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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013
COLLEGE COOPERATIF PROVENCE ALPES MEDITERRANEE
Centre agréé par le Ministère de la Solidarité et de la Cohésion Sociale
Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale
Région PACA
« Je veux que tu veuilles changer » Présenté par : FERRARI Franck
Sous la direction de : CHAMLA RACHEL
Session de décembre 2013
Centre associé
Institut Régional de Travail Social PACA et Corse
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013
COLLEGE COOPERATIF PROVENCE ALPES MEDITERRANEE
Centre agréé par le Ministère de la Solidarité et de la Cohésion Sociale
Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale
Région PACA
« Je veux que tu veuilles changer » Présenté par : FERRARI Franck
Sous la direction de : CHAMLA RACHEL
Session de décembre 2013
Centre associé
Institut Régional de Travail Social PACA et Corse
1
Remerciements
Ce mémoire est l’émergence d’un ensemble d’idées, de relations, de discussions,
de contacts personnels, d’émotions diverses… Ce fut une expérience
passionnante et je tiens à y associer ceux qui l’ont rendue possible : Rachel
CHAMLA pour ses précieux conseils, La sauvegarde13 sans laquelle rien
n’aurait pu se faire, Gisèle et Anne-Sophie et Nathalie pour l’aide qu’elles
m’ont apportée et mon épouse et mes deux enfants pour leur soutien.
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Avant-propos
Ce mémoire est d’abord le fruit d’une réflexion qui a jalonné mon parcours professionnel
dans l’intervention sociale. Lorsqu’en 1999, j’ai commencé à travailler en Maison d’Enfant
à caractère social, j’ai été frappé par la façon dont le placement tentait de résoudre des
problèmes sociaux, éducatifs, humains, en organisant les séparations d’enfants et de leurs
parents jugés maltraitants ou nocifs. L’enfant et la famille devait alors s’adapter au
dispositif d’accueil. Maintenir le lien familial ne représentait pas une priorité et parfois,
une rupture des visites s’avérait nécessaire pour le « bon développement de l’enfant » en
accord avec nos partenaires et financeur de l’Aide Sociale à l’Enfance.
Or, j’ai pu constater également la grande souffrance de ces enfants, sans lien familial, de
ces enfants en « miettes » qui n’avaient qu’une quête parfois maladroite et inespérée de
renouer le lien rompu et de revenir à leur majorité auprès de cette famille appelée
« naturelle ou d’origine ».
Aujourd’hui, éducateur en milieu ouvert, dans un cadre sous contrainte, plus que jamais la
modélisation du projet, la méthodologie d’action que, jusque-là, j’avais reprises et
acceptées par facilité, me semblent aujourd’hui aux antipodes d’un processus de
coopération et d’une action co-construite.
L’absence des familles questionne immanquablement sur la place qui leurs a été accordées
dans une relation où elles apparaissent comme des « acteurs faibles ». J’ai pris alors
conscience que les enjeux d’une séparation avec le contexte familial et culturel ne
pouvaient se réaliser sans une adhésion de l’ensemble des acteurs, dans une volonté
collective de construire un projet commun.
Doit-on et peut-on considérer l’usager comme sujet-acteur ?
C’est autour de cette question de départ que va se construire tout un cheminement qui m’a
conduit, dans une perspective plus large, à réfléchir sur la lutte des places dans une
intervention éducative et les stratégies utilisées, comme la manifestation de leur rationalité.
La loi du 02 janvier 2002 va marquer une volonté politique de changer les conceptions des
acteurs en accordant à l’usager une place centrale et de modifier les pratiques pour une
meilleure adaptation des dispositifs.
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En Action Educative en Milieu Ouvert, la finalité de mon intervention hante souvent mes
démarches autour des conséquences, directes et indirectes, d’une action éducative,
contrainte en faveur d’une population en grande précarité. Le changement nécessaire pour
construire un processus de normalisation comporte de nombreuses phases de gestion des
conflits. De l’incertitude, du silence, des violences, des négociations que génère
l’injonction du changement va progressivement faire émerger, dans cette obligation du
travail ensemble, des doutes sur la méthode d’intervention. Suis-je un « rectificateur de
pensée » comme pourrait le suggérer Hannah Arendt ou le partenariat tant prôné par nos
politiques correspond t'il à une population qui ne met plus de sens à la norme, la règle, et
dont l’intérêt de se conformer, se confronte à la place que lui accorde une société qui la
rend illégitime dans parfois le seul rôle qu’elle occupe : être parent.
La genèse de mon mémoire se base sur l’ensemble de ces questions que j’ai souhaité
développer à l’aide d’une méthode de réflexion. L’évolution des politiques publiques a
contribué depuis le début des années 80 à l’émergence de nouvelles conceptions du travail
social. Les mots « sujet », « acteur », « partenaire » sont devenus des termes largement
utilisés dans le milieu de l’intervention sociale sans pour autant produire un sens commun
à chacun des acteurs. A l’instar des pratiques sur le terrain et notamment en milieu ouvert,
on peut se rendre compte que ces mots ne revêtent pas la même signification en fonction de
la place que l’on occupe dans une organisation. Si le sujet accorde à l’individu une place
de citoyen, c’est-à-dire des droits pour agir dans la vie de la cité, l’acteur relève davantage
des actions produites en fonction de son autonomie et le partenaire, un choix individuel de
s’inscrire dans une approche collective, contractualisée, où chacun contribue à répondre
aux besoins à l’origine d’un projet. Le projet est également un terme largement répandu
dans le métier et dont la polysémie rend délicate une vision commune. Il est un dicton qui
dit « si nous n’employons pas les bons mots, on s’appauvrit » mais qu’en est-il si les mots
deviennent « des mots valises » porteurs d’idéaux, de valeurs qui ne peuvent s’articuler
avec une logique de terrain. C’est cette absence d’ingénierie que j’ai souhaité interroger
dans le cadre de ce mémoire de recherche, pour mettre en évidence les rationalités de
chaque acteur dans la construction d’une action éducative en milieu ouvert.
Ce mémoire est l’émergence d’un ensemble d’idées, de relations, de discussions, de
contacts personnels, d’émotions diverses, etc. Ce fut pour moi l’occasion d’une expérience
passionnante et je souhaite y associer tous ceux qui l’ont rendue possible.
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Introduction générale
La mission du travail social consiste à « toute action menée directement ou indirectement
en vue de la promotion de la personne »1. Cette mission a pour finalité principale
l’expression, la participation et l’insertion de l’usager dans le tissu social. La
communication entre « acteurs » dans le champ de l’action sociale a toujours occupé une
place centrale dans les réflexions du législateur. Dans un contexte économique où l’on
constate une augmentation de la précarité et des phénomènes d’exclusion, mettre l’usager
au centre du dispositif, c’est promouvoir son inscription sociale en lui offrant la possibilité
de devenir acteur potentiel de son changement. Or, la crise a remis en cause durablement
les identités sociales et familiales, les modalités d’intégration sociale (famille, école,
travail), les modes de régulation étatique. Globalement, c’est l’ensemble du contexte
politique et social qui est concerné, et le secteur qui nous intéresse, la Protection de
l’Enfance (et plus particulièrement les services d’Action Educative en Milieu Ouvert) n’y
échappe pas.
La loi de rénovation de l’action sociale et médico-sociale du 02 janvier 2002 s’inscrit dans
une volonté de rationnaliser ce secteur professionnel et d’y apporter une approche
différente du public. Conçue d’une part, pour moderniser le fonctionnement des
établissements sociaux et médico-sociaux et d’autre part, accordant une place centrale aux
familles, la loi « 2002-2 » se situe à la fois dans une rupture (évaluation de la qualité de
l’intervention) avec les dispositions légales précédentes et notamment la loi de 75-535 du
30 juin 1975 mais également dans une forme de continuité tant sur le plan de l’organisation
institutionnelle que la poursuite de la décentralisation et la réponse aux besoins
spécifiques. Satisfaisant aux obligations légales, les établissements ont tenté d’associer les
usagers aux décisions. La participation des usagers est devenue un principe qui correspond
à un mouvement plus profond d’exigence démocratique. C’est dans cette idée, de prendre
part à l’action, que s’est imposé le terme de « partenariat ». Le partenariat est une notion
par laquelle transite cette « modernisation » de l’intervention sociale. Dans cette logique,
définir ce terme pourrait désigner toutes les formes de relations interpersonnelles
1BARREYRE J.Y, BOUQUET B. , CHANTREAU A. et alii (directeurs), (1995), Dictionnaire Critique
d’Action sociale, éditions Bayard, coll. « Travail social », Paris,
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auxquelles on lui attribue implicitement le caractère d’engagement partagé autour d’un
objectif commun. Il sous-entend un rapport entre les parties égal ou au moins équitable.
Mais qu’en est-il dans le cadre d’une intervention sous contrainte de type AEMO ? Quelles
relations peut-on envisager dans un contexte où il y a conflit entre les volontés collectives
(la société) et les volontés individuelles(les parents) ? La modélisation systémique nous
semble un moyen utile pour prendre en considération toute la « complexité » des
interrelations. Une des caractéristiques d’un système est qu’il est impossible de changer un
de ses aspects sans qu’il y ait des répercussions sur l’ensemble, ce qui nous apparait
essentiel dans la construction d’une relation de confiance. Autant de signes d’une
orientation en faveur du « travailler ensemble2 ». De nombreux freins subsistent, la
démarche participative et la prise en compte de la notion de complexité3- dans le sens où
tout acte s’engageant engendrera toujours des effets non anticipés que l’on qualifie
souvent de pervers- se heurtent au contexte particulier d’une intervention sous contrainte
mais également à la difficulté pour les acteurs sociaux de se diriger vers un véritable
partage du pouvoir et de décision. Si tel est le cas, le partenariat pourrait-il se décréter par
des principes législatifs ?
Peut-on parler de partenariat obligatoire ? Un partenariat se décrète-t-il ?
Les éléments d’analyse de cette situation résident pour partie de la spécificité de l’AEMO.
Le juge des Enfants va ordonner une mesure d’assistance éducative (article 375) dont
l’objectif est de protéger l’enfant de pratiques jugées déviantes. Force est de constater que
de nombreuses familles ressentent l’intervention judiciaire comme une violence, source
d’une disqualification sociale4 car la perception de leurs besoins, quel qu’ils soient, est
toujours médiatisée par leurs valeurs, leurs représentations et leur place sociale. La mise en
lien entre l’usager et l’acteur social pour mettre en parole la situation de conflit et atténuer
les éventuelles résistances constitue un premier espace de traduction. Transformer les
injonctions faites aux parents en objectifs de travail, prenant en compte la réalité des
individus avec leur potentiel et leur rythme d’évolution, en est un second. Les différentes
questions autour de l’association réelle à l’identification des besoins, les modes de
2 Fabrice Dhume-Sonzogny, Du travail social au travail ensemble, édition ASH, wolters kluwer, Paris, 2010,
203p 3 E. Morin et J.-L Moigne, L’intelligence de la complexité, L’Harmattan, 1999, p 10
4 S. Paugam,La disqualification sociale : Broché, 2009
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mobilisation pour favoriser la participation de l’usager aboutissent à une question de
recherche
L’intervention sous contrainte judiciaire de type AEMO, est elle un vecteur
d’inclusion ou de disqualification sociale ?
Les mécanismes de création de relations, d’établissement de la confiance, d’écoute, en bref
tout ce qui constitue un lien partenarial entre les acteurs est au centre de nos
préoccupations. La genèse de cette réflexion est tirée d’une enquête du terrain réalisée en
début de mémoire qui conclut à la difficulté des intervenants sociaux, de tous les échelons
de l’organigramme, à considérer les familles comme des partenaires. Ce travail a pour
ambition de faire émerger des paradoxes apparents ou cachés de l’action éducative
notamment concernant un partenariat obligatoire qui suscite de nombreuses interrogations
chez les professionnels. Les enjeux relatifs aux rapports de pouvoir peuvent constituer des
écueils importants dans la construction d’un consensus si chacun des acteurs renforce ses
positions. Ainsi, les velléités institutionnelles d’assurer leur pouvoir de normalisation se
font le plus souvent au détriment du partage des décisions des acteurs et plus
particulièrement des usagers.
Les travailleurs sociaux, en AEMO, sont chargés, à l’échelon le plus proche, de fabriquer
localement avec les familles et les enfants des compromis et arrangements en tenant
compte à la fois du territoire et de la complexité des situations pour élaborer un « projet ».
Or, nous verrons que construire du sens dans un environnement paradoxal n’est chose aisée
car la relation de « confiance », nécessaire au bon déroulement de la mesure est soumise
aux attendus du juge qui peuvent être ressentis comme un stigmate5. Le rappel à la loi est
alors subi comme une contrainte. Guy Hardy rappelle que la base de la règle est
l’acceptation de la frustration6. C’est donc en donnant du sens à la règle, en faisant
percevoir à l’autre son intérêt à la respecter et tenter de le sortir d’une « carrière
déviante7 » qu’il s’inclut dans un processus de changement.
Nous soutiendrons notre réflexion avec l’appui de la sociologie des organisations qui va
nous éclairer sur les stratégies d’acteurs dans un système organisé et cohérent. Comment
articuler trois réalités et définir les libertés de chacun des acteurs ? Pour répondre à cette
5 E. Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Ed. De minuit, 1975.
6G Hardy, « S’il te plait, Ne m’aide pas, L’aide sous injonction administrative ou judiciaire », édition
Jeunesse et droit, Eres, collection relation, 7 Howard.S Becker, Outsiders : Etudes de la sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985
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question, nous avons formulé une hypothèse pour mieux cerner les rationalités des acteurs
dans un système sous contrainte et de rechercher la part irréductible d’autonomie qui existe
dans une relation de pouvoir.
La co-construction d’un projet d’intervention, point de convergence des réalités de
chacun des partenaires, repose sur la reconnaissance et le respect des acteurs et de
leur position interactive dans un système sous contrainte de type AEMO.
Pour tenter d’avancer sur cette question, nous avons élaboré une étude située sur le champ
de la protection de l’enfance et plus particulièrement auprès des acteurs qui gravitent
autour de l’usager en AEMO. La relation partenariale comme objet d’étude s’explique par
la nécessité de traduire des attendus judiciaires en des objectifs de travail qui prennent en
considération la réalité des individus. Toute condition sociale confondue, nous avons tenté
de vérifier le processus de disqualification ou d’inclusion réussie auprès d’usagers sortis
des dispositifs. Des dossiers ont été consultés pour tenter de comprendre les motifs de
renouvellement et le processus de dépendance généré. La concertation est mise en avant
dans la loi du 2 janvier 2002, et chacun doit pouvoir en principe structurer son discours, de
sa place.
Nous avons ainsi, mis en tension deux composantes, l’Institution et les sujets de
l’intervention, autour des enjeux de la relation partenariale dans le cadre d’un projet dont la
finalité vise essentiellement, à diminuer les écarts des pratiques déviantes ou à risque avec
la norme.
Pour mener à bien notre enquête, trois critères se sont rapidement révélés indispensables à
notre étude pour nous éclairer sur les effets de la relation partenariale autour de 3 acteurs :
les parents et enfants, les institutions et les professionnels. Nous nous sommes focalisés sur
3 relations qui apparaissent nécessaire pour envisager un changement durable : la
parentalité, la relation enfant et sa famille, la suppléance concernant la relation du
professionnel exerçant un mandat judiciaire auprès d’un enfant et celui-ci et la 3ème
entre
les professionnels et les parents notamment sur les formes de leur participation et plus
particulièrement sur les engagements partagés autour de la construction d’un outil
commun, le projet. L’importance de ces trois relations va mettre en exergue les stratégies
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qui vont conduire progressivement à une convergence des compétences et va déterminer la
« normalisation » au sens de Muzafer shérif8 ou la disqualification sociale.
L’hypothèse va mettre en évidence les limites du cadre d’intervention actuel où l’inégalité
des acteurs face au projet nuit à l’investissement de tous. Les alliances provisoires vont
rythmer une intervention éducative où l’esquisse d’une approche collective se confronte
aux limites « des mondes de chacun ». Le projet devient alors une nouvelle norme sociale
et, de ce fait, une nouvelle contrainte.
Dans une volonté de réfléchir à d’autres perspectives, nous proposons de revisiter le
modèle actuel en nous appuyant sur la sociologie de la traduction qui attribue aux
travailleurs sociaux une place de « traducteur » entre les « macro acteurs » (l’institution) et
les « microacteurs »(les familles) dans une volonté de favoriser la convergence des
positions et éviter les impasses, mais également en nous référant à d’autres modèles
notamment le développement social local que nous tenterons d’adapter au contexte d’une
mesure judiciaire.
8 Dans le sens ou la normalisation est un processus qui permet à un groupe de converger vers une norme
commune. Toute personne qui ne se conforme pas à la norme se marginalise.
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Première partie : l’avènement d’une nouvelle place de l’usager au centre
du dispositif
Pendant de nombreuses années, différents rapports ont mis en évidence les insuffisances
des lois sociales et en particulier celle de 1975, relative aux institutions sociales et médico-
sociale, en pointant « une participation de l’usager insuffisante9 » et l’absence d’une prise
en compte de son expression. Pour lutter contre une « toute puissance institutionnelle» et
favoriser son expression, la loi du 02 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-
sociale a été élaborée. Elle pose pour principal principe de mettre l’usager au centre du
dispositif. Il s’agit de promouvoir son inscription sociale10
en lui offrant la possibilité
d’être acteur de son changement. C’est garantir son inclusion sociale11
, c’est-à-dire lui
accorder une visibilité, une expression, une participation active dans le tissu social et lui
garantir un accès direct aux institutions afin de lutter contre toutes formes d’exclusion.
C’est également l’engager dans une inscription sociale valorisante et citoyenne et de
reconnaitre sa place de partenaire. Dans cette perspective de changement, le projet occupe
une place centrale que nous mettrons en évidence, tant comme support à l’inclusion
sociale12
que des effets pervers qu’il va induire.
Dans le chapitre 2 nous considérons les interactions entre les principaux acteurs d’une
mesure AEMO, le juge, l’association et l’usager. A l’aide de l’analyse systémique, nous
avons tenté de cerner la complexité et les divers enjeux sous-jacents dans les interrelations
entre les acteurs dans un système sous contrainte de type AEMO.
Dans le chapitre 3, nous faisons une proposition de réponse, par des inscriptions théoriques
et une hypothèse.
Chapitre 1 Le cadre d’intervention
Les différentes réformes de la Protection de l’Enfance sont représentatives d’une
évolution des rationalités profondes qui animent les « acteurs » concernés par
l’intervention judiciaire. D’une logique avant tout répressive avant l’ordonnance de 1945,
les années 90 et surtout la loi du 02 janvier 2002 s’oriente vers une responsabilisation
9Rapport Bianco-Lamy
10 Loi de 2002, Chapitre 1, section 1 les fondements de l’action sociale et médico-sociale et article L116-1 du
code de l’action sociale et des Familles 11
Nous définirons ce concept dans le chapitre 3
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personnelle et citoyenne. Une analyse historique de l’action publique met en évidence ces
différents passages qui modifient progressivement la place occupée par l’usager et
aboutissent au projet d’une coopération effective, d’une coproduction de service, et à une
réflexion sur les transformations induites dans la relation professionnelle-usager-
Institution. Pour prendre la mesure de cette évolution, revenir sur l’histoire de la Protection
de l’enfance, c’est mettre à jour une dynamique historique et mieux saisir les principaux
enjeux qui traversent encore aujourd’hui les réflexions sur l’action éducative dans le
champ de la justice des mineurs. C’est sur cette base que nous allons emprunter les
chemins concrets par lesquels la justice des mineurs se transforme, se réforme et que nous
pourrons comprendre les logiques successives des politiques. Nous proposons de vérifier
ensemble, l’impact de la loi du 2 janvier 2002, puis celle du 05/03/2007 réformant la
Protection de l’Enfance, autour des usages institutionnels d’une grande association, la
Sauvegarde13.
1.1) Présentation du terrain d’étude
L’association est un des acteurs, d’un système sous contrainte que l’on va identifier plus
tard dans le mémoire. Elle va être le support de réflexion du mémoire et concerne la
Sauvegarde13. Elle constitue à la fois un lieu d’inscription des pratiques car elle s’inscrit
dans l’évolution des tendances sociales et politiques mais également un partenaire
incontournable pour les institutions (magistrat ou Département) car elle représente environ
90% des mesures éducatives sur le département.
L’histoire de l’association
L’association trouve sa source dans l’action entreprise en 1893 par Madame VIDAL-
NAQUET et Madame CHAUSSE, bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de
Marseille, par la création du Comité de Défense des enfants traduits en justice. Autrefois,
être mineur délinquant signifiait être incarcéré au même titre que les adultes.
Progressivement, on s’est rendu compte qu’il fallait dissocier les deux. Il faut considérer
que l’enfant ne peut avoir pleinement conscience de la gravité de son acte. L’évolution des
mœurs et de l’état d’esprit de l’époque ont permis de poursuivre et de développer l’action
du Comité de Défense et de Protection de l’Enfance créée en 1935, où l’on privilégie alors,
des mesures éducatives à la sanction pénale, les mineurs étant considérés davantage
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comme des victimes de la société et des êtres en devenir. C’est ainsi qu’une justice des
mineurs a été élaborée indépendamment de celle des adultes.
« Les lois sont indispensables afin que chacun d’entre nous puisse vivre en société dans un
respect des uns et des autres. Les lois interdisent ou obligent, protègent ou confèrent des
droits. Elle s’applique à tous, aux adultes comme aux mineurs, qui ont, eux aussi des droits
et des devoirs »13
Les Fondements de l'Association sont centrés autour de 3 idées directrices :
l'aide et la protection des mineurs en danger
l'aide morale et matérielle à leur apporter
le maintien ou le rétablissement des liens familiaux
L’association est en interaction continue avec les tribunaux et les services de l’Aide
Sociale à l’Enfance qui introduisent dans le fonctionnement de la sauvegarde13 un élément
de contrôle des objectifs. Tandis que les professionnels tentent de construire avec les
usagers, les modalités d’intervention, leurs effort doivent aboutir à un changement utile ou
acceptable et ceux, afin de répondre à une commande sociale. On parle alors d’aide sous
contrainte.
1.2) L’aide sous contrainte, les constats
Lorsqu’un service social accueille un bénéficiaire, il exprime souvent « une demande
d’aide » qu’il s’agisse d’un problème locatif, administratif, financier ou éducatif. Dans
cette perspective, il est porteur de la demande à la fois « acteur » et « auteur ». Il s’autorise
à solliciter des intervenants sociaux et à se prémunir d’une « certaine marge de liberté14
»,
d’une capacité d’agir de manière autonome.
Dans le cadre d’une aide sous contrainte, cette demande portée par un citoyen, peut ne pas
être sa demande. Elle peut, en effet, émaner d’une personne physique (ami, parents,
travailleurs sociaux…) ou de personnes morales (Service de L’aide Sociale à l’Enfance,
magistrature, école…) qui ont repéré ce qui leur semble des pratiques à risques ou
13
« La justice des mineurs » Service de l’Information et de la Communication, ministère de la justice 14
M. Crozier etE. Friedberg, « l’acteur et le système », le Seuil, « Points Politiques », 1981, p 45
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déviantes et qui disposent d’un pouvoir légal, administratif, affectif, moral ou judiciaire qui
oblige et pour ne pas dire exige que la situation change.
L’Action Educative en Milieu Ouvert se situe dans cette seconde perspective, dans un
contexte où la procédure légale conduit le magistrat à prononcer une aide sous contrainte
dont la finalité de l’intervention va viser le changement.
Comme tout changement, il s’inscrit dans le cadre d’un projet. L’idée de projet évoque
« une grande liberté des possibles »15
et recouvre de nombreux enjeux sociaux. A tel point
que ‘elle est devenue une norme contraignante, incontournable, qui disqualifie les « sans
projet ». A partir de ce paradoxe, l’intervenant social a pour mission de faire adhérer le
citoyen à une norme sociale, à des valeurs plus conforme à la commande sociale.
Cette double exigences exprime deux contraintes qui s’opposent. On parle d’injonction
paradoxale qui a tendance à entrainer un blocage de communication. Bateson parle
de « communication sous contrainte16
». La relation de la double contrainte est un piège
relationnel car elle caractérise une relation de pouvoir entre, l’institution, association et
usagers. C’est-à-dire qu’elle accorde à un des acteurs la possibilité de sanctionner ou de
gratifier. Cela s’exprime sur le terrain par « nous voulons que vous changiez », où la
norme est présentée comme « la bonne pratique ».
L’aide sous influence se situe lorsque le professionnel sensibilise l’individu car, sachant
que le changement de soi ne peut s’imposer de l’extérieur, il va le mobiliser pour que le
changement émane de lui, on se situe alors dans « je veux que tu veuilles te changer ».Pour
Guy Hardy, on ne peut occulter les effets pervers dont pourrait être le porteur de l’aide
sous injonction judiciaire.
« Notre analyse de l’aide contrainte ne devrait, de plus, jamais s’entendre comme une mise
en accusation de la bonne foi et de la compétence des acteurs de ces secteurs mais comme
un appel à la vigilance. Il s’agit, avant tout, du décryptage d’une situation au sein de
laquelle, quelles que soient leurs intentions, les intervenants de l’aide contrainte sont
piégés 17
».
Mais quelle est la place accordée à l’autonomie pour l’usager ?
Comment le projet peut-il faire sens et prendre un intérêt ?
L’usager est-il un partenaire dans la construction d’une intervention éducative ?
15
C Lemoine, carriérologie, volume 6, n° 3-4, 1997 16
G Bateson, définition du « double bind », in La nature et la pensée, Le Seuil, 1985 17
G Hardy, « S’il te plait, Ne m’aide pas, L’aide sous injonction administrative ou judiciaire », édition
Jeunesse et droit, Eres, collection relation, p 36
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Fort de ces constats, nous avons souhaité les confronter à l’épreuve des professionnels afin
de mesurer la place qu’occupent les usagers dans la construction et dans la mise en œuvre
du projet. Cette démarche a fait l’objet d’une pré-enquête (annexe 1) dont l’objectif visait
essentiellement à mesurer les représentations des professionnels concernant les usagers
dans la construction d’un projet.
La méthodologie d’intervention du service
La loi du 02 janvier 2002 marque la volonté des pouvoirs publics d’une plus grande
transparence des prestations sociales proposées par les institutions et de ce fait définit des
objectifs précis et présente les valeurs qui régissent l’activité de l’association
La loi de 2002 pose 2 principes :
Garantir le droit des usagers
Instaurer des procédures de pilotage du dispositif plus rigoureuses et plus
transparentes afin d’instaurer une plus grande coopération des différents acteurs
Pour formaliser ses deux principes, 4 orientations ont été formulées :
Affirmer et promouvoir les droits des bénéficiaires et de leur entourage
Pour cela, les institutions doivent remettre à la personne ou à son représentant légal
un livret d’accueil auquel estannexée une charte de la personne accueillie qui pose
le principe de la participation de la personne ou de son représentant légal à la
conception et à la mise en œuvre du projet d’accueil et d’accompagnement qui le
concerne18
. Les règles de fonctionnement qui définissent les droits de la personne
accueillie et ses obligations et les devoirs nécessaire au bon fonctionnement de
l’intervention éducative19
.
Après les premières évaluations, un document individuel de prise en charge(DIPC) est
élaboré, il détermine les prestations fournies par le professionnel. Les modalités
d’intervention sont fixées en collaboration avec le public20
.
Le document relatif à la participation des usagers21
par un questionnaire de satisfaction est
également transmis.
18
Arrêté du 8 septembre 2003 mentionné à l’article 311-4 du code l’Action sociale et des Familles 19
Décret 2003-1055 du 14 novembre 2003, article 311-7, loi de 2002-2 20
Décret 2004-1274 du 26 novembre 2004 mentionné à l’article L 311-4 du CASF 21
Article 19 et 28 du décret du 27 mars 2004
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Concernant le personnel, il est soumis au secret professionnel et depuis la loi du 05
mars 2007 au secret partagé, elle garantit la confidentialité des informations.
L’association s’est dotée d’un projet d’établissement dans lequel elle définit ses objectifs
notamment en ce qui concerne la coopération, la coordination et l’évaluation des activités
ainsi que les modalités d’organisation et de fonctionnement, ses valeurs…22
Afin de favoriser une harmonisation des procédures d’intervention un guide
méthodologique est également fourni, il décrypte les divers rapports à transmettre au
magistrat 6 semaines avant échéance de la mesure, des notes visant à actualiser la situation
familiale et les procédures en fonction des temps de l’intervention, accueil, orientation vers
des partenaires institutionnels, placement, courrier etc.…
Enfin des notes internes de fonctionnement sont diffusées à chaque professionnel et aux
divers services d’intervention.
La 2ème
grande orientation vise à lutter contre toute forme d’exclusion en apportant Aide
et Conseil aux usagers titulaire d’une mesure AEMO. Dans ce cadre, on se situe dans le
cadre règlementaire de l’inclusion sociale.23
La 3ème
grande orientation vise l’amélioration des procédures :
Un contrôle est exercé par nos partenaires et financeur du Conseil Général, et une plus
grande vigilance des magistrats autour de la mise en œuvre de l’intervention éducative.
L’évaluation occupe également une place important.
La 4ème
grande orientation se rapporte essentiellement autour d’une plus grande
coordination des acteurs et organiser une plus grande transparence dans la construction
d’une mesure éducative, il s’agit de décloisonner les fonctionnements actuels pour
accorder une place effective à chaque acteur participant à une mesure judiciaire. 24
La sauvegarde13 réaffirme dans ses valeurs professionnelles, le respect de la dignité des
personnes, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité25
et instaure la
mise en place de projet individuel visant à répondre à la commande sociale définie dans les
attendus du magistrat, fixés par ordonnance ou jugement. Elle vise également à rechercher
22
Article 12, section 2 droit des usagers du secteur social et médico-social, loi de 2002-2 23
Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté du 21janvier 2013 24
Article 42 loi de 2002-2 et suivants 25
Projet institutionnel de la SAUVEGARDE13 modifié en 2013
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 14
le développement de la personne, son autonomie et son insertion adaptée à son âge et à ses
besoins26
. Toute intervention s’effectue idéalement en respectant le consentement éclairé
de la personne ou de son représentant légal apte à exprimer sa volonté et à « participer à la
décision27
».
C’est sur ce dernier point que nous nous appuieront pour mettre en valeur la place de
« partenaire » accordé à l’usager. Nous fondons notre réflexion sur la définition de Fabrice
Dhume qui pose la démarche partenariale autour d’une action collective comme support
d’une communauté d’intérêt28
. Le projet prend une dimension importante tant par l’aspect
opératoire qu’il représente mais également par l’affirmation des libertés qu’il sous-entend.
1.3) Le projet comme affirmation des libertés
Pour Boutinet29
, le projet est « anticipation opératoire, individuelle ou collective d’un futur
désiré ». Dans le contexte d’une mesure judiciaire, nous parlons davantage de combler
l’écart entre des dysfonctionnements familiaux ou parentaux qualifiés de « déviants » avec
la norme sociale en vigueur. Ce changement nécessaire doit se concevoir dans une
démarche de projet. La loi de 2002-2 se montre très protectrice des individus et de leur
liberté en venant nous l’avons vu, instituer un certain nombre d’obligation pour les usagers
mais également pour les associations. Pour JM Lhuillier30
, la naissance de ce droit
s’explique par l’échec des établissements à répondre efficacement aux besoins des usagers.
Pour un public fragilisé, le législateur vient palier le danger de l’intervention sous
contrainte qui peut s’avérer être un coefficient multiplicateur des phénomènes d’exclusion.
La loi vient donner un fil conducteur au travail institutionnel en voulant faire du contrat de
séjour ou du DIPC des outils garantissant l’exercice des droits mentionnés à l’article
L.311-3 du CASF (voir annexe 2).
La loi pose les jalons d’une participation des personnes concernées par le projet et dans sa
mise en œuvre. Le réajustement des objectifs du projet doit, en principe, s’effectuer après
l’audience, lieu qui permet le principe du débat contradictoire31
. C’est un avenant que l’on
ajoute au projet personnalisé, où, il convient de préciser les « objectifs et les prestations
26
Article L311-3 du code de l’Action Sociale et de la famille 27
7ème
point de l’article L311-3 28
F. DHUME, du travail social au travail ensemble, éditions ASH, coll. Wolters Kluwer, Paris, 2010, p 111 29
JP BOUTINET, anthropologie du projet, 30
JM. L’HUILLIER, Les droits des usagers dans les établissements et services sociaux, éditions Presse de
l’EHESP, 4ème
édition, 2009, Paris
En référence au décret du 05/07/2007 relatif à la loi du 05/03/2007 reformant la protection de l’Enfance
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 15
adaptées à la personne ». En d’autre terme, il s’agit d’engager un véritable travail
d’élaboration et de mise à jour concourant à actualiser la situation personnelle de tel ou tel
usager.
1.4) Comment les professionnels de la Sauvegarde13 élaborent et conduisent le
projet ?
La loi ne donne pas d’indication ou une méthode claire. Cependant, elle formule un
ensemble de contraintes qui fixe les limites et peut servir de cadre à l’élaboration d’un
guide méthodologique.
o Le travail d’adaptation des prestations de l’établissement, c’est le travail des
professionnels qui, en fonction du rythme et des potentialités des individus
réajustes les attendus du juge en objectifs de travail avec les usagers.
o La participation active de la personne, l’autonomie de la personne est
respectée, les usagers doivent être informés des actions menées à minima,
placement inclus même dans le cas de retrait.
o Le caractère contractuel du document
L’intervention éducative de type AEMO est fondée sur un danger existant. Elle évolue à
l’intérieur d’un cadre juridique et elle intègre un risque permanent que seul le travailleur
social ne peut ni contenir ni évaluer.
Une lecture collective est bien évidemment souhaitable. Sa validité ne repose pas sur la
seule compétence de l’intervenant, ni sur sa motivation à mobiliser et interpeller son
équipe. Elle ne peut que se réaliser dans l’organisation de procédures où chacun, de sa
place de « partenaire » évalue la qualité de service et participe à la mise en action du projet
commun.
Le travailleur social se trouve donc, si l’on poursuit la réflexion, au cœur d’un paradoxe.
D’une part, le travailleur social affirme que les notions de respect et d’usager acteur
prévalent. D’autre part, il pose comme condition à cet usager acteur de s’engager dans un
processus de changement ; il lui reconnait le temps, la disponibilité et des marges de liberté
mais à condition qu’il change, en conformité à ce que les attendus ont désigné comme
déviant.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 16
1.5) Les caractéristiques des usagers
Comme nous l’avons exprimé ci-dessus, l’intervention éducative est fondée sur un
danger existant. On pourrait se référer aux travaux d’olivier Schwartz, Michel Autès ou
Serge Paugam, et tous concluent que la crise économique a remis durablement en cause les
identités sociales et familiales et les modalités d’intégration sociale. Toutes les conditions
sociales sont concernées par une intervention éducative.
Au-delà de l’augmentation de la pauvreté, les problématiques familiales sont souvent le
cumul de difficultés telles que l’isolement social, des filiations peu établies, des
dépendances aux produits toxiques et des pathologies psychiques qui entrainent un déficit
de l’autorité parentale (voir tableau annexe 3 des problématiques selon ONED). De nos
jours, on ne peut également écarter les conflit parentaux liés à une séparation ou un
divorce. IL est évident qu’il s’agit ici d’un balayage rapide des diverses situations que
peuvent rencontrer les travailleurs sociaux en AEMO.
En grande majorité, nous avons pu observer pour des usagers revendicatifs de « droit à »
ou « au droit de » un phénomène assez paradoxal celui du non recours des familles à
l’intégralité de leurs droits sociaux qui devient un puissant vecteur d’exclusion et en
l’occurrence, pour notre recherche, de disqualification sociale. Cette configuration exprime
alors une forme de non-participation des familles avec un faible niveau d’implication et de
responsabilité.
Ceci accroit le décalage culturel (rapport aux valeurs, aux normes, aux pratiques sociales, à
une forme de reconnaissance…) entre l’intervenant social et les usagers de la mesure. On
peut alors, craindre une surestimation de la contrainte que représente le changement,
laissant peu de place à une pratique de projet.
La loi du 2 janvier 2002 favorise l’émergence de l’usager citoyen, acteur, partenaire, qui se
retrouve responsabilisé et impliqué dans tous les projets et les actions qui le concernent. La
loi de 2002 peut se présenter ainsi comme la conclusion d’une évolution des relations entre
les trois acteurs que sont l’institution, l’association et l’usager. Après avoir présenté le
contexte juridique de la loi de 2002 sous l’angle de son opérationnalité, il semble important
de réfléchir sur cette évolution des pratiques sous l’angle historique.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 17
1.6) L’évolution de la relation usager/institution/association
La protection de l’enfance : une construction progressive
A travers les siècles, la misère est la principale cause de l’abandon d’enfant…
L’accueil des enfants des familles en difficultés avec l’hébergement des malades est à
l’une des plus anciennes fonctions de l’état naissant. Cette question sociale est une
préoccupation qui relève des congrégations religieuses puis aux services de l’assistance
publique. On va parler d’assistance sociale car c’est aux marges du travail que se pose la
question de l’assistance. Elle concerne sans trop de débat, ceux qui ne sont pas en mesure
de travailler mais aussi, et cela sera longtemps un problème, un certain nombre de valide32
.
Robert castel les présente sous la dénomination « d’inutile au monde ». L’assisté, placé
dans une relation régie par la charité, ne pouvait exprimer son point de vue.
La naissance de l’Etat social : la 3ème
République
Le débat autour de la dangerosité des familles pour leurs enfants et la question de la
maltraitance ébranla l’opinion publique vers les années 188033
. Les affaires comme celle
qu’évoqua Zola dans l’Assommoir attirèrent l’attention sur ces parents « maltraitants » qui
martyrisaient leurs enfants. Une prise de conscience aboutit à la nécessité de pénétrer à
l’intérieur de la cellule familiale pour soustraire l’enfant à l’influence d’un milieu délétère.
Progressivement, un ensemble de dispositions légales vont venir étoffer un arsenal
juridique pour tenter de protéger les enfants. La loi de 1889 sur le placement des enfants
est très importante car pour la première fois dans l’histoire, l’état s’arroge le droit de
prononcer la déchéance parentale. Le principe de l’autorité paternelle est battu en brèche
au profit de la reconnaissance des droits personnels de l’enfant, ainsi qu’à l’intérêt
supérieur de la société. Mais cette loi et celle de 1898 sur les actes de cruauté commis par
les parents ne seront jamais réellement efficientes car des mesures d’accompagnement des
familles ne furent jamais mises en place. De plus, la stigmatisation des parents produisit un
effet pervers, celui de favoriser la dissimulation des faits réprimés par la société, celui de
rendre difficile de penser les mécanismes relationnels dans les processus de mauvais
traitement.
32
R. Castel « les métamorphoses de la question sociale », édition Gallimard, collection Folio, 1995, p306 33
Catherine Rollet, La politique de l’Enfance sous la IIIème République, éd. Jeunesse et droit, 1998, p43-44
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 18
La naissance de l’état social est au sens de Robert Castel, une imposition de système de
garanties légales grâce auxquelles la sécurité ne dépend plus exclusivement de la propriété.
Le droit est lié au versement d’une cotisation, et non plus à l’incapacité de subvenir à ses
besoins, incapacité nécessairement évaluée par d’autres.34
L’ordonnance de 1945
C’est au lendemain de la guerre que sont prises les ordonnances de 1945. Un esprit
radicalement nouveau guide ces ordonnances puisque l’on affirme la prééminence de la
prévention sur la répression tant sur la santé, le suivi des enfants délinquants que les
dysfonctionnements familiaux. Pour assurer le suivi des enfants et des familles, des corps
professionnels se développent d’éducateurs (décret du 10 avril 1945), d’assistants sociaux
et de puéricultrice.
Avec l’ordonnance du 4octobre 1945 et le décret du 08 juin 1946, on peut considérer qu’en
France s’organise la construction d’une protection sociale, une forme « spécifique au
compromis et assurantiel de la société industrielle »35
. L’état accorde à ses assurés sociaux
un ensemble de garantie dont l’objet vise l’intérêt général au service des particuliers.
La Protection de l’Enfance
Jusqu'à l’ordonnance de 58, c’est paradoxalement lorsque le mineur a commis un acte de
délinquance qu’il est le mieux protégé par l’intervention judiciaire. En effet, les
dispositions définies dans les ordonnances de 1945 limitent les interventions des Juges des
Enfants aux enfants dont les conditions de vie (danger physique ou moral) prédestinent à la
délinquance et aux formes graves d’inadaptation sociale.
L’ordonnance 58
L’ordonnance de 1958 renforce la protection civile des mineurs et modernise la disposition
en un seul texte. Désormais, le Juge des Enfants peut intervenir rapidement et efficacement
en faveur d’un enfant ou d’un adolescent dont les conditions d’éducation sont gravement
compromises (article 375 et suivants du code civil)36
.
34
Op cit, p508 35
M. Autès « les paradoxes du travail social », Dunod, Paris, 1999, p 9 36
Article 375 modifié par la loi du 05 mars 2007 : Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non
émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures
d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 19
Une des originalités de l’époque, c’est que le dispositif crée une Action Educative en
Milieu Ouvert, c’est à dire offre un suivi de l’enfant maintenu dans sa famille.
L’expression marque néanmoins, combien les esprits et les structures restent marqués par
les dispositifs antérieurs puisque les termes « milieux ouverts » renvoient à ceux de
milieux fermés, qu’il s’agisse de placement en foyer, en famille d’accueil…
Toutefois, dans cette volonté du législateur de vérifier les conditions de vie du mineur au
domicile parental, il va créer un double système de protection :
Une protection administrative(AED)
Une protection judiciaire (AEMO)
La grande différence entre ses deux dispositifs se situe autour de l’engagement des
familles. La première, l’adhésion de l’usager est acquise, les objectifs sont communs et
l’intervention se définit en fonction d’un collectif d’acteur. Pour la seconde, L’A. E. M. O
est instaurée par décision judiciaire, Ordonnance ou Jugement. Le juge des Enfants se
substitue à l’autorité administrative, le président du Conseil Général, compétent pour les
mesures administratives, suite à une non-participation ou non implication des usagers
(l’enfant et sa famille). L’AEMO s’exerce dans le cadre d’une assistance éducative qui est
plus une institution de droit civil qu’une prestation sociale. Elle est en cela différente des
autres missions de l’action sociale. La protection de l’Enfance est concernée quand il y a
danger et conflit entre la volonté collective (la société) et les volontés individuelles (les
parents).
Pendant longtemps le système est resté centré sur l’enfant, ce qu’illustre l’appellation de
l’Aide Sociale à l’Enfance plutôt qu’Aide Sociale aux Familles. Pour autant, de nombreux
professionnels, juges, travailleurs sociaux, associations de familles, estiment aujourd’hui,
qu’il n’est pas possible d’aider un enfant en faisant abstraction de son milieu familial, mais
également des réseaux culturels affectifs et territoriaux dans lequel il s’inscrit. Et ce
constat, le rapport Bianco-Lamy37
le signalait déjà en 1980 où il fustigeait l’accent mis sur
l’Enfant plus que sur sa famille. L’émergence de la notion de parentalité va alors s’imposer
dans le champ de la protection de l’Enfance et transformer durablement les relations entre
les professionnels et les familles, les incitants chacun d’une part, à développer des actions
l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du
ministère public… » 37
J. L. Bianco et P. Lamy, L’Aide à l’enfance de demain, La documentation française, 1980, p 23-24
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 20
de soutien à la parentalité et d’autre part, de participer et de coopérer dans l’optique de
modifier les conduites à risque ou jugées déviantes.
Toutefois, à travers les textes, la perception de l’enfant a changé en même temps que les
missions assignées par la loi. Pour Pierre Verdier l’appellation qui est donnée dans les
textes législatifs sous-tend la place accordée et les logiques. Il distingue ainsi, la logique
d’assistance, la logique de protection, la logique de soin, celle de la proposition de service
et la logique de citoyenneté. Ainsi, les premiers textes sur l’assistance des enfants
présentaient comme des « orphelins » et il fallait remplacer des parents absents, morts ou
inconnus.
La loi de 1889 sur la déchéance parentale va développer sa mission de remplacement par la
protection des enfants victimes de maltraitances. Le père déchu remplace le père absent.
Après la logique de substitution, c’est sous la logique de protection que l’on va fonctionner
jusque dans les années 70. A cette époque, le ministre, Robert Boulin confie à Antoine
Dupont-Fauville la mission d’étudier l’Aide Sociale à l’enfance. Les conclusions
révolutionnent les pratiques, on ne peut répondre au « cas sociaux » que de manière
pluridisciplinaire. Sur le modèle médical prééminent à cette période, on parle de soin et
non d’éducation, les professionnels parlent « d’enfant en souffrance », de prise en charge.
Pour Paul Duning « Tout se passe en réalité comme si l’univers de la famille et celui des
professionnels de la protection de l’enfance étaient deux hémisphères qui les séparent plus
qu’il ne les rapprochent, l’enfant, acteur autant qu’enjeu de leur coopération ».
Le rapport Bianco-Lamy en 1980 va faire émerger la notion de parentalité. On parle
d’usager et on modifie l’approche. II y a certes des familles « carencées », mais ce n’est
pas en agissant à leur place qu’on résoudra leur situation. On accorde des droits à l’enfant
comme moyen de sortir de leur défaillance et dans une mission de « coéducation », de
soutien à la parentalité.
La loi de 2002, nous le verrons plus tard va renforcer la citoyenneté et orienter les
interventions vers la responsabilisation, étape nécessaire pour une normalisation réussie.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 21
Evolution des missions de la protection de l’enfance et des représentations de son
client38
Logiques Désignation de la
population suivie
Représentation
des parents
Notre mission
Charité Le pauvre Inconnus sauver
1793-1904 Assistance L’orphelin absents remplacer
1889 protection Enfant
moralement
abandonné
déchus protéger
1970 soin Enfant en
difficulté
défaillant réparer
1984
proposition de
service
L’usager usagers soutenir
Citoyenneté Le partenaire citoyen responsabiliser
On peut s’interroger sur les conversions du social sans lui restituer sa partie invisible qui
touche à la question de la mission et au sens qu’elle requiert pour les professionnels, mais
également sur la philosophie de l’établissement qu’il véhicule auprès des partenaires et des
usagers. Le phénomène étudié intervient dans un contexte social et historique en constante
évolution où l’on passe d’une logique de vulnérabilité à celle de la capabilité. La société
reconnait à l’individu sa capacité à agir.
1.7) « L’administration n’est plus là pour dominer mais pour servir »39
: la loi de
02 janvier 2002.
Une étude du contexte préparatoire de la loi de 2002, ne peut s’effectuer sans parallèle sur
l’actualité du lien social tant sur le plan juridique que politique. En effet, l’évolution
historique des mesures proposées par un Etat providence qui se désengage
progressivement, s’est accompagnée d’un maillage juridique complexe mais nécessaire,
38
Conférence de Pierre Verdier, directeur Général de la Vie au Grand Air, lors de la journée d’étude du 18
octobre 2002 dans www.créai-Bourgogne.com 39
J. Chevalier, Regard sur l’administré. In les usagers entre marché et citoyenneté, Logique Sociales,
L’Harmattan, p 29
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 22
qui a conduit à une professionnalité fonctionnant sur la mode du stimulus-réponse.
Autrement dit à chaque type de problème une réponse en termes de dispositif est proposée,
fondé sur un texte de loi. Pour illustrer ce phénomène nous proposons de retracer, à grands
traits, une des caractéristiques du travail social, mettre l’usager au centre du dispositif et
l’évolution des droits sociaux des usagers.
Le rapport de Pierre Naves et Bruno Cathala40
va mettre en évidence les carences des
professionnels autour de l’évaluation de la situation des mineurs et de leurs familles et
l’absence d’un dialogue avec les familles qui vivent leurs rapports à l’Aide Sociale à
l’Enfance sur le mode de la violence de la peur de l’injustice, d’où une certaine tendance
au déni et à la défiance.
Le rapport de l’IGAS va modifier en 1996 la place de l’usager dans sa relation avec les
institutions car il devient un ayant-droit, un bénéficiaire de prestations et de ce fait s’arroge
la possibilité d’attendre une qualité de service et d’interroger les intervenants sur leurs
actions, au regard des moyens financiers et humains dont ils disposent. « De plus en plus, il
conviendra de s’assurer que les dépenses sont bien liées aux attentes et à la qualité de vie
des résidents ».41
Le rapport de l’IGAS souligne notamment l’insuffisance de prise en compte des enjeux de
la qualité, notamment en ce qui concerne la prise en compte de l’usager et suggère en
premier point de placer l’usager au centre de l’action : « il faudrait passer d’une logique
d’institution à une logique fondée sur les besoins des personnes »42
.
C’est de cette logique que toute action répond à un besoin que va émerger de nombreux
outils professionnels dont la performance et l’aspect contractuel va laisser supposer une
forme d’égalité entre les cocontractants. Nous percevons dans ce texte, les prémisses qui
vont fonder la relation partenariale.
Ce rapport marque un tournant dans les rapports entre les professionnels et les usagers en
préconisant de leur donner un rôle plus actif, d’une part et d’autre part, progressivement
40
P. Naves et B. Cathala, Accueil provisoire et placement d’enfants et d’adolescents : des décisions qui
mettent à l’épreuve le système français de protection de l’enfance et de la famille, IGAS, 2000. 41
M.F. Guerin, MT Join-Lambert, S. Morla, D. Villain (IGAS), déc. 1995, Bilan de l’application de la loi du
30/06/75 sur les institutions sociales et médico-sociales, rapport 95155 au Ministère des Affaires Sociales de
la Santé et de la Ville 42
Ibidem page122
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 23
passer de « l’usager silencieux » au citoyen titulaire de droits face à la machine
administrative ou judiciaire.
C’est dans cet esprit que la mission Terrasse43
, a préparé la réforme de la loi de 1975, en
souhaitant l’adapter au contexte politique, économique et sociologique de son époque. Il
replace l’intervention sociale dans une réponse aux besoins de l’usager et tente de
rationaliser le sens de l’acte : « l’usager, quels que soient son âge et son état, doit être placé
au centre du dispositif… »44
La lutte contre les exclusions, les droits des usagers et la réorganisation du secteur social
sont les grandes lignes d’un discours politique encore aujourd’hui d’actualité. Ils font
encore débat notamment dans la Protection de l’Enfance, où l’action administrative,
judiciaire en Milieu ouvert ou dans le cadre d’un placement démontre encore aujourd’hui
de nombreuses carences dans la concertation entre les familles et les professionnels. Or
l’absence de cadre clair, au contenu partagé par tous, portant sur les rôles respectifs de
chacun, est de nature à « fonder un état d’esprit qui facilite le développement de
malentendus, de ressentiments et est génératrice d’inefficacité 45
».
L’étape supplémentaire est alors franchie avec le rapport Roméo46
. Ce rapport, réalisé alors
que la future loi du 2 janvier 2002 est à l’étude au Sénat, concerne plus particulièrement
l’Aide Sociale à l’Enfance et traite des relations l’enfant et sa famille d’un côté et les
professionnels de l’autre.
Un état de ces relations est effectué sans concession dans un premier temps autour des
représentations de chacune des parties. La peur du « placement », la peur irraisonnée de la
séparation, parasitent en permanence les relations de cette triade (famille, travailleur
social, institution) où le dialogue vient buter et où le malentendu s’installe.
Il suggère une plus grande transparence sur l’application des dispositifs pour favoriser la
compréhension, atténuer les incertitudes et garantir une plus grande coopération des
acteurs dans l’optique de s’en servir comme levier du changement. « La psychanalyse et
43
P. Terrasse (Commission des Affaire culturelles, familiales et Sociales de l’Assemblée Nationale), (mars
2000), Rapport d’information sur la réforme de loi n° 75-535 du 30/06/75 44
D. Gillot (Secrétaire d’Etat à la santé et à l’Action Sociale), fév. 2000, discours à l’Assemblée Nationale,
www.assemblée-nationale.fr 45
Rapport Naves-Cathala, p 30 46
C. Roméo (Directeur de l’Enfance et de la Famille de Seine Saint-Denis), octobre 2001, L’évolution des
relations parents-enfant-professionnels dans le cadre de la Protection de l’Enfance, Rapport au Ministère
délégué à l’Enfance, à la famille et aux personnes handicapées
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 24
l’approche systémique ont conforté la place des parents en posant comme acquis que l’on
ne peut agir en faisant abstraction de la famille d’un enfant. »47
L’ambition du rapport est « d’envisager les familles usagères de la Protection de l’Enfance
comme des partenaires, des collaborateurs ». Cet objectif inédit soulève bien des questions
notamment sur les places qu’occupent chacun dans la prise de décision. Dans une volonté
de moderniser les rapports entre les acteurs, le partenariat passe par la reconnaissance des
droits des familles, à l’information et à son application.
Nous avons été frappés par les préconisations concrètes concernant la place des enfants et
des familles, qui vont fortement introduire les principes de « partenariat », de coéducation
de la loi du 02 janvier 2002. Par ailleurs, cet historique rappelle que la loi est issue d’un
long processus qui va désigner progressivement l’usager comme un acteur. Nous verrons
plus loin, que son application ne va pas aller sans problème. Ce qui est sollicité ici, ce
n’est pas seulement la construction d’un réseau de communication entre un enfant, sa
famille et l’institution (par l’intermédiaire de son traducteur, porte-parole, le
professionnel), c’est d’envisager le sujet comme citoyen. Or, la place des familles ici
largement consacrée comme un « partenaire » peut s’avérer être un véritable défi lorsque
l’obligation de changement s’impose à eux comme cela peut être le cas en AEMO. Dans ce
cas, la place des familles est- elle équivalente à celle des professionnels ?
La loi du 02 janvier 2002 : de « l’usager silencieux » à l’usager acteur »
Nous allons bientôt fêter les 10 ans de la loi de rénovation de l’action sociale et médico-
sociale. A ce stade du mémoire, il nous semble important de repréciser le contexte
historique qui a conduit à l’élaboration de la loi. Plusieurs rapports ont été sollicités par les
différents gouvernements qui se sont succédés afin de préparer la rénovation de la loi de
1975 sur les institutions sociales et médico-sociales. Bien évidemment, il nous ait apparu
essentiel d’effectuer une étude de ses documents car ils nous donnent des indications de
l’évolution souhaitée, notamment dans la place accordée dans le processus de décision de
l’usager. Le rapport Bianco-Lamy de 1986, le rapport de l’IGAS 1996, la Mission Terrasse
et le rapport Naves-Cathala en 2000 et le rapport Roméo en 2001 éclairent sur les motifs
politiques qui ont conduit à cette nouvelle fondation48
.
47
Ibidem p 21 48
J.F. Beauduret et M. Jaeger. Rénover l’Action Sociale et Médico-sociale : histoire d’une refondation,
Dunod, 2005
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 25
1.8) Une évolution politique : la loi du 05 mars 2007
A la fin du 20ème
siècle, l’enjeu de savoir travailler ensemble devient une priorité
nationale. La crise s’installant, la rationalisation des choix budgétaire somme tous les
secteurs de l’Aide sociale à favoriser la coopération et participation de l’ensemble des
acteurs sociaux et plus particulièrement les usagers. D’une vision mécaniste des
professions du social, les politiques souhaitent impulser un accompagnement moderniste
du citoyen, en une phrase : Promouvoir la place de l’usager.
Cette nouvelle conception vise essentiellement à ouvrir l’organisation de la Protection de
l’Enfance à ses administrés, en tant que service, espace de codécision et de co-élaboration.
Cette volonté d’associer les familles aux orientations les concernant émane d’un législateur
qui réaffirme des droits et des devoirs et les positionne comme des acteurs responsables,
dans un esprit démocratique et républicain. Autrement dit chaque parent doit pouvoir se
situer comme un partenaire. Ce qui est sollicité ici, ce n’est pas seulement le parent d’un
enfant confié à la protection de l’Enfance, c’est le sujet citoyen.
De nombreuses questions émergent dans le cadre d’une intervention judiciaire car la place
des parents dans un partenariat, n’est pas toujours librement consentie et le stigmate que
représente une telle intervention ne favorise pas toujours la participation.
Par ailleurs, suffit-il d’accorder des droits à des familles pour qu’elles s’en saisissent ? La
question du sens, de l’intérêt d’une assistance éducative pour les bénéficiaires et leur
famille, revêt ici une importance capital pour développer le travail ensemble.
La loi du 05 mars 2007 la réforme de la protection sociale
Désormais, le législateur souhaite une politique plus efficace dans le cadre des
interventions éducatives. A cet égard, la loi du 05 mars 2007 réforme les procédures liées à
la protection de l’enfance. Elle tente de maximiser les actions en faveur de la prévention.
L’un des premiers principes vise une déjudiciarisation des mesures éducatives. Pour
cela, la loi accorde un transfert d’autorité vers l’exécutif au niveau du département. Un
nouveau dispositif de recueil d’informations préoccupantes doit faciliter les interventions
auprès d’un mineur en danger ou risquant de l’être. Dans un souci de coordination, il
apparait une nouvelle notion, celui du secret partagé. La création d’une cellule
départementale qui va recueillir toutes les informations préoccupantes et en collaboration
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 26
avec les multiples partenaires institutionnels, associatif et les politiques locales tente de
raccourcir les délais de signalement au Procureur. La création de l’Observatoire nationale
de l’enfance en danger(ONED) est une instance qui traite les informations de l’enfance en
danger, évalue les dispositifs et se montre une force de proposition dans une forme
d’ingénierie sociale pour les politiques sur le plan des collectivités locales.
L’enfant reste au centre du dispositif, les actions éducatives se basent essentiellement sur
l’intérêt de l’enfant. Outre que l’enfant peut se positionner, le juge peut se substituer à
l’autorité parentale dans des cas précis.
Le deuxième principe, c’est L’affirmation de la place des parents. Une intervention
éducative ne peut se réaliser sans au préalable avoir effectué« le projet de l’enfant ». Il
fixe les objectifs, précise les actions et détermine les délais de mis en œuvre. Ce document
est cosigné par les parents ou le représentant légal et porté à la connaissance du mineur.
Une plus grande diversification des prises en charge a pour objectif de lutter contre la
massification des phénomènes d’exclusion pour les personnes les plus fragiles.
Ce nouveau fonctionnement favorise ainsi une information plus lisible et oriente les actions
vers un même objectif, dans un souci de créer un collectif d’acteur. La réforme institue
également le principe du débat contradictoire qui dans le langage procédural signifie dans
le cadre d’une procédure pour Protection de l’Enfance, que les diverses parties, parents et
enfants inclus, ont été en mesure de discuter à la fois des faits et des moyens que ses
contradicteurs lui ont opposé. La loi fait évoluer la place des usagers dans l’intervention
éducative, si le mot partenaire n’est pas explicite, l’éclosion de l’expression « usager-
partenaire » est dans la pratique souvent utilisé par les divers acteurs et notamment par les
politiques qui en accordant davantage de droits, tente de lutter contre la stigmatisation et de
favoriser l’inclusion sociale.
Conclusion : Les lois de 2002 et 2007sont-elles un support à l’inclusion sociale ?
Dans son chapitre 1 sur les droits fondamentaux, la loi restitue la parole aux usagers. « La
parole possible, c’est ce qui constitue la citoyenneté » selon Pierre Verdier49
, la loi
accorde aux familles la possibilité de recours dans le cadre d’une mesure AEMO
notamment, avec un appel d’une part et d’autre part, la capacité de s’exprimer et de
49
Op cit.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 27
participer à la mesure. Reynald Brizais50
, psychosociologue, met en évidence que les droits
décrits sont dépendant du contexte dans lequel il s’exerce et souligne l’absence dans la loi
de libertés fondamentales comme la liberté d’expression, de circulation et de réunion
notamment.
Le deuxième principe, le libre choix entre une prestation adaptée à domicile ou en
établissement, l’usager de droit voit ici sa capacité limitée à la notion de protection.
Autrement dit, une intervention sous contrainte limite l’espace de liberté car l’action vise
essentiellement la protection de l’enfant avant tout autre considération. L’usager devient
objet de droit et perd sa place de sujet. Comment concilier dans ce cas l’injonction du
magistrat pour une mesure AEMO, par exemple et la liberté de choix des familles dans le
cas d’un placement sans l’adhésion des parents ?
Le troisième principe concerne une prise en charge et un accompagnement individualisé et
de qualité dans le respect d’un consentement éclairé. La notion de prise en charge vient
soutenir l’idée d’une posture d’objet de l’individu destinataire de la mesure. Saül Karsz,
sociologue et philosophe, dans son étude des 3 figures de l’intervention sociale (la charité,
la prise en charge et la prise en compte) indique que le destinataire de la prise en charge est
toujours qualifié par rapport au problème qui justifie l’intervention sociale. Sur ce point, on
peut effectivement penser que l’intervention requiert une forme de stigmatisation de la
personne.
Il semble également important de s’attarder sur la fin du principe «le respect d’un
consentement éclairé », qui sous-tend une information transparente et lisible transmis entre
les acteurs pour atténuer toute forme d’incertitude et garantir la participation effective de
chacun dans le cadre d’un consentement mutuel. On suppose une égalité des partenaires et
des stratégies d’acteur connues de chacun. Qu’en est-il lorsqu’une décision ne dépend pas
seulement de la famille ou de l’usager mais aussi de celle d’un autre acteur, le juge par
exemple ?
La confidentialité des données concernant l’usager et l’accès à l’information est un
principe fondé sur les libertés individuelles, les « droits de » s’appuient sur l’égalité
comme devise républicaine. Le citoyen obtient ainsi un rôle actif dans la sphère du social.
L’aspect confidentialité se limite toutefois, à toute disposition contraire au bon
50
Brizais R., la loi 2002-2, une loi qui fait parler ou comment-taire, Revue Juridique d’Action sociale, N°
226, Juin 2003, p 36.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 28
fonctionnement de l’intervention éducative. Dans son rapport au juge des Enfants, cette
clause de confidentialité pour le travailleur social ne s’exerce pas par exemple. Une
information sur ses droits fondamentaux et sur les voies de recours à sa disposition se
rapproche des « droits à » et pose la question de l’accès au droit. Il est tout aussi important
d’informer l’usager de ses droits que de l’accompagner dans son utilisation. En effet, la
reconnaissance de l’autre se détermine souvent sur sa capacité à se saisir des dispositifs de
droit commun notamment dans une intervention sous contrainte où l’enveloppe juridique
fixe le cadre d’intervention.
La loi du 02/01/2002 renforcée par la loi du 05/03/2007 s’appuie sur de nouvelles notions
de démocratie directe ou de gouvernance, en prenant en compte tous les systèmes d’acteur
qui agissent et interagissent pour concourir à une action collective et ou sociale. Une étude
du contexte historique et social nous a permis de mesurer l’évolution des conceptions dans
l’intervention sociale. La participation de l’usager à la conception et à la mise en œuvre du
projet d’accompagnement, c’est mettre l’usager au centre du dispositif et le rendre
responsable de ses actes. C’est cette idée d’un agir ensemble qui renouvelle pour le moins
les discours politiques et dénote d’une exigence démocratique pour permettre à l’usager
d’occuper une place décisionnelle. La pratique est toutefois, plus incertaine. L’usager peut-
il et doit-il être un partenaire notamment dans un système sous contrainte ? Répondre à
cette question, c’est affiner notre compréhension des référentiels qui animent les politiques
et les acteurs de l’intervention.
CHAPITRE 2 L’AEMO : De la liberté à la nécessité ou l’aide sous
contrôle
Satisfaisant aux obligations légales, la sauvegarde13 a tenté d’associer les usagers
(l’enfant et sa famille) à son fonctionnement. Dans ce nouvel espace de coopération,
l’usager occupe une place d’acteur. Cependant, définir les modalités concrètes de sa
participation aux processus de décisions, s’avère difficile. Cette situation est notamment
liée au caractère particulier de la mesure judiciaire de type AEMO qui s’exerce avant tout
dans le cadre d’une assistance éducative qui est plus une institution de droit civil qu’une
prestation sociale. La mission pédagogique et éducative de l’équipe d’intervention consiste
à assurer un suivi des mineurs titulaires de la mesure et de leurs familles. Elle est le résultat
d’un processus qui débute d’une information préoccupante transmise, faisant état d’un
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 29
danger pour la sécurité, la santé et la moralité du mineur et dont la dangerosité nécessite
selon les services de l’Aide Sociale à l’Enfance ou les Mesures Judiciaires Educatives,
l’instauration d’une mesure éducative (loi de 2007). La mise en œuvre de l’intervention va
alors produire de nombreuses interactions entre l’usager-l’association-l’institution. La
construction d’un projet commun avec ses trois partenaires n’est pas chose aisée car elle se
confronte aux limites de chacun et à leurs représentations.
2.1) Les Interactions Usagers, Institutions, Association
L’AEMO est souvent assimilée à une intervention sous contrainte car elle est liée à la
sanction, qu’elle soit positive51
(sanctions qui favorisent certains comportements) ou
qu’elle soit négative (qui s’applique à ceux qui n’agissent pas en conformité à ce qui est
attendu). Autrement dit, la protection de l’enfant est concernée quand il y a danger et
conflit entre la volonté collective (l’institution représentée par le magistrat) et la volonté
individuelle (celle des parents). Le changement vise essentiellement à combler les écarts
entre les comportements « déviants » et l’usage commun de la plupart d’entre nous qui
résulte de la norme.
Toutefois, de cette triangulaire, Institution, Usagers, Association, nous pouvons observer
les limites actuelles du travail social « classique ». En effet, il ressort des interactions une
normalisation exacerbée qui se situe dans une logique de domination, un formalisme
technique associé à un processus bureaucratique et des stratégies d’acteur pour lutter contre
toute forme de stigmatisation et de disqualification sociale.
Nous allons maintenant observer les relations qu’entretiennent ses différents organes entre
eux. Notre analyse portera sur les interactions entre les trois sous-systèmes suivants : le
tribunal pour Enfant, les usagers et l’association.
2.1.1) La relation entre le tribunal et l’association
Entre le tribunal et la sauvegarde13, on ne peut que constater une très grande
proximité géographique et une histoire intimement liée. Nous parlons couramment de
« mandat judiciaire » alors que ce terme est impropre52
. Les juges restent les pourvoyeurs
51
P. Steiner, la sociologie de Durkheim, la découverte, repères, Paris, 1998, p. 30 52
Comme le souligne Jean Pierre Bartolomé, « il ne s’agit pas d’ergoter sur des questions de vocabulaire
mais de rendre clair ce qui est confus, car de la manière dont un centre agrée ou un délégué à la Protection de
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 30
de mesures éducatives et la survie des services AEMO mais également la SIE dépend en
grande partie d’un quota minimum d’enfants suivis (30)53
par année. Nous sommes, de ce
fait, dans une relation assez ambiguë vis-à-vis d’eux. Théoriquement, nous sommes
reconnus comme une association proposant ses services dans l’accompagnement éducatif
par les magistrats, ce qui pourrait impliquer que l’association est dans un rapport d’égalité.
Le juge n’a aucun pouvoir vis-à-vis de l’intervention et de ce fait, il n’est pas en position
hiérarchique avec les services, les professionnels ou toutes formes d’actions éducatives.
Cependant, la grande dépendance financière et la politique institutionnelle (à l’échelon
associatif) laisse entrevoir une tout autre réalité. En effet, certains juges n’hésitent pas à
présenter les intervenants associatifs comme des membres de leur équipe et imposent la
présence des travailleurs sociaux ou à défaut d’un collègue ou d’un représentant du service,
aux audiences (alors que les convocations ne nous sont pas adressées, seuls les rapports
sont obligatoires et définis par la loi). De plus, en cas de divergences de vue entre les
magistrats et nous, il est risqué de se confronter trop ouvertement à la position d’un juge.
Les rapports et autres notes transmis aux juges constituent le mode de communication le
plus utilisé entre les magistrats et les travailleurs sociaux. Ils représentent en quelque sorte,
un compte rendu détaillant de l’évolution des situations suivies et une carte de visite de
l’association. En ce sens, un document bien argumenté donne du crédit à notre action.
Autrement dit, les visas de direction sur les écrits rendus occupent une place importante
pour les chefs de service et la direction car les écrits représentent bien plus qu’un mode de
transmission d’informations objectives : « L’organisation crée du pouvoir simplement par
la façon dont elle organise la communication et les flux d’information entre ses unités et
ses membres »54
. On peut s’interroger néanmoins sur la place qu’occupent les attendus du
juge dans une action éducative, notamment si l’association n’exerce plus son pouvoir
d’interpellation. Ils deviennent une référence à l’action éducative en l’absence de
références théoriques solides et d’une méthodologie qui ne propose que d’ajouter des
procédures aux procédures.
Bien sûr nous ne pouvons écarter dans les faits, l’Aide Sociale à l’Enfance qui est en
réalité notre financeur réel et qui a un pouvoir de sanction financière et un pouvoir de
l’Enfance explique son intervention aux familles et aux jeunes, dépend une grande partie de la conception
qu’ils s’en font et il importe dès lors d’éviter les pièges du vocabulaire. L’article 1984 du code civil définit le
mandat : c’est « un acte par lequel une personne donne à un autre le pouvoir de faire quelque chose pour le
mandant et en son nom ». En réalité, l’application des mesures décidées par le Tribunal pour Enfant est en
réalité non de la compétence du pouvoir judiciaire, mais du pouvoir exécutif. » 53
Chiffre fourni par l’association, 1 enfant suivi pour un prix de journée de 7 euros par jour. 54
Crozier et Friedberg, l’acteur et le système, Seuil, coll. Point, Paris, 1977, p.56
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 31
contrôle qui s’exerce sur l’établissement. Il est d’ailleurs curieux de constater que la
relation semble davantage rééquilibrée, sous doute parce qu’il s’agit de travailleurs
sociaux. Comme nous, ils emploient le même langage.
Pour pouvoir remplir son rôle de magistrat, le juge a besoin d’informations lui permettant
de prendre des décisions éclairées. Il peut les obtenir en demandant un rapport de fin
d’intervention dans un délai de 5 semaines (pour respecter le débat contradictoire) ou une
note d’information pour actualiser la situation familiale. A l’issue de la période définie par
le jugement ou l’ordonnance, une audience permet de convoquer les intéressés (enfants,
parents), d’inviter les travailleurs sociaux titulaires de la mesure pour discuter de
l’évolution du travail éducatif et parfois faire un bilan de la situation. Remarquons
également que les temps d’audience constituent des temps de recadrage de la
problématique pour réajuster les objectifs d’intervention. Ils peuvent également modifier
les relations entre les différents partenaires, tant dans le sens d’une ouverture que dans la
sens d’une rigidification des rapports de force. Le respect de la période de transmission est
essentiel à double titre, elle répond à la loi qui garantit à l’usager un temps nécessaire au
contradictoire et lui réattribue une capacité d’action. Pour le juge la transmission de
l’information, avec plus ou moins de retard, va affecter sa capacité d’action et de réflexion.
2.1.2) La relation entre le Tribunal et les usagers
« Le pouvoir n’est pas l’attribut d’une personne, il caractérise la nature de la relation »55
Le juge est l’instance décisionnelle. Dans une situation-problème, où le mineur est en
danger, c’est lui qui doit prendre la décision de déterminer quelles sera la mesure qui sera
exercée, qui servira au mieux les intérêts de la personne titulaire de l’intervention. Dans la
grande majorité des cas, le magistrat souhaite l’adhésion des parents ou des enfants plutôt
que de leur imposer. Toutefois, quelques soit la posture des deux acteurs, il n’en demeure
pas moins qu’il s’agit d’une mesure de contrainte.
Crozier et Freiberg nous rappellent que : « …deux moyens sont simultanément utilisés pour
obtenir un consensus. On peut y arriver par la contrainte ou son corollaire, la
manipulation affective et ou idéologique, bref, par la soumission imposée à la volonté et
55
Ibid, p 19
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 32
aux objectifs de l’ensemble. Ou bien par le contrat, c’est-à-dire la négociation et la
marchandage, qui peuvent se dérouler de façon explicite aussi bien qu’implicite.»56
La régulation sociale qui s’applique dans ce contexte, accorde au magistrat le pouvoir de
contraindre un individu à modifier des actions jugées « déviantes » afin qu’elles ne
viennent pas désorganiser l’ordre social. Il est évident que les personnes concernées par
une mesure judiciaire voient, par nécessité, leur liberté d’agir limitée et souvent le
changement s’impose à eux. Pour Michel Foucault, « on pourrait voir dans ces
politiques… des processus visant moins de cohésion sociale que la normalisation des
individus. »57
Dans une société où l’individu est définie par sa capacité d’agir, d’être autonome58
,
l’intervention judiciaire représente pour l’enfant et sa famille, un désaveu sociétal qui par
jugement sanctionne des pratiques éducatives considérées comme déviantes ou à risques.
Par effet pervers, elle attribue un stigmate59
(attribut qui jette un discrédit sur celui qui le
porte) souvent vécu par les parents comme un « étiquetage ». Selon, H Becker, la déviance
n’est pas un dysfonctionnement de conduite en référence à une norme, mai la qualification
d’un individu par un groupe social : « Le déviant est celui auquel cette étiquette a été
appliquée avec succès, le comportement déviant est celui auquel la collectivité attache une
étiquette. ». De plus, l’étiquetage conduit souvent à des mécanismes d’identification qui
enferme les individus dans un statut de « déviant » qui progressivement rend impossible
toute forme de participation avec un groupe composé d’éléments plus conformes : « dans
de telles conditions, il est difficile pour un individu de se conformer aux normes qu’il ne
comptait ni ne souhaitait transgresser… »60
. Dans le cas notamment où les reproches
portent sur les parents, il est difficile d’éviter que l’intervention éducative soit vécue
comme une forme de chantage dont les enfants sont les otages. Il n’est pas rare d’entendre
en audience ou de lire dans les attendus, « en l’absence de modifications notoires des
pratiques familiales, nous envisagerons un placement des enfants… »61
.
En ce qui concerne le juge, son rôle est d’instruire et d’appliquer la loi à travers des
mesures. Il répond de ce fait aux prérogatives prévues dans le cadre de l’article 375 du
56
Ibid, p 21 57
M Foucault, Surveiller et punir, éditions Gallimard, Paris, 1993 58
En référence à Ehrenberg, l’individu incertain, Hachette littérature, Paris, 1995 59
E. Goffman, stigmate : les usages sociaux des handicaps, édition de minuit, Paris, 1975 60
H. Becker, Outsider, Etude de la sociologie de la déviance, Métaillé, Paris, 1985, p.57 61
Phrase récupérée sur un jugement pour un renouvellement d’une mesure AEMO lors de lecture de dossier
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 33
code civil concernant l’enfance en danger. Il sollicite régulièrement l’avis d’ « enquêteur
sociaux » ou d’une équipe d’investigation pour dresser une vision clinique de la situation
sociale, éducative et psychologique. A cet égard, le magistrat compte sur eux pour qu’eux-
mêmes proposent des orientations souhaitables en fonction du problème présent. Dans tous
les cas, le Juge des Enfants se positionne sur les faits, mais il fixe ses attendus en fonction
de la situation et de la faisabilité du projet. Il peut, dans certains cas, se mobiliser dans une
collaboration étroite pouvant jouer un rôle actif dans la stratégie du changement. Dans
d’autres cas, le juge peut se montrer très précis dans ses attendus, si sa décision est éclairée
par un avis « d’expert, de technicien » mais il préférera rester imprécis si l’usager ne se
conforme pas à ses exigences.
Il conserve toute liberté de manœuvre et d’appréciation, mettre à exécution des possibles
menaces (d’incarcération ou de retrait de l’enfant dans la famille…), modifier sa position,
si celle-ci ne sert pas l’intérêt du mineur. D’aucuns diront que certaines mesures éducatives
notamment aux yeux des usagers, deviennent dans les représentations véhiculées, des
moyens dissuasifs car elles sont formulées et vécues comme de véritables punitions qui
tendent à disqualifier socialement les parents.
2.1.3) La relation entre l’association (via ses professionnels) et les usagers
Le départ d’une mesure AEMO peut souvent se considérer comme une négociation.
La mise en lien des différents acteurs sociaux va se jauger dans notre capacité à mettre en
parole la situation de conflit. Autrement dit, c’est à la charge de l’institution éducative de
transformer les injonctions du magistrat (faites aux parents) en objectifs de travail qui
prennent en compte la réalité des individus avec leur potentiel et leur rythme d’évolution.
Cette étape est nécessaire car elle vise essentiellement à reprendre les attendus du juge sans
pour autant apparaitre aux yeux de l’usager comme un simple exécutant. Cette posture
nous laisse l’autonomie nécessaire pour négocier un « contrat »62
avec l’usager. Négocier
ne signifie pas que l’on sorte du cadre contraignant mais bien de créer un espace dans un
maillage juridique complexe où la personne peut être sujet ou partenaire d’une négociation
dans laquelle elle peut trouver un intérêt pour elle-même.
62
Document Individuel de Prise en Charge qui fixe les objectifs d’intervention (décret 2004-1274 du 26
novembre 2004 mentionné à l’article 311-4 du code de l’Action Sociale et des Familles)
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 34
La négociation sert à établir les modalités d’intervention, les règles du jeu, afin que chaque
acteur et notamment les usagers puissent y trouver une autonomie même relative. Chaque
individu appréhende différemment une intervention sous contrainte et dans le processus
d’intervention, plusieurs stratégies peuvent apparaitre qui se situent souvent autour de
même typologie de comportement, entre l’acceptation, la fuite ou l’opposition…63
. La
reconnaissance et la justice deviennent rapidement un enjeu dans la relation avec le
professionnel et les réactions multiples en défiance, voir méfiance vis-à-vis de
l’intervenant sont souvent les manifestations des représentations des usagers concernant
cette « police des familles » qui vient pointer leurs dysfonctionnements. Dans les 3
comportements répertoriés, les professionnels font remonter leur impuissance. Dans le cas
numéro un, il y a adhésion de l’enfant et sa famille, ils répondent à la commande sociale
sans pour autant développer des compétences parentales, le risque, c’est celui d’un retour
des mesures car l’intervention s’est basée essentiellement sur un aspect capacitaire et n’a
pas réussi à développer les compétences implicites des familles. Dans cette configuration,
la mesure répond aux attendus en occultant les besoins réels des familles.
Dans les situations où les personnes ne souhaitent pas la mesure qui leur est imposée
s’élabore : « un jeu négatif, un jeu structuré par des punitions et non plus des
récompenses64
».
Pour la personne qui refuse l’aide parce qu’elle le contraint à changer, il est fréquent qu’il
n’y voit pas l’affirmation de sa dignité et qu’il y place des limites dans l’intrusion de son
espace intime. Il prend alors le risque par une attitude d’opposition de renforcer les
convictions du mandant (qui peut penser que l’enfant et sa famille ne mesurent pas le degré
de gravité du danger), voire de renforcer son pouvoir de coercition.
Les représentations sociales des professionnels influencent également leurs évaluations et
leurs modes d’intervention auprès des familles socialement disqualifiées. Des dérives ne
sont pas à exclure, notamment le risque d’un « assujettissement à la norme 65
» tendant à
réduire le sujet en objet. Cette posture n’interroge pas les besoins réels des familles et ne
dit rien des conditions dont elles disposent pour se rendre conforme à la norme. Elle n’est
63
Article sur Albert Hirschman : Exit, Voice, Loyalty, alternative économique, n°247, mai 2006
L’auteur montre que les individus ont trois choix lorsqu’ ils sont mécontents : une réaction silencieuse (Exit),
le renoncement à l’action (Loyalty) et la protestation (Voice). 64
Op cit, p 20 65
Boutinet, J.P, Anthropologie du projet, Puf, coll. Psychologie d’Aujourd’hui, Paris, 1992
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 35
pas loin de s’apparenter à une violence symbolique au sens ou l’entend Pierre Bourdieu, à
savoir l’imposition par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel.
2.2) Le projet d’intervention : Programmer l’action en vue de produire le
changement souhaité
L’intervention éducative peut se définir tel que nous l’observons sur le terrain, comme une
succession d’actions qui vise à répondre à la commande sociale (attendus du juge).L’action
éducative peut se traduire par un ensemble de stratégies pour tenter d’interrompre le « jeu
sans fin » dont sont prisonnier les membres de la famille. Enfermés dans une reproduction
à l’identique, ils ne possèdent pas les outils qui leur ouvriraient des possibilités
d’adaptation nouvelle. Dans cette optique, chaque acteur, de sa place, va devoir s’organiser
afin pour les uns de donner un cadre juridique qui favorise le développement de la
personne, pour les seconds d’adapter les moyens en fonction du rythme et des possibilités
des individus et enfin un usager dont la participation est souhaité pour ne pas dire
souhaitable. Le principe de la loi de 2002, renforcé par la loi de 2005 puis de 2007, vise
par ce partenariat peu ordinaire, à favoriser « l’inclusion sociale »66
des usagers. Si le
« partenariat »67
se décline selon différentes formes, et avec des acteurs dotés de pouvoirs
variables animés de logiques et de motivations différentes, il nécessite, en revanche des
règles strictes admises et comprises par tous.
Le projet d’intervention comme support à l’action
Nous proposons ici une démarche empirique d’intervention que pourrait suivre un
intervenant, elle est basée sur notre expérience collective, en collaboration avec plusieurs
collègues du service AEMO. Notre action se base sur trois grands principes dans la
construction d’un projet commun association, Enfant et sa famille, magistrats : le sens de
la démarche collective -recherche des intérêts communs, l’engagement mutuel, la
recherche d’adhésion et de réciprocité- , la place des acteurs dans le partenariat- des
acteurs qui peuvent faire valoir leurs différences, la place du conflit comme débat
contradictoire, le sens de l’action dans une logique de changement- la cohérence du
projet.
66
Concept que nous définirons dans le chapitre 3 67
Nous l’étudierons sous l’angle de la sociologie des organisations, notamment au travers des travaux de
Crozier…
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Le sens de la démarche collective
Pour cerner et mieux comprendre les processus et les interactions dans ce paragraphe, nous
tentons de définir la place du projet et son incidence sur les pratiques éducatives. Le projet
est un construit social qui engage chaque acteur, en fonction de ses moyens, à s’organiser,
à s’unir et ce, dans l’accomplissement d’objectifs communs. Chaque acteur poursuit sa
propre logique et pose des actes en fonction de sa rationalité propre. L’action collective est
en ce sens une contrainte. A cet égard, le partenariat est un outil au service d’une action,
engageant l’institution, l’association et les usagers dans la réalisation d’un projet commun.
Sur le terrain, les premiers entretiens entre le professionnel et la famille s’orientent
essentiellement à mieux cerner la réalité familiale. En s’appuyant sur un intérêt commun -a
minima- apporter aides et conseils aux familles, une négociation se réalise, elle va tenir
compte des divers constats effectués par le professionnel des pratiques familiales. Elle tient
compte également d’un état des lieux global, éducatif, social, pédagogique, pour proposer
en fonction du « capital social » et de la coopération des parties, un projet qui est une
tentative de relier la volonté institutionnelle de changer le fonctionnement familial et de
prendre en compte ce qui est possible à un moment donné, pour une période donnée et par
rapport à un système de contrainte indépendant de la volonté des acteurs.
Le document individuel de prise en charge est le résultat écrit des étapes décrites
précédemment. Il se construit en fonction des premières évaluations des professionnels
mais également il s’appuie également sur les attendus définis par le mandant. On peut
toutefois, s’interroger sur l’engagement des usagers. En effet, le partenariat relève de choix
élaborés par ceux qui vont le construire. C’est avant tout une volonté de coopérer.
Néanmoins, pour Fabrice Dhume, « les logiques d’obligation ou d’injonction au
partenariat sont un non-sens68
». Comme nous l’avons constaté, la contrainte judiciaire
biaise les comportements et fait douter d’un réel engagement mutuel. En effet, les attendus
du juge sont souvent une référence aux interventions éducatives et de ce fait les objectifs
de la mesure s’ils collent trop aux attendus du juge sont souvent vécus par l’enfant et sa
famille comme un changement programmé sous contrainte.
Néanmoins, il résulte de cette volonté d’agir ensemble un engagement des différents
acteurs qui dépasse la seule réalisation d’une action commune. La place de chacun, bien
que différente, se construit en fonction du statut et des compétences dans une logique de
68
F. DHUME, Du Travail social au Travail ensemble, ASH, 2ème
édition, 2010, p. 112
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 37
changement, de progrès. Malgré les inégalités de statuts, il semble évident que chaque
acteur, institution-association-usager assume une part de responsabilité qui incombe au
collectif. Autrement dit, la mise en œuvre des objectifs du DIPC conduit les uns et les
autres à partager la responsabilité morale, juridique et pratique.
2.3) La place des acteurs dans le partenariat - l’égalité de statut des partenaires
Définition du « partenariat »
Le partenariat a fait l’objet d’une définition officielle :
« Coopération entre des personnes ou des institutions généralement différentes par leur
nature et leurs activités. L’apport de contributions mutuelles différentes (financement,
personnel…) permet de réaliser un projet commun ».69
Il existe toutefois, d’autres définitions où le partenariat peut se définir comme « un rapport
complémentaire et équitable entre deux parties différentes par leur nature, leur mission,
leurs activités, leurs ressources et leur mode de fonctionnement. Dans ce rapport les deux
parties sont des contributions mutuelles différentes mais jugées essentielles. Le partenariat
est donc fondé sur un respect et une reconnaissance mutuelle des contributions et des
parties impliquées dans un rapport d’interdépendance. De plus, le partenariat laisse la
place à des espaces de négociations où les parties peuvent définir leur projet commun.70
»
On le remarque, on ne peut dissocier le partenariat du projet. Pour Fabrice Dhume, le
partenariat est un outil qui engage plusieurs acteurs dans la réalisation d’un projet
commun. « Cette action est collective dans les sens où elle engage des acteurs différents
qui partagent a minima un intérêt commun pour l’action et s’accordent sur ses objectifs et
sur le sens de l’action (valeurs) ».
En résumé, l’intervention doit à minima, proposer une démarche volontairement
coopérative qui comporte plusieurs phases nécessaires dans la construction d’un projet
collectif. Retenons l’idée qu’il ne s’agit pas de changer un individu mais un système en en
modifiant les interactions et les règles, et le diagnostic aura pour objet le système dans son
ensemble. L’idée générale réside dans un engagement libre et réciproque, une
69
Commission de terminologie et de néologie du domaine social, Bulletin Officiel, Vocabulaire du domaine
social, Ministère de l’emploi et de la solidarité, n°2002/1 bis, Fascicule Spécial. 70
Jean Yves Barreyre, Brigitte Bouquet, André Chantreau, Pierre Lassus, Dictionnaire critique d’Action
sociale, Bayard, coll. « Travail social », Paris, 1995, p. 272
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 38
responsabilité partagée, une institution accessible et une égalité de statut des partenaires,
l’ensemble de ses points favorisant ainsi l’inclusion sociale des usagers.
Dans les rapports sociaux complexes et teintés de contradiction, l’intervention sous
contrainte oppose souvent deux formes de réalité, celle des familles et celle de l’institution.
Plus particulièrement, un hiatus est souvent évoqué entre le temps des familles et le temps
judiciaire et réfère alors au respect des personnes, à la nécessité d’être bien compris par
elles, au besoin de respecter le rythme des familles pour que les difficultés puissent
s’exprimer et « être travaillées ». Dans ce contexte, le partenariat peut être associé à une
forme de contractualisation dans un cadre spécifique. Cela suppose une égalité de statut
des partenaires. Ce principe est réaffirmé très fortement par les divers textes de lois71
, il
offre ainsi la possibilité de devenir acteur de son propre changement. Il s’agit bien là de
reconnaitre l’usager comme un citoyen à part entière. L’usager a ainsi la possibilité de faire
valoir un certain nombre de droits, droit au respect (dans l’accueil, l’écoute), un droit de
réponse et d’expression et un accès libre aux institutions (consulter les dossiers, appel dans
les 12 jours de la décision judiciaire, présence aux audiences…). Autrement dit le
partenariat doit permettre de dépasser les différences, sans les nier ni les réduire.
2.4) Le projet est-il un support à l’inclusion sociale ?
Il semble à ce jour évident de dire que le public concerné par les mesures
judiciaires a changé. Au-delà de l’augmentation de la pauvreté, il est souvent dans une
situation de cumul des difficultés tel que l’isolement social, des habitats insalubres, des
problèmes scolaires massifs, des filiations peu établies, des dépendances aux produits
toxiques et des pathologies psychiques qui entrainent de fait, un déficit de l’autorité
parentale mais également massifient les phénomènes d’exclusion. Pour lutter contre
l’exclusion, nous l’avons vu, la loi de 2002 tente d’inscrire l’individu dans une pratique de
la citoyenneté.
71
Loi du 02/01/2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, loi de lutte contre les exclusions n°98.657,
la loi de février 2005 sur l’égalité des chances, le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion
sociale, circulaire du Premier Ministre préparatoire aux contrats de ville 2000-2006, huitième paragraphe :
« La participation des habitants renvoie donc à la crédibilité de l’aptitude des institutions à traiter
efficacement ce qui touche ceux-ci de près. »
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 39
En se basant sur ces divers constats, l’inclusion sociale suppose l’accès du citoyen aux
institutions, aux libres accès aux services sociaux, à la culture et globalement lui réaccorde
une part de pouvoir, une liberté d’agir dans la prise de décision.
Autrement dit, il ne s’agit plus d’élaborer des politiques sectorielles, mais de proposer une
action intégrée ayant comme finalité l’inclusion sociale.
En s’appuyant sur les dernières lois72
en faveur de la participation des usagers et à l’instar
du rapport Naves73
, toute forme de projet doit favoriser la participation de l’usager. Pour
revenir plus particulièrement au contexte de l’AEMO, le projet doit favoriser l’autonomie
du public et sur ce point a le mérite d’introduire l’inclusion sociale. Cette inclusion prend,
en pratique, deux formes :
La participation de l’usager est recherchée et souhaitée (au-delà de son
adhésion)
Un accès direct aux instances et institutions
La participation de l’usager
Sur le terrain, les professionnels en AEMO sont tenus de prendre en considération les
mutations sociales et les nouvelles configurations familiales car il ne peut envisager un
changement durable sans prendre en considération la situation familiale globale. Il se situe
ainsi, au-delà de la guidance éducative, comme une plate-forme sociale qui oriente les
usagers en fonction de leurs besoins réels. Le projet suppose ainsi, un engagement
réciproque, un partage des responsabilités, un statut et des droits reconnus et ce malgré les
différences et une volonté commune de négocier.
Pour ce faire, la participation et l’expression de l’usager s’avèrent indispensables tant dans
l’accompagnement que de son écoute. Cette nouvelle approche vise essentiellement de se
72
La participation de l’usager et l’expression des usagers sont des principes affirmés par la loi de 2002-2
rénovant l’action sociale et médico-sociale. Il est en effet précisé que sont assurés à la personne du
bénéficiaire :
Art L311-3 – (…) « La participation directe(…) à la conception et à la mise en œuvre du projet d’accueil et
d’accompagnement qui le concerne ».
Art L311-6 : « Afin d’associer les personnes bénéficiaires des prestations au fonctionnement de
l’établissement ou du service. Il est institué soit un conseil de la vie sociale, soit d’autres formes de
participation. » 73
« Des évaluations majoritairement insuffisante et des pratiques qui n’évolue guère malgré une forte
implication des acteurs »
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 40
rapprocher de la réalité des individus et de les conduire progressivement d’un « faire
faire » à « un agir ensemble 74
».
L’accès aux institutions
L’accès aux services et infrastructures de base, en l’occurrence la santé, le logement (droit
au logement, mesure ASELL…), aux services du Conseil Général (instruction de dossier
d’aide financière..), à la culture (actions à visée socialisante, inscription ALSH, Colonie,
aide financière pour des vacances aux pays d’origine..) constitue l’un des aspects les plus
importants de cette nouvelle approche « globale ». Conscient de la nécessité de permettre
aux usagers de se saisir des dispositifs de droit commun, il n’est pas rare que le projet
d’intervention aboutisse à un large partenariat comprenant les services de santé (axe
thérapeutique individuel ou familial, la PMI, le CAMPS, le CMPP…), l’habitat
(relogement, insalubrité des lieux…), les services de l’éducation Nationale, les divers
entrepreneurs pour des éventuels stages et contrat d’apprentissage, l’accès au droit(CMU,
CAF…).
En garantissant à chaque usager à l’intérieur comme à l’extérieur une place sans
stigmatisation ou exclusion dans les instances ou les institutions, le projet, en théorie, est
alors plus qu’un collectif d’acteurs mais l’émergence d’un acteur collectif. Il restaure de
l’intérêt pour chacune des parties et notamment chez l’usager, une capacité d’agir, de
favoriser la confiance, de créer des espaces de certitude qui donnent à l’enfant et sa famille
le sentiment d’appartenir à une équipe, le sentiment d’être cause de son changement.
Le partenariat apporte un éclairage à l’Action Educative en Milieu Ouvert, il se situe dans
une approche moderniste de l’action sociale. Néanmoins, le poids des représentations dans
les interactions entre les principaux acteurs, l’usager- l’association-le magistrat, nous a fait
apparaitre l’aspect stigmatisant de l’intervention. De plus, on ne peut que s’interroger sur
la perception des parents de ces institutions qui ne manquent pas de les critiquer, de les
traiter de « défaillants » ou de « démissionnaires » et qui contribuent à les disqualifier.
Pour autant, la loi de 2002-2 souligne l’importance de maintenir l’usager au centre du
dispositif, de favoriser son intégration. Le projet doit être le support d’intérêts communs et
le partenariat un outil au service d’une action engageant plusieurs acteurs. Entre
disqualification et inclusion, entre nécessité d’agir et liberté d’acteur, c’est dans ces
paradoxes que l’AEMO, plus que jamais, souligne sa particularité. 74
Op cit, p 117
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 41
A la lumière de cet état des lieux général et spécifique, nous avons opté pour la question de
recherche suivante : « En quoi l’Action Educative en Milieu ouvert, dans le cadre
d’une mesure judiciaire, est-elle un vecteur d’inclusion ou de disqualification
sociale ?
CHAPITRE 3 INSCRIPTION THEORIQUE ET HYPOTHESE
Nous l’avons vu, une mesure AEMO est le résultat d’un conflit qui permet de
comprendre les relations sociales sous l’angle des confrontations entre les volontés
individuelles (famille) et les volontés de groupe (institution). En d’autres termes, il s’agit
de combler l’écart qui existe entre le fonctionnement familial et la pratique commune à
l’ensemble. La commande sociale vise essentiellement un changement des attitudes
déviantes. Toutefois, le législateur a souhaité moderniser l’action sociale et notamment la
place de l’usager qui se situe désormais au centre du dispositif. Il s’agit de faire participer
l’usager, d’être acteur de son changement. Le projet d’intervention devient alors le support
des intérêts collectifs. Toutefois, dans un système sous contrainte, la référence aux attendus
fait fonction de repère pour les travailleurs sociaux notamment s’il y a carence de repères
politiques (à l’échelon de l’association). De ce fait, le travailleur social se place dans une
dépendance vis-à-vis des magistrats, et c’est la place laissée au débat contradictoire qui est
questionnée. Le paradoxe se situe essentiellement dans le respect des familles, d’accepter
qu’elles fonctionnent sur des valeurs et des normes différentes (qui sont souvent
l’expression de leurs conditions d’existence), en respectant leur rythme, mais avec, en
finalité, qu’elles se conforment à minima aux modèles sociaux d’éducation validés
socialement. Le contrôle social peut alors réduire les marges de liberté, et conduire les
individus titulaires de l’intervention judiciaire comme une forme de disqualification.
3.1) La régulation sociale : d’une logique de normalisation à l’inclusion sociale
Le terme d’inclusion sociale est de plus en plus utilisé tant par les médias que les politiques
ou le secteur associatif. On doit la paternité du concept à Niklas Luhmann (1927-1998) qui
utilise ce terme pour définir les rapports de l’individu avec les systèmes sociaux.
L’inclusion sociale est un concept qui se définit d’abord par ce contre quoi il entend lutter :
l’exclusion. Pour Coluche : « les hommes sont tous égaux mais certains le sont plus que
d’autres », c’est cet écart entre idéal démocratique et réalité sociale et économique que
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 42
tend à vouloir compenser ce terme, celui de reconstruire un projet collectif où chacun des
acteurs fait partie intégrante.
Par prolongement nous citerons, le sociologue B. ROHENER qui indique : « Etudier la
cohésion sociale, c’est se demander comment un système social tient ensemble75
. » Pour
Durkheim, l’équilibre social se situe, d’une part, dans la cohésion des rapports sociaux et
d’autre part, dans la cohésion des représentations collectives. « La cohésion sociale d’une
société repose sur une morale faite de valeurs collectivement partagées et rationnellement
fondées 76
». Autrement dit la société existe en tant qu’ensemble cohérent et ordonné, par
des règles qui régissent la vie des hommes en société et permettent leur coopération. Par
conséquent, la garantie de la cohésion sociale d’une société se fonde sur deux processus
complémentaires, l’intégration et la régulation.
L’intégration résulte de l’incorporation des représentations et des pratiques propres à
une société et reflète, pour un individu, une volonté de vivre ensemble, un sentiment
d’appartenance à un projet commun.
La régulation désigne « l’ensemble des pressions directes ou indirectes exercées sur
des membres individuels ou collectifs d’un groupe ou d’un société pour corriger les
écarts de comportements, d’expression ou d’attitude à l’égard des règles et des
normes adoptées par le groupe social de référence . »77
. Pour la conception
conflictualiste, la régulation sociale est un enjeu. La règle sociale est élaborée par la
rencontre et la négociation de groupes différents dans les valeurs qu’ils défendent.
Toute règle commune découle d’un compromis entre groupes rivaux. La régulation
sociale est donc la résultante d’un conflit plus ou moins institutionnalisé dont la
finalité reste le changement volontaire ou subi.
Pour des auteurs comme Nicolas Lebrun, Putman, Muzafer Shérif, la normalisation est un
processus qui permet à un groupe de converger vers des dispositions culturelles, sociales,
économiques… communes. Si un individu ou un groupe d’individu opte volontairement
ou involontairement pour d’autres attitudes jugées déviantes, il se marginalise et accentue
les risques d’exclusion. L’inclusion vise ainsi à lutter contre tous les phénomènes propices
à exclusion. On peut concevoir l’inclusion selon 4 dimensions : la dimension de
75
N. Lebrun, Cohésion et Inclusion sociale, Ed think Tank européen pour la solidarité – janvier 2009 76
E. Durkheim, De la division du travail social, Quadridge, Presse Universitaire de France, Paris, 1930, p 26
et 27 77
R. Boudon, P. Besnard, M. Cherkaoui, B.P. Lecuyer, Dictionnaire de la sociologie, librairie Larousse,
1989, p.189
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 43
consommation, la dimension de production, la dimension de l’engagement politique et la
dimension des interactions sociales.
En résumé, l’inclusion sociale vise essentiellement à lutter contre l’exclusion. C’est
permettre à un individu l’exercice de sa citoyenneté, de lui réaccorder une part de décision
et à faciliter un accès aux infrastructures et aux institutions, de l’impliquer et de garantir
son engagement. Globalement, c’est favoriser sa participation en opposition à l’exclusion
qui est le fait pour un individu de voir les liens sociaux (institution, groupes sociaux…) qui
le rattachent à la société se rompre.
3.2) La disqualification sociale
L’exclusion peut s’envisager sous 3 approches complémentaires :
La disqualification sociale
La désaffiliation
La désinsertion
Nous vous proposons pour la désinsertion et la désaffiliation une signification dans son
acception la plus étendue : la désinsertion, c’est la perte de lien identitaire d’un individu
qui construit en toute partialité une identité d’exclu. C’est-à-dire que l’individu va se
considérer comme n’ayant pas sa place dans la société. Concernant la désaffiliation, c’est
Robert Castel qui met en évidence une forme d’exclusion fondée sur une crise de
l’intégration par le travail d’une part et d’autre part une atteinte à l’insertion par la famille.
La disqualification sociale envisage l’exclusion comme une construction sociale, comme
une carrière. C’est un processus « d’affaiblissement ou de rupture des liens sociaux d’un
individu au sens de la perte de la protection et de reconnaissance sociale78
» à la suite
d’évènements (familiaux, sociaux, professionnels….) qui, progressivement, l’ont fragilisé.
Le concept de disqualification sociale est apparu chez Serge Paugam lors d’une enquête
réalisée à Saint Brieuc auprès d’une population en grande fragilité économique. Cinq
éléments principaux définissent ce concept :
La stigmatisation79
: les usagers titulaires d’une mesure AEMO considère l’intervention
éducative comme un attribut qui altère leur identité et modifie leur rapport avec les autres.
78
S. Paugam, La Disqualification sociale : essai sur la nouvelle pauvreté, PUF, Paris, 2002 79
Concept mise en avant par E. Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, édition de minuit,
Paris, 1975.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 44
Ainsi, selon Paugam : « C’est le fait même d’être aidé ou assisté qui assigne les
« pauvres » à une carrière spécifique, altère leur identité préalable et devient « un
stigmate » marquant l’ensemble de leur rapport autrui 80
». L’humiliation ou la honte que
génère chez eux, l’intervention sous contrainte, les empêchent de développer un sentiment
d’appartenance.
Le deuxième élément du concept c’est la relation interdépendante entre les disqualifiés et
la société dont ils font partis. L’AEMO a une fonction de régulation sociale et si la mesure
judiciaire les disqualifie à leurs yeux et aux regards d’autrui, ils restent soumis aux mêmes
règles en vigueur avec l’obligation de changement. Pour Paugam : « ce qui est
sociologiquement pertinent, ce n’est pas la pauvreté en tant que telle, mais la relation
d’interdépendance entre la population qui est socialement désignée comme pauvre et la
société dont elle fait partie(…) ».
Le troisième élément concerne la capacité d’agir de l’individu disqualifié. En effet, même
soumis à la désapprobation sociale, l’usager conserve la capacité d’être acteur de son
changement, et par là même, son inclusion sociale.
Le quatrième élément relève directement de la relation entre les politique d’assistance et le
disqualifié social qui se voit assigné un statut de déviant et alimente une forme
d’incertitude génératrice d’angoisse collective. Dans nos métiers, généralement, on parle
de « cas sociaux », pour désigner une forme d’appartenance à une catégorie. Toutefois, le
terrain nous rappelle que nul n’est à l’abri d’un évènement qui nous ferait basculer
progressivement dans l’exclusion.
Le dernier élément, le processus de disqualification, se définit en fonction des conditions
socio-historiques d’une société. En France, la crise économique a remis en cause les
identités sociales et familiales, les repères sociologiques traditionnels d’intégration, l’école,
le travail, la famille et la solidarité abstraite de l’état providence.
En résumé, il n’existe pas une dichotomie entre l’inclusion et la disqualification sociale, il
s’agit de deux concepts qui cohabitent dans notre société. En d’autres termes, l’exclusion
est un processus réversible et non une fatalité. Il n’y a pas d’exclus en soi mais des
processus d’exclusion qui créent des exclus et ces derniers n’existent que par rapport à
cette catégorie et au processus d’inclusion qui en découle. Suivant Michel Foucault : « on
80
S. Paugam, op. cit.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 45
pourrait voir dans les politiques de lutte contre l’exclusion des processus disciplinaires
visant moins la volonté de cohésion sociale que la normalisation des individus. 81
», ainsi,
derrière les divers discours politiques et au travers des volontés affichés des acteurs publics
de construire des dispositifs visant l’inclusion sociale, c’est la place de l’usager qui se joue
dans un système d’acteur, dans une lutte des places à trois (institution et association) dont
l’objectif est de garantir sa liberté d’autonomie notamment, dans une système sous
contrainte.
3.3) La contrainte de l’action collective et le processus bureaucratique
L’AEMO s’inscrit dans une forme de régulation sociale nécessaire pour réduire les
écarts des comportements des usagers à la norme sociale. A cet égard, l’intervention
éducative relève d’un système sous contrainte. En pratique, nous avons relevé que la
contrainte produit des effets « indésirables » tant sur les professionnels, les institutions que
sur les usagers bénéficiaires de ce type d’intervention. En effet, nous avons mis en valeur
des pratiques stigmatisantes et enfermantes, un « collage aux attendus » source d’une
surestimation de la contrainte et des stratégies des usagers (inertie, opposition, fuite,
adhésion de façade…) qui sont autant de zone d’incertitude et d’écueil à la construction
d’une action collective commune.
C’est la sociologie des organisations et notamment Michel Crozier qui nous
démontre les effets négatifs en termes de participation et d’initiative des acteurs produit par
des règles trop restrictives. Or, ces règles visent essentiellement à élucider des effets
pervers d’une décision. « Dans leur acception la plus générale, ceux-ci désignent les effets
inattendus, non voulus et à la limite aberrants sur le plan collectif, d’une multitude de
choix autonomes 82
».
Tout un pan du « retour de l’acteur », prôné par les politiques publiques et notamment par
la loi de 2002 est inspiré par la sociologie des organisations et notamment la démarche
consistant à passer d’un collectif d’acteur à un acteur collectif. Pour Crozier, l’action
collective commune est une contrainte en elle-même car elle n’est pas un phénomène
naturel mais un construit social, impliquant chaque acteur qui compose l’action. Dans cette
approche, l’accent est mis sur le pouvoir détenu par les membres de l’organisation qui
utilisent les zones d’incertitude pour accroître leur sphère d’influence par des stratégies.
81
M. Foucault, surveiller et punir, éditions Gallimard, Paris, 1993 82
M. Crozier et Friedberg, l’acteur et le système, Seuil, coll. Point, Paris, 1977
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Dans cette conception, chaque acteur possède son système d’action, toutefois, les marges
de liberté fluctuent en fonction de la place occupée par l’acteur dans l’organisation et de
l’information qu’il possède.
La construction d’un projet comme le support des intérêts collectif passe ainsi soit
par la contrainte ou son corolaire la manipulation affective, soit par le contrat qui constitue
le résultat d’une négociation ou chaque acteur va tenter dans l’intérêt du groupe, d’atténuer
les incertitudes. « L’incertitude en générale ou les incertitudes spécifiques, comme nous le
verrons, constituent la ressource fondamentale de toute négociation »83
.
3.4) Le projet comme support des intérêts collectif
Empreint de cette conclusion, nous avons envisagé de réfléchir aux enjeux et aux
conflits liés à la négociation de projet et aux confrontations qui les sous-entendent en
AEMO. Au cœur du questionnement posé, il y a en effet l’identité du secteur et de ses
professions. Ce qui est en jeu, c’est, nous semble-t-il, l’évaluation et l’appréciation des
réponses proposées en AEMO à un public fragilisé socialement et pouvant potentiellement
mettre en danger des enfants. Autrement dit, nous allons nous intéresser à la démarche de
projet dans le cadre d’une AEMO.
Il nous semble, dans un premier temps nécessaire rapidement, de faire un balayage des
divers auteurs qui ont écrit sur le concept.
Pour Jean-Bernard Paturet, la notion de « projet » trouve sa source en occident au XVème
siècle. C’est dans le secteur de l’architecture qu’est devenu prégnante la nécessité d’une
anticipation méthodique, seule capable d’engendrer une réalisation technique. Les contours
de tout projet sont envisagés ici comme un but associé à une technique, une idée mais aussi
la manière de la réaliser.
Son étymologie est la même que celle de projection, du latin « Projacere », jeter devant. En
se référant au Grand Robert, nous pouvons attribuer au projet deux sens importants ;
« situation que l’on pense atteindre » et « ébauche de dessin, plan ». Pour Jean Pierre
Boutinet, il parle « d’anticipation opératoire individuelle ou collective d’un futur
désiré »84
.
Le concept projet implique toujours 4 mots clés : objectifs-activités-résultats-délais.
83
Op cit 84
J P Boutinet, Anthropologie du Projet, paris, PUF, 1992, psychologie d’aujourd’hui
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En AEMO, le projet est à la fois un outil essentiel de liberté et une procédure d’imposition
d’une politique nécessaire de régulation sociale. L’origine existentialiste fondant le projet
comme nécessité de la liberté peut s’opposer alors aux contraintes d’un changement
obligatoire. Nous retrouvons ici, la dialectique entre nécessité et liberté dans les formes
proches de celles décrites par Marx à propos des sociétés : « l’homme fait librement son
histoire mais dans des conditions non librement déterminées par lui ».
Des auteurs comme Boutinet ou Castoriadis précisent que le projet comporte des risques et
des paradoxes dont il s’agit d’être conscient dont l’intervention des professionnels sur la
notion et la méthodologie de projet. Ardoino distingue le projet-visée du projet-
programme. Un projet basé sur les valeurs de chacun et un projet programme qui serait
davantage la succession des actions visant un changement.
Le projet ne doit pas devenir une justification de l’action proposée par des experts œuvrant
pour l’individu. Le risque est de considérer les personnes concernées comme des données
et non comme des acteurs du processus de changement. Le projet ne peut se définir comme
une succession d’actions ou de programmes définis par un choix politique décidé en amont
sans un lien réel ou antérieur avec le diagnostic. Pour Ardoino et Vial, tout projet s’inscrit
dans une articulation de plusieurs projets, le projet du magistrat, le projet des familles, le
projet du professionnel, le projet d’intervention serait alors le point de convergence de
l’ensemble de ses projets.
3.5) Hypothèse de travail
L’hypothèse : Dans un système sous contrainte de type AEMO, la co-construction
d’un projet d’intervention (point de convergence des intérêts de chacun des acteurs)
repose sur la reconnaissance et le respect des acteurs et de leur position interactive
Sous hypothèse 1 : le projet d’intervention en AEMO, répond à une commande
sociale qui vise un changement où chaque partenaire est auteur. Chacun est légitime
dans son approche du changement et dans sa différence.
Sous hypothèse 2 : le projet est un construit social où chaque acteur s’associe à une
démarche qui vise à répondre à la fois à la commande et la demande.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 48
Partie II La méthodologie de l’enquête
Avant de présenter notre méthodologie d’enquête, il est intéressant de résumer
rapidement les divers facteurs qui nous ont amenés à envisager l’A.E.M.O comme un
vecteur d’inclusion sociale ou de disqualification. Nous avons procédé en 3 temps, nous
avons étudié les interactions entre les divers acteurs qui participent à une mesure d’Action
Educative en Milieu Ouvert. Nous avons pu constater que le comportement des uns (juge
par exemple) induit le comportement de l’autre (famille ou professionnel). Nous avons
ainsi pu considérer les rapports de force qui génèrent une intervention éducative dans un
système sous contrainte et le paradoxe que suscite le décalage entre une volonté plus
participative de la loi de 2002 (proposant un partenariat) et l’obligation d’un changement
obligatoire. Il est évident que dans une telle organisation, nous ne pouvons occulter les
stratégies d’acteur et les zones d’incertitude. En effet, les enjeux pour les usagers, les
professionnels ou les magistrats ne se situent pas aux mêmes niveaux et l’absence d’un
projet collectif, support des intérêts individuels, provoque des jeux de pouvoir. Après un
état des lieux où nous nous sommes attardés sur les interactions, les zones d’incertitude
dans un système sous contrainte, nous avons émis l’hypothèse que la co-construction d’un
projet d’intervention (point de convergence des intérêts de chacun des acteurs) repose sur
la reconnaissance et le respect des acteurs et de leur position interactive dans un système
sous contrainte de type AEMO.
Cette partie va tenter de répondre à cette affirmation en s’appuyant sur une méthodologie
d’enquête que nous allons présenter dans le chapitre 1, puis dans le chapitre 2, nous
commenterons les résultats obtenus. L’idée générale, moteur de la réflexion, est de mesurer
les écarts entre les aspirations législatives visant une plus grande participation des usagers
et la pratique des travailleurs sociaux en milieu ouvert. L’idée sous-jacente est de cerner
l’impact pour les divers acteurs usagers, magistrat et professionnel d’une action collective
sous contrainte. Dans ce cadre, nous avons confronté notre hypothèse à notre terrain
d’étude et diversifier nos informateurs, des professionnels, des usagers (parents et enfants)
et magistrats afin de mieux cerner la pratique de projet dans le secteur et d’appréhender les
enjeux des acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre du projet d’intervention.
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CHAPITRE 1 Présentation de l’enquête
Ce chapitre se divise en 3 grands paragraphes. Nous allons présenter les publics
interrogés, explicitant les motivations qui nous ont conduits à opter pour ce type de profil
et ce notamment pour les usagers et les professionnels. Nous allons dans un second
paragraphe aborder les outils d’enquête, l’approche et le type d’entretien qui ont été
utilisés. Le troisième paragraphe aborde les limites auxquelles nous avons été soumis et les
précautions méthodologiques que nous avons dû effectuer pour mener à bien notre
enquête.
1.1) Présentation du public
Comme nous l’avons indiqué en introduction de ce chapitre, ce paragraphe est consacré au
profil des personnes interrogées et aux conditions particulières des entretiens. La
diversification des acteurs, usagers, professionnels, magistrats nous apporte un éclairage
sur les différences de leur place et de leur rapport au projet « d’intervention ».
1.1.1) Le profil retenu parmi le panel des usagers
En ce qui concerne l’échantillon, nous avons rapidement pris conscience des enjeux
importants que représente une AEMO en exercice tant sur la liberté de parole que sur la
prise de recul concernant nos critères autour de l’inclusion et la disqualification sociale. A
cet égard, nous avons interrogé :
Des usagers sortis du dispositif avant le début de l’enquête, septembre 2012,
Toute condition sociale confondue
Appartenant à plusieurs communautés
Relevant de plusieurs secteurs géographiques (5ème
, 8ème
, 9ème
, 10ème
, 13ème
)
Celles qui ont répandu aux questionnaires de satisfaction proposés par
l’institution en fin d’intervention.
Ce panel est composé de 10 familles (enfant et parents) sorties du dispositif entre 1 an et 4
ans. Pour trois d’entre-elles, l’intervention éducative a été renouvelée au moins une fois.
Pour la totalité de l’échantillon, les enfants à ce jour, vivent au domicile parental et étaient
présents lors de l’entretien.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 50
Nos échanges se sont concentrés sur les places qu’ils ont occupées dans la construction du
projet d’intervention, s’ils ont été associés à la démarche de projet. A-t-on pris en
considération leurs besoins réels ou leur a-t-on imposé une commande sociale sans mesurer
leur condition d’existence (leur rythme de vie, leurs potentialités, leur environnement).
1.1.2) Le panel des professionnels retenus
En ce qui concerne les travailleurs sociaux, les critères retenus sont les suivant :
Le sexe
L’âge
La fonction
L’ancienneté dans le service
Le secteur d’intervention (lieu d’exercice de sa pratique)
L’âge, le sexe et l’ancienneté ont tenté de répondre à l’hypothèse que le rapport au projet
ou à l’exercice d’une mesure AEMO pouvait être influencé par une période, par un
contexte social donné, par une expérience. L’enjeu, c’est de vérifier si les professionnels
dont l’expérience est plus importante que 10 ans (2002) ont perçu des modifications dans
la conception du travail et dans le rapport aux usagers. Ont-ils un regard différent sur la
pratique de projet et comment perçoivent-ils les places de chacun des acteurs ? Existe-t-il
une différence d’interprétation entre les jeunes professionnels et d’autres plus chevronnés ?
La fonction questionnait une éventuelle spécificité autour de la place sociale d’un discours
cadre dans le rapport au projet et plus globalement dans le rapport aux institutions et aux
usagers compte tenu de la loi de 2002 et aux nouvelles exigences actuelles des politiques
publiques.
Le lieu d’exercice professionnel doit prendre en considération les spécificités des secteurs
de Marseille notamment s’agissant des besoins sociaux et de la probabilité de pratiques
différentielles en fonction des services. Ce point est à prendre en considération dans le
rapport des usagers au projet.
Nous avons ainsi questionné 20 professionnels tous en poste au moment où nous les avons
rencontrés pour réaliser l’entretien : 8 Assistantes Sociales et 8 Educateurs Spécialisés, 1
psychologue, 2 chefs de service et le Directeur du pôle enfance de l’association.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 51
L’ensemble des personnes interrogés a été contacté après accord de la direction et pour
presque la totalité, nos contacts ont été pris suite à une réunion institutionnelle pour 14
d’entre eux, les cadres fonctionnels et opérationnels ont été sollicités par la suite, afin que
l’enquête puisse se montrer représentative de l’organigramme de l’association, terrain de
l’étude.
Par ailleurs, pour plus de réalisme nous proposons des prénoms pour chaque citation qui ne
correspondent pas aux personnes interrogées pour respecter l’anonymat de chacun.
1.1.3) Le profil du panel retenu au niveau des Magistrats
Nous avons pu interroger 3 magistrats, deux sont toujours en poste et le troisième n’exerce
plus de fonctions sur Marseille. Le groupe est composé de 2 femmes et d’un homme, Juge
des enfants depuis 3 à 20 ans.
Nos échanges se sont essentiellement orientés sur les représentations des magistrats
concernant la mise en œuvre de la mesure judiciaire, de la manière dont ils appréhendent
les évolutions des situations familiales et la place qu’ils laissent aux débats contradictoires
aux usagers. De plus, la relation avec les professionnels est-elle toujours celle
« d’experts85
» de l’intervention éducative à institution ou n’y a-t-il pas parfois, une
relation de mandant à exécutant ? Notre sous hypothèse se réfléchit ainsi, Le projet en
AEMO répond à une commande sociale qui vise le changement et ou chaque partenaire est
auteur. Chacun est légitime dans son propre désir, dans sa différence.
1.2) Le choix de l’outil d’investigation
Notre approche se veut résolument compréhensive car elle apporte un éclairage sur
les motivations de chacun des acteurs et permet une démarche qualitative. Elle nécessite
pour le travail d’entretien et d’observation une certaine empathie. Toutefois, pour
circonscrire toute forme de jugement de valeurs et qui laisserait transpirer une subjectivité
de l’auteur, nous avons pris la décision d’étudier le « rapport à la commande sociale » des
acteurs en tenant compte de la réalité sociale de chacun. Nous nous sommes ainsi
concentrés à rationaliser les actes posés, la parole des acteurs et donc de mieux comprendre
le sens des comportements de chacun dans un système sous contrainte.
85
Propos d’un magistrat qui présente les travailleurs sociaux comme des « experts » de l’action éducative.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 52
1.2.2) La démarche qualitative
Nous avons élaboré un guide d’entretien pour nous permettre d’explorer plus finement
qu’il ne l’était possible avec un questionnaire, les enjeux et les conflits liés à la
construction de projet et aux confrontations qui les sous-tendent dans le secteur de
l’AEMO. La perception du besoin par un acteur, quel qu’il soit, ne cesse d’être influencée
par ses valeurs, ses représentations et sa place sociale. Le constat est d’autant plus valable
pour le public (dans le déni ou pas du besoin) mais aussi des associations et des politiques
publiques en vigueur à un moment donné et dans un lieu donné.
De ce fait, la nécessité de prendre en considération la subjectivité de chacun, a facilité nos
tentatives de compréhension des comportements des acteurs en AEMO.
Comme nous l’avons indiqué en introduction de chapitre, nos choix méthodologiques se
sont référés à la sociologie compréhensive et dans un courant interactionniste en référence
à H. BECKER, « Pour comprendre le processus, le chercheur doit prendre le rôle de
l’acteur dont il se propose d’étudier le comportement. Puisque l’interprétation est
construite par l’acteur sous forme d’objets désignés et appréciés, de significations
acquises et de décisions prises, le processus doit être considéré du point du vue de
l’acteur ». Il propose l’idée d’un construit social qui serait la résultante des comportements
des acteurs en interaction avec leur environnement et non celle d’une réalité donnée.
Il s’agit de mettre en valeur un discours et les représentations des acteurs (juge,
intervenants sociaux et famille) dans la construction d’un projet et du conflit qu’il va
générer.
Nous nous sommes attachés à retranscrire de manière la plus fidèle les différences
d’interprétation de la norme sociale et de la manière dont est vécue par chacun des acteurs,
la régulation sociale² dans le cadre de l’AEMO.
1.2.3) Trame de l’entretien
Concernant notre technique d’enquête nous nous sommes appuyé sur le manuel de
Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt, « manuel de recherche en science social ».
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 53
1.2.3.1) Pour les Professionnels :
La méthode:
L’intérêt de l’entretien comme technique de recherche repose sur la grande latitude qu’il
laisse aux personnes interviewées. Régulièrement utilisé dans les sciences sociales, il
permet de comprendre les interactions entre les individus. L’entretien vise une démarche
participative et ainsi, permet d’instaurer un débat qui n’existait pas auparavant. Il ne s’agit
pas seulement de prélever des informations mais d’une « parole sociale86
» où l’échange et
la communication occupent une part essentielle.
Pour les professionnels, nous avons opté pour un entretien semi-directif, en ce sens où nous
avons pu poser des questions précises sans pour autant enfermer la parole de la personne
interrogée. Au préalable, nous avons élaboré une grille d’entretien avec une question
ouverte, « parlez-nous de votre pratique en AEMO », pour débuter l’entretien afin de ne
pas trop rapidement introduire le sujet. Sur le plan technique, nous nous sommes laissé le
choix de l’ordre des questions en fonction de l’échange avec le professionnel. Toutefois,
une dernière question plus ciblée sur la problématique a été proposée en conclusion, dans
l’éventualité où, pendant l’entretien, elle n’a pas été suffisamment abordée.
Les objectifs
Les objectifs des entretiens auprès des professionnels visent essentiellement :
Identifier les places occupées par le professionnel dans l’élaboration d’un
projet d’intervention éducative.
Cerner la place de l’attendu dans la construction de son action
Repérer les actions d’accompagnement mise en place auprès des usagers
pour favoriser le développement de compétences et l’élaboration d’un projet
commun
Identifier les espaces proposés par le professionnel pour écouter et
comprendre les demandes du public et les conditions de vie dans laquelle va
s’exercer l’intervention éducative en milieu ouvert.
86
A Blanchet et A Gotman, « L’enquête et ses méthodes : l’entretien », Nathan, collection 128, Paris, p17
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 54
Thématique des entretiens des professionnels
Empreint de ses objectifs, nous avons élaboré un entretien qui est catégorisé en 3 domaines
touchant à l’intervention du professionnel :
Pertinence et cohérence de l’action, il s’agit de définir le projet-visée.
Traduction stratégique des attendus du juge. c’est la faisabilité et le sens
donné à l’action entre attendu du magistrat et évaluation des potentialités
des usagers
Représentations du professionnel dans la mise en œuvre du projet et limites.
1.2.3.2) Pour les usagers
La méthode
Dans le cadre de cette enquête, nous avons collectionné de nombreux témoignages de
personnes qui souffrent ou ont souffert directement ou indirectement d’une intervention
éducative de type AEMO.
Nos entretiens ont été plutôt libres et courts. En effet, l’entretien collectif s’est imposé à
nous car l’ensemble des membres de la cellule familiale a été présent au cours des divers
témoignages. Pour réaliser un entretien collectif, nous nous sommes inspirés de travaux de
Sophie Duchesne et Florence Haegel, « l’enquête et ses méthodes – L’entretien Collectif ».
Ce choix d’utiliser l’entretien collectif s’est avéré pertinent car il a favorisé la prise de
position de chacun en interaction les uns des autres et permis de discuter à postériori des
résultats de l’intervention entre les membres d’une même famille. C’est un genre
d’interview qui interroge deux ou plusieurs personnes en même temps (de 2 à 5 maximum
dans le cadre de notre enquête) qui est assez peu structuré et qui accorde à l’interviewer
une grande liberté pour pouvoir réagir en fonction des propos des interviewés.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 55
Objectifs de l’entretien
En fonction de notre hypothèse de travail, nous avons fixé trois grands objectifs :
Repérer les besoins, les attentes voir les demandes formulés explicitement
ou implicitement auprès des professionnels dans la construction du projet
d’intervention.
Identifier les conditions et les moyens misent à la disposition des usagers
pour favoriser leur participation et leur accorder une information lisible et
compréhensible pour éviter toute forme d’exclusion
Evaluer les obstacles qui les ont empêchés de s’approprier l’autonomie
nécessaire pour « agir ensemble » en partenariat.
Thématique des entretiens avec les usagers
Pour répondre à ses objectifs, nous avons réfléchi à un entretien que l’on a catégorisé en 4
indicateurs touchant sur la place occupée dans le cadre d’une intervention éducative de
type AEMO :
La part des représentations des usagers dans la mise en œuvre d’une Action
éducative en Milieu Ouvert
La confrontation des valeurs et le rapport à la norme, la reconnaissance de
leur place dans la construction d’un projet qui vise essentiellement le
changement de leur fonctionnement.
Les attitudes stratégiques lors des diverses actions proposées par les autres
acteurs
La participation des usagers dans une forme de citoyenneté et d’intégration
et la disqualification subie le cas échéant.
1.2.3.3) Pour les Institutions
La méthode d’entretien pour les Juges des Enfants
Avant de débuter l’entretien, nous avons expliqué le but de l’interview et l’objet de
notre recherche. Nous avons également pris conscience de l’enjeu pour les magistrats de
dévoiler leurs conceptions d’une organisation sous contrainte et sur ce point, nous les
avons rassurés sur le respect de l’anonymat pour l’ensemble des personnes interrogées. Les
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 56
3 juges ont néanmoins souhaité lire le guide d’entretien avant de commencer l’interview.
Dans ce contexte, nous avons opté pour un entretien semi-directif qui accorde une certaine
liberté dans un cadre relativement strict. Concernant les magistrats, ils n’ont pas souhaité
être enregistrés et nous avons, de ce fait, pris des notes. Cette méthode d’entretien auprès
de ce public, nous a permis d’explorer le terrain, de peaufiner notre regard. A cet égard,
les entretiens sont des témoignages ressources qui ont permis une approche globale des
interactions entre les principaux acteurs qui interviennent dans une procédure de type
AEMO.
Le choix de ces 3 magistrats ne s’est pas fait au hasard. Nous avons exclus ceux avec
lesquels nous « collaborons » pour éviter un entretien où la personne interrogée cherche à
nous donner la « bonne réponse ». Nous avons d’ailleurs exclus, le premier entretien car il
s’est avéré inexploitable. En effet, la juge des enfants avait le même secteur d’activité que
l’auteur du mémoire et a de ce fait, orientée consciemment ou inconsciemment ses
réponses pour correspondre à notre hypothèse. Nous en avons conclu qu’une trop grande
proximité nuit à la qualité de l’entretien.
Les objectifs de l’entretien
Les entretiens menés auprès des juges des enfants visent 4 objectifs :
Identifier les espaces mis en place par les magistrats pour favoriser le débat
contradictoire, l’écoute, les attentes et les demandes des usagers, ceux des
professionnels dans l’exercice d’une mesure AEMO. Il s’agit de déterminer
la place accordée dans les échanges avec les autres acteurs dans
l’élaboration des attendus
Repérer les actions d’accompagnement lors d’ouverture de mesure qui
favorise l’acceptation et l’adhésion des usagers. Il s’agit de présenter le
contexte et les pratiques utilisées mais également leur inscription dans un
contexte politique, économique et sociale.
Définir le contexte de travail des Magistrats, il s’agit de repérer les limites
du débat contradictoire et les contraintes légales et professionnelles.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 57
Identifier le poids des représentations que peuvent avoir les magistrats, des
conditions d’existence des usagers, tant dans la décision que dans
l’élaboration des attendus du jugement
Thématique des entretiens avec les Juges des Enfants
Pour répondre à ses objectifs, nous avons défini 4 indicateurs principaux :
La place accordée aux autres acteurs dans la construction de l’attendu entre
reconnaissance et imposition.
Les attitudes stratégiques développées afin de favoriser la collaboration ou à
minima, l’adhésion de chacun, le contrôle exercé pour s’assurer des résultats de la
commande et la part de liberté accordée à chacun pour réaliser les objectifs
convenus dans les attendus.
Les confrontations des valeurs et le sens donné aux attentes des usagers
bénéficiaires d’une mesure judiciaire de type Action Educative en Milieu ouvert.
En conclusion notre étude s’attache essentiellement à vérifier si dans un système sous
contrainte, le projet d’intervention d’une AEMO peut se construire sans prendre en
considération le projet de vie des usagers et sans prendre en considération le projet
associatif ou si l’ensemble des projets s’articulent les uns aux autres.
1.3) Les limites de l’investigation
1.3.1) Le repérage de l’échantillon
Pour des raisons organisationnelles et de temps, le repérage n’a pu s’effectuer lors
des réunions institutionnelles comme il avait été convenu avec l’équipe de direction. Par
conséquence, nous n’avons pu travailler sur l’échantillon prévu (30 professionnels) qui
s’est retrouvé restreint par une participation moindre des cadres que celle prévues. De ce
fait, la plupart des enquêtés n’occupent pas une fonction hiérarchique, ceci atténue notre
analyse des places sociales de l’institution et le coté représentatif de l’organigramme.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 58
En ce qui concerne, les usagers, nous nous sommes confrontés à beaucoup de refus en
grande partie liés à des réticences de devoir revenir « sur une période délicate de notre
vie ». Une autre limite se situe dans la représentation des magistrats. En effet, nous
n’avons pu exploités que 3 des 4 interviews et nous avons connu beaucoup de refus en
grande partie revendiquant notamment le devoir de réserve dont est soumis le juge dans
l’exercice de ses fonctions.
1.3.2) La passation des entretiens
1.3.2.1) Les conditions matérielles
Nous avons procédé pour chaque interview de la même manière, nous avons rempli une
fiche signalétique pour préciser le profil de l’interviewé puis il a été présenté le contexte de
recherche de l’intervieweur. Le temps des entretiens a fluctué en fonction des individus.
Après déduction d’une rapide introduction pour annoncer le thème du mémoire, en début
d’entretien et les remerciements d’usage pour conclure, nous avons dû nous adapter au
rythme des réponses de l’enquêteur car certains peu loquaces, se contentaient de répondre
aux questions posées, alors que d’autres pouvaient, plus bavards, argumenter davantage.
Cette configuration explique les écarts de temps des divers entretiens.
A l’exception des magistrats, nous avons eu la possibilité de pouvoir enregistrer la quasi-
totalité des entretiens à l’aide d’un téléphone portable associé à une prise de note. Nous
avons à chaque fois sollicités l’autorisation des personnes. Nous nous sommes d’ailleurs,
rendus compte que très rapidement, nos interlocuteurs occultaient l’enregistreur qui de ce
fait n’a pas été une entrave à la libération des propos recueillis. Compte tenu du manque de
temps disponible pendant la période de travail, nous avons dû nous résoudre à effectuer des
entretiens après les heures de travail. L’association a mis à notre disposition des bureaux
afin de pouvoir réaliser nos entretiens dans des conditions le plus optimales concernant les
professionnels. Les entretiens ont duré entre 20 et 45 minutes. L’ensemble des personnes
interviewées ont manifesté une grande satisfaction à témoigner. Ce qui s’est exprimé, c’est
l’appréciation de pouvoir par cette intermédiaire, trouver un lieu d’écoute, de parole qui
permet une analyse un peu distancée des pratiques et un exutoire à l’absence de
reconnaissance du travail fourni tant dans l’application des attendus que dans la
construction d’une action collective commune.
Pour les usagers, la totalité des entretiens se sont déroulés à leur domicile et en présence de
toute la cellule familiale. Nous avons tenté de limiter dans le temps, les entretiens (45
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 59
minutes à 1 heure 30 minutes) pour maintenir un haut degré de concentration des
personnes interrogées et de l’intervieweur.
Concernant les entretiens avec les magistrats, la plupart du temps ils se sont effectués pour
2 cas entre deux audiences (10 à 20 minutes) et pour le troisième dans le bureau du juge (1
heure). Comme nous l’avons indiqué précédemment tous les magistrats ont souhaité
connaitre le thème du mémoire et le guide d’entretien avant de débuter.
Il a été stipulé à chacun de nos interlocuteurs le caractère anonyme des propos relatés dans
ce mémoire.
Nous nous sommes également interrogés sur les « off », ces discussions après interview
avec un cadre moins formel, où de nombreux échanges ont été riches en enseignements.
Après réflexion, nous avons souhaité les intégrer dans le mémoire avec accord des
intéressés tant la qualité des propos éclairait notre problématique.
1.3.2.2) Les limites des entretiens
Les conditions et limites des entretiens avec les professionnels
La totalité des entretiens s’est effectuée sur 15 jours. En effet, nous avons dû réajuster
notre fonctionnement car la plupart des travailleurs sociaux ont souhaité être interrogé
pendant leur temps de permanence physique et téléphonique. Or, nous nous sommes
rapidement rendu compte des limites de cette formule. Outre le fait que les propos
pouvaient être influencés par les différents professionnels qui entraient et sortaient du
bureau, les sonneries des téléphones et autres interventions inopinées de divers acteurs
présents dans notre proximité ont fortement parasité le contenu de l’entretien.
C’est pourquoi nous avons, par la suite, proposé des entretiens hors temps de travail pour
bénéficier de locaux vides et préférable à l’exercice d’entretien. Les entretiens ont été
effectués à un rythme soutenu, d’autant qu’une partie de nos données ont disparu suite au
vol de notre outils d’enregistrement. Le recueil des données s’est alors réalisé par
l’intermédiaire des notes. Ceci n’a pas été sans entrainer des incidences notamment par une
trop grande interprétation lors des dépouillements. Certains entretiens se sont, en
conséquence révélés inexploitables.
De plus, l’utilisation du guide lors d’un entretien semi directif présente certains avantages
comme préparer ses questions et anticiper des relances éventuelles, toutefois, les questions
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 60
n’ont pas toujours été posées dans l’ordre du guide mais davantage en fonction des
réponses et des arguments de la personne interrogée.
Les conditions d’entretien avec les usagers
Les conditions ont souvent été identiques, l’ensemble de la famille est présent, famille
recomposée, famille monoparentale, famille nucléaire ou divorcée, nous avons procédé de
la même manière, assis autour d’une table, chaque personne réagissait à sa convenance.
Nous avons souhaité un entretien non directif durant lequel nous avons tenté d’être le
moins actif possible et de laisser un maximum de latitude aux personnes interviewées.
Toutefois, cette technique cache plusieurs inconvénients qui peuvent falsifier les résultats :
Les personnes s’influence par exemple Clara B trouve que sa mère va trop
loin lorsqu’elle raconte ses frustrations et relate la place négative dans
laquelle elle s’est sentie enfermée au début de l’intervention éducative.
Monsieur Bill et madame Rav se corrigeaient mutuellement. « c’est en 2007
Jean Pierre, non tu te trompes c’est en 2008 que la mesure a débuté… »
Chaque personne parlait de son coté, si bien que nous avons perdu de
précieuses informations.
Pendant l’entretien, il est arrivé que les personnes interrogées changent
d’avis. Par exemple madame Rav parle pendant tout l’entretien des
injustices subies, de la violence des institutions puis à l’écoute de monsieur
Bill, son compagnon, elle revenait sur ses propos en mettant en évidence les
bienfaits de la mesure AEMO.
Les conditions et les limites des entretiens avec les magistrats
Les conditions n’ont pas toujours été optimales lors des entretiens avec les juges des
enfants à la fois par la complexité de la scène et du contexte, entre deux audiences, par le
temps imparti, un entretien de 15 minutes ou l’on doit être en permanence concentré, et par
la prise de note qui hache la fluidité de l’échange. De plus, l’autorité de l’individu ou plutôt
l’autorité parfois symbolique de la fonction ne permet pas toujours de faire preuve
sagacité. Pourtant, il s’agit d’amener la personne à décrire son intervention, à partir
d’éléments concrets et de revenir sur sa conception d’un agir ensemble.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 61
Nous avons été vigilants dans la méthodologie d’entretien, à ne pas placer l’interviewé en
difficulté dans une place « d’ignorant », à repréciser les questions pour une meilleure
compréhension, à instaurer un climat de confiance pour libérer la parole et veiller à ce que
notre interlocuteur ne tente pas de vouloir donner « la bonne réponse ». Malgré toute ces
attentions, nous ne pouvons pas affirmer une parfaite objectivité des témoignages
recueillis.
1.4) Présentation de l’outil d’analyse
En ce qui concerne les recueils des données, nous avons souhaité une
retranscription la plus fidèle possible. Nous avons ainsi réécouté les divers entretiens
enregistrés et la réécriture se veut la plus proche possible des interactions réalisées pendant
l’échange. Nous faisons ainsi figurer, les silences, les hésitations, les fautes de français…
Pour les entretiens que nous n’avons pas pu enregistrer, nous avons tenté, en fonction des
notes prises, d’interpréter le moins possible pour ne pas orienter les réponses et pour nous
montrer fidèle à notre place de chercheur.
Le code des retranscriptions se présente ainsi, les silences (silence), le téléphone sonne ou
une personne entre (interruption situationnelle) ou une réaction (rires ou gestes effectués),
lorsque deux personnes se coupent la parole (…), quand l’interviewé cite une autre
personne nous utilisons des guillemets (« … »). En ce qui concerne les « off line », nous
les préciserons chaque fois pour différencier les réponses de l’entretien proprement dit.
Les dimensions
Il existe divers niveau d’implication ou de prise de responsabilité dans la participation des
acteurs. Elle se mesure en fonction de l’information possédée par les acteurs qui va
atténuer ou non les zones d’incertitude, les potentialités de chacun à négocier notamment
dans le cadre de débat contradictoire, la part de chacun à prendre des responsabilités.
On ne peut mesurer les places de chacun dans la construction d’un projet commun
et plus particulièrement à cerner la dimension partenariale en fonction de la reconnaissance
de chaque acteur (de sa visibilité et de sa capacité à accéder et utiliser de ses droits), dans
le partage des décisions et la délégation de certaines fonctions. Le poids des
représentations peut influencer le rapport et les interactions entre les acteurs d’une mesure
AEMO. Le rapport de chacun des acteurs à la commande sociale et à la norme sociale
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 62
relève des représentations sociales (partage ou non de valeurs communes) et de sa propre
représentation de soi (place de victime, image positive…).
La dimension de la participation avec des indicateurs comme l’engagement, la négociation
ou le degré de l’information.
1.5) Les Tableaux
Nous avons souhaité réaliser des tableaux à double entrées qui ont favorisé une
meilleure lecture des réponses des personnes interviewés et de ce fait nous ont accordé une
plus grande latitude pour effectuer une étude comparative. (Voir annexe7)
La méthodologie de recherche que nous avons utilisé est bien évidemment la nôtre, à un
moment donné et pour un public donné et nous devons encore une fois avoir les
précautions d’usage et rappeler les limites de sa portée tant au niveau de l’analyse que des
résultats obtenus. Il s’agit davantage d’un éclairage sur des interactions en lien avec notre
hypothèse que d’une analyse clinique de la situation professionnelle et sociales des divers
acteurs dont nous ne sommes en aucun cas le porte-parole.
Eu égard à ces limites, la modestie est de mise quant au statut de ce mémoire. Cependant,
les données rassemblées nous semblent, au-delà des précautions méthodologiques, riches
d’enseignements et porteuses aux travers des paroles des acteurs interrogés, des questions
essentielles qui nous sont incontournables dans l’exercice d’une mesure AEMO.
Chapitre 2 Les résultats obtenus
Dans ce chapitre, nous allons tenter de clarifier les représentations afférentes aux
pratiques de projet dans le secteur de l’AEMO. Nous nous sommes attachés à explorer, à
travers trois dimensions, la participation, les représentations, le partenariat, pouvant se
retrouver dans notion de projet, les comportements des acteurs dans la construction et les
modalités d’une mesure judiciaire. Dans une seconde partie, nous mettons en évidence
ainsi la cohérence du projet d’intervention éducative, les valeurs sous-jacentes aux
pratiques, le processus d’élaboration du projet et les conflits entre acteurs. La pratique de
projet en AEMO met en évidence une lutte des places dans une relation tripartite à
l’origine de jeux d’alliance et met en évidence la contrainte d’une action collective
commune. Au cœur du questionnement posé par le mémoire, c’est l’identité d’un secteur
en profonde mutation suite à l’application des lois de 2002 et 2007, qui est en jeu. C’est,
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 63
nous semble-t-il, l’appréciation et l’évaluation, des réponses proposées en AEMO à un
public fragilisé socialement et judiciairement, repéré comme pouvant mettre en danger,
potentiellement ou réellement, un enfant. Compte tenu de la multiplicité des situations, des
problématiques de secteurs, il semble évident que la réponse aux besoins est différente et
que l’on ne peut pas établir de manière objective une intervention-type. La perception des
besoins par un acteur, quel qu’il soit ne cesse d’être influencée par ses valeurs, ses
représentations et sa place sociale. Le constat est d’autant plus valable pour le public (dans
le déni ou pas du besoin), mais aussi des associations, des intervenants sociaux et des
politiques publiques en vigueur à un moment donné et dans un lieu donné.
2.1) La construction de projet : entre désir et méfiance
L’analyse des résultats obtenus nous indique qu’il existe une forme d’ambiguïté du
concept projet pour la plupart des personnes interrogées, travailleurs sociaux, magistrat et
usagers. Nous remarquons en effet, qu’en fonction des places occupées, leur rapport au
projet « d’intervention » ne sont pas les mêmes. Cette divergence des réalités peut ainsi
opposer une vision des magistrats qui soulignent une liberté d’agir pour les usagers et
relativise la contrainte et des familles qui s’insurgent contre une procédure qui impose une
commande sociale. L’origine existentialiste fondant le projet comme un outil de liberté
peut alors s’opposer à l’origine économique du concept, plus restrictive. Le choix des
marges de liberté dans un système sous contrainte, dépend de la place que l’on accorde à
l’autre acteur, nous distinguons ainsi trois types d’acteur, le magistrat ou « l’acteur clé87
»,
le travailleur social ou « l’acteur facilitateur » et les usagers « l’acteur faible ». Dans ce
contexte, on se situe dans la dialectique des sociétés de Marx, « l’homme fait librement son
histoire mais dans des conditions non librement déterminées par lui ».
Dès lors, il n’est pas étonnant que les deux attitudes que nous avons rencontrées
fréquemment chez les travailleurs sociaux, les usagers et les Juges dans leur rapport au
projet d’intervention se résument par le désir et la méfiance, ce qui reflète également la
manière dont est souvent considérée l’AEMO entre Aide ou Contrôle, nous dirons plutôt
entre nécessité d’intervention et liberté d’agir même si de manière général, le clivage n’est
pas aussi net que cela.
87
Propos repris à madame Quiriau, directrice générale de la CNAPE (Convention Nationale des Associations
de Protection de l’Enfant) lors de son intervention pour le 50ème
anniversaire du service AEMO, le 15 mai
2013 et que nous avons trouvé très adapté pour illustrer notre étude.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 64
2.1.1) Le projet, un outil, une référence, un désir
Massivement la plupart des acteurs reconnaissent que l’on ne peut agir sur de l’intuition ou
du hasard. La nécessité de fonder son acte sur une référence devient un garde-fou
indispensable pour éviter toute dérive. L’enjeu pour les différents acteurs, est d’articuler
leur projet individuel dans un projet collectif.
2.1.1.1) Pour les Professionnels associatifs
En ce qui concerne les travailleurs sociaux, certains soulignent l’importance d’agir
dans une enveloppe juridique et politique, d’autre attendent des consignes claires tant au
niveau de l’échelon associatif (projet d’établissement) que sur un plan des valeurs. En
effet, Bruno, 20 ans d’ancienneté ne perçoit dans le projet associatif qu’une soumission
aux tutelles : « ce qu’on appelle projet institutionnel n’est rien de plus qu’un protocole
d’accord avec les juges et le département, l’un nous mandate, l’autre nous finance. Il n’y a
pas de place à l’articulation avec les familles ». A entendre ses propos, il semble bien que
l’échelon associatif et son projet font carence au moment même où les mutations sociales
le rendent encore plus nécessaire que par le passé. Le sens et la réappropriation de l’action
ne peuvent se réaliser sans une identité, sans le sentiment d’appartenance, sans un
sentiment « d’être cause » confie le directeur du Pôle Enfance.
Plusieurs aspects du projet sont exprimés spontanément, il fait souvent référence au projet
d’établissement :
La création et l’évolution d’outils, les réunions de Projet, évaluation des
situations, fiches relais pour garantir un suivi de l’accompagnement
éducatif…
Pour Anne-sophie, 19 ans d’ancienneté, « J’ai pu mesurer la différence
avant 2002 et maintenant… Le projet est indispensable car il encadre et
évalue notre pratique… cela évite toute les dérives ». Le projet apparait ici
comme une référence en terme éthique face aux difficultés et à la diversité
des situations rencontrées sur le terrain. Il s’agit d’un apport professionnel
d’outils et un moyen d’uniformiser les pratiques.
La mise en place de procédures techniques en réponse à la loi de 2002 et
2007 ou spécifique à une démarche de projet : objet de la démarche-qualité,
d’évaluation, diagnostic…. Elle rythme la mesure éducative en fixant des
repères temporels pour les professionnels. Pour Sonia, 1 an d’expérience et
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 65
nouvellement diplômé : « depuis que je suis embauchée, personne ne m’a
parlé du projet de l’association. Je sais qu’il existe, mais je m’intéresse
davantage à la méthodologie de travail car elle fixe les procédures de mon
intervention auprès des divers partenaires… ».
L’idée d’un collectif déterminante pour tenir ensemble, de valeurs
communes qui régissent le lien moral et favorise le lien social, avancer et
construire ensemble sont des termes qui reviennent de manière récurrente.
Cet aspect du projet est un facteur important dans la prise en compte des
places de chaque sujet et qui règle son rapport à l’autre. Pour plusieurs
professionnels, il s’agit d’un élément prévalent à la mise en place d’outils
ou de procédures car il conditionne le déroulement de toute les
interventions.
Le projet est souhaité comme porteur de sens en général et de valeurs en particuliers. Le
souci de considérer les familles comme sujet est souvent mis en avant pour souligner
l’importance du projet associatif comme l’indique Ludwine : « la justice ne peut pas
palier à toute les carences et mettre les familles sous tutelle sociale. Il faut sortir de cette
impasse si nous souhaitons rétablir la place des familles au centre du dispositif. Ce n’est
pas à la justice de définir les valeurs. Les parents, des valeurs, ils en ont. Nous devons les
écouter autrement et nous donner les moyens de le faire ». La crainte d’une intervention
éducative qui débouche sur une stigmatisation plus grande des familles est ici explicite et
met en relief les dangers de dérive individuelle souvent à l’origine d’une grande méfiance
des usagers vis-à-vis des travailleurs sociaux.
Une troisième réflexion enfin, présente le projet associatif comme le porteur d’une identité
collective et politique. Dans ce cadre, il est censé proposer une lecture commune de la loi
de 2002 notamment et des missions afin d’éviter des pratiques contradictoires au sein
d’une même association. Pour Denise, chef de service : « la loi et les missions ne suffisent
pas en tant que telles, le projet doit les interpréter et définir l’enveloppe juridique et les
espaces de liberté que nous avons dans l’exercice de notre intervention ».
Le débat sous-jacent est celui du rôle des associations. Dans le cadre de mutations
profondes de l’intervention sociale et dans une période de crise économique et sociale, les
professionnels ressentent le besoin grandissant d’inscrire leurs pratiques individuelles dans
une dimension collective et assise sur des valeurs affirmées. En l’absence de celle-ci, les
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 66
craintes d’une stigmatisation, voire d’une disqualification sociale des publics et des dérives
de « toute-puissance » sont explicitement formulées.
2.1.1.2) Le projet des Familles
Pour les usagers le projet représente souvent les limites de son autonomie. Souvent, il
s’agit de faire le choix entre la confiance et l’angoisse que leurs inspire une mesure
judiciaire souvent considérée comme une contrainte. Cet aspect confiance est déterminant
dans la construction d’une action collective commune car c’est la construction d’une
relation de proximité entre le professionnel et l’usager qui va atténuer les zones
d’incertitude que génère une Action Educative en Milieu Ouvert.
Pour madame RAV : « Monsieur, l’espace d’un instant, vous qui êtes papa pouvez
comprendre ce que le système m’a fait subir, j’ai perdu mon fils, ma place de mère et mon
travail… J’ai été dépossédée de tout ce qui avait une importance… A aucun moment on ne
m’a accordé une place ou même informée, j’ai été immédiatement étiquetée et rejetée(…)
l’accès à mon dossier m’a permis de prendre du recul ce qui s’est passé et j’ai de ce fait,
mieux accepté l’intervention éducative… J’ai pu enfin comprendre et me positionner. »
Ce témoignage nous démontre que la confiance ne s’enseigne pas, bien au contraire, elle se
crée de manière personnelle par un cheminement, par le biais d’une rencontre. Nous
abordons ici, la pédagogie de projet qui va favoriser le passage d’une forme de
conditionnement de l’action éducative à une conscientisation des usagers. Les familles en
AEMO ne sont ni en opposition systématique ni en conformité complète avec la norme
sociale, elles ne sont pas plus ni absolument différentes du travailleur social qui intervient
ni entièrement ressemblantes, leurs comportements ne sont ni totalement déstructurés ni
totalement déstructurant. C’est bien la question de l’évaluation du tolérable dans un
contexte social et juridique précis qui est ici posée, c’est-à-dire la question des valeurs à
partir desquelles se réalise toutes formes d’évaluation.
2.1.1.3) Le projet vu par les magistrats
« nous apportons maintenant des détails sur le contenu de la mesure en donnant des
indications au service sur des actions à mener par exemple, l’établissement d’un travail
thérapeutique pour un enfant, gérer la scolarité, il y a souvent des précisions autrement dit
si la loi n’apporte pas de précisions sur le contenu des mesures, le juge, lui en apporte
beaucoup plus… »
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 67
Au-delà de la connotation technique, ce qui est souligné dans ce discours c’est l’impression
d’une recherche de sens, celui d’appartenir ou de proposer un cadre commun. C’est
également un point de référence pour tous les acteurs, à cet égard, elle détermine la
commande et suscite la demande. Par ailleurs, l’enjeu est d’organiser l’intervention. Il
s’agit d’une étape importante car le cadre du partenariat implique de prendre en compte et
d’articuler les compétences de chacun. Ici, il est nécessaire de prendre en compte les
capacités, les compétences, les intéressements. Un autre juge met en évidence un tournant
dans l’action éducative, la volonté de construire un projet, une vision où l’enfant et ses
parents concourent à la réalisation des objectifs définis. « On est passé de jugement pour
action éducative en milieu ouvert sans limite temporelle, jusqu’à décision contraire, à des
jugements où les attendus sont plus précis. Notre soucis est de favoriser le débat
contradictoire et de nous assurer de l’adhésion des parents et de l’enfant ». Ce témoignage
démontre que la temporalité est devenue un enjeu majeur, elle délimite l’intervention
sensibilise les usagers à se positionner. En fait, il s’agit de faire partager une décision et
théoriquement de définir et organiser les moyens et les places de chacun. La définition des
places prend les relais autour des compétences de chacun et des volontés des divers acteurs
à agir ensemble. Il est alors important de distinguer trois choses :
Ce que l’on est capable de faire ou pas et ce pourquoi on a besoin de
l’autre
La délégation de fonction, qu’est ce qui relève du service, des usagers et
du magistrat
Une connaissance précise des possibilités des usagers, « il ne sert à rien
de prononcer des attendus infaisables, et de ce fait mettre en difficulté
l’enfant et sa famille, l’attendu doit favoriser un mieux-être, un
changement possible ».
Le regard croisé est souhaité car il doit permettre par la confrontation de créer une
organisation tenant compte des places et des rôles respectifs. Les magistrats se positionnent
également comme l’organe régulateur des activités distribuées. Nous mettons en valeur ici
la restitution des tâches qui s’effectue lors des audiences. Cet espace devient alors un lieu
de circulation de l’information et garantit également que l’on ne cesse de produire du sens.
C’est également un lieu où s’exerce « la controverse, le débat, les désaccords et les
conflits qui peuvent à terme sans régulation perturber la mise en œuvre du projet », des
dissonances qu’il s’agit d’accueillir pour les magistrats dans le cadre de régulation
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 68
(audience de renouvellement ou audience sollicitée par l’un des acteurs…) et d’organiser
dans une scène collective sa résolution dans une logique « autant faire se peut »
démocratique.
2.1.2) L’évaluation du projet
Deux positions se démarquent des divers témoignages obtenus et ce par l’ensemble des
acteurs qui se sont exprimés sur la place de l’évaluation dans les bilans et les projets :
Celle de la place des acteurs les uns par rapport aux autres,
Celle que les autorités assignent et auxquelles chacun doit se conformer.
Dans le premier cas, l’évaluation est orientée vers ce qui a causé la mise en place d’une
mesure AEMO, les moyens utilisés, les initiatives induites et leur production ; cette
formalisation est articulée avec le cadre juridique et les principes prônés par les lois de
2002 et 2007 qui incite les personnes participantes à construire du collectif. Pour illustrer
ses propos, nous nous appuyons sur Cécilia, Educatrice Spécialisée depuis 15 ans : « Nous
avions plus de latitude par le passé, on accordait aux parents et à l’enfant le temps
d’accepter la mesure, maintenant après réception du jugement, nous avons 15 jours pour
les contacter, un mois pour élaborer avec eux le Document Individuel de Prise en Charge
(DIPC), deux mois pour faire un bilan de la situation et 4 mois dans le cadre
d’ordonnance pour transmettre aux Juges une première évaluation, et cela avec 30 jeunes
en suivi par travailleur social. On oublie que chaque famille est différente et qu’il est
dangereux de vouloir tout maitriser. » La temporalité du projet ici, est encore mis en
évidence, avec une discordance des objectifs de l’intervention et la réalité des moyens
fournis sur le terrain. Il est d’ailleurs régulièrement revenu chez les professionnels qu’ils
ont une « obligation de moyens et pas de résultats ».
Dans la seconde situation, l’évaluation est en premier lieu orientée vers la réponse à la
conformité, une réduction des écarts et un changement vers la norme. Dans ce cadre la
participation de chacun est conditionnée par l’approche du résultat à atteindre et défini
notamment par les attendus. On retrouve ici une certaine contradiction entre liberté et
nécessité d’agir entre prévention et contrôle social.
Pour Monsieur P, juge des enfants : « La loi du 02 janvier 2002, place l’usager au centre
des dispositifs d’action sociale et médico-sociale et qui leur accorde un certain nombre de
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 69
droit dans leur rapport aux services sociaux et médico-sociaux comme le respect à la
dignité, à la vie privée, de la sécurité… Dans les questions concernant les enfants, le droit
de participer pour les parents et pour leur enfant à l’élaboration et à la conception et à la
mise en œuvre des projets et des actions qui les concernent sous réserve que les parents
aient reconnu l’autorité judiciaire… le principe est celui-là il y a obligation d’associer les
parents et les enfants à l’élaboration des projets qui les concernent, le droit à
l’individualisation et à la qualité de la prise en charge dans l’accompagnement dans le but
de favoriser le développement et l’autonomie et l’insertion des personnes ».
Autrement dit la réalisation d’un projet en partenariat implique deux niveaux d’évaluation
distinct mais complémentaire au niveau du collectif qui a porté l’action : les résultats du
projet, ceux-ci sont à évaluer avec le collectif, Juge, travailleur sociaux et usagers. Les
audiences sont d’ailleurs souvent les lieux ou les informations circulent sur les différents
niveaux de changement, de réfléchir aux procédures et aux moyens proposés permettant de
faire une critique, d’interpréter et de réfléchir ensemble à des valeurs communes de ce qui
a été fait.
L’évaluation du collectif et la pertinence du partenariat : C’est ici le fonctionnement du
collectif que l’on interroge autour des actions menées afin de réaliser les objectifs des
projets. C’est souvent le moment ou les acteurs abordent la qualité de l’adhésion de
chacun, les rôles tenus et parfois abordent les situations litigieuses.
Il est évident qu’en fonction des places occupées le regard sur le projet et les actions
entreprises n’est pas toujours le même notamment si l’on se place au niveau de l’usager,
que des travailleurs sociaux ou des Institutions. C’est finalement la capacité d’interpeller
les autres acteurs qui va être abordée autour des représentations qui sont à l’origine des
incertitudes, voire de la méfiance que peuvent ressentir les divers partenaires vis-à-vis du
projet liée à l’intervention éducative.
2.2) Les inquiétudes : Le poids des représentations
Dans le paragraphe précédent, nous avons vu qu’un projet ne peut se construire sans
partenaire. Chaque institution ou chaque organisation qui s’est engagé dans un partenariat
doit pouvoir vérifier et mesurer la pertinence de ses choix et de ses engagements. Nous
allons maintenant aborder les rencontres entre les acteurs dans la construction et
l’articulation des projets et d’actions communes. Les professionnels de l’intervention
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 70
éducative dans leur grande majorité, évoquent de manière récurrente le risque des dérives
car beaucoup questionnent moins le principe de projet que ses conditions d’élaboration. La
prégnance de la logique judiciaire dans une démarche de projet avec les familles où le
poids des représentations n’est pas sans incidence sur la construction d’une logique
commune. Pour Moscovci, la représentation sociale, est « système de valeurs, de notions et
de pratiques relatives à des objets, des aspects ou des dimensions du milieu social, qui
permet non seulement la stabilisation du cadre de vie des individus et des groupes, mais
qui constitue également un instrument d’orientation de la perception des situations et
d’élaboration des réponses 88
».
2.2.1) Les représentations s’attachant à l’aspect instrumentalisant du projet
Le poids des représentations chez les professionnels a des répercussions dans la
construction du projet d’intervention. En effet, le projet est souvent perçu comme venant
nier le caractère unique de chaque famille. Force est de constater que dans le secteur, les
documents utilisés appelés « projets », projet d’intervention, projet socio-éducatif,
document Individuel de Prise en Charge ou les rapports font davantage références à des
objectifs qu’à des finalités, à une méthode de travail qu’une analyse réelle des besoins et
des contextes, les aspects organisationnels qu’aux références sociologiques. C’est souvent
le projet comme instrument permettant de définir des buts et des objectifs qui est dénoncé.
Le danger est d’agir en incitant voir en obligeant des parents et des enfants à agir en
conformité avec des objectifs définis par et pour eux.
Pour Ludiwine 11 ans d’ancienneté : « On essaye d’avoir un projet mais c’est souvent
difficile. Le projet est très large pour laisser de la souplesse à l’intervenant. Chaque
famille est différente, il faut nous laisser de la souplesse. »
Ou encore : « Le projet, c’est le compromis entre le cadre d’intervention, ce qu’on
comprend des attentes du magistrat, des difficultés de la famille notamment si elle est très
carencée et de ce qu’on est capable de faire. »
« Chacun fait comme il peut, en fonction de son vécu et de son style, on ne m’a jamais dit
comment faire avec les familles, j’ai appris sur le terrain »
88
S. MOSCOVICI, cité par Gustave-Nicolas FISCHER, Les concepts fondamentaux de la psychologie
sociale, Paris, Dunod, 1996, p. 125
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 71
Nous avons compris ses réactions, non pas comme une démotivation mais comme une
difficulté à prendre une distance des conditions réelles d’existences des personnes
bénéficiaires d’une AEMO, mais également et surtout sur le libre arbitre laissé à chacun
pour construire un projet qui souvent est conçu de façon isolée. Toute les personnes que
nous avons entendu, nous ont à chaque fois fait remonter une posture et une éthique
professionnelle, par contre, elles ont pour une grande majorité souligné, les disparités
rencontrées au sein d’une même équipe, avec le sentiment d’agir seul et ainsi prendre le
risque pour chacun d’agir ou de construire une action ou un projet en fonction de ce qu’il
est et des représentations que chaque professionnel peut avoir sur la situation sociale ou
familiale des usagers.
Christelle, assistante sociale depuis 5 ans : « il n’existe pas de conflit, pas de désaccord en
réunion, chacun est dans son coin… On ne veut pas se livrer et parler de nos difficultés de
peur de se sentir jugé. »
Ou encore « nous sollicitons la confiance des familles mais je n’ai pas celle de mes
collègues. »
« Les familles sont carencées, je tente d’agir pour le bien de l’enfant…J’ai pas toujours le
temps d’expliquer ma démarche, je me sens souvent seule dans l’exercice de la mesure ».
Ce débat sur l’aspect enfermant du projet pose la question de la légitimité et du sens de
leur intervention. La volonté d’agir en respectant les libertés des usagers est une valeur
professionnelle à laquelle font référence de nombreux professionnels et est une manière
également d’éviter de trop s’engager vis-à-vis d’une action pouvant heurter des convictions
personnelles. De plus, l’aspect paradoxal que nous avons plusieurs fois soulevé entre
nécessité et liberté, « apporter aide et conseil à la famille… » peut parfois amplifier une
forme d’impuissance qui ressort souvent chez les professionnels.
Cécilia, « On peut tenter de faire évoluer des gens, mais il faut qu’on m’explique pourquoi
il y a tant de retour de situations qui se poursuivent pendant de nombreuses années où
encore pourquoi des mesures non renouvelées reviennent peu de temps plus tard… »
Pour Bruno, « je crois que le problème dans le suivi éducatif, c’est que l’on tente de
répondre trop rapidement à la commande et de ce fait on ne peut avoir une analyse plus
précise des difficultés réelles des familles »
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 72
Ces deux témoignages abordent un problème plus profond autour de l’intervention en
AEMO où les travailleurs sociaux utilisent des moyens d’intervention micro-sociaux, alors
que les solutions sont souvent macro-sociales. Autrement dit l’intervention éducative
s’arrête souvent à une vision capacitaire des usagers, « sont-ils capables ou non de
changer » alors qu’un travail sur les compétences pourrait favoriser un épanouissement des
individus et permettre un changement durable. Le second point relève des contraintes des
tutelles qui rationalise les choix budgétaires, notamment en cette période de crise, la
révision générale des politiques publiques dont le leitmotiv reste « mieux à moyen
constant », l’émergence dans le social de plus de contrôle, d’évaluation des pratiques, de la
démarche qualité, ont conduit les travailleurs sociaux a parfois bruler des étapes dans les
objectifs définis et d’opter pour une attitude plus techniciste où les méthodologies, les
objectifs, le choix des priorités cessent d’être des moyens au service du public, mais risque
de devenir des fins.
2.2.2) Le projet et le risque de dérive, la résistance au projet
Le poids des représentations chez les usagers est un élément important à prendre en
compte dans la mise en œuvre du projet d’intervention. Elle peut avoir pour conséquence
une résistance au projet chez le public bénéficiaire d’une mesure AEMO.Nous l’avons
expliqué précédemment, le travail qui s’applique en AEMO est centré exclusivement sur la
famille. Il n’intègre que très peu les relations qui s’exercent entre la famille et
l’environnement social sauf en ce qui concerne les activités à visées socialisantes de
l’enfant. Or, les interactions entre la famille et son environnement ne cessent d’évoluer.
Aujourd’hui, les situations socio-économiques de certaines familles présentent de telles
multiplicités de problématiques, filiation incertaine, problème d’addiction, montée de la
précarité, que cela rend toute forme d’inclusion sociale difficile notamment auprès de ce
public fortement disqualifié.
Certains parents ne sont pas démissionnaires mais ils ont perdu une part de la confiance et
de l’estime d’eux-mêmes. Un soutien est nécessaire pour leur permettre de les soulager
dans les responsabilités quotidiennes mais également de prendre du recul par rapport aux
problèmes qui les enferment. Il s’agit alors de cibler des objectifs précis qui répondent à un
besoin réel en prenant en considération les conditions d’existence.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 73
Dans le cas où les difficultés les plus graves sont d’ordre socio-économique, intervenir sur
l’individu où sur ses fonctionnements internes risque, comme en témoigne les différents
usagers, de renforcer leur disqualification. Cette configuration s’accentue lorsque le
modèle proposé s’impose aux familles et limite leur marge de manœuvre individuelle
laissant craindre « un assujettissement à la norme »89
.
Madame B et sa fille Clara illustrent ce propos : « J’ai sollicité une aide car je rencontrai
des difficultés financières. Cette préoccupation devenait telle que j’avais des problèmes
pour éduquer ma fille. Contrairement à ce que je pensais je me suis sentie dépossédée de
mon autorité et les éducateurs et la juge me matraquaient pour que je change de vie. Mais
monsieur, c’est ma vie, ils n’ont pas compris ma condition, ma manière de vivre. Ils ont
voulu me prendre mon enfant alors que je voulais améliorer mon quotidien. Changer mais
pourquoi ? Je suis devenu du jour au lendemain une mauvaise mère à l’école de ma fille…
J’ai perdu confiance en moi... »
Ce discours témoigne de l’incompréhension que peuvent ressentir les usagers (parents et
enfants) concernant la mise en place d’un projet dont ils ne perçoivent ni le sens ni
l’intérêt. Par ailleurs, un autre point surprenant, c’est le sentiment de mal être que génère
l’intervention AEMO pour cette maman.
Les représentations de l’intervenant chez les familles sont également à prendre en
considération dans la co-construction d’un projet d’intervention. Les aprioris négatifs
parasitent beaucoup la construction d’une relation de proximité. Pour madame P et ses 6
enfants, « pour nous, monsieur, l’éducatrice du juge, c’était madame l’Etat…»
Pour monsieur F, « avec l’intervention éducative, j’étais père à 1 %... »
Pour madame et Monsieur D et leurs 4 enfants, « l’AEMO, c’est pour aider les parents à
changer sinon elle enlève les enfants. »
Pour un grand nombre de famille interrogées, la crainte de perdre l’enfant, de perdre leur
place de parent, de perdre leur place dans la société, renforcent la vision négative que peut
provoquer l’intervention, « l’AEMO a bouleversé ma vie, les remises en question
incessante m’ont fortement déstabilisé, il m’a fallu du temps pour comprendre…j’ai cru
89
BOUTINET Jean-Pierre : Anthropologie du projet, Paris, PUF, coll. Psychologie d’aujourd’hui, 1992
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 74
perdre mes enfants…et j’ai alors commencé à démissionner de ma place de mère(…), j’ai
préféré jouer le jeu du juge» et va dicter leurs conduites et leurs rapports aux autres
acteurs.
L’AEMO peut en effet, s’avérer déstabilisante si une information le plus lisible possible
n’est pas diffusée laissant alors, les usagers prisonniers de leurs représentations. Il découle
de cette configuration une volonté de toucher les limites de leur autonomie dans un
système sous contrainte. Cette recherche de la liberté d’agir va les conduire à mettre en
place des stratégies notamment si la construction d’un projet d’intervention est vécue
comme l’imposition d’un pouvoir arbitraire. La contrainte se surajoute à la contrainte
notamment lorsque l’AEMO est un facteur de disqualification. Il est évident qu’une grille
de lecture des interactions de chaque acteur ne peut s’effectuer que dans une analyse
systémique permettant de nous aider à mieux cerner les comportements de chacun dans le
cadre de la construction d’un projet dans un système sous contrainte.
Le projet interroge le rapport de chacun au monde, à l’environnement et à sa conception du
modèle à vivre en société. On se situe alors dans le registre des valeurs. Nous savons que
les valeurs sont empreintes d’une forte charge affective, car elles révèlent une dimension
personnelle, acquise principalement lors des phases de socialisation qui vont de l’enfance
dans la sphère familiale à la construction d’identification aux modèles sociologiques que
peuvent fournir l’école, le travail, le quartier, l’environnement social. Poser la démarche de
projet sous cet angle oblige à ouvrir le débat dans le cadre d’une intervention qui
questionnerait les points de divergences, les points de convergences, avec une analyse des
contradictions… forçant ainsi les partenaires (juge, travailleur social et usagers) à se
définir une identité commune au risque de voir un éclatement de la cohésion du groupe.
Les témoignages convergent tous vers une seule idée : l’absence de construction d’un
travail ensemble, de la construction de valeurs communes, d’accorder du temps à tous les
acteurs, conduit inévitablement à l’éclatement du groupe et le projet collectif, dans une
impasse.
2.2.3) Le projet- programme : une commande sociale
Le projet ne peut se résumer à une succession d’objectifs et d’action, il est une
construction sociale qui doit prendre en considération les possibilités de chacun et
s’inscrire dans une volonté commune d’un changement. Dans une organisation sous
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 75
contrainte, la loi accorde aux magistrats le pouvoir de décision relevant de la sphère
éthique et politique. Il est intéressant d’avoir un éclairage sur la manière dont les
magistrats se représentent la complexité des situations familiales et la place qu’ils
s’accordent dans la construction et la mise en œuvre d’un projet commun dans une
triangulaire magistrat-travailleur social-usager.
Pour Madame le Juge B, « il n’y a pas de contrainte puisque les usagers ont la liberté
d’agir ou non… », Ces propos soulignent le bouleversement de tendance chez les juges
des Enfants qui conformément à la loi du 02 mars 2002 réaffirme le principe de
responsabilisation des usagers. Cette attitude manifeste la volonté de dépasser l’usage
mécaniste de l’intervention éducative essentiellement tournée vers une prise en charge
globale vers un accompagnement progressif et moderniste de l’usager dans une place
valorisante. Il semble ainsi, nécessaire de modifier le système des dispositifs sociaux
encore enclin à distribuer aux usagers des aides « clé en main », à des usagers
revendicatifs de « droits à ». Mettre l’usager au centre du dispositif, c’est promouvoir sa
place en tant que citoyen, sa place de sujet de droit en lui offrant la possibilité de devenir
acteur de son changement. Cette nouvelle pratique se confronte à la réalité d’un
fonctionnement social où les services AEMO se présentent comme un soutien et dont les
actions s’apparentent davantage à une forme d’assistance. Cette nouvelle approche a
conduit également les professionnels à revoir leur pratique. L’aide proposée est encadrée et
définie dans le temps. La loi de 2002 et le décret du 14 mars 2002 vont imposer aux
services AEMO de nouvelles contraintes qui vont avoir des répercussions dans l’exercice
d’une mesure.
« Dans les services d’AEMO, cette loi a eu beaucoup de conséquences qui n’ont d’ailleurs
pas fini selon moi de produire leurs effets et qui se sont traduits notamment par les
conditions et la production de documents pour déterminer comment on pouvait faire
respecter ses droits, des parents. On a ainsi élaboré un livret d’accueil, la charte des
droits et libertés des personnes accueillies, les modalités de participation aux
fonctionnements des établissements, comment favoriser l’expression des usagers par des
groupes de travail…et enfin les documents individuel de Prise en Charge… »,
Ou encore : « Ces textes ont introduit une évolution sensible des pratiques professionnelles
en imposant aux services AEMO des contraintes fortes pour respecter certaines
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 76
procédures puisque ce sont ces droits des familles et des enfants d’ailleurs qui ont été
renforcés tout au long de ses dernières années »
L’intervention éducative se met en œuvre dans une enveloppe juridique qui fixe le cadre
d’intervention, les magistrats réaffirment les principes de la loi qui accordent aux usagers
une place de citoyen dans le sens d’agir dans la vie de la cité. A cet égard et en souscrivant
aux principes de la loi, il s’agit de reconnaitre l’usager détenteur de ses droits, de sa
capacité d’agir, de le respecter et de proposer des modalités d’intervention en collaboration
avec l’enfant et ses parents. On peut néanmoins s’interroger sur les représentations qui
agissent dans ce discours qui peut à certains égards être très éloigné des préoccupations
aux quotidiens de familles fortement disqualifiées. Pour madame Rav et son fils Dean :
« lorsque le juge a prononcé la mesure AEMO, des lors tout a basculé, nous avons compris
que nous n’avions plus le mêmes droits qu’avant. On s’est senti rejeté et on a eu le
sentiment d’être trompé, information et dignité, plus je faisais confiance au corps médical,
au corps enseignant à la magistrature, sans parler des équipes d’assistantes sociales, on
est devenu le maillon faible d’un système qui nous a brisé. »Il ne suffit pas d’accorder des
droits pour que les personnes s’en saisissent notamment si leur inquiétude reste figée sur
leurs difficultés d’ordre socio-économique où sur la crainte de perdre leur statut le plus
précieux : être parent. Ce type de traitement social dans le contexte économique de crise ou
le travail a perdu de sa capacité intégrative, dans une société en perte d’identité sociale,
c’est de stigmatiser davantage « les exclus » et de nier l’autre comme un partenaire. Pour
citer Bourdieu ; « Qu’est-ce qu’un citoyen qui doit faire la preuve, à chaque instant ? »
Dans ce cas, on est alors bien loin de la promotion de « l’usager-acteur », de son
expression et de sa participation.
2.3) La participation des usagers-acteurs dans l’institution : une incompatibilité ?
A partir des divers éléments que nous a donné le recueil d’informations des
interviews, il nous parait intéressant d’ouvrir notre propos sur l’impact d’un projet
d’intervention dans le cadre d’une mesure judiciaire afin de mesurer le degré d’implication
lié à la responsabilisation et à la négociation des acteurs en fonction d’attendu trop
prégnant ou dans le cas contraire lorsque la commande sociale est moins précise et nous
croiserons ces données en fonction des caractéristiques familiales.
Lors des entretiens avec les professionnels, nous nous sommes rendu compte que les
travailleurs sociaux abordent les difficultés familiales vues par les phénomènes d’exclusion
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 77
engendrés par le contexte social. Peu font référence à une approche collective ou/et à une
dimension plus politique (à l’échelon de l’association qui fixe le sens de l’intervention).
Les attendus sont de ce fait, perçus comme donnant une orientation, une direction au
travail.
Pour Christelle, une jeune professionnelle : « …Plus le libellé de l’ordonnance est
construit, détaillé, plus il constitue une référence pour le travail à fournir… »
Pour le chef de service, la qualité de l’attendu joue dans la mise en œuvre de
l’intervention : « les attendus du jugement, c’est beaucoup là-dessus que les éducateurs se
basent… »
Pour Bruno : « Il existe des jugements où on trouve généralement l’AEMO visera
à…préparera à…, parfois on a des jugements qui listent nos objectifs de travail avec la
famille. Le projet serait davantage de répondre aux attendus du juge… »
Pour Nathalie : « le mandat, c’est le socle de notre intervention, je fais souvent référence à
cela dans mes interventions. »
Franck : « j’ai l’impression que des attendus trop précis m’enferment dans mon
intervention et mes actions sont davantage des réponses à la commande que sur les
besoins des familles… »
Nous pouvons nous rendre compte que chez les travailleurs sociaux, les attendus d’un
jugement font débat, certains les perçoivent comme un support à l’action éducative,
d’autres pensent qu’il est nécessaire de laisser une part de liberté aux divers intervenants
pour favoriser une participation de chacun. La prégnance fait débat d’autant chez les juges
des enfants, l’évolution de la loi de 2002 et 2007 impliquant davantage les parents, qui
dans une volonté de chercher l’adhésion des usagers, n’hésitent plus à faire des jugements
avec des objectifs déterminés. Pour Madame S, juge des Enfants : « les magistrats doivent
interpréter la loi et fixer un cadre d’intervention. Je rappelle que nous sommes passés de
jugement qui actait l’intervention éducative sans objectif précis (jusqu’à décision
contraire) à une plus grande implication des magistrats qui limitent dans le temps les
interventions et posent des attendus »
Toutefois, nous ne devons pas exclure l’importance des enjeux sociaux liés à la notion
« d’enfance en danger » car le danger comprend une part de subjectivité. Or, c’est cette
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 78
notion de danger qui légitime une intervention en protection de l’enfance et autorise une
investigation dans l’intimité des familles. C’est dans l’esprit de vérifier s’il existe un écart
entre les motifs du signalement et ceux mentionnés dans les rapports que nous avons étudié
en consultant les dossiers, des familles interrogées. Il fut étonnant de voir que dans trois
cas sur dix, il existe un réel écart entre les motifs. En effet, concernant les 3 dossiers, le
juge des enfants mentionnent mésententes familiales et problèmes financiers, pour un
dossier de préparer le placement alors que les professionnels évaluent des parents
immatures et dans le cas du placement préconise un maintien à domicile avec renfort de
TISF (voir Annexe9).
Si les attendus sont reconnus par tous les professionnels et les magistrats comme des axes
de travail, en fonction des rencontres du magistrat avec la famille lors des audiences et
selon la possibilité des familles de recourir ou non à leur droits sociaux, assisté d’un avocat
par exemple, les attendus peuvent ou non se transformer en objectifs d’un projet selon que
la famille est actrice ou non.
Accorder un rôle décisionnaire à un usager, titulaire de droit demande au juge des Enfants
de développer de nouvelles finalités autres que le seul effet pédagogique chez les parents et
l’enfant. 2 points importants :
La finalité doit être compatible avec la volonté du magistrat,
Pour monsieur Pier conseiller à la cour d’appel : « Il y a un grand enjeu, c’est la nécessité
pour les services d’AEMO d’être capable d’intervenir en coopération avec les autres
services sociaux. C’est un sujet complexe car dès lors qu’une AEMO est ordonnée, il
s’’agit d’une mesure unique, les services sociaux du Conseil Général se retirent ou sont
plus hésitants à mettre en œuvre des prestations complémentaires comme des TISF… »
Dans un autre registre, monsieur Pi juge des enfants, « il n’existe pas de système sous
contrainte, la famille garde le droit d’accepter ou de refuser, c’est à elle de manifester sa
volonté. »
La famille doit avoir la possibilité de recourir à ses droits, cela suppose qu’elle est
reconnue comme légitime par les autres acteurs, mais également l’usager doit pouvoir
solliciter ses connaissances juridiques et son expérience face à des experts que peuvent
représenter le travailleur social et le magistrat. Pour les parents interrogées nous avons pu
mesurer les difficultés à pouvoir recourir à la totalité de leurs droits sociaux notamment
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 79
pour les situations ou les personnes semblaient le plus enfermées dans des phénomènes
d’exclusion. C’est souvent les familles les plus aisées, madame Rav et madame B dont les
connaissances et les moyens humains et financiers leurs ont garanti une place dans la
discussion ou ce qui est le cas pour madame RAV conduit à une procédure à l’encontre de
l’Aide Sociale à l’Enfance.
Madame RAV extrait de son entretien : « Monsieur, la procédure est longue mais je tiens à
ce que les personnes qui sont à l’origine de mon supplice reconnaissent leurs erreurs tant
sur le plan médical mais toute la machine administrative et judiciaire…heureusement que
j’ai été accompagné par ma famille et mes amis, que mes ressources financières m’ont
garanti l’aide d’avocats…Monsieur la loi de 2007, qui stipule accorder une place au
parent est une mauvaise loi… »
Toutefois, ces deux cas restent des exceptions. Pour la plupart des familles interrogées, ce
qui revient souvent c’est l’isolement et le sentiment d’impuissance. Pour madame Bech :
« lors des audiences, le juge cite le rapport de l’éducateur puis nous demande notre avis et
on doit en 10 minutes raconter nos vies », pour madame Pat, « on avait beau dire à
monsieur le juge que nous voulions récupérer nos enfants de toute façons il écoutait
l’éducatrice et comme elle ne pouvait pas nous encaisser… »
Si cette forme de gouvernance se revendique comme une innovation démocratique, il
ressort de nos entretiens que cette innovation ne peut se passer d’un processus temporel et
dépend d’un contexte social où l’acteur est plus ou moins enclin à mettre en œuvre cette
participation. Le sentiment « d’inutilité » qui entraine parfois un abandon des participants
concoure alors au manque de représentativité des usagers dans le dispositif. « La plupart
des décisions sont issues de négociation internes aux appareils, à leur segment et à leur
corporation ».90
Il ne suffit pas d’accorder des droits ou de multiplier les dispositifs pour
diminuer les inégalités. En effet, si le principe de la participation semble acquis par tous les
acteurs, c’est souvent les volontaires les « plus aptes » qui composent les instances
représentatives. Nous sommes dans une « société programmée 91
» ou l’homme est capable
d’agir sur son semblable, « société produite dans un rapport conflictuel de domination
culturelle et sa reconnaissance de l’autre ». Pour approfondir cette référence, l’usager est
soumis à une double pression, celle des magistrats et celles des travailleurs sociaux peu
90
F. Dubet, Le déclin des institutions, Chapitre 7, l’Epreuve des faits, Seuil, 2002, p 397 91
A Touraine, Les grandes questions de notre temps, in science Humaine, hors- série n°34, septembre et
novembre 2001
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 80
enclin à se dessaisir de leurs prérogatives. Ils souhaitent maintenir leurs positions et ainsi
rendent la plupart des instances représentantes des usagers en AEMO vidées de leur
potentialité à pouvoir devenir un véritable pouvoir consultatif.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 81
PARTIE III le paradoxe des valeurs ou la confrontation des mondes
Au regard de nos résultats nous pouvons penser que le modèle actuel ne permet pas
à chacun de prendre une place d’acteur dans l’intervention sous contrainte. Dans une
perspective où chacun de sa place opte pour son projet, cette posture ne favorise pas l’idée
d’une démarche collective commune. Le passage d’un monde à un autre fait surgir les
écarts qui existent entre trois conceptions, trois volontés, trois formes de vision qui ne se
retrouvent pas dans le même destin. Dans le chapitre 1, nous allons reprendre les résultats
de notre enquête et vérifier l’opérationnalité de notre hypothèse. Nous allons également
tenter de faire ressortir, d’une part, les freins qui limitent la construction d’un projet
commun en milieu ouvert et d’autre part les facteurs qui permettent de l’envisager.
Le chapitre 2 tente de répondre aux nouveaux questionnements avec l’appui des théories
sur le Développement Social Local, l’empowerment avec l’aide de la sociologie de la
traduction.
Le chapitre 3 est consacré aux préconisations que nous pouvons envisager et répondre en
pratique à notre désir de revisiter le modèle d’intervention actuel.
Chapitre 1 : retour sur l’hypothèse où le changement imaginaire ou
l’imaginaire du changement
Une analyse des résultats obtenus de notre enquête nous apprend qu’il existe un réel
décalage entre les aspirations des politiques publiques qui affirment la liberté d’agir des
usagers bénéficiaires d’une mesure AEMO et ce, en accordant des droits fondamentaux
compatibles avec un minimum social et leur participation à toute élaboration et
construction de projet. Partant de cette définition de l’inclusion sociale, un nouveau modèle
de gouvernance devait favoriser une autonomie des divers acteurs impliqués dans un
système sous contrainte avec une plus grande participation et un accès aux infrastructures
(accès au dossier). Notre hypothèse dans cette nouvelle organisation était de fonder le
projet, outil du changement, comme le point de convergence des objectifs de chaque
partenaire supposant ainsi le respect et la reconnaissance de tous les acteurs. Or, la
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 82
demande sociale qui commande la mesure AEMO n’est pas abordée sous l’angle de la
coopération ou de l’adaptation aux réalités de chacun mais se situe davantage dans une
logique de domination. L’usager apparait souvent dans le discours des familles comme
dominé, non pas comme un interlocuteur audible et dans le non recours à la totalité de ses
droits sociaux devenant un vecteur aggravant d’exclusion.
1.1) L’inégalité des places de chacun des acteurs dans la construction du projet
Le fonctionnement de l’AEMO est-il un dysfonctionnement social ?L’ordonnance d’une
assistance éducative en faveur d’un ou de plusieurs enfants est majoritairement vécue
comme l’intervention d’un acteur extérieur et peut de ce fait apparaitre brutale, même si
elle correspond à un besoin. Elle tend vers un changement. Si pour les majorités des
familles, la mesure judiciaire s’impose à tous par son caractère officiel et symbolique, de
nombreuses tensions apparaissent dans l’élaboration du projet d’intervention. Les familles
situent l’écart entre un accompagnement au changement et les intervenants qui essaient de
le maitriser. Le sentiment d’être dépossédé de ses droits d’une part et de subir une
domination d’autre part est souvent l’enjeu de conflit important dans la conception d’un
projet commun. Pour autant, les familles témoignent qu’une action éducative dans le temps
favorise les échanges, crée une proximité et permets aux acteurs de mieux cerner les
tenants et les aboutissants des situations familiales complexes dans lesquelles ils
s’immiscent. Dans tous les cas, l’intervention éducative est investie par l’imaginaire, par
les représentations des acteurs du magistrat au travailleur social titulaire de la mesure et
surtout des usagers. Ardoino92
suppose que l’on peut parler à la manière d’un
psychanalyste de transfert et contre-transfert. Comme l’intervention éducative est instaurée
à l’occasion de dysfonctionnements familiaux, de blocages notamment dus à des
séparations douloureuses, de dérapages violent verbaux ou physiques, l’action éducative
est supposée apporter aide et conseil, une assistance et parfois une réparation. « Ainsi, les
conceptions du développement des organisations et de la sociothérapie se rejoignent, en
définitive, et s’allient pour la défense d’un certain ordre social93
».
L’analyse sociale d’une situation peut s’avérer dérangeante selon la vision du monde les
références et valeurs culturelles des intervenants et produire des confrontations de monde.
J ARDOINO, L’intervention institutionnelle: imaginaire du changement ou changement imaginaire, édition
ED Payot, Paris, 1980 93
Ibid p 17
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 83
Les considérations d’un magistrat ou d’un travailleur social à produire du changement
s’opposent à la logique d’usage qui se situe dans réponse immédiate à des besoins souvent
primaire, manger par exemple. Ce changement peut remettre en question leurs valeurs, leur
projet de vie, leur réalité sociale…
Dans cette configuration, les deux projets-visée diffèrent par leur relation différente à
l’instituant(le changement, l’innovation) et à l’institué94
(le système, l’establishment). Dans
cette relation à trois, l’usager apparait comme un « acteur faible » bien éloigné des
préoccupations politiques de promouvoir sa capacité d’agir, d’en faire un interlocuteur
privilégié d’une action éducative qui reste une contrainte.
1.1.1) Les usagers = l’acteur faible95
Nous l’avons démontré, les relations dans la construction de projet dans un système sous
contrainte ne sont pas égalitaires. Cette situation n’est pas sans incidence sur la place du
projet. L’origine existentialiste fonde le projet comme une nécessité de la liberté. Pour les
usagers, notre étude démontre que de nombreuses familles parlent de relations avec les
institutions et les services associatifs, souvent fondées sur la domination ou pour utiliser un
vocabulaire plus psycho-affectif de la fragilité, de la vulnérabilité, de la faiblesse.
Dans une perspective d’une meilleure lecture des interrelations entre les participants au
projet, nous parlons « d’acteur faible » en mettant l’accent sur la relation de pouvoir et sur
les capacités des individus. Dans cette perspective, de nombreux témoignages donnent des
exemples
Un système qui présente les parents comme « défaillant, carencé » et les culpabilise.
La relation ne s’inscrit pas dans le cadre d’une négociation mais d’un conflit. De
nombreuses familles témoignent de ce ressenti d’être dépossédé, de ne pas se sentir
investi, de subir…
La construction de situation d’urgence, les ordonnances d’assistance éducative sont
instaurées pour l’essentielle après dysfonctionnement. La mesure AEMO depuis la
loi de 2007 ne peut revêtir un caractère préventif et, de ce fait, enferme les parents à
se construire comme acteur faible
94
Ibid P 21 95
JP Payet et D. Laforgue, F.Giuliani, « La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance », PU
Rennes, coll. « le sens social », 2008, 246p
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 84
Un temps des familles en décalage avec le temps judiciaire, instaurer une relation de
proximité prend du temps, elle implique pour l’intervenant sociale de ne pas
restreindre le temps de présence et d’échanger…attention à trop de paternalisme ou
à l’inverse à l’infantilisme.
Un langage peu ou prou adapté, trop spécialisé et pas accessible
Les écueils dans la construction d’une relation institutionnelle-professionnelle-usager
En fonction des résultats obtenus, nous pouvons identifier 4 principaux écueils à
l’élaboration d’un projet commun :
L’écueil des valeurs, des représentations négatives. L’absence d’un référentiel
commun amène l’ensemble des intervenants à agir en fonction de valeurs
individuelles et laisse place aux représentations sociales. En effet, il est parfois
difficile de ne pas juger l’individu qui ne respecte pas la norme, d’autant qu’il se
construit une attitude, une stratégie pour se protéger de ce jugement normatif. Nous
avons identifié la recherche de faille, la défiance, l’inertie, l’opposition…
L’aveu d’impuissance, le système hermétique qui peut parfois donner l’impression
de se sentir démuni, que la situation est insurmontable…C’est l’attitude de madame
Rav qui pendant tout l’entretien ressasse sans cesse sa frustration de lutter contre un
système qui l’a encore plus « fragilisée ».
L’écueil de la prise en charge, les résistances. Un décalage profond entre la
demande de l’usager (si demande, nous l’avons vu ce n’est jamais clair) et la
commande. Cette différence est importante car elle impacte les interactions. En
effet, la commande est le produit de négociation entre l’usager et l’intervenant, c’est
un contrat régissant les rapports entre les acteurs. Ce contrat stipule, les grandes
orientations du projet, la méthode, le programme et la durée d’intervention (qui est
négociable). La demande, elle, émane de l’usager, c’est un désir, son implication
dépend d’ailleurs de ce désir auquel cas, l’intervention ne répond à rien.
L’écueil de l’injonction à l’autonomie, tous les usagers ne sont pas en capacité
d’agir seul, une mauvaise évaluation de la situation par le professionnel peut
accentuer le phénomène d’affaiblissement et exacerber le sentiment d’impuissance
Une parfaite compréhension de la situation sociale et familiale nécessite « un pas de côté »
important du professionnel. La place de l’usager, loin d’être acquise dépend de la volonté
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 85
des autres acteurs à le reconnaitre, à lui accorder une visibilité, une voix audible et de
travailler ensemble. Un autre regard sur les normes, qui, d’une part, peuvent être
inaccessibles d’un point de vue pratique aux acteurs faibles, et d’autre part, nécessitent
également d’être pluralisées. Notre enquête met en exergue une double difficulté. D’une
part, la disqualification accroit les inégalités d’action et d’autre part les actions des
individus se jouent dans les failles du système.
1.1.2) L’intervenant sociale en AEMO = un agent double
Notre étude met en évidence, chez les travailleurs sociaux, la recherche de leur
identité. Un des points nodaux de cette recherche concerne la question des valeurs. D’une
part, en effet, les travailleurs sociaux se réclament proches de valeurs fortes de type
humaniste accordant à l’usager une place centrale dans la conception et la mise en œuvre
du projet d’intervention. D’autre part, ces mêmes professionnels renvoient les valeurs à
une sphère plus individuelle, plus personnelle et du non-conflit. C’est essentiellement
l’absence de débat sur les valeurs qui finalement est apparu comme le trait dominant dans
les réponses obtenues. L’absence d’un système multi référentiels conduit les
professionnels à fonder leur pratique sur leurs représentations et de ce fait, l’analyse peut
parfois s’avérer « réductionniste ». A l’évidence, il existe un décalage entre le « vouloir
être » des travailleurs sociaux en termes de valeurs et le fonctionnement quotidien qui
questionne le modèle même d’intervention la représentation des usagers. Nous l’avons vu,
il n’est pas aisé pour les travailleurs sociaux de se positionner clairement sur leur place
dans l’élaboration d’un projet d’intervention. Il semble que pour une grande part des
personnes interrogées, les représentations impacte sur les orientations de la mesure
judiciaire. Lorsque Ludwine expose une situation pour expliquer son ambivalence, autour
d’une mère addicte à l’alcool, elle se questionne autour de : doit-elle aider cette maman à
se soigner ou doit-elle protéger son enfant de ses agissements ? Pour sortir de ce dilemme,
certains travailleurs sociaux parlent de « missions » qu’ils remplissent en travaillant pour le
bien des usagers à leur insu et fondent leur posture sur les attendus du Juge. Des lors,
l’intervenant peut se situer dans une posture professionnelle comme étant au service de la
majorité pour socialiser les marginaux et les déviants. Au contraire il peut se situer dans
une volonté de se consacrer à venir en aide aux plus disqualifiés du système et pose
inévitablement la question de comment les travailleurs se sociaux se positionnent dans ce
système. La commande sociale surpasse t’elle la demande ? Pour reprendre les propos de
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 86
Ludiwine : « le contrôle que j’exerce au nom de notre société est-il plus important que
d’apporter de l’aide et cela m’interroge entre dois-je travailler les attendus ou aborder les
vrais problèmes de fond…favoriser des compétences parfois implicites… ». Même si cette
bipolarité est ici un peu simplifiée, nous l’avons régulièrement rencontré sous des formes
nuancées. Karine 1 an d’expérience : « nous remplissons une mission par le représentant
de la société qui nous paie. » ou Gisèle 35ans d’expérience : « nous ne sommes pas les
chiens de garde de la société qui produit elle-même ses exclus… »
On ne peut nier l’incontestable influence qu’exercent les attendus tant sur la construction
du projet que dans les modalités de l’intervention. L’attendu de l’institution fixe la
référence pour une meilleure compréhension de la commande sociale, il pose les grands
axes de l’intervention judiciaire. Il représente un symbole fort, celui de la loi qui s’impose
à tous d’une part, mais également le point d’appuis pour les professionnels, les
représentants de l’institution judiciaire et les usagers d’une obligation de produire du
changement d’autre part. La large majorité des travailleurs sociaux citent les attendus et
l’attrait qu’ils exercent comme favorisant la compréhension de la commande sociale. Ils
n’hésitent pas à se référer à l’évaluation du magistrat dans la réponse aux besoins des
familles, en oubliant parfois leur capacité d’interpellation. Sur ce dernier point, nous
pouvons nous rendre compte que la méthodologie et les procédures d’intervention
marquent, là encore, une réelle difficulté du travailleur sociaux à distinguer ce qui relève
de la commande sociale et de la demande. Nous pouvons analyser qu’en ce qui concerne la
commande, la négociation entre l’intervenant et l’usager est souvent délicate et le contrat
méthodologique (DIPC) par exemple n’est pas toujours compris et saisi par l’ensemble des
acteurs. De plus, l’absence d’informations précises concernant les grandes lignes
stratégiques, la méthodologie utilisée, le programme d’action et la durée rendent souvent le
projet d’intervention illisible et ne répond pas toujours à une demande ou un besoin réel
des familles.
Le changement concerne avant tout le rapport de chacun à la situation et pose le problème
des représentations. Nous concluons sur l’opposition qu’il ressort de notre analyse sur les
valeurs et la place que le travailleur social accorde à l’usager. Elle se situe entre
conditionnement et conscientisation, entre déterminisme social et interactionnisme. Pour le
premier cas, les valeurs sont perçues comme extérieures aux individus transmises par un
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 87
environnement, une réalité extérieure96
, « On observe rien de semblable dans
l’organisme...jamais une cellule ou un organe ne cherche à usurper un autre rôle que
celui qui lui revient ». A l’inverse, Piaget insiste sur les jeux d’enfant et le caractère
d’acteur et de valeurs dans l’expérience en interaction avec d’autres. Le travailleur social
est pour toute ses raisons un agent double détenteur d’une demande et mandaté pour
réaliser une commande sociale. Pour résumer, l’intervention sous contrainte n’est pas
toujours la manifestation d’un contrôle social, d’autres facteurs entre en considération et
notamment la manière dont est perçue l’intervenant par l’usager. La clarification des
représentations de chaque acteur est un passage indispensable pour dépasser les multiples
écueils à la construction d’un projet commun et ainsi favoriser une approche non
« pathologisante » et non normatif dans un contexte normatif.
L’incertitude et les représentations d’une intervention judiciaire renforcent la
disqualification pour des individus à la recherche d’une respectabilité, d’une place plus
conforme. C’est dans cette perspective, que va s’exacerber le sentiment, pour ses acteurs
(affaiblis), d’une faillite familiale et sociale. Il s’agit du facteur déterminant de la
prééminence de l’institution judiciaire. Par ce pouvoir d’influence, elle rappelle qu’elle se
soucie à la fois de l’intérêt général (comme le garant de la norme sociale) et de l’intérêt
individuel de l’enfant. Le changement devient alors une nécessité et il s’impose aux
familles. Cette situation fait apparaitre, dans les relations des Trois acteurs, des places
inégales dans la codécision et dans la co-construction d’un projet ensemble. D’un côté, des
travailleurs sociaux, agent double, d’une autre côté, une institution judiciaire et par
extension l’AEMO plus puissante que jamais et enfin des usagers, « acteur faible » dont la
capacité d’autonomie reste à définir.
1.1.3) Les Institutions « les acteurs clés97
»
Notons tout d’abord, une certaine unanimité de l’ensemble des acteurs du système pour
présenter les magistrats, mais de manière plus globale, les institutions comme les
représentants d’une autorité qu’elle soit politique, juridique ou économique. D’ailleurs, les
personnes interrogées (en majeur partie des magistrats) se présentent comme « titulaire
96
Emile Durkheim, De la division du travail social, PUF, 1992, coll. Quadrige, P. 367 97
Termes de madame présidente du CNAEMO lors du colloque sur les 50 ans de l’AEMO de la
Sauvegarde13.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 88
d’un pouvoir qu’il n’exerce pas en son nom personnel98
» et nous pourrions ajouter mais
au nom d’une norme impersonnelle car le fait de commander lui-même obéit à une norme :
ce n’est pas une liberté arbitraire, ni une grâce, ni un privilège. Cela suppose que l’attendu
du juge s’assimile à une commande sociale.
C’est cette compétence, c'est-à-dire le champ d’intervention des possibles objets sur
lesquels peut s’exercer le commandement qui délimite le pourvoir légitime de la personne.
Face au citoyen, à l’usager ou à un acteur associatif, il ya une hiérarchie de « supérieurs ».
Notre recherche met en exergue cette inégalité de traitement face aux projets. En effet, il
est reconnu par chacun que l’attendu exerce une prégnance forte dans la conception et
l’élaboration du projet. Nous pouvons mettre en lumière dans les propos des professionnels
et des personnes bénéficiaires d’une mesure AEMO, les difficultés à s’opposer à un
magistrat et de ce fait, la faible capacité de négociation des autres acteurs. L’autorité
judiciaire légitime un pouvoir chez de nombreux usagers qui limite le recours à
l’intégralité de leurs droits sociaux. En fonction des résultats obtenus et avec l’appui des
textes de Max weber sur l’autorité, nous pouvons penser que le pouvoir influence le sens
de l’intervention et quelque part le changement proposé dans le projet d’intervention.
Prenons l’exemple de ce magistrat qui ; pendant l’entretien ; nous affirme que la contrainte
ne s’exerce pas réellement car l’usager à le « loisir d’accepter le changement ou de le
refuser ». L’auteur de cette idée fait référence à la loi du 05 mars 2007 qui prône le
principe du débat contradictoire. Il est indéniable à ce niveau de réflexion de se ranger à
son avis. Toutefois, il continue en signalant qu’une absence d’adhésion, les
« parents »s’exposent « à d’éventuelles mesures coercitives ». On se situe ici dans
l’hypothèse, ou si le changement désiré se produit, alors le magistrat a exercé un contrôle
positif, mais s’il produit un changement négatif ou s’il y a des résistances au changement,
il peut renforcer les dispositifs de contrainte. On remarque dans ces propos une carence
profonde de coordination entre les autres acteurs, mais aussi une contradiction dans la
pratique dans les objectifs généraux poursuivis par les institutions et ceux poursuivis par
les pouvoirs publics qui visent une plus grande autonomie de l’usager. Dans cette
organisation, les places de chacun ne sont que trop identifiées et ne favorisent pas
l’expression des autres acteurs, et de ce fait, ne contribue pas à développer une approche
98
Propos repris lors de l’allocution de Madame Soulier, présidente du Tribunal de Marseille lors du 50ème
anniversaire du service AEMO
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 89
collective d’une situation familiale ou sociale. De plus, nous ne pouvons pas ignorer
l’impact de la dimension économique dans la mise en œuvre d’une mesure AEMO.
La dimension économique.
C’est sans doute l’augmentation croissante du coût des dépenses, dues aux actions de
l’Aide Sociale à l’Enfance en faveurs d’un public de plus en plus en difficulté, qui
constitue la dimension déterminante des nouvelles politiques actuelles. Pour la Directrice
de l’aide sociale à l’enfance, la déjudiciarisation dans le département des Bouches du
Rhône n’a pas eu lieu. De ce fait, « l’AEMO a un coût…elle doit agir vite et avec le plus
de résultats possibles ». Cette phrase présente la situation dans laquelle de plus en plus de
structures associatives sont enfermées dans l’exercice de leurs actions éducatives ou
sociales à la recherche de la plus grande efficience possible. De nos jours, la rigueur
budgétaire est un leitmotiv important et un point non négligeable à prendre en
considération dans l’exercice d’une mesure judiciaire. En effet, le magistrat reste le grand
pourvoyeur des mesures éducatives et dans un contexte politique et social qui souhaite
favoriser les dispositifs de droits communs, les directions des associations sont attentives à
maintenir le magistrat comme un interlocuteur privilégié dans la construction et
l’élaboration du projet de l’enfant. Dans cette perspective, les associations ont de plus en
plus perdu de leur pouvoir d’interpellation vis-à-vis des politiques ou du judiciaire. Les
enjeux économiques ont circonscrit le jeu des luttes des places pour favoriser une
intervention éducative plus « rentable ». De multiples procédures enferment toute forme de
créativité éducative, pour des actions programmées précises et déterminées. Cette dernière
remarque à son importance. En effet, selon les sujets-acteurs auxquels se référent un projet,
compte tenu des contraintes actuelles, il peut s’assimiler à un contrôle et perdre ainsi l’idée
de liberté d’agir, de participation sans contrainte, d’une négociation possible…De plus,
l’enjeu financier a conduit les intervenant sociaux dans un paradoxe : d’une part les tutelles
demandent aux associations d’agir en partenaire et d’autre part considère le cadre associatif
comme des prestataires de services. Prenant pour exemple, une mesure ASELL99
et une
mesure AEMO, les deux apportaient à l’usager une prise en charge globale. Aujourd’hui
l’une et l’autre ne peuvent coexister ensemble etc. L’individuation associative prend le
relais dans l’action sociale collective et de ce fait remet en question le principe même du
projet qui est le support des intérêts communs.
99
Accompagnement Social éducatif lié au logement
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 90
En décrivant la manière dont chaque acteur perçoit l’intérêt d’une mesure éducative, nous
avons pu mesurer le degré d’implication et de responsabilité de chacun. Or, la logique
d’exclusion reste présente en dépit des diverses lois (2002 et 2007) favorisant la
participation des usagers. A l’image d’une société inégalitaire nous avons des institutions
inégalitaires avec un impact sur les institutions associatives et d’intervention sociale qui
finissent elles aussi, par se retourner contre ceux pour qui elles existent, les usagers.
L’intervention éducative s’enferme dans une logique capacitaire de l’usager et occulte
faute de temps, de moyens, de pouvoir travailler plus en profondeur sur le développement
des compétences.
1.2) Construire du sens dans un environnement paradoxal
Nous l’avons vu le changement concerne le rapport de chacun à la situation.
Intervenir à plusieurs peut alors enrichir le processus, mais également empêche
l’intervenant de se faire phagocyter par l’usager ou le mandataire. Or, il s’avère difficile
pour les intervenants sociaux d’appréhender de l’intérieur, à partir des individus eux-
mêmes et de modifier leur pratique éducative durablement, mais également leurs
représentations. D’ailleurs, professionnels et usagers s’interrogent sur la portée réelle des
changements liés à l’intervention éducative qu’ils soient organisationnels ou individuels.
Prenons l’exemple de Madame B et sa fille Clara, avec le recul de 2 ans, elles parlent de
l’impact de l’AEMO dans leur fonctionnement quotidien. « Monsieur, ma fille et moi, on a
pas changé, nous avons toujours nos fonctionnements, nos valeurs…. Mais pendant la
mesure du juge on a fait ce que l’éducateur nous disait…par contre, il nous a fait voir ce
qu’il n’allait pas…je ne sais pas si on a changé, je ne pense pas. ». Nous abordons ici, les
stratégies d’acteur. Elles expriment la ou les manières dont les acteurs sociaux gèrent les
rapports aux projets, les contraintes et les déterminations extérieures en fonction de leurs
propres ressources. Or, l’émancipation des participants, la capacité d’une population en
souffrance ou disqualifié à devenir auteur, « s’autoriser à » semble s’inscrire dans un
ensemble de valeurs humanistes pour ne pas dire idéales. Néanmoins, les rapports sociaux
sont en partie déterminés par une relation que l’on peut qualifier de subordination.
Beaucoup de professionnels distinguent la pratique idéale : où les intervenants sociaux sont
tenus de s’abstenir de toute manipulation du processus : tout doit être dit, négocié et
réajusté, d’une réalité qui met en tension un phénomène organisationnel, « je peux
contrôler une procédure, je n’ai pas toujours les moyens d’évaluer le processus » comme
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 91
l’exprime Bruno éducateur, puis d’ajouter : «il est impossible de connaitre la réalité d’une
situation familiale en suivant 30 mesures d’AEMO ». Chacun des acteurs est conscient
qu’il est nécessaire de contractualiser davantage avec les familles et que le projet est en fait
un programme. Une succession d’action visant essentiellement à répondre à la commande
et qui ne s’inscrit pas dans une visée pédagogique. Le propos de Bruno souligne la
difficulté des professionnels d’agir sur les causes profondes des dysfonctionnements mais
d’envisager l’intervention comme un ensemble d’action visant à réduire les écarts avec la
norme. Cette distinction est fondamentale. Elle souligne les limites du modèle actuel, avec
un lien de subordination entre les acteurs, une rentabilité de l’intervention éducative, une
inégalité des acteurs dans l’élaboration du projet et de ce fait une faible implication en
fonction des places occupées. Les professionnels plaident également à plus de prévention
en amont, pour une plus grande sensibilisation des parents et de l’enfant.
En conclusion, le projet en AEMO ne vise pas à modifier en profondeur les
fonctionnements familiaux ou sociaux mais de permettre à la famille et à l’enfant de
prendre conscience de ses difficultés par des actions programmées visant à les résoudre.
1.3) Le projet comme une contrainte
Comment expliquer que le projet soit devenu à ce point un passage obligé dans la
construction d’une intervention éducative ? En s’appuyant sur les travaux de Marie-
Christine Jaillet100
et en fonction des divers témoignages obtenus dans le cadre de notre
enquête, nous proposons l’idée que le projet constitue un des effets de l’individuation de
nos organisations sociales actuelles. Les familles et les enfants n’ont plus les mêmes
références sociologiques et ne se reconnaissent pas dans le projet social proposé. Pour
Ehrenberg101
, la situation tranche avec celle que nous avons connue par le passé où les
déterminismes sociaux pesaient davantage. Prenons ce témoignage de Franck, éducateur
spécialisé depuis 13 ans, « par le passé, les jeunes s’identifiaient à l’intervenant,
maintenant ils ont d’autres références sportives, culturelles qui ne sont pas toujours en
adéquation avec mes conseils éducatifs ». L’individu aspire à la fois à son autonomie et à
son épanouissement, il est désormais appelé à être auteur de son histoire. Cette liberté de
choix, de son mode de vie, de ses activités légales ou illégales conduit les individus à
100
MC. Jaillet, de la généralisation de l’injonction au projet in revue EMPAM n°45, L’inédit du projet, ed. Erès, Ramonville St-Agne, 2002. 101
A. Ehrenberg, Le culte de la performance, Calmann-Lévy, Pluriel, Paris, 1991, 323p.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 92
exprimer un projet, à se projeter dans un lieu ou une situation mais place l’individu dans
l’obligation de la faire. On se situe dans le culte de la réussite avec une transformation
majeure, le déclin des disciplines collectives vers une montée de l’individualisme102
où
l’individu sous prétexte de rechercher son autonomie se retrouve seul confronté à
l’incertain. Incertitude qui est bien évidemment différemment appréciée selon le degré
d’inclusion sociale.
Cette forte pression d’accomplissement, les travailleurs sociaux la connaissent et ils
rappellent souvent que certains usagers sont placés dans une situation de vie matérielle ou
psychique trop précaire pour être compatible avec la moindre capacité à se projeter hors de
l’exigence du quotidien le plus prégnant. Monsieur F illustre ce propos, « madame l’Etat
(l’assistante sociale) me demandait d’aller voir ma fille sur Marseille pour maintenir le
lien Père-fille. Mais en habitant Lyon, il m’était impossible d’assumer financièrement les
trajets régulièrement…Je ne lui en veux pas, c’était une demande du juge, elle a essayé de
me trouver des financements…», cet autre exemple est également significatif de madame
B : « Le jugement me donnait la possibilité de récupérer mes filles, 3 jours semaines, sans
prendre en considération ma situation sociale, pas d’électricité et pas de revenu… et en
audience, comme je n’ai pu les prendre régulièrement le juge me qualifie de mère
démissionnaire… J’ai craqué Monsieur…»
Les interviews ont également fait ressortir l’idée d’un projet- bilan de compétence. C’est la
situation où le juge ou les intervenants sociaux évaluent les compétences voir les capacités
des parents ou de l’enfant à sortir de la situation actuelle et de se rendre conforme à la
commande. A cet effet, le bilan se présente comme un moyen, souvent validé sur un plan
institutionnel ou associatif pour traiter les difficultés sur un plan rationnel. L’idée est de
définir et de lister les potentialités de l’individu. Pour de nombreux professionnels, cette
méthode d’intervention évite les pièges d’une intervention arbitraire, une mobilisation de
l’individu et elle apporte une perspective qui permet de créer un espace de liberté.
Nous aborderons le projet-représentation qui a été également cité. C’est lorsque les
représentations des acteurs structurent la réalité sociale et lui impose une forme. C’est
souvent le cas lorsque démarre la mesure AEMO. Les familles sont enfermées dans des
stéréotypes, « l’éducateur va m’enlever mes enfants », d’idées préconçues, « les parents en
AEMO sont des parents carencés », ou « le magistrat a un rôle de régulateur ». Au pire, le
102
A. Ehrenberg, L’individu incertain, Hachette Littérature, 1999, Paris, 351 p.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 93
projet reste une chimère, un souhait, au mieux, il s’apparente à la méthode Coué mais ne
répond pas aux besoins réels.
1.4) Conclusion : un projet d’acteur mais pas de partenaire = hypothèse invalide
En début de mémoire, nous avons réalisé un état des lieux concernant les interactions entre
les divers acteurs d’une mesure judiciaire de type AEMO. Nous avons constaté les réelles
difficultés à élaborer un projet commun ou chacun de sa place pouvait envisager un
changement. En fonction du système dont nous avons mesuré les limites, nous avons
proposé l’hypothèse suivante visant : Dans un système sous contrainte de type AEMO, la
co-construction d’un projet d’intervention (point de convergence des intérêts de chacun
des acteurs) repose sur la reconnaissance et le respect des acteurs et de leur position
interactive
Nos résultats démontrent que de trop nombreux conflits viennent entraver la pratique de
projet dans une intervention éducative judiciaire. Les divers enjeux sociaux que recouvre
la notion de projet démontrent que dans notre société contemporaine, l’individu ne peut
exister sans projet. Il est devenu un outil indispensable, évaluable et interrogeable à tout
moment et apparait par bien des aspects comme une nouvelle contrainte sociale. En
AEMO, le décalage est encore plus prégnant tant la complexité des relations entre les
acteurs rend délicate toute approche démocratique. Les relations de subordination se
résument souvent à un intervenant « expert » diligenté par le juge pour « réparer, contrôler,
modifier les dysfonctionnements » d’un public que nous avons baptisé l’acteur « faible ».
Une approche trop technique peut conduire à morceler, découper un temps d’intervention
et ne plus susciter le débat, la négociation. La conséquence directe, c’est de ne pas
permettre à l’usager une implication nécessaire pour engager sa responsabilité dans la
construction d’un « agir ensemble ». Par ailleurs, le projet s’apparente bien souvent à un
programme où les actions rythmées par une méthodologie ou plutôt des procédures
s’inscrivent davantage dans une rationalisation des coûts. Par bien des égards, nous
pouvons penser que la part de responsabilité des usagers tant souhaitée par les pouvoirs
publics, n’est autre que le reflet d’une nécessité financière qui conduit certains acteurs à
parler de partenariat sans se soucier des responsabilités qu’implique le terme, mais
seulement dicté par le déficit de moyens, et non par le désir de faire mieux ou de faire
autrement.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 94
A l’issu de ce travail, aucune affirmation n’est de mise. L’hypothèse que nous avons
formulée est invalidée. La place des acteurs ne permet pas une négociation dans le temps et
les enjeux financiers sont devenus un facteur à prendre en considération. Par ailleurs, la
différence entre commande et demande dont sont confrontés les travailleurs sociaux dans
leur pratique de projet, nous semble se dessiner plus nettement. Ce dessin est encore flou
mais pour en saisir les contours nous souhaitons proposer une nouvelle hypothèse :
Susciter la participation et l’implication des acteurs en AEMO dépend d’une
compréhension des référentiels qui animent les politiques et les divers acteurs dans
une intervention sociale.
Chapitre 2 Un modèle à revisiter
A L’issue de ce travail, aucune affirmation n’est de mise. Nous pouvons envisager
quelques chantiers à ouvrir. Les freins et les opportunités ainsi que les contradictions du
système actuel se dessinent toutefois plus nettement. Ceux-ci sont le résultat d’une réalité
complexe qui s’ancre à la fois dans des facteurs matériels objectifs et d’un système de
responsabilité individuelle appliquée aux intervenants et aux publics.
Dans ce chapitre, après un rapide rappel des résultats de l’étude, nous proposons une
définition du Développement comme nouvelle démarche favorisant l’implication et la
participation des acteurs à un projet global, le troisième point aborde la nécessité d’un
diagnostic partagé et une évaluation participative.
2.1) Rappel des résultats de l’étude et perspectives
Nous avons vu que plusieurs facteurs pèsent sur la volonté des intervenants mais
également ont un impact dans la relation entre les acteurs :
Une évolution croissante des contraintes budgétaires avec une rationalisation des coûts, des
quotas minimaux de mesure, un pouvoir politique qui demande des réponses immédiates…
pèsent lourdement dans le fonctionnement et les marges de manœuvre qui peuvent exister
en AEMO.
Un public en mutation, dont la complexification des problématiques interpelle sur la place
que peuvent occuper ces familles. Les travailleurs sociaux ont bien conscience d’agir dans
un contexte socio-économique dégradé engendrant de l’exclusion et dont les missions de
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 95
l’AEMO intègrent une dimension complexe auxquelles les familles ne peuvent pas
toujours accéder (apporter aide et conseil, l’approche leur échappe souvent).
Beaucoup de facteurs concourent à faire l’impasse sur la question du sens. L’absence d’un
réel débat sur les valeurs, les limites des politiques sociales actuelles et les techniques
d’intervention au niveau des références théoriques mais également de l’analyse
individuelle par les intervenants de situations sans cesse plus complexes conduit les divers
acteurs à se réfugier soit dans la loi soit dans une technicité afin de rationaliser
l’intervention.
Ceci n’est pas sans effet sur les divers intervenants qui mettent en exergue cette souffrance
sociale103
qu’ils vivent bien souvent par le poids du contexte économique. Les interactions
entre finalités de l’intervention (commande sociale, projet associatif et projet avec les
familles) et les objectifs de la protection de l’enfance ne sont pas clarifiés .Notre étude a
mis en évidence un point important, une trop grande régulation nuit à l’autonomie et à
l’inclusion des usagers et une plus grande inclusion des usagers réduit le contrôle exercé
par les autres acteurs de l’AEMO.
Devons-nous pour autant penser que le système actuel sur lequel fonctionne l’AEMO est
voué à une impasse. A ce jour, il reste le pire des systèmes à l’exception de tous les autres
pour paraphraser Winston Churchill104
. L’enjeu est ailleurs, c’est celui du vivre ensemble
dans un registre républicain qui n’envisage l’autre que dans l’intégration. Or, de nouvelles
notions apparaissent fondées sur une logique participative, dans une prise en compte de
plusieurs dimensions où les systèmes d’acteurs interagissent et agissent pour concourir à
co-construire une action collective qui vise à promouvoir une synergie des acteurs. En
s’inspirant des diverses théories liée au Développement Sociale Local, et en formulant une
approche basée à la fois sur la confrontation d’idée et une démarche participative, nous
nous proposons d’envisager plusieurs perspectives.
103
E Durkheim, Le suicide, PUF, coll. « quadrige grands textes », 2007, 463 p 104
« La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres »
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 96
2.2) Le Développement Social Local
Définition
Le développement Social Local est un concept largement repris par l’ensemble des
acteurs institutionnels et de la société civil qui recouvre des réalités diverses. Pour le
dictionnaire critique de l’action sociale : « le développement local est un processus qui
permet d’inventer certaines solutions aux problèmes économiques et sociaux et de les
mettre en œuvre avec ceux qui en sont les acteurs et les bénéficiaires.105
»
En France, le Développement Social Local est apparu lors de la prise de conscience des
politiques d’aménagement du territoire de trouver une alternative à une stratégie « top-
down » descendante qui n’était pas pleinement efficace pour une stratégie « bottom up »
approche ascendante, qui apparait comme un principe de la démarche du DSL.
Nous citerons la définition de Xavier Greffe106
: C’est un processus de diversification et
d’enrichissement des activités économiques et sociales à partir de la mobilisation et de la
coordination de ses ressources et de ses énergies. »
Pour Philip Mondolfo107
: le développement social est une pratique multi dimensionnelle
qui distingue quatre manières de « faire » du développement :
Le faire pour, faire avec, faire part, faire durable. Pour lui, la notion de développement est
multi dimensionnelle car elle est à la « croisé de facteurs, s’attachant à valoriser
efficacement les richesses internes et externes afin de répondre aux besoins humains et
essenties dans la domaine de la santé, de l’éducation, des droits politiques, de la
sécurité. »
Pour résumé, Le projet de développement a pour but d’intervenir face à une situation
donnée pour la rendre plus conforme aux principes, systèmes de valeurs et à l’idée que les
acteurs responsables du projet se font de la société. C’est un processus volontaire et
valorisant les ressources internes et externes.
105
J.Y Barreyre (sous sa direction), Dictionnaire Critique d’Action sociale, éditions Bayard, coll. « Travail
social », Paris, 1995, p. 129 106
Citation tirée dossier d’étude N°70, juillet 2005, Le développement Social Local, Les acteurs, les outils,
les métiers. CERAT. Institut d’Etude Politique de Grenoble. 107
P. Mondolfo, Travail social et développement, Dunod, Paris, 2001
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 97
Les principes du Développement Social Local
Comme le dit Jean-Louis Sanchez, délégué général de l’ODAS108
, « notre regard médico-
social est plus axé sur les faiblesses que sur les potentialités des personnes. L’objectif
premier ne doit pas être seulement d’accompagner les familles en difficulté mais d’éviter
qu’elles le deviennent. D’où le concept de prévenance ou de développement social,
réponse à une crise qui atteint aujourd’hui l’ensemble de la société. »
Le Développement Social Local109
privilégie une démarche ascendante créant les
conditions d’une participation des habitants. Ses principales orientations visent à :
Favoriser une citoyenneté active par laquelle les individus deviennent acteurs et
auteurs (s’autoriser à) de leur changement
Créer les conditions d’une véritable expression des usagers, qu’elle soit
individuelle ou collective, et générer des modes de concertation et de coopération
avec les institutions (école, Conseil Général, commune…) et le secteur associatif
local.
Favoriser la lutte contre toutes les formes d’exclusion ou de disqualification
sociale liée à l’ouverture d’une mesure AEMO.
Une des originalités du Développement social local, c’est la volonté de chercher un
système stable de normes et de significations partagées par l’ensemble des acteurs et de
leurs éviter une interprétation de la réalité et « invente la vie dans un bricolage
permanent 110
».Le projet de développement a pour but d’intervenir face à des situations
jugées par le magistrat, pour rendre la situation plus conforme aux principes, aux systèmes
de valeurs et à l’idée que les acteurs, responsables et impliqués, dans le projet se font de la
société. Dans cette perspective, toutes formes d’intervention judiciaire doit prendre en
considération une dimension sociale, culturelle, économique et fait des lieux de vie, des
territoires, des espaces de projet.
Les enjeux du Développement social local
L’un des principaux enjeux du Développement social local c’est de passer, pour les acteurs
les plus faibles et les exclus et plus particulièrement dans un système sous contrainte
108
Observatoire de l’Action Sociale Décentralisée 109
Définition largement inspirée de JM. Gourvil et Michel Kaiser, Se former au développement social local 110
A. COULON, L’éthno-méthodologie, PUF, Que sais-je, 1987, p 26
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 98
judiciaire, de l’indignité à la reconnaissance. Il ne s’agit pas ici d’occulter la mise en
danger de l’enfant souvent à l’origine d’une mesure judiciaire mais de se doter d’outils
pour éviter que cela se reproduise autant que faire se peut, en impliquant les parents et
l’enfant à participer à l’intervention éducative. Nous nous situons dans une quête de sens.
Or, dans le contexte judiciaire, il n’appartient pas à l’usager de préciser, seul, quels sont les
problèmes qu’il rencontre et sur quoi les objectifs de l’intervention vont porter. On peut
parler « d’acteur dominé ».
Un acteur dominé ne veut pas dire qu’il est docile ou passif mais fait néanmoins référence
à la subordination des acteurs que nous avons mis en valeur dans ce mémoire dans le cadre
d’une mesure judiciaire. Or, un système de contrainte exclut l’acteur le plus faible. Du
moins, c’est ce que pense Alain Touraine lorsqu’il met en évidence les dangers de la
sociologie de l’ordre qui ne laisse pas de place aux mouvements, aux changements et donc
à la liberté. Dans le même registre Paulo Freire dans la pédagogie des opprimés : « Le
développement est un processus volontaire des forces endogènes, il met en action une
synergie pour enclencher une dynamique de projet global, auto-entretenu111
». Autrement
dit les incitations relevant de la régulation sociale ne sont que des contraintes, mais aussi
des opportunités à travers lesquelles les dynamiques d’actions collectives peuvent évoluer
tout en restant sous le contrôle de ceux qui les conduisent. Le processus de développement
pose la question de l’environnement (quand il est ressource) dans ce qu’il a d’inventif et de
potentialités et des rapports qu’entretiennent les individus et les institutions. Le
développement social local est le support à une gouvernance démocratique qui favorise
l’émergence d’un pouvoir partagé entre plusieurs acteurs qui participent « le plus
possible » au processus de décision. Pour Hall, il parle de « tournant Gramscien112
», c’est
l’idée que les acteurs dominés ont aussi une influence et un point de vue si tenté qu’ils se
regroupent. Dans ce modèle l’intérêt général ne peut plus être considéré comme supérieur à
l’agrégation d’intérêt de particulier. Le projet est alors le résultat de rapport de force et,
toute action menée, même avec délégation de service public doit systématiquement être
soumise à des procédures d’évaluation « en amont » en fonction de critères objectifs
multiréférentiels.
111
P. N. Denieuil et HoudaLaroussi- Dossier d’étude N°69, juin 2005, Le développement social local.
Origine et filiation, t. I, laboratoire de sociologie du changement des institutions, IRESCO, Paris 112
A. Beitone, C. Dollo, J.Gervasoni. C. Rodriguez, Sciences sociales, éditions Dalloz, coll.sirey, 2009, Paris,
p.495
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 99
Le grand principe du développement social local reste la lutte contre l’habitus113
, celui
d’une culture fondée sur un classement hiérarchique allant du plus légitime au moins
légitime. Comme nous l’avons souligné par ailleurs, la multiréférentialité permet
d’échapper à une analyse réductionniste des situations. Dans la mesure où plusieurs
individus entreprennent d’élaborer un projet ensemble, ils interagissent. Les relations de
pouvoir restent incontournables entre partenaires. Toutefois, la communication est le point
central par laquelle les échanges d’information se réalisent. En apparence, c’est un langage
commun, unique mais qui souvent peut traduire des représentations liées à son histoire et à
son rapport aux autres, aux croyances, à des valeurs, à une culture, à des émotions qui
finalement sont souvent des langages bien différents. Entre autre acception de la
multiréférentialité, nous optons pour celle d’Ardoino : « Assumant pleinement l’hypothèse
de la complexité, voire de l’hyper-complexité, de la réalité à propos de laquelle on
s’interroge, l’approche multiréférentielle se propose une lecture plurielle de ses
objets(pratiques ou théoriques), sous différents angles, impliquant autant de regards
spécifiques que de langages, appropriés aux descriptions requises, en fonction de systèmes
de références distincts, supposés, ou reconnus explicitement non-réductibles les uns ou
autres, c’est-à-dire hétérogènes.114
». En s’appuyant sur cette définition, nous pouvons
mesurer combien la pratique de projet, notamment en AEMO ou ce dernier est
« commandé » à partir d’injonction judiciaire, contient, à partir d’une même notion, des
sens différents selon la perception des acteurs. A cet égard, l’approche multiréférentielle
est un outil pour lutter contre une communication à double contrainte de Bateson115
et
favorise ainsi l’implication de chacun.
Alain Touraine pense qu’il est possible de rendre compatible égalité et différence, il prône
un principe universaliste qui garantirait la communication entre les individus et des
groupes sociaux et culturellement différents : « il n’y a pas de société multiculturelle
possible sans un recours à un principe universaliste qui permette la communication entre
les individus et des groupes sociaux et culturels différents116
». Il précise par ailleurs, que
cela est possible, s’il n’appartient pas un intérêt supérieur qui définit le normal et le
déviant : « mais il n’y a pas non plus de société multiculturelle possible, si ce principe
113
Concept mis en évidence par P. Bourdieu. 114
J. Ardoino, paru dans Pratiques de formation –analyses, Université Paris 8, Formation permanente, N°25-
26, janvier-décembre 1993, « L’approche multiréférentielle (plurielle) des situations éducatives et
formatives ». 115
Op cit. 116
A. Touraine, Pourrions-nous vivre ensemble ? Egaux et différents, Fayard, coll. Biblio essai, 1997, p. 494
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 100
universaliste commande une conception de l’organisation sociale et de la vie personnelle
qu’il soit jugé normal ou supérieur aux autres. » Dans cette perspective, il s’agit de ne plus
se montrer un « consommateur » d’action sociale passif mais se montrer capable de recul
critique à l’égard de la production de service et du contenu des prestations tout en évitant
les stratégies et les freins au changement en invoquant par exemple des « alibis culturels ».
La pluralité des acteurs favorisent une « approche globale117
». Elle implique de réfléchir
sur ses pratiques et de concevoir les changements, de les mettre en œuvre et de les évaluer
pour procéder à d’éventuels réajustements ensemble. Cette approche vise à émanciper les
participants ou les populations en souffrance, les exclus, qui s’autorisent (être auteur de)à
se positionner individuellement et de s’inscrire dans un groupe.
2.3) Conflit de proximité et coopération
Un autre enjeu du développement social local vise à proposer un nouveau lien social basé
sur la coopération ou le conflit (dans l’optique de rechercher une réaction) des divers
intervenants. Le risque est une des caractéristiques de nos sociétés modernes et la gestion
du risque en AEMO est aussi un sujet de préoccupation pour l’ensemble des acteurs. En
effet, la gestion du risque n’est pas la même en fonction de la place que l’on occupe dans
l’organisation. Cette problématique du risque est développée par de nombreuses théories et
peut s’apparenter à une critique de notre société moderne qui tend à intensifier des
phénomènes globaux (telle la mondialisation) et une montée en puissance de
l’individuation avec une recherche des individus de la plus grande autonomie. Cette
opposition se retrouve dans nombreuses strates de la société.
Les conflits de proximité plus particulièrement dans le cadre du développement local nous
intéressent davantage car ils apparaissent à l’intersection de l’expérience individuelle et de
l’action collective. En effet, l’individu en quête constante d’autonomie, opte pour des
postures parfois contradictoires, un temps se montrant distant vis-à-vis des institutions et
en recherche d’appropriation des instances collectives locales. Pour faire face à ce
dilemme, le Développement Social Local tente de favoriser la construction d’instance
locale permettant aux individus d’orienter davantage le changement118
.
117
R. Barbier, La recherche-action, Economica, coll. Anthropos, Paris, 1996, 109p 118
P.N. Denoeil, H. Laroussi, dossier d’étude N° 69, juin 2005, Le Développement Social Local, origine et filiation, Tome 1, Iresco, paris.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 101
Pour Gilles Sénécal119
de l’INRS-Urbanisation, culture et société-, il est réducteur de penser
le conflit de proximité comme une opposition entre individualisme et la société, il est
nécessaire de l’envisager au niveau des espaces géographiques. Ainsi, de nombreux
auteurs utilisent sans renier leur ancrage géographique, les termes d’acteur,
d’interactionnisme symbolique, d’intervention sociale, d’individualisme méthodologique
au niveau du territoire. Les espaces et les lieux de vie des individus occupent désormais,
une place importante concernant les concepts et les méthodologies qui s’intéressent à
« l’identification de la dimension individuelle de la société », une manière de percevoir
l’individu, acteur (spatial) utilisateur de stratégies lors de ses interactions avec d’autres
opérateurs.
Le conflit de proximité est une fenêtre sur les milieux de vie et les relations entre acteurs
locaux qui construisent des situations où est abordée la perspective de changement. Cela
renvoie à des situations partagées par les acteurs dans lesquelles se nouent les interactions
sociales. Pour Erving Goffman, le conflit de proximité se comprend comme un rituel
d’interaction.
Une approche sociologique du conflit est inséparable d’une option psychologique,
philosophique, sociale générale selon que l’on considère l’individu ou la société comme
source du conflit. On distingue les sociologies du conflit et celles du consensus ou de la
cohésion sociale. En effet, on ne peut mélanger des auteurs comme Karl Marx qui met
l’accent sur la lutte des classes et qui élabore des outils de compréhension de la production
et de l’appropriation de richesse et Raymond Boudon et Bourricaud, par exemple lorsqu’ils
parlent des interactions individuelles.
Le terme conflit recoupe une multiplicité de formes observables, à des échelles fortement
variables, d’un conflit entre états (qui peuvent aller jusqu’à un conflit armé) aux conflits
interindividuels entre désirs et normes sociales. Les conflits sont souvent l’expression
d’antagonismes ouverts entre des individus ou des groupes d’individu, l’objet étant de
modifier le rapport de force. Dans le cas d’une mesure AEMO, le nombre d’intervenant
(triade : usager, travailleur social, Juge des Enfants) va générer, selon Caplow120
, la
probabilité d’émergence d’alliances ou d’arbitrage fort.
119
G. Sénécal, cahier de géographie du Québec, vol 49, n°138 déc, p 277-285 120
T. Caplow, Deux contre un, Armand Colin, Paris, 1971
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 102
2.4) La sociologie dit de l’individualisme méthodologique
Aujourd’hui en France, une grande part de la sociologie dominante repose sur ce
que l’on appelle l’individualisme méthodologique qui fait des acteurs individuels, les
éléments premiers de l’analyse. Ce courant repose sur l’idée qu’un phénomène social
s’explique par l’agrégation de comportements individuels. L’acteur va rechercher dans son
action à maximiser son intérêt et va ainsi rationaliser ses choix. Or les comportements
individuels constituent autant de source de conflit de tout genre et dans un système fait
d’interactions et d’interdépendances (une société par exemple), les conflits seraient autant
de dysfonctionnements, d’effets de composition121
(effets pervers) qui seraient le résultat
de l’addition de comportements individuels mais non prévus par les acteurs dans leurs
calculs. BOUDON et BOURRICAUD vont également approfondir leur réflexion par
l’étude de comportement, notamment la formalisation des choix et des rationalités des
acteurs. Selon Raymond Boudon, la logique du conflit, c’est la logique de l’interprétation
des situations par les acteurs qui choisissent des degrés de coopération et de conflit
souhaitable pour eux, des comportements stratégiques122
, où le problème n’est plus la
complexité de l’information mais l’incertitude sur le comportement et les caractéristiques
d’autrui, en faisant référence à la théorie des jeux (le dilemme du prisonnier), des
asymétries d’information, etc…
La théorie sociologique a mis l’accent sur la discordance fréquente entre les objectifs
recherchés et les résultats obtenus. Des effets pervers peuvent résulter de l’agrégation de
comportements rationnels individuels.
On oppose d’ailleurs cette conception du conflit à la sociologie de la régulation. L’idée est
de cerner comment l’individu fait valoir ses propres intérêts et s’engage à les défendre dans
des relations de réciprocité. Dans ce cas, le conflit est d’abord un débat sur les normes
sociales qui régissent les interactions sociales dans les situations de proximité.
Pour autant, elles ne sont pas incompatibles. Le conflit reste un temps de débat. En AEMO,
nous parlons de favoriser le principe du contradictoire, qui apparait, avant tout, comme des
tentatives de construire des normes sociales qui régissent « le vivre ensemble ». La
négociation et la concertation permettant de rechercher des objectifs communs et de
121
R. Boudon, La place du désordre, Paris, PUF, 1984 122
R. Boudon et F. Bourricaud, « Dictionnaire critique de la sociologie », PUF, Quadridge dico poche,
paris, 2004, 713 p
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 103
réguler sa vision du changement. Pour citer Fabrice Dhume, « il faut réintroduire de la
contradiction, la critique, la tension qui est au cœur même de l’action(…)Travailler
ensemble, c’est d’abord et essentiellement produire du conflit, du désaccord…et donc se
confronter et négocier. Refuser cela, ce n’est ni plus ni moins refuser de travailler
ensemble ; c’est se cantonner à la surface et glisser sur les choses, produire des coquilles
vides et des discours de bonne intention… sans assumer sa responsabilité dans le
processus de changement123
. » C’est dans cette état d’esprit que doit s’envisager l’acteur
réseau de l’école de la traduction. C’est une approche qui privilégie l’étude des actions
collectives notamment des jeux d’acteur, dans une situation de conflit. D’aucun parle
également d’approche de la transaction sociale ou de démocratie technique. La thèse de
l’acteur réseau retient la notion d’acteur stratégique et de zones d’incertitudes de la
sociologie des organisations de Crozier ainsi qu’un intérêt pour l’étude des controverses
empruntées aux démarches de démocraties participatives. Les forums hybrides124
reposent
sur l’idée de coopération et désignent les dispositifs de regroupement réunissant des
individus et des groupes dans le but de traiter des risques, de faire l’inventaire des choix
possibles et de définir un projet commun. C’est également une manière de décrire le
processus par lequel les acteurs en situation d’inégalité, interagissent pour définir du sens
et des valeurs communément partagés.
2.5) La question des espaces en AEMO et de référentiels communs
En AEMO, les questions des espaces et du territoire sont essentielles car
l’intervention éducative intervient à la fois dans un espace public et un espace privé. D’une
part, elle intervient dans un espace public car les comportements familiaux sont
suffisamment dégradés pour nécessiter une intervention publique et d’autre part,
l’intervention judiciaire se déroule dans un espace privé. Jean Bernard Dumortier distingue
4 directions à explorer : l’intime et le public, la notion d’espace symbolique, la notion
d’espace social et la notion d’espace de droit. En effet, la mesure d’assistance éducative
met à jour souvent des comportements inadaptés qui jusqu’alors se passaient à domicile.
L’AEMO touche à l’intimité des familles. Cette présence parfois mal vécue, met
123
Article de F. Dhume paru dans Pensons’i, journal de l’insertion des CEMEA de Basse-Normandie, N°4,
mai 2002, « Qu’est-ce que le partenariat ? Contribution à la construction d’un espace de sens 124
M. Callon, P Lascoume, Y. Barthe, Agir dans une monde incertain. Essai sur la démocratie technique, le
seuil, coll.la couleur des idées, Paris, 358 p
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 104
l’intervenant social en marge de « l’espace privé » comme un voleur d’image, un
« paparazzi ». L’espace symbolique est un lieu de rencontre, de controverse, un lieu
d’échanges et d’ajustements. L’espace de droit reflète les positions de chacun des acteurs
et fixe les limites de chacun. Cela pose la question des référentiels implicites. En effet, les
référentiels de la gestion du risque sont différents en fonction des acteurs.
L’approche du juge lorsqu’il ordonne une mesure d’assistance éducative fonde sa décision
sur une évaluation du risque. C’est une approche minimaliste, normalement car le
magistrat acte si le danger persiste ou non. Il se base sur la maltraitance dans une vision
capacitaire et non sur une évaluation de compétences.
Le référentiel éducatif, c’est une approche maximaliste. Il s’agit de positions structurelles
qui oscillent régulièrement entre nécessité et liberté. Néanmoins, la confrontation des
référentiels peut aboutir à des sources de tension, voire de conflit.
En référence à ce diagnostic rapide, nous pouvons mesurer l’importance de ne pas minorer
l’impact de l’environnement dans une intervention judiciaire. Les conflits existent à
plusieurs niveaux mais ils restent une source importante d’échanges et de débat qui doit
favoriser le principe du contradictoire. C’est dans cet esprit que nous envisageons le
développement social local qui doit viser principalement à mieux intégrer les divers acteurs
d’un système et notamment les plus défavorisés, les exclus en renforçant leur statut et leur
dignité. C’est une autre manière d’envisager le changement mais surtout une possibilité de
lutter contre les diverses résistances. Dans une optique de rechercher un référentiel
commun, la multiréférentialité pourrait apporter un éclairage des situations tant au niveau
psychologique que sur un plan sociologique, économique et parfois politique. Dans une
perspective de développement intégré, le champ de l’action sociale se trouve élargie en
apportant une contribution importante au développement local par la production de lien
social et générant une plus grande réappropriation des instances locales et une plus grande
reconnaissance des individus par la société.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 105
Chapitre 3 Une nouvelle approche de la pratique professionnelle
Le développement de nos idées nous a conduits à aborder des domaines assez
variés. Nous avons procédé çà et là, à des hypothèses sur les thèmes qui nous paraissaient
importants pour d’une part, prendre conscience des jeux d’acteur et d’autre part de
l’incertitude qu’accompagne toute forme d’intervention d’une mesure judiciaire. Ce
chapitre a pour ambition de réfléchir ensemble sur un fonctionnement différent dont
l’objectif méthodologique est de proposer un processus qui conduit chacun des
intervenants, magistrat, professionnel associatif, usager mais également en incorporant
d’autres acteurs locaux, à construire un projet commun fondé sur un diagnostic partagé et
une évaluation participative ou négociée et ce en s’inspirant des principes du DSL et en
tentant de les appliquer à l’AEMO.
Depuis l’élaboration des lois de 1958 concernant la Protection de l’Enfance, les pratiques
ont su évoluer en fonction des logiques politiques qu’elles soient au niveau budgétaire que
dans la prise en charge d’une population dont les problématiques se complexifient. La loi
de 2002 a été un révélateur d’une volonté politique de promouvoir l’usager comme acteur
de son changement. Or, devenir acteur ne se décrète pas, notamment chez des usagers dont
la souffrance sociale (difficultés sur un plan psychologique et difficultés à trouver leur
place dans la société) inhibe souvent toute velléité participative. Bien sûr, des outils ont été
créés mais peu répondent à ce besoin de passer d’une invisibilité à une visibilité.
Pourtant le droit de l’enfant et des familles et notamment celui de l’autorité parentale a
incontestablement évolué dans le bon sens avec la volonté d’une part, d’un implication
parentale plus importante et d’autre part une volonté de limiter les risques potentiels de
dérives juridiques ou éducatives « dérive du narcissisme ou de l’autosuffisance par
négation du lien social »125
qui assimile toute forme d’intervention à un assujettissement à
la norme :
« Chaque acteur ou plus précisément l’acteur qui l’incarne, tend à s’autosuffire lui-même ;
il reste toujours le produit du narcissisme inscrit au cœur de l’individu ou de
l’organisation ; sa propre logique, comme celle des acteurs qui le promeuvent, se veut être
autonome par rapport à l’environnement social et n’avoir de compte à rendre qu’aux
instances d’évaluation que ces acteurs eux-mêmes ont prévues à cet effet. Ainsi, chacun
125
J.P. Boutinet, Anthropologie du projet, Paris, PUF, 1992, coll. Psychologie d’aujourd’hui.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 106
prend le risque de s’enfermer dans son propre projet sans se soucier de l’instance
susceptible de valider, voire de fédérer les différentes initiatives en les ouvrant les unes
aux autres ». Devant la tentation fusionnelle, le risque est de voir s’exacerber les
particularismes institutionnels.
Mais nous avons pu le voir l’absence d’un référentiel commun, d’une ligne directrice à
toute forme d’intervention est un manque important dans la création d’une intervention qui
reconnaisse la place de chacun dans une organisation où encore de nos jours, et malgré une
réelle volonté de tous, un lien de subordination reste prégnant et entrave les marges
d’autonomie possible notamment des usagers.
Notre souhait dans cette partie est de proposer un autre modèle de fonctionnement, une
approche « souhaitable ». La finalité de ses préconisations reste pédagogique et ne propose
pas d’outils concret mais soumet une idée essentielle celle de passer d’une vision
capacitaire de l’usager vers une approche visant le développement de compétences parfois
implicites de l’enfant et sa familles. Il s’agit de lutter contre les causes du
dysfonctionnement et pas seulement circonscrire le dysfonctionnement. Pour cela, avec
l’appui des théories sur le développement social local, l’approche multiréférentielle, la
volonté de créer le débat que nous avons présenté au chapitre précédent, nous avons
hiérarchisé trois grandes priorités :
Une approche davantage basé sur les interactions à l’échelle du territoire,
Une volonté de participation et de débats démocratiques en proposant une plus grande
communication
Enfin l’élaboration d’un diagnostic partagé et d’une évaluation participative ou négociée
Nos préconisations ont été élaborées et réfléchies sous 3 angles d’approches :
Structurelle : l’organisation ou le système actuel doit avoir les moyens de
produire du changement
Fonctionnelle : elles doivent être faisables pour l’ensemble des acteurs
Temporelle : nos préconisations doivent ou peuvent faire l’objet de négociation
entre les parties
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 107
3.1) Redéfinir du sens dans un système sous contrainte
L’environnement en AEMO reste vaste. Il comprend toutes les relations existantes
entre chaque acteur, de l’usager avec les institutions scolaires, avec la police, avec le
travail, les relations entre les habitants du même territoire, le secteur associatif mais
également les représentations que le territoire renvoie au grand public. En effet, on ne peut
concevoir une même intervention sur le quartier de la Cayolle126
que sur le centre-ville de
Marseille car d’une part, le contexte géographique n’est pas le même mais également
l’investissement des acteurs locaux est bien différent notamment au niveau des élus locaux.
La population, à grande majorité issu de l’immigration, ne se comporte pas de la même
manière que celle de la Cayolle dont les habitants vivent et agissent comme s’il s’agissait
d’une enclave, l’accès au territoire restant strictement réservée. La grande difficulté de la
relation, c’est la place que prend le secret. Parler publiquement d’une situation de détresse
ou des dysfonctionnements familiaux restent soumis au regard de l’autre. Participer à des
manifestations au niveau local engage au-delà de la relation d’aide, l’individu à la
communauté et permet de restaurer une cohésion sociale. Il devient alors un temps
d’échange où le professionnel occupe une place à l’extérieur mais vit les interactions de
l’intérieur. Il semble ainsi important de mobiliser les ressources locales comme un liant.
Le sens d’un évènement, d’une situation, d’une relation ou toute élaboration de projet doit
se construire autour de 4 axes forts :
Une information, entre les divers acteurs, claire et compréhensible.
S’entendre sur un vocabulaire commun constitue une part importante de la
communication. L’information doit davantage circuler mais l’autre difficulté
est de traduire les émotions, un vécu du quotidien qu’il faut traduire en terme
accessible notamment pour des personnes extérieures. Par exemple le mot
« placement » n’a pas le même sens pour un enfant, ses parents, le
professionnel ou le magistrat.
Clarifier les représentations. En effet, pris dans l’urgence des situations, dans
la réponse immédiate, dans les contradictions qui jaillissent parfois dans le
cadre d’une intervention éducative, il semble nécessaire pour chaque acteur
de se représenter ce qu’ils font et de le faire partager aux autres.
126
Quartier sensible de Marseille situé à l’extrémité sud de la commune dans le 9ème
arrondissement
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 108
Respecter les valeurs de chacun. La diversité culturelle, les diverses
approches religieuses, morales ou humanistes divergentes, rendent souvent
difficile l’expression et la cohérence des valeurs des divers acteurs
notamment pour les travailleurs sociaux.
Une démarche de projet fondée sur un diagnostic partagé et une évaluation
participative ou négociée.
Restaurer le sens d’une action passe inévitablement par un processus qui favorise une
communication entre les divers acteurs pour une meilleure compréhension de la réalité de
chacun. La communication peut se baser sur le conflit afin de confronter les valeurs, les
finalités et la vision du changement que chacun conçoit de sa place.
3.2) Une communication basée sur le conflit
Pour de nombreux professionnels, la mesure judiciaire est instaurée lorsqu’il y a un
danger pourl’enfant et peut se présenter comme un conflit entre les volontés collectives
représentées par le magistrat et les volontés individuelles, les parents. Toutefois, il serait
réducteur de penser que le conflit se résume en une opposition entre individualisme et la
société.
Dans notre approche, le conflit doit être la source d’un débat contradictoire, une possibilité
laissée aux divers acteurs de s’inscrire dans une démarche collective par des temps de
débats qui visent essentiellement à ajuster les objectifs de chacun et de concourir à un
espace de réflexion commun. C’est également un outil de communication important qui
doit permettre l’échange des acteurs et proposer une forme de reconnaissance notamment
des parents et de l’enfant qui ont la possibilité de se faire entendre. En effet, un diagnostic
partagé passe inévitablement par une étape de confrontation pour faire coïncider dans une
démarche de projet, la commande sociale et la demande.
Cela suppose de savoir :
Qui l’on est, il s’agit d’être clair sur son positionnement dans l’organisation, sur
ses méthodes d’intervention, sa déontologie, ses valeurs…
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 109
Le dire soi-même, c’est adapter les vocabulaires à l’autre, c’est reconnaitre l’autre
dans ses potentialités, ses compétences et favoriser une parole sociale. Le dire soit
même, c’est également s’accorder le droit d’être auteur (de s’autoriser à)…
Dire ce que l’on veut, c'est-à-dire construire ensemble le sens de l’action, expliciter
sa finalité (qui n’est d’ailleurs par toujours très claire selon le même corps de
métier en fonction des référentiels du risque notamment…) et sa direction,
confronter les valeurs, se mettre d’accord sur des objectifs communs partagée par
tous.
Laisser le regard de l’autre en confrontant les représentations des uns et des autres.
Il est évident que ce processus doit pouvoir s’adapter à une triple dimension temporelle :
Celle des contraintes de chacun. Il existe un hiatus entre temps judiciaire et temps
des familles
Le temps pour construire un dispositif complexe qui favorise l’implication et la
participation de chacun en fonction de sa place, construire un diagnostic partagé
Celui nécessaire du changement et de l’évaluation participative et ou négociée.
3.3) L’approche multi référentielle : la fin du Case-work à la française
On ne peut défendre notre position sans faire référence au fondement de l’aide
psycho-sociale ou du case-work. En effet, les fondateurs américains du case-work
envisageaient l’homme dans une construction basée sur le regard de l’autre, sur la
confrontation dans la norme, de ses valeurs. De ce fait, le développement personnel et
social sont liés. Dans notre société française, nous avons induit un dualisme entre aide à la
personne et action collective notamment dans la manière dont est envisagée l’intervention
éducative. Nous n’avons pas la prétention de réinventer une nouvelle méthodologie mais
de la « toiletter » afin de la réarticuler à nos modes d’intervention dans un contexte social
et économique complexe. Dans la protection de l’enfance globalement et plus
particulièrement en AEMO, la présentation des situations familiales se basent
essentiellement sur l’individu occultant, voire niant, les interactions sociales qui peuvent
exister à l’échelle du territoire. L’organisation familiale est ainsi décortiquer sur une vision
et une approche psychologique qui souvent ne permet pas une compréhension des enjeux
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 110
sociaux qui existent au sein de la cellule familiale.Il est nécessaire d’ouvrir notre champ de
compréhension à d’autres références sociologiques, ethno-clinique, géographiques pour
une approche plus globale de l’individu dans le territoire. Une approche interculturelle
permet de mieux cerner les diveress stratégies identitaires et donner au travailleur social la
possibilité d’être un acteur traducteur pour les usagers et les institutions afin de faire
coulisser deux réalités, une extérieure et une intérieure, cette dernière peuplée de
fantasmes et de représentations.
Pour résumer, une intervention éducative doit prendre conscience et connaissance de :
La complexité des individus à la fois le besoin d’individuation et celui
d’appartenir à un groupe (souvent le groupe d’appartenance se situe au
niveau du quartier)
Cerner les clivages entre l’insertion sociale et le développement personnel
de l’individu
Procéder à une analyse macro-sociale
Construire des ateliers à thèmes qui concilient un aspect individuel et
collectif. A l’instar de forum hybride, il s’agit pour les usagers de se
confronter à une autre réalité et d’envisager de manière collective des
solutions individuelles. Il s’agit d’exposer ouvertement ses difficultés
qu’elles soient liées à un problème éducatif ou social et avec la
collaboration du groupe chercher des solutions qui relève de la faisabilité.
C’est avant tout devenir une force de proposition vis-à-vis des actions
éducatives qui seront proposées.
Nous devons nous questionner sur la place de l’usager dans l’intervention et l’équilibre
des caractères individuels et collectifs dans notre démarche. L’intervention éducative doit
utiliser une pédagogie collective qui réponde aux besoins individuels.
3.4) Une approche participative de la démarche de projet
Le pouvoir d’agir, la participation ne se décrète pas. Toutes formes de mobilisation,
d’implication, d’engagement, de responsabilités exigent une pédagogie. La pédagogie de
projet part du principe que c’est en agissant que l’usager se construit. La loi du 02 janvier
2002 et la loi du 05 mars 2007 précisent d’ailleurs, que la pratique de projet permet de faire
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 111
endosser à l’enfant et sa famille une place d’acteur. En référence à Jacques Ardoino « le
détail ordonné, la prévision de ce que l’on entend faire ultérieurement : le schéma, la mise
en forme logique de ce qui est anticipé. Les éléments communs sont indéniables et
rassurants. »127
L’auteur aborde ici, la construction d’un projet-visée, d’une finalité
commune ou chacun se reconnait dans l’élaboration car l’ensemble des acteurs sont dans
une approche pédagogique. Il défend également l’idée de valeurs communes nécessaire
pour impliquer tous les acteurs.
Il en va de même dans la construction d’un projet en AEMO où le changement est sollicité.
Toutefois, sans une conscientisation des dysfonctionnements et sans repérer les ressources
tant au niveau de l’individu que de son environnement, le changement reste un imaginaire
qui dépend souvent de la place qu’occupe l’acteur dans le système de la Protection de
l’Enfance sous mandat judiciaire. L’apport de la pédagogie de projet amène les usagers à
s’investir, à prendre des décisions, à travailler en équipe, à être force de proposition, ce qui
constitue, dans une logique de changement une approche intéressante. La pédagogie de
projet favorise la mutualisation des objectifs et de la démarche, parce qu’elle implique
l’ensemble des acteurs et développe une coopération négociée permettant à l’enfant et sa
famille d’endosser un nouveau statut, en agissant sur ses propres apprentissages. Cette
démarche de projet conduit les usagers à découvrir ou à faire émerger des compétences
implicites parfois insoupçonnées par l’usager lui-même. L’interaction avec l’organisation
collective, la mise en œuvre et la répartition des tâches leur permet de s’inscrire dans une
place d’acteur voire d’auteur. Par ailleurs, la nécessité de la planification que la démarche
de projet impose, les allers retours importants entre la théorie et la pratique (d’où la
nécessité d’une approche multi référentielles), entre l’action et la prise d’information, sont
autant de vecteurs d’apprentissages effectifs. Le préalable se situe dans la volonté des
acteurs sur le terrain, c’est la volonté de l’ensemble des intervenants d’agir dans un travail
ensemble pour une problématique donné à un moment donné. Il s’agit d’accepter pour
chacun de perdre une partie de la maitrise. L’élaboration d’un diagnostic partagé passe par
une autre étape, notamment pour les usagers, d’acquérir la capacité de prendre la parole et
de pouvoir être entendu… Il s’agit d’élever la capacité de pouvoir, dans une optique où il
s’agit davantage d’un devoir que d’un droit. Pour s’inscrire dans le principe d’Althusser,
faire remonter la demande pour lutter contre la domination des autres acteurs. A l’instar de
l’empowerment, la reconnaissance des citoyens d’exercer un pouvoir, c’est le processus de
127
J. Ardoino, Finalement, il n’y a jamais de pédagogie sans projet, Education permanente N°86 février 87.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 112
mobilisation qui devient parallèlement un vecteur de lutte contre l’exclusion et l’isolement.
Deux des maux dont nous l’avons vu souffrent les acteurs.
Une évaluation participative ou négociée (voir schéma : annexe 8)
L’évaluation, nous apparait comme un exercice incontournable dans le secteur de la
Protection de l’enfance. Nous situons l’évaluation à la jonction de la connaissance et de
l’action. L’évaluation d’un projet, d’un programme ou d’une action marque la fin d’un
processus ou d’une procédure pour conclure sur les résultats obtenus et les éventuels
ajustements. L’évaluation en AEMO reste complexe car elle reflète souvent l’histoire
personnelle de l’évaluateur et du regard qu’il pose sur une situation selon la place qu’il
occupe. En effet, les temps de réunion (appelés Projet Socio-éducatif à la Sauvegarde13)
sont souvent plus l’objet de présentation succincte axée sur les petits détails de la vie
quotidienne, de récit de vie que sur des observations cliniques ou d’une approche socio-
culturelle voire macro-sociale.
Une de nos préconisations vise à construire une évaluation avec l’ensemble des acteurs. Il
s’agit de prendre en considération le regard, les attentes et les éventuelles demandes des
différents partenaires. C’est pourquoi, le modèle d’une évaluation participative ou négociée
est prôné. Il est évident qu’une telle démarche rencontre les réticences de chacun qui ne
doivent pas être sous-estimées. Les espaces symboliques comme les audiences ou les
plateformes associatives dans les quartiers peuvent constituer des lieux de discussion et de
négociation. Il s’agit d’inclure chaque acteur, magistrat, enfant et sa famille, travailleurs
sociaux, dans une démarche de projet, créer un comité de pilotage où bien évidemment,
l’usager est partie prenant et de tenter, par une approche commune et un vocabulaire
adapté, de répondre à un réel besoin de connaissance en vue d’une prise de décision. A cet
égard, chaque participant apporte une part active à la construction d’un sens commun.
Abordée de cette manière, nous faisons référence à une évaluation permettant aux diverses
parties de rétroagir, de réajuster les objectifs de leurs actes tout au long de l’intervention et
ne pas seulement se contenter, comme c’est le cas aujourd’hui, en fin de mesure de
solliciter l’avis des parents et de l’enfant concernant la poursuite ou non de l’intervention
éducative. Dans ce cadre d’intervention, l’évaluation en AEMO peut devenir un
formidable outil de changement et de connaissances. Toutefois, il reste important de
préciser que les diverses évaluations doivent s’effectuer dans le cadre d’un référentiel
commun (voir proposition de référentiel, annexe 10). En effet, si l’évaluation reste un outil
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 113
formidable d’aide à la décision, il est indispensable d’associer chacun pour une plus grande
légitimité ou une plus grande pertinence des nouveaux objectifs qui émergeront des
négociations, de ce fait, il s’agit de préciser les divers types d’évaluation128
:
Evaluation des besoins
Evaluation du processus
Evaluation des effets
Evaluation des impacts
Evaluation de la pertinence
Evaluation de la performance
Evaluation du risque…
L’apport de la multiréférentialité va alors soutenir l’idée d’une approche globale de la
situation. Les références théoriques et la méthode proposée sont bien sûr diverses et aucune
d’entre elles ne peut prétendre rendre compte de l’ensemble des facteurs intervenant dans
la situation familiale et sur le développement de l’enfant. Néanmoins, une approche
pluridisciplinaire a le mérite de nous proposer différents champs de vision. La psychologie
développementale intervient pour nous fournir des repères quant au développement social,
cognitif affectif et moteur de l’enfant.
Les théories transgénérationnelles nous éclairent sur les relations entre générations et les
modes de communication au sein d’une même famille. Elles peuvent expliquer les
processus reproductif ou les résiliences éventuelles.
La psychanalyse nous rappelle entre autres la complexité des situations et les paradoxes
que peuvent générer les comportements pulsionnels de violence et d’amour qui parfois
animent les relations enfants et parents.
Une approche sociologique, sociologie de l’exclusion ou de la déviance,
organisationnelle… nous apportent un éclairage sur les diverses interactions et
interrelations et la place qu’occupe l’enfant et sa famille dans les divers espaces. Elles
expliquent également leurs relations aux institutions.
L’interculturalité est une référence importante concernant l’inclusion sociale et les alibis
culturels qui entravent toute forme d’intégration ou d’insertion sociale.
128
Manuel de l’évaluation participative et négociée, p14 et p 29
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 114
La théorie de l’attachement, les concepts de dépendance et de contre-dépendance, pose la
nécessité de construire un lien d’attachement « sécure » pour assoir une dynamique de
développement optimal dans tous les registres.
Cette liste n’est bien évidemment pas exhaustive et d’autres références peuvent influer sur
l’évaluation que peuvent effectuer les divers partenaires sur une situation. La création d’un
référentiel comme support à l’évaluation collective est indispensable et passe par un
processus créatif et innovant.
En nous inspirant de ce qui est fait en Allemagne ou au Canada, nous avons tenté de créer
une base de travail à soumettre à d’autres praticiens, experts, parents, et divers partenaires
notamment magistrats et instituteurs (voir annexe 10).
L’évaluation participative ou négociée met en œuvre un processus évaluatif selon une
démarche de coopération entre des évaluateurs et des personnes concernées par
l’évaluation mais qui ne sont pas des évaluateurs professionnels. Nos objectifs sont
multiples, accroître les chances de réussite du processus, par soucis démocratique,
favoriser une participation citoyenne, avoir une meilleure connaissance des enjeux et enfin,
nous pensons qu’il n’existe pas une réalité unique mais une pluralité de point de vue qui est
essentielle à la construction d’un argument. Dans notre optique l’information n’est plus
descendante mais ascendante et doit élargir le champ de connaissance et de vision à des
acteurs qui ne sont pas tous jugés légitimes par l’ensemble des intervenants129
.
Ceci dit, nous sommes conscients des limites de cette démarche car elle tient à une volonté
commune de toute les parties, de juger légitime le regard de l’autre et de lutter contre des
pratiques encore tenaces dans la Protection de l’enfance sous mandat judiciaire, de
fonctionnements bureaucratiques et hiérarchisés. Toutefois, la conduite de ce projet nous
permet d’identifier les conditions à réunir pour une alliance de la recherche et de la
pratique au service à la fois du développement des connaissances et d’une co-construction
d’une nouvelle praxis. La finalisation d’une telle démarche est participative à double titre :
d’une part, elle intègre l’acteur visé par le changement dans le processus (par une prise de
parole et débat parfois contradictoire) et la création d’un référentiel adopté par l’ensemble
et qui constitue une méthode de travail à la fois engageante et mobilisatrice.
129
Nous apprenons suite à notre écrit, une expérience réalisée que nous avons retranscrit en annexe.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 115
Conclusion Générale
La réalisation d’un mémoire est un long processus qui mobilise dans le temps de
nombreuses ressources théoriques, matérielles, humaines relevant du fantasme. C’est aussi,
un outil formidable d’apprentissage et de remise en question. Il nous fait prendre
conscience que les choses sont plus compliquées qu’elles ne paraissent. Sous leur surface
parfois lisse, des enjeux, des paradoxes voire des lignes de forces existent et complexifient
un système que nous pensions maitriser. Une analyse institutionnelle et la recherche-action
sont autant l’objet d’imaginaire et de représentations que le reflet du vécu. L’épreuve de
l’écrit et pire encore de la confrontation d’une idée à la réalité fut intense et surprenante.
C’est alors un cheminement fort intéressant. Il nous a conduits dans notre cas, d’une
observation personnelle que nous avons tenté de confronter à d’autres pour en vérifier
l’occurrence et de passer ainsi d’une idée à un fait. C’est dans cet état d’esprit que nous
avons souhaité réfléchir et présenter un mémoire autour d’une question de recherche visant
à comprendre : En quoi la mesure AEMO est-elle un vecteur d’inclusion sociale ou de
disqualification sociale ?
Une question est souvent l’objet d’une problématisation que nous avons orientée autour
des interactions et interrelations complexes entre les acteurs d’un système sous contrainte
judiciaire. Nous nous sommes attardés sur les jeux d’acteurs et l’incertitude que génèrent la
construction d’un projet d’intervention qui visent la nécessité d’un changement tout en
accordant une large part d’autonomie. Les dispositions légales qui régissent l’intervention
judiciaire et notamment les dernières grandes réformes, la loi du 02 janvier 2002 et la loi
du 05 mars 2007 réformant la Protection de l’Enfance ont centré l’intervention sur
l’usager, sur sa place d’acteur dans ce dispositif, en renforçant sa capacité d’agir et en
encadrant davantage les interventions. L’usager/ acteur/ partenaire/ bénéficiaire, quelque
soit son nom a désormais la possibilité d’être acteur de son changement. Or, une des
grandes faiblesses de ses deux lois, c’est de n’être pas parvenue à favoriser l’inclusion
sociale. La démarche et la volonté politique étaient louables et fondées tant sur une
évolution progressiste, une plus grande participation du public à l’intervention sociale que
sur un phénomène social où des notions de partenariat, d’inclusion, de débat public, sont
apparues visant à d’accorder à l’individu une multiplication de repères, afin que chacun
goûte au mirage de l’égalité.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 116
Or, nous l’avons vu, devenir acteur ou acteur-partenaire ne se décrète pas. Pire encore, le
non recours au droit des usagers, la peur de la stigmatisation, le regard des institutions sur
des usagers titulaires d’une mesure et l’étiquetage qui en résultent souvent conduisent
l’enfant et sa famille vers une forme de disqualification sociale. On peut également parler
d’une « souffrance sociale » qui se construit par une accentuation des faiblesses
narcissiques (perte de confiance en soi) et une réelle difficulté à trouver sa place dans le
système en AEMO ou plus largement dans notre société. C’est la destruction du lien social
qui nous interroge.
Nous avons alors, mis en évidence que toute action associant l’usager n’est pas forcément
un partenariat car il dépend de ce que l’on entend par usager. En effet, cela dépend du
statut puisque le partenariat se base sur une égalité. C’est ce dernier point qui va invalider
notre hypothèse. Par ailleurs, la difficulté d’ordre technique et méthodologique n’est pas à
exclure. En effet, il est très difficile de mobiliser les usagers sur les questions relevant de
leur fonctionnement familial. Le changement requis par la commande sociale et plus
particulièrement les attendus du juge rendent délicats toute participation à court terme. Un
attendu trop prégnant est souvent vécu par les autres acteurs comme une surestimation de
la contrainte et un collage aux attendus peut devenir l’objet de dérive. Le passage de la
pratique individuelle vers du collectif va nous conduire à proposer une hypothèse, où l’on
sort de pratiques individualisées et personnalisées, pour privilégier dans le processus de
changement les ressources de l’organisation aux déterminismes individuels.
Les résultats de notre enquête va mettre en exergue, dans le cadre d’une mesure éducative
sous mandat judiciaire, une subordination des places qui nous a conduit à distinguer 3
types d’acteur dans le cadre d’intervention en milieu ouvert : le magistrat, l’acteur clé, le
travailleur social, l’acteur facilitateur, traducteur et l’usager qui occupe celle d’acteur
faible. Dire cela ne signifie pas pour autant qu’il est dépourvu de toute possibilité d’agir
mais il reste soumis à un pouvoir décisionnel qui fixe les attendus d’une commande
institutionnelle.
Ce que nous retenons, c’est les confrontations de monde. Le caractère égalitaire de la
culture moderne se confronte à la réalité des pratiques où les enjeux entre les acteurs,
enjeux financiers, une complexification des problématiques, des référentiels différents, un
imaginaire du changement limitent les marges de manœuvres qui peuvent encore exister.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 117
Autrement dit et pour paraphraser Coluche : « nous sommes tous égaux mais certains le
sont plus que d’autres ». Nous nous situons dans une forme de contradiction démocratique
où les grands principes de la loi de 2002 - de l’usager au centre du dispositif, de
promouvoir l’usager comme un citoyen - se heurtent aux pratiques qui sont en cours et
pour lesquels il est difficile d’envisager un autre fonctionnement. Nous prenons pour
exemple, la sauvegarde13 qui vient de fêter les 50 ans du service AEMO. Une rencontre
est effectuée, les invités sont nombreux, juges des enfants nouveaux et anciens de plusieurs
cabinets, de nombreux professionnels de l’association et d’autres associations, des
formateurs de l’Institut Régional du Travail Social (IRTS), de L’Institut Méditerranéen de
Formation(IMF), des avocats… mais pour les 50 ans du service d’AEMO, pas d’usagers
présents…
Pour citer Ehrenberg, nous sommes en principe égaux et en pratique hiérarchisés en
fonction de principe non égalitaire que nous vivons dans une société stratifiée. Les
positions inaccessibles sont d’autant plus nombreuses que nous descendons dans la
hiérarchie sociale. . « C’est une illusion réaliste qui ne modifie en rien les fondements
hiérarchiques de notre société, un dilemme central de la condition démocratique, de notre
expérience subjective et ordinaire de la vie : la tension entre égalité de principe et
inégalité dans les faits. »130
Dans le cadre de nos résultats d’enquête, nous avons soulevé qu’une trop grande
régulation (contrôle) nuit à l’inclusion sociale et augmente la disqualification sociale et à
contrario, une forte inclusion sociale favorise une plus grande liberté et baisse la régulation
liée à la commande sociale.
Il résulte de nos analyses que le projet proposé aux familles, n’est souvent pas une réponse
à leur besoin réel et l’intervention judiciaire n’a pas toujours pu leur accorder cette
visibilité à laquelle les lois de 2002 et 2007 tendent. Les notions de projet, de
communication, de changement dominent notre culture normative. L’intervention sous
mandat judiciaire s’inscrit dans cette logique car sa visée est de réduire l’écart entre les
dysfonctionnements repérés et la norme. Mais, la disqualification de soi conduit l’individu
progressivement vers une forme d’exclusion que l’on peut envisager comme un
phénomène de notre temps131
dont les conséquences se traduisent par une perte de repère,
130
A. Ehrenberg, la fatigue d’être soi : dépression et société, Odile Jacob, 1998, Paris 131
Op cit
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 118
un isolement, un sentiment d’impuissance. Finalement, toute formulation de projet s’avère
délicate tant la personne disqualifiée communique mal et tant il manque d’appétence et de
motivation pour s’engager et se responsabiliser. Le projet revêt alors un caractère de
contrainte bien éloigné de ses origines existentialistes fondant celui-ci comme une
nécessité de la liberté. C’est le paradoxe de la notion d’aide132
que nous devons interroger
car le projet et les multiples documents d’engagement, en premier lieu, le DIPC sont
souvent des outils dénaturés pour faire accepter à la personne aidée des règles qu’elle est
contrainte d’accepter par nécessité.
C’est la question de la visibilité et de l’engagement qui découle de nos résultats. Nos
préconisations sont largement inspirées du Développement Social Local et adaptées au
fonctionnement d’une mesure d’Action Educative en Milieu Ouvert. Nous cherchons à
restaurer la place de chaque acteur dans la construction d’un projet commun. Notre quête
est de remettre du sens. Mais à quelles conditions et au prix de quelles contraintes ?
L’évolution des problèmes sociaux participe de poser le « travail ensemble » comme
nécessité. Toutefois, « agir ensemble » n’est pas un phénomène naturel, c’est un
« construit social 133
» dont la complexification des interactions pose le problème de son
existence. En nous référant aux théories du Développement Social Local et à la théorie de
la traduction, nous avons tenté de proposer des pistes dans le cadre d’une recherche-action
pour produire de la coopération et réfléchir aux mécanismes pour produire de l’implication
et de l’engagement. L’identité, les rôles, la place de l’environnement la notion d’espace
sont autant de facteurs que la notion de traduction prend en considération pour tenter de
proposer des points de convergence. L’éducateur « traducteur » doit se situer dans une
recomposition du message et favoriser la compréhension de chacun pour une meilleure
coopération des autres acteurs. Il est également responsable d’une qualité de l’écoute que
l’on peut qualifier « d’écoute sensible et multiréférentielle 134
». L’aspect multiréréfentiel
est un point important car il favorise une approche globale des situations. La controverse
est un facteur également indispensable car elle est l’étape intermédiaire à la construction
d’un travail ensemble vers une démarche de projet. C’est cette recherche des convergences
des énergies, ce besoin de trouver un accord entre les parties que nous avons proposé dans
une approche méthodologique plus tournée vers un diagnostic partagé et une évaluation
132
E. Vidalenc, Le défi du partenariat dans le travail social, L’harmattan, Le Travail du social, 2003, 183p 133
M. Crozier et E. Friedberg, L’acteur et le système, essai, seuil, Paris, 1992, p 15 134
R. Barbier, La recherche-action, éditions ECONOMICA, coll. Anthropos, Paris, 1996, p. 65-66
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 119
participative ou négociée. Il est évident que nous nous sommes fortement inspirés de la
démarche de démocratie directe et participative de Porto Allegre et des réflexions de
Freire. Toutefois, nous sommes conscients des limites de notre approche et si nous devions
mettre des précautions méthodologiques, il semble évident que les détenteurs du pouvoir
doivent être favorables à cette émancipation de l’usager sinon, cette tentative peut
rapidement se montrer subversive et exacerber les relations de pouvoir entre chaque acteur.
Ces préconisations sont bien sûr qu’une façon de traiter le problème du changement parmi
d’autres. Elle a, comme principal atout, de limiter les résistances au changement et de
reconnaitre l’ensemble des acteurs à une place.
Pour finir, nous citons, madame Millet, avocate pour enfants : « toute action éducative est
porteuse de changement positif lorsque chaque acteur est à sa place ».
Il est évident qu’intégrer le changement dans un contexte social ou dans un environnement
constitue une autre question qui pose une problématique sous un autre angle.
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 120
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FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 124
Sigles
AED : Action Educative à Domicile
AEMO : Action Educative en Milieu Ouvert
ASE : Aide Sociale à l’Enfance
ASELL : Accompagnement Social Educatif Lié au Logement
CNAEMO : Carrefour National de L’Action Educative en Milieu Ouvert
DGAS : Direction Générale Adjointe à la Solidarité
DIPC : Document Individuel de Prise en Charge
IFAR : Intervention Formation Action Recherche
IRTS : Institut Régional du Travail Social
IMF / Institut Méditerranéen de Formation
PSE : Projet Social Educatif
MECS : Maison d’Enfant à Caractère Social
ODAS : Observatoire de l’Action Sociale Décentralisée
ONED : Observatoire National de l’Enfance en Danger
OPP : Ordonnance provisoire de Placement
TISF : Technicien de l’Intervention Sociale et Familiale
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 125
Table des matières Avant-propos 1
Introduction générale 3
Première partie : l’avènement d’une nouvelle place de l’usager au centre du dispositif 8
Chapitre 1 Le cadre d’intervention 8
1.1) Présentation du terrain d’étude 9
1.2) L’aide sous contrainte, les constats 10
1.3) Le projet comme affirmation des libertés 14
1.4) Comment les professionnels de la Sauvegarde13 élaborent et conduisent le projet ? 15
1.5) Les caractéristiques des usagers 16
1.6) L’évolution de la relation usager/institution/association 17
1.7) « L’administration n’est plus là pour dominer mais pour servir » : la loi de 02 janvier
2002. 21
1.8) Une évolution politique : la loi du 05 mars 2007 25
Conclusion : Les lois de 2002 et 2007sont-elles un support à l’inclusion sociale ? 26
CHAPITRE 2 L’AEMO : De la liberté à la nécessité ou l’aide sous contrôle 28
2.1) Les Interactions Usagers, Institutions, Association 29
2.2) Le projet d’intervention : Programmer l’action en vue de produire le changement souhaité
35
2.3) La place des acteurs dans le partenariat - l’égalité de statut des partenaires 37
2.4) Le projet est-il un support à l’inclusion sociale ? 38
CHAPITRE 3 INSCRIPTION THEORIQUE ET HYPOTHESE 41
3.1) La régulation sociale : d’une logique de normalisation à l’inclusion sociale 41
3.2) La disqualification sociale 43
3.3) La contrainte de l’action collective et le processus bureaucratique 45
3.4) Le projet comme support des intérêts collectif 46
3.5) Hypothèse de travail 47
Partie II La méthodologie de l’enquête 48
CHAPITRE 1 Présentation de l’enquête 49
1.1) Présentation du public 49
1.1.2) Le panel des professionnels retenus 50
1.1.3) Le profil du panel retenu au niveau des Magistrats 51
1.2) Le choix de l’outil d’investigation 51
1.3) Les limites de l’investigation 57
1.4) Présentation de l’outil d’analyse 61
FERRARI Franck Mémoire DEIS : « Je veux que tu veuilles changer », 10/10/2013 Page 126
1.5) Les Tableaux 62
Chapitre 2 Les résultats obtenus 62
2.1) La construction de projet : entre désir et méfiance 63
2.2) Les inquiétudes : Le poids des représentations 69
2.3) La participation des usagers-acteurs dans l’institution : une incompatibilité ? 76
PARTIE III le paradoxe des valeurs ou la confrontation des mondes 81
Chapitre 1 : retour sur l’hypothèse où le changement imaginaire ou l’imaginaire du
changement 81
1.1) L’inégalité des places de chacun des acteurs dans la construction du projet 82
1.2) Construire du sens dans un environnement paradoxal 90
1.4) Conclusion : un projet d’acteur mais pas de partenaire = hypothèse invalide 93
Chapitre 2 Un modèle à revisiter 94
2.1) Rappel des résultats de l’étude et perspectives 94
2.2) Le Développement Social Local 96
2.3) Conflit de proximité et coopération 100
2.4) La sociologie dit de l’individualisme méthodologique 102
2.5) La question des espaces en AEMO et de référentiels communs 103
Chapitre 3 Une nouvelle approche de la pratique professionnelle 105
3.1) Redéfinir du sens dans un système sous contrainte 107
3.2) Une communication basée sur le conflit 108
3.3) L’approche multi référentielle : la fin du Case-work à la française 109
3.4) Une approche participative de la démarche de projet 110
Conclusion Générale 115
1
ANNEXES
2
Table des matières Annexe 1 : Textes législatifs de références et rapports chronologiques de l’évolution des
conceptions de la protection de l’enfance 3
Annexe 2 : Projet de service de l’Association (Extrait) 5
Annexe 3 : Grille d’entretien pour les professionnels 7
Annexe 4 : Le guide d’entretien avec les familles 8
Annexe 5 Le guide d’entretien avec les magistrats 9
Annexe 6 : Retranscription de l’entretien avec Jean-Michel P. conseillé à la Cour d’Appel d’Aix. 10
Annexe 5 : Retranscription d’un entretien avec les usagers enfants et sa famille 14
Annexe 6 : Entretien d’un professionnel 17
Annexes 7 : Tableaux des dimensions et des indicateurs 19
Annexe 8 : Schémas pour réaliser un diagnostic partagé 23
Annexe 9 : Profil des familles interviewées 24
Annexe 10 : Un outil : référentiel de compétences 27
3
Annexe 1 : Textes législatifs de références et rapports chronologiques de
l’évolution des conceptions de la protection de l’enfance.
C’est à la fin du 19ème
siècle que l’enfant n’est plus considéré comme un objet mais
comme un sujet de droit :
La notion de « droit de l’enfant » apparaît :
La loi du 24 juillet 1889 dite loi Roussel entend protéger les enfants maltraités
et moralement abandonnés,
La loi de 1898 prévoit l’aggravation des peines lorsque l’auteur du délit est un
ascendant ou le gardien de l’enfant.
Au 20ème
siècle, on reconnaît les droits de l’enfant. Il est alors considéré comme un
individu à part entière :
L’ordonnance du 23 décembre 1958relative à la protection de l’Enfance, le
juge des enfants peut prononcer une mesure d’assistance éducative en faveur
d’un mineur si « la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger, ou si les
conditions d’éducation sont gravement compromises. » article 375 du code
civil.
Le décret du 7 janvier 1959 va faire une distinction entre une intervention
judiciaire où le danger est avéré et l’intervention administrative relevant de
l’ASE qui exerce une « action sociale préventive auprès des familles dont les
conditions d’existence risquent de mettre en danger la santé, la sécurité ou la
moralité de leur enfant »
En 1980, le rapport Bianco-Lamy souligne le poids du passé, l’accent est mis
davantage sur l’enfant et moins sur les familles
La loi du 10 juin 1989 relative à la protection des mineurs et à la prévention
des mauvais traitements est votée. Elle a pour effet de redéfinir et de soutenir
le travail des professionnels de l’enfance.
La déclaration des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, la Convention
Internationale des Droits de l’Enfant, proclamée par l’Assemblée Générale de
l’Organisation des Nations Unies, énonce au travers de 54 articles les droits
fondamentaux de l’enfant.
4
Le rapport Naves-Cathala en juin 2000 préconise une plus grande participation
des parents, il s’agit de redonner aux parents la parole, les éclairer sur leurs
droits et sur ceux de leurs enfants, prendre le temps d’une évaluation concertée.
Le rapport de Claude Roméo en 2001 consacre l’évolution des relations enfant-
parents-professionnels, en indiquant la mise en œuvre d’une politique plus
respectueuse des besoins des usagers.
En 2001, premier Plan National d’Action pour l’inclusion Social : il s’agit d’un
plan de lutte contre les exclusions.
La loi du 02 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale
consacre le principe de l’usager au centre du dispositif.
La loi du 02 janvier 2004 crée l’Observatoire National de l’Enfance en
Danger dont les missions visent à « mieux connaître l’enfance en danger pour
mieux prévenir et mieux prendre en charge ».
Loi du 31 mars 2006 relative à l’égalité des chances et à la lutte contre les
discriminations.
La loi du 5 mars 2007réforme la protection de l’enfance et confie
auxConseilsGénéraux la responsabilité d’assurer le recueil, le traitement et
l’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger.
Elle fait de la prévention un des axes majeurs du dispositif de protection de
l’enfance. Elle aménage le secret professionnel et instaure la primauté de la
protection administrative sur la protection judiciaire
5
Annexe 2 : Projet de service de l’Association (Extrait)
PRESENTATION DU SERVICE A.E.M.O.
Le pôle de Protection de l’Enfance de SAUVEGARDE 13 comprend un service
d’Action Educative en Milieu Ouvert qui s’organise en deux grands territoires sur le
département des Bouches-du-Rhône :
Le Nord du département se regroupe en 5 antennesdont l’organisation
administrative se réalise à partir d’un espace de travail situé au 395 Route des
milles à Aix-en-Provence, concentrant la direction du secteur Nord du département
et un secrétariat. Ces antennes sont implantées sur les villes d’ Aix-en-Provence,
Arles-Tarascon, Salon, Martigues et Vitrolles concernant une vaste zone
géographique totalisant 80 communesrelevant de la compétence des tribunaux de
grande instance d’Aix-en-Provence et Tarascon...
Le Sud du département, concerne la ville de Marseille et ses 16 arrondissements
ainsi que le pays d’Aubagne et les communes environnantes (21) relevant de la
compétence du tribunal de grande instance de Marseille. Il regroupe 7 unités de
travail dont 5 dans les locaux du siège administratif, 1 en centre ville de Marseille
et une antenne sur Aubagne.
Le service d’A.E.M.O emploie 195 salariés, correspondant à 183.95 ETP.
Parmi les salariés, nous trouvons des éducateurs-spécialisés, des assistants
sociaux auxquels s’adjoignent puéricultrices, psychologues, pédopsychiatres, et
personnel administratif.
L’activité est assurée par ces professionnels répartis dans les unités de travail
implantées sur le département, chacune étant placée sous l’autorité d’un chef de
service. Les territoires d’AEMO sont dirigés par deux directeurs (Nord/Sud). Une
coordinatrice est chargée de veiller à la cohérence des interventions sur l’ensemble
du département.
Au service d’AEMO est rattachée la mission d’Accueil, Écoute, Information, Conseil
et Orientation, (A.E.I.C.O) mise en place au sein des tribunaux de Marseille et
D’Aix-en-Provence. L’activité d’A.E.I.C.O s’exerce aussi lors des permanences dans
les Maisons de la Justice et du Droit (MJD à Salon-de-Provence, Martigues,
Aubagne, Arles) et dans les Maisons du droit de Gardanne et Vitrolles.
MISSIONS :
L’action éducative en milieu ouvert sur décision judiciaire a pour mission générale
de garantir la protection et les droits de l’enfant en favorisant la pratique de la
parentalité dans le respect des droits des parents et des besoins de l’enfant.
6
L’action éducative est tout à la fois une action individuelle et familiale. Elle vise à
resituer l’enfant à une place de sujet à part entière et à mettre fin à la situation qui
compromet sa sécurité ou son développement par le soutien apporté à sa famille.
OBJECTIFS :
La mesure éducative a pour objectif principal de réduire, voire de faire disparaître le
danger encouru par l’enfant tout en le maintenant dans son milieu naturel.
L’atteinte de cet objectif s’articule autour :
- de la mobilisation des parents - de la recherche de leur adhésion - de la promotion de leurs compétences - de l’accompagnement à l’exercice de la parentalité - de la co-construction d’un projet adapté aux besoins de l’enfant.
L’intervention éducative se déroule au moyen de :
- visites à domicile - entretiens et accueil des familles sur les lieux de permanence - liaisons avec les différents partenaires concernés par la situation de la
famille (Conseil Général, UDAF. Sécurité Sociale.) et de l’enfant (établissements scolaires,CMP, centres sociaux….)
- activités individuelles et collectives - accompagnement et orientation des familles vers les services de droit
commun. - orientation des adolescents vers des services d’insertion tels que les CIO, le
SIP (pour ce qui concerne Marseille et Aubagne).
CADRE REGLEMENTAIRE
La mesure d’assistance éducative est prononcée par le juge des enfants lorsque la
« santé, la moralité, la sécurité de l’enfant sont en danger, si les conditions
d’éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont
gravement compromises ».
Chaque fois que possible, le magistrat maintient l’enfant dans son milieu actuel de
vie, à partir duquel s’exerce la mesure.
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Annexe 3 :Grille d’entretien pour les professionnels
1) Parlez-moi de vos pratiques sous mandat judiciaire ?
Le rapport à l’usager ? (Question de relance)
Le rapport à l’institution ?
2) Que pouvez-vous dire de la pratique de projet dans votre institution ?
Projet d’association ? (Question de relance)
De Service ?
Avec les familles ?
C’est quoi pour vous un projet ? Quel lien avec votre intervention ?
3) Quelle place occupe les attendus du magistrat dans l’exercice de votre
intervention ?
4) Y a-t-il souvent des conflits? Avec qui ? comment procédez-vous alors ?
Relance avec le magistrat ?Avec les familles ?
5) Quels éléments vous semblent intervenir de façon déterminante dans la
construction de projet élaboré avec les familles ?
6) Question complémentaire dans le cas où la personne interrogée n’aborde pas la
notion :
Que pensez-vous de la notion de relation partenarialedans la construction d’un projet
d’intervention dans le cadre d’une AEMO ?
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Annexe 4 :Le guide d’entretien avec les familles
Question 1 : Pouvez-vous me parler de l’intervention éducative ?
Relances éventuelles : Comment les choses se sont passées ? Avec le juge ? Avec les
travailleurs sociaux ?
Votre avis, selon vous, a-t-il été entendu ?
Avez-vous vu des changements dans vos relations avec les autres institutions, l’école
par exemple ?
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Annexe 5 Le guide d’entretien avec les magistrats
Question 1 : Qu’est-ce qui détermine pour vous une mesure AEMO ?
Question 2 : Quelle place, selon vous, occupe le Juge des Enfants dans une mesure
AEMO ?
Relance : En cas de conflit avec la famille, comment procédez-vous ?
Dans le cas d’un désaccord avec les travailleurs sociaux, notamment si les objectifs
de travail sont différents des attendus?
Question 3 : Quels sont les moyens nécessaires, à votre avis, pour garantir une parfaite
collaboration de chacun des acteurs dans le cadre d’une mesure AEMO ?
Question 4 : Comment qualifiez-vous vos relations avec le travailleur social ? Avec les
usagers ?
Est-ce pour vous du partenariat ?
Question 5 :L’AEMO pour les enfants et leurs parents est-elle une nécessité ou une
aide qui doit être librement consentie ?
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Annexe 6 :Retranscription de l’entretien avec Jean-Michel P. conseiller à la Cour
d’Appel d’Aix.
« Nous apportons maintenant des détails sur le contenu de la mesure en donnant des
indications au service sur des actions à mener.Par exemple l’établissement d’un
travail thérapeutique pour un enfant, gérer la scolarité.Il y a souvent des précisions,
autrement dit si la loi n’apporte pas de précisions sur le contenu des mesures, le juge,
lui, en apporte beaucoup plus…
Beaucoup de textes pas spécifiques à l’AEMO, pendant la période 1958 – 2007, mais
qui ont eu des conséquences sur les modalités d’intervention.Il y en a 3, d’abord
toutes les lois qui concernent l’exercice de l’autorité parentale, on est passé de la
puissance paternelle qui a disparu en 1970 au principe de l’autorité parentale
conjointe quelque soit le lien juridique qui existe entre les parents et leur enfant,
jusqu’à la loi du 04 mars 2002 qui pose celle du principe de l’autorité parentale
conjointe.
En même temps, on a assisté de manière contradictoire je dirais… (Il met son doigt
sur la bouche), enfin pas tellement, mais plutôt à une évolution importante sur le plan
sociologique de la formation et surtout de la dislocation des familles et aujourd’hui on
a de plus en plus de familles recomposées avec des croisements parfois inextricables
concernant l’exercice de l’autorité parentale. Je pense que ce contexte-là est un
contexte complexe pour les services d’AEMO puisqu’il oblige l’intervenant éducatif à
prendre en compte les droits de l’autorité parentale pour peu qu’il y ait des parents
qui le plus souvent sont séparés et qui ont la responsabilité d’enfants issus d’autorité
parentale différente qui se trouvent dans la même famille. Je pense que cela introduit
une complexité énorme dans le travail des services AEMO. Cela oblige les éducateurs
à acquérir des compétences juridiques et à se questionner dès le départ, d’avoir une
vision claire de la nature et des décisions juridiques qui ont été prises. Pour être clair,
aujourd’hui dans les dossiers, il y a de plus en plus de jugement du JAF.
La loi du 02 janvier 2002 place l’usager au centre des dispositifs d’action sociale et
médico-sociale et leur accorde un certain nombre de droits dans leurs rapports aux
services sociaux et médico-sociaux comme le respect à la dignité, à la vie privée, de la
sécurité, dans les questions concernant les enfants, le droit de participer pour les
11
parents et pour leur enfant à l’élaboration et à la conception et à la mise en œuvre des
projets et des actions qui les concernent sous réserve que les parents aient reconnu
l’autorité judiciaire… Le principe est celui-là : il y a obligation d’associer les parents
et les enfants à l’élaboration des projets qui les concernent, le droit à
l’individualisation et à la qualité de la prise en charge dans l’accompagnement dans
le but de favoriser le développement et l’autonomie et l’insertion des personnes. (Il
tousse et reprend sur un ton professoral…).
Dans les services d’AEMO, cette loi a eu beaucoup de conséquences qui n’ont
d’ailleurs pas fini, selon moi, de produire leurs effets qui se sont traduits notamment
par les conditions et la production de documents pour déterminer comment on pouvait
faire respecter les droits des parents. On a ainsi élaboré un livret d’accueil, la charte
des droits et libertés des personnes accueillies, les modalités de participation au
fonctionnement des établissements, comment favoriser l’expression des usagers par
des groupes de travail éventuellement par des questionnaires de satisfaction envoyés
aux parents…et enfin les documents individuel de Prise en Charge… Cette loi pèse
fortement sur l’organisation et le service du milieu ouvert et elle a entraîné des
bouleversements dans les rapports avec les parents dont les droits ont été réaffirmés.
Je pense que c’est un texte important qui a eu des impacts dans la pratique
professionnelle des services AEMO et pas seulement. La procédure de la réforme
d’assistance éducative instaurée par le décret de 14 mars 2002 qui est le résultat de la
commission des chambres.
Le respect du principe du contradictoire permet l’accès au dossier et la connaissance
des rapports versés aux dossiers plus la possibilité pour les mineurs d’accéder aux
avocats. Nous rencontrons d’ailleurs de nos jours de plus en plus d’audiences qui se
déroulent en présence d’avocat pour enfant. Cette question de la communication des
rapports est une question qui s’est posée depuis longtemps mais la réforme a obligé à
réinterroger cette pratique et notamment améliorer la qualité des écrits afin qu’ils
soient compréhensibles car par le passé, ils étaient un peu hermétiques et ne
semblaient être écrits que pour les professionnels, ce qui était d’ailleurs le cas
puisque c’était le juge des enfants qui lisait le rapport. Là, le rapport est aussi destiné
à la famille, il doit être lisible. Il y a d’autres conséquences ; les rapports doivent être
déposés dans les délais qui sont souvent difficiles à faire respecter aux travailleurs
sociaux, mais à partir du moment où on affirme le principe du contradictoire les
12
rapports doivent être versé au dossier avant l’audience car ils peuvent être consultés
avant les audiences.Ceci a eu des conséquences également sur le raccourcissement
des mesures, les rapports devant être rendus plus tôt, les échéances ont été
raccourcies. Ces textes ont introduit une évolution sensible des pratiques
professionnelles en imposant aux services AEMO des contraintes fortes pour respecter
certaines procédures puisque ce sont les droits des familles et des enfants d’ailleurs
qui ont été renforcés tout au long de ses dernières années. Mais en même temps, ce
qui est un peu paradoxal, c’est que la mesure AEMO est une mesure souple, adaptable
aux différentes situations, aux différents besoins des familles, elle reste une espèce de
mesure à tout faire. Cette souplesse est un atout parce que, très souvent, au début de
la mesure, on ne sait pas bien, même s’il y a eu une mesure d’investigation au
préalable, le juge n’est pas toujours en capacité de pouvoir déterminer de façon
certaine quel est l’objectif à atteindre et les modalités pour atteindre cet objectif…
Donc c’est important de pouvoir conserver une certaine latitude et une certaine
souplesse.Mais c’est aussi un risque parce que, finalement, au début de l’intervention
personne ne sait comment elle va se développer, le juge est incapable de dire si la
mesure AEMO va commencer dans 8 jours, dans 12 jours, dans 3 semaines ou dans un
mois. Il ne peut pas dire si ce sera un éducateur ou une éducatrice et les fréquences
des rencontres, ces questions-là, concernant les modalités de l’intervention, la famille
a le droit de connaître la mise en œuvre de la mesure prise à son profit.
Je pense que les évolutions de la loi de 2007 posent la question de l’efficacité de la
mesure AEMO, en concurrence avec de nouveaux dispositifs, placement à domicile,
SAPMN…par rapport à une mesure AEMO trop générique au moment où elle est
prononcée. Il semble que l’AEMO gagnerait à continuer à poursuivre un travail
d’adaptation et d’innovation pour être toujours plus efficace et opérationnel dans les
prestations qu’elle peut fournir aux familles et des personnes en difficultés.
En particulier, je pense qu’il y a des points qui posent question : c’est l’élargissement
des possibilités d’intervention des services, nous avons vu qu’il existe des mesures
d’AEMO renforcée, des mesures de travailleuses familiales … Ce n’est pas dans tous
les services, il n’y a pas besoin, je dirais, d’améliorer le contenu des prestations
offertes pour d’adapter à la diversité des situations familiales de façon à ce qu’elles
soient connues au départ. Et puis, il y a un grand enjeu, c’est la nécessité pour les
services d’AEMO d’être capable d’intervenir en coopération avec les autres services
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sociaux. C’est un sujet complexe car dès lors qu’une AEMO est ordonnée, il s’agit
d’une mesure unique, les services sociaux du Conseil Général se retirent ou sont plus
hésitants à mettre en œuvre des prestations complémentaires comme des TISF…
Alors qu’une intervention dans une famille pour être efficace a besoin de concerner
l’enfant et sa famille dans son milieu familial et elle doit aussi intégrer une dimension
matérielle de soutien à la famille pour qu’elle puisse bien évoluer ; je dirai, l’absence
de précision sur le contenu légal d’une mesure AEMO, c’est une chance et aussi un
risque pour utiliser cette dualité pour pouvoir aller dans une plus forte adaptation et
innovation. »
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Annexe 5 :Retranscription d’un entretien avec les usagers enfants et sa famille
Madame RAV et Monsieur Bill et Dean
Madame RAV :« Parler de la mesure AEMO, 4 ans après… »
Monsieur Bill : « Non Flo, c’est 3 ans… »
Madame RAV : Oui… tu en es sûr ? De toute façon, mon dossier est un véritable roman
parsemé de fausses dates y compris de l’énonciation de personnes qui sont intervenues, même
mieux, il est établi un rapport détaillé d’un certain E. B. qui est infirmier au CMP, que nous
n’avons jamais rencontré. Mes ennuis ont démarré avec un interne du centre
pédopsychiatrique de Ste M. qui n’ayant que très peu suivi mon fils signale une situation de
danger. Je suis à l’époque chef d’entreprise, mon mari capitaine naviguant et un interne
signale une situation de danger. En 15 jours, mon fils est hospitalisé, placé, et je deviens du
jour au lendemain une femme, une mère que l’Etat pointe comme délinquante avec par-dessus
le marché un juge des enfants qui vous condamne à une mesure éducative... »
Monsieur Bill : tu exagères Flo, la mesure n’est que le résultat d’une longue descente aux
enfers qui… »
Madame RAV : « Monsieur, l’espace d’un instant, vous qui êtes papa, vous pouvez me
comprendre ce que le système m’a fait subir. J’ai perdu mon fils, ma place de mère et mon
travail. J’ai été dépossédée de tout ce qui avait une importance… A aucun moment, on ne m’a
accordé une place ou même informée, j’ai été immédiatement étiquetée et rejetée. Ma rupture
barbare avec mon fils que je ne pouvais voir qu’en présence d’un professionnel. C’est une
honte de considérer les parents de la sorte. Mon fils a perdu 10 kilos pendant cette période. La
directrice d’école, une amie d’enfance, c’est son regard qui m’a fait le plus mal. J’ai
rapidement perdu toute forme de confiance en moi, je me suis laissée aller et, sans l’appui de
ma famille et de la kyrielle d’avocats qui nous ont épaulés,Dieu seul sait où Dean serait
aujourd’hui.
Monsieur Bill : « ne jette pas tout, la mesure a pu nous faire prendre conscience de nos
dysfonctionnements parentaux. A cette époque, nous avons favorisé nos carrières respectives.
Dean devait suivre… »
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Madame RAV : « Stop, P. A. tu n’étais pas là tu naviguais je ne sais où et j’ai, du moins au
début, géré seule le système.Lorsque le juge a prononcé la mesure AEMO, dès lors tout a
basculé, nous avons compris que nous n’avions plus les mêmes droits qu’avant. On s’est
sentis rejetés et on a eu le sentiment d’être trompés,... informations, dignité, j’ai été salie. Plus
je faisais confiance au corps médical, au corps enseignant, à la magistrature, sans parler des
équipes d’assistantes sociales et plus j’avais l’impression d’être un maillon faible d’un
système qui a brisé ma famille, mon mari, mon fils, ma vie… On pouvait venir chez moi,
vérifier les conditions de vie…C’est vrai que ma maison pue la misère, monsieur, (Elle
montre la piscine de la résidence), nous sommes des privilégiés, je me questionne parfois sur
ceux qui n’ont rien, je me suis senti exclue et sans solution et je fais partie des nantis, alors
eux…
Enfin, l’argent, les amis bien placés et mes connaissances notamment en matières juridiques
m’ont aidée à reprendre ma vie en main. C’est vrai que l’accès à mon dossier m’a permis de
prendre du recul sur ce qui s’est passé et j’ai, de ce fait, mieux accepté l’intervention
éducative… J’ai pu enfin comprendre et me positionner. »
Dean : « J’ai pas compris ce qui s’est passé… le 24 décembre, ma mère est hospitalisée, le 28
décembre, une assistante sociale vient chez mes grands-parents et je me retrouve hospitalisé à
mon tour sans pouvoir rencontrer un membre de ma famille. J’avais 13 ans… J’ai eu honte de
moi… »
Madame RAV : « Monsieur, la procédure est longue, mais je tiens à ce que les personnes qui
sont à l’origine de mon supplice reconnaissent leurs erreurs tant sur le plan médical mais de
toute la machine administrative et judiciaire. Je le répète, heureusement que j’ai été
accompagnée par ma famille et mes amis et que mes ressources financières m’ont garanti
l’aide d’avocats… Monsieur, la loi de 2007 qui stipule accorder une place au parent est une
mauvaise loi. »
Monsieur Bill : « Ma femme a raison, le projet de l’enfant, pour notre cas c’était le projet du
juge. Nous nous sommes conformés à la commande pour en finir le plus rapidement possible.
L’éducateur qui a exercé la mesure a été un réel réconfort, nous avons pu avec lui échanger et
il a pris le temps de nous connaître sans nous juger. Vous savez, je suis Allemand, et nous
nous sommes demandés souvent si nous ne devions pas partir dans mon pays. Mais la vie de
Dean est ici au milieu de sa famille et de ses amis. Cette période est désormais derrière
nous… »
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Madame RAV : « Après la procédure, j’ai envie d’écrire un livre qui relatera nos diverses
confrontations avec le système ».
Monsieur Bill : « la protection de l’Enfance en France, c’est comme la banque, c’est toujours
l’institution qui gagne… »
Le couple, à ce jour, a déposé plainte contre l’Aide Sociale à l’Enfance. La procédure est en
cours.
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Annexe 6 :Entretien d’un professionnel
Ludiwine, 20 ans d’expérience dont 10 en AEMO :
J’interviens sous le cadre de l’article 375, c’est-à-dire l’enfant est en danger. La
mesure que nous avons les acteurs en commun nous oblige à répondre à la commande
du magistrat, et de partir également de la compréhension de la famille de la situation.
Je recherche alors à construire un projet qui réponde à la fois à la commande formulée
par les magistrats, de partir de la réalité familiale, sa prise de conscience ou pas, son
envie d’être aidé ou pas sans oublier mes obligations contractuelles avec ma structure.
En fonction de la problématique, je mets en place des ateliers, des actions, j’actionne
mon réseau et je récolte des informations que je concentre et que je coordonne. J’ai
une vision globale et au travers ce puzzle d’informations, mon rôle est de trouver les
clés pour que chaque acteur puisse agir de sa place dans le sens commun et la
résolution du problème d’origine. La famille donne le ton de l’intervention, c’est elle
qui détermine si l’intervention se passera bien ou pas en fonction de la manière dont il
appréhende l’intervention éducative.
Chaque famille a sa propre réaction à l’intervention éducative, par expérience j’ai
l’impression que la mesure est acceptée en fonction de la culture, du niveau
intellectuel, du territoire…
C’est vraiment aléatoire, cela dépend d’où vient l’information préoccupante…
Les familles souvent sont soumises à leurs représentations, ce qui est redondons c’est
la « peur de perdre leur enfant ». Cette manière de considérer l’intervention judiciaire
revient systématiquement. Cette représentation agit bien sûr, il élabore des stratégies,
se censure, les familles sont souvent très méfiantes. Il est alors important de construire
une relation de proximité qui les rassure et dans laquelle ils peuvent alors sans crainte
s’exposer. Je rappelle que nous ne ferons rien sans eux que dans la procédure, la
famille aura toujours son mot et sa place à prendre. Que la famille et l’AEMO ne
soient pas d’accord, c’est le juge qui décide. Je les informe sur leurs droits et les
devoirs que j’ai vis-à-vis d’eux. Je rappelle que c’est l’investissement dans les actions
qui va lors de l’évaluation nous fournir des informations sur l’efficience de la mesure.
Franck FERRARI : Avez-vous déjà été en conflit avec un magistrat ?
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En désaccord oui, mais en conflit non ! Je distingue les deux car pour moi, ce n’est pas
la même définition un conflit ou un désaccord. Dans le mot conflit, j’y perçoisdes
émotions alors qu’être en désaccord, c’est évaluer une situation d’une manière
différente et l’on perçoit le changement d’une situation en fonction de sa place.
De toute façon, c’est le juge qui détient la décision final. La mesure AEMO, c’est une
famille, un travailleur social et c’est le juge qui décide à la fin. J’essaie toujours
d’avoir une marge de liberté, une autonomie pour mettre en place mon projet…
Ce qui intervient de façon déterminante dans l’élaboration d’un projet, c’est la
confiance, la transparence, la rencontre d’un qui et d’un quoi. Effectivement, c’est
d’abord une rencontre entre un ou plusieurs individus et l’investissement et l’intérêt
que chacun met à la résolution du problème, à favoriser le changement. Il faut que la
famille nous donne un minimum qu’elle nous livre une part de son intime, de sa
sphère privée. Il est alors important de ne pas les juger, de ne pas les positionner en
ignorant. Le respect reste une valeur importante car la manière dont on s’adresse aux
autres va induire le comportement de l’autre. Mais plus que le respect, c’est la
bienveillance qui domine comme un préalable. Je n’hésite pas à instaurer un débat, de
lancer des idées et d’observer comment la famille perçoit l’information car notre
posture va interagir sur l’autre.
Les familles ne sont pas des partenaires car elles sont sous une AEMO judiciaire, en
AED, les diverses parties peuvent à n’importe quelle moment dénoncer les termes du
contrat. Par ailleurs, j’associe le partenaire à un professionnel. Pour les familles, ce
n’est pas un travail, elles ne sont pas rémunérées, il ya, à cet égard, une dimension que
nous ne maîtrisons pas, c’est l’affect. Nous nous gérons notre affect, on peut être en
réaction mais on a les outils pour se distancier, eux non, c’est leur vie qui est en jeu.
Nous ne sommes pas au même niveau et à la même place. Nos attentes ne sont pas les
mêmes. Les familles sont …dans la soumission à la mesure éducative… les termes
sont peut-être trop forts… elles subissent car qu’elles décident ou pas elles doivent
changer car elles ont une épée de Damoclès, d’être stigmatisées, de perdre leur enfant,
d’être reconnues.
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Annexes 7 :Tableaux des dimensions et des indicateurs
Pour la dimension participation :
Ladimension participative
Informations connues
ou zone d’incertitude
Négociation = la place du
débat contradictoire
La prise de
responsabilité
Usagers
Inclusion +
Inclusion -
« Mes connaissances et
mon expérience ont
contribué à faire ma
place dans
l’organisation »
« La mesure judiciaire
m’a isolé, et je me suis
senti impuissant »
« A plusieurs reprises, j’ai
indiqué aux audiences que
je voulais récupérer mes
enfants mais le juge a
toujours suivi
l’éducatrice… »
Je n’ai jamais compris
pourquoi on me demandait
mon avis puisqu’on ne l’a
jamais suivi… »
« L’éducateur nous a mis
en confiance et nous
avons collaboré »
« Je me suis sentie
pointée et j’ai perdu
confiance en moi au
point que le moindre
geste du quotidien j’avais
besoin de l’avis de
l’éducateur »
Travailleur
social
« Je recherche les
potentialités et je mets
dans le temps un projet
où chacun perçoit son
intérêt »
Les attendus du juge
fixent le cadre
d’intervention
« J’ai toujours l’impression
que l’on peut faire plus mais
le temps et le nombre de
mesures ne nous permettent
pas un travail en
profondeur »
« Je base mon travail avec
les familles sur les
attendus »
« A quoi sert un DIPC si
l’usager ne le signe pas »
Juges « Je base mes attendus
sur les rapports des
travailleur sociaux. »
« Mon seul souci est la
réduction de l’écart ou
l’arrêt de la situation de
danger ».
« Je ne juge qu’en
fonction du danger.
L’amélioration des
conditions de vie c’est du
plus ».
Résumé d’analyse : Plus l’inclusion sociale des usagers est établie, plus il participe à
l’intervention éducative. Le recours à leurs droits sociaux se fait quasi automatiquement.
Plus la régulation, le contrôle s’exerce, plusl’intervention se base sur les attendus, il en résulte
une faible participation des acteurs qui limitent leur intervention en fonction de la norme.
Dans ce cas, l’attendu prend un aspect contraignant qui limite toute forme de négociation et
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d’engagement. Il peut conduire à une augmentation de l’incertitude générant isolement,
sentiment d’incertitude, notamment pour les usagers et les professionnels. Dans ce contexte,
les responsabilités individuelles sont exacerbées et conduisent les acteurs à favoriser leurs
intérêts particuliers et ne créé ni un partenariat car les acteurs ne sont pas reconnus, ni un
collectif d’acteurs. Le projet devient alors un programme qui répond, par diverses actions, à
répondre à la commande sociale.
Pour la dimension partenariat :
La dimension partenariale
Reconnaissance des
acteurs
Le partage des décisions Délégation
Usagers « Nous nous sommes
conformés aux
obligations »
« on me demandait de
récupérer mes enfants
sans prendre en
considération que je
n’avais ni électricité ni
les moyens de leurs
donner à manger »
« Monsieur, l’espace d’un
instant, vous qui êtes papa
pouvez comprendre ce que le
système m’a fait subir, j’ai
perdu mon fils, ma place de
mère et mon travail… J’ai été
dépossédé de tout ce qui avait
une importance… A aucun
moment on ne m’a accordé une
place ou même informée, j’ai
été immédiatement été
étiquetée et rejetée(…) »
« j’ai eu l’impression
d’être infantilisé pendant
le temps de
l’intervention »
« Nous avons construit
une relation de confiance
avec l’éducateur(…)
nous avons chacun
trouvé nosplaces »
Travailleur
social
« Nous sommes des
exécutants d’une
commande sociale »
« On a pas le temps
d’aborder les causes
profondes des
dysfonctionnements »
« L’efficience d’une
intervention dépend souvent de
la volonté des familles à
s’investir »
« La famille donne le ton de
l’intervention, c’est elle qui
détermine si l’intervention se
passera bien »
« La justice ne peut pas
palier à toute les
carences et mettre les
familles sous tutelle
sociale »
« l’attendu doit favoriser
un mieux-être, un
changement possible »
Juges « il n’y a pas de
contrainte, l’usager peut
accepter ou refuser
l’intervention »
« seul m’importe le droit
et la fin du danger, si la
mesure a un impactsur
leur quotidien, c’est un
plus »
« Je pense que les évolutions
de la loi de 2007, elle pose la
question de l’efficacité de la
mesure AEMO, en concurrence
avec de nouveau dispositifs,
placement à domicile,
SAPMN »
« Nous fixons nos attendus sur
les rapports et lesnotes que
nous fournissent les
éducateurs »
« Je dirai, l’absence de
précision sur le contenu
légal d’une mesure
AEMO, c’est une chance
et aussi un risque pour
utiliser cette dualité pour
pouvoir aller dans une
plus forte adaptation et
innovation »
21
Il semble que ce qui fait obstacle dans la construction d’un partenariat vient essentiellement
d’acteurs qui sont très engagés dans leurs projets et reconnaissent eux-mêmes avoir le « nez
dans le guidon ». Les injonctions au travail coopératif sont nombreuses et pressantes. Les
stratégies de frein sont plus déterminantes surtout s’il s’agit de mettre en place un partenariat
qui nécessite la création d’un collectif d’acteur, à savoir un collectif de compétences.Les
logiques stratégiques sont souvent guidées par des enjeux de pouvoir qui dominent les choix
des acteurs. La recherche de partenariat se heurte à des logiques de fermeture plus ou moins
explicite : refus ouvert de collaboration, pas de délégation et des marges de décision limitées.
Chaque acteur s’enferme dans une reproduction à l’identique de pratiques et refuses de laisser
des marges de pouvoir à l’autre. L’isolement et le sentiment d’impuissance dominent
notamment chez les usagers et les professionnels. La logique de rentabilité économique est
sans doute le plus pernicieux obstacle au partenariat. Globalement, le temps d’intervention
sociale est largement un temps contraint.
Pour la dimension représentations :
Les représentations
Représentations de
soi
Représentations des autres
acteurs
Représentations
Sociales
Usagers « l’AEMO, c’est une
aide qui peut s’avérer
dangereuse».
« je me suis sentie
dévalorisée et
humiliée notamment
lors des visites à mon
domicile ».
« J’ai d’abord pensé que
l’éducateur venait m’enlever
mes enfants ».
« L’AEMO c’est le juge, c’est
la loi, j’ai été jugé mauvais
parent ».
« je suis à l’image de
mon quartier ».
« L’école me demandait
pourquoi je mettais mon
fils le vendredi… c’est
parce que c’est le jour
du poisson »(maman
musulmane).
Travailleur
social
« Nous sommes bien
souvent seuls dans
l’analyse des
difficultés et j’avoue
que je me raccroche à
des valeurs
personnelles faute de
références
collectives ».
« Il semble nécessaire
de bien se comprendre
soi-même dans sa
relation à l’autre »
« Le projet, c’est le compromis
entre le cadre d’intervention,
ce qu’on comprend des attentes
du magistrat, des difficultés de
la famille notamment si elle est
très carencée et de ce qu’on est
capable de faire. »
« Chacun fait comme il peut, en
fonction de son vécu et de son
style, on ne m’a jamais dit
comment faire avec les
familles, j’ai appris sur le
terrain à les respecter et à me
faire respecter»
« La réalité des familles
nous renvoie parfois
l’infaisabilité des
attendus ».
« On doit prendre en
considération la réalité
sociale des usagers pour
mieuxcomprendre la
complexité de
l’intervention et en saisir
leslimites ».
22
Juges « avoir des valeurs
n’empêche pas des
attitudes de contrôle
social ».
« le contrôle ne
circonscrit pas toutes
formes d’aide ».
« de nombreux parents ont
perdu certains repères,
certaines valeurs et se
retrouvent dans des situations
compliquées et conflictuelles ».
« Ils sont carencés et dépassés
par l’éducation de leurs
enfants ».
« Précarité sociale et
matérielle, majorité de
familles qui habitent
dans le même quartier
souffrent des mêmes
difficultés ».
La réalité du rapport au projet d’intervention oscille entre désir et méfiance. Le public
soutient un certain nombre de raisons objectives et de raisons personnelles pour justifier de
cette ambivalence. Il y a d’abord la complexité du dispositif et les représentations afférentes,
« vous allez enlever mes enfants »et le changement que le projet désigne comme obligatoire.
Nous avons également soulevé la peur du regard porté sur soi, voire de la stigmatisation,
compte tenu des représentations négatives attachées à la mesure judiciaire de type AEMO. Le
public appréhende également les contreparties, la perte de leur identité, concernant les parents
la perte de leur autorité…
Concernant les professionnels, le mandat est présenté comme un repère précis, ne portant pas
à débat, c’est-à-dire comme élément indiscutable parce qu’objectif. C’est au travers des
attendus que le mandat prend corps. C’est alors le spectre du positionnement professionnel
qui resurgit allant de l’intervenant pour qui trop d’attendus lui retirent ses marges de liberté
aux reproches pour des attendus pas assez précis. Cette double approche reflète la diversité
des juges et leur rapport à la profession. La valeur respect émerge comme la première
revendiquée. L’isolement et une très grande responsabilité individuelle sont également la
source d’un certain épuisement des professionnels.
Concernant les juges, nous pouvons nous rendre compte que la notion de danger est à
géométrie variable d’un juge à l’autre, l’appréciation est différente. Nous pouvons penser que
le quartier ou le territoire joue un impact important dans la prise de décision des magistrats
qui a tendance à identifier les familles à leur environnement. Au travers des résultats obtenus,
nous pensons qu’il y a corrélation entre la dynamique d’un territoire donné et du nombre de
jugements et d’ordonnances.
23
Annexe 8 :Schémas pour réaliser un diagnostic partagé
Repérage
Construction d’une problématique qui intègre la
dimension sociale, culturelle, économique et les
institutions
Confrontation des valeurs de chaque acteur
Quelles sont les conditions favorables ?
Quelles sont les freins ?
Construction d’un espace de sens
Repérages des différents acteurs
Indentification des enjeux :
Quelles sont les motivations des
acteurs ?
Information de leur droit
Quel est le niveau d’implication ?
Quelles sont les partenaires en
présence, secteur associatif, les
institutions les familles…
Repérage de la demande, est-
elle en lien avec les conditions
d’existence ?
Quelles sont les potentialités
repérées, les compétences à
développer.
Identification de la
Commande :
Le magistrat formule ses
attendus qui vise à limiter
les écarts entre les
dysfonctionnements
repérés et la norme
Repérage sur le territoire :
Les personnes ressources
La géographie du secteur
Définir les enjeux du
territoire, aspiration et
valeurs du territoire.
24
Annexe 9 : Profil des familles interviewées
Les familles interviewées : Monsieur Bill et Madame RAV et leur fils Dean (8ème
)
Madame RAV est chef d’entreprise et Monsieur Bill capitaine naviguant, Dean est un
adolescent de 17 ans.
Origine de la mesure : motifs de la mesure mentionnés dans le jugement :
Diagnostic médical qui présente la mère comme bipolaire et possiblement dangereuse vis-à-
vis de son fils.
Motifs de l’intervention pour les professionnels : le père et la mère fortement insécurisés, père
absent.
Madame BECH et sa fille Clara (10ème
)
Madame occupe un logement insalubre et titulaire du RSA.
Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants :Mère et fille ont une relation
fusionnelle qui nuit à la socialisation de l’enfant.
Motifs mentionnés par le travailleur social : problématique sociale importante, logement
précaire, revenus modestes et addiction aux stupéfiants
Monsieur F (5ème
) et sa fille Carla
Monsieur est ingénieur et Madame est infirmière, ils sont séparés.
Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : propos mortifères du père et
relation très conflictuelle avec l’autre parent.
Motif mentionné par le travailleur social : problématique psychologique du père et relation
conflictuelle avec la mère.
25
Monsieur et Madame DET et leur fille Charlotte (9ème
)
Monsieur et Madame sont médecins.
Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants :séparation très conflictuelle
Motif mentionné par le travailleur social : parents manipulateurs qui utilisent leurs enfants
comme objets de pression.
Monsieur et Madame P et leurs 6 enfants (9ème
),
Monsieur est intérimaire et Madame est caissière.
Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : dysfonctionnements familiaux
importants qui déstructurent les enfants.
Motif mentionné par le travailleur social : père et mère retour de placement, parents démunis
sur un plan social et intellectuel et soutien éducatif.
Madame M’et son fils Nadjim (10ème
)
Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : mère destructrice, accompagner
Madame dans la recherche d’un centre de placement pour son fils.
Motif mentionné par le travailleur social : mère isolée et sans ressources, désorientée par les
attitudes de son fils autiste.
Madame Z et ses 3 enfants (13ème
)
Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfant : violences conjugales.
Motifs mentionnés par le travailleur social : violences conjugales.
26
Madame CHAB et ses deux enfants(13ème
)
Madame est femme de ménage et vit dans un quartier sensible.
Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : mère isolée avec un manque
d’implication dans les actes de la vie quotidienne.
Motifs mentionnés par le travailleur social : mère en souffrance, désorientée par le
comportement violent de ses deux adolescents.
Monsieur et Madame BAR dans le 8ème
Madame, ancienne championne de ski et Monsieur promoteur immobilier.
Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : Phobie scolaire.
Motifs mentionnés par le travailleur social : parents apathiques qui n’ont pas conscience de
leurs responsabilités.
Madame BOUK et ses 4 enfants (13ème
), parents issus de l’immigration. Ils vivent du RSA et
des allocations. Toutefois, ils sont fortement impliqués dans la communauté algérienne
notamment Monsieur, ancien policier.
Origine de la mesure mentionnée par le Juge des Enfants : violence conjugale.
Motifs mentionnés par le travailleur social : fragilité affective, précarité sociale et matérielle,
phénomènes d’exclusion visible.
Une étude comparative rapide nous informe que, dans 4 cas sur dix, les motifs sont
identiques, dont 3 cas sur dix, ils se rapprochent et pour 3 cas, ils sont différents de ceux du
magistrat. Il semble bien que la notion de danger est perçue différemment que l’on soit
magistrat, travailleur social ou usager.
27
Annexe 10 : Un outil : référentiel de compétences
Les structures gèrent quotidiennement les compétences de leurs salariés et ceci, sans
nécessairement le traduire dans des outils ou dispositifs spécifiques. Cependant, notre
diagnostic a mis en évidence la nécessité de formaliser ces compétences. Les
compétences renvoient aux savoirs, savoir-faire et comportements à mobiliser et à
combiner pour faire face aux situations de travail.
La réalité du travail des gestionnaires sociaux nous a fait privilégier la construction
d’un référentiel commun comme support à la construction d’un acteur collectif. Cette
orientation suit également les évolutions du travail, la logique des lois de 2002 et de
2007 qui favorise la promotion de l’usager acteur. Il est évident que ce référentiel a été
réfléchi dans l’optique de l’appliquer à une intervention judiciaire ou plus globalement
un système sous contrainte et optimiser ainsi l’investissement des acteurs présents.
Un référentiel de compétence vise à « la redéfinition de la description des emplois
existants en fonction des compétences mobilisées »135
. Ce travail d’élaboration d’un
référentiel de compétence correspond à formalisation d’un cadre collectif.
Le travail réel est cependant difficile à faire figurer de manière exhaustive dans un
référentiel. Pour en rendre compte, nous avons opté pour une démarche très librement
inspirée de la méthode ETED (Emploi-Type Etudié dans sa Dynamique) développée
par le CEREQ (Centre d’étude et de recherche sur les qualifications). Nous avons fait
le même constat que le même emploi-type, ici de gestionnaire social, est susceptible
« d’être exercé par des professionnels de différentes manières, selon les profils des
individus et les contextes d’exercice, et cherchent à rendre compte de cette
variabilité »136
. Compétences à acquérir ont été déduites des entretiens individuels
passés avec les gestionnaires sociaux. Cette démarche correspond à celle de l’ETED
qui vise à saisir une représentation du métier basée sur les descriptions de ceux qui
l’exercent. Ce référentiel n’ambitionne pas un aboutissement tel que l’aurait permis
l’ETED137
.
135
Damien Brochier, « Qualification ou compétence ? », inJean-Jacques PAUL et José ROSE (dir.), op.cit., p.297. 136
Jean-Claude Cadet,« Qu’est-ce que la professionnalisation ? »,inJean-Jacques PAUL et José ROSE (dir.),
op.cit., p.339.
137LIAROUTZOS Olivier, SULZER Emmanuel (coor.), (2006),La méthode ETED : de l'analyse du travail aux
référentiels d'emploi/métier,Relief, n° 14, 82 p.
28
REFERENTIEL DE COMPETENCES – TRAVAILLEUR SOCIAUX DE LA SAUVEGARDE13
Description de la compétence
1. Orienter dans le
milieu naturel de
l’enfant
Savoir-faire généraux
1.1 Transmettre et favoriser la transmission
des informations de façon adaptée
Savoir-faire et connaissances associées
1.1.1 Connaître les potentialités et les
limites de l’environnement
1.1.2 Connaître les potentialités et les
limites des personnes accompagnées
1.1.3 Connaître les institutions et les
dispositifs relatifs à la scolarité
1.1.4 Savoir faire émerger des solutions par
l’auto-support
1.2 Médiatiser la relation aux institutions
1.3 Contractualiser l’intervention
1.3.1 Accompagner dans les démarches
(inscription/radiation…) en visant
l’autonomisation
1.3.2 Savoir instaurer une relation de
confiance avec la famille pour
appréhender les parcours scolaires
1.3.3 Maîtriser les théories et les techniques
d’analyse de gestion des conflits
1.3.4 Proposer un cahier des charges, des
termes de référence qui actent les
engagements de chacun
1.4 Inciter au respect de la commande liée
aux attendus
1.4.1 Savoir susciter l’adhésion et
l’implication des acteurs
1.4.2 Mobiliser les usagers autour des droits
et des devoirs des citoyens
29
Description de la compétence
2. Construire le projet autour
d’un diagnostic partagé
Savoir-faire généraux
2.1 Reconnaître les acteurs
Savoir-faire et connaissances associées
2.1.1 Savoir cibler les acteurs et les
personnes ressources
2.1.2 Savoir identifier les besoins et les
attentes
2.1.3 Connaître son propre cadre de
référence et celui des autres acteurs
2.2 Construire un partenariat
2.2.1 Mobiliser les partenaires autour de la
construction d’un projet commun
2.2.2 Connaître la méthodologie de projet
2.2.3 Coordonner, animer, réguler le
partenariat institué
2.3 Développer une expertise sur la
construction d’un diagnostic partagé
2.3.1 Connaître le système qui sous-tend la
problématique
2.3.2 Savoir diagnostiquer et évaluer les
situations
2.3.3 Développer une approche
interculturelle
FERRARI FRANCK SOUTENANCE : Déc 2013
DIPLOME D’ETAT D’INGENIERIE SOCIALE
TITRE : « Je veux que tu veuilles changer »
RESUME :
Dans le champ très complexe de la maltraitance, il est généralement difficile de démêler
les enjeux enchevêtrés et souvent conflictuels des situations et d’arriver à cerner les
objectifs précis pour l’intervention. L’Action Educative en Milieu Ouvert se confronte à
ce jour à des changements sociaux importants - un public en profonde mutation, une
volonté politique de promouvoir la place de l’usager, de l’inclure au centre du
dispositif - qui questionnent les projets, les valeurs et la méthodologie d’intervention
pour l’ensemble des acteurs qui interagissent dans un système sous contrainte. Le défi
se situe dans ce paradoxe : faire adhérer un individu à un changement obligatoire (je
veux que tu veuilles changer). Dans ce mémoire, nous avons tenté de mettre en
évidence les dérives potentielles (disqualification sociale, assujettissement à la norme)
et d’indiquer les rapports de force qui s’instaurent dans le cadre d’une intervention
judiciaire. Notre hypothèse tente de résoudre une équation complexe : accompagner
l’usager de l’indignité vers une reconnaissance, passage légitime pour élaborer et
construire ensemble un projet d’intervention commun. Or, l’articulation des projets de
chaque acteur ne va pas de soi et trouver un point de convergence se confronte à des
réalités différentes. L’attendu du juge devient alors le support de l’intervention qui
limite les marges de liberté des autres acteurs.
Nos préconisations visent à restaurer un pouvoir d’interpellation aux divers
intervenants.
Acteurs - Projet - Système sous contrainte – Participation – inclusion
sociale - disqualification sociale – Développement Social Local- Nécessité- liberté
NOMBRE DE PAGES : 120 Volume(s) annexé(s) : 0 x – 1 - 2
Collège Coopératif Provence Alpes Méditerranée
Europôle Méditerranéen de l’Arbois, BP 50099
13793 AIX-EN-PROVENCE cedex 3