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Revue bi-annuelle publiée par l’École Nationale Supérieure de Sécurité

Sociale

27 rue des Docteurs CharcotCS 13132

42031 Saint-Étienne cedex 2Tél : +33(0)4 77 81 15 15

www.en3s.fr

Directeur de la publication : Dominique Libault

Directeur général de l’EN3S

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

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Comitéde rédaction

Président Dominique LIBAULT Directeur de l’EN3S Vice-PrésidentduHautConseildufinancementdelaprotectionsociale

Membres (par ordre alphabétique)

Pierre ALBERTINI Directeur de la CPAM de Paris

Gilles ARZEL Directeur des CPAM de Béarn, Soule et Bayonne

Jean-François CHADELAT Inspecteurgénéralhonorairedesaffairessociales, DirecteurhonorairedufondsdefinancementCMU

Alain CHAILLAND ConseillerréférendaireàlaCourdescomptes

Julien DAMON ProfesseurassociéàSciences-Po,Conseillerscientifiquedel’EN3S

Marion DELSOL DirectricedulaboratoireIODE(Institutdel’OuestDroitetEurope)

Benjamin FERRAS Inspecteurdesaffairessociales,ancienconseiller cabinet de la Ministre des affaires sociales et de la santé

Philippe GEORGES Inspecteurgénéraldesaffairessocialeshonoraire

Jean-Louis HAURIE Directeur de la CAF de Paris

Gilles HUTEAU Professeur en Protection sociale à l’École des Hautes Études deSantéPublique(EHESP)

Albert LAUTMAN-VIDAL DirecteurgénéraldelaFédérationNationaledelaMutualitéFrançaise FNMF

Gautier MAIGNE ChefdudépartementSociété,institutionsetpolitiquessociales, Francestratégie

Jérôme MINONZIO RédacteurenchefdelarevueInformationssociales,CNAF

Dominique POLTON Présidente de l’Institut des données de santé, Conseillèrescientifiquedel’EN3S

Xavier PRÉTOT Conseiller à la Cour de cassation, ancienProfesseurassociéàl’UniversitéPanthéon-Assas(ParisII)

Vincent RAVOUX Directeur du réseau des CAF, CNAF

Diane ROMAN Professeurededroitpublicàl’universitéFrançoisRabelais(Tours), membredel’institutuniversitairedeFrance

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Les opinions exprimées et les arguments employés dans les articles sont la responsabilité des auteurs et ne représentent pas nécessairement ceux de leur employeur ou de l’EN3S, éditeur de la revue.

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Sommaire

Édito Par Dominique LIBAULT, Directeur de l’EN3S

Grand témoin Jean-Denis Combrexelle, Président de la section sociale du Conseil d’État

DOSSIER CENTRAL : LES RISQUES PROFESSIONNELS

PARTIE A :L’ASSURANCERISQUESPROFESSIONELS: SON HISTOIRE, SON FONCTIONNEMENT, SESENJEUX

Histoire de la prévention des risques professionnels Par Laure Léoni, avocat

Les missions de la branche AT/MP Par Marine Jeantet, Directrice des risques professionnels et Anne Thiebeauld, Adjointe de la Direction des Risques Professionnels – CNAMTS

Inciter les entreprises à améliorer la santé au travail Par Pascale Lengagne, Maître de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

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Qui est couvert ? Le champ d’application personnel de la législation accident du travail Par Francis Kessler, Maître de conférences, École de droit de la Sorbonne, Université de Paris 1 ; avocat à la Cour, senior counsel, Gide Loyrette Nouel

Les risques existants et émergents Par Pascal Jacquetin, Adjoint à la Directrice des Risques professionnels à la CNAMTS et responsable de la mission statistiques

Les enjeux de la branche AT/MPPar Marine Jeantet, Directrice des risques professionnels, CNAMTS

PARTIE B : LA RÉPARTITION ET L’ÉVALUATIONDUPRÉJUDICESUBI

La réparation du risque professionnel par le retour dans l’emploi Par Pierre-Yves Verkindt, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne

Réparation intégrale, FIVA, CAP AT/MP Par Agnès Plassart, Directrice du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante

La mise en perspective de l’évaluation de l’invalidité et de l’incapacité permanente Par Marion Del Sol, Professeur de droit à l’Université de Rennes 1 et directrice du laboratoire IODE

PARTIE C :LERÔLEDESACTEURS DANS LA PRÉVENTION

Les acteurs de la prévention au travail en entreprise Par Franck Héas, Professeur à l’université de Nantes

La vision des entreprises : présentation d’une approche innovante Propos recueillis par Sébastien Martine, Sous-directeur à la Direction des risques professionnels, CNAMTS

L’action de la MSA dans le champ des AT/MP. Médecine du travail et service médical Par Franck Duclos, Directeur délégué aux politiques sociales de la MSA

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N°51JUIN2017

Les métiers de la prévention des risques professionnels Par Georges Lischetti, Ingénieur conseil régional, Directeur des risques professionnels à la CARSAT Alsace-Moselle

Optimiser le bien-être au travail et la performance globale : enjeux et perspectives Par Olivier Bachelard, Professeur, Directeur du campus de Saint-Étienne

emlyon business school

La maladie chronique à l’épreuve de l’entreprise : une réalité et un enjeu pour demain Par Patricia Courtial, Directrice-adjointe, CARSAT Rhône-Alpes

PARTIE D : L’APPROCHE INTERNATIONALE

Les lignes directrices de l’AISS Par Bernd Treichel, Expert en prévention et Sécurité sociale à l’Association Internationale de la Sécurité Sociale (AISS)

Maintien dans l’emploi des victimes d’AT/MP : Quelles pratiques chez nos voisins ? Par Catherine Lecoanet, Traductrice chez Eurogip et Raphaël Haeflinger, Directeur d’Eurogi

Prix de l’EN3S 2017

« Inégalités » L’apport majeur du livre d’Anthony Atkinson Par Mireille Elbaum, Présidente du Haut Conseil pour le Financement de la Protection Sociale (HCFiPS)

Études et recherches

Les quatre leviers de la redistribution Par Elvire Guillaud, Université Paris 1, CES et LIEPP Sciences Po et Michaël Zemmour, Maître de conférences Université Lille 1, CLERSE et LIEPP Sciences Po

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La protection sociale du sportif salarié Par Xavier Aumeran, chargé d’enseignement aux Universités Jean Moulin Lyon 3 et Paris 1 – Panthéon-Sorbonne

Quand la prison prend soin : enquête sur les pratiques professionnelles de santé mentale en milieu carcéral en France et en Allemagne Par Camille Lancelevée, chargée d’études à la direction de l’administration pénitentiaire, ministère de la Justice

Ce que la Dépendance fait au métier d’infirmière libérale Par Véronique Feyfant, chercheure associée au Centre d’Études des Rationalités et des Savoirs

Bibliographie et notes de lecture

Bibliographie

Notes de lecture

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ÉditoPar Dominique LIBAULT,

Certes, labranche«Risquesprofessionnels»est lapluspetite,financièrement,desquatrebranchescrééesen1945.Maissiellejustifieaujourd’huil’intérêt,cen’estpasseulementparcequ’elleestlapremièrebranchedelaprotectionsocialecrééeenFranceàlafindu19ème siècle. Elleestaussilabranchequiconcentrelepluslesdéfisetcontradictionsdelaprotectionsocialedu 21ème siècle. Eneffet,onvoitbienquele«social»tendàévoluerselondeuxdynamiques:

D’une part, une dialectique consistant à laisser un peu plus de liberté aux acteurssociauxdel’entreprisepouraménagerlesrèglesdujeudanslarelationdetravailentrelessalariésetl’employeurenéchanged’uneprotectionsocialeplusuniverselleetpluscomplète.C’estcequiestsouventrésuméàtraversletermedeflexisécurité.

D’autrepart, lesouhaitde faireévoluer laprotectionsocialeversunedimensionmoinsexclusivement«réparatrice»etdavantage«préventive»et«inclusive».C’estcequiestsouventrésuméparleterme«d’investissementsocial».

Or, la prévention se joue, enmatière de risques professionnels, bien évidemment au seinde l’entreprise et passe par des normes d’autant plus exigeantes que les progrès de laconnaissance,lareconnaissancedeconceptscommelapénibilitéetleburn out,leprécédentde l’amiante, l’évolutionducontenuetde l’environnementdutravailn’ontcesséd’intensifieretcomplexifier ledomainedesmaladiesprofessionnelles,alorsmêmequelesaccidentsdutravail reculaient. Lalogique«préventiondurisque»danscedomainenevapasdanslesensdel’effacementdelanormeétatiquedansledomaine«santéautravail». C’estainsiquelapartie«santéautravail»estcelledontlevolumealeplusaugmentédanslecodedutravailde1985à2015(plusde400pagesselonledécomptedeFranckMoreletBertrand Martinot). Mais,bienévidemment,lanormen’estpastoutettantlesservicesdel’inspectiondutravail,l’ANACTquelesCARSATs’efforcentdemettreenplacedesstratégiesdeprévention,avecunelisibilitéetunecoordinationdesinterventionssansnuldouteàparfaire. L’interpénétrationdu rôledes servicesdu travail et de laSécurité sociale, jusqu’au rôledumédecindutravailetdumédecinconseildelaSécuritésociale,notammentdansleconstatdelacapacitéounonàreprendreletravailestparticulièrementfrappante. Ilyalàundomaineévidentdeprogrèsetd’efficiencepourl’actionpublique.

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Parailleurs,labrancheAT-MPutilisenotammentdepuislongtempslebonus/malusenmatièredetarification,cequiestuneoriginalitédansnotrepaysagedeprotectionsociale,alorsquebeaucoupd’économistes(dontJeanTirole)plaidentpourcettesolutionenmatièred’assurancechômage.Certainss’interrogentsurlapossibilitépour lesAT-MPdereconstruirecebonus/malusdavantagesur lapréventionquesur la constatation de dommages survenus qui, dans notre monde de mobilitéprofessionnelle croissante, peuvent trouver leur source chez des employeursprécédentsdel’assuré. Au-delàdecetimpactdelamobilitésurlapertinencedelatarification,lesrisquesprofessionnels sont particulièrement concernés par l’évolution du monde dutravail,notammentl’apparitiondenouvellesformesdetravailqualifiéesdetravailindépendantetporteusesdefortsrisquescommeleslivreursàvélo.

Faut-ilétendre lepérimètredurisqueaccidentsdu travailourequalifierde tellessituationslorsquel’autoentrepreneurreçoitsesobjectifsetpeut-êtresanctionnéparlaplate-formeàlaquelleiladhère? Enfin,lesystèmederéparationforfaitairefixéparlaloiestnécessairementinterrogéparl’évolutiondelaréparationdespréjudicescorporelsparlesjuridictionsciviles:lesrisquesprofessionnelssontaussiundomaineprivilégiéd’articulationdurôledujugeetdel’actionadministrative. Pour résoudre cet enchevêtrement complexe, sans doute faudra-t-il, à l’avenir,d’avantageconsidérerqu’avantd’êtreunebrancheducodedutravail,lesrisquesprofessionnels sont en premier lieu et avant tout un segment de la politique desantépublique.

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Jean-DenisCombrexelle, Président

de la section sociale du Conseil d’État

Jean-Denis Combrexelle est président de la section sociale du Conseil d’État depuis novembre 2014.Il a auparavant exercé les fonctions de directeur général du travail au ministère du Travail et de l’Emploi entre 2001 et 2015.

Grand témoin Jean-DenisCombrexelle

M.LIBAULTVous êtes président de la section sociale duConseil d’État, qui a vocation à examiner lesprojetsdetextesendroitdutravail,delasécuritésocialeetdelasanté,avecunregardlargesurnotre sujet du risque professionnel et de lasantéau travail.Parailleurs,vousavezremplipendant treize ans les fonctions de directeurgénéraldutravail,quianotammentcompétencesurlesquestionsdesantéautravail.Comment avez-vous rencontré dans votre vieprofessionnellecesujetdelasantéautravailetdurisqueprofessionnel?

Jean-DenisCOMBREXELLEJe mentionnerai un aspect personnel. Je n’ai pasdécouvertces sujets en devenant directeur généraldutravail.Mamèreétaitaide-infirmièredansuneentrepriseets’occupaitbeaucoupdesanté et sécurité au travail. Commedirecteurauministèredutravail,jemesuisattachéàmettreenplace«lapolitiquedutravail»danslaquelleétaientintégréeslasantéau travail et les conditions de travail. Cette politique était caractérisée par plusieurs axes,dotés d’une certaine cohérence. La premièreidéeconsistaitenlanécessitéd’unrééquilibrageentrelaloietlaplacedelanégociationcollectiveauprofitdecettedernière.Parailleurs,latendanceétaitdetropsefocalisersur des questions classiques de temps detravail,decontratsdetravailetdelicenciementaudétrimentdusujetdesconditionsdetravail,incluantsantéetsécurité.Orcedomaineétait,àmonsens,aumoinsaussi importantque lesprécédents.Untroisièmeaxedelapolitiquedutravailvisaità restructurer l’organisation notamment desservices déconcentrés, plus particulièrementdel’inspectiondutravail.Touscesaxesétaientconsidéréssousunanglequinesevoulaitpasuniquement juridique,maisdans lamesuredupossible, plus opérationnel. C’était le sens de

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Par Dominique LIBAULT, Directeur de l’EN3S

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Regard d’un grand témoin

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la transformation de la direction des relations du travail (DRT)enunedirectiongénéraledu travail (DGT). Il nes’agissaitpasseulementderédigerdes textes,descirculairesetdesdécretsdans une approche strictement « juridico-contentieuse » maisd’agirconcrètementsurleréel,c’est-à-diresurlemilieudutravail.L’arrivéedeGérardLARCHERauministèredutravailareprésentéunélémentdéterminantàcetégard.Lessujetsdesantéautravailavaient du sens pour le président de la fédération hospitalièrequ’ilavaitété.Lapolitiquedutravailsoustoussesanglesaétévéritablement lancéesous ladirectiondeGérardLARCHERetaétéreprise,pourmelimiterauxpériodesoùj’aiétéDGT,parXavierBERTRANDetMichelSAPIN.Elles’est inscritedans letempspuisquelesdernierstextessurlesréformesdel’inspectiondutravailetdelamédecinedutravailviennentd’êtrepubliés.

M.LIBAULTJepensequ’unvéritablebesoins’est faitsentiràcetteépoquede revoir la façon de considérer, d’une part, la relation entrel’entrepriseetlasantéautravail,etd’autrepart,l’organisationdel’Étatparrapportàcesujet.

M.COMBREXELLESansnierl’importancedudramedel’amiantedanscetteévolution,il me semble que les causes premières sont sociologiques.Longtempsilaexistéunedifférenciationdefaitentre,d’unepart,lesproblématiquesclassiquesdesantépubliqueet,d’autrepart,unmilieuàpart,où l’onn’appréhendaitpasde lamême façonles problèmes de santé, qui était celui de l’entreprise et pluslargement dumondedu travail.Même si le droit du travail estnédelapriseencomptedesquestionsdesantéetdesécurité,lesexigencesenmatièredesantén’apparaissaientpas,endépitdes efforts de l’État, de lamédecine du travail et de certainespersonnalités,commeprioritaires.Progressivement, dans les années 2000, l’approche du salariéa été très différente. Il s’est comporté de la même façon quele consommateur, qui attend du produit qu’il consomme unegarantie absoluede santé.À cet égard, la jurisprudencede laChambre sociale de la Cour de cassation du 28 février 2002sur l’obligation de sécurité de résultat, dont le fondement estexclusivement prétorien, semble davantage être l’expressiond’unconstatsociologiquequejuridique.Lesalariéattenddesonentrepriselerespectd’uneobligationderésultat,quigarantissequenisasanté,nisasécuriténesoientmisesencause.Face à cette évolution, les structures de l’État n’étaient pastotalementorganisées,notammentauniveaudesconnaissanceset de l’évaluation des risques. Des agences avaient été

Jean-Denis COMBREXELLE

Interview réalisée par Dominique LIBAULT

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créées, mais compétentes uniquement en matière d’environnement.Il a fallu transformer l’AFSSE (Agence française de sécurité sanitaireenvironnementale) en AFSSET (Agence française de sécurité sanitaire del’environnement et du travail), devenue ensuite l’ANSES (Agence nationale desécuritésanitairedel’alimentation,del’environnementetdutravail).Toutcelaparaîtaujourd’huiallerdesoi,maisdanslesannées2000,ilafallusebattrepourobtenirle«T»del’AFSSET.Ilafallu,parailleurs,développerlesoutienquepouvaitapporterl’Étatauxentreprises,commecefutlecaspourledéveloppementdel’ANACT,delamédecinedutravail,ducontrôledel’inspectiondutravailenmatièredesantéetdesécurité,etc.Toutescesévolutionssesonttraduitesen2006parunpremierplansantéautravail(PST),quiavaitsansdoutedesinsuffisances,étanttropexclusivementaxésurlesadministrationsenchargedutravail.Maisimpulséparunefortevolontépolitiqueduministre,ilreprésentaitunepremièrefenêtrequis’ouvrait.L’idéeconsistaitàapporterunecohérenceàtouteslesactionsde l’Étatenmatièredesantéautravailetdemontrer laprioritéqu’accordaient lespouvoirspublicsàcettequestion.

M.LIBAULTQuelbilantireriez-vousdecettestratégiemiseenplacedanslesannées2000?Quelsacquisvoussemblentfortsetontmodifiélasituation,etquelssontlesélémentsquiapparaissentplusenretraitetsurlesquelsonarencontrédavantagededifficultéàévoluer?

M.COMBREXELLEUnpremierpointmesemblepositif.Toutlemondeconsidèreaujourd’huicommeévidenteslesquestionsdesantéautravailet,pluslargement,deconditionsdetravail,cequ’ellesn’étaientpasàl’époque.Lesresponsablesduprivéetdupublicestimentqu’ilexisteunsujet«conditionsdetravail».Maisdelamêmefaçonqu’unchangementdeperspectives’estproduitducôtédessalariés,ilfautqu’unetelleévolutionintervienneégalementducôtédesacteurs.Jeciteraideuxexemplesàcetégard.Lepremierconcerne lamédecinedu travail,dontune réformevientd’êtreadoptéedans lecadredelaloiELKHOMRIdu8août2016.Cettelois’inscritdansunelonguesuitederéformesengagéesdepuis2004.Ils’agissaitàl’époquedelafaireévoluerd’unevisionprocéduraleaxéesurlecontrôlemédical,l’aptitude,etc.,àunevisionorientéeverslapréventionetunepolitiqueactivedel’entreprisedanscedomaine.Lebutdel’ensembledecesréformesestd’inscrirelamédecinedutravail,avecsonexpertiseetsaconnaissancedumondedutravail,commeuneforceactiveetcentraledel’évolutionquejeviensdedécrire.Àcejour,lestexteslégislatifsetréglementairessontparusmaislaballeestmaintenantdanslecampdesmédecinsdutravail.Àeuxd’êtrelesacteursetlesmeneursdesactionspluri-disciplinairesdepréventiondanslesentreprises.Lameilleurefaçonde luttercontre la faiblessedesressourcesenmédecinsdutravailestdedonnerune imagepositiveetattractivedecetteprofession.C’estd’abordauxintéresséseux-mêmesdeladonner.Demême,encequiconcernelerôledesentreprisesenmatièredesantéetdesécuritéautravail, ilexistedes textessur lerisquechimique, lesrayonnements ionisants,etc.D’autresdomaines s’avèrent beaucoup plus difficiles à appréhender, tels que les troublesmusculo-squelettiques (TMS),quisont lapremièrecausedemaladieprofessionnelle,ou les risquespsychosociaux(RPS).Contrairementàcequepensaitunejournalistequimedemandaitun

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jourquandparaîtraitundécretcontre lestress, touscessujetsnepourrontêtreréglésparlaseulenormeétatique.Ilsrelèventd’abord de l’organisation du travail et de la négociation. Làencore, il ne suffit pas d’affirmer dans des circulaires ou dansdesplansqu’il fautnégocier sur les conditionsde travail.Celasupposequ’auseindesentreprises,desmanagersetdesDRHveuillentnégocieretenaientlacapacité,etqu’unetellevolontésoitpartagéeparlessyndicats.Lebilanmontrequedenombreusesactionsontétélancées,maisàunmoment,seposelaquestiondelacapacitéetdelavolontédesacteursàs’investirsurlesujet.J’entendsdanstouslescolloquesdesodesaudialoguesocialetàlaqualitédelavieautravailmaisl’ancienDGTquejesuissaitquedanslaréaliténoussommesbienloinducompte,parexemple,quandonregardelaformationdesmanagersdusecteurprivéetdusecteurpublicsurcesquestions.C’estcequimefaitdirequenousnoustrouvonsaumilieudugué.Untroisièmesujetdoitégalementêtrementionné.Nousdressionschaque année à la DGT le bilan des conditions de travail. Leschémafigurantlesacteursdanscedomainesemblaitd’unerarecomplexité,avecdesflèchesdanstouslessens.Duseulpointdevuedespouvoirspublics,ausenstrèslarge,ilexisteunelogique«ministèredu travail »et une logique« sécurité sociale»quipeuventapparaîtrecommeconcurrentielles.

M.LIBAULTD’une certainemanière, les évolutions que vous décrivez sontsimilaires à celles que l’on observe enmatière de politiquedesécuritésociale,desantéetd’assurancemaladie,àsavoirqu’ilnes’agitpasuniquementderéparer,maisaussid’intervenirenamont et de prévenir. Cela suppose de mobiliser les acteurset de changer lesmodesd’interventionde l’État, l’efficacité neconsistantplusàélaborerdescirculaires.Silecontrôleexiste,ilneconstituepluslavoieunique.L’idée consiste bien à s’efforcer de faire évoluer les comportements.Celainduitunemutationtrèscomplexe,oùnotreorganisationinstitutionnelleactuellepeutêtreinterrogéedanssacomplexitéhéritéedel’histoire,avecsesdeuxréseauxdutravailetdelasécuritésociale,quipoursuiventlesmêmesbuts.Lorsdel’élaborationdesplansdesantéautravail,onconstateclairementqu’il n’y a aucun problème à définir des objectifs communs,mais on connaît ensuite, commedans d’autres domaines, desdifficultésàfaireagirtouslesacteurs,alorsquelesmoyensdepuissancepubliquesontlimités.Uneréflexionest-ellemenéesurlafaçondemieuxorganiseretrapprochercesdeuxunivers,pourplusd’efficacité?

Jean-Denis COMBREXELLE

Interview réalisée par Dominique LIBAULT

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M.COMBREXELLECelafaitpartiedesprioritésdumoment,compte-tenudesmoyenslimités.Jementionnerail’exempledetroisorganismestraitantdethématiquesassezsemblables : l’INRS, l’ANACT et l’OPPBTP. Je ne prétends pas qu’il faille lesfusionner.Laquestionseposenéanmoinsdesmoyenspourfairefonctionnercestroisétablissementsetdelanécessitéd’assureruneconvergenceetunecomplémentaritédesactionsmenées.Ilexisteégalementdeuxcorpsdecontrôle,l’unauseindelasécuritésocialeetl’autreauseindel’inspectiondutravail.Làencore,sanspréconiserunefusion,j’ailesentimentd’unmanquedecomplémentarité.Uneentreprisepeutrecevoiràquinzejoursd’intervalledeuxinspecteursquitiendrontpeut-êtredesproposdifférents.Enoutre,lesplansd’actiondiffèrentégalement.Dansuncontextede faiblessedesmoyens,etoù,ausurplus, lescitoyensn’appréhendentpastouteslessubtilitésdesarcanesdelasécuritésocialeetdel’État,jepensequ’ilexistedesmargesdeprogrèstrèsimportantesenlamatière.Uneévolutiondépendradesacteurs,delavolontépolitique,maisaussiconsidérablementdessyndicatsetdesorganisationsprofessionnelles.Laprisedeconsciencesurlesquestionsdeconditionsdetravailn’estpas,hélas,répartiedefaçonégale.Delamêmefaçon,jesuisconvaincuqu’uneentreprisequigèrebienledialoguesocialetlesquestionsdeconditionsdetravailestuneentrepriserentableetcompétitive.Desétudesontétéréaliséessurcethème,etlesfirmescaliforniennesontcompris,àtitred’exemple,quedansuneéconomiedeplusenplustertiaire,un ingénieurouun informaticienexerçantunmétierintellectuelderechercheserad’autantplusperformantqu’ilbénéficieradebonnesconditionsde travail.EnFrance,nombreusessontencorelespersonnesquiconsidèrentqueledialoguesocialetlesconsultationsdesIRPsurlesconditionsdetravailnereprésententqu’unesortedecaseàcocherpourrespecter lecodedutravail.D’autresontcomprisqu’ils’agit,outresonenjeusocial,d’unsujetderentabilité,d’efficacitéetdecompétitivitédel’entreprise.Uneffortnotabledepédagogiedoitêtreconsentienlamatière.

M.LIBAULTLaquestiondelaformation,ycomprisdesacteurs,sembletrèsimportantepourvous.

M.COMBREXELLEIlexisteunlientrèsétroitentredialoguesocial,négociationetconditionsdetravail,etc’estlàqueseposentlesquestionsdeformation.Delamêmefaçonquelanégociationnes’inventepas,lessujetsdeconditionsdetravailnes’invententpas.Ainsi,onpeutprononcerdegrandsdiscourssurlesTMS,maisnégocierdespointsd’organisationdutravailoud’aménagementdepostesdetravailparrapportàdesproblématiquesconcrètesetpratiquesdeTMSsupposeune technique, l’intervention d’ergonomes, la capacité de comprendre ce qu’expliquent lesexperts, une organisation de l’entreprise, etc.Cela induit desmoments très techniques (laplace ou l’environnement d’une machine…), aussi bien pour les salariés, éventuellementavecleCHSCToulesdéléguéssyndicaux,quepourlesDRHetlescadres.Ilnes’agitpasuniquementdebonnevolonté.Laréflexionetlesactionsenmatièredeconditionsdetravailnes’improvisentpasdumoinssil’onycroitetquel’onveutêtreefficace.

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M.LIBAULTLedossierde l’amiantea jouéungrand rôledans la façonderepenser l’intervention de l’État dans ces domaines, s’agissantnotammentdusystèmederéparationadministrative,crééeauxcôtésdusystèmederéparation judiciaire.Pensez-vousquecemécanisme doive rester exceptionnel, ou montre-t-il une voied’avenir,entermesderéparation?

M.COMBREXELLEIl devrait plutôt demeurer exceptionnel. Tout un chacun acomprisquepourdes raisonshumaines,politiquesetsociales,il était nécessaire d’entreprendre une action spéciale, comptetenu du drame que représentait l’amiante pour les salariésconcernés.Maisendehorsdel’amiante,sepose,pourl’avenir,un problème d’égalité, voire d’équité. On ne pourra ensuitecréer des fonds en fonction de l’importance attachée au sujet,ou opérer des différenciations, par exemple, en fonction descancersprofessionnels.Certainssont,pourdesraisonsdiverses,évoquésplusfréquemment,etd’autreslesontmoins.Maispourlessalariésconcernés, ledrameest lemême.Il fautréfléchiràl’indemnisation générale des maladies professionnelles. Il nes’agit pas d’envisager dans chaque situation un fonds censéréglerlaquestion,selonuneposturetrèsfrançaisequifaitensuitedéplorerunecomplexitéimpossibleàgérer,alorsquelesujetdoitêtretraitédanssonensemble.

M.LIBAULTCela suppose peut-être aussi de faire évoluer les règles deréparation pour le cas général ? Aujourd’hui, les règles deréparation forfaitairedes risquesprofessionnelsapparaissentunpeudécaléesparrapportàcellesexistantdansd’autresdomaines.

M.COMBREXELLEIl convient en effet de mener une réflexion sur ces questionsd’indemnisation, notamment sur celles de l’indemnisationintégrale.Quoi qu’il en soit, je préfèreque l’on réfléchisseauxquestionsgénéralesd’indemnisation,plutôtquedesesaisird’unrisqueparticulieretdecréerunfondsàceteffet.

M.LIBAULTLa situation économique actuelle interroge peut-être aussi lasémantiquesurcesujet.Onparlede risquesprofessionnelsetde santéau travail.Or la notionde travail, notamment salarié,estquestionnéeaujourd’hui.Lesfrontièressemblentunpeuplusimprécises, même si de nombreux débats ont lieu à ce sujet.Dans les constructions juridiques, le risque professionnel esttrèsliéàlasubordinationjuridique.Onaobservérécemment,en

Jean-Denis COMBREXELLE

Interview réalisée par Dominique LIBAULT

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particulieravecUberoulespersonneslivrantdesrepasàvélo,quedesproblèmesderisquesprofessionnelshorsdusalariatseposentdeplusenplusfréquemment.Uneréflexionest-ellenécessairesurlasantéautravailendehorsducadrestrictduseulsalariat?

M.COMBREXELLEJ’inciteàlaprudencesurlesévolutionsàvenirdusalariat,caruncourantaffirmeàl’heureactuellequeletravailsalariéestvouéàdisparaîtreetquetoutlemondedeviendraitprestatairedeservice.S’ilestvraisemblablequ’unepartiedecequ’estlesalariatactuelversera,àcourtoumoyenterme,danslaprestationdeservice,ilnepeutêtresoutenuqu’iln’yauraplusdetravailsalarié.Laprédictionsurladisparitionpureetsimpledusalariatmesembleunevuedel’espritcequineveutpasdire,bienaucontraire,qu’ilnefaillepasréfléchirsursonévolutionet son avenir. Uneautrequestion sepose,unpeudifférentedecelledudevenir du travail, qui concernelapara-subordination.Laquestionposéeestdesavoirsi,parexemple, le livreur, travailleurindépendant avec son camion, est totalement libre par rapport au donneur d’ordre alorsquecelui-cifixedeshorairesetlesconditionsdetravail.J’yvoisunsujetimportant,celuidutraitementdu travailpara-subordonné,qui représenteune formededépendanceprochedusalariat,mêmes’iln’enapasjuridiquementlestatut.

M.LIBAULTLaplupart des rapports récents restent prudents sur l’opportunité dedéfinir le travail para-subordonné,carcelaamèneencoreàétablirdesfrontièresentrelesformesdetravailsalariéetindépendant.

M.COMBREXELLELacoexistenced’uneformedetravailclassiquesubsistantauxcôtésd’unautre travail, trèsfortementdépendant,neposepasuniquementunequestiondesanté.Dansletraitementdecetteproblématique,lasolutionfrançaiseconsisteàconsidérerquemalgrélesévolutions,lasituationestbinaire.Lorsqueletravailindépendantdevienttropdépendant,onlerequalifieentravail salarié. Une solution différente existe dans d’autres pays (Espagne, Italie…), qui préconisentl’instauration d’un droit de l’activité para-subordonnée, prévoyant une limitation du nombred’heuresdetravailduprestataire,unecouverturesanté,etc.L’hésitationestpermisemaisentoutétatdecauseilestcertainqu’ilfautprévoirunecouverturedecespersonnescontrelesrisques.S’ilfautfavoriser,danscertainscas,laprestationdeserviceetcetteformedetravailsubordonné,celasupposequ’ellenesoitpasuneimpassepour lespersonnesconcernées.Lorsque le prestataire est malade, enceinte, ou traverse des difficultés économiques, latendanceconsisteraitàluiaccorderuneprotectionassezprochedecelledusalarié.Mêmes’ilexistedesproblèmesde frontières, jepenseque l’ons’oriente,à terme,versunsystèmequiprotégeraletravailpara-subordonnéetunsystèmepropreautravailsalarié.Dansune première étape, il existera des systèmesdistincts, qui convergeront voire fusionnerontdansunsecondtemps.Une choseest sûre : sur le fond, dans l’exemplementionné, il n’est pas acceptable qu’unlivreursalariésoitprotégédupointdevuedutempsdetravail,dudroitdutravailetdelasanté,

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alorsqu’unlivreursoi-disantindépendantdemeuresansaucuneprotection.Làaussi,seposeunproblèmed’équité,maisaussid’efficacitééconomique.

M.LIBAULTDans ces sujets de coexistence de travailleurs protégés etd’autres qui le sont beaucoup moins, on peut égalementmentionner les travailleursdétachésauseinde l’Europe,quiapufaireressurgircettecohabitationsurunmêmelieudetravail.Cetteproblématiqueinterrogeaussibeaucoupàl’heureactuelle.Est-ceauniveaunationaloueuropéendetraitercetypedesujet?

M.COMBREXELLEJ’ai été référendaire à la Cour de justice dans les années 1990 etj’aipuvoir,del’intérieur,lesévolutionsencours.L’idéeinitialedeJeanMONNETétaitd’éviterlesguerres.Etl’undesmoyensd’yparvenirdanslesÉtatseuropéensétaitd’accroîtrel’efficacitééconomiquedenospaysauserviceduprogrèssocial.Dansl’espritdesesconcepteurs,laconstructiondel’Europedevaitaboutiràl’amélioration du niveau de vie, au progrès social, à la qualitédevieautravail,etc.Globalement,l’Europecommunautaires’estinitialementorientéeencesens.Maisàunmomentdonné,quiacorresponduauxélargissements,lamécaniques’estinversée.L’applicationdesrèglessurlalibrecirculation,notammentdes travailleurs,et la libreprestationdeservicenetournaitplusdans lesensduprogrèssocial,maisàl’envers,danslesensdel’abaissementdesstandardssociaux.Cettetransformationexplique,enpartie,desphénomènescommeleBrexit.Desinterrogationssefontjoursurl’Europe,oùl’undescœursdusystèmeétait la librecirculation.La réponsenepeutêtrequ’européenne,cequisupposeuneprisedeconsciencedesÉtats et de la Commission que les règles communautaires nepeuvent tournerà l’enversduprogrès social.Dans lesannées1970,lasituationd’untravailleurallemandpouvantlibrement,autitrede la libre circulationdes travailleursou la libreprestationde service, travailler en France ou en Italie ne posait aucunedifficulté. La situation n’est plus la même dans le contextepolitique,économiqueetsocialactuel.Larèglenechangepas,mais ses effets sont différents. Cela suppose de corriger desdirectives,notammentcellede1996surledétachement.C’estcequelegouvernementfrançaiss’efforcedefaireaveclegouvernement allemand. Ce faisant, il faut éviter de multiplierles textesenessayant, au contraire, de simplifier et de rendreclaireslesrèglesapplicablespourlesentreprisesquiemploientdes salariés détachés, pour les salariés détachés eux-mêmes,pourlespaysdedépart,etc.Lamultiplicationdestextesbrouille

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Interview réalisée par Dominique LIBAULT

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lacompréhensionetpeutmêmeengendrerdeseffetspervers,endonnantle sentiment qu’elle est nécessaire, les règles déjà émises n’étant pasefficacesetqu’ilrestetoujoursdes«trousdanslaraquette».Ilfautsemontrertrèsfermeauniveaueuropéenencequiconcernelamodificationdes directives, mais aussi dans les textes nationaux et leur application. Certainsmétiers et régions se trouvent en grande difficulté par rapport au travail détaché. Seposentnonseulementdesquestionsdepaiesetdesalaires,maiségalementdeconditionsdetravail.Certainesformesetconditionsd’hébergementetdevies’apparententàdesformesmodernesd’esclavage.Iln’estplusadmissiblequel’Unioneuropéennedonnecetteimage.Ilestunpeuparadoxalqu’aumomentoù l’ons’efforced’améliorer lesconditionsdetravail,detraiterlesproblèmesdeTMS,deRPS,dansuneperspectived’avancéedudroitdutravail,apparaissentbrusquementdessituationsquirelèventdecertainesformesd’exploitationdessalariés.Celaimpliqueaussibienl’Unioneuropéenne,lesÉtatsquelesentreprises,ycompriscertainesgrandesentreprises.

M.LIBAULTD’où l’importance, làencore,dudialoguesocialetde laremobilisationdesacteurssur tousces sujets.

M.COMBREXELLELedialoguesocialneconcernepasque lessalairesdes« insiders».Laquestionseposedesavoirsi lanégociationnedoitpasaussiportersur lesdifférentes formesdeprécarité :lestravailleursdétachés,lesCDDtrèscourts,auxquelssontexposéslesjeunes….Ilnefautsurtoutpasnégligercessituationstrèspréoccupantesdumondedutravail.Enoutre,ilneseraitpasinutilededirecequiestrarementévoqué:enmatièredesantéautravailetdeconditionsdetravail,laplusexposéedessituationsestcelleduchômage.Ilexisteaujourd’huiplusdetroismillionsdepersonnesenchômagedecatégorieA,sanscompterlesautres,cequiinduitunproblèmeredoutabledesantéautravail.

M.LIBAULTN’yaurait-ilpasdesmesuresàprendre,parexempleàtraverslapriseenchargeparl’Étatoul’accompagnementdeceschômeurs,quisemblentlaissésàeux-mêmes?

M.COMBREXELLEJeneréduispasleschômeursàcequejevaisévoqueràproposdulicenciementéconomique,maisuneétudeavaitétémenéeauniveaudel’Unioneuropéennesurcethème.Elleamontréquenombredepersonneslicenciéessontmalades,nonseulementd’avoirperduleurtravail,maisausensphysiqueduterme.Laprotectiondessalariésexistebienheureusement,maiscen’estpasparcequelespersonnesdeviennentchômeursqu’ilnefautplussepréoccuperdeleursanté,bienaucontraire.Desmargesdeprogrèssubsistentégalementdanscedomaine.Jevoudraisrevenirsurlesujetdel’obligationdesécuritéderésultat.Àuncertainmoment,degrandsarrêtsontétérendussurcepoint,quipeuventproduirederedoutableseffetscontraires.L’idéeconsisteàinciterlesentreprisesàinvestirsurlechampdelasanté,delasécuritéetdes conditions de travail.Mais lors de discussions avec lesDRHou des responsables deces questions, on s’aperçoit qu’ils sont convaincus que le standard jurisprudentiel est tel,

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quequoiqu’elles fassent, lesentreprisesserontde toute façoncondamnées. Des évolutions et précisions jurisprudentiellessontencourssurcesquestionsetellessontlesbienvenues.Onne peut, en effet, traiter de lamême façon les entreprises quis’investissentetquis’engagentdanslechampdesconditionsdetravailetcellesquinefontaucuneffortetquineprennentaucuneinitiative...

M.LIBAULTCepointmesemble liéàuneautreproblématique.Onprotègebeaucoup, mais on donne aussi la possibilité aux acteurséconomiquesdemenerleuractivitétoutenéchappantenpartieàcescontraintes liéesausalariat. Ilss’orientent très fortementvers toutes sortes d’autres possibilités, comme l’utilisation desous-traitants en cascade, les travailleurs détachés, les auto-entrepreneurs,etc.Celaconstitue,sansdoute, l’undesgrandsproblèmesdespolitiquessocialesduXXIè siècle.

Jevousremercie.

Jean-Denis COMBREXELLE

Interview réalisée par Dominique LIBAULT

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1Dossier central :

LES RISQUES PROFESSIONNELS

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AL’ASSURANCERISQUESPROFESSIONNELS : SON HISTOIRE, SON FONCTIONNEMENT,SESENJEUX

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HistoiredelapréventiondesrisquesprofessionnelsPar Laure Léoni, avocat

Me Laure LÉONI est avocate au barreau d’Albi. Docteur en droit, elle a écrit une thèse sur la prévention des risques professionnels. Ses activités dominantes sont le droit du travail et le droit de la sécurité sociale.

RésuméLa loi du 4 mars 2002 est la première loi à donner une définition de la prévention dans son article L. 1417-1 du code de santé publique, lequel précise que « la prévention est l’action ayant pour but d’améliorer l’état de santé de la population en évitant l’apparition, le développement ou l’aggravation des maladies ou accidents et en favorisant les comportements individuels et collectifs pouvant contribuer à réduire les risques de maladie ». S’il est maintenant possible de s’appuyer sur le droit pour obtenir une définition de la prévention, celle-ci reste très large et non spécifique au droit du travail. Il conviendra donc de regarder cette récente définition sous l’aspect des risques professionnels, c’est-à-dire de considérer les mesures destinées à éviter la survenance des accidents du travail et des maladies professionnelles. L’apparition tardive de cette définition illustre parfaitement l’histoire de la prévention en France, marquée par une évolution trop lente, littéralement phagocytée par la politique de réparation partant du principe que « les dommages étant réparés, les objectifs de prévention sont délaissés »1. Il est donc important, pour comprendre la situation actuelle de notre système de prévention et surtout son effectivité de retracer, à grands traits, le cheminement de l’histoire juridique de la prévention des risques professionnels2. Les premières interventions des pouvoirs publics feront suite à cette naissance de la prévention (Partie 1) et un devoir général de prévention à la charge de l’employeur verra progressivement le jour (Partie 2).

I-LaGenèsedelapréventiondesrisquesprofessionnelsSilesrèglesdedroitdestinéesàprévenirlesaccidentsdetravailsontrécentes,leurconnaissanceparl’hommeesttrèsanciennepuisquel’onpouvaitdéjànoterdestracesdepréventiondèslapréhistoire3.Bienavantlespremièresinterventionspubliques(2),despréventeursexistaienten effet déjà (1).

1 ARSEGUEL.AetREYNES.B,«laresponsabilitéenmatièredesantéetdesécuritéautravail»,in«Tousresponsable»sousladirectiondeJ.IGALENS,Paris,2004,édd’organisationp145.

2 Yves SAINT-JOURS, « de l’obligation contractuelle de sécurité de résultat de l’employeur » recueil Dalloz 2007 ; v aussi. not.P.JHESSE,Lesaccidentsdutravailetl’idéederesponsabilitéauXIXesiècle.Histoiredesaccidentsdutravail,n°6-1979,CRHES,UniversitédeNantes,etréf.Citées;F.Ewald,Formationdelanotiond’accidentdutravail,Sociologiedudroit,1981,n°1,p.3.

3 MichelValentin«travaildeshommesetsavantsoubliés»,docis,PARIS1978,p.1.Lespremièrestracesdel’hommeenmatièredepréventionontétérelevées.Onpeutciterenexempleunorificeovalaired’unehacheenpierrepolietrouvéedanslesbouesdelamarne,oùlemancheétaitfixédefaçonàcequ’ilnepuissepass’échapperouencorel’exempledeprotectionparuneplaquedeschisteoud’os,dupoignetdutireuràl’arc.

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I.1/ Les premiers préventeursPierre CALONI4résumaitainsicesoucideprévention:«penser que le souci de sauvegarder l’homme dans le métier n’a commencé à se manifester qu’à la fin du XIXe siècle, par les interventions successives de la loi, équivaudrait à nier les vertus humaines de prudence et de charité, autant que mésestimer les facultés de l’intelligence. Des personnalités célèbres, comme Léonard de Vinci, réfléchissaient déjà sur l’intelligence».Ilestdoncerronédepenserquel’idéedepréventionestnéeaumomentdelarévolutionindustrielleetquelesortdestravailleursimportaitpeu.Demême,Galiléedécrivaitlafatigueautravailpar«l’action de la gravité et du déplacement des masses corporelles».LechimistefrançaisLavoisierréalisaitdéjàdesexpériencesfondamentalessurletravailhumain5etlalistedecesexemplesseraitencorelongue.Maisleprécurseurenmatièredepréventiondesrisquesprofessionnels,d’ailleursqualifiéde«premierpréventeur»,futlemédecinitalienBernardinoRamazzini,quipubliaen1700unouvrageintitulé«De morbis artificum diatriba»,c’est-à-dire«le traité des maladies des artisans6».Ramazziniavaitidentifiédeuxcausesprincipalesdemaladies,quiétaientlamauvaisequalitédessubstancestravailléesproduisantdes«exhalaisonsnuisibles»d’unepartetd’autrepart,les«mouvements violents et déréglés, aux situations gênantes et extraordinaires que beaucoup d’ouvriers donnent à leur corps». Ilaétudiéplusde52professionsetamisenévidencele premier la relation entre le travail et l’homme : «Les arts (métiers) sont une source de maux pour ceux qui les exercent et les malheureux artisans trouvant les maladies les plus graves où ils espéraient puiser le soutien de leur vie et celle de leur famille, meurent en détestant leur ingrate profession ».Au précepte d’Hippocrate « quand vous serez auprès d’un malade, il faut lui demander ce qu’il sent, quelle en est la cause, depuis combien de jours, s’il a le ventre relâché, quels sont les aliments dont il a fait usage»,Ramazziniaajoutécettequestion«quel est le métier du malade ?».Précurseurde l’ergonomie,il dénonce déjà les méfaits de mauvaises postures et d’organisation du travailetconseilleauxouvriersducuivredeseboucher lesoreillesavecducotonafind’atténuerlebruitcontinuel.Ilmetégalementenévidencelarelationentreletravaildeboutetl’apparitiondevaricesetdénonceles«attitudes vicieuses des ouvriers sédentaires»,comparantlescordonniersetlestailleursàunetroupedebossus,decourbésetdeboiteux…».D’autresmédecins soucieux de la santé des travailleurs ont continué ce travaild’étude des maladies professionnelles. On peut, entre autres, citer le docteurPercivalPOTT,quiaétablipourlapremièrefoislelienentrelemétierderamonage

4 PierreCALONI,«Échecaurisque»,SEFI,PARIS,1952.PierreCALONIpolytechniciendeformationétaitentréeaprèslasecondeguerremondialeauserviceSyndicatgénéraldeGarantieduBâtiment.VoirsabiographieparJackieBOISSELIER,«Uneguerrecontrelerisque».«Lavieetl’œuvredePierreCaloni»,édition.SCHSC,1971.

5 Il avait notamment assimilé « un être vivant à un composé chimique afin d’en étudier l’oxydation par lamêmeméthode,etlesoumettreàdesmesuressemblables,aupointdevuedel’évaluationdesgazetdecalorimétrie». (M.Berthelot,larévolutionchimique,Lavoisier1902)

6 Lemotartisanétantprisdanslesensde«celuiquitravailleavecsesmains».

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et lecancerduscrotumchez lesramoneurs,ainsique leDocteurMURRAYqui,en 1900, établit un lien entre les difficultés respiratoires qui entraînent lamort etl’amiante.

I.2/ Les premières interventions publiquesCesquelquesexemplesrévèlentnettementquelesoucidepréventionestnéchezleshommesenmêmetempsque le travail.Enparallèledecesdécouvertesscientifiques, lespremièresinterventionsdel’ÉtatsontapparuessouslaplumedeCharlesIXdansunelettrepatentedatéede juillet 15667danslaquelleildéfinitlestatutdescouvreurs.Ainsi,leroideFranceévoquepourlapremièrefois,l’obligationfaiteauxentrepreneursdemettreenplacedes«défenses de perches et chevrons»assurantlasécuritédescouvreurs.Lesinfractionsàcetteordonnanceétaientpuniesd’amendesdontleproduitseraitutiliséà«subvenir aux pauvres ouvriers du dit métier qui tombent ordinairement de dessus les maisons et en quelques façons que ce soit».Ilestàremarquerquecetteréglementationprenaitdéjàenconsidérationàlafoislapréventionetlaréparation,maisdanscetordrerespectif.Malheureusement, ces mécanismes favorables aux salariés figurant dans les statuts desprofessionssubirentun importantreculaumomentde laRévolutionfrançaiseparrapportàl’AncienRégime8.EnplusdelaloiLeChapelierdu16juin17919quiinterdisaittoutregroupemententrelesouvriers,laRévolutionfrançaiseaeucommeconséquenced’entraînerunaffluxdepaysans10enville,oùilsvenaientchercherunemploidansl’industrie.Lescontratsdelouagedeservicedecetteépoqueétaient«supposés»placerlespartiessurunpland’égalitéjuridique,justifiantla«non-intervention»duCodecivil11danscedomaine.Danslesfaits,l’ouvriern’avaitpasd’autrechoixqued’accepter lesconditions imposéespar l’employeur,sansnégociationpossibletantcollective,dufaitdel’interdictiondesententes,qu’individuelle,enraisondel’affluxdesdemandeursd’emploi.Aucunerèglementationnevenaitalorsprotégerlesconditionsdetravaildesouvrierssurexploitésàl’avènementdumachinismeetdel’essorindustriel.Eneffet,dès1780,lesmachinesfleurissentdanslesentreprisesfrançaisesetplusparticulièrementdanslesindustriestextiles.Corrélativement,lesaccidentsdramatiquesdusàuneutilisationmalmaîtriséedecesmachines,sontàdéplorercomme ledénonce ledocteurVillermédanssoncélèbrerapport12.Afindedécrirelaconditionouvrière,ledocteurVillermén’hésitapasàvisiter

7 Archivesnationales.OrdonnancesdeCharlesIX,Y85,folio111.8 Sous l’Ancien Régime, l’exercice des arts et métiers était organisé en associations appelées corporations. Chaquemétier était

composédetroiscatégoriesdemembres;desmaîtres,descompagnonsetdesapprentis.Seulslesmaîtresfaisaientpartiedelacorporationetaccéderàlamaîtriseétaitextrêmementdifficile.En1764leTraitédePothiernecontenaitaucunedispositionsurledomainedelasécuritédessalariésautravailréglementésousformedelouagedeservice.Cettefaibleréglementationtenaitaufaitqueletravailétaitunezonedenondroitsoumissoitauxaffairesdomestiques,soitauxaffairesfamiliales,soitauxaffairesdepolice(M.SAUZET,«EssaihistoriquesurlalégislationindustrielledelaFrance.L’Ancienrégime,revued’économiepolitique,1892,p.400).

9 LaloiLeChapelierainterditlescoalitionsouvrièrestellesquelesconfrériesoulecompagnonnagemaiségalementlescorporationsenaffirmantlalibertéd’entreprise.

10 Suiteàlarévolutionfrançaise«quialibérélesol»,lemorcellementdespropriétésaeupourconséquencederendrelesexploitationspeurentablescontraignantainsilepaysanàvenirenvilleafindetrouveruntravail.

11 Seulementdeuxarticlesducodeciviltraitaientdescontratsdelouage:l’article1780interdisantl’engagementàvieetl’article1781réglant lapreuvedupaiementdesgages.Celadit lesprémissesd’une régulation juridiquevoyaient le jouravec lanécessitéderépondreauxnombreusesréclamationsissuesdudésordredelarévolution.Ainsilepremierconseildesprud’hommesfutcrééàLYONen1806,cetteinstitutionsegénéraliseraen1810.

12 Rapport du docteur Louis-René VILLERME (1782-1863), Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans lesmanufacturesdecoton,delaineetdesoie,ouvrageentreprisparordreetsouslesauspicesdel’Académiedessciencesmoralesetpolitiques.Paris,EDHIS,1979,Tome1,446.petTome2451p.

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lesmanufactures,maisaussi lesdemeuresdesouvriers,d’oùlagrandecrédibilitéaccordéeàcerapportdemandéparlespouvoirspublicsetl’Académiedessciences,tousdeuxémuspar le fait queplusdes⅔des jeunesouvriersdeFrancesoientdéclarés inaptes au service armé. Villermé dénonça l’exploitation lamentable desenfantsquitravaillaientplusde15heuresparjourdèsl’âgede5ans.Ils’intéressaauxmaladiesprofessionnelles«c’est ainsi que, dans les filatures de coton, la toux, les inflammations pulmonaires et la terrible phtisie attaquent et emportent une grande quantité d’ouvriers » ainsi qu’aux accidents de travail, en préconisant déjà desmesuresdeprécautionquipourraientlimiterlenombred’accidents«Quelques fois des os sont brisés, des membres arrachés ou la mort est soudaine. Ces accidents résultent toujours de la faute, soit du fabricant, quand il n’a point fait isoler (…) d’une enveloppe quelconque les machines qui exposent le plus à des dangers, soit des travailleurs eux-mêmes, surtout des enfants, quand ils négligent de prendre des précautions qui pourraient les en garantir. On en préviendrait un plus grand nombre au moyen des grillages. Des fabricants n’ont pas craint d’en faire la dépense. Mais d’autres et ceux-ci sont en majorité, n’ont pas pris cette précaution. Une mesure légale devrait la rendre obligatoire pour tous».

Alerté,lelégislateursedevaitd’intervenir13,cequ’ilfitenadoptantlaloidu22mars184114, considérée par certains comme l’acte de naissancedudroit du travail15, reportantà8ansl’admissiondesenfantsautravailetlimitantà8heuresparjourladuréedutravailpourlesenfantsde8à12ans.16L’effectivitédecetteloifutpourtantinexistante,puisquecettedernièrenefutjamaisappliquée.L’absenced’unvéritablecorpsd’inspecteursdutravaild’État17,cettetâcheayantétélaisséeàdesnotablescomplaisantsenverslesemployeurs,n’estpaslaraisonessentielledel’ineffectivitédecettepremièreloisociale.C’esteneffetl’idéologielibéraledominantedecette 13 EnparallèlesuiteaurapportdudocteurVillerméunmouvementassociatifdel’EstdelaFrancefutcréénotamment

par la société industrielle deMulhouse (Mulhouse est considéré comme le haut lieu de philanthropie patronalede confession protestante) qui décida d’organiser des visites d’inspection dans les ateliers pour reconnaître lesmachinesetmoteurspouvantêtrecouvertspourgarantirlesouvrierscontrelesaccidentsdutravail.L’impulsiondecemouvementfutdonnéeparl’industrielFréderic-EngelDOLFUSquiorganiseen1867«l’associationpourprévenirlesaccidentsdefabriques».22industrielssesontengagéspourlasécuritéensignantlesstatutsetacceptantdefaitdescontrôlesd’inspecteursprivés.Fréderic-EngelDOLFUSconsidérécommeungrandpréventeur,qualifié«d’apôtredelaprévention»imaginaégalementunsystèmederécompensepourlespatronsetlesouvrierslesplusassidusainsiqu’unconcoursdesécurité.Sicesassociationssontnéesd’unsoucilouabledeprotectiondestravailleursetdurapprochementdecesderniersaveclespatrons,ellesavaientégalementcommeobjectifdecontrerlesambitionsgrandissantesencoreinformellesdel’Étatdanslesdomainesdel’hygièneetdelasécurité.D’autresassociationsprofessionnellessuivirentcemouvementdeprévention,notammentlasociétémutuelled’assurancedelachambredelamaçonnerie,suivieparlesmétiersdubâtimenttelslafumisterieen1865,lamenuiserieetlaserrurerieen1866,lacharpenteen1875etlacouverture-plomberieen1877.Cesdifférentesassociationstémoignentd’unétatd’espritpatronalayantàcœurd’assurerlapréventionmaisaussidediffuserdesidéesdeprévention.

14 Loidu22mars1841relativeautravaildesenfantsemployésdans lesmanufactures,usinesetateliers.Cette loiestégalementàl’originedespremiersservicesd’inspectiondutravailprévudanssonarticle10.Cettemesurefutconsidéréeparlesindustrielscomme«uneintrusionintolérabledelapuissancepubliquedanslasphèreéconomiquedelapropriétéprivée».

15 A.SUPIOT,critiquedudroitdutravail,Paris,PUF,1994,p.66,note2;J-p.LECROM(dir),deuxsièclesdedroitdutravail,Paris,Leséditionsdel’Atelier-Leséditionsouvrières,1998,287p.

16 Età12heurespourlesenfantsde12à16ans.Ilestànoterquelapremièreloirelativeàlasécuritéréglementel’âgemaisaussidéjàletempsdetravailindissociabledelasécurité.

17 Cettefonctionétaitconfiéeàdesnotablesbénévolesquidisposaientdepeudemoyensmatériels(F.HORDERN,dulouagedeservicesaucontratdetravail,oudepoliceaudroit,cahiersdesinstitutsRégionauxduTravail,n°3,UniversitéAix-MarseilleII,1991,p.49.

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époqueprônéeparlesphysiocrates18,quiestresponsabledelanon-applicationdecettenormesociale,maisaussidecellesàvenir.Ferventsdéfenseursdelalibertédecommerce,lesphysiocratesquisontaupouvoirs’opposentàtouteréglementationquipourraitentravercelibéralisme.Malgrésonineffectivité,lapremièreloisocialeétaitvotéeenFranceetunmouvementlégislatifdeprotectiondelasantéautravail19étaitlancé.Eneffet,laréglementationdutravaildesfillesmineures futensuite instauréepar la loidu19mai187420,puisdes femmespar la loidu2novembre189221etenfinàl’ensembledestravailleurs,sansconsidérationd’âge,desexeetdetailledesétablissementsoùilstravaillaient,grâceàlaloidu12juin1893.Cettedernièreloiestconsidéréecommelepointdedépartdenotreréglementationenmatièred’hygièneetdesécuritéetintroduit,pourlapremièrefois,un devoir général de prévention à la charge de l’employeur.

II-Lanaissanced’undevoirgénéraldepréventionL’apport majeur de la loi du 2 novembre 189222 fut la création d’un véritable corps defonctionnaires spécialisés23, affirmant le rôle que l’État voulait avoir dans le domaine del’hygièneetdelasécuritéautravail.Ainsi,cesinspecteursontunpouvoirdecontrôlesurlesétablissementssoumisàleursurveillanceetpeuventexigerlaprésentationdesregistreset des livrets obligatoires. Les procès-verbaux qu’ils dressent font foi jusqu’à preuve ducontraireetundélitd’obstacleàl’accomplissementdeleursdevoirsestégalementinstitué.L’État,ens’accaparantledomainedel’hygièneetdelasécuritéseposaitdèslorsengarantdecelui-ci,afind’éviterquedesdistorsionsnesurgissentdansl’applicationdesrèglesdesécurité.Desoncôté, laCourdecassation invitait lesemployeursà«prévoir lescausesnonseulementhabituelles,maissimplementpossiblesd’accidentsetàprendretoutes lesmesuresquiseraientdenatureàleséviter»souspeinedecommettreunefaute24.

Unanplustard,lelégislateuradoptalaloidu12juin189325concernantl’hygièneetlasécuritédestravailleursdanslesétablissementsindustriels,quiestconsidéréecommel’ancêtredetoutelalégislationrelativeàlasécuritédansl’entreprise.Cetteloiopèreunedistinctionentrel’hygiène,quiconcernelesmaladiesetlasécurité,quiconcernelesaccidents.Enmatièred’hygiène,son article 226poseundevoirgénéraldepréventionàlachargedel’employeur,à

18 Lathèsedelaphysiocratieétaitunethéorieéconomiqueselonlaquelletouteslesrichessesdécoulaientdelaterreetnotammentdel’agriculture.Ensuite,parlecommerce,larichesseestdistribuéeauxautresgroupessociaux.Lesphysiocratess’inspirentdestravauxdeVincentdeGournay(1712-1759)etRichardCantillon(1660-1734).FrançoisQuesnay(1694-1774)devientleurchefdefileaprèslapublicationdu«tableauéconomique»en1758montantlacirculationdesrichessesdansl’économie.Malesherbes,TurgotetPierreSamuelduPontdeNemoursetMirabeauétaientdesphysiocrates.Bâtiesurlalibertéducommerceetlacritiquedumercantilisme,laphysiocratieestannonciatricedel’économieclassiquefondéeparAdamSmith.

19 J-L.LATTES,«Lecorpsdusalariédansl’entreprise»inMélangesdédiésauprésidentMichelDESPAX,Toulouse2001,p.333.20 La loidu19mai1874sur le travaildesenfantsetdesfillesmineuresemployésdans l’industrie,deuxsièclesdedroitdu travail.

L’histoireparleslois,Paris,LECROMJ.-P(dir),Leséditionsdel’Atelier/Éditionsouvrières,Paris,1998,p.45.21 V.Viet,Entreprotectionlégaleetdroitcollectif:laloidu2novembre1892surletravaildesenfants,desfillesmineursetdesfemmes

danslesétablissementsindustriels,Deuxsièclesdedroitdutravail.L’histoireparleslois,préc,p.73.22 InspiréedelaloiFactoryActde1844enGrande-Bretagne.23 V.VIET,LesvoltigeursdelaRépublique.L’inspectiondutravailenFrancejusqu’en1914,EditionduCNRS,1994,2vol.24 Cass.civ.27avril1877,S.1878I,p.413.25 Duvergier,1893,p.215à218.P.LAFARGE,«Évolutiondelaréglementationrelativeàl’hygièneetàlasécuritédestravailleurs»,

Travailetsécurité,avril1949,p.5.26 Ex article 233-1 et L232-1 devenu L 4221-1 du nouveau code du travail.

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savoirque«les établissements industriels doivent être tenus dans un état constant de propreté et présenter les conditions d’hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel. Ils doivent « être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs ».Sonarticle3prévoitégalementquedes règlements d’administration publique doivent déterminer « les mesures générales de protection et de salubrité, notamment en ce qui concerne la propreté des locaux, l’aération, l’éclairage, la préservation du personnel contre les odeurs et les émanations malsaines, ainsi que la prévention contre la poussière et les gaz nocifs ».Lespremièresmesuresd’applicationdecetteloifurentmisesenplaceparledécretdu10mars189427quiprécisait l’étenduede l’obligationgénérale de sécurité incombant à l’employeur28, c’est-à-dire « aménager les établissements de manière à garantir la sécurité destravailleurs».Or,lestribunauxneprononçaientdessanctionspénalesquepourles infractionsviséespar lesrèglementsd’administrationpublique29. Il était dès lorsévidentqu’unemployeurquirespectaitlesmesurespréventivesobligatoirescontenuesdanscesrèglementsremplissaittoutessesobligationsdesécuritévis-à-vis de ses employés, comme le confirme un arrêt de laChambre criminellede la Cour de cassation rendu le 2 avril 189730.L’efficacitédeces règlementsadministratifsrestaitainsiàdémontrer,dèslorsqu’aucunautreengagementnepouvait êtremis à la chargede l’employeur qui se conformait à leur dispositifgénéral.D’autrepart,ilestintéressantdesoulignerque,déjààcetteépoque,cesmesuresexigeaient que les locaux soient « largement aérés (…) les poussières évacuées au-dessus de l’atelier au fur et à mesure de leur production… avec une ventilation aspirante énergique (…) » et que l’air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l’état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers».Ainsi,comme lesoulignePierreSARGOS31,«onauraitpupenserquelatragédiedel’amianteauraitfaitmoinsdevictimessicestextesavaientétéscrupuleusementappliquésparlesindustriels».Cesderniersavaientpourtantétéavertisdesdangersdel’amiantemoinsdedouzeansaprèsl’entréeenvigueurdecetteloi,dansunrapportrédigé,en1906,paruninspecteurdutravail32quiavaitinspectéuneusinedefilatureetdetissaged’amiante,installéedanslarégiondeCaen en 189033etdontl’inobservationtotaledesmesuresd’hygièneoccasionnadéjàlamortd’unecinquantained’ouvriersetd’ouvrières.27 Duvergier,1894,p.9728 PierreCHAUMETTE,«Lecomitéd’hygiène,desécuritéetdesconditionsdetravailetledroitderetraitdusalarié»,

Droitsocial,n°6,juin1983,p.425-433.29 Règlementsauxquelsrenvoyaientàl’article3delaloide1893.30 Cass.crim.2Avril18,D,1900,I,p.241,noteP.PIC.31 PierreSARGOS,«L’évolutionduconceptdesécuritéautravailetsesconséquencesenmatièrederesponsabilité»

JCP,éd.G.2003,p.121etsuivants ;SemaineSocialeLamyéditiongénéralen°4,22 janvier2003, I104.PierreSARGOS,ancienprésidentdelachambresocialedelacourdecassationestprésidentduconseild’administrationdufondsd’indemnisationdesvictimesdel’amiante(FIVA)

32 InspecteurdutravailAURIBAULT.Rapportpubliéen1906auBulletindel’inspecteurdutravail33 L’inspecteuravaitalorsrelevéquecetteusinedefilatureetdetissaged’amiantesituéeàCaennecomportaitaucune

installationdeventilationartificielleassurant l’évacuationdirectedespoussièresproduitespar lesdiversmétiers,durant les5premièresannéesdefonctionnementde l’usine,engendrant ledécèsdeplusd’unecinquantainedetravailleurs.

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Cet engagement de l’État dans la voie administrative34 de la prévention seraconcomitant à un engagement dans la voie pénale, puisque l’inobservation desrègles prescrites offre la possibilité d’infliger une sanction pénale aux employeursqui n’auraient pas respecté ce devoir général de prévention. Ces derniers, jugeant parailleursla«générositédecesloisexagérée35»,enattendaientenretourun«accroissementconsidérabledurendementencompensationdecesconditionspresqueutopiques»etcertainsrèglementsintérieursd’ateliersprescrivantdesconsignesdesécuritécommencèrentàvoirlejour,sanctionnantl’inobservationdecesconsignesdesécuritépardesamendes36.En parallèle de ce développement législatif et réglementaire de mesures préventives qui,commelesoulignePierre-YvesVerkindt37,sontunmélangetrèsambigude«philanthropieetd’utilitarismecynique»,puisqueprotégerlecorpsdutravailleur,c’étaitaussiprotégerlaforcedetravailetsaproduction,lelégislateurs’estatteléauvoletréparation,lorsquelerisquen’avaitpuêtreévité.Malheureusement, l’histoiredémontrerapar lasuiteque la loidu9avril1898réglementant levolet réparation,considéréeà l’époquecommeunvéritableprogrèssocial,ruineralamiseenœuvreeffectivedelapréventiondesaccidentsdutravailquelaloide189338 avaittentéd’amorcer.Entrelesphysiocrates,s’opposantàtoutinterventionnismequipourraitfreinerlalibertédecommerceetlaloidu9avril1898,instituant un système de réparation automatique, mais forfaitaire, pour les victimes d’accidents du travail en contrepartie d’une immunité civile de l’employeur, les premières lois sociales s’avéreront ineffectives et pour cause, elles n’auront pas eu le temps de s’appliquer.Eneffet,alorsqued’autrespayseuropéens,àl’instardel’Allemagne39, liaient les notions de préventionetderéparationenchargeantnotamment,lescaissesprofessionnellesdegéreràlafoislaréparationetlasécuritésurleslieuxdetravail,laFranceaséparécesdeuxpans,quiauraientdûs’étayerl’unl’autre,contribuantainsilargementàl’occultationdelaprévention.

34 Laloidu12juin1893alaisséaupouvoirréglementairelamissiondeprécisertouteslesmesurespréventivesobligatoires,l’obligationdesécurités’enestretrouvéelimitée.

35 JackieBOISSELIER,«Naissanceetévolutiondel’idéedepréventiondesrisquesprofessionnels:Petitehistoiredelaréglementationenhygiène,sécuritéetconditionsdetravail,INRS2008,ED926,168p.

36 LefrancG., histoire du travail et des travailleurs, Flammarion, Paris, 1957, p 286. Pour exemple les patrons filateurs deRouenprévoyaientuneamendede0,50francspourceluiquigraisserasamachinependantlamarche.

37 P-Y.Verkindt,Santéautravail:l’èredelamaturité,SSL2008p239.38 V.VIETetM.RUFFAT,«lechoixdelaprévention»,Economica,1999,sp.P.9ets.39 A.Thomas,Lesyndicalismeallemand.Résuméhistorique (1848-1903).Paris,Sociéténouvellede librairieetd’édition,1903.La

célèbreloiAllemandedu6juillet1884.Cetteloiintroduitlerégimedurisqueprofessionneletleprincipedel’assuranceobligatoire.CommeledésiraitBISMARCKdès1880quidéclaraitque«pourguérirlesmauxsociaux,ilfallaitaugmenterpardesdonsréelslebien-êtredesouvriers»,cetteloigarantissaitauxouvriersdesentreprisesdeplusde10personneslessoinsmédicauxgratuits,unepensiongraduéeselonlagravitédesaccidentsdutravail,etencasdedécèsdel’ouvrier,uneindemnitéàlafamilleetletoutauxfraisdesemployeurs.L’assuranceobligatoireestentièrementàlachargedesemployeurs.Nil’Empire,nilessalariéseux-mêmesn’ycontribuentCetteloiaconduitàforcerlespatronsàperfectionnerleursoutillagesetàdéveloppertouteslesmesuresdepréventioncontrairementàlaFrance.

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LesmissionsdelabrancheAT/MPPar Marine Jeantet, Directrice des risques professionnels et Anne Thiebeauld, Adjointe de la Direction des Risques Professionnels – CNAMTS

Médecin spécialiste en santé publique, Marine Jeantet démarre sa carrière en 2002 à l’Agence française des produits de santé (Afssaps) avant de rejoindre la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) comme référente pour le médicament et les dispositifs médicaux. En 2007, elle rejoint la direction de la Sécurité sociale (DSS) en tant qu’adjointe au sous-directeur du financement du système de soins. En 2010, elle devient conseillère médicale du directeur de la Sécurité sociale puis intègre, en 2011, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Début 2015, Marine Jeantet rejoint la CNAMTS comme directrice des risques professionnels.

Anne Thiebeauld est Adjointe à la Direction des Risques Professionnels- Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) depuis septembre 2016. Elle exerçait depuis 2011 les fonctions de Directrice de cabinet auprès du Directeur Délégué des Systèmes d’Information (DDSI) à la CNAMTS.Elle a également été Directrice adjointe de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) d’Eure et-Loir entre 2006 et 2011.De 1997 à 2011, elle a exercé les fonctions de Responsable de la gestion des données sociales puis de la division Gestion des Retraites, CARSAT Centre.

IntroductionSelonl’articleL.200-2ducodedelasécuritésociale,labrancheAT/MPestunedesquatrebranchesdurégimegénéral,géréepar lacaissenationaled’assurancemaladie. Ils’agitdupremierrisquequiaétéassuréhistoriquementetcela,dès1898.Grâceauxtroismissionscomplémentairesqu’elleanime,elleporteunprojetglobaldegestiondes risques : prévenir et réduire les risques professionnels (prévention), reconnaître lessinistres et indemniser les victimes des conséquences des préjudices subis (réparation) etassurerl’équilibrefinancierdelabranche(tarification).Lacomplémentaritédesestroismissionsestlamarquedel’identitédel’assurancemaladie-risquesprofessionnelssurlechampdelasantéautravail.Cetteinterdépendancedonneàlabranchelacapacitédeconcevoiretdévelopperdesactionsglobalesvisanttoutàlafoisàmieuxprévenirlesrisquesauxquelssontexposéslessalariés,àgarantiruneréparationéquitableauxvictimesetenfairepayerlajustecontributionauxentreprises.Àl’intersectiondesmissions,la

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gestiondurisquepermetdelesréduireetd’enlimiterlesconséquenceshumaines,socialesetfinancières,etce,aumeilleurcoûtpourlacollectivité.2,2millionsd’entreprises,18,9millionsdesalariéssontaujourd’huiprotégésparlabrancherisquesprofessionnels.Letissuéconomiqueestmarquéparunetrèsgrandeproportiondetrèspetitesentreprisesmaisl’emploisalariéluiestconcentrédanslesPME:85%desétablissementscomprennentmoinsde10salariés(TPE)mais65%dessalariés travaillentauseind’établissementsde20àplusde250salariés.LabrancheAT/MPestplacéesousl’égidedesministèresenchargedelasantéetdutravail.Sielleestsingulièreparcettedoubletutelle,ellen’apasvocationàvivreàpart.Partie intégrantede l’institutionAssurancemaladie,elleestpilotéepar laCNAMTS.Cettearticulationprendsonsensàtraverscertainesactionsspécifiquesàlabranche,dontlamiseenœuvredépendsouventdelabonnearticulationentretrois réseaux (CPAM, service médical et CARSAT) qui ont vocation à travaillerdavantageensemble.Ainsi,vouloirdévelopperdesactionsefficacesdepréventionensantéetréduirelecoûtdesarrêtsdetravail(maladieetrisquesprofessionnels)au sein des entreprises nécessite nécessite lamobilisation de compétences enpréventiondesrisquesetmédico-administratives.Leslombalgiesferontégalementl’objetd’actionscommunescarellesreprésentent30%desarrêtsdetravaildeplusde6moispourl’Assurancemaladiemaisaussi20%desaccidentsdetravail.

La branche AT/MP obéit à des règles de gouvernance spécifiques. LescompétencesduconseildelaCNAMTSenmatièred’AT/MPsontdévoluesàlaCAT/MP(artL.221-4ducodedelaSécuritésociale).Ainsilacommissiondesaccidentsdetravailetmaladiesprofessionnellesvote lebudgetdelabranche(FNPAT),laCOGAT/MP,l’ensembledestransfertsetcontributionsdelabrancheetrendunavissurlestexteslégislatifsouréglementairesrelatifsauxAT/MP.LaCAT/MPeststrictementparitaire,composéedecinqreprésentantsemployeurs(MEDEF,CPME,U2P)et5 représentantsdessalariés (CGT,CGT-FO,CFDT,CFC-CGC,CFTC).

Elleprendl’avisdeneufcomitéstechniquesnationaux(CTN)répartisselonunregroupementdesecteursd’activitéquitravaillentsurleursprioritésdepréventionet adoptent les recommandations techniques qui leurs sont applicables. Lescomitéstechniquesrégionauxontpourmissionderelayerverslesentreprises,lestextesélaborésparlabrancheAT/MPpourlaconnaissanceetlapréventiondesrisquesprofessionnels.

La convention d’objectifs et de gestion (COG) 2014-2017 pour la branche AT/MPaétésignéele30décembre2013parlaministredesaffairessocialesetdelasanté,leministredutravail,del’emploi,delaformationprofessionnelleetdudialoguesocial, leministredéléguéauprèsduministrede l’économieetdesfinanceschargédubudget,leprésidentdelacommissiondesAT/MPetledirecteurgénéraldelaCNAMTS.Ensignantcettenouvelleconvention,l’ÉtatetlaCNAMTSentendentpoursuivreleseffortsd’organisationdelabranchedans

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lacontinuitédecequiaétéfaitdanslaprécédenteCOG,toutenmettantl’accentsur lapriorisationdesactionsdeprévention, lasécurisationdesprocessuset ledéveloppementdespartenariatsaveclesautresacteursdelaprévention.

LesquatreaxesdelaCOGAT/MPsontdéclinésentreizeprogrammesd’actionsassortisd’indicateurs et d’échéances :

assurerunepréventiondesrisquesfondéesurleciblageetl’évaluation, gagnerenefficienceparunemeilleureharmonisationdespratiquesetdesmoyens

du réseau renforcer la cohérence de la branche en tant qu’assureur solidaire des risquesprofessionnels,endéveloppantlesrelationscontractuelles,

maîtriserlesrisquesetpoursuivrel’adaptationdesrèglesdetarification.CetteCOGetsurtoutlasuivantes’articulentavecle3èmeplansantétravail(PST3)présentéparMadameMyriamElKhomri,ministrechargéedutravaillorsdelaréunionducomitépermanentdu conseil d’orientation des conditions de travail le 8 décembre 2015.Couvrant la période2016-2020, il porte un programme d’action national fédérant le consensus des partenairessociaux et des acteurs de la prévention (départementsministériels, services déconcentrés,organismesdesécuritésociale,deveilleetdeprévention).Ilestdéclinéenplansrégionauxsantéautravailquirelaientlapolitiquenationaleetlespartenariatsrecherchés.Les axes stratégiques du PST 3 sont d’une part d’affirmer la priorité de la prévention, enruptureavecunelogiquefondéesurlaréparation(préventionprimaire,préventiondel’usureprofessionnelle,risquesprioritaires),etd’autrepartdefavoriseruneapprochepositivedutravail(qualitédevieautravail,maintienenemploietperformance,transversalitésantétravail/santépublique).Enfin,unaxe«support»apourobjetderenforcerlesacteurset lesressources,notammentl’inspectiondutravailetlamédecinedutravail.Laproduction,laconnaissanceetlarecherchesontégalementdesressourcesessentiellesensoutiendesactions.

I-LesenjeuxdelaréparationdesconséquencesdesAT/MPI.1/ Les principes de la reconnaissance Deux conditions doivent être réunies pour permettre la reconnaissance d’un accident de travail:unfaitaccidenteldatéetl’existenced’unliendesubordinationaumomentdel’accident.Sil’accidentsurvientautempsetaulieudutravail,ilestprésuméd’origineprofessionnel.L’accidentdetravaildoitêtredéclaréparl’employeurdansles48hdesasurvenance(dimanchesetjoursfériésnoncompris).Les accidents de trajet doivent survenir entre le lieu de travail et la résidence ou le lieu du repas.Maisilexisteunejurisprudenceabondantesurlesujet(interruptions,détours,horaires)quipermetdenombreusesdérogations.L’employeurdéclarel’accidentdetrajetauxdiresdusalarié.En 2015, 1 194 404 accidents de travail et 163 573 accidents de trajets ont été déclarés. Ce sontenmoyenne600déclarationsparheurede travailquisont réceptionnées.94,1%desaccidentsdetravail font l’objetd’unedécisiondepriseenchargeet93%desaccidentsde

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trajet.Celareprésenteunenjeusocial fort :en2015,57millionsde journéesdetravailontétéperdues,soitl’équivalentde221000ETP.

Une maladie est reconnue d’origine professionnelle si elle est inscrite dans l’un des114tableauxdemaladiesprofessionnelles,ousiuncomitéd’expertsmédicauxaétablil’existenced’unliendirectentreletravailetlamaladie(comitérégionaldereconnaissancedesmaladiesprofessionnelles,CRRMP).Celui-ciintervientquandcertainesconditionsdu tableaunesontpas remplies,ousi lamaladien’estpasdésignéedansuntableaudemaladieprofessionnelle.Lademandedereconnaissanceestàl’initiativedel’assuré,iln’yapasd’obligationréglementaire de déclaration de la part de l’employeur. En 2015, 107 889déclarations de maladies professionnelles ont été reçues en caisse primaire etreconnuesd’origineprofessionnelledans61%descas.La procédure d’instruction démarre à partir de la réception de la déclarationd’accidentdetravail(DAT),detrajetoudemaladieprofessionnelleetducertificatmédicalinitial(CMI)réaliséparunprofessionneldesantéetdécrivantleslésions.Lesdélaisdereconnaissancesontcontraintspourlacaisseprimaired’assurancemaladiequienestencharge:elledisposed’undélaiinitiald’unmoispourstatuersurlecaractèreprofessionneldel’accident(depuisledécretdu29juillet2009),detroismoispourlesmaladiesprofessionnelles.Àl’issuedecedélai,unenotificationderefusoudepriseenchargepeutêtrenotifiée.Cependant,silacaisseprimaireestimequ’ellenepeutprendresadécisiondanscedélaicardesinvestigationssontnécessaires,elleouvredesdélaiscomplémentairesà l’issuedesquels la décision sera notifiéeà l’assuré et à l’employeur.Cedélaicomplémentaire est systématique en cas maladie professionnelle inscrite surtableauouquandiln’existepasdetableauetqueletauxd’incapacitépermanenteestsupérieurà25%.Durant ce délai, les organismes mènent des investigations complémentaires,principalementsouslaformed’envoisdequestionnairesauxdeuxparties.Àtitred’illustration, enmatière d’accidents de travail/trajet, les recours à l’investigationsontnécessaireslorsqu’ilyadiscordanceentreleCMIetlaDAT,ouencorelorsquel’employeurexprimedesréserves«motivées»surlecaractèreprofessionneldel’accident.Enmatièredemaladiesprofessionnelles,toutescellescorrespondantàuneinscriptionàuntableaufontl’objetd’uneinvestigationparenvoidequestionnaire.L’investigationaalorspourbutdevérifierlerespectdesconditionsadministrativesdes tableaux ou de fournir, le cas échéant, tous les éléments nécessaires pouréclairer le CRRMP.Lors de cette investigation, l’agent gestionnaire en caisse primaire peut serapprocherde l’ingénieur conseil référentenmatièredemaladieprofessionnelledelaCARSATafindebénéficierdesonexpertisequantauxfacteursd’expositionaux risquesauseindesentreprisesconcernées,particulièrementenmatièredecomposantschimiquesoubactériensainsiquepourlecasdesentreprisesayantcessé leurs activités.

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Ce temps d’investigation peut inclure le déclenchement d’une enquête. Lescaissesprimairesdisposentde296agentsagréésetassermentésquiréalisentlesinvestigationscontradictoiresdansleslocauxdel’organisme(recueildetémoignages,sollicitations téléphoniques…) ou sur les lieux de survenance de l’accident ou de lamaladie(observationsdepostesdetravail).Ilexistetroissituationspourlesquellesl’enquêteestdiligentéedirectement:lessuicides,lesactessuicidairesnonmortelss’ilsfontl’objetderéservesoudoutesdelapartdel’employeur,etlesmaladiesprofessionnellesinstruiteshorstableaudès lorsque lemédecinconseil conclutàune incapacitépermanentesupérieureà25 %.À l’issue de cette phase d’investigation, une phase contradictoire permet de recueillir lescontestationséventuellesdel’employeuret/oudelavictime.Ladécisiondereconnaissanceintervientensuiteetestnotifiéeauxpartiesainsiqueletauxd’incapacitépermanentelecaséchéant.LareconnaissanceenATouMPauneconséquenceimportanteenmatièred’améliorationdel’indemnisationdel’assuré,comparativementàcelledurisquemaladie.Ainsi,lesprestationsennaturesontprisesenchargeà100%(contre80%enmaladie)sansquel’assurén’aitàfairel’avancedefrais.Concernantlesprestationsenespèces,lerégimeestégalementplusfavorablepuisquelesindemnitésjournalièrescorrespondentà60%dusalairesurle1ermois,80%au-delà(aulieud’uneindemnisationàhauteurde50%dusalaireenmaladie).Ellessontfiscaliséesàhauteurde50%depuis2010etsoumisesàl’impôtsurlerevenupourlamaladie,saufsiellessontenlienavecuneaffectiondelonguedurée.Enfin,siuneincapacitépermanenteestreconnuesuiteàunaccidentdetravail,detrajetouunemaladieprofessionnelle, elle fait l’objet d’une indemnisationverséesous la formed’uncapitalsiletauxd’incapacitéestinférieurouégalà9%,oud’unerenteviagèrepouruntauxd’incapacitéde10%à100%,exonéréedescontributionssocialesetdel’impôtsurlerevenu,verséejusqu’audécèsdelavictimeouàl’intentiondesayants-droits.Au-delà de 66 % d’incapacité permanente, une exonération du ticket modérateur pour lavictime et ses ayants-droit ainsi qu’une validation des trimestres de versement de la rentecommepériodecomptantpourlaretraite,complètentledispositif.Au-delàde80%d’incapacitépermanente,l’assurépeut,danscertainscas,bénéficierd’uneprestationcomplémentairepourrecoursàtiercepersonne.Prèsd’1,4millionsderentesontétéverséesen2015,cequireprésentelepremierpostededépensesdelabranche.Lesincapacitéslesplusgraves(au-delàde80%detauxd’incapacitépermanente)nereprésententqu’1%desrentes(mais12%desmontants).54%desrentessontserviespourdesincapacitéspermanentesévaluéesentre10%et19%.

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Focus :Réduirel’hétérogénéitédestauxdereconnaissancedesAT-MPsurleterritoire Le constat à fin 2015 est celui d’une hétérogénéité des résultats enmatièrede reconnaissance de la matérialité des accidents de travail et maladiesprofessionnelles.Ainsi, letauxdereconnaissance(enmoyenneà94%)varieselonlesrégionsde78%à98%.Lerecoursàl’investigationvariede8%à40 %. Lesfacteursd’hétérogénéitésontd’aborddesfacteurssocio-économiques,tenantauxbassinsd’emploiinfluantsurletyped’emploiexercédansledépartementoularégionetdoncsurl’expositionàcertainsrisques.Parexemple,dessyndromesdu canal carpien seront nettement plus souvent reconnus en Bretagne oùl’industrieestnotammentprésentesurdesusinesdedécoupedevolaille,miseenboitedesardinesetc.qu’enrégionPACAoùlesactivitéstertiairessontplusdéveloppées.Celainfluenécessairementsurlestauxdereconnaissance.Mais ilexisteaussidesfacteurs internesquinedoiventpasêtrenégligés: leprocessusdereconnaissanceestcomplexe,contraintdansletempsetimpliquede nombreux intervenants (caisse primaire, service médical, CARSAT etCRRMP…).Cecifavorisedesdivergencesdepratiquesoudedécisionssurdescasproches.À titre d’illustration, concernant les maladies professionnelles, selon lesdépartements, le tauxderecoursaucomitéd’expertsmédicauxpermettant lareconnaissance(CRRMP)variedemoinsde1%àplusde25%.Desdirecteursd’organismesontéténommés«référentsréparation»en2016danschaquerégion,sousl’égidedesdirecteurscoordonnateursdelagestiondu risque. Leur objectif est de faire converger les pratiques des caisses deleursrégionsafind’améliorerl’équitédetraitementsurleterritoire.Àfin2016,cette organisation régionale reste en cours de montée en charge mais onobserve positivement que les écarts se resserrent autour de lamoyenne dereconnaissance,avecdestauxminimumetmaximumrespectivementde83%à 97 %.

I.2/ Lutter contre la sous déclaration pour améliorer le droit à réparation des victimes de risques professionnels et garantir l’imputation des dépenses sur le bon risqueBienquelenombred’accidentsdetravailetdemaladiesprofessionnellesdéclarésetreconnuscesdixdernièresannéessoitenconstanteaugmentation,ilexisteune«sousdéclaration»desrisquesprofessionnels,c’est-à-direunepriseenchargeàtortdesdépensesdesantéparlabranchemaladieenlieuetplacedelabrancheAT/MP.Chaqueannée,cephénomène fait l’objetd’unecompensationfinancièresouslaformed’untransfertd’unmilliardd’eurosauprofitdelabranchemaladie.Cemontantestarrêtépar legouvernementsuiteaux travauxd’unecommission

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ad hoc1composéedeonzemembresetprésidéeparunmagistratdelaCourdescomptes,quiseréunit tous les troisans.Réunieàsept reprisesdepuis1997,ellerendradenouveausonrapporten2017souslaprésidencedeMonsieurBonin.Lessituationsidentifiéesàl’originedelasousdéclarationvarient.Ladéclarationd’accidentdetravailoudetrajetétantàl’initiativedesemployeursavecuneobligationlégale,onestimequ’ilyapeudesous-déclarationsurcesujet.Enrevanche,elleestplusimportanteconcernantlesmaladiesprofessionnelles,notammentcellesapparaissantdenombreusesannéesaprèslacessationdel’expositionàunrisqueprofessionnel.Laméconnaissancedesconditionsdepriseenchargedesmaladiesprofessionnellesparlesassurés,maisaussiparlesmédecins,lacraintedelapertedeleuremploiparlesvictimessalariées,maisaussilerefusd’engagerdes procédures longues et fastidieuses pour les assurésmalades, sont autant de raisonsexpliquantlafaibledéclarationdesmaladiesprofessionnelles.Lutter contre la sous-déclaration nécessite donc, pour l’ensemble des publics concernés,assurés,professionnelsdesantéetemployeurs,derenforcerl’informationetlasensibilisationmaiségalementdesimplifierl’accessibilitéàl’informationetauxdémarches.LabrancheAT/MPaainsiengagédesactionsd’information:refontedessitesd’information(Ameli),recoursauxmédiasgrandspublics(conférencesdepresseannuelles)etauxmédiaspécialisés,insertiondemodulesauseindelaformationmédicalecontinue,informationlorsdesmatinéesemployeurs…Deplus,afind’inciter lesassurésàengagerunedémarchedereconnaissancesurdesaffections identifiéescommepouvantêtred’origineprofessionnelle,uneexpérimentationaétélancéeentre2008et2010surlestumeursdelavessieprisesenchargeenALD.En2013,lenombrededemandesdemaladieprofessionnellepourunetumeurdevessieaétémultipliéenmoyennepar4,6dansles18moisà2ansaprèsledébutdecetteexpérimentation.Cesdemandesontbénéficiéd’unavisfavorabledans60%descas,cequitraduitunepertinencedurepérageinitial.Parallèlement, des propositions de simplification des procédures médico-administrativessont à l’étude, visant à offrir unemeilleure compréhension et uneplus grande lisibilité desdélaisetétapesdelaprocédured’instruction.Unepremièresimplificationaeulieugrâceaudécretdu07juin2016quiprévoitl’unicitéduformulaireportantàlafoisladéclarationdelamaladieprofessionnelleetlecertificatmédicalinitial,deuxdocumentsstrictementnécessairesà l’instruction.D’autresactionsvontêtreétudiées,notammententermesd’offresdeservice(accompagnementdesassuréssouhaitantdéclarerunemaladieprofessionnelle).

I.3/ Limiter les conséquences des sinistres graves et lutter contre la désinsertion professionnelle Favoriser le retour de personnes victimes d’un accident grave représente un enjeusocioéconomique majeur. En s’inspirant de politiques mises en œuvre par d’autres payseuropéens, l’assurance maladie - risques professionnels a lancé en décembre 2014l’expérimentationd’unserviced’accompagnementdesvictimesd’accidentsdutravailgravesdansunelogiquede«case management».

1 Commission«L.176-1»dunomdel’articleducodedelasécuritésocialeprévoyantàlachargedelabrancheAT/MPunversementannuelvisantàcompenserlapriseenchargeparl’assurancemaladiedesAT/MPsous-déclarés.

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Le repérage des assurés en risque de désinsertion professionnelle s’est basésurdeslésionsgénérantuntauxincapacitépermanentesupérieurà10%etdesindemnitésjournalièresdeplusde45jours.Avecl’accorddelavictime,leconseillerrisques professionnels lui propose un accompagnement à la fois administratif,médical,socialetprofessionneladaptéàsasituationencoordonnantlesdifférentsintervenants:lemédecinconseil,lui-mêmeencontactaveclemédecintraitantetlemédecindutravail,leservicesocialetlespartenaires(MDPH,SAMETH…).L’objectif est de limiter les séquelles et favoriser le maintien dans l’emploi. Siseulement 5 % des sinistres imputés sont des accidents du travail graves, ilsreprésententàeuxseuls55%desdépensesdelabrancheAT/MP.C’estdoncunaxestratégiquedegestiondurisquetantdupointdevuedelasantédesvictimesquedumaintiendeleurscapacitéssocialesetprofessionnelles.Du 1erdécembre2014à février2016,unpeuplusd’unmillierd’assurésontétééligiblesselonlescritèresdel’expérimentation.790assurésbénéficientàcejourdecetteoffred’accompagnement,cibléesurtroispathologies(traumatologie,stresspost-traumatique,lombalgie).Un premier bilan montre plusieurs axes d’amélioration, notamment en matièredeciblageetdepathologies concernées.Eneffet, 85%desassurésont reprisletravailsansactionparticulièreenentreprise.Levoletprofessionnelrestedoncàce jourtrès limité.Parallèlement,uneétudepubliéepar laSUVAendécembre2015montreuneefficacitécomparablesinonmeilleuredans laplupartdescas,de l’accompagnement distant, en lieu et place de l’accompagnement en face àfacetelquemisenplacedanslecadredel’expérimentation.Celamilitepouruneoffredeservicegraduéeen fonctiondescas rencontrés. Lesagentsduservicemédicaldits«facilitateurs»quimontentencompétencedepuis2015,pourraientainsi accompagner par téléphone les assurés en arrêt de travail. Pour les casle nécessitant, cette action serait complétée par une mission de médiation enentreprisepourfavoriserlemaintien/leretouràl’emploi.

II- Laprévention, leviermajeur de la politiquedegestiondurisqueL’article L. 4121-2 du code du travail impose que l’employeur mette enœuvrelesmesuresprévuesàl’articleL.4121-1,fondementsdesprincipesgénérauxdepréventionsuivants:

éviterlesrisques; évaluerlesrisquesquinepeuventpasêtreévités; combattrelesrisquesàlasource; adapterletravailàl’homme,enparticulierencequiconcernelaconception

despostesde travailainsique lechoixdeséquipementsde travailetdesméthodesdetravailetdeproduction,envuenotammentdelimiterletravailmonotoneetletravailcadencéetderéduireleseffetsdeceux-cisurlasanté;

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tenircomptedel’étatd’évolutiondelatechnique; remplacercequiestdangereuxparcequin’estpasdangereuxouparcequiestmoinsdangereux;

planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique,l’organisationdutravail,lesconditionsdetravail,lesrelationssocialesetl’influencedesfacteursambiants,notammentlesrisquesliésauharcèlementmoraletauharcèlementsexuel,telsqu’ilssontdéfinisauxarticlesL.1152-1etL.1153-1;

prendredesmesuresdeprotectioncollectiveenleurdonnantlaprioritésurlesmesuresdeprotectionindividuelle;

donnerlesinstructionsappropriéesauxtravailleurs.Cependant,conscientequelesrisquesliésautravailpeuventêtreévitésouaumoinsmaîtrisés,labrancheAT/MPadéveloppédesactionsdepréventiondès1946afindepréserverlasantéetassurerlasécuritédessalariésdansl’entreprise.

II.1/ La branche dispose de moyens d’actions en prévention tant humains que financiersAu sein de la branche AT/MP, environ 2 000 personnes concourent à cette mission deprévention.Ilsserépartissentdansplusieursorganismes:

La caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) élaboreetmetenœuvre lapolitiquedepréventiondes risquesprofessionnelsde labranche.ElleanimeleréseaupréventionquiregroupelesCARSAT,CRAMetCGSS,l’INRSetEurogip,envuedecréerunevéritabledynamiqueetcoordonnelesinitiatives;

Les 16 caisses régionales – les 15 caisses d’assurance retraite et de santé au travail –CARSAT–etlacaisserégionaled’assurancemaladied’Ile-de-France–,les 4 caisses générales de Sécurité sociale dans les DOM et la caisse de Sécurité sociale de Mayotte développent et coordonnent la prévention des risques professionnelsdans leur circonscription. Dans le cadre des orientations définies par les instancesparitairesnationalesetrégionalesdelabrancheAT/MP,ellesélaborentetmettentenœuvredesprogrammesdepréventionendirectiondesentrepriseset desbranchesprofessionnelles.Autotal,268 ingénieursconseils,538contrôleursdesécuritéet les560autrespersonnelstravaillentauseindesservicespréventiondescaisses.

Pouraccomplir leurmission, les caissesdisposent demoyens spécifiques telsque ledroitd’entrerdanslesentreprises2,dedemandertoutemesurejustifiéedeprévention3,departiciperauxCHSCT, le pouvoir d’accorder desminorations oumajorations de cotisationAT/MP oud’accompagner financièrement des investissements enmatière de santé et de sécurité autravail.Ellespeuventégalementfaireappelàdesunitéstechniques,laboratoiresdechimieetcentresdemesuresphysiques,quilesassistentdanslerepérageetl’évaluationdesnuisanceschimiqueouphysiques.

2 Codedelasécuritésociale,articleL.243-11:Lesemployeurs,sonttenusderecevoir[…]lesingénieursconseilsetcontrôleursdesécuritérégulièrementaccréditésparlescaissesd’assuranceretraiteetdelasantéautravail.

3 Codedelasécuritésociale,articleL.422-4:Lacaisserégionalepeut:1°)invitertoutemployeuràprendretoutesmesuresjustifiéesdeprévention[…]

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L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) a pourmission d’identifier les risques professionnels et mettre en évidence lesdangers, d’analyser les conséquencesde ces risquespour la santéet lasécurité de l’homme au travail, de développer et promouvoir lesmoyensetoutilsàmettreenœuvrepourmaîtriserces risques.Sesactivitéssontdoncdiversifiéesmaiscomplémentaires:étudeset recherches, formation,assistance, information et communication. L’INRS est l’expert scientifiqueet technique de la branche AT/MP qui le finance. Il exerce aussi, dansle cadre d’une convention signée avec la direction générale du travail(DGT),certainesactionspourlecomptedespouvoirspublics:assistance,participationàdescampagnesdecontrôles....Ilcompte584agents,210àParis et 374 en Lorraine.

Eurogip analyse les évolutions réglementaires au niveau européen enmatièred‘accidentsdutravailetdemaladiesprofessionnelles(prévention,tarification,réparation).Ileffectueuneveillesurcessujets,réalisedesétudescomparativesetdiffusesesconnaissances(publications,conférence,…).Ilparticipeàdesprojetsd’intérêtcommunautaire.Parailleurs,ilcoordonnelestravauxdesexpertsdelabranchequiparticipentàl’élaborationdenormeseuropéennesouinternationalesrelativesàlasécurité-santéautravail.Pardélégation desministères chargés du travail et de l’agriculture, il assurelesecrétariatde lacoordination françaisedesorganismesnotifiéspour lacertificationdesmachinesetdeséquipementsdeprotectionindividuelle.

LesactionsdepréventiondelabrancheAT/MPsontfinancéesparlefondsnationaldepréventiondesaccidentsdutravail,quis’élèveà3397millionsd’eurosen2016(hors reportsdecrédits).Lesdotations/subventionsontétéde158millionspourlesCARSAT,CRAMetCGSS;80millionspourl’INRS(soit98%dubudgettotalde l’organisme) ;1,3millionpourEUROGIP(soitenvironde85%dubudgetdel’organisme).Malgrécesmoyens,laconduitedesactionsdepréventionnécessitedes’appuyersurdesolidespartenariatspourarriveràtoucherles2,2millionsd’entreprises.Lerelais des partenaires a été un recours particulièrement important pour lamiseenœuvreduprogrammenational«TPE/PME»fondésuruneapprochemétierspour 4 des160métiers existants sur cette catégorie d’entreprises (restauration,maçons,garages,transportsroutiers).5régionsvolontairesontrelayélapromotiond’uneoffre de service (actionsdeprévention), élaboréeàpartir d’uneapprochestatistique poussée, relayée par des outils d’information et d’interpellation demasse:dépliants,fichessolution,siteWebINRS,outilspécifique(OiRA)etuneaide financière nationale. Les organisations professionnelles, les services desantéautravail,fournisseurs,distributeurs,concessionnaires,OPCA,CCI,expertscomptablesontétédesleviersmajeursdudéploiementdeprogramme.Depuis quelques années également, des contrats pluriannuels d’objectifs etde moyens (CPOM) sont signés entre les trois principaux acteurs de la santé

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au travail en région : la direction régionale des entreprises, de la concurrence,de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), la caisse régionaleet les services inter-entreprises de santé au travail. Ils marquent ainsi marqué leurvolonté de travailler ensemble sur des priorités partagées. 167 contrats sont signésà fin 2016 portant des thèmes de travaux communs clairement identifiés (prévention de ladésinsertionprofessionnelle,troublesmusculo-squelettiques,risquespsycho-sociaux,agentscancérogènes,intérim).L’enjeustratégiquedecettecontractualisationestdetoucherunplusgrandnombred’établissements,notammentdesTPE/PME,defaçoncohérenteetcoordonnéesur ces cibles prioritaires de prévention (diagnostic territorial partagé). De manière plusopérationnelle, laformalisationdecepartenariatportantdesengagementsstructurantspourl’actiondesintervenants,améliorelalisibilitédesmissionsetlesoffresdechacund’entreeux.Lesmoyenssontmisencommunetlesbonnespratiques,capitaliséesautourdudéploiementdesstandardsdeprévention.

II.2/ Les priorités d’action en matière de prévention ont été choisies en fonction de la sinistralité

DanslaCOGactuelle,lesprioritéssecentrentsurtroisrisquesmajeurs:lestroublesmusculo-squelettiques(TMS),lesagentscancérogènes(CMR)etleschutesdansleBTP.Le programme TMS Pros,lancéen2014,viseàaccompagner8000entreprisesappartenantàdessecteurstrèsdiverscommel’automobile,letextile,lessoinsàlapersonneouleBTP.Cessociétésnereprésententque0,4%del’ensembledesétablissementsmaisregroupentplusd’untiersdesTMSindemnisésetuntiersdesindemnitésjournalièresverséesautitredecettepathologie.Le programme d’accompagnementmultisectoriel est accessible sur le site tmspros.fr. Il sedéroule enquatre étapesallant de l’identificationdu risqueaupland’actionà réaliser et àévaluer.Surles6859inscritsenregistrés,90%desétablissementssontinscritsauseinduparcours82%ontidentifiéleurrisque,59%définidesprioritésd’actionsaveccependantdesdifficultéspourlesentreprisesdepasseràl’étape3correspondantàlamiseenplaced’unpland’actions(29%desentreprisesontengagédesactions).TMSProsapermisdesensibiliserdesentreprisesquin’étaientpaspréalablementengagéesdansunedémarchedeprévention(41%desentreprisesdéclarentavoirengagéunedémarchedepréventiondufaitduprogrammeTMSproset10%desentreprisesn’avaientjamaisengagéd’actionjusqu’àprésent).L’évaluationencoursduprogrammepermetdepréciserquelesentreprisesapparaissentsatisfaitesdel’offredeservice,duvoletprogramme,del’accompagnement.Le programme de prévention des chutes dans le BTPcible5000entreprises(effectifde20à49salariés,dans4codes-risque)pourlesaccompagnersurunmeilleurniveaudepréventiondeschutes,enpartenariatavecl’OPPBTP.L’enjeuduprogrammeestdefaireintégrerparlesmaîtrisesd’ouvrageduBTP lesprescriptionsdepréventiondeschutesdans lespiècesdumarchédeleursprojets.Pourcefaire,lescritèresdesécuritéetsantéautravailsontpréconisésdanslesappelsd’offres(CCTP),desmutualisationsdemoyensdepréventionsurleschantierssontincitées,desformationsàdestinationdeschargésd’affairesdesmaîtrisesd’ouvragesontmisesenœuvre.Uneaidefinancièrenationaleestégalementdisponible(Echafaudage+).Un

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premierbilanduprogrammemontreque2000collaborateursauseindesMOAontétéformésdepuis2014et1520entreprisesvisitéesetaccompagnéesparlescaissesrégionalesetl’OPPBTP.Enfin, le programme de prévention des cancers professionnelsviseàsupprimerou réduire lesexpositions surdesagents cancérogènes identifiésdans certainssecteurs:lesfuméesdesoudagedanslachaudronnerie,leperchloroéthylènedanslespressings,lesémissionsdemoteurdiesel(EMD)danslescentresdecontrôletechniqueetlestyrènedanslaplasturgieetlenautisme.Lesactionsmenéesontporté des propositions de solutions techniques et de formations adaptées auxdifférentssecteurs,destravauxàdestinationdesfournisseurspourqu’ilsadaptentleursoffresdematérielsetledéploiementdeplusieursaidesfinancièresdédiéesà ce programme (Aquabonus,Airbonus). L’évaluation reste en coursmais à cestade :

30 % des chaudronneries ciblées ont mis en œuvre une démarche deprévention;

40%despressingsontsubstituél’aquanettoyageauperchloroéthylène; 35%descentresdecontrôle techniqueontmisenplaceunsystèmedecaptage;

83%desétablissementsciblésparnotreactionstyrèneontrédigéunenotetechniquesurlechoixderésinesmoinsémissives.

Le programme spécifique « TPE/PME »précédemmentévoquéaétéélaboréendirectionde200000entreprisesconcernéessurquatresecteursd’activité,déployéavecuneévaluationpositive.Lamotivationduprogrammese litdans l’indicedefréquencedesaccidentsdetravail,leplusimportantpourcettecatégoried’entreprisesde10à249salariés.Leprogrammeamobiliséfortementlesressourcesduréseauetlespartenairesaubénéficedes200000TPEciblées.L’offremétierestadaptée:l’outild’aideà l’évaluationdesrisques(OIRA)aconnu15500sessionsfin2016et95%desutilisateurs recommanderaient l’outil.L’importanceet lafiabilitédesactionsdespartenairesévoquéeprécédemmentaétéunpointfortduprogramme,mêmesil’impactsurlasinistralitéresteencoredifficilementmesurableàcestade.Les caisses régionales définissent également des priorités régionales en s’appuyant sur le profil de leur sinistralité fourni par la CNAMTS et sur lesorientations fixées par les CRAT/MP et les CTR. Par exemple, la CARSATLanguedoc-Roussillonamenéuneétudequalitativedanslecadredupland’actionrégionaldusecteursanitaireetmédico-socialavecunobjectifciblésur38EHPADenmatièredepréventiondesétablissementsetlerecoursàdesoutilsdiversifiéspour en porter l’enjeu de diminution de la sinistralité (témoignages,newsletters, miseenplaced’unextranet...).Poursoutenircesprogrammes,desaides financières simplifiéesontétémisesenplaceendirectiondesTPEetPMEdemoinsde50salariés.Cesaidesvisentà prévenir le risque lié aux activités ou risques définis par les programmes encofinançantl’achatd’équipementsadaptésoudesformationsdédiées.Lebudget

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annuel de 25 millions d’euros sur le FNPAT permet de couvrir les demandesenregistrées.En2016,4058aidesfinancièresontétépayées.Enfind’année2016,un plan de promotion a été déployé (relations presse, achat d’espaces publicitaires,actionsdemarketingdirect…)quiapermisdedynamiserlerecoursauxaidesfinancières,levierimportantdel’incitationàlaprévention.Enavril2017,15millionsd’eurossontd’oresetdéjàengagésenCARSAT,répartissurles12aidesfinancièresdisponibles.Par ailleurs, la branche a engagé une réflexion sur les moyens de mesurer l’impact économique de la prévention àl’échelled’uneentrepriseafindedémontrerauxemployeursqu’il s’agit d’un investissement rentable et que les actions de prévention (amélioration despostesde travail, formationdessalariés…)contribuentàgarantir saperformance (moindreabsentéisme,meilleureproductivité,etc.).

III-LabrancheAT/MPreposesurunsystèmeassurantielgarantdesonéquilibrefinancierLabrancheAT/MPobéitàunelogiqueassurantiellequisetraduitpardesrèglesdetarificationconciliant une double logique de responsabilisation et de prévention. Les cotisations sontuniquementàlachargedesemployeurs.Cependant,elleporteégalementlavaleurdesolidaritécar elle assure l’ensemble des entreprises du régimegénéral quel que soit leur niveau derisque,toutcommeelleindemnisel’ensembledesvictimesmêmesil’employeurestdéfaillant.Outrelefaitd’assurerannuellementl’équilibrefinancierdelabranche,lesystèmeapourbut:

demutualiserlesrisquesdutravailselondesrègleséquitables,afinquelasurvenanced’accidentsgravesnemettepasenpérillaviabilitéd’uneentreprise;

d’inciterlesentreprisesàsepréoccuperdel’impactéconomiqueinternedelasantéetde la sécurité au travail.

III.1/ La tarification permet de maintenir l’équilibre financier de la brancheLetauxmoyendecotisationannuelleAT/MPsurlamassesalarialeestde2,32%en2017.La première étape permettant de calculer le taux de cotisationAT/MPd’une entreprise estl’identification de son activité(ouactivité«principale»selonlenombredesalariésoulerisquegénérésil’entrepriseenexerceplusieurs),permettantainsideprocéderàsonclassement.Sil’entrepriseporteplusieursétablissements,chacunestidentifiéparleSIRETcommelieuoùesteffectivementexercéel’activité.Ilestensuiteclassédansuncoderisquecorrespondantàsonactivitéprincipale.LabrancheAT/MPgèreunenotionde«sectiond’établissement»quicomplèteleSIRETetquicorrespondàuneactivitéouàunnuméroderisque.Danslamajoritédescas,lesnotionsdesectiond’établissementetd’établissementseconfondent.Le taux AT/MP dépend de la sinistralité imputable à l’entreprise.Ilreposesurdeuxdonnéesprincipales, lamassesalarialede l’établissementet la«valeurdu risque»,c’est-à-dire lesdépensesgénéréesparlesaccidentsdetravailetlesmaladiesprofessionnelles,l’ensembleétantenréférencedestroisannéesprécédentes.

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Lavaleurdurisqueestissuede«coûtsmoyens»,pargrandssecteursd’activité,calculéssouslecontrôledespartenairessociauxdelacommissiondesAT/MP.Cescoûtsmoyensvarientselonladuréedesarrêtsdetravailetledegréd’incapacitégénéréparlesaccidentsdetravailetmaladiesprofessionnelles.Àtitred’illustration,les catégories de coûts moyens des sinistres avec incapacité temporaire sontexprimésennombredejoursd’arrêtsdetravailprescrits(catégorie1=0à3jours,catégorie2=4à15joursetc..).Lescatégoriesdecoûtsmoyensdessinistresavecincapacitépermanentes’exprimentpartauxd’incapacité.La détermination des taux de cotisation varie selon la taille de l’entreprise et son secteur d’activité :Hors Alsace Moselle4,cellesde1à19salariésbénéficientde tauxcollectifs : ladépenseliéeauxsinistresestmutualiséesurl’ensembledusecteurd’activité;danscesystèmed’assurance,iln’existepasdelienentreletauxnotifiéetlesaccidentssurvenusauseindel’établissement.Ils’agitd’unemesuredesécurisationenversdepetitesentreprisesdontl’équilibrefinanciernerésisteraitpasàl’imputationréelleducoûtd’unaccidentgrave.Cettemutualisationpermetégalementdemaintenirunliend’incitationàl’engagementdemesuresdeprévention,mêmeenl’absencedesurvenued’accidentsdetravailoudemaladieprofessionnelle.Cellesdeplusde150salariéssevoientappliquerun taux individuel, rapportantstrictement la somme des coûts liés aux sinistres à la masse salariale del’entreprise;ilexistealorsunlientrèsétroitentreletauxnotifiéetlesconséquencesd’unaccidentsurvenuauseindel’établissement.Enfin,un tauxmixteexiste,parprogressionducollectif vers l’individuelpour lesentreprisesde20à149salariés.Ilsedécomposeendeuxéléments:unefractiondutauxcollectifdel’activitéprofessionnelledanslaquelleestclassél’établissement(systèmed’assurance),etunefractiondutauxréelquiseraitattribuéàl’établissementsi celui-ci relevait de cemode de calcul (individualisation du coût). Le poids dechacundesdeuxélémentsestproportionnelàl’effectifdel’entreprise:plusl’effectifestimportant,pluslafractiondetauxpropre(tauxindividuel)estélevée.À ce calcul de taux « bruts », s’ajoutent des majorations qui correspondent àdes charges pesant sur l’ensemble des entreprises, dans une dynamique demutualisation la plus large possible : frais de gestion de la branche, coût desmaladies professionnelles imputées au compte spécial, contributions aux fondsamiante, alimentation du reversement à la branchemaladie au titre de la sous-déclaration,à l’assuranceretraiteau titrede lapénibilité,financementdes fondsamiante…Enconclusion,lesmodalitésdecalculdutauxAT/MPpermettentàlafoisd’inciterlesentreprises,relativementàleurtaille,àsepréoccuperdel’impactéconomiquedelasantéetdelasécuritéautravailmaisaussidemutualiserlesrisquesdutravailselondesrègleséquitables.4 LescatégoriesdetauxenAlsaceMosellediffèrent:de1à49salariés(tauxcollectifs),de50à149(tauxmixte),le

tauxindividuelétantidentiqueàpartirde150salariés.

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Le système de tarification, fondamentalement assurantiel, aboutit à l’équilibrefinancierdelabranchequi,àfin2016,présenteuncomptederésultatà13milliardsd’eurosetunexcédentde517millionsd’euros,ayantdesurcroîtrésorbétoutesadettesansversementàlaCADES.

III.2/ Des évolutions sont cependant nécessaires à la fois pour simplifier les règles et renforcer l’incitation à la prévention

Lacomplexitédudispositifdetarification,liéeàl’histoire,nécessited’engagerunedynamiquede simplification. Ainsi, une refonte importante du dispositif a été initiée en 2012. Elles’implémentedésormaisàplein,complétéed’uneréductionaujourd’huiachevéedunombredescodesrisquesquisontpassésde616à208en2017.Cetterationalisationcontribuenonseulementàsimplifiermaiségalementàsécuriserledispositifdetarification.Inscritedans laconventiond’objectifsetdegestion2014-2017, la réformede la tarificationengagéeen2015aaboutien2016.Elleconsisteàencouragerleseffortsdepréventiondesentreprisesenfaisantdelatarificationunlevierdemotivation.EllevisenotammentàdiminuerlapartiemutualiséedutauxAT/MPauprofitd’uneplusgrandeindividualisation, et également à envoyer des signaux, positifs ou négatifs, aux TPE/PMEselon leur implication enmatière de prévention.Ces évolutions se font à budget constant,sansaugmentationdescotisationsverséesparlesentreprises.Suiteàl’avisfavorabledelacommissiondesAT/MPrenduenfind’année2016,lestextesontétépubliésau1ertrimestre2017.Cetteréformeentreraprogressivementenvigueurjusqu’à2021.Ainsi,unsystèmede«primes»etde«signaux»seraprogressivement introduitpour lesentreprises de 10 à 20 salariés.Actuellement, si une entreprise relevant du taux collectifest particulièrement vertueuse enmatière de prévention ou de réduction des accidents detravail,celan’aaucunimpactsursontauxATpuisquecelui-ciestcalculépourl’ensembledesentreprisesdesabranched’activité.Unefoislaréformeenplace,ellepourrabénéficierd’uneprimeliéeàladiminutiondesonrisque,souslaformed’unediminutionforfaitairedesontauxdecotisation.Àl’inverse,uneentreprisedemêmetaillequiprésenteunerécurrenceélevéed’accidentsdetravailpourravoirsontauxaugmenterdansunelimitede10%.Ilnes’agitpasuniquementdesanctionner lesentreprisesmais les sensibiliseràunesituationatypiqueetlesaccompagneràlarecherchedesolutionset lamiseenplaced’unepolitiqueefficacedeprévention.Enfin, ledernierobjectifestdecontribueraudéveloppementd’uneoffredeservicevers lesentreprises, en renforçant les télé-services proposés : mise à disposition des données desinistralitésurlecompteAT/MP,envoidématérialisédesnotificationsdetaux,signalementenlignedesoffrespréventiondisponiblesvialecompteemployeuravecunaccèsouvertauxtiers-déclarants.Àcejour,686000comptesemployeurssontouvertsvianet-entreprises,emportantlasatisfactiondesemployeurs interrogés lorsde l’enquêteannuellede labranchemaladie,essentiellementparlesentreprisesàtauxindividualisé.

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Focus : les contentieuxLe contentieux représente un enjeu fort pour le fonctionnement de la branche en raison de sa volumétrie et de ses conséquences financières : 174 000 procédures en 2014 en cours dont 123 000 devant le contentieux général et 50 500 en contentieux technique. Le coût du contentieux AT/MP est de 500 millions d’euros par an. Il représente environ 60 % du contentieux des CPAM avec un coût moyen de 35 000 € par dossier perdu.

En amont, la rédaction d’instructions, le développement d’une offre de service et d’une animation du réseau permet de renforcer l’implication de l’ensemble des organismes dans le processus contentieux, sous un dispositif de pilotage national renforcé.

La direction des risques professionnels développe ses échanges avec l’ANTASS ou la CNITAAT et incite les directeurs régionaux à rencontrer les présidents de TCI afin d’améliorer la connaissance des contraintes respectives et fluidifier les modes et la représentation des organismes en audience.

La maîtrise de la gestion du contentieux nécessite un renforcement de la qualité de la fonction juridique opérante sur les dossiers. La CNAMTS a décidé de confier à la seule CRAMIF, la gestion complète des dossiers contentieux portant sur les processus tarification et prévention des AT/MP. Sur des dossiers relativement peu nombreux mais nécessitant une grande technicité dans un contexte de modification de la législation, cette mutualisation est particulièrement nécessaire. En réparation, la CPAM d’Amiens assure la représentation des organismes à l’audience (contentieux technique). La juridiction devant laquelle ces dossiers sont portés (CNITAAT, à Amiens) est modifiée par l’article 12 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Celle-ci organise la spécialisation d’une cour d’appel (Amiens) pour connaître des litiges mentionnés au 4° de l’article L. 142-2 du code de la sécurité sociale en lieu et place de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail. Cette cour d’appel spécialement désignée aura compétence exclusive en premier et dernier ressort pour connaître de ces litiges sur l’ensemble du territoire national. Le texte entre en vigueur le 1er janvier 2019.

Cette même loi impacte plus largement le processus médico administratif de défense des contentieux côté réparation (PMA), en prévoyant la mise en place d’un recours revêtant un « caractère médical » préalable obligatoire en matière de contentieux technique. Ces dispositions ne sont pas encore précisées à ce jour. Dans l’attente, l’organisation en place prévoit la constitution de cellules régionales regroupant les experts juridiques et ressources médicales nécessaires au bon niveau de défense des dossiers, ainsi qu’une intervention du niveau national : la CNAMTS identifie les employeurs à l’origine de désimputations élevées du fait de fréquentes contestations et via les cellules PMA demandent une représentation médicale systématique aux audiences concernées.

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Face aux enjeux financiers du contentieux AT/MP, ce dispositif de pilotage national vient renforcer le recensement des procédures contentieuses afin de fiabiliser les remontées et obtenir la certification des comptes. Pour répondre aux exigences de la Cour des comptes sur le provisionnement du risque financier, une procédure nationale d’acquisition d’un logiciel a ainsi été lancée. En effet, la multiplicité et l’hétérogénéité des outils utilisés dans les organismes rendent le pilotage de la politique contentieuse difficile. Cet outil devrait commencer son déploiement en 2018.

III.3/ Certifier les comptes AT/MPEn2012,labrancheAT/MPn’apasétécertifiéeparlaCourdescomptesenraison,notammentdelafaiblesseducontrôleinterne.LabrancheAT/MPaalorsmenédifférentesactions,àlafoissurlesoutilsetsurlesprocessuspourrenforcerlecontrôleinterne:

D’une part, l’outil informatique utilisé en caisse régionale pour déterminer et notifierles taux de cotisation (SGE-TAPR) s’est doté d’un module de contrôle plus aboutipermettantdebloquer l’envoide lanotificationencasdecontrôle insatisfaisant.Unecelluledecontrôlead hocaétécrééeséparantlestâchesd’exécutionetdecontrôle.

D’autre part, l’actualisation du plan de maîtrise socle tarification a intégré en 2013desaméliorationsduprocessusdegestionducompteemployeur:renforcementdesmodalitésdecontrôleinterne,créationderequêtespermettantl’homogénéisationdespratiques,normalisationdesdocumentsjustificatifs.

Parailleurs,60%destarificateurs(gestionnairesetexpertstechniquestarification,technicienscontentieux) sont formés à la gestion des réclamations et des recours gracieux. Cetteprofessionnalisationestgarantedel’équitédetraitementsurleterritoireetdelasécurisationjuridiquedesrelationsaveclesemployeurs.Depuislamiseenœuvredecesmesures,lesdonnéessontplusfiables,lesécartsdepratiquesentrecaissesmoindres,letraitementdesdossierspluséquitable.Lesréservesempêchantlacertification des comptes sont aujourd’hui levées et la brancheAT/MP voit dorénavant sescomptescertifiés.Parlafiabilitéainsiaffirméedescomptesdelabranche,c’estl’ensembledusystèmeassurantielsoutenantlagestiondesrisquesprofessionnelsquisetrouverenforcé.L’interdépendancedesmissionspréventionetréparation,aveccelleévoquéeimmédiatementdelatarification,estlacaractéristique-etlaforce-delabrancheAT/MPquiluipermetdes’adapterauxévolutionsdumondedutravailetgarantirlaprotectiondelasantédessalariés.

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Inciterlesentreprisesàaméliorerlasantéautravail La tarification à l’expérience dans les systèmes d’assurance des risques professionnels

Par Pascale Lengagne, Maître de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

RésuméDans différents pays, des dispositifs visant à inciter financièrement les entreprises à améliorer la santé au travail sont mis en œuvre. En France, les contributions que les entreprises versent au titre de l’assurance des risques professionnels du Régime Général sont modulées selon leurs propres coûts ; ce mode de tarification devrait sensibiliser les employeurs à mettre en œuvre davantage de démarches de prévention des risques professionnels. Quelle est l’efficacité de ce mode de tarification en termes d’incitation des entreprises à la prévention ? Cet article propose un éclairage sur cette question en présentant, dans un premier temps, les spécificités de dispositifs qui existent dans plusieurs pays, afin d’appréhender les mécanismes incitatifs différents qui peuvent en résulter. Il présente ensuite une synthèse des résultats de travaux d’évaluation qui étudient l’influence de ces dispositifs en termes d’amélioration de la santé au travail. Ces travaux mettent en lumière les effets bénéfiques de ces dispositifs, tout en pointant dans le même temps l’existence d’effets potentiels non désirés.

I- IntroductionAméliorer lasantéau travaildans toutessesdimensionsestunenécessité, faceauxdéfiséconomiques,sociauxetdémographiquesauxquelslessociétéssontconfrontéesaujourd’hui.L’enjeu est à la fois de préserver la santé physique etmentale des individus, tout au longdeleurvie,defavoriser leurmaintiendansl’emploi–enadaptant letravailàlasantéetenréduisantlespénibilitésdutravail–etd’accroîtrelaproductivitéetlesperformancessocialesdesentreprises.Parmi les outils de régulation mis en œuvre, un ensemble d’instruments vise à inciterfinancièrement les employeurs à mener des démarches de prévention des risquesprofessionnels, d’aménagement du travail et de maintien dans l’emploi des salariés ayantdes maladies incapacitantes (OCDE, 2010 ; EU-OSHA, 2015). Dans plusieurs pays, lamise en œuvre d’une tarification à l’expérience dans les systèmes d’assurance dotés derisquesprofessionnelss’inscritdansunobjectifdesensibilisationetderesponsabilisationdel’entrepriseenmatièredepréventiondesrisquesprofessionnels(HautConseildufinancementdelaprotectionsociale,2014).Le système de tarification des risques professionnels du Régime Général des travailleurssalariésenFranceestl’outildefinancementdesdépensesdeprestationsverséesauxsalariésvictimesd’accidentsdutravail,d’accidentsdutrajetetdemaladiesprofessionnelles(AT-MP).IldéfinitlesrèglesdecalculdescontributionsquelesentreprisesdoiventverserchaqueannéeautitredesAT-MPetgarantitl’équilibreentrelesdépensesetlesrecettesdela branche. Outre cettefonctiondefinancement,cesystèmeviseégalementàinciterlesemployeursàprévenir

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lesrisquesprofessionnels.Afinde lesencourageràmettreenœuvredavantagededémarchesdepréventiondansl’entreprise,lescontributionsàleurchargesontmoduléesselonleursproprescoûtsenmatièrederisquesprofessionnels.Ils’agitd’unetarificationàl’expérience.PluslesdépensesdeprestationsliéesauxAT-MPdes salariés d’un établissement sont importantes, plus l’employeur devra verserunecontributionimportante;etinversement,pluscesdépensessontfaibles,pluscette contribution sera réduite.Lesemployeursseraientainsidavantageresponsabilisésenmatièredepréventiondes risques professionnels et d’amélioration de la santé au travail. Cependant,de l’avis dedifférentsobservateurs, cet instrument restedifficile àanalyser ; sacapacitéà réduire lesexpositionsàdes risquesprofessionnelsetàaméliorer lasantéautravailasouventétéremiseencause(voirp.ex.IGAS,2004).Cetarticleproposeunéclairagesurcettequestionenprésentant,dansunpremiertemps, les spécificités de dispositifs analogues existant dans différents pays,afin d’appréhender les mécanismes incitatifs différents qui peuvent en résulter.Il présente, dans un second temps, une synthèse des résultats de travauxd’évaluation étudiant l’influence de dispositifs de tarification à l’expérience entermesd’améliorationdelasantéautravail.

II-Quelsdispositifsetquelsmécanismesincitatifs?II.1/ Modes de gestion de l’assurance, règles de tarification et incitations adressées aux entreprises

Lesdispositifsdetarificationàl’expériencesontgénéralementmisenœuvredanslecadredesystèmesd’assuranceavecadhésionobligatoiredel’employeur(HautConseildufinancementdelaprotectionsociale,2014).Dansplusieurspays,cessystèmesd’assurancesontgérésparunopérateurpublic,commeenFrance,enAllemagneouenItalie.Ilssontdansd’autrescasgéréspardesopérateursprivés,comme,parexemple,auxÉtats-UnisouenBelgique.Lesmécanismes incitatifsmis enœuvre peuvent être très différents selon la situation.Dans le cas d’unegestion par des assureurs privés, ces derniers peuvent proposer des contratsd’assurancedont laprimeestplusoumoinsmoduléeselon leniveaude risquedel’assuré.Lesmodesdetarificationpratiquéssontdanscertainscasencadréspar la loi.EnBelgique, lesprimesdecotisationdesentreprisesde200salariésouplusdoiventêtrecalculéedemanièreindividuelleetcellesdesentreprisesdemoinsde200personnessontcalculéesdemanièreuniformeauseindechaquesecteur d’activité.C’est également le cas dans unemajorité d’États américains,oùlaloiimposeauxassureursdemettreenœuvreunetarificationàl’expérience.Quelquesoitlemodedegestionchoisi,publicouprivé,l’efficacitédesincitationsadresséesauxentreprisessupposequelesprimesoulescontributionsduesparlesentreprisessoientsuffisammentmoduléesselonleurproprerisque.

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La réussite des dispositifs incitatifs dépend également de la lisibilité des règlesde tarification mises en œuvre ; un système peu lisible pour les employeurs nepeutêtreefficaceen termesd’incitationà laprévention.EnFrance,dans lecadredela réformede la tarification entrée en vigueur en 2012 , le systèmea étémodifié dansce sens, afin de le rendre plus lisible pour les entreprises, en introduisant un système decoûtmoyen.Lescontributionsdesemployeursétaientauparavantcalculéessur labaseducoûtréeldesaccidentsdutravailetmaladiesprofessionnelles.Lesdépensesétaientimputéesauxentreprisesaussi longtempsque lesaccidentsetmaladiesprofessionnellesgénéraientdesdépenses(dépensesd’hospitalisation,médicaments,indemnitésjournalières,indemnitésd’incapacité permanente…). Les contributions des employeurs sont désormais calculéessurlabaseducoûtmoyendechaquesinistre.Lecoûtmoyend’unsinistreestdéterminéenfonctiondesonniveaudegravité(degréd’incapacitéetduréedel’arrêtdetravail)etdusecteurd’activitédel’entreprise.L’imputationaucoûtmoyendevraitpermettreunemeilleurelisibilitédusystèmepourl’employeur,enlimitantl’incertituderelativeauxcoûtsdesAT-MPpesantsurl’entrepriseetenreportantdefaçonimmédiatelecoûtdessinistresaucomptedel’entreprise.

II.2/ Périmètre des risques et incitations adressées aux entreprises

Lepérimètredesrisquesprofessionnelssurlequellatarificationàl’expérienceestappliquéepeut être plus oumoins large selon le pays (EUROGIP, 2013). En France et en Italie, cepérimètre inclut les accidents du travail et les maladies professionnelles. En Belgique, ilse restreintauxaccidentsdu travailetauxaccidentsdu trajet.EnAllemagne, lesmaladiesprofessionnellesn’entrentpas,engénéral,danslepérimètredecalculdesbonusetmalusmisenœuvreparlesbranchesprofessionnelles(cf.Tableau1).Desdispositifsdetarificationàl’expérienceontégalementétémisenplacedanslecadredel’AssuranceinvaliditéauxPays-BasetenFinlande.Lepérimètred’applicationestdonc,danscescasprécis,pluslargequeceluidesrisquesprofessionnels,carils’agitdel’ensembledesprestationsd’invaliditéindépendammentdeleurorigine,professionnelleounonprofessionnelle.AuxPays-BasetenFinlandeoùlestauxdebénéficiairesdeprestationsd’invaliditéontatteintdesniveauxélevés(OCDE,2010),cesdispositifsfontpartied’unensembledemesuresmisesenplaceafind’inciterlesemployeursàdévelopperdesdémarchesdepréventiondel’invaliditéetd’aménagementdutravailpourmaintenirlessalariésayantdesmaladiesinvalidantesdansl’emploi,etéviterqu’ilsne«tombent»dansl’invalidité(OCDE,2010).Ilnes’agitpasseulementd’uneincitationàlapréventionprimairevisantàdiminuerl’incidencedemaladiesetd’accidentsinvalidants. L’objectif recherché s’inscrit dans la perspective d’encourager l’employeur àadapterletravailàlasantédessalariésetàlesmaintenirautravail.Laquestionduchoixdupérimètredesrisquessurlequelappliquerlatarificationàl’expérienceestimportante.Unpérimètrerestreintlimitelesincitationsadresséesauxentreprisesetproduirapeud’effetsentermesd’améliorationdelasantéautravail;orl’implicationdel’employeuretl’activationdesesmargesdemanœuvrepeuventêtredéterminantesdansceprocessus.Al’inverse,unpérimètretroplargepeutfairepeserunetropfortechargesurl’entrepriseetposelaquestiondesavoirsil’employeurdisposeeffectivementdemoyenstechniquesetfinancierspourprévenirunlargeéventailderisques-enparticulierdanslecasdespetitesetmoyennes

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entreprises. Il estdonc importantdedéfinirunpérimètreadaptéauxmargesdemanœuvreeffectivesdel’entreprise.Parailleurs, l’atteintedecesobjectifsentermesdepréventionetdemaintienautravailapparaîtintimementliéeàl’existenced’unensemblecohérentdemesuresvisantàencadrer lesdémarchesdesemployeursetdessalariésetd’incitationsfinancières. Dans le cas néerlandais, les incitations adressées aux employeurss’accompagnentd’obligationsquelesalariéetl’employeurdoiventrespecterdurantlapérioded’arrêtde travail,etnotammentaucoursdespremièressemainesdel’arrêtdetravail–c’est-à-direquandlespossibilitésderétablissementetretourautravailsontlesplusimportantes.Aucoursdessixpremièressemainesd’arrêtdetravail, lesalariéetl’employeuravecl’appuidumédecindutravaildoiventétablirunplanderetourautravail.Encasd’échecdeceplan, lesalariépeutfaireunedemande de reconnaissance en invalidité explicitant les raisons de cet échec.Aprèsexamendecettedemandeparl’administration, leplanderetourautravailpeutêtrejugéinsuffisant,etlestatutd’invaliditén’estalorspasaccordé;lesalariéestmaintenuenarrêtdetravailetl’employeurdoitcontinueràpayerlesindemnitésjournalièrescorrespondantes.La question du choix du périmètre doit également être posée au regard desévolutions des liens entre la santé et le travail. Ce périmètre doit en effets’adapteràcesévolutions,notammentà l’émergencedenouveaux risquesetàlareconnaissancedenouveauxrisques.EnFrance,àl’instard’autrespays,nousconstatonssurlelongtermeunebaissedelafréquencedesaccidentsdutravailet,parallèlement,unehaussedel’incidencedesmaladiesprofessionnellesreconnues– liée principalement à une forte hausse de l’incidence des troubles musculo-squelettiques(TMS)–etuneaugmentationdunombredejoursd’arrêtsdetravailliés aux accidents etmaladies professionnelles (Lengagne, 2015). Les résultatsd’enquêtessurlesconditionsdetravailindiquentenoutreuneexpositionaccruedestravailleursàdesfacteursdepénibilitésphysiquesetpsychosociales(Fontaineetal.,2016).Quels«nouveaux»risquesetquellesdépensesdoiventêtresupportésparlesentreprises?Face,notamment,àdessituationsdeburnoutsetdemaladiesmentales liées au travail, cette question complexe revient de façon de plus enplus récurrente.Ladifficultéàétablir l’existenced’un liendecausalitéentreunepathologieetletravailsemblerendreleproblèmeinsoluble,cardanslecadredelaréglementationenvigueur,endehorsdesaccidentssurvenussurlelieudetravailetdesmaladiesinscritesauxtableauxdesmaladiesprofessionnelles, leprinciped’imputation des dépenses à l’entreprise est gouverné par ce lien de causalité.Toutefois,cettedifficultépeutêtredépassée.Certes,l’employeurnepeutêtretenuresponsabledemaladiesquin’ontpasdelienavecl’activitédel’entreprise.Maisdanslamesureoùildisposedemargesd’adaptationdutravaildessalariésselonleurétatdesanté,lamiseenplaced’undispositifvisantàactivercesmargesdemanœuvrepeutêtreenvisagée–ainsiquelemontrentlesexpériencesétrangèresmentionnéesci-dessus.

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Tableau 1 : Principales caractéristiques des dispositifs de tarification à l’expérience dans différents pays

Allemagne Risque Accidents du travail et Maladies professionnelles Assurance à adhésion obligatoire. Lagestiondel’assuranceestorganiséeauniveaudesbranchesprofessionnelles(neufcaisses d’assurance).

Tarification à l’expérience. Conformément au Code de laSécuritéSociale,unsystèmedebonus-malusenfonctiondelasinistralitédel’entreprisedoitêtremisenœuvreauniveaudechaquecaissed’assurance,sansprécisionssurlemodedecalculdesbonusetmalus.Lescaissespeuventn’appliquerquelebonusoulemalusoucombinerlesdeux.Lesmaladiesprofessionnellesn’entrentpas,engénéral,danslepérimètredecalculdesbonusetmalus.

Belgique Risque Accidents du travail et Maladies professionnelles Assurance à adhésion obligatoire.Pour le risqued’accidentdutravailetlesaccidentsdutrajet,l’entrepriseal’obligationdes’assurerauprèsd’unassureurprivéagréé.Pour lesmaladies professionnelles, la gestion est assuréeparunopérateurpublic.

Tarification à l’expérience. Pour le risque d’accident dutravail et d’accidents du trajet, le cadre légal stipule que lacontributiondesentreprisesde200salariésouplusdoitêtrecalculéedemanièreindividuelle.Lesentreprisesdemoinsde200personnesetd’unmêmesecteurpaientunecontributionuniforme.

Pourlesmaladiesprofessionnelles,untauxdecotisationuniqueestappliquéàtouteslesentreprises.

Espagne Risque Accidents du travail et Maladies professionnelles Assurance à adhésion obligatoire.Lagestionestassuréepardesmutuellesd’employeurs.

Tarification à l’expérience. Les entreprises qui contribuentdemanièreefficaceetvérifiableàprévenir lesaccidentsdutravail et les maladies professionnelles peuvent bénéficierd’une réductionde leurscotisationsAT-MP.Lesentreprisesperçoivent alors un remboursement d’une partie de leurscotisations. Le bonus accordé ne peut cependant pasdépasser10%dumontantdescotisations.

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États-Unis Risque Accidents du travail et Maladies professionnelles Assurance à adhésion obligatoire dans la plupart des États

fédérés.L’employeurdoits’assurerauprèsd’unopérateurprivé ; dans certains cas, il peut également choisir des’auto-assurer.

Tarification à l’expérience.Lecalculdesprimesd’assurancepeut dépendre de la taille de l’entreprise, du secteurd’activitéetdel’historiquedelasinistralitédel’entreprise.Dans une majorité d’États, la loi impose aux assureursl’applicationd’unetarificationàl’expérience.

Italie Risque Accidents du travail et Maladies professionnelles Assurance à adhésion obligatoire.Lagestionestpriseenchargeparunopérateurpublicunique.

Tarification à l’expérience.Ils’agitd’unsystèmedebonus-malus tenant compte des résultats de la sinistralité del’entreprise. L’individualisation du système dépend de lataille des entreprises. En outre, les entreprises peuventbénéficier d’une réduction de leur contribution si ellesmettent en place des actions de prévention, parmi unensembled’actionspréétabliparl’assureur.

Finlande Risque Accidents du travail et Maladies professionnelles Assurance à adhésion obligatoire. L’employeur doits’assurerauprèsd’unopérateurprivé.

Tarification à l’expérience.Lecalculdesprimesd’assurancepeut dépendre de la taille de l’entreprise, du secteurd’activitéetdel’historiquedelasinistralitédel’entreprise.

Risque Invalidité Assurance à adhésion obligatoire.Lagestiondel’assuranceestpriseenchargeparunopérateurpublic.

Tarification à l’expérience. Les contributions dépendentde la taille de l’entreprise et des prestations d’invaliditéversées aux salariés.

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France Risque Accidents du travail et Maladies professionnelles Assurance obligatoire.Lagestiondel’assuranceestpriseenchargeparunopérateurpublic.

Tarification à l’expérience.Lacontributiondesentreprisesde150salariésetplusestcalculéedemanièreindividuelle.La contribution des entreprises demoins de 20 salariésestcalculéedemanièrecollectiveauniveaudusecteurderisque.Lacontributionestmixtepourlesentreprisesde20à150salariés,combinantunepartindividuelleetunepartcollective.

Pays-Bas Risque Accidents du travail et Maladies professionnelles-Pasd’assurancespécifiquepourlesrisquesprofessionnels.Risque Incapacité temporaire (*)(*)Encasd’arrêtdetravail:Maintiendesalaireparl’employeurpendantuneduréemaximalededeuxans. Assurance à adhésion facultative. Les entreprisess’assurentauprèsd’unopérateurprivé.

Tarification à l’expérience. L’assureur peut appliquerdes primesd’assurancemodulées selon les résultats del’entreprise.

Risque Invalidité Assurance à adhésion obligatoire. La gestion est priseen charge par un opérateur public. Les entreprisespeuventfairelechoixdes’assurerauprèsdecompagniesd’assuranceprivées.

Tarification à l’expérience. Le calcul des contributions dépend de la taille de l’entreprise et des prestationsd’invalidité versées aux salariés.

Principalessourcesdocumentaires:HautConseildufinancementdelaprotectionsociale(2014),EUROGIP(2013).

III-Quelseffetsdesdispositifsdetarificationàl’expériencesurlasantéautravail?III.1/ Tarification à l’expérience et préventionSelonplusieurstravauxempiriques,latarificationàl’expériencedanslechampdel’assurancedes risques professionnels entraîne une diminution de l’incidence des accidents du travail,desTMSetdeladuréedesarrêtsdetravailassociés(voirp.ex.Ruser,1991,ThomasonetPozzebon,2002;Tompaetal.,2012;Tompaetal.,2013;Lengagne,2015;LengagneetAfrite,2016).Lestravauxétudiantleseffetsdecemodedetarificationsurletauxd’invaliditémontrentquecedispositif contribueàdiminuer lenombredebénéficiairesdesprestationsd’invalidité(voirp.ex.Koning,2009;vanSonsbeekandGradus,2013;deGrootandKoning,2016).

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Cesrésultatssuggèrentquelesdispositifsdetarificationàl’expériencepeuventêtredesleviersefficacesd’améliorationdelasantéautravail.Lamiseenœuvreparlesemployeursdemesuresdepréventionoud’adaptationdutravailetdemaintienautravail,enréactionàcesdispositifs,pourraiteneffetexpliquerleseffetsmesurés.Plusprécisément,lalittératureéconomiquedistinguedeuxmécanismesthéoriquessous-jacents, selon le degré d’information dont l’employeur dispose. Le premiermécanismeestuneffetincitatifexante.L’employeurdisposantd’uneinformationàlafoissurlesrisquesauxquelssontexposéslessalariésdansl’entrepriseetsurlesurcoûtd’assurancequ’ildevrasupporterencasdesurvenuedecesrisques,il peut alors anticiper les effets bénéfiques nets des mesures de prévention àmettre enœuvre. Le deuxièmemécanisme est une incitation ex post. Dans cecas, l’employeur dispose de peu d’information sur ses risques et sur les règlesdetarificationenvigueur.Ilnepeutréagiràl’incitationquelorsquelerisques’estréalisé : lasurvenued’unaccidentdu travailengendrantunsurcoûtd’assuranceentraîneuneffetd’apprentissageetpeutsensibiliser,exante,l’employeuràl’intérêtd’éviterqued’autresaccidentsdemêmenatureneseproduisent.

III.2/ Effets potentiels non désirés

Silatarificationàl’expériencepeutconstituerunmoyend’inciterlesentreprisesàdévelopperdesdémarchesdeprévention,elleestégalementsusceptibled’induiredeseffetsnondésirés,identifiésdanslesétudesd’évaluationquiontétéréalisées.Cestravauxpointenttoutd’abordunrisquedesous-déclaration.L’employeurpeutinciterlessalariésnepasdéclarerleursAT-MP,cequientraîneraitunesous-décla-rationdesAT-MP.Ainsi,lesrésultatsd’étudesmesurantunediminutiondesrisquesprofessionnelsliéeàlatarificationàl’expériencepeuvents’expliquerenpartieparunemoindredéclarationd’AT-MP.Ensuite, lessystèmesdetarificationàl’expériencesontsusceptiblesd’accentuercertainsmécanismes de sélection sur lemarché du travail (Koning, 2016). Lesemployeurspeuvent êtremoinsenclinsà recruter ouà renouveler le contrat detravaildepersonnesenmauvaisétatdesantépouvantprésenterunrisqueplusélevéd’accidentsoudemaladiesprofessionnellesoud’invalidité,parcomparaisonauxpersonnesenmeilleuresanté.Cesmécanismesdesélectionsontsusceptiblesd’expliquerenpartielesrésultatsempiriquescitésci-dessus.Lesauteurspointentégalementunrisqued’externalisation.Latarificationàl’expé-riencepeutpoussercertainesentreprisesàdévelopperdeslogiquesd’externalisa-tiondesactivitésexposantlestravailleursàdesconditionsdetravaildélétères,enrecourantdavantageàlasous-traitanceouàl’intérimpournepasavoiràsupporterlecoûtdesrisquesprofessionnels.Parailleurs,depuisquelquesannéesenFrance,plusieursentreprisesontdévelop-péuneactivitédecontestationdeschargesquileursontimputéesdevantlesjuri-dictionscompétentes,avecl’appuid’entreprisesdeservicesjuridiquesspécialisésdanscedomaine.Cescontestations,quidébouchentsouventsurlanon-imputation

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deschargesàl’entreprise,peuventlimiterlaportéedeseffetsincitatifsàlapréven-tion.Lemontantdesdépensesnonimputéesoureverséesauxentreprisesautitredecescontentieuxestconséquent–del’ordrede500millionsd’eurosparan(Cnamts-Di-rectiondesrisquesprofessionnels2010à2014).Cespratiquessonttoutefoisdavantageencadréesdepuis2010,cequis’esttraduitrécemmentparunediminutiondesmontantsnonimputésoureversésauxentreprises.

IV- Conclusion

Desdispositifsde tarificationà l’expérienceontétémisenœuvredansplusieurspaysafind’inciterlesemployeursàaméliorerlasantéautravaildeleurssalariés.Quelleestl’efficacitédecemodedetarificationentermesd’incitationàlaprévention?L’analysedesspécificitésdedifférentsdispositifs-entermesdemodedegestion,d’ampleurdesincitationsadresséesauxentreprisesetdepérimètredesrisquessurlequels’appliquentcesdispositifs-offreunéclairagesurcettequestion.Ellemetenlumièreplusieursconditionsnécessairesàlaréussitedecesdispositifs:lalisibilitédesrèglesdetarificationmisesenœuvre,unemodulationsuffisantedescontributionsverséesparlesentreprisesselonleurrisque,ladéfinitiond’unpérimètreadaptéauxmargesdemanœuvreeffectivesdesentreprisesetadaptéauxévolutionsdu lienentresantéettravail,lamiseenœuvredemesuresencadrantlesdémarchesdesemployeursetdessalariésenmatièrederéintégration.Lestravauxderechercheétudiantleseffetsdecesdispositifsentermesd’améliorationdelasantéautravailoffrentégalementunéclairagesurcettequestion.Lesrésultatsdecestravauxindiquent que la mise en place d’une tarification à l’expérience, dans différents contextesinstitutionnels, a pour effet dediminuer l’incidencede risquesprofessionnels. Ils suggèrentainsi quecemodede tarification incite lesentreprisesàaméliorer les conditionsde travailetàprévenir les risquesprofessionnels.Toutefois, lesauteurssoulignentqueces résultatspeuvent refléterd’autresmécanismes, telsqu’uneaugmentationde lasous-déclarationdesAT-MPetunesélectionaccruedes individussur lemarchédu travail selondescritèresdesanté. Plusieurs auteurs soulignent l’existence de ces risques potentielsmais il existe peude travauxpermettantd’enévaluer l’ampleur.Ainsi, lesconnaissancesempiriquesactuellesoffrentuneanalysequidemeureencoreparcellaire.Desprogrèsdoiventêtreréalisésdanscedomaineafindemieuxcomprendrelesavantagesetlesinconvénientsdesdispositifsenplaceetd’identifierlesvoiesd’améliorationpossiblesdecesdispositifs.

RéférencesCNAMTS. Direction des risques professionnels.Rapportsdegestion2010à2013, http://www.risquesprofessionnels.ameli.fr/

EU-OSHA (2015).Rehabilitationandreturntowork:AnalysisreportonEUandMemberStatespolicies,strategiesandprogrammes. https://osha.europa.eu/fr/tools-and-publications/publications/rehabilitation-and-return-work-analysis-eu-and-member-state

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EUROGIP (2013).Incitationsfinancièresàlapréventiondesrisquesprofessionnels. Réf.89/F.

Fontaine R., Lengagne P., Sauze D. (2016). L’exposition des travailleurs auxrisquespsychosociauxa-t-elleaugmentépendantlacriseéconomiquede2008?Economieetstatistique,486,103-128.

Groot, N. de and Koning P.(2016).Assessingtheeffectsofdisability insuranceexperiencerating:ThecaseoftheNetherlands.LabourEconomics41:304–317.

Haut Conseil du financement de la protection sociale (2014). « Analyse comparée des modes de financement de la protection sociale en Europe »,rapportduHCFi-PS. http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/rapport_international_hcfi-ps.pdf

Hullegie P., Koning P. (2015), “Employee Health and Employer Incentives”, IZADPNo.9310.

Inspection générale des affaires sociales (2004), « Tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles »,Rapport2004-171,Novembre.

Koning P.(2009).Experience-ratingandtheInflowintoDisabilityInsurance.DeEconomist,Vol.157,n°3,p.315-335.

Lengagne P. (2015). “Experience Rating and Work-Related Health and Safety”. JournalofLaborResearch;1-25.

Lengagne P., Afrite A. (2015). “Experience Rating, Incidence of Musculoskeletal Disorders and Related Absences Results from a Natural Experiment”.Documentde travail de l’Irdes, n°69,octobre.

OECD(2010).Sickness,disabilityandwork:Breakingthebarriers.AsynthesisoffindingsacrossOECDcountries.OECDPublishing,Paris.

Ruser J. W.(1991).Workers’compensationandoccupationalinjuriesandillnesses,JournalofLaborEconomics,Vol.9,n°4,pp.25–50.

Tompa E., Hogg-Johnson S., et al. (2013). “Financial Incentives of Experience Rating in Workers’ Compensation: New Evidence from a Program Change in Ontario, Canada”.JournalofOccupationalandEnvironmentalMedicine,55(3),292-304

Van Sonsbeek, J. M., Gradus, R. H.(2013).EstimatingtheeffectsofrecentdisabilityreformsintheNetherlands.OxfordEconomicPapers,65(4),832-855.

Thomason T., Pozzebon S. (2002). “Determinants of Firm Workplace Health and Safety and Claims Management Practices”, Industrial and Labor Relations Review,Vol.55,n°2,286-307

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Tompa E., Hogg-Johnson S., Benjamin C., Ying E., Mustard C. et Robson L. (2012). “Systematic Review of the Prevention Incentives of Insurance and Regulatory Mechanisms for Occupational Health and Safety”, Policy and Practice in Health and Safety, Issue 1, 117-137(21)

Tompa E., Hogg-Johnson S., et al. (2013). “Financial Incentives of Experience Rating in Workers’ Compensation: New Evidence from a Program Change in Ontario, Canada”. Journal ofOccupationalandEnvironmentalMedicine,55(3),292-304

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Quiestcouvert?Lechampd’applicationpersonnel delalégislationaccidentdutravailPar Francis Kessler, Maître de conférences, École de droit de la Sorbonne, Université de Paris 1 ; avocat à la Cour, senior counsel, Gide Loyrette Nouel

Francis Kessler est maître de conférences, directeur du master « Droit de la protection sociale d’entreprise » à l’École de droit de la Sorbonne, Université de Paris 1.Il est également avocat, senior counsel et membre du conseil scientifique de GIDE LOYRETTE NOUEL A.A.R.P.I., Paris.

Néedes insuffisancesdudroit de la responsabilité civile à la finduXIXesiècleet sous lamenacedevoirs’appliquerlemécanismedelaresponsabilitédufaitdeschosesdéveloppéeàpartirdel’arrêtTeffainede18961le«compromisde1898»2–l’instaurationd’uneresponsabilitéautomatiquefondéesurlerisqueprofessionnelcrééparl’entreprise3etlescontrepartiesd’uneréparationforfaitaireetdelaprohibitiondurecoursàlaresponsabilitécivileetàlaresponsabilitépénale4 – ne s’appliquait initialement qu’aux seuls accidents survenus dans l’industrie5. De plus, si l’articleuniquede la loi du30 juin1899étend le champd’applicationde la loi auxaccidentsagricolesayantuncaractèreindustrieletrésultantdel’emploidesmachinesmuesparunmoteuranimé,elleexclutdefactolapresquetotalitédusecteuragricoledesonchampd’application6.Cen’estqu’àpartirdelaloidu15décembre19227quelesouvriersagricolesetassimilésdevrontêtreassuréscontrecerisque.Avecl’article4dela loidu15décembre1922,modifiéeparcelledu30avril1926, lesexploitantsagricolespouvaient,à laconditiondecontracteruneassurance,seplacereux-mêmes,pour lesaccidentsprofessionnelsdontilsseraientvictimes,souslebénéficedelalégislationsurlesaccidentsdutravail,etdèslors

1 Civ. 1ère,16juin1896,S.1897.1.17s.,noteA.Esmein;D.1897.1.433,concl.SarrutL.,noteSaleillesR.2 L.9avr.1898,concernantlesresponsabilitésdesaccidentsdontlesouvrierssontvictimesdansleurtravail,JO10avr.1898.2209;

LeGallY., «Histoiredesaccidentsdu travail. Lapréparationde la loi de1898»,BHSS1982, n° 10, p. 31 ; LeGallY., « Lescomportementspolitiquesfaceàlaloidu9avril1898surlesaccidentsdutravail»,Rev.semestrielleCentredeRecherched’HistoireÉconomiqueetSociale1982,n°10.

3 JosserandC.,Laresponsabilitédufaitdeschosesinanimées,thèse1897,p.111.«Celui-làseulquicréélerisquequiestàlatêted’uneentrepriseetimprimeàsonactivitéunelibreimpulsion:profitantdescasfortuitsheureuxcelui-làdoitsupporterlescasfortuitsmalheureux»;v.aussiSaleilles,Lesaccidentsdutravailetlaresponsabilitécivile,Essaid’unethéorieobjectivedelaresponsabilitécivile,Dalloz,1897.

4 MeyerF.,«Laproblématiquedelaréparationintégrale»,Droitsocial1990.718.5 Onliralasubtiletypologieetlesdifficultésd’applicationdelaloiauxsituationsdetravailnouvellesdelaguerrede1914-1918par

JadéJ.,Lesaccidentsdutravailpendantlaguerre,M.Giard&E.Brière,1917surhttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62519986/f1.image.r=%22Accidents%20du%20travail%22.

6 LoubatG.,LesAccidentsagricoles:(loidu30juin1899),A.Chevalier-Marescqéd.,1902.7 JORFdu16déc.1922;PlaisantA.,LesAccidentsdutravailagricole.Commentairedelaloidu15décembre1922.Augmentéd’un

appendicecontenantlestextesdelalégislationsurlesaccidentsdutravailetd’unindexalphabétique,Ed.J.-B.Baillière&fils,1924;DesarnautsJ.,Lesaccidentsdutravailenagricultured’aprèslaloidu15décembre1922,Imp.duSud-Ouest,192

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poursuivre contre l’assureur l’allocation des indemnités forfaitaires suivant lesrèglesétabliesparlaloidu9avril18988.

Le champ d’application de la loi de 1898 va être peu à peu étendu : la loi du12avril1906l’étendauxatelierscommerciaux,carilyestfaitquelquefoisusagede machines, aux délégués à la sécurité des ouvriers mineurs en 1912, auxexploitationsforestièresen1914.Laloidu19juillet1907apermisauxemployeursnonassurésobligatoirementd’adhéreràlalois’ilsleveulent9. La loi du 2 août 1923 aétendulebénéficedelaloiauxdomestiquesetgensdemaison.

Cen’estquelaloidu1er juillet1938,mêmesiellenevisedanssontitrequelesouvriers, qui allait élargir cemode d’indemnisation à « quiconque aura prouvé, par tous les moyens, qu’il exécutait à un titre quelconque, même d’essai ou d’apprentissage, un contrat valable ou non, de louage de services».

Si la loi no 46-2426 du 30 octobre 194610asubstituéàlaresponsabilitéindividuelledel’employeuruneresponsabilitécollectivesurlabased’uneassuranceobligatoirepour tous les employeurs de toutes les professions, le champ d’applicationpersonneldecenouveausystème reprendpour l’essentiel ledroit antérieur.Enprincipe, laréparationautitredesaccidentsdutravailn’estouvertequ’auxseulstravailleurs salariés, c’est-à-dire aux personnes placées dans une situation desubordination au titre d’un travail accompli, à quelque titre que ce soit, pour unemployeur.Leliendesubordinationdemeurelecritèrepremierdubénéficedelacouvertureparticulièredesrisquesprofessionnels(I.)Depuislors,lelégislateurn’a,commeauxtouspremierstemps,cesséd’élargir lechampd’applicationdu livreIV duCode de la sécurité sociale à des catégories nouvelles jugées dignes deprotectionsoitparcequ’ilconsidèrequ’ellesontdesconditionsdetravailquisontprochesdecellesdessalariés(II.),soitqu’ilajugéutiledefairebénéficierd’autrescatégories du régime d’indemnisation des accidents du travail par préférence àcelui de l’assurance maladie, invalidité ou décès lorsque les circonstances dela survenance de l’accident le justifiait. On peut qualifier cette prise en charge«d’assuranceaccidentdutravailimitée»(III.)

I- Un « lien avec le travail » critère premier de rattachementLes règles portant sur les accidents du travail et les maladies professionnelless’adressent, d’abord, comme la législation sur les assurances sociales, auxtravailleursdépendantsdel’industrieetducommerce.

L’articleL.411-1duCodede lasécuritésocialevise« l’accidentsurvenu (…)àtoutepersonnesalariéeoutravaillant,àquelquetitrequecesoitouenquelquelieu,pourunouplusieursemployeursouchefsd’entreprise».Onremarquera,outrelaformulation très largedecetarticle,que laprotectionnedépendpasdutypeoumêmedelavaliditéducontratdetravailmêmesi,contrairementaudroitantérieur,iln’existeplusaucuneréférencelégaleàcelle-ci.8 Cesystèmeasurvécujusqu’àlaLoin°66-950du22déc.1966instituantl’obligationd’assurancedespersonnesnon

salariéescontrelesaccidentsetlesmaladiesprofessionnellesdansl’agriculture.Cf.ZacharieC.,«Lagarantiecontrelesrisquesprofessionnelsenagriculture»,RDSS2016.223.

9 Cettepossibilitéfigureaujourd’huiencoreàl’articleL.743-1duCodedelasécuritésociale.10 D.1946.Législ.441.

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Leseulcritèreestceluidutravailsousl’autoritéd’uneautrepersonnel’employeur;l’application de règles spécifiques suppose donc que l’accident soit survenu àl’occasion de l’exécution du contrat de travail et que l’activité du salarié aumomentdel’accidentnesoitpastotalementétrangèreautravail.PourreprendrelaformuledelaCourdecassationque«toutelésionquiseproduitdansunaccidentsurvenuparlefaitouàl’occasiondutravaildoitêtreconsidérée,saufpreuvecontraire,commerésultantdutravail»11.

L’appréciationdececritèred’autoritéestsouple:

parfoisiln’estpasnécessairedetravailler:lesalariéeffectuantunemission,adroitàlaprotectionprévueàl’articleL.411-1duCodedelaSécuritésocialependantletempsdelamissionqu’ilaccomplitpoursonemployeur,peuimportantquel’accidentsurvienneàl’occasiond’unacteprofessionneloud’unactedelaviecourante,sauflapossibilitépour l’employeurou laCaissede rapporter lapreuveque lesalariéa interrompusamissionpourunmotifpersonnel12.Laqualificationd’accidentdutravailaétéretenuedèslorsqueletravailavaitconstituél’unedescausesdesonsuicide,sanségardpourl’état de subordination du salarié13;

il n’est pas toujours nécessaire qu’il y ait rémunération : la protection a parfois étéétendueauxactesdedévouement14;

l’autoritédel’entreprisen’estpasforcémentindispensable:ilsuffitquelavictimeagissedans l’intérêt de l’entreprise15. L’intérêt de l’entreprise est de plus souvent entendulargement : il existeparexemplepourunaccident survenuàunmembreducomitéd’entrepriseregagnantsondomicileaprèsuneréuniondececomité16;

À l’inverse, unaccident nepeut être considéré commesurvenuà l’occasiondu travail dèslorsqu’ils’estproduitàunmomentoùl’employeurn’avaitniendroitnienfaitautoritésurlavictime17.Ainsi,lesalariéquis’estrendudesapropreinitiativesursonlieudetravailsansenavoirreçul’ordredel’employeuretdurantunarrêtdetravailnebénéficiepasdelaprésomptiond’imputabilité18.

Mais tout travailsubordonnéne relèvepasde la législationaccidentdu travail.Ainsi,si lessalariésd’uncertainnombred’entreprisespubliquesaffiliésàunrégimespécialpourcertainsrisquesrelèventdurégimegénéralpourlaréparationdesaccidentsdutravailteln’estpaslecaspourlesfonctionnairestitulairesdel’Étatoudescollectivitésterritorialesouétablissementshospitaliers dont la prise en charge suite à un « accident de service » relève de règles spécifiques19.

11 Ch. Réunies, 7 avril 1921, S. 1921. 1. 81 12 Soc.19juil.2001,RPDS2001,n°678,p.335,comm.MiletL.13 Cass.Civ.2ème,22févr.2007,Bull.II,n°54.Unsuicidenepeut,enrevancheêtrequalifiéd’accidentdutravaillorsqu’ilrésultede

causesextra-professionnelles:Cass.Soc.,18octobre2005,n°04-30.205,latentativedesuicidedelasalariéetrouvait«sonoriginedansdesdifficultésprivéesetpersonnelles,etnondansl’activitéprofessionnelledelasalariée».

14 Soc.21févr.1980Bull.,civ.n°18115 Soc.18nov.1999,JCP2001In°10464noteBadelM.16 Soc. 11 oct. 1990, D. 1990. 255.17 Ch.Réunies28juin1962Bull.,civ.Ch.Réuniesn°6.18 Soc.,24oct.2002,P.n°01-20.034.19 L’accidentdeserviceestdéfinipar l’article57de la loin°84-53du26 janvier1984commeunaccidentquiseproduitdans

l’exercice,ouàl’occasiondel’exercicedesfonctions.Lejugeadministratifaélargicettenotionàl’accidentsurvenuaucoursd’uneactivitéconstituantleprolongementduservice(CE14mai2008n°293899).

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II- Les assimilés aux salariésLeCodedelasécuritésocialedresseunelistedepersonnesquibénéficientdelalégislationaccidentdutravailetquisontaffiliésaurégimegénéral.Ainsi, l’articleL.412-2duCodedelasécuritérenvoieàl’articleL.311-3decemêmeCode.LespersonnesquisontassujettiesaurégimegénéralbénéficientnonseulementdesassurancessocialesmaisdesdispositionsdulivreIVdelasécuritésociale.Cette liste,augmentéeau furetàmesuredescirconstances, réunit lesactivitésles plus diverses, certaines fleurant une époque révolue, tels les porteurs debagagesoccupésdanslesgaresoulesvendeurs-colporteursdepresseetporteursdepresse, lesdéléguésàlasécuritédesouvriersdescarrières«exerçant leursfonctionsdansdesentreprisesne relevantpasdu régimespécialde lasécuritésocialedanslesmines,lesobligationsdel’employeurétant,encequilesconcerne,assuméesparleoulesexploitantsintéressés».D’autres activités se sont développées très récemment et ont été intégréesrapidementdanslalistedessituationscouvertes:ontrouveainsisousl’appellation« les personnes mentionnées aux 8° et 9° de l’article L. 613-1 du Code de la sécurité sociale»,lesloueursoccasionnelsd’appartementmeublésvialesplateformesdutypeAirBnB ou encore celles qui redeviennent modernes tels les travailleurs àdomicile.Curiositétypiquementfrançaise:certainsdirigeantssociaux–lesgérantsnon-salariésdescoopérativesetlesgérantsdedépôtsdesociétésàsuccursalesmultiplesoud’autresétablissements commerciauxou industriels, lesgérantsdesociétésàresponsabilité limitéeetdesociétésd’exercice libéralàresponsabilitélimitée, lesprésidentsduconseild’administration, lesdirecteursgénérauxet lesdirecteursgénérauxdéléguésdessociétésanonymesetdessociétésd’exercicelibéral, les directeurs généraux, les présidents du conseil d’administration et lesmembresdudirectoiredesmêmescoopératives,certainsdirigeantsd’association,les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et des sociétésd’exercice libéral par actions simplifiées, les administrateurs des groupementsmutualistes–sontassurésautitredesaccidentsdutravail.Cettelisteestcomplétéepardespersonnesdontlelégislateuraconsidéréqueleurstatutserapprochaitdeceluidesalariés,lespersonnesassuranthabituellementàleurdomicile,moyennant rémunération, lagardeet l’entretiend’enfants,certainsmembres des sociétés coopératives de production, les artistes du spectacle etlesmannequins20, les journalistes professionnels « pigistes » et assimilés21, les personnesagrééesquiaccueillentdespersonnesâgéesouhandicapéesadultes22, lesavocatssalariés,lesvendeursàdomicile23,certainespersonnesquicontribuent20 AuxquelssontreconnuesapplicableslesdispositionsdesarticlesL.762-1etsuivants,L.763-1etL.763-2duCode

du travail.21 Au sens des articles L. 761-1 et L. 761-2 du Code du travail, dont les fournitures d’articles, d’informations, de

reportages,dedessinsoudephotographiesàuneagencedepresseouàuneentreprisedepressequotidienneoupériodique,sontrégléesàlapige,quellequesoitlanaturedulienjuridiquequilesunitàcetteagenceouentreprise;

22 Etquiontpasséaveccelles-ciàceteffetuncontratconformeauxdispositionsdel’articleL.442-1ducodedel’actionsocialeetdesfamilles.

23 Visésàl’articleL.135-1duCodedecommerce,nonimmatriculésauregistreducommerceouauregistrespécialdesagentscommerciaux.

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àl’exécutiond’unemissiondeservicepublic,lespersonnesbénéficiairesd’unappuiàlacréationouàlareprised’uneactivitééconomique,lesfonctionnairesetagentspublicsautorisésàfairedesexpertisesouàdonnerdesconsultations, lespersonnesayantsouscritunserviceciviquedanslesconditionsprévuesauchapitreIIdutitreIerbisdu livreIerducodeduservicenational, lesarbitreset jugesmentionnésà l’articleL.223-1ducodedusport,au titrede leuractivitéd’arbitreoude jugeet lesouvreusesde théâtres,cinémas,etautresétablissementsdespectacles.

Les textes visent un certain nombre de catégories de personnes, qui ont en commun detravailler,etpourlesquelleslaqualificationduliendesubordination,danslecadred’uncontratdetravail,peutseposer.Lelégislateurapris,danscescas,lesdevants,ensoumettantcesprofessionsàlalégislationaccidentdutravail.Sontainsiviséslesdétenusexécutantuntravaildontceuxquiyontétéadmissur leurdemande24 et lespersonnescondamnéesàexécuteruntravaild’intérêtgénéraloueffectuantuntravailnonrémunéréauprofitde lacollectivité25 lespersonnesayantsouscritunserviceciviquedanslesconditionsprévuesauxtitresIerbiset II du livre Ier ducodeduservicenationalet lesvolontairespour l’insertionmentionnésàl’article L. 130-4 du code du service national26.Pourlespersonnesrecrutéesàtitretemporaireetnonbénévolespourassurerl’encadrementdesenfantsdanslescentresdevacances,deloisirspourmineurs,un régimespécifiquedecotisationAT/MPs’applique,celuid’unebaseforfaitaire, réactualisé en 201527.Deuxcatégoriessontvisées:lesanimateurstemporairesetnonbénévolesdescentresdevacancesetlespersonnesrecrutéesàtitretemporaireetnonbénévolespourassurerl’encadrementd’adulteshandicapésdansuncentredevacancesoude loisirs.

III-«L’assuranceaccidentdutravailimitée»Latroisièmeformederattachementaubénéficedelalégislationsurlesrisquesprofessionnelsestuneformed’excroissancehorsd’unesituationd’activitépourgarantirunepriseenchargedes frais de soins et/ou des garanties de ressources plus avantageuses que celles desassurances sociales.

Cetteextensionvisedessituationsaprioriétrangèresàlanotionderisqueprofessionnelstricto sensu.

Cespersonnes,énuméréesàl’articleL.412-8duCodedelasécuritésociale,bénéficientduLivreIV,maisnesontpaspourautantassujettiesaurégimegénéral.Cespersonnesnesontpasdansunliendesubordination,maissontenrevancheexposées,enraisond’uneactivité,àdesrisquesprofessionnelsetellesbénéficientainsidelalégislationsurlesaccidentsdutravailet lesmaladies professionnelles selon desmodalités spécifiques. On citera pourmémoirelesdéléguésàlasécuritédesouvriersmineurspour lesaccidentssurvenuspar lefaitouàl’occasion de leur service.

24 CSS, art. D. 412-36 et suiv.25 CSS, art. D.412-72 et suiv. 26 CSS, art. D. 412-98-1 et suiv. 27 Lettre-circulaireAcossn°2015-010du4mars2015.

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Sont aujourd’hui essentiellement concernés certains élèves des établissementsd’enseignementtechniquepourlesaccidentssurvenusaucoursdecetenseignement,lesélèvespour lesaccidents survenusaucoursd’enseignementsdispensésenateliersouenlaboratoiresainsiqueparlefaitouàl’occasiondesstageseffectuésdans le cadre de leur scolarité ou de leurs études et les étudiants effectuant des stages de formation professionnelle continue conformément aux dispositions dulivreIXducodedutravail,pourlesaccidentssurvenusparlefaitouàl’occasiondecetteformation28ouencorelespersonnesaccomplissantunstagederéadaptationfonctionnelleoude rééducationprofessionnelle29, dans certaines conditions30 les pupillesdelaprotectionjudiciairedelajeunessepourlesaccidentssurvenusparlefaitouàl’occasiond’untravailcommandé.Ilenestdemêmedestitulairesdemandatslocaux31.Lespersonnesinscritesentantquesportifdehautniveausurlalistementionnéeaupremieralinéadel’articleL.221-2ducodedusportpourlesaccidentsetmaladiesprofessionnellessurvenusparlefaitouàl’occasiondeleuractivitésportive,danslamesureoùellesnebénéficientpas,pourcesaccidentsetmaladiesprofessionnelles,desdispositionsduprésentlivre,dansdesconditionsfixéespardécret32.Enfin,lesbénéficiairesdemisesensituationdanslesétablissementsetservicesdéfinisaua)du5°duIdel’articleL.312-1ducodedel’actionsocialeetdesfamillesprescritespar lesmaisonsdépartementalesdespersonneshandicapées,par lesorganismesassurantdesservicesd’évaluationoud’accompagnementdesbesoinsdespersonneshandicapéesmentionnésausixièmealinéadel’articleL.146-3dumêmecodeoupardesorganismesaccompagnantdesmisesensituationayantpasséuneconventionaveclamaisondépartementaledespersonneshandicapéesleurouvrantlapossibilitédeprescrirecesmisesensituation,autitredesaccidentssurvenusparlefaitouàl’occasiondeleurparticipationàcesmisesensituation33.On notera qu’afin d’assurer aux sapeurs-pompiers volontaires une protectionsocialecomparableàcelledontbénéficientlessapeurs-pompiersprofessionnels,lelégislateurasouhaitéétablirparl’adoptiondelaloin°91-1389du31décembre199134modifiéerelativeà laprotectionsocialedessapeurs-pompiersvolontairesencasdemaladiecontractéeoud’accidentsurvenuenservicecommandé troisprincipes:lagratuitédessoinsliésàl’accidentsurvenuouàlamaladiecontractéeenservicedansleslimitesfixéesensonarticle2,ladispensedel’avancepourlesapeur-pompier volontaire des frais de soins consécutifs à cettemaladie ou cetaccidentetlapriseenchargedecesfraisparleservicedépartementald’incendie28 CSS, D. 412-2 et suiv.29 Lesvictimesmenantdesactionsdeformationprofessionnelleoud’autresactionsd’évaluation,d’accompagnement,

d’informationetdeconseildanslesconditionsprévuesauquatrièmealinéadel’articleL.433-1,lesassuréssociauxbénéficiairesdel’articleL.324-1outitulairesd’unepensiond’invaliditéenvertuduchapitre1erdutitreIVdulivreIIIetlespersonnesautresquecellesappartenantauxcatégoriesci-dessusetqui,envertud’untextelégislatifouréglementaire,effectuentunstagederééducationprofessionnelledanslesécolesadministréesparl’officenationaldes anciens combattants et victimes de la guerre, pour les accidents survenus par le fait ou à l’occasion de laréadaptationoudelarééducation;

30 CSS, art. D. 412-7 et suiv. 31 CSS, art. D. 412-99-6.32 CSS, D. 412-101.33 CSS, art. D. 412-105.34 JORF 3 janv. 1992 104

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etdesecours,danslalimitedestarifsapplicablesenmatièred’assurancemaladieet l’indemnisationde l’incapacitétemporairedetravailpar leservicedépartementald’incendieetdesecours.Cetteloifixeégalementlerégimed’indemnisation de l’invalidité permanentedessapeurs-pompiersvolontairesetdesayantsdroitdessapeurs-pompiersvolontairesdécédésdessuitesd’unemaladiecontractéeoud’unaccidentsurvenuenservicecommandé.Danscecadregénéral,l’incapacitétemporairedetravailconsécutiveàunaccidentsurvenuouunemaladiecontractéeàl’occasiondesfonctionsdesapeur-pompiervolontaireestindemnisée,auxtermesdesarticles1et5decetexte,danslebutdecompenseruneperteréellederevenu.Unsalariérégipar leCodedelasécuritésociale lorsdesonactivitépoursonemployeurseverraappliquerlesrèglesdelaloispécialed’indemnisationsiledommagerésultedesonactivitédesapeur-pompiervolontaire.

De lege ferenda : vers une affiliation des indépendants ? «L’inventaireàlaPrévert»duCodedelasécuritésociale,l’empilementdessituationsdanslesquellesdespersonnespeuvententrerdanslechampd’applicationdelalégislationaccidentsdutravailetl’évolutiondesformesdetravailversdessituations«d’indépendancesubie»35, celle du travailleur indépendant n’ayant qu’un seul client ou peu de clients et n’employantlui-mêmeaucunsalarié,posentlaquestiondel’intégrationdesindépendantsdanslechampd’application de la législation sur le risque professionnel. Il est en effet paradoxal que le«micro-entrepreneur»,oul’associé-gérantd’uneEURLayantpeudeclientsnebénéficiepasdelacouverturecontrelesrisquesautravaillàoùleprésidentmandatairesociald’unesociétéanonyme(éventuellementtransnationale),ledirigeantmutualiste,ouceluiquiachoisietquibénéficiedustatutdesalariéportéoudedirigeantd’uneSCOOPestcouvert.Laquestionestposéedepuislongtemps36:elleappelleuneréponse.

35 ChauchardJ.-P.,«Qu’est-cequ’untravailleurindépendant?»,Droitsocial2016.94736 ChaumetteP.,«Lesrisquesprofessionnelsdestravailleursindépendants»,inA.Supiot(dir.),

Le travail enperspectives,LGDJ,1998,p.215.

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LesrisquesexistantsetémergentsPar Pascal Jacquetin, Adjoint à la Directrice des Risques professionnels à la CNAMTS et responsable de la mission statistiques

I-Malgréleurbaisse,lessinistresliésautravailconstituenttoujoursunréelproblèmedesantépubliqueLe périmètre réglementaire des sinistres pris en charge par la Branche AT-MP est uncompromis politique entre plusieurs facteurs parmi lesquels les possibilités financières etl’intensitédelademandesociale.Ilnecorresponddoncpasstrictementàtouteslesincidencesdutravailsurlasantédessalariés.Aussilesstatistiquesquienrésultent[1]n’ont-t-ellespasdevaleurépidémiologique.Cependant,ellessontrichesd’enseignementscarlerégimegénéraldes AT-MP s’impose à tous travailleurs, les salariés, contractuels de la fonction publiqueet fonctionnaires travaillantmoinsde27heurespar semainequi constituent lamajorité del’emploienFrance (environ65%de lapopulationactive).Deplus, tous lessinistres,sansexception,reconnuscommeprofessionnels,sontcomptabilisésdanslessystèmesdegestionquialimententlessystèmesstatistiques.Toutefois, lasousdéclarationpotentielledecertainssinistresestàprendreencomptedansl’analyse de ces statistiques.Pour les accidents du travail (AT),même si des cas de non-déclaration sont ponctuellement rapportés, on considère jusqu’à preuve du contraire quelesdénombrementsdesaccidentssontplutôtexhaustifs,aumoinspourlesaccidentsayantoccasionné des journées d’arrêts de travail. L’employeur a en effet obligation de déclarerl’accident d’un salarié dans les « 48 heures après avoir pris connaissance de l’accident»etsondéfautdedéclarationpeutêtresanctionné.Lamêmeobligations’appliqueauxaccidentsdetrajet.Laquestionseprésentedifféremmentpourlesmaladiesprofessionnelles(MP).Lademandedepriseenchargerevientausalariéquin’aaucuneobligationdelefaire.Pourdenombreusesraisons,parmilesquelleslaméconnaissancedudispositifetcelamalgrédeseffortsd’informationrécurrents,lesmaladiesquipourraientêtrereconnuescommeprofessionnellessonttrèsloind’êtretoutesdéclarées.Cette«sous-déclaration»estunsujetestidentifiédelonguedate, et éclairé par les intéressants rapports successifs d’une commission triennaleprévueparlesarticlesL.176ducodedelasécuritésocialequiluiestdédiée.Lesnombresdessinistresreconnuspar lescaissesprimairesd’assurancemaladie(CPAM)sur le territoiremétropolitainet lescaissesgénéralesdesécuritésociale (CGSS)dansdesdépartementsd’outre-mersecomptentendizainesdemillierspourlesMPetencentainedemillierspourlesATetlesaccidentsdetrajet.Celarevientàenviron600accidentsparheuredetravailenFrancepourlesseulsAT.Lemêmecalculappliquéaux555décèscorrespondàundécèstouteslesdeuxheuresetdemiesenviron.Cependant, si les accidents du travail constituent un problème de santé publique au plan«macro»,ilspeuventnepasêtreperçuscommeuneréalitétangibleauniveau«micro»delaTPE.Eneffet,rapportésàl’entreprisede10salariés,cesnombressetraduisentparunaccidentavecarrêtenmoyennetouslestroisans,etunaccidentavecincapacitépermanente,tousles51ans.Celasignifiequelesaccidentsdutravailrestentdesévénementsstatistiquementrares,cequin’aidepasàmobilisercetyped’entreprisesurleurprévention.

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Lesdernièresstatistiquesconnuessontcellesrelativesàl’année2015.LeTableau 1 enprésenteleschiffresclefs.Tableau 1 : chiffres clefs de la sinistralité AT-MP 2015

Risques Accidentsdu travail

Accidentsde trajet

Maladies prossionnelles TOTAL

Nombredesalariés(ETP) 18 449 720

Nombred’heurestravaillées* 27 325 936 136

Heures de travail annuelles* 875 874 119 412 64 889 1 060 175

Nombredesinistresreconnus à l’heure de travail

591 81 44 716

%dessinistresavecarrêt(ouprestationsenespèces) 72 % 74 % 79 % 73 %

Nombredesinistresavecarrêt(ouprestationsenespèces)

633 230 87 838 50 960 772 028

Indicedefréquence:nombred’accidents avecarrêt(ouPE) pour1000salariés

34,3 4,8ne se calcule

paspourles MP

Nombredejoursd’arrêt(incapacitétemporaire(IT)) 40 299 052 6 080 596 10 850 511 57 230 159

Nombremoyendejoursd'arrêtrapportéauxnouveaux sinistres

64 69 213 74

Nombredesincapacitéspermanentesrapportéauxsinistresavecarrêt(ouPE)

6 % 8 % 50 % 9 %

Nombred’incapacitéspermanentes

Nombre d’incapacités permanentes

36 880

25 744

7 093

4 919

25 537

16 051

69 510

46 714

Nombre de décès routiers 138 234 372

Nombre de décès non routiers 417 42 459

Total décès 555 276 381 1 212

* LeseffectifsetlesheurestravailléessontceuxcalculésselonlesrèglesdegestionenvigueurpourlatarificationdessinistresprisenchargeparlabrancheAT-MP.Ilspeuventlégèrementdifférerdeceuxaffichéspard’autressystèmesstatistiquescommeceluidel’INSEE,maiscelan’affecteenrienlaréalitédesconstatsprésentésdanslasuitedel’article.

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Lagravitédessinistress’approchestatistiquementdedeuxfaçons:parlesarrêtsde travail qu’ils ontpuoccasionner– cequ’onappelle l’incapacité temporaire (IT)–ouparlesséquellesquiaffectentlespersonnesàvie–cequ’onappellel’incapacitépermanente(IP)–.L’incapacitétemporairesemesureennombredejournéesd’arrêtsdetravailprescritesparlesmédecinsdevilleouhospitaliers,tandisquel’incapacitépermanentesemesurepardestauxd’incapacité–essentiellementfonctionnels–fixéssuruneéchellequivade0à100parlesmédecins-conseildel’Assurancemaladie,quandl’étatdesvictimeseststabilisé:parexemple,uneépauleaffectéeparunTMSpourradonnerlieuàuneincapacitépermanentede15%,tandisqu’unbrasamputépourrasevoirévalueràhauteurde70%.Lesquelques57millionsdejournéesdetravailindemniséesen2015correspondentàplusde200000équivalentstempspleindepersonnesautravail:comptetenudelapartdesalariésdanslapopulationfrançaise,celarevientàuneneutralisationéconomiqued’unéquivalentdepopulationgénéraled’environ800000personnes,soitunevillecompriseenLyonetMarseille.Encequiconcernel’incapacitépermanente,lespersonnessevoyantreconnaîtreuneIPde10%ouplusbénéficierontd’unerenteviagère :46714nouveauxcasen2015sontvenuss’ajouterauxrentiersAT-MP.Ainsi,fin2015,environ1200000personnesbénéficiaientd’unerenteAT-MP,soitenvironunepersonnesur50enFrance!Heureusement,touslessinistresnesontpasd’unegravitéextrême.Enmatièred’incapacitétemporaire,lamoitiédesATavecarrêtsesoldentpardesarrêtsinférieursàdeuxsemaines:environ 80 % des AT restent en-deçà de 50 jours d’arrêt, mais à l’opposé 5 % des ATengendrentdesarrêtssupérieursàhuitmois.Cependant,ces5%d’arrêtslespluslongssontresponsablesàeuxseulsdelamoitiédesjoursd’arrêtsindemniséspourcaused’AT,tandisque lesarrêts inférieursàdeuxsemainesn’en représententque7%.Demême,encequiconcerne,l’incapacitépermanente,environ⅔desIPontleurtauxcomprisentre0%et10%et,dansletiersrestant,⅔desIPsontcomprisesentre10%et20%.

I.1/ Des accidents du travail qui semblent atteindre un palier au terme d’une baisse historiqueLenombredesaccidentsdutravailachutédefaçonrégulièreentre1955et2008[2],alorsmêmequelenombredesalariésaplusquedoublédanslamêmepériode.Lamodificationdutissuéconomiquefrançaisestsansdoutel’unedesexplicationspossibles:59%dessalariéstravaillaientdanslesindustriesetlalogistiqueen1955alorsqu’ilsnereprésententplusque27%de lapopulationactiveen2008, lesservices, larestaurationet l’hôtelleriepassantde19%à51%surlamêmepériode.

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Figure 1 : évolution de l’indice de fréquence (IF) – nombre annuel d’accidents avec arrêt pour 1 000 salariés – de l’ensemble des secteurs entre 1955 et 2008

Champ:Régimegénéral-FrancemétropolitaineSource:StatistiquesnationalesdessinistralitéAT-MP,publicationsannuellesetbasesnationalesSGE-TAPR(CNAMTS)

Cependant,lafortediminutiondel’indicedefréquencenes’expliquepasqueparlatertiarisationdel’économie:ladiminutionintrinsèquedelasinistralitédesecteurs« sinistrogènes» comme lamétallurgie (dont l’IF est passéde185à40) et duBTP(dontl’IFestpasséde223à81)yontprisunebonnepart.Ilestvraiquecessecteursontétéconcernésaupremierchefparlesdirectivesmachinespourl’unet par une réglementation renforcée pour l’autre.Mais d’une façon générale, etdanstouslessecteurs,lesévolutionsdestechnologiesetdesorganisationsontpuégalementcontribueràcetteréduction.

L’évolutiondesATestégalementliéeaucontexteéconomique.Ainsi,enpériodedecroissance,lenombred’ATcroit1,2foisplusvitequelenombredesalariéstandisqu’en période de décroissance, il diminue presque 3 fois plus rapidement.Cecilaissepenserqu’enpériodedecroissancedel’activité,lesentreprisesembauchentpourrépondreàlademandeet leseffectifssupplémentairessontexposésàdesrisquessupérieursà lamoyenne.En revanche,enpériodededécroissance, leseffectifsnesontpasajustésproportionnellementà l’activitémais ilsconnaissentunesinistralitémoindredufaitd’uneexpositionmoinsimportante.

Surlesdernièresannées,lafréquencedesaccidentsdutravailatteintunpalier:l’indicedefréquences’élèveà33,4accidentsdutravailavecarrêtpour1000salariésen2015.Certainesactivitésdeservicescommel’aideetsoinsàlapersonne(aideàdomicileethébergementmédico-social)connaissentnonseulementuntauxdefréquenceélevé(92,7pour1000salariésen2015)maisunedynamiqueimportantede+6%cesdernièresannées.Bienque lesaccidentsdu travailaientdiminuédansleBTP, ilreste l’undesplussinistrésavecunindicedefréquencepresquedeuxfoissupérieuràlamoyennedesautressecteurs(61,9pour1000salariésen2015),notammentpourlestravauxdecharpenteetpourlestravauxdecouverture.

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Demême,lesaccidentsdutravaildansl’intérimdiminuentenpassantd’unIFde52en 2010 à 44,8 en 2015.

Figure 2 : évolution du nombre d’accidents du travail en 1er règlement et de leur fréquence pour 1 000 salariés sur la période 1998-2015

Figure 3 : sinistralité sectorielle des accidents du travail en 2015

Lestaillesdesbullesrendentcomptentdesnombresrespectifsdesalariésemployésdanslesdifférentssecteurs.

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La répartition des risques en cause (cf. Figure 4 ci-dessous) démontre que laplupartdesaccidentsdetravailauraientpuêtreévitables.Toussecteursd’activitéconfondus, les principales causes d’accidents du travail sont la manutentionmanuelle,quiestàl’originedepresquelamoitiédesATetleschutesdeplain-piedetdehauteurquireprésententunquartenvirondesAT.

Figure 4 : répartition des AT 2015 en 1er règlement avec au moins 4 jours d’arrêt dans l’année par risque

Ilexistecertesdescontextescomplexes,commedegrandesusinesoudegrandschantiers, où la prévention doit être méticuleusement planifiée, par exemplepouréviterdesenchaînementsdecirconstancesoudes interactionsentrecorpsdemétiers qui interviennent simultanément, mais dans unemajorité de cas, lapréventionestsurtoutfaitedebonsensettrèsaccessibleàdesgensdemétier.Plus que des investissements, même s’il en faut, ce sont surtout du temps deréflexion,desensibilisationetdeformationqu’ilfautaccepterd’yconsacrer.

I.2/ Des accidents de trajet fluctuant selon la météo et la sécurité routièreLes circonstances des accidents de trajet se limitent pour l’essentiel à deuxgrandescauses:lerisqueroutierpour60%descas,loindevantleschutes,quienreprésentent30%.Ainsi,l’évolutionsurlesquinzedernièresannéesfaitclairementressortir deux périodes : une première période 1999-2008 où la sinistralité destrajets bénéficie des résultats des politiques publiques concernant la circulationroutière,suivied’unepériode2009-2015marquéeparunpicdesinistralitédûpourl’essentielàdeschutesdepersonnesàpiedsurdessolsrendusglissantspardesépisodeshivernauxparticulièrementrigoureux.

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Figure 5 : Évolution du nombre d’accidents de trajet en 1er règlement et de leur fréquence pour mille salariés sur la période 2005-2015

Lafréquencedesaccidentsdetrajetquisestabiliseautourde4,6accidentsavecarrêtpour1000salariésconnaîtdesdisparitésrégionalesaussifortes(entre3et7pourles«grandes»régions)quelesdisparitéssectoriellesquil’affectent.

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Figure 6 : sinistralité régionale 2014 et 2015 des accidents de trajet

La taille de la bulle reflète le nombre de salariés de la CARSAT/ CGSS.

I.3/ Des maladies professionnelles constituées principalement par les troubles musculo-squelettiquesÀ ladifférencedesaccidentsqui sontoccasionnésparunévénementponctuel,lesmaladiesprofessionnellessontlaconséquenced’uneexpositiondansladuréequipeutallerdequelquesjoursàplusieursannées,l’antérioritédecesexpositionspouvantvarierelleaussidequelquesjoursà40ans.Ainsi,deslombalgies[3]sontreconnuescommeaccidentsdutravail,maiscertainesherniesdiscalesfontl’objetdetableauxdemaladiesprofessionnelles.Si lesmaladiesprofessionnellesne représententencoreque10%dessinistresassurésparlaBrancheAT-MP,ellessontàl’originedutiersdesescoûts.LesTMSfournissent l’écrasantemajoritédesMPreconnues(87%en2015). Ilssontprévusparcinqdes94 tableauxdemaladiesprofessionnelles inscritsdansla réglementation qui représentent environ 120 des quelques 900 syndromesrépertoriésdansl’ensembledecestableaux.Mais,àluiseul,letableau57dédiéauxaffectionspéri-articulairesestàl’originede78%desMP.LesTMSsetrouventchezlessalariésdelaplupartdesactivités,maisdefaçonplusfréquentesdansdessecteursbienidentifiéscommel’industrieagro-alimentaire,l’industrieautomobileetlamétallurgie,leBTP,lagrandedistributionainsiquel’aideetsoinsàlapersonne.Dans ce dernier secteur qui est en fort développement, les TMS ressortent enaugmentation,comme les lombalgiesd’ailleursetconstituentdece faitunenjeunouveaudeprévention.

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Figure 7 : Évolution du nombre de maladies professionnelles sur la période 2005-2015

LescourbesprésentéessurlaFigure7résultentdeplusieursfacteursquivarientdansletempsaupremierrangdesquelslesexpositionsréelles,lecontenudestableauxetlapropensionàdéclarerdusalariéquin’aaucuneobligationàlefaire.UnegrandecampagneTMScommecellede2008«TMS,enparlerc’estdéjàlesfairereculer»quiincluaitladiffusiondespotsTVauxheuresdegrandeécouteapeut-êtrecontribuéàl’inflexiondelacourbeconstatéeen2009.Àl’inverse,larévisiondelapartieépauledutableau57acontribuéàl’inversiondepentede 2012.Les maladies liées à l’amiante fournissent le second poste en nombre parmi les MP : letableau30représentaitenviron3700casen2015,soit7%desmaladiesreconnues,dontunepetitemoitiépourdesplaquespleurales,l’autremoitiéétantconstituéedecancersbroncho-pulmonaires,mésothéliomesouasbestoses.L’interdictiondel’amianteen1996acontribuéàfairecesserlesexpositionslesplusimportantes,maislefaitquelespathologiespeuventsedéclarerplusieursdécenniesaprèsl’expositionexpliqueenpartiequelesstatistiquestardentàenregistrerunedécroissance.Viennentensuite,danscetridécroissant,lessurdités(tableau42),leseczémas(tableau65)et lesrhinitesetasthmes(tableau66)qui,àeuxtrois,représententunpeumoinsde1500cas. Il faut signaler ensuite la reconnaissance d’environ 200 à 250 affections résultant del’inhalationdepoussièresdesilice (tableaun°25)quipeuvent,à termeconduireauxdécèsdespersonnes.Pris individuellement, lesautres tableauxcomptentannuellementmoinsdecas,maisprisensemble,lescancersprofessionnelshorsamiantedonnentlieuàenviron300reconnaissancesannuellement.Ilfautégalementsignalerunerecrudescencedecasdegale(tableau76,maladiesdesagentsinfectieux)danslessecteursdel’aideetdusoinàlapersonne.

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Pourcomplétercetétatdeslieux,ilfautmentionnerl’existencedecasdeMPreconnushors tableauxparunsystèmeditcomplémentaire.Environ400desquelques700casreconnusparcettefilièreen2015serapportaientàdesaffectionspsychiques(dépressions, troubles anxieux, stress post-traumatiques). Ce chiffre est en netteaugmentationdepuisquelquesannées :enquatreans, ilapresquequintuplé (82reconnaissances en 2012 et 418 en 2015). Cette hausse est liée, d’une part, àl’accroissementdunombrededemandesdereconnaissancedemaladiespsychiques(triplementencinqans),maisaussiàunassouplissementréglementairequipermetdesoumettreplusdedossiersauxcomitésmédicauxchargésdel’expertiseaucasparcas.Ilconvientd’yajouterlesaffectionspsychiquesconsécutivesàunévénementsoudainquisontprisesenchargecommeaccidentsdutravail(parexempleunstresspost-traumatique suiteàunbraquagedansuneagencebancaire).On lesestimeentre 1 et 2 % des accidents du travail, soit environ 50 000 AT en 2015.

II-LesrisquesémergentsII.1/ L’emploi menacé par l’automatisation ?Lors de la réalisation de l’exercice de prospective « Modes et méthodes deproduction en France en 2040 : quelles conséquences en santé et sécurité autravail ? » [1], nombreux sont les experts, parmi la centaine interrogée, qui ontévoqué l’automatisation (la robotisation dans l’industrie mais aussi toutes lesformesde logicielisationdans lesservices) commeun facteurdéterminantdansl’évolution de la production dans les années à venir. Les provenances diversesde ces experts (entreprises, monde académique, syndicats professionnelsou de salariés, spécialistes de la prévention des risques professionnels, élus,personnalitésqualifiées)montrentqu’ils’agitd’unsentimentlargementpartagé.Ilestdoncraisonnabledeconsidérerlaquestiondesrisquesémergentsd’abordsouscetaspect.

L’ampleur du phénomène à venir divise les chercheurs. De l’étude de Frey etOsborne[2],aboutissantauchiffrede47%d’emploissubstituablesparlamachinedans lesdixàvingtannéesàveniràcellede l’OCDE[3]quichiffre lerisquedeperted’emploisà9%pourlaFrance,lamargeestgrande.UneautreétuderéaliséeparMcKinsey[4]arriveàdesconclusionsvoisinesdecelledeFreyetOsborne,maisàuneéchéancepluséloignée (de l’ordrede40ans). Indépendammentdeces divergences entre spécialistes, les analyses des experts de l’exercice deprospectivesemblentconfirméesetildevientlégitimedefairedudéveloppementdel’automatisationunélémentstructurantquantauxévolutionsàvenirdumondedu travail. D’autant qu’une étude récente [5] effectuée sur la base de donnéesrecueilliesdanslesecteurindustrielauxÉtats-Unisentre1990et2007,AcemogluetRestrepoaboutissentauxconclusionssuivantes:

Si on considère une unité de production employant 1 000 travailleurs,l’introductiond’unrobotaboutitàladestructionde6,2emploisetàunepertede salaire de 0,7 %,

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Auniveaunational, leseffets sontminoréspuisqued’autresemplois sontcréés (en particulier dans les services, mais aussi dans d’autres activitésindustriellesdanslesquelleslarobotisationestleplussouventintégréedèslaconception):troisemploisdisparaissentetlabaissedesalairen’estplusquede0,25 %.

Cesrésultatsviennentnéanmoinsbattreenbrèchel’hypothèsedela«destructioncréatrice»d’emplois qui s’est jusqu’à présent vérifiée depuis le début de la révolution industrielle.Aucoursdecettepériodeilaétépossible,àtoutmoment,d’identifiercinqàdixansàl’avancequelsemploisallaientdisparaître.En revanche,onn’a jamaisétécapabled’imaginerquelsemplois viendraienten remplacement, sanspourautantque, saufpériodesdecriseet casgéographiquesparticuliers,lechômageaitaugmentéparticulièrement(avecenparticulieruneaugmentationdel’emploiféminin).Àtraversl’exempledel’étuded’AcemogluetRestrepo,ceparadigmede«destructioncréatrice»estpeut-êtreentraindesubirunemodificationprofondealorsquedesinnovationstellesquel’intelligenceartificielle,potentiellementtrèsimpactantes,n’ensontencorequ’àleursdébuts.Danscecontexte,c’estbienl’ensembledelaproduction(secteursprimaire,secondaireettertiaire)quipeutêtrecomplètementredessiné:si jusqu’àprésent,lacréationd’emploisdansletertiairea(saufpériodesdecrise)permisdecompenserl’attritiondansl’industrieetlaconstruction,riennepermetdegarantirqu’ilenserademêmedemain.

II-2/ Redéfinir la prévention des risques professionnels dans ce contexte d’automatisation ?Pour en venir, après ces hypothèses sur le travail et l’emploi, à la question des risquesprofessionnels, la question est de savoir où sera placé le curseur entre deux modèlesextrêmes (dont la part peut d’ailleurs être variable à unmêmemoment selon les secteursd’activité) :

Larobotisationmiseauservicedelaproductivité,l’Hommeétantcontraintdes’adapteràunmodedeproductionessentiellementconçuen fonctiondesperformancesde lamachine,

Laplus-valuedégagéeparcette robotisationestaumoinspourpartiesocialisée,aubénéficeenparticulierdel’améliorationdesconditionsdetravail.

Danslecasoùlecurseurdonneraitunpoidsfortàlapremièrehypothèse,lesconséquencespourletravailleursontpotentiellementtrèsfortes:pertedesensdutravail,moindrecapacitéd’innovation(larobotisationpouvants’accompagner,mêmes’iln’yapasdefatalitédanscedomaine, d’une plus forte prescription du travail), cadences augmentées grâce, au besoin,à l’utilisation complémentaire de robots d’assistance physique, etc. En termes de risques,en revanche,guèredenouveautés : le terrainpourrait être fertilepour les risquespsycho-sociaux (RPS) et les troubles musculo-squelettiques (TMS), y compris en cas d’utilisationd’exosquelettes.Cetteautomatisationpeutaussipermettrelarelocalisationdecertainesactivitésindustrielles:silecoûtdelamaind’œuvredevientfaibledevantceluidel’investissement,pourquoipoursuivrel’implantation d’usines loin des lieux de consommation ? Les politiques commerciales de

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satisfactionimmédiatedessouhaitsdesclients,larotationaccéléréedescollections(fast fashion) plaident pour ce rapprochement entre lieux de production et lieuxdeconsommation.Lespremiersexemplesidentifiésdeceretourdelaproductionmontrentqu’elles’accompagneeneffetd’unerobotisationmassive,peucréatriced’emploi,mêmepourlamaintenancedecesmachines.Leparadoxepourraitêtrealorsladélocalisationdesactivitésdeconception,devenuesproportionnellementplusconsommatricesdetravailhumain,versdespaysàplusfaiblecoûtdemaind’œuvre,commel’IndequipeutproposerdesprestationsdehautniveauàdesprixbieninférieursàceuxappliquésenFranceetenEurope.Quand,demain,lerobotsortiradelacagedanslaquelleilestactuellementconfiné,quelles«relations»entretiendra-t-ilavecsonpartenairehumain?Aucoursdeleuractivitécommuneouparcequ’ilsinterviendrontenparallèledansunmêmeatelier,ilestpossiblequ’àunefréquenceplusoumoinsgrande,descontactsphysiquesaccidentels(nonplanifiés)interviennententreeux:dusimplefrôlementauheurt.Faut-il,commecertainslepréconisentdéjà,faireévoluerlesnormespouryintégrerleseuildechoc (etdedouleur !)acceptablepour l’Hommeou faut-il considérerque,mêmes’il n’y apasde conséquencephysique immédiatementperceptible,il n’est pasadmissibleque le travailleur soit soumisde façon répétéeà cequ’ilpourraitconsidérercommeuneagression [6]?Considérerait-onaujourd’huiqu’ilest légitimequedeux travailleursseheurtentplusieurs foisaucoursd’unposte,sansyapporterunesolutionentermesorganisationnels?Lamultiplicationdesrobotsetautomatesaugmenteaussilespossibilitésd’intrusionsmalveillantes (oumaladroites) dans les systèmesde production (hackage) aveclesconséquencesqu’onpeutaisémentimaginerentermesderisquesindustrielsmaisaussipourlestravailleurs.Siaujourd’hui,lesinstallationslesplusstratégiquessemblentcorrectementprotégées,depremierssignes (prisedecontrôleexterned’unrobotchirurgicalaucoursd’uneopérationoud’unevoituresanschauffeur)fontcraindrequelamultiplicationdesautomatesnesetraduiseparunemultiplicationdesportesd’entrée:ilestsouhaitable,danscecas,quelessystèmesdeprotectionn’aientpasuntempsderetard,commecelaseproduitparfoisactuellement,surlamalveillance.

II-3/ Des frontières fluctuantes entre prévention des risques professionnels et santé publique ? Unaspectégalementmisenavantparlacentained’expertsconsultésestceluid’unpossible«retouraulocal».Cettehypothèseestprincipalementbaséesurlefaitqueleschaînesdevaleurmondialesneserontpasenmesurederépondreàcertainsbesoinsspécifiquesdesconsommateursparcequ’elleslimiterontl’essentieldeleurcatalogueàdesproduitsstandardisés.S’yajoutentcertainesexigencesprobablesàvenir(etdéjàamorcées)entermesdedurabilitéetderecyclabilitédesbiensdeproductionetdeconsommation.IlyauraitdoncuneplacesignificativesurlemarchépourdesPMEspécialiséesetunartisanatdehautniveau.Demême,lanécessitéderéparerlesbiensdeconsommation(auplusprèsafindelimiterlaconsommation

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énergétique)plaiderait pour la (re)créationd’ateliersspécialisés,dans lesquels ilfaudraitréapprendreàtraiterdesrisquesdisparusouaumoinsatténuésdansnotresociétélinéaire(paroppositionàcirculaire).Sionremetcesévolutionsdansuncontextedécritprécédemmentde fortepercolationde l’automatisationdans toutes lesactivités, lapréventiondesrisquesprofessionnelspourraitsevoirconfrontéedanslesannéesàveniràdesproblématiquesdontonconstateaujourd’huiqu’ellessontpeuoudifficilement traitées:promouvoir lasantéau travaildans lespluspetitesstructuresnécessiteuneméthodologie,unepromotionetuneorganisationspécifiques.Demêmelaquestiondel’économie(aumoinspartiellement)circulaireouvriradenouveauxhorizons:commentconcevoirdifféremmentpourallonger la durée de vie de produits réparables, comment organiser la déconstuction et lerecyclagedecesproduitsentoutesécurité,commentparveniràunesituationdezérodéchetenparticulierpourlesproduitsorganiquessansaugmenterlesrisquesbiologiques,etc.Onnesauraittraiterlaquestiondesrisquesprofessionnelsémergentssansaborderlaquestiondel’emploietdesformesd’emploi,surtoutsi,commeonl’avuenintroduction,l’automatisationestsusceptibledemodifierprofondémentlepaysagedelaproduction.Beaucoupd’hypothèsessontformuléesconcernantlereculdusalariatauprofitdutravail indépendant(enparticulierl’auto-entreprenariat), la multi-activité (le fait d’occuper plusieurs emplois souvent à tempspartiel), toutes les formesde travail ditesatypiques (du télétravail à la reconnaissancedesactivitésàcaractèresocial,aujourd’huibénévoles).Laquestionprobablementmajeuredevientalorscelledelapossibilitéd’organiserunepréventiondesrisquesprofessionnelsaujourd’huiessentiellementconstruiteàpartird’unmodèlepartagéassocianttouslesacteurs(analysedutravailréel,solutionsbâtiesenliaisonaveclescollectifsdetravailetportéespareux,etc.):onadéjàvuprécédemmentladifficultéaujourd’huirencontréepouryimpliquerlespluspetitesstructures,enparticulierartisanales.Cesquestionsdutravailatypiqueamènentàpousserlaréflexionplus loin:quandvieprivéeetvieprofessionnellesontdeplusenplus imbriquées,quandlaquestiondesespacesetdestempsdévolusrespectivementàl’uneetàl’autredevientplusfloue,quellespécificitélasantéautravailconserve-t-elleparrapportàlasantépublique?Certainementcelled’unecertaineprévention«technique»dontilfaudravraisemblablementredéfinirlaconceptionetlefinancement.Danslemêmecontextederaréfactiondutravaildisponible,d’autrespartiesprenantesévoquentlacréation(oul’accentuation)d’unesociétéàdeux(ouplusieurs)vitessesquiverraitaugmenterlenombredetravailleurslaisséspourcompte:pasassezqualifiés,pasassezdisponibles,pasassezadaptablesàunmondetechnologiquedont lesévolutionss’accéléreraient.Commentmaintenirchezcesderniersunecapacitéd’adaptationauxrèglesappliquéesenmatièredesantéetsécuritéautravailsuffisantepourquedeslacunesdanscedomaineneconstituentpas rapidementun facteurd’exclusion rédhibitoire?Unedesquestionssous-jacenteest lacréation d’une économie de la « débrouille » faite de petits travaux (parfois à la limite dela légalité) pouvant peut-être assurer la survie de ces travailleursmarginalisés,mais avecdes conséquences potentielles significatives sur leur santé et leur sécurité : comme décritprécédemment, les limitesentresantéautravailetsantépubliquepourraientêtrefortementperturbées,voireannihilées.

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RéférencesRéférences de la partie 1 (risques existants)[1] CNAMTS,RapportsdegestionannuelsdelaBrancheAT-MP,accessiblessurlesite www.risquesprofessionnels.fr(onglet«Nosbrochures»).

[2] N. Serres et P. Jacquetin « Baisse des accidents du travail sur le long terme :sinistralitéetélémentsexplicatifsparsecteurd’activité»CNAMTS,Pointde repères n°32, 2010, accessible sur le site ameli.fr, onglet « statistiques etpublications».

[3] CNAMTS,Directiondesrisquesprofessionnels,rapport«lombalgiesAT-MP»,2016, accessible sur le site www.risquesprofessionnels.fr(onglet«brochures»).

Références de la partie 2 (risques émergents)[1] INRS,AssurancemaladieRisquesprofessionnels,Anact,Anses,Aravis-AractAuvergne-RhôneAlpes,Dares,Francestratégie,Futuribles-ModesetméthodesdeproductionenFranceen2040:quellesconséquencespourlasantéetlasécuritéautravail?INRSed,Paris,novembre2016.[2]http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_Future_of_Employment.pdf

[3] Arntz,M.T.GregoryetU.Zierahn-TheRiskofAutomationforJobsinOECDCountries:AComparativeAnalysis.Documentsdetravaildel’OCDEsurlesaffairessociales,l’emploietlesmigrations,n°189,OCDEed,Paris,2016.

[4] McKinsey Global Institute -A future thatworks : automation, employment,andproductivity.2017.Accessibleparunliensurlapage:http://www.mckinsey.com/global-themes/digital-disruption/harnessing-automation-for-a-future-that-works

[5] D. Acemoglu, P. Restrepo-Robotsandjobs:EvidencefromU.S.labormarkets.MassachusettsInstituteofTechnology,DepartmentofEconomics,WorkingPaperSeries :WorkingPaper17-04,March17,2017.Accessiblesurhttp://ssrn.com/abstract=2940245

[6] A. Sghaier, A. Aublet-Cuvelier, J. Chatillon–Commentlesnormeseuropéennespeuvent-ellesprendreencomptelecontacthomme-robot?KanBrief,n°2,2015.Accessiblesur https://www.kan.de/fr/publications/kanbrief/le-normatif-et-linformatif/comment-les-normes-europeennes-peuvent-elles-prendre-en-compte-le-contact-homme-robot/

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LesenjeuxdelabrancheAT/MPPar Marine Jeantet, Directrice des risques professionnels, CNAMTS

Médecin spécialiste en santé publique, Marine Jeantet démarre sa carrière en 2002 à l’Agence française des produits de santé (Afssaps) avant de rejoindre la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) comme référente pour le médicament et les dispositifs médicaux. En 2007, elle rejoint la direction de la Sécurité sociale (DSS) en tant qu’adjointe au sous-directeur du financement du système de soins. En 2010, elle devient conseillère médicale du directeur de la Sécurité sociale puis intègre, en 2011, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Début 2015, Marine Jeantet rejoint la CNAMTS comme directrice des risques professionnels.

LabrancheAT/MPdoitcontinuerd’ajustersesdispositifsdepriseenchargeetsesoffresdeservice aux évolutions de la société et de l’économie française, commeelle l’a fait depuisplusd’unsiècle.Lasantéautravailesteneffetàlafoisdépendantedel’étatdesantédelapopulationengénéral,maiségalementcontributriceàcetétatdesanté,enraisondetendancespropresaumondedutravail.

Ainsilevieillissementdelapopulationactive,lesformesnouvellesdutravailémergentes,larévolutionnumériquesontautantd’enjeuxmajeurspourlabrancheenmatièredeprévention.Maiselledoitaussidémontrer lapérennitédesonmodèledeprotectionsocialebasésur lepactesocialde lafinduXIXesiècle.L’emploisalariéà tempsplein–soclede laprotectionsocialed’après-guerre–subiteneffetdeplein fouet lamondialisationde l’économieet lesnouveaux attributs des liens professionnels. Les contraintes financières sur les financespubliques nécessitent par ailleurs de rechercher des leviers de performance internes pouraméliorer la productivité des caisses.Enfin, le développement d’une culturede service surl’ensembledesmissionsde labrancheest lagarantied’interactionsefficacesvis-à-visdessalariésetdesemployeursaubénéficedelameilleurecouverturedesrisquesprofessionnels.

I-LabrancheAT/MPdoitfairefaceàplusieursenjeuxsociétauxI.1/ Le vieillissement de la population salariée accentue la nécessité de dispositifs adaptés de maintien dans l’emploiLe vieillissement de la population est en soi un enjeu de santé publique, au regard del’augmentationdesmaladieschroniquesqu’ilengendreetparconséquentleurimpactsurlesdépensesdesanté.Ill’estaussipourlabrancheAT/MPcarilposelaquestionduvieillissementde la population au travail en raison de l’allongement des carrières : le taux d’activité des

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personnesde55à64ansétaitunpeuau-dessusde30%en1995,ilestpresqu’à48%en2012.Orilexisteunecorrélationentrel’âgedessalariésavecd’unepartlafréquenceetlagravitédesaccidentsdetravailoudemaladiesprofessionnelles,et d’autre part la durée des indemnités journalières et le risque de désinsertionprofessionnelle.UneétudestatistiquedelaCNAMTSen2009ciblantlasinistralitéchezlesplusde50ansdémontreeneffetunesurreprésentationdecettepopulationenmatièredegravité(letauxd’incapacitépermanentegénéréeparunaccidentdetravailsurcettepopulationestdeprèsde31%),voirededécès.Lesarrêts liésauxaccidentsdetravailsontmoinsfréquentsquepourl’ensembledelapopulationmais lorsqu’ils surviennent, plus graves et plus longs. Lamême étudemontraitégalementqu’unemaladieprofessionnellesurdeux toucheunsénior,cequiestlogiquecomptetenududélaiavantquelamaladienesedéclare.Demême,lestravauxconcernantleslombalgiesdejanvier2017montrentquel’impactdel’âgeestunfacteurimportantpourcespathologies,notammentpourlesfemmesaprès40 ans.Lesystèmedeprotection socialedoit doncà la fois renforcer sesdispositifs deprotectionpouréviterl’usureprofessionnelledessalariésmaiségalementprévenirladésinsertionprofessionnelledessalariésenraisondeleurétatdesanté.Ainsi,depuisjuillet2014,labrancheAT/MP,labrancheretraiteetleréseauANACT-ARACTmènentenpartenariat,unprojetexpérimentaldénommé«usureetmaintiendans l’emploi»en faveurde lapréventionde l’usureprofessionnelle. Ils’agitdeconcevoir une offre de service globale pour accompagner des entreprises quicombinentuntauxélevédesalariésseniorsetunesinistralitéAT/MPimportante,dansl’objectifd’améliorerlaqualitédevieautravaildesséniorsetleurpermettredepartirà laretraitedansunmeilleurétatdesanté.Lemodèledeconseilaétédéveloppéauprèsde20entreprisescibléesdanscinqrégions.Lesentreprisesquiontparticipéàcetteactiondepuisdeuxansreconnaissenttoutessonbien-fondé:le fait de s’attacherà résoudreune thématiquealliant la préventiondes risquesprofessionnels, la retraite et la gestion des ressources humaines est perçu trèspositivementainsiquelacomplémentaritédel’apportdestroisréseaux.Parallèlement, des démarches d’accompagnement individuel ou collectif sontmisesenplaceparleservicesocialdel’Assurancemaladiepourprévenirlerisquede désinsertion professionnelle. Les aides financées sont de plusieurs sortes :aménagement du poste de travail, reclassement professionnel, mise en placede temps partiel thérapeutique, formations, bilan de compétence… Une phased’évaluation et de détection du risque de désinsertion se déroule également aumoment de la visite de pré reprise, après 30 jours d’arrêt de travail. Le servicemédicalévalue lacapacitédesassurésà reprendreuneactivitéprofessionnelle.Avecl’accorddusalarié,ilprendcontactaveclemédecintraitantetlemédecindutravailpourdécideraveceuxdesmesurespouvantfavoriserlareprisedutravail.Lescelluleslocalesde«préventiondeladésinsertionprofessionnelle»coordonnentl’ensembledesacteursquicontribuent,auseindel’Assurancemaladieàmenercesactions.Ellestravaillentenlienaveclespartenairesextérieurscommelamédecine

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dutravail,leserviced’appuiaumaintiendansl’emploidestravailleurshandicapés(Sameth), la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), pôleemploi,capemploi…L’assuréestsuivijusqu’àsarepriseoul’adaptationdesonactivitéprofessionnelle.En 2015, 137 751 assurés ont été accompagnés soit 24%des assurés rencontrés par leservice social. A l’issue de l’accompagnement individuel, 31 % des bénéficiaires ont étémaintenusdansl’emploidont21,3%surlemêmeposte.UnemissionnationalesouspilotagedelaCNAMTSaconcluenfind’année2016àlanécessitéd’uneévolutiondutravailsocialsousplusieursangles,etparticulièrementceluiduvieillissementetdel’employabilité.Surcedernierpoint,desorientationsnationalesvontêtredéfiniescommeparexempleunciblagedel’accompagnementsocialverslesassuréstravaillantdansdessecteursdefortesinistralitéetsouffrantdecertainespathologies,notammentleslombalgies.Ainsi, l’Assurancemaladiemet en place depuis quelques années un dispositif qui chercheà couvrir, de façon large, les problématiquesdedésinsertionprofessionnelle en cohérenceavecl’ensembledefacteurscouvertsparlesautresacteurssurleterrain(handicap,maladie,vieillesse…).Cependant,cesdispositifsrestent in finemodestesauregarddel’ampleurdesenjeux des années à venir.De plus, lamultiplicité de ces acteurs impliqués, la complexitéadministrativeinhérenteàleursorganisationsetlemanquedelisibilitétantpourlesassurésquepourlesentreprisesnepermettentpasledéploiementdecesdispositifsdefaçonmassiveetefficiente.La brancheAT/MP recherche donc un positionnement complémentaire de celle du servicesocialetduservicemédical.Elleexplorenotammentuneactiondemédiationenentreprise,actuellementtrèspeudéveloppéeenFrancemaisquiadémontrésonefficacitédansd’autrespayseuropéenscommeparexempleauDanemarkoùexisteundispositifdementoratportépar leCenter for aktiv beskæftigelsesindsats (centrepourunestratégieactiveen faveurdel’emploi).Surunpérimètregéographiqueintercommunal,lecentred’emploiévaluelacapacitéderetouràl’emploidessalariésaprèsunarrêtmaladieetproposelecaséchéantun«mentor»auseindel’entreprise(cepeutêtreunprestataireextérieur).Lementoratpeutconsisterenuneoudeuxheuresd’accompagnementparjouroucinqheuresparsemaine,parexemple,pouraider lapersonneàavoirunevisiond’ensembledesontravail,àétablirdespriorités,etc.Iln’yapasdelimiteaunombred’heures,maistoutdoitêtreprévuetorganisétrèsprécisémententre lecentred’emploiet l’employeurenamont.Laprestationdumentorestfinancéeparlespouvoirspublics.Lementoratpeutégalementêtremisenplaceenvuedel’insertiondansle travail, avec une dimension plus sociale (dans certains cas, les personnes doivent (ré-)apprendreàarriveràl’heure,avoirunemeilleurehygiène,etc.).LabrancheAT/MPsouhaiteétayercesétudesexploratoiresenvuedelaprochaineCOGafind’élargirlesmodalitésetdispositifsexistantsaujourd’hui.Elles’interrogeégalementsurl’impactsur le retour à l’emploi quepourraient avoir par exempleunélargissement desprestationsexistantesauxprestationsd’aidepartiercepersonneouencorelacréationdenouvellesformesdeprestationscommelacréationd’uncompte«formation»créditépardespointsacquisparlesalariévictimed’unaccidentdetravailoud’unemaladieprofessionnelle,qu’ilpourraitmobiliseraumomentoùilsouhaiteenvisagerunereconversionprofessionnelle.

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I.2/ L’impact sur la santé des nouvelles formes de travail doit être anticipéLabrancheAT/MPsurveillelesévolutionsdesformesdetravailpouranticiperlesrisquesensantéquiendécoulent,sansperdredevueles«invariants»démontrésparl’incompressibilitédecertainespathologiescommeleslombalgies.

Lenombredesaccidentsdetravailaétédivisépartroisdepuis1950etl’indicedefréquencedesaccidentsdetravailachutéde30%depuis1985.Danslemêmetemps,lenombredemaladiesprofessionnellesreconnuesaétémultipliépardix,notammentenraisondel’augmentationfortedestroublesmusculo-squelettiques(TMS).Cesévolutionssontsansaucundouteliéesàl’améliorationdesconditionsdetravailmaiségalementàlatertiarisationdel’économie.

La France a en effet connu une forte désindustrialisation au cours de ces 25 dernières années, accompagnée d’automatisation, d’intensification, d’externalisation, et aubénéficedel’expansiondesservicespassésd’unstatut«artisanal»àunelogiqued’industrialisationembarquantdesmodèlesliésàlaspécialisation,lerecoursàlasous-traitance,lamaîtrisedescoûts,larationalisationdesprocessus…Aveccettemutation,lessalariésdecessecteurssetrouventconfrontésàuneaugmentationdescadences,àuneplacedeplusenplus importanteprisepar lanumérisationvoire la robotisation (soumission à des logiciels de commande par exemple), àladématérialisationetàlapressiondelasatisfactionclient.Lasinistralitéquienrésulte interroge fortement lesdispositifsdeprévention.Ainsi, ledéveloppementdesmétiers d’aide à domicile pour les personnes âgées et/ou dépendantes estgénérateurd’unefortesinistralitéquidevientpréoccupante:l’indicedefréquenceen2015(93pour1000)yestsupérieuràceluiduBTP.Cependant,desstandardsdepréventionexistent pour les risques concernéset une réflexionest d’ores etdéjàengagéepourconstruireunprogrammenationaldepréventiondes risquesprofessionnelsdanscessecteursd’activité.

La problématique générée par la robotisation croissante au sein du monde dutravailestdouble,générantàlafoisuneaméliorationdesconditionsdetravailensupprimant certains postes pénibles, mais aussi une accélération des rythmesde travail. En effet, le fort développement de robots d’assistance physiqueaccompagnant et facilitant le mouvement de l’opérateur (exosquelettes parexemple)peutavoirdesconséquencessurledegrédeprescriptiondutravailencalquantl’effortdel’opérateursurceluidelamachine.Unrythmetropélevéetuntravail trop répétitif, associés à une latitude décisionnelle et à un soutien socialfaibles,ontdesconséquencesentermesdeTMS.Unesujétionmêmepartielledel’hommeà lamachinen’estévidemmentpassansconséquencenonplussur lasantépsychiquedecertainstravailleurs.

La branche AT/MP se saisit de ces problématiques à travers la réalisation derecommandations pour les matériels et équipements et en contribuant à lanormalisationsur laconceptiondeproduitset lesméthodesd’essaietmesurageauniveaueuropéen.

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L’évolutiondesconditionsdetemps,lieuetformesmêmesdusalariat(télétravail,sous-traitance, flexibilité et recours à des plateformes…) peut également êtredéstabilisant au regard des critères fondamentaux de reconnaissance des risquesprofessionnels.

Par exemple, les services, comme le transport de personnes en voiture de tourisme avecchauffeur,oudeslivraisonssurdecourtesdistancessontfournispardespersonnesconsidéréescomme des prestataires individuels indépendants, qui sont rémunérés par le biais desentreprisessanspourautantêtredesemployésdecelles-ci.L’entrepriseneseconsidèrequecommeleportailparlequellademandeetl’offredecesprestationssontmisenrelation,alorsquelesprestatairessontseulsresponsablesdeleursfraisetdeleurprotectionsociale,libérantainsi l’entreprisedesobligationslégalesetfiscalesliéesaufaitdelesemployerentantquesalariés.Pourtant,lestatutduprestatairedecesservicess’apparenteendenombreuxpointsàceluid’unemployé,enl’astreignantàdeshorairesetunsecteurgéographiquesanspossibilitéderefuserdesmissions,voireenl’obligeantàporterununiforme.Lestatutdecesemployés,la nature de leur lien contractuel sont encore en construction aujourd’hui, la couverture des risquesprofessionnelsauxquelsilssontexposésendécouleraainsiquelesmesuresadaptéespour maintenir leur santé et sécurité au travail. Des réflexions sont notamment en coursconcernant l’applicationde l’article L. 7342-2du codedu travail imposant lesmodalités deresponsabilitésocialeauxplateformesdemiseenrelationparvoieélectronique.Néanmoins,cemodèleéconomiquepermetàdespersonnesexcluesdel’activitééconomiqued’accéderàuntravail,mêmedemanièreintermittente.

La diversification de la nature et des formes d’emplois est donc un challenge auquel labrancheAT/MPdoits’adapter.Cependant, les fondamentauxde labrancheontprouvé leurrobustessedansladurée.L’existenced’undialoguesocialcontradictoireestunpremiermoteurd’une adaptation continue du système. D’autres leviers de performance existent, fondésessentiellementautourdudéploiementdeméthodesd’actionayantdémontré leurefficacité,del’interdépendancedesmissionsdelabranche,delacomplémentaritédesonactionaveccelledesespartenaires.

II-DesleviersdeperformancedoiventêtremobilisésII.1/ Une approche ciblée de la prévention par programme et évaluée pour une plus grande efficacité Pouragirensembleplusefficacementsur lesrisquesauxquelssontexposés lessalariésetrendreautonomeenpréventionleplusgrandnombrepossibled’entreprises,lamiseenplacede programmes d’action spécifiques basés sur le ciblage et l’évaluation des actions de labrancheconstituelaprincipalemodalitéd’actiondepuis2009.Lesrésultatsobtenusincitentàpoursuivredanscettedirectionpourlesprochainesannées.

Une action qui doit être soigneusement préparée en amont et accompagnée

Leciblagedoitprendreencompteplusieurscritères,notammentunefortesinistralité(avéréeoupotentielle)etl’existencedemargesdeprogrès(grâceàunrelais,undispositif,unoutil,…).

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Peuvent être retenus comme priorités des secteurs d’activité ou des catégoriesd’entreprises,maisaussidesrisquesoudespopulationsparticulières.Les programmes de prévention doivent faire l’objet d’une préparation attentive,afin d’identifier aumieux la cible et ses besoins et de déterminer lesmodalitésd’interventions lespluspertinentes.Pourque lapréventionsoitdéployéeauprèsd’un plus grand nombre d’entreprises, les actions doivent associer l’ensembledescompétencesetmoyens/outilsdisponiblesauseinduréseaudescaisses.Larelation individuelle entre unagent de terrain et uneentreprise nedoit pas êtrel’uniquemodalitéd’action.Desactionscollectivespeuventeneffetdanscertainessituationss’avérerplusefficientes.Avantdelesdéployer,ilestégalementnécessaired’expérimenteretdetestercesactions. LaCNAMTSenassure lepilotageet la coordinationengarantissant lamiseàdispositiondesinformationsetdispositifsnécessairesàleurdéploiement.Cesélémentssont indispensablesàleurréussiteetà leurbonneacceptationausein du réseau des caisses.En complément, des opérations de communication doivent accompagner lelancementdesesprogrammesàlafoisvis-à-visdugrandpublicmaisaussicommelevier pour certains secteurs d’activité.Ainsi, une campagne de communicationautour de la prévention des lombalgies sera engagée fin 2017 sur les champsconjointsdelamaladieetdesrisquesprofessionnels,partantduconstatquecettepathologie,quellequ’ensoitlacause,donnelieuàunarrêtdetravail1foissur5.Bienqu’elleévoluefavorablementdans90%descas,ellereprésente30%desarrêtsdetravaildeplusdesixmois(enforteaugmentationcesdernièresannées)et constitue la 3ème cause d’admission en invalidité pour le régime général. Ellereprésenteégalement20%dunombretotaldesaccidentsdutravail.Cesactionsde communication, doivent aussi s’appuyer sur le relais d’audiencedémultiplicateurs que peuvent offrir les relations partenariales existantes et àdévelopper.Lacapacitéd’intervenirdefaçoncoordonnéedans lecadred’unprogrammesurl’ensembledu territoirenationalvianotre réseaustructurédecaisses régionalesdonne à la brancheAT/MP un levier d’action unique et puissant permettant derendrepluslisiblesonactionetd’avoirunimpactréelsurlesciblesretenuescommele montrent, par exemple, les actions menées dans les secteurs de la grandedistributionoudel’intérimentre2009-2013oubienplusrécemmentleprogrammeTMSProsengagédepuis2014.Cependant, cetteapprochea impactéde façonimportantelespratiquesdesingénieursconseilsetcontrôleursdesécuritédepuis2009etagénérédesréticences.Mêmesielleestaujourd’huidavantageacceptéedanssonprincipe,elleresteencorecritiquéedanssamiseenœuvre.Silastructurationdel’actionauniveaunationalestindispensablepourgarantirunecertainehomogénéitédanslamiseenœuvreetfaciliterl’évaluation,desmargesdemanœuvredoiventêtredonnéesauxcaissesrégionalespouradapterleciblageetl’actionafindeleurpermettredemieuxtenircomptedecertainesréalitéslocales.

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Cepointd’équilibreentrestructurationnationaleetmargedemanœuvrelocaleestàrechercherpourfaciliterl’adhésionduréseauetgagnerenefficacité.

Une évaluation incontournable au profit d’une amélioration continue

L’évaluationdesrésultatsàpartirdecritèresdéfinisenamontdu lancementde l’actiondoitdorénavant être intégrée à tout programme de prévention. Cette évaluation doit permettred’adapterencontinunosactionsenfonctiondesdifficultésouréussitesrencontréeslorsdeleurmiseenœuvremaisaussipermettredecapitalisersurlesbonnespratiquesdesuppressionoudemaîtrisedesrisquesrencontréesdanslesentreprises.L’ensembledesprogrammesdepréventionde laCOG2014-2017faitainsi l’objetd’unedémarchestructuréeetapprofondied’évaluation,afindecapitalisersurcebilanpouraméliorerlesmodalitésd’interventionlorsdelaprochaineCOG.

II.2/ Améliorer et amplifier les partenariats pour toucher le plus possible d’entreprisesSi,entantqu’assureur,noussommeslégitimesàagir,ilfautreconnaîtrequelechampdelasantéetdelasécuritéautravailestvaste,nosressourceslimitéesetquenousnesommespaslesseulsàintervenirsurcechamp.Pourmeneràbiennosactionsdepréventionetlesdémultiplier, nous avons déjà bâti des partenariats avec des acteurs institutionnels commel’OPPBTPoul’ANACT.Maisnousdevronssansdouteencoreinnoverenmatièredecoopérationenrecherchantdenouvellessynergiesadaptéesauxpriorités.

Ainsi,lescontratspluriannuelsd’objectifsetdemoyens(CPOM),conclusdepuis2010entrelescaissesrégionales,lesDIRECCTEetchaqueserviceinterentreprisesdesantéautravail(SiST),constituentundesleviersessentielspourétablirlesconditionsd’unmeilleurpilotagede lasantéautravailauniveaurégionalenassurant lacohérencedesactionsmenéesparlesdifférentsacteursinstitutionnelsetendynamisantlesservicesdesantéautravailautourd’objectifsquantitatifsetqualitatifspartagés.LesCPOMvisent,eneffet,àassurerunemeilleuresynergieentredesacteurscomplémentaires:

LabrancheAT-MPavecunelogiquedegestiondurisqueetderéductiondelasinistralité; lesservicesdéconcentrésduministèredutravailquiportelapolitiquedesantéetdesécuritéautravail;

Et les services de santé au travail.Au31décembre2016,166CPOMétaientconcluspour250SiSTauniveaunational.Cettepremière génération de CPOM a fait évoluer positivement la nature des relations entreDIRECCTE,SiSTetcaissesrégionalesavecdesthématiquescommunesclairementidentifiées.IlexistenéanmoinsdefortesdisparitésentrelesrégionstantsurlaformeetlastructuredesCPOMquesurlecontenudesactionsproposéesetdelaméthodologied’élaborationetdemiseenœuvredesCPOMadoptéeenrégion.Cesdisparitésrendentquasiimpossiblel’évaluationdel’apportdesCPOMàlapolitiquepubliquedesantéautravail.

PourlanouvellegénérationdeCPOMàvenir,desaméliorationsdoiventêtreapportéespourfairedecepartenariatunréel levierd’actionpermettantdedéployerefficacementet leplus

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largementpossiblelesstandardsdeprévention.Uneconventiontypepourraitêtreproposéenationalementafind’homogénéiserlastructuredesCPOMetenfaciliterainsilesuivietlebilan.Larecherchedeprioritésd’actionàdéclinerdanschaqueCPOMpourraitégalementpermettrededéployersurl’ensembleduterritoireuneactiondemasseetcoordonnéeentrelesdifférentsacteurs.

II.3/ Intégrer la tarification dans la démarche de prévention en la rendant plus lisible et plus incitative

LatarificationAT-MPestuncorpusderègleshéritéesdel’histoiredelabranche,quiaujourd’huipeutdonnerl’impressiond’unempilementdésordonné.Ceconstatn’estpastoutàfaiterroné.Enfonctiondelatailledel’entreprise,maisaussidesonsecteur d’activité, sans oublier sa localisation géographique (AlsaceMoselle ouhorsAlsaceMoselle),desrèglesdecalculdifférentess’appliquent.LesdifférentesCOGontessayéd’harmoniserlesrèglesmaisilresteencorebeaucoupdecheminàparcourir.UndesprincipesfondateursdelatarificationAT-MPestdedéployerunprocessusassurantiel en faisant varier le taux de cotisation en fonction de la sinistralité. Cependant,l’entreprisedoitfairelelienentresesaccidentsdutravailetsontauxdecotisationafinqu’elleagissepourdiminuercequi,pourelle,estunechargeàpayer.Maislamultitudedesrèglesquis’appliquentpeutfaireperdredevuecelienentresinistralitéetcotisation.Labrancheœuvredoncaveclespartenairessociauxpourrendrecesrèglespluslisiblespourquecelienassurantielconstitueunvrailevierd’incitationàlaprévention.Ainsi, les évolutions apportées par la DSN, les travaux engagés enmatière detauxbureauetl’instaurationdeprimesetdesignauxàl’intentiondespluspetitesentreprisessubordonnésàlaréalisationounond’actionsdeprévention,s’inscriventdanscecadre.De façonplusgénérale,une lignede fondde laprochaineCOGseraderenforcerl’articulation,lapublicitéetlecontrôledesdispositifsd’incitationsfinancièresauxactionsdepréventiondanslesensd’uneréelleoffredeservice,duplusspécifiquesoutenantl’innovation(lescontratsdeprévention),auxdispositifsles plus accessibles au grand nombre et d’une délivrance quasi automatique(primes),enpassantparleciblagedesaidesfinancièressimplifiées.Encomplémentdesdispositifsprécédents,uneautrepisteconsisteraitàproposerune«rémunérationsurobjectifs»auxemployeurs,defaçonàvaloriserleuractionautitredesimpactsenmatièredepréventionetdonc,desantédeleurssalariés.Enmiroirdudispositifenplacedepuisquelquesannéesàl’intentiondesprofessionsde santé, il s’agirait de définir quelques objectifs sur lesquels les entreprisess’engageraientàatteindreun indicateurd’efficacitéauregardde leursinistralité.Lesmodalitésrestentàapprofondir,l’orientationelle-mêmeresteàpréciserauseinde la branche.

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II.4/ Garantir l’homogénéité de la reconnaissance des AT/MP sur le territoireAu-delàdecesnouveauxoutilsenmatièredeprévention,lamissiondeservicepublicquianimelabrancheneseconçoitqu’àtraversuneactionhomogènesurl’ensembleduterritoireenmatièrederéparation.LaCNAMTSaorganiséen2016,auseindesréseauxdedirecteursdesorganismes(CPAMprincipalement),unemissionde«directeurrégionaldelaréparation»,sousl’égidedesdirecteurscoordonnateursdelagestiondurisque.Leurobjectifestdefaireconverger les pratiques des caisses de leurs régions sur le processus reconnaissance etindemnisationAT/MPafind’améliorerl’équitédetraitementsurleterritoire.LeDirecteurrégionaldelaréparations’appuiesurlesindicateursdiffusésauniveaunationaletsurdesindicateurslocauxàsamain.IlrecenselesbonnespratiquesetlesdiffusedanssarégiontoutenlesremontantàlaCNAMTS.Ils’assureégalementdelameilleuredéfensedesintérêtsdelabrancheAT-MPaucontentieux(généralettechnique).Pourrappel,lecontentieuxAT/MP représente lamajorité des contentieux gérés en CPAM et a coûté, uniquement entermesdecotisationsnonrecouvrées,prèsdedeuxmilliardsd’eurossurlesquatredernièresannées.Desdisparitésdepratiquesetderésultats,ycomprisdansl’applicationdesconsignesnationalessontobservéesetnepeuventperdurer.Ledirecteur référents’appuie,pour remplirsesmissions,surunpôled’expertiseréparationAT/MPdont ilest responsable.Lanécessaire interdépendancedesmissionsde labranchetrouveainsisatraductionopérationnelle:auseindupôled’expertise,enappuiaudirecteurrégional de la réparation, les compétencesnécessaires à unegestion efficacedes risquesprofessionnels sont présentes (administratives, médicales, juridiques, d’ingénieur-conseildédiésàlaréparation,detarification…).Fin2016,cetteorganisationrégionaleresteencoursdemontéeenchargemaisonobservedemanièresatisfaisantequelesécartsderésultatsonttendanceàseresserrer.Ainsi,làoùlestauxdereconnaissancedelamatérialitédesaccidentsdetravailetmaladiesprofessionnellespouvaienten2015êtreenécartdevingtpointsautourdelamoyennenationale(94%),letauxminimumdereconnaissanceremontede78%à83%etletauxmaximumdescendde98%à 97 %.Ainsi, l’améliorationdespratiquesdans lesensd’uneplusgrandehomogénéité,garanteduprinciped’égalitésurleterritoireresteunetendancefortedesannéesàvenir,sous-tendantl’actiondeséquipesmédico-administrativesmobiliséesenmatièredereconnaissancedelamatérialitédesaccidentsetmaladiesprofessionnelles.L’expertise (médicale, juridique,d’ingénierie…),ladiversitéetlenombredescompétencesnécessairesdoiventêtrepréservésdansletemps,pourpermettre l’accomplissementdecettemissionessentielleauseinde labranche.Pourautant,cesressourcespeuventêtreutilementsoutenuesparlaprofessionnalisationdesoutilsetdesméthodes,enparticulierdusystèmed’information.

II.5/ Soutenir ces leviers par un système d’information agile et performant Mettre en place l’ensemble de ces leviers de performance passe par un investissementnécessaireentermesdesystèmesd’information.

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Depuis plusieurs années la branche AT/MP s’est progressivement dotée d’unsystèmed’informationqu’ellepiloteenpropre.Laquinzained’applicationsexistantsurlestroismissionsdelabrancheestexploitéeethébergéedanslesinfrastructuresdelabrancheassurancemaladie,pourcequiconcernelesoutilsauservicedelaréparation,etcellesdelabrancheretraitepourlesoutilsauservicelapréventionetdelatarification.Cettedoubleinfrastructureconfèreausystèmeglobalunecomplexiténotabledanslagestiondesévolutionsauseind’unenvironnementdeplusenplusinterconnecté.Lesapplicationssontorganisées indépendammentets’échangentlesdonnées,entreellesetavecleursenvironnements,parlebiaisd’applicationsd’échangemultipleset intriquées.Lemanqued’adaptationd’unsystèmeglissantvers l’obsolescence est une limite de plus en plus contraignante qu’il va falloirdépasserimpérativement.Eneffet,desdifficultésexistentpourprendreencomptelesévolutionsdesprocessus«métier»(tarification,réparation…)etcesystèmed’informationpeineàoffrirdenouveauxservicesdigitauxporteursdelavolontédelabranchedemieuxprendreencomptelesattentesdesentreprises.Lesystèmed’informationdoitrésoluments’orienterversdesmodesprojetsetdesdéveloppements apportant à la fois plus de souplesse dans la conception desapplicationsetplusdeservicevis-à-visdesutilisateurs,qu’ils’agissedespublicsfinaux (assurés, employeurs) ou des agents utilisateurs en caisse, en intégrantautantquepossiblenativementlesimpératifsdesécurisationetd’interopérabilité.Lagouvernancedesréseauxinformatiquesmaladieetretraitedoitêtrecoordonnéeau niveau interbranche. Cette coordination renforcée pourra garantir le succèsdes mutations concourant à la rénovation d’applications de gestion devenuesobsolescentesfonctionnellementettechnologiquementainsiqu’audéveloppementdelarelationaveclesemployeurs,orientationessentiellepourgarantirl’adhésiondelabrancheauxbesoinsdesespublics.

III-DévelopperuneculturedeserviceLes programmes et actions de la branche portent aujourd’hui une dimension«marketing » qui s’affirmedeplus enplus au regard desévaluations positivesressortant du recoursà cesméthodes.Cependant, la stratégiede service resteencore émergente alorsmêmeque les attentes de nos publics sont pressantessurcepoint.Lespartenairessociauxdéfinissent lesobjectifsdeperformancedelabranchepour lesannéesàvenir,mais ilestnécessairedemieux intégrer lesattentesdel’ensembledespublicsauxquelselles’adresse:assurés,professionnelsdesantéetemployeurs.Les deux premiers publics étant surtout en attente d’informations, la branche AT/MPvaactivementpoursuivrelarefontedessitesd’information(AMELI)pourlesrendrepluscompréhensibles,accroitresonrecoursauxmédiasgrandspublics(vianotammentdesconférencesdepresseannuelles)etauxmédiasspécialiséspourtoucherlesprofessionnelsdesanté,etmieuxgarantirl’insertiondessujetsAT/MPauseindelaformationmédicalecontinue.

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La CNAMTS étudie également la conception d’un « parcours attentionné » àl’intentiondesassurésvictimesd’unemaladieprofessionnelle,enciblantlesdemandesde reconnaissance de cancers d’origine professionnelle qui interviennent longtempsaprèsl’expositionàunagentcancérigène.Unagentdelacaisse,forméspécifiquement,pourraitaiderlesassurésàconstituerleurdossieretlesaccompagneraulongduprocessusde reconnaissance.Concernant les employeurs, la politique de gestion des grands comptes qui voient le jourdoitpallierlemanquedelisibilitédenotreaction.Endésignantuninterlocuteurprivilégié, labrancheveuts’adresserplusdirectementetavecplusd’efficacitéà l’entreprisepourqu’ellepuissecomprendresa tarificationetprendreconscienceque la valeurdeson taux,malgrétoutelacomplexitéexistante,dépenddeseseffortsdeprévention.Cependant, l’essentieldu tissuéconomiqueétantcouvertpardesentreprisesde typeTPE/PME, la brancheAT/MP se doit d’adapter également son offre de service aux plus petitesentreprises,dontlesbesoinsdecompréhensionetlesattentesd’unserviceadaptéetefficaceauregarddeleursproblématiquesspécifiques,sontpressants.

III.1/ Les attentes des employeurs sont de mieux en mieux mesurées et convergent vers le déploiement d’une offre « digitale »

Aujourd’hui,larelationdeserviceverslesemployeursreposesurdeuxréseaux,demultiplesoutils et systèmes d’information, et est animée par plusieurs branches (maladie, risquesprofessionnels,brancherecouvrement…).Lacomplexitéinstitutionnelle,l’insuffisantevisibilitédel’offredeservicedesorganismesdeprotectionsociale,toutecommelafaibleappréciationdeleursbesoinsontétépointéesparlesemployeurslorsdesécoutesclients.Prèsd’untiersdes employeurs interrogés n’identifient pas l’Assurance Maladie comme un partenaire. Ils’agitdeprogresserdanscettedirectionenaméliorantnotreaccessibilité.L’entreprisen’apasvocationàsystématiquements’adapteràlasphèredelaprotectionsocialemaisc’estbienàcelle-cid’êtreplusaccessible.LaCNAMTSsouhaitestructurersarelationdeservicevis-à-visdesemployeursetl’outiller.Ils’agitdepasserd’unelogiquederelationdeservice«transactionnelle»àunegestiondelarelationclientsorganisée,dansuneapprocheplusmarketing.Lesenjeuxdecetteévolutionmajeurede l’ensembledenosmodesdecontactsentrantsetsortants sont les suivants :

Simplifierlesmodesdecontacteneffaçantlacomplexitéd’êtreconfrontéàdemultiplesopérateurs.Mêmesilesportailsproposésaujourd’huisontappréciésdesemployeurs(plus de 700 000 visites mensuelles pour Net-Entreprises, 400 000 pour AMELIemployeurs,20000à30000pour lessites régionauxdesCARSAT),cetteoffreestdispersée et inorganisée. Le service à l’employeur doit êtremultiforme pour couvrirl’ensemble des besoins : des informations réglementaires seront portées viaAMELIemployeurs en complément d’un « bouquet de téléservices » sur net-entreprises,interfacésavecuneassistancetéléphoniqueexperte.L’organisationetlastructurationàtraversunportailunifié,orchestrantdemanièresécuriséeetergonomiquel’accessibilité

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auxservicesetinformationsdelabrancheestunenjeuincontournabledesannéesàvenir;

Moderniser l’offre en enrichissant les téléservices, les télé-procédures etleurs fonctionnalités : les employeurs attendent une offre « digitalisée »associant lesbranchesmaladieetAT/MPetàplus long termesipossibled’autresbranches (retraite, recouvrement…).Les tauxd’adhésionactuelsaux téléserviceset télédéclarationsexistantesmontrent àquel point cesdispositifssontplébiscitéspar lesemployeurs(68%deDATréaliséesenligne,600000comptesemployeurspourleseulservicetarification).Or,cesservicessontpeunombreuxaujourd’hui,mêmeensimpledématérialisation,etportentpeudefonctionnalités(iln’estpaspossibledefaireuneréclamationenligneparexemple);

Rationaliser les contacts de 1er niveau (interlocuteur unique) : treizeplateformes téléphoniques seront déployées sur le territoire d’ici la find’année2017.Aujourd’hui,9000appelsparmoissontprisencompteautitredesrisquesprofessionnels:leurtraitementnécessited’êtremieuxstructuré,enarticulationaveclesservicesexpertsdesCARSAT,voireenorientationvers lesexpertisesd’autresbranches (recouvrement, retraite…). Il s’agiraégalement de promouvoir le développement de campagnes de contactssortants ainsi que le traitement et l’exploitation analytique de multiplescanauxdecontacts(mails,sms…);

Développer un accompagnement expert pour certaines situations et «évènementsdevie»de l’entreprise.L’équilibredoitêtrepréservéentrele développement d’une offre de service « standardisée », de premièreintention,quipermetderépondrelargementàdesdemandesdemasse,etlaconceptiond’offrescibléessurdesattentesspécifiquesexpriméesparlespublics, relevant de situationsparticulièrement complexesouà fort enjeupourlagestiondurisque.

III.2/ Les perspectives « Grands Comptes » et l’offre « TPE/PME »Développeruneculturedeservicenécessiteainsid’adapternotreoffreenversnotrepublicemployeurpourobtenirsasatisfaction.Ellenepeutêtreidentiques’agissantdegrandesentreprisesoudePMEaurisquederesterdansunelogiqueindustrielleduservice,nonsatisfaisanteauregarddesattentesexprimées.

Lancer un programme « grands comptes » LabrancheAT/MPs’appuieauseindesonréseaud’organismes locauxsurunelogique de compétence géographique pour les processus de tarification et deprévention:lescaissesrégionalesgèrentlesétablissementsdeleurcirconscription.Cette approche favorise la proximité mais peut aussi, pour des entreprises ougroupes disposant d’établissements relevant de plusieurs caisses régionales,rencontreruncertainnombredelimites.

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Pour les grandes entreprises, l’image de la branche et de son réseau est alorsempreinte de complexité avec la multiplication des interlocuteurs et un possibleressentid’unedifférencedetraitement, tantdanslamiseenœuvredelapolitiquedeprévention(stratégiesdifférentesdedéploiementdesprogrammes,stratégiesd’incitationsfinancièresvariables),quedanslesactesdegestionentarification.Cettesituationestd’autantplusprégnantequelesentreprisesontdanscertainscas,concentrélepouvoirdedécisionoumutualisélesressourcesausiègesocialoudansdescentresrégionaux.En2015,descorrespondantspréventionontétédésignéspourunecinquantained’enseignesdansquatresecteursprincipaux (grandedistribution,EHPAD,propretéetagro-alimentaire).Mais cela reste très limité. Sur le processus tarification, les travaux d’harmonisation n’ontpas totalement estompé les différences de pratique en matière d’imputation des maladiesprofessionnellesoudeclassementdesétablissementsselonlanomenclaturedescodesrisque.Déployer une culture de service nécessite donc de prendre en compte les organisationsdesgrandesentreprisesdont lepouvoirdedécisionet lesressourcessontaujourd’huiplusconcentrés.En prévention, cela doit permettre d’être plus efficace dans l’exécution de nosactions,encommuniquantverslesiègesocialetenvérifiantlamiseenœuvrelocaledanslesétablissements.Entarificationc’estmettreenplaceuninterlocuteurprivilégiépourl’entrepriseafin de s’assurer de l’harmonisation des pratiques, et de l’accompagner dans toutes sesopérations(rachat,cession,changementd’activité,…)quiaurontunimpactsurlescotisationspayées.Cela va induire un changement d’organisation du réseau, notamment en termes decompétencesetdeprofilpourlesgestionnairestarification.Ilsedessineaveclagestiongrandscomptesunnouveaumétierquinécessiteradescompétencesdenégociation,depédagogieetdemédiation.L’entrepriseinterpellerasoncorrespondantquidevraêtrecapabled’assureruneréponsedepremierniveauetl’orienterpourrépondreàsesquestionspluscomplexes.LabrancheAT/MPad’oresetdéjàlancécetravail:en2018,environ70entreprisesbénéficierontàtitreexpérimentaldecetinterlocuteurfacilitateurdeleursdémarches.L’année2017estuneannéedeconceptiondecettenouvelleoffredeserviceetderecueildebesoinsdelapartdesentreprises.Enprévention,l’offreseradépendanteduciblagedesentreprisesparunprogrammenational.Ils’agirad’organiserdes«caissesdeliaison»quimènerontdesactionscibléessurlesgrandscomptesconcernésparlesprogrammestoutenpoursuivantunsuividesétablissementsparles«caissesgéographiques».

Repenser l’offre « TPE/PME »

Lesentreprisesdemoinsdedixsalariésconstituent85%desétablissementssurleterritoire.Ellesontuncycledevierapide,nesimplifiantpasl’instaurationd’unerelationpérenneaveclasphèresociale:uneTPEsurtroisamoinsdecinqansetuneentreprisesurdeuxdisparaîtaucoursdescinqpremièresannéesd’activité.LesTPE-PMEsontendemandedeprocessussimplifiés,d’une informationaccessibleetclaireetd’unaccompagnementadaptédansdesdomainescommelapréventionoùbiensouventlescompétencestechniquespeuventmanquer.

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Plusieurspistessontàexplorer.Ils’agittoutd’abordderevoirlerôlequepeuventjouer les tiers de confiance que sont les experts-comptables ou les avocats..Cesontdesacteursstablesdans le tempsquipeuventêtredes relaisdenotrecommunication.Lasecondepistereposesurledéveloppementdestéléservices:àl’heuredu«toutnumérique»,notreoffreresteembryonnaire.LecompteAT/MPdoitnotammentdevenirunoutild’informationetderéassurancedesemployeurssurleursdémarches.

Acquérirunedémarcheglobalepermettantdeporterunevéritable«stratégiedeservice»vis-à-visdupublicemployeurs,danstoutesadiversitéetl’ampleurdesesattentes,estunetendancelourdedecesprochainesannées,etunenjeuessentieldedémultiplicationdel’actiondelabranche.

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BLA RÉPARATION ET L’ÉVALUATIONDUPRÉJUDICESUBI

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Laréparationdurisqueprofessionnel parleretourdansl’emploiPar Pierre-Yves Verkindt, professeur à l’École de droit de la Sorbonne

Pierre-Yves Verkindt est professeur à l’École de droit de la Sorbonne où il codirige le Master « Juristes de droit social ». Il a publié récemment avec L. Pécaut-Rivolier et G. Loiseau le « Guide du CHSCT » chez Dalloz (2ème édit. 2017).

RésuméSi le droit de la réparation du risque professionnel telle qu’envisagée par le Livre IV du Code de la sécurité sociale attire toujours l’attention de la doctrine et de la jurisprudence et si les liens entre l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur et la faute inexcusable continuent de déployer leurs effets, la problématique du retour à l’emploi de la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle fait l’objet d’un regain d’intérêt en raison des réformes récentes du droit de l’inaptitude médicale.

Ledroitfrançaisdurisqueprofessionnels’organiseautourdestroispôlesquesontlaprévention,lasanctionetlaréparation.Lesfrontièresentrecescomposantesdelapolitiquedesantéautravail ne sont cependant pas étanches.C’est ainsi que si les instruments juridiques de lapréventiontrouventleurplacenaturelleauseinduCodedutravail,leCodedelasécuritésocialeoffreluiaussideslevierspourdévelopperuneactionpréventivepilotéedepuislesCARSAT.Demême,l’améliorationdelaréparationparl’effetdelaconstatationd’unefauteinexcusable,etlerenchérissementducoûtdel’accidentoudelamaladiequienrésulte,participentaussid’unelogiquesanctionnatrice.Laréparationdeseffetsdelaréalisationdurisqueprofessionnelprésenteelle-mêmeuneimagecomposite.Eneffet,au-delàdelaréparationdesconséquencesdel’accidentdutravailetdelamaladieprofessionnelleassuréeparleLivreIVduCodedelasécuritésociale,laquestionduretourdusalariévictimedanssonemploioudansunemploiémergecommeunedonnéecentraledelapolitiquederéparationdurisquelorsquel’onconstateavecleRapportIssindou1, quel’inaptitude,conduitdansquatre-vingt-quinzepourcentdescasàlapertedel’emploi.Lerapprochementdusortdesvictimesd’unaccidentdutravailoud’unemaladieprofessionnelleetdeceluidessalariésdevenusmédicalement inaptesà leurpostepouruneautre raison2 1 Rapportdugroupedetravail«Aptitudeetmédecinedutravail»(Mai2015)2 La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à lamodernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours

professionnels a gommé une partie des différences entre les régimes juridiques des inaptitudesmédicales (au poste) d’origineprofessionnelle et non professionnelle. Elle a aussi remodelé, d’aucuns diront bouleversé, l’organisation de la recherche dureclassementdusalariévictime.V.SFantoni,FHéas,PYVerkindt,Lasantéautravailaprèslaloidu8août2016,Drsocial2016.921

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ne dispense pas de constater que c’est d’abord au profit des premiers que lelégislateurestintervenu.La loi n°81-3 du 7 janvier 1981 avait en effet pour finalité de leur assurer unesituation plus favorable. Il faut en effet se souvenir que lorsque ce texte estadopté,l’inaptitudemédicaledusalariéestencoreunecausederupturedite«nonimputable»àl’employeur.Danscecontexte,l’instaurationd’unrégimespécifiqueàdestinationdesaccidentésdutravailrésultaitduconstatquel’entrepriseétantpeuouprouàl’originedel’atteinteàlasantéouàl’intégritéphysiquedusalarié,elledevait supporter des contraintes supplémentaires s’agissant de la recherche dumaintiendusalariédansl’emploi.Ainsi,quoiqu’expriméeduboutdeslèvres,l’idéed’une réparationvia la protection de l’emploi n’était pas absente de l’innovationlégislative.Ellen’apasdisparusil’onconsidèrelerégimeindemnitairespécifiquede l’absence de recherche de reclassement et de l’absence de reclassementlorsquel’inaptitudeauneorigineprofessionnelle3.Il n’y a donc rien d’incongru à examiner le rapport à l’emploi de la victimed’unrisque professionnel au prisme d’une exigence de réparation, si l’on veut bienconsidérerque lanotionde réparation renvoieaux idéesde remiseen l’état,dedédommagement et de compensation (sous une forme pécuniaire ou non) d’unpréjudice.End’autrestermes,encomplémentdelaréparationdesaccidentsdutravailetdesmaladiesprofessionnellesorganiséeauLivre IVduCodede laSécuritésociale,les dispositifs issus principalement du Code du travail destinés à favoriser lemaintiendansl’emploi, leretourdansl’emploiantérieurementoccupé,ouencoreenfinlaréinscriptiondanslemarchédutravailparticipentaussiàleurmanièreàlaréparationlato sensu durisqueprofessionnel.Ilsyparviennenten«sanctuarisant»lapériodedesuspensionducontratdetravail4etenrenforçantl’obligationfaiteàl’employeurderechercherlereclassementdusalariéinapte.Onverracependantque laprotectiondu liend’emploiest relativeetque l’exigencede recherchedereclassement, quoique que fortement sanctionnée, n’est pas incompatible, ils’en fautdebeaucoup,avec lemaintiendudroitde l’employeurdeprocéderaulicenciement.

I-SanctuariserlapériodedesuspensionducontratdetravailTandisquel’articleL1226-9duCodedutravailposeunprinciped’interdictionderompre lecontratpendant lapériodedesuspension, touten réservantquelquesexceptions que la jurisprudence tend à interpréter très restrictivement, l’articleL.1226-7opèreunedélimitationdelapérioded’emploiainsiprotégée.Nuldoutequelaprotectionquirésultedelacombinaisondecesdeuxtextesparticiped’unelogiquederéparationpourunsalariédontlasantéestatteinteparl’effetmêmedel’exécution de son contrat de travail.

3 C.trav., art. L 1226-13 à L 1226-174 C’est-à-direenassurantlemaintienduliend’emploi

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I.1/ L’interdiction de principe de rompre le contrat pendant la suspension du contrat de travailLe principe est clairement posé de la prohibition de toute rupture du contrat de travailpendantlapériodedesuspensionquicommencedèsl’arrêtdetravail.Àvraidire,lapériodeprotégéedébordeassezlargementdel’arrêtdetravailstricto sensu. Ellecommenceeneffetà la date de son établissementmais englobe non seulement le délai d’attente et la duréedustagederéadaptation,derééducationoudeformationprofessionnellequesuitl’intéresséenapplicationdel’avisétabliparlacommissiondesdroitsetdel’autonomiedespersonneshandicapéesainsiquelespériodesaucoursdesquelleslesalariésuitlesactionsd’évaluation,d’accompagnement, d’information et de conseil auxquelles la caisse de sécurité socialeparticipe5.Lapériodedesuspensionducontratprendfinaveclavisitemédicaledereprise,que les textesnouveauxn’ontpassuppriméeetqui resteobligatoiredans tous les casdemaladieprofessionnelleetlorsquel’accidentdutravailaconduitàunarrêtdetravaild’aumoins30 jours6.La sanctionest à lamesurede l’interdictionpuisque l’article L1226-13duCodedu travaildisposequetouteruptureprononcéependantlapériodedesuspensionestnulle,l’employeurétant dans l’obligation de faire droit à la demande de réintégration du salarié concerné.Ce dernier est libre de la demander et l’employeur ne peut lui reprocher de ne pas l’avoirdemandéenimêmedel’avoirrefuséesielleluiavaitétéproposée.Aucunargumentnepeutvenirs’opposeràlaréintégrationlaquelledoitêtreopéréedansleposteantérieurementoccupéet,s’iln’existeplus,dansunemploiéquivalentcomportantlemêmeniveauderémunération,lamêmequalificationetlesmêmesperspectivesdecarrière7.La réparation sous la formede remise en l’état est ici sans concessions ni limites commele rappelle une décision du 11 juillet 20128 Si le salarié ainsi licencié ne peut prétendre àl’indemnitédepréavis(saufconventioncollectiveplusfavorable),iladroit,danslecasoùilnedemanderaitpassaréintégration,nonseulementàl’indemnitédelicenciementmaisaussiàl’indemnitéconventionnelledelicenciement(silaconventioncollectivenel’exclutpas)ainsiqu’à la réparation intégraledupréjudicerésultantde l’illicéitéde la rupture9. Pour autant, la protectiondel’emploidusalariédontlecontratestsuspendun’estpassanslimites.

I.2/ Les limites de la prohibition de la ruptureLaprohibitiondelarupturen’estpasabsolueetilestpossiblederepérerdeslimitesrésultantde la lettre même de l’article L. 1226-9 du Code du travail et d’autres, tenant au champd’applicationdecetterèglementationspéciale.a) Les limites à l’interdiction de licencier résultant du texte

L’articleL1226-9duCodedutravailpermetàl’employeurderomprelecontratsoitenjustifiantd’une faute grave du salarié, soit en apportant la preuve de l’impossibilité demaintenir lecontrat«pourunmotifétranger»àl’accidentouàlamaladie.Forceestdeconstaterquenon

5 C. sec. soc. art. L 323-3-16 C. trav., art. R 4624-317 Casssoc25févr.1997,n°94-413518 Casssoc11juill.2012,n°10-23831,inéditdansuneespèceoùlejugedufondavaitcrupouvoirconsidérerquelapetitetaillede

l’entrepriseetleconflitentrelespartiesrendaientimpossiblelaréintégration9 Casssoc.,30nov2010,n°09-66210,Bull.civ.,V,n°272

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seulementlachargedelapreuvedeces«faitsjustificatifs»delarupturepèsesurl’employeurmaisqu’ausurpluslejugesemontretrèspeuréceptifàleuradmission.C’estainsiqu’unfaitisoléquoiquefautifnesauraitconstituerunefaute10suffisante.Quantàl’impossibilitédemaintenirlecontratappréciéenécessairementàladatede larupture, la jurisprudencetendà l’apprécier trèsstrictement.C’estainsiquesi la cessationd’activitéde l’employeurpeut la caractériser11, la seule existence d’unecauseéconomiquenesaurait laconstituer12.Onendéduiraaisémentquelalettredutexteetl’interprétationqu’endonnelejugeconduisentàprivilégierentoutescirconstances,lemaintienduliend’emploi.Leconstats’avèreplusmitigésil’onconsidèrelesrécentesévolutionsrelativesauchampd’applicationdurégimeprotecteur.

b) Les limites résultant du champ d’application du régime protecteur

Lechampd’applicationdelaprotectionspécialedessalariésaccidentésdutravailestlimitépartroisparamètresquiviennenttempéreràdesdegrésdiverslaforcedel’interdictionderompre.Participeraitainsidurenforcementdelaprotectiondel’emploi,lasolutionjurisprudentiellequi,toutenrappelantquel’employeurdoitêtreinforméducaractèreprofessionneldel’accidentoudelamaladie,acceptenéanmoinsque ladégradationde l’état de santédu salariéne soit quepartiellement liéeàl’accident du travail13.Ilenserademêmedelajurisprudencequiadmetl’applicationdurégimespécialdèslorsquel’employeuraconnaissancedufaitquelesalariéentendfairereconnaîtrelecaractèreprofessionneldufaitgénérateurdel’arrêtdetravail14.Enrevanche,laCourdecassationrappellerégulièrementqueseuleslesvictimesd’unaccidentdutravailoud’unemaladieprofessionnellesontéligiblesàlaprotection(lesvictimesd’accidentsdetrajetensontexclues).Plusambivalente,estlapositionadoptées’agissantdelanaturedelaruptureprohibée.Latendancegénéralede la jurisprudenceétait, jusqu’à récemment,dedonneruneamplitudecertaineà laprotectionenconsidérantque l’interdictionde rompre lecontratneconcernaitpasseulementlelicenciementmaisaussilaruptureencoursdepérioded’essai15oulamiseàlaretraite16.LaCourdecassationa,untemps,appliquélamêmesolutionauxrupturesd’uncommund’accordmaisellevientd’opterpourunesolutionradicalementinverseenmatièrederuptureconventionnelle.Elleaeneffetconsidéré en 2014que celle-ci était possible pendant la périodede suspensionprenantainsi uneattitudeen touspoints contraireà l’avisde l’administrationdutravailtelqu’exprimédansunecirculaireDGTdu17mars200917.

10 Casssoc26janv.2011,n°09-42117inédit(faitisolé),Casssoc29mars2017,n°15-29329inédit(faitsnonétablis)11 Casssoc15mars2005,n°03-43038,Bullciv.,V,n°8712 Casssoc21nov.2000,n°9842509,Bullciv.,V,n°381(«…nil’existenced’unecauseéconomiquedelicenciement

nil’applicationdescritèresdel’ordredeslicenciementsnesuffisentàcaractériserl’impossibilitédemaintenirlecontratpourunmotifnonliéàl’accident»).

13 Casssoc23sept2009,n°08-41685,Bull.civ.,V,n°192;Casssoc,7janv.2015,n°13-23059;comp.Casssoc16mars2016,n°14-25543inédit;

14 Casssoc9 juin2010,n°09-41040,Bull.civ.,V,n°131«… les règlesprotectricesapplicablesauxvictimesd’unaccidentdutravailoud’unemaladieprofessionnelles’appliquentdèslorsquel’inaptitudedusalarié,quelquesoitlemomentoùelleestconstatéeouinvoquée,a,aumoinspartiellement,pouroriginecetaccidentoucettemaladieetquel’employeuravaitconnaissancedecetteorigineprofessionnelleaumomentdulicenciement»

15 Casssoc12mai2004,n°02-44325,Bull.civ.,V,n°13216 Casssoc7mars2007,n°05-42279,Bull.civ.,V,n°4217 Casssoc,30septembre2014,n°13-16297comp.Circ.DGTn°2009-04du17mars2009

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II-ReclasserpourréparerLaréparationcomplètedesconséquencesdel’accidentoudelamaladieprofessionnelleimpliqueraitquelaruptureducontratsoitexclueenlamatièrepuisquec’estbienl’activitéquiestlacausedel’atteinteàl’intégritéphysiqueoumentaledusalarié,elle-mêmeàlasourcedel’inaptitudemédicaledusalariéconcerné.Laréparationquirésulteraitd’unmaintienenemploientrecependantencontradiction,avecledroitderésiliationunilatéraleducontratdetravailàduréeindéterminéeetdansunecertainemesureaveclesrèglesquis’appliquentàlaruptureanticipéeducontratàduréedéterminée.S’ilnefaitguèrededoutequelaréintégrationd’unsalariédontl’aptitudemédicalen’apasétéatteinteparl’accidentoulapathologies’impose,l’inaptitudenedonnenaissancequ’àuneobligationderechercherlereclassementdusalarié.Cette exigence, quoique renforcée au fil du temps par la jurisprudence n’en demeure pasmoinsuneobligationdemoyensetlapreuveparl’employeurdel’impossibilitédereclasserlesalariévictimelégitimera,lecaséchéant,laruptureducontrat.

II.1/ La réintégration du salarié apteJusqu’àlamiseenœuvredelaloidu8août201618,l’articleL.1226-8disposaitquesilesalariéétaitdéclaréapteparlemédecindutravail,ildevaitretrouversonemploiouunemploisimilaireassorti d’unerémunérationéquivalente.Depuis la réforme, la référenceà l’avisd’aptitudeadisparuetletextepréciseplussobrementqu’«àl’issuedespériodesdesuspension,lesalariéretrouvesonemploi…».Onnesauraitmieuxexprimer l’idéeque l’aptitudeestaujourd’huileprincipe, l’inaptituderésultantdésormaisd’unedécisionconsécutiveàuneprocédurequedétaille l’article L. 1226-10 du Code du travail.L’obligationquipèsesurl’employeurestuneobligationderéintégrationdansl’emploiantérieuretsicetemploin’existeplusoun’estplusvacant,laréintégrationdoits’opérerdansunemploi«similaire»de l’emploi, assorti d’une rémunérationéquivalente.Sur le caractèresimilaire,unedécisiondu24mars201019permetdemontrerlaprécisionattenduedujugedufondenlamatière.LaCourdecassationvaainsiconsidérerque lamodificationdupointdedépartdelatournéedelivraison(avantlasuspensionlesalariéprenaitsonserviceàAubagneprèsde sa résidenceet après la suspension, l’employeur lui demandait de prendre son servicedansleterritoiredeBelfortpoureffectuerlamêmetournée)nepermettaitpasdeconsidérerquel’emploi,dontlescaractéristiquespurementtechniquesn’étaientpasmodifiées,étaitbienun emploi similaire.Au surplus, la rémunération et les perspectives de carrière du salariédoiventêtreéquivalentes.Cettesolutionassociéeàl’idéequ’enaucunemanière,lesalariénedoitsubirdufaitdesconséquencesdel’accidentoudelamaladieprofessionnelle,unretarddanssapromotionoud’avancementdans l’entreprisemontreassezqu’en réalité,pèsesurl’employeuruneobligationd’avoirsinonàrépareraumoinsàassumerlesconséquencesd’unfaitdommageablesurvenu«parlefaitouàl’occasiondutravail».

18 C’est-à-diredepuisle1er janvier 2017. 19 Casssoc.,24mars2010,n°09-40339,Bull.civ.,V,n°72

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II.2/ La recherche de reclassement du salarié inapte et le sort du salarié non reclasséDès l’instant où le salarié est déclaré inapte à son poste de travail par lemédecin du travail, l’employeur devient débiteur d’une obligation de rechercherle reclassement. Cette recherche est encadrée de diversesmanières que la loidite Loi Travail amodifiées.Elledoit s’opérerdansundélaid’unmoiscalculéàcompterde l’examenmédicaldereprisedutravail.Àdéfautdereclassementoudelicenciement,l’employeurdoitreprendreleversementdusalairecorrespondantà l’emploioccupépar lesalariéconcernéavant l’arrêtdetravail20. En l’état de la jurisprudenceantérieureàl’adoptiondelaloidu8août2016,laCourdecassationavaitsensiblementdurcilesexigencesenmatièrederecherchedereclassementsanspourautantenfaireuneobligationderésultat.C’estainsiqu’elleavaitfaitdelaconsultationdesdéléguésdupersonnel21uneformalitésubstantielledontlaviolationconduisaitàl’applicationdeslourdesindemnitésprévuesàl’articleL.1226-15duCodedutravail.C’estainsiencorequ’elleavaitétendulepérimètredelarecherchedereclassementau-delàdelaseuleentreprise,verslegroupeparmilesentreprisesdontlesactivitésetl’organisationpermettaientlapermutationdutoutoupartiedupersonnel.Enfin,lejugesemontraittrèsvigilantsurlacorrespondanceentrelespréconisationsdumédecindutravailquel’employeursedevaitdesolliciteret, lecaséchéant,defairepréciseretlepostedereclassementproposé22.Unmouvementde repli oude temporisation semblenéanmoinssedessinerquiaffecte tant la jurisprudence que la règlementation. À propos de la première,particulièrementsignificatifssemblentêtrelesarrêtsrendusparlaCourdecassationle23novembre201623quipermettentàl’employeurdetenircomptedelapositionmêmeimplicitepriseparlesalariépourlimiterlepérimètredereclassement.Parailleurs,laloidu8août2016amodifiéenprofondeurlaprocéduredeconstatationde l’inaptitudemédicale ainsi que les mécanismes de contestation de l’avis dumédecindutravail.Onn’y reviendra pas ici24 sauf pour rappeler que, si, pas plus qu’auparavant leCodedutravailnedéfinitl’inaptitude,ilenoffredésormaisunesortededélimitationimplicite. En effet, l’article L. 4624-4 duCode du travail prévoit que lemédecindutravaildéclare letravailleur inapteàsonpostedetravailaprèsavoirconstatéqu’aucunemesured’aménagement ,d’adaptationoude transformationdupostedetravailn’estpossibleetquel’étatdesantédutravailleurjustifieunchangementde poste de travail. Par ailleurs, la procédure de constatation de l’inaptitude,

20 C. trav., art. L 1226-11 21 Alorsréservéeauxseulesinaptitudesd’origineprofessionnelle(pouruneillustration,Casssoc25mars2015,n°13-

28229,publié)22 Audemeurant,unavisd’inaptitudeàtoutemploiouleclassementdusalariéendeuxièmecatégoried’invaliditéne

suffisaientpasàallégerl’obligationderechercherlereclassement(Casssoc.,19oct2005,n°02-46173,Bull.civ.V,n°293;Casssoc,10févr.2016,n°14-16148inédit)

23 Casssoc23nov2016,n°15-18092et14-26398tousdeuxpromisàlapublicationauBulletin24 SFantoni,FHéas,PYVerkindt,Lasantéautravailaprèslaloidu8août2016,Drsocial2016.921;LMazonetM

Loiselet,Réformedel’inaptitudemédicale:versunnouveléchecdesimplification?,SSLamy,2017,n°1761,p.6;AGardin,Laréformedesrèglesrelativesàlasantéautravail:entreombresetlumières,RJS2017,p.275;MLedouxetAGodefroy,Lasécurisationrelativedelaprocédured’inaptitude,RJS2017,p.93

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qui ne requiert plus nécessairement deux examensmédicaux espacés de deuxsemaines25,laisseplacedésormaisàaumoinsdeux«échanges»entrelemédecindu travail, l’employeur et le salarié pour le premier, entre lemédecin du travail et lesalariépourlesecond26.Sousl’angledelaréparationparl’améliorationdelarechercheduretourdansl’emploi,ondoitconstaterquelaloin°2016-1088du8août2016soufflelefroidetlechaud.Quelavolontéd’améliorer le reclassementdusalariésoitprésentedans lesprojetsà l’originedu textenefaitguèrededoutesil’onconsidèrelesoinaveclequellelégislateuraprécisélesconditionsdudialoguepréalableetpostérieuràl’avisd’inaptitude.Demême,participentdecetobjectif,l’obligationfaiteaumédecindecomplétersonavisd’inaptitudepardes«indicationsrelativesaureclassementdutravailleur»27ainsiquecelle,imposéeàl’employeurcettefois,deprendreencomptel’avis,lesindicationsoulespropositionsdumédecindutravailetdefaireconnaîtreparécritlesmotifsquis’opposentselonluiàcequ’ilysoitdonnésuite28.Cependant,l’organisationdéplorabledesrecourscontrel’avisportantsurl’aptitude29ainsiquelapossibilitédonnéeaumédecindutravaildefermerdèssonavis,lavoiedelarecherchedureclassementnepeutqu’engendreruneinquiétudecertainequelapositiontrèsstricteadoptéejusqu’àprésentparlaCourdecassationnetempèrequepartiellement.C’estainsiqueselon l’articleL.1226-12duCodedu travail, lemédecinpourramentionnerexpressément dans son avis que tout maintien dans l’emploi du salarié serait gravementpréjudiciableàsasantéouquel’étatdesantédusalariéfaitobstacleàtoutreclassement.Mêmesi l’onpeutadmettrequeparfois,notammentenprésencederisquespsychosociauxgraves,lasortiedel’entrepriseconstituelaseulesolutionpourévitertoutedérivemortifère,onnepeutques’inquiéterd’unetelledispensederecherchedereclassement.Onpeutpensercependantquelesmédecinsdutravailn’utiliserontcettefacultéqu’aveclaplusgrandeprudence.Plusinquiétanteestsansdoute,l’affirmationparl’alinéa3del’articleL.1226-12duCodedutravailque l’obligationdereclassementest réputéesatisfaite lorsque l’employeuraproposéunemploiausalariédanslesconditionsviséesparl’articleL.1226-10duCodedutravail30, étantpréciséquecetemploidoitêtreaussicomparablequepossibleàl’emploiprécédemmentoccupé. Le sens à donner à cette disposition nouvelle (que l’on retrouve au demeurant àl’articleL.1226-2-1duCodedutravailpourlesinaptitudesd’originenonprofessionnelle)n’estpastranchéetilfaudraattendrel’interprétationjurisprudentiellepourmesurerl’intensitédecequiressembleàs’yméprendreàuneprésomption.Sil’onconsidèrequelarecherchedureclassementdusalariévictimed’unaccidentdutravaildanssonposte(lecaséchéantadaptéouaménagé)oupluslargementdansl’emplois’analysecommeunélémentdelaréparationdespréjudicesrésultantd’unaccidentdutravailoud’une

25 C. trav., art. R 4624-31 ancien26 C.trav.,art.L4624-4etL4624-5dansleurrédactionissuedelaloidu8août2016,v.aussiledécretn°2016-1908du27décembre

2016 (C. trav., art. R 4624-42 et s.) 27 C. trav., art. L 4624-4 in fine 28 C . trav., art. L 4624-629 Surlesujet,v.MLedouxetAGodefroy,op cit. 30 L’employeurdoitproposerunautreemploiausalariéappropriéàsescapacitésensefondantsurlesconclusionsécritesdumédecin

dutravailetlesindicationsqu’ilformulesurlescapacitésdusalariéàexercerunedestâchesexistantdansl’entrepriseainsiquel’aptitudedusalariéàbénéficierd’une formation lepréparantàoccuperunposteadapté. Ildoitaussiconsulter lesdéléguésdupersonnel.

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maladieprofessionnelle,l’ampleurdessanctionspécuniairesattachéesàlaviolationde l’obligation de reclassement se justifie pleinement, tout comme se justifie ladifférencedetraitementdusalariédevenumédicalementinapteàsonpostepourdes raisons autres que professionnelles.Ces sanctions n’ont pas étémodifiéesparlaloidu8aout2016etsontdifférentesselonquel’employeurarespectésonobligationounon.Si l’employeur justifiede l’impossibilitédeproposerunemploiconformeauxpréconisationsdumédecindutravailous’ilpeutseprévaloird’unementionexpresseduditmédecindanssonavisd’inaptitudeécartanttoutmaintiendans l’emploi, ilpourras’engagerdans lavoiede la ruptureducontratàchargepourluideverseruneindemnitéspécialedelicenciementainsiqu’uneindemnitééquivalente à l’indemnité compensatrice de préavis31. Dans le cas où le salariérefuserait le reclassement proposé dès lors que cette proposition répond auxexigenceslégales,cesindemnitéssontduessaufsilerefusdusalariéestconsidérécommeabusif.Enrevanche,ladéfaillancedel’employeurdanslapropositiondereclassement emporte des conséquences autrement plus importantes. En effet,et sauf réintégration que ni le salarié ni l’employeur ne sont dans l’obligationd’accepter, l’indemnitéoctroyéeparlajuridictionsaisieseraauminimumégaleàdouzemoisdesalairesetviendracompléterl’indemnisationprévueparl’articleL1226-14rappeléesupra32.Pourautant, l’importancedelarecherched’unreclassementdansl’entreprisenesaurait faireoublierque le retourdusalariéaccidentédu travailouatteintd’unemaladie professionnelle doit aussi être recherché dans l’emploi. Au-delà desinitiativesprisespar lesentrepriseselles-mêmes, c’est plusglobalement la luttecontre le risque de désinsertion professionnelle qui doit être privilégiée commel’indiquaitlaproposition27duRapportIssindou33.Lapriseencomptedecerisqueet sa prévention apparaissent explicitement parmi lesmissions des services desanté au travail34maislesdispositifsderéadaptationfonctionnelleetderééducationprofessionnelle en vue d’un reclassement professionnel35 requièrent la mise enœuvre d’outils adaptés36 ainsi que l’intervention et la coordination de nombreuxacteurs aux statuts variés37. Faut-il rappeler ici que laConvention d’Objectifs etdeGestionde labrancheaccidentsdu travailetmaladiesprofessionnellespourla période 2014-2017 comportait un programme d’actions associées, destiné àrenforcerlapréventiondeladésinsertionprofessionnelle?

31 C. trav., art. L 1226-14 alinéa 2 32 Surlemodecalculdel’ensembledecesindemnités,v.C.trav,art.L1226-16.Lesortdusalariésouscontratàdurée

déterminéeestnettementmoinsfavorablepuisquel’articleL1226-20duCodedutravailécartel’applicationàsonprofitdesarticlesL1226-14àL1226-16.

33 Loc cit. 34 C.trav.,art.L4622-2,2°35 C.secsoc,art.L432-9,L323-3etR323-3;aussiCsecsocart.R481-236 Ainsiducontratderééducationprofessionnelleenentreprisequipeutdanscertainscasprendrelasuited’unereprise

dutravailàtempspartielthérapeutiqueoudelaformationréaliséeencentrederééducationprofessionnelleouencentredepré-orientationprofessionnelle

37 Les organismesde l’assurancemaladie (servicemédical, service socialCARSAT,…), l’AGEFIPHet leServiced’appuipourlemaintiendansl’emploidestravailleurshandicapés(SAMETH)ouencorelaMaisondépartementaledesPersonnesHandicapées(MDPH)etlaCommissiondesdroitsetdel’autonomiedespersonneshandicapéespourneciterquequelquesacteursd’unelongueliste.

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L’attentionlégitimementportéeàlaréparationdespréjudicesrésultantpourlesalariéd’unaccidentdutravailoud’unemaladieprofessionnelle, lescontentieuxauxquelscetteréparationconduitparfoisallant jusqu’auxplushautes juridictionseuropéennes38 nesauraientocculterlefaitquelemaintienouleretourdansl’emploilato sensu fontpartieintégranted’une réparationadaptéeà lasociétécontemporaine.Nonseulementparcequel’emploi et le travail participent parfois de l’efficacité de la thérapie mais aussi parce qu’ildemeure,quoiqu’ondiseparfois,unélémentessentieldelareconnaissancesociale.

38 V. par exemple l’arrêt de laCour européennedesdroits de l’hommeestimant que le système français de réparationdu risqueprofessionneln’étaitpasdiscriminatoireausensdel’article14delaConvention(CEDH12janvier2017,req.74734/1JCPS2017,1054noteDAsquinaziBailleux)

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Réparationintégrale,FIVA,CAPAT/MPPar Agnès Plassart, Directrice du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante

Mme Plassart, énarque, est directrice du FIVA depuis mai 2013, après avoir été pendant huit ans déléguée du groupement d’intérêt public « Santé, protection sociale international » (SPSI). Elle fut également pendant cinq ans directrice-adjointe de la Caisse autonome nationale de la Sécurité sociale dans les mines.

La création du Fonds d’indemnisation représente une évolution importante dans la priseen charge de risques naturels ou sociaux pour des dommages ne se rattachant à aucuneresponsabilité(aléasthérapeutiques)oulorsquelaresponsablen’estpasidentifiée(terrorisme)ou encore pour répondre à l’apparition de nouveaux risques comme pour l’inhalation depoussièresd’amiante.

Ces Fonds sont relativement récents et c’est notamment le cas du Fonds d’IndemnisationdesVictimesdel’AmiantemisenplaceparlaloidefinancementdelaSécuritésocialepour2001etledécretdu23octobre2001.CeFondsviseàaccorderuneréparationintégraledespréjudicessubis,tantpourlespersonnesatteintesd’unemaladieprofessionnellereconnueautitredelalégislationquecellesétantatteintesd’unemaladieliéeàleurexpositionàl’amianteouencorecellesayantsubiunpréjudicerésultantd’uneexpositionàl’amiantesurleterritoirefrançais.Cetteréparationestégalementouverteauxayantsdroitdesvictimes.Cedispositiftrouvesonoriginedanslavolontédespouvoirspublicsd’assureruneindemnisationrapideauxvictimesd’unecatastrophemajeureets’ajouteà laréparationforfaitaireofferteauxsalariésdanslecadredelalégislationdesMaladiesProfessionnelles.CettemissionderéparationdespréjudicesestlecœurdemétierduFIVA,elleviseàprésenteruneoffredansundélairapideenévitantuneprocédurecontentieuselongueetcomplexe.

L’essentieldesactivitésdel’Établissementestainsiconsacréàl’instructiondesdemandes,deleurréceptionàl’envoiauxvictimesouàleursayantsdroitdesdécisionsrelativesàleursdroitsetindemnisations.LeFIVAassureensuitelepaiementdesoffres,ainsiqueletraitementdeséventuelscontentieuxengagéspar lesdemandeurs,encontestationdesdécisionsrelativesà l’indemnisation.Unefoissubrogédanslesdroitsdesdemandeurs,selonlestermesdelaloi du 23 décembre 2000, le FIVA a également pourmission d’agir contre les employeursresponsables.

Plusdequinzeansaprèssacréation,leFondsaprisencharge94562victimesdel’amianteet150314autresdemandesontétéenregistrées(dont137487demandesd’ayantsdroit).

I-Uneindemnisationcomplète,originale,avecunsystèmeàdeuxétagesEnmatièred’indemnisationdesvictimesatteintesdepathologiesliéesàl’amiante,lesystèmereposesurdeuxdispositifsdistinctsquipeuventsecumuler: l’indemnisationparlabranche

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AccidentsduTravail-MaladiesProfessionnelles (AT-MP)et l’indemnisationpar leFIVA.LabrancheAT-MP indemnisedirectement lessalariésatteintsdemaladie liéeàl’amiantedans lecadredesdispositionsspécifiquesrégissant lapriseenchargedesmaladiesprofessionnelles.Dèslorsquelamaladiecorrespondàl’unedecellesquifigurentdanslestableauxdeMaladiesProfessionnelleset que lapersonnesatisfait à certaines conditionsposéesparlesmêmestableaux,leliendecausalitéentrel’exerciceprofessionneletlamaladieestréputéacquis:lavictimenesupportepaslachargedelapreuveetellen’apasàengagerd’actionenjusticeniàmettresonemployeurencausepourêtreindemnisée.LorsquelecaractèreprofessionneldelamaladieestainsireconnuparsaCaissePrimaired’AssuranceMaladie,lavictimebénéficied’unepriseenchargeà100%des dépenses de soins et, en cas d’arrêt de travail, d’indemnités journalièresmajoréesparrapportàunemaladieordinaire.Enoutreellepeutpercevoir,encasd’incapacitépermanente,uncapitalouunerenteselonletauxdedéficitconstatédepuisladatedeconsolidationdelamaladie.Cetteindemnisation,effectuéesurunebaseforfaitaire,portesurunnombrelimitédepréjudicesdontlalisteestétablieparleCodedelasécuritésociale.L’employeurestexonérédesaresponsabilité,saufencasdefauteinexcusable.Ilpeuteneffetêtrereconnufautifencasdemaladieprofessionnelle,àl’issued’uncontentieuxquirelèvedesTribunauxdesAffairesdeSécuritésociale.Si lafauteinexcusabledel’employeurestreconnue,lavictimebénéficied’uneindemnisationmajorée.Letauxdelarentepourincapacitépeutalorsêtredoubléetdespréjudicescomplémentaires causés par des souffrances physiques, morales, esthétiquesou d’agrément peuvent être indemnisés au-delà des seuls préjudices d’ordreéconomiqueetprofessionnel.LeFIVAindemniselesvictimesetlesayantsdroitselonleprincipedelaréparationintégrale, en articulation avec la pratique de la branche professionnelle del’AssuranceMaladie.L’indemnisationservieparleFIVArepose,pourlaplusgrandepartie,surlamêmegrilledepostesdepréjudicesquecellequiestintégréeauCodedelasécuritésociale,enyajoutantlespréjudicesprévusparlebarèmeduFIVA.LespréjudicesindemnisésontétédéfinisparleConseild’administrationduFIVA,compétentàcesujetenvertudelaloiquil’institueàpartirnotammentdesdécisionsde justice.Cette liste est différente de celle retenue par leCode de la sécuritésocialepourlaréparationdesMaladiesProfessionnelles.Ellesedifférencieaussienpartiedelanomenclaturequisertderéférencedepuis2005àl’ensembledesjuridictionsciviles(nomenclaturedite«Dintilhac»)danslecadredel’indemnisationdesdommagescorporels.

II-UndoublebarèmemédicaletindemnitaireLeConseild’administrationaadoptédeuxbarèmes (médicaletd’indemnisation)pourrépondreplusprécisémentauxsituationsspécifiquesdesvictimesdel’amiante.

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L’adoption de ces barèmes poursuivait le double objectif de cohérence dans lapriseencomptedespréjudices indemnisésetd’égalitéde traitementdesvictimesdel’amiantesurl’ensembleduterritoire.Pourautant,leprincipemêmedelaréparationintégrales’opposeàcequecesbarèmessoientrigidesauregarddespréjudicessubisparlavictime.C’estpourquoilesréférentielsduFIVAnesontqu’indicatifs.IlrésultedesbarèmesadoptésparleConseild’administrationduFIVAsixapportsfondamentaux:

lafixationd’untauxIBF(IncapacitéBarèmeFIVA)debaseselonlapathologieconstatéeetce,enl’absencemêmedetoutretentissementfonctionnel.Cetauxestd’embléede5%pourlesplaquespleuralesetde100%pourlescancers;

pareffetdelaloi(article53IVdelaloin°2000-1257du23décembre2000),lanotiondeconsolidationn’interfèrepasdans l’évaluationdespréjudicespar leFIVA, le tauxd’incapacitéétantalorsfixédèsladatedediagnosticcertaindelapathologie;

l’acceptationduprincipederentescommebasedecalcul,ycomprispourlespetitstauxd’incapacité;

unetabledemortalitéspécifique,actualiséeetasexuée; ladéfinitiond’unpréjudicemoralspécifiqueauxvictimesdel’amiante; l’âgecommefacteurdevariationdespréjudicesextrapatrimoniaux.

Il convient de rappeler également que pour les préjudices patrimoniaux (ou économiques),iln’yapasdebarèmepuisqu’ils’agitdeprendreencomptelaréalitéfinancièreconsécutiveà lapathologieen lienavec l’amiante : fraisdesanté restantàchargede lavictime, tiercepersonne,aménagementdevéhicule,dulogement,fraisdedéplacement...Chaquesituationest appréciée au cas par cas sur justificationmédicale et sur présentation des justificatifsrapportant lapreuvedecettenouvellechargefinancière.Enmatièredepertederevenu, lebarèmed’indemnisationduFIVAacependantfixéquelquesorientations.

II.1/ Le barème médicalLebarèmemédicalduFIVAprendencomptelescaractéristiquesspécifiquesdesdifférentespathologiesgénéralementassociéesàl’amiante.

LebarèmemédicalduFIVAretientuntauxdebasepourchaquepathologie.Ce taux minimum est fixé dès le diagnostic de la maladie même si elle ne cause pas de détérioration des paramètres fonctionnels,alorsqu’enDroitCommun,seulslespréjudicesfonctionnelsréellementconstatéssontprisencompte.Cetauxdebasenepeutêtreinférieurà5%:

pour les fibroses : 5% pour les plaques pleurales, 8% pour les épaissis-sementspleurauxet10%pourlesasbestoses.Enfonctiondessymptômesetdel’insuffisancerespiratoire(mesuréeselonlebarèmeduHautComitéMédicaldelaSécuritésociale)constatés,untauxsupérieurpeutêtresubstituéàcestauxdebase.

pourlescancers,letauxd’incapacitéestfixéd’embléeà100% pour lesmésothéliomes et les cancers broncho-pulmonaires non opérables, le tauxd’incapacitéde100%estfixéàtitredéfinitif;

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encasd’opérationentraînantuneaméliorationdel’étatdesanté,unepremièreréévaluationestfaitedeuxansaprèslediagnostic:silecancern’apparaîtpasévolutif,unnouveautauxd’incapaciténepouvantêtreinférieurà70%estfixé.Uneseconderéévaluationpeutintervenircinqansaprèslediagnostic:silecancern’estpasévolutif,unnouveautauxd’incapacitédéfinitifestfixéenfonctiondel’insuffisancerespiratoireséquellaireconstatée.

S’écartant dubarèmedu régimegénéral de laSécurité sociale et desbarèmesgénéralement utilisés en Droit Commun de la réparation du préjudice corporelqui sont insuffisamment précis pour décrire les conséquences fonctionnelles, lebarèmemédicalduFIVAapparaîtaussinettementdérogatoirecarilestspécifiqueauxpathologiesde l’amiante :un tauxminimumestaccordéselon lapathologieconstatéeetlaconsolidationestsansincidencedanslafixationdutauxd’incapacitédèsladatedediagnostic.

II.2/ L’indemnisation des victimesA- L’indemnisation de l’incapacité fonctionnelleEnréparationintégrale,l’incapacitémesureletauxdudéficitfonctionnelséquellaire,donc le préjudice physiologique associé. En application du barèmemédical duFIVA,sonimportanceestdéterminéeenfonctiondutauxd’incapacité.

a) L’assiette de la rente à 100 %

La rente FIVA à 100 % est de 19 015 € au 1er avril 2017. L’assiette de la rente FIVA estsystématiquementrevaloriséedanslesconditionsprévuesàl’articleL.341-6duCodedelasécuritésociale(annuellementoubi-annuellement).L’assiettedelarenteduFIVAn’estaujourd’huiquerésiduellementcontestéeparlesvictimesdel’amiante.Elleaétévalidéeparl’essentieldesCoursd’appelayantrégulièrementeuàseprononcerencontentieuxindemnitaire.Commecelaestcourammentadmisenmatièrederéparationdupréjudicecorporel(Code de la sécurité sociale, référentiel indicatif régional de l’indemnisation dudommagecorporel)etcommel’ontfaitd’autresétablissementsdontlamissionestfondéesurlasolidariténationale(ONIAM,FGTI,FGAO),leConseild’administrationduFIVAaadoptéunprincipeprogressifdelavaleurdupointderenteenfonctionde lagravitédesconséquencesde l’atteinteà l’intégritéphysiquede la victime.Lamotivation principale est qu’il n’y a pas de stricte proportionnalité entre unemaladiebénigneet unemaladiemaligne.Eneffet, la naturedupréjudiceet lesconséquencesobjectivesdespathologiesmalignessontsanscommunemesureparrapportauxpathologiesbénignes.Envertudece«principedeprogressivité»,lavaleurannuelledupointderenteestpondéréeàmesuredel’augmentationdel’incapacitécommel’illustreletableausuivantdétaillantlesmontantsdéterminésparleFIVAenréparationdupréjudice

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d’incapacitéfonctionnelle(valeurau1er avril 2017).

Taux d’incapacité 5 % 10 % 15 % 20 % 25 % 30 % 35 % 40 %

Rente FIVA* par an 475 € 1 001 € 1 576 € 2 202 € 2 877 € 3 603 € 4 378 € 5 204 €

Taux d’incapacité 45 % 50 % 55 % 60 % 65 % 70 % 75 %

Rente FIVA* par an 6 080 € 7 006 € 7 982 € 9 007 € 10 083 € 11 209 € 12 385 €

Taux d’incapacité 80 % 85 % 90 % 95 % 100 %

Rente FIVA* par an 13 611 € 14 886 € 16 213 € 17 589 € 19 015 €

* Valeurs au 1er avril 2017.

LeConseild’administrationduFIVAadécidéqu’encasderenteannuelleinférieureà500€,celle-cidevraitêtreverséeencapital.LacapitalisationduFIVAaétémiseàjouren2012,puisen2013,parleConseild’administration.LeFIVAaeneffetàcœurdeprendreencomptedesparamètresactualiséssurlabasedesprincipesadoptésen2003.Ilaainsifaitlechoix:

d’une table de capitalisation asexuée:enintégrantl’espérancedeviedesfemmes,la tableadoptéeestparticulièrement favorableauxvictimesmasculinesde l’amiantereprésentant91%desdemandeursauFIVA;

d’une table de mortalité fondée sur les projections pour l’année 2012 établie par l’INSEE dans la table 2007-2060 : anticipant la progression de l’espérance de viejusqu’en2060,lamortalitéretenueestnécessairementplusfavorablequecelleutiliséeparlescontradicteursduFIVApourlapopulationmasculine(tablepubliéeparlaGazetteduPalais2013,puis2016);

d’un taux d’intérêt de 1,29 % par référence à celui retenu dans les tables de la CNAMTS actualisées par arrêté du 19 décembre 2016.

b) Les autres préjudices extrapatrimoniaux (moral, physique, d’agrément et esthétique)

LeConseild’administrationduFIVAadéfinilesprincipauxchefsdepréjudicesadmisenDroitCommunen lesadaptantaucasparticulier de l’amiante.Chaquepostedepréjudiceaétévolontairement individualiséafindereconnaître laspécificitédesdommagesrésultantd’uneexpositionàl’amiante.L’indemnisation du préjudice moralparleFIVAluiconfèreuneplaceprépondérantedanslaréparationtotaleproposée.Ils’agitd’insistersurlecaractèrespécifiquedecepréjudicechezlesvictimesdel’amiante,liénotammentàlacraintededévelopperunemaladiepéjorativeouàlacrainted’undécèsprématuréauregarddel’évolutivitédelapathologie.Cettespécificitédupréjudicemoraladmiseparlebarèmeestindemniséeenplusdel’impactpsychologiqueliéà

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touteaffectionselonsagravitéetselontroisniveauxdeprogressivité:

niveau1:lacraintededévelopperuncancerchezlespersonnesatteintesdemaladiesnonmalignesduesàl’amiante;

niveau 2 : l’angoisse liée à la sensation d’étouffement en cas de déficitrespiratoiregrave;

niveau 3 : la perspective de lamort à court oumoyen terme.Ce niveauconcerneenpremierlieulespersonnesatteintesdecancerdontlepronosticvitalestencauseàcourttermeainsiqu’encasdedéficitrespiratoiresévère.

Cettedéfinitiondupréjudicemoralestàdistinguerdupréjudicespécifiqued’anxiétédestravailleursdel’amianteadmisparlaCourdecassation.Cederniern’estqu’unpréjudice d’exposition indemnisant l’« inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante».Iln’estdoncpasliéàlasurvenanced’unemaladieetn’apasvocationàêtreprisenchargeparleFIVA.

II.3/ L’indemnisation des ayants droitOutre l’indemnisation au titre de l’action successorale, calculée sur les mêmesbasesquecellequiauraitétéverséeà lavictimedesonvivant, lesayantsdroitpeuventsolliciterl’indemnisationdeleurspréjudicespersonnels.Lanotiond’ayantdroitadmiseparleFIVAreposesurlaproximitéaffectiveettientcomptede la diversité des liensaffectifs.Elle est doncplus largeque la notiond’ayantdroitadmiseparleCodedelasécuritésociale.

Lespréjudicesmoraletd’accompagnement

Lepréjudiceextrapatrimonialdesayantsdroitestconstituéd’unpréjudicemoraletd’unpréjudiced’accompagnement.Cedernierestentendu largementpuisqueleFIVAn’exigepas lapreuved’unecommunautédeviecompte tenudu liendeparentéétabli.Enrevanche,lebénéficiairedupréjudicedoitêtrevivantaumomentdudécèsliéàl’amiantedelavictimedirecte.

Pardélibérationdu22avril2008,leConseild’administrationarevaloriséde8,7%lebarèmequ’ilavaitarrêtéen2003(délibérationdu21janvier2003).Lesvaleursenvigueursontlessuivantes:

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Décès Accompagnement Total

Conjoint 23 900 € 8 700 € 32 600 €

Enfantdemoinsde25ansaufoyer 16 300 € 8 700 € 25 000 €

Enfantdeplusde25ansaufoyer 9 800 € 5 400 € 15 200 €

Enfant hors du foyer 5 400 € 3 300 € 8 700 €

Parent 8 700 € 3 300 € 12 000 €

Petits-enfants 3 300 € 3 300 € 3 300 €

Fratrie 3 300 € 2 100 € 5 400 €

En outre, les proches qui subissent un préjudice patrimonial lié au décès de la victime(notammentlapertederevenuduménage)peuventobteniruneindemnisationsousréserved’apporterlapreuvedelapertefinancièreréelle.

ConclusionLereculdequinzeansdepratiquedubarèmeduFivapermetdetirerquelquesenseignements,notammentauregarddesobjectifsrecherchéslorsdelacréationduFondsetdelamiseenplaced’uneréparationintégraledanslasphèrepubliquedelaprotectionsociale:

aprèsunephaseintensedecontentieux,lescontestationsdesoffresontdiminuétantennombrepouratteindre 5%desoffresen2016,qu’enmontant (lescomplémentsversésau titredes coursd’appel représententmoinsde4%en2016desdépensesd’indemnisation).Cetteévolutionrésultedela jurisprudencedelaCourdeCassationqui apermisde clarifier un certainnombredequestionsd’importanceen rappelantnotammentleprinciped’interdictiondeladoubleindemnisationpourunmêmepréjudiceoulajurisprudencedescoursd’appelsurlaprogressivitédelavaleurdupointderente.LesarrêtsdelaCourdeCassationontainsitaridessourcesimportantesdecontentieux.

le barème clarifié par la jurisprudence de la Haute Cour est désormais stabilisé etconstitueuneréférenceadoptéeparlesjuridictionsetlesdifférentespartiesprenantes,commeen témoigne l’évolutionà labaisseducontentieux.Cettesituation traduitunconsensus implicite sur un barème au service d’une réparation rapide, équitable etgratuitedesvictimesetdeleursayants-droitcequiétaitl’intentiondulégislateur.

cettearrivéeàmaturitédubarèmepermetégalementd’identifierlesélémentsquiluiontpermisdes’inscriredansladurée.Lamiseenplacedeceréférentiels’esteffectuéeauplusprèsdelaréalitédespréjudicessubisparlesvictimesetayants-droitreprésentésauseinduconseild’administrationquil’amisenplaceenlevotant.Deplus,lacotationdespréjudicesestadosséeàunbarèmemédicalsui generisquipermetd’évaluerauplusprèslespathologiesetleurévolution.

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cetétatdes lieuxdoit toutefoisêtrereplacédans lecontexteplusgénéraldes réflexions et comparaisons récurrentes menées sur les niveauxrelatifs fixés par les différents barèmes d’indemnisation des victimes, lesconditionsdel’évaluationmédicaledudommagecorporeletdel’évaluationjuridique et monétaire des préjudices. Ce qui nécessiterait de nouveauxdéveloppements...

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Lamiseenperspectivedel’évaluationdel’invaliditéetdel’incapacitépermanentePar Marion Del Sol, professeur de droit à l’Université de Rennes 1 et directrice du laboratoire IODE

Marion DEL SOL est professeur de droit à l’Université de Rennes 1 et directrice du laboratoire IODE (UMR CNRS 6262). Spécialiste de droit de la protection sociale, elle codirige la chronique Protection sociale complémentaire dans la revue Droit social (éd. Dalloz).

Endroitfrançaisdelasécuritésociale,l’invaliditérenvoieàuneincapacitédetravail–définitiveou«stabilisée»–d’originenonprofessionnelleou,plusexactement,nonsusceptibled’êtrepriseenchargeparlabranche«accidentsdutravail–maladiesprofessionnelles»(ci-aprèsATMP),maiségalementnoncongénitale.L’incapacitépermanenteestquantàelleunenotionquis’inscritdanslechampdesATMP.

Onlevoit, ledroitde lasécuritésocialedéveloppeuneapprochecausalistedesaltérationsdéfinitivesoustabiliséesdelasantésusceptiblesd’emporterunepriseenchargedelavictime.Celasetraduitparlacoexistenced’unevoiedédiéeauxproblèmesdesantédontunaccidentdu travailouunemaladieprofessionnelleest lacause,cellede l’incapacitépermanente,etd’unevoie«générale», cellede l’invalidité.Celaemporteégalementcoexistencededeuxrégimesdepriseenchargetrèscontrastés.Pourtant,ons’interrogerarementsurlesdifférencesnotionnelles entre invalidité et incapacité permanente. Or, des différences substantiellesméritentattentionquiconcernentlafinalité,l’objetmaiségalementlespratiquesd’évaluation.

I- Finalité de l’évaluationSurunplanorganique,lesrégimesdel’invaliditéetdesATMPfontpartieintégrantedelaSécuritésociale.Cependant,leursdifférencesconceptuellesmarquéesexpliquentquel’évaluationdel’invaliditénepoursuitpaslamêmefinalitéquel’évaluationdel’incapacitépermanente.Ilnes’agitpasdedeuxversantsd’unmêmesystèmedepriseencharge.

I-1/ Des inscriptions systémiques différentes Au sein du régime général de la sécurité sociale, l’assurance invalidité figure au rang desassurances socialesaumêmetitreque lesassurancesmaladie,vieillesse,décès,veuvage,maternité et paternité (CSS, art. L. 311-1). Le risque social y est pensé au regard de sesconséquences économiques dommageables sur l’individu et/ou sa famille1, sa réalisation

1 J.-P. Laborde, La notion de risque en droit des assurances et en droit de la sécurité sociale, in Études offertes à Hubert Groutel, « Responsabilitécivileetassurances »,LexisNexis,coll.Litec,2006,pp.237-245

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affectantlacapacitédegainouemportantunsurcroîtdedépenses(parexempleles chargesdefamille).Surunplanconceptuel,celarévèleunesécuritésocialedetypesalarialdont l’objectifestdecompenser,parleversementdeprestations, lapertederevenusprofessionnelsoul’impossibilitédeseprocurerdetelsrevenusconsécutivement à la survenance d’un risque social tel que la maladie. Cesprestationsconstituentalorsdesrevenusderemplacementpourl’assurésocial.Lacauseétantindifférente,cesdispositifsditsd’assurancessocialesreposentsurunesocialisationétenduedurisquefaisantappelàunelogiquecontributive.Danslesystèmefrançaisdesécuritésociale,lerégimeATMPnerelèvepasquantàluiduchampdesassurancessociales.Ils’apparentedavantageàundispositifd’assurancederesponsabilité.Lerisqueyestpenséd’abordauregarddufaitquil’a généré. Cela ne signifie pas que les conséquences économiques sont indif-férentes ;maisellesnesontni laclédecompréhensionni l’entréeconceptuelledudispositif institué.Eneffet,danslecadredurégimeATMP,lapriseenchargen’intervientqu’aprèscaractérisationd’unfaitgénérateurparticulierauquelonpeutimputerledommagesurvenu:unaccidentsurvenuparlefaitouàl’occasiondutravail(CSS,art.L.411-1)ouencoreunemaladiedontl’origineprofessionnelleestprésuméeouétabliedans lesconditionsposéesà l’articleL.461-1duCodedelasécuritésociale.Parvoiedeconséquence,lacausedel’atteintecorporelleestalorsdoublementdéterminante:elleconditionnel’entréedanslerégimedepriseenchargepourlavictime(ousesayantsdroit);ellejustifieégalementlesmodalitésparticulièresdufinancementquireposentquasiexclusivementsurdescotisationspatronales,lerisqueétantpotentiellementcrééparl’activitédesentreprisesetdoncthéoriquementimputableàcelle-ci2.

I.2/ Des évaluations ayant des finalités différentesEnmatièred’invalidité,l’évaluationvisein fine à l’octroi d’un revenuderemplacementsousformedepension.Ils’agitd’évaluerleseffetsdel’altérationdel’étatdesantésurlacapacitéàvenirdetravailoudegainenvued’unecompensationfinancière.Ilnes’agitdoncnid’évaluerl’altérationelle-même,nideréparerlapertedegainsoccasionnéemaisbiendeprendreenconsidération,pour l’avenir, leseffetsquel’altérationgraveetstabiliséedel’étatdesantéemportesurlacapacitédetravailoudegaindel’assuré.Decepointdevue,l’articleL.341-1duCodedelasécuritésocialeest explicitequi préciseque« l’assuré a droit à une pension d’invalidité lorsqu’il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées [aumoinslesdeuxtiers], sa capacité de travail ou gain…».L’inscriptiondel’invaliditédans le registredesassurancessocialesest sansambiguïté : l’évaluationportesur les conséquences économiques négatives que l’état de santé invalidant delapersonneaurapour l’avenir. Lorsquecesconséquencesatteignentuncertainniveau3, le bénéfice d’une garantie économique est accordé, sous conditionscontributiveetd’affiliationpréalables.2 Si la qualification d’assurance de responsabilité est assez répandue, elle n’est pas unanimement partagée ni

totalementsatisfaisante.Pourunepropositionaffinéederégimederesponsabilitéàcaractèresocial,v.J.-A.Morin,Le régime d’indemnisation des ATMP et la responsabilité civile,thèseParis1,2016,743p.,spéc.p.235ets.

3 Lagénérositéd’unrégimed’invaliditésemesuretoutautantaumontantdelapensionqu’auniveauàpartirduquellacompensationpeutsedéclencher.

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Dans le champ des ATMP, on se situe dans un registre indemnitaire dont lamobilisationviseàréparerdiverspréjudices.Cesontdonclesdommagesquidonnentlieu à évaluation,notammentl’atteinteàl’intégritédelapersonne.Dèslors,l’évaluationdel’incapacitépermanenteconsisteenunemesuredel’altérationstabiliséedel’étatdesantéd’unepersonneconsécutivementàunaccidentdutravailouunemaladieprofessionnelledontelleaétévictime.LerégimeATMPreposantsurunelogiqued’assurancederesponsabilité,l’évaluationdel’incapacitépermanentedoitpermettrederéparerlespréjudicesafinderétablir– en tout ou partie – la victimedans la situation où elle se trouvait avant la réalisation dudommage.Le régime ATMP ignore totalement le retentissement professionnel que peut avoir unemaladie qui est stabilisée sans séquelles, voire guérie. En effet, la victime de lamaladieprofessionnellenesubitalorsaucuneincapacitépermanente,cequiexcluttouteréparationalorsmêmequesonemployabilitépeutêtresérieusementgagée.Ilpeutdèslorss’avérerplus«stratégique»pourlapriseenchargedelavictimedenepasmobiliserlerégimeATMPetdeluipréférerlavoiedel’invalidité.Unesituation,décriteparF.BardotetA.Touranchetdansunarticlede2006,illustrebiencetteincohérencesystémique.«Dans le cas des dermatoses allergiques, par exemple, le salarié qui a quitté son travail est guéri. Il se retrouve donc au chômage sans rente ou au mieux avec une rente extrêmement faible. Après 50 ans, il est donc préférable d’opter pour l’invalidité, plus avantageuse compte tenu de l’âge et de l’ancienneté, que pour une reconnaissance au titre des maladies professionnelles»4. Si une telle orientation estlameilleuresolutionpourlavictime,ellecontribueàocculterl’origineprofessionnelledelapathologiequ’avaitcontractée lesalarié,cequiestdommageabledupointdevuede lapréventionenentreprise.

II-Objetetpratiqued’évaluationLesdifférencesdefinalité rejaillissentsur ladéterminationde l’objetd’évaluation.Toutefois,l’affirmationdedifférencesd’objetentreinvaliditéetincapacitépermanentedoitêtrenuancée.Celarendsansdoutequelquepeusurprenantslescontrastesimportantsquisontconstatésdanslespratiquesd’évaluation;celalégitimesansdouteégalementderepenserl’évaluationdu retentissementprofessionnelde l’altérationde l’étatdesantéde lavictime,que l’onsoitdanslechampdel’invaliditéoudansceluidurégimeATMP.

II.1/ Des différences relatives d’objetEnapplicationdel’articleL.341-3duCodedelasécuritésociale,l’étatd’invalidité«est apprécié en tenant compte de la capacité de travail restante, de l’état général, de l’âge et des facultés physiques et mentales de l’assuré, ainsi que [des] aptitudes et de [la] formation professionnelle»5. Ilemporteoctroid’unepensionàlaconditionquel’invaliditéréduiseaumoinsdesdeuxtiersla capacité de travail ou de gain de l’assuré.Au terme de l’article L. 341-1 du Code de la4 F.BardotetA.Touranchet,Partirplustôtpourraisonsdesanté:ledilemmedesmédecinsdetravail,Retraiteetsociété,2006,p.675 L’appréciationsefaitsoitaprèsconsolidationdelablessureencasd’accidentnonrégiparlalégislationsurlesaccidentsdutravail;

soit à l’expirationdelapériodependantlaquellel’assuréabénéficiédesprestationsenespècesprévuesau4°del’articleL.321-1(indemnitésjournalièrespendant3ans);soitaprèsstabilisationdesonétatintervenueavantl’expirationdudélaisusmentionné;soitaumomentdelaconstatationmédicaledel’invalidité,lorsquecetteinvaliditérésultedel’usureprématuréedel’organisme.Surlanotion de consolidation, v. T. Tauran, La consolidation en droit de la sécurité sociale,RDSS2012,pp.1097-1108.

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sécuritésociale,celasignifiequel’assurédoitsetrouverdansl’impossibilitédeseprocurerunerémunérationsupérieureautiersdusalairenormalqueperçoiventlestravailleursdesacatégorieprofessionnelle6.Ils’agitdecompenserfinancièrement,quoiqu’imparfaitement, la « distance à l’emploi » de l’assuré, donc l’incidenceprofessionnelledesonétatdesantéentermesd’employabilité.Dans lechampde l’incapacitéATMP, l’articleL.434-2duCodede lasécuritésociale dispose que le taux d’incapacité (réelle) est déterminé « d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques ou mentales, les aptitudes, la qualification professionnelle de la victime, en tenant compte d’un barème indicatif d’invalidité ». Il est fait place à des critères médicauxreposant sur l’appréciation de l’état de la personne, notamment la nature deson infirmité, ainsi qu’à des considérationsmédico-sociales, en particulier lesaptitudesetlaqualificationprofessionnelle.Certes,selonlesproprestermesdubarème indicatif d’invalidité pris en application de l’articleR. 434-35 du codede la sécurité sociale, « la donnée de base»estlanaturedel’infirmité,c’est-à-direl’atteintephysiqueoumentaledelavictime,ladiminutiondevaliditéquirésulte de la perte ou de l’altération des organes ou des fonctions du corpshumain.Cependant, lebarèmepréciseégalementqu’ilappartientaumédecinévaluateur, « lorsque les séquelles de l’accident ou de la maladie lui paraissent devoir entraîner une modification dans la situation professionnelle de l’intéressé, ou un changement d’emploi, de bien mettre en relief ce point susceptible d’influer sur l’estimation globale».Ainsi,lemédecin-conseilest-ilinvitéàmajorerletauxthéoriqueenraison,parexemple,desobstaclesquelesconséquencesdel’âgepeuventemportersurreclassementprofessionnel.Ildoitégalementprendreenconsidération lesaptitudesde la victime,à savoir ses facultésàse reclasserouà réapprendreunmétier compatibleavecsonétatdesantéouencore saqualification professionnelle qui se rapporte aux possibilités d’exercice d’uneprofessiondéterminée.Letauxmédicald’incapacitédoitenprincipeêtremoduléenconsidérationdesconséquencesfonctionnellesemportéesparl’accident(oulamaladie)surl’employabilitédelavictime,cequipeutsetraduireparl’attributiond’uncoefficientprofessionnel.Celui-ciavocationàprendreencomptelaperted’emploiconsécutiveà l’accidentmaiségalement lesdifficultés,parfoismêmel’impossibilité, de retrouverunemploi en raisondeséquellespersistantesquis’avèrent fortementhandicapantesdans laperspectived’une reprised’activitéprofessionnelle.Une analogie peut alors être envisagée avec le régime de l’invalidité dont ilconvientderappelerqu’iltendàévaluerleseffetsdel’altérationdel’étatdesantésurlacapacitéàvenirdetravailoudegain.Danscechamp,ilestintéressantdesereporterauxprincipes–toujours«opérationnels»−posésparleConseilsupérieurdesassurancessocialesetexplicitésparunecirculaireministérielle

6 Situationoùl’assuréest«hors d’état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu’il exerçait avant la date de l’interruption de travail suivie d’invalidité ou la date de la constatation médicale de l’invalidité si celle-ci résulte de l’usure prématurée de l’organisme ».

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142 SS du 29 juillet 1946 : « l’invalidité susceptible d’ouvrir droit à pension est… l’incapacité générale de gain qui est déterminée par les différents facteurs susceptibles de conditionner le reclassement de l’individu dans le monde du travail, c’est-à-dire par la nature et la gravité des affections ou infirmités constatées, par l’âge du sujet, ses aptitudes physiques et mentales, sa formation professionnelle et les activités antérieurement exercées».Mêmesilacirculaireprécisequ’ils’agitd’apprécierl’incapacitégénéraleet«non l’incapacité physique, ni l’incapacité par rapport à une profession donnée », iln’enestpasmoinsvraiqu’elle indique lanécessitéde tenircompte,notamment,de laformationprofessionnelleetdesactivitésantérieurementexercées.

II.2/ Des différences marquées de pratique d’évaluationDanslechampdudroitdelasécuritésociale,lespratiquesd’évaluationfontdébatquel’onse situe dans le cadre de l’invaliditéoudel’incapacitépermanente.

En matière d’invalidité, l’appréciation de l’état s’opère en principe « en tenant compte de la capacité de travail restante, de l’état général, de l’âge et des facultés physiques et mentales de l’assuré, ainsi que de ses aptitudes et de sa formation professionnelle ».Cettecaractérisation reposedoncsurunehybridationdecritèresdenaturedifférentevisantàdéterminerlacapacitédetravailoudegainrestante:descritèresmédicauxlato sensu (état général,facultésphysiquesetmentaleset,àunmoindredegré,âge)etdescritèressocio-professionnels(aptitudeset formationprofessionnelle).Aucunbarèmeofficieln’existe ici.Enréalité,lesmédecins-conseilsdesorganismesdesécuritésocialequidoiventapprécierl’invalidité combinent les principaux paramètres que sont l’état de santé dont l’altérationestsouventmultifactorielle, l’âgeet lacapacitéde lapersonneàse former.Àdéfautderéférentielcommun,estconstatéeunegrandediversitéd’appréciation.Àplusieursreprisescesdernièresannées,aétépointéedudoigtlatrèsgrandehétérogénéitédesappréciations,sourced’inégalitésimportantespourlesassurésselonlarégionderésidence7.

Enmatièred’incapacitépermanente,l’articleL.434-2duCodedelasécuritésocialedisposequeletauxd’incapacitéréelleestdéterminé«d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques ou mentales, les aptitudes, la qualification professionnelle de la victime, en tenant compte d’un barème indicatif d’invalidité».Enraisondesmodalitésde recours au barème issu d’un décret du 17 juillet 1985, l’appréciation de l’incapacitépermanenteestsujetteàbeaucoupmoinsdevariabilitéquecelledel’invalidité.Eneffet,lafixationdutauxmédicalsefaitquasiexclusivementin abstracto àpartirdubarèmedontlesmédecins-conseilsfontenréalitéunusagesystématiquealorsmêmequ’ilestprésentécommeétantindicatif.Silanaturedel’infirmitéestla«donnée de base»,lebarèmeestquantàluilaclédevoûtedeladéterminationdutauxmédical;dèslors,lerecoursgénéraliséquiyestfaitobjectivel’appréciationdel’incapacité.Mais,aucasprésent, l’objectivitéde l’appréciationconduitàuneappréciation très (trop)peupersonnaliséedespréjudices.Dansunsystèmedenature indemnitaire, cette faiblepersonnalisations’avère inadéquate,endécalageaveclalogiqueinduiteparlanaturemême7 Courdescomptes(2010),RapportsurlaSécuritésociale,p.415ets;IGAS(2012),L’évaluationdel’étatd’invaliditéenFrance:

réaffirmerlesconcepts,homogénéiserlespratiquesetrefondrelepilotagedurisque

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du système institué8. Elle est également insatisfaisante puisqu’elle ne permetpasl’évaluationdel’ensembledespréjudices.Eneffet,deparsescaractéristiqueset ses lacunes9,lebarème«traduit plus l’incapacité physiologique que l’incapacité de travail»10.Iln’appréhendepasréellementlesconséquencesprofessionnellesdudommage11.Or,leconstatestfaitque«la notification d’un coefficient professionnel spécifique par la Caisse est loin d’être une pratique courante »12. Ainsi, un médecin conseillant les victimes dans le cadre de recours devant le tribunal ducontentieuxdel’incapacitérelèvequelecompterendumédicald’attributiondutauxd’incapacitépermanentenefaitsouventpartquedutauxmédical13.Et,lorsqu’untauxprofessionnelestretenu,ilesttrèsgénéralementpeuélevéetmêmeleplussouvent très faible. « L’approche médicale [prend] le dessus et l’évaluation de la perte de capacité de gain [est] négligée au profit d’une estimation de la perte fonctionnelle, sans référence à l’activité exercée avant l’accident. Le lien entre perte de capacité professionnelle et niveau du revenu de remplacement est dès lors perdu de vue. En réalité, le régime de réparation repose sur une représentation du travailleur handicapé et des conséquences de son état sur sa capacité de travail fondamentalement biaisées»14.

Auregarddecespratiques,ilpeutêtreplusintéressantdanscertainessituationsd’orienterlavictimed’unemaladiedontlareconnaissanceducaractèreprofessionnelestquasicertaineverslerégimedel’invaliditéplutôtqueversceluidesATMP.Laraisonprincipalerésidedanslefaitqu’enmatièredemaladiesprofessionnelles,lestauxd’incapacitépermanentesontsouventfaiblesparcequedéterminéspresqueexclusivement sur la base des séquelles physiques et emportent un niveau deréparationpeuélevé.Or,enfonctiondelanaturedesséquelles,lesalariépeutêtreconfrontéàunlicenciementpourinaptitudeàsonposteantérieurqu’iln’estplusencapacitéd’occuper.Pourunsalariéâgé, lesperspectivesderetourà l’emploisetrouventfortementdiminuées,a fortioris’ilaunefaiblequalification.EtleniveaudepriseenchargeparlabrancheATMPneluiaccordepasuneréparationenrapportaveclaperted’employabilitéquiestlasienne.Ilpeutdoncêtreplusjudicieuxdenepassolliciterlareconnaissancedelamaladieprofessionnellepourseplacerdanslechampdel’invalidité.Maisencorefaut-ilêtreorientéencesens.

8 D’unecertainefaçon,cettenon-personnalisationestencouragéeparlalignejurisprudentielledelaCourdecassationconcernantlanaturedelarenteATMP.Lesjugesfontuneapprocheglobalisantedespréjudicesindemnisésparlarente,dispensantenquelquesortelesCPAMdedémontrer,posteparposte,lespréjudicesqu’ellesindemnisent.Eneffet,sanslejustifier,laCourdecassationaffirmeque«la rente… indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent ; en l’absence de perte de gains professionnels ou d’incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel de déficit fonctionnel permanent»(Civ.2e,11juin2009).

9 Ceslacunesdubarèmeontétésoulignées,notamment,dansunrapportdel’IGASdatantde1991.VoirIGAS(1991),Lamodernisationdelaréparationdesaccidentsdutravailetdesmaladiesprofessionnelles

10 Courdescomptes(2002),Lagestiondesrisquesaccidentsdutravailetmaladiesprofessionnelles,p.15511 Nesontpasnonplusappréhendéslespréjudicesextra-patrimoniauxtelsquelessouffrancesphysiquesetmorales.12 T.GaratetF.Meyer,Réparationdesaccidentsdutravailetdesmaladiesprofessionnelles:lapriseencomptede

l’incidenceprofessionnelledansladéterminationdutauxd’incapacitépermanentepartielle,Dr.ouvrier2008,p.418.M.DelSol,Lapriseenconsidérationduretentissementprofessionnel,parentpauvrede laréparationATMP,Dr.social2015,p.300

13 P.Donnou,L’incidenceprofessionnelledansdiverscontentieux,Dr.soc.2015,p.30814 F.Meyer,Lesvictimesfaceàlaredéfinitionjurisprudentielledelanaturejuridiquedelarente,Dr.soc.2015,p.295

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II.3/ Une même nécessité de revoir l’évaluation du retentissement professionnelA minima, en matièreATMP conviendrait-il de donner une réalité « augmentée » à lacoopérationdediversesautoritésmédicales15.Eneffet,lebarèmeindicatifd’invaliditéutilisépar les médecins-conseils pour déterminer le taux d’incapacité permanente précise que,« lorsqu’un accident du travail ou une maladie professionnelle paraît avoir des répercussions particulières sur la pratique du métier, et, à plus forte raison, lorsque l’assuré ne paraît pas en mesure de reprendre son activité professionnelle antérieure, le médecin conseil peut demander, en accord avec l’intéressé, des renseignements complémentaires au médecin du travail». Il s’agitalorsd’appréciersilesalariéalapossibilitédecontinueràoccupersonpostedetravailousiunchangementd’emploioudeprofessionsembleinéluctable.LeCodedelasécuritésocialelui-mêmeinviteàcettecoopération.SonarticleR.434-31disposeque, « sur proposition [du servicemédical de la caisse16], lorsqu’il estime que l’incapacité permanente présentée par la victime est susceptible de rendre celle-ci inapte à l’exercice de sa profession ou à la demande de la victime ou de son médecin traitant et si cette victime relève de la médecine du travail, la caisse… recueille l’avis du médecin du travail compétent en raison du contrat de travail liant ladite victime à son employeur».Celasetraduitenprincipe parl’envoiaumédecindutravaild’unefiche,àchargepourcelui-cid’ymentionner«les constatations et observations… faites lors de la visite[dereprise]et qui sont relatives à l’aptitude de la victime à reprendre son ancien emploi ou à la nécessité d’une réadaptation».Enprincipe,lesélémentsfigurantsurcettefichedoiventaiderlemédecin-conseilàévaluerl’incapacitépermanenteauregard,notamment,despossibilitésouperspectivesderetouràl’emploidusalariédanssonposteantérieur,voiredansunautrepostedansl’entreprise.Maisl’ambitiongagneraitàêtretouteautre.En2010,laCourdescomptesétablissaitleconstatd’« une ambiguïté non tranchée »entreinvaliditéetemploi.Autrementdit,enmatièred’invalidité,lasituationd’emploietlesperspectivesderetouràl’emploinesontpasàproprementparlerprisesencompte;ellesnelesontqu’indirectementetàlamargeautraversdesproblèmesdereconversionauxquels l’assuréade forts risquesd’êtreconfronté,notammenten raisonde son âge et de sa formation. D’après l’analyse effectuée, la contradiction résulteraitprincipalementdelamobilisationd’unmodèlemédical,modèlequiempêche,selonuneétuderéaliséeparl’OCDE17,quelesdroitssoientdéterminés«selon une évaluation fiable et valable de la compétitivité d’une personne sur le marché du travail»,lespraticiensdesantén’étantpas formés–etsansdouten’ayantpas lesoutilsnécessaires–«à la tâche complexe de l’évaluation de la manière dont les diverses maladies ou incapacités réduisent la compétitivité sur le marché du travail».Lerapportprécitéétablien2012parl’IGASmetenlumièreles«failles»desrèglesetdespratiquesenmatièred’invalidité.Ilyestsoulignéque,«si l’altération grave de la santé peut être évaluée par des barèmes médicaux, ses conséquences en termes d’employabilité nécessitent des barèmes ou des processus d’examen particuliers… et une expertise en matière d’emploi».Ces conclusions sont pour partie transposables au champ de l’incapacité permanente. En15 Enmatièred’invalidité,laCourdescomptesinsistesurlanécessitépourlasécuritésocialededévelopperdespartenariatsentreles

réseaux,notammentavecceuxenchargeduhandicapouaveclesservicesdesantéautravail.16 Autrementdit,dumédecin-conseil.17 OCDE(2010),Maladie,invaliditéettravail:surmonterlesobstacles–Synthèsedesrésultatsdanslespaysdel’OCDE

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effet,l’omniprésencedubarèmeindicatifd’invaliditépourévaluerl’étatetledegréd’incapacitépermanentesoulignelecaractèredatédespratiquesetdelaméthoded’évaluation existant dans le champ des ATMP. L’attribution d’un coefficientprofessionnel suppose que le médecin-conseil fournisse des éléments et desjustificatifsàlaCPAM.Or,contrairementàunmédecindutravail,lemédecin-conseilconnaîtpeulesexigencesphysiologiquesdesmétiersexercésparlesvictimeset,parconséquent,estmaloutillépourapprécierl’incidenceprofessionnelle.Fautedegrilled’analysedétaillantleschefsdepréjudice,ilsetrouverelativementdémuni.Dès lors, lanécessitéd’uneapprochepluridisciplinaire,à l’instardecelleutiliséepourl’appréciationdessituationsdehandicap18, aurait sans doute tout son sens. En effet, enmatière de handicap, les dispositions apparues en 2005 traduisentà la fois « une posture juridique renouvelée»et«une conception médicalement remodelée de la personne handicapée»19.L’angledevueestinversépuisqu’ils’agitfinalementnonpasseulementd’évaluermédicalementlehandicap,maisbienplusd’appréhenderetd’apprécierlesconséquencesdesdéficiencesfonctionnellessurlaparticipationdelapersonneàlavieensociété,dontsoninsertionprofessionnelle,afindemettreenplacedesmesuresdecompensationadaptées20.

18 «Handicapetaptitudeàl’emploi»,dossierspécialdelaRevuededroitsanitaireetsocial2011,n°5,pp.789-88019 P.Leroy,Logiqued’assistanceetaptitudeàl’emploi,Revuededroitsanitaireetsocial,2011,5,p.84020 Voirnotammentleguide-barèmed’évaluationdesdéficiencesetincapacitésdespersonneshandicapées(GEVA)

quel’ontrouveàl’annexe2-4duCodedel’actionsocialeetdesfamillesdepuisundécretdu6novembre2007.Ceguide«viseàpermettreauxutilisateursdefixerletauxd’incapacitéd’unepersonnequelquesoitsonâgeàpartirdel’analysedesesdéficiencesetdeleursconséquencesdanssaviequotidienneetnonsurlaseulenaturemédicaledel’affectionquienestl’origine».

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CLE RÔLE DES ACTEURS DANS LA PRÉVENTION

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LesacteursdelapréventionautravailenentreprisePar Franck Héas, professeur à l’université de Nantes

Franck Héas est professeur à l’université de Nantes et membre du laboratoire Droit et Changement Social UMR-CNRS 6297. Spécialiste de droit du travail, ses travaux de recherche portent sur les relations professionnelles et la santé au travail.

RésuméLe droit du travail contient un impératif de prévention qui impose d’agir en amont contre les risques susceptibles de survenir au travail. Si à cet égard, en vertu de son pouvoir de direction, l’employeur apparaît comme l’acteur premier de la prévention au travail en entreprise, il demeure que d’autres protagonistes participent également à la prévention des risques professionnels dans ce même cadre : les salariés individuellement, en vertu d’une obligation légale de sécurité ; le médecin du travail en vertu de son rôle consacré de préventeur ; et les représentants du personnel, essentiellement le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

LesacteursdelapréventionautravailenentrepriseEndroitdutravail,ladirective-cadrecommunautairen°89/391innervetoutledroitdelasantéautravail,quiestàcetégardorganisésousl’empired’unprincipeconstantdeprévention1 : c’estcetextecommunautairequiimposed’agirenamontcontrelesrisquessusceptiblesdesurvenirautravail(évaluation,prévention,élimination,adaptation,formation,information).Laraisonenestsimple: lasubordinationjuridiqueamènelesalariéàs’engagerphysiquementdans l’exécution de la prestation de travail. C’est de sa personne et de son corps dont ils’agit.Mêmesilasécuritéindividuelleintéressenécessairementl’ordrepublic,elleestàcetégardmotivéepardesconsidérationshumanistes (protectionde lasantéhumaineetde lapersonne)etparuneapprochedavantageéconomique(entretien,maintienetrenouvellementdelamain-d’œuvre).Cesconsidérationspremièresillustrentlefaitqueledroitdutravailestincontestablementundroitdeprotection.Eneffet,lesdeuxpartiescontractantesnesontpassurunpiedd’égalitéaumomentdelaconclusionettoutaulongdel’exécutionducontratdetravail.C’estpourquoi ilconvientd’enprotégeruneplusque l’autre,a fortiorienmatièredesantéautravail.«Danslarelationdetravail,letravailleur,àladifférencedel’employeur,nerisquepassonpatrimoine,ilrisquesapeau».Etc’estd’abordpourprotégercettepeauqueledroitdu travail s’estconstituéafind’«affirmerun impératifdesécuritédans le travail»2. 1 F. Héas(dir.),«Lapréventiondesrisquesautravail,Vingt-cinqansaprèsladirective-cadredu12juin1989»,SemainesocialeLamy

2014,suppl.aun°1655,152p.V.pluslargement:S.Garnier,Lapréventionendroitdutravail,ThèseDroit,Nantes,2017,488p.2 A. supiot, Critiquedudroitdutravail,Paris,PUF,1994,p.68.

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L’idée est commune à tous les droits du travail européens, ainsi qu’au niveauinternational et communautaire : un « droit à la sécurité du travailleur » estconsubstantiel au droit du travail.Cedroitse fondedoncsurune logiquedepréventionqui impliqued’anticiper laréalisation des risques professionnels et d’organiser les conditions de travailde telle sorte que la sécurité soit garantie en entreprise. En droit interne, la loidu 6 décembre 1976 qui était déjà relative au développement de la préventiondesaccidents du travail (c’est par exemple depuis ce texte que l’employeur estdébiteurd’uneobligationdeformerlessalariésembauchésàlasécurité),laloidu23décembre1982instituantleCHSCT,laloidu31décembre1991surlapréventiondesrisquesprofessionnelsettransposantlesdirectivescommunautairesrelativesàlasantéetàlasécuritéautravail,laloidu20juillet2011redéfinissantlesmissionsdesservicesdesantéautravailetouvrantlapossibilitéd’intervenantssalariésenpréventionouplusrécemment,laloidu8août2016modifiantlesmodalitésdesuividessalariés,sontdestextesquis’inscriventtousdansunelogiquepréventive.Cefaisant,ledroitdelasantéautravailaévoluéd’undroitdel’organisationdelasécuritéautravail(danslalignéedespremierstextesduXIXesiècle3) vers un droit del’anticipationdesrisquesenentreprise:decepointdevue,cedroitestd’abordaujourd’hui un droit de la prévention.Certes, le droit du travail se fonde sur unobjectifhistorique,transversaletpermanentdeprotectiondelasantédel’individu,cequiimposed’abordunencadrementdesconditionsconcrètesetmatériellesdanslesquellessontfournieslesprestationsdetravail4.C’estpourquoiledroitdutravailad’abordétéundroitdel’hygièneetdelasécuritéautravail.L’exerciced’uneactivitéprofessionnellenedoitdoncpasconcouriràunedégradationdel’étatphysiologiquede la personne et cette finalité demeure. Néanmoins, elle bénéficie aujourd’huid’un champ d’application plus large. D’une approche objective et quantifiée del’environnementdetravail,fondéesuruneréglementationpointilleuseettechniquedel’hygièneetdelasécurité,ledroitdutravailévolueversunemeilleurepriseencompte(subjective)delapersonneetdesasanté5etunrenforcementdel’impératifdeprévention:lesréflexionsrelativesauxrisquespsychosociaux,àlasouffrance,àlapénibilité,auvieillissementdestravailleursouàlareconnaissanceenattestentincontestablement.Liéconjointementàl’individuetàl’organisationdutravail,ledroitcontemporaindela santé6autravailcontribueparconséquentàunereconnaissancesubséquentede la personne dans l’entreprise7. Cette évolution participe également d’unepersonnalisation des rapports du travail et d’une consécration des droitsfondamentauxdanslasphèreprofessionnelle8,quiimpactentincontestablementce

3 Nouspouvonsicimentionnerlaloidu12juin1893surl’hygièneetlasécuritédestravailleursdanslesétablissementsindustriels.

4 A.Supiot,Travail,droitettechnique,Droitsocial2002,p23.5 J.Martinez,Lesmouvementsd’extensiondudroitdelasantéautravail,JCPS2009,1170.6 P.Y.Verkindt,L’irrésistibleascensiondudroitdelasantéautravail,JCPS2015,1245.7 M.Blatman,Regardssurl’étatdesantéautravailetlapréventiondesrisques,Droitsocial2005,p960.8 «Droitsdutravailetdroitsdel’homme»,RIT,1998,vol.137,n°spéc.;I.Daugareilh(dir.),Mondialisation,travailet

droitsfondamentaux,Bruxelles-Paris,Bruylant-LGDJ,2005.

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droit de la santé au travail9etlerôledesacteurssusceptiblesdeporter,demettreenœuvre et/ou de contribuer à cette prévention des risques professionnels.Qu’ils’agissedespartiesaucontratdetravail(I)oudetiersàcetterelationprofessionnelle(II),lesprotagonistesdelapréventiondesrisquesprofessionnelssontnombreuxenentreprise.

I-Lespartiesaucontratdetravail,acteurspremiersdelapréventionautravailSiautitredupouvoirdedirectionquiest lesien, l’employeurest,bienévidemment, l’acteurprincipaletpremierdelamiseenœuvredesrèglesdepréventiondesrisquesprofessionnelsdansl’entreprise(I-2),ildemeurequelesalariédoitégalementcontribueràlapleineeffectivitédu droit de la santé au travail dans l’entreprise(I-1).

I.1/ Le salariéEnmatièredeprévention,lesalarién’estpasqu’unsimplespectateuretbénéficiairepassif:ildoitégalementcontribueràl’effectivitédesrèglesd’hygièneetdesécurité10. En effet, en dépit des obligations à la charge de l’employeur enmatière de protection de la santé,le travailleur est pleinement impliqué dans lamise enœuvre de ces réglementations dansl’entreprise.C’estuneapplicationdirecteduprincipedeparticipationéquilibréeposépar ladirectivecommunautairedejuin1989etc’estnotammentl’objetdel’obligationdesécuritédontil est débiteur11.Mêmesil’organisationgénéraledelasécuritédansl’entreprisepèsesurlechefd’établissement,lesalariésedoitd’adopteruncomportementnemettantnullementencausesapropresécuritéoucelledesautrespersonnes.Ainsi,envertudel’articleL.4122-1duCodedutravail, toutsalariédoitveilleràsasécuritéetàsasantéainsiqu’àcelledetoutautreindividuconcernéparsesactesousesomissionsautravail:ausenslarge,l’exigenceconcernebienévidemmentles collègues12,mais aussi les clients13. À l’instar de l’obligation générale deprévention del’employeur,cetteobligationdonttouttravailleurdemeuredébiteurestinclusedanslechapitreduCodedutravailrelatifauxprincipesgénérauxdeprévention.C’estdirelaconnexionentrelescontraintespesantsurl’employeuretlesexigencesimposéesausalarié:decepointdevue,l’impératifd’anticipationestgénéralenmatièredesantéautravailets’imposeinvariablementauxdeuxpartiescontractantes.Toutefois,mêmesilamiseenœuvredel’obligationindividuelledesécuritéàlachargedusalariénemodifieenrienlesrèglesderesponsabilitédel’employeur14, l’actiondupremierdépenddesaformation,desespossibilitésetdesinstructionsappropriéespréciséesparl’employeur.Puisqu’ilestalorsnécessairementfautif,lemanquementàl’obligationdesécuritéparlesalariépeutjustifierunlicenciementetfonderéventuellementunefautegrave,privativedesindemnités

9 M.Blatman,P.Y.VerkindtetS.Bourgeot,L’étatdesantédusalarié,Paris,ÉditionsLiaisons,2014,680p.10 Ledroitderetrait,dontchaquesalariéestégalementtitulaire(Art.L..4131-3C.trav.),participedecettemêmelogique.Pourautant,

visantàprotégerlesalariécontretoutdangergraveet imminent,cetteprérogativenes’inscritpasdirectementdansunelogiquevéritabled’anticipation.

11 F.Favennec-Héry,L’obligationdesécuritédusalarié,Droitsocial2007,p68.12 Surlemanquementdel’obligationdesécuritéaudétrimentdecollègues:Cass.(crim.),3décembre2002,Bull.crim.,n°219.13 Surlemanquementdel’obligationdesécuritéaudétrimentdeclients:Cass.(soc.),5décembre2006,n°04-41199.14 Cass.(soc.),10février2016,n°14-24350,àparaîtreauBull.civ.

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derupture.Lajurisprudenceest,enlamatière,constanteetsanctionnelesalarié,dèslorsqu’ilapparaîtquesoncomportementn’estpastotalementsécurisant,qu’iln’agitpasde façonsuffisammentpréventiveet/ouqu’iln’anticipeaucunement laréalisationde risquesprofessionnels, tant à sonendroit, qu’à l’endroit des tiers.LaCour de cassation a ainsi considéré que le salariémanque à son obligationlorsque,responsableduserviceentretiendel’entreprise,ilestinactifenmatièredepréventiondelasécurité15,lorsqu’ilrefusedeporteruncasquedesécuritésurunchantier16,lorsqu’ilnerespectepasdesconsignesdesécurité17ouqu’unchienqu’ilaintroduitdanslepérimètredel’entreprisemorduncollègue18.Néanmoins,outrelesalariédemanièreindividuelle,c’estd’abordàl’employeurd’assurerlapréventiondesrisquesprofessionnelsdansl’entreprise,puisquec’estluiquiorganiseletravail.

I.2/ L’employeurL’obligation générale de préventionDébiteurd’uneobligationgénéraledeprévention19,lechefd’entreprisedoitprendrelesmesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physiqueetmentale des travailleurs de l’établissement. Il s’agit là d’une prise en compteen amont de l’environnement de travail, afin d’éviter la réalisation d’un risqueprofessionnel.C’estpourquoi l’articleL.4121-1duCodedutravailprécisequ’outredesactionsdepréventioncontrecesrisqueset lapénibilitéoudesmesuresde formationetd’information, l’employeur doit veiller à la mise en place d’une organisation etdemoyensadaptés,pourassurer la sécuritéetprotéger la santédupersonnel.Letexteajoutequel’employeur«veilleà l’adaptationdecesmesurespourtenircompteduchangementdescirconstancesettendreàl’améliorationdessituationsexistantes».C’estdoncàtitrepréventifquel’employeurdoitveilleràcequelesconditionsde travailsoientaménagéesetorganiséesde tellesorteque lasantédupersonnelnesoitpascompromise.Danscecadre,l’articleL.4121-2duCodedutravailfixeleslignesdirectricesdel’actionpréventivedel’employeur:éviterlesrisques;évaluerlesrisquesquinepeuventpasêtreévités;combattrelesrisquesàlasource;adapterletravailàl’homme(conceptiondespostesdetravail,choixdeséquipements,desméthodesdetravailoudeproduction;limiterletravailmonotoneetcadencé);tenircomptedel’étatd’évolutiondelatechnique;remplacercequiestdangereux;planifierlesactionsdeprévention,demanièreglobale(organisationetconditionsdetravail,relationssociales,influencedesfacteursambiants,risquesdeharcèlementmoral);privilégierlesmesuresdeprotectioncollectivesurlesmesuresdeprotectionindividuelle;donnerdesinstructionsappropriéesauxtravailleurs.Au-delà de ces énoncés généraux, il demeure que l’obligation générale depréventionàlachargedel’employeurimpliqueégalementdesactionsconcrètes,tel leplanannueldepréventiondesrisquesprofessionnelsetd’améliorationdes15 Cass.(soc.),28février2002,Bull.civ.,V,n°82.16 Cass.(soc.),23mars2005,Bull.civ.,V,n°99.17 Cass. (soc.), 6 juin 2007, JCP S, 2007, 1584.18 Cass. (soc.), 4 octobre 2011, Bull. civ.,V,n°220.19 M.A.Moreau,L’obligationgénéraledepréserverlasantédestravailleurs,Droitsocial 2013,p410.

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conditionsdetravail,quiestexaminéparleCHSCT(Art.L.4612-16,2°C.trav.)ouledocumentuniqued’évaluationdesrisques(Art.R.4121-1ets.C.trav.).Lafinalitédecesdispositifsestl’anticipationafindegarantirlasantédestravailleursetl’hygièneetlasécuritédansl’entreprise.

L’obligation complémentaire de sécurité

Àtitrecomplémentairedel’obligationgénéraledeprévention,l’articleL.4221-1duCodedutravail énonce le principe selon lequel les établissements et locaux de travail doivent êtreaménagés«demanièreàceque leurutilisationgarantisse lasécuritédes travailleurs». Ils’agit làd’uneexigencedesécuritéorganisationnelle imposantunétatconstantdepropretéetdesconditionsmatériellesd’hygièneetdesalubritésuffisantes.Parconséquent,lecadreetlesconditionsd’accomplissementdutravaildoiventêtreorganisésdemanièresécurisée.Ceprincipeestmisenapplicationgrâceàuneréglementationtechniqueprolifique,quicontientdesmoyensdesécuritécollective(incendie,aménagementdespostes,chauffage,interdictionde fumer, installations sanitaires, mise à disposition de boissons, travail sur écran devisualisation,aération,assainissement,éclairage,insonorisation,ambiancethermiqueoubruit)etdesmoyensdeprotectionindividuelle(portdecharge,miseàdispositiond’équipementsdeprotectionindividuelleousécuritédesjeunestravailleurs).Danscecadre,l’exigencegénéraled’anticipationimpliquepourl’employeur,l’obligationd’organiserprécisémentlasécuritédansl’entreprise.

L’obligation d’information et de formation

Lemeilleur moyen de prévenir la réalisation des risques professionnels est d’informer lessalariéssusceptiblesd’yêtreexposésetdelessensibiliserauxmesuresmisesenplaceenmatièredesantéetdesécurité20.Ainsi,l’employeurdoitégalementinformerlepersonnel«surlesrisquespourleursantéetleursécurité».Depuis2013,l’informationdoitaussiportersurlesrisquesquepeuventfairepesersurlasantépubliqueoul’environnement,lesproduitsouprocédésdefabricationutilisésoumisenœuvrepar l’établissement.Enfin, l’employeurdoitrenseignersurledocumentuniqued’évaluation,lerèglementintérieuroulesrôlesduservicedesantéautravailetdesreprésentantsdupersonnel(Art.L.4141-1etR.4141-3-1C.trav.).En corollaire, l’employeur doit également financer, organiser et dispenser « une formationpratiqueetappropriéedes travailleurs»à lasécurité (Art.L.4141-2C. trav.).Considéréescommedutempsdetravail,cesactionsdeformationbénéficientauxsalariésnouvellementembauchéset«chaquefoisquenécessaire»,auxsalariéschangeantdeposteoudetechnique,auxsalariéstemporaires,(surprescriptiondumédecindutravail)auxsalariésreprenantleuractivitéaprèsunarrêtd’aumoins21 joursetauxsalariés temporairesouengagésàduréedéterminée,affectésàdespostesprésentantdesrisquesparticulierspourleursanté.D’unemanièregénérale,l’objectifestd’instruirelesalariésurlesprécautionsàprendrepourassurersapropresécuritéetcellesdesautrespersonnesoccupéesdansl’établissement:ils’agitbienlàencored’unelogiquepréventivequirenforcel’obligationgénéraledepréventionàlachargedel’employeur.

20 SelonlaCEDH,cetteexigencereprésenteunevéritableobligation(CEDH,5décembre2013,Vilnese.a.c/Norvège,n°52806/09).

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L’obligation de sécurité21 en jurisprudence

Afind’assurerl’effectivitédecesobligationspatronalesdeprévention,desécurité,d’informationetdeformation,laCourdecassationaposéleprincipeselonlequell’employeurétait tenuàuneobligationstrictedesécuritéderésultat22. Il résultait ainsidesarrêtsdits«amiante»de2002«qu’envertuducontratdetravailleliantàsonsalarié,l’employeuresttenuenverscelui-cid’uneobligationdesécuritéderésultat, […] ; que lemanquement à cette obligation a le caractère d’une fauteinexcusable,ausensdel’articleL.452-1duCodedelasécuritésociale,lorsquel’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposéle salarié, et qu’il n’a pas pris lesmesures nécessaires pour l’en préserver »23. L’exigenced’anticipationetdepréventionétaitparconséquentaucœurdecetteobligationprétoriennedesécurité.L’employeurymanquaitchaquefoisqu’iln’avaitpas agi suffisamment pour protéger la santé du personnel de l’entreprise. Lasécurité, c’était d’abord lamiseenœuvredemesures concrètesdeprévention,devantpermettred’éviterlaréalisationdesrisquesprofessionnels.Cetteobligationde sécurité de résultat à la charge de l’employeur a ainsi été sanctionnée, parexemple,encasd’absencedevisitede repriseaprèsunarrêtpouraccidentdutravail24,encasdeprotectioninsuffisantecontreletabagismepassif25, en cas de tentativedesuicided’unsalariésuiteàdesactesdeharcèlement26, en raison d’une politiquedesurcharge,depressionsetd’objectifsinatteignables27,pourdéfautdemiseenplacedeséquipementsdesécurité28 ou encore, en raison de l’absence d’accompagnementdusalariésurunnouveauposte29.Ilrésultequelajurisprudencesurlafauteinexcusabledel’employeurenmatièrederisquesprofessionnelsetsurl’obligationdesécuritéderésultats’inscrivaitdanscettetendancevisantàrenforcerlesgarantiesprotectricesdessalariés.Ensanctionnantrégulièrementlemanquementàl’obligationdesécuritéetenélargissantainsilespossibilitésdel’intéressédebénéficierd’uneindemnisationintégrale(dontlecoûtdelamajorationpèsesurl’employeur30), la Cour de cassation entend surtout inciter lesemployeursàdavantagedeprévention.C’estune«approchepréventive»31 quiatoujoursétéprivilégiéeenjurisprudencepourapprécierl’exécutiondecetteobligation de sécurité. La faute inexcusable et lemanquement à l’obligation desécuritépourrontêtreécartésuniquements’ilapparaîtquel’employeuraenvisagé

21 M.Blatman,L’obligationdesécurité,Droitsocial2011,p743.22 S. Fantoni-Quinton etP.Y.Verkindt,Obligation de résultat enmatière de santé au travail,Droit social 2013,

p 229 ;M.A.Moreau, L’obligation générale de préserver la santé des travailleurs (ou ne pas oublier l’ancragecommunautairedecertainstextes),Droit social2013,p411;G.Vachet,L’obligationdesécuritéderésultat:unenotionséduisante,maisinappropriée,JCP S, 2015, 1136.

23 Cass. (soc.), 28 février 2002, Bull. civ.,V,n°81.24 Cass. (soc.), 28 février 2006, Bull. civ.,V,n°87.Lasolutionestidentiqueencasdemaladiesimple(Cass.soc.),

17novembre2015,n°14-15584).25 Cass. (soc.), 29 juin 2005, JCP S,2005,34;Cass.soc.,6octobre2010,Bull. civ.,V,n°215.26 Cass. (2e civ.), 22 février 2007, Bull. civ.,II,n°54.27 Cass. (2eciv.),8novembre2012,n°11-23855.28 Cass.(soc.),14mars2006,JCP S, 2006, 1360.29 Cass. (2eciv.),19septembre2013,n°12-22156.30 Cass. (2e civ.), 13 février 2014, Bull. civ.,II,n°44.31 I. desbarats,Préventiondesrisquesetprotectiondelasantéautravail:pourunemeilleurearticulation,LPA, 2006,

n°202,p4.

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et anticipé la réalisation du risque professionnel par des moyens matériels etconcrets:ildoitdoncêtresuffisammentprévoyant32.Làencore,lapréoccupationestd’anticiperpourévitercesrisquesprofessionnels,afinquelesrelationsprofessionnellespuissentcontinuerdes’exécuterdansdesconditionssécurisées33.Lapréventionestainsidevenue lapréoccupationpremièreet, juridiquement,doitconstituerl’obligationfondamentaleautravail34.LajurisprudenceplusrécentedelaCourdecassationleconfirme:l’employeurdoitjustifier«avoirpristouteslesmesuresdeprévention».Au-delàdeladénominationd’obligationdesécuritéderésultatquin’estplus(toujours)repriseparlachambresociale,cequiimporte,c’estquel’employeuraitagienamontpourprotégerlasantéphysiqueetmentaledestravailleurs35.Lasécuritédansl’entreprise,c’estd’abordlapréventiondesrisquesprofessionnels.S’ilest incontestablequecettechargepèseessentiellementsurl’employeur,d’autresprotagonistessontégalementacteursdecetteprévention.

II-Lestiersaucontratdetravail,autresacteursdelapréventionautravailDestiersaucontratdetravailpeuventaussiparticiperàlapréventiondesrisquesprofessionnelsetcontribuerà lasantéautravaildansl’entreprise.Ils’agitbienévidemmentdel’inspectiondutravail,enchargedeveilleràl’applicationetaurespectduCodedutravailetdesnormesconventionnelles applicables (Art. L. 8112-1 C. trav.). Titulaire également d’un pouvoir deconseiletdeconciliationenverslessalariésetemployeurs,l’administrationdutravailpeut,parcesbiais,contribueràl’anticipation.Ils’agitégalementdescaissesd’assuranceretraiteetdelasantéautravailquisontlargementcompétentesenmatièredesanté,d’hygièneetdesécuritéautravail (Art.L.422-2CSS.) : lapossibilitéderécompenses,desoutiensfinanciersoudesubventions renforcent notamment leur rôle incitatif, enmatière de prévention des risquesprofessionnels.Plusprécisément,danslestrictpérimètredel’entreprise,lemédecindutravail(II-1)etlesreprésentantsdupersonnel(II-2)doiventcependantêtreconsidéréscommedesacteursincontournablesdanscechamp.

II.1/ Le médecin du travailAuseinduservicedesantéautravail,parcequ’ilassureunrôledeconseiller(indépendant)«essentiellementpréventif»(Art.L.4622-3C.trav.),lemédecindutravaildemeureunacteurde tout premier ordre dans la prévention des risques professionnels (Art. L. 4621-1 et s.C. trav.).Depuis la loidu20 juillet2011, leservicedesantéautravail (auquelappartient lemédecindutravailavecd’autresprofessionnelsdesanté)disposed’ailleursdecompétencesélargies:préservationdelasantéphysiqueetmentaledestravailleurs,diminutiondesrisquesprofessionnels,améliorationdesconditionsdetravail,préventiondelaconsommationd’alcooletdedroguesurlelieudetravail,préventiondelapénibilitéetdeladésinsertionprofessionnelle,contributionaumaintiendel’emploi,surveillancedel’étatdesanté,traçabilitédesexpositionsprofessionnelles ou veille sanitaire. Cette conception résolument extensive des attributions

32 Cass.(soc.),25novembre2015,n°14-24444(àparaîtreauBull. civ.).33 F.Héas,Ledevenirdel’obligationdesécuritéderésultatenmatièredetravail,Droit Ouvrier 2016,p10.34 G.Pignarre, L.F.Pignarre, Laprévention : pierre angulaire ou/etmaillon faible de l’obligationde santéet sécurité au travail de

l’employeur?,RDT 2016,p151.35 Cass. (soc.), 1erjuin2016,n°14-19702(àparaîtreauBull. civ.).

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dumédecin du travail vise à promouvoir une approche large et préventive desquestionsdesantéautravail.C’estpourquoi lemédecindu travailaunaccès libreaux lieuxdetravail. Ilpeutvisiterlesentreprisesdontilalachargesoitàsoninitiative,soitàlademandedel’employeurouduCHSCTou,àdéfaut,desdéléguésdupersonnel;ildoitd’ailleurslefairepouruntiersdesontemps.Ilestinformésurlestechniquesdeproduction,la formation à la sécurité, les produits utilisés et les analyses éventuellementeffectuées ; il peut procéder à des prélèvements pour analyse, mais demeuresoumisausecretprofessionnel;ilpeutaussiproposerdesmesuresindividuellesd’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou desmesures d’aménagement du temps de travail en raison notamment de l’âge oudel’étatdesantédusalarié;ilpeutalerterl’employeurlorsqu’ilconstateunrisquepourlasantédestravailleurs.Ilestégalementcompétentenmatièred’emploidestravailleurshandicapésetdeconstatdel’inaptituded’unsalarié.

Parmitoutescesattributions,celledelasurveillancedel’étatdesantédessalariésrevêtuneimportancetouteparticulièreenmatièredeprévention.C’estd’ailleurslesensdelaréformeportéeparlaloidu8août201636.Lessalariésbénéficientainsid’unsuiviindividueldeleurétatdesantéparlemédecindutravail,lecollaborateurmédecin,l’interneenmédecinedutravailetl’infirmier.Aumomentdurecrutement,c’estunevisited’informationetdeprévention.Parlasuite,lapériodicitédusuivivarieselonlestravailleursetl’environnementdetravailetestfixéeparlemédecindutravail(aumaximumtouslescinqans).Ilenrésultequelavisited’embauchesystématiqueetlesvisitestouslesdeuxansnesontplusrequises,àl’exceptiondes salariés exposés à des risques particuliers (exposition à l’amiante, auxrayonnementsionisantsouparexempleàdesrisquesdechuted’échafaudage).Ces derniers bénéficient seuls d’un examen médical d’aptitude à l’embauche,effectué par lemédecin du travail et ensuite, d’un suivi individuel renforcé (aumaximumtouslesquatreans).Lesuiviestégalementspécifiqueetadaptépourlestravailleurshandicapés;s’agissantdestravailleursdenuit,lesuiviindividueldoit être régulier ; ces travailleurs bénéficieront d’une visite par lemédecin dutravailaumaximumtouslestroisans.Gageonsquecerenforcementdelamargede manœuvre du médecin du travail dans l’appréciation et l’organisation dusuivi en santé au travail des salariés permettra utilement de consolider le rôleexclusivementpréventifdupraticien,en lesoulageantde formalitésquivisaientd’abordunobjectifdecontrôleetdesélectiondelamaind’œuvre37.

II.2/ Les représentants du personnelLesreprésentantsdupersonnelsontunautreacteurdelapréventiondesrisquesprofessionnelsdans l’entreprise38.Si lecomitéd’entreprisecontrôle lerecourset

36 Loin°2016-1088du8août2016relativeautravail,àlamodernisationdudialoguesocialetàlasécurisationdesparcoursprofessionnels,JO9août2016.V.not.:F.Meyer,LaloiTravail:aspectsconcernantlamédecinedutravail,RDT2016,p821.

37 S.Fantoni,F.Héas,P.Y.Verkindt,Lasantéautravailaprèslaloidu8août2016,Droitsocial2016,p921.38 F.Héas,Les représentantsdupersonnel et laquestionde la santéau travail,Semaine sociale Lamy 2004,

n°1196,p5.

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l’organisationparl’employeurduservicedesantéautravail39ouquelesdéléguésdupersonnelpeuvent,dans lecadrede leursmissionsdesuppléance, interveniràdéfautdeCHSCTdansl’entreprise40,c’estprincipalementcederniercomitéquiconcourtàl’anticipationdesrisquesenmatièredesantéautravail41.LamissiongénéraleduCHSCTesteneffetdeveilleràlaprévention42,àlaprotectiondelasanté(physiqueetmentale)etdelasécuritédestravailleurs,àl’améliorationdesconditionsde travailetau respectdes réglementations (Art.L.4612-1C. trav.).C’estpourquoi ilpeutêtresaisi,surtoutescesquestions,parl’employeur,lecomitéd’entrepriseoulesdéléguésdupersonnel.Decepointdevue,samissionestgénérale.LeCHSCTestàcetégardunorganedeconseil,cequirenforceincontestablementsafonctionpréventive.L’employeurdoitimpérativementleconsulteravanttoutemodificationdesconditionsde santé ou de sécurité ou intéressant les conditions de travail (Art. L. 4612-8-1 C. trav.). Le Codedutravailvise l’«aménagement important»et la« transformation importante»,maisl’approcheestlarge:transformationdespostesdetravail,changementdeproduit,modificationdescadencesoudesnormesdeproductivité,etc.Laconsultationestégalementobligatoireàproposdurèglementintérieur,del’introductiondenouvellestechnologiesetconcernantlesmutationstechnologiquesoucertainescatégoriesdetravailleurs(remiseautravaildessalariésvictimesd’accidentsdu travail,des travailleurshandicapés,des invalidesdeguerreoudesinvalides civils).L’employeur doit annuellement communiquer au CHSCT un rapport écrit sur la situationgénérale de l’établissement en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail(bilanetperspectives)etintégrantlaproblématiquedelapénibilité(Art.L.4612-16C.trav.).LeCHSCTémetunavissurcerapport,lesdeuxétanttransmisaucomitéd’entrepriseetleprocès-verbaldelaréuniondevantêtrecommuniquépourtoutedemandedemarchépublicoud’aidequelconquepar l’employeur.Làencore, la transmissiond’informationsenmatièredesantéautravailauxreprésentantsdupersonnelconcourtàfaciliterlaconnaissanceetparconséquent,l’anticipationdesrisquesprofessionnels.Pareillement,leCHSCTestunorganedecontrôlesurleplandel’organisationdelasécuritédansl’entreprise:analysedesrisquesprofessionnels,inspectionsvisantàvérifierlerespectdes réglementations, enquête en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle,échangeavecl’inspecteurdutravailencasdevisitedecelui-ci.LeCHSCTassumeainsiunrôleenmatièredepréventiondesrisquesprofessionnelsdansl’établissement,dontilassurelapromotion:illuiestainsipossibledesusciter«touteinitiativequ’ilestimeutiledanscetteperspective»(Art.L.4612-3C.trav.).LafonctionpréventiveetgénéraleduCHSCTestrenforcéeparlefaitqu’ilpeutexercersesattributionsaubénéficede tous les travailleursamenésà intervenirdans l’établissement, ycomprisceuxmisàdispositionparuneentrepriseextérieure (Art.L.4612-1C. trav.).Àcetégardetplus largement, lachambresocialede laCourdecassationa récemmentpréciséquelacompétenceducomitéestsusceptibledeconcerner«toutepersonneplacéeàquelque

39 Art. L. 4622-12 ou L. 4623-4 C. trav.40 Art. L. 2323-16 C. trav.41 G.Loiseau, L. Pécaut-riVolieretP.Y.Verkindt, Leguideducomitéd’hygiène,desécuritéetdesconditionsdetravail, Paris,

Dalloz,2015,477p.42 Curieusement,laloineleprévoitexpressémentquedepuis2016.

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titrequecesoitsousl’autoritédel’employeur»:«enmatièredepréventiondesrisques professionnels », le CHSCT peut donc agir contre l’employeur dont ilrelève,maiségalementcontretoutautreemployeurdesalariésintervenantdansl’entreprise43.Dans lemêmesens, leCHSCTpeutdemanderàentendre lechefd’unétablissementvoisin,dontl’activitéexposelestravailleursdesonressortàdesnuisancesparticulières»(Art.L.4612-6C.trav.).Enentreprise,lesacteursdelasantéautravailsontdoncnombreuxetdiversifiés.Certes, l’employeur doit assumer un rôle de tout premier ordre en matière deprévention des risques professionnels. Pour autant, d’autres protagonistesinterviennent, afinque la thématiquede la santéau travail soit bienabordéeettraitéedemanièreconjointeettransversale.Or,ledroitpositifdutravailsefondantd’abordsuruneapprochesegmentéedesattributionsdecesdifférentsacteurs(àl’exceptiondel’employeur),nouspensonsquelareconnaissanced’unecompétencegénéraledumédecindutravailetdesreprésentantsdupersonnelenlamatière,pourraitnotablementpermettreunesimplificationdecettebranchedudroit.

43 Cass.soc.7décembre2016,n°15-16769(àparaîtreauBull. civ.).

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Lavisiondesentreprises: présentationd’uneapprocheinnovantePropos recueillis par Sébastien Martine, Sous-directeur à la Direction des risques professionnels, CNAMTS

La branche accidents du travail maladies professionnelles a pour principaux clients lesentrepriseset à traverselles leurs salariés, notammentpour samissiondepréventiondesrisques professionnels. Forte de sa volonté de conseiller et d’accompagner celles-ci, elles’intéresseàlavisionquepeuventdévelopperdesentreprisesetsoutientdesinitiativeslocalesinnovantespourpermettreledéploiementdelaculturedeprévention.Ainsi, leclub ressourceshumainessantéd’Aquitainequi réunitunequinzained’entreprisesdelarégion,estco-animéparChantalVILLOTTA-GERMAIN,directriceopérationnelleetencharge des ressources humaines de la tonnellerie Darnajou et Frédérique CAUMONTAT,contrôleusedesécuritédelaCARSATAquitaine.LarevueRegards,àtraversSébastienMartine,responsableadjointdudépartementpréventiondes risques professionnels de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des TravailleursSalariés(CNAMTS),lesarencontrées,ainsiqueSandraVERDIN,directricedesressourceshumainesdelasociétéMaisonJohanèsBoubée(branchevindugroupecarrefour)etmembreduclub,pourpartagerleurexpérience.

Commentestnéleclubressourceshumainesquevousanimez?Quiaprisl’initiativedesacréation?ChantalVILLOTTA-GERMAINCeclubressourceshumainessantéestnésuiteàunéchangeentrepairs.Plusieursentreprisesde la régionAquitaine se sont retrouvées autour de l’idée qu’en dehors des grands clubsressources humaines existants, il serait utile de disposer de lieux et de temps facilitant laréflexionet leséchangesautourdesituationsvécuesenentreprise.Un fonctionnementenpetitgroupe favoriseraitune libertéd’expressionsur tous lessujetsdesantémaisaussidesantémentalevoiredechargementalepourlesresponsablesdesressourceshumainessurdes problématiques quelquefois difficiles à porter en santé et sécurité au travail. Plusieursentreprisesontenvisagél’intérêtdetravaillerensemble,d’échangerdesanalysesdepratiques–selonlatechniquedelacovision–méthodesetoutils.Larencontres’estfaiteavecFrédériqueCAUMONTAT,contrôleusedesécuritédelaCARSATAquitaine qui était également dans cette réflexion autour d’une démarche locale pour faireprogresserdessujets.

FrédériqueCAUMONTATNousavonsdeuxrôlesquisontd’êtrecontrôleuretpréventeurmaisnotremissionpremière,c’est d’accompagner les entreprises à la mise en place de démarches de prévention desrisquesprofessionnelsentantquepréventeur.Nousdisposonsderessources,d’outilsmaisnousnesommespasforcémentbienconnusetidentifiésparlesentreprisesalorsquenouspouvonsamenerducontenu.

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ChantalVILLOTTA-GERMAINNousavonsdécidédelancerceclubressourceshumainessantéafindepermettreaux entreprises membres à travers leur responsable ressources humainesd’échangerlesunsaveclesautressurlesexpériences,difficultés,interrogations,pratiques,ressourcesetméthodesàpartird’unsujetprécis.LaCARSATAquitainesouhaitait participer,mettant de côté son rôle de contrôleur, pour répondre auxinterrogationsdesentreprises.Laconstructiondeclubressourceshumainess’estdoncfaitedemanièreempirique.

Àquelmomentceclubressourceshumainessantéa-t-ilétécréé?FrédériqueCAUMONTATLacréationduclubressourceshumainessantéremonteàseptembre2013.Cetteidéeestnéed’uneréflexionsurcebesoindemiseencommundesproblématiquesetdesoutils.CetéchangeestconsécutifàmarencontreavecChantalVILLOTTA-GERMAINdanssaprécédenteexpérienceprofessionnellechezunnégociantenvinoùellenousavaitsollicitésàl’occasiond’unaccidentdutravailgravepourlequelelleavaitsentiqu’ilfallaitmettreenplaceunedémarcheglobaledepréventiondesrisquesprofessionnels.ElleadonccontactélaCARSATAquitainepourbénéficierd’unaccompagnementsur lamiseenplaced’une telledémarchedepréventionetc’estdecettefaçonquenousavonscommencéàtravaillerensemblesurdelaformationinterne.Letempsetnoséchangesfaisantleurœuvre,quelquesannéesaprèscettepremièrecoopération,nousavonspartagécette idéedecréationdeclubressourceshumainessanté.

ChantalVILLOTTA-GERMAINLa CARSAT Aquitaine s’est engagée dans la création de ce club ressourceshumaines santéoù sont notamment rassembléesdesentreprisesdumondeduvindont lesresponsablesdesressourceshumaineséchangeaientdéjàdefaçoninformellesur leurspratiqueset leursdifficultés, comme lachargementaled’unresponsabledesressourceshumaines.

Ce club ressources humaines santé a donc été créé enseptembre 2013. Comment les premières réunions ontétéorganisées?Quelaété lepremiersujetde réflexionaulancementduclub?

ChantalVILLOTTA-GERMAINL’objectifestd’allerdanschacunedesentreprisesmembresduclubpourpouvoirnotamment percevoir in situ l’organisation, les problématiques mais aussi lesbonnes pratiques de chaque entreprise. La CARSATAquitaine peut égalementservir de lieu de réunion car elle constitue un véritable centre de ressources en matièrededocumentation.

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Nous avons commencé par lister les différentes problématiques que souhaitaientaborder les entreprises présentes. Les deux premiers sujets de préoccupation desresponsablesdesressourceshumainesdenotreclubontétélesaddictionsetlesrisquespsychosociaux.Lechoixs’estportésur lesaddictionspourdébuternos travaux.Au regarddes contraintes de chaquemembre du club, nous avons décidé de nous rencontrer tous lestroismois,aveccetteidéed’épuiserlesujetenfaisantintervenirdespersonnesextérieuresauclub ressourceshumainessantéayantdespointsdevuecontradictoiresetcomplémentaires.L’idéeétaitdemultiplier lesexpertises, les ressourcesmisesànotredispositionpour réalisernotrepropresynthèse:chercheursdeBordeaux,gendarmes,police,témoignagesd’entreprises,associations, organismes de formation… À l’issue de ce travail, nous avons construit notrepropre cahier des charges, que nous avons remis ensuite à un organisme de formation, surcequepouvaitêtreledéploiementd’unedémarchedepréventionsurlesaddictionsdansuneentreprisetantsur lesaspectspolitiques, juridiques–nousessayonstoujoursd’avoirunpointdevuejuridique–quesanitaires.L’organismedeformations’estensuiteconcrètementatteléàcréeruneformationautourd’unedémarchedeprévention,afaittravaillerd’autresexpertssurlesaddictions.Nousavonstestélaformation.Celle-cisedéploieaujourd’huisurd’autresentreprises.Ensuite,nousavonsconvenuquechaqueresponsabledes ressourceshumainesmembreduclubmettaitenplacedanssonentreprise lesoutils (formations, interventionsdemédecins…)qu’ilsouhaitait.SandraVERDINaparexemplemisenplaceunedémarchetrèsaboutieautourd’unechartededégustationresponsablepourdescollaborateursdontl’activitéestladégustation.Puis,nousavonsdécidéd’aborderlesujetsuivantàsavoirlesrisquespsychosociaux.Trèsvite,nousavonsconvenuquelesujetpouvaitposercertainesdifficultésetlimitesetavonsdécidédel’abordersousl’angleprévuparl’accordnational interprofessionnelentermedequalitédevieautravail.Cettedimensionintègrelesujetdesrisquespsychosociauxetnoussouhaitionsnousinscriredansunedémarchevalorisantedelasanté.Nousavonsdoncadoptéunregardtrèslargesur le sujet en échangeant avec l’association française denormalisation (AFNOR), avecdesgroupesderecherchecanadiens…Ilyanotammentunechercheusecanadiennequi travailleactuellement sur le double impact c’est-à-dire l’impact de la santé des salariés sur celle dudirigeantetl’impactdelasantédudirigeantsurcelledessalariés.Lorsdenotreprochaineréunionduclubressourceshumainessanté,nousferonsintervenirl’observatoireAmaroksurlasantédesdirigeantsparcequenousconsidéronsque lasantéglobalede l’entreprisecommencepar lasantédudirigeantetques’iln’estpaspartieintégrantedusystèmedesanté,ilvaêtredifficiledetravaillersurlesujet.Nousavonségalementtravailléavecunmédecindeladirectionrégionaledesentreprises,delaconcurrence,delaconsommation,dutravailetdel’emploi(DIRECCTE)quial’expériencedeconsultationssurdespathologiesprofessionnelles.Noustravaillonségalementdansunedémarcheconstructiveavecl’agencerégionalepourl’améliorationdesconditionsdetravail(ARACT)etl’AFNORsurdifférentsmodèlesdequalitédevieautravail.Notre objectif est de réaliser une synthèse finale en ayant envisagé l’ensemble des champsdusujet.Surcettethématiquedelaqualitédevieautravail,nousnerecherchonspasuneffetd’affichagemais bien comment nous pouvons traiter réellement et concrètement des risquespsychosociauxauseindenosentreprises.Cesujetvanousoccuperencorequelquesséances.Nous déciderons ensuite de façon collégiale du prochain sujet à aborder au sein du clubressourceshumainessanté.

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Pour revenir au sujet des addictions et à la production parvos soins d’un cahier des charges ayant servi à la créationd’uneformationquevousaveztestée, l’avez-vousdispenséeensuiteauseindesentreprisesvolontairesduclubressourceshumainessanté?Avez-vousuneidéedunombred’entreprisesquil’ontmiseenplace,au-delàmêmeduclub?ChantalVILLOTTA-GERMAINLeclubressourceshumainessantén’estpasprescripteur.Enrevanche,laCARSATAquitaineestentraindedévelopperdesoffresdeservice,danslecadredesoncatalogueàdestinationdesentreprisesquitravaillentsurlesujet,quivonts’inspirerdecestravaux.Leclubressourceshumainessantén’apaspourobjectifdecréerdesoutils pour lesprescrireauxautresentreprises.Nous faisonsconnaîtrenostravauxdansleréseau,chaqueentrepriseétantlibredelesutiliserounon.Iln’yapasd’ingérencedanslesentreprises.

Disposez-vousd’unbilandressépar l’organismequiautilisévotre cahier des charges pour créer la formation sur lesaddictions?ChantalVILLOTTA-GERMAINNous luiavons laissé toute libertésur lesujet.Noussavonsquecette formationest dispensée mais n’avons pas cherché à savoir car nous ne souhaitons paslabellisercetteformation.Nousavonstravailléaveccetorganismequis’estproposéspontanémentavecpourseulecontrepartiequenoustestionslaformation.Nousluiavonsdonnéenquelquesortenosdroitssurcecahierdeschargesmaisnousnesouhaitonspasquel’organismeprécisequelaformationestapprouvéeparnotreclubressourceshumainessantéoulaCARSATAquitaine.

Pour revenir au sujet de la qualité de vie au travail qui inclutjustement cette dimension risques psychosociaux, avez-vousdéjàproduitdesoutilsouêtes-vousencoredansce travailderéflexionetdeconsultation?Avez-vousunobjectif,envisagez-vousunproduit,fruitdevostravauxsurlaqualitédevieautravailetlesrisquespsychosociaux?ChantalVILLOTTA-GERMAINNousavonsproduitunesynthèseàl’issuedenotrepremièreséancedetravailpourjustementéclaircirlesidéesdechaquemembresurcesnotions.UndesmembresdenotreclubparticipeégalementàunclubsurlesincivilitésenAquitaineetapualimenter ce premier travail.Nousne voulions pasnouségarer dansdeseffetsd’affichagesurlaqualitédevieautravail,cecadrageyacontribué.Ilnousapermis

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denepasmettredecôtécertainesnotions.Parlasuite,nousavonseulachancede pouvoir échanger facilement avec différents acteurs que nous avons sollicités.Noussommesunpetitclubetnousréalisonscestravauxavecnoscontraintesd’activitérespectives.Ilyaunevraiemotivationàlefaireparcequecelanousapportebeaucoupentermesdedéveloppement,deveilleetdeprospective.Cependant,arriveràproduiredesécritsdans le cadre de nostravauxconstituenotrelimiteetilnousfaudraitd’autresressources.

Vousrencontrezdoncfinalementunedifficultéàtrouverletempsetlesressourcespourréaliservostravaux?ChantalVILLOTTA-GERMAINNouspassonsdutempsàidentifierlesintervenantspournosréunions,enessayantnotammentde les rencontrer avant de les faire intervenir pour juger de leur pertinence au regard denos réflexions et travaux.À cela, s’ajoutent nos réunions et tout cela prend un temps nonnégligeable.

Une autre solution aurait été de faire grandir ce club ressources humaines santé puisquenous sommes régulièrement sollicités par d’autres responsables de ressources humainesd’entreprises qui souhaiteraient intégrer le club. Nous avons réfléchi sur cette hypothèselors d’une de nos réunions mais notre taille modeste nous permet des échanges rapideset transparents. Nous représentons déjà des secteurs d’activité différents, nous pourrionséventuellementessaimeretréaliserdeséchanges interclubsmaisélargir leclubnousferaitressembleràd’autresgrandsclubsressourceshumainesquiexistent,oùilsepassedeschosesintéressantesmaisoùlesmembressontpluspassifsenassistantàdesconférences.Cen’estpasnotreobjectif.Nousatteignonsdoncnoslimites.Sinoussouhaitonsproduiredavantageenélargissantleclub,nousallonsperdrelaproximitéetlarichessedansnoséchanges.

Pouvez-vousjustementnousprésenterlesentreprisesmembresduclubressourceshumainessantéd’Aquitaine?ChantalVILLOTTA-GERMAINDenombreuxsecteursd’activitésontreprésentés:lebâtiment,l’industrie,lecommercenonalimentaire,lemondeduvin,lesanitaireetlemédico-social,laSécuritésocialeaveclacaissed’allocations familiales.Se joignentànousunmédecindu travail d’un servicedesantéautravail et l’AFNOR.

Touteslestaillesd’entreprisessontégalementreprésentées:lapluspetiteentreprisequ’estlatonnelleriecomprendquinzesalariésetlaplusgrossequeconstituelacaissed’allocationsfamiliales emploie neuf cent salariés.Malgré cette grande diversité et nos différences, leséchanges sont très riches sur de nombreux sujets. Cela peut paraître étonnant mais surdes risquesoudesproblématiquescomme laqualitédevieau travail,denombreuxpointsintéressentl’ensembledesmembres.Cettediversitéconstitueunevéritablerichesse.

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Pourfaireleparallèleentrevotreclubetd’autresorganisations,avez-vous participé ou participez-vous à d’autres clubs deressourceshumaines?Est-cecelaquivousapermisdevousdirequevousnevousyretrouviezpascomplètement?ChantalVILLOTTA-GERMAINJ’ailongtempsfaitpartiedel’associationnationaledesdirecteursdesressourceshumaines de la région et je continue à fréquenter certaines de leurs réunions.EnAquitaine,unautreclubressourceshumaines, l’associationNouvelleGestiondesRessourcesHumaines (NGRH), ouvre régulièrement ses conférenceset j’yparticipe ponctuellement. Nous pouvons également citer les universités d’étédu CECA à Bordeaux, qui permettent d’écouter d’autres regards : politiques,anthropologiques…Notre fonctionnement est différent et complémentaire.Nousn’avons pas d’existence juridique, nous ne sommes pas une association maisdavantageuneréuniondevolontairesvoulantcollaborerdanslecadred’ungroupedetravail.Etnousavonsciblénostravauxsurlasantéautravail,cequin’estpaslecasdelaplupartdesautresclubsressourceshumaines.

Pourrevenirauxtravauxmenésparleclubressourceshumainessanté, quels impactsmesurez-vous au sein des entreprisesmembresàtraverslesréflexions,productionsetoutils?Qu’est-cequecelaapermisdefaireévoluertantdansvosentreprisesquedansvospratiquesprofessionnellesderesponsablesdesressourceshumaines?Sandra VERDINLorsque l’on exerce la fonction de responsable des ressources humaines dansuneentreprise,onaunrôleàlafoistrèsopérationnelmaisondoitdévelopperunevisionstratégique.Souvent,nouspouvonsnoussentirseul, laparticipationàceclubressourceshumainessanténouspermetd’élargirnotrechampderéflexion,departagernospratiques,d’avoirdesressourcesquandnoussommesendifficulté.Nouspouvonsêtreconfrontésàdesdifficultéscollectivesetindividuellesenmatièrede risques psychosociaux. Le club constitue un véritable réseau de collègueshors de notre entreprise qui sont une ressource précieuse pour renouveler nosapprochesetprofiterdeleursexpériences.Àtitrepersonnel,entantquedirectricedesressourceshumaines,jereçoisbeaucoupdechargementalequejen’évacuepasenentreprise,cequeleclubmepermet.

ChantalVILLOTTA-GERMAINDanslecadreduclubressourceshumainessanté,nousavonségalementlancéungroupeoùnouspouvonsexpérimenterleco-développementgrâceàunfacilitateurselonlaméthodecanadienne.Nousvenonsenréunionavecnosproblématiqueset nous repartons avec des réponses et solutions grâce au groupe qui permet

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uneprisederecul.C’estpourcelaquelataillemodestedenotreclubressourceshumaines est primordiale pour nous, ce qui nous a permis de créer une véritablerelationdeconfiance.Nosproblématiquessontcommunesmaisnousnelesrencontronspas forcément au même moment, faisant ainsi résonance. Cette mutualisation de nosressourcesnousfaitgagnercollectivementdutempssurlesoutils.

Qu’est-ceque ce club ressourceshumaines santéa changépour laCARSATAquitaine ? À travers cette démarche, de nouveaux outilsont-ilsétécréés?Quelaété l’impact internepar rapportauxautrescollèguescontrôleursdesécuritéouingénieursconseil?QuelimpactdanslapratiquedelaCARSATenmatièredepratiquesdepréventionvis-à-visd’autresentreprises?FrédériqueCAUMONTATToutd’abord,cestravauxvontnousservirpournospropresactions.UnedemescollèguesdelaCARSATtravailleactuellementàlamiseenœuvred’unprogrammedepréventiondesaddictionsets’appuienotammentsurlestravauxduclubressourceshumainessanté.Nousallonsdoncpouvoircapitalisersurlesoutilsproduitsetlesdiffuserpluslargement.Parailleurs,participeràceclubressourceshumainessantépermetdepromouvoirlesavoir-faireenpréventionde laCARSATauprèsdesentreprisesmembres,alorsque l’imageplusgénéralementrenvoyéeparlesentreprisesestcelled’unorganismecontrôleur.Ilnes’agitpasd’oubliercettemission,maisdemontrerquenoussommeségalementprésentspourconseilleretaccompagnerlesentreprises.

Auseindesentreprisesduclub,est-ceque l’onvousa fait ressentircela?LaCARSATétait-elleconnuepoursesactivitésdepréventiondesrisquesprofessionnels?Sandra VERDINJ’aiintégréleclubressourceshumainessantéen2013.Début2015,nousavionsleprojetdeconstruireuneusined’embouteillagedevindanslarégion,àcôtéd’undenossiteslogistiques.J’aiproposéauresponsabledusitededemanderl’avisdelaCARSATAquitainesurnotreprojet.Ilamontrélesplusgrandesréticences.J’aicependantcontactéFrédériqueCAUMONTATcarnousavionséchangésurlapossibilitéd’unaccompagnementparlaCARSATetellem’amiseen relationavec l’undeses collèguesqui travaille sur la conceptiondes lieuxde travail. Ilnousaconseilléssurlesélémentsàintégreraumomentdelaconceptionetdanslechoixdesmatériaux,dessols…Aujourd’hui,mescollèguesopérationnelsn’ontplusd’appréhensionàsolliciterlaCARSATetonessaiedelefaireleplusenamontpossible.

ChantalVILLOTTA-GERMAINTous les membres du club ressources humaines santé ont changé de perception sur laCARSAT.CertainesentreprisesétaientréticentesàparticiperauclubdufaitdelaprésencedelaCARSAT.Ellesnes’ensouviennentplusaujourd’hui.

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FrédériqueCAUMONTATPouravoiréchangéaveclesmembresduclub,j’ailesentimentqu’ilscomprennentque la fonctiond’assureurnedisparaît pasavec cellede conseiller, notammentencasdedysfonctionnementspouvantporteruneatteintegraveà lasantédessalariés.

LestravauxengagésparlaCARSATAquitainesurlesaddictionsvont-ilsdevenirunprogrammerégional?FrédériqueCAUMONTATÀl’origine,ilyavaitunedemandesurlesujetd’uneorganisationpatronaledanslecadredescomitéstechniquesrégionaux(CTR)delaCARSATAquitaine.Nousavonsprésentéauxpartenairessociauxlestravauxduclubressourceshumainessanté et il est très probable que ce sujet fasse l’objet d’une offre de formationrégionaledelaCARSATAquitaineàproposerauprèsdesentreprisesdanslecadredelaconventiond’objectifsetdegestion2018-2021.

Après lesaddictionset laqualitédevieau travail,quelseraleprochainthèmetraitéauseinduclubressourceshumainessanté?

ChantalVILLOTTA-GERMAINNousn’avonspasencoreprisdedécisionsurlesujetmaiscelaseradiscutéparl’ensembledesmembresduclub,soitparcequelesujetestprospectif,soitparcequ’ilestaucontrairecriantauseind’uneentrepriseduclub.

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L’actiondelaMSAdanslechampdesAT/MP. MédecinedutravailetservicemédicalPar Franck Duclos, Directeur délégué aux politiques sociales de la MSA

Franck Duclos, diplômé de l’École Polytechnique et de l’École nationale supé-rieure de techniques avancées (ENSTA), est directeur délégué aux politiques sociales de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) de-puis 2012. Auparavant à la CNAMTS durant sept ans, il fut notamment direc-teur adjoint et directeur administratif et financier du groupe UGECAM.Ingénieur en chef de l’armement, il a également travaillé à la Direction du Budget et comme chef du pôle budgétaire au cabinet du ministre de la santé et des solidarités.

IntroductionLa Mutualité Sociale Agricole (MSA) est une organisation professionnelle gestionnaire duservicepublicquigèrelaprotectionsocialeetfamilialedel’ensembledelaprofessionagricole(exploitants et salariés agricoles), soit près de six millions de personnes bénéficiant d’aumoins une prestation au régime agricole au 1er janvier 2015. La population active agricolecompte500000exploitantset1,2millionsdesalariés(nombretrimestrielmoyenou800000ETP).Organismeprivéchargédelagestionduservicepublic,laMSAsecaractériseparsonsystèmedémocratiquefondésurlesvaleursmutualistesdesolidaritéetderesponsabilité,uneconceptionglobalede laprotectiondechaqueadhérentquetraduitsagestionen«guichetunique»,uneorganisationdécentraliséepermettantunservicedeproximité.Placée sous la triple tutelle du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de laforêt, duministèredesaffaires socialeset duministèredubudget, laMSA reposesurunestructure décentralisée avec, au niveau national une Caisse Centrale (CCMSA), et au niveau départementaloupluridépartemental,35CaissesdeMSAetdenombreusesagenceslocalesaucontactdesassurésdumondeagricole.Ces trente-cinqMSAsont toutesàvocationgénérale :ellesproposentuneoffreglobaledeprestationssocialespourleursassurés,cequidifférencielaMSAdesautresorganismesdeSécuritéSocialeetconstituesonoriginalité.Elleémetetrecouvrelescotisationsetverselesprestationspourtouteslesbranchesdelasécuritésocialeagricole(maladie,famille,vieillesse,accidents du travail).Elleassureenfin,desmissionspourcomptedetiers,deprélèvementdescotisationsenmaladieet retraite complémentaires, de versement des prestations en maladie complémentaire ;d’infogéranceauprofitd’autresrégimesdesécuritésociale,notamment.Sesélusmaillentleterritoireetreprésententlestroiscollègesd’exploitants,desalariésetd’employeursdemaind’œuvre.Leurnombreimportant,detroiséluspourdeuxadministratifs,témoignentégalementdelavitalitéd’unmutualismetrèsancrédanslesterritoires.

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LaMSAestchargéedanscecadredelaSantéauTravailetdelaPréventiondesRisquesProfessionnelsauprèsdesentreprisesaffiliéesàlaMSA.Desmédecinset infirmiers en santé au travail et des conseillers en prévention des risquesprofessionnels accompagnent ainsi les entreprises agricoles dans leurs projetsd’améliorationdesconditionsdetravail,delasécuritéetdelasantéengénéraldesdifférentsopérateurs.La prévention des risques professionnels en agriculture est donc assise surles basesmises en place par les politiques nationales,mais en tenant comptelogiquement de certaines spécificités : les différentes populations à surveiller(salariésetnon-salariés),lesentreprisesagricoles(petitetailleetdispersion),lesrisquesprofessionnelsspécifiquespourcertains(produitsphytopharmaceutiques,risquesliésauxanimaux,auxmachines).

L’agriculturen’apaséchappéauxmutationssociales,économiques,structurellesettechnologiquesdutravail.Leconstatdanslemondeagricoleestlà:desmaladiesprofessionnellesenaugmentation,desaccidentsdutravailendiminutionmaisavecdescritèresdegravitéstables(cependantenaugmentationauniveaudescoûts),desaccidentsmortelstoujourstropnombreux,desdésordrespsychosociauxfréquentsetgravesettoutautantliésauxorganisationsdutravailqu’àl’environnementsocio-économique.

I-Aspectdémographique,lespopulationsagricolesEntantquerégimedeprotectionsocialedestravailleursagricoles,laMSAintervientauprèsdedeuxpopulationsdifférentes:lessalariésetlesnon-salariés(exploitants)dont lapréventiondesrisquesprofessionnelset lesuivimédico-professionnelnesontpasidentiques,enlienavecunerèglementationetdesmoyenssubséquentsdifférents.

En2015, lenombre trimestrielmoyendesalariésagricoless’élèveà1,2million,soit1,3milliardd’heuresdetravaildéclaréesparlesemployeursdemaind’œuvre.L’activitédesentreprisesaffiliéesaurégimeagricolesedécomposeenquatregrandssecteurs:laProductionagricole,lesindustriesdeTransformationagro-alimentaire,leTertiaireagricoleincluantbanques,assurancesetservicesàl’agriculture,ainsiquelesactivitésditesde«Paysagistesetcentreséquestresetautresactivités»orientéesvers lesservicesà lapersonneouà l’entreprise (paysagisme,centreséquestres,employeurs,artisansruraux,particuliers).

Concernant les non-salariés agricoles, 560 000 personnes sont couvertes parl’assuranceAccidentsdutravailetdesmaladiesprofessionnellesdesexploitantsagricoles (ATEXA) en 2015. Il s’agit des exploitants agricoles, collaborateurs etaides familiaux. Les secteurs des élevages de bovins et des grandes culturesregroupentleplusd’affiliésavecrespectivement30,2%et17,0%.

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I.1/ Le Plan Santé-Sécurité au Travail 2016-2020 en AgriculturePrésentation généraleConçupour tous les travailleurs agricoles par les experts des servicesSanté-sécurité autravaildelaMSA,leplan2016-20fixelesorientationsstratégiquespourmenerdesprogrammesd’actionsendirectiondepopulationsagricolessalariésetnon-salariés.

Lamissiondeservicepublicde laMSAl’amène,deparsaconnaissancedesaccidentsdutravail et des maladies professionnelles, à accompagner les entreprises dans l’évaluationdesrisquesprofessionnelset lamiseenœuvredesmesuresdeprévention,qu’ellessoienttechniquesouorganisationnelles.

LaSanté-sécurité au travail (SST) est une spécificité de laMSAqui est le seul régimedesécuritésocialeàavoirlachargedecettemission,encumulantlescompétencesdepréventiondesrisquesprofessionnelsetdesantéautravail.Depuis1999,unplanpluriannuelSSTpour5ansestpréparéauniveaucentraletapprouvéparleconseilcentraldelaMSA.Lechoixdesprioritésdepréventiondevientlechoixdelacaissedépartementaleoupluridépartementale,enfonctiond’unétatdeslieuxlocal,régionaletnational.Etdepuis1982,progressivement,lesmédecinsdutravail,lesconseillersenprévention,lesinfirmierssantétravailetlesadministratifsdédiéssontplacéssouslaresponsabilitédumédecindutravailchefdanschacunedesMSAdu réseau.

Le 5èmeplanSanté-sécuritéau travailpour lesannées2016-2020de laMSAest issud’unedémarcheparticipative.Ilprésentedesorientationspartagéesparl’ensembledesacteursdelasantéautravaildeMSAmaiségalementlespartenairessociaux,organisationspatronalesetsalarialesconsultéesaucoursdesonélaborationdans lecadredescomités techniquesnationauxdeprévention,demanièreàbienarticulerleslégitimitésdémocratiquesrespectivesdecesorganisationsetcellesdesélusMSAauconseilcentral.Ilexposelesaxesprioritairespourlescinqansàvenir,lesactionsquiserontmenéesverslesassurés,qu’ilssoientsalariés,employeursouexploitants.Lesmétiersdel’agricultureprésententdesrisquesspécifiquesliésàladiversitédesactivités,letravailaveclevivantetl’utilisationdenombreuxéquipements.

L’approche GDR pour la construction du planEn tant qu’organisme gestionnaire du risque AT-MP en charge d’une mission de servicepublic orientée sur la promotion de la prévention des risques professionnels auprèsdes entreprises, la MSA a une démarche de gestion des risques professionnels pouraméliorer l’efficience et l’efficacité de sa politique publique, mieux maîtriser et réduireles risques. L’objectif est de croiser une logique de service public avec une logiqueassurantielle, c’est-à-dire, pour le secteur des AT-MP, de renforcer les ressourceshumaines dédiées et les moyens financiers dans les secteurs et activités agricoles qui «coûtent»lepluscheraussibiensocialementqu’économiquement.

Lesrisquesprofessionnelsenagriculturesontnombreuxetleursconséquencestoutesaussivariées,desmanifestationslesplusbénignesauxeffetslesplusgravesetincapacitants.

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DanslaconstructionduplanSST2016-2020,cesrisquesontétécontextualisésen fonction :

Destravailleurs(âge,ancienneté,genre,statut,...); Des activités (plus ou moins de risques et des risques plus ou moinsspécifiques);

Desentreprises(desTPEauxgrandsgroupes); Denombreuxautresfacteurs(contexteéconomique,social,...).

Leciblageàpartirdecesdifférentscritèrestientcomptede lagrandevariabilitéde situation générée par lesmultiples facettes des expositions professionnellesde la population agricole et permet de définir les priorités d’action. Au final,chaqueprogrammed’actionsmisenœuvredoitpouvoirrépondreàunequestionfondamentale :«Pourquoi?»de façonàagir làoùdes risquesbien identifiésimpactentfortementlasantéetlasécuritéd’ungrandnombredetravailleurs.

Encohérenceaveclamissiondeservicepublic,leplanSST2016-2020prévoitunpilotagerenforcéparunemobilisationdel’ensembledesacteursdesservicesSSTetuneorientationdesmoyenssurunnombre limitédepriorités, justifiéesentreautresparuneimportantesinistralitéentermesdevolumeetdecoût.Inclusdanslepilotage,lesuividuplanreposesurdesmesuresd’indicateursderéalisationetderésultats,encoursetenfindeplan.

Quelquesrisquesouthèmesontdesrépercussionsplusimportantesquelesautrescompte-tenudeleurvolumétrieoudeleurcoût.Cessontlessuivants:

lerisqueanimaletlasécuritéaucontactdesanimauxdanslessecteursdel’élevage.Concernantlesexploitantsagricoles,lesmaladiesprofessionnellessontduesunefoissurdeuxaurisqueanimalet56%desaccidentsdetravaildes exploitants agricoles sont liés aux activités en élevage (notammentbovin)maiségalementdans lesecteuréquinoù l’onconstateunnombretrèsimportantd’accidentsdetravail.

lerisqueéquipementsdetravailagricoles.Cerisquereprésenteentre17%et18%descasd’ATpourlesdeuxpopulations.

le risque TMS (troubles musculo-squelettiques). Près de neuf maladiesprofessionnellessurdixsontdesTMS.

lerisquedechuteavecdénivellation.Concernantlesexploitantsagricoles,près du tiers desmouvements accidentels sont des pertes d’équilibre etchutesdelavictime.

lesATMPditgravesnonmortels.

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LesATMPgravesnonmortels, s’ilsne regroupentqu’unepetitepartiedesATMP(moinsde8%desATchezlessalariés,moinsde13%chezlesnon-salariés;moinsde33%desMPchezlessalariés,moinsde20%chezlesnon-salariés)représententàl’inverseunepartconsidérabledesdépensesdurégimedesATMP:

s’agissantdesATproprementdits,suivantlesannéesd’observation,entre70et80%ducoûtdesATsontdusauxATgravesnonmortelschezlessalariés;cetteproportionest de l’ordrede45à60%chezlesnon-salariés.

s’agissantdesMP,80%deleurscoûtsviennentdesMPgravesnonmortelleschezlessalariés,54%chezlesnon-salariés.

Compte-tenudeladiversitédesATgravesnonmortels,deparleurdispersionsurl’ensembledesfilièresourisquesconnusdanslesecteuragricole,laMSAamisenplaceuneenquêtesurlapériodedesaCOGafind’améliorerlaconnaissancedesfacteursdéterminantsdecesaccidentsdansl’optiqued’efficiencedesactionsdepréventionpourréduirelagravitédesAT.Troissecteurssontconcernésparcetteenquête : laviticulture, les jardinsetespacesverts(JEV)pourlessalariésetlesélevagesdebovinschezlesnon-salariés.

Les priorités du plan SSTLes plansSanté-Sécurité au travailmis en place de longue date au niveau national et enagricultureontimpulséunedémarchefondamentale:sedonnerdesprioritéspermettantd’agiràpartird’undoublediagnostic«sécurité»:celuiposéparlesentreprisesetceluirelevantdel’analyse des acteurs de la SST. Le Plan SST 2016-2020 devra continuer dans cette voie, en améliorantlapertinencedesesprogrammesd’actionsparunedémarchedeciblageréfléchiereposant sur des orientations stratégiques institutionnelles. Ceci permettra de prévenir lesrisquesliésauxexpositionsprofessionnelles,quellesquesoientleursconséquences(àcourtetàlongterme),deprévenir l’usureautravailetdepromouvoir lemaintiendansl’emploi.Ildoits’agird’unevéritablepromotiondelasantéetdelasécuritéautravailpourl’ensembledespopulationsactivesagricoles.

EncohérenceaveclesorientationsduPlanSantéauTravailn°3(PST3),pilotéparl’État,de«favoriserl’appropriationdelacultured’évaluationetdepréventiondesrisquespartouslesacteurs»etde«développerdesservicesd’accompagnementàl’évaluationdesrisquesauprofitdesPME-TPE»quiconsistentà«changeretrenforcerl’approcheduDUERPauprofitd’un document traduisant un processus pilote de prévention raisonné et opérationnel », laMSAs’attacheradanslamiseenœuvredesonplanSST2016-2020àrenforcerenparticulierauprèsdesentreprisesdessecteursd’activitéidentifiéscommeprioritaires,l’accompagnementcollectifàlamiseenplaced’unedémarched’évaluationdesrisques.

Six grands axes ont été dégagés par ce plan :Commeévoquéplushaut:

Lerisqueanimal Lerisquemachineetlerisquechutedehauteur Les TMS

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L’exposition au risque chimique, puisque près de 10 % des salariéssont exposés à des produits chimiques cancérogènes, mutagènes etreprotoxiques.

Lesrisquespsychosociaux,avec35à60%destravailleurs,quiévoquentdespressionspsychosocialesautravail.

L’employabilitédesactifsagricolescar l’allongementde laduréede lavieprofessionnelleposedenouvellesproblématiquesdemaintienenemploiquidoiventêtreprisesencompte.

Parailleurs,laMSAportera: l’évaluationdesrisquesprofessionnelsetlamiseenplacedeplansd’actionpropres à chaque entreprise, comme une démarche incontournable deprogrèspourlasécuritéetlesconditionsdetravaildessalariés.

lapromotiondelaqualitédevieautravaildanslemilieuagricole.Laqualitédevieautravail(QVT)consisteàinciterlesentreprisesaudéveloppementde la prévention en démontrant que les investissements dans la santéet la sécurité, outre qu’ils participent au bien-être des personnes, sonteffectivementrentablespourl’entreprise.

Pourchaquepriorité,ontétédéfiniesdesactionsprécises(issuesdel’expérienceoudenouvellesactions)àmettreenœuvreparl’ensembledes35MSAafindepouvoirévalueràtermel’effortfourni.Cesactionsfontpourlaplupartl’objetd’unprotocoleetd’unemiseenmaind’unoutillageparlaCCMSA.Leursdéveloppementsetleursadaptations/enrichissementsdoiventêtreaccompagnéstout le longduplan.DesobjectifsciblesderéalisationdesactionsontétécommuniquésauxMSAavecleplanSSTnationalapprouvéparleconseilcentraldèsjuillet2015.ChaqueMSA,aucoursdelapériodejuillet-novembre2015,adéclinéleplanSSTnationalenplanSSTlocaletaproposédesobjectifsciblessurchacunedesactionsnationales.LaCCMSAaarbitrédenovembreàfévrier2016surlesciblesproposéesparchaqueMSAdemanièreàlafoisàatteindrelesambitionsnationalestoutentenantcomptedes situations locales.

I.2/ Focus sur des actions portées par le plan ou nonAgir sur la conception des machinesLesaccidentsmettantencauseunemachinereprésententdanslemilieuagricole 30% desATmortels, plus d’1AT sur 6 et 20% des coûts de réparation pourl’organismedesécuritésocialeMSA.Dansunelogiquedeprévenirlesrisquesleplusenamontpossible (préventionprimaire)et leplusefficacementpossible, leplanSSTestaxésuruneinterventiondèslaconceptiondesmatérielsenagissantau niveau de leur normalisation et de leur réglementation afin de développerdessolutionsinnovantesplussûres.Pourcefaire,àchaqueannéeduplanSST(2017à2020)estidentifiéunnombrelimitédemachinespourlesquelleschaqueMSA est amenée à réaliser des enquêtes après accidents ou des observationsd’activité de travail. Les matériels annuellement retenus correspondent aux

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matérielsgénérantleplusd’accidentsetlesanalysesdelaMSAsontinscritesdansuncalendriernormatif.Ainsi laMSAporteradanslesinstancesdenormalisationoude réglementation en concertation avec le ministère de l’agriculture, la connaissancedescirconstancesdesaccidentsetlesdifficultésd’utilisationdansdesenvironnementsdetravailréels.Detelséclairagespermettrontd’êtredavantageexigeantetplusefficacesurlesmesuresréglementairesàprendredèslaconceptiondesmachinesenmatièredepréventiondesrisquesprofessionnels.

Le « guichet unique » de la MSA

Levieillissementde lapopulationactive, l’allongementde laduréede lavieprofessionnelleetl’expansiondesmaladies,notammentdesmaladieschroniques,expliquentaujourd’huilesraisonspourlesquellesdessalariésetdesnon-salariésagricolessortentdumarchédel’emploi,faisantainsiprogresserlesrupturesprofessionnellesliéesàl’étatdesantédel’individu.

Maintenir en emploi les travailleurs souffrant d’un problème de santé ou d’un handicapdevientainsiunenjeupourlapopulationagricoleetdoncunenjeuinstitutionnelpourlaMSA,pris en compteenparticulier dans le cadrede sesobjectifsCOG (par l’actiondes cellulespluridisciplinairesdemaintienenemploi)etduplansantéetsécuritéautravailenagriculture2016-2020,vial’axeemployabilitéetpréservationdelasantéautravail.

Les cellules pluridisciplinaires de maintien en emploi : manifestation du guichet unique MSA

Lacellulepluridisciplinairedemaintienenemploi(diteCPME)estuneinstancedeconcertationetd’accompagnementdutravailleuragricoleenrisquededésinsertionprofessionnelle.

Avec l’accord préalable de l’assuré, la CPME assure un accompagnement renforcé etindividualisédecelui-cigrâceàladétectionprécoced’unéventuelproblèmedesantépouvantimpactersonaptitudeaupostedetravail.

Lapriseenchargedutravailleuragricolefragiliséestassuréeencinqétapes: ladétectiondelasituationàrisque l’alerte à la CPME laphasedecoordinationetdedéfinitiondel’actionparlaCPME lamiseenœuvreetlesuividel’action l’évaluation de l’action.

Enoutre,afinquel’assurépuissebénéficierd’uninterlocuteuruniquesurceprojet,unpilote«maintienenemploi»l’accompagneindividuellementetlesuittoutaulongdesonparcours.

LaCPMEa lavolontédeprendreencompte lasituationglobalede l’assurépour favoriserses chancesdemaintien : les informationsmédicales (dans le respect du secretmédical),économiques et sociales de l’assuré sont donc analysées afin d’identifier l’action la plusadéquateàsasituationsocio-professionnelle.

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Pourcefaireetainsioptimiseraumieuxcetempsd’accompagnementetd’action,laMSAmobilisesonguichetuniqueenfavorisantuntravailenpluridisciplinaritéentreles services concernés : l’action sanitaire et sociale (conseiller social), le service santéetsécuritéautravail(médecindutravaildutravail,conseillerenprévention,infirmier)et lecontrôlemédical (médecin-conseil), tousreprésentésa minima en sein de la cellule.

L’axe employabilité et préservation de la santé au travail : la coordination recherchée entre médecin du travail, médecin-conseil et médecin traitant, acteurs pivot du maintien en emploi

L’undesdomainesoùl’onnoteundéficitdecoordinationpréjudiciableàl’assuréestceluiconcernantlamédecinedevilleetlamédecinedutravail.

Mais, parce que la coordination entre les professionnels de santé assurant lesuivioul’accompagnementmédicaldel’assuréestnécessairepourmaintenirenemploilestravailleursagricolesendifficulté,médecindutravail,médecin-conseiletmédecintraitantdoiventcollaborer,demanièreefficace,enidentifiantnotammentlesoutilsquileurpermettrontd’interagirleplusenamontpossibled’uneéventuelleruptureduparcoursprofessionnel.

Aussi, dans le cadre du plan SST 2016-2020, une action est-elle à mettre enévidence:lavisitedepré-reprise,outilfavorisantlemaintienenemploidusalariéagricoleet identifiéecommetelledans lecadrede laréformeElKhomride l’été2016 et du PST3.

Initiéepar le salarié, lemédecin traitant ou lemédecin-conseil pour les salariésen arrêt de travail, elle permettra aumédecin du travail d’anticiper les besoinsnécessaires à une reprise professionnelle en recommandant notamment àl’employeur,avecl’accorddusalarié:

desaménagementsetadaptationsdupostedetravail; despréconisationsdereclassement; desformationsprofessionnellesàorganiserenvuedefaciliterlereclassementdusalariéousaréorientationprofessionnelle.

Les cellules de prévention du suicideLa prévention du suicide est un enjeu fort pour le soutien de nos populationsagricoleset laMSAs’estengagéeàdévelopper,au traversdunouveauplandepréventiondusuicide2016-2020,le«guichetunique»etlerôledesélus.Lamiseenplacedecellulespluridisciplinairesdeprévention(CPP)estledispositifmajeurdepréventionprimaire,secondaireettertiaire.C’estuntravailenpluridisciplinaritéquiabordelesproblématiquesdespersonnesensituationsdefragilité:précarité,handicap,risquespsychosociauxetsuicide.

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Quelqueschiffressurl’activité2015descellulespluridisciplinairesdesMSA:

En 2015 :•1106situationsdétectées,852nouvellessituationsaccompagnées, 243situationsurgentesavecunrisquesuicidaire,soit22%dessituationsdétectées.

•Depuis2012,2003situationsaccompagnéeset2396nouvellessituationsaccompagnées.

LescontributeursauxsignalementsauxCPPsonttrèsvariésetviennentprincipalement: Des travailleurs sociaux (327), DesservicesMSA:agentsd’accueil(122)+autreserviceMSA(116) DesservicesmédicauxMSA(105) DesorganismesprofessionnelsOPA(83) Del’intéressélui-même(76),sonentourage(59) Des élus MSA (53) Maisaussiparfoisdesmédecinsgénéralistes,despsychologues.

LespartenairesdesCPPsontdeplusenplusnombreux.Onpeutciter: LesOrganisationsProfessionnelsAgricoles(OPA), lesassociations locales, lesARS,lesconseilsdépartementaux

Desconventionssontco-signéespourunesynergied’actionsefficientesprincipalementavecdesréseauxdepsychologuespour53,1%despartenariatsMSA-Psychologues.

Ces cellules s’appuient sur un réseau de sentinelles avec des sessions de formationsspécifiquesaurepéragedessignesderisquessuicidairesetdesséancesdesensibilisationdupublicpourplusde2/3desMSA.

Enoutre,cetteactiondeterrainestcomplétéeparunapprofondissementdelaconnaissanceduphénomèneavecl’INVSpuisSantéPubliqueFranceetparunnumérod’écoute(Agri’écoute).

ConclusionS’appuyantnotammentsurunelogiquedegestiondurisque,lenouveauplanSST2016-2020a fait le choix de s’investir particulièrement sur certaines priorités, de façonà agir grâceàl’effortdel’ensembledesMSAlàoùlesrisquessontbienidentifiésetimpactentfortementlasantéetlasécuritéd’ungrandnombredetravailleurs.Maisau-delàduPSST,d’autresactivitésde prévention dont les aides financières, les études et recherches, lamise enœuvre desobligationsliéesauxmissionsdeservicepublic,viennentrenforcerlesactionsduplan.

La transversalité entre les services desMSA, le rôle des élus, la proximité territoriale desservicesconcourentàl’efficacitédecesactionsdepréventiondesrisquesprofessionnels.

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LesmétiersdelapréventiondesrisquesprofessionnelsPar Georges Lischetti, Ingénieur conseil régional, Directeur des risques professionnels à la CARSAT Alsace-Moselle

De 2001 à ce jour : successivement Ingénieur Conseil spécialité Chimie (2001-2006), responsable du pôle formation (2007-2008), responsable de la circonscription du Bas Rhin (2009-2012), puis Ingénieur Conseil Régional (à compter de 2013).De 1978 à 2001 : diverses fonctions, techniques et managériales, dans l’in-dustrie chimique.

I-Laprévention:uneidéequiamisdutempsàémergerI.1/ Les prémices de la prévention au XIXème siècleLapriseen comptedesaccidents du travail et desmaladiesprofessionnelles fut, au fil dutemps,unesuccessionde«révolutionssociales»quiontaccompagnélesdiversesrévolutionsindustrielles.Ellesontmenénotresociétéd’unmondeagricoleversunsystèmemondialisédanslequellagénérationetlagestiondesdonnéessontsurlepointdecréerplusderichessesqueletravail.Le rapport duDocteur Villermé de 1840 intitulé «Tableau de l’état physique etmoral desouvriersemployésdanslesmanufacturesdecoton,delaineetdesoie»1,décritavecprécisionleseffetsdel’industriesurceuxqu’elleemploie.Lanécessitédeprendredesmesurespour«prévenir»leseffetscatastrophiquesdutravailsurlasantédelapopulation,confirméeparleconstatqueprèsde90%desconscritsvenantdesdépartementsindustrielssontréforméscardéjàphysiquementdiminués,verralapromulgationen1841d’uneloi2limitantàhuitansl’âge d’admission des enfants dans les entreprises. Il faudra attendre trente-trois annéessupplémentairespourquecettelimited’âgesoitportéeàdouzeans!Cerapportévoque,sans forcément lanommer, lanécessité impérieusedemettreenplacedesactionsvolontairesdeprévention,neserait-cequesurl’argumentsuivant:«Desigrandsintérêts valent bien la peinequ’on y réfléchisse.Rappelons ici aux chefsde l’industrie, quidoivent plus particulièrement s’en émouvoir, que les ouvriers desmanufactures forment lamasse du peuple dans beaucoup de villes, et qu’on ne les conduit, qu’on ne les modèreaisémentquequandonaleurconfiance».Desindustrielsnovateursfontcertainementlelienàcetteépoqueentrecettesituationetleseffetsliésàlagénéralisationdesmachinesdanslesmanufactures.C’estainsiqu’en1867,la

1 http://sspsd.u-strasbg.fr/IMG/pdf/Villerme1.pdf2 Votéesousleministèred’AdolpheThiersen1840,ellefutpromulguéele21mars1841.

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SociétéindustrielledeMulhouse(sociétésavantecrééeen1826pardesindustrielsprotestantsetreconnued’utilitépubliqueen1832)créalesbureauxdel’Associationdespropriétairesd’appareilsàvapeur(quiestdevenueApave),quivaaidercesindustriels à prendre en compte les risques desmachines à vapeur.Ce sera àterme,avecsa«sœur»l’ApaveduNord,lesstructuresquiserontàl’origine,bienplus tard,de lapremière réglementationd’applicationnationalesur la sûretédefonctionnementdesmachinesàvapeur3.LadéfaitedestroupesfrançaisesàSedanen1870vadéfinitivementconvaincrel’Étatquedesmesuresfortesdoiventêtreprisespourfairecesserlesconséquencesdésastreuses liées aux conditions du travail sur l’état physique des citoyens.En découlera une structuration de l’inspection du travail ayant pour mission laprotectionlégaledesenfantsetlaprévention,autantquepossible,desmaladiesprofessionnellesetdesaccidentsdel’ensembledessalariés.La loi de 1898 vient confirmer le manque d’efficacité d’une approche baséeuniquement sur la persuasion des industriels menée jusque-là. L’employeursera dès lors civilement responsable de l’ensemble des accidents survenantdans sonentreprise. Il ne sera plus question de responsabilité pour faute (saufcas exceptionnels), mais de responsabilité basée sur la notion de « risqueprofessionnel»avecencontrepartieuneindemnisationquiresteraforfaitaire.Lesentreprisessontdoncamenéesà«s’assurer»contrecerisqueauprèsd’assureursprivés, ou d’assumer ce risque via un dispositif d’auto-assurance (commedanslesminesetcertainesbranchesd’activités).C’esten1919quel’indemnisationdecertainesmaladies liéesà l’activitéprofessionnellesera renduepossibleavec lacréationdespremiers«tableauxdemaladiesprofessionnelles».

I.2/ La prévention est devenue un axe prioritaire lors de la création de la Sécurité socialeAprès-guerre, laSécuritésociale fut crééepar lesordonnancesd’octobre1945,pourprendreàsachargeuncertainnombrederisquessociaux.Certainsétaientliésàdessinistres(maladie,invalidité…),d’autresétantlaconséquenced’événementsheureuxinfluantsurlerevenudelafamille(naissanceparexemple).Lesrisquesliésàlavieprofessionnelle:risquesdel’insécuritédel’emploi,d’uneinsuffisancederémunérationdel’activitéprofessionnelle,delésionscorporellesdansl’exécutiondutravail…pouvaientdèslorsentrerdanslechampdesrisquessociaux.L’idée de transférer l’assurance des accidents du travail vers la Sécurité Sociale étaitsuggéréeavantlalibérationdansle«PlanParodi»,maisilfallutattendrelaloidu30octobre1946pourintégrerlaprotectioncontrelesaccidentsdutravailetlesmaladiesprofessionnellesdanslechampdelaSécuritéSociale.Lagestionactuairelaisséejusqu’alorsauxassureursprivésnesouffraitd’aucunecritique.Enrevanche,lapréventionnebénéficiaitqued’unfaibleengagementde

3 Lanouvelleréglementationdesappareilsàvapeurfonctionnantàterre(rapportauPrésidentdelaRépubliquedu7octobre1907,décretdu9octobre1907.Circulaireministérielledu29octobre1907),parMM.A.OlryetP.Bonet,Lille,impr.deL.Danel,1908(noticeBnFnoFRBNF31036337)

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leurpart.Aprèsêtrepasséd’unelogiquederesponsabilitéàcelled’uneréparationforfaitaire,unpasdeplusserafranchiafindepromouvoirlanotiondepréventiondesaccidentsdu travail et desmaladiesprofessionnellesetmêmed’affirmerunevolontéderedonnerà lavictimesacapacitéde travailau traversde lamiseenœuvredesoinsappropriés4.Lalecturedel’exposédesmotifsdelaloidu30octobrelaisseapparaîtreclairementunevolontédeprivilégierunenouvelleapprochebaséesurlapréventionautantprimairequetertiaire.Lacirculaire147SSdu5juillet1949préconiselerenforcementducontrôledesécurité.

II- La créationd’unmétier spécifiquede«préventeur » au sein descaissesrégionalesII.1/ Des compétences en rapport avec les risquesCesontlescaissesrégionalesdeSécuritésociale(dénominationjusqu’en1967lorsqu’ellesdeviendront lescaisses régionalesd’assurancemaladie,puiscaissed’assurance retraiteetsantéautravailen2010)quiaurontenchargelagestiondesrisquesprofessionnels.Prenantla place des compagnies d’assurance qui ne sont plus autorisées à couvrir ce risque, uneprioritéd’embaucheestalorsofferteaupersonnelprécédemmentemployéparcessociétésd’assurance.Cetteprioritépermetdefaireappelà«despersonnelscompétentseteffectuantdéjàcetravailavecuncertainentraînement»5.Les caisses régionales interviennent directement dans les entreprises en invitant lesemployeursà«prendretoutesmesuresjustifiéesdeprévention».Pourcefaire,ellesrecrutentdes contrôleurs de sécurité et des ingénieurs conseils dont « les compétences techniquessontdequalité,etacquisesdanslesdomainesgénérantlessinistreslesplusnombreux»àcetteépoque.Lesstatistiquesd’accidentsétaientàl’époqueélaboréesparcescaissesàpartird’unelisted’élémentsmatérielscomposéede42famillesdont25couvrantdesmachinesetappareils.C’est dire l’importance forcément accordée aux spécialistes des domaines de lamécanique.Lacirculaire147SSdu5juillet1949préconiselerenfortducontrôleetdonnedespréconisationssur l’embauchedecontrôleursdesécuritéetd’ingénieursconseils,dont lenombrepourraitêtre fonctiondes tauxde cotisationpayéspar les entreprises. Il est spécifiquement stipuléquelarelationseraàfaireentrelescompétencesembauchéesauvudesspécialisationsetdes activités industrielles de la région. Ces personnels seront formés par l’institut nationaldesécurité (INS)etdisposerontd’unagrémentdélivrépar lesministèresdu travailetde laSécurité sociale.Au fil du temps, une adaptation permanente aux évolutions industrielles et aux nouveauxprocessusgénérateursderisquesserademandéeàcescaisses.Lacirculaire24SSdu30mars1960préciseparexemplelesmissions(etdonclescompétencesattendues) incombant aux ingénieurs conseils et aux contrôleurs de sécurité. Lespremierscités se consacrent plus particulièrement à « des études ou recherches, la responsabilité

4 ÉditionINRSED926(2004)«Transfertdel’assuranceaccidentsdutravailàlaSécuritéSociale»5 ÉditionINRSED926(2004)«Transfertdel’assuranceaccidentsdutravailàlaSécuritéSociale»:page73

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d’un secteur déterminé (contrôle, enseignement, propagande), l’encadrementdes contrôleurs, la visite d’usines ou de chantiers des entreprises importantespossédantelles-mêmesuningénieurdesécurité».Leparagrapheseterminepar:«Ilseraiteneffetregrettable,àtouspointsdevue,quel’agentdecontrôledelacaisserégionaleapparaissemoinsqualifiéquelereprésentantdel’employeur».Lescontrôleurs,sous l’autoritéd’un ingénieursontdesagentsdeterrainvisitantdessecteursdéterminés,qu’ilssoientprofessionnelsougéographiques.Cechoixdétermineralescritèresd’embauche;soitdisposerdesconnaissancesd’unmétier,soitavoiruneformationgénéraleettechnique.Leniveaudequalification(ouvrierqualifiéouBEP)seracomplétéd’une«longuepratiqued’uneprofession».Lacirculaire76SSdu17juin1963repréciselanécessitédeveillerauxcompétencestechniques exigées lors des recrutements des contrôleurs et de l’indispensableassiduité à la formation continue proposée par l’INS. Le constat est fait que lepersonnelissudesanciennescompagniesd’assurancedisposaitenfaitdevaleursprofessionnellesinégales.Unenouvellecirculairen°43S.Sdu19mai1965redéfinitleprofilderecrutementdescontrôleursdesécurité.Sipour les ingénieurs, il avait toujoursétéexigé lapossession par l’intéressé d’un diplôme d’ingénieur reconnu et de cinq annéesd’expérienceprofessionnelle,leniveaudescontrôleursétaitvariabled’unecaisseà l’autre. Cette circulaire instaure pour ces derniers la double exigence d’uneexpérience de trois années de « pratique industrielle » et d’un niveau brevetprofessionnel (BP), brevet d’enseignement industriel (BEI) ou d’un brevet detechnicien.Cesdiplômessontlesprécurseursdesbacs+2exigésdenosjours.

II.2/ Une organisation variable des services prévention sur le territoire

Dèslacréationdescaissesrégionales,lapossibilitéleuraétédonnéed’imposerdesmesuresdeprévention,soitparlavoiedesdispositionsgénéraless’adressantàl’ensembledesemployeursexerçantlamêmeactivité,soitparvoied’injonctions.Cetteprérogativeaétévouluepourpermettreauxagentsassermentésdescaissesdedisposerd’undroitsimilaireaudispositifdemiseendemeurede l’inspectiondu travail. En cas d’inexécution des mesures prescrites par les contrôleurs oules ingénieurs, ce sera la caisse régionale qui pourra imposer une cotisationsupplémentairetantquelerisquesubsistera.Cedispositifdissuasifestconçupourêtreuneincitationàlapréventionetnonunesanctionpénale.Chaque caisse régionale dispose donc des mêmes moyens d’action, tout ens’organisant, en concertation avec les partenaires sociaux qui administrent cescaisses,entenantcomptedesspécificitésetdesatypismesdutissuéconomiquerégional.Iln’yapasd’organisationtype,pasderèglesurlenombreetleratioentrecontrôleursdesécuritéet ingénieursconseils.Certainescaisses travaillentavecunepolyvalencedescontrôleurs,d’autresavecdesspécificitésmétiers,certainescaissesdisposentd’antennesoud’agences,d’autressontcentralisées…

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Lacirculaire76SSdu17juin1963faitleconstatdesdisparitésdefonctionnementdes caisseset préconiseunehomogénéisationde l’organisationdes« tournées»enlabasantsurlasinistralitéetdotantlecontrôleurdefichesdesituationsetdefichesd’analyse. Ces dernières devaient lui permettre de préparer d’une part des visites depréventionen«actionnormale»etd’autrepartdedéterminerlesétablissementsnécessitantdes«actionsprioritaires».Cettemêmecirculaireapourobjetd’orienterl’activitédesservicespréventionpourharmoniserlesvisitesd’établissement,lesenquêtessuiteàaccident,lesactions«d’éducation»dansl’entreprise,lerecoursauxcentrespsychotechniquesetauxlaboratoires,la distribution dematériel de soins d’urgence… autant d’éléments traités différemment parchaquecaisse.Unpointcommunàtouteslescaissesestliéaufaitquecontrôleursetingénieursbénéficienttous d’une formation initiale de professionnalisation lors de leur entrée dans l’institution,garantissantunedémarchedepréventionetuneapprochedesentreprisespartagéeauseindelabrancheaccidentdutravail/maladieprofessionnelle(brancheAT/MP)delaSécuritésociale.Cetteformationinitialeestsanctionnéeparl’obtentiond’unagrémentquiestobligatoirepourlapratiquedumétierdepréventeur(ingénieursetcontrôleurs).Cetagrément,au-delàdesonbutdeformation,confèreauxpréventeursdesdroitsd’accèsetdecontrôledanslesentreprises,droitsquel’onretrouverésumésdans les articles L. 422.3 et R. 422.4 du code de la Sécurité sociale6figurantaudosdelacarteprofessionnelledecespréventeurs.

II.3/ Les principales activités des ingénieurs conseils et des contrôleurs de sécuritéLesservicespréventiondesrisquesprofessionnelsdesCARSATontpourmissionprincipaleladiminutiondesaccidentsdutravailetdesmaladiesprofessionnelles.Pourcela,ilss’appuientsurdesmoyenshumainsetfinanciersqui leurpermettentd’êtredesacteursmajeursde lapréventiondesrisquesprofessionnelsenrégion:

endéveloppantdesactionsverslesbranchesprofessionnellesetenintervenantauprèsdesentreprises,

en établissant des statistiques relatives aux accidents de travail et maladiesprofessionnelles,

enutilisantcomplémentairementlesincitationsfinancières(cotisationssupplémentaires,ristournes,aidesfinancièressimplifiées,contratsdeprévention),

enorganisantdesformationsàl’intentiondesentreprises, endiffusantdeladocumentation, enconduisantdesactionsauniveaudelaconception, en contribuant à la formation initiale avec l’éducation nationale et l’enseignementsupérieur,

en contribuantaudéveloppementdelapluridisciplinarité.

Aujourd’hui,defaçonnonexhaustive,lesagentsdesservicespréventionexercentlesactivités7 suivantes(engraslecœurdemétier):6 https://www.legifrance.gouv.fr/7 Lesévolutionsdesmétiersdelaprévention.GroupedetravailDRP/CARSAT–Décembre2014–CARSATPays-de-Loire

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Les ingénieurs conseils contribuent à la définitionet à lamiseenœuvredesorientationsstratégiquesdepréventiondesrisquesprofessionnelsencollaborationaveclespartenairesinternesetexternesetsontinvestisdans:•lerecueiletladiffusiondedonnéesstatistiques,•l’animation du dialogue avec les instances paritaires de la branche

AT/MP,•laprogrammationetlepilotagedel’activitéduservice,•le management des équipes,•l’intervention vers les entreprises,•laformation,•la mise en œuvre et la gestion des incitations financières positives

et négatives,•la construction, l’animation, le développement de partenariats,•l’animation de réseaux,•l’évaluation et la capitalisation des actions,•le reporting,•lacoopérationaveclesautresmétiersdelabrancheAT/MP,•laparticipationàdesprogrammes/actionsnationalesouinterbranches.

Les contrôleurs de sécurité contribuent à la prévention des risquesprofessionnels en mettant en œuvre des actions ayant pour objectif deréduire le nombre et la gravité des accidents de travail et desmaladiesprofessionnellesetd’améliorerlesconditionsdetravaildessalariés.Ilssontentreautresmissionnéspour:• l’intervention vers les entreprises,•laformation,•la mise en œuvre et la gestion des incitations financières positives

et négatives,•laconstruction,l’animation,ledéveloppementdepartenariats,•l’animationderéseaux,•l’évaluation et la capitalisation des actions,• le reporting,•lacoopérationaveclesautresmétiersdelabranche,•laparticipationàdesprogrammes/actionsnationalesouinterbranche.

Sansentrerdanslesdétailsdechaqueactivité,explicitonsenquelques-unes:

La branche AT/MP est une des dernières branches qui conserve leparitarisme comme un de ses piliers de fonctionnement. Les servicesprévention des CARSAT sont accompagnés par deux types d’instancesparitaires, la CRATMP et les CTR. La CRATMP8 qui, par délégation duConseild’administration,estgarantedeladéfinitiondelapolitiquerégionaleetdelabonnegestionbudgétaireduservice.Elles’appuiesurdesCTR9 dont lenombrefixépararrêtévaried’unerégionàl’autreetdontlesprérogatives

8 Commissionrégionaledesaccidentsdutravailetdesmaladiesprofessionnelles9 Comitéstechniquesrégionaux

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sont d’ordre plus technique (traitement des dossiers de minoration et demajoration, recommandations régionales, etc.). Les ingénieurs sont en charge de l’animation de ces diverses instances.

Un autre rôle fondamental de l’activité des ingénieurs est le management des équipes.Eneffetdenombreuxingénieurssontencharged’équipesdecontrôleursetdepersonnelsadministratifs.

L’intervention directe en entrepriseestplussouvent l’apanagedescontrôleursdesécurité.Lesingénieursconseilssont,selonlecas,amenéségalementàpratiquercesvisites.Elles sont légitiméesentre autres par les pouvoirs que confèrent les articlesL. 422.3 et R. 422.4 précédemment cités. La difficulté réside dans le fait que lespréventeurs ne peuvent visiter la totalité des entreprises (lamoyenne nationale desvisitesestd’environ3%d’entreprisesvisitéesannuellement)etqu’ilsdoiventapporterlamêmeattentionàuneTPEqu’auxgrandsgroupes.Lechoixconcernantlesentreprisesvisitéesreposentsurdescritèresdesinistralité,surdesthématiquesnationalesdictéesparleContratPluriannueldeGestion,surdesmétiersouactivitésàrisquesavérés(leBTPparexemple),suiteàunATgrave,etc.Afinderendreceschoixlespluspertinentspossibles,labrancheAT/MPdoitêtreenpossessiondestatistiquesdesinistralitéfiablesetexploitablesquireposentessentiellementsurletravaildesservicestarificationetdesCPAM.

Parmi les outils d’incitations financières dont disposent les préventeurs, citons lamajoration du taux de cotisation suite à une injonction faite à l’entreprise pourinobservationconstatéedesmesuresdepréventionetlaminorationdetauxsoitsurlapartietrajet,soitsurlapartiecollectivedutauxtravailpourdesentreprisesquimettentenœuvredesmoyensdepréventionremarquables.Lescontrôleursdesécuritéetlesingénieursconseilsconcourentensembleàlamiseenplacedecesmesures.

D’autres incitations financières sontgéréesparlespréventeursdescaisses.CitonslesAides Financières Simplifiées qui s’adressent à des TPE/PME de moins de 50salariéset lescontratsdepréventionquis’adressentàdesentreprisesdemoinsde200salariés.ToutescesincitationsfinancièressontfinancéesparleFondsNationaldePrévention des Accidents de Travail.

Compte tenu de l’importance du champ d’investigation au regard des moyens descaisses, le travail en partenariat prend une place prépondérante dans l’activité desIngénieursetdescontrôleurs.Ilsnouentcespartenariatsetenaniment les réseaux.

Dans unmonde où il faut prouver la pertinence des actions, l’évaluation a pris uneampleur plus importante depuis quelques années. Chaque action doit pouvoir êtreévaluée a posteriori et, dans ce domaine, la totalité des préventeurs est impliquée,chacunpoursapartie.Cettetâcheincombegénéralementplusauxingénieursqu’auxcontrôleurs.

Enfin la conduite de projets, tant nationaux sur des chantiers délégués querégionauxestunepartiemajeuredel’activitédesingénieurs.Celarequiertdenouvellescompétencesquel’onaborderaplusavant.

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Lesdescriptionsdétailléesdecesmétiers(présentation,activitéetcompétences)sontaccessiblesdanslerépertoiredesmétiers10del’UCANSSsouslesréférencesingénieurconseil(Code503)etcontrôleurdesécurité(Code505).Silesactivitésdesingénieursetdescontrôleurspeuventparaîtresimilaires,iln’enestrien.Ellessontcomplémentairesetpeuvent,enpartie,serecouper.

III-Unmétierquiévolue,enlienaveclesrisquesauseindesentreprisesIII.1/ La prévention en entreprise a connu des évolutions importantesDe nombreux facteurs concourent aux transformations passées et à venir dumétier de préventeur. Sans être totalement exhaustif, il est possible d’en citerquelques-uns.DepuislapriseencomptedesaccidentsdutravailparlabrancheAT/MP,lesuivistatistique des accidents montre une baisse11 quasi ininterrompue du nombred’accidentsdu travail.Cettedivisionparquatredessinistresestmultifactorielle.Elle est imputable aux évolutions du tissu industriel qui a vu disparaître unnombre importantdesituationsde travail dangereuses,auxefforts faitspar lesentreprisesentermesdepréventiondesrisques,maisaussiàlaqualitédutravaildespréventeurs.Parcontre,lenombredemaladiesprofessionnellesnemarquepaslepas.Leurpriseencomptefaitappelàuneapprochedifférentedecelledel’accident.Ledéveloppementdutertiaire,l’explosiondesemploisdansledomainedel’aideàlapersonne,ladensificationdutravail,lasegmentationdestâches,l’apparitionderisquesémergents(risquespsychosociaux,risquesbiologiques,expositionauxnanomatériaux,…)sontautantd’évolutionsquirequièrentdupointdevuedelapréventiond’autrescompétencesetdenouveauxoutils.Lesconceptsquisous-tendentlapréventionontégalementchangé.Pourqu’uneidéesoitacceptée,ilfautquesonconceptsoitlargementpartagéetneheurtepaslesmentalités,lescroyances,leshabitudesd’unesociété.Dans les années 1950, vu le nombre important de sinistres, la démarche depréventionétaitbaséesurl’analysedel’accidentafinqu’ilnesereproduiseplus.Dès la décennie suivante, l’approche dichotomique entre un facteur humain etun facteur techniqueestapparue.L’accidentest devenu la conséquenced’unedéfaillancemécaniqueet/oud’uneerreurhumaine.Lesannées1970ontvunaîtredesconceptsdesécuritéintégrée,delasupérioritédelaprotectionrapportée(protectioncollective)surcellequiseraportée(protectionindividuelle). Durant cette décennie, l’approche systémique (modélisation) est

10 http://dom-extra.ucanss.fr/ucanss/public/prod/eRDM.nsf/wmRechercheRDM?openform11 http://www.risquesprofessionnels.ameli.fr/statistiques-et-analyse/etudes.html / Baisse des accidents du

travailsurlelongterme:sinistralitéetélémentsexplicatifsparsecteurd’activité–Pointderepèren°32décembre2010

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appliquéeauchampdelapréventionqui,decefait,devientplurifactorielle.L’INRS12 (exINS)développeàcemomentlaméthodedel’arbredescauses.Lapréventionpassed’uneanalysea posteriori de l’accident à une analyse a priori.Les années 1980 se nourrissent des évolutions précédentes pour promouvoir undéveloppement des sciences pluridisciplinaires. Il ne s’agit plus d’opposer les sciences del’ingénieur(mécanique,chimie…)auxscienceshumaines(médecine,psychologie,…),voireauxsciencessociales (économie, sociologie,…).L’idée fait cheminqu’il faut combiner cesapprochesetformerlespersonnespourqu’elless’imprègnentdesautresdisciplines.Des théoriciens de la cyndinique (science du danger) prônent depuis les années 1990l’avènementdesnotionstelleslamaîtrisedesrisques,lapriseencomptedurisquerésiduel,lesméthodesdehiérarchisationdesrisquesetdoncdepriorisationdesmesuresdeprévention.Aujourd’hui, les réflexionscontinuent, sanspourautant rejeter lesconceptsprécédents.Lapréventionsedétourned’uneanalysedesaccidentsetd’uneévaluationdes risquesbaséeuniquementsurlepassépourmettreenœuvredenouvellessynergiesafindetravaillersurtouslesaspectsdu travail (sécuritéphysique,modesdemanagement, implicationdes individus,adaptation des comportements individuels, organisation …). Cette nouvelle approche doitpermettrederéduireauplusprochede0laprobabilitédesurvenued’événementsgravesetmortels.Ceprocessusestpromuparl’OIT13 et l’AISS (association internationale de Sécurité sociale)sousleconceptde«VisionZéro»14.Lescaissesetlespréventeursaurontàs’adapteràcesévolutions,commeilsl’ontfaitjusqu’alors.L’environnementsocio-économiqueestluiaussienperpétuelleévolution.Les services de santé au travail, se sont dotés de compétences pluridisciplinaires. Lesintervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), derniers venus d’unetransposition tardivede ladirectiveeuropéennede1989 faisantobligationde«désignationd’unepersonnecompétenteensécuritéparlechefd’entreprise»,sestructurentetapportentdesréponsesauxentreprises.LesCHSCTontdésromaislapossibilitédes’adresseràd’autresstructurespourobtenirdesinformationsvalidéesentermesdepréventiondesrisques.Avec ledéveloppementdesnouvellestechnologies, lesnouveauxmodesdesous-traitance,les habitudes de travail dématérialisées, les risques changent ou sont transférés et leurrepéragedevientplusdifficile.Ladensificationdesrythmesdetravail,lasensibilitéauxaspectsde«bien-êtreautravail»etde«qualitédevieautravail» fontévoluer lesattenteset lesreprésentationsdessalariés.D’autrespartenairesfontpartiedupaysage.Sansêtreexhaustif,nouspouvonsciterl’OPPBTP15, le réseau des ARACT16, l’éducationnationaleet l’enseignementsupérieur, lesorganisationsprofessionnelles,leschambresconsulaires,etc.Enfin,n’oublionspasl’évolutiondesattentesdel’entreprise.Lesgrandesentreprisess’inscriventaujourd’huidansdesdémarchesdedéveloppementdurableetderesponsabilitésociétale.Ces12 Institut National de Recherche et de Sécurité13 OrganisationInternationaledutravail14 http://www.eurogip.fr/fr/eurogip-infos-actu?id=424015 OrganismeProfessionneldePréventionduBâtimentetdesTravauxPublics16 AssociationRégionaledel’AméliorationdesConditionsdeTravail

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évolutions lesamènentàs’ouvriràd’autresréseauxquipeuventégalement leurapporterdesréponsesentermesdepréventiondesrisquesprofessionnels.L’écart,quiatoujoursexistéentrelesgrandesentreprisesetlesTPE,surlacapacitédemiseenœuvredesexigencesminimalesensanté/sécuritévoireenhygiènesur le lieu de travail, sembleencoresecreuseralorsquenousnedisposonspasdes ressources nécessaires pour atteindre directement les entreprises de trèspetitetaillequisontsouventlesplusvulnérables.CeconstatpoussenotreréseauàinnoverversdesactionspermettantdetoucherlesTPE.Cesactionspassentparl’expérimentationdemiseenjeud’acteursjusque-làignorésparlespréventeurs.Cesinnovationsindispensablesontunerépercussionfortesurl’approchedumétierdepréventeurquidoits’adapterenpermanence.

III.2/ Les profils recrutés ont suivi ces évolutionsToutes ces évolutions ont amené la Sécurité sociale àmodifier au fil du tempslesprofilsderecrutementdesingénieursconseilsetdescontrôleursdesécurité.Reprenantaudépart lesagentsdescompagniesd’assurance,puisembauchantdesingénieursetdesouvriersspécialisésdotésd’uneforteexpériencedeterrain,lesrecrutementsontdûprendreencomptelesconséquencesdecesévolutions.Cesévolutionsonteuégalementdesrépercussionssurlecontenuetlaformedel’agrément,quenousévoqueronsplusloin.Denosjours,lesconditionsd’embauchesont17 :

pour les contrôleurs de sécurité : bac + 2 avec trois ans d’expérienceprofessionnelleminimum,

pour les ingénieurs conseils : un diplôme d’ingénieur reconnu par lacommissiondestitresd’ingénieuraveccinqansd’expérienceprofessionnelleminimum.

Cetteobligationd’avoiruneexpérienceprofessionnelleantérieureestessentielleetpermetlerecrutementdepersonnesconnaissantlemondedel’entreprise,élémentindispensablepourpouvoirproposeretpromouvoirnosmessagesdepréventionde façon adaptée aux contraintes dumonde du travail et ce, avec la crédibiliténécessaire.Au vu des évolutions précédemment citées, les profils de recrutement ontconsidérablement évolué.Au côté des techniciens que sont les contrôleurs desécurité et les ingénieurs conseils, sont apparus de nouveaux profils tels desergonomesetdespsychologuesdutravailparexemple.D’autresprofilssontapparusavecledéveloppementdesformationsd’ingénieursouDUTenhygiènesécuritéetenvironnement (HSE).Cesnouveauxprofils fortintéressantssontvenuscompléternoscompétenceshabituelles.Afind’êtreleplusefficaceetlepluspertinentenentreprise,nousdevonsveilleràunéquilibresubtilentrecesnouvellescompétencesetnoscompétencestechniques«ancestrales».Decetéquilibredépendlaqualitédenosprestations.

17 Circulairede1989n°626/89

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III.3/ L’agrément des ingénieurs conseils et des contrôleurs de sécurité : un outil spécifique pour un métier particulier.Afind’accomplirleurmissionenentreprise,lesagentsdesservicesprévention,contrôleursdesécuritéetingénieursconseilsontétédotés,parlelégislateur,desmêmesprérogativesquelesinspecteursdutravail,àsavoirunaccèsauxentreprisessansrestrictionpossiblesouspeinededélitd’entrave(applicationduL422-3).Cedroits’accompagnedudevoirinhérentausecretprofessionnelauquelsontsoumislesagents,quipourcela,prêtentsermentautribunald’instance.Àcôtédecetaspectjuridique,l’agrémentaégalementunevocationformatriceenconférantaux nouveaux embauchés la culture prévention nécessaire à l’exercice de leur métier. Lapremière réformestructurelleprofonde intervientpar la lettreministérielledu9 janvier1987quiremanielerecrutement,laformation,l’agrémentetlatitularisationdesingénieursconseils.L’arrêtédu23juillet1997viendradenouveaumodifierlesconditionsd’agrémentdesingénieurset des contrôleurs, cequi influencera lesmodesde recrutement et de formation.Dès lors,l’agrémentestdélivréparledirecteurgénéraldelacaissenationaledel’Assurancemaladiedes travailleurs salariés (CNAMTS). Cetagrémentestunprérequisindispensableàl’exercicedumétierdepréventeur.Ledernierarrêtéstatuantsurl’agrémentestdatédu15février2015.Ilaentraînéunerefonteenprofondeur de l’organisationet du contenude la formation initiale aprèsembauchedescontrôleursetdesingénieurs,envuedel’obtentiondel’agrément.Laformationsedécomposeendeuxpartiesdistinctes:

un tronc communcontrôleur/ingénieur : assurépar l’EN3Set l’INRS, s’appuyant surquatremodulesd’unesemainerépartissurquatremois,etconcluparunpassagedevantunjurydepré-agrémentdevantstatuersurl’aptitudeounonducandidatàpoursuivresoncycledeformation,

à la suite de ce tronc commun, les formations se séparent en vue de l’agrémentfinal. Cette seconde partie est assurée uniquement par l’INRS pour les contrôleurs,parl’INRSetl’EN3Spourlesingénieurs.Enparallèledecesmodulesdeformation,lesingénieursetlescontrôleursdoiventpréparerunmémoiretraçantuntravailpersonnelqu’ilsdevrontprésenteraujuryd’agrémentfinal.

Cenouveauréférentieldeformationinsistemoinsqueparlepassésurl’aspecttechniqueetplussurdenouvellescompétencestellesquelaconduitedeprojets,l’approchepartenariale,ledéploiementdenouvellesméthodologiesd’action,etc.Unefoisl’agrémentobtenuetl’affectationprofessionnelledéfinieparlacaisseconnue,lenouvelembauchévadevoirseconfronteràunmétiermultidisciplinaireenperpétuelchangement.Afindemettreenœuvresursonpérimètrelesactionsconçuestantparlenationalqueparlerégional,ilvadevoirélaborersespropresstratégiesd’approchedesentreprisesoudespartenairesaveclesquelsilvadevoirtravailler.Cettegrandediversitédestâchesetl’évolutionpermanentedecelles-ciobligent leréseauAT/MPàsedoterd’unsolideprogrammedeformationcontinue.L’opérateuressentieldeceprogrammeestl’INRS,maisdenouveauxopérateursapparaissenttelsquel’EN3Soudesorganismesdeformationprivés.

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D’essentiellementtechnique,laformationcontinuedesingénieursetdescontrôleursévolue vers d’autres compétences indispensables comme la communication, lemarketing, lesapprochespartenariales, l’animationde réseaux, lemanagement,etc.

IV-Regardssurl’avenir

Que sera la prévention de demain, que sera le métier des ingénieurs et descontrôleurs?Voilàdesquestionsauxquelleslesréponsessontdifficilesàdéfinir.Elles dépendent de beaucoup de paramètres dont certains sontmaîtrisésmaisd’autres encore inconnus.Comment continuer à s’adapter aux évolutions des entreprises et des risquesrencontrés?Onpeutprendrepourexemplelesecteurdumédico-social,secteurenpleinessoretquiprésentedenombreuxrisquespourlasantédessalariés(tauxdefréquence2015deplusde65danslesEPHADparexemple).Noscollèguessontamenésdeplusenplusà intervenirdanscesecteur.Est-ceque leurprofilactuel répond à ces nouveaux enjeux ? Devons-nous faire encore évoluer nosrecrutements pour nous permettre d’embaucher des personnes, des dirigeantsissusdecesecteur?Oudevons-nousfaireévoluernotreformationinternepouradapternosapproches?Lanécessitedes’adapteretd’intégrer l’évolutiondenospolitiquespubliquessefaitdeplusenplusprégnante.Nosingénieursetcontrôleursdevrontainsimettreenœuvredesprogrammes, ciblant desentreprises, des risquesoudespublicsparticuliers. Les préventeurs, en plus d’une bonne connaissance du mondede l’entreprise, devront pouvoir intégrer le fait que leur action s’inscrit dans unensembleplusvasterépondantàdesobjectifsd’unepolitiqueplusglobale.Tout cela conduit assez naturellement à un nécessaire équilibre entre expertisetechniqueetapprocheplusgénéraliste.Notre relation à l’entreprise va devoir encore plus se professionnaliser. D’uneapproche individuelle nous allons vers une approche de grands comptes quesontlesgroupes.LaproblématiquedesTPEdontlamultipliciténousinterdituneméthode classique nous oblige à déployer des nouvelles approches indirectes.Quedechangementsetd’évolutionsenperspectives!Laseulechosequisoit sûre,c’estque tantqu’il yauradeshommesau travail,il y aura des risques professionnels, des accidents du travail et des maladiesprofessionnelles, et donc un impérieux besoin de préventeurs qui imaginerontles solutionsdedemainpour continuer inlassablement lamissionqui leuraétéconfiée en 1946 : « Diminuer le nombre d’accidents du travail et de maladiesprofessionnellesetendiminuerlecoûtsocio-économique.»

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Optimiser le bien-êtreau travail et la performanceglobale:enjeuxetperspectivesPar Olivier Bachelard, Professeur, Directeur du campus de Saint-Étienne emlyon business school

Professeur à emlyon business school et directeur du campus de Saint-Étienne, après avoir exercé une carrière d’enseignant-chercheur, puis de directeur de la formation continue de l’École Nationale Supérieure de la Sé-curité Sociale (EN3S) et directeur délégué de l’École Supérieure de Com-merce (ESC) Saint-Étienne. Psychologue du travail, Docteur, Habilité à Diri-ger des Recherches (HDR) en sciences de gestion, ses recherches portent sur la gestion des ressources humaines et la santé au travail. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages dont : Vers un leadership au service du management public. Favoriser l’émergence de compétences collectives, avec Romuald Normand, CNDP, 2014, Le bien-être au travail, Presse de l’EHESP, 2017.

Les managers publics sont tellement sollicités par la recherche d’efficience (productivité,réactivité, flexibilité, qualité) que la question dumanagement de la santé, de la qualité devie, du bien-être au travail ne seront pas en tête de leurs priorités actuelles.Aussi, notreobjectifconsisteàfaireévoluerlaprisedeconsciencedesmanagerspublicsausujetdecetteproblématiqueetproposerdespistesdeprogrèspour y faire face.Eneffet, noussommesconvaincus que dans la phase de digitalisation actuelle sans précédent, l’articulation desquestionsdetravail,desonorganisationetdesesmodalitésd’exécutionaveclesbesoinsdeperformance globale sont indispensables pour repenser nos organisations publiques. Sansapporterderéponsesgravéesdanslemarbre,nousproposonsderéfléchiràl’appropriationdecettequestionparlesmanagerspublicsactuelsoufutursafindedessinerdesorganisationsviables et vivables.

Cette réflexionaété formaliséedansunouvrageBachelard (2017)«qui a pour objectif de proposer des clés concrètes pour un fonctionnement optimisé du service public favorisant l’innovation et l’engagement. Accompagner les agents, les aider à évoluer dans leurs pratiques, mieux gérer leurs émotions et développer des logiques coopératives transversales sont autant de clés pour éviter que l’urgence et les problèmes du quotidien ne s’imposent au détriment d’une logique plus solidaire ».Dans ce livre, huit études de cas - de la sécurité sociale àl’hôpital,delamarinenationaleàlafonctionpubliqueterritorialeenpassantparlespoliciersd’élite-,sontdécortiquéespardespraticiensetdeschercheursquilesabordentchacunsousun angle différent. Les parties éclairages et mises en perspective traitent notamment lesproblématiquesdegouvernanceetdedialoguesocial,depréventionde lasouffranceetdustressoudel’impactdel’injusticeorganisationnelle.

©Ch

ristineChaudagne

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Les pratiques de management du bien-être au travail concernent tout autantles directions générales, les services fonctionnels, dont la GRH, que les lignesd’encadrement. Ainsi, il revient aux managers de s’assurer que le pilotageopérationnel dumanagement du bien-être au travail, lamise enœuvre par lesdifférentsacteursdel’entreprise(CHSCT,managers,agents),serontconformesàlastratégiedéfinieparladirection.

Lesdifférentespratiquesdudirigeantnousrenvoientparconséquentàlaquestionde la pertinence des politiques et des outils du bien-être au travail, et de sacohérence avec la politique de GRH. Par exemple, une injonction objective etrationnelledequalitédeserviced’unedirectiongénéraledoitêtreenphaseaveclaperceptionsubjectiveque lesagentsse fontdecettedernièreappropriéeparl’ensembleducollectifdetravaildel’entitéconsidérée,letoutinscritdanslecontextenécessairementcontingent.Deplus,ledegrédeformalisationdesoutilspeutêtretrèsvariable,demêmequelesrésultatsdecechoix.Uneabsenced’outilformalisépeut s’accompagner dans des structures de petites tailles, d’un fonctionnementefficient.Par exemple, l’absencede suivi d’indicateurs comme l’absentéismedecourtedurée,peuttrèsbiens’accompagner,sinouslecalculonseffectivementd’untaux très faible, si la conscientisation et l’appropriation par le collectif de travailest réelle.Parcontre, lesstructurescomplexes,degrandes tailles,compte tenudelamultiplicitédesagentsconcernés,deladiversitédesmétiers,del’absencederégulationsdirectes,doiventêtreenmesured’afficherdesinstrumentsoudesdispositifsdegestion,lesdifférentschampsdelaGRHetdumanagementdubien-êtreautravaildonc«d’uninvestissementdeforme».

Cet investissement de forme structurant aussi bien la stratégie adoptée que lecontenuconcretdesactionsmisesenœuvre,doitpermettredesgainsdequatrenaturescomplémentaires:

Desgainsd’efficienceetdequalitédeservice(indicateursbienmaitrisés), Un développement de dynamique collective (qualité des relationsinterpersonnelles et de la coopération, espacede paroles et d’échanges,clarification des processus de décision, soutien et disponibilité de lahiérarchie,développementdel’autonomieaveclesmoyensassociés,…)

Une amélioration du bien-être et de la qualité de vie au travail (prendreen compte la réalité vécue par agents au-delà du prescrit, prendre encomptel’histoirecollective,partagedesensdutravail,garantied’unejusticeorganisationnelle,…)

Unapaisementdesrelationssociales.

I-Lemanagementdubien-êtreautravailEn France, la notion même de santé au travail a considérablement évolué encinquanteans.Nouspouvonssituerlepointdedépartdanslesannées1970avecla création de l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail

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(ANACT)établissementpublicàcaractèreadministratif françaiscrééen1973,etplacésouslatutelleduMinistèreduTravail,del’EmploietdelaSanté.Lecontexteétaitceluid’uneFranceindustriellemarquéeparletravailàlachaineavecunefocalisationsurlesconditionsphysiquesdetravail.Danslesannées1980,lestravauxdeschercheursontdavantageportésurlaQualitédeVieauTravailenintégrantlesorganisations,leshorairesdetravail,avantdesefocaliserdanslesannées1990surl’équilibreentrelavieprofessionnelleetlaviepersonnelle.Danslesannées2000,aveclamédiatisationduphénomènedeharcellementmoralquiaréellementdébutéaveclapublicationdulivredeHirigoyen(1998)etsonconceptdepervers-narcissique,lanotionderisquespsychosociauxaoccupéledevantdelascène.Cen’estqueplus récemmentque lanotiondebien-êtreau travail s’est imposée.L’undesprécurseursétantThévenet(2000),maisàl’époque,leplaisirdetravaillerétaitmoinspopulairequeladénonciationdelasouffranceautravail(lefameuxtripaliumàlavieduredepuissonutilisationparlesromainsenverslesesclavesrebelles).PourThévenet(2017),«Lebien-êtreautravailestévidemmentunphénomènecollectifpuisqu’ilconcernetouteslesinstitutions.Enquelquesannées, ilestdevenuunélémentderesponsabilitésociale,unsoucipolitique,unobjectif,unenorme»maisilnousalerteégalement«Toutcommeonestforcémentcontrelapénibilité,onnepeutquemiliterenfaveurdubien-êtremaisilnesuffitpasquedesprincipesaillentdesoiàpeudefraispourfonderconcrètementunepolitiquemanagériale.Onnepeutdoncéluderlaquestiondesavoirpourquoifairedubien-êtreunsujetd’entrepriseetdoncunepréoccupationmanagériale».

BienentendulestravauxcommeceuxdeClot(2010)etsoncélèbreouvrage«Le travail à cœur pour en finir avec les risques psychosociaux»ontalertésurlapertedesensdutravailetlephénomènededésengagementquelesmanagersdeterrainavaientdéjàlargementconstatés.Letravail réelestprogressivementdevenu invisiblecommeledénonceGomez(2012)«La gestion du travail a été opérée à partir d’écrans, de tableaux, de normes, d’indicateurs de traçabilité et de suivis, de reportings, de systèmes informatisés de gestion de flux, de systèmes de contrôle de gestion, etc… Les organisations sont devenues des appareils à extraire de l’information destinée à assurer, en flux continu et de bas en haut, la concordance entre le résultat observé à tous les niveaux et le résultat prescrit au sommet ».Cephénomèneneconcernepasquelesorganisationspubliquesmaistoucheégalementlesentreprisesprivéessoumisesàuneorganisationbureaucratiqueetdont les résultatssont reliésàdesobjectifsfinanciers.Gomez(2012)nousalertedoncsur lanécessitédeprendreencompte le travaildans sa globalité, c’est-à-dire par-delà la dimension objective survalorisée de bien intégrerles dimensions subjectives et collectives du travail. Cette prise en compte du travail danssaglobaliténerelèvepas«d’un supplément d’âme ou une poussée d’humanisme, mais la compréhension fine des questions économiques qui se posent aux organisations : retrouver, avec le sens du travail réel, des capacités nouvelles de création de valeur.»Gomez(2017).

Lelienentrelebien-êtreautravailetlaperformanceglobalepasseparlacréationdevaleuretcommetoutobjetdegestionparl’évaluationdesadimensionfinancière.CommelesouligneSoenen (2017) « Pour saisir les enjeux économiques de la santé au travail, il faut distinguer d’une part les éléments liés aux coûts de la non-santé et d’autre part la contribution potentielle du capital santé à la performance économique et sociale».

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Toutefois,commelemontrentnosdifférentstravaux,ledirigeantpublicmanquedetempsetd’expertisesurcettequestioncomplexe(nosentreprisespubliquessontsur-managéesetprésententsouventundéficitenmatièredeleadership,Bachelard,Normand(2014).Cetinvestissementserad’autantplusfaiblequel’importancedel’enjeuestfaibleàsesyeux(pourledirigeantpublic,lesgainsetlescoûtsd’unepolitiquedediversitésontdifficilesàévaluer).Pourautant,nousnevoulonspasdirequelesmanagerspublicssedésintéressentdecettequestion,bienaucontraire.Nousavons souvent rencontré desdirigeants très sensibilisés auproblèmedesconditionsdetravailetdurisquedesantéautravail,carpoureux,chaqueagentestunhommeclédansleprocessusdeproductiondeservice.Parcontre,silecoûtdelanonpréventionSantéSécuritéauTravailestrelativementsimpleàappréhenderà court terme, le gain enmatière de compétence collective, de bien-être, n’estpastrèsmobilisateurcar leplussouvent, iln’estpasformalisé, iln’estqu’intuitif,contrairementparexempleaugaind’unETPenmatièredeproductivité.

II-UnearticulationGRH/SSTsalutairepourledirigeantpublic.

Ladéfinitionde1946dupréambuleàlaconstitutiondel’OrganisationMondialedela Santé (OMS), « la santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité».Cettedéfinitiondel’OMSnousindiquequelasanténerelèvepasseulementdeladimensionbiologique,maisaussidel’ordrepsychiqueetdel’ordresocial.Lasantéest donc un état, un idéal qui résulte d’un équilibre, d’un sentiment d’harmoniemultidimensionnel instable. Dejours (1995) illustre bien cette dynamique enintroduisantlanotiondenormalitéquicorrespondàunétatoùlesmaladiessontstabiliséesetlessouffrancescompensées.Lamiseenœuvrededéfensescontrel’expressiondelamaladieducorpsoudupsychismeestselonluiunedémarcheactive. Pour Dejours (1995), « Lesmaladies ne demanderaient qu’à s’exprimerdanslecorpsetlefonctionnementpsychique,dèslorsquelalutteetlesdéfensess’affaiblissentoudeviennentinefficacesfaceàunchangementdel’environnement».Ainsi,ilestpossibledestructurerunepolitiquemanagérialeétayéeparunegestiondes ressources humaines qui favorise cet équilibre ou au contraire imposer unmoded’organisationdutravailpathogène.Il est donc plus que jamais nécessaire pour les agents de direction, pour lesresponsablesRHetplusgénéralementpour lesmanagerspublics,deréfléchiràlamiseenœuvred’organisationsetdoncdepratiquesprofessionnellessourcesdeplaisirautravail,demotivationrenouveléepourlessalariés,d’autantplusquenosorganisationsse transformentdeplusenplusvitesous ladoublecontraintebudgétaire et technologique (la digitation transformant considérablement nosorganisationsetnotrerelationàl’usager).Lacapacitéàaccompagnerl’installationdecesnouvellestechnologiesdeproductionquiimpactentl’activitédetravailpoursusciterunedynamiquededépassementdurabledel’existantévaluable,aussibienenmatièredebien-êtrequedeperformance,estaujourd’huiinévitable.

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II.1/ L’enjeu juridique

Historiquement,l’évolutionduchampdelaSantéSécuritéauTravails’esttraduiteparlastructurationprogressived’uneresponsabilitédesmodesdegestiondansl’apparitiondesaccidentsetdesmaladiesprofessionnelles.Lecadrelégislatifs’estrenforcéprogressivementavecuneobligationderésultatenmatièredepréventionetunrôleaccrudesservicesdesantéautravailaveclapossibilitépourlemédecindutravaildeproposerunaménagementdeposteoudeprononceruneinaptitudepourraisonmédicale.Deplus,lesagentsdisposentd’undroitderetraitdessituationsqu’ilsjugentdangereuses.Cephénomènedurenforcementducadrejuridiqueestd’ailleursl’undestroisgrandsthèmesstructurantlafonctionressourceshumaines.

Denosjours,l’améliorationdesconditionsdevieprofessionnelledépassantlargementlaseulepénibilitéphysique,commentl’employeurpeut-ilsatisfaireraisonnablementsonobligationdepréserver la santé de ses agents ? Commentmieux associer la question de la santé desagentsà lagestionopérationnelledescompétencesetdescarrières?Dansquellemesurel’organisationpubliqueest-elleégalementamenéeàsesoucierdubien-êtredesesagentsdanslecadredespolitiquespubliques?

Au-delàdesaccidentsdutravail,desmaladiesprofessionnelles,desrisquespsychosociaux(et en particulier le stress), l’organisation publique doit remettre en question ses logiquesd’action actuelle du travail, sesméthodes actuelles de performance (lean, certification descomptes,managementparlesprocessus,démarchequalité,….),bref,sesprocédésproductifsde services. La progression de ces risques en matière de santé au travail généralementimputablesàplusieursfacteurs,amèneàrepenserleschampsderesponsabilitéauseindenostroisfonctionspubliques.

CommelemontreMasse(2017),lecadrejuridiquedelafonctionpubliqueenmatièredesantéautravailetdebien-êtreaprofondémentchangéentroisaccordssuccessifs:novembre2009sur la santé-sécurité au travail, octobre 2013 sur la prévention des risques psychosociauxet février 2015 sur la qualité de vie au travail. Le passage de la prévention des risques àlaconstructionde lasantéau travailadéveloppéunedynamiquede régulationsocialequifavoriselebien-êtreautravail.Cetteobligationlégalepeutdeveniruneopportunitéquesaisitledirigeantpublicpourpesersurlesmembresdel’encadrement,afindeparveniràformaliserunepolitiqueetsamiseenœuvre.Letravailsurcetteproblématiquepeutmême,infine,êtrel’occasionpourledirigeantdedévelopperunprojetcohérent,intégréetdelonguehaleinepourinnoveretstructurerlechampdubien-êtreautravailetdelaperformance

AinsicommelesouligneDebout(2017)«Entre le déni et la stigmatisation, il y a la place pour une appréciation distanciée des évènements et de leur corrélation pour développer une véritable culture de la prévention du risque psychosocial dans la fonction publique ». Nous devons donc nousinterrogerpoursavoirquellesnouvellespratiquesmanagérialespermettraientderéduirecesrisquesinduitsparlesnouvellesconditionsdetravailetparlesexigencesdeperformanceetladigitalisationmassive.Commentfavoriserlaconcertationetlaconstructiond’uneapprochecollectivesurlasantéautravail,associantl’ensembledesacteursimpliqués?

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II.2/ L’enjeu économiqueL’enjeu économique de la non-prévention de la sécurité, santé au travail estconsidérable. Le Bureau International du Travailaestiméàl’occasiondelajournéemondialepour la sécuritéet la santéau travail que les coûtséconomiquesdesaccidentsetdesmaladiesliésautravailreprésententl’équivalentde4%duproduitintérieurbrutàl’échellemondiale.Faceàcetteestimationglobale,ilconvientdoncdepouvoir fourniraudirigeantdes instrumentsd’identificationetdemesuredescoûtsdenonpriseencomptedelaprévention,legestionnaireétantsensibleàlaproductivité,àlarentabilitéetàl’efficacité.L’unedesclésdecettedémarchedesensibilisation,pensons-nous,passeparlapluridisciplinarité.Eneffet,pouraborderlephénomènedelaSST,debien-êtreetdelaGRH,uneanalyseglobales’impose.L’approcheparlescoûtscachés(oùautrementditparlerapportcoût/bénéficedesactions)correspondbienàcetenjeu.Nouspréconisonsdoncd’aborderl’évaluationéconomique de lamise en place d’organisation innovante privilégiant le doublegain efficience et bien-être au travail.. Nous pensons nécessaire de démontreraux managers le bienfondé économique de structuration d’une démarcheintégréedepréventionpourréduirelesconséquencesdelanonpriseencomptedumanagement de la SST (absentéisme, dégradation de la santé des agents,baissede laproductivité,demotivation, retard,…).Toutefois,commelesouligneSoenen (2017), « L’attention portée à la santé peut alors être envisagée comme une activité visant à protéger le capital humain. À la différence d’autres formes de capital, le capital humain est incorporé. Contrairement au capital financier, il ne peut devenir propriété d’un tiers ; il est simplement mis à disposition par l’individu (il est inappropriable). Ceci pose d’ailleurs un dilemme au sens de de la micro-économie classique, puisqu’investir dans le développement d’un capital inappropiable n’est pas un choix d’allocation de ressources efficient. En effet, le capital étant incorporé dans l’individu, celui-ci échappe à l’organisation dès que ce dernier la quitte. D’autre part, le caractère incorporé du capital humain impose une autre limite, celle des capacités physiques et mentales de l’individu, et plus globalement de sa santé, voire de son bien-être, dont il dépend. Un salarié mécontent, malade, ou absent, ne produit rien et ce quelle que soit la valeur de son capital humain ».

II.3/ L’enjeu social et sociétalLaResponsabilitéSocialede l’Entreprise(RSE)aujourd’huienrichit lesdébatsàla foisacadémiquesetmanagériaux.Maiscettenotion trèsprotéiformeestbiendifficileàsaisir,tantlespratiquesémergentesrelevantdelaRSEsonthétérogènes.Eneffet,cecourantdegestionn’apour l’instantpasvaleurdenormeetposeleproblème de la validation des pratiques cachées derrière des discours, despolitiques,desreprésentationsplusoumoinsimplicitesdesorganisations.Eneffet,laRSEpeutêtreinvestietrèsdifféremmentparlesdirigeants:ellepeutêtreunélémentdevision,maisaussidesimplecommunicationpublique.CetteRSEpeutégalementêtreunoutildedécisionstratégique,depilotagedelaperformance,demotivationdessalariés.

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L’enjeu semble global, car les dirigeants peuvent en attendre un retour enmatière de performance (plus de productivité, de qualité, …), un retour humain(plusd’investissementdelapartdessalariés),unretourenmatièred’image(meilleureréputation).AborderlaRSEparl’angledubien-êtreautravailestsûrementunpointd’entréeàfortevaleurtantilpeutplacerl’Hommeaucœurdespréoccupationspouraussipermettreundéveloppementdurabledel’entreprise(managementdesrisques,sécurité,performance,motivation, …). Neveu (2003) attire en particulier notre attention sur la problématique del’épuisementprofessionnel.Mêmesic’estuneproblématiquedifficileàaborder,l’organisationdutravaildoitêtreinterrogéesoussesdifférentsaspects(horaire,chargedetravail,définitiondestâches,rôledel’encadrement)demanièreàremettreencauselespratiquespourallerdanslesensd’uneemployabilitédurabledessalariés.«C’est ainsi que la réponse du gestionnaire aux problèmes de santé mentale au travail doit obligatoirement transcender l’expérience individuelle pour adresser le champ d’une ingénierie globale de la performance».Si,dansdenombreusesstructurespubliques,desactionssontmenées,des initiativessontprises,comme indiquédans lescaspratiquesde l’ouvragedeBachelard (2017),cebesoind’échange,deconfrontationdesexpériencesetdevalidationdesbonnespratiquesrestedoncuneimpérieusenécessitépourlesmanagerspublicsdebâtircollectivementdesdémarchesquivisentàarticulerlesenjeuxéconomiques,techniques,sociauxethumainsafinderentrerdansuncyclevertueux.Comme lesouligneThevenet (2017),« Tout le monde s’accorde à prédire une transformation profonde de notre vie en société : dans l’attente de son émergence, la qualité du collectif au sein d’organisations existantes s’impose comme un défi ».

II.4/ L’enjeu organisationnel : la fidélisation des Ressources HumainesNousconnaissonsbienl’impactdelaqualitédesconditionsdetravailsurl’absentéisme:ainsi,pourundirigeantcommepourunmanager,l’enjeudelamotivationetdelamobilisationdesagentsestimportantsurtoutauregarddudéveloppementdescompétences.Ceciestd’autantplusvrai,qu’encettepériodededépartenretraitemassif,l’intégrationdenouvellesgénérationsd’agentsmodifielesdynamiquescollectivesauseindeséquipes.Les sciences de gestion analysent la problématique de la gestion des compétences etdes carrières au travers des théories de deux approches conceptuelles complémentaires,centréessur lasatisfactionet l’implicationdessalariés,principalesvariablesexplicativesdel’engagementàl’égarddel’organisation.Lamotivationautravailnesuitpasunschémasimpledutypestimulusréponse.Elleestreliéeausensquelesalariédonneàsaconduiteetàsonvécudesasituationdetravail.Decefait,ilesttrèsdifficilederelierlamotivationautravailetlaperformancedesagents.Lasatisfactiondel’agentestunétatémotionnelpositifquirésultedel’évaluationfaitedesonemploi(tâches,relationsaveclesautresagents,aveclahiérarchie,rémunération).Lareprésentationqu’alesalariédesonrôleautravailestfondamentalepourlespsychosociologues.Ainsi,danscetteapproche,lessalariéssontdurablementinvestiscarilssontsatisfaitsdesconditionsmatérielles,ycomprisconditionsdevieautravail,…D’autrepart,lesthéoriesdel’implicationprivilégientl’étudedesrapportsentrelesagentsetl’organisationsoustroisperspectivescomplémentaires:dansuneperspectivepsychologiqued’identification,dansuneperspectivecomportementaleouattitudinale.

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Nadisic(2017),nousproposecinqlevierspourunbien-êtreautravailquisoitsourcedeperformanceorganisationnelle:

Lamobilisationd’émotionspositives,duressentisubjectif,dubien-êtreautravail,

L’engagement au travail car lorsque l’agent est absorbé dans l’action, ilinvestitl’ensembledesescompétences,

Lesrelationssocialesautravail,uneressourcepositivepour l’actionpourdévelopperleliensocial,

Une même vision pour avancer ensemble car le sens de l’action est laquatrièmefacettedubien-êtreautravail,

Lesaccomplissements,c’est-à-dire lesréussitesconcrètes,quidonnentàchacunenvied’allerplusloin.

III-LaformationdesdirigeantsetdesmanagersNous avons vu que la gestion du bien-être au travail a fortement évolué cesdernièresannées,lecadreréglementaires’eststructuré,lesacteurssociauxsontde plus en plus sensibles à cette dimension centrale de l’équilibre contribution/rétribution structurant la relation de travail.

La compréhension des réalités du bien-être au travail des agents s’appuieaujourd’huisuruneanalysepluriellequiinterrogetoutautantlesindividusquelescollectifs,lesconditionsmatériellesquelesmodalitésorganisationnelles.Cepointde vue est d’autant plus d’actualité que l’on est face aux nouvelles pathologies(risquespsychosociaux,troublespsycho-relationnels,…),etplusprécisémentfaceàleurrésistanceauxpolitiquesdepréventionencoreinsuffisammentcentréessurlebien-êtreetlaqualitédevieautravail.Cetterésistanceauxformestraditionnellesdepréventionobligedorénavant lesdirigeantsàpenserunecertainecomplexitépourque l’efficienceet laqualitédeservicesoitunenjeucommun,pourque lebien-fairerimeavecbien-être,pourquelalogiquesoitdetypegagnant-gagnant.Parmilamultiplicitédesfacteursquijouesurlasantédessalariés,lesmodalitésorganisationnelles et la gestion des incertitudes apparaissent de plus en plusincontournables.Poilpot-Rocaboy(2017),nousrappellequelebien-êtreautravailestunressentiquidécouleduvécudurapportindividuelautravailetdesémotionsqu’ilgénère(qu’est-cequejefais,commentjelefais,pourquoietpourqui).Maissileprésentestunedimensiontemporelleessentiellepourconstruirelebien-êtreautravail,lepasséetlefutursontaussiimportants.PourPoilpot-Rocaboy(2017),le passé repose sur l’héritage collectif (l’histoire de l’organisation, de ses us etcoutumes)etindividuel(l’usuredescorpsetdesesprits),maisaussidelanostalgiedessituationspasséesquecesoitenmatièredelocaux,d’ambiance,decontenudetravail(c’étaitmieuxavant!).Lerapportaufuturestégalementdéterminantcarlemoiabesoinderepèresnousdisentlespsychologues(Quelcontenud’emploi?Queseramoncadredetravaildemain?Quelleévolutionprofessionnelle?).Ladifficultépourunagentàsereprésenterlefuturdemanièrepositive,àcomprendrelaplace

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qu’iltiendradansl’organisationvaleprojeterdansunenvironnementd’incertitudequigénèreuneméfianceenversladirectionetsacapacitéderendrepossiblelebien-êtreautravaildemain.Bienentenduunetellesituationestanxiogèneetconsommatriced’énergie,quineserapasutiliséedansleprésentauservicedelaperformance.«Intégrer cette dimension temporelle amène à repenser le recrutement des dirigeants et managers afin de s’assurer qu’ils soient capables de comprendre l’histoire, d’analyser le réel, de concevoir, d’expliquer et de mettre en œuvre le projet d’avenir de l’organisation ».

Lapriseencompted’unnombretoujoursplusimportantdeparamètresassociéeàlanotiondecontingenceenmatièrederencontreentrelesindividus,lescollectifsàgéométrievariablenousobligentàrepenserlaformationdesdirigeantsetdesmanagers.Letraditionnelcloisonnementdisciplinaire(d’uncôtédesenseignementsdecontrôledegestionetdecomptabilité,del’autredesapports enmarketingde serviceet par ailleurs des fondamentaux sur lemanagementd’équipe)reflèteassezbiennosorganisationsensilo.Lanécessitéd’uneapprochepédagogiqueplusintégrée,plusexpérientielleparl’actionnoussembleindispensable,sinonplusieurspiègesguettentlemanagerenmanièredebien-êtreautravail:

Lepremierconsisteàpenserquelaréussitemanagérialepasseparlerespectd’unedoctrineetdoncquetoutéchecestunetransgressiondecettedoctrine(cequigénèredelaculpabilité).

Ledeuxièmeconsisteàpenserquelecritèredevéritédumanagementc’estl’efficacité,ce qui nous pose une question enmatière de bien-être au travail : qu’est-ce qu’unmanagementdubien-êtreefficace?

Letroisièmeconsisteàpenserquelabonnesolutionexisteetquesamiseenœuvreneprésentepasd’inertie,d’incertitude.

Bienentendu,ilexisteplusieursniveauxd’encadrementavecdesproblématiquesspécifiques.Entreuncadredirigeant[quimanagedesensemblestrèsvastes,structurés,entenantcomptede différentes parties prenantes (tutelle, représentants syndicaux, pouvoir politique,…),s’appuyantsurdesexpertsdisposantdecompétencesimportantes]etlemanagerdeproximité,ilestnécessairededévelopperdesapprochesdifférentes.Danslepremiercas,ilestopportundetravaillerenformationsurlamiseenœuvredepolitiquesclairesenmatièredesanté,intégréesdanslastratégiedel’entrepriseetmesurablesàl’aided’indicateurspertinents représentant lacomplexitéde laviede l’organisation.Cesderniers,contingents,doiventêtrefacilementappropriablesparlesdifférentsniveauxdel’organisation.Pourlesmanagersdeproximité,lesagentsdemaîtrisequigèrentdeséquipesd’employésoud’ouvriers,prisentrelesinjonctionsdesdifférentsfonctionnels,chargésdemettreenœuvredesprocéduressouventélaboréessansconcertationetl’animationquotidiennedeséquipeslerôleenmatièredemanagementdelasantéestprimordialalorsqu’ilsnedisposentlaplupartdutempsnideformationenmatièredemanagementdelasanté,nidetempssuffisantpourintégrercettedimension,nidemargedemanœuvreenmatièredegestion.Nonobstant,l’inadéquationentrelesformationsinitialesdescadresetletravaildemanagementopérationnels a déjà été souligné parMintzberg (2005) qui réclame « des managers, des vrais !»pasdestechniciensbardésd’outilsfocalisésuniquementsurladimensionobjectivedutravail,sansrapportaveclaréalitédesrelationsinterpersonnellesdesorganisations.

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Par-delà les pratiques de coaching, de gestion du stress proposées pour aiderles cadres à faire face aux difficultés dont les limites éthiques, les ambiguïtésontétémontréesparBrunel(2004), ilnousparaitnécessairededévelopperuneréflexioncollectivesurl’organisationdutravailetletravaillui-même.Denombreuxauteursontdéjàmontrélesconséquencesdel’individualisationdelagestiondescontradictions.

Enconclusion,lapriseencompteintégréedelaproblématiquedubien-êtreautravail,delaqualitédeviedanslapolitiquegénéraled’uneorganisationpubliqueestselonnous,sourcedeperformanceséconomiquesetsociales.Desréflexionsancréessurlespratiques,permettentdeconsoliderlapréventionprimaire,anticipatricedemanièreàéviteraumaximumledéveloppementdansnosorganisationspubliques,deprocessuspathogènesàl’originedetropnombreusessituationsdesouffrancesretournéescontrelesagentseux-mêmes(maladies),contrelescollèguesdetravail(conflits), ou contre les usagers (agressivité et perte de qualité de service).Aucontraire,laconfrontationdespratiquesmanagériales,lepartaged’expérience,ledéveloppementdelarechercheenmatièredebien-êtreautravail,dequalitédevieau travail,articulésavecundéveloppementdes formations initialesetcontinuesvontdanslesensdelaperformanceglobaledenosorganisationspubliquesetdel’optimisationdelaqualitédeservice.

BibliographieBachelard O., (2017), Le bien-être au travail. Pour un service public performant et bienveillant, Presses de l’EHESP.Bachelard O.,NormandR.,(2014),Vers un leadership au service du management public. Favoriser l’émergence de compétences collectives, éditions CANOPE.Brunel V., (2004), Les managers de l’âme, La découverte.Clot Y., (2010), Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, La découverte.Debout M.,(2017),Préventionettraitementdelasouffranceautravail,inBachelardO., Le bien-être au travail. Pour un service public performant et bienveillant, Presses de l’EHESP.Dejours C.,(1995),Commentformuleruneproblématiquedelasantéenergonomieetenmédecinedutravail?, Le travail humain,tome58,N°1.Gomez P-Y., (2017), La perte de sens, le fondement économique d’une crise,in Bachelard O., Le bien-être au travail. Pour un service public performant et bienveillant, Presses de l’EHESP.Gomez P-Y., (2012) Le travail invisible,FrançoisBourin.Hirigoyen M-F., (1998), Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, ÉditionsLaDécouverte&Syros.

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Masse M.,(2017),Gouvernance,dialoguesocialetbien-êtreautravail,inBachelardO., Le bien-être au travail. Pour un service public performant et bienveillant, Presses de l’EHESP.Mintzberg H., (2005), Des managers, des vrais ! Pas des MBA.,Éditionsd’Organisation.Nadisic T.,(2017),Bien-êtreetefficacitédesagentschargésduservicepublic,inBachelardO.,Le bien-être au travail. Pour un service public performant et bienveillant, Presses de l’EHESP.Neveu J-P., (2003), Stress et épuisement professionnel, inAllouche J.,Encyclopédie des ressources humaines,Paris,Vuibert,pp1421,1425.Poilpot-Rocaboy G., (2017), Triptyque temporel et bien-être au travail : l’illustration d’unétablissement de santé, in Bachelard O., Le bien-être au travail. Pour un service public performant et bienveillant, Presses de l’EHESP.Soenen G.,(2017),Santéautravail:lerôledel’injusticeorganisationnellecommefacteurdestress, in Bachelard O., Le bien-être au travail. Pour un service public performant et bienveillant, Presses de l’EHESP.Thevenet M., (2017), Le bien-être au travail, une dimension collective, in Bachelard O., Le bien-être au travail. Pour un service public performant et bienveillant, Presses de l’EHESP.

Thévenet, M., (2000), Le plaisir de travailler,LesÉditionsd’Organisation.

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Lamaladiechroniqueàl’épreuvedel’entreprise: uneréalitéetunenjeupourdemain(synthèsedumémoireréalisédanslecadreduMaster2DroitdesRHetmanagementdel’économiesociale)–UniversitédeVersailles–Saint-Quentin

Par Patricia Courtial, Directrice-adjointe, CARSTAT Rhône-Alpes

Patricia COURTIAL est actuellement Directrice Adjointe en charge de la Santé au travail et de l’Accompagnement social à la CARSAT Rhône-Alpes. Auparavant, elle a exercé plusieurs emplois au sein de la sécurité sociale dont directrice de la CPAM de Haute-Saône, directrice de la formation continue de l’EN3S, DRH… Elle s’est intéressée à la question des salariés atteints de pathologies chroniques dans le cadre de son mémoire de Master 2 Droit – RH et management de l’économie sociale et solidaire obtenu à l’Université de Versailles – Saint-Quentin.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, une maladie chronique est une affection de longue durée qui, en règlegénérale, évolueet nécessiteunepriseen charge sur unepériodedeplusieursannéesouplusieursdécenniesassociéeàunemenaced’invaliditéetdecomplication. Ilexistedenombreusesformesdepathologieschroniquesévolutivesdont lesretentissementssurlaviequotidienneetsurlavieautravailserontdifférents.Les maladies chroniques les plus répandues sont les maladies cardio-neurovasculaires(7,6millionsdepersonnes),lediabète(2,9millions),lesmaladiesrespiratoires(2,9millions),lecancer(1000nouveauxcas/jourdontlamoitiéconcernelapopulationactive1), la sclérose en plaques (plus forte croissance annuelle : +10 %)2, la polyarthrite. Enfin les maladiespsychiques ou psychoses sont considérées comme pathologies chroniques et touchent890000personnes.Lesprogrèsde lamédecineont transformédesmaladiesaupronosticvital souventdéfavorablesenmaladies chroniques.L’âgemoyend’apparitiondesmaladiesdiffèreenfonctiondespathologiesmais lesplusde50anssont lesplus touchés.Ellesontlaplupartdutempsuncaractèreextraprofessionnel.Maisellespeuventêtreaccentuéesparl’organisationet/oulesconditionsdetravail.Actuellement,on estime qu’un salarié sur quatre est atteint d’une maladie chronique évolutive (MCE). Lereculdel’âgelégaldelaretraiteetl’avancéeenâgedessalariéslaissentpenserquecesujetestémergentetqu’ildeviendraunenjeupour lesentreprisesdans lesprochainesannées.Ainsi,lesemployeurs(dontlesorganismesduservicepublicdelasécuritésociale)nepeuvent ignorer cette réalité, les impactssur le salarié, le collectif de travail, laperformanceglobale.Certainesentreprisesontdéjàprisconsciencedecesenjeux.Ellesontchoisides’inscriredansunedémarchevolontaristeintégréeàleurstratégieRH.

1 SourceCapSantéenEntreprise–undiagnosticpersonnalisé-plaquetted’information-p82 Source:rapportpland’améliorationdelaqualitédeviedespersonnesatteintesdemaladieschroniques2007-2011

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I-Lesmaladieschroniques:unparadigmeenémergencepourl’entrepriseI.1/ Le dilemme pour les salariés : taire ou non sa maladie Auseindel’entreprise,lepremierconcernéparlaMCEestlesalariélui-même.Lamaladiechangeradicalementetsouventnégativement l’idéequelapersonnesefaitdesonavenir.Sichacunréagitàsafaçon,lamaladieinduitaumoinsl’undecestroiséléments:unelimitationfonctionnelledesactivitésoudelaparticipationsociale,unedépendancevis-à-visd’untraitement,d’unrégime,d’uneassistanceetlanécessitédes’inscriredansunparcoursmédico-social. Lespersonnesmaladesse définissent rarement comme handicapées mais les capacités physiques oumoralessontsouventaltérées.Lamaladieestd’abordunéprouvéquisignalequelecorps résisteàcequ’on lui commande,qu’il nepeutplus fairecequ’il faisaitavant.Réaliserqu’onestdevenucommeétrangeràsoi-même,etdurablementestunevéritableépreuve3.

Parailleurs,concomitammentà lamaladie, lesalariéestsouventconfrontéà lacomplexitéadministrative,àunrisqued’instabilitéfinancièreetsociale.UneétudedelaDREESmontreunebaissedesrevenuspourunquartdespersonnesdeuxansaprèsundiagnosticdecancer4.Pourcertainssalariés,unedesprincipalescraintessera lapertedesonemploidu faitde lamaladie.L’enquêteESTEVmontrequel’altérationdel’étatdesantéaugmentelerisquedesortirdel’emploi.Enanalysedescriptive,15%despersonnessedéclarantenmauvaisesantésontsortiesdel’emploiquatreansplustardalorsqu’ellesnesontque5,8%dansunepopulationse déclarant en bonne santé5.

Pourlessalariésmalades,encoreplusquepourlesautressalariés,letravailàunevaleursociale,uneplaceoccupéedanslasociété.Selonlaconfiancequ’ilporteraàsonentrepriseetsonsystèmedemanagement,ilseraencouragéounonàfaireconnaîtresonétatdesanté.

Aumomentdelaconnaissancedesamaladieparlesalarié,etaprèsladéstabilisationoccasionnée,cedernierestsouventsoumisàundilemmeentreévoquerounonsamaladie,etlecaséchéant,àquelle(s)personne(s)enparler.Dans9cassur10,lamaladien’estpasvisible.Quelquesoitsadécision,lamaladieestinstalléeetelleauradesrépercussions.

Dansl’optiond’annoncersamaladie,lesoutienpourraêtreplusimportantdelapartdescollègues,ducollectifdetravailmaislerisqueestlastigmatisation.Enfonctiondesmaladies, des interrogationsou jugementspeuventêtreportés sur lemodedevie(ex:consommationd’alcool,surpoids,tabac…).Danslecasdesmalades3 Quefontles10millionsdemalades?Vivreettravailleravecunemaladiechronique.DominiqueLHUILLERetAnne-

MarieWASER-Erès-p104 Citédans«Maladieschroniqueset travail :au-delàdes idéesreçues»sous ladirectiond’OlivierOBRECHTet

Marie-ClaudeHITTINGER-LEGROS–ÉditionssantéetpresseSciencesPo-p.325 Citédans«Maladieschroniqueset travail :au-delàdes idéesreçues»sous ladirectiond’OlivierOBRECHTet

Marie-ClaudeHITTINGER-LEGROS–ÉditionssantéetpresseSciencesPo-p.35

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atteintsdeVIH,62%ontchoisidetaireleurmaladiesurlelieudetravaildecrainted’êtrejugés.

Si lechoixseportevers ledéni.Lesalariépensenepasfaire l’objetdestigmatisationet«êtrecommelesautres»,«commeavant lamaladie».Mais, ilrisqueestd’avoiruneconfusionentrelessymptômesengendréspar lamaladieet lescomportementsqualifiésdedésengagement(ex:fatigueetfainéantise;pertedemémoireetmanqued’attention…).Cetteincompréhensionpeutresterancréeaprès l’annoncede lamaladieparméconnaissancedecette dernière.

A contrario, quand le salarié fait le choix de rendre publique sa maladie, et que desaménagementspeuventêtretrouvés,ilestconfrontéauregarddesautres.Ilpeutêtreamenéàjustifierdesaménagementstrouvésauprèsdescollèguesoudelahiérarchie,etdoitfairepreuvequ’illes«mérite»6.

Dans tous les cas, le salarié met en place des stratégies individuelles de régulation pourmaintenirsaplacedansl’organisation,atteindrelaperformanceattenduesmaisavecunrisquededégradationdesasanté (ex : travail endehorsde l’entreprise,nonprisede traitement,diminutionouabsencedepauses…).

I.2/ Les impacts sur le collectif de travail et la performance globaleSi le salarié est le premier impactépar laMCE, les conséquences sont importantes sur lecollectif de travail.

Laconséquencelaplusvisiblesurlecollectifestcelleliéeauxpériodesd’absencesplusoumoinsrépétées,plusoumoinslonguesquidésorganisentletravail.Quelesalariéaitdécidéderendrepublicsonétatdesantéounon,lesarrêtsdetravailpeuventpersistercommeinjustifiéspar le collectif de travail. L’absentéismea un impact sur l’organisation du travail et sur lesrelationsentrelessalariés.Ilobligeàunenouvellerépartitiondutravailsurlesprésents.Cesdernierspeuventnepastrouver légitimed’assurercettesurcharge,d’autantque lesreportsdechargedetravailsefontdemanièreempirique.Lecollectifpallielesdysfonctionnements.

Parconséquent,lesmaladessontobjets(etproducteurs)dejugementsmorauxquirendrontleur situation plus ou moins confortable selon les caractéristiques du milieu de travail. Lamaladierelèveicilepoidsdesdimensionsnormativesdutravail7.Lemanagerconfrontéàlaprésenced’uncollaborateuratteintd’uneMCEdanssonéquipedoitengérerlesconséquencesauquotidien.En fonctiondesabsences,oude laprésence(avecaménagementounon), ildoit revoir l’organisationde sonunité de travail en répartissant la chargede travail sur lesautressalariéset/ouenassumantlui-mêmel’activitéet/ouenladifférant.Quelquesoitlaoulessolutionsmisesenœuvre, ils’exposeauxcritiquesdesonéquipeetaurisquedesubirdes injonctionsparadoxalesdesahiérarchieencasdedégradationdes résultats.Pourunmanager, laprésenced’un salariéatteint deMCEest souvent vécuecommeunepertedeproductivité,unesourcededysfonctionnementetdestress.Aufinal,ilauratendanceàpréféreruneabsencedelongueduréequipourraêtrecompenséeparunCDDoudel’intérimàdes

6 Lanouvellerevuedutravail-Santéautravail:regardssociologiques-Rechercheactionsurleretouretlemaintienenactivitédesalariéstouchésparunemaladiechronique-GuillaumeHUYEZ-LEVRATetAnne-MarieWASER

7 Santéprécaireautravail:quelquesperspectivessociologiques-SylvieCELERIER-Centred’Étudesdel’Emploi(CEE)-2008–p3

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absencesrépétitivesouunretouràl’emploi«aménagé».Parfois,lesentrepriseschoisissent de nepasprendre en compte la personnemaladedans l’effectif detravail.Elledevientuneemployéequis’ajouteetaideenfonctiondesbesoins8.L’augmentationdunombredesalariésatteintsdeMCEauncoûtsurlaperformanceglobale des entreprises et pourtant, une minorité d’entre-elles semble en avoirpris conscience. Il est difficile d’évaluer le coût des MCE pour les entreprises.Mais,plusieursélémentspeuventêtreprisencompte:lapertedecompétences,l’absentéisme,lecoûtdesinaptitudes,etdescoûtsindirects(logistique,pertedeproductivité,dysfonctionnementorganisationnel, formation…).80%dessalariésatteints de MCE ont un emploi au moment du diagnostic de la maladie. Deuxansplustard,untiersdespersonnesontperduouquitté leuremploiousontenarrêtdetravail.Si80%desDRHreconnaissentnepasavoirunevisionprécisede ce que représente le coût de l’absentéisme dans leur entreprise. Plusieursétudes tendent à démontrer que le poids économique n’est pas négligeable. Ilsreprésenteraientenviron45milliards€pour leentreprisesdusecteurprivéet60milliards € en ajoutant les coûts indirects. Les éléments pris en compte sont larémunération (maintien de salaire), la politique de remplacement (CDD, intérim,heuressupplémentaires…),lesdysfonctionnementsorganisationnelsengendrés…S’ilestdifficilededistinguerlecoûtliéauxmaladieschroniquesdesautresmotifsd’absentéismemaladie,selonl’InstitutforHealthandProductivityManagement,lepoidséconomiquedesmaladieschroniquesdevraitdoublerenEuropeaucoursdesvingtprochainesannées.Parailleurs,lamajoritédesentreprises«subissent»lesprocéduresd’inaptitudeautravailaudétrimentd’uninvestissementdanslemaintienàl’emploi.95%desprocéduresd’inaptitudesesoldentparunlicenciement9trèscoûteuxenmontant,entempsetenpertedecompétences.Dans,laplupartdesentrepriseslarecherchedeposten’estpasmenéetrèsefficacementetlelicenciementestpréféréàd’autressolutions.Pourtant,ilenvadelaresponsabilitédel’entreprisedeprivilégierlepluspossiblele maintien dans l’emploi et d’orienter le salarié vers une reconnaissance detravailleurhandicapé.Cettesolutionalliedeuxavantages:limiterlerisquefinancierliéà l’inaptitudeet répondreà l’obligation légaledecompterdans leseffectifsaminima6%desalariéshandicapés.À titred’exemple, l’entrepriseDOMUSVIadédié200000€aufinancementdesonaccordd’entreprisesur lapréventiondel’inaptitudeet lareconversionprofessionnelle.Cettesommeaétéétablieàpartird’uneestimationdescoûtsdes licenciementspour inaptitudeetdescontentieuxliés10.

8 Maladieschroniquesévolutives–Pluridisciplinaritéetmaintiendansl’emploienAquitaine-nouvelleapproche-Equal9 PlanSantéautravail2026-2020-Ministèredutravail,de l’emploi,de la formationprofessionnelleetdudialogue

social10 Liaisonssocialesquotidien17016-10février2016

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II-TransformerunecontrainteenopportunitéLaquestionde lagestiondessalariésatteintsd’unemaladiechroniqueévolutivea laparticularité d’être à la croisée de la santé au travail et de la santé publique.Plusieursauteurs,ladénommelasantédutravail.Cetermeal’avantagedebiencernerl’ensembledesthématiquesquel’entreprisedevradévelopperdanslecadred’unpland’actionsquienfonctiondesastratégiepourraêtreintégréauplansantéautravail,auprojetd’entreprise,auSDRH…

Danstouslescas,l’entrepriseseraconfrontéeàlanécessitédefairetravaillerensembledenombreuxacteursdont lespointsdevuepeuventêtredivergents(lessalariésmalades, lessalariés,lesmanagers,lesressourceshumaines,leCHSCT,lamédecinedutravail,l’équipededirection…)etàrechercherunéquilibreentredessolutionsindividuellesmaisaussicollectives,autraversd’uneorganisationplusagile.

Ladeuxièmepartiedecetarticleapourobjectifsdeproposerauxemployeursde travaillersurunpland’actionsencinqaxesde travail.Ainsi, lesemployeursqui lesouhaitentaurontlepouvoirde transformerunecontrainteenopportunitéde renforcer leurpolitiqueRHet laperformanceglobaledel’entreprise.Danscecontexte,

Axe 1 : Rendre visibles les salariés atteints de maladie chroniquePourmettreenœuvreunaccompagnementdédiéauxsalariésatteintsdeMCEencorefaut-illesconnaître.C’estlaplupartdutemps,lapremièreréactiondesdirecteurset/ouDRH.17%dessalariésatteintsdecanceret34%desdiabétiquespréfèrentsetaire.Lecadrelégislatifactuelapourbutdesécuriserlesalariémalade.Pourautant,certainesrigiditésducodedutravailetdeladéontologiemédicalepeuventconduireàproduirelecontraireetàfragiliserlesalariémalade.Lalégislationfrançaiseetlestermesqu’ellesutilisent:inaptitude,invalidité,travailleurhandicapé…stigmatisentlesalariéconcerné.Cevocabulairejugécommenégatifrenforcelefaitquelesmaladieschroniquessoientsouventtaboues.Parconséquent,ilestessentieldechangerleregarddesdifférentsinterlocuteurssurlessalariésmaladesetd’informerlesalariémaladedetoussesdroits.LafondationCapsantéproposeauxentrepriseslaréalisationd’undiagnosticsousformed’étudepsycho-sociale.Elleapourobjectifdedéterminerquelleimagelessalariéspeuventavoirdelaplacedumaladedansleurentreprise.Ilapourbutd’apprécierl’attitudedessalariésfaceàlamaladie,leurdegrédeconfianceenversleurentreprise,leurscollègueseteux-mêmespourgérerdeséventuelsproblèmesdesanté.Enparallèle,laméthodepréconisedecalculerlescoûtsinhérentsàlamaladie.

Plusieursentreprises(CréditMutuel, laSNCF, lamétropoledeToulouse..)ontmisenplacedesactionsdecommunicationpositiveetdesensibilisationsurlamaladie,lehandicap,formélesmanagerssurlesconséquencesdelamaladie, lapostureàadopter…LaSNCFachoisidemettreenplacedesactionsdesensibilisationsurlesmaladieschroniquesintégréesdanssonaccordcadrehandicap.Sadémarcheaconsistéàorganiserdesconférencesendirectiondesmanagers,des ressourceshumaines,desagentsdeproduction,desservicessociaux,médicauxsurlethème«l’annoncedelamaladie,lemaintiendansl’emploi»11.

11 Entrepriseetcarrières–l’enquête«commentorganiserletravaildesmaladieschroniques»-n°1280

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Laformationdumanagementestunaxeimportant.Dansunvasteplansurlasantéautravail, lavilleetlamétropoledeToulouseontchoisideformerplusde1400managersnotammentsurlagestiondesrestrictionsmédicales,lerôle«social»dumanager.Lesprogrammesdeformationinitialeetcontinuedesmanagersdevrontintégrerlagestiondessalariésmaladeset/ouhandicapé12.

Axe 2 : Prévenir la désinsertion et maintenir dans l’emploiUnefoislessalariésmaladesconnusetlesmanagerssensibilisés,ilestnécessairedelesaideràidentifierlesacteursressourcesauseindel’entreprise,leursdroits,leslevierspossiblespouréviterladésinsertionetoptimiserlemaintiendansl’emploi.Lesentreprisesquisesontdéjàengagéesdansunedémarchedemaintiendansl’emploiontpourlaplupartfaitreposerleurdémarchesurunefonctiondédiée:leréférenthandicapouleréférentsanté.Lesorganismesdesécuritésocialedisposenttousd’unréférentsantésécuritéautravaildontlaformationpourraitêtrecomplétéeparunmodulesurlesmaladieschroniquesautravail.Parailleurs,desentreprises(Delpeyrat,laMNT…)ontélaborédesguidespapieroumultimédiapourpermettreauxmaladesdeconnaîtreleursdroitsetdevoirs.

Lamaladiechroniqueentraînedesabsencesd’uneduréeplusoumoins longue,parfoisrépétéesrendantleretouràl’emploietlemaintiendansl’emploicomplexes.Deplus,lalégislationenvigueurrenddifficilelemaintienducontactentrel’employeuretlesalariémalade.L’employeurn’apaslapossibilitédedéclencherunevisitedepré-reprisequiluipermettraitpourtantdepréparerleretouretlesaménagementsafférents. Le dialogue social et la négociation d’un accord d’entreprise rendentpossible de discuter entre partenaires du principe dumaintien du contact entrel’employeur et le salarié pendant les périodes d’arrêt de travail. C’est ce qu’àréaliserl’entrepriseDOMUSVi,3èmegroupedeservicesauxpersonnesâgéesenFrance(1600salariés)quiaintégrédanssonaccordd’entreprisesurlapréventiondel’inaptitudeetlareconversionprofessionnelleceprincipepermettantd’anticiperlesretoursàl’emploi.CetaccordaétésignéparlaCGTetFO13. Par ailleurs, tout employeuralapossibilitéd’adresseràsonsalariéuncourrierpourl’informerdelapossibilitédesolliciterunevisitederepriseeninsistantsurlesavantagespourlesalarié.Cette informationpeutaussiêtre intégréedans leguideà l’attentiondessalariésmalades.

Dans le cadre des actions sur la Prévention de la Désinsertion Professionnelle (DPD),descellulesco-animéespar laCPAM, leservicesocialde laCARSATetleservicemédicalpeuventêtredesappuispourlessalariésatteintsdepathologiechroniqueetleuremployeurdanslaconstructiondeplansd’actionsadéquatpourlemaintiendansl’emploi.Maiscesdispositifsrestent«confidentiels».

Lemédecindu travail ouencore l’ANACTsont des ressourcespour procéder àdesétudesdeposte.Ladémarcheconsisteà interroger lescompatibilitésentrelescaractéristiquesdessituationsde travailet les impactsde lamaladie et des 12 Entrepriseetcarrières–l’enquête«commentorganiserletravaildesmaladieschroniques»-n°128013 Liaisonssocialesquotidien–10février2016

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traitementsdusalarié.Lesmaladieschroniquesrendentlaquestionorganisationnellepluscomplexecarlachronicitéetl’évolution(défavorableoufavorable)obligentàuneévaluationpermanentedel’adéquationdessolutionsavecl’étatdesanté14.

Axe 3 : Passer de la santé au travail à la santé du travailLamajoritédesmaladieschroniquessontsanslienavecletravail.Mais,unebonnehygiènedevieet lapréventionpeuventcontribueràlimiter lenombredemaladeschroniqueset/ouretarderleseffetsdelamaladieet/oumieuxluttercontreseseffets.Commelesouligneleplansantéautravail3,lepositionnementdel’entrepriseluipermetd’êtreàlacroiséedelasantéautravailetdelasantépublique.Ellepeutpermettreauxsalariésdesemaintenirenmeilleureétatdeformeeninitiantdesactionsdeluttecontreletabagisme,lesaddictions,enprodiguantdesconseilsennutrition,enincitantàlapratiquesportive.D’aprèsl’étudeGoodwill(2015),unepersonnesédentairequisemetàlapratiquedel’activitéphysiqueetsportiveenentrepriseamélioredaproductivitéde6à9%.Parailleurs, l’AssuranceMaladiepar l’intermédiairedesCPAM,de leursservicesensanté,de leursactionsauprèsdesmédecinset laCARSATdanssesmissionsdesantéautravailpourraientdevenirdesacteursclésdansl’accompagnementetlapriseenchargedessalariésatteintsdeMCEdanslesentreprisesenintégrantunvolet«travail/emploi»àl’accompagnementposthospitalisation(PRADO)etdansSOPHIA.Cetteoffrecomplémentairepourraitfairel’objetd’unpartenariatCARSAT/CPAM.

Axe 4 : Réfléchir à des organisations plus souples et adaptéesAu-delàdesactionsendirectiondessalariés,et/oudesmanagersetdeséquipes,lesmaladieschroniquesetleursincidencessurletravailnécessitentuneréflexionattentivesurl’organisationdu travail, son assouplissement et la recherche de solutions innovantes.Au demeurant, laquestiondel’organisationestcentraleenmatièredesantéautravail.Lamise en place d’une stratégie RH sur lesmaladies chroniques peut être l’occasion deréaffirmer l’intérêt d’examiner systématiquement le volet santé de toute organisation ouchangement d’organisation. Certaines organisations peuvent générer ou renforcer dessymptômesdeMCEeta fortioriexclurede l’emploi.Ainsi,unepartiedesactionsaurauneportéegénéraleetl’ensembledessalariéspourronttirerprofitd’unedémarchecibléesuruneseulecatégorie.Les MCE rendent la question organisationnelle encore plus complexe car la chronicité etl’évolutiondelamaladie(favorableoudéfavorable)obligentàuneévaluationpermanentedel’adéquationdessolutionsmisesenœuvreavecl’étatdesantédusalarié,etlecaséchéant,àadapter,rechercherdenouvellespistes.Pourlesentreprisesquienontlesmoyens,l’apportd’unergonomeestuneplus-value.Par ailleurs, des solutions d’aménagements horaires peuvent être activées. Le mi-tempsthérapeutiqueestleplussouventutilisémaisilestnécessairedepenseràdesassouplissements

14 TravailetChangement-Travailleravecunemaladiechroniqueévolutive–publicationANACT–juillet-août2015

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deshorairespourpermettrelesuivid’untraitementoulerespectd’unhorairedeprisederepas(ex:diabète)…Letélétravailapparaîtcommeunlevierdanslesaccordsdesentreprisesquiontmisenplacedesplansd’actonsconcernant lessalariésatteintsdepathologiechronique(ex:CapGemini,NestléFrance,Astrium…).Enfin,uneinitiativeinnovantedelaMairiedeBordeauxmérited’êtresoulignée.Elleacréédixpostestremplinsurlesquelslessalariéssontaffectésdansl’attentedesolutiondereclassement.

Axe 5 : Coordonner les nombreux acteurs concernés par le sujetLaquestiondesmaladies chroniquesa la particularité de concerner unnombreimportantd’acteursauseindel’entreprise:ledirecteur,lesressourceshumaines,lesmanagers,lesélusdupersonnel,lessalariésmalades,lessalariésnonmalades,lemédecindutravail(et/oul’infirmierdutravail),l’assistantesocialedutravail.

Leconstatactuelestquelamajoritédesentreprisesgèrentlessituationsaucoupparcoup,demanièreindividuelleetsanspolitiqueglobale.Lorsquedesdispositifsexistent,ilssontactionnésentantquedebesoin.Ilsseconfrontentrégulièrementàdesincompréhensionsentrelesdifférentsacteurs(conflitsdelogique).Lesecretmédicals’ajoutecommesourcedecomplexité.

Parconséquent, l’employeura intérêtàprivilégierunegestionenmodeprojetetuneapprochepluridisciplinaire visantà impliquer tous lesacteursetnotammentdessalariésatteintsdepathologieschroniquesoudesassociationsdemalade,lesmembresduCHSCT.

Commetoutprojet, ladémarchedoitenpremier lieuêtreportéepar leDirecteuretleComitédeDirection.EllepeutêtrepilotéeparlaRHoufairel’objetd’unco-pilotageRH/CHSCT.Elledérouleralesétapesclassiquesd’unegestiondeprojet:état des lieux, plan d’actions, communication, évaluation, suivi… Le sujet étantdélicatvoire tabou, l’accompagnementd’unconsultantspécialisépublicouprivépeutêtreuneplus-value.

En conclusion,La problématique des salariés atteints de maladie chronique est à prendre encomptepar l’entreprise,elledoit faire l’objetd’unestratégieglobalealliantsantépubliqueetsantéautravail.Lessolutionsdépassentlechampdel’entrepriseelle-même,certainesd’entre-ellesconcernentlalégislationàfaireévoluer,l’articulationentrelamédecinedevilleetlamédecinedutravail,lesassociationsdemalades,lesacteursdusystèmedesanté(l’assurancemaladie,lesCARSAT,lesorganismescomplémentaires,deprévoyance…),laformation.

L’intégrationdusujetdanslePlancanceretdanslePlanSantéTravail3démontresaprégnanceetuneprisedeconsciencedel’urgencedesontraitementconcertépar lespouvoirspublicset lesentreprises.Lesujet estenpassededevenir un

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axeincontournabledelapolitiqueRHetdelastratégiedesentreprisesprivéesetpubliques.

Pour autant, comme pour d’autres sujets, et en fonction de lamontée en charge desplansd’actionsdanslesentreprises,ilserapeut-êtrenécessairededéployerdesmesureslégislativescontraignanteset/ouincitativescommeauPays-Basseulspaysdel’OCDEoùlesabsencespourmaladieetl’entréeeninvaliditéontbaissé.

Auseindel’entreprise,desactionssimplesetpragmatiquespeuventêtremisesenplacesousl’impulsiondeladirectionmaisnécessairementportéeparl’ensembledespartiesprenantes.Lamajorité de ces actions, prioritairement dédiées à la question desmaladies chroniquespeuventavoiruneportéegénéraleenmatièred’organisation,debien-êtreetsantéautravail,deréductiondel’absentéisme…Ilestencoretroptôtpourévaluerleretoursurinvestissementdes actionsmises enœuvre et sur la performance globale des entreprises engagés danscesdémarches.Toutefois,unpremierbilanpositifestd’oresetdéjàpossibleen termesdecohésionsocialeetimagedemarque.

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DL’APPRoChE INTERNATIoNALE

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Leslignesdirectricesdel’AISSPar Bernd Treichel, Expert en prévention et Sécurité sociale à l’Association Internationale de la Sécurité Sociale (AISS)

Bernd Treichel a travaillé en tant qu’avocat avant de joindre la Bureau International du Travail comme expert pour le développement des systèmes d’inspection du travail. Ensuite, il a travaillé pour le Conseil des états de la mer baltique à Stockholm en tant que conseiller principal avant de rejoindre l’Association Internationale de la Sécurité Sociale à Genève.

Les Lignes directrices de l’AISS en matière de prévention des risques professionnels,de promotion de la santé sur le lieu de travail et de retour au travail et de réintégrationprofessionnelle proposent aux institutions de sécurité sociale une définition plus large duconceptdeprévention.

Les tendancesmondialesobservéesdans ledomainede lasantéau travail traduisentuneévolutiondelanaturedesrisques.Ainsi,tandisquelestauxdemortalitédueauxaccidentsdu travail reculent, les conséquences des problèmes de santé liés au travail gagnent enimportance.Aujourd’hui,lapopulationactivedoitàlafoisfairefaceauxrisquesprofessionnels«traditionnels»etàl’apparitiond’unemultitudedenouveauxproblèmesdesanté,liésautravailounon.Lesnouvellestechnologies,lesrisquesergonomiques,l’évolutiondémographique,lestressetautresfacteurspsychosociauxsontautantdephénomènesquiaffectentlavieetlasantédestravailleurs.Lesfacteursprofessionnelsetnonprofessionnelsexercentuneinfluencedeplusenplusfortesurlasantéetlesperformancesautravail,etlasantédestravailleursjouedorénavantunrôlecapitaldanslaviabilitédesrégimesdesécuritésociale.

Dans ce contexte, la prévention est désormais abordée demanière plus large, l’approchetraditionnelle,fondéesurlagestiontechniquedesrisques,cèdantlaplaceàuneculturedelapréventionplusglobale,danslecadredelaquellelasécurité,lasantéetlebien-êtresontliés.Cetteapprocheplusvasteetplus intégréenécessite lamobilisationdediversacteursde lasociétéetuneconceptionharmoniséedelaprévention.

I-L’approchetridimensionnellede lasécuritéetde lasantéautravaildéfinieparl’AISSLesinstitutionsdesécuritésocialejouentunrôledéterminant,concourantàlamiseaupoint,àlapromotionetàlaconduited’activitésdepréventionavecpourobjectifderéduirelenombred’accidentsetdemaladiesliésautravailainsiquelesdemandesd’indemnisationendécoulant.

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Àcette fin, elles se sont accordées sur unedéfinitionplus largedu concept depréventiondanslecadredesLignesdirectricesdel’AISS.

Lapréservationdelasantédetousestunobjectifessentielpourlessystèmesdesécuritésociale.Lesdifférentsacteursquijouentunrôledanslasociétédoiventsemobiliserpourpréveniretéliminerlesrisques,professionnelsounon,quimenacentlebien-être.

Lesapprochesdelapréventionetlesservicesfournisdanscedomainediffèrentd’unpaysàl’autre,reflétantlesdifférencesdedéveloppementéconomique,depolitiquesmenéesetdecadresjuridiques.Enrèglegénérale,lespouvoirspublicsintègrent,aprèsconsultationdespartenairessociaux,lesactivitésdepréventionàlalégislationenmatièredesantéetdesécuritéautravail,laquelleestensuiteappliquéeparlesautoritéscompétentes,àtraversl’inspectiondutravail.

Dans beaucoup de pays, les institutions de sécurité sociale complètent cesservicesetcontribuentàlapréventiondesrisquesprofessionnels.Lesinstitutionsdesécuritésocialeprenantenchargel’indemnisationdesaccidentsetmaladiesliésautravail-etdanscertainscaslaréadaptationdestravailleursquiensontvictimes–,ellesontstratégiquementungrandintérêtàcontribueràl’améliorationde la sécurité et de la santé des travailleurs.

Pour concourir à lamise en place d’une approche intégrée de la prévention,l’AISSamisaupointdesLignesdirectricesinternationalementreconnuesportantsurtroisdomaines:lapréventiondesrisquesprofessionnels;lapromotiondelasantésurlelieudetravail;leretourautravailetlaréintégrationprofessionnelle.

Les Lignes directrices de l’AISS offrent aux institutions de sécurité sociale unaccèsàdesstandardsinternationauxsurunaspectspécifiquedelaprévention,constituantunebasedecomparaisonpourmettreenœuvredesaméliorationsadministratives.ChaquesériedeLignesdirectricess’accompagnederessourcescomplémentaires, de références et de liens vers des exemples de bonnespratiquesquipermettentd’approfondirlesconnaissancesetfacilitentl’applicationdesLignesdirectrices.

II-LesLignesdirectricesde l’AISSenmatièredepréventiondesrisquesprofessionnelsLes Lignes directrices de l’AISS en matière de prévention des risquesprofessionnels qui portent sur les risques professionnels pris en charge parles institutions de sécurité sociale, proposent à ces dernières un ensembleexhaustifdeconceptsetd’outilsdeprévention leurpermettantdedévelopperleurscapacités, infrastructures,programmesetactivitésenlamatière,toutenprenantencompteleursspécificitésnationalesetinstitutionnelles.

LesLignesdirectricesfournissentdesmesuresquivisentàaiderlesinstitutionsdesécuritésocialeàmenerdesactivitésdepréventionenvuederéduirelenombre

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d’accidentsetdemaladiesliésautravailainsiquelesdemandesd’indemnisationen découlant. C’est en incluant tous les acteurs concernés, notamment lespartenaires sociaux, les autorités gouvernementales et les spécialistes de laprévention,quelesinstitutionsdesécuritésocialeparviendrontàpromouvoiractivementuneculturedelapréventionetce,enencourageantl’améliorationdesperformancesdanscedomaine,tantauniveaudel’entreprisequ’àl’échellenationale.

En vue de structurer et de prioriser les activités enmatière de santé et de sécurité autravail,lesinstitutionsdesécuritésocialeétablissentunmodèledepréventionciblantquatredomainesd’intervention:lasantéetlasécuritéautravail,lasécuritédelatechnologie,lescapacitésindividuellesdepréventionetlescomportements,etenfinlaclartédesconsigneset des conseils.

LesLignesdirectricessedivisentendeuxparties: La PartieA, intitulée « Conditions essentielles des programmes de prévention »(Lignes directrices 1 à 9), traite des questions structurelles devant être prises encompte par les institutions de sécurité sociale pour que ces dernières puissentsoutenir et faciliter l’adoption d’approches préventives en collaboration avec lesentreprisesetdansl’intérêtdecesdernières.

LaPartieB, intitulée«Activitésetservicesdeprévention» (Lignesdirectrices10à37), traitequantàelledesactivitésetdesservicesdepréventionpouvantêtreproposés.

III-LesLignesdirectricesdel’AISSenmatièredepromotiondelasantésur le lieu de travailLes Lignes directrices de l’AISSenmatière de promotion de la santé sur le lieu de travailcontiennent desinformationsquipermettrontauxinstitutionsdesécuritésocialededisposerd’un cadre d’action. Elles constituent essentiellement un «mode d’emploi » qui indique lamarcheàsuivrepourélaboreretmettreenœuvredesprogrammesdepromotiondelasantésurlelieudetravailàlafoispérennesetfondéssurlesbesoinsdanslesorganisationsclientes,qu’ils’agissed’entreprises,d’organismesoud’organisationsdessecteurspublicouprivé.

LesLignesdirectricess’articulentautourdedeuxgrandsaxes: lesinstitutionsdesécuritésocialevuescommeayantpourmissiondefaciliterl’applicationdebonnespratiquesauseindeleursorganisationsclientesetlesdifférentsaspectsdecerôle;

lesinstitutionsdesécuritésocialevuescommedesmodèlesàsuivreetlesactionsàmenerpouraccéderàcestatut.

Danslamajoritédescas,lesinstitutionsdesécuritésocialenesontpastenuesparlaloides’impliquerdanslapromotiondelasanté.Cependant,ellesontdenombreusesraisonsdelefaire,notammentlessuivantes:

L’éthique:lesinstitutionsdesécuritésocialeontunrôledepremierplanàjouerdanslapréventiondesaccidentsetdesproblèmesdesantéetdanslapromotiondubien-êtreparl’intermédiairedulieudetravail;

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Les prestations sociales et la viabilité financière:lapromotiondubien-êtresurlelieudetravailvadepairavecunemeilleuresanté,untravailplussûretlemaintiendansl’emploi.Cecigarantitunesourcedefinancementdurablepour les dispositifs de réadaptation et d’indemnisation tout en limitant lerecoursàdesmesuresderéadaptationetd’indemnisationcoûteuses;

L’équité:laréductiondesinégalitésenmatièredesantéestpositivepourungrandnombred’acteurs,notammentpourlesgouvernements,lessystèmesdesanté,lessystèmesdesécuritésociale,lesemployeursetlesindividus.

Lorsquelesinstitutionsdesécuritésocialesontacteursdelapromotiondelasantésur le lieudetravail, leurrôleestd’encourageractivementetd’accompagner lesemployeursquimettentenplacedesprogrammesdepromotiondelasantédansleurentreprise,cequipeut lesconduireàallouerdu tempsetdesressourcesàcettemise en place. Ce soutien peut également inclure le temps investi et lesressources dans de tels développements ou fournir des systèmes d’incitationtelsquelaréductiondescotisationsd’assurancedesemployeursquiontunbonrendementprogrammedepromotiondelasantéautravail.

LesLignesdirectricescomportenttroisparties:LaPartieA:Conditionsessentiellesàlapromotiondelasantésurlelieudetravail(Lignesdirectrices1à10),portesur lesproblématiquesstructurellesauxquellesil fautrépondrepourque les institutionsdesécuritésocialepuissentencourageretaiderleursclients–entreprisesetorganisationsdusecteurpublicouprivé–àconcevoirdesstratégiescohérentesdepromotiondelasantéautravail.LaPartieB:Évaluationdesbesoinsetplanification(Lignesdirectrices11à18),portesurlesressourcesetprocessusnécessairesàl’évaluationetàlarecherchede consensus.LaPartieC:Servicesetactivitésdepromotionde lasantésur le lieudetravail(Lignes directrices 19 à 28), décrit les actions et mesures spécifiques que lesinstitutionsdesécuritésocialepeuventenvisagerpouraiderleslieuxdetravailàélaboreretmettreenœuvredesprogrammesdepromotiondelasantéautravail.

IV-LesLignesdirectricesde l’AISSenmatièrede retourautravailetderéintégrationprofessionnelleLesLignesdirectricesdel’AISSenmatièrederetourautravailetderéintégrationprofessionnelleportentsurlafaçondontlesinstitutionsdesécuritésocialepeuventcollaboreravecd’autrespartiesprenantesenvuedesoutenir lespersonnesquisontenarrêtmaladieetquiconserventunlienavecunemployeurspécifique.

Leretourautravailoccupeuneplacecentraleauseind’unensembledeprocessusdestinésàfaciliterlaréintégrationprofessionnelledespersonnesdontl’aptitudeautravaildiminueàlasuited’unaccidentoud’unemaladied’origineprofessionnelleounonprofessionnelle.Parcequ’ils tiennentcomptedesbesoins individuels,de

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l’environnementdetravail,desbesoinsetdesobligationsjuridiquesdesentreprises,les processus de retour au travail constituent une stratégie coordonnée visant àfavoriser lemaintiendans l’emploi, considérécommeunepremièreétapepouréviterquelespersonnesquivoientleurcapacitédetravaildiminuernequittentprématurémentlavie active.LesLignesdirectricessontaxéessur lespersonnesquisontenarrêtmaladiedecourteoulongueduréeetquiconserventunlienavecunemployeurspécifique.Elless’appliquentquellequesoitlacause,professionnelleounonprofessionnelle,del’arrêtdetravail.LesLignesdirectricessontorganiséesendeuxparties:La PartieA, intitulée Retour au travail: conditions, principes et Lignes directrices de base(Lignesdirectrices1à5,portesurl’identificationdespartiesprenantes,lefondementjuridiqueduprogrammeetlanécessitéd’avoirpourréférencedebonnespratiquesinternationales.Elletraite aussi desmoyens dont dispose une institution de sécurité sociale pour influencer lesystème.La Partie B, intitulée Retour au travail: principes et Lignes directrices spécifiques (Lignesdirectrices 6 à 32), porte sur sept aspects spécifiques, qui constituent une préoccupationcommuneàl’ensembledesinstitutionsdesécuritésocialelorsqu’ellesmettentenœuvreunprogrammederetourautravail.LesLignesdirectricesdel’AISSenmatièrederetourautravailetderéintégrationprofessionnelleontétéélaboréesafin: dedécrireleschoixstratégiquesquepeuventfairelesinstitutionsdesécuritésocialepourparveniràmettreenplacedesprogrammesderetourautravail fondéssur lesbonnespratiques;

d’impulserundialoguesur lesprogrammesde retourau travail fondéssur lesbonnespratiquesquepeuventmettreenplacelesinstitutionsdesécuritésociale;

d’identifierlescaractéristiquesindispensablesàlaréussitedecesprogrammes; deproposerdesoutilsconcretspourlamiseenœuvredesprogrammes.

V-Miseenplaced’unestratégiedepréventionL’expérience internationale démontre clairement qu’aussi souhaitables qu’elles soient, lesmesuresprisespour restaurer les liensdesbénéficiairesdeprestationsd’invaliditéavec lemarchédutravailsontextrêmementcoûteusesetontuneefficacitésouventlimitée.

Ilconvientdoncd’orienterlamajoritédesstratégiesverslaréductiondesrisquesprofessionnellesàtraverslapréventionetverspromotiondelasantésurlelieudetravail.Aucaséchéant,ilestessentieldes’orienterverslemaintiendansl’emploidespersonnesvictimesd’unemaladieoud’unaccidentquirisquentdeperdreleurtravail,avectouteslesconséquenceséconomiques,socialesetpsychologiquesquiendécoulent.

Cette nouvelle orientation constitue un changement de paradigme, qui voit les institutionsmodernesdesécuritésocialecesserdejouerlerôlede«payeur»pourtenirceluid’«acteur».

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Si touscesaspectsqui sontmentionnéesdans lesLignesdirectricesde l’AISSsontprisencomptedefaçonsystématique,onpeuts’attendreàuneaméliorationcontinueenmatièredeprévention.Enrèglegénérale,ceux-cisontintégrésàunestratégiedepréventionquifixedesobjectifsderéductiondunombred’accidentsdutravailetdemaladiesprofessionnellesdansundélaiprécisetdéfinituncadrede collaboration avec d’autres intervenants, dont les partenaires sociaux et lesautoritésresponsablesdelasantéetdelasécuritéetdelaréhabilitationetdelaréinsertionprofessionnelle.

Une stratégie de prévention efficace veille aussi à ce que l’indemnisation desaccidentsetmaladiesprofessionnellessoientviablessurleplanfinancier.L’AISSamenéuneétudeinternationalequicalculelerendementpotentieldelapréventionpourlesentreprisesintitulée«Calculdurendementinternationaldelapréventionpourlesentreprises:coûtsetavantagesdesinvestissementsdanslasécuritéetla santé au travail »1. Reposant sur une approcheméthodologique scientifique,cetteétuderévèlequesiunemployeur investit1euro(EUR)dansdesmesuresdepréventionsurlelieudetravail,ilpeutgénérerunrendementpouvantatteindre2,2 EUR. En d’autres termes, le rendement de la prévention s’élève à un tauxexceptionnelde1:2,2.

Cettedécouverteoffreauxsystèmesd’assurancecontre lesaccidentsdu travailunargumentpuissantpourconvaincre les travailleurset lesemployeursprisenchargeparleursrégimesd’investirdanslaprévention.Lesrésultatsdecesétudesdémontrentenoutrelanécessitépourlesrégimesd’assurancequin’indemnisentque le coût des accidents de repenser leur stratégie et de développer desprogrammes de prévention qui récompensant les entreprises qui obtiennentd’excellentsrésultatsentermesdesécuritéetdesantéautravail.

À l’instar de la prévention des risques professionnels, les avantages potentielsdesprogrammesderetourautravailsontégalementconsidérables,tantpourlesemployésetlesentreprisesquepourlessystèmesdesécuritésociale.L’OrganisationdelasécuritésocialedeMalaisiea,parexemple,évaluélerendementpotentieldesesinvestissementsdanslesprogrammesderetourautravailà1:2,4.

L’ensemblede troisLignesdirectricessur lapréventionsontaucœurduCentrepourl’excellencedel’AISS,quiavocationàpromouvoirlabonnegouvernance,uneperformanceélevéeetlaqualitédesservicesdansledomainedel’administrationde la sécurité sociale. Outre les services supplémentaires qu’elle offre et lesévénements qu’elle organise, l’AISS propose une formation et un soutien pouraider les institutions à appliquer les Lignes directrices. Les Lignes directricestendentàencouragerlessystèmesd’assurancecontrelesaccidentsdutravailà,nonseulement, indemniser lesvictimesd’accidentsdutravail,maiségalementàmettreenœuvredesstratégiesdepréventionafind’éviterquecesaccidentsneseproduisent,etàgarantirauxvictimesuneréadaptationmédicaleetprofessionnelle.

1 ISSA,2013:Calculatingtheinternationalreturnonpreventionforcompanies:Costsandbenefitsofinvestmentsinoccupationalsafetyandhealth;www.issa.int/rop

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Lancé à l’occasion du Forum mondial de la sécurité sociale, à Doha,en 2013, le Centre pour l’excellence vise à faciliter le transfert de connaissances entre les institutions membres de l’AISS afin de les aider àparvenir à l’excellence administrative. Il a notamment pour rôle de promouvoirl’application des Lignes directrices de l’AISS en matière d’administration de la sécuritésociale, qui constituent des normes professionnelles pour l’administration de la sécuritésociale reconnues à l’échelle internationale. Parce qu’elles ont valeur de référence enmatière d’améliorations, les Lignes directrices de l’AISS aident les membres à définirles objectifs à atteindre pour parvenir – durablement – à l’excellence administrative.

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Maintiendansl’emploidesvictimesd’AT/MP: Quellespratiquescheznosvoisins?Par Catherine Lecoanet, traductrice à Eurogip et Raphaël Haeflinger, directeur d’Eurogip

Traductrice de formation, Catherine Lecoanet travaille particulièrement sur la prévention de la désinsertion professionnelle et le maintien dans l’emploi en Europe. Ces recherches ont donné lieu à des notes de problématique pour accompagner les politiques françaises en la matière.

Depuis 2007, Raphaël Haeflinger dirige EUROGIP, un groupement d’intérêt public constitué par la CNAMTS et l’INRS dont la vocation est d’être un observatoire et un centre de ressources sur l’assurance et la prévention des risques professionnels à l’international.

RésuméMaintenir dans l’emploi les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles est un enjeu crucial pour l’Europe, confrontée à un important bouleversement démographique et notamment au vieillissement de sa population active.Cet article passe en revue les approches choisies par quatre pays qui ont une expérience significative dans ce domaine. Celles-ci reposent sur deux logiques : gérer plus efficacement les cas d’assurance ou miser sur la réinsertion professionnelle comme levier d’une politique active de l’emploi.Dans tous les cas, l’accent est davantage mis sur la capacité résiduelle de travail que sur le handicap. Pour un retour réussi et durable au travail, ces approches prônent non seulement de mettre en place des actions précoces, mais aussi de considérer l’individu dans toutes ses dimensions, en particulier physiologique, professionnelle et sociale.

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Introduction

Le maintien dans l’emploi des victimes d’accidents du travail ou de maladiesprofessionnelles(AT/MP)estunequestionquiprenduneimportancegrandissanteen Europe pour des raisons à la fois démographiques et économiques. Levieillissementdelapopulation,l’arrivéeàl’âgedelaretraitedelagénérationditedubaby-boometl’entréegénéralementplustardivedesjeunessurlemarchédutravail font craindre une pénurie demain-d’œuvre.Outre que des compétencesvontcommenceràmanquer,lesemployeurssontdeplusenplusconscientsqu’ilestnécessairedepromouvoirlemaintiendessalariésdansl’emploietdefaciliterlaréinsertionprofessionnelledesaccidentésdutravail.Eneffet,pluslesarrêtsdetravailsontlongs,plusleschancesderetouràl’emploisontfaibles.Parailleurs,lesproblèmesdesantéetdesécuritéautravailontuncoûtélevépourlessystèmesdeprotectionsocialepréfigurantuneimportancegrandissantedelaréadaptationetdelaréinsertionprofessionnelle.

Faire faceàceschangementsdémographiquesestd’ailleurs l’undes troisdéfiscontenusdansleCadrestratégiquedel’Unioneuropéenneenmatièredesantéetdesécuritéautravail2014-2020.Lesactionsàmenervisentnotammentàfavoriserunevieprofessionnelledurableetàpromouvoir lesmesuresde réadaptationetde réinsertion. Cela passe par l’application des conclusions du projet pilote duParlementeuropéen«Travaillerdansdesconditionsplussûresetplussainesàtoutâge:lasécuritéetlasantéautravaildanslecontexted’unepopulationactivevieillissante»menéde2013à2015parl’EU-OSHA.

Laplupartdespayseuropéensontmisenplaceunestratégiedemaintiendansl’emploietdepréventiondeladésinsertionprofessionnelledesvictimesd’AT/MPmaiscertainspaysontdavantaged’expérienceenlamatière,commel’Allemagne,laSuisse,leDanemarketlesPays-Bas.

Bienquecespayspoursuiventlemêmeobjectif, lesapprochesdiffèrentquelquepeu.Eneffet,lesmesuresmisesenœuvreenAllemagneetenSuissesontplusparticulièrement axées sur une gestion plus efficace des cas d’assurance alorsqu’auDanemarketauxPays-Bas,elless’inscriventdavantagedanslecadred’unepolitiqueactivedel’emploi.

I-Gestionplusefficacedescasd’assuranceI.1/ L’Allemagne fait de la gestion de la réinsertion professionnelle une mission statutaire

Lethèmedumaintiendansl’emploietdelaréinsertionprofessionnelleetsocialedesvictimesd’AT/MPesttrèsimportantenAllemagne.Celas’expliqueavanttoutparlevieillissementdelapopulationetladiminutiondelamain-d’œuvre.Sachantque, d’ici à 2050, la population active devrait diminuer drastiquement et que la

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pénuriedetravailleursqualifiéscoûteraitdessommesconsidérablesàl’économieallemande,ils’avèreindispensabledeprendredesmesurespourmaintenirlamain-d’œuvredansl’emploietfaciliterleretourautravaildesvictimesd’AT/MP.

EnAllemagne,l’assuranceaccidentobligatoire(die Deutsche Gesetzliche Unfallversicherung –DGUV)astatutairementunetriplemission:laprévention,laréadaptationetl’indemnisation.Elle a pour principe que la réadaptation intervient avant l’indemnisation (Rehabilitation vor Rente). L’indemnisation est donc l’ultime étape quand les deux précédentes ont échoué.C’estpourquoilesuivimédicaletlaréinsertionprofessionnelleetsocialedel’assuréontuneimportanceprimordiale.Deplus,étantdonnéqu’encasd’arrêtdetravaild’unsalarié,lessixpremièressemainessontàlachargedel’employeur,cedernierestfortementincitéàorganiserlapréventionet,lecaséchéant,leretouràl’emploi.

Dans cette optique, des mesures ont été prises, y compris sur le plan législatif, avecl’introductionen2004duconceptdegestionde la réinsertionprofessionnelle (Betriebliches Eingliederungsmanagement–BEM).Depuis lors,quandunsalariéaétéenarrêtde travailau-delàdesixsemainescumuléesaucoursdesdouzederniersmois,l’employeuresttenudemettreenœuvreleprogrammedegestiondelaréinsertionprofessionnelledusalarié.

Cettedémarcheassocielesalariéconcernémaisl’accorddecedernierestindispensable,laparticipationàceprogrammesefaisantsurunebasevolontaire.

Ceprogrammecomportelescinqétapessuivantes:

a) lagestiondel’information(systèmed’alerteprécoce)Leservicedupersonnelde l’entrepriseest informédesarrêtsde travaildeplusdesixsemaines sur les douze derniers mois par le système de traitement informatisé desdonnéesdel’entreprise;

b)laprisedecontactaveclesalariéUnentretiendoitêtreorganiséentrel’employeuretlesalariéconcerné,entretienauqueldoitparticiperleconseild’établissement1. Lorsdecetentretien,lesalariédoitêtreinformédesobjectifsdelagestiondelaréinsertionprofessionnelle.Àcestade, lesalariéa ledroitde refuserdeparticiperauprogrammeproposé.

c) l’analyse du casSi le salarié accepte de participer au programme, un entretien est organisé entrel’employeur,lemédecindutravailetleconseild’établissementpourfaireuneanalysedelasituationdusalarié.Sinécessaire,l’employeurpeutaussifaireappelàdiversacteursextérieurs (organismes d’intégration des handicapés, assurance invalidité-vieillesse,assuranceaccident,assurancemaladie,agencepourl’emploi…).Cetentretienportesurl’analysedupostedetravail,lacomparaisondesexigencesrequisespourletravailetdescapacitésdusalarié,lanécessitéd’aménagerlepostedetravail,leséventuelsbesoinsdeformation.

1 Laloidu15janvier1972surl’organisationinternedel’entrepriseprévoitl’institution,danstouslesétablissementscomportantaumoins cinq salariés, d’un conseil d’établissement disposant d’un pouvoir de codécision dans trois domaines : affaires sociales,questionsdepersonneletaffaireséconomiques.Leconseild’établissementsecomposeuniquementdereprésentantsdessalariés.

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d)Lamiseenplacedel’équipederéadaptationEn fonction des besoins de réadaptation identifiés lors de l’analyse du cas,uneéquipederéadaptationestconstituéeauseindel’entreprise.Cetteéquipedécidedesmesuresgénéralesouindividuellesàmettreenœuvre.Elletravailleégalementaveclespartenairesextérieursetveilleaubondéroulementdecetteaction en réseau.e)l’applicationdesmesuresderéadaptationUneéquipederéadaptationestchargéedemettreenœuvrelesmesuresderéadaptation.Elleestégalementresponsabledel’assurancequalité.

Les mesures de réadaptation placent la victime au centre des préoccupations,l’importantn’étantpasde réussir rapidementmaisdeparveniràune réinsertiondurabledanslasociétéetlemondedutravail.L’objectifestquelavictimed’AT/MPretrouvelemeilleurétatdesantépossibleetpuisseretravaillerdanslesmeilleuresconditions.Pourcela,touteslespossibilitésdetravailauseindel’entreprisesont,enpremier lieu,examinées,puisà l’extérieurde l’entreprise,si lemaintiendansl’entreprises’avèreimpossible.Quelquesoitlecasdefigure,lenouveaupostenedoitpasconduireàunerétrogradationéconomiquenisociale.La DGUV verse des prestations aux salariés : prestations en nature (soinsmédicaux, paramédicaux, dentaires, médicaments, prothèses, soins à domicile,en établissements de cure, en centres de réadaptation et dans les hôpitaux) etprestations en espèces (allocations pour incapacité, prestations au titre de laparticipationà lavieactive,allocationsde transitionvisantà indemniser lapertedecapacitédegain,prestationspourl’adaptationdevéhicules,l’aménagementdulogement,l’aide-ménagère,l’encadrementpsychosocial,lesportderéadaptation).LaDGUV verse également des prestations à l’employeur, le plus souvent sousformedesubventions,pourmaintenir lesaccidentésdu travaildans leuremploi.Dans certains cas, elle peut prendre en charge le coût de l’embauche à l’essaid’une victime d’AT/MP pour une durée de trois mois maximum. Cela permet àl’employeurd’appréciersilapersonneestapteàeffectuerletravailsansentraînerunimportantinvestissementfinancier.LaDGUVpeutégalementprendreenchargelescoûtsd’aménagementdupostedetravail.OnobserveenAllemagneunetendanceàmettreenœuvrelesmoyensd’éviterlesincapacitésprofessionnellesdelongueduréeetàdévelopperlaprisedeconscienceprécocedesrisquesdedésinsertionprofessionnelle.Lesmesures de réadaptationmises en place par la DGUV portent leurs fruits.En moyenne, 97 % de tous les accidentés du travail reprennent une activitéprofessionnelle,soitaumêmeposte,soitsurunpostesimilaire.Ilestànoterqu’unaccompagnement intensif de la victime augmente les coûts administratifs maispermetderéduireladuréed’incapacitédetravailetlescoûtsd’indemnisation.Del’avisdelaDGUV,ilseraitsouhaitabledecoopérerdavantageaveclesmédecinsdutravailetderenforcerleurmotivationàpromouvoirlaréinsertiondespatientscarilsontunebonneconnaissancedesproduits,desmatérielsetdesrisquesaupostedetravailpuisqu’ilssontchargésdelapréventionetdesexamensdedépistage.

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I-2/ La Suisse développe le concept de case management

EnSuisse, la loin’accordeà l’assuranceaccidentaucunecompétenceenmatièrederéinsertionprofessionnelle,cetteattributionrevenantàl’assuranceinvalidité.Cettedernièredisposed’une série demesuresqui visent à rétablir, sauvegarder ouaméliorer la capacitédegaindespersonnesatteintesdansleursantéphysiqueoupsychique.Maiscesmesuresportent uniquement sur la réadaptationprofessionnelle desassuréset ne couvrent pas lesautresaspectsdelavie.

Lors de la 5e révision de la loi sur l’assurance invalidité (LAI)2, la Suva3 – la plus grandeassuranceaccidentobligatoiresuisse–avaitproposédeprendrelagestiondelaréinsertionprofessionnelle de ses assurés mais le Parlement en a décidé autrement, cette missionrestantduressortde l’assurance invalidité.Cettepropositionétaitguidéepar le faitque lepartagedecompétencesnepermetpaslamiseenplaced’unsuiviuniquetoutaulongduparcours de réadaptation, ce qui pose des problèmes, notamment en cas de dommagescorporels entraînant le paiement de rentes.C’est pourquoi, dans bien des cas et lorsquel’assuranceinvaliditénepeutintervenir,laSuvainitieetcoordonneelle-mêmelaréinsertiondespersonnesaccidentées.

Au début des années 2000, confrontée à une hausse des coûts d’assurance et à une augmentationdunombrederentesd’invalidité,laSuvaaentaméunerefontedesagestiondessinistresprofessionnels.Àcetteépoque,50%desaccidentsoccasionnaient2%descoûtsd’assurance,45%desaccidents,18%descoûtset5%desaccidentsgénéraientàeuxseuls80%desprestationsd’assurance.Ilétaitclairqu’il fallaitaméliorer lapriseencharge de cette dernière catégorie d’accidents.C’est ainsi que laSuva a élaboré leNew Case management (Nouvelle gestion des cas).Ce programme,mis enœuvre à partir de2003, propose une prise en charge très complète des victimes qui prend en compte nonseulementlesaspectsmédicauxmaisaussilesaspectsprofessionnels,sociauxetfamiliaux.L’expériencemontrequelesvictimesquibénéficientd’unsuiviglobalprécoceetadaptédeleursituationontdemeilleuresperspectivesdeguérisonetderéinsertion.

Dansceprocessus, lescase managers (gestionnairesdecas) spécialementformésjouentunrôlecentral.Ilssontactuellementplusde120àtravaillerdansles19agencesdelaSuva,chacuntraitant35casenmoyenneparan.L’accompagnementintensifparlescase managers débuteleplustôtpossibleetsepoursuitjusqu’autermedelaguérison.Ilcomprendnotammentlasauvegardedupostedetravail,lemaintiendelacapacitédegainainsiquelacoordinationdesprétentionsàl’égardd’autresassureurs.

Dans le cadre du case management,letraitementdescasaétéorganiséentroisprocessusdistincts : cas standards, normaux et complexes. Les accidentés qui ont un parcours deguérison complexe sont au centre de ce dispositif, prévoyant un encadrement global etprécoce.Eneffet,plusieursétudesl’attestent,leschancesderéinsertiondiminuentenviron

2 Larévisionadébutéen2006etletexteréviséestentréenvigueurle1er janvier 2008.3 La Suva (Schweizerische Unfallversicherungsanstalt –Caissenationalesuissed’assuranceencasd’accidents)estuneentreprise

indépendantededroitpublicàbutnon lucratif.Elleassureprèsde lamoitiédessalariéssuisses,soitenvirondeuxmillionsdepersonnes,contrelesaccidentsetmaladiesprofessionnelsetplusde100000entreprises,principalementdusecteursecondaire(entreprisesindustriellesetartisanales).Ellecouvreaussilesaccidentsnonprofessionnels.

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demoitiéaprèsuneincapacitédetravaildesixmois.C’estpourquoilaSuvaaxesonactionsurledépistageprécocedescascomplexes,lesuivicompletetintensifdes accidentés et le ciblagedelaréinsertionprofessionnelle.Ledegrédecomplexitéélevédecescasinciteàlestraiterenréseau,auseind’uneéquipedegestionà laquelleappartiennent toujours, outre le case manager, un médecind’arrondissementdelaSuvaetunresponsabledesrecours.Enfonctiondesbesoinsoude lasituation, l’équipedegestion faitappelàdesspécialistesinternes(cliniquesderéadaptationdelaSuvadeBellikonetSion,parexemple)ouexternes(servicesdeplacementouconseillersprofessionnels).Dansletraitementd’uncascomplexe,ledegrédegravitédel’accidentn’estpasleseulfacteurdécisif.Quatreautresfacteursjouentunrôleimportant:lediagnosticmédical, la personnalité de la victime, l’environnement social et l’environnementprofessionnel.Si le diagnostic médical est toujours le point de départ, les autres facteursconditionnent généralement davantage le résultat final au cours du temps. Uneétude réalisée par la clinique de réadaptation de Bellikon sur la chronicité desdouleursdorsalesarévéléquecesdouleursnedeviennentchroniquesquechez 15%despatients lorsqu’ils ont la garantie de retrouver leur emploi et évoluentdansunenvironnementsocialfavorablealorsqu’ellesdeviennentchroniqueschez 85%despatientslorsqu’ilyadesincertitudesprofessionnelleset/oudesproblèmessociaux.

Lescascomplexessonttraitésselonlaméthodeditedescinqétapes:

a) le contrôle de la couverture visant notamment à apprécier au fond lacompétence de la Suva (par exemple, la couverture d’assurance) maissurtoutàinitierleprocessusdegestionparlebiaisd’unentretienpersonnelaveclapersonneaccidentée;

b) uneanalysedelasituationaucoursdelaquellelecase managern’examinepasseulementlesfaitsobjectifsmaisaussilesfacteurshumainsquipeuventexerceruneinfluencesurlaconvalescencedupatient;

c) uneplanificationdelamarcheàsuivre(parexemplelemaintiend’unmodedeviestructuré,lesobjectifsthérapeutiques,leretourprogressifautravail)encollaborationavectouteslespersonnesimpliquéesdansleprocessus;

d) lagestionproprementdite,aucoursdelaquellelecase manageraccompagneetsoutientlapersonneaccidentée,coordonnelesprestationsaveclesautresassurances,entreprendlesdémarchesappropriéesauprèsdel’employeuretfavorise,sinécessaire,l’insertiondansunenouvelleprofession.Enfin,legestionnairevérifieenpermanenceledegréderéalisationdesobjectifsfixésaveclapersonneaccidentéeetlesautrespartiesprenantesauprocessus,auqueldoitêtreassociéelafamille;

e) lestravauxdeclôturestatistiquesetcomptablesetundebriefing au cours duquellecase manager fait le bilan.

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Lesrésultatsetlesenseignementssontconsignésdansunebanquededonnéesregroupantl’ensembledesbonnespratiquesàl’intentiondesautrescase managers.

Depuisl’introductionduNew Case Managementen2003,lenombrederentesd’invaliditéallouéesabaisséde34,2%etlatendanceestsimilaireauniveaudescoûts.

Enmatièrederéinsertion,letauxderéussiteest de l’ordre de 80 à 90 %.

Année Nombre de cas complexes

Réinsertions réussies chez l’ancien

employeur

Réinsertions réussies chez un nouvel

employeur

2009 14 299 10 670 (74,6 %) 2 229 (15,6 %)

2010 13 413 9 239 (68,9 %) 2 295 (17,1 %)

2011 10 738 7 227 (67,3 %) 1 748 (16,3 %)

2012 9 408 6 193 (65,8 %) 1 678 (17,8 %)

2013 9 793 6 136 (62,7 %) 1 794 (18,3 %)

II-Réinsertionprofessionnelle,levierd’unepolitiqueactivedel’emploiII.1/ Le Danemark met l’accent sur la capacité de travail, non sur le handicapAu Danemark, le maintien dans l’emploi et la réadaptation professionnelle relèvent de lacompétence des communes. La réadaptation est ouverte à toutes les personnes souffrantd’unecapacitédetravailréduitenotammentsuiteàunemaladie,unaccidentdutravailouunemaladieprofessionnelle.

Depuisunequinzained’années,leDanemarkmèneunepolitiqueactiveenmatièredemaintiendansl’emploi.Diversesmesuresontétéprisesencesens,notamment:

l’accord signé en 2000 par le gouvernement et de nombreux partis politiques surl’ouverturedumarchédel’emploiàtous4,

laréformedespensionsd’invaliditéde2003, laloisurl’absentéismede2009.

L’accordsurl’ouverturedumarchédel’emploiàtousetlaréformedespensionsd’invaliditévisaient à ce que toutes les personnes présentant une incapacité de travail temporaire oudurable puissent valoriser leurs capacités et participer à une vie active. La réforme despensions d’invalidité a été adoptée pour renforcer l’action en faveur de l’emploi plutôt qued’accorder des aides passives. L’attention est portée sur le potentiel de l’individu (capacitédetravail)plutôtquesurseslimites(handicap)afindel’aideràêtreactivementprésentsurlemarchédel’emploi.Cen’estques’ilestimpossibled’aiderl’intéresséàrevenirsurlemarchédutravailquecelui-cipeutsevoiroctroyerunepensiond’invalidité.Dans le cadre de ce dispositif a été introduite la méthode dite de la capacité de travail(arbejdsevmetoden) qui viseà décrire et évaluer la capacité de travail d’un individu.Selon

4 Un«marchédel’emploiouvertàtous»(et rummeligt arbejdsmarked)estunenotioncentraledelapolitiquedel’emploidanoise.Ilnes’agitpassimplementd’accèsaumarchédel’emploimaisd’espacepourchacun.

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cetteméthode,leconseillercommunal5détermineaveclapersonneconcernéesonpotentielvis-à-visdumarchédel’emploiafind’évaluersiellepeutimmédiatementsemettresurlemarchédutravailous’ilyalieuqu’elleentameunprocessusdedéveloppementquiaméliorerasacapacitédetravailafindesubveniràsespropresbesoins,totalementouenpartie.Cetteméthodedoitêtreutiliséedanslesdossiersderéadaptation,d’emploi«flexible»ou«protégé»6etdepensiond’invalidité.Elledoitégalementêtreutiliséedanslesdossiersd’aideàlaréinsertionetd’indemnitésjournalièrespourmaladie.

Lorsdel’évaluationdelacapacitédetravail,lesservicesdelacommunesonttenusd’appliquerlaméthodedelacapacitédetravailetd’élaborer,conjointementavecl’assuré,unbilandesonpotentielpersonnel.

La loide2009sur l’absentéisme reposesur l’idéequ’il fautaider lespersonnesmaladesàmaintenir le lienavec leur lieude travail,etceparundialogueaccruavec l’employeuretpardes initiativespermettantauxmaladesd’êtreplusactifsdurantleurarrêtdetravail.Cesinitiativesrenforcentl’actiondesentreprises,descommunes, des caisses d’assurance chômage et des médecins traitants pourmaintenirlesmaladesdansl’emploi.

Lacommune,chargéedusuividesarrêtsdetravail,esttenueparlaloidedemanderdes informationsausalariéarrêtéviaunquestionnaire.Lorsdupremiersuivi, ledossierestclasséetexaminéselonqu’ilest:

a)non problématique : l’assuré devrait pouvoir reprendre son travail sansmesurescomplémentaires,

b)«àrisque»:l’assuréestsuivideprèsenvuedesonretouràl’emploicarilexistepourluiunrisquedepertedelacapacitédetravail,

c)« de longue durée » : la nature de la maladie donne à penser que leprocessusseratrèslongetqu’unemploiflexibleouunepensionseral’issuevraisemblable.

En outre, l’employeur doit s’entretenir avec le salarié malade au plus tard aucours de la 4esemained’arrêtdetravailafindedéfinircommentetquandilpourraretravailler.Lebutestdedéterminercequelesalariépeutfaire,combiendetempsilvaêtrearrêtéetquelsaménagementspeuventêtreenvisagéspourluipendantun certain temps (autres fonctions, possibilités de repos, travail à domicile…).L’employeur doit rapporter certaines informations issues de cet entretien auxservicesdelacommuneafinquelecentred’emploi(jobcenter) ait une indication, à unstadeprécoce,del’éventuellenécessitédemettreenœuvreuneactiond’aideauretouràl’emploi.

5 Lacommuneest leguichetd’entréeuniquepour laplupartdesservicespublics.Tous lesservicesauxcitoyensrelèventde la compétencedescommunes,notamment la sécurité sociale, lespensionsd’invalidité, les centresd’emploi,lesoffresderéadaptation.

6 L’emploiflexibleestunemploiaménagépour tenircomptede la réductionde lacapacitéde travaild’unsalariéalorsquel’emploiprotégéestunemploiaménagépourunepersonnepercevantdéjàunepensiond’invaliditémaisquisouhaitetoutdemêmetravailler.Danslesdeuxcas,ils’agitd’unaménagementavecuneaidefinancièrepourl’employeur.Cesemploissontsubventionnésparlescommunes.

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Auniveaudescommunes, la loi prévoit unentretiendans tous les casdansundélai de8 semainesaprès l’arrêt de travail, plus rapprochédans lesdossiers «àrisque».Lecentred’emploidoitprendrecontactavecl’employeurafind’envisager,enconcertationaveclui,lesperspectivesderetour(éventuellementprogressif)àl’emploidusalariéetpeutproposerdesmesures«actives»d’insertiondelapersonnearrêtéedanslecadred’unplandesuivi.

Ilestànoterquel’employeurpeutdésormaisdemanderunnouveautypededocumentmédical,une«déclarationdecapacité»qui,aulieud’indiquerquelesalariéestenincapacitédetravail,précisesesperspectivesderetouràl’emploiàtempscompletoupartiel,éventuellementàsondomicile,oudansdesfonctionsdifférentesdecellesqu’iloccupehabituellement.

Cettedéclarationpeutêtreutiliséeencasd’incertitudequantauxfonctionsquelesalariépeutexercerouquantauxmesuresàprendrepourqu’il reprenne le travailà tempscompletoupartiel.Ladéclarationdecapacitésecomposededeuxparties:

la première partie,àremplirconjointementparl’employeuretlesalariésurlabased’unentretien,décritlaréductiondescapacitésdusalariédufaitdelamaladie,lesfonctionsquisontmisesencauseparlamaladieetlesinitiativesdontl’employeuretlesalariésontéventuellementconvenuspourprendreencomptel’étatdesantédusalarié.

la deuxième partieestàremplirparlemédecintraitant,surlabased’unentretienaveclesalariéetdesinformationsindiquéesdanslapremièrepartie.Lemédecinévalueladescriptionde la réductionde lacapacitéde travaildusalariéetdesonpotentieldetravail.Ilévalueladuréeprévuedesaménagementsetladuréenécessairedel’arrêtde travail partiel ou total. L’employeur peut exiger l’élaboration d’une déclaration decapacitédetravailàtoutmoment.L’employéesttenudeserendreàl’entretiensisonétatdesantélepermet.

Ilaétéobservécesdernièresannéesuneaugmentationtrèsmarquéedereprisedutravailàtempspartielaprèsunarrêtdetravail.Lescommunesontlargementadoptécettemesurecommemoyendemaintenirlemaladeencontactavecsonlieudetravail.

Unorganisme trèsactif enmatièredemaintiendans l’emploi est leCABI (Center for aktiv beskaeftigelsesindsats,centrepourunestratégieactiveenfaveurdel’emploi).C’estuncentred’informationsouslatutelleduministèredel’Emploi.Ilfournitetdiffusedel’information,desméthodes,bonnespratiques,outilsutilesauxentreprisesetauxcentresd’emploiafindemettreenplacedesconditionsoptimalespourquetoutepersonneprésentantunpotentieldetravailpuisseavoirunrôleactifsurlemarchédutravail.

LeCABIs’efforcedoncdesoutenirlesentreprisesdansleurresponsabilitésociale,derenforcerlacoopérationentre lescentresd’emploiet lesentreprisesetd’améliorer lespossibilitésdechaqueindividu.

Àcetitre,iladéveloppéle«mentorat»,dispositifquivaau-delàdel’actionenfaveurduretouràl’emploid’unepersonneaprèsunarrêtmaladie.

Lorsque,aprèsunarrêtmaladie, lapersonneestprêteà reveniràsonemploimaisque lecentred’emploiestime,aucasparcasetsuiteàuneévaluation,qu’ilyalieudel’accompagner,

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unmentoratpeutêtremisenplaceauseinde l’entreprisepour l’aiderdanssonretourautravail.Souvent,c’estuncollègue,uncadre,unsupérieurhiérarchiquequidevientmentormaiscelapeutêtreunprestataireextérieur.Toutdépenddutyped’emploiqu’occupait lapersonne.Lementoratpeutconsisteren1ou2heure(s)d’accompagnement par jour, 5 heures par semaine, par exemple, pour aider lapersonne à avoir une vision d’ensemble de son travail, à établir des priorités…Il n’y a pas de limite au nombre d’heuresmais tout doit être prévu et organisétrèsprécisément.Unaccordesttrouvéentrelecentred’emploietl’employeurpourdéciderdunombred’heuresàprévoir,laprestationdumentorétantpayéeparlespouvoirspublics,quiachètentenquelquesortelesservicesdumentor.

Danslecasd’unretouràunemploiprécédemmentoccupé,c’estgénéralementauseindel’entreprisequ’esttrouvélementor,nonàl’extérieur.

Lecentrepourl’emploipeutfinancerl’interventiond’unmentordanspratiquementtouteslesformesd’actionsenfaveurdel’emploitantquel’onestimequ’unmentorseradéterminantpourlemaintiendansl’emploioul’obtentiond’unemploi.

L’aidefinancièreducentrepourl’emploiconsisteàcouvrir lescoûtssalariauxdel’employéquiserviradementoroularémunérationd’unconsultantexterne,ouàfournirundesmentorsemployésparlecentrepourl’emploi.Lecentrepourl’emploipeutégalementformerdesmentors.

Danslecadredeprojetspilotes,desseniorsontservidementorsdansdifférentsservicesdelacommuned’Aarhusafindeprévenirouréduirel’absentéismepourmaladie.Ilssontintervenusàlafoispourdesemployésayantdesarrêtsmaladiecourts, des employés risquant des congés maladie de longue durée et desemployésayanteuunlongarrêtmaladieets’apprêtantàrevenirautravail.SelonuneévaluationfaiteparleCABIde2012à2014,cetteactionapermisdeprévenirlesarrêtsmaladieoud’enréduireladurée.

II.2/ Les Pays-Bas misent sur la responsabilité conjointe de l’employeur et du salarié dans le retour à l’emploiLesPays-Basn’ontplusd’assurancespécifiqueAT/MPdepuis1966,dateàpartirdelaquellecetteassuranceaétéintégréeausystèmegénéraldesécuritésociale.Uneloiuniquesurl’incapacitédetravail(Wet arbeidsongeschicktheid–WAO)couvraittous lescasd’incapacitéde travail,quellequ’ensoit lacause.Dans lesannées1980,25%delapopulationenâgedetravaillertouchaituneallocationautitredecetteloi.Unesériederéformessocialesontétéentreprisesdanslesannées1990envuede réduire les coûtsetd’améliorer l’efficacitédusystème.Ces réformesontnotammentcontribuéàresponsabiliserdavantage l’employeurenmatièrederéinsertionprofessionnelleetdepréventiondel’absentéisme.Diversdispositifsontétémisenplacepourpromouvoir le retourau travailet lescritèresd’évaluationdudegréd’incapacitédetravailontétéresserrés.Àl’issuedesréformes,laWAOaété remplacée,en2006,par la loi relativeau travail et au revenuen fonction

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de la capacité de travail (Wet Werk en Inkomen naar Arbeidsvermogen -WIA)quiprivilégielacapacitédetravailrésiduelledusalariéplutôtqu’uneprotectiondesrevenus,commec’étaitlecasauparavant.Cetteloiaeupoureffetdelimiterfortementl’accèsàl’invalidité,notammentpardesvisitesmédicalesbeaucoupplussévères.Lesréformessocialesnesesontpas limitéesà favoriser lesemploiset transférer lachargefinancière des accidents du travail et des maladies professionnelles du secteur public auxemployeurs,ellesontégalementviséàresponsabilisercesderniersenleurconférantunrôleactifenmatièrederéinsertiondessalariésenarrêtmaladie.Lesemployeurssontdésormaistenusd’adopterunepolitiquedepréventiondesmaladiesetse trouventdirectement responsablesdel’encadrementdel’absentéismeetdesconditionsdetravail.Encequiconcernelescongésmaladie,l’employeurcontinueàverser70%dusalairependantlesdeuxpremièresannées,autermedesquellesuneprestationd’invaliditépeutéventuellementêtre versée. Durant cette période, employeur et salarié doivent collaborer pour favoriser laguérisonetleretouràl’emploi.Pendantcesdeuxpremièresannées,l’employeurnepeutpasmettrefinaucontratdetravaildusalariémaisilpeutêtredérogéàcettedispositionparvoiedeconvention collective.Leparcoursderéintégrationestlesuivantpourlescongésmaladiedeplusdequatresemaines:

auplustardla6èmesemaineaprèsledébutducongé,l’arbodienst (service des conditions de travail)oulemédecind’entrepriseeffectueune«analyseduproblème»(descriptiondessymptômes,dulienaveclesconditionsdetravail,lespossibilitésderéintégration…).Cetteanalyseestinutilesil’absenceestdecourteduréeous’iln’yapasdepossibilitésderéintégration(incapacitétellequelesalariédevrainévitablementfaireunedemandedeWIA).

auplustardla8èmesemaine,l’employeurdoitrédigerunplandemiseenœuvre:a)quidécritcommentlecasvaêtreabordéourésolu,aveclacollaborationdusalarié;b)quinommeuncase manager.Celui-ciasurtoutpourrôledevérifierlerespectdesdélaisetdesétapesréglementaires.Ilcoordonneetsuitl’avancementduprocessusde réintégration et entretient le contact avec l’arbodienst. Le case manager est souvent un cadre de l’entreprise (par exemple le responsable hiérarchique dusalariémalade)maisilpeutaussiêtreuncollaborateurdudépartementressourceshumaines,l’arbodienstouunorganismederéintégration;

c)qui précise les activités prévues dans trois catégories : adaptation au travail,formationsetthérapies,activitéspourpermettrelareconversion.

Uneévaluationesteffectuéeautermedelapremièreannée.Àlafinduprocessus,unrapportderéintégrationdoitêtrerédigé,ilestnécessairepourpouvoirdéposerunedemandedeprestationsWIA.Surlabasedecerapport,unorganismespécifique,l’UWV7examinesil’employeurasuffisammentcontribuéounonàlaréintégrationdusalarié.Cetorganismeesthabilitéàinfligerdesamendess’ilconsidèrequel’employeurn’apasassezœuvrépourleretouràl’emploidusalarié.

7 UWV:Uitvoeringsinstituut Werknemersverzekeringen(Institutpourlagestiondesassurancesdessalariés)estunorganismededroitpublicplacésousl’autoritéduministredesAffairessociales.IlestchargédemettreenœuvrelesassurancessocialestellesqueWW(assurancechômage),WAO(incapacitédetravaildessalariés),WAZ(incapacitédetravaildesindépendants),Ziektewet(indemnitésmaladie)…

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Cetypedeparcourspeutaussis’appliqueràdescongésmaladiedecourteduréequiserépètent,afind’éviterl’allongementdesabsencespourmaladie.

Conclusion

Lespolitiquesdemaintiendansl’emploimisesenplaceparlespaysprésentésfonttoutesapparaîtreunchangement radical d’approchevis-à-visdesproblèmesdesantéautravail:désormais,l’accentestdavantagemissurlacapacitérésiduelledetravailquesurlehandicap.Unegrandeimportanceestaccordéeàladétectionprécocedes risquesdedésinsertionprofessionnellepouréviter lachronicisationdesmaladiesetlerisqued’exclusiondéfinitivedumarchédutravail.Unfaitnouveauméritéd’êtresouligné:leretourautravailnesefaitplusuniquementlorsquelesalariéarécupérésacapacitédetravailà100%.Ilsefaitsouventdemanièreprogressive,parlebiaisd’unemploiflexible,aménagéouàtempspartiel.Touteslesexpériencesmontrentque,pluslesarrêtsdetravailseprolongent,pluslerisquedeperdresonemploiestimportant.Ilapparaîtqu’uneactionprécoceetconsidérantl’individudanssaglobalité–sousl’angledelasantémaisaussidelavieprofessionnelle,familialeetsociale–augmentesensiblementleschancesderetourdurableetréussiàl’emploi.Ces exemples montrent également que certains facteurs favorisent le maintiendansl’emploicommelesactionsdemédiationenentreprise,ledéveloppementd’unplanderetourautravailetl’évaluationdulieudetravail.Ilapparaîteneffetquelesinterventionsquiprennentencomptelelieudetravaildonnentdemeilleursrésultatsquecellesquiportentuniquementsurlessoinsmédicauxetquel’implicationd’unepersonnequicoordonneleprocessusderetourautravailestsouventungagederéussitedesactionsdestinéesàassurerlemaintiendansl’emploi.

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2PRIX DE L’EN3S 2017

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« Inégalités» L’apportmajeurdulivred’AnthonyAtkinsonPar Mireille Elbaum, Présidente du Haut Conseil pour le Financement de la Protection Sociale (HCFiPS)

Mirelle Elbaum est inspectrice générale des affaires sociales, présidente du Haut Conseil pour le Financement de la protection sociale.

L’attributionaulivred’AnthonyAtkinson«Inégalités»duprixdujuryconstituéparl’EN3Spour«distinguerunouvrageparticulièrementmarquantdanslechampdelaprotectionsociale»nes’estpasvoulueunsimplehommage,bienqu’ellesoitintervenuejusteaprèsledécèsdel’auteur le 1er janvier 2017.

Celivre,publiéenanglaisen2015sousletitreInequality, est sous-titré, What can be done ? 1, cequin’estpasreprisparletitrefrançais.Traduitenfrançaisdébut20162,ilauneportéetrèsfortepourceuxquiréfléchissentsurlespolitiquessocialesetc’estcequim’adonnél’envied’yconsacrercesquelquesdéveloppements.

Letextequisuitn’estdoncpasunhommagegénéralàl’œuvredeTonyAtkinson,quej’aieubrièvement l’occasion de rencontrer auConseil d’analyse économique ou lors des travauxsurlesindicateurssociauxeuropéens,maisaveclequeljen’aipaseulachancedetravaillerdirectementcommed’autreschercheursfrançaisoueuropéens(notammentThomasPiketty,Éric Marlier ou Holly Sutherland).

C’estavant toutuneréactionpersonnellepour fairepartd’unesecousseetd’une leçon: lasecousseest provoquéepar la justesse, la clartéet la puissancedesanalysesde ce livremajeur,consacréàunsujetsurlequelj’aimoi-mêmeunpeutravailléparlepassé;laleçonestcelled’ungrandéconomistesurlanécessitéderendretransparentesetdemettreendébatlesanalysesissuesdelathéorieéconomique,surl’humilitéàconservervis-à-visducaractère«têtu»desdonnéesstatistiquesetsurtoutsurlavolontédecontinuerobstinémentàproposer,ycomprisauniveaueuropéen,desremèdesauxévolutionsqui,quoiqueprésentéescommeinéluctables, nous paraissent inacceptables, fussent ces remèdes pour partie utopiques etsujets à contestation.

Cetexte tentedoncsimplement,auplusprèsde l’ouvrage,dementionner les raisonspourlesquelles l’apport de ce livre est pour moi particulièrement important. Huit raisons sontsuccessivementévoquées,ayanttraitàlafoisauxanalysesqu’ilprésenteetauxorientationsoupropositionsqu’ilporte.

1AnthonyB.Atkinson,Inequality. What can be done ?,HarvardUniversityPress,2015.2AnthonyB.Atkinson,Inégalités,coll.«Économiehumaine»,ÉditionsduSeuil,2016.

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I-Uneapprochequiconsidère lapauvretécomme l’unedesdimensions des inégalités et non comme un phénomènespécifique,circonscrità«l’exclusion»EnFrancecommeenEurope,lesobjectifsaffichésdespolitiquessocialesdepuislafindesannées1990ontlargementmisenavant,avecd’ailleursunsuccèsrelatif,laréductiondelapauvretéetla«luttecontrel’exclusion».C’estnotammentlecasauniveaueuropéen,enparticulierdanslecadredelaStratégieEurope2020,maisaussi,s’agissantdespolitiquesfrançaises,danslecadredes«planspluriannuelscontrelapauvretéetpourl’inclusionsociale»,mêmesilespolitiquesderedistributionintervenuescesdernièresannéesontorganisédes«redéploiements»pluslargesdesménagesaisésversplusieurscatégoriesdeménagesmodestes3. Cetobjectifdeconcentrationdespolitiquessocialessurlapauvretéapourintérêtd’être relativement consensuel et de ne pas être remis en cause, directement,au gré des alternances politiques, même si l’attitude vis-à-vis des politiques«d’assistance»peutnotablementchangerd’unesensibilitépolitiqueàuneautre.Ils’agitaussid’unpluspetitcommundénominateurenEurope,quiapouravantagepolitiquedenepasmettredirectementencauselespolitiquesdites«d’attractivitééconomique»(quisemuentfréquemmenten«moinsdisantfiscal»),misesenplaceparlesÉtats,nonplusqueleursconceptionsdivergentesdurôledel’interventionpubliquedans le fonctionnementdusystèmeéconomiqueet social. Il offreainsiunapparentterrainderéconciliationentrelesconceptions«social-démocrate»et«libérale»despolitiquessociales,toutencirconscrivantlesprioritéscommunémentreconnues à ces dernières. L’accentmissurlapauvretéetlespolitiquesdeluttecontrelesexclusionsapermis,commelemontrentDenisClercetMichelDollé,dansleurlivreégalementpriméparle jury de l’EN3S4defaireapparaîtrelecaractèrepluridimensionneldelapauvreté(revenus,santé,logement,éducation,accèsàlaculture…),demieuxappréhendersesaspectsliésaux«conditionsdevie»,demettreenexerguecertainespopulationsdontlapauvretéestlamoinstolérable(enfantspauvres,sansdomicile...),etsurtoutdecontribueràlareconnaissanced’unerevendicationlégitimededroitàlaparoleetàlacitoyennetésocialedelapartd’individusdevenuspourpartie«invisibles».Il a néanmoins eu pour corollaire de dissocier le traitement de la pauvreté des processus économiques qui l’engendrent et de conduire à des politiquesspécifiques«pourlesexclus»leplussouventlimitées,entermesderevenus,àune action circonscrite, vialesminimasociaux,à«l’intensitédelapauvreté»5 et

3 VoirnotammentMarie-CécileCazenave,MaëlleFontaine,JulietteFourcot,AntoineSireyjoletMathiasAndré,«Lesréformesdesprestationsetprélèvementsintervenuesen2014pénalisentles50%desménageslesplusaisésetépargnentles10%lesplusmodestes»,inFrance, portrait social, Insee Références, édition 2015 et Mathias André, Anne-LiseBiotteau,Marie-CécileCazenave,MaëlleFontaine,MichaëlSicsicetAntoineSireyjol,«Lesréformesdesprestationsetprélèvementsintervenuesen2015opèrentunelégèreredistributiondes30%lesplusaisésverslerestedelapopulation»,inFrance, portrait social, Insee Références, édition 2016.

4 Denis Clerc et Michel Dollé, Réduire la pauvreté. Un défi à notre portée, coll.«Alternativeséconomiques»,LesPetitsmatins,2016.

5 L’intensitéde lapauvretémesure l’écartentre leseuildepauvreté(cf. infra)et le revenumédiandespersonnespauvres.

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àdespolitiquesde« réinsertion»susceptiblesdegénérerdesphénomènesde«stigmatisation»oude«nondemande»delapartdespublicsauxquelsellessontenprincipedestinées6.

Lelivred’Atkinsons’inscritdansuneautreperspective,etenrevientvolontairementàdes«fondamentaux»,dansunrappelqui,apparemmentsimple,estselonmoisalutaire.Danslapartiedesonouvrageconsacréeaudiagnostic, ilresitueainsi lapauvretécommel’unedestraductionsoudesmanifestationsdesinégalitésdesituations,cequ’elleestàl’évidencedupointdevuestatistiquelorsquel’onconsidère,auplanmonétaire,ladéfinitiondesseuilsetdestauxdepauvreté7.

Sans omettre les dimensions liées à l’inégalité des chances ou des consommations (ycomprisenmatièred’éducationoudesanté),ilréaffirmeàcetégardlaplacecentralequedoitconserverl’inégalitédesrésultats,etensonsein,l’inégalitédesrevenus,prolongéeparcelledespatrimoines,dansl’analysequisertdefondementauxpolitiquespubliques.Ilrappelleque,au-delàdespositionsdedépart,lasociéténepeutêtreindifférente(etdefaitellenel’estpas)«àcequisepasseaprèsquelecoupd’envoidelacourseaététiré»etque«l’inégalitédesrésultatsalimentedirectementl’inégalitédeschancesàlagénérationsuivante»,enétantlasource«d’unavantage injuste».Faisantdroit,davantagequ’aux thèsesdeJohnRawls,àl’apportd’AmartyaSen,dontleconceptde«capabilities»articuleàl’approchedesinégalitésde résultats la palette effective des possibilités offertes aux individus8, il reconnaît que lesrevenusn’ensontquel’unedesdimensions,maisnéanmoins,surleterrainéconomique«unesourced’injusticemajeure».Et ilajouteque«l’usagedesressourcesneselimitepasà laconsommation»etquelesrevenusontdefaituneportéepluslarge,appréhendantmieuxlescapacitésdechoixet«lepouvoirquepeutdonnerlafortune»,qu’ilscontribuentàconstituer.

Encorollaire,TonyAtkinsonexprimedesdoutesvis-à-visd’uneapprochedelapauvretélimitéeà la « privation sévère » et souligne, plus globalement, que se concentrer sur la pauvretéaboutit à des « stratégies trop étroites », qui ne permettent pas de prendre en compte« l’interdépendanceentre lesbonneset lesmauvaisesfortuneséconomiques»: ilsouligneainsi,graphiqueàl’appui,quedanslespaysdel’OCDE,«lestauxdepauvretéplusélevéss’accompagnentengénéraldepartsplusélevéesdestrèshautsrevenus».

Ce rappel,à l’issued’une revuede littératureexaminéepointparpoint,de lanécessitédes’appuyerde façoncentralesurdesapproches relativesaux revenus,qued’aucunsontpujuger tropsimples,voire triviales,meparaîtparticulièrementsalutaire :elle réaffirmeque leterraindes inégalitésderevenusest l’undeceuxquipermet lemieux«d’appréhendernossociétésglobalement»,etquecetteappréhensionglobaleestuneconditionnécessairepourque lespolitiquesde luttecontre lapauvreténesoientpas,de fait, elles-mêmesvouéesàl’échec.

6 PhilippeWarin,Le non-recours aux politiques sociales,PressesuniversitairesdeGrenoble,coll.«Librescours–politique»,2016.

7 Letauxdepauvreté mesurelapartdelapopulationdontleniveaudevie(définicommelerevenuparunitédeconsommation)estinférieuràunseuil,ditseuildepauvreté;celui-ciestparconventionégalàunefraction,leplussouvent60%,delamédianedesniveauxdevie.Ils’agitd’unemesurerelative,quiestl’undesindicateursdesinégalitésdedistributiondesrevenus.

8 AmartyaSen,Repenser l’inégalité,éditionfrançaise,ÉditionsduSeuil,2000.

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II-Uneanalyseduprocessusd’accroissementdesinégalitésquiabordel’ensembledesesaspects(historiques,internationaux,économiques, sociétaux), et donne une place centrale à larégulationpubliqueetàlaredistributionS’agissantdel’évolutionsurlonguepériodedesinégalitésderevenusdanslespaysindustrialisés,enparticulierauxÉtats-UnisetauRoyaume-Uni,leconstatprésentéparAnthonyAtkinsonestclair:ellessontrepartiesàlahausseàpartirde1979,avecun«tournantversl’inégalité»quis’estpoursuivi(États-Unis)oumaintenu(Royaume-Uni)danslesdeuxdécenniessuivantes.Celaaforgéchezl’auteurlaconvictionque,quelsquesoientlesdésaccordspossiblesquantàl’échellesouhaitabledesécartsde revenu, leur niveau actuel est devenu excessif, voire insoutenable, ce qui seretrouveaussi,defaçonexacerbée,auniveaudesinégalitésdepatrimoine.

Ceconstatn’estpasnouveauetanotammentétéformulédansplusieursrapportsde l’OCDE9.L’undesapportsde l’ouvraged’Atkinsonestcependantdechercher,avec une extrême clarté pédagogique, à conjuguer les approches pour éclairerlesmécanismesquisontà l’originedecesévolutions,enmettantenévidence lapluralitédesprocessusetleursinterdépendances.L’approchehistoriqueestpourluiunedimensionessentielledont,toutenlacentrantsurlesÉtats-Unis,leRoyaume-Unietl’Europecontinentale,ilsouligne,quoiquebrièvement,l’intérêtqu’ilyauraitàl’élargiràl’Amériquelatineetauxpaysendéveloppement,pourlesquelsilpréconiseunaccroissementdel’aidedespaysindustrialisés.

Cette analyse sur longue période le conduit, dans la lignée des travaux menésparThomasPikettysurlecasfrançais10,àmontrerl’importancedel’incidencedesguerres,maisaussidelamontéedel’activitéféminine,deladiffusiondelapropriétéetde l’épargneauxcouchesmoyennesetpopulaires,et,enfinetsurtout,durôledes institutionsencadrant lafixationdessalaires(négociationcollectiveetsalaireminimum),del’Étatprovidenceetdel’impositiondesrevenus,mécanismesdontlepleineffets’estexercéentrelesannées1950etlafindesannées1970.

Concernant les évolutions plus récentes, il n’omet pas de mentionner lesphénomènesd’homogamie,quicontribuentàaccroître lesécartsdesituationdesménages,et l’articulationaux inégalités«verticales»derevenus,d’inégalitésdegenre et de génération, qu’il importe selon lui de considérer soigneusement auxdifférentesétapesducycledevie.Ilexaminelatraductionsurcesinégalitésàlafoisdestransformationsdumarchédutravailetdesmodesdeconstitutionducapital,enenvisageantlapartqu’yprennentleprogrèstechniqueetlamondialisation,dontildécrit leseffetsmaispointeaussi les incertitudes,parexemplesur l’ampleuretlesconditionsdelasubstitutioncapital-travail,quirendentcesévolutionsloind’êtreinéluctables.

9 Voir notammentOCDE, « Les inégalités restent élevées dans un contexte de reprisemodérée »,Point sur les inégalités de revenus,novembre2016,OCDE,Tous concernés : pourquoi moins d’inégalité profite à tous, 2015 ou plusanciennementOCDE,Croissance et inégalités : distribution des revenus et pauvreté dans les pays de l’OCDE, 2008.

10 ThomasPiketty,Les hauts revenus en France au XXe siècle. Inégalités et redistributions 1901-1998,Grasset,2001.

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Au-delàdesdébatssurlapartdesrevenusducapitaletlerendementdecedernier,cristallisésparl’ouvragerécentdeThomasPiketty11dontAtkinsonreprendetsaluel’apport,ilévoquel’importancespécifiquedesmodesdedévolutionetd’administrationducapital,qui,pourlesparticulierscommepourlesentreprises,sontparfoisdissociésdesadétention,maisinfluentsurlespouvoirsdemarchéetleslieuxdecontrôleetdedécisionéconomique.Ilanalyselafonctionspécifiquedelapropriétéimmobilière,quiestàlafoisunvecteurimportantdesinégalitésdepatrimoine,maisquiapendantuntempscontribuéàsadiffusionauseindescatégoriessicen’estmodestes,dumoinsmoyennesdelapopulation.Plus fondamentalement, Atkinson n’hésite pas à évoquer le rôle des « changements derapportsdeforce»,etilsoulignelanécessitédes’intéresseraux«interactionssocialesetéconomiques », et plus précisément à la confrontation entre facteursmacro-économiqueset«règlesquiconfèrentdesdroits»12,quecesdroitsportentsurlarépartitiondesrevenusousurlepouvoirqu’ontlessalariésetlesconsommateursd’influersurleurformationetleurutilisation. Mais,sisavolontéestmanifested’aborderlaquestiondesinégalitésenprenantencomptel’ensembledeleursdéterminantsetenessayantd’enmettreenévidencelesinteractionsetlesenchaînements,Atkinsonn’entreprendpas,ilfautlenoter,d’allerverscequipourraitêtreunevision théoriquecomplètede l’évolutiondeséconomiescapitalistes, laquellepourrait leconduireàdéniertoutepossibilitéd’infléchissementàmoinsdebouleverseroude«démonter»lemodèle.Sadémarcheconsisteplutôtàprendreappuisurunegammetrèslargedetravauxàdominantestatistiqueetéconomiquepourenextrairedeséclairagesetdesenseignements,dontpuisseêtretiréeunecombinatoiredirectementutilepouruneactionpubliqueorientéeverslaréductiondesinégalités.Résolumentattaché,parcequec’estl’idéed’actionquil’inspire,auxexplicationsproches de la réalité des faits, il fait miroiter les différents facteurs d’accroissement desinégalitéscommeautantdeterrainspragmatiquespouruneinterventionpubliquequi,selonlui,devraitlesinvestirsimultanément.Cesterrainsprivilégiésportentàlafoissurlarégulationdesmécanismesinstitutionnelsqui,dansleurdiversité,présidentàlaconstitutiondesrevenusetdespatrimoines,et,defaçoncentrale,surlespolitiquessocialesetfiscalesderedistribution.Etsilapolitiquefiscale,etenparticulierl’impôtprogressif,aévidemmentuneplaceessentielledanslesréflexionsdeTonyAtkinson,lespolitiquesdetransfertssociauxyprennentaussiunepartnotable,àtraverstroisouquatrepropositionsdontl’intitulégénéral,«lasécuritésocialepourtous»n’est,parsoncontenu,passanssurprendrelesobservateursdusystèmefrançais(cf. infra pointsVIIetVIII).

III-Unhommageauxmatériauxconstruitsparlesstatisticiens,etuneattitudequiseveuthumblemaisrésoluedansl’utilisationdecesdonnéesCette volonté « d’arrimage » à la réalité conduitAnthonyAtkinson à faire primer dans sadémarchel’analysedesdonnéesstatistiques,etàl’appuyerdefaçoncentralesurlestravauxdeconstructiondedonnées,réalisésàlafoissurlonguepériodeetauniveauinternational.Le

11 ThomasPiketty,Le Capital au XXIe siècle,coll.«LesLivresdunouveaumonde»,ÉditionsduSeuil,2013.12 AtkinsonreprendcetteexpressionàAndreaBrandolini,dansundocumentpubliéàlaLondon School of Economics en 1992.

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fondementdesonraisonnementestdelesfaireparlersansselaisserabuserparcequ’onvoudraitleurfairedire,maissansnonplusselaisserprendreaupiègedeleurslimitesetdeleurcomplexité.

Cette attitude d’Anthony Atkinson l’a conduit à s’impliquer directement dans laconstructiondesindicateurssociauxeuropéens,notammentissusdusystèmeSILC13 etliésàlaméthodeouvertedecoordination(MOC)14,ainsi,qu’avecThomasPiketty,danslareconstitutiondesérieslonguessurlesinégalitésderevenusintégrantlesplushautsrevenus,pourpartienégligésparlessourcesstatistiquesusuelles15.

Au-delàdu labeur investidans laconstructionet l’interprétationdecesdonnées,Atkinsonenextraitdanssonouvragedesconclusionsfortes,bienqu’ilsoitparmilesmieux placés pour identifier et discuter leurs limites, et exprimer les caveatnécessairesquantauxenseignementssusceptiblesd’enêtretirés.Ilpassed’ailleurscesproblèmesen revuedanssonouvrage :au-delàde l’appréhensiondes trèshautsrevenus,ilévoqueparexemplelaquestiondupassagedesrémunérationsde«catégoriesdetravailleurs»aurevenudespersonnesemployées,l’alternativeentreuneapprochedesinégalitésauniveaudesménagesouàceluidesindividus,le caractère conventionnel des échelles d’équivalence servant à mesurer lesniveaux de vie individuels, et les difficultés à apprécier « l’équivalent-revenu »correspondant à la valeur des services publics comme la santé, l’éducation oules services sociaux16.De façonplus large, ilpointe lesdifficultésàdisposerdedonnéesfiablessurlesfortunesetlecapital,et,pourpasserdesressourcesauxpatrimoines, l’épineuxproblèmedelapriseencomptedesplusoumoins-values«latentes»qui,nonréalisées,nesontpasdirectementcomptabiliséesauseindesrevenusperçus.Entermesd’instrumentsd’analyse,ilconnaîtmieuxquequiconque,pouravoirproposéunindicateuralternatif,lesproblèmesqueposel’utilisationducoefficient deGini pour appréhender la dispersion des revenus17, et expose lesproblèmesdeprincipequeposelacomparaisondescoefficientscalculésavantetaprèsredistribution,enl’absencede«contrefactuel»décrivantcequ’auraientétélescomportementsdesagentséconomiquesenl’absencedecespolitiques.

Maiscetteconnaissanceetcettediscussion«transparente»deslimitesdesoutilsstatistiques ne le conduisent pas à refuser d’émettre des constats forts à partir13 EU Statistics on Income and Living Conditions(EU-SILC).14 Anthony B.Atkinson et Éric Marlier (eds), Income and Living Conditions in Europe, Eurostat statistical books,

EuropeanUnion,2010.15 AnthonyB.AtkinsonetThomasPiketty(dir.),Top Incomes over the Twentieth Century,OxfordUniversityPress,2007

etAnthonyB.AtkinsonetThomasPiketty(dir.),Top Incomes : A Global Perspective,OxfordUniversityPress,2010.16 Lesstatisticiensajoutentquandilslepeuventaurevenudisponiblelavaleurestiméedecertainsdecestransferts

publicsennature,cequiconduitàcalculerun«revenudisponibleajusté»,maisl’identificationdeleursbénéficiairesetleurvalorisationposent,parexempleenmatièredesanté,d’importantsproblèmesdeprincipeetdefaisabilité,quiconduisentàcequecesestimationssoientsouventproduitesdansdesétudesad hoc.

17 L’indicedeGinisynthétiselaconcentrationdesrevenusdécriteparunecourbedeLorenz,àsavoirl’écartentreladistributionobservéeetunesituationdeparfaiteégalitéoùchaqueindividurecevraitlemêmepourcentagedurevenutotal.TonyAtkinsonaproposéunindicealternatif(portantsonnom),quiprendencomptel’aversiondelapopulationpourl’inégalité.Unindiced’Atkinsonvalantx%signifiequelapopulationaccepteraitdeperdrex%desonrevenuactuelpourque ladistributiondevienneégalitaire ;cettemesure,quidépendde lavaleurdonnéeauparamètre«d’aversionpourl’inégalité»,permet,àladifférencedel’indicateurdeGini,d’accorderplusd’importanceàl’inégalitédes revenus dans le bas de la distribution.

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d’indicateursparfois« frustes», lorsque leur robustesseapparaîtsuffisante,quedesenseignements«puissants»peuventenêtretirésetqu’ilspermettentdeforger,sanscraintedesetromper,lesconvictionsutilesaudébatdémocratiquesurlesensdesévolutions en cours.

Atkinson rend ainsi hommage dès les premières pages de son ouvrage « aux laborieusesenquêtesstatistiques»18quelesthéoriciensdel’économieontparfoiseutendanceàlaisserdecôté,etl’onpeutpenserque,siéloignéqu’ilsoitdesdoctrinesglobalisantes,ilfaitlàunclind’œilpersonnelàlafameuseformulenéesouslaplumededeLénine«Ceciestunfait.Lesfaitssonttêtus19».Etcettepositionhumblemaisrésoluedansl’utilisationdesdonnéesestpourmoil’unedesleçonsquedecegrandscientifiqueaulongdesonouvrage.

IV-Des explications lumineuses sur les éclairages et les limites desanalyses économiques, avec des critiques « internes » rigoureusesqui laissent voir les fondements des politiques de régulation et deredistribution

La « pique » formulée, dès l’entrée, sur la position de certains économistes vis-à-vis desenquêtesstatistiquess’accompagned’uneremarqueselonlaquellel’étudedel’inégalitédesrevenusalongtempsétémarginaliséeenéconomie,oùlesproblèmesderépartitionontparfois,mêmesic’estbeaucoupmoinslecasaujourd’hui,puêtrereléguésausecondplan.

Etcenesontbiensûrpasdesquerellescorporatistesentrestatisticiensetéconomistesquijustifientcetteremarque,delapartd’unchercheurcommeTonyAtkinsonquialui-mêmeétéunéconomistereconnudanslechampdelataxationoptimaleetdelathéoriedubien-être20. Elleestmotivéeparlaréflexionqu’ilamûriesurlefaitquelathéorieéconomiquedoitpourêtreutileêtreconfrontéeauxconditionsempiriquesdevaliditédesrésultatsqu’elleprédit,etquel’hétérogénéité,quedécritnotammentladispersiondesrevenus,estl’undesfacteursquiremetleplusfortementencausecertainsenseignementsdesmodèleséconomiques,toutenétant, comme l’indiqueRobertSolow,« l’essenced’uneéconomiemoderne»,etdoncunesourceessentiellederenouvellementdesonanalyse.

LemeilleurservicequerenddanscelivreTonyAtkinsonauxéconomistesestainsid’exposer,sur les terrains qu’il considère comme pertinents pour la réduction des inégalités, lesenseignementsdelathéorieéconomiquedefaçonlaplustransparentepossible,sansrecouriràaucuneéquation(autrementqu’ennotedebasdepage),maisaussidediscuterlavaliditédecesenseignementsauregardnonseulementdesétudesempiriques,maisaussiduréalismedeshypothèsessurlesquellesellessontfondées.C’estdoncnonpasàuneremiseencausedesméthodesetdesrésultatsdel’analyseéconomiqueàlaquelleAtkinsonselivreici,maisà18 Atkinsonreprendàsoncompteavecuneactualitéfrappanteuneexpressionetuneobservationprovenantd’untextedel’homme

politiqueHughDalton,écritdès1920.19 VladimirIlitchOulianov,ditLénine,Lettre aux camarades, octobre 1917. 20 Ilestnotammentconnupourlethéorèmedit«Atkinson-Stiglitz»,quienvisagelesconditionsthéoriquesdanslesquelleslataxationde

laconsommationoudesrevenusducapitalissusdel’épargne(vecteursdepossibilitésdeconsommationfuture)estounonpertinenteparrapportàlasimpletaxationdesrevenusdutravailperçusdanslapériodeprécédente(cesconditionsseréfèrentàl’hypothèsede«séparabilité»ounondespréférencesindividuellespourlaconsommationimmédiate,l’épargneetletravail).

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une«critiqueinterne»fructueusequienvisagelesconséquencesduplusoumoinsgrandréalismedeshypothèsessurlesquelleslesmodélisationssontassises.Cettefaçondeprocédern’estévidemmentpasnouvelle:ellefondeparexempleenlargepart les développements de l’économie du travail et de l’économie de la santéqui envisagent les conséquences des défauts d’information des acteurs et desphénomènesdeconcurrenceimparfaited’unepartsurlaformeetlarémunérationdescontratsdetravail,d’autrepartsurl’assurabilitédessoinsdesantéauregarddesphénomènesdesélectionoud’anti-sélectiondes risques,etde l’éventualitéd’aléasmorauxex ante ou ex post. Atkinson passe néanmoins, de façon particulièrement lumineuse, au tamis decette approche critique certaines analyses usuelles : celles des effets de lamondialisation et du changement technologique, celles des politiques d’emploiet de rémunération des entreprises, qu’il considère comme compatibles avec larationalité économique lorsqu’elles intègrent des « normes sociales » et desusagesvisantdes«considérationsd’équité»,pourpeuquecesnormessoientsuffisamment diffusées et partagées pour ne pas provoquer des phénomènesd’instabilité, et enfin la question du pouvoir demarché des entreprises, qui, ensituationdeconcurrencemonopolistique,abesoind’êtrecontrebalancé,ycomprispour des raisons d’efficience économique, et peut l’être, par exemple, par descodeséthiques21,maisaussiparlerenforcementdelanégociationcollectiveetdupouvoirdestravailleurs.Commel’ontfaitdansleurdomaineleséconomistesdelasanté,Atkinsontiredecette«critiqueinterne»unensembledejustificationsàuneinterventionpubliquesusceptibledeprendredesformesdiverseset formuleunesériedepropositionsà cette aune. En matière de changement technologique, il insiste par exemplesur le faitque lesdifférentielsdeproductivitéquipeuvent secréeraudétrimentdes services, et notamment des services publics tels l’éducation ou la santé(effetdit«Baumol»)nedoiventpasconduireàdévaloriser les investissementsencapitalhumainquiysontréalisés22,maisimpliquentenmêmetempsquecesservicessoientmodernisésetrendusplusefficaces,toutenypréservantlaqualitéducontacthumain. Il justifieégalement,a contrariode la littératureéconomiqueusuelle, une politique de la concurrence qui tienne compte de la répartition eninfluantsurlesconditionsd’accèsdesménagespauvresàlagammedesproduitsmissurlemarchéouauxconditionsd’implantationdescommercesetdesservices.Ilassumeenfinlanécessitéd’offrirdestauxderendementréelsgarantisauxpetitsépargnants,àunniveauprochedutauxdecroissancedel’économie,alorsquelemarchénelesgarantitpasspontanément.C’est évidemment dans le domaine des politiques sociales et de redistributionquecesraisonnementstrouventleplusàs’appliquer.Atkinsonrevientainsidansles chapitres finauxde sonouvragesur l’arbitrageentreéquitéet efficacitéquepropose habituellement l’économie du bien-être, à travers une opposition entre21 IlreprendencelalesanalysesformuléesparKennethArrowen1973sur«laresponsabilitésocialeetl’efficience

économique».22 Lavalorisationanticipéedecessecteursdoitselonluitenircomptedesprogrèsdel’ensembledel’économie.

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ampleurdelaredistributionet«tailledugâteau»(enl’occurrencelerevenutotal)résultant de l’activité économique. Mettant en lumière les conditions restrictivesdans lesquellesses théorèmess’appliquent (concurrenceet informationparfaites, jeucompletdemarchéséquilibrantl’offreetlademandeprésentesetfutures…),ilmontrequelaremiseencausedeceshypothèsesrésultantdel’observationdu«monderéel»conduitàcequelaréductiondel’inégalitépuissenepasavoirdecoûtsenmatièred’efficacité.Cettecomplémentaritéentreefficacitéetéquités’observenotammentenmatièrederémunérations,dèslorsquelademandeetsurtoutl’offredetravailsuiventdesmodèlesplusrichesquelesformescanoniques:celaconduitàquestionnerl’impactnégatifsystématiquementattribuéaurelèvementdusalaireminimum,alorsquecelui-cipeut,danscertainscas,rendrel’activitéplusattractive.Demême,leseffetsdesallocationsdechômagesursonoccurrenceousursaduréene peuvent étudiés indépendamment des conditions dans lesquelles ces prestations sontversées,etdoncducadreinstitutionneldanslequels’exercentlecontrôleetl’accompagnementdeschômeurs,etilsincluentunmaintiendanslapopulationactivedechômeursquiauraientpubasculerversl’inactivité.Enfin,laredistribution vialestransfertspublicsoulesdépensesfiscalesn’estpasforcémentlesujetleplusproblématiquepourlacompétitivitédesentreprisesnationales:lacouverturedesdépensesderetraiteoudesantédoitêtrepayéeparlesménagesoulesentreprisesmêmelorsqu’ellenerelèvepasdudomainepublic,etlescoûtsdulogementpeuventaussiavoir,danscertainspays,uneincidencenotablesurlafixationdessalaires,etdonc sur le niveau du coût du travail.

EtilferaitbeauvoirqueTonyAtkinsonpuisseêtreaccuséde«négationnismeéconomique»23 lorsqu’ildémontrequedesmargesdemanœuvreimportantesexistentainsipourréduirelesinégalités sans crainte pour la croissanceet l’efficacité du systèmeéconomique, alors quecetteaffirmationressortjustementpourluidelaconfrontationdelathéorieéconomiqueàlaréalité des faits.

V-Unespoirmaintenudansl’apportdescoopérationseuropéennesetinternationales,qui passe«par-dessus» lesdéceptionsde l’Europesociale

Un autre point de vue assumé parTonyAtkinson dans son ouvrage est de réaffirmer sonsoutien aux coopérations internationales et européennes engagées notamment dans lesdomainessociauxetfiscaux,endépitdeleurslenteursetdeleursincertitudes.

Parallèlement à son souhait d’un développement de l’aide en faveur des pays endéveloppement, il estimequedesprogrèsont étéaccomplis et sont encoreenvisageablesàcourt termeenmatièredecoopérationfiscale internationale.Si la voiesembleouverteàdavantagedetransparenceconcernant lafraudeet ladissimulationfiscales, laconcurrencefiscaleentreÉtatsnesemblecependantguèreenvoied’être freinée,ycomprisauseindel’Union européenne, et le moins-disant fiscal reste aujourd’hui directement revendiqué parcertains pays commeunavantage comparatif. L’optimismeaffirméparAtkinsonne s’étend

23 D’après le titred’unouvragepubliéen2016parPierreCahucetAndréZylberberg,quiadonné lieuàun trèsvifdébatdans lacommunautédeséconomistes.

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en outre pas aux négociations commerciales internationales, engagées par laCommissioneuropéenneetlesÉtats-Unissurdesbasesqu’ilestimenotoirementdéséquilibréesaudétrimentdesÉtats,desconsommateursetdestravailleurs24.

Concernant la coordination des politiques sociales européennes, TonyAtkinsonse veut fidèle à l’engagement qui a été le sien depuis plus de 40 ans dans ceprocessusdecoopération,etilsouligneparexemplequelesréflexionsconduitesdans lesannées1970sur lacréationd’un«assurancechômageeuropéenne»auraientpu,siellesavaientétésuiviesd’effets,êtreprémonitoires.Sonengagementpersonnel a été particulièrement fort en faveur du développement des analysescomparéesetdesindicateurssociauxservantderéférencela«méthodeouvertedecoordination» (MOC)quiaétéassociéeàla«stratégiedeLisbonne»,initiéeà partir de 200025. Ce processus a conduit à des progrès notables en matièrede comparaison statistique des systèmes de protection sociale, mais son biland’ensembleaétémitigé.L’adoptionen2010d’unenouvellestratégieeuropéenne,dite«Europe2020»,quiaccordeuneplaceplus limitéeà laprotectionsociale,reste défendue parAtkinson en raison de l’objectif de réduction de la pauvretéqu’ellepromeut,mêmesicetobjectif,établienréférenceàunindicateurcomposite,peutêtrejugécommerelativementrhétoriqueetn’apas,entoutétatdecause,étéconsidérécommedevantêtreeffectivementrespecté.

Ladéfensedeceprocessusestàlafois liéeàl’expériencepersonnelledeTonyAtkinson et à l’importance qu’il accorde au fait que l’Union européenne ait étéainsi conduite à « expliciter ses ambitions ». Sans doute aussi, aumoment dubouclagedesonouvrage, lesdébatspolitiquespréalablesauxélectionsdemai2015auRoyaume-Unifaisaient-ilsserapprocherl’éventualitéd’unréférendumsurleBrexit,susceptibledemenacercesacquis.Et ilestvraiquelaperspectiveduBrexitvientdésormaisébranlerl’ensembledeceprocessus,ycomprisenmatièred’outilsstatistiquesetdesimulationpartagés26,alorsmêmequeleprojetde«socleeuropéendesdroitssociaux»esquisséparlaCommissioneuropéenneen2016netracepourl’instantqu’uncontourtrèsflouauxpossibilitésderenforcementduprocessus de convergence des politiques sociales dans les pays qui resterontadhérentsàl’Union.

24 LaFrances’estprononcéeà l’été2016pour l’arrêtdesnégociationsentre l’Unioneuropéenneet lesÉtats-Unissur lepartenariattransatlantiquedecommerceetd’investissement(PTCI;TTIPenanglais),dont lapousuiteestdésormais,pourd’autresraisons,sujetteàcautionsuiteàl’électiondeDonaldTrump.

25 AnthonyB.Atkinson,BeaCantillon,ÉricMarlier,BrianNolan,Taking Forward the eu Social Inclusion Process. An Independent Report Commissioned by the Luxembourg Presidency of the Council of the European Union, 2005 etAnthonyB.Atkinson,BeaCantillon,ÉricMarlier,BrianNolan,The eu and Social Inclusion, The Policy Press, UniversityofBristol,2007.

26 Cesoutilscomprennentnotammentlemodèledemicro-simulationEUROMOD,quipermetdesimulerleslégislationsfiscalesetsocialescomparéesd’unensembledepayseuropéensetquiestdirigéparHollySutherland,del’Institute for Social and Economic Research(ISER)del’universitédel’Essex,aveclaquelleTonyAtkinsonabeaucouptravaillé.

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VI-Desorientationsquis’apparententàuneperspective «d’utopieréaliste»Dans un contexte politique marqué par la présence d’un gouvernement à dominanteconservatriceauRoyaume-Unidepuis2010etdesavancéespourlemoins«prudentes»del’Unioneuropéenne,nombredespropositionsprésentéesparTonyAtkinsondansladeuxièmepartiedeson livre,etqu’ildéclinespécifiquementpour lecasbritannique,peuventparaîtredifficilementréalisablesàunhorizondecourt-moyenterme,sentimentqu’accentuel’actualitédespaysanglo-saxonsdepuisl’année2016.Cespropositionssontcellesd’unéconomisteengagé,quiestimeindispensabledeprésenter,faceàunemontéedes inégalitésdésormais largement reconnuecomme insoutenable,desréponsesdirectesà laquestion«What can be done ? »et ce,mêmesi ces réponsesnetrouventpasdedébouchédirectdansledébatpolitiqueimmédiat.Onpeutàcetégardpenser,à la lecturedesorientationsqu’ilpropose,quecelles-ci relèvent,mêmes’il lenieenpartie,d’uneperspective«d’utopieréaliste»qui,miseenavantparEdgarMorinetunensembledechercheurs réunis autour de lui27, adesrésonancesfrappantesdansl’ouvraged’Atkinson.Utopie,parcequ’alorsquepourMorin,«l’importantestdenepasaccepterlefaitaccompli»ni«admettrelavictoireduvictorieux»,Atkinsonestimequesespropositionsmisesenœuvre«conjointementpourraientfaireévoluernossociétésversunniveaud’inégalitésensiblementinférieur»,enconsidérantque«réduirel’inégalitédoitêtreprioritairepourtous»,quellesquesoientlesfonctionsqu’ilsoccupentdanslasociété.Assumantdesmesuresdontunefrangedes lecteurs«douterade leur réalisme», il juge importantd’agir sur« les forcesmotriceséconomiquesdesrevenusmarchands»comme,defaçonplusclassique,surl’impôtprogressifetlaprotectionsociale.Etiln’hésitepasàavancerdanstouscesdomainesdespropositionsambitieuses,voireiconoclastes,commelagarantied’unemploipublicausalaireminimumpourleschômeurs,un«codedesusages»issud’undialoguesocialnationalsurlesrémunérations,l’institution au niveau national d’un « revenu de participation » complété par un revenu debasepourlesenfantsàl’échelleeuropéenne,leretouràuneforteprogressivitédel’impôtsurlerevenu(jusqu’àuntauxde65%danslatranchesupérieure),ouunetaxationdesdonsethéritagessousformed’unimpôtprogressifassissurcesrentréesdecapitaltoutaulongdelaviedubénéficiaire(cf.infra). Utopieréalistenéanmoins,danslamesureoù,àl’instard’EdgarMorin,lapositiond’Atkinsonestclairementdetenircompte«d’unréel,complexe,multiple,incertain»28 en tentant de faire «lelien»entrelesproblèmesetlesterrainsd’action.Ce«réalisme»nepassepaspourlui,àladifférenced’autresacteurs,parlamultiplicationd’expérimentationsouledéveloppementd’initiatives pensées à l’échelle locale. C’est sur le terrain des politiques économiques etsociales générales qu’Atkinson se situe et prend le parti « d’affronter la complexité »29, en organisantdanslatroisièmepartiedesonouvrageunerevueetunediscussiondesargumentssusceptibles d’être présentés à l’encontre des propositions qu’il formule, justement par

27 EdgarMorin,«Réalismeetutopie»,Diogène,n°209,janvier-mars2005etRencontresdeChateauvallon,Pour une utopie réaliste. Autour d’Edgar Morin, Arléa, 1996.

28 EdgarMorin,op. cit.29 Jean-PaulFitoussi,«Lerefusd’affronterlecomplexité(àpartirdelapolitiqueéconomiquedesdixdernièresannées)»,inRencontres

de Chateauvallon, Pour une utopie réaliste. Autour d’Edgar Morin, Arléa, 1996.

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ceuxquidouterontdeleurréalisme(«Legâteauva-t-ilrétrécir?Est-ceimpossibleaveclamondialisation?Pouvons-nousnouslepermettre?»).

Sa démarche se veut à cet égard résolument pragmatique, puisque, quelqueambitieuseetlargepuisseêtrela«résonance»desespropositions,iltented’endécliner l’applicationconcrèteausystèmebritannique,enestimantà la fois leurcoût budgétaire et leurs incidences sur la répartition des revenus à l’aide d’unmodèle impôts-prestations. Sans doute cette déclinaison reste-t-elle à ce stadeassezfruste,etmet-elleenbranledestransfertsfinanciersquipeuventfairehésiterparleurampleur.

Maisl’attitudedetransparenceetde«miseendébat»qu’adopteAtkinsonàtraverscetteméthode,enidentifiantles«gagnants»etles«perdants»auxmesuresqu’ilpropose,mérited’être relevée,dans lamesureoù,à ladifférencedebeaucoupde programmes politiques, elle illustre la conviction qu’il s’agit d’un point depassageobligépourrapprocherutopieetréalitédansdessociétésquiseveulentdémocratiques.

La valeur qu’accordeTonyAtkinson au travail de base des statisticiens s’étendainsiàlaconfectionetàl’usaged’outilsdemicro-simulation(dutypedesmodèles«impôts-prestations»),auxquelsilalui-mêmebeaucoupcontribué,etquipeuventêtremobiliséspouréclairerdécideurspolitiquesetacteurssociauxsurlesimpacts,aumoinsdepremierniveau30,despolitiquesqu’ilsenvisagent.Etsonhonnêtetéintellectuelleestàcetégardmanifeste,puisqu’ilreconnaît,àpartirdesestimationsréalisées,leslimitesinhérentesàl’utilisationdesseulespolitiquesderedistributionsocio-fiscalespourobtenir,dansunpayscommeleRoyaume-Uni,uneréductiondetrèsgrandeampleurdesinégalitésetdelapauvreté31.

VII-DespropositionspourpartieancréesdanslecontextesocialetinstitutionnelbritanniqueMêmesiTonyAtkinsonpensequesespropositionsontvocationàconcerner«unvasteensembledepays», certainesd’entreellessont,de façon intéressanteànoter, pourpartie inspiréesdu contextebritannique, qui est aussi le cadredanslequel elles sont déclinées et évaluées ex ante dans la dernière partie de sonouvrage.

Cecontexteestmarquéparuneampleurdesinégalitésderevenusquiresteélevéeau regarddespaysde l’ancienneUnioneuropéenneà15,avecdes indicateurs30 Lesmodèlesdemicro-simulationusuels, comme lemodèle INESdéveloppéenFrancepar l’Inseeet laDrees,

sontdesmodèles«statiques»,quipermettent,àpartird’échantillons représentatifsd’individusoudeménages,d’identifier lesgagnantset lesperdantsd’unemodificationde la législationfiscaleousociale, en tenantcomptede « l’enchevêtrement » de ces législations. Ils sont principalement utilisés pour des évaluations ex ante « à comportementsconstants»,cequiestunelimiteincontestable,danslamesureoùlesagentséconomiquessontsusceptiblesde réagirauxgainsoupertesde revenuquecesdifférentesmesuresentraînentpoureux.D’où lanécessité de discuter également, comme le fait d’ailleurs Atkinson, de leurs répercussions possibles sur lescomportementséconomiquesdesacteurs.

31 Atkinsonestimequel’ensembledesmesuresbudgétairesetfiscalesqu’ilproposepermettrait,entermesd’inégalitéglobaleetdepauvretédesenfants,deramenerleRoyaume-Unidanslamoyennedespaysdel’OCDE,cequipeutparaîtrelimitéeuégardàl’ampleurdestransfertsenvisagésetimpliqueaussiselonluiuneactionenamontsurlesrevenus«avantprélèvementsettransferts».

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principaux (coefficients de Gini, rapports inter-déciles ou inter-quintiles) qui serapprochentdavantagedeceuxdespaysduSudqueduNorddel’Europe,etuneévolutionquisemble,aprèsdespériodesdestabilitévoiredediminution(2011-2013),récemmentettendanciellementrepartieàlahausse32.Cettesituationbritanniqueest,ilfautlenoter,àlafoisliéeàl’amplitudedesécartsderevenusprimaires,et,selonlescalculsdel’OCDE,àunrôlelimitédelaredistributionopéréeparl’ensembledesimpôtsettransferts33, bienquecesderniersréduisentdefaçonsignificativelestauxdepauvreté.Lafaiblessedutauxdechômagebritannique,redescenduà5,3%en2015,s’accompagned’undéveloppementdutempspartielsubietdemodalitésd’emploitrèsflexibles34,dontunsymboleestle«contratdetravailzéroheure»qui,rendupossibleparles«zonesgrises»delalégislationdutravail,avusonusagesedévelopperpourconcerneren2015entre0,8et1,7milliondetravailleurs35.

Auplandespolitiquespubliques,desdébats importantsonteu lieuauRoyaume-Unisur lerelèvementdusalaireminimum: ilsontabouti,aprèsmai2015,à lacréationpour lesplusde 25 ans d’un National Living Wage venantàpartir d’avril 2016sesuperposerausalaireminimum national lui-même introduit en 1999, et dont l’ambition affichée est d’atteindre60% du revenu médian à l’horizon 202036. En corollaire toutefois, le gouvernement aprofondément réformé,en les réduisant, lescréditsd’impôtdontbénéficiaient lesménagesà bas revenus. Leur réforme, engagée depuis 2013, comportait d’un côté l’unification,consensuelle quant à son principe, de six prestations sociales ou crédits d’impôt dontbénéficiaient les personnes sans emploi, les familles ou les travailleurs à bas revenus37, danslecadred’unUniversalCreditmisenœuvredefaçonprogressive38. Elle a toutefois été assortiede restrictionsfinancières importantes, comportant,outre legelde leursmontants,uneforteréductiondeleursseuilsd’éligibilité,ainsiqueduplafondd’aidessociales(BenefitCap) introduit dès 2013 à l’ensemble des prestations dont peut bénéficier un ménage etdont lemontant ne tient pas compte pour les couples de la composition de la famille39 40. Cette réforme a suscité depuis 2010 plusieurs séries d’interrogations quant à son impact,d’unepartsurlaprogressivitédesrevenusdestravailleursfaiblementrémunérés,d’autrepartsur la situation des familles sans emploi ou à bas revenus, par ailleurs confrontées à uneaugmentationcontinuedescoûtsdulogement41.

Plusieursautrestraitsdumodèlesocialbritanniqueméritentaussid’êtrerelevés,en«arrière-plan»desréflexionsd’AnthonyAtkinson.Ils’agitnotammentdelapratiquepeurépanduedu

32 Resolution Foundation, Living Standards 2017: the past, present and possible future of UK incomes, janvier 2017. 33 OCDE,«Lesinégalitésrestentélevéesdansuncontextedereprisemodérée»,op. cit. 34 Conseild’orientationpourl’emploi,LesréformesdesmarchésdutravailenEurope,novembre2015,Tome2Monographies.35 JacquesFreyssinet,«Lescontrats«zéroheure»:unidéaldeflexibilité?»,Chronique internationale de l’IRES,n°155,septembre

2016. 36 Ilaétéfixéà7,20livresenavril2016,contre6,70livresauparavantpourlesalaireminimumdesplusde21ans.37 Ils’agitdelaJobseeker’s Allowance, de l’Income Support, de l’Employment Support Allowancedestinéeauxpersonneshandicapées,

du Child Tax Credit, du Working Tax Credit et de l’Housing Benefit. 38 Ilneconcernaitencoreauprintemps2016quelespersonnessansenfantetleschômeurséligiblesàlaJobseeker’s Allowance. 39 FlorenceLefresne,«LetriompheduNew public managementdanslacrise»,Chronique internationale de l’IRES,n°148,décembre

2014etConseild’orientationdel’emploi,op. cit.40 Ceplafondaétéramenéen2016de26000à20000livresparan(23000livresàLondres)pourlescouplesetconcerneunlarge

ensembledetransferts,ycomprislesprestationsfamilialesetlesaidesaulogement,maisilnes’appliquepasauxbénéficiairesderevenusdutravailsuffisantàouvrirauWorking Tax Credit.

41 Resolution Foundation, Making the most of UC, juin 2015 et Resolution Foundation, Universal Challenge. Making a success of Universal Credit,mai2016.

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dialogue tripartite avec lespartenaires sociauxauniveaunational42, de la faible associationdusecteurnonmarchandauxmesuresspécifiquesdelapolitiquedel’emploi,descontourstrèsréduitsdel’assurancechômagequiverse,àpartird’unniveaudesalaireminimal,desprestationsforfaitairespendantuneduréelimitéeàsixmois43etducaractèreégalementcirconscritdespensionsderetraitepubliques44, quilaissentuneplaceimportanteàl’épargneindividuelleetauxdispositifsprivésdepensionsprofessionnelles45,lesquelsdeviendrontobligatoiresàl’horizon2018maisontuncontenutrèsvariableentermesde«qualité»46. LeRoyaumeUniconnaîtégalementunesituationspécifiqueenmatièredelogement,danslamesureoùlapropriétéyresteunstatutd’occupationfortementdominant(avec70%depropriétairesen2010),maisoùtantl’accessionqueleslocations«auprixdumarché»induisentdesdépensesdeplusenplussubstantiellespour lesménagesàrevenumodesteoumoyen,tandisquelelogementsocialaétérecentrésur lesplusvulnérables.Desdifficultésparticulièresexistentenfinconcernant lafiscalité localesur lesbiens immobiliers :après l’épisodede l’abandonde lapoll tax, la council taxinstauréeen1993resteétabliesurlabased’unclassementdeslogements remontantà1991etconserveuncaractère régressifpar rapportà lavaleur de ces biens. Ce contexte éclaire d’un jour particulier l’accent mis parAtkinson sur certainesorientations,mêmesielless’inscriventdansdesobjectifsàviséeplusgénérale.Ilinsisteainsisurl’établissementd’uncadrejuridiquepermettantunereprésentationéquitabledestravailleursparlessyndicatsetsurl’instaurationd’undialoguesocialnationalàtraversun«Conseiléconomiqueetsocial»quiauraitnotammentàsepenchersurun«codedesusages»pourlesrémunérationssupérieuresausalaireminimum,pourlequelildéfendunniveauvoisindesdeux-tiersdusalairemédian.Ilsouhaitequel’Étatjoueunrôlededernierressortenmatièredepolitiquedel’emploienproposantunemploirémunéréausalaireminimum,danslesecteurpublicounon lucratif,auxpersonnesenrecherched’emploi ;cetteactionseconcentreraitdansunpremiertempssurleschômeursdelongueduréeayantcotiséaumoinsunanàlasécuritésociale,cequilarapprocheraitdecertainesformesd’emploisaidéspratiquéesenFrance.Enmatièredetransfertsetdefiscalité,ilinsistesurl’apportcrucialqu’auraitpourluttercontrelapauvretédesenfantsune«prestationenfant»universelled’unniveausuffisantetprône,danslecadredel’impôtprogressifsur42 En dehors de la Low Pay Commission quiémetdesrecommandationssurleniveaudusalaireminimum.43 Levoletassurantieldel‘indemnisationduchômageestla Contribution-based Jobseeker’s allowance, (JSA-C) qui

nécessiteleversementd’unmontantminimaldecotisationsaucoursdesdeuxdernièresannéesetprévoitpourlesplusde25ansleversementd’uneallocationforfaitairede73,10livresparsemainependantuneduréemaximalede26semaines.

44 La new State Pensiond’unmontantde155,65livresparsemaineestverséeàtauxcompletàpartirde35ansdeduréed’assuranceetàpartirdel’âgede65anspourlesgénérationsnéesentre1953et1978,cetâgedevantensuiteêtreportéà66puisà67ans.

45 Lagénérationde l’obligationdecouvertureparundispositifde retraitecomplémentaireprivées’accompagnedelacréationd’unrégimeprofessionnelnationalàcotisationsdéfinies(leNational Employment Savings Trust-NEST) destiné à offrir une prestation de retraite adaptée aux travailleurs à bas etmoyens salaires ainsi qu’aux petitsemployeurs.

46 Conseil d’orientation des retraites, Panorama des systèmes de retraite en France et à l’étranger, octobre 2016, etFlorenceLefresneetCatherineMathieu,«Lesystèmederetraitebritannique:réformesencoursetdéfisdelacrise»,Contribution au colloque Protection sociale d’entreprise IRES-CNAM-IRDES, 2010.

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le revenu, un abattement sur les revenus du travail pour les travailleurs peu oumoyennementrémunérés,àl’imagedel’Earned Income Tax Credit (EITC)américainoudel’ancienneprimepourl’emploi(PPE)française.

L’importance majeure qu’ont au Royaume-Uni l’accès à la propriété immobilière et laconstitutiondesplansderetraiteéclaireparailleursl’attentionportéeparTonyAtkinsonàlasituationdesépargnants,ainsiqu’à«l’équilibredespouvoirs»danslagestiondeleursfondset,pluslargement,ducapital.Ilsouhaiteàlafois,commecelaaétéditauparavant,lagarantied’un taux d’intérêt réel positif aux petits etmoyens épargnants et le versement généraliséd’unedotationencapital(qu’ilappelle«héritageminimum»)lorsdupassageàl’âgeadulte.Enmatièredegestiondesentreprises,ilappelleàlaconstitutiond’unfondssouverainnationaldétenantdesparticipationsdansdesentreprisesoudesbiensimmobiliers,etpermettantdesinvestissementsquinevisentpasseulement la rentabilitéàcourt termerecherchéepar lesfonds privés, y compris certains fonds de retraite dont les détenteurs n’ont pas, de fait, lecontrôle.

TonyAtkinsonévoqueenfinlesperspectivesouvertesparune«rénovationdesassurancessociales » qui accroitrait les prestations servies en matière de retraites et d’assurancechômage,dontlechampetlemontantsont,danslecasbritannique,particulièrementlimités.Ilmet en avant le concept d’une « sécurité sociale pour tous », permettant d’échapper aurecourssystématiqueàdesconditionsderessourcesassortiesdetauxmarginauxd’impositionélevésetdeproblèmesdenon-recours.Onpeuttoutefoisremarquerqu’ilmetaussisouscetterubriquel’idéed’un«revenudebase»,dit«departicipation»,venantcompléterlaprotectionsociale,toutenenvisageantunealternativeentreunteldispositifetl’extensiondesassurancessocialesproprementdites.

VIII-Desenseignementsquivalentaussipour lespolitiquessocialesfrançaises

BienquelasituationdelaFrancediffèredecelleduRoyaume-Unioudel’AmériqueduNordparl’étenduedesinterventionsdel’État,destransfertsredistributifsetdesassurancessociales,l’ouvragedeTonyAtkinsoncomportedesenseignementsquipeuventéclairerlaréflexionsurnosproprespolitiquessociales.

Certes,lepland’actionqu’ilproposecomprenddespropositionsquipeuventêtrediscutées,dansleurcontenuoudansleurampleur,maisleurobjectifconsistesurtoutà«allerdel’avant»pourparvenirà«réduiresérieusement l’inégalité»,serapprocherde« l’idéed’unesociétéjuste»et,ainsi,permettreque«ladémocratiefonctionnecorrectement».Cespréoccupationssontaussi,comptetenudelamontéedestensionspopulistes,cellesauxquelleslespolitiquespubliquesfrançaisessontdirectementconfrontées.

Cen’estpointicilelieuderevenirendétailsurcertainesmesuresquifontdébatenFrance,tellesleseuilmaximaldetaxationdesplushautsrevenus,l’idéed’un«revenudebase»oucelled’une«dotationencapital»destinéeauxjeunes.Maiscessujetsontvocationàfairepartiedudébatdémocratique,pourpeuque lesengagementsdesunsetdesautressoient

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assortis,suivantl’exempled’Atkinson,d’évaluationsquilaissentplaceaujugementdescitoyenssurleursincidenceséconomiques,socialesetfinancières.

D’autresenseignementspeuventégalementêtreretenusdesespropositions,pasforcémentplusconsensuels,maisàmonsensaussimajeurspourlaconduitedespolitiquessociales.Jementionneraidenouveauseptpoints,cettefoisdefaçontrèsbrève :

la prise en compte des implications sociales des politiques relatives auchangementtechnologiqueetàlaconcurrence:siTonyAtkinsonmetsurtoutl’accentsur«ladimensionhumainedelafournituredeservices»,ilestaussinécessaire,l’avènementdesplateformesnumériquesl’amontré,d’anticiperetdecontrebalancerlesconséquencesdeceschangementssurlesstatutsetlaprotectionsocialedestravailleurs,qu’ilimportedeconforter47;enmatièredeconcurrence,la«priseencomptedelarépartition»qu’Atkinsonappellede ses vœuxmériterait d’inclure le développement des clauses sociales(insertion) dans les marchés publics et surtout la régulation, aujourd’huibeaucoup trop faible, des pratiques de détachement des travailleurs enEurope48 ;defaçonplusgénérale,l’évolutiondesformesd’emploi(contratscourts,tempspartielcontraint,emploisintermittents…)accentue,austadedesrevenusprimaires,ladispersiondesrevenussalariaux,etdemandedesrégulationsquivontau-delàdesseulespolitiquesdesalaireminimumetderedistribution.

la nécessaire diversité des politiques d’emploi, préservant la place desemploisnonmarchands :lespropositionsd’Atkinson,bienquepeucentréessur lesquestionsd’insertionetdequalification,soulignent lanécessitédepolitiquesd’emploiquis’engagentsurunobjectifderéductionduchômageenfaisantappelàladiversitédesinstrumentsdisponibles,depuislaformationet les incitations financières aux travailleurs et aux entreprises, jusqu’aurecoursauxemploisnonmarchands ; sapropositionque l’État jouepourleschômeurslerôled’employeurdedernierressortcontrebatàcetégardlatentationpériodiquequ’ontlespolitiquesd’emploifrançaisesderemettreencausecetypedecontratsaidés,précieuxpourlaréinsertionsocialedeschômeursâgésoudelonguedurée;

lerôleclédel’assurancechômageetdesonarticulationaveclesdispositifsderevenusminima: lesréflexionsdeTonyAtkinson illustrent lerôlepivotdel’assurancechômage,àlafoisvecteurdedroitsconstituésautitredesassurancessocialesetsupportdelaredistributionverslesménagesàbasrevenus49.Cettedoublefonctionimpliquedanslecasfrançaisdepréserversa générosité en période de basse conjoncture, en évitant une politique

47 NicolasAmaretLouis-CharlesViossat,Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale,Rapportdel’Inspectiongénéraledesaffairessociales,n°2015-121R,mai2016.

48 LaurentCytermann,«Ledétachementdestravailleursauseindel’Unioneuropéenne»,inHautConseildufinancementdelaprotectionsociale,Point d’étape sur les évolutions du financement de la protection sociale,mars2014.

49 HautConseil du financementde laprotection sociale,Rapport d’étape sur la clarification et la diversification du financement des régimes de protection sociale, juin 2013.

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«pro-cyclique»derééquilibragedescomptes,d’enfaireunsupportélargi,voire généralisé, de sécurisation de l’ensemble des formes d’emploi etd’envisagerde façoncohérentesonarticulationavec lesdispositifsdeminimasociaux(indexation,cumul,basculement…),quiresteunpointaveugledusystèmefrançaisd’indemnisationàtroispiliers(allocationsd’assurance,de«solidarité»etRSA).

la pertinence d’une prestation pour enfant non soumise à condition des ressourceset financée par des prélèvements progressifs : la mise en œuvre d’une prestationenfant substantielle et généralisée est pour Tony Atkinson une pierre angulaire dela redistribution, applicable à tous les pays et n’entrant pas en contradiction avecle développement de prestations ou de services en nature ; il souligne le caractèrepréférabled’uneprestationsansconditionderessourcesbénéficiantàtouslesenfants,afin demarquer la valeur que la société attache à chaque enfant indépendammentdurevenudesafamilleetéviterlesécueilsliésàuneattributionnonautomatique;laprogressivitédudispositifpeutalorsêtreaccentuéeparsonfinancementvia unimpôtprogressif, laprestationayantelle-mêmevocationàêtre imposéecommel’ensembledes ressourcesde la famille ;or, il faut lenoter,cesprincipesdefinancementn’ont,à ladifférencedespays scandinaves, jamaisété complètementmisenœuvredanslesystèmefrançaisd’allocationsfamilialesquis’estenoutreorienté,danslapérioderécente,versdavantagedesélectivité;

l’idéed’uncritèrede«participationsociale»commecontrepartiepossibleàunrevenugaranti : Tony Atkinson considère comme « une chimère » la mise en place d’unrevenuréellement«universel»etpenseque,mêmesansconditionsderessources,leversementd’unrevenudebasedevraitavoirpourconditiond’éligibilitéune«contributionà la société », qu’elle se traduise par l’occupation d’un emploi, le suivi d’actions deformation ou d’insertion, la délivrance de soins (care) à des personnes fragiles, oudesactivitésassociativesoubénévoles.Quoiquel’onpensedelapertinenceetdelafaisabilitéd’unteldispositif,cettenotionde«participationsociale»peutfaireréfléchirsurl’élargissementsouhaitabledesconditionsd’acquisitiondesdroitsoudescritèresdeperceptiondesrevenusgarantis(prestationsdechômageet/oud’assistancesociale…),à travers la reconnaissanced’activitésutilesà lacollectivitésansêtreexclusivementorientéesversl’emploi;

larévisiondesmodesdetaxationdeshéritagesetdonationsetdel’assiettedestaxesfoncières :plusieursétudesontmontréquelafiscalitédestransmissionsdonnelieuenFranceàuneprogressivitédiscutable,fonctionduliendeparentéavecledonataireouledéfuntetexonérantcertainsbiens;lapropositiond’Atkinsonconsistantàlastructurerautourd’unimpôtprogressif,dontletauxaugmenteraitenfonctiondel’ensembledesrentrées de capital reçues par un bénéficiaire au cours de sa vie, a à cet égard leméritedelacohérenceetpourraitêtreétudiéepourservird’inspirationàuneréformeéventuelle50 ; demême, la ré-estimation des valeurs locatives servant au calcul destaxes foncières reste,dans le cas français commebritannique,unsujet enchantier,susceptible,au-delàdesexpérimentationsencoursdansquelquesdépartements,demodifierl’incidenceredistributivedelafiscalitélocale51;

50 ClémentDherbécourt,«Commentréformerlafiscalitédessuccessions?»,France Stratégie, Actions critiques 2017-2027, janvier 2017.51 PatrickArtus,Antoine Bozio et Cecilia Garcia-Peňalosa, « Fiscalité des revenus du capital », Les notes du conseil d’analyse

économique,n°9,septembre2013.

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lacombinaisonoptimaleà trouverentrecotisationset impôtspourfinancer lesystèmedeprotectionsociale:bienqu’ellesoitspécifiqueàchaquepaysetparnaturemoinsprésentedanslessystèmes«beveridgiens»,cettepréoccupationestrepriseparTonyAtkinsondanssesréflexionssur«lasécuritésocialepourtous » ; cet équilibre entre cotisations et impôts est particulièrement discutéet délicat à trouver dans le système français, compte tenu des politiquesd’allègementdechargesdéveloppéesdepuislesannées1990etdustatutmixte,ou du moins juridiquement incertain, de la contribution sociale généralisée(CSG)52 ;or,cetéquilibreaune importancemajeure,à la foisauregardde laprogressivitésouhaitéedesprélèvementssociaux,etpourasseoirunsystèmede protection sociale qui soit suffisamment universel et redistributif, mais quidonneaussilesentiment«d’acquérirdesdroits»àceuxquiycontribuent.Àcetégard,lestravauxduHautConseildufinancementdelaprotectionsocialeontsoulignéquedesassurancessocialesprincipalementfinancéesparcotisationsnecontredisenten rien lamiseenœuvredemécanismesdesolidaritéouderedistribution,quisontprésentsdansl’ensembledessegmentsdelaprotectionsociale,àlafoisdansunedimension«horizontale»(parexempleentreménagessansenfantsetfamilles)et«verticale»(entreménagesmodestesetménagesaisés)53.Toutefois,lajurisprudenceconstitutionnellenelaisseenFrancequedetrèsfaiblesmargesdemanœuvreaulégislateurpourrendreplusprogressifslesprélèvementssociauxsurlespersonnesprotégées(cotisationsetCSG),cequiposeensoilargement question54 55.

LelivredeTonyAtkinsonestdoncenconclusion,pourmoi,uneleçond’humilitéetdepragmatismevis-à-visdesdonnéesstatistiques,declartéetderigueurvis-à-visdestravauxéconomiques.C’estaussiuneinvitationànepasrenoncerauxidéauxde justice,mêmeempreintsd’utopie, lorsque l’on réfléchitauxévolutionsdes politiques économiques et sociales. Réhabilitant l’intervention publique, lesassurances sociales et la redistribution, c’est surtout une leçon d’optimisme etd’espoirdontlesacteursdecechampontparticulièrementbesoin.

52 LaCSGaétéjuridiquementqualifiéed’impositionendroitinterneetdecotisationendroiteuropéen.53 HautConseil du financementde laprotection sociale,Rapport d’étape sur la clarification et la diversification du

financement des régimes de protection sociale,op.cit.54 Alors que la couverture de certains risques (famille, soins de santé) est devenue universelle, la progressivité

desprélèvementssociauxseconcentreparadoxalement surceuxqui incombentauxemployeurs,à travers lesexonérationsgénéralesdecotisationsapplicablesauxemploispeuqualifiés.

55 HautConseil du financement de la protection sociale,Rapport sur la lisibilité des prélèvements et l’architecture financière des régimes sociaux, juillet 2015.

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3ÉTUDES

ET RECHERCHES

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LesquatreleviersdelaredistributionPar Elvire Guillaud, Université Paris 1, CES et LIEPP Sciences [email protected] Michaël Zemmour, Université Lille 1, CLERSE et LIEPP Sciences [email protected]

L’étude qui sous-tend cet article a été financée conjointement par l’EN3S et Sciences Po dans le cadre d’une convention de recherche. Elle bénéficie du soutien apporté par l’ANR et l’État au titre du programme d’Investissements d’avenir dans le cadre du labex LIEPP (ANR11LABX0091, ANR 11 IDEX000502).

Nous remercions chaleureusement Laurent Caussat, Marie-Cécile Cazenave, Conchita D’Ambrosio et Bruno Palier qui ont participé au conseil scientifique de l’étude pour leurs apports et suggestions. Les erreurs qui pourraient subsister sont de l’entière responsabilité des auteurs.

RésuméNous étudions la redistribution monétaire en décomposant analytiquement quatre leviers : taux d’imposition, progressivité de l’impôt, taux de transferts sociaux, degré de ciblage des transferts. L’analyse porte sur 22 pays de l’OCDE, pour un ensemble de 67 observations, étalées dans le temps de 1999 à 2013. Nous nous appuyons sur les micro-données du Luxembourg Income Study sur le revenu des ménages, que nous complétons par l’imputation de données fiscales non observées. Notre analyse montre que la fiscalité produit un effet redistributif supérieur à celui des transferts en espèces (hors pensions de retraite) dans la plupart des pays. L’effet plus ou moins redistributif des transferts sociaux dépend davantage de leur niveau moyen que d’une différence de ciblage. En revanche c’est à la fois le taux d’imposition et la progressivité qui expliquent l’effet redistributif du système fiscal. Enfin, on observe une incompatibilité entre forte progressivité et haut niveau de prélèvements obligatoires.

I-LesleviersdelaredistributionmonétaireDenombreuxtravauxdecomparaisoninternationaletraitentdespolitiquesderedistributionetdeleurefficience,maisceux-cisefocalisentgénéralementsurl’aspectfiscalousurl’aspectsocialdelaredistribution.Parexemple,lestravauxdePikettyetSaez(2007)ontmisl’accentsur le degré deprogressivité de l’impôt (et singulièrement de l’impôt sur le revenu), tandisqu’une littératureabondantese focalisesur l’effetdes transfertssociauxenespèces,etdeleurcaractèreplusoumoinsciblé(BradyetBostic,2015).Or,uneapprocheanalytiquedelaréductiondesinégalitésmonétairesmetenévidencequatreleviersdistinctspourréduirelesinégalitésentrelerevenuprimaireetlerevenudisponible.

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Cesquatrelevierssontrésumésparl’équationsuivante1 :

Redistribution monétaire = Taux de prélèvement x progressivité + Taux de transfert x ciblage – ε

L’objectifdelaprésenteétudeestdenepascéderàuneffetdefocal(nemesurerque la redistributionfiscale,ouque la redistributionsociale)dans lamesureoù,d’unepart,l’importancerelativedecesdeuxmoyensvaried’unpaysàl’autre,etd’autre part, il existe un effet d’interaction, souvent négligé, entre progressivitéet niveau (de prélèvements et de prestations). Comme lemontre la formule, laprogressivitéconsidéréeseulenerévèleabsolumentriendel’effetredistributifd’unsystème fiscal : on peut atteindre exactement lemême degré de réduction desinégalitésparunsystèmemêlantforteprogressivitéetfaibletauxd’imposition,ouparunsystèmemêlantfaibleprogressivitéethautniveaud’imposition.Enrevanche,pourdesniveauxélevésdeprélèvementoudeprestation,unevariationmodéréedelaprogressivitéouduciblagepeutentraînerdeseffetsredistributifsimportants.

Si ces effets théoriques sont connus, aucun pays ne pousse au maximum lesquatreleviers.Enréalité,chaquepaysmetenœuvreunmodèlederedistributionquiluiestpropre,fruitd’arbitrageséconomiquesetpolitiques.Notreétudeconsistedoncàmesurerlesvaleursdecesdifférentsparamètres,pourrendrecomptedel’efficacité des différentes configurations nationales existantes. Précisons enfinque notre étude se concentre sur la description des systèmes de prélèvementsetprestationsetneportepassurleséventuelseffetsretourdecessystèmessurl’emploietlessalaires.

II-Périmètredel’étudeL’analyse porte sur 22 pays de l’OCDE, pour un ensemble de 67 observations,étalées dans le temps de 1999 à 2013. Les données utilisées sont les micro-donnéesduLuxembourgIncomeStudy(LIS)quicompileetharmonisedesenquêtesnationalessurlerevenudesménages.LesdonnéesduLISsontconsidéréesparlalittératurecommeétantlesplusexhaustivesetcomparablespourmesurerl’effetdesprestationssociales2.

Demanièreoriginale,nousyimputonslesprélèvementsobligatoiresnonobservés(cotisationsemployeur,etlecaséchéant,cotisationssalarié–ycomprisCSGpourlaFrance),surlabasededonnéesfiscalesOCDEetdedonnéesdeconsommationEurostat.Lesprestationsennature,lesavantagessociauxissusdesentreprises,ainsi que les impôts locaux sont exclus de l’étude. Nous prenons en comptel’ensembledestransfertssociaux,etplusde80%del’ensembledesprélèvements1 Ils’agiticid’uneformesimplifiée,l’équationexacteestpréciséedansZemmouretGuillaud(2017).Voirégalement

Guillaud,OlckersetZemmour(2017).Nousnégligeonsiciletermeε,quicorrespondàl’effetdureclassementdesménages : la part des prélèvements (prestations) dont l’effet n’est pas de diminuer l’inégalité de revenus,maisdemodifier l’ordredesménagesentredeuxconceptsderevenu.Dans laplupartdescas,cetermeest faibleetnégligeable.

2 Encelanotreétudecomplètelesétudesconduitesenmicro-simulationpourlespayseuropéensàl’aidedumoduleEUROMODdelaCommissionEuropéenne(Avram,LevyetSutherland,2014;VerbistetFigari,2014),etaboutitàdesrésultatscompatibles.Elles’endistinguedanslamesureoùelleinclutaussidespaysnoneuropéens(États-Unis,Australie,Canada),ets’appuiedavantagesurdescomportementsobservésquesimulés.

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obligatoires(contre35%pour lesétudesprécédentesutilisant lesmicro-donnéesduLIS):impôtsurlerevenu,cotisationssociales,ettaxessurlaconsommation.Cefaisant,nouslevonsunbiaisdecomparaisonimportantdelalittératurequineconsidèregénéralement,parmanquededonnées,quel’impôtsurlerevenuetlescotisationssalarié(Figure1).L’imputationdesdonnéesfiscalesmanquantesaccroîtsensiblementlamesuredelaredistributionopéréeparlesprélèvementsobligatoiresdansdespayscommelaFrance,laSuède,laRépubliqueTchèqueoul’Allemagneoùlescotisationsemployeursontsignificatives.Enfin,nousconstruisonsunepremièreestimationde l’effetanti-redistributifdes taxessur laconsommation.

Figure 1. Taux de couverture des prélèvements obligatoires, avant et après imputation

Nous proposons une analyse séquentielle de la redistribution (Figure 2) qui va du revenuprimaireaurevenubrutpar l’ajoutdestransferts;puisdurevenubrutaurevenudisponiblevialasoustractiondesimpôtsetcotisationssociales;etenfinaurevenudisponiblenetvialasoustractiondestaxessurlaconsommation.Laredistributionestmesuréeparl’écartentrelescoefficientsdeGiniauxdifférentesétapesdurevenu.Lapopulationconsidéréeest l’ensembledesménages,ycompris lesménagesderetraités.Parsoucidecomparabilité,lesretraitespubliquessontinclusesdansladistributionprimairedurevenuaumêmetitrequelesretraitesprivées,etlestransfertssontanalyséshorspensions.Uneanalyseséparéedel’effetdesretraitespubliquessurl’égalitédesrevenusestégalementconduite.

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Figure 2. Enchaînement séquentiel des différents concepts de revenu

III-PrincipauxrésultatsEn premier lieu, nos résultats montrent la prépondérance de la redistributionfiscale (par les impôts sur le revenuet les cotisationssociales)par rapport à laredistributionsociale(parlestransferts,horspensions).Unpetitnombredepays(Irlande, Royaume-Uni, Danemark, Norvège, Islande) privilégie les transfertssociaux, tandis que dans tous les autres pays la redistribution fiscale domine(Figure3).Pour laFrance, laSuède, lesPays-Baset laFinlande,cediagnosticestconditionnelà lapriseencomptedescotisationssocialesemployeurdanslaréductionfiscaledesinégalités.Deplus,ildoits’interpréterdustrictpointdevuede l’effort de réductiondes inégalitésmonétaires.Uneanalysequi intègrerait lafournituredebiensetservicesennature(santé,éducation)donneraitprobablementdes résultats contrastés.

Figure 3. Contribution respective des transferts et prélèvements à la réduction des inégalités

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L’effet redistributif importantdespensionspubliquesestenoutreconfirmépar l’analysecomplémentairequenousmenons.Ainsi, lemontantdes retraitespubliquesest fortementcorréléàl’égalitédurevenudisponible:celaestdûaufaitque(i)lesretraitespubliquessontdistribuéesdemanièrepluségalitairedanslapopulationquelesrevenusdutravailetducapital(incluant les retraites privées) ; (ii) leur financement repose sur d’importants prélèvementsobligatoiresquiréduisentlesinégalitésentreactifsetinactifs.Ensecond lieu,notreétudemeten lumière l’impactdécisifduniveaumoyendes transfertssociauxdanslaredistributionsociale.Pourexpliquerlesperformancesvariéesdeséconomiesenmatière de réduction des inégalités, le tauxmoyen des prestations (hors pensions) estdéterminant, tandisque ledegrédeciblagedecesprestationssur lespopulations lespluspauvresnejouequetrèspeu.Cerésultats’expliqueparlefaitquelestransfertssociauxétantfaiblesdanslaplupartdespays,leurciblagen’augmentequetrèsmarginalementl’efficacitédusystème(voirEquation1).L’efficacitédelaredistributionfiscaleenrevanchedépenddelacombinaisondutauxetdelaprogressivitédesprélèvements:plusieurspaysatteignentdesredistributionsidentiquespardesconfigurationstrèsdifférentes.Parexemple,l’Autricheetl’Australieobtiennentdesniveauxderedistributionfiscaleidentiques(baisseduGinide0.06),maisletauxdeprélèvementsurrevenubrutatteint36%enAutricheoùlaprogressivitéestmodérée,alorsqu’iln’estquede23%enAustralieoùlaprogressivitédestaxesestbienplusmarquée(Figure4).

Figure 4. La redistribution fiscale, combinaison du taux de taxation et de la progressivité

Lecture : Chaque ligne correspond à un niveau de réduction d’inégalité mesuré en point de Gini. La ligne inférieure correspond à une réduction de 0,02 point de Gini. La réduction des inégalités s’accroît de 0,02 point de Gini en passant d’une ligne à l’autre.

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Notreétudedonneégalementunemesure,plussommaire,del’effetanti-redistributifdes taxes sur la consommation. Les taxes sur la consommation ont un effetglobalementrégressif,plusfortavantlacrisede2008.Cependant,ceteffetnégatifestinférieurdemoitiéàl’effetredistributifdusystèmefiscal,etlargementinférieurà l’effet redistributifdusystèmede transferthorspensions (Figure3).Sansêtrenégligeable,l’effetdestaxessurlaconsommationapparaîtdonccommeuneffetdetroisièmeordre,quiérodemarginalementlaredistributionmonétaire.Concernant la position spécifique de la France, celle-ci apparaît parmi les paysayant une redistribution globale (hors retraite) relativementmarquée (0.10 pointdeGini).L’essentieldecetteredistributionpasseparlesprélèvementsobligatoires- IR, CSG et cotisations (0.06 points deGini) qui excèdent la redistribution parlestransfertsenespèceshorspensions(0.04pointsdeGini).Cetteconfigurationla rapproche de l’Allemagne, de la Finlande, ou de l’Australie (Figure 3). LesprélèvementsobligatoiresenFranceapparaissentd’unniveaurelativementélevéet laprogressivitéestégalement relativementmarquée (Figure4). Il estànoterque laprogressivitéquenousmesuronsestenpartie l’effetdesbarèmes (IRetexonérations de cotisations employeur), mais également le résultat d’un effetd’assiette : une partie significative du revenu desménages les plus modestes,composéde transferts, n’est pasoupeu imposableauxdifférentsprélèvements(notamment les prélèvements sociaux)3. La progressivité des prélèvementssociaux est certes moindre que celle de l’IR, mais leur taux étant plus élevéceux-ci contribuent significativementà la réductiondes inégalités.Cediagnosticdiffèresensiblementdecelui faitpar laplupartdescomparaisons internationalesconcernantlaFrance,quiseconcentrentgénéralementsurl’effetduseulimpôtsurlerevenuetsous-estimentainsifortementlaredistributiondusystèmesocio-fiscalfrançais.

IV- L’empreinte d’arbitrages entre progressivité et taux deprélèvement

Pour finir, nos résultats montrent l’existence d’un arbitrage de facto entreprogressivité et niveau de prélèvement.Ainsi, une forte progressivité des taxes(quel’oninclueounonlestaxessurlaconsommation)necoexistenullepartavecunhaut niveaud’imposition (Figure5).Ce résultat original, valable sur un largeéchantillondepays-annéesetsurdesdonnéesobservéesauniveaudesménages,confirmelesobservationsdeVerbistetFigari(2014)surunéchantillonde15payseuropéensavecdesdonnéessimulées.Enoutre,cerésultatestconciliableavecunautrerésultatdelalittératureselonlequellessystèmessociauxgénéreux(hautniveaudedépensessociales)setrouventdansdeséconomiesàfaibleprogressivitéfiscale(Lindert2004).

3 CephénomèneseretrouveégalementenSuèdeouenAllemagne.

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Figure 5. Corrélation négative entre taux de taxation et progressivité

Nos résultats peuvent se lire à la lumière du « paradoxe de la redistribution » développéparKorpietPalme(1998) : la redistributionn’estpas lasimpleconséquencedeparamètrestechniques.Lebudgetdespolitiquessocialesestlui-mêmefonctiondelastructurede la fiscalité et des prestations sociales, à travers lamédiation politique. La redistributioneffectivequiendécouleetquenousobservonsdanscetteétudeestlefruitdecesinteractionspolitiques.

Références

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Guillaud, E., Olckers, M., Zemmour, M. (2017).Fourleversofredistribution:Theimpactoftaxandtransfersystemsoninequalityreduction.LISworkingpaperseriesNo.695.

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Lindert, P. H. (2004).Growing public: Volume 1, the story: Social spending and economicgrowthsincetheeighteenthcentury(Vol.1).CambridgeUniversityPress.

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Piketty, T., Saez, E. (2007).HowProgressiveistheU.S.FederalTaxSystem?AHistoricalandInternationalPerspective.JournalofEconomicPerspectives,21(1),3-24.

Verbist, G., Figari, F. (2014).The redistributiveeffectandprogressivityof taxesrevisited:AnInternationalComparisonacrosstheEuropeanUnion.FinanzArchiv:Public Finance Analysis, 70(3), 405-429.

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Laprotectionsocialedusportifsalarié(thèsesoutenueàl’universitéJeanMoulinLyon3en2016–675pages)

Par Xavier Aumeran, chargé d’enseignement aux Universités Jean Moulin Lyon 3 et Paris 1 – Panthéon-Sorbonne

Docteur en droit privé, Chargé d’enseignement aux Universités Jean Moulin Lyon 3 et Paris 1 – Panthéon – Sorbonne. Membre de l’Équipe de recherche Louis Josserand (Lyon 3), ses travaux de recherche portent principalement sur le droit de la protection sociale et le droit du travail

Letravaileffectuédanscettethèseseproposed’associerledroitdelasécuritésociale,droitgénéral,interprofessionneletd’ordrepublic,avecunsecteurd’activitéparticulier,lesport.

Au-delà de son actualité, l’association est fructueuse en raison des particularismes queprésente l’activité sportive salariée, lesquels se retrouvent parfois dans d’autres activitésprofessionnelles.

Il en est ainsi sa nature, l’activité sportive exposant l’individu à des risques professionnels(blessures,maladies,…) d’une intensité rare et impliquant systématiquement l’évolution decelui-ci vers une nouvelle activité professionnelle. Il s’agit également de son organisationinstitutionnelle, à travers le pouvoir tutélaire des fédérations sportives nationales etinternationales.Ils’agitenfindel’organisationcontractuelledel’activité,parl’implicationd’unediversitéd’acteurs,parmi lesquels leclubs,maisaussi lespartenairesprivésetpublics,ouencorelesorganisateursdemanifestationssportives..

L’activitésportiverémunéréeprésentel’ambivalenced’unestructurationàlafoisenretardsurlestechniquescollectivesdepriseenchargedesrisquesavecunrecoursmassifàl’assuranceindividuelle, à l’épargne, au paternalisme et aux solidarités de métier ; mais égalementune structuration à l’évidence novatrice face aux impératifs de transitions et mobilitésprofessionnelles,àlacapacitédemobilisationdelanormenégociéedeprotectionsociale,àlanécessairearticulationdesdispositifsdeprotection.

L’association menée des champs disciplinaires permet donc de confronter le droit de laprotectionsocialeàseslimitesetainsidedégagerdesperspectivesdedéveloppementpourl’ensembledesactifs.

Cettethèseentendainsimontrerquelesdispositionslégalesdesécuritésocialeapplicablesausportifsalariésontincomplètesetimpliquentunrecoursàlasécuritésocialeprofessionnelle,organiséeautourdelanormeconventionnelle,afind’assurerunepriseenchargeadaptée.

Letravaileffectués’articuleendeuxtempssuccessifs.

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Lapremièreparties’intéresseaucaractèreincompletdesdispositionslégalesdesécurité sociale. Pour autant, celles-ci ne sont pas inadaptées à saisir l’activitésportivesalariée.Eneffet,etendépitdesagénéralité,ilapparaitqueledroitdela sécurité sociale dispose d’une capacité certaine à intégrer les particularitésde l’activité sportive. Il n’y a donc pas lieu de substituer une protection socialeconventionnelleàlaSécuritésociale,maissimplementdecomplétercettedernière,voireparfoisdepalliersescarences.

Dès lors, la seconde partie démontre l’efficience de la norme conventionnelle àservir de vecteur essentiel à une sécurité sociale professionnelle du sportif, etplus largement de l’actif. Les techniques contractuellesévoquéespermettent deforger,auplusprèsdel’individu,desrèglesadaptéesauxbesoinsdeprotection.Ils’agitnotammentd’assureruneréparationamélioréeencasderéalisationd’unrisqueetdeprévenircesdernierspar ledéveloppementdestructuresparitaires,d’un suivimédical efficient, d’unmaintien de l’employabilité de l’individu et d’unaccompagnement socioprofessionnel. La proposition de règles adaptées permetàlanormenégociéed’articulerlesformesexistantesdeprotectionetlesacteursconcourantdéjààlasécuritésocialeprofessionnelledusportifsalarié.Àcettefin,ledécloisonnementdesdroitsde laprotectionsociale,du travailetdusportestencouragé.

Ce travail montre que l’activité sportive rémunérée constitue manifestement unlaboratoiredesmutationsdel’activitéprofessionnelleetdelaprotectionsocialequileurestassociée.Alorsquelesformesd’organisationdel’activitéprofessionnellesontenconstanteévolution,lesujetestparticulièrementd’actualité

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Quandlaprisonprendsoin:enquêtesurlespratiquesprofessionnellesdesantémentaleenmilieucarcéral enFranceetenAllemagne1

Travailderecherchedoctoralefinancéparl’attributiond’unebourseEN3S

Par Camille Lancelevée, chargée d’études à la direction de l’administration pénitentiaire, ministère de la Justice

Camille Lancelevée est docteure en sociologie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS, Paris) et chargée d’études à la direction de l’administration pénitentiaire, ministère de la Justice.Elle a été lauréate de la bourse de thèse de l’EN3S en 2009.

Incarcérerpoursoigner:quandlaprisondevienthospitalière?Àlafindesannées1990enFrance,plusieursobservateurstirent lasonnetted’alarmefaceà l’augmentation du nombre de personnes présentant des troublesmentaux en prison. Lapublicationd’unrapportsur lagestiondelasantédanslesétablissementspénitentiairesendécembre1999parPierrePradier,ancienprésidentdeMédecinsduMondeestrelayéedanslapressenationalepardesarticlesauxtitreshyperboliques:«L’horreurpsychiatrique»,«Ledésastre psychiatrique carcéral », «Prison : un enfer pour lesmaladesmentaux »2. Cette indignations’affichedansdeuxrapportsparlementairesquimarquent l’apogéed’unépisoded’indignationpubliqueautourdesdysfonctionnementsdesprisonsfrançaises,jugéesbienen-deçàdesstandardsd’unesociétédémocratiqueavancée.Pourlesrapporteursdel’AssembléeNationaleetduSénat,laprésenceimportantedepersonnesprésentantdestroublesmentauxenprisonestl’unedesmutationslesplusfrappantesdelapopulationpénale3.

L’expressionde«prisonasile»devient l’expressionpharedecemouvementd’indignation.Onlaretrouvedanslesrapportsparlementaires,dansdespublicationsmilitantes,tellesquel’ouvrage publié par l’Observatoire international des prisons en 2005 sur les conditions dedétentiondanslesprisonsfrançaises:«Lesréformesprésentesetàvenirtendentpourtantàfairedelaprisonl’asileduXXIe siècle4».L’expressionrevientfréquemmentsouslaplumedepsychiatresexerçantenmilieupénitentiaire:onretrouveainsidanslesarticlesetrapportsdel’époque lesnomsd’EvryArcher,CatherinePaulet,PhilippeCarrière,OdileDormoy,GérardLaurencin,BettyBrahmy,CyrilleCanettiouencoreChristianedeBeaurepaire,psychiatresouchefsdepsychiatrieenmilieucarcéral.Danssonauditiondevant lesdéputés,EvryArcher,alors chef de service psychiatrique à Lille explique ainsi : « Il s’agit là d’une régression,

1 Thèsedisponiblesurleportaildocumentairedel’EN3S.2 FranceSoir,Jean-FrançoisCrozier,8décembre1999 ;L’Humanité,E.F.,8décembre1999 ;Libération,JacquelineCoignardet

DominiqueSimonnot,7décembre1999.3 Mermaz Louis, Floch,Jacques,Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises,

Assemblée nationale,juin2000,p.65.HyestJean-Jacques,CabanelGuy-Pierre,Rapport du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France,juin2000,p.44

4 Observatoire International des Prisons, Les conditions de détention en France,LaDispute,2005.

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d’un retouràuneconfusiondesinstitutionsetdesfonctionssociales:placementdansunmêmelieudemaladesmentauxetdedélinquants,commecelasefaisaità LaBastille, par exemple, avant la distinctionentre la prison républicaineet lapsychiatrie moderne. » Et tous s’inquiètent de voir la prison « endosse(r) unevocationasilaireperdueparleshôpitauxpsychiatriques»5.Danscespublications,aux statuts et aux intentions différentes, « l’asile » semble constituer un idéal-typenégatif,dontlesensestsous-entendu:asileestsynonymed’unespacederelégation,unlieudemiseàl’écart.Ilcharrieununiversdereprésentationquisembletoutdroit tirédesdescriptionsanti-psychiatriquesdesannées1970,quivoyaientalors l’hôpital psychiatriquecommeune institutiondéshumanisante, soupçonnéedechroniciserlespathologiesentenantlesmaladesàl’écartdelasociétésousunetutellepsychiatriquearbitraire.Laréférenceàl’asileestdoncutiliséepourdénonceruneprisonquiaccueilledesfousmaisnelessoignepas–oumal.Dernierépisoded’un long feuilletonautourdupartageentrecrimeet folie, cetteindignation témoigned’undésajustementde l’institutioncarcéralepar rapportaupublicqu’elleaccueille.Néanmoins,nousallonsmontrerdanscetarticlecommentle rôle de la prison comme lieu de soin semble validé, une décennie plus tard,à la faveurd’uncontextedepaniquemoraleautourde ladangerositéprésuméedesauteursd’infractionsprésentantdes troublesmentaux.Si laprison,critiquéepoursoncaractèreasilaire,sembledevenirunlieudesoinlégitime,ladifficultéàdélimiter lescontoursduproblèmedes troublesmentauxentresantéetsécuritépubliquesetraduitcependant,auseindesétablissementspénitentiairespardesquestionnements professionnels nombreux autour des missions de l’institution,entresoigneretpunir.

Cetarticles’appuiesurlesrésultatsduvoletfrançaisd’unerecherchedoctorale(Lancelevée,2016)portantsurlespratiquesprofessionnellesdesantémentaleenmilieucarcéralenFranceetenAllemagne.Alorsquel’Allemagnedisposedepuislesannées1930d’hôpitauxpsycho-légaux(Maßregelvollzug)pourlesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentaux,lesprisonsfrançaisessedotent,àpartirdesannées1970,deservicespsychiatriquesdestinésauxpersonnesdétenues.L’entréedeprofessionnelsensantémentaledanslesétablissementspénitentiairesposelaquestiondel’hybridationdusoinetdelapeine.Cettethèseinterrogecettehybridationdansuneperspectivecomparativefranco-allemande:enrevenantsur les lienshistoriquestissésentrepsychiatrieetsystèmepénaldans les deux pays, l’analyse montre comment les héritages institutionnelséclairentlerôledesprofessionnelsensantémentaledansladivisiondutravaildepriseenchargedespersonnesplacéessousmainde justice.Àpartirdesterrainsethnographiques(observationsetentretiens)réalisésdansdeuxprisonsallemande et française d’une durée respective de cinqmois, la thèse étudielesmodalitésd’articulationdespratiquespsychiatriquesetpénitentiaires:silaprisondeTourion(France)seprésentecommeuneinstitutionfragmentée,dans

5 Cyrille Canetti dans Le Monde du 17 avril 2002

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laquelle lesservicesdesoinpsychiatriquese tiennentenmargedutraitementpénitentiaire, la prison de Grünstadt (Allemagne) est le lieu d’une coopérationrenforcée des personnels soignants et pénitentiaires autour du suivi psycho-criminologiquedespersonnesdétenues.Dans lesdeuxpayscependant, laprésencedecesprofessionnelsengendredeseffetsambivalents: toutenproduisantde l’attentionpourlasouffrancepsychiquedespersonnesdétenues,elleparticipeàlégitimerl’idéequelapeinedeprisonpourraitêtrethérapeutique.Cettethèseillustreinfinelesambivalencescontemporaines d’une institution pénitentiaire, dans laquelle s’entrelacent la peine et lesoindansdesagencementsinsolites,maiségalementl’undesdernierslieuxd’accueildecertainesformesdefolie.

I-Troublesmentauxenprison :entreproblèmedesantépubliqueetenjeu de sécurité nationale.En l’absence d’étude longitudinale, l’hypothèse d’une augmentation des troubles mentauxenprisonnepeutêtreconfirméeaveccertitude.Néanmoins,uneenquêteépidémiologiquede 2004 (Falissard et al., 2006) affiche des prévalences psychiatriques très importantes :environ30%despersonnesdétenuesprésenteraitaumoinsuntroublepsychiatriquegrave.Un faisceau d’indices semble par ailleurs confirmer cette augmentation. En réponse à cephénomène, lamiseenplaced’unitéspsychiatriquesdédiéesexclusivementauxpersonnesdétenues (lesUHSA,unitéshospitalièresspécialementaménagées)vientvalider l’idéequel’institutioncarcéralepeutêtrepourvoyeusedesoinspsychiatriquesdequalité–etque lesauteursd’infractionprésentantdestroublesmentauxgravespourraientyavoirleurplace.

I.1/ De l’asile à la prison : des « vases communicants » ?À partir de l’étude des statistiques hospitalières et carcérales depuis lemilieu des années1850,BernardHarcourtetSachaRaoultmettentenévidenceun«effetmiroir»entrelesdeuxinstitutions :à l’époquecontemporaine, legraphique tiréde leurétude laissepenserque laprisonprendraitenchargeceuxquel’hôpitalpsychiatriquen’accueilleplus.

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Légende du graphique : Population incarcérée (courbe grise) et hospitalisée (courbe orange) et nombres de litsd’hospitalisationenpsychiatrie(courberouge)entre1851et2006.GraphiquetirédeHarcourt,Raoult,2014.

Iln’yaévidemmentpasdetransfertdirectdepopulationoudevasescommunicantsentre l’hôpitalet laprison,néanmoins,plusieurs indicescorroborent l’impressionpartagée par les acteurs du monde carcéral d’une augmentation massive dunombredepersonnesprésentantdestroublesmentauxenprison.

Toutd’abord,lepourcentagedepersonnesdéclaréesirresponsablespénalementnecessedediminuerdepuisledébutdesannées19806enraisondestransformationscombinéesdel’expertisepsychiatriqueetdelapratiquepénale.Unnombreimportantd’expertspsychiatrestendeneffetàplaiderenfaveurd’une«responsabilisationpénale»despersonnesprésentantdestroublesmentaux(Protais,2016), tandisquelarévisionducodepénalen1992permetdecondamneràdespeinesdeprisonlespersonnesdontlediscernementauraitéténon«aboli»mais«altéré»paruntroublementalaumomentdesfaits.Enoutre,siaucuneétudeneleconfirme,lesobservateursdelajusticetémoignentd’unesévéritépénaleaccruedesjuridictions(etnotammentdesjuryspopulaires)àl’égarddespersonnesdontlediscernementaurait été altéré.

Par ailleurs, la politique d’ouverture des hôpitaux psychiatriques, qui se traduitnotammentparunediminution importantedescapacitésd’accueil etdunombredelitsdesserviceshospitaliersavraisemblablementfavorisélaprécarisationdespatientslesmoinsbieninséréssocialement,susceptiblesdetomberdansuncercle

6 BarbierGilbert,DemontèsChristiane,LecerfJean-René,MichelJean-Pierre,Prisonettroublesmentaux:Commentremédierauxdérivesdusystèmefrançais?Rapportd’informationduSénatn°434(2009-2010)faitaunomdelacommissiondesloisetdelacommissiondesaffairessociales,mai2010.

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vicieuxfaitdepetitedélinquance,deprisesenchargeponctuellesenmilieulibreetdepassagesenprison,àlasuitedeprocéduresdejugementaccéléréestellesquelescomparutionsimmédiates.

Depluslaprisonestsuspectéedecontribueràl’augmentationdestroublesmentauxdufaitdemauvaisesconditionsdedétention(hygiène, insalubrité,surpopulation,éloignementfamilial)etdeladifficultéàdonnercorpsàl’objectifderéinsertion(manqued’activités,difficultéspourtrouverunlogementetunemploiàlasortie).Danscesconditions,riend’étonnantàcequelemal-êtresedéveloppe,quelessuicidessemultiplient(Duthéetal.,2011),maiségalementquelespathologiess’aggravent.Unepsychiatreexpliqueainsi:«Onobservedesdécompensationspsychiatriquessurlemodedeboufféesdélirantesaiguëschezdessujetsquin’avaientjamaisétérepéréscommemaladesmentauxàl’extérieur»(Brahmy,2005).

I-2/ En prison mais à l’hôpitalDanscecontexte,laréponsedespouvoirspublicsàl’indignationsoulevéeparla«prison-asile»apparaîttoutàfaitparadoxale:alorsquetousdénoncentlaprésenceenprisondepersonnesquin’yauraientpasleurplace,leministèredelajusticeannonce,en2002,lacréation«d’unitésspécialementaménagées»(quideviendrontUHSAavecunHpour«hospitalières».Faceàl’alternativedefairesortirlesmaladesmentaux7,lechoixestfaitdefaireentrerunpeuplusl’hôpitalpsychiatriqueenmilieucarcéral.Cesnouvellesstructureshospitalièressontprésentéescommeuneréponsetechniqueàladifficultéd’hospitaliserdespersonnesdétenuesenmilieuouvert(difficultéd’organiserdesescortes,réticencesdeséquipeshospitalières,questiondelagardestatique,etc.)etcommelasuitelogiquedelalonguehistoiredel’améliorationdel’accèsauxsoinsdesantémentale(voirtableau).Depuis1986,lesservicesmédico-psychologiquesrégionaux offrent en effet un niveau de prise en charge ambulatoire et d’hospitalisation dejour ; les UHSA, qui proposent une hospitalisation complète, avec ou sans consentementsontprésentées8commeuncomplémentnécessaireàcedispositif.Ensomme,cesnouvellesunitésflambantneuvestémoignentdelavolontéd’humanisationdel’institutioncarcérale–toutenvalidantl’idéequelesauteursd’infractionprésentantdestroublesmentauxpourraientêtresoignésenprison.Cettecréationinstitutionnellesoulèvedonclaquestiondesavoiràquoisertlaprison, i.e.siellenesertpasprincipalement,pourcertainsdétenusquipurgeronttoutoupartiedeleurpeineenUHSA,àprodiguerdusoin.

7 Il fautattendre2011pourque l’idéede revoir lesprocéduresenamontde l’incarcération resurgisse,dansun rapportduSénatportantsur«lapriseenchargedespersonnesatteintesdetroublesmentauxayantcommisdesinfractions».En2014,leministèrede laJusticemetenplacedeuxmesuresvisantàcorrigerunéventuelmauvaisaiguillage : lasuspensiondepeinepour raisonpsychiatrique(dontlesmodalitésd’applicationrestentcependantàétudier,eneffet,lespersonnesadmisesensoinspsychiatriquessansleurconsentementensontexclues)etl’obligation,pourlesjuridictions,deconsidérerl’altérationdudiscernementcommeunecirconstanceatténuante(ou,etlanuanceestimportante,demotiverleurdécisiondanslecascontraire).Voirlesarticles51et17delaloin°2014-896du15août2014relativeàl’individualisationdespeinesetrenforçantl’efficacitédessanctionspénales.

8 Cette terminologieest reprisedans lespublicationsofficielles,voirparexemple leguideméthodologiquesur lapriseenchargesanitairedespersonnesplacéessousmaindejusticepubliéen2012.

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1967 6Centresmédico-psychologiquesrégionaux(CMPR)gérésparl’administrationpénitentiaire

1977 17 CMPR gérés par les directions départementales de l’actionsanitaire et sociale

1986

26ServicesMédico-Psychologiques(SMPR),créationdusecteurdepsychiatrieenmilieupénitentiaire.Interventionambulatoireet250placesd’hospitalisationdejour.Lespersonnes détenues dont l’état serait jugé incompatible avec unmaintienendétentionsonthospitaliséesd’officedans lesservicespsychiatriqueshospitaliersenvertude l’articleD.398ducodedeprocédurepénale.

2002

17(prévues)UnitésHospitalièresSpécialementAménagées(UHSA).Hospitalisationscomplètesavecousansconsentement.Ilexisteaujourd’hui9UHSAquidisposentde450litsd’hospitalisation(Lyon,Nancy, Toulouse, Orléans, Paris, Lille, Rennes, Bordeaux, Marseille).

Présentées comme une solution de continuité en matière d’accès aux soinspsychiatriques en prison, les UHSA sont mises en place dans un contexte depréoccupation des pouvoirs publics pour la question de la « dangerosité ». Enattestent les différents rapports commandés par les autorités publiques sur laquestion(lesrapportsdits«Burgelin»en2005,«Garraud»et«Goujon,Gautier»en2006,«Lamanda»en2008)9quiproduisentunecertaineconfusionentrecequi relève du troublemental et ce qui relève du crime.Si ces textes rappellentrégulièrement« lecaractèreplurieletmultifactorielde ladangerosité»,cen’estsouventqu’uneprécautionde langage,quin’empêchepas lesauteursdeparlerensuiteausingulierde« la»dangerosité,englobantderrièrececonceptflou lerisque de récidive des actes jugés les plus intolérables (violences sexuelles) etlaviolencesupposéedesindividusprésentantdegravestroublespsychiatriques.Cettenotion,quedenombreuxauteursjugenttoutbonnementindéfinissable(voirCartuyvels et al., 2012) permet également d’entretenir l’idée que la criminalitérenvoieàuntroubleindividuel,quidoitpouvoirêtreprisenchargeparlapsychiatrieou la psychologie. Fusionnent ainsi dans ces rapports et dans les lois qui s’eninspireront10 « deux figures fantasmatiques […] : le « criminel monstrueux » etle « fou dangereux » (Moreau, Protais, 2009). C’est la prison qui est sollicitéepourneutraliser–maiségalementtraiter–cespersonnesdontilsembledevenuindispensabledeseprotéger.LamiseenplacedesUHSAentreainsienrésonanceavecunetransformationplusprofondedelapénalité,quitendàs’appuyersurlesoinpourlégitimerlapeine.

9 Touscesrapportsvisentàapporter«desréponsesàladangerosité»etserontunesourced’inspirationpourétendrel’arsenallégislatifvisantà«luttercontrelarécidive».

10 Toutparticulièrementlaloidu25février2008relativeàlarétentiondesûretéetàladéclarationd’irresponsabilitépénalequidanssonintitulémêmeproduitdelaconfusionentrelaquestiondutraitementdesauteursd’infractionsprésentantdestroublesmentauxetdelarécidivedespersonnescondamnéesàdelonguespeines.Signedecetteconfusion,enaoût2007,àlasuitedel’enlèvementd’unenfant,NicolasSarkozyproposedefairedesUHSAalorsenprojet,un«hôpitalpourpédophiles»(voirCollectifContrast,2015).

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II-Soigneroupunir?Confusionmorale,tensionsprofessionnellesLoindeconstituerunprogrammeinstitutionneluniqueetfédérateur,latendanceàfairedelapeineunmomentdetraitementproduitdestensionsetdesconflitsimportantsentrelesdifférentsgroupesprofessionnelsinscritsdansl’espacepénitentiaire.Àpartirdel’analysededeuxsituationsobservéesaucoursduterrainderechercheréalisédanslamaisond’arrêtdeTourionentremaietoctobre2011,cettepartieentendillustrerleseffetsambivalentsdecesmouvementscroisésdecriminalisationdesmaladesmentauxetdepathologisationducrimesurletraitementdespersonnesdétenues.

II-1/ Malade ou déviant ? La figure du fou criminel

Depuis ledébutdu19èmesiècle, laquestiondesavoiroùcommence lecrimeetoùs’arrêtela foliea fait coulerbeaucoupd’encre : lesquelqueshistoriensqui se sont intéressésà laquestion(Renneville,2003parexemple)montrentqu’ilyatoujourseuunezonegrisedanslaquellecettedistinctionentrecrimeetfolieestsourcededébatssansfin.Lesobservationsconduitesenmilieucarcéralpermettentderéfléchiràladélimitationfluctuantedecettezonegrise,quiproduitcequeLornaRhodesaappeléune«angoisse taxinomique»c’est-à-direunedifficultéàcaractériserlescomportementsetàopérercettedistinctionentredévianceetmaladie(Rhodes,2000).Cetteangoissetaxinomiquesoulèvedesenjeuxdedivisionsocialeetmoraledutravailtoutparticulièremententreprofessionnelspénitentiairesetprofessionnelsdesantéetproduisentunecertaineconfusionentrecrimeetfolie. Un matin de mai 2010, l’accès à la prison de Tourion est bloqué par des surveillant(e)s en signe de protestation contre ce qu’ils estiment être une dégradation de leurs conditions de travail dans des prisons surpeuplées et face à des détenus qu’ils jugent de plus en plus violents. L’événement déclencheur a eu lieu la veille : un agent a été agressé par un détenu au moment où il ouvrait la porte de sa cellule. L’homme a jeté en direction du surveillant une casserole d’huile bouillante, que celui-ci a réussi à esquiver partiellement. Il a été brûlé superficiellement à la tête et au dos, transféré au service des grands brûlés de l’hôpital voisin et il est en état de choc selon les collègues qui manifestent ce matin-là. Une semaine plus tard, je discute de l’événement avec l’une des directrices de l’établissement. Selon elle, l’émoi est d’autant plus grand que le surveillant blessé « n’est pas du genre provocateur» et que « personne n’a prévu cette réaction du détenu ». L’homme, que la directrice désigne par son patronyme, Kadar, avait certes passé quelques jours en hospitalisation d’office en état de « décompensation psychotique» avant l’événement, mais « il n’y avait pas eu d’incident depuis son retour, il y a quelques semaines», jusqu’à cette agression, en apparence planifiée : « en plus de l’huile, il avait préparé une lame artisanale, il a été particulièrement difficile à maîtriser». La directrice m’explique : « cette agression est en train de relancer la machine du « qu’est-ce qu’il fait en prison? Il n’a pas toute sa tête, il devrait être à l’hôpital, pas chez nous ! » ; D’autant que les personnels ne sont pas formés, donc la peur est un peu exacerbée». Quant au détenu, j’apprends qu’il a été sanctionné de 30 jours de quartier disciplinaire, le maximum légal. Selon la directrice : « on ne pouvait pas faire autrement vu la gravité de l’agression ». Mais elle m’explique qu’elle attend l’avis des psychiatres. « Vu le profil, je pense qu’il va repartir en HO

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(hospitalisation d’office) et c’est mieux, parce que, pour nous, il est ingérable ». Quelques mois plus tard, l’affaire est portée devant la justice : sous la plume d’un journaliste local, on peut lire que l’homme explique son geste par la colère. Au tribunal, il dit avoir été « poussé à bout par l’administration» qui refusait de le laisser travailler et d’accéder à sa demande de transfert. L’avocat du détenu tente de faire valoir son irresponsabilité et insiste sur « l’impasse dans laquelle se trouvent les délinquants à mi-chemin entre l’hôpital psychiatrique et la prison». Monsieur Kadar est condamné à dix-huit mois de prison ferme supplémentaires et 1 500 euros de dommages et intérêts.

Extraits du journal de terrain, Tourion, 2011

Cet événement extraordinaire vient s’inscrire dans ce qu’on pourrait appeler la«mémoirevive»del’institutioncommeunehistoirequetousconnaissentetquetous redoutent. Cette anecdote, comme toutes celles auxquelles elle succède,contribueànourrirl’idéequelafolieseraitàl’originedecomportementsirrationnels,imprévisibles,dangereux : violencesmonstrueuses, suicidesspectaculaires,etc.Cescomportementssontappréhendésparlespersonnelspénitentiairesautraversdesrisquesqu’ilscomportent:risqued’agressiond’abord,maiségalementrisquedefauteprofessionnelles’ilsn’ontpasétéenmesured’anticiperuneagressionouunsuicide.Lespersonnelspénitentiairesontainsi le sentimentd’avoir la lourdecharged’unproblèmequinerelèvepourtantpasdeleurcompétence:lestroublesmentaux.

On peut ici souligner que les discussions autour du cas deMonsieur Kadar seconcentrentsurlesmotivations(préméditation,mobile,etc.)dugeste,audétrimentd’une réflexion sur le contexte carcéral. Les tentatives de suicide soulèvent enprisonlemêmetypedequestionnement:a-t-onaffaireàunestratégie,duchantageouàuneauthentiquesouffrance?Or,laréductiondugesteàsaseuledimensionstratégique (manipulation) ou à sa seule dimension pathologique (souffrance,maladie) fait abstraction du contexte : celui de conditions de détention difficilesdansunemaisond’arrêtsurpeuplée.DanslecasdeMonsieurKadar,commedansdenombreusesautressituations,onpeutsedemandersilafoliedugesten’estpaspourpartiedéterminéeparlaprison,quiconstitueeneffetune«structuresocialefragileauxeffetsimprévisibles»notammentparcequ’elleproposepeud’espacesdenégociationetdeconflictualisation(Chauvenetetal.,2008).

Maislarésolutiontoutàfaitparadoxaledecetteaffaireillustrelaconfusionmoralequientourelapriseenchargedestroublesmentaux:l’hommenesemblepas‘avoirsaplaceenprison’,ilestpourtantcondamnéàunepeinedeprisonsupplémentaireet sanctionné d’un séjour de 30 jours au quartier disciplinaire. Il est condamnémais on espère qu’il sera placé aussi vite que possible en hospitalisation sansconsentementpourdéchargerladétentiond’unesituationjugéeingérable.Surleplanjudiciaireetdisciplinaire,MonsieurKadarestjugéresponsabledesesactes,maissurleplanmédical,onleconsidèrecommeincapabledeconsentiràdessoins.

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Aufinal,MonsieurKadarrisquedepasserunepartsubstantielledesapeinedansunservicehospitalier.Malademaisaussicoupable,ilestfinalementcondamné…àsesoigner.Lesprofessionnelscomposenticidefaçonpragmatiqueaveclesmoyensàdisposition,maisl’ensembledesdécisionsprisestémoignedel’ambivalencemoraledutraitementapporté,entrepunitionetsoin.Ladéfinitiondu«bontraitement»génèredansd’autressituationsdestensionsprofessionnelles,toutparticulièrementautourdumandatdeséquipesdesantémentale.

II.2/ Punir ou soigner ? Des soins à la demande du jugeSi certains souhaiteraient voir les mesures d’obligations et d’injonction de soin11 s’étendre auquotidiencarcéral,iln’yajusqu’àaujourd’huiaucuneobligationàentreprendredessoinspsychiatriquesoupsychothérapeutiquesenprison.Néanmoins, commevont lemontrer lesextraitsdeterrainprésentésci-dessous,lajusticeneseprivepasd’influersurlaconduitedessoins,parl’intermédiairedesjugesd’applicationdespeines.Cesjugesconstituentunacteurcentraldeladétention:ilsonteneffetlepouvoirderaccourcirladuréedeladétentionparlejeudesréductionsetdesaménagementsdepeine;leursdécisionssontdoncparticulièrementdéterminantespourlespersonnesdétenues.Lesextraitsproposésci-dessoussonttirésd’unecommissiond’applicationdespeines12.Pourchaquepersonnedétenue,lejugetentederepérerlesindicesquiluipermettraientdetrancherenfaveurouendéfaveurd’uneréductiondepeinesupplémentaire.Or,lamiseenœuvred’unsuivipsychiatriquefaitpartiedesindicesdemériteetsuscitedelapartdujugedescommentairesfréquents:

À propos de Monsieur Kuru, qui a fait « des démarches partout, y compris au SMPR [service de soins psychiatriques] où il est sur liste d’attente », le JAP s’exclame : « Mais il n’a pas besoin de suivi lui, c’est un vol ! ». Le substitut du procureur s’interroge, de même, pour Monsieur Wynck : « SMPR ? Pourquoi ? ». Regardant le dossier, il se met à rire à gorge déployée : « Il est là pour chèque falsifié ! Ah oui, c’est sûr, ça révèle une lourde souffrance les chèques sans provision ! Non mais ! ». À l’inverse, le suivi est recommandé dans d’autres cas : « Monsieur Fouquet, son casier judiciaire, c’est agressions sexuelles à gogo, il faut qu’il fasse des soins ! ». La conseillère pénitentiaire objecte : « Oui, mais il souffre de grosses carences intellectuelles ! ». « Raison de plus ! » commente la juge. Idem pour Monsieur Tulpan, condamné pour vol avec violence et prévenu pour viol en réunion. C’est la directrice qui s’étonne ici : « Il est prévenu pour viol et pas suivi par le SMPR ? ». En réponse, la JAP indique sur son ordonnance : « Il faudrait profiter de cette incarcération pour entamer un suivi psychologique ».

Journaldeterrain,19mai2011

11 Cessoinsàlademandedelajustice,quiexistentdepuislesannées1950,ontvuleursmodalitésdecontrôles’étendredanslesannées1990.Ainsi,lamesurede«l’injonctiondesoin»estcrééeen1998parlaloirelativeàlapréventionetàlarépressiondesinfractions sexuellesainsi qu’à la protectiondesmineurs.Au coursdesannées2000, les contrôles sont renforcéset le champd’applicationdecettemesures’élargitàd’autresinfractions(atteintescriminellesàlavie,lesenlèvementsetséquestrations,lesactesdetortureetdebarbarie,ladestructionvolontairedebiensparexplosifouincendie).

12 Aucoursdecescommissions, le jugedétermine lequotade réductiondepeinessupplémentairesetéventuellementdecréditsde réductiondepeinesàattribueràchaquepersonnedétenue.Cettecommission réunitenoutreunsubstitutduprocureur,unreprésentantdeladirection,leschefsdebâtiment,ainsiqu’unreprésentantduservicepénitentiaired’insertionetdeprobation.

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Cesdifférentscommentaires témoignentde la façondont les jugesd’applicationdes peines – et les différents auxiliaires de justice et personnels pénitentiaires– appréhendent les soins psychiatriques. Ceux-ci sont avant tout considéréscommedessoinstechniques,visantàrésoudreunproblèmedéfinisousunanglecriminologique:celuidelarécidive,ettoutparticulièrementdesrécidivesjugéeslesplusgraves:ainsi,lapriseencharged’unhommecondamnépourdesagressionssexuellesest jugéesplus importantequecelled’unhommecondamnépourvol.Danscettescène,lejuges’octroieunrôledeprescripteurdesoinsparlebiaisdes«ordonnancesjudiciaires»qu’ilremetauxpersonnesdétenues–letermejudiciaired’ordonnance est ici révélateur de cette concurrence des logiques judiciaires etmédicales.Enprescrivantdessoins,lejugevientpesersurlecomportementdespersonnesdétenuesquiont tout intérêtàseconformeràsesattentes,et,ainsi,modifierlafileactivedesservicespsychiatriques.Ducôtédespersonnelsdesantémentale, ces interférences du juge sont accueillies comme autant de tentativesd’instrumentalisation du soin psychiatrique. Individuellement et collectivement,cesacteursdesantédéveloppentdestactiquesetstratégiesdiversesdestinéesàrésisterauxformesdecontrôlesjudiciairesetpénitentiairesdeleuractivité:refusdeparticiperauxréunionspluridisciplinaires,certificatsstéréotypéssansindicationdu contenuni de la fréquencedes soins, etc.Mais cesdemandesde la justiceproduisentaussidesformesdecoopérationetcontribuentaussiàfairebougerleslignesdusoinenmilieucarcéral:onobserveparexempleunespécialisationdecertains psychiatres et psychologues autour des auteurs de violences sexuelles(Lancelevée, 2016).

ConclusionLaquestiondelapriseenchargedesinfracteursprésentantdestroublesmentauxasuscitéd’incessantsdébatsdepuislacréationdelaprisonetdel’hôpitalmodernes.Ces débats tiennent à la difficulté de distinguer de manière claire et définitivecequi relèvede la pathologiementale de cequi relèvede la déviance sociale.L’augmentationdunombredepersonnesprésentant des troublesmentauxet lamiseenplacedeservicespsychiatriquesenprisontémoignentdudéplacementducentredegravitédelapriseenchargedecepublicàlacroiséedusoinetdelafolieverslaprison.Cerééquilibrageinstitutionnelsoulève,enmilieucarcéral,desenjeuxcruciauxpourlesprofessionnelsdesantémaiségalementpourlesprofessionnelspénitentiaires.Si lesministèresde laSantéetde la Justiceont tentéet tententtoujoursparlemoyendegroupedetravailetdeguidesméthodologiquesdeclarifieretdedétaillerlesmissionsdechaquegroupeprofessionnel,lequotidiennecessede soulever des enjeux tout à la fois identitaires et moraux pour les différentsprofessionnels à l’œuvre en prison. Mais ces enjeux sont également politiqueset économiques. Économiques, car les tensions autour dumandat des équipespsychiatriquesenmilieucarcéral,entresantémentale,maintiendel’ordreetluttecontrelarécidiveposentlaquestiondufinancementdesprofessionnelsetservices

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de santé par leministère de la Santé. Politiques enfin, car ces transformationsde la prison s’inscrivent dans unmouvement de défense sociale qui se pare, enl’instrumentalisant,desatourshumanistesdusoin.

BibliographieBrahmy Betty,2005.«Psychiatrieetprison»,Etudes,vol.6,n°402,p.751760.

Cartuyvels Yves, Lancelevée Camille, Bessin Marc, Cliquennois Gaëtan, Dugué Frédéric, 2012. Ce que la dangerosité fait aux pratiques. Entre soin et peine, une comparaison Belgique-France,RapportderecherchepourlaMissionderecherche«DroitetJustice»,236p.

Chauvenet Antoinette, Orlic Françoise et Rostaing Corinne, 2008. La violence carcérale en question,Paris,PUF,347p.

Collectif Contrast,2015.«LacréationdesUHSA:unenouvellerégulationdel’enfermement?»,Déviance et Société,vol.39,n°4,p.pp.429-453.

Duthé Géraldine, Hazard Angélique, Kensey Annie et Pan Ké Shon,2011.«L’augmentationdu suicide en prison en France depuis 1945 », Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, n°4748,p.506510.

Harcourt Bernard, Raoult Sacha, 2014. The Mirror Image of Asylums and Prisons: An International Study.ColumbiaLawSchoolWorkingPaperSeries,n°486,35p.http://web.law.columbia.edu/law-economic-studies/working-papers

Lancelevée Camille, 2016. Quand la prison prend soin. Pratiques professionnelles de santé mentale en milieu carcéral en France et en Allemagne,Thèsedesociologieàl’EHESS,472p.

Moreau Delphine et Protais Caroline,2009.«L’expertisepsychiatriqueentrel’évaluationdelaresponsabilitéetdeladangerosité,entrelemédicaletlejudiciaire.»,Champ penal/Penal Field,vol.V.(http://champpenal.revues.org/7120).

Protais Caroline, 2016. Sous l’emprise de la folie ?: L’expertise judiciaire face à la maladie mentale,Paris,Éditionsdel’ÉcoledesHautesÉtudesenSciencesSociales,312p.

Renneville Marc, 2003. Crime et folie : deux siècles d’enquêtes médicales et judiciaires, Paris, Fayard,526p.

Rhodes Lorna,2000.«TaxonomicAnxieties:AxisIandAxisIIinPrison»,Medical Anthropology Quarterly,vol.14,n°3,p.346373.

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CequelaDépendancefaitaumétier d’infirmièrelibérale.Ethnographie d’une épreuve de professionnalité1

Travailderecherchedoctoralefinancéparl’attributiond’unebourseEN3S.

Par Véronique Feyfant, chercheure associée au Centre d’Études des Rationalités et des Savoirs

Véronique Feyfant est docteure en sociologie. Sa recherche doctorale a porté sur le métier d’infirmière libérale qu’elle a elle-même exercé sur la période des dix années qui ont précédé son doctorat. Elle est actuellement chercheure associée au Centre d’Études des Rationalités et des Savoirs, composante du Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires à Toulouse. Elle enseigne la sociologie à l’Université de Toulouse Jean Jaurès.

Résumé :Qu’est-ce que le fait de travailler auprès de personnes qualifiées de dépendantes, vivant à leur domicile, fait au métier d’infirmière libérale? Les infirmières libérales exercent leur métier avec ce statut libéral qui les contraint en même temps qu’il leur donne la caractéristique majeure de leur professionnalité : l’autodétermination d’une grande partie de leur activité. Cette autodétermination sera mise à l’épreuve lorsque les infirmières devront partager leur travail avec d’autres professionnelles, notamment dans le cadre de l’accompagnement des personnes qu’elles qualifient de dépendantes. Les réponses que les infirmières apportent à ce défi nous révèlent un métier en recomposition qui, en plus d’avoir les caractéristiques du travail sanitaire, endosse celles du travail social. De ce fait, la prise en considération qu’elles font d’éléments contextuels plus larges que ceux mobilisés dans l’évaluation courante de la dépendance nous permet de proposer la notion de dépendance situationnelle.

Qu’est-ceque le faitde travaillerauprèsdepersonnesqualifiéesdedépendantes,vivantàleurdomicile,faitaumétierd’infirmièrelibérale?L’enjeudecettequestionestàlafoissocial,politique et sociologique. L’enjeu social réside dans les solutions que propose une sociétépour s’occuper de ceux qu’elle qualifie de dépendants.Qui, de professionnels ou de non-professionnels,vaaider,soigner,accompagnerlespersonnesquienontbesoin?Quellepartdece travail seraendosséepar les infirmières libérales2 ?Sur le terrain, comments’opère

1 Thèsedisponiblesurleportaildocumentairedel’EN3S.2 Assumantl’entorsefaiteàlalanguefrançaiseennecédantpasàlarèglequiveutquelemasculinsoitneutre,nousavonsfaitle

choixdeparlerd’infirmièreplutôtqued’infirmier.Àcelanousdonnonsdeuxraisons:d’unepartles«infirmières»desexemasculinontétéraresdansnotreenquête(ilestmêmeuninfirmierquinousparleradeluientantqu’«infirmière»).D’autrepart,leshommessontminoritairesnumériquementdanslaprofession:ilsnereprésententque13%del’ensembledesinfirmières.Delamêmefaçon,etpourlesmêmesraisons,nousparlonstoujoursauféminindesintervenantesàdomiciledesautresmétierstellesquelesaidesàdomicile,oulesaides-soignantes.Defaçoncourante,nousparlonsdesprofessionnelles.

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concrètement le partagedes tâchespermettant que les personnes restent vivreà leur domicile ?L’enjeuest aussi politique, et ceàdouble titre.D’unepart lespublicsdépendants (personnesâgées,personnesensituationdehandicap) fontl’objetdepolitiquessocialesdanslesquelleslaquestiondel’aideprofessionnelleest récurrente. D’autre part, les aidants professionnels comptent parmi eux lesinfirmièreslibéralesquisontlacibledevelléitéspolitiquesducontrôletantdeleurdémographiequedelanatureetduvolumedeleuractivité.L’enjeuestscientifique,enfin,carlaquestionposéeenincipitproposed’interrogerdeuxdomainesinvestispar la sociologie : celui de la dépendance et celui des professions et groupesprofessionnels.

Le travail de recherche présenté ici permet demettre en évidence le lien entrecesdeuxdomainesd’étudessociologiquesenmontrantleurinfluenceréciproque.D’uncôté,lesinfirmièreslibéralesautodéterminentl’organisationdeleurtravailetélargissentleurconceptiondeladépendanceàlapriseenconsidérationdecetteorganisation(nousparleronsalorsdedépendancesituationnelle).D’unautrecôté,les situations de dépendance, quand elles font intervenir des professionnels dusoin,del’aideetdel’accompagnement,vontmettrelemétierd’infirmièrelibéraleà l’épreuve et le faire évoluer vers unmétier aux conceptions et aux pratiquesvoisinesdecellesdutravailsocial.Laquestioninitialerevientàinterroger,dansunpremiertemps,laprofessionnalitédesinfirmièreslibérales(I)avantd’étudier,dansundeuxièmetemps, l’expressiondecetteprofessionnalitédans lessituationsdedépendancevécuesparlespersonnesdontlesinfirmièress’occupent(II).

EncadréméthodologiqueDans le but de décrire des actions en situation avant demettre en évidencede logiques d’actions et de les analyser, une méthodologie qualitative detype ethnographique fut choisie. Des entretiens furent obtenus auprès de 51personnes (personnes qualifiées de dépendantes, infirmières libérales, aidesà domicile, responsables de centre de soins, aides-soignantes, auxiliaires deviesociale,membresdelafamille,…).Desobservationsfurentmenées(soins,réunions,tournéesdesinfirmières,…).L’ensembledesdonnéesontpermisdedressertreizemonographies.Nosprésencesrépétéesauxdomiciles,ainsiquelamultiplicationdesmomentsd’enquêteaautorisé l’utilisationde laméthodede l’analyse comparative continue (Strauss, 1992) dans laquelle des allers-retourspermanentssonteffectuésentreterrainetanalysedesdonnées.Noussouhaitions,dansunequêtede«neutralité»,inhérenteànotrepropresituationd’anciennepraticienne,resterauplusprèsdeceterrain,leconsidérercommeleterreaudenouvelleshypothèses,laisservenirànouscesréflexions,àpartirdesdonnéesrecueilliesleplus«objectivement»possible.

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I-DéfinirlaprofessionnalitédesinfirmièreslibéralesLa professionnalité se comprend comme étant le résultat attendu de l’action deprofessionnels(Demailly,2014:593).Danscettedéfinition,LiseDemaillyprécisequelaprofessionnalitéest« la résultante du lien socialement construit entre trois phénomènes»:lesressourcesdesprofessionnels,lesexigencesliéesàdessituationsdetravail,etenfinlareconnaissance sociale de lamise en adéquation entre les ressources et les situations detravail.Faceàdessituationsde travail, leprofessionnelengagedesréponses,quipeuventparfoisêtreexceptionnelles,etdontilassureralarégulation,individuellementoucollectivement.La professionnalité peut alors s’étudier en analysant les relations que les professionnelsentretiennententrelecontenudeleurtravailensituation,lafinalitédecetravail,etlesmoyensentrepris.

Accorder un statut libéral à un groupe professionnel revient à lui reconnaître la faculté dedéciderlui-mêmedecettemiseenadéquationentresesressourcesetlessituationsdetravailqu’ilrencontre.Étudierunmétierquis’exerceavecunstatutlibéralautorisedoncàexaminercommentsontdéterminés lecontenuet lafinalitédutravail,etde lamêmefaçoncommentsontengagéslesmoyensmisenplacepouratteindrecettefinalité.Maisilnefautpasomettred’étudierquidéterminececontenuetcettefinalité,etengagecesmoyens,defaçonàanalyserlerapportentrestatutlibéraletautonomiededécision.Or,lemétierd’infirmièrelibéraleétantréglementé (il répond à une définition et à des textes de lois qui l’encadrent), l’étude desliensentrestatut,réglementation,etactivitéparaîtheuristique.Comments’exprimelemétierd’infirmière lorsqu’il s’exerce avec un statut libéral ?Répondre à cette question permet dedéfinirlaprofessionnalitédesinfirmièreslibérales.

La professionnalité des infirmières libérales françaises d’aujourd’hui est le résultat d’uneconstructionsociale(Demailly,2014)quilietroisniveauxd’action:macro,mésoetmicrosocial.D’uncôté,leniveaumacropermetdemettreenévidencelanaissancedugroupeprofessionnelàtravers l’histoireet la législationréglementant l’activitédecegroupe.D’unautrecôté,auxniveauxmésovoiremicrosocial,cetteprofessionnalitéestaussilerésultatdel’appropriationpar les infirmières libérales des contraintes et opportunités (Strauss et Corbin, 2003) quis’offrent à elles. Notre analyse porte sur l’articulation de ces trois niveaux classiquementdistingués,dansl’analysesociologique,enniveauxmacro,mésoetmicrosociologiques.Danscebut,nousanalysonslesinfirmièreslibéralesàpartirdeleurstatutlibéral.Cestatutleurestconféréparunelégislation,quiestlerésultatd’unehistoire(niveaumacro).Chaqueinfirmièreouchaquegrouped’infirmièresdéclinecestatutauniveaumésod’uncabinetouencoreauniveaumicrodechacunedes infirmièresen interactionavecdesprofessionnelsoud’autrespersonnes.Noussavonsquelesinfirmièreslibéralestravaillentleplussouventencabinetdegroupe(DouguetetVilbrod,2007:131etsuivantes).Laquestionestalorsdesavoircommentuncollectifs’organisealorsmêmequechacundesesélémentstravaillesansunitédetempsni de lieu.Est-cequecela favorise l’expressiondes individualités?Ouaucontraireest-cequeceniveaumésoducollectifcontraintfortementlesactionsdechacunauniveaumicro?Àtraversl’articulationentrecestroisniveauxd’analyse,nousmettonsenévidencel’articulationentretroisniveauxd’actionsprofessionnellesparlaquellelesinfirmièreslibéralesincarnentleurprofessionnalité.Nousdéfinironslaprofessionnalitédesinfirmièreslibéralesenparcouranttour

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àtourcesdifférentsniveaux,allantdel’histoiredeleurgroupeprofessionnelàleuractivitéquotidienne.

I.1/ Une professionnalité définie par un héritage déterminant et une législation encadranteEnmêmetempsquelesporte-parolessyndicauxdelaprofessionprennentlerelaisde l’OCDE et de l’OMS3 pour insister sur le poids économique que représentel’efficiencedel’activitéinfirmièrelibérale,lesautoritésfrançaises,enlapersonnede la Ministre des Affaires Sociales et de la Santé4,commeen lapersonned’unreprésentant d’une Agence Régionale de Santé et d’une représentante d’uneCaisse Primaire d’Assurance Maladie5, incitent les infirmières libérales à plusd’ « engagement », de «mise en valeur », voire à « forcer les barrages ». End’autres termes, les infirmières libérales sont invitées à s’emparer d’une placeplusimportantedansl’espacedesprofessionsdesantéetàfairepreuvedeplusd’autonomie professionnelle. Mais dans le même temps, la Cour des Comptes(2015)dénonceunmanquede régulationétatiquede laprofessionetpréconiseuneévolution des activités infirmières libérales vers les « pratiques avancées »qui,souscouvertd’uneplusgrandespécialisationetdoncd’unplusgrandprestige,ne fontque reproduire ladivisiondu travailmédical. Les infirmières libérales setrouvent à la croisée d’injonctions étatiques à l’autonomie et de préconisationsde lapartd’une instanceconseillant lesautoritésétatiquesà lesmaintenirdansune dépendance au travail médical. Cette photographie de la profession est lerésultatd’unehistoireetd’unesituationjuridique-puisquelesinfirmièreslibéralesappartiennentàuneprofessiondesanté,quiest,defait,réglementée.L’histoiredelaprofession,pourcommencer,peutserésumerenunecombinaisond’élémentstels que le poids de l’institution hospitalière, une domination masculine (« lesmédecinsaprèslesévêques»,selonPetitat,1989),etlafiliationgénéalogiquedesmédecinsquiontétéàl’initiativedelacréationdesinfirmièreslaïques.Encréantlesinfirmièreslaïques,lesmédecinsonttirélaleçondel’expériencedetravailaveclesreligieuses.Ilsontconservécequileurconvenait:lasoumission,l’obéissance;ilsontrejetécequine leurconvenaitpas: lasoumissionàDieu, l’obéissanceàl’Ordre.L’héritagereligieuxest,quantà lui,constituéd’unpatrimoinemoral : lesinfirmièreslaïquesdoiventprésenterlesqualitésd’honnêteté,dedévouement,dedésintéressement,d’absencedevicesquinesontautresquelesvertusmoralesdes religieuses officiant jusque-là auprès des malades. Les infirmières doiventavanttoutleuractedenaissanceauxmédecins,pasauxreligieuses.Commelesmédecins,lesinfirmièresconstituentuneprofessiondesantéetencelas’inscriventdanslaréglementationdétailléedansleCodedeSantéPublique.Lesinfirmièreslibéralessevoientproposer,enplus,uneConventionNationaleavecl’assurance

3 OCDE:OrganisationdeCoopérationetdeDéveloppementÉconomiques.OMS:OrganisationMondialedelaSanté.4 MarisolTouraineen2013,aumomentdel’observationmenéedanslecadredu40èmecongrèsnationalduSyndicat

NationaldesInfirmièresetInfirmiersLibéraux.5 Cesdeuxpersonnesétaientprésentesetsesontexpriméesau40èmecongrèsnationalduSyndicatNationaldes

InfirmièresetInfirmiersLibéraux.

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maladie.CetteConvention,enprécisantlesprérogativesinfirmières,etendélimitantleurterritoired’exercice,faitexisterlemétier(DouguetetVilbrod,2007:146).Enfin,laNomenclatureGénéraledesActesProfessionnelspermetdedresserlalistedesactesautorisésparmilesquelsfigurentceuxrelevantdurôlepropredesinfirmières,rôleprésentédansleCodedeSantéPubliquecommeétantceluidontrelèventles soins liés aux fonctions d’entretien et de continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalement un manque ou une diminution d’autonomie d’une personne ou d’un groupe de personnes6. Ce rôlepropre,quin’estpasnodaldanslesactivitésinfirmièreshospitalières(Acker,1991),estplus largement présent dans l’activité infirmière s’effectuant dans les domiciles. L’arsenaljuridiqueretrouvédansl’exercicelibéralestàlafoiscontraignantetpourvoyeurd’unelibertépermettantauxinfirmièreslibéralesd’exercerd’unepartdesfacultésdejugementenévaluantdessituations(cequ’ellesauraientpufaireavecencoreplusdelibéralitésil’histoireneleuravaitpasfaitmanquerunrendez-vousavecunrôlesocialpluslargeenfaisantdisparaîtrelesinfirmièresvisiteusesd’hygiènesocialeàlaveilledelasecondeGuerreMondiale),etd’autrepartunelibertédanslafaçond’organiserlemodedefonctionnementdeleurscabinets.C’estàpartirdeleurspratiquesprofessionnellesetdesdécisionsqu’ellessontamenéesàprendrequotidiennementquenousproposonsd’analysermaintenantlaprofessionnalitédesinfirmièreslibérales.

I.2/ Une professionnalité définie par l’activité inhérente au statut libéralLes particularités de l’exercice libéral avec lequel les infirmières font le choix de travaillersontconstitutivesdeleurmétieretparticipeàladéfinitiondecelui-ciplusquenelefait leurappartenanceaugroupeprofessionneldesinfirmières:lesinfirmièreslibéralessedéfinissentelles-mêmescommelibéralesavantdesedéfinircommeinfirmières.Leurprofessionnalitéestliéeàlamanièredontlesinfirmièreslibéralesorganisentleurscabinets.Faire unité et pouvoir choisir sont lesmotsd’ordre.Cetteprofessionnalitésedéfinitdoncpar lamanièredont lesinfirmièreslibéraless’emparentdecequileurestautoriséparlestatutlibéral,c’est-à-direavecunespritd’autodéterminationdeleuractivitédesoinetd’organisationdeleurtravail.

Par l’obligation de continuité des soins7 qui leur est faite, les infirmières sont contraintes àpartagerletravailentrecollèguesd’unmêmecabinetdefaçonàassurerunservicepermanent.Letourderôleinduitparcetteobligationdecontinuitédesoinsapourconséquenced’obligerl’infirmièrequitravailleunjouràprendreunedécisionquantàlanature,l’organisationoulacharge de travail :malgré des conventions établies par les infirmières entre elles, chaquenouvellesollicitationdesoinss’accompagnerad’unquestionnementetd’uneprisededécision.Dansl’exempled’unnouveaupatientquicontactelecabinetpouravoirdessoinsquotidiensquiprennentdutemps,touteinfirmièreseposeralesquestionssuivantes:est-ilpossibled’admettrecenouveaupatientdanslatournée?Combiendetempsest-ilraisonnabledeconsacreràcetypedesoins?Cesquestionss’imposentd’autantplusqueladécisiond’accepterunnouveaupatientpèserasurletravaildesautresinfirmièreslorsqueviendrontleurtourdetravailler.Nousaurionspuimaginerunpartagepaisibleentreinfirmièrespuisquechacunesubiraetferasubiràtourderôle.L’analysedufonctionnementdescabinetsd’infirmièreslibéraleslaissevoir,en

6 ArticleR.4311-3duCodedeSantéPublique.7 ArticleR4312-30duCodedeSantéPublique.

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effet,unevolontédecohésiondel’équipe.Etdanslemêmetemps,desmomentsde tensions,decrises,voiredeconflitsouvertsentre infirmièresontété relatés.C’estalorsqu’intervientuntravailderégulation,menésdanslecadred’interactions.Facteurs de cohésion et facteurs de régulation cohabitent et nous amènent àqualifier les cabinets d’infirmières libérales de collectifs en recherche d’équilibrepermanentcarenmenaceperpétuellededéséquilibre.Parcetravaildecohésion–régulation,ellestravaillentàl’unitédeleurcabinet.

Les facteurs de cohésion sont des situations créées par les infirmières qui fontl’objet de négociations. Nous présentons ici quatre de ces facteurs. Lepartage du temps de travail estlepremierd’entreeux.Établirlesplanningsfaitl’objetd’unaccord.Chacunedesinfirmièresfaitvaloirsesdroitsàtravaillerselonlevolumedejoursparmoisconvenuavecsescollègues,enmêmetempsqu’ellefaitvaloirsesdroitsànepastravaillerlesjoursquineluiconviennentpas.Lefaitdeseréunir,de discuter, de trouver des compromis, constitue une pratique organisationnellepermettantlacohésiondugroupe.Cettepratiqueestl’expressiond’uneautonomieau sens strict du terme. En effet, ce sont les infirmières qui déterminent entreelles lesnormesàpartirdesquellesserontdéfinies lesrèglesdefonctionnementinterne. Le partage du travail administratif permet la cohésion du groupe en cesens qu’il répartit un travail pouvant être vécu comme contraignant (facturationdessoins,gestionducabinet,…).L’organisationtrouvéeparchaquecabinetàcepropossouligneàlafoisleurautonomie(leurfacultéàautodéterminerleurspropresnormes)etlalibertédemanœuvredontellesjouissent(puisqu’aucuneinstancedecontrôlenevient juger leurschoix).La règle d’or du partage équitable du travail estletroisièmefacteurdecohésionquenousavonsidentifié.Lessoinseffectuésdefaçonhebdomadaireouplurihebdomadairesontplanifiésdefaçonàrépartirlachargedetravailsurl’ensembledesjoursdelasemaine.Larègle d’or consiste à ne paslaisserletravailprévuunjouràsacollèguequitravailleralelendemain.Elleestlerésultatdenégociationstacites:chacunes’arrangerapourquelessoinssoienteffectuéscommeilsontétéprévuscollectivement.Lequatrièmeetdernierfacteurdecohésionquenousprésenteronsiciestlatenued’undiscourscommunquiagitcommeunciment:lesinfirmièresjugentqueleregardquelespersonnesextérieuresportentsurl’équipeinfirmièrelafaittenirentantqu’unité8. Ainsi, si des différences de pratiquessontrelevéespardesobservateursextérieurs,etqu’ilsenfontlaremarqueauxinfirmières,laréactiondecelles-ciconfirmealorslarègledugroupequiestdenepasmontreràl’extérieur(dugroupeconstituéparlesinfirmières)lesdissensionsoudésaccordsexistantàl’intérieur.Pourledireautrement,lesinfirmièrespeuventêtreendésaccordentreelleset avoir despointsdevuedifférents tantquecesdifférences ne sortent pas du groupe qu’elles constituent, tant qu’elles peuventtenir un discours uniforme face à l’extérieur. Elles peuvent également avoir despratiquesdifférentes,malgréunerechercheapparentedeconsensusà l’intérieurdugroupe,tantquecesdifférencesdepratiques,visiblesàl’extérieur,s’exprimentàl’intérieurderelationsindividualiséesentreinfirmièresetpatients.L’individualisation

8 Ilpeuts’agirduregardportépardespatients,commeduregardportéparlesdifférentspartenairesprofessionnelsaveclesquelslesinfirmièressontenrelationsrégulières.

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desrelationsseretrouventégalemententreinfirmièresetmédecinsaveclesquelscelles-làtravaillentrégulièrement.Enguisedeconclusion,nouspouvonsdirequ’uncabinetd’infirmièreslibéralestrouvesacohésionsurlemodedel’ordrenégocié.

Nousrelevonsdoncdeuxpremièrescaractéristiquesdel’exercicelibéraldessoinsinfirmiers:d’unepartl’existencedepratiquesdifférenciéesquisedéroulentàl’intérieurd’uncollectiflui-mêmeàlarecherched’uneimageunifiée,d’autrepartl’existencedepratiquesdifférenciéesquisontsourcesderelationspersonnalisées.

Pratiques différenciées et relations personnalisées sont l’expression d’individualités. Notrequestionestdesavoircommentl’expressiondecesindividualités,lorsqu’ellessontdiscordantes,est réguléeà l’intérieurducollectif infirmierde façonàcequesepoursuive l’activitédececollectif.Letravailderégulationdesindividualitésdiscordantessefaitentreinfirmières,danslecadred’interactionsaucoursdesquellessedonneàvoiruntravaild’impositiondestatutdesunesenverslesautres(Strauss,1992).Plusieursfacteursindividuelspermettantuneimpositiondestatutontété identifiés. Ilpeuts’agirparexemplede l’anciennetédans lecabinet,d’unespécialisation reconnuedansundomaine (notammentpar l’obtentiond’unDU9),duvolumedejourstravaillés(laparoledecellequitravailleplussouventauraplusdepoidsquecellequitravaillemoinsde joursparmois),ouencorede l’investissementpersonneldans lecabinet(selonqu’uneinfirmièreenestlafondatriceoubienqu’ellenetravailledanscecabinetqueparopportunité,soninvestissementvariera).Unetroisièmecaractéristiquedutravailinfirmierlibéralestdonclarégulationdesindividualités.Ce travailde régulationpeutégalements’appliqueràdes facteursnon-humains telsque letemps,c’est-à-direun facteurexternecenséstructurer l’activitédes infirmières libérales.Eneffet, le temps est évoqué de façon continue par les infirmières car il façonne la pratiqueinfirmière. Chaque soin est pensé par la durée nécessaire à son exécution. Cette duréepermettradeplanifierlessoinslesunsenfonctiondesautres,etdoncd’organiserlajournéede travail. La vitesse d’exécution des soins sera modulée en fonction de la planificationprévue:lesinfirmièresaccélèrentlorsqu’ellessontenretardetralentissentlorsqu’ellessontenavance.Maiss’ilestvraiqueletempsfaçonnelespratiques,ilesttoutaussivraiquelespratiquesprofessionnelles façonnentà leur tour le cadre temporel.Celaest vrai auniveaucollectif(ilyalapratiqued’établirensembleunplanningdetravail,des’entendresurlafaçonde construire une tournée, …) ou individuel (raisons personnelles, souvent familiales, decommencertôtetdefinirtôtsatournée).L’autonomieetl’autocontrôlequel’onpeutconcéderauxinfirmièreslibéraleslorsqu’ellessedictentleurspropreshorairesetmaîtrisentlestempspassésensoinsrelèventd’uneformed’«autonomiecollective»danslesquelleslesnormesindividuelles s’expriment (de façon contrainteset limitées,mais s’expriment tout demême)danslecadredenormescollectivementconstruitesetdenormessocialementacceptées.C’estainsiquelesinfirmièreslibéralesnesubissentpaspassivement l’effetstructurantdufacteurtemps.Laquatrièmecaractéristiquede l’activitéprofessionnelle infirmière icidémontréeestquelesinfirmièreslibéralesgardentlamain,collectivement,surdesfacteursexternescensésles structurer.Unecinquièmeetdernièrecaractéristiqueapparaîtdanscetteétude:lesinfirmièreslibérales

9 DiplômeUniversitaire(encicatrisationdesplaies,ouengérontologieparexemple).

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sedonnentlesmoyensdesélectionnerlessoinsetlesbénéficiairesdecessoins.Alorsmêmequelespatientsontlelibrechoixdespraticiens10etdoiventdésignerlesquels interviendront chez eux, nous avons pu observer que les infirmièresélaborentdescritèresleurpermettantd’honorerounonlesdemandesquileursontfaites:ellesétablissentleslimitesd’unsecteurgéographiquequ’ellesdéfinissentelles-mêmes et qui changent au gré de l’évolution de l’activité du cabinet, ellesdéfinissentla«complexité»delasituationdelapersonneenfonctiondecritèressociaux, familiaux ou matériels liés à l’habitat, … Ces éléments sont autantd’argumentspourrefuserd’intervenirchezcertainespersonnes.Maislanaturedusoin demandée, l’activité dumoment dans le cabinet (forte ou faible), la valeurmonétairedusoindemandé,savaleursymbolique,lapossibilitéounondepouvoirsefaireaiderpardesauxiliairesdeviesocialeparexemplevontaussipeserdansladécisioninfirmièrederépondrefavorablementounonàlademanded’unpatientdevenireffectuerdessoinschezlui.Ensélectionnant,lesinfirmièressedonnentlalibertéd’orienterlanaturedel’activitédeleurcabinet.Ellesdonnentainsiunprofilàleurmétier.Les cadres historiques et juridiques du métier d’infirmière libérale sont donc àcomprendre commeprésentant les limitesd’unespacequi offredespossibilitésd’expression de pratiques professionnelles et non comme un déterminant deces pratiques. L’ensemble des caractéristiques inventoriées ci-dessus - l’auto-organisationdutravail,larégulationcollectiveinterned’individualitésetdepratiquesdifférenciées,laconstructionderelationspersonnalisées,lefaitdegarderlamainsurunfacteurcensémentstructuranttelqueletemps,l’établissementdecritèresdesélectionpermettantd’orienterlanatureetlevolumedel’activité-serésumenten un mot qui permet de définir la professionnalité des infirmières libérales :l’autodétermination.L’autodéterminationest lemaître-motpourdéfinir lemétierd’infirmière libérale. Ilestmaintenanttempsderépondreànotrequestionnement:qu’est-cequelefaitdetravaillerauprèsdepersonnesqualifiéesdedépendantes,vivantàdomicile,faitaumétierd’infirmièrelibérale?

II- La professionnalité des infirmières libérales éprouvée :quellesréponses?Avant d’examiner en quoi le fait de travailler auprès des personnes qualifiéesde dépendantes constitue une épreuve pour la professionnalité des infirmièreslibéralesetdepréciser lanotiond’épreuvedeprofessionnalité,noussouhaitonsjustifier l’usage de la locution « personnes qualifiées de dépendantes ». Danscetterecherche,ladépendanceaétéconsidéréecommeuncontextedanslequels’exprimentdesmétiers.Toutefois,considérerladépendancecommeuncontextene signifie pas la réifier.Nous choisissons de ne pas partir des conceptions dela dépendance qui font débat (paradigme biomédical versus fondement de la

10 ArticleL1110-8duCodedeSantéPublique.

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cohésion sociale) et laissons les acteurs enquêtés la définir. La dépendanceseradonccelleque les infirmières libéralesqualifientcommetelle.C’estpourquoi,au coursde ce travail, nousneparleronspasdespersonnesdépendantesmaisdespersonnes qualifiées de dépendantes. Nous considérons que la dépendance n’est pasun étatmais bien plutôt un qualificatif attribué par les rédacteurs des politiques publiques,largementreprisdanslesmilieuxprofessionnelsdesantéetmédico-sociaux,maisaussidanslelangagecommun.Lespersonnesqualifiéesdedépendantesdanscetterecherchelesontparlesinfirmièresenquêtées.Réfléchiràpartirdelanotiond’épreuverevientàinterrogerlapartd’incertitudeaveclaquellelesprofessionnellesdoiventcomposerpourtravailler,prendredesdécisions,etassumerlesconséquencesdecesdécisions.L’épreuveesticicomprisecommeundéfi(Martucelli,2006,2015).Lesystèmedesoinsetdeservicesvariésquisemetenplaceàdomicileautourdespersonnesqualifiéesdedépendantesformeunespacederencontres«obligé»(Cressonetal,2003).Cesrencontrescontraintespermettentd’établirdesrelationsmaismettentégalementlesprofessionnelsaudéfide«travaillerensemble»,dansdessituationsvariées,quelquefoissuruntempslong.Undéfiseposealorsàl’autodéterminationdesinfirmièreslibérales.Danslessituationsdetravailliéesàladépendance,quedevientcetteautodétermination?Nous étudierons comment les infirmières libérales relèvent le défi à travers les réponsesqu’ellesapportentàtroisniveauxd’actionsliés:lesactivités(pratiquesprofessionnelles),lesrelationsinterprofessionnellesetlesenvironnements(domicile,territoiregéographique).

II.1/ Sortir des modèles de penséeCommençonsparunepratiqueprofessionnellecourammentobservée:latoilette,quelquefoisappeléesoind’hygiène.Cettepratiquecristallisedesenjeuxdeterritoiresprofessionnels.Ellepermetdoncd’analysercommentlaprofessionnalitédesinfirmièreslibéralesestéprouvée.Eneffet,d’autresmétiersqueceluid’infirmièrelibéralepeuventprétendreeffectuercesoin;lesmétiersd’aide-soignanteoud’auxiliairedeviesocialeparexemple.Les infirmières libéralesquieffectuentcesoin le fontaprèsavoiranalysé lasituationde lapersonne,à lademanded’unmédecin, et juger que ce soin leur revenait (de par sa technicité, de par les risquesqu’encourent lapersonne,…).Maisàtraversletravaild’analysedessituationsquefont lesinfirmières et à travers les décisions qu’elles prennent, les relations avec l’ensemble desprofessionnelsconcernésse trouventaffectées.Les infirmières justifient leursactesàpartirdemodèlesdepenséeapprislorsdeleurformationinitiale.Ellesdisposentdedeuxmodèlesde conception de l’être humain : d’un côté lemodèle biomédical qui conçoit l’être humaincommeunensemblebiologiqueenétatd’équilibrequelamaladievientperturber,danslequell’hommeestunindividubiologique;d’unautrecôtélemodèleholistiquequiconsidèrel’êtrehumain comme formé de différentes composantes imbriquées (biologique, psychologique,sociale,culturelle,économique,…).C’estàpartirdecederniermodèlequesesontconstruiteslesthéoriesdesoins infirmiersquivontmodeler lespratiques infirmières. En créant un outil d’analysedelasituationd’unepersonne11,lesinfirmièressedétachentdel’emprisemédicale

11 Il s’agit de la démarchede soins infirmiers, connuepar l’ensemble de la profession.En libéral, cette démarchede soinsa étéformaliséesouslaformed’undocumentCERFAquisertàanalyserlasituationetàtransmettreauxcaissesd’assurancesmaladielerésultat de cette analyse.

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etpermettentqueleursoitreconnuunrôleautrequemédicalementprescrit.C’estd’ailleurs en mobilisant ce modèle qu’une des infirmières étudiées explique lefaitd’avoirtransgresséuneprescriptionmédicale(aumotifqu’elleconnaissaitcepatientmieuxquelemédecin,dansplusdedimensionsquestrictementbiologiqueetmédicale)etopèreparconséquentuneextensiondesonterritoireprofessionnelendirectiondeceluidumédecin.Parailleurs,enjonglantavecl’unoul’autredesmodèles, les infirmièresconfortentdesrelationsd’autorité.Ainsi, faceauxaides-soignantes (professions paramédicales), les infirmières mobilisent le modèlebiomédical pour souligner leur proximité avec lesmédecins, alors que face auxauxiliairesdeviesociale,ellesvontplutôtmobiliserlemodèleholistiquedefaçonàseplacersurunregistrecommunaveccesprofessionnelles,celuid’unêtrehumainconsidérédanssesmultiplesdimensions (psychologique,sociale,culturelle,…).Les infirmières libérales iront même plus loin. En effet, face à ces éventuellesconcurrentesquereprésententlesauxiliairesdeviesociale,lesinfirmièresviventuneépreuvedeprofessionnalité:ellesmodifientleurfaçondevoiretdefaireleschosessansavoirlacertitudequelesdécisionsqu’ellesprennentsontajustées.Enl’occurrence,ellessedécentrentdesdeuxmodèlesdepenséequistructurentleuractivitéetintègrentlesauxiliairesdeviesocialedansleuranalysedelasituation.Elleslesintègrentàdeuxniveaux:d’unepartentenantcomptedeleurprésencecommefacteurdécisionneldufaitdegarderoudedéléguerlesoin,etd’autrepartentransformantd’éventuellesconcurrentesenpartenairesdesoins,surlesquellesellespourrontexercerunerelationd’autorité.

II.2/ Échanger le sale boulotLa notion de sale boulot chez Everett Hughes (1996) renvoie au fait que touteactivitéprofessionnelle,mêmeparmi lesplusprestigieuses,comporteunepartienonvalorisante,volontierscachée,qu’ilnomme«dirtywork».Chezcetauteur,ilyadonchiérarchisationdestâchesàl’intérieurd’unecatégorieprofessionnelle,ouhiérarchisationdesprofessionnelsentreceuxquiexécutentetceuxquin’exécutentpascesale boulot.Àdomicile,ladistributiondestâchesrelevantdecesale boulot nesuitpasundéplacement linéairesuperposableà lapositionhiérarchiquedesprofessions mais est plutôt le résultat d’arrangements, tacites ou explicites. Latoilette fait partie de ces actes pouvant être qualifiés de sale boulot,mais il enexisted’autres : lever,coucher,prisederepas…Cesdifférentssales boulots ne sontpas toujoursdévaloriséspar les infirmières libérales.Faireune toilettepeutêtrevaloriséeparcequ’elleestsourced’informationsprécieuses(endonnantunaccèsvisuelà l’étatde lapeau,ellepermetuneévaluationde l’étatnutritionneldelapersonne).Maissurtout,lessales boulotsnesontpasdévaloriséstantqu’ilspeuvent être échangés avec d’autres professionnelles. En effet, les différentestâches attribuées à chaque métier intervenant à domicile peuvent glisser d’unmétieràl’autre(desaidesàdomicilepeuventseretrouveràlaverlespiedsd’une

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personne alors que les infirmières installeront cette personne à table). Dès queleséchangesentreprofessionnellescessent, lesale boulot reprendsaconnotationpéjorative.Cetexemplemetenévidencequecequiimportelesinfirmièreslibéralesn’estpastantlepartagedutravailquel’échange:larelationaveclesautresprofessionnellespeutmodifierleprofildumétier.Échangerlesale boulotrevientàdéterminerleprofildeleurmétierentenantcompted’autresprofessionnelles.

II.3/ Accepter une hétéronomie décisionnelleLes toilettespeuventêtreeffectuéespar trois typesdepersonnel :soitdupersonnelsocial(l’auxiliaire de vie sociale ou l’aide à domicile), soit du personnel dépendant d’un servicemédico-social(l’aide-soignante),soitencoreparlesinfirmièreslibéraleselles-mêmes.Ilrevientaux infirmières libéralesdeprescrirequi fera la toiletteconsidérée.Cela relèvede leur rôlepropre.Pourlesaiderdansleurprisededécisiondeprescriptiondetoilettes,lesinfirmièreslibéralesdisposentd’unoutildéjàévoqué,laDémarchedeSoinsInfirmiers(DSI).Cedocumentorganise le recueil d’informations concernant une personne, afin de permettre l’analyse desa situationet deprescrire la prise en charge la plus adaptée. Le scénario paraît simple :le médecin, averti de la situation de perte d’autonomie d’une personne prescrit une DSI.L’infirmière,informéedelaprescriptionmédicale,serendaudomiciledecettepersonneafinderecueillirlesinformationsnécessairesàl’analysedelasituation,etdeprescrireàsontourquelleprofessionnelleinterviendra(dusecteursanitaireousocial),pourqueltyped’acte(toiletteouaideàlatoilette),avecquelvolumehoraireetàquellefréquence.Lerecueildedonnéesexamine lesdifférentesdimensionsde l’êtrehumainconsidéréesdans lemodèleholistique.L’expertiseinfirmièreestcenséeêtrecentréesurlapersonne.Or,cetterecherchemontrequelaprescriptionde toilettepeut êtrealiénée, entresautres, pardupersonnel hospitalier (quiimposeauxinfirmièreslibéralesd’intervenircommeconditionnécessaireauretouràdomicilede lapersonne),pardes familles (qui choisissentde faire intervenirdesaides-soignantes),pardesauxiliairesdeviesociales(quidécidentdemettreenplaceuneaideàlatoilette),parlespersonnesqualifiéesdedépendanteselles-mêmes(quinégocientaveclesinfirmièreslapoursuitedeleurintervention).Lesinfirmièresrépondentàdesdemandesnéesd’expertisesfaitespard’autres,à l’extérieurde leurcabinet infirmier.Ellesacceptent l’hétéronomiede ladécisionetajustentleurrelation,desoinsoud’autorité.Cesexemplesillustrentlefaitqueleurvolontédepoursuivrelarelation,ouencoredetenir le liencommeilestditàproposdutravailsocial,gouverneleurattitudeetleurimposeuntravaild’ajustementpermanent.

II.4/ Opérer une « domesticisation » des pratiques professionnelles Cetravaild’ajustementsepoursuitdanslafaçond’occuperl’espacedetravailtrèsparticulierqu’estundomicile.Cetenvironnementmatériel,quiestavant toutun lieud’intimité,devientunlieudetravailetd’installationdeprofessionnelles(enyimportantdumatérieldesoinsparexemple).Ce faisant, ledomicileopèresur laprofessionnalitédes infirmièresen favorisantune « domesticisation » de leurs pratiques professionnelles. La réorganisation de l’espace

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nécessaire au déroulement des soins a souvent fait parler de médicalisationdu domicile. Or, nous observons plutôt une « domesticisation » des pratiquesprofessionnellesinfirmières12.L’intérêtportéaulingepersonnel(enl’économisantparexemple),ouencorelefaitd’êtreattentifauxmodificationsdeslieuxdeviennentlequotidiendeprofessionnellesqui travaillentdansdesdomicilesdans lesquelsd’autres professionnelles interviennent. Par ailleurs, la question se pose de lacapacité des infirmières libérales à respecter ou à adapter les règles d’asepsieacquises à l’hôpital, au cours de leur formation initiale, dans cet environnementqu’estledomicile.Lesentretiensinformelsquisesontdéroulésaprèsdesmomentsd’observation reprennent le fait que les infirmières libérales ne suivent pas cesrèglesàlalettre.Lesjustificationsinfirmièresdecetécartàlanormesontfondéessurundiscoursinfirmiercatégorisantledomicilecommeunlieuquineseraitpasdangereux,à l’inversede l’hôpital qui contientdemultiplesgermespathogènes.Lesinfirmièresjustifientleurdérogationauxrèglesd’asepsieparlediscoursselonlequel lapersonnequalifiéededépendanteesthabituéeauxgermesprésentsàsondomicile,etqu’ilsnereprésententdoncpasundangerpourelle.Lesinfirmièresne tiennentpascomptedesdirectives13 lesenjoignantà laprudenceenmatièredu risque de contaminations qu’elles représentent elles-mêmes en allant d’undomicileàl’autreparexemple.Lefaitd’êtredansundomicile,doncdansunlieuprivé, parait « immuniser » ces infirmières et les rendre imperméables à toutetransmission de germes. Le domicile des personnes qualifiées de dépendantesagitsurlesinfirmièrescommeunebulle,unterritoireauxfrontièresimpénétrables,mêmeparlesgermes.Maisau-delàdelaconsidérationdudomicilecommeunlieuprivilégié,protégé,c’estlaquestiondudécentrementdesnormesprofessionnellesquiestmisenévidenceici.Àdomicile,lesinfirmièreslibéralescréentunnouveausystèmenormatifenmatièred’hygiènedel’environnement.L’hygiènedevientplusménagèrequ’hospitalière.

II.5/ Se laisser déposséder de son autodétermination en participant à un entre soi pluri professionnelEndéfinissant leur territoiregéographiqued’intervention, les infirmières libéralesfont preuve d’autodétermination : elles tentent de se rapprocher d’un équilibresouhaité entre une activité (volume, nature) et des temps de déplacements(contraintes géographiques). Mais une fois ce territoire déterminé, celui-ci va

12 Nouspréféronslenéologisme«domesticisation»autermede«domestication».Lapremièreraisonestquelesuffixe«isation»permetlasymétrieavecla«médical-isation»,notionsurlaquellenousnoussommesappuyée,etdontnousnousdétachonspourinterpréternosdonnées.Laseconderaisonestqueladomestication,mêmesielledéfinit,entreautre,unphénomènequel’onpeutobserverici,àsavoirl’acquisitiondecaractèrescomportementauxnouveaux résultant d’une interactionprolongée, contient aussi l’idéed’un contrôlede la part des communautéshumainesquidomestiquentlesautres,c’est-à-direunedomesticationdesinfirmièresparlespersonnesqualifiéesdedépendantes.Cen’estpasl’idéedéveloppéeici:nousresteronssurcequele«domestique»,compriscommeunlieumêlantintimeetsocial,avecsescaractéristiquesphysiques,peutfaireaumétierd’infirmière,etnonàcequ’ilpeutfairecommelieude«dressage»dansunbutd’exploitation.

13 Les textes réglementairesde laprofession infirmière (CodedeSantéPublique)s’appliquentauxdomicilesdanslesquelslesmesuresdesécuritédupatientdoiventêtreassuréescommeeninstitution.L’absenceoul’insuffisancede données épidémiologiques concernant les transmissions de germes liées aux soins s’accompagnent d’unebanalisationdurisque.

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deveniràsontourstructurantdeleuractivitéparl’effetdesservicesqu’ilproposeetquiinterfèrentdansl’activitéinfirmière.Lesinfirmièreslibéralesmettentenplaceunjeuinteractionnelavecdesprofessionnelsmédicaux,paramédicaux,ouencoreavecles intervenantesdutravaildusocialavecquiellessontamenéesàcomposer.Les jeuxinteractionnelssedéroulentà l’intérieurdesdomicilesmaiségalement,defaçonplus large,dans un environnement institutionnel. En effet, des structures implantées sur ce territoiregéographiqueinterviennentégalementdanslesdomiciles,etlesinfirmièreslibéralessontenrelationaveccesstructurespourpartagerletravail.Ils’agitessentiellementdesServicesdeSoinsInfirmiersÀDomicile(SSIAD)oudesServicesd’Aidesetd’AccompagnementàDomicile(SAAD).Orlepartagedutravailnesedécidepasseulementaucoursdel’action,àl’intérieurdesdomiciles,commenousavonspu levoir jusqu’àmaintenant. Ilestaussi lerésultatdesinteractionsentrelesinfirmièreslibéralesetlesresponsablesdecesstructures.Cesdernièresrégulent les interactionsentre leurpersonnelet les infirmières libéralesenmettantenplacedestempsderencontresetd’échanges,engardant lamainsurcesmoments(organisationetanimation),ouencoreenseplaçantcommeintermédiairedanslacirculationtéléphoniquedesinformationsentrelesdifférentesprofessionnelles.Cetterégulationpermetdecréerdesnormes communes, voire un savoir collectif de travail, auprès despersonnesqualifiées dedépendantes.End’autrestermes,ellepermetdemettreenplaceunentre soi.Enparticipantà cet entre soi, les infirmières libérales se laissent déposséder de quelques prérogativesliéesàleurstatutlibéral,notammentcelledechoisiretd’autodéterminerleurtravail.Eneffet,les responsables de ces services peuvent aller jusqu’à réguler l’activité des infirmières enproposantdesressources,ennégociant,voireenimposantdesdécisions.LesrelationsquelesinfirmièreslibéralesentretiennentaveclesServicesdeSoinsInfirmiersàDomicileetlesServicesd’Aideetd’AccompagnementàDomicile leurpermettentdemanœuvrerautourdeleurterritoireprofessionnel:legarder,encéderunepartie,négocierpourcela.Lesrelationsquelesinfirmièreslibéralesontaveccesinterlocutricesextérieuresstructurentleurrapportautravailtelqu’ilaétéconvenuetorganiséauseindeleurcabinet.L’autodéterminationdeleuractivitéestéprouvée.

III-Conclusions:Unmétiersanitairequis’ouvreautravailsocialetunedépendancequidevientsituationnelleLes infirmières libérales, dont les activités reposent sur l’autodétermination de la nature etde l’organisation de leur travail, recomposent leurmétier lorsqu’elles travaillent auprès despersonnes qualifiées de dépendantes. Ainsi, elles adaptent leurs modes de pensée auxsituationsdetravailquilesmettentencontactavecdesprofessionnellesnerelevantpasdelasphèresanitaire;ellesacceptentd’échangerlesale boulot,departiciperàlacréationd’unentresoipluriprofessionnel,etvontjusqu’àaccepterd’êtredépossédéesdeleurautonomiedécisionnelle dans le but demaintenir les liens avec leur environnement de travail ; ellesopèrentparailleursune«domesticisation»deleurspratiquesprofessionnelles.

Unetellerecompositionmontreuneévolutiondumétierd’infirmière libéralevers lesmétiersdusocial.Cetteconclusion,issued’observationsfaitessurleterrain,montrel’enjeusocialdessoinsapportésauxpersonnesqualifiéesdedépendantes:lepartagedestâchesnes’opère

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passelonlesdiplômesdesprofessionnellesmaisselonlessituations.Cequi,dansun deuxième temps, permet de prendre la mesure de l’enjeu qu’une meilleureconnaissanced’unmétierviséparlesréformesdusystèmedesantépeutapporterenmatièrededécisionpolitique.

Parailleurs,ladémonstrationdecetterecompositionalimenteledébatsociologiquesur les professions et permet de soutenir une théorie interactionnelle de ladynamiquedesprofessions: le jeu interactionnelentre lesacteurs faitbouger lecontenuetleslimitesdelaprofession.

Ladeuxièmegrandeconclusionportesurlanotionde«dépendancesituationnelle».Siailleursladépendances’évalueparl’adéquationentredesbesoinsidentifiésetdesréponsesproposées14, ici,nousmettonsenévidencequecettedépendancevarie selon des critères que les infirmières prendront en considération et quiconcernentautantl’organisationdeleurtravail, lefonctionnementdeleurcabinetque lesbesoinsde lapersonne.Ce résultatnourrit uneconclusionsociologiquedéjàconnueselon laquelle ladépendanceestuneconstructionsociale.Au-delàdecettedernièreconclusion,nousavonsmisenévidenceque,parlesréponsesqu’ellesapportent, les infirmières libéralesqualifient ladépendance : leur travaildevientconstitutifdespolitiquessocialesdeladépendance.Onestalorsendroitdes’interrogersurl’ipséitédeladépendanceenretournantnotrequestioninitialeetensedemandant:qu’est-cequelesinfirmièreslibéralesfontàladépendance?

BibliographieCour des Comptes, 2015, La Sécurité Sociale, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale,Septembre2015,www.ccomptes.fr,765p.

Demailly Lise, 2014, « Professionnalité », in Zawieja P. et Guarnieri F. (dir.),Dictionnaire des risques psychosociaux, Paris, Éditions du Seuil, 593-595.

Douguet Florence, Vilbrod Alain, 2007, Le métier d’infirmière libérale. Portrait sociologique d’une profession en pleine mutation, Paris, Seli Arslan.

Hughes Everett C., 1996, Le regard sociologique. Essais choisis. Textes rassemblésetprésentésparJ.-M.Chapoulié,Paris,Éditionsdel’ÉcoledesHautesÉtudes en Sciences Sociales.

14 VoirgrilleAGGIR.

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Martuccelli Danilo,2015,«Lesdeuxvoiesdelanotiond’épreuveensociologie»,Sociologie2015/1(Vol.6),43-60.

Martucelli Danilo, 2006, Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine, Paris,ÉditionsArmandColin.

Petitat André, 1989, Les infirmières, de la vocation à la profession, Montréal, Boréal.

Strauss Anselm Leonard,1992[1989],Miroirs et Masques, Paris, Éditions Métailié

Strauss Anselm Leonard, Corbin Juliet,2003,«L’analysededonnéesselonlaGroundedTheory.Procéduresdecodageetcritèresd’évaluation»[TraductionparDanielCefaï],inCefaïDaniel, L’enquête de terrain, Paris, Éditions La Découverte : 363-379.

Strauss Anselm, 1992, La trame de la négociation,Paris,L’Harmattan.

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4BIBLIOGRAPHIE ET

NOTES DE LECTURE

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Bibliographie

L’ensembledesréférencesdesnouveautésducentrededocumentationetlalistedestravauxdes élèves et stagiaires sont consultables en ligne sur le portail documentaire de l’École. http://www.en3s.fr/portail-documentaire

Protection sociale10 défis mondiaux pour la sécurité sociale/AISS.-Genève:AISS,2016.-62p.

Droit de la protection sociale/RémiPellet,ArnaudSkzryerbak.-Paris:PUF,2017.-573p.ISBN : 978-2-13-074917-2

La LAMAL - Une réussite suisse?: 20 ans de la loi sur l’assurance-maladie en Suisse. 20 experts dressent le bilan/Thomas-DSzucs.-Genève:Slatkine(Éditions),2016.-211p.ISBN : 978-2-8321-0778-2

La sécu à tout prix : financer un modèle social pour tous/BenoîtBost.-FYPéditions,2017ISBN : 978-2-36405-155-3

Le revenu de base : une idée qui pourrait changer nos vies/OlivierLeNaire,ClémentineLebon.-Paris:ActesSud,2017.-154p.ISBN : 978-2-330-07241-4

Le revenu de base, comment le financer : panorama des modalités de financement / SousladirectiondeJean-EricHyafil,ThibaultLaurentjoye.-Gap:YvesMichelEditions,2016.187p.(Économie).

Les métamorphoses de l’assurance maladie : conversion managériale et nouveau gouvernement des pauvres/PascalMartin,préfacedeColetteBec.-Rennes:PUR,2016.-243p.ISBN : 978-2-7535-5137-4

Protection sociale : pour un nouveau modèle/FrédéricBizard.-Paris:Dunod,2017.-344p.ISBN : 978-2-10-076320-7

SantéLa démocratie sanitaire/ChristianSaout.-Paris:Santé(Editionsde),2017.-54p.ISBN : 978-2-86411-298-3

L’aménagement sanitaire du territoire : stratégie et coordination /AurélienVautard.-LEHÉdition, 2016. (Décideur santé).

La grande évasion : santé, richesse et origine des inégalités /AngusDeaton.- Paris :Presses universitaires de France, 2016.

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FamilleLa famille aujourd’hui : entre tradition et modernité / Sébastien Dupont.-Auxerre:Éditions«Scienceshumaines»,2017.-199p.ISBN : 978-2-36106-419-8

ServicepublicLe crépuscule de la France d’en haut/ChristopheGuilluy.-Paris:Flammarion,2016.

Vivre les valeurs du service public : appropriations, pratiques et défis /coordination Fabrice Larat, Christian Chauvigné, préface de Jean-Marc Sauvé.-Rennes:Pressesdel’EHESP,2016.169p.ISBN : 978-2-8109-0521-8

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Notes de lecturePhilippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, Basic Income. A Radical Proposal for a Free Society and a Sane Economy, Harvard University Press, 2017, 400 pages.

Spécialistesdephilosophiepolitique,PhilippeVanParijsetYannickVanderborght publient le traité général du revenu universel. Cetteétude des justifications éthiques et des diverses propositionstechniquesendécortique toutes lesdimensions.Loindu rafistolagedes politiques sociales, un tel choix matérialiserait une forme detroisième voie (même si ses auteurs n’emploient pas l’expression)entre le vieux socialisme et le libéralisme nouveau. Van Parijs etVanderborghtyvoientunsystèmedeprotectionsocialeradicalementdistinctdesdeuxautresmodèles:l’assistancepubliquenéeaudébut

du16èmesiècleetl’assurancesocialenéeàlafindu19ème.Cesdeuxtechniquesrelèventde la«préhistoire»du revenuuniversel.Selonsesdeuxexpertsetpromoteurs, le revenuuniversel,based’une«libertéréelleégalepourtous»,fonderaitunmodèlesocialplusjusteetplusefficace.Sonavènementseraitàintégrerdanslafamilledesconquêtesfondamentalestellesquel’abolitiondel’esclavageetl’instaurationdusuffrageuniversel.Parfaitementaufaitdesdifficultésd’unetelleconstructionetdesréticencesqu’ellesuscite,lesauteursargumentent.L’instrumentn’estpasseulementconçupourréglerdesproblèmesconjoncturelsmaiscommepilierfondamentald’unesociétélibre.Ils’agitdedonneràchacunlacapacitédepouvoirchoisirsavie,depoursuivrelaréalisationdesaconceptiondelaviebonne.Quececipasseparletravailacharné,lebénévolatoulesurfsurlesplagesdel’Atlantique.

Prosaïquement,lamiseenplaced’unrevenuuniverseldoitfavoriserdeuxattitudes.Refuserdesemploisrelativementbienpayésmaisennuyeux;accepterdesemploisrelativementmal-payésmaisintéressants.Oui,certainsemploisserontplusfacilementoccupés.Oui,ilfaudrapayerdavantagepourfaireexécuterles«salesboulots».Oui,certainssortirontdumarchédutravailquandd’autresypénétreront.L’essentielestdansunchangementdecomportementsinduitparl’introductiond’untelmécanisme.

Lesauteursformulentunedéfinitionprécise:unrevenurégulierenespèce(etnonunchèqueàdestinationprédéfinie),serviàtoutindividumembred’unesociété(avecdesvariationstoutdemêmepossibleselon l’âge), sansconditionde ressourceset sanspriseencomptedesattaches familiales.Avant tout inconditionnel, il n’estpas fonctiondes revenus.Encesensillimiteles«trappesàpauvreté»quipiègentdanslesrevenusd’assistance.Toujoursservi,entotalité,mêmeencasderetouràl’emploi, ilnedécouragepaslareprised’activité.Ilestindividueletnevariepasenfonctiondelacompositionfamiliale.Il limiteainsi les«trappesà isolement » qui incitent à rester ou à se déclarer seul.En effet, semettre en couple nediminuepassonmontant.Aucunecontrepartien’enestattendue.Sansobligationsdetenirourechercherunemploi,lerevenuuniverselpermetdeluttercontreles«trappesd’activité»(despiègesdansdesmétiersquel’onnesouhaitepasexercer).

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Van Parijs et Vandeborght suggèrent que lemontant de la prestation, socle delibertésnouvelles,soitfixéauxalentoursde25%duPIBpartête.Soitenviron700eurosmensuelsenFrance,1000auxÉtats-Unis,1500enSuisse,160auBrésil,30enInde,8enRépubliquedémocratiqueduCongo.Àuntelniveaul’allocationalacapacitéd’éradiquerlapauvretéabsolue,maispascelled’éliminerlapauvretérelative(quidemeured’ailleursplusunemesuredesinégalitésquedudénuementtotal).Maiscommentlefinancer?Enplusduremplacementdesprestationsetdescréditsd’impôtdemontantinférieur,quipourraitconcouriràunrevenuàhauteurde10%duPIBpartête,desressourcessupplémentairessontnécessaires.Touteslespistessontpotentiellementbonnesàsuivre:taxationaccrueducapital,révisionsdelafiscalitésurlessuccessions,TVAsociale,écotaxes.Aucunen’estlapanacée.De toutes lesmanières, le sujet est affaireavant tout ici de volontédechangerradicalement,nonpasderapiécer.Critiqueàl’égarddesexpérimentationsciblées,lesauteurssontlucidesetpensentquelerevenuuniverselpeutprogressivementmonterenchargeplutôtqu’êtredécidéimmédiatementàdesniveauxélevés.Segausserestaisé.Sedraperdansdegrandsprincipesmorauxetbrandirlesdéficitspublicsn’empêchepasladiscussionsérieusequ’untelouvragecommande.Quel’onsoitpouroucontrelaperspectivequis’ydessine.Àtraduired’urgence.

Julien Damon

Thierry Pech, Insoumissions. Portrait de la France qui vient, Seuil, 2017, 217 pages, 18 €

Avec les compromis des Trente Glorieuses, les classesmoyennes ont progressivement accédé au salariat, àla sécurité sociale, à la consommation de masse. Enéchange,étaientacceptéesdesformesdedominationetdépendancequisontaujourd’huirejetées.

Inspiré par les travaux qu’il a conduits, àTerraNova, à« Alternatives Économiques », et, plus globalement,

dans l’environnement intellectuel dePierreRosanvallon,ThierryPech cite aussiRenéGoscinnyetJacquesTati.Loindelanoteficeléepournourrirunprogrammeprésidentiel,letexteportesurdesFrançaisdéfiantsetuneFrancequidoute,dansun contexte de radicalisation et de polarisation de l’offre politique.Sousun titrechoisienréponsesarcastiqueau«Soumission»deMichelHouellebecqquitraitedel’effondrementfrançaisetdel’islam,lelivrenes’attardepassurlapolémiqueni,d’ailleurs,surlesujet.Ilexaminele«crépuscule»,l’«érosion»dusalariat,surlesdécombresduquelnaîtune«sociétépost-salariale»danslaquellelaFranceentredifficilement.

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Le raisonnement, élégant, est en trois temps. Les insoumissions sont, d’abord,cellesdetravailleursquin’acceptentpluslasubordinationhiérarchique,caractéristiquedu salariat. Certains s’enfuient vers l’entreprenariat, signe non pas d’une nouvellevalorisationdel’entreprisemaisplutôtd’undiscréditcroissantdelabureaucratie.D’autres,plusnombreux,s’enfermentdansleursbureauxpourmaugréertoutelajournéesurlesréseauxsociaux.Danstouslescas,travailetvieprivée,enraisondel’immixtionnumériquegénéralisée,n’ont plus lesmêmes frontières, et le droit du travail demeure largement à reprendre. Lesjeunesgénérations,dontilnefautpasmythifierlesdifférencesavecleursaînés,n’acceptentpasavecbonheurleretouràlasubordinationpourrépondreàleurprécarité.Danslecadredecedésamourgrandissant,lesDRHetlemanagementnefontpasmontredegrandeinnovation.Ilsviventsurdepseudo-lauriers,mâtinésdejargonanglo-saxon,queleurprocureenréalitélapeurduchômageenpériodedesous-emploiendémique.

Lesinsoumissionssont,également,cellesdeconsommateurs,aliénésparleconsumérisme,qui aspirent àmoins de dépendance et plus de responsabilité. Importé des États-Unis, lemodèle de l’hypermarché vacille. Le consommateur repousse l’emprise et l’imposition desnormesd’achat.Rétifauxagressionspublicitaires,moinsattentifàlapropriétéetdavantageauxusages,ilprofitedel’affirmationdelamultitudenumériquepourtenterdes’émanciperdel’èredesmasses,envalorisantl’authenticitéetlapersonnalisation.

Lesinsoumissionscesont,enfin,cellesdecitoyensinsatisfaitsdeleursystèmedereprésentation.Lesclassesmoyennes,aucœurdujeupolitique,neconstituentplusuneconstellationcentralepacifiée.LeDirecteurdeTerraNovadécrit,avecjustesse,descatégoriesplushantéesparlespectredudéclassementquevéritablementdéstabilisées.Leurspropres inquiétudesetuneoffrepolitiquecontestataireentrentcependantenrésonnance,déséquilibrantl’édificepolitiqueapaiséquiapuavoir courspendantquelquesdécennies.Désormais,àdéfautdestabilité,laconfrontationseprofile.Avecdesélecteurstrèssceptiquesà l’égardde lareprésentationet,pournombred’entreeux,investisdansdenouveauxespacespublicsdedélibération,où,notammentsurInternet,lepirecôtoielemeilleur.

Sans passer par la figure imposée des recommandations, probablement trop optimisteencequi concerne ledéveloppementdu comptepersonnel d’activité (CPA),Pechoffreunconcentrédesagacitédansunouvragequifourmillederemarquesoriginaleset judicieusessur lasituation française.Celle-cisecaractérisebienparun fourmillementd’insoumissions,certainescréatives,selonlesmotsdePech,d’autresréactives.PlusfavorableaumouvementNuit Debout (sans nullement le célébrer béatement) qu’à la Manif’ pour tous, l’auteur saitdessinerleslignesdefracturecontemporaines,enlesresituantdansleurépaisseurhistoriqueetjuridique.L’essai,engagéenfaveurd’unprogressisme(lire«gauchemoderne»)quimetenavantlesoucid’autonomiedesindividus,constitueunlivrepourtous,ànepasdormirdebout.Salecturedonnel’impressiondesortirdesesdéveloppementsbienbalancésavecunespritplusclair.C’estrare.

Julien Damon

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Rémi PELLET, Arnaud SKZRYERBAK, Droit de la protection sociale, PUF, coll. « Thémis droit », 2017, 573 pages, 36 €.

Du droit de la sécurité sociale au droit de la protectionsociale… Après la publication en 2005 du Droit de la sécurité sociale de Jean-Pierre Laborde, un livre désormaisépuisé,unnouveaumanuelintituléDroit de la protection socialeestvenucomblerlevidelaissédanslaprestigieusecollectionThémis des Presses universitaires de France. Toutefois, l’ouvrage du Professeur Laborde

devraitencoreresterlongtempsdanslesmémoires,neserait-cequ’enraisondelaclartédesaconstructionetdelapertinencedesesanalyses.Bienentendu,cepropos ne saurait être interprété comme la contestation du bien-fondé du choixdeRémiPellet etArnaudSkzryerbak de se détacher de l’œuvre duProfesseurLabordeenvuedeconcevoirleurpropremanuel.Cettedémarcheméritetoutaucontraire d’être saluée, à partir dumoment elle participeà la diversificationdesapprochesjuridiquesdelaprotectionsociale.Spécialistesreconnusdecedomaineauplanacadémique, lesdeuxauteursvisentprécisémentàs’inscriredanscetteperspective, sachant que lepremier est professeurdedroit public et le second,magistratadministratif.

Commeson titre le laisseentendre, l’objetdece«grospavé»deplusdecinqcents pages est de couvrir non seulement le droit de la sécurité sociale maisaussi ledroitde laprotectionsocialecomplémentaireetmême, ledroitde l’aidesociale. D’ailleurs, la formulation du titre est de nature à susciter des réservesterminologiquescars’ilestpossibled’employerl’expressionpolitique de protection sociale,iln’existepasàproprementparlerdedroit de la protection sociale. Cette dernière expression correspond en effet à une enveloppe juridique formelle quienglobe différentes branches duDroit aux logiques et aux caractéristiques biendifférentes. Pour autant , en envisageant de front sécurité sociale, protectioncomplémentaireetaidesociale,lesauteursontleméritedefourniruneapprochetransversaledelaprotectionsociale,quiestdevenuedeplusenplusnécessairesousl’effetdesévolutionsdusystèmesocialetdesanté,mêmesil’appréhensiondechacundecestroisdomainess’entrouverenduepluscomplexe.

Structuré en deux parties consacrées, l’une, à l’organisation administrative,financièreetcontentieusedelaprotectionsociale,l’autre,àlaprotectioncontrelesrisquessociaux,lemanueldeRémiPelletetd’ArnaudSkzryerbakrevêtdeprimeabordune formeetuncontenucommuns.Maiscette impressionsedissipevitelorsqu’onlecompareauxautreslivresprésentssurlemêmesegmentdelalittératurejuridique.Outrequ’elleprocèded’unevisionglobaledelaprotectionsocialecommeprécédemmentévoquée, lasingularitédecetouvragetientégalementàd’autres

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caractéristiques.Ainsi,danschacundeschapitres,lesystèmefrançaisdesécuritésocialeestcomparéauxexpériencesétrangères,cequiconstituel’originalitélaplusmarquante.Sanssurprise,compte-tenudelagrandeexpertisedeRémiPelletenmatièredefinancespubliques,lesfinancessocialessedistinguentparleurplaceétenduedanscemanuel. Il faut regretter en revanche que le droit de l’aide sociale ne donne lieu qu’à desdéveloppementssuperficiels,qu’ilsoitenvisagésous l’angle institutionnelousousceluideschampsd’intervention,hormisencequiconcernelehandicap,ladépendanceoulerevenudesolidaritéactive.Plusencore,ledroitdel’aidesocialeàl’enfanceestcurieusementpassésoussilence,bienqu’ilreprésenteunvoletimportantdecettecomposantedelaprotectionsociale.

En dépit de quelques insuffisances relatives à l’aide sociale, le manuel de Rémi Pellet etd’ArnaudSkzryerbakn’endemeurepasmoinsunouvragedegrandequalitéauquelj’aiplaisiràsouhaiterunbelavenir!

Gilles HUTEAU

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Achevé d’imprimer en juin 2017

sur les presses de

SAINT-ÉTIENNE

Dépôt légal : 2e trimestre 2017

N° d’imprimeur : 1398

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