu’on leur endonne les moyens.

A ce jour, c’est loin d’être le cas etcela pose question. Les USArépondent avec une organisationcommunautariste(1) avec la prisonvoire la mort pour tous ceux quidérangent l’ordre établi. Est-ce unmodèle que nous souhaitons ? Oualors nous considérons que cettevie harmonieuse passe par le soin,l’éducation, la tolérance, la solida-rité et tous les moyens qui vontavec.

Pour moi qui suis à la croisée dupolitique et du professionnel,cette dernière option est la seulesolution viable mais elle nécessitel’union des volontés et un vérita-ble courage politique.Souhaitons qu’à l’aube de cemillénaire nous nous retrouvionsnombreux à ce rendez-vous !

Courrier adressé à la Rédaction par Jean-Marc PANFILI Ancien Maire Adjoint de Montauban et Infirmier D.E Hôpital de Jour Psychiatrie adulte.

La parole est à vous

Vos attentes par rapport à RHIZOMEMerci d’avoir répondu au questionnaire annexé aux deux premiersnuméros de RHIZOME. Son dépouillement a permis d’identifierles thèmes que vous considérez comme prioritaires :

1. Le travail en réseau et partenariat (articulation entre lesanitaire et le social)

2. Exclusion, précarité et santé mentale : la clinique psychosociale

3. Les jeunes : enfants et adolescents

4. Santé mentale et insertion socio-professionnelle

5. Les nouvelles pratiques thérapeutiques (réflexions et échangesd’expériences en France et en Europe)

Nous nous emploierons à répondre à l’attente de nos lecteurs toutau long des numéros à venir.

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BIBLIOGRAPHIE :

(1) LoÎc Wacquant «Les Prisons dela Misère», Liber/Raisons d’Agir(1999)