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Régulation : ce que Bruxelles doit vraiment faire Juin 2004 Institut Montaigne

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Page 1: Régulation : ce que Bruxelles doit vraiment faire

Régulation :ce que Bruxelles doit

vraiment faire

Juin 2004

Institut Montaigne

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE S O M M A I R E

Préface.....................................................7

Principales propositions ......................11

Régulation : ce que Bruxelles doitvraiment faire.......................................13

I. La régulation de l’économieeuropéenne ne peut se limiter àla politique de la concurrence ......17

1.1. La régulation : des outils nouveauxau service d’objectifs durables..................181.1.1. La politique de concurrence :

outil privilégié de la régulationeuropéenne....................................22

1.1.2. La politique de concurrence n’épuise pas les besoins de régulation......................................27

1.2. Politique industrielle et concurrence :divorce ou coexistence ?...........................321.2.1. Politique de concurrence et

politiques industrielles nationales ......................................32

1.2.2. Politique de concurrence et politique industrielle européenne :le droit ..........................................34

1.2.3. Politique de concurrence et politique industrielle européenne :la pratique .....................................36

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SOMMAIRE

III. Là où des régulations sectoriellesspécifiques doivent êtremaintenues, le rôle de l’écheloneuropéen doit être clarifié..........105

3.1. Les domaines pour lesquels une régulationspécifique reste nécessaire ......................1063.1.1. Les secteurs à économie

de réseau .....................................1063.1.2. Les secteurs susceptibles

d’engendrer des risquessystémiques .................................108

3.2. Les problématiques soulevées par la nécessité d’une régulation spécifique .....1133.2.1. Les formes de la régulation :

les bons et les mauvais outils .......1133.2.2. L’efficacité de la régulation ..........1153.2.3. La légitimité de la régulation.......118

3.3. Le rôle de l’Europe en matière de régulation sectorielle..............................1203.3.1. Place de l’échelon communautaire

dans les processus de régulation...1203.3.2. Les pistes pour de meilleurs

schémas de régulation s’inscrivantdans un cadre européen...............122

Conclusion...........................................131

Remerciements ...................................135

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

1.3. Propositions : pour une approche économique de la politique de concurrence et la mobilisation des autresoutils de régulation pour améliorer l’environnement des entreprises...............401.3.1. Une approche économique de la

politique de la concurrence ...........401.3.2. Mobiliser les autres outils de la

régulation pour accroître la compétitivité des entreprises..........54

II. La conciliation du développementéconomique et des « préférencescollectives » non marchandesnécessite une stabilisation et uneclarification du cadre juridique desservices d’intérêt général .............65

2.1. Un cadre juridique communautaire en formation et non stabilisé ...................682.1.1. La prise en compte des objectifs

non marchands est ancienne maisl’organisation des services d’intérêtéconomique général est une préoccupation récente ...................69

2.1.2. La difficile conciliation pratique des services d’intérêt général et de l’ouverture à la concurrence......83

2.1.3. Les perspectives pour l’avenir et les pistes de proposition ................91

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

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P R É F A C E

Le « moment politique » actuel est propiceà des propositions concrètes de longterme sur les grands enjeux de politique

européens : l’Union européenne se dotera –on l’espère – à brève échéance d’un nouveaucadre institutionnel ; la Commission et leParlement sont proches d’être renouvelés. Cerapport du groupe de travail « Régulation » del’Institut Montaigne, fidèle à l’esprit del’Institut et de ses travaux depuis bientôt 4 ans, éclaire les choix auxquels seront sansnul doute confrontés les futurs décideurs.

La Commission Prodi a, dans sa contributionau Conseil européen de printemps de cetteannée, rappelé à juste titre la nécessité pourl’Europe élargie d’atteindre les objectifs de lastratégie de Lisbonne. Elle a aussi reconnu,presque à mi-parcours du processus, que laréussite n’est pas au rendez-vous : défaut demise en œuvre, décalage de productivité avecnos grands partenaires, absence de cristallisa-tion de ce projet au sommet et dans les opi-nions publiques. Pourquoi la dynamique quia pu, en d’autres temps, assurer la réalisationdu grand marché ou le lancement de la mon-naie unique, n’est-elle pas suffisamment aurendez-vous ?

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PRÉFACE

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L’Institut Montaigne a enfin le mérite, dansce texte, de rappeler aux décideurs euro-péens de poursuivre le travail en cours. Dansle domaine clé de services publics, laCommission a déjà anticipé sur certaines deses propositions, en proposant par exemplel’adoption d’un instrument d’exemption aucontrôle des aides d’État du financement desservices publics locaux.

Mais ce programme est très incomplet, enparticulier pour ce qui relève du volet de soli-darité et de cohésion de ce « modèle écono-mique européen » en mutation. C’est, là aussi,un des enjeux de la politique européenne.

Pascal LAMYCommissaire européen au commerce

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

L’expérience nous a appris quels sont lesingrédients d’une approche qui fonctionne enEurope : un objectif fondé sur un intérêtcommun bien identifié, un calendrier établidès le départ et surtout un système d’incita-tions et de sanctions pour garantir cette dyna-mique collective. Des outils destinés à incar-ner les objectifs, à en mesurer la réalisation età transformer les déclarations en étapes ponc-tuées d’engagements concrets doivent appa-raître petit à petit. Le « plan d’action » pourune nouvelle régulation européenne que pro-pose le rapport de l’Institut Montaigne peutêtre un tel outil, pour l’un des volets sensiblesd’une problématique plus large : celle dumodèle économique européen, ses spécifici-tés, son avenir.

Le rapport évite les écueils d’un tel exercice. Ilpart du postulat que la clé de la compétitivitéeuropéenne n’est pas dans la libéralisationtous azimuts ou la « concurrence entre régula-tions » (ou régulateurs). En traitant des régu-lations communautaires dites « sectorielles »(les directives sur l’énergie ou les télécommu-nications), il pose la question centrale pourcet échelon pertinent qu’est l’Europe : larégulation de nouveaux monopoles privés,dont la décision en matière d’antitrustconcernant Microsoft a montré toute lacomplexité.

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P R I N C I P A L E SP R O P O S I T I O N S

! Mise en œuvre d’une nouvelle politique deconcurrence qui ne se limite pas au contrôledes risques de renforcement du pouvoir desentreprises, surtout lorsque les marchés sontmondiaux, mais qui tienne compte des gainséconomiques (« efficiences ») que peuventgénérer les fusions et certaines coopérationsentre entreprises.

! Inclusion dans les objectifs de la politiquecommerciale européenne du thème des sub-ventions afin que, dans les délais les plus brefspossibles, les pays non membres de l’Unioneuropéenne s’astreignent à un contrôle desaides d’État aussi rigoureux que celui quel’Europe impose à ses propres entreprises.

! Renforcement des moyens de Bruxellespour parfaire l’ouverture à la concurrence desanciens monopoles publics tout en renforçantles garanties d’accès des plus défavorisés sur leplan social et territorial, qui fonde la spécifi-cité du « modèle européen ».

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L ’affaire Alstom, le refus de la fusionSchneider/Legrand, la panne d’électri-cité géante en Italie, les déboires de

l’industrie textile européenne sont, pourcertains, autant de révélateurs d’une Europetrop « libérale », pas assez protectrice desintérêts économiques et sociaux des Étatsmembres. L’Europe aurait failli, et notre éco-nomie souffrirait d’un « trop d’Europe », dontnous devrions nous affranchir en subven-tionnant nos entreprises ou en nous libérantdu corset des 3 % de déficit budgétaire.Pour d’autres, en revanche, les potentialitésde l’Europe ne sont pas assez exploitées etplaident pour une initiative européenne decroissance, la mise en place de ressourcesbudgétaires communes, voire une gestion« active » de l’euro.

Pour le groupe de travail « régulation » del’Institut Montaigne, la question n’est pasde savoir s’il y a trop ou trop peu d’Europe.Les enjeux se situent ailleurs : l’économie etles entreprises européennes ne souffrent pasd’une insuffisance ou d’un excès de régle-mentation, mais d’un déficit de régulation.

R É G U L A T I O N :C E QUE BRUXELLESDOIT VRAIMENT FAIRE

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

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Cependant, un marché ne fonctionne qu’avecdes règles et des disciplines. Celles-là même quilui permettent à la fois d’être porteur de dévelop-pement économique et d’intégrer les préoccupa-tions non économiques comme, par exemple,l’accès de tous aux services essentiels ou la protec-tion de l’environnement et des consommateurs.

À l’instar de l’interventionnisme qui a prouvéses limites, notamment en France, le laissez-

faire absolu n’est pas envisa-geable. Ceci n’est pas contradic-toire avec l’économie du marché.Comme l’écrit Monique Canto-Sperber2, le libéralisme n’est pas le

laissez-faire3. Bien au contraire, « la justificationconceptuelle de la régulation est issue de la penséelibérale »4. La défense des libertés du citoyen, duconsommateur et de l’entrepreneur contre toutabus (abus d’autorité du gouvernement, abusde sa force par un citoyen ou un entrepreneuren position de domination) nécessite, en effet,qu’existent et que soient appliquées des règlesde droit et des sanctions. Être régulée est unecondition ordinaire pour l’économie.

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Depuis sa naissance, l’Europe est écarteléeentre une approche visant d’abord à la consti-

tution d’une zone de libreéchange et à l’ouverture dumarché et une approcheplus intégrée de « construc-tion » d’un marché danslaquelle l’Europe définiraitdes règles communes pourencadrer le fonctionne-

ment de ces marchés et mettrait en œuvre despolitiques communes.

Libéralisation et définition de règles communesn’ont pas avancé au même pas. Le marché euro-péen est maintenant pleinement ouvert, mais iln’est pas pour autant construit. Certains com-mentateurs y ont vu une différence fondamen-tale entre une intégration négative – l’éliminationdes obstacles à la libre circulation – relativementaisée à mettre en œuvre, et une intégration posi-tive – un transfert de compétences au niveaueuropéen afin de répondre à des préoccupationscommunes – nécessairement plus difficile àmener1. Le fameux effet d’entraînement de l’unevers l’autre, cher à Jean Monnet, serait long à seproduire, voire n’existerait pas.

L’économie et lesentreprises européennesne souffrent pas d’uneinsuffisance ou d’un excèsde réglementation,mais d’un déficit derégulation

1 Cette distinction, due au prix Nobel d’économie JanTinbergen, constitue une grille de lecture de la constructioneuropéenne largement utilisée.

2 Cf. son dernier ouvrage « Les règles de la liberté », Plon, 2003,ainsi que le cahier n° 7 de la revue En temps réel, 2003.3 Cf. Stiglitz « Le laissez-faire est le laissez unfair… »4 Cf. l’avant-propos des « Principes de politique » deBenjamin Constant, écrits en 1815 : « une Constitution estla garantie de la liberté d’un peuple ».

Être régulée est une condition ordinaire pourl’économie

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

Forts de ce constat, les membres du groupe detravail ont souhaité réfléchir au rôle spécifiquede l’Europe en matière de régulation. Ils ontd’abord examiné l’efficacité des outils horizon-taux de régulation économique et, au premierchef, la politique de concurrence qui a été lar-gement communautarisée par le Traité deRome. Ils ont ensuite analysé la manière dontles objectifs « d’intérêt général » qui constituentl’un des traits distinctifs du « modèle européen »,étaient pris en compte. Le groupe s’est enfinattaché à déterminer le rôle spécifique del’échelon européen dans les secteurs qui, pourdes raisons économiques ou systémiques,nécessitent une régulation particulière.

Sur la base de cette réflexion, le groupe de tra-vail est parvenu à trois conclusions :" une vraie régulation de l’économie euro-péenne est nécessaire et elle ne peut selimiter à la politique de la concurrence ;" la conciliation du développement écono-mique et des « préférences collectives » nonmarchandes, objectif légitime de la régula-tion, nécessite une clarification et une sta-bilisation du cadre juridique des servicesd’intérêt général ;" là où des régulations sectorielles spéci-fiques doivent être maintenues, le rôle del’échelon européen doit être clarifié.

ILA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE

EUROPÉENNE NE PEUTSE LIMITER À LA POLITIQUE

DE LA CONCURRENCE

Pour identifier correctement « les besoinsde régulation » de l’économie euro-péenne, il importe au préalable de bien

comprendre ce que recouvre le concept derégulation, ainsi que le caractère central de lapolitique de concurrence comme outil privi-légié de la régulation.

À l’analyse, si la politique de concurrence abien la place qui doit être la sienne dans lesystème européen de régulation, cet outil nepeut répondre à tous les défis auxquels lesentreprises et l’économie européenne sontconfrontées. Deux enseignements peuventêtre tirés de ce constat :" la nécessité de repenser la politique deconcurrence sous un angle davantage écono-mique et moins juridique ;" l’exigence d’une mobilisation au plan euro-péen des autres outils de régulation existantspour améliorer l’environnement des entre-prises.

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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nécessaires à son bon fonctionnement. Et cetteactivité de régulation devrait de préférence êtreexercée en dehors de la sphère gouvernemen-tale stricto sensu, par des « agences de régulation »indépendantes, voire par les acteurs écono-miques eux-mêmes (auto-régulation).

La situation en France illustre ce changementde perspective. Il y a moins de quinze ans, LaPoste était une direction d’administration cen-trale, l’ensemble des industries de réseau (élec-tricité, gaz, télécommunications, transportferroviaire), ainsi que certains secteurs straté-giques (armement, nucléaire, banque…)étaient dominés par des entreprises publiques,souvent en situation de monopole. Le mono-pole de la télévision lui-même se perpétua jus-qu’en 1985. Aujourd’hui, l’efficacité de l’Étatactionnaire est considérée comme douteuse etl’État se désengage du capital de la plupart deces entreprises. Ces marchés ont été ouverts àla concurrence et sont, pour la plupart, désor-mais encadrés par des autorités de régulationindépendantes. La gestion de portefeuille del’État elle-même est à présent réalisée par uneagence, l’agence des participations de l’État,qui met en œuvre une politique active (ventedes titres Thomson, Renault…).

L’enjeu n’est pas ici de questionner le bien-fondé des initiatives de libéralisation et de

1.1. La régulation : des outils nouveauxau service d’objectifs durables

Le concept de régulation, qui provient del’anglais, est apparu à la fin des années 1980dans un contexte très particulier : celui despremières initiatives de libéralisation (trans-port aérien et télécommunications aux États-Unis, énergie et transport au Royaume-Uni)des ères Reagan et Thatcher. Se développealors une nouvelle conception de l’interven-tion économique de l’État visant à favoriser ledéveloppement économique. Il ne faut plusintervenir directement, en réglementant ouen détenant le capital d’entreprises en mono-pole, mais au contraire, il convient de sedésengager de ces entreprises, de privatiser lesentreprises publiques, de casser les monopoleset de laisser jouer le libre jeu du marché. Àterme, lorsque l’État se sera complètementdésengagé, son action devrait se résumer àassurer un accès équitable au marché pourtous les opérateurs.

La « politique industrielle », le développementvolontariste de certains secteurs, l’interventiondirecte dans l’économie, la réglementation et lapromotion de champions nationaux auraientdonc fait leur temps. La priorité serait mainte-nant d’assurer la « régulation » du marché,c’est-à-dire de définir les normes minimales

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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Réguler l’économie européenne signifie doncmobiliser efficacement tous les instruments

à la disposition desacteurs publics, quelsqu’ils soient, natio-naux ou européens,agences ou gouverne-ments, dans le but depallier les déficiencesdu marché (market fai-lures), lorsque celui-cine s’autorégule pas,

c’est-à-dire n’atteint pas spontanément lesobjectifs socio-économiques, quels qu’ilssoient, qui sont ceux des populations euro-péennes.

L’analyse de la construction européenne sousun angle rétrospectif met en évidence lavolonté, sans cesse réaffirmée, des respon-sables européens de poursuivre un tel objectif.La manifestation la plus forte de cette volontéréside dans la mise en place, dès la signaturedu Traité de Rome et dans le prolongementdes législations adoptées après 1945 dans laplupart des grands pays européens, d’unepolitique cohérente de la concurrence. Pourautant, le diagnostic que l’on peut faireaujourd’hui de « l’approche européenne de larégulation » montre que le modèle retenu estencore perfectible.

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désengagement de l’État conduites par l’en-semble des gouvernements européens depuisdeux décennies. Ces initiatives s’appuient surdifférentes théories économiques5 venuescontester l’implication étatique et définir unnouveau mode d’organisation des industriesde réseau (théorie des marchés contestables).Elles constituent le contexte dans lequel ilconvient aujourd’hui d’organiser au mieuxl’action publique.

Au demeurant, politique industrielle ou régu-lation du marché, années 1970 ou années2000, ce sont surtout les modes d’interven-tion et les moyens de l’action publique quiont changé, mais les objectifs des États sonttoujours les mêmes : aujourd’hui comme hier,il s’agit de s’assurer que le développementéconomique est maximal et l’économiecompétitive, dans le respect des préférencescollectives (sociales, environnementales,etc.).

5 École des choix publics, qui conteste que l’État soit ungarant de l’intérêt général, théorie de la capture du pouvoirpolitique par les dirigeants d’entreprises nationalisées,théorie de la bureaucratie – l’objectif au sein de l’État est lamaximisation de son pouvoir et non l’efficacité, théorie desdroits de propriété – une entreprise qui n’est pas sanction-née par le marché est nécessairement moins efficace, théoriede la liberté d’entreprendre – considérée comme un droitfondamental des citoyens…

Réguler signifie mobiliserefficacement tous lesinstruments pour pallierles déficiences du marchélorsque celui-ci n’atteint passpontanément les objectifssocio-économiques quisont ceux des populationseuropéennes

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

1.1.1. La politique de concurrence : outilprivilégié de la régulation européenne

! Une apparition relativement tardive

Aux États-Unis, la politique de concurrence aplus d’un siècle d’existence. Elle a été organi-sée à la suite de la crise économique de 1883,qui favorisa la constitution de trusts. Dès1890, les États-Unis ont interdit les ententes(section 1 du Sherman act) et les abus de posi-tion dominante (section 2). En 1911, laStandard oil et American Tobacco ont étécondamnées. En 1914, avec le Clayton act etle FTC act, un contrôle des concentrations aété mis en place et une agence indépendantedotée d’un pouvoir judiciaire, la Federal TradeCommission (FTC), a été créée.

L’Europe a attendu plus d’un demi-siècle sup-plémentaire avant de s’engager dans une poli-tique de concurrence organisée. C’est lors de lasignature du Traité de Rome que les Étatsmembres ont choisi de se doter d’une politiquede concurrence commune, très complète et trèsintégrée, afin de garantir le bon fonctionnementdu marché commun. Cette démarche reposealors sur un postulat simple : la suppression desentraves « publiques » aux échanges (quotas,droits de douane, réglementations discrimi-nantes) ne permet pas d’assurer le bon fonction-

nement du libre-échange si subsistent desentraves « privées » (ententes, abus de positiondominante, etc.).

! Une approche spécifique de la politiquede concurrence

L’origine de la politique de concurrence euro-péenne est donc différente de celle mise enœuvre dans d’autres pays, notamment lesÉtats-Unis. Ceux-ci y voient uniquement un

instrument de l’efficacitééconomique, voire demanière plus restrictive,un outil de défense duconsommateur ; l’Europeen fait également unoutil d’intégration éco-

nomique, objectif complémentaire qui peutparfois être contradictoire. Pensée comme uncomplément indispensable à la politique demarché intérieur, la politique européenne deconcurrence présente de ce fait trois grandesparticularités :" son champ s’étend au contrôle des aidesd’État : la politique de concurrence vise nonseulement à contrôler les ententes et lesconcentrations et à interdire les abus de posi-tion dominante, mais également à contrôlerles aides d’État, qui sont en principe inter-dites dès lors qu’elles faussent ou menacent

Au-delà de l’efficacitééconomique, l’Europe faitde la politique de concurrenceun outil d’intégrationéconomique

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

du niveau de concurrence, toute création ourenforcement d’une position dominante. Aucontraire, les États-Unis adoptent uneapproche dite « comportementaliste », consis-tant à faire un bilan coûts/avantages de laconcentration6 tenant compte notammentdes éventuels gains d’efficience pour leconsommateur final (économies d’échelle etincitations à l’innovation éventuelles). Ceciexplique notamment que, dans le casGE/Honeywell, la Commission européenne arendu en 2001 un jugement (négatif ) diffé-rent des autorités américaines. Cetteapproche est notamment liée à la volonté dela Commission d’exercer un contrôle rigou-reux sur les situations de position dominanteex ante au moment des fusions, plutôt quede devoir examiner ex post les éventuelsabus de position dominante, plus difficilesà déceler.

Ces spécificités de la politique de concurrenceeuropéenne sont aujourd’hui contestées :ne faut-il pas, assouplir le contrôle des aidesd’État pour mieux prendre en compte lesobjectifs économiques, industriels et sociaux ?

de fausser la concurrence en favorisant cer-taines entreprises ou certaines productions.L’Europe est, de ce fait, la seule région aumonde à contrôler les subventions et soutienspublics aux entreprises ;" son organisation repose sur la centralisa-tion et l’absence de judiciarisation : la miseen œuvre de la politique de concurrence estcentralisée au niveau européen dès lors qu’ilexiste un impact sur le commerce européen.Elle incombe à la Commission européennecensée intégrer dans ses décisions, mieuxque ne le ferait une juridiction, les enjeux «collatéraux », notamment en matière decohérence avec les autres politiques euro-péennes, au nombre desquelles la préserva-tion du marché unique tient une place pré-pondérante. Au contraire, aux États-Unis,ce sont les tribunaux traditionnels quijugent des affaires de concurrence et le rôlede l’investigation et de l’accusation est tenupar la division antitrust du Department ofJustice ainsi que par une autorité adminis-trative indépendante, la Federal TradeCommission ;" sa mise en œuvre repose sur une approchetrès juridique des marchés : en matière decontrôle des concentrations, la Communautéa aujourd’hui une conception dite « structu-raliste ». Attentive uniquement à la structuredu marché, celle-ci interdit toute diminution

6 Ce bilan coût/avantages reste cependant limité à la sphèrede l’analyse concurrentielle. En d’autres termes, la prise encompte des « efficiences » est limitée aux cas où aucune dimi-nution substantielle de la concurrence ne risque d’intervenir.

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1.1.2. La politique de concurrence n’épuisepas les besoins de régulation

! Concurrence et efficacité économique

D’après la théorie économique classique, le librejeu de la concurrence assure que le bien être de lacollectivité sera maximal. Toutefois, cela n’est vraique dans des hypothèses très restrictives. Quatreconditions cumulatives doivent être réunies :" la structure de marché doit être véritable-ment concurrentielle, sans qu’une ou plu-sieurs sociétés ne dominent le marché etn’aient ainsi un pouvoir sur les prix ;" il ne doit pas y avoir de coûts fixes ni d’éco-nomies d’échelle trop importants ;" tous les agents doivent bénéficier de lamême information ;" il ne doit pas exister d’externalité, autre-ment dit les agents économiques doiventmaîtriser l’ensemble des paramètres dontdépend leur bien-être.

En pratique, bien entendu, ces conditions nesont presque jamais réalisées. Le marché esten effet de plus en plus souvent réduit à unpetit nombre de producteurs (aéronautique,aluminium, ciment, etc.).

Par ailleurs, pour certains produits, des coûtsfixes et des économies d’échelle importants

La Commission ayant été récemment déju-gée plusieurs fois par la Cour de justice, neconvient-il pas de plus décentraliser lecontrôle des concentrations, comme celavient d’être fait pour les ententes et les abusde position dominante, de rapprocher lesconcepts européens de ceux des États-Unis,voire de confier le contrôle des concen-trations à une agence indépendante ouencore aux juges de droit commun du droitcommunautaire ?

En ce qui concerne les différences de pratiqueentre Europe et États-Unis, tant au niveau desconcepts que du degré de judiciarisation et decentralisation des procédures, le présent rap-port ne rentrera pas dans le débat en raison desa complexité technique. Ces questions méri-teraient, en effet, de faire l’objet d’une analyseséparée.

Mais, au-delà des spécificités de l’approcheeuropéenne de la politique de concurrence, lasituation de l’économie européenne appelleun double constat :" la politique de concurrence ne peut suf-fire seule à garantir un bon fonctionne-ment du marché ;" l’articulation entre les enjeux de concur-rence et de développement industriel n’estpas stabilisée.

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

biens publics (qualité des infrastructures detransport, du système éducatif ou du systèmede santé, de l’information sur les entreprises).

! La politique de concurrence, nécessairemais pas suffisante

Dès lors, si la politique de concurrence estindispensable, elle n’est pas suffisante pourgarantir que les quatre pré-requis formulésprécédemment sont réalisés :" assurer une structure de marché concurren-tielle peut nécessiter une régulation ex ante etpas seulement ex post (politique de concur-rence) ; c’est le cas notamment dans les sec-teurs non matures car nouvellement libérali-sés, où un opérateur reste fortementdominant, et où il peut être souhaitable parexemple de contrôler avant leur applicationles tarifs ainsi que les clauses des contrats devente (cf. télécoms) ; " la présence d’économies d’échelle et decoûts fixes peut justifier l’existence de mono-poles, qu’il convient de réguler notammenten contrôlant leurs tarifs ainsi que leursconditions de vente, ou encore plaider pourcertaines concentrations ; dans les industriesde réseau, les agences de régulation cumulentcette fonction et la précédente ;" limiter les asymétries d’information sup-pose une intervention publique ; ainsi sur

existent (transport d’électricité à très hautetension, transport de gaz sur longue distance,développement de l’énergie nucléaire, indus-tries à fort contenu en innovation). Dans cecas, la concurrence n’est pas nécessairement laconfiguration la plus efficace économique-ment, et un monopole peut constituer lameilleure solution, car il permet plus facile-ment de rentabiliser des investissementsimportants (R&D, infrastructures lourdes,etc.). Ce monopole doit toutefois être suffi-samment contrôlé pour que la collectivitépuisse s’assurer qu’il n’adopte pas un compor-tement sous-efficace (hausse des prix, restric-tion des quantités, etc.).

De plus, l’information dont disposent les agentsest souvent inégale ou asymétrique. C’est le cas,par exemple, sur les marchés financiers où cer-tains opérateurs peuvent disposer d’informa-tions privilégiées, ou dans le domaine de l’assu-rance ou du crédit où le producteur ne connaîten général pas toutes les caractéristiques duconsommateur.

Enfin, de nombreuses externalités sont pré-sentes, qui influent sur le bien-être des agentssans que ceux-ci ne puissent individuellementles contrôler ; cet impact peut être négatif(pollution, congestions dans les transports,etc.) ou positif, notamment dans le cas de

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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Au total, la simple mise en œuvre de la poli-tique de concurrence n’est pas suffisante, et

cela même dans des sec-teurs matures. Ainsi lafaillite d’Enron, dont lecoût pour ses créanciersainsi que ses employésfut très important, neprovient pas d’un pro-

blème de concurrence (Enron intervenaitdans un secteur, le négoce énergétique auxÉtats-Unis, certes assez jeune mais qui pré-sentait une structure concurrentielle relative-ment satisfaisante), mais de l’inadaptation denormes comptables en vigueur qui ne per-mettaient pas de déceler les risques en cause.De même, le maintien en activité de pétro-liers à coque simple provient du fait que lesarmateurs ne prennent pas en compte, outout au moins pas suffisamment, les consé-quences environnementales d’un éventuelnaufrage.

Ces éléments militent pour une démarcheeuropéenne de régulation allant au-delà dela politique de concurrence. Ils plaidentsurtout en faveur d’une évolution desesprits, encore fortement marqués parl’idée que la seule ouverture des marchésest la condition suffisante pour le dévelop-pement économique.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

les marchés financiers, les régulateurs bour-siers (Autorité des Marchés Financiers enFrance) contrôlent-ils les informations four-nies par les entreprises ; par ailleurs, laCommunauté européenne étudie actuelle-ment la possibilité d’établir des normes rela-tives aux analystes financiers, pour s’assurerque les analystes faisant partie de banquesd’affaires ne profitent pas d’informationsprivilégiées ;" pour que les externalités soient « internali-sées », c’est-à-dire prises en compte par lesagents dans leurs décisions, une actionpublique est également nécessaire. En matièred’environnement et de pollution, l’État peutlégitimement imposer des réglementations(sécurité maritime), créer une fiscalité (fisca-lité énergétique), ou encore mettre en placedes marchés de droit à polluer (rejets de gaz àeffet de serre) pour contraindre ou inciter lesentreprises à prendre en compte les coûtsenvironnementaux. En ce qui concerne lesbiens publics, les collectivités publiques doi-vent parfois participer à leur financementlorsque leur intérêt social dépasse leur renta-bilité économique pure telle qu’elle est perçuepar le marché (infrastructures, etc.). Demême, parce que la stabilité du système ban-caire constitue un bien public, l’Europe régle-mente les ratios prudentiels des établisse-ments bancaires.

La simple mise en œuvrede la politique de concurrencen’est pas suffisante, et celamême dans des secteursmatures

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rapide (82 Mds€ en 2000 contre 105 Mds€en 1998) ;" le contrôle des aides d’État, ainsi que l’ap-plication du principe de libre circulation descapitaux, ont également conduit à diminuerl’implication directe des États dans le secteurproductif : restriction du champ des goldenshares permettant aux États de garder un pou-voir de veto au conseil d’administration desentreprises privatisées7, remise en cause dustatut public de certaines entreprises (cf. EDF)du fait des conséquences sur leurs conditionsde refinancement, etc. ;" l’interdiction des subventions croisées entresecteur concurrentiel et service d’intérêt géné-ral, dont le contrôle est facilité par l’applicationde la directive transparence qui oblige les opé-rateurs à tenir des comptabilités séparées ;" l’ouverture des marchés publics aux entre-prises européennes au-dessus d’un certainseuil (directives de 1993), ce qui interdit, defait, les politiques d’achat public actives voireles pratiques, plus ou moins avouées, de « pré-férences nationales » ;" la Commission a choisi, dans la plupart desindustries de réseau, de ne pas mettre en œuvre

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

1.2. Politique industrielle etconcurrence : divorce ou coexistence ?

1.2.1. Politique de concurrence etpolitiques industrielles nationales

Le débat autour du lien existant entre poli-tique de concurrence et politique industrielleest très ancien.

À titre préalable, il doit être rappelé que c’estl’application du droit communautaire, etnotamment de la politique de concurrenceeuropéenne, qui explique largement le replides politiques industrielles nationales durantces vingt dernières années :" le principe général d’interdiction des aidesd’État, ainsi que la nécessaire notification exante des régimes d’aides, ont conduit les États

membres à réduire forte-ment leur volume d’aideset à les réorienter vers desaides dites « horizontales »,plus facilement compa-tibles avec le droit com-munautaire. En outre, les

États membres ont fait de la diminution duvolume d’aides un objectif politique, affirménotamment aux conseils européens deStockholm en 2001 et Séville en 2002 ; ladiminution des aides continue à un rythme

C’est l’application du droitcommunautaire qui expliquelargement le repli des politiques industriellesnationales durantces vingt dernières années

7 D’après les arrêts de la CJCE des 4 juin 2002 et 13 mai2003, ces dispositifs peuvent être admis pour des entreprisesagissant dans les domaines des services d’intérêt général oustratégique, si l’État peut arguer de raisons impérieuses d’in-térêt général, et sous réserve de proportionnalité.

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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La distribution et le service après-vente dans ledomaine des automobiles font également l’ob-jet d’une exemption par catégorie.

En matière d’aides d’État, le traité prévoitque les secteurs du transport et de l’agricul-

ture disposent de régimesspécifiques. Il permetégalement au Conseil,sur proposition de laCommission, d’autorisercertaines catégories d’aidesd’État. Le règlement

multisectoriel de 2002 définit ainsi un régimespécifique pour les aides au secteur de laconstruction automobile et des fibres synthé-tiques ; ce régime spécifique devrait à moyenterme être étendu à une liste de secteurs ensurcapacité. Un règlement de 1998 fixe égale-ment des règles ad hoc pour la constructionnavale. Par ailleurs, la Commission a édictédes lignes directrices, qui fixent, pour cer-taines catégories d’aides, les conditions aux-quelles ces aides peuvent être autorisées. Ils’agit notamment des aides à la restructura-tion, aux grands projets d’investissement, à larecherche et au développement, aux PME, aucapital risque, au transport maritime, desaides environnementales, des aides régionales,à la construction navale, aux fibres synthé-tiques, à la production d’automobiles… Ainsi,

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

l’article 86 du Traité de Rome, qui lui permetde supprimer les droits spéciaux et exclusifs dèslors qu’ils nuisent aux règles de concurrence,hormis dans le domaine des télécommunica-tions (directive de 1990) ; toutefois, des direc-tives de libéralisation ont ouvert progressive-ment à la concurrence le secteur postal,l’électricité et le gaz, ainsi que les transports.

1.2.2. Politique de concurrence et politiqueindustrielle européenne : le droit

Pour autant, la politique de concurrence euro-péenne n’est pas complètement étrangère àtoute considération s’approchant de la poli-tique industrielle. Le traité prévoit en effet lapossibilité d’exemptions aux principes d’inter-diction des ententes et des aides d’État. Ainsi,les ententes peuvent être autorisées dès lorsqu’elles contribuent à « améliorer la productionou la distribution des produits ou à promouvoir leprogrès technique ou économique, tout en réser-vant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans imposer aux entreprisesintéressées des restrictions qui ne sont pas indis-pensables pour atteindre ces objectifs, et sans don-ner à des entreprises la possibilité, pour une par-tie substantielle des produits en cause, d’éliminerla concurrence ». Les accords de recherche etdéveloppement font ainsi l’objet d’une exemp-tion, en Europe de même qu’aux États-Unis.

La politique de concurrencen’est pas complètementétrangère à toute considération s’approchant de la politique industrielle

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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domaine de la concurrence pour prendre posi-tion et suggérer des modifications de structureindustrielle. La Commission fait parfois prati-

quement elle-même du« meccano industriel ». LeCommissaire européen à laconcurrence, Mario Monti,a ainsi déclaré en septembre

2003 que le rapprochement des compagniesaériennes KLM et Air France serait examiné dans« un esprit constructif, parce que nous voyons lanécessité de davantage de consolidation ». De lamême manière, la Commission s’est félicitée,après avoir interdit la fusion Volvo/Scania,d’avoir favorisé un rapprochement entre Volvoet Renault Véhicules Industriels dont la dimen-sion communautaire lui paraissait plus forteque l’opération initialement projetée.

Le développement de la pratique des engage-ments (remedies) pris par les entreprises pourqu’une opération (principalement de fusion)soit considérée comme compatible avec le droitcommunautaire a également fourni à laCommission un levier supplémentaire dansle domaine industriel. Si la Commission nepeut, en principe, dicter aux entreprises lesengagements qu’elles doivent prendre, elle le faitsouvent implicitement, voire explicitement :" dans la décision de concentration EnBW / EDF,l’opération a été autorisée en contrepartie

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les aides au sauvetage des entreprises ne sontpas interdites ; ne sont interdites que les aidesrécurrentes à des entreprises qui ne sont passtructurellement viables. La Commission aégalement établi des lignes directrices en cequi concerne les coûts échoués8 dans ledomaine électrique, ces aides peuvent avoir unimpact majeur sur la structure industriellefuture du secteur électrique.

En outre, le traité communautaire exempte,dans son article 296, l’industrie de défense dela politique de concurrence, ce qui a notam-ment permis d’approuver la constitution de lasociété EADS malgré les conséquences de cettefusion sur la structure concurrentielle de dif-férents marchés.

1.2.3. Politique de concurrence etpolitique industrielle européenne :la pratique

Enfin, en marge des textes, la Commission uti-lise parfois des décisions ponctuelles dans le

La Commission fait parfois pratiquementelle-même du « meccanoindustriel »

8 Aides publiques aux opérateurs historiques venant compenserdes engagements contractés avec les gouvernements, engage-ments qui n’auraient pas été acceptés sur des marchés concur-rentiels : construction de centrales dans des zones peu dévelop-pées pour maintenir l’emploi, investissements dans le nucléaire,ventes d’électricité à un coût inférieur au coût moyen...

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ment de favoriser le maintien d’acteurs euro-péens sur les marchés, et de faciliter la créa-tion de champions nationaux (cf. les critiquesaprès les refus des fusions ATR/de Havillandou Schneider/Legrand).

Ces critiques se fondent notamment surl’exemple américain, où les aides d’État nesont pas interdites, où le contrôle des concen-trations est sensiblement plus accommodantcar il tient compte des économies d’échellepotentielles, et où le pouvoir politique gardede facto une influence sur la mise en œuvre dela politique de concurrence. Ainsi il y aquelques mois, le Sénat a bloqué un projet deréforme des règles de concentration du sec-teur des médias, que l’exécutif (la Maisonblanche) voulait assouplir : le projet visait àautoriser les grands networks nationaux àtoucher jusqu’à 45 % de l’audience nationaleet non plus seulement 35 % comme c’est lecas aujourd’hui.

À partir de ce double constat d’insuffisancede la politique de concurrence et de mau-vaise articulation entre enjeux de concur-rence et enjeux industriels, le groupe detravail a formulé une double série derecommandations tenant à la conduite dela politique de la concurrence, et auxautres outils de la régulation.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

d’un renforcement d’un concurrent potentield’EDF, la Compagnie nationale du Rhône ;" dans la décision EnBW/Hidrocantabrico, lesparties (RTE, pour le compte d’EDF), avec lesoutien des États français et espagnols se sontengagés à construire de nouvelles infras-tructures électriques transfrontalières, pourobtenir le feu vert de Bruxelles ;" dans le cas de l’aide d’État à Alstom, oùle plan final a été véritablement négocié avecla Commission, M. Monti n’a pas cachéqu’un désinvestissement au profit de Siemenspourrait faciliter un compromis avec laCommission européenne.

Ces engagements négociés avec la Commissionportent souvent sur des désinvestissements oudes mises à disposition de technologies ou debrevets, qui modèlent ensuite le paysage indus-triel pour de nombreuses années.

Si les enjeux industriels ne sont donc pasignorés dans les procédures communautaires,beaucoup regrettent néanmoins que la poli-

tique de concurrence neprenne pas en compteplus explicitement et demanière plus systéma-tique des objectifs depolitique industrielle.Ceci permettrait notam-

Beaucoup regrettent que lapolitique de concurrence neprenne pas en compte plusexplicitement et de manièreplus systématique des objectifsde politique industrielle

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ce rapport, dans le détail des aménagements etréorganisations du dispositif de contrôle quiseraient souhaitables, le groupe de travail sou-haite néanmoins mettre en lumière quelquesgrandes propositions d’action destinées à faire dela politique de la concurrence un outil efficace derégulation au service de l’économie européenne.

Ces propositions consistent à :" recentrer le contrôle des aides d’État surles interventions publiques qui faussent demanière grave la concurrence ;" concentrer la politique de concurrencesur les pratiques anti-concurrentielles lesplus manifestes.

À ces orientations, relatives à l’outil européende contrôle de la concurrence, s’ajoute égale-ment la nécessité de promouvoir une disci-pline et une coopération internationale enmatière de lutte contre les atteintes les plusmanifestes à la concurrence.

! Recentrer le contrôle des aides d’Étatsur les interventions publiques quifaussent de manière grave la concurrence

Maintenir le contrôle des aides d’État

Le groupe de travail ne pense pas, comme celaa pu être avancé par certains commentateurs

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1.3. Propositions : pour une approcheéconomique de la politique deconcurrence et la mobilisation des autresoutils de régulation pour améliorerl’environnement des entreprises

En ce qui concerne l’organisation générale dela régulation en Europe, et avant même d’exa-miner les questions liées à la conciliationcompétitivité/missions d’intérêt général, etaux modalités des régulations sectorielles quirestent nécessaires, les recommandations dugroupe de travail sont de deux ordres :" privilégier une approche « économique » dela politique de concurrence ;" mobiliser les outils « horizontaux » de régulation.

1.3.1. Une approche économiquede la politique de la concurrence

L’annulation successive par le juge européen deplusieurs décisions par lesquelles la Commissionavait interdit des fusions (Schneider/Legrand,Tetra-Laval/Sidel, Airtour/ FirstChoice)9 a sus-cité un vaste débat sur l’adaptation de la poli-tique européenne de concurrence. Ce débat esten cours. Sans souhaiter entrer, dans le cadre de9 Bien que ces annulations aient été prononcées sur le fon-dement d’erreurs d’appréciation de la situation concurren-tielle des marchés ou de fautes de procédures et non en rai-son de préoccupations de politique industrielle.

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En premier lieu, il doit être rappelé que l’Europeest la seule région au monde à s’être dotée d’un véri-table contrôle des aides d’État. Les autres pays nesont soumis, pour ceux qui ont signé ces accords,

qu’aux seules règles del’OMC en matière desubventions. Pour cespays, les seuls soutienspublics interdits sontceux qui sont destinés à

favoriser les exportations et qui sont à l’origined’un préjudice grave pour les entreprises étran-gères. Encore faut-il préciser que certains secteurs,comme l’agriculture, échappent encore totale-ment à ces disciplines internationales. Le champest étroit. Il permet certes à l’Europe de s’attaqueraux subventions coréennes à la constructionnavale qui sont une menace mortelle pour l’in-dustrie européenne. En revanche, il ne permet pasde contester les soutiens publics massifs accordéspar les États-Unis à leurs compagnies aériennes.

En second lieu, l’histoire économique récentede l’Europe a montré que des aides transitoireset bien calibrées pouvaient être le moyen desauver des entreprises viables. L’Europe a-t-elleeu tort d’accepter les soutiens passés à Renaultou Air France qui sont aujourd’hui des entre-prises florissantes ? A-t-elle eu raison d’inter-dire au gouvernement belge d’assister laSabena aujourd’hui disparue ?

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lors de l’affaire Alstom, que le contrôle desaides d’État handicape l’économie euro-péenne dans la concurrence internationale. Ily a, au contraire, de bonnes raisons à vouloirpréserver cet outil dont la mise en place datedu Traité de Rome :" raisons politiques d’abord : l’interdictiondes soutiens publics abusifs aux entreprises estun élément important de consolidation dumarché intérieur : cela permet d’éviter quel’abaissement des barrières douanières ne soitcompensé par l’érection de nouvelles barrièresrésultant de subventions ou d’aides plus oumoins discrètes aux entreprises nationales. Cequi était vrai hier dans l’Europe à 6 ou à 15,le sera encore plus demain dans l’Europe à 25qui accueillera des pays dont les entreprisesont longtemps vécu sous perfusion publique ;" raisons économiques ensuite : si la réduc-tion des aides d’État peut être un moyen effi-cace pour contribuer à la réduction des déficitspublics, elle est surtout nécessaire dans cer-taines situations pour garantir une concurrenceéquitable entre les entreprises et pour permettrela restructuration normale de l’économie.

Le contrôle des aides d’État doit donc êtrepréservé, mais deux raisons au moins justi-fient qu’il soit recentré sur les seuls soutienspouvant affecter sensiblement la concurrenceintra-communautaire.

Le contrôle des aides d’État doitêtre préservé mais recentré surles seuls soutiens pouvant affectersensiblement la concurrenceintra-communautaire

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" limiter le contrôle aux aides d’État quiaffectent réellement la concurrence intra-communautaire. La Commission a pris l’ha-bitude, au fil du temps, de soumettre à soncontrôle tout soutien public accordé dans unsecteur ouvert à la concurrence intra-commu-nautaire sans chercher à s’interroger sur leseffets réels des mesures qu’elle cherche àcontrôler. Ainsi, en est-on arrivé à l’examenpar les autorités communautaires de la sub-vention d’une commune allemande à la pis-cine municipale sous prétexte que cette sub-vention pouvait affecter le tourisme européen.Sans même qu’il soit nécessaire d’aller jusqu’àdes cas aussi extrêmes, il serait souhaitable, à lafois en termes de bon usage des moyenspublics et de pertinence du contrôle, que laCommission démontre, dans chacune de sesdécisions, la nature et la portée de l’effet sur leséchanges intra-communautaires des mesuresincriminées. La mise en œuvre d’une tellerecommandation est évidemment difficile.Elle nécessitera probablement au préalable uneréflexion sur les outils permettant d’assurer untel recentrage du contrôle communautaire,qu’il s’agisse de l’adoption des règles d’exemp-tion, d’un assouplissement des critères « deminimis » en deçà desquels la Commissionrenonce au contrôle, ou d’indicateurs plusqualitatifs sur le taux de pénétration desimportations ou les volumes d’échanges ;

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Rééquilibrer le contrôle des aides d’État

Le groupe de travail ne souhaite pas répondreà ces questions qui soulèvent des probléma-tiques complexes. Il souhaite simplement, àce stade, formuler une triple recommanda-tion destinée à rééquilibrer le contrôle futurdes aides d’État dans le sens d’une meilleureprise en compte des réalités économiques : " engager une réflexion globale sur lesrègles concernant les aides d’État auxentreprises en difficulté. L’idée n’est pas demaintenir artificiellement en vie des entre-prises dont il est établi qu’elles n’ont plusaucune forme de viabilité. L’objectif est, aucontraire, de ne pas compliquer par des règleset des délais trop stricts, la phase de restruc-turation de l’entreprise en difficulté, de per-mettre des actions de soutien public immé-diat, pour autant qu’ils soient réversibles, dene pas compromettre un processus de réta-blissement de confiance avec les marchés parl’application rigide de textes qui n’ont, eux-mêmes, pas été conçus pour répondre à cessituations mais plutôt pour contrôler les aidespubliques dans la vie normale de l’entreprise.À ce titre, il serait opportun que laCommission réexamine, à la lumière des casrécents qu’elle a eu à traiter, les lignes direc-trices sur les aides au sauvetage et à la restruc-turation ;

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Corporations) démontrent l’importance d’unetelle réflexion. Le groupe de travail est évi-demment conscient, qu’après l’échec de laconférence ministérielle de Cancun, lesthèmes des négociations OMC visant à enca-drer les marchés et non pas seulement à lesouvrir, ont moins de chances d’aboutir à unconsensus à brève échéance. Il considèrenéanmoins que la promotion de ces thèmesdoit être poursuivie sans relâche.

! Concentrer la politique de concurrencesur les pratiques anticoncurrentielles lesplus manifestes

À l’initiative de M. Monti, Commissaireeuropéen à la Concurrence, une vaste réformede la politique de Concurrence européenne aété engagée. Cette réforme se traduira à la foispar une nouvelle organisation du contrôle desententes reposant notamment sur l’abandonde l’obligation de notification préalable desaccords entre entreprises et la décentralisationdu contrôle, une refonte du règlement sur lecontrôle des concentrations destiné à corrigercertaines rigidités dénoncées par les entre-prises, et enfin par une réorganisation des ser-vices de la Commission destinée, en particu-lier, à organiser un véritable contrôle dequalité interne, bien léger jusqu’alors. Legroupe ne souhaite pas, dans le cadre de ce

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" mieux utiliser les possibilités offertes parle droit existant (art. 81.3 et 87.3.e duTraité) pour définir des régimes adaptéspour certains types d’aides d’État (ou mêmed’ententes). Aujourd’hui, le Conseil légifèretrès peu, que ce soit en matière d’aides d’Étatou d’ententes ; le plus souvent, il donne délé-gation à la Commission10, qui procède ensuitegénéralement par soft law (lignes directrices). Sile Conseil intervenait plus dans ce domaine, laréactivité de la norme communautaire en seraitcertes diminuée, mais les priorités implicites depolitique industrielle contenues dans la poli-tique de concurrence deviendraient plus expli-cites et plus légitimes ;" proposer un renforcement des règles del’OMC sur le contrôle des subventions ;l’Europe ne peut à l’évidence pas imposer soncontrôle des aides d’État au reste du monde.Il pourrait en revanche être utile d’envisager,dans le cadre du cycle de négociations encours, le moyen d’améliorer la lutte contre lessubventions qui faussent de manière évidentela concurrence internationale. Les difficultésrencontrées par l’Europe pour obliger lesÉtats-Unis à remettre en cause leur systèmede subventions à l’exportation (Foreign Sales10 Un règlement du 7 mai 1998 du Conseil a autorisé laCommission à légiférer pour les aides aux PME, à la R&D,à l’emploi, à l’environnement, mais la Commission conti-nue à procéder par communications.

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décisions des autorités européenne et améri-caine de concurrence sont dans l’ensembleconvergentes, l’examen attentif des conditionsposées par la Commission européenne pourvalider une fusion (désinvestissements, etc.)dénote une grande sévérité de l’autorité euro-péenne. À l’inverse, la Commission, faute peut-être de moyens suffisants, n’a pas été jusqu’à pré-sent en mesure de traquer les pratiques de cartelsou à contraindre les entreprises abusant de leurposition dominante dans des proportions com-parables à ce qui se fait aux États-Unis. Ce désé-quilibre s’est certes atténué récemment avec lesdécisions spectaculaires prises par laCommission en 2001 et 2002 (cartel des vita-mines, etc.) grâce en particulier aux nouvellesrègles sur la clémence. Il reste que la faiblesse desmoyens de la Commission ne peut lui permettrede conduire sur le long terme une politiqueaussi efficace que celle existant outre-atlantique.

Un renforcement de la lutte contre les abus deposition dominante et les ententes les plusanti-concurrentielles, qui s’accompagneraitd’un plus grand pragmatisme dans l’exercicedu contrôle des concentrations serait pour-tant souhaitable à plusieurs titres :" en premier lieu, la détection ex ante des pro-blèmes de concurrence que pourrait souleverune fusion est un exercice délicat qui présup-pose l’adoption par le nouveau groupe de com-

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rapport, porter un jugement d’ensemble surcette réforme dont les effets ne pourront êtreappréciés qu’avec le temps.

L’objectif est de mettre en lumière les grandesorientations stratégiques qui pourraientstructurer la politique de concurrence euro-péenne dans les années à venir pour assurerque les instruments existants sont bien utili-sés dans le but d’une régulation efficace del’économie européenne.

Rééquilibrer l’usage des instruments decontrôle en faveur du contrôle a posteriori

Le premier objectif pourrait être de rééqui-librer l’usage des instruments de contrôleen s’appuyant prioritairement sur la luttecontre les pratiques anticoncurrentiellesavérées plutôt que d’interdire les rappro-chements d’entreprises avant qu’ils aientpu produire leurs effets.

L’examen comparé des politiques européenne etaméricaine de la concurrence montre que là oùles États-Unis exercent une vigilance particulièresur les abus de position dominante ou les pratiquesde cartels, l’Europe cherche pour sa part à limiterau maximum la formation des positions domi-nantes au travers des fusions d’entreprises. Même sien apparence, hormis l’affaire GE/Honeywell, les

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de ces dispositions. Il faut espérer que le renfor-cement des moyens d’analyse économique quela Commission vient de décider y contribuera ;" la Commission devrait concentrer sonaction sur les seules concentrations aboutis-sant à la création ou au renforcement d’uneposition dominante. Le récent assouplisse-ment du « test de dominance », destiné notam-ment à prendre en compte les cas de formationd’un oligopole dit non collusif dans lesquels lafusion risque d’inciter les acteurs à coordonnerleur comportement, ne devrait conduire à desinterdictions ou des « remèdes » qu’à la condi-tion que la Commission apporte des élémentsextrêmement forts pour avancer que l’opéra-tion est susceptible de soulever des problèmesde concurrence ;" la Commission devrait renforcer sonanalyse économique des marchés perti-nents ce qui l’amènera logiquement à recon-naître beaucoup plus fréquemment qu’elle nele fait aujourd’hui que les marchés sont trèssouvent européens voire mondiaux, et nonplus seulement nationaux, du fait de laconstitution progressive du marché intérieur.

Promouvoir des règles internationalesminimales en matière de concurrence

Parallèlement à ce rééquilibrage « interne »de la politique de concurrence européenne,

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portements anti-concurrentiels, notammenten matière de politique de prix. Cette spécula-tion implique nécessairement une forte dosede subjectivité. C’est d’ailleurs tout le sens desarrêts récents du juge communautaire à l’en-contre de la Commission, arrêts par lequels illui a fait grief de ne pas suffisamment prouvéles effets anticoncurrentiels dont elle présume ;" en second lieu, plusieurs secteurs de l’écono-mie européenne (secteur bancaire, pharmaceu-tique, industrie automobile, etc.) sont encorepeu concentrés et pourraient avoir à se restructu-rer dans un avenir proche pour pouvoir faire faceà armes égales à la concurrence internationale.

Afin de faciliter un tel rééquilibrage de lapolitique européenne de concurrence, plu-sieurs pistes pourraient être envisagées :" il serait nécessaire que la Commissionprenne véritablement, et de bonne foi,

en compte les effi-ciences que peutgénérer une fusion(économies d’échelle,mise en commun desefforts de recherche,effet de taille nécessairesur les marchés interna-

tionaux, etc.). L’aménagement en cours destextes devrait faciliter une telle prise en compte.La clef réside malgré tout dans la mise en œuvre

Un renforcement de la luttecontre les abus de positiondominante et les ententes, et un plus grand pragmatismedans l’exercice du contrôle des concentrations

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Compte tenu de ces éléments, la recomman-dation du groupe de travail est de :" maintenir l’objectif d’un accord« concurrence » à conclure dans le cadre ducycle de négociations en cours. Si la tenta-tion a pu être grande, après l’échec de laconférence de Cancun, de renoncer à ce pro-jet, le groupe de travail considère qu’un telabandon affaiblirait fortement le schémaeuropéen et international de régulation car iltraduirait la renonciation à une forme néces-saire d’encadrement des forces de marché ;" compte tenu des réticences manifestées parplusieurs États, notamment dans le monde endéveloppement, à la perspective d’un telaccord, une voie envisageable pourrait être dese limiter, dans un premier temps, à nouerdans le cadre OMC un accord général. Cetaccord poserait simplement le principe d’unegénéralisation des législations de concurrenceet des échanges d’information entre autoritésnationales. Parallèlement à cet accord général,un accord permettant d’organiser une coopé-ration plus structurée serait négocié entreceux des États qui sont prêts à aller de l’avant.

Pour l’Europe, l’intérêt est clair. Il est de faireen sorte que la régulation concurrentielle s’or-ganise sur la base géographique la plus largepossible, de manière à garantir que les entre-prises européennes ne soient pas placées en

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les autorités communautaires devraientcontinuer à promouvoir l’édiction derègles et de disciplines internationales enmatière de concurrence. Il n’est pas accep-table que l’Europe s’oppose, par exemple, àla fusion de deux de ses constructeurs auto-mobiles ou bien encore condamne lourde-ment ses producteurs de ciment pourentente illégale si, dans le même temps, lesconcurrents japonais ou coréens de cesentreprises européennes peuvent se livrersans crainte, sur leur propre territoire, à despratiques analogues.

La formation, en cours, d’un réseau interna-tional des autorités de concurrence est, dece point de vue, une initiative heureuse.Mais elle ne saurait suffire. Un accord inter-national de plein exercice noué dans lecadre de l’OMC dont le principe a été posépar la réunion ministérielle de Doha qui aouvert le cycle de négociations en cours,serait le seul moyen de généraliser la mise enplace dans chaque État d’une législationconcurrentielle et d’une autorité pour lamettre en œuvre. Un tel accord permettraitégalement d’organiser les modalités d’unecoopération internationale pour luttercontre les cartels les plus graves, dont lespremières victimes sont, en général, les paysen développement.

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meilleure fluidité des marché du travail et descapitaux. Le marché intérieur est aujourd’huiune réalité, même si des restrictions auxéchanges existent encore dans le domaine desservices. Le commerce intra-européen s’estfortement développé, notamment en ce quiconcerne les échanges intra-branches, et lesécarts de prix à l’intérieur de l’Europe, ainsiqu’entre l’Europe et les prix mondiaux, ontfortement diminué. La Commission a estiméque le marché intérieur avait procuré à l’éco-nomie européenne en 2002 1,8 % de crois-sance en plus, et 1,5 % d’emploi en plus. Celaa été rendu possible grâce aux 2 000 directivesd’harmonisation adoptées et aux procéduresd’infraction mises en œuvre par la Commissionà l’égard des États membres qui maintenaientdes obstacles aux échanges.

L’amélioration de la compétitivité a donclongtemps été penséeau niveau européencomme provenant uni-quement de la mise enœuvre du marché inté-rieur12. Des initiativesde promotion activede la compétitivité se

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situation de handicap par rapport à celles despays tiers dans la compétition internationale.

1.3.2. Mobiliser les autres outils de larégulation pour accroître la compétitivitédes entreprises

Dire que la politique de concurrence euro-péenne ne doit pas incorporer d’objectif depolitique industrielle ne signifie pas quel’Europe ne doit pas, par ailleurs, mener desactions volontaristes en faveur de la compéti-tivité de l’économie et des entreprises euro-péennes. L’intervention de l’Europe dans ledomaine industriel ne doit pas se limiter àl’application de la politique de concurrenceainsi qu’à la réalisation du marché communet de la monnaie unique11.

! Europe et politiques actives en faveur dela compétitivité

Initialement, la notion de compétitivité étaitabsente du Traité de Rome. En pratique, laCommunauté a œuvré en faveur de la com-pétitivité par la réalisation du marché inté-rieur, qui devait apporter un surcroît de crois-sance par une concurrence accrue et une11 Cf. Elie Cohen et Jean-Hervé Lorenzi, Politiques indus-trielles pour l’Europe, Conseil d’analyse économique, Ladocumentation française, 2000.

12 Cf. Martin Bangemann, « Une politique industrielle dansun environnement ouvert et concurrentiel », 1992.

L’intervention de l’Europe dansle domaine industriel ne doitpas se limiter à l’applicationde la politique de concurrenceainsi qu’à la réalisationdu marché commun et dela monnaie unique

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donné pour mission générale à laCommunauté de renforcer la compétitivitéindustrielle, il a instauré un système de finance-ment des réseaux de transport européen et acréé un titre spécifique sur l’industrie(article 157). Dans ce titre, il est prévu que les États membres et la Communauté doiventaccélérer l’adaptation de l’industrie aux change-ments structurels, encourager un environne-ment favorable à l’initiative et à la coopérationentre les entreprises, et favoriser une meilleureexploitation du potentiel industriel des poli-tiques d’innovation, de recherche et de déve-loppement technologique.

Toutefois, le Traité de Maastricht pose le prin-cipe d’une double subsidiarité :" par rapport au marché tout d’abord : cesinitiatives doivent s’inscrire dans un systèmede marchés ouverts et concurrentiels, sansintroduire de distorsions de concurrence surle marché communautaire ;" par rapport aux autres politiques euro-péennes ensuite : l’action de la Communautéen faveur de la compétitivité ne dispose pasd’autres outils propres que la coordinationentre les États membres et l’appui des actionsdes États membres (à la majorité qualifiéedepuis le traité de Nice) ; cette action doitdonc passer prioritairement par les autrespolitiques communautaires.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

sont toutefois développées à partir des années1970, notamment dans le domaine de larecherche et développement13.

Historiquement, si l’on met à part les actionsentreprises dans le cadre de la CECA et, surtout,de l’Euratom (qui a permis la mise en place duCentre commun de recherches), ce n’estqu’avec l’Acte unique de 1986 qu’ont étéposées, au niveau des traités, les premières baseslégales d’une action communautaire dans ledomaine de la recherche et développement14.Le Traité de Maastricht (1992)15 a ensuite

13 Art. 308 TCE ex 235, qui prévoit que le Conseil desministres peut prendre des dispositions « nécessaires pourréaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l’un desobjets de la Communauté, sans que le Traité ait prévu les pou-voirs d’action requis à cet effet ».14 Titre VI intitulé « La recherche et le développement de la tech-nologique » et article 130F qui affirme que « la Communautéa pour objectif de renforcer les bases scientifiques et technologiquesde l’industrie de la Communauté et de favoriser la compétitivitéinternationale, ainsi que de promouvoir les actions de recherchejugées nécessaires au titre d’autres chapitres du présent traité ». Iln’en demeure pas moins que, sans attendre cette consécrationpar les traités, l’Union européenne avait lancé, dès 1984, unpremier programme-cadre de recherche et développementdoté de moyens financiers significatifs.15 Article 130N qui prévoit que « la Communauté peut créerdes entreprises communes ou tout autre structure nécessaire àbonne exécution des programmes de recherche, de développementtechnologique et de démonstration communautaire » ; article 3lqui donne mission à la Communauté pour « le renforcementde la compétitivité de l’industrie de la Communauté ».

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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harmonisation de la fiscalité des fusions, har-monisation des normes comptables ;" diminution des charges administrativesliées au marché intérieur (initiative SLIM, dis-positifs d’alerte rapide...).

À ces mesures portant sur l’environnementdes entreprises se sont ajoutées des interven-tions plus directes de la Communauté, au tra-vers du programme cadre sur la recherche, desfinancements des réseaux trans-européens,ainsi que des fonds structurels, qui intervien-nent pour une part importante dans l’adapta-tion de l’industrie. Par ailleurs, l’Europe(même si, souvent, il ne s’agit pas toujours del’Union européenne stricto sensu) est parfoisdirectement opérateur, au travers du CERNpour l’industrie nucléaire, de Galileo pour leGPS, de l’ESA dans le domaine spatial, etc.

Chacun de ces outils européens, que ce soit lalibéralisation des services financiers ou le pro-gramme cadre de recherche et de développe-ment, mériterait une analyse détaillée spéci-fique. Il n’est pas dans l’objet de ce rapport deconduire une telle analyse. Néanmoins, à cestade, le groupe de travail souhaite faire partde deux convictions fortes :" lorsque l’Union dépasse le cadre despolitiques d’environnement des entrepriseset intervient plus directement en faveur de

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

La critique qui peut être adressée à cettedémarche est que, sous prétexte de subsidia-rité et de renonciation à l’interventionnismepassé, l’Europe risque de laisser l’environne-ment des entreprises se dégrader, soit que desrigidités existantes ne soient pas traitées, soitque l’hétérogénéité des règles ne soit pas atta-quée, soit encore que les ressources néces-saires ne soient pas mobilisées vers les projetsd’intérêt commun.

! Privilégier les mesures en faveur del’amélioration de l’environnement desentreprises

L’action de l’Europe dans le domaine de lapromotion de la compétitivité européennen’est certes pas inexistante. À la suite duConseil européen de Lisbonne en mars 2000qui a voulu faire de l’Europe la région la pluscompétitive au monde en 2010, différentesactions ont été engagées ou intensifiées :" achèvement du marché intérieur des ser-vices financiers ainsi que des industries deréseau afin de diminuer les prix et d’inciter àl’innovation dans ces secteurs ;" incitation à l’innovation en facilitant lamobilité des chercheurs ainsi que l’investisse-ment dans le capital risque ;" harmonisation du droit des entreprises,création du statut de la société européenne,

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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recherche et des capacités militaires, pouridentifier les besoins, définir les mesurespermettant de les satisfaire, renforcer la baseindustrielle et technologique, et définir unepolitique européenne des capacités et del’armement ; cette mesure a été proposéepar le sommet des quatre du 29 avril 2003 ;elle a été reprise dans le projet deConstitution, et le principe en a été acté auConseil européen de Thessalonique pourune date de création effective en 2004 ;

– le textile : l’Union, premier exportateurmondial, va devoir faire face à la fois à l’élar-gissement, qui va augmenter de 25 % lenombre d’employés dans ce secteur, et à lasuppression en janvier 2005 des quotas dufait de l’accord multilatéral conclu dans lecadre de l’OMC ; la Commission a doncproposé le 28 octobre 2003 de lancer unprogramme spécifique, mobilisant à la foisle programme cadre de recherche, des res-sources en faveur de l’éducation et la forma-tion, la politique régionale, ainsi que lapolitique commerciale, notamment à l’égarddes pays de la Méditerranée ; des consulta-tions vont être menées avant la mise enœuvre pratique de ce programme ;

– le spatial : un plan d’action a été présentépar la Commission européenne le 11 novem-bre 2003, après un travail conjoint avecl’Agence spatiale européenne ; ce plan pro-

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

la compétitivité, ces initiatives sont sou-vent difficiles à mettre en œuvre du fait despriorités économiques très hétérogènes desÉtats membres, et des principes de factoappliqués par beaucoup d’États membrestels que le juste retour ; de ce fait, les finan-cements communautaires que sont le PCRD,les RTE et les fonds structurels relèvent plus del’effet d’aubaine pour les États membres qued’une véritable politique européenne cohé-rente (cf. la récente initiative de relance, quipourrait, faute de moyens budgétaires suffi-sants et en raison de la difficulté à sélection-ner les projets, être enterrée) ; certainsdemandent donc aujourd’hui la renationalisa-tion de tout ou partie de ces politiques ;" plusieurs initiatives sectorielles sont appa-rues récemment :– la défense : dans le domaine aéronautique,

EADS a été constitué en 1999 ; la concentra-tion dans le domaine militaire se poursuitaujourd’hui ; par ailleurs, de nombreux pro-grammes d’armement communs existent,notamment entre la France et l’Allemagne,et les nombreuses initiatives en faveur d’unepolitique d’armement commune (définitiondes besoins, cahiers des charges communs,appels d’offre-uniques) des années 1990-2000 devraient revêtir bientôt une plusgrande ampleur avec la création d’uneagence européenne de l’armement, de la

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I. LA RÉGULATION DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

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compétitif des entreprises. La France, quiavait jusque-là tenté d’exporter son modèle dedéveloppement économique et avait proposéque l’Europe développe des politiques secto-rielles fortes, a en effet changé de position àpartir du milieu des années 1980. Il est vraique l’État n’est ni légitime, ni compétent,pour mener une politique d’intervention sec-torielle par la commande publique, les aidesou encore la promotion de champions natio-naux. Cela devrait rester une ligne directricede l’action communautaire, ce qui n’exclutpas une amélioration et un approfondisse-ment des politiques horizontales16.

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pose un accroissement substantiel desdépenses en faveur de l’espace ; il pose leprincipe de la création d’un programmespatial européen pluriannuel qui détermi-nera les priorités, sur une base quinquen-nale, en ce qui concerne la recherche, ledéveloppement des infrastructures, lesservices et la technologie ; il convient deconsolider la base scientifique, et d’investirdans de nouvelles infrastructures.

Le secteur de l’armement est spécifique, carles questions purement économiques se com-binent à des motivations stratégiques. Dansce secteur, l’existence de champions natio-naux ou, mieux, européens peut avoir unintérêt économique (rentabilisation dedépenses de recherche et développement trèsélevées), mais également stratégique (indé-pendance nationale, instrument de négocia-tion vis-à-vis des États tiers).

Toutefois, en ce qui concerne les autres sec-teurs économiques, il convient de privilé-gier les mesures horizontales par rapport àdes mesures sectorielles. Un accord s’étaitfait à la fin des années 1980 et au début desannées 1990, tant au niveau national quecommunautaire, pour ne pas poursuivre lespolitiques industrielles sectorielles, et préférerdes politiques en faveur d’un environnement

16 Sur le débat entre tenants d’une politique industrielled’orientation sectorielle et promoteurs d’une politiqueindustrielle horizontale, cf. Cohen et Lorenzi (2000), p. 135et suivantes.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

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IILA CONCILIATION DU

DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUEET DES « PRÉFÉRENCES

COLLECTIVES » NONMARCHANDES NÉCESSITE

UNE STABILISATION ETUNE CLARIFICATION DU CADRE

JURIDIQUE DES SERVICESD’INTÊRET GÉNÉRAL

La mise en œuvre du marché intérieur etla politique de concurrence visent à amé-liorer la compétitivité de l’économie

européenne par le libre-échange et le bonfonctionnement des marchés. Néanmoins,cet objectif strictement économique doitnécessairement être concilié avec les « pré-férences collectives » exprimées par lesEuropéens : préservation de l’environnementet de la santé publique, éducation de qualitépour tous, desserte harmonieuse du territoiredans le domaine de l’énergie et des télécom-munications, etc.

En théorie, il n’y a pas de contradiction entreobjectifs économiques et préférences collec-tives, et le libre fonctionnement des marchésainsi que le jeu de la concurrence devraient

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

La problématique d’ensemble est la suivante :comment s’assurer, alors que les préférencescollectives des Européens ne sont pas néces-sairement homogènes, dans un contexte deréalisation progressive du marché intérieur etnotamment de libéralisation des industries deréseau, que les objectifs d’intérêt généralpropres à chaque société peuvent être pris encompte, tout en perturbant le moins possiblele fonctionnement des marchés ?

Cette question est aujourd’hui un élémentcentral dans le débat politique au niveaueuropéen, mais également au plan interna-tional, notamment dans le cadre de l’OMC.Beaucoup critiquent en effet l’impact desrègles OMC sur les préférences collectives desÉtats membres de cette organisation, tantdans le domaine culturel, environnementalque social, etc. : le libre-échange entraîneraitun nivellement par le bas des normes sociales,et rendrait plus difficile la défense d’unmodèle culturel national ou régional. Parailleurs, l’encadrement des normes techniques(prohibition des normes ayant un effet discri-minatoire à l’encontre des produits importés)restreindrait les marges de manœuvre desÉtats pour définir des normes sanitaires, envi-ronnementales… protectrices du consomma-teur et de l’environnement. Ces probléma-tiques, qui soulèvent en fait la question plus

conduire naturellement à une organisationéconomique offrant un bénéfice maximalpour la société et prenant en compte ces pré-férences collectives.

Toutefois, ce n’est pas toujours le cas.Notamment, la fourniture de certains services

dans certaines zonesgéographiques et pourcertains types de publicspeut être considéréecomme non rentablepar le marché et donc nepas être développée,

alors même qu’elle présente un intérêt pour lacollectivité. Cet état de fait a conduit les autoritéspubliques des États membres à intervenir dans lefonctionnement de certains marchés pour sup-pléer, aiguillonner ou encadrer l’initiative privée.

Cette intervention dans le libre fonctionne-ment des marchés peut porter atteinte auxprincipes communautaires du marché inté-rieur et de la concurrence. La conciliationentre règles communautaires et interventiondes États, entre objectifs strictement écono-miques et préférences collectives, pose doncaujourd’hui problème. Ceci a notammentconduit la Commission européenne à publieren 2003 un « Livre vert » sur le sujet et à lan-cer une vaste consultation publique.

L’objectif strictementéconomique de compétitivitédoit être concilié avecles préférences collectivesexprimées par les Européens

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

tion plus directe des États sur les marchés, desconflits continuent d’exister entre droit natio-nal et droit communautaire.

2.1.1. La prise en compte des objectifsnon marchands est ancienne maisl’organisation des services d’intérêtéconomique général est unepréoccupation récente

! Le contrôle des réglementationsnationales limitant les échanges et la libreconcurrence

L’analyse courante consistant à opposer demanière rigide et absolue concurrence etobjectifs non marchands n’est pas fondée. Ilpeut tout d’abord arriver que les objectifsnon marchands coïncident exactement avecles principes de concurrence et de libre-échange. Ainsi dans le domaine culturel, lapluralité des médias passe par un contrôleefficace des ententes et des concentrationsdans le secteur audiovisuel. Dans le domainesportif également, l’objectif de libre accèsdes citoyens européens aux événementssportifs majeurs suppose a minima desconditions concurrentielles équitables sur lemarché des droits de diffusion des événe-ments sportifs (cf. récente affaire Premierleague/B Sky B).

générale du modèle de « globalisation » verslequel tendre, ne sont pas abordées dans leprésent rapport.

Une clarification progressive du droit com-munautaire a été opérée ces dernières années,dans le sens d’une meilleure prise en comptedes objectifs d’intérêt général. Toutefois, ledroit communautaire sur ces questions restepeu stabilisé et laisse d’importantes margesd’incertitude, qui rendent nécessaires uneclarification.

2.1. Un cadre juridiquecommunautaire en formationet non stabilisé

L’Europe ne se limite pas à la réalisation dumarché intérieur, à la politique de concurrenceet à l’amélioration de la compétitivité desentreprises, et elle n’empêche pas la prise encompte des objectifs non marchands. Bien aucontraire, une bonne partie de l’activité nor-mative communautaire consiste à réglementerles marchés, au plan européen, pour s’assurerque les objectifs d’intérêt général sont conve-nablement pris en compte. En outre, le droitcommunautaire permet aux États membres decontinuer à prendre de telles mesures.Toutefois, en ce qui concerne cette interven-

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

principe, et donc de refuser l’importationd’un bien produit dans un autre Étatmembre, dès lors qu’une telle mesure estnécessaire pour « satisfaire à des exigencesimpérieuses » telles que la protection de lasanté publique ou la défense des consomma-teurs18.

Le droit communautaire n’interdit donc pasaux États de définir des normes nationales enmatière de sécurité des produits ou de respect

de l’environnement,par exemple ; il interdituniquement d’adopterdes règles qui établi-raient une discrimina-tion entre les États, ouqui ne seraient pas pro-portionnées aux objec-

tifs poursuivis. Le contrôle de proportionnalitéde la Cour de justice de la Communauté euro-péenne a ainsi conduit celle-ci à considérercomme conforme aux Traités, pour l’essentiel,la réglementation française sur le livre. LaCour a en effet considéré que les restrictions

Il doit ensuite être reconnu que les règlescommunautaires mettant en place le marchéintérieur ainsi que la politique de concur-rence ont visé, dès l’origine, à concilier libre-échange et libre fonctionnement des marchésd’une part, et préférences collectives d’autrepart.

Ainsi, l’article 30 du Traité de Rome prévoitque des restrictions aux échanges peuvent êtremises en place par les États, dès lors qu’ellessont justifiées par « des raisons de moralitépublique, d’ordre public, de sécurité publique,de protection de la santé et de la vie des per-sonnes et des animaux ou de préservation desvégétaux… ».

La jurisprudence de la Cour a confirmé cetteorientation. Ainsi, dans le fameux arrêt Cassisde Dijon de 1979, lorsque la Cour a donnéune impulsion essentielle à la réalisation dumarché intérieur en créant le concept dereconnaissance mutuelle17, elle a permis auxÉtats membres de limiter l’application de ce17 En l’absence de réglementation commune au niveau euro-péen sur une norme technique, il appartient aux Étatsmembres d’adopter, au plan national, de telles normes.Toutefois, pour que ces normes nationales ne constituentpas une entrave aux échanges, le principe de reconnaissancemutuelle prévoit qu’un pays ne peut refuser sur son sol desbiens produits par un autre État membre et conformes à lanorme adoptée par celui-ci.

18 Sous différentes formulations (motif d’intérêt général,raisons impérieuses d’intérêt général), la CJCE a étendu l’ap-plication de ce raisonnement de la libre circulation desbiens à la libre prestation de services (CJCE 1991 Säger etDennemeyer) et à la liberté d’établissement (CJCE 1993Dieter Krauss).

Les règles communautaires ontvisé, dès l’origine, à concilierlibre-échange et librefonctionnement des marchésd’une part, et préférencescollectives d’autre part

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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dans le domaine énergétique ou aéropor-tuaire, elle n’a pas prononcé de condamna-tion de principe de ces dispositifs qui vien-nent le plus souvent restreindre la librecirculation des capitaux. Elle a uniquementapprécié si ces mesures étaient proportion-nées aux objectifs (légitimes) des États (dansle cas d’espèce, la sécurité d’approvisionne-ment énergétique ou la qualité de la desserteaérienne nationale).

! L’inscription directe des préférencescollectives dans le droit communautaire

Il arrive également que la Communauté défi-nisse elle-même des normes (environnemen-tales, sociales, sanitaires…) harmonisées grâcenotamment aux compétences sectorielles21

dont elle dispose (compétence environnemen-tale, sociale, culturelle…). C’est ainsi parexemple que la Communauté s’est dotée d’ungrand nombre de normes techniques harmoni-sées, notamment dans le domaine des activités

au libre-échange étaient proportionnées à l’ob-jectif poursuivi, à savoir la protection despetites librairies, indispensable à la diversité cul-turelle dès lors que le livre constitue toujours lepremier vecteur culturel. De même, la Cour aconsidéré que la réglementation française inter-disant les publicités pour des marques de tabacdans certaines manifestations sportives, si elleconstituait une entrave au principe de libreprestation de services dans le domaine de lapublicité, était proportionnée à l’objectif desanté publique19. Enfin, la Cour a validé la loiitalienne établissant des quotas linguistiques àla radio italienne, comme ne constituant pasune atteinte disproportionnée à la libre presta-tion de services, compte tenu de l’objectif cul-turel d’intérêt général visé par cette loi.

De même, en matière de libre circulation descapitaux, le droit communautaire n’interditpas toute restriction, mais uniquement cellesqui seraient discriminatoires ou non propor-tionnées aux objectifs poursuivis. Ainsi parexemple lorsque la Cour a été amenée à sta-tuer sur les golden shares20 de certains États

19 Depuis lors, l’Union européenne s’est dotée de sa propreréglementation en la matière.20 Les golden shares permettent aux États, dans d’anciennesentreprises publiques partiellement ou totalement privati-sées, de conserver un droit de regard sur les décisions del’entreprise (composition du capital…).

21 Les articles 2 et 3 du Traité instituant la Communautéeuropéenne (TCE) assignent à celle-ci des objectifs de carac-tère non marchand (niveau d’emploi et de protection socialeélevé, niveau élevé de protection et d’amélioration de la qua-lité de l’environnement…) et lui donnent compétence pourdéfinir une politique dans le domaine de l’environnement etdans le domaine social, ainsi que pour contribuer à la réali-sation d’un niveau élevé de protection de la santé et au ren-forcement de la protection des consommateurs.

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

énergies renouvelables) qui définissent lescritères que doivent remplir les dispositifsd’aides publiques horizontales. Par ailleurs,sont admises aux termes des Traités dif-férentes catégories d’aides, dont cellesdestinées à promouvoir la culture et laconservation du patrimoine, quand ellesn’altèrent pas les conditions des échangeset de la concurrence dans la Communautédans une mesure contraire à l’intérêtcommun.

! Le contrôle des interventions directesdes États dans le système productif :l’émergence du concept de service d’intérêtéconomique général

Le droit communautaire n’empêche donc pasles États d’intervenir de manière réglemen-taire, en définissant des normes, pour enca-drer certaines activités et s’assurer de la priseen compte de certains objectifs non mar-chands. La relation avec le droit communau-taire est cependant plus complexe et difficileen ce qui concerne les interventions directesde l’État dans le système productif, soit par lebiais d’entreprises publiques, soit en enca-drant l’initiative privée, pour s’assurer que desservices qui sont identifiés comme d’intérêtgénéral sont convenablement mis à disposi-tion des citoyens.

polluantes ou de la sécurité alimentaire, quilimitent la liberté des échanges, pour desmotifs d’intérêt général (ordre public, protec-tion de l’environnement…). La directive « télé-visions sans frontières » de 1989, modifiée en1997, qui libéralise la radiodiffusion enEurope, permet aux États d’intervenir notam-ment dans deux cas : pour s’assurer de laretransmission d’événements qu’ils jugentd’une importance majeure pour la société, et s’ily a violation manifeste, grave et répétée de laprotection des mineurs et de l’interdiction d’in-citer à la haine. De même, le règlement de jan-vier 2002 sur la législation alimentaire, outre lefait qu’il consacre dans le droit communautairele principe de précaution, permet également àla Communauté, ainsi qu’aux États membres,en cas de risque sérieux pour la santé humaine,la santé animale ou l’environnement, deprendre des mesures d’urgence (retrait du mar-ché, suspension des importations).

Enfin, en ce qui concerne la politique deconcurrence, les règles ont été adaptées afinde prendre en compte certains objectifs nonmarchands. Ainsi en est-il des lignes direc-trices (notamment dans le domaine del’environnement22 et de la promotion des22 Les aides en matière d’économie d’énergie ainsi que de pro-duction combinée sont autorisées, dès lors que l’impact positifsur l’environnement est démontré, et dans certaines limites.

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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limites où l’application de ces règles ne faitpas échec à l’accomplissement en droit ou en faitde la mission particulière qui leur a été impar-tie24 ». Pour faire respecter ces principes, laCommission dispose (art. 86§3) d’un pou-voir de décision autonome.

Jusqu’à la fin des années 1980, ces disposi-tions ont fait l’objet de peu d’applicationspratiques. Les autorités communautaires n’in-terféraient pas dans les différents dispositifsmis en place par les États pour assurer la réalisation des objectifs d’intérêt général qu’ilss’étaient assignés : desserte universelle du ter-ritoire et péréquation tarifaire pour le courrieret le téléphone par création d’un monopolepublic ou encore subvention croisée entre sec-teurs peu rentables et secteurs rentables ; fia-bilité des réseaux par intégration verticaledans le domaine énergétique et création demonopoles publics ou privés régionaux, voirenationaux ; sécurité d’approvisionnementgrâce à la conclusion de contrats exclusifs de

L’article 295 du Traité pose le principe de laneutralité du droit communautaire au regard

du régime de propriété(public ou privé) desentreprises. Toutefois,cette liberté des Étatsmembres de nationali-ser ou de privatiser lesentreprises relevant deleur juridiction fait

l’objet d’une interprétation minimaliste de lapart tant de la Commission que de la Cour23,selon lesquelles les règles du Traité, notam-ment en matière de libre circulation et deconcurrence, s’appliquent de manière iden-tique aux entreprises privées et publiques.

Par ailleurs, le Traité affirme que les entre-prises publiques ainsi que les entreprises titu-laires de droits exclusifs (monopoles accordéspar les États : concessions exclusives à desentreprises privées) ou spéciaux (licences…)doivent se conformer au droit de la concur-rence (interdiction des abus de positiondominante notamment). Enfin, les entre-prises chargées de la gestion d’un service d’in-térêt économique général) sont soumises auxrègles du droit communautaire, « dans les

La relation avec le droitcommunautaire est pluscomplexe et difficile en ce quiconcerne les interventionsdirectes de l’État dansle système productif

23 Cf. CJCE 1982 France, Italie et Royaume-Uni contreCommission.

24 La pratique de cet alinéa par la CJCE a changé au cours dutemps. Relativement rigide initialement (il faut que la mis-sion d’intérêt général soit réellement rendue impossiblepour pouvoir déroger au droit commun communautaire :CJCE 1985 British Telecom), elle est devenue plus souple (ilfaut uniquement que l’exercice de la mission ne soit pluspossible dans des conditions économiquement acceptables,CJCE 2001 Poste Italiane).

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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tie implicite accordée par l’État français auxemprunts d’EDF25, et obtenu qu’il soit mis unterme à cette garantie au travers d’un chan-gement du statut d’EDF.

Cette intervention plus prégnante du droitcommunautaire dans le domaine des servicesd’intérêt général a suscité en réaction desdemandes en faveur d’un renforcement desgaranties juridiques de leur pérennité. Audébut des années 1990, la Cour, sur la base dela notion de service d’intérêt économiquegénéral et de l’article 86 du Traité, a construitune doctrine protectrice des services d’intérêtgénéral. Elle a ainsi affirmé (Corbeau, 1993et Commune d’Almelo, 199426) que les obli-gations définies par les États pouvaient justi-fier des dérogations aux règles de concurrence(notamment subventions croisées entre des

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

très long terme avec les pays producteursd’énergie…

Toutefois, deux évolutions importantes ontrompu ce fragile équilibre :" la libéralisation des industries de réseau,commencée dans le secteur des télécoms en1990 et qui a gagné depuis le secteur postal(1997), énergétique (1996 pour l’électricité,1998 pour le gaz) et du transport ferroviaire(1991 et surtout 2001) ; cette libéralisationrepose sur le principe de l’ouverture à laconcurrence des segments de marché qui nesont pas en situation de monopole naturel(production d’électricité, distribution finaled’électricité et de gaz, exploitation des ser-vices de transport ferroviaires…), et de laséparation des entreprises intégrées vertica-lement lorsque existent des infrastructuresphysiques importantes ; de ce fait, tous lesfinancements des objectifs d’intérêt généralpar subventions croisées et/ou par le biaisd’un opérateur public en situation demonopole deviennent plus difficiles, voireimpossibles ;" la mise en œuvre de manière plus appro-fondie et plus volontariste de la politique deconcurrence par la Commission européenne àl’égard des entreprises visées à l’article 86 ;c’est ainsi par exemple qu’en 2003 laCommission a qualifié d’aide d’État la garan-

25 En contrepartie, la Commission européenne a saisi la CJCEà l’encontre de l’Espagne et de l’Italie pour leurs « décretsanti EDF », limitant dans le secteur énergétique les droits devote détenus par une entreprise publique (2 % en Italie et3 % en Espagne), ces mesures violant le principe de libre cir-culation des capitaux dans l’Union.26 La CJCE a affirmé qu’il est possible de déroger aux règles deconcurrence dès lors que cela est nécessaire pour assurer l’ac-complissement de la mission particulière conférée. En parti-culier, les subventions croisées et l’interdiction de l’écrémagepar des concurrents peuvent être admis dans le secteur pos-tal (Corbeau), de même que l’existence d’un monopoled’importation de l’électricité (Commune d’Almelo).

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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d’intérêt économique général, et modèlesocial européen. Cette déclaration demande

que soit assurée uneplus grande sécuritéjuridique à ces servicesdans l’application dudroit de la concur-rence. Sur cette base,la Commission a pro-posé au mois d’oc-tobre 2001 que lecontenu exact du

concept soit précisé dans une directive cadre,que soit réalisée une évaluation des perfor-mances dans les États membres, et qu’uneméthodologie d’étude au titre des aides d’Étatsoit définie. Le Conseil européen a approuvéen décembre 2001 ces orientations.

Enfin, le projet de Constitution établi par laConvention a proposé de donner une basejuridique à une telle directive-cadre, en repre-nant, dans l’article III-6, l’article 16 actuel29,

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segments de marché concurrentiels et des seg-ments où une entreprise dispose de droitsexclusifs27).

La Commission, dans ses communications de1996 et 2000 sur les services d’intérêt général,a également affirmé la nécessité de ne pas por-ter atteinte aux finalités de ces services. LeParlement européen a, quant à lui dans unerésolution de 1997, souligné que ces servicesconstituaient un « élément essentiel de la cohé-sion économique et sociale ».

Par ailleurs, depuis le traité d’Amsterdam28,les services d’intérêt économique général fontl’objet d’un article ad hoc, qui reconnaît « laplace qu’occupent les services d’intérêt écono-mique général parmi les valeurs communes del’Union ainsi que le rôle qu’ils jouent dans lapromotion de la cohésion sociale et territorialede l’Union » (article 16).

À Nice, les États membres ont adopté unedéclaration qui souligne le lien entre services

27 La directive transparence (cf. supra) permet en théorie derepérer de telles subventions croisées.28 La Commission avait proposé que soit ajouté à l’article 3de l’actuel TCE une référence à la compétence de laCommunauté pour « contribuer à la promotion des servicesd’intérêt général », mais la création d’un article 16 ad hoc aété préférée par la Conférence intergouvernementale (CIG).

Les Services d’intérêtéconomique général, face auxinitiatives de libéralisation etau contrôle plus volontaristede la Commission, font l’objetd’une jurisprudence protectricede la Cour, et commencent àêtre pris en compte par le droitcommunautaire

29 « Eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt écono-mique général en tant que services auxquels tous dans l’Unionattribuent une valeur ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la pro-motion de sa cohésion sociale et territoriale, l’Union et ses Étatsmembres, chacun dans les limites de leurs compétences respectiveset dans les limites du champ d’application de la Constitution,veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principeset dans des conditions, notamment économiques et financières,qui leur permettent d’accomplir leurs missions. »

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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2.1.2. La difficile conciliation pratiquedes services d’intérêt général et del’ouverture à la concurrence

! Règles de concurrence et servicesd’intérêt économique général : des conflitspotentiels

Conformément au principe de subsidiarité,c’est toujours au niveau national que les ser-vices d’intérêt général sont définis, organisés,financés et contrôlés.

Néanmoins, la Communauté intervient forte-ment. En ce qui concerne les industries deréseau (énergie, service postal, télécommunica-tions), les directives sectorielles qui ont libéra-lisé ces secteurs ont précisé comment devaitdésormais être financé le « service universel »,i.e. les prestations élémentaires qui doivent êtrefournies à chaque usager : possibilité de conti-nuer à pratiquer des subventions croisées dansle secteur postal, financement du surcoût dûau service universel par répartition sur tous lesopérateurs pour les télécommunications…

Par ailleurs, conformément à l’article 86 duTraité, les règles de concurrence de droit com-mun s’appliquent aux entreprises titulaires dedroits exclusifs ou spéciaux ou de servicesd’intérêt économique général.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

et en y ajoutant que « la loi européenne définitles principes et les conditions [d’exercice desservices d’intérêt économique général] ». Cepoint semble pouvoir faire l’objet d’unconsensus entre les États membres. Ilconvient toutefois de remarquer que cetteavancée a été assortie de deux garde-fous, àl’article III-1730. En outre, le Parlement euro-péen a récemment adopté une résolution, à lasuite du rapport Herzog qui ne reprend pas àson compte l’idée d’une directive. Il reste quela Charte des droits fondamentaux del’Union européenne, proclamée de manièresolennelle par les trois institutions commu-nautaires en décembre 2002, et à laquelle leprojet de Constitution donne valeur constitu-tionnelle, fait de l’accès à ces services undroit31.

30 « Si des dispositions prises dans les cas prévus aux articles III-6 et III-34 ont pour effet de fausser les conditions de la concur-rence dans le marché intérieur, la Commission examine avecl’État intéressé les conditions dans lesquelles ces dispositions peu-vent être adaptées aux règles établies par la Constitution.Par dérogation à la procédure prévue aux articles III-265 et III-266, la Commission ou tout État membre peut saisir directementla Cour de justice, s’il estime qu’un autre État membre fait unusage abusif des pouvoirs prévus aux articles III-6 et III-34. LaCour de justice statue à huis clos. »31 Article II-36 du projet de Constitution : « l’Union recon-naît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique généraltel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales,conformément à la Constitution, afin de promouvoir la cohé-sion sociale et territoriale de l’Union ».

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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munications34, énergie, distribution d’eau…) ;la question est aujourd’hui posée de la perti-nence d’un tel dispositif, dès lors que danscertains cas le marché est européen : ne serait-il pas plus efficace économiquement d’avoirune seule définition harmonisée au niveaueuropéen ?" une fois les obligations de service universeldéfinies, comment s’assurer de leur réalisa-tion ? deux choix successifs doivent être effec-tués : le choix du (ou des) prestataire(s)chargé(s) de la réalisation du service, le choixdu financement de ce service, dont l’exploita-tion est en général déficitaire ; comme cela adéjà été explicité supra, ces deux opérations sefont sous le contrôle du droit communau-taire : la procédure de choix, s’il n’y a pasrecours aux marchés publics, doit être trans-parente, non discriminatoire et proportion-née, et la compensation ne doit pas consti-tuer une aide d’État incompatible avec ledroit communautaire.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

Enfin, comme cela a déjà été rappelé supra, lesrègles de concurrence de droit commun(interdiction des ententes, des abus de posi-tion dominante et des aides d’État) sont misesen œuvre de manière plus systématique, ycompris pour ces services32.

Très concrètement, cet état de fait poseaujourd’hui plusieurs problèmes distincts33 :

" la question de ladéfinition de ce quedoit être le serviceuniversel ; cette défi-nition est aujourd’huidans la plupart descas laissée aux Étatsmembres, voire à leurs

collectivités locales (transports, télécom-

32 Cf. arrêts CJCE 1974 Giuseppe Sacchi, et 1988 Bodson :les Etats membres peuvent parfaitement accorder des droitsexclusifs à un opérateur, pour des considérations d’intérêtpublic de nature non économique ; mais les dispositions duTraité restent valables, notamment en matière d’aides d’Étatet d’abus de position dominante.33 Cf. le rapport de la Commission sur les aides d’État et lesSIEG, réalisé pour le Conseil européen de Laeken endécembre 2001 à la suite de l’arrêt CJCE Ferring, qui identifie5 questions : liberté laissée aux Etats dans la définition desSIEG, champ d’application des règles aides d’État, transpa-rence dans les relations entreprises/État, modalités de sélectiondes entreprises titulaires d’un SIEG, et financement du serviceuniversel.

34 Dans le domaine des télécommunications, l’étendue duservice universel est laissée à l’appréciation de l’Étatmembre, qui peut inclure la cohésion sociale, l’aménage-ment du territoire, et/ou la protection du consommateur. Ilest ainsi permis aux États, comme cela est prévu en France,d’imposer la desserte de l’ensemble du territoire, à un prixunique. Mais seules les missions limitativement énuméréesdans les directives peuvent donner lieu à une compensationfinancière prélevée sur les autres opérateurs.

Trois questions sont posées : le niveau auquel sont définis les SIEG et le service universel,et les contraintes pesant sur lechoix du prestataire et le modede financement

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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sionnement de long terme, sur lesquels reposelargement la sécurité énergétique des paysdépendants sur le plan énergétique. Au termed’une enquête antitrust visant à améliorer laconcurrence sur le marché européen du gaz,la Commission européenne a ainsi obtenu larenégociation du contrat de long terme entreGasprom, le producteur de gaz russe, et ENI,le distributeur italien. Si la durée de cescontrats n’a finalement pas été critiquée par laCommission, qui a uniquement exigé l’aban-don des clauses territoriales restrictives, cetteaffaire a rendu difficiles les relations entrel’Europe et la Russie (et avec l’Algérie) sur lesquestions énergétiques ;" le contrôle des concentrations qui est exercédans un cadre juridique ne permettant pas oumal la prise en compte économique et socialedes opérations envisagées.

! Une situation juridique qui reste à clarifier

Sur les deux questions du choix du prestataireet du financement, la jurisprudence de laCour a apporté récemment des éclaircisse-ments importants35 au travers notamment dufameux arrêt « Altmark » : ne constituent pas

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

La mise en œuvre des règles de la politique deconcurrence peut donc dans certains cas entreren conflit avec la réalisation d’un objectif d’in-térêt général. L’objectif de sécurité énergétiqueen offre un exemple. À l’heure actuelle, alorsque la Communauté est compétente pourprendre des mesures en cas de difficultés d’ap-provisionnement en produits énergétiques(article 100), elle n’exerce pas cette compé-tence, et les directives de libéralisation dessecteurs électrique et gazier laissent aux Étatsmembres le soin de prendre en compte cetobjectif. Des conflits d’objectif avec la poli-tique de concurrence peuvent surgir à troisniveaux au moins :" le contrôle des aides d’État, qui peut empê-cher les aides publiques aux infrastructures.Le Traité prévoit de tenir compte pour lesaides d’État des exigences de cohésion écono-mique et sociale et des missions d’intérêtgénéral, qui peuvent comprendre la sécuritéénergétique ; toutefois, la Commission arécemment renforcé son contrôle en considé-rant les aides aux infrastructures comme desaides d’État soumises à son autorisation(gazoduc et électrification rurale en Espagne,câble Suède / Finlande, réseau gazier enIrlande et Grèce) ;" l’interdiction des ententes et abus de posi-tion dominante, qui peut notamment rendredifficile la conclusion de contrats d’approvi-

35 Notamment arrêts Preussen Elektra de mars 2001, Ferringde novembre 2001, et Altmark de juillet 2003, qui consti-tuent un revirement par rapport à l’arrêt TPI FFSA de 1997.

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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coûts liés à l’accomplissement des missionsd’intérêt général (fonds de compensation, sub-vention directe de l’État…) n’est pas une aided’État (c’est ce que proposait le rapportLangen du Parlement européen en 2001).

La simplicité formelle de ces critères a pourcontrepartie la très grande difficulté de leurmise en pratique. Notamment, qu’est-cequ’une entreprise « normalement gérée » ou un« bénéfice raisonnable » ?

Plus difficile encore, comment identifier les« coûts occasionnés » par la mission confiée àl’opérateur ? Il est clair qu’il convient de rai-sonner en coût net36, mais comment chiffrerles éventuels avantages retirés de la fourniturede la prestation, et quels sont les concepts decoûts qui doivent être utilisés ici37 ? Il semblerelativement raisonnable de retenir un

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

des aides d’État les mécanismes de finance-ment des services économiques d’intérêtgénéral, dès lors que quatre conditions cumu-latives sont remplies :" l’entreprise bénéficiaire doit être chargéed’une obligation de service public clairementdéfinie ;" le calcul de la compensation doit être établiselon des paramètres objectifs et transparentspour éviter un avantage concurrentiel pour lebénéficiaire ;" la compensation doit être limitée aux coûtsoccasionnés en ne permettant qu’un bénéficeraisonnable ;" si la sélection de l’entreprise n’est pas opé-

rée dans le respect desrègles relatives auxmarchés publics, lacompensation doitêtre calculée selon uneanalyse des coûts

d’une entreprise normalement gérée.

En d’autres termes, lorsque l’entreprise estchoisie sur des critères objectifs et transparents,et que la compensation est proportionnée auxsurcoûts encourus, il ne s’agit pas d’une aided’État, et l’État membre concerné n’est doncpas dans l’obligation de notifier celle-ci à laCommission européenne. Dit de manièreencore plus concise, la compensation des sur-

La simplicité formelle descritères applicables aux modesde financement masquela difficulté de leur miseen pratique

36 Net des éventuels avantages retirés de l’exercice de la mis-sion d’intérêt général : produit d’appel pour d’autres presta-tions… (cf. dans le cas des télécommunications la directive« service universel » du 24 avril 2002 ; cf. également récem-ment l’examen par la Commission des redevances télévi-sions dans différents États membres, qui ont été reconnuescompatibles avec le Traité dès lors que leur montant n’étaitpas supérieur au coût supplémentaire net du service public).37 Cf. Toledano, Pour une transparence des coûts, in La lettrede Confrontations Europe n° 61 avril-mai 2003, qui citenotamment les coûts moyens incrémentaux de long termedans le domaine des télécommunications.

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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communautaire, notamment en matière d’in-terconnexion de réseaux, une coordinationentre les acteurs nationaux, voire une inter-vention directe au niveau communautaire :l’action de la Communauté dans ce domaineest-elle aujourd’hui efficace ?

2.1.3. Les perspectives pour l’aveniret les pistes de proposition

! La nécessaire adaptation à un nouveaucontexte sur le plan national

Les opinions publiques européennes, etnotamment française, sont sensibles à la qua-lité du « service public », et au-delà de l’en-semble des « commodités essentielles » queconstituent une eau et une énergie relative-ment bon marché, des transports fiables etrapides… En outre, il est aujourd’hui large-ment établi que ces biens publics constituentdes facteurs de croissance et d’attractivitéd’une économie. Il importe donc de s’assurerqu’à l’avenir les services d’intérêt général res-teront de bonne qualité en Europe, ce quisuppose notamment d’organiser les condi-tions nécessaires à leur financement pérenne.

Comme cela a déjà été mentionné en intro-duction, l’objectif n’est pas ici de critiquer lesinitiatives de ces dernières années en faveur de

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

concept de coût évité, mais celui-ci est trèsdifficile à déterminer précisément ex nihilo, etmême à mesurer. La mesure du coût d’uneactivité précise au sein d’une entreprise néces-site en effet l’existence d’une comptabilitéanalytique d’une fiabilité satisfaisante38.

Du fait de la très forte incertitude juridiquepesant sur l’application de ces règles, l’absencede qualification d’aide d’État des compensationsde service public pourrait constituer une sortede piège pour les États membres. En effet, siceux-ci considèrent à tort qu’une compensationremplit les critères ci-dessus, et qu’ils décidentde ne pas la notifier à la Commission, la com-pensation versée à l’opérateur pourra être décla-rée illégale à tout moment par une cour natio-nale ou communautaire, et pourrait alors êtresujette à reversement. Ceci pourrait mettre endanger l’équilibre économique du prestataire :" la réalisation de certains objectifs d’intérêtgénéral nécessite une intervention au plan

38 Il n’existe pas de « règles » en matière de comptabilité ana-lytique (en France le plan comptable général actuellementen vigueur n’évoque pas la comptabilité analytique), et l’éla-boration d’un tel outil repose toujours sur des conventionsnécessairement arbitraires (clés de répartition des frais destructure partagés par plusieurs activités…). La mise aupoint, au niveau communautaire, d’un référentiel en lamatière pourrait être utilement engagée (cf. contribution del’AFEC – Association française d’étude de la concurrence – auLivre vert de la Commission européenne).

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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les règles qui permettront demain d’améliorerla qualité du service postal tout en préservantla péréquation tarifaire et la desserte de l’en-semble du territoire ? Comment promouvoir,au meilleur coût, une desserte aérienne, ferro-viaire et routière fiable correspondant auxbesoins de l’économie et des populations,tout en tenant compte des contraintes dudroit communautaire ?

Répondre efficacement à ces questions passesans aucun doute tout d’abord par des évo-lutions au plan national. Pour profiter plei-nement de la logique nouvelle de transpa-rence dans les procédures et dans les coûtsaffichés, de libéralisation et de séparationdes entreprises intégrées verticalement, ilfaut en tirer toutes les conséquences.L’expérience de ces dernières années montreque la France a toujours fini par donner rai-son aux demandes de ses partenaires (libérali-sation des industries de réseau, ouverture ducapital des anciens opérateurs histo-riques…), mais après avoir opposé des résis-tances de principe qui ont eu un coût politiquecertain.

Il est clair que, pour des raisons socialesnotamment, une telle évolution nécessite dutemps, et qu’il serait difficile à la France depasser rapidement d’un modèle à un autre.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

la réalisation du marché intérieur, du contrôledes situations concurrentielles et de la libéra-

lisation, ni d’apprécierleur impact sur laqualité des SIEG. Enrevanche, ces réalisa-tions constituent deséléments de contextequi bouleversent les

pratiques des dernières années, tout particu-lièrement en France.

À ce titre, encore une fois, il s’agit moins dedéréguler que de promouvoir des régulationsefficaces, permettant de tirer pleinement partide ce contexte nouveau qui s’impose à laFrance. Il va de soi, néanmoins, que l’objectif,légitime, de la régulation ne saurait servir deprétexte au maintien de réglementationslourdes dont la logique n’est pas démontrée.La démarche de « régulation » doit intégrerune phase d’audit des contraintes juridiquesafin d’alléger le cadre existant là où il peutl’être.

Quelles sont les règles qui permettront demaintenir, voire d’améliorer la sécurité d’ap-provisionnement électrique et gazière dans uncontexte d’ouverture du marché européen, demise en concurrence et de changement de sta-tut des opérateurs historiques ? Quelles sont

Il s’agit moins de déréguler quede promouvoir des régulationsefficaces, permettant de tirerpleinement parti de ce contextenouveau qui s’imposeà la France

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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fragiles ? Sa filiale bancaire doit-elle contri-buer à la mission territoriale de l’établisse-ment postal ? Selon les réponses qui sontdonnées à ces questions, les charges de l’éta-blissement, et même son organisation, varie-ront fortement. Au passage, le débat publicfrançais y gagnerait en clarté.

! Sur le plan communautaire, la consoli-dation de l’édifice juridique en cours deconstruction

Sur le plan communautaire, la France a tout àgagner à une clarification du cadre juridique.Elle a d’ailleurs toujours eu une attitude trèsoffensive sur ces questions, insistant notam-ment aux conseils européens de Nice et deBarcelone pour qu’un accord de principe soittrouvé autour de la rédaction d’une directivecadre sur le sujet.

La consultation autour du Livre vert de laCommission (qui faitsuite aux deux communi-cations de 1996 et 2000),les évolutions jurispru-dentielles récentes (cf.supra) ainsi que la pers-pective, si la Constitution

européenne devait être adoptée prochaine-ment, de l’insertion d’une base juridique sur

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

Néanmoins, il est souhaitable que la France,sur le plan interne, aille jusqu’au bout de ladémarche et notamment qu’elle favorise uneplus grande clarté dans l’intervention d’opé-rateurs publics ou titulaires de droits exclusifsou spéciaux dans les secteurs concurrentiels.

À ce titre, il conviendrait que la Francetranspose rapidement la directive transpa-rence et la mette en œuvre efficacement.Cette démarche permettra de mettre à plat,sur la base d’informations objectives, diffé-rentes situations dans lesquelles des opéra-teurs, souvent publics, pratiquent des sub-ventions croisées entre différentes activitéset ainsi perturbent le fonctionnement de laconcurrence.

Les missions d’intérêt général confiéesaux opérateurs historiques (Poste et SNCFnotamment) gagneraient par ailleurs àêtre définies de manière plus précise, cequi permettrait de « revisiter » ces mis-sions et de prendre en compte les besoinsnouveaux ayant pu apparaître. À titred’exemple, il serait utile de répondre claire-ment à la question de l’opportunité deconfier à la filiale bancaire de la Poste, desmissions d’intérêt général, et si oui lesquelles :la Poste doit-elle assurer un service bancaireuniversel au profit des populations les plus

Il existe aujourd’hui unefenêtre d’opportunité pourconcrétiser la promessefaite à Nice de l’adoptiond’une directive cadre

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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de subsidiarité ; les débats ayant eu lieu auParlement européen, tant autour du rapportLangen42 de 2001 que du rapport Herzog, mon-trent par exemple que l’Allemagne n’est pas prêteà diminuer l’autonomie de ses échelons locaux(Länder notamment) en matière de définition etde gestion des services d’intérêt général ; d’autresÉtats membres ont d’autres préférences collec-tives qu’ils ne veulent pas sacrifier. C’est pour-quoi tout au plus est-il possible :i. de définir quelques grands principes com-

muns tels que l’universalité et l’égalité d’accès,la continuité, la sûreté et la sécurité, l’adapta-bilité, la qualité, l’efficacité, l’accessibilité tari-faire, la sécurité d’approvisionnement, et laprotection des usagers, des consommateurs etde l’environnement43 ;

ii. de clarifier ce qui peut être qualifié d’inté-rêt général et ce qui ne l’est pas ; même si

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

ce sujet39, créent aujourd’hui une fenêtred’opportunité pour concrétiser la promessefaite à Nice de l’adoption d’une directive-cadre40.

Si l’on reprend les trois « problèmes » évoquésplus haut, les initiatives suivantes pourraientêtre promues :(a) en ce qui concerne la définition de ceque sont les services d’intérêt général et dece que doit être le service universel, étantdonné l’hétérogénéité actuelle des préfé-rences collectives des Européens41, cettecompétence doit rester du domaine dechaque État membre, en vertu du principe

39 L’indicatif utilisé à la fin de l’article III-6 du projet deConstitution (« la loi européenne définit… ») en fait une pres-cription impérative, qui pourrait donc donner lieu à unrecours en carence si la Commission ne présentait pas de pro-position en ce sens, ou si le Conseil refusait d’examiner letexte. Toutefois, un tel recours en carence ne pourrait en pra-tique venir que du Parlement européen, dont la Commissionéconomique et monétaire a refusé le 15 décembre 2003 par19 voix contre 17 de se prononcer en faveur d’une directivecadre.40 Pour preuve les débats ayant eu lieu en 2003 et 2004 encommission économique et monétaire puis en session plé-nière au Parlement européen autour du rapport du députéeuropéen Ph. Herzog sur les services d’intérêt général, dansle cadre de la consultation lancée par la Commission autourde son Livre vert.41 Pour une illustration de cette hétérogénéité, cf. notam-ment Thiry, Les conceptions de l’intérêt général dans l’Unioneuropéenne, in Conseil d’État, rapport public 1999.

42 Le rapport Langen de 2001, largement inspiré par les auto-rités locales allemandes, commence ainsi : « Le Parlement euro-péen partage la conception de la Commission, selon laquelle “laresponsabilité de décider quel service doit être considéré comme unservice d’intérêt général et comment il doit fonctionner incombe enpremier lieu à l’échelon local” » ; il rappelle également « que lesautorités locales doivent conserver le libre choix du mode de ges-tion des services d’intérêt général dont elles sont responsables, et quecette liberté comprend le droit de recourir à une gestion directe ouà une gestion déléguée de ces services ».43 En tout état de cause, la jurisprudence de la CJCE a d’oreset déjà reconnu les grands principes traditionnels du servicepublic (cf. en droit français les célèbres lois de Rolland :adaptabilité, continuité, égalité).

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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– de définir une doctrine en matière decoûts, pour pouvoir appliquer de manièrefiable la jurisprudence Altmark (qui pour-rait être inscrite dans le droit positif par lebiais d’un règlement d’exemption44) :quelles définitions de coûts retenir suivantles cas (coût incrémental, coût évité…) etcomment les évaluer en pratique45 ? com-ment estimer les gains issus de l’exerciced’une mission d’intérêt général et/ou d’undroit exclusif46 ? en la matière, les défini-

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

des critères ont été établis (cf. supra), lapratique de la Commission et de la Couren la matière mérite sans doute d’êtreencadrée ;

(b) en ce qui concerne la mise en œuvre deces priorités, il convient d’améliorer la sécu-rité juridique en stabilisant la jurisprudencede la Cour et en lui donnant une portéeeffective ; pour ce faire, il semble nécessaire deprocéder par une directive cadre transversale outoute autre base juridique permettant d’organi-ser un cadre stable et lisible, et non plus seule-ment par des directives sectorielles ; deuxapproches sont ici envisageables :i. il pourrait être envisagé d’harmoniser et

d’unifier les modes de financement desservices d’intérêt général, par exemple eninterdisant les subventions croisées et enautorisant uniquement les fonds de com-pensation, alimentés par les autoritéspubliques et/ou les opérateurs ; le rapportLangen condamnait ainsi le principe mêmedu financement par subventions croisées ;

ii. cette approche ne semble toutefois pass’attaquer au problème essentiel ; il n’existepas véritablement de mode de finance-ment supérieur aux autres ; en revanche,tous nécessitent pour être convenablementmis en œuvre une connaissance précise descoûts des opérateurs ; dès lors, la prioritésemble devoir être :

44 Le 18 février 2004, la Commission européenne a dévoilé sespropositions : un projet de décision d’exemption de l’obliga-tion de notification préalable pour les « financements publics àpetite échelle » (seuils restant à définir), et un « encadrement »reprenant les critères de l’arrêt Altmark (sous forme vraisem-blablement de lignes directrices) pour les « financements àgrande échelle », qui restent soumis à notification préalable.45 Cf. le débat autour du coût de la desserte des zones ruralesen téléphonie fixe. Aujourd’hui, l’ART française se fondesur le coût du réseau téléphonique en cuivre de FranceTélécom, alors que d’autres technologies (radio notam-ment) pourraient être plus efficaces et donc diminuer lecoût de près de 100 M d’euros par an.46 Pour illustrer la difficulté de mesurer ces avantages induits,cf. le récent débat autour des avantages pour France Télécomd’être chargé du service universel : l’ART calcule les avantagesen termes d’image de marque en interrogeant les consomma-teurs sur leur connaissance des missions de service universel deFrance Télécom, alors que le régulateur britannique se fondesur le coût d’une campagne publicitaire de grande ampleur. Lecabinet Tera propose également de prendre en compte lesavantages financiers (titrisation des factures d’abonnés) etmarketing (données d’utilisation du téléphone). L’ART trouve113 M d’euros par an, Tera 240.

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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dans les États membres ; cette évaluationétait également réclamée par le Parlementeuropéen dans le rapport Langen de 2001 ;elle semble d’autant plus indispensable,comme l’a souligné la Commission dansson Livre vert, dans la perspective de l’élar-gissement ; pour ce faire, plusieurs optionssont envisageables :– la réalisation de rapports, par la

Commission ou par un organisme adhoc47 ; il n’est toutefois pas certainqu’une telle démarche serait d’un effettrès important (cf. les rapports que laCommission réalise sur le degré de libé-ralisation dans les secteurs énergétiquesdans les différents États membres) ;

– la mise en place d’une démarche prochedes « coordinations ouvertes » existantnotamment dans le domaine de l’em-ploi, dans laquelle chaque État membre,après avoir défini et présenté lui-mêmequelles sont ses priorités d’intérêt géné-ral, présenterait chaque année les résul-tats obtenus, pour chaque principeénoncé dans la directive cadre (cf. supra :l’universalité et l’égalité d’accès, la conti-nuité, la sûreté et la sécurité, l’adapta-

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

tions les plus simples possibles doiventêtre retenues, pour tenter de minimiserles coûts de régulation. Il serait, à cetitre, opportun de réfléchir à des prin-cipes communs en matière de comptabi-lité analytique ;

– de clarifier les autres concepts contenusdans la jurisprudence (bénéfice raison-nable, entreprise normalement gérée) ;

– de s’assurer de la transposition et de lamise en œuvre concrète de la directivetransparence par les États membres ;

iii. une fois ce préalable de la connaissance descoûts acquis, il conviendrait de s’assurerque la pratique des États membres estefficace ; en effet, s’il n’apparaît pas sou-haitable d’harmoniser les conditionsd’exercice et de financement, il semblelégitime, en contrepartie des aménage-

ments concédés dans lamise en œuvre du droitcommunautaire, d’évaluerl’efficacité des politiquesmises en œuvre par lesÉtats membres ; à ce titre,

il pourrait être utile de revenir aux termesdes conclusions du Conseil européen dedécembre 2001, qui avait validé les orien-tations proposées par la Commission enoctobre 2001, et notamment l’éventualitéd’une évaluation des performances des SIEG

Il semble légitimed’évaluer l’efficacitédes politiques misesen œuvre parles États membres

47 Cf. les « observatoires sectoriels » mentionnés par le rapportdu groupe de réflexion présidé par Christian Stoffaës remisen juillet 2003 à la ministre déléguée aux Affaires euro-péennes.

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II. LA CONCILIATION DU DÉVELOPPEMENT

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(c) en ce qui concerne les objectifs d’intérêtgénéral qui nécessitent une intervention auplan communautaire, une piste de propo-sition peut être avancée : coordonner, s’il ya lieu, les initiatives nationales, et interve-nir au niveau communautaire en tant quede besoin ; à cet égard, l’exemple de la sécu-rité énergétique est particulièrement intéres-sant : cet objectif d’intérêt général nécessiteincontestablement, dans un contexte de mar-ché énergétique unique, une coordinationentre les États membres, afin d’éviter les com-portements de passager clandestin ; la planifi-cation des capacités de production et celle detransport d’énergie doivent faire l’objet d’unecoordination européenne, afin d’assurer aumeilleur coût la sécurité énergétique de l’en-semble de l’Europe ; différentes solutions,plus ou moins ambitieuses, sont envisa-geables49 :i. une revue et une coordination des planifi-

cations nationales, le cas échéant sous laforme d’une coordination ouverte ;

ii. une piste plus volontariste, dans laquelleune intervention au plan communautaire

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

bilité, la qualité, l’efficacité, l’accessibi-lité tarifaire…), ainsi que les mesuresenvisagées pour les améliorer48 ; ces rap-ports seraient communiqués aux autresÉtats membres et le Conseil examineraitla qualité des politiques nationalesmenées, sur la base des analyses dela Commission ; des recommandationsnon contraignantes pourraient êtreadressées par le Conseil à la majoritéqualifiée aux États membres.

iv. En outre, il conviendra de veiller à adap-ter, autant qu’il est nécessaire et sansdélai, la doctrine en matière de concur-rence aux exigences inhérentes à cespriorités d’intérêt général ; dans le casdes réseaux de téléphonie mobile de troi-sième génération, la Commission a réagirapidement en permettant les partagesd’infrastructure, afin de faciliter le déve-loppement de ces nouveaux services ; enrevanche, en ce qui concerne l’exempleprécédemment décrit sur la sécurité éner-gétique (contrats d’approvisionnement delong terme), il est pas certain que la poli-tique de concurrence ne fait pas entrave àla sécurité énergétique de l’Europe ;

48 Il conviendrait de créer une coordination ouverte ad hoc,et non seulement d’exploiter le cadre fourni par le processusde Cardiff, comme le proposait la Commission dans sa com-munication de 2000 sur les SIG.

49 La proposition de directive adoptée par la Commission le10 décembre 2003 apparaît à cet égard insuffisammentambitieuse, puisqu’elle prévoit uniquement la communica-tion par les États membres de leurs plans énergétiques, ainsique la création d’une procédure de « déclaration d’intérêtpublic européen ».

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IIILÀ OÙ DES RÉGULATIONS

SECTORIELLES SPÉCIFIQUESDOIVENT ÊTRE MAINTENUES, LERÔLE DE L’ECHELON EUROPÉEN

DOIT ÊTRE CLARIFIÉ

Comme il a été indiqué plus haut, la seuleapplication de la politique de concurrence,même enrichie d’une mobilisation des

autres outils de régulation économique, n’est pastoujours suffisante pour permettre un fonction-nement satisfaisant des marchés. Dans les sec-teurs anciennement organisés en monopolespublics où dans lesquels l’importance desréseaux ou les économies d’échelle ne permet-tent pas la seule application des règles de concur-rence, une régulation spécifique reste nécessaire.

Le groupe de travail n’a pas cherché à analyserl’efficacité des mécanismes de régulation qui sesont récemment développés en Europe au tra-vers des directives de libéralisation, de la nor-malisation du statut des opérateurs historiqueset de la mise en place d’autorités de régulationindépendantes. L’objectif du groupe a plutôtété d’évaluer le rôle que devait jouer l’écheloneuropéen, en pratique la Commission euro-péenne, dans l’organisation et la mise en œuvrede ces régulations sectorielles.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

serait décidée, à partir d’un financementsolidaire des États membres50.

Au-delà de cette mission de coordination, laCommission pourrait utilement développerune fonction d’évaluation de la mise enœuvre des missions d’intérêt général par lesÉtats membres. Sans remettre en cause lacompétence dans la définition et l’organisa-tion de ces missions, la Commission pourraitnéanmoins conduire une fonction « d’audit »de ces missions, au travers de l’examen annuelde rapports des États membres sur leurspropres activités. Un tel examen externe peutfaciliter la diffusion des meilleures pratiqueset encourager la prise en compte de critères deperformance dans l’exercice des missionsd’intérêt général.

50 Cf. l’exemple du marché énergétique nordique (finance-ment des infrastructures transfrontalières à partir des béné-fices réalisés grâce à l’existence de différentiels de prix entreles États), ou celui du récent règlement communautaire surles tarifs d’interconnexion, qui prévoit que les bénéfices réa-lisés sur les interconnexions transfrontalières, au-delà d’unbénéfice raisonnable, devront être réinvestis dans le déve-loppement des infrastructures.

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III. LA OU DES RÉGULATIONS SECTORIELLES SPÉCIFIQUES DOIVENT ÊTRE MAINTENUES

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des coûts non récupérables importants, desrendements d’échelle croissants et un coûtmoyen décroissant.

L’ouverture à la concurrence de ces secteurs aété l’une des politiques les plus actives del’Union européenne au cours des années 1990.Sur la base d’une série de directives sectorielles,cette politique a conduit à une profondereconfiguration du paysage européen dans lessecteurs concernés avec en particulier :" l’ouverture à la concurrence de la fourni-ture d’électricité et de gaz à toutes les entre-prises dès juillet 2004 et aux particuliers dés2007 ;" la mise en concurrence, en principe déjàeffective, des services postaux pour tous les plisde plus de 100 grammes, les lettres inférieuresà ce seuil devant faire l’objet d’une nouvelleproposition de directive avant 2006 ;" la pleine libéralisation du secteur des télé-communications ;" l’ouverture à la concurrence du fret ferro-viaire.

Parallèlement à ces ouvertures, la régulationde ces secteurs nécessitée par les contraintesde leur fonctionnement en réseau a été priseen compte dans le cadre des directives de libé-ralisation précitées. Schématiquement, laméthode qui a été retenue est assez simple.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

Après avoir brièvement recensé les domainesdans lesquels une régulation spécifique restenécessaire et les risques auxquels ces régula-tions spécifiques étaient confrontées, legroupe a tenté de décrire le rôle de l’écheloneuropéen en matière de régulation sectorielleet de proposer des pistes d’action pour uneamélioration, dans un cadre européen, desschémas de régulation existants.

3.1. Les domaines pour lesquels unerégulation spécifique reste nécessaire

Le groupe a délibérément écarté de son étudeles cas dans lesquels une régulation était renduenécessaire par des considérations « non écono-miques » telles que la santé publique, la sécuritéalimentaire, ou l’ordre public. Abstraction faitede ces cas particuliers, une régulation spéci-fique reste nécessaire dans deux cas de figure :" les secteurs à économie de réseau," les secteurs susceptibles d’engendrer desrisques systémiques.

3.1.1. Les secteurs à économie de réseau

Beaucoup a déjà été écrit sur ces secteurs(énergie, télécommunications, services pos-taux, transports ferroviaires…) caractérisés,pour ce qui concerne les infrastructures, par

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III. LA OU DES RÉGULATIONS SECTORIELLES SPÉCIFIQUES DOIVENT ÊTRE MAINTENUES

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Le secteur financier est un autre exemple de sec-teur susceptible de soulever des risques systé-miques. Sous l’effet, en particulier, de la libérali-sation des mouvements de capitaux, del’introduction de l’euro et de l’influence gran-dissante des fonds spéculatifs sur les marchéseuropéens, les risques systémiques liés à unerégulation imparfaite de ces activités se sont for-tement accrus. Ce constat a mené à la conclu-sion selon laquelle, pour diminuer ces risques,une intégration et une régulation des marchésde valeurs mobilières, pensées à l’échelon euro-péen, étaient nécessaires.

Cette nécessité est notamment clairementapparue en matière d’infrastructures de mar-ché. Les activités post-marché constituent, eneffet, une activité particulièrement sensible.Selon la Banque de France, les infrastructurespost-marché ont un rôle essentiel : « Dansla chaîne de traitement des titres, les fonctionsde compensation et de règlement-livraison, assu-rées par les infrastructures post-marché, sontessentielles à la bonne fin des opérations de négo-ciation d’actifs financiers. Elles font de cesinfrastructures des vecteurs potentiels de désta-bilisation du système financier en cas dedysfonctionnement. »

Le souci d’une régulation organisée dans uncadre européen s’est également manifesté par

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

Elle a consisté :" d’abord à déterminer le domaine du mono-pole naturel, c’est-à-dire les segments de mar-ché sur lesquels le monopole reste la solutionla plus efficace au vu des structures de coût ;" ensuite à réguler ces segments monopolis-tiques, ce qui revient principalement à assurerl’absence de subventions croisées entre ces seg-ments et les segments concurrentiels, à veiller aucaractère transparent et non discriminatoire dela tarification des facilités essentielles et à assurerla disponibilité effective de ces infrastructures ;" enfin à assurer sur le segment concurrentielune concurrence réelle et à organiser la sur-veillance du respect de cette exigence.

3.1.2. Les secteurs susceptiblesd’engendrer des risques systémiques

Par « risque systémique », le groupe a entenduviser les cas où une défaillance éventuelle del’un des opérateurs peut entraîner des consé-quences en chaîne au-delà de cet opérateur,vers l’ensemble du secteur et, éventuellementdu pays dans lequel cette défaillance se pro-duit. Le secteur énergétique est à l’évidencel’une des illustrations les plus claires de cerisque. Les pannes géantes qu’ont connues laCalifornie ou l’Italie ont, plus que toutes lesthéories, mis en évidence l’exigence d’unerégulation stricte de ce secteur.

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III. LA OU DES RÉGULATIONS SECTORIELLES SPÉCIFIQUES DOIVENT ÊTRE MAINTENUES

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adopter prochainement une directive sur latransparence.

Tous ces éléments traduisent la volonté d’ac-compagner l’ouverture et l’intégration des

marchés financiers euro-péens, de règles com-munes permettant à lafois d’améliorer l’effica-cité de ces marchés, ce quiest la fonction premièrede la régulation, mais éga-lement de limiter lesrisques systémiques.

C’est dans le cadre d’une réflexion sur lesméthodes de définition des normes appli-cables au marché spécifique des valeurs mobi-lières que le comité Lamfalussy propose unrenouvellement de la méthode législative.Selon cette méthode, la Commission est habi-litée par des directives posant les principescadres à prendre pendant quatre ans desmesures d’exécution. À l’expiration de cedélai, elle doit procéder à l’évaluation des pro-grès réalisés et le cas échéant proposer unenouvelle directive afin d’être mandatée pourde nouvelles mesures. Dans sa prise de déci-sion la Commission est assistée d’un comitédes États membres et d’un comité des régula-teurs nationaux. Ce dernier participe égale-

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d’autres aspects comme l’information finan-cière. Dans la perspective de l’élaborationd’un cadre juridique global organisant lemarché financier communautaire, laCommission a mis en œuvre un plan d’actionpour les services financiers dès 1999. Il doitd’ailleurs être souligné que ce plan a été misen œuvre pour l’essentiel de ses dispositions,ce qui est un succès pour les institutionseuropéennes. Dans le cadre de ce plan d’ac-tion, dont l’objectif est d’élaborer un cadreréglementaire et prudentiel pour que les mar-chés européens réalisent leurs potentialités entoute sécurité, de nombreux textes ont d’oreset déjà été élaborés.

Parce que l’information constitue un facteurdéterminant pour la protection des investis-seurs et l’harmonisation des conditions d’ac-cès aux marchés, une directive a été adoptée le15 juillet 2003, sur les prospectus à publier encas d’offre au public de valeurs mobilières ouen vue de l’admission de valeurs mobilières àla négociation sur un marché réglementésitué ou opérant sur le territoire d’un Étatmembre. Elle impose que toute admission devaleurs mobilières à la négociation soit subor-donnée à la publication d’un prospectus.

Parmi les autres volets de ce plan, il doit êtrenoté que le Conseil et le Parlement devraient

Accompagner l’ouvertureet l’intégration desmarchés européens derègles communespermettant à la foisd’améliorer l’efficacité deces marchés et de limiterles risques systémiques

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III. LA OU DES RÉGULATIONS SECTORIELLES SPÉCIFIQUES DOIVENT ÊTRE MAINTENUES

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problématiques communes aux différentsschémas de régulation existants.

3.2. Les problématiques soulevéespar la nécessité d’une régulationspécifique

Les schémas de régulation étant maintenanten place depuis plusieurs années dans la plu-part des secteurs évoqués ci-dessus, une pre-mière évaluation de l’efficacité des dispositifsen vigueur est possible. Sans avoir la préten-tion de conduire une telle évaluation, legroupe de travail s’est du moins attaché àidentifier les principales problématiques sou-levées par ces mécanismes afin de pouvoirdéfinir une grille de critères à partir delaquelle la responsabilité de l’échelon com-munautaire devrait être établie.

Les principaux défis mis en lumière par legroupe tiennent aux formes de la régulation,à son efficacité et à sa légitimité.

3.2.1. Les formes de la régulation :les bons et les mauvais outils

L’opinion du groupe est que le choix desmodalités de la régulation importe moins quel’existence même de cette régulation pour

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

ment au contrôle des transpositions natio-nales des normes communautaires.

Il reste que si cette méthode, dont le groupen’a pas souhaité évaluer précisément lesmérites, peut faciliter l’adoption de certainstextes techniques, elle ne répond pas à laquestion plus fondamentale de la supervisionbancaire et financière en Europe. Le Traité deMaastricht qui a fixé les règles de l’euro etcréé la BCE et le système monétaire européende banques centrales, est resté ambigu surcette question essentielle.

Cette ambiguïté n’a pas véritablement étélevée depuis. La poursuite du processus d’in-

tégration de la sphèrebancaire et financièreeuropéenne nécessiterapourtant une clarifica-tion des responsabilités sil’on souhaite pouvoir seprémunir contre des

« défaillances de régulation » qui résulteraientd’activités transfrontalières mal appréhen-dées par les régulateurs nationaux.

Dans son examen des régulations sectoriellesspécifiques devant être maintenues pour lesraisons décrites ci-dessus, le groupe de travaila tenté d’identifier les principales faiblesses ou

La poursuite du processusd’intégration de la sphèrebancaire et financièreeuropéenne nécessiteraune clarification desresponsabilités

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3.2.2. L’efficacité de la régulation

Plusieurs phénomènes sont susceptibles, à cetitre, de nuire à l’efficacité de la régulation tellequ’elle est prévue dans différents secteurs.

! Risque de régulation « nominale »

Ce risque est en général lié au travers consis-tant à mettre en place des instruments derégulation sans se soucier, en parallèle, dedéfinir clairement les objectifs de résultatsdevant être assignés aux régulateurs.

Un autre travers réside dans l’insuffisante clarifi-cation des missions et des responsabilités dechaque autorité. Même si à bien des égards, lesschémas de régulation mis en place en Francesont plus satisfaisants en termes d’efficacité qu’enAllemagne ou en Espagne, le secteur des télé-coms et de l’audiovisuel français illustre, dansune certaine mesure, le risque que la régulationperde de son efficacité du fait d’une définitionincertaine des objectifs. Dès 1996, la France a eneffet choisi de multiplier les « autorités réglemen-taires » en leur allouant de nombreux moyenstant financiers qu’humains. Coexistent à côté duministère en charge des Télécoms, l’ART, le CSA,l’AFNL et la CNIL. Cette multiplication d’ins-tances distinctes est source d’opacité et d’incerti-tude quant à la répartition des compétences.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

encadrer les forces du marché, dans les sec-teurs où cela est nécessaire, et que le choix duniveau auquel cette régulation s’exerce.

Pour autant, il n’est pas contestable que cer-tains schémas traditionnels sont aujourd’huipérimés. Ainsi est-il permis de douter que ladétention majoritaire par l’État du capitald’une entreprise à seule fin de réguler le secteurdans lequel cette entreprise exerce son activité,soit opportune. Au moins est-il nécessaire,lorsque l’État détient de telles participations,que les rôles de propriétaire et de régulateurqui lui incombent alors soient clairement sépa-rés. La création, en France, d’une Agence desparticipations est une initiative qui, de ce pointde vue, va dans la bonne direction.

Si la forme a priori la plus adaptée de régula-tion sectorielle est la mise en place d’uneautorité indépendante dotée de compétencesélargies, le groupe n’est en revanche pas d’avisque toute régulation ne peut se concevoir quesi elle est organisée en dehors de l’appareiladministratif de l’État. Dans la mesure où elleest correctement organisée et présente lesgaranties nécessaires, la séparation des fonc-tions n’implique pas nécessairement la sépara-tion des structures. Il importe, en revanche,que le schéma retenu, puisse faire la preuve deson efficacité.

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et des éditeurs de services qui en assurent lecontenu.

Enfin, une autre forme d’instrumentalisation setrouve dans le risque de forum shopping desautorités de régulation par les opérateurs. Ainsitel ou tel régulateur pourrait être préféré enfonction de ses positions antérieures, ce qui peutcorrespondre à l’intérêt immédiat de telle outelle entreprise mais peut difficilement contri-buer à la clarification des règles et du cadre juri-dique dans lequel ces entreprises évoluent.

! Risque de réactivité

Un manque de réactivité est à craindre lorsquede multiples autorités de régulation coexistentavec des missions mal définies ou un manquede pouvoir effectif et de puissance d’action.

Afin de garantir la réactivité des régulateurs, ilfaut s’atteler à leurs donner plus de moyens et

plus d’autonomie et d’in-dépendance. L’exemple àsuivre serait alors celui dela nouvelle AMF (Autoritédes Marchés Financiersregroupant la COB et le

CMF) qui gagne en puissance et donc en réacti-vité grâce à des moyens financiers accrus parune nouvelle autonomie budgétaire, une per-

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

À l’opposé, au Royaume-Uni, les autorités derégulation en matière de télécommunicationet de technologie de l’information ontfusionné par souci d’efficacité et de réductiondes coûts, et ce schéma se traduit, semble-t-il,par de bons résultats.

! Risque d’instrumentalisation

Malgré une séparation institutionnelle desfonctions de régulateur et d’opérateur organi-sée par le droit communautaire dans lesindustries de réseau nouvellement libéralisées,le poids des opérateurs historiques reste sou-vent trop important pour que les doutesquant à l’indépendance des régulateurs soienttoujours totalement levés.

En matière de télécoms par exemple, les riva-lités de compétence déjà analysées peuventconduire à instrumentaliser les autorités derégulation et donc à les décrédibiliser. Ilsemble en avoir été ainsi lorsque l’ART ayantcommandé un rapport sur le régime appli-cable aux réseaux câblés distribuant des ser-vices audiovisuels, a ignoré l’avis du CSA alorsque les câblo-opérateurs sont soumis par la loidu 30 septembre 1986 à la régulation du CSA,et repris les revendications de ces dernierssans vraiment tenir compte des avis desmunicipalités ayant conventionné les réseaux

Augmenter le nombreet la fréquence desobligations d’évaluationauxquelles sont soumisesles autorités de régulation

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III. LA OU DES RÉGULATIONS SECTORIELLES SPÉCIFIQUES DOIVENT ÊTRE MAINTENUES

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réglementaires nécessaires. Elles devraient éga-lement veiller à une cohérence d’ensemble deleurs différentes actions. Et enfin ellesdevraient être soumises à une évaluation parun organe indépendant, cette évaluation pour-rait ensuite être publiée ;" quant à la composition et la représentativitédes collèges : il serait bénéfique d’associer desprofils juridiques, économiques, sociaux etprofessionnels afin d’obtenir une meilleurecorrespondance entre l’autorité de régulationet les opérateurs d’un secteur. Cette composi-tion permettrait en effet de donner plus deplace aux intérêts des divers acteurs et dedéboucher sur une régulation plus adaptée ;" quant au contrôle des décisions : le Conseiléconomique et social propose notammentl’élaboration d’une charte commune desrègles de fonctionnement des autorités admi-nistratives indépendantes formant « un tronccommun (…) favorisant la transparence, lacompréhension le contrôle par le Parlement desobjets qu’il a créés afin de renforcer la légitimitédes autorités administratives indépendantes ».

L’application de cette grille d’analyse permet-trait certainement de renforcer la légitimitédes instances de régulation existantes. Latransposition de cette grille à l’échelon com-munautaire nécessite quant à elle l’inventionde formules et de schémas nouveaux.

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sonnalité morale lui permettant d’ester en jus-tice et d’exercer des droits propres, et unchamp de compétences mieux délimité.

Un moyen de remédier à une éventuelleabsence de réactivité serait également d’aug-menter le nombre et la fréquence des obliga-tions d’évaluation auxquelles sont soumisesles autorités de régulation. Dans des secteurssoumis à une forte évolution technique, il estimportant que les régulateurs suivent enadaptant leurs règles à temps pour devancerles problématiques des opérateurs.

3.2.3. La légitimité de la régulation

Pour asseoir l’action des régulateurs vis-à-visdes opérateurs nationaux ou étrangers, il estimportant qu’ils aient une légitimité propre enplus de leur simple existence légale. À quoi semesure la légitimité d’un régulateur ? Pour leConseil économique et social, trois indicateursdoivent être pris en compte : les missions, lacomposition et la représentativité des collègeset le contrôle et la transparence des décisions.Le Conseil économique et social propose dessolutions pour améliorer ces trois points :" quant aux missions : les autorités de régu-lation devraient procéder à l’examen systé-matique des « trous de régulation » afin deproposer des adaptations législatives ou

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d’autorités administratives indépendantes encharge de la régulation au moins tarifaire dusecteur, l’échelon de base reste en généralaujourd’hui l’État-nation.

À l’autre extrême de ce spectre, une régulationinternationale s’organise avec l’émergence,lors de l’Uruguay Round, de la fonction « régu-latrice » de l’OMC : le renforcement des règlescommunes en matière de défense commer-ciale, les pouvoirs contraignants de l’organe derèglement des différends ou la signature d’ac-cords sectoriels intégrant des dispositions «régulatrices » comme l’accord « télécoms » de1997, sont autant de signes que la régulationa vocation, de manière croissante, à être penséeau plan international. À ce titre, l’orientation,visible à la suite de la conférence de Cancun,vers une « mise entre parenthèses » des thèmesrégulateurs de l’OMC comme la concurrence,les règles d’investissement et de marchéspublics, ne peut être comprise que comme uncoup d’arrêt à ce processus de régulation inter-nationale.

L’échelon européen, quant à lui, n’a pas eu àsouffrir d’une contestation aussi forte de safonction régulatrice. La politique de libéralisa-tion, amorcée dans les années 80 avec l’achève-ment du grand marché intérieur et accéléréedans les années 1990 avec l’ouverture à la

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

3.3. Le rôle de l’Europe en matière derégulation sectorielle

L’implication de l’Union européenne et sa res-ponsabilité incidente dans le processus derégulation, sont multiformes. L’Union euro-péenne, qui intervient comme législateur, ad’ores et déjà des responsabilités directes enmatière de régulation, responsabilités quidevraient s’accroître à l’avenir parallèlement àl’ouverture et l’intégration des marchés. Afinde mesurer les pistes de réforme envisageables,il importe au préalable de clarifier la placeactuelle de l’échelon européen par rapport auxautres niveaux politiques et administratifs.

3.3.1. Place de l’échelon communautairedans les processus de régulation

Pour des raisons autant économiques (exis-tence d’opérateurs historiques le plus souventpublics ; cloisonnement géographique desmarchés) que politiques (considérations stra-tégiques ou d’indépendance nationale soule-vées par la gestion de l’énergie, des transportsou des communications), la régulation dessecteurs progressivement soumis aux règlesdu marché s’est d’abord organisée dans uncadre national. Même si les modèles retenusont été marqués par une forte similitude d’unpays et d’un secteur à l’autre avec l’érection

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III. LA OU DES RÉGULATIONS SECTORIELLES SPÉCIFIQUES DOIVENT ÊTRE MAINTENUES

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régulateurs nationaux là où le maintien de cesderniers est justifié.

! Renforcer la cohérence de la politiquede concurrence et de politiques sectorielles

Le groupe de travail n’est pas d’avis que lapolitique de concurrence doit être « instru-

mentalisée » pour servirdes objectifs de régula-tion. Comme il a étéindiqué plus haut, il n’estpas souhaitable d’assignerà la politique de concur-rence des objectifs mul-

tiples qui pourraient être contradictoires lesuns avec les autres.

Pour autant, l’action communautaire enmatière de concurrence d’une part et de régu-lation, d’autre part, a pu manquer de cohé-rence, jusqu’à présent du fait d’une insuffi-sante coordination des services en charge deces deux domaines ou d’une ignorance, parles services de la concurrence, des responsabi-lités européennes en matière de régulation.

Le groupe n’est certes pas d’avis que l’inter-vention directe de la politique de concurrenceà des fins d’organisation des marchés soit sou-haitable. Ainsi, l’interventionnisme dont a

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

concurrence des anciens monopoles publics,n’a été consensuelle entre les États membresque parce que l’ouverture des marchés s’estaccompagnée de leur organisation, au traversde dispositifs de régulation. Cette approcheéquilibrée a été conceptualisée a posteriori avecl’idée de « l’Europe, laboratoire de la régulation ».

Si dans ce cadre, l’Union européenne a jouéun rôle régulateur important, les différentescomposantes de cette fonction n’ont pas étéclairement identifiées ni distinguées à cestade.

3.3.2. Les pistes pour de meilleursschémas de régulation s’inscrivantdans un cadre européen

Au vu de l’expérience d’une décennie dedérégulation organisée dans un cadre euro-péen, le rôle de l’échelon communautairedans la régulation sectorielle européenne peutse définir sur quatre plans distincts :" renforcer la cohérence de la politique deconcurrence et des politiques sectorielles ;" poursuivre l’adaptation du cadre législatifdes marchés régulés ;" favoriser l’émergence d’une régulationeuropéenne directe dans les secteurs ayantatteint une intégration suffisante ;" développer une fonction de régulation des

L’action communautaireen matière de concurrenced’une part et derégulation d’autre part apu manquer de cohérence

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III. LA OU DES RÉGULATIONS SECTORIELLES SPÉCIFIQUES DOIVENT ÊTRE MAINTENUES

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" la Commission est par ailleurs confrontéeà la problématique des retraites des agentsdes secteurs anciennement sous monopolepublic. Une lecture stricte des règles deconcurrence, notamment en matièred’aides d’État, l’amènerait à s’opposer àtoute réforme susceptible de conférer unavantage aux opérateurs historiques oud’impliquer un apport de fonds publics.Une telle lecture aurait pourtant l’inconvé-nient de freiner de facto l’ouverture de cesmarchés, soit en maintenant des méca-nismes de garanties publiques au profit desopérateurs existants, seul moyen de leurpermettre de faire place à des charges deretraite en général exorbitantes du droitcommun, soit en assujettissant les nou-veaux entrants à des charges de retraiteselles-mêmes très élevées destinées à assurerle respect des engagements pris en faveur del’ensemble des salariés du secteur.

Cette problématique devrait conduire laCommission à intégrer l’objectif d’ouvertureet de régulation du secteur en cause dansson examen des réformes de retraites qui luisont soumises. C’est cette approche que laCommission a retenue dans sa décisionrécente sur la transformation du statut d’EDF.Il serait utile que cette logique soit étendueaux autres cas comparables.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

fait montre la DG concurrence lors de l’affaireEDF/EnBW en 2000, dans le cadre de laquelledes cessions de capacités de production sansrapport avec les problèmes de concurrencesoulevés par l’opération ont été imposées auxparties, ne peut être cité en exemple de poli-tique avisée.

En revanche, les services de la concurrencedevraient intégrer, dans l’intérêt d’une politiquede concurrence efficace, les objectifs commu-nautaires de régulation dans leur action.

Deux exemples permettent d’illustrer cetteproblématique :" en matière de télécommunications, la miseen place des réseaux UMTS, extrêmement coû-teuse pour les opérateurs, a amené ces der-niers à envisager des pratiques de partage etde mutualisation de certains coûts. Le réflexenaturel de la DG concurrence a été de s’oppo-ser à de telles pratiques derrière lesquelleselle craignait le développement d’accordscontraires aux règles de concurrence. En agis-sant de la sorte, la Commission prenait en faitle risque d’affaiblir les nouveaux entrants, pardéfinition financièrement plus fragiles que lesopérateurs historiques, et de conforter la posi-tion des acteurs dominants mieux à même dereporter les coûts de la mise en place des cesnouveaux réseaux ;

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ment accompagnée d’une ouverture trèslimitée ;" organiser une consultation large de tousles acteurs intéressés à la régulation de cessecteurs (régulateurs, opérateurs, nouveauxentrants, utilisateurs, associations de consom-mateurs…) afin de mettre en lumière lesmarges de progrès et les risques associés à l’ou-verture et à l’intégration des marchés en cause ;" évaluer au cas par cas, à la lumière de cestravaux préparatoires, le type de réformesdevant être envisagées. Dans certains cas, enparticulier lorsque les marchés auront atteint undegré d’intégration suffisant, il sera peut-êtrenécessaire d’envisager une organisation de larégulation au niveau communautaire et nonplus au niveau national ; dans les autres cas,l’évaluation de la mise en œuvre de la régulationpourrait mettre en lumière la nécessité du main-tien de régulations nationales mais de « l’enri-chissement » de ces régulations par le renforce-ment du rôle de l’échelon communautaire.

! Adapter le niveau de la régulation audegré d’ouverture des marchés

Si l’organisation de la régulation en Europerepose encore largement, aujourd’hui, sur leséchelons nationaux, une coopération/coordi-nation a commencé à se mettre en place dansla plupart des secteurs.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

! Poursuivre l’adaptation du cadre législatifdes secteurs régulés

Comme il a été indiqué plus haut, l’Unioneuropéenne a adopté, dans les années 90, unepremière série de tests ouvrant et organisant lesmarchés anciennement régis sous monopolepublic. Le secteur de télécommunications, danslequel les évolutions technologiques sont lesplus rapides, a déjà fait l’objet d’une secondegénération de textes (« second paquet télécoms »).

Dans les autres secteurs, l’expérience des pre-mières années de mise en œuvre des nouveauxcadres ainsi que les problèmes mis en lumièrenotamment en termes d’efficacité de la régu-lation, justifient qu’une nouvelle réflexionsoit ouverte en vue d’une adaptation descadres existants.

Sans vouloir entrer dans le détail, secteur parsecteur, des adaptations nécessaires, le groupede travail considère que cet objectif nécessitaitla définition par la Commission d’uneméthode consistant à :" évaluer secteur par secteur les résultatsdéjà obtenus et à analyser les raisons deséchecs éventuels. À titre d’exemple, il seraitutile que la Commission analyse les raisonspour lesquelles la forte ouverture théoriquedes marchés de l’électricité s’est concrète-

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III. LA OU DES RÉGULATIONS SECTORIELLES SPÉCIFIQUES DOIVENT ÊTRE MAINTENUES

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du domaine de la concurrence avec le réseaueuropéen des autorités de concurrence. Lepoint important est alors que l’entité com-munautaire ait des prérogatives suffisantespour impulser cette régulation, voire résoudreles conflits de compétence dans le cas de pro-blèmes transfrontaliers.

Tant que les marchés ne seront pas suffisam-ment ouverts et intégrés, la régulation devrarester organisée au plan national. Il n’en restepas moins que même dans ces cas de figure,l’échelon communautaire a un rôle importantqui devrait être formalisé sur au moins deuxplans :" d’une part, assurer une bonne coordina-tion de l’action des régulateurs nationauxen favorisant de manière systématiquel’échange d’information ;" d’autre part, assurer un rôle d’évaluationde l’action des régulateurs et des résultatsde la régulation. Une méthode pour procé-der à cette évaluation serait, sur le modèle dela coordination des politiques économiques,de réaliser un examen annuel de la situationet des progrès réalisés sur la base de rapportsétablis par chaque pays. Cet exercice pourraitfavoriser l’émergence d’une logique de pres-sion des pairs et d’échanges d’expériences surles performances et les difficultés rencontréespar les différents régulateurs.

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RÉGULATION : CE QUE BRUXELLES DOIT VRAIMENT FAIRE

Le cas le plus poussé est probablement celuide l’électricité et du gaz avec les forums de

Madrid et de Florence quiassocient les différentsopérateurs aux autoritéspubliques nationales etcommunautaires. La Com-mission a en outre créé un« groupe des régulateurs »

dans l’électricité et le gaz (décision du11 novembre 2003).

Dans les autres secteurs, la Commission, autravers des règles de comitologie classique,anime une coopération et un échange d’in-formations qui restent encore perfectibles.

L’opinion du groupe de travail est que lecaractère peu structuré de cette coordinationest un obstacle à l’efficience de la régulationfuture de ces marchés.

La régulation doit être organisée au plancommunautaire lorsque les marchés sont suf-fisamment intégrés, ce qui n’est le cas aujour-d’hui d’aucun des secteurs concernés enEurope. Le jour où cette situation aura suffi-samment évolué, il sera nécessaire que laCommission propose un schéma qui pourraits’inspirer soit du domaine monétaire avec lesystème européen des banques centrales soit

Le caractère peu structuréde la coordination entreles régulateurs nationauxest un obstacleà l’efficience de larégulation

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C O N C L U S I O N

Al’heure où la globalisation fait l’objetd’un débat de plus en plus vif, le rôle del’échelon européen n’est pas encore très

lisible pour les citoyens de l’Union. Entre uneEurope « laboratoire de la globalisation », uneEurope « rempart contre la globalisation »,voire pour certains une Europe « passoire »,l’hésitation et toujours de mise – et d’ailleurslégitime – en l’absence de choix clairementtranchés et assumés. Ces choix, ce sont lesfuturs responsables européens – nouveauxparlementaires et nouveaux commissaires –qui devront les opérer. Et effectivement, ils enont le devoir.

Ils en ont également les moyens. De multiplesleviers peuvent en effet être actionnés parles futurs décideurs. Le groupe de travail« Régulation » de l’Institut Montaigne en aidentifié trois :" Mise en œuvre d’une nouvelle politique deconcurrence qui ne se limite pas au contrôledes risques de renforcement du pouvoir desentreprises, surtout lorsque les marchés sontmondiaux, mais qui tienne compte des gainséconomiques (« efficiences ») que peuventgénérer les fusions et certaines coopérationsentre entreprises." Inclusion dans les objectifs de la politiquecommerciale européenne du thème des sub-ventions afin que, dans les délais les plus brefs

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Il serait en outre utile que cette fonction« d’audit » des autorités nationales de régula-tion, qui pourrait être confiée à la Com-mission, s’étende également aux autoritésnationales de concurrence. La politique dedécentralisation du contrôle des ententes etabus de position dominante qui sera mise enœuvre après le 1er mai 2004 suppose de pou-voir s’assurer que chaque autorité nationaleatteindra des standards de qualité suffisantspour pouvoir assumer ces nouvelles respon-sabilités. Cette exigence est d’autant plusimpérative que du fait de l’élargissement, desautorités de concurrence jeunes et encoreinexpérimentées participeront à ce processus.

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CONCLUSION

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L’enjeu, faut-il le rappeler, est majeur. Au-delàmême du succès du modèle européen, c’estpeut être tout simplement de l’avenir del’Union en tant qu’acteur global qu’il s’agit…

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possibles, les pays non membres de l’Unioneuropéenne s’astreignent à un contrôle desaides d’État aussi rigoureux que celui del’Europe impose à ses propres entreprises." Renforcement des moyens de Bruxellespour parfaire l’ouverture à la concurrence desanciens monopoles publics tout en renforçantles garanties d’accès des plus défavorisés sur leplan social et territorial, qui fonde la spécifi-cité du « modèle européen ».

Ces mesures, si elles sont adoptées, dote-raient l’Europe d’outils qui lui permet-traient de mieux réguler l’économie. Maisau-delà de l’aspect technique, leur adoptionconstituerait également un signal politiqueclair adressé au reste du monde par les dirigeants européens. Celui du choix volon-tariste, résolument assumé, en faveur d’unmodèle de régulation dont le but est claire-ment de défendre le consommateur, maistout en aidant sans complexe les entre-prises européennes à faire face à uneconcurrence internationale exacerbée.

De vœux pieux, le souhait exprimé par lesdirigeants européens à l’occasion du Conseileuropéen de Lisbonne en mars 2000 – « fairede l’Europe la région la plus compétitive dumonde dès 2010 » – deviendrait alors unobjectif réaliste.

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R E M E R C I E M E N T S

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L’Institut Montaigne tient à remercier par-ticulièrement les personnes suivantes pourleur contribution :

! Antoine Gosset-Grainville, présidentdu groupe de travail

! Guillaume Sarlat, rapporteur du groupede travail

! Jacques François-Poncet

! Vincent Grivet

! Jean-Yves Ollier

! Philippe Rincazaux

! Gérard Thulliez

! Jean-Paul Tran Thiet

! Éric Veve

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