[revistasenfrancés] elmensajerointernacional - n°1119del12al18deabrilde 2012

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Etats-Unis A la reconquête de l’or noir Brésil Dilma Rousseff et ses deux ex-maris Portfolio L’Angleterre non censurée www.courrierinternational.com 1119 du 12 au 18 avril 2012 Rase campagne 45 millions d’électeurs scrutés par la presse étrangère

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Etats-UnisA la reconquête de l’or noir

BrésilDilma Rousseff et ses deux ex-maris

PortfolioL’Angleterre non censurée

www.courrierinternational.comN° 1119 � du 12 au 18 avril 2012

Rase campagne

45 millions d’électeurs

scrutés par la presse

étrangère

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n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Editorial

Et si c’étaitNgozi Okonjo-Iweala ?

C’est une élection un peu par-ticulière qui se profile dans ladeuxième quinzaine d’avril,dont le résultat, si du moins onétait assuré d’un scrutin trans-parent et sans arrangements,ferait à coup sûr les gros titresde la presse internationale. Uneélection qui dépasse les enjeux

locaux ou nationaux, puisqu’elle concerne la Banquemondiale et ses 187 Etats membres. Une élection qui,en cas de victoire de la candidate nigériane NgoziOkonjo-Iweala (lire page 8), donnerait un grand coupde pied dans l’amas de pratiques désuètes et de visionsdu monde surannées. Que l’on s’entende : les institu-tions de Bretton Woods, qui régissent l’ordre écono-mique planétaire depuis la Seconde Guerre mondiale,n’ont pas attendu l’annonce du départ de RobertB. Zoellick, l’actuel patron de la Banque mondiale, pourentamer leur mue. Sous la pression insistante des paysémergents et des dirigeants du G20, mais aussi entirant les leçons de la crise financière de 2008, les deuxsœurs de Washington ont entrepris de se réformer. Ilétait temps : comment le Fonds monétaire internatio-nal peut-il rester crédible quand il octroie des droitsde vote plus importants à la Belgique qu’au Brésil ? etque dire de la Banque mondiale, qui accorde toujours16 % des droits de vote aux Etats-Unis, soit plus qu’àla Chine, à l’Inde, au Brésil et à la Russie réunis ? AWashington ou à New Delhi, on a bien compris que lessacro-saintes règles établies en 1946 font figure devieilles reliques. Que le nouveau monde réclame unenouvelle gouvernance. De là à faire émerger des visagesplus représentatifs de notre planète au XXIe siècle,il y a encore un pas que les tenants de l’ordre d’hieront bien du mal à franchir. Certes, le FMI a connu unepetite révolution l’an dernier avec l’arrivée d’unefemme, Christine Lagarde, à sa tête. Quant au prési-dent Barack Obama, il a fait un choix iconoclaste enproposant comme candidat à la Banque mondiale leprésident d’université Jim Yong Kim : la réputation enmatière de développement de ce médecin d’originesud-coréenne n’est plus à faire. Légitimes, la Françaiseet l’Américain le sont par leur profil et leurs compé-tences. Moins par leur nationalité. Depuis plus d’undemi-siècle, les Etats-Unis et l’Europe ont l’habitudede se partager les deux postes clés des organisationsde Bretton Woods. En choisissant le 18 avril prochainla ministre des Finances nigériane, qui présente un CVimpeccable, non seulement le conseil des gouverneursde la Banque mondiale mettrait fin à cette règlearchaïque, mais il adresserait un signal fort aux6,25 milliards d’individus qui vivent en dehors du“vieux monde”. Eric Chol

� En couverture : un partisan de Nicolas Sarkozy, le 11 mars, lors du meeting de Villepinte. Photo d’Olivier Thomas, Fedephoto

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Sommaire

4 Planète presse6 A suivre8 Les gens11 Controverse

En couverture12 Rase campagne A l’approche du scrutin, des journalistes étrangerssont allés sur le terrain sonder le moraldes Français. Peu d’idées, pas de souffle,aucun élan : l’élection présidentielle est loin de passionner les électeurs. Pour la presse internationale, la faute en incombe à la classe politique, trop éloignée des réalités mais aussi du contexte mondial de la crise.

D’un continent à l’autre 19 EuropeAllemagne Ce que Günter Grass veut nous direItalie Des larmes de crocodile pour le voyou BossiGrèce A Athènes, Chinatown se videRoyaume-Uni Les pauvres chassés des quartiers chics de Londres

23 AmériquesBrésil La présidente “Doña“ Dilma et ses deux marisMexique Scènes de crime manipuléespar les autoritésEtats-Unis Romney seul face à ObamaEtats-Unis Quand le pétrole se remet à couler à flots28 Asie Népal Rendez-nous nos guerriers !Indonésie Le concombre de mer bien mieux que le ViagraPhilippines Rebelles de tout le pays, ne bougez plus !Chine Le bruant, petit oiseau sur le gril31 Moyen-Orient Palestine Gare à l’effondrement de l’Autorité palestinienneIrak On achève bien les imosMonde musulman Comment vaincrel’islamophobie

36Guinée-EquatorialeTeodorín Obiang, le filsgâté qui siphonne son pays

26Etats-UnisQuand le pétrole se remet à couler à flots

34 AfriqueAlgérie Tamanrasset, la perle du SaharaMali Aqmi a désormais sa GrandeMurailleGuinée-Equatoriale Teodorín Obiang, le fils gâté qui siphonne son paysAngola Main basse sur le Portugal39 SciencesDébat La biologie synthétique : un grand pas pour l’humanité ? 43 EcologieEspèces invasives Exterminer les sangliers, nourrir les hommes44 EconomieEntreprises L’Italie démontée par IkeaRussie Les courbettes des banques aux gens aisésInternet Une nouvelle bulle à l’horizon ?

Long courrier 48 Portfolio L’Angleterre, nation mal élevée 52 Série télé “Sex and the City” à Moscou54 Le livre Tan Twan Eng55 Insolites Mariages : le cours du cadavre augmente

EDO

UAR

D C

AUPE

IL

39DébatLa biologie synthétique :une révolution ?

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Planète presse4 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Ha’Aretz 80 000 ex., Israël,quotidien. Premier journalpublié en hébreu sous lemandat britannique, en 1919,“Le Pays” est le journal deréférence chez les politiqueset les intellectuels israéliens.Asia Times Online(atimes.com) Chine. Lancéefin 1995, l’édition papier dece journal anglophone s’estarrêtée en juillet 1997 et adonné naissance en 1999 àun journal en ligne régional.Alors que la pressed’actualité régionale a perdu ses principauxreprésentants, ce webzineétend son champ d’actionau Moyen-Orient.BBC News Online(news.bbc.co.uk) Royaume-Uni. Le site Internet de laBBC a été créé ennovembre 1997. En quelquecinq ans, il a publié unmillion et demi de pagesweb. Basé à Londres, il possède des bureauxrégionaux à Glasgow, Belfastet Cardiff, et relaie lescorrespondants de la BBCpartout dans le monde.Discover 1 000 000 ex.,Etats-Unis, mensuel. Reprisen 1991 des mains de Time-Life par Disney, “Le Mondede la science” (c’est sonsous-titre) a musclé sa maquette et pris denouvelles couleurs, et resteun revigorant magazine de vulgarisation scientifique.Dz-Rider (dz-rider.com/index.php),Algérie. Nouveau venu dans la presse en ligne, le webzine a été lancédébut 2012 en pleineeffervescence dans la régionpour tenter de décrypter la complexité de la situationdans le monde arabe,méditerranéen et africain.Elaph (elaph.com)Royaume-Uni. Créé en 2001,à Londres, ce site arabepublie quotidiennement en langues arabe et anglaisedes articles politiques,sociaux, culturels etéconomiques sur le mondearabe, ainsi qu’une revue

de presse et des articlespubliés dans les médiasarabes ou occidentaux.To Ethnos 45 000 ex.,Grèce, quotidien. Titre de l’après-midi, au centregauche, sa parution coïncidapresque avec l’arrivée au pouvoir, pour la premièrefois en Grèce, duMouvement socialistepanhellénique (PASOK), en1981. “La Nation” appartientau groupe Tyletypos SA.Expert 85 000 ex., Russie,hebdomadaire. La rédaction,issue de celle du journalKommersant, a fondé le titreen 1995. Le contenu estorienté vers le monde des affaires, de l’économieet des finances.Expresso 140 000 ex.,Portugal, hebdomadaire.Lancé en 1973 par un députésalazariste “libéral”, lepremier journal modernepour Portugais cultivés aséduit par sa qualité et sonindépendance. Son originalitévient de son format, prochede celui d’un quotidien.L’“Express” est l’hebdoma -daire le plus lu du pays.Il Fatto Quotidiano150 000 ex., Italie, quotidien.Lancé le 23 septembre 2009par l’ex-directeur duquotidien de gauche L’Unità,Antonio Padellaro, le journalrassemble des plumesvenues de plusieurshorizons du journalismeitalien autour d’une idéesimple : la dénonciationrésolue du “sultanatdégradant” de SilvioBerlusconi.Le Flambeau 500 ex.,Mali, hebdomadaire. Journald’information, d’analyses etd’enquêtes de la presseuniversitaire du Mali, ce titre a été créé en janvier2008 par des étudiants de l’université de Bamako.Fokus 22 000 ex., Suède,hebdomadaire. Créé endécembre 2005, le titre est le premier hebdomadaired’informations générales de Suède. Créé sur lemodèle de Newsweek, ilmêle actualité de la semaine,analyses et reportagesambitieux sur la politiquenationale et internationale,les questions de société,l’économie et la culture.O Globo 258 000 ex., Brésil,quotidien. Depuis la rue

Irineu-Marinho (du nom du fondateur de l’empiremédiatique Globo), le plusgrand quotidien de Rio, à lafois populaire et défenseurdes milieux d’affaires, dittout aux Cariocas sur leurmégalopole et sur le mondeavec l’aide des chroniqueursles plus prestigieux du pays.The Guardian 364 600 ex.,Royaume-Uni, quotidien.Depuis 1821, l’indépendance,la qualité et l’engagement àgauche caractérisent ce titrequi abrite certains des chroniqueurs les plusrespectés du pays.Hürriyet 600 000 ex.,Turquie, quotidien. Créé en1948 par la famille de pressedes Simavi, “La Liberté”,ancien journal populaire, estaujourd’hui un titre puissantqui, avec une présentationsimple et beaucoup de photos en couleur, peutse transformer en un frontde combat redoutablecontre un gouvernement ou un ennemi à abattre.I Kathimerini 30 000 ex.,Grèce, quotidien. Fondé en1919, ce titre conservateurest considéré comme l’un des journaux les plussérieux du pays. Lepropriétaire actuel du“Quotidien”, l’armateurAristides Alafouzos, lui a donné un prestigeinternational en lançant uneédition en anglais distribuéeen Grèce commesupplément del’International HeraldTribune.Makor Rishon Israël,hebdomadaire. Lancée en 1997, cette publicationrevendique déjà12 000 abonnés. “Premièresource” cherche àconstituer un carrefour des diverses tendancesnationalistes opposées aux accords d’Oslo.Manila Standard Today150 000 ex., Philippines,quotidien. Le ManilaStandard Today est néManila Standard en 1987avant de fusionner avecToday en 2005. Il adoptesouvent des positionsconservatrices et s’était ainsifait remarquer en 2007 parune tribune extrêmementméprisante à l’égard des travailleurs émigrésphilippins.

Milenio Semanal35 000 ex., Mexique,hebdomadaire. Ce jeunejournal (“Millénaire”) a étécréé en septembre 1997. Sonton irrévérencieux traduitune approche incisive de l’actualité politiquemexicaine.Al-Mustaqbal 10 000 ex.,Liban, quotidien. Fondé en 1999 et spécialisé dans la politique, “L’Avenir”appartient à l’empiremédiatique de l’ex-Premierministre libanais Rafic Hariri(assassiné le 14 février 2005).L’Observateur Paalga7 000 ex., Burkina Faso,quotidien. Fondé en 1974,L’Obs est aujourd’hui le pluslu des trois quotidiens de la capitale burkinabée.L’essentiel de ses 16 pagesest consacré à l’actualitépolitique nationale et régionale.Perfil 42 000 ex., Argentine,bihebdomadaire. Quotidienlors de sa création en 1998,“Profil” avait dû rapidementmettre la clé sous la porte,faute de diffusion suffisante.Il a été relancé en 2005 en tant que journal dudimanche. Aujourd’hui, il possède également uneédition le samedi et uneversion électroniqueactualisée en permanence.Philippine DailyInquirer 250 000 ex.,Philippines, quotidien. Crééen décembre 1985, dans les derniers jours du régimeMarcos, le PDI, très attachéà son indépendancerédactionnelle, est lepremier quotidien du pays.La rédaction est constituéede 40 journalistes à Manilleet de 90 à travers le pays.Proceso 100 000 ex.,Mexique, hebdomadaire.Créé en 1976 par JulioScherer García, vieux routierdu journalisme mexicain, le titre reste fidèle à sonengagement à gauche. Sesreportages et son analyse de l’actualité en font unmagazine de qualité.De Standaard 95 000 ex.,Belgique, quotidien. Lancéen 1918, le journal deréférence de l’establishmentflamand a pris ses distances,ces dernières années, avec le monde catholique tout enconservant sa foi dans lecombat linguistique. Grâce à

Parmi nossources cettesemaine

courrierinternational.comSur le

web

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international.comCourrier international n° 1119

Edité par Courrier international SA, société anonyme avecdirectoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €.Actionnaire Le Monde Publications internationales SA.Directoire Antoine Laporte, président et directeur de la publication ; Eric Chol. Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président. Dépôt légal avril 2012 Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02Site web www.courrierinternational.comCourriel [email protected] de la rédaction Eric Chol (16 98)Rédacteur en chef Odile Conseil (web, 16 27)Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Jean-Hébert Armengaud (édition, 16 57), Raymond Clarinard (16 77),Isabelle Lauze (16 54). Assistante Dalila Bounekta (16 16)Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)Conception graphique Mark Porter AssociatesEurope Jean-Hébert Armengaud (coordination générale, 16 57), DanièleRenon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,16 22), Chloé Baker (Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70), LucieGeffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias (Portugal, 16 34), Iwona Ostapkowicz(Pologne, 16 74), Marie Béloeil (chef de rubrique France, 17 32), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), SolveigGram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), MehmetKoksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Mélodine Sommier(Finlande), Alexandre Lévy (Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas(Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine),Martina Bulakova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro,Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa(Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36),Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine)Amériques Bérangère Cagnat (chef de service Amérique du Nord, 16 14), EricPape (Etats-Unis), Anne Proenza (chef de rubrique Amérique latine, 16 76), PaulJurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu et Franck Renaud (chefs de service,Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Naïké Desquesnes (Asie du Sud, 16 51),François Gerles (Asie du Sud-Est), Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin(Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées),Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service,16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (16 35), Pascal Fenaux(Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie)Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29), Hoda Saliby (Maghreb,16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon (Afrique du Sud) EconomiePascale Boyen (chef de service, 16 47) Sciences Anh Hoà Truong (chef derubrique, 16 40) Médias Mouna El-Mokhtari (chef de rubrique, 17 36) Longcourrier Isabelle Lauze (16 54), Roman Schmidt Insolites ClaireMaupas (chef de rubrique, 16 60) Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz(chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, 17 33),Mouna El-Mokhtari (rédactrice, 17 36), Catherine Guichard (rédactrice,16 04), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Paul Blondé (rédacteur, 16 65),Mathilde Melot, Albane Salzberg (marketing)

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97)

Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 1677), NatalieAmargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon(anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), CarolineLee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), JulieMarcot (anglais, espagnol, portugais), Daniel Matias (portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol),Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie TalagaRévision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau,Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, PhilippePlanche, Emmanuel Tronquart (site Internet)

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53)

Maquette Bernadette Dremière (chef de service), Catherine Doutey,Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, DenisScudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, CélineMerrien (colorisation)Cartographie Thierry Gauthé (16 70)Infographie Catherine Doutey (16 66)

Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon)

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe) et Sarah Tréhin(responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330Malesherbes Routage France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg

Ont participé à ce numéro Alice Andersen, Simon Benoit-Guyod,Jean-Baptiste Bor, Isabelle Bryskier, Chen Yan, Sophie Courtois,Dune Delhomme, Geneviève Deschamps, Laura Diacono, NicolasGallet, Gabriel Hassan, Hang Huang, Joanna Jullien, Nathalie Kantt,Julia Küntzle, Virginie Lepetit, Jean-Baptiste Luciani, Carole Lyon,Nicolas Oxen, Raoul Roy, Nicole Thirion

Directeur délégué de la rédaction en charge de l’internationalPhilippe Thureau-Dangin

Secrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes : NoluennBizien (16 52), Sophie Nézet (Partenariats, 16 99), Sophie Jan GestionJulie Delpech de Frayssinet (responsable, 16 13). Comptabilité : 01 48 8845 02. Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes aunuméro Responsable publications : Brigitte Billiard. Direction desventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusion internationale : Franck-OlivierTorro (01 57 28 32 22). Promotion : Christiane Montillet

Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91),Laetitia Nora (assistante, 17 39)

Publicité M Publicité, 80, boulevard Blanqui, 75013 Paris, tél. :01 40 39 13 13. Directrice générale : Corinne Mrejen. Directrice déléguée : Brune Le Gall. Directeur de la publicité : Alexandre Scher([email protected], 13 97). Directrice de clientèle : Kenza Merzoug(kenza.merzoug @mpublicite.fr, 13 46), Hedwige Thaler([email protected],1407). Littérature : Diane Gabeloteau ([email protected]).Régions : Eric Langevin ([email protected], 14 09). Annoncesclassées :Cyril Gardère ([email protected], 13 03). Exécution : GéraldineDoyotte (01 57 28 39 93) Site Internet Alexandre de Montmarin([email protected], 01 53 38 46 58).

Modifications de services ventes au numéro, réassortsParis 0805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146

Service clients abonnements : Courrier international, Service abonnements, A2100 - 62066 Arras Cedex 9. Tél. : 03 21 13 04 31 Fax : 01 57 67 44 96 (du lundi au vendredi de 9 heures à 18 heures) Courriel : [email protected] d’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. Tél. : 01 57 28 27 78

Courrier international, USPS number 013-465, is published weekly 49 timesper year (triple issue in Aug, double issue in Dec), by Courrier InternationalSA c/o USACAN Media Dist. Srv. Corp. at 26 Power Dam Way Suite S1-S3,Plattsburgh, NY 12901. Periodicals Postage paid at Plattsburgh, NY and atadditional mailing Offices. POSTMASTER : Send address changes to CourrierInternational c/o Express Mag, P.O. box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239.

Ce numéro comporte un encart Abonnement broché sur lesexemplaires kiosque France métropolitaine et un encart “Le Monde”sur une sélection d’exemplaires abonnés France métropolitaine.

la qualité de ses analyses et de ses suppléments, le quotidien affiche sonambition : devenir un“journal de qualité deniveau européen”.The Star 280 000 ex.,Malaisie. Quotidien tabloïden anglais, créé en 1971 àGeorgetown (Etat dePenang). Devenu national en1976, il déménage de KualaLumpur à Petaling Jaya, uneville satellite de la capitale,en 1981. Il est doté de quatreéditions régionales.Tempo 160 000 ex.,Indonésie, hebdomadaire.Le titre fut publié pour lapremière fois en avril 1971par P.T. Grafitti Pers, dansl’intention d’offrir au publicindonésien de nouvellesfaçons de lire l’information :une liberté d’analyse et le respect des divergencesd’opinion.Le Temps 49 000 ex.,Suisse, quotidien. Né enmars 1998 de la fusion du Nouveau Quotidien et duJournal de Genève et Gazettede Lausanne, ce titre decentre droit, prisé descadres, se présente commele quotidien de référence de la Suisse romande.Visão 108 000 ex., Portugal,hebdomadaire. En 1993, le vieil hebdo tabloïd en noiret blanc O Jornal semétamorphosait en un newsmagazine haut encouleur, sorte de Newsweekportugais. Beau produitmarketing du groupe suisseEdipresse, le titre estaujourd’hui le deuxièmehebdomadaired’information du pays,derrière ExpressoLa Voz del Interior65 000 ex., Argentine,quotidien. Créé en 1904, ce titre – communémentappelé La Voz – est lu dansla région de Córdoba (au centre du pays). Detendance centre droit, il aété racheté en 1997 par le groupe de presse Clarín.Zhongguo XinwenZhoukan 220 000 ex.,Chine, hebdomadaire.Magazine d’information créé à Pékin le 1er janvier2000. Papier glacé, photosen couleurs, style direct,sujets variés. Se veut“ouvert sur le monde, dansun esprit créatif et original”.

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6 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Royaume-Uni

Un Etat de plus en plus espionLe gouvernement Cameron voudraitautoriser les services derenseignements à surveiller en tempsréel les conversations téléphoniques,les courriels et d’autres activités enligne, au nom de la sécurité nationale.Il ne s’agit pas d’avoir accès au contenu, mais à l’expéditeur, au destinataire et à l’heure d’envoi. Ces projets, d’abord révélés par TheSunday Times le 1er avril, rappellentceux du gouvernement Blair, que David Cameron avait vivementcritiqués, promettant “d’inverser la tendance à l’expansion de l’Etat espion”.Aujourd’hui, le gouvernement assureque ces mesures sont essentielles à la lutte contre la criminalité et leterrorisme. Le projet divise la coalitionau pouvoir : les libéraux-démocratess’en sont désolidarisés, rapporte The Independent.

Turquie

Malaise dans l’éducation

Le Parlement turc vient d’adopter une loi qui va complètement changerl’actuel système d’enseignement en Turquie. La formule est présentéecomme un cycle d’enseignementobligatoire de douze ans (contre huitactuellement), divisé en trois phases de quatre années chacune, ce quipermettra des orientations trèsprécoces vers des filières généralistes ou spécialisées. Adoptée dans

A suivre

la précipitation et avec très peu de concertation, cette loi suscite desinquiétudes, exprimées notammentdans le quotidien Taraf : “Les enfantssont placés très jeunes face à des choixirréversibles renforçant l’immobilismesocial.” La loi réautorise les lycéesconfessionnels, interdits par lesmilitaires en 1997, et favoriseraitl’enseignement à domicile “au risque d’y enfermer les jeunes filles et de renforcerl’islamisation de la société”, écrit Vatan.Perçue comme une revanche dugouvernement modéré AKP contrel’establishment kémaliste, cette réformen’en finit pas de susciter des malaises.

Pologne

Une fragile majoritéSelon des rumeurs insistantes, la coalition de la Plate-Forme civique(PO, libéraux) et du Parti paysan,dirigée par le Premier ministre

Donald Tusk, ne disposerait bientôtque d’une voix d’avance à la Diète,révèle le quotidien GazetaWyborcza. Deux députés de la Plate-Forme seraient en trainde se rallier au Mouvement deJanusz Palikot, dont l’ambition estune modernisation de la gauche.Cela pourrait ainsi compliquerl’adoption de la loi portant l’âge de la retraite à 67 ans. Le principalparti d’opposition, Droit et Justice,va voter contre. Gazeta Wyborczarappelle qu’en 1993 le gouvernementd’Hanna Suchocka est tombé à cause d’un député parti auxtoilettes au moment du vote.

Sénégal

Un banquier pourredresser le paysLe nouveau gouvernementsénégalais a été nommé le

5 avril. Si Macky Sall a tenu sapromesse d’un gouvernement réduit à 25 membres, contre une quarantainedu temps de l’ancien présidentAbdoulaye Wade, il ne s’est cependantpas privé de “rappeler certainsrevenants”, comme le souligne Le Populaire. Parmi les nouveauxvenus cependant : le Premier ministre,Abdoul Mbaye, 59 ans, banquierdiplômé d’HEC, et le chanteur YoussouN’Dour, nommé ministre de la Culture et du Tourisme.

Birmanie

En route vers la levéedes sanctionsTrois jours après la tenue de législatives partielles, remportées de manière écrasante par la Liguenationale pour la démocratie d’AungSan Suu Kyi, la diplomatie américaine aannoncé, le 4 avril, un assouplissement“ciblé” de ses sanctions imposées aurégime birman, notamment en matièred’investissements et d’aide au développement, écrit le webzineMizzima. Un ambassadeur américainsera également vite nommé dans le

pays, redevenu fréquentable depuisqu’il s’est engagé sur la voie des réformes. L’Unioneuropéenne ira dans le mêmesens. Le 23 avril, la questionfigurera à l’ordre du jour d’une

réunion des ministres desAffaires étrangères.

La levée dessanctionspolitiques visantdes personnalitésdu régimepourrait êtredécidée enpremier, puis, dans un deuxièmetemps, celle des restrictionséconomiques etcommerciales.

La mobilisation continue pour Trayvon Martin Des milliersde personnes ont encore manifesté dans plusieurs grandesvilles américaines pendant le week-end pascal “pour que justicesoit faite” après la mort du jeune lycéen africain-américainTrayvon Martin, abattu le 26 février à Sanford (Floride).

Amériques

Un sommethistorique

14 et 15 avril 6e Sommetdes Amériques

à Cartagena(Colombie). Unerencontre historiqueoù les chefs d’Etatdiscuteront de la réintégration

de Cuba aux prochainssommets, ainsi que

de la dépénalisation des drogues.

12 avril La Corée du Nord a prévu de lancer une fuséechargée d’un satellite, uneinfraction aux résolutions de l’ONU.

12 et 13 avril Sommet sur la sécurité nucléaire à Washington. Pour la Maison-Blanche, l’objectif est de discuter des mesures à prendre pour prévenir lesactes de terrorisme nucléaire.

13 avril Ouverture du procèsde quatre Suédois poursuivis

pour tentative d’attentatcontre le journal danoisJyllands-Posten, qui avaitpublié les caricatures de Mahomet.

Début du nouvel an khmer. A cette occasion, l’ancienPremier ministre thaïlandaisThaksin Shinawatra, en exil à Dubaï, se rendra dans lestemples cambodgiensd’Angkor, où plusieurscentaines de ses partisans, lesfameuses “chemises rouges”,envisagent de le rejoindre.

16 avril Début du procès àOslo d’Anders Behring Breivik,l’auteur des attaques du22 juillet 2011 en Norvège, qui ont causé la mort de 77 personnes, en majoritédes adolescents.

17 et 18 avril Conférence à Téhéran sur le désarmementnucléaire avec la participationd’une quinzaine de pays. Cetteréunion se tient en réponse au sommet du 12 avril sur la sécurité nucléaire à Washington. JA

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8 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Ils et elles ont dit

Ngozi Okonjo-Iweala

Banquièremondiale ? The Observer (extraits) Londres

A57 ans, la candidate nigériane a au moins trois cordes à son arc, avec une expériencegouvernementale en économie,dans la finance et dans ledéveloppement. Ses rivaux,

comme José Antonio Ocampo [ex-ministrecolombien de l’Economie] ou Jim Yong-kim– [Américain d’origine sud-coréenne] soutenupar Barack Obama, – ne peuvent pas en direautant. La nomination de Ngozi Okonjo-Iwealamettrait fin au duopole vieux de près desoixante-dix ans en vertu duquel les Etats-Uniset l’Europe se sont réservé la direction de laBanque mondiale et celle du Fonds monétaireinternational (FMI). A l’heure où l’économie de certains pays émergents comme le Brésildépasse celle du Royaume-Uni, cettenomination serait une façon de reconnaître unchangement dans l’ordre du monde. Il s’agiraitégalement d’un tournant dans l’histoire del’Afrique qui, après avoir longtemps étéexploitée par des pouvoirs étrangers ou desinstitutions financières, connaît en ce momentune véritable renaissance avec six des dix paysaffichant le plus fort taux de croissance aumonde. “Dans les années 1990, la Banquemondiale a été l’instrument d’une séried’ajustements structurels en Afrique, expliqueRichard Dowden de la Royal African Society.La nomination d’un Africain à la tête de cetteinstitution serait un symbole très fort.” Travailleuseacharnée, Okonjo-Iweala occupe son tempslibre à nager et à lire des autobiographies oudes œuvres de P. D. James, Conan Doyle ou desauteurs africains contemporains comme sacompatriote, Chimamanda Ngozi Adichie. Née en 1954 alors que le Nigeria faisait encorepartie de l’Empire britannique, elle aurait

Les gens

perfectionné son anglais en lisant Le Club des cinq et le trésor de l’île, d’Enid Blyton, ou lesaventures des “Jumeaux Bobbsey” [célèbresérie littéraire anglaise pour la jeunesse, lancéeau début du XXe siècle]. Elle a fréquenté l’unedes meilleures écoles du pays et a égalementsuivi des cours de danse et de piano au coursd’une enfance qu’elle décrit comme “magique et heureuse”. En 1967, la guerre civile éclate et la vie de famille en est bouleversée. En tantqu’officier de l’armée [sécessionniste] duBiafra, dans le sud-est du pays, le père de Ngoziest envoyé au front. C’est l’exode. La famille est contrainte de se déplacer sans cesse, avec fait au mieux un seul repas par jour. Plus d’unmillion de personnes trouvent la mort danscette guerre, la plupart victimes de la famine.A 18 ans, Ngozi Okonjo-Iweala part faire des études d’économie aux Etats-Unis àHarvard et au MIT, dans le Massachusetts. Puis elle commence à travailler pour la Banquemondiale et épouse un chirurgien, Ikemba – ilsont aujourd’hui une fille et trois fils, dont unécrivain, Uzodinma, auteur de Beasts of NoNation [Bêtes sans patrie, éd. de L’Olivier].Ngozi Okonjo-Iweala semble alors destinée àrester un des talents perdus de la diasporaafricaine, mais, au pays, les choses commencentà changer. Après la dictature militaire, leNigeria organise des élections civiles libres en1999. Le vainqueur, Olusegun Obasanjo,demande à Ngozi Okonjo-Iweala de rédiger unrapport sur les réformes économiques à mener.Le résultat le persuade qu’elle est celle qui peutramener l’ordre dans les finances du pays etréveiller ce géant endormi de l’Afrique. “Quandje suis devenue ministre des Finances, on m’asurnommée Okonjo-Wahala – la femme àproblèmes –, raconte-t-elle dans un entretien de2005. Cela veut dire : ‘allez au diable’. Mais je mefiche de comment ils m’appellent. Je suis unebattante. Je suis concentrée sur ce que je fais et jesuis déterminée au point que c’en est presque undéfaut. Si vous vous mettez en travers de monchemin, tant pis pour vous.” En 2003, le Nigeriaétait considéré comme le pays le plus corrompude la planète par le groupe TransparencyInternational. Avec des journées commençant à6 heures du matin et finissant à 11 heures dusoir, Ngozi Okonjo-Iweala entreprend deterrasser le dragon qui coûte près de

Cayo Lara, leader de la Gauche unie (IU),coalition de partis de gauche (Espagne)� Combatif“Les coupes budgétaires

supplie le Mali de nousaccorder notre indépendance.L’indépendance ne se donne pas, elle semérite. Par le combat, sur le terrain.” Après quatre mois de combats, le 5 avril, les rebelles touaregsviennent de proclamerl’indépendance du Nord-Mali. (Journal du Mali,Bamako)

Macky Sall, nouveauprésident du Sénégal� Prometteur“Le pouvoir est fait pour servir et non

pour se servir”,a-t-il affirmé dans son premier discoursle 4 avril dernier. Il a promis “une rupture”avec l’ancien régimed’Abdoulaye Wade, dont il a été membre de 2004 à 2008. (RTS TV, Dakar)

Hugo Chávez, président du Venezuela� Pieux“Jésus, donne-moi la vie, car j’ai encorebeaucoup de choses à faire”, a prié ce marxistelors d’une messe du jeudi saint. A 57 ans,atteint d’un cancer

depuis près d’un an et opéré à trois reprises, Chávez continue à se soigner à La Havane. (El Universal, Caracas)

Nawaf Ben Fayçal, princesaoudien, président duComité olympiquesaoudienDiscriminatoire“Nous ne cautionneronsaucune participationféminine saoudienne auxJeux olympiques.” Sous lapression internationale,l’Arabie Saoudite a toutefoispromis d’envoyer uneathlète aux Jeux olympiquesde Londres.

(L’Orient-Le Jour, Beyrouth)

Boris Johnson, maire deLondres� Vulgaire“Vous êtes un putain dementeur !” Le fantasque politicienconservateur l’a répété lors d’un débat à la radio qui l’a opposé au travaillisteKen Livingstone, sonprédécesseur et adversaireà l’élection municipale du 3 mai prochain, qui l’avaitaccusé de pratiques fiscales douteuses. (The Guardian, Londres)

sont une déclaration de guerre.”Il prédit de nouvellesmanifestations et un accroissement du mécontentementpopulaire si le gouvernement de Mariano Rajoy ne revient pas sur les mesures d’austéritéannoncées le 30 mars. (El País, Madrid)

Mossa Ag Attaher, porte-parole duMouvement national de libération de l’Azawad� Affranchi“On ne demande pas que la France ou l’AlgérieD

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15 milliards de dollars à son pays chaque année.Son équipe découvre notamment qu’il y avait5 000 noms de plus dans les registres de lafonction publique que de personneseffectivement présentes dans les bureaux. Elle utilise donc des tests biométriques pourséparer les vrais employés des travailleursfantômes. Elle déclare également la guerre aux commissions illicites, licencie ministres et hauts fonctionnaires. Elle rend le secteur de l’énergie plus transparent et s’en prend aux responsables militaires et politiquesimpliqués dans les vols de carburants, se faisantau passage de puissants ennemis, au péril de sa

vie. Victime de diffamation, elle estinterrogée sur le montant de son salaire et

sa maison à Washington. Son adresse estdivulguée sur Internet et son mari

reçoit des menaces. “Quand ons’attaque aux corrompus, lescorrompus ont tendance àrendre les coups”, dit-elle.

D’après les analystes, c’estparce qu’elle faisait trop bien

son travail et suivait lescomptes de trop près que leprésident Obasanjo finit par

l’abandonner et qu’elle estalors réduite à la démission.

Elle retourne alors àWashington où elle retrouve safamille et, en 2007, un poste de

directrice générale à la Banquemondiale. Depuis l’an dernier,elle est à nouveau au ministèrenigérian des Finances sous la

présidence de Goodluck Jonathan.Beaucoup la considèrent comme le

Premier ministre de fait. Ses décisionsn’ont toutefois pas toujours fait l’unanimité.Aujourd’hui, Ngozi Okonjo-Iweala pourraitde nouveau retourner à la Banquemondiale, cette fois pour succéder à RobertZoellick au poste de président. Elle estincontestablement la candidate de l’Afrique

et a même reçu le soutien de l’Afrique duSud, ce qui n’est pas rien à un momentoù les deux premiers pays du continent– l’un par son économie, l’autre par sapopulation –

sont à couteaux tirés. David Smith

� Dessin de Schot(Amsterdam) pour Courrierinternational.

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Le prochainPrésident vous répond en directdu 9 au 20 avril de 7h à 9hdans la matinale de Patrick Cohen,avec Pascale Clark et les chroniqueurs

franceinter.fr

La Présidentielle sur France Inter

10 jours, 10 candidats

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Controverse

OuiUn anachronisme coûteuxLes insulaires ne peuvent pas disposer d’un droit de vetocontre les intérêts britanniques, estime cet éditorialiste très réputé.

The Guardian (extraits) Londres

Quiconque s’est penché sur l’histoire tortueuse des Malouinessaura que les revendications argentines sont fondées. Letraité d’Utrecht [1713] avait reconnu la souveraineté de l’Es-pagne sur les îles, que Madrid occupa ensuite pendant qua-rante ans. En 1823, quand l’Argentine proclama sonindépendance, Buenos Aires réaffirma ses droits sur les îles.

Dix ans plus tard, la Grande-Bretagne s’en emparait par la force et les peu-plait de colons, par un acte brutal d’agression impériale.

Depuis, l’Argentine les revendique, avec le soutien d’autres Etats nésde la fin des empires en Amérique. La Grande-Bretagne, quant à elle, invoquela “prescription”. Les Britanniques occupent les îles sans interruption depuisle XIXe siècle, et les habitants ne cachent pas qu’ils ne tiennent pas à deve-nir argentins. De telles considérations pèsent lourd dans le domaine dudroit international. Mais le droit n’est pas tout. Les Malouines sont unesource de nuisance continuelle pour la diplomatie. Peut-être importent-elles fort peu pour Londres, mais elles sont le motif de griefs éternels pourle peuple argentin. Les îles se trouvent au large de l’Argentine, qui est leurlien évident avec le monde extérieur. Il est coûteux de ravitailler ce frag-ment hérité de l’empire et d’y entretenir une garnison. Avant 1982, la Grande-Bretagne en était consciente.

De fait, au moment où éclata la guerre, Margaret Thatcher était occu-pée à céder la souveraineté de Hong Kong à la Chine pour des préoccupa-tions semblables, et elle s’efforçait de négocier un compromis sur lesMalouines avec l’Argentine aux Nations unies. L’accord aurait englobé untransfert de souveraineté à Buenos Aires, avec un statut de cession-bailaccordé sans ambiguïté à la Grande-Bretagne, chargée de les administrerau nom des 1 800 habitants, qui conserveraient la citoyenneté britannique.

Le droit à l’autodétermination des insulaires doit être nuancé. Intran-sigeants, soutenus par la droite néo-impérialiste, ils avaient exigé, et obtenu,d’être secourus par les forces britanniques en 1982. Ils ont rejeté tous lesefforts des médiateurs argentins, qui, par la suite, ont tenté de rétablir lecontact. Ils affirment que le coût de leur splendide isolement pourrait êtrecouvert par les revenus potentiels du pétrole ; mais le pétrole en questionne leur appartient pas plus que celui de la mer du Nord n’appartient auxOrcades. Le consentement démocratique est toujours important, mais n’estpas forcément une condition sine qua non. Londres n’a jamais demandéaux Hongkongais s’ils voulaient ou non être rétrocédés à Pékin. On ne sau-rait abandonner le sort de Gibraltar à ses seuls habitants. Il n’y a rien de

particulier à propos des Malouines. Autrement dit, 2 500 colons ne peu-vent pas jouir d’un droit de veto injustifié sur la politique du gouvernementbritannique. En 1982, Thatcher estimait qu’il était dans l’intérêt de la Grande-Bretagne de négocier avec l’Argentine, alors que le pays était une dictature.Maintenant que l’Argentine est une démocratie, cet intérêt ne devrait êtreque plus évident. Le meilleur espoir réside dans un renouveau du projet decession-bail sous les auspices des Nations unies. Les îles doivent entrer enrelation avec le continent voisin. Il est absurde de continuer à les ravitailleréternellement par pont aérien depuis la Grande-Bretagne et l’île de l’As-cension.Simon Jenkins

NonNous devons mériter les îlesLes réclamations argentines relèvent d’un nationalismepathologique, explique cet historien argentin.

La Voz del Interior (extraits) Córdoba

Les sentiments et les passions qu’éveille la question des Malouinesnous empêchent de distinguer tout ce qu’elle implique et d’endiscuter comme il faudrait. Il y a d’abord une bataille juridiqueentre l’Argentine et la Grande-Bretagne. L’Argentine a des argu-ments valables, mais elle ne dispose d’aucune raison incontes-table. Nous parviendrons peut-être à des arrangements, mais

nous obtiendrons difficilement de la Grande-Bretagne la seule chose quinous obsède : la souveraineté, une et indivisible.

La deuxième question concerne les habitants de l’archipel. Ils sont ins-tallés là depuis cent soixante-dix ans. Il n’y a pas de population indigèneconquise, et en toute rigueur il n’y en a jamais eu, malgré les mythes histo-riques. Les Malouines ne sont ni l’Algérie ni l’Indochine. On ne peut pasinvoquer le droit à l’autodétermination – seuls les insulaires pourraient lefaire. Nous sommes donc face à une question de principes et de valeurs.

En ce qui me concerne, je crois – suivant Rousseau – que les Etats sontle résultat d’un contrat libre entre des individus raisonnables, qui s’accor-dent pour établir une société politique. Je ne pense pas qu’il existe une terrepromise par Dieu à son peuple. Les Falklandais n’ont jamais conclu de contratavec l’Etat argentin ; ils pourraient le faire, mais on ne peut pas les y forcer.En fin de compte, ce sont eux qui devront choisir.

Le troisième point a trait à la souveraineté. Pourquoi est-elle la seulechose qui nous intéresse ? Si les seuls enjeux se résumaient au pétrole ou àla pêche, il serait aisé de trouver un accord satisfaisant pour tout le monde.Mais ce n’est pas le cas. Pendant un siècle, nous avons réclamé des terresque nous ne connaissons pas et qui, concrètement, ne nous intéressent pas,mais qui constituent le véritable point névralgique de notre sentimentnationaliste. Et ce nationalisme – un nationalisme pathologique, paranoïaque– est un trait structurant de notre culture politique.

Depuis la fin du XIXe siècle – peut-être parce que notre société était tropdiverse et mobile –, nous avons cherché un concept unificateur et intégra-teur, un concept qui définirait l’essence de “l’argentinité”. Finalement, lesort a choisi le territoire : il existe un territoire intrinsèquement argentin,et est argentin tout ce qui se trouve sur ce territoire. Cette sacralisation duterritoire signifie que si un fragment manque à l’appel – si minuscule soit-il – la stabilité de tout l’édifice est menacée. Nous ne savons rien sur lesMalouines, mais nous savons que ces îles sont une fissure dans notre pauvresentiment national, qui ne trouve pas de meilleurs points d’appui.

Que faire dans ces conditions ? En 1982, nous avons tout gâché. Nousavons tout fait pour que les Malouines ne nous reviennent pas. Désormais,tout ce que nous ne pouvons espérer est que les Falklandais réussiront àdéterrer toutes les mines que nous avons laissées. Qu’ils oublieront les enva-hisseurs, qu’ils se rendront compte des avantages que pourrait leur offrirl’Argentine – et qu’enfin ils souhaiteront intégrer le pays. Nous devons méri-ter les Malouines. Luis Alberto Romero

� � ContexteDécouvertes en 1592,les îles sont occupéespar le Royaume-Unidepuis 1833 (après lepassage des Français,des Anglais, des Espagnols et des Argentins), mais l’Argentine n’a jamais renoncé à sa souveraineté sur ce territoirebritannique. Le 2 avril1982, pendant une dictature militairequi règne depuis 1976,l’Argentine décided’attaquer les Malouines,provoquant une réaction sanglantedu Royaume-Uni deMargaret Thatcher :649 Argentins et 255 Britanniquesmeurent au cours dessoixante-quinze jours de combats. Trenteans après, la questionest toujours brûlante :Buenos Aires etLondres se livrent à une “guerre desmots”, et la présidenteCristina Kirchnerhausse le ton. En décembre, tous lesmembres du Mercosur(Argentine, Brésil,Paraguay, Uruguay)ont interdit l’accès à leurs ports aux navires portant le drapeau des Malouines. En février, l’Argentinea présenté à l’ONU une plainte contre la “militarisation”par Londres de l’Atlantique Sud.Londres a annoncé,fin janvier, l’envoi d’unnavire de guerre sur zone. Celui-ci a appareillé le 4 avril, deux jours après la commémoration destrente ans de la guerre.Auparavant, le princeWilliam avait participéà une mission dansl’archipel au sein de la Royal Air Force.

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 11

À RETROUVER SUR leblogueur.arte.tv

STAGIAIRES DE TOUS LES PAYS… Interpellé par l’explosion des stagiaires en Europe, le Blogueur enquête en Grande-Bretagne, au Portugal et à Bruxelles.

LE BLOGUEURPRÉSENTÉ PAR ANTHONY BELLANGER

DIFFUSION LE 15 AVRIL À 20.10

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Iles Falkland (R-U) ou îles Malouines

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Les Malouines doivent-elles redevenir argentines ?

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En couverture12 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Rasecampagne� A l’approche du scrutin, des journalistes étrangerssont allés sur le terrain sonder le moral des Français.� Peu d’idées, pas de souffle, aucun élan : l’élection présidentielle est loin de passionnerles Français. � Pour la presse internationale,la faute en incombe à la classe politique,trop éloignée des réalités mais aussidu contexte mondial de la crise.

Page 13: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

Pour prendre le pouls de la campagneprésidentielle, un journaliste suédoisa posé ses valises à Pionsat, petitebourgade du Puy-de-Dôme. Au cœurde la France exactement.

Fokus Stockholm

Fourche à la main, une paysanne setient devant l’étable où ses qua-torze vaches attendent leur four-rage en meuglant. C’est l’imaged’Epinal de la France : un paradisverdoyant, vallonné, champêtre,

des chemins qui serpentent le long de rivièrespoissonneuses, et plus loin un village, son église,son château en ruines, sa mairie pavoisée à l’élé-gance classique, et sa place du marché où l’onvend fromages, charentaises et saucissons. Maisl’image que nous voyons est aussi celle de laFrance moderne – car la paysanne en questionest une agricultrice de 36 ans, et le toit de sonétable est équipé de 28 panneaux solaires, sub-ventionnés par l’Etat.

En quelques mots, voici la France résumée :pastorale et désuète, merveilleusement belle,tranquille et effacée, productrice efficace d’unealimentation de qualité – la France profonde*, lavraie France, celle dont rêvent les francophiles –, mais en même temps très moderne*, en pointesur les questions énergétiques, capable deconstruire les plus gros avions du monde et destrains plus rapides que les autres. La France estégalement marquée par une foi en l’Etat héritéede l’époque napoléonienne. Celui-ci protège sesindustries comme au temps de l’économie plani-fiée  : le constructeur Peugeot enregistre despertes retentissantes mais n’est pas autorisé àsabrer dans ses effectifs, et son concurrentRenault se voit interdire de délocaliser sa pro-duction dans des pays où la main d’œuvre estmeilleur marché. Les espoirs de l’université fran-çaise ne rêvent pas d’un avenir dans le secteurprivé : ils veulent devenir préfets.

Déception sur tous les frontsEn jean, polaire et baskets, Stéphanie Papon-Duprat, exploitante de la ferme de Fanny, nouslivre ses réflexions sur les candidats. C’est uneagricultrice des temps modernes : mère de deuxenfants, elle gère seule l’exploitation de 35 hec-tares, 17 cochons, 14 vaches Aubrac, 10 veaux et1 taureau ; son époux est cuisinier dans une can-tine scolaire en ville.

Pour qui votera-t-elle ? La gauche ou la droite ?“Je regarde les débats à la télé. Mais je les trouve toustellement stériles, répond-elle. Je suis déçue par Sarko(le surnom usuel du président). Il n’a quasiment rienfait de ce qu’il avait promis. Quant à Hollande, il al’air mou. Non, j’attends de voir.”

Stéphanie Papon-Duprat ne cite aucun sujet“chaud” ou controversé, mais ils sont connus :Nicolas Sarkozy a indisposé les Français en rele-vant l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans.François Hollande, qui s’est approprié la gestuelleexpressive de l’ancien président François Mit-terrand pendant sa campagne, a effarouché tant

ses adversaires que ses partisans en faisant partde son intention de porter le taux marginal d’im-position à 75 % pour les personnes dont les reve-nus annuels dépassent le million d’euros.

Si l’immigration est un grand sujet en France,il n’est pas plus enfiellé que dans la plupart desautres pays européens. On dénombre dans le pays7,2 millions d’immigrés, dont 5,2 millions sontoriginaires de pays extérieurs à l’Union euro-péenne, principalement l’Afrique. La jeune pré-sidente du Front national, Marine Le Pen, qui apris la succession d’un père fascisant, en fait soncheval de bataille. C’est dans les friches indus-trielles du nord de la France, où les électeursdélaissent le Parti communiste à son profit, qu’elletrouve le plus d’écho – pour ne pas se faire dou-bler, Nicolas Sarkozy s’est mis à la pêche en eautrouble, déclarant récemment à la télévision :“Nous avons trop d’étrangers sur notre territoire etnous n’arrivons plus à leur trouver un emploi, unlogement, une école. […] Il faut diviser par deux lenombre de gens que nous accueillons.” Il menace defaire sortir la France des accords de Schengen ets’est attaqué à l’abattage rituel pratiqué par lesjuifs et les musulmans.

La France en miniatureNous sommes ici au centre de la France – l’en-droit en vaut bien un autre dans cette France oùl’on peut trouver du soleil, de la pluie, de hautssommets (le mont Blanc), de vastes plaines, delarges fleuves, de longues côtes. Pionsat est unebourgade française typique de 1 027 âmes, situéedans le Massif central, à 500 mètres d’altitude. Ilest bon de rappeler que c’est à la campagne quese trouve la vraie France. Avec sa politique, sa cul-ture et ses philosophes médiatiques de gauche,Paris est une autre planète. La France est un paysrural. Bernard Simon, créateur d’une entreprisede logistique dans la région, confie : “C’est vrai, lecentre économique de la France, c’est Paris. Mais lecentre géographique, c’est ici, là où la France a unpied sur le tas de fumier.” La vie quotidienne desFrançais, c’est la vie telle qu’elle se passe dans les36 000 communes du pays, qui possèdent cha-cune leur maire et dont la plupart ne sont pas plusgrandes que Pionsat.

Les gens qui vivent bien à la campagne sontsouvent peu enclins à souhaiter le changement.Devant la mairie, des affiches font de la réclamepour deux événements du printemps à la salledes fêtes* : une soirée coq au vin et une soiréepot-au-feu. Le cinéma Alpha passe The Artist,motif d’orgueil national récompensé auxOscars. Rares sont les gens qui quittent la com-mune. Il y a du travail à l’usine de laine de verre,qui a remplacé l’exploitation minière, à 15 kilo-mètres de là. Par contre, des nouveaux arrivantss’y installent. Comme les patrons de l’hôtel où

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 13

La France des villages

“Ils ne méritent pas nos voix”

L’auteur

Staffan Heimerson,76 ans, a une longuecarrière de journalistederrière lui. Il a travaillé commecorrespondant pour la presse et la radiopublique suédoises en France, en Europede l’Est, aux Etats-Unis et en Asie, entreautres. Il a publié une trentaine derecueils de chroniqueset de reportages. En 1995, sesreportages en ex-Yougoslavie lui ont valu le StoraJournalistpriset, la plus prestigieuserécompensejournalistique suédoise.Il collaborerégulièrement au quotidien Aftonbladetet à l’hebdomadaireFokus.

Il est bon de rappeler que c’est à la campagne que se trouve la vraie France. Paris est une autre planète

� Avant un meetingde Nicolas Sarkozyà Nice, le 9 mars.

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Divisés et désorientés, les Françaisattendent un dirigeant qui les fasserêver. En vain pour l’instant.

Le Temps (extraits) Genève

Dans une campagne 2012 terne etfade, on cause, on sature l’espacemédiatique et on s’invectivebeaucoup. Mais personne ne veutclairement exposer les décisionstrès difficiles, capitales, à prendre

en matière de déficits, d’école, d’hôpital, d’éner-gie, etc. Le désarroi du citoyen électeur est réel.A qui confier la mission d’incarner et de conduirele pays pour les prochaines années ? Là où les can-didats s’activent à promettre un peu mais pastrop, à bouger le moins possible pour ne pas fairetrop de vagues, à jouer des ambiguïtés pour éviterde trop se découvrir et de fâcher telle ou telle corporation dans le pays, et, à l’inverse, à tirer àvue sur les exilés, la France attend un élan.

Face à ce besoin fort de perspective, lescitoyens pris dans le tambour de l’essoreuse descrises financières et économiques ne perçoiventqu’une gestion au coup par coup, en réactivité permanente. A un drame, à un problème nouveau,répondent une action immédiate, un nouveauprojet de loi. Avec Nicolas Sarkozy, malgré quelquesréformes d’envergure réussies, la France est entréedans un mode action-réaction.

Au milieu des désordres mondiaux, du désar-roi européen et des fragilités nationales, les Fran-çais ont à choisir leurs dirigeants – un présidenten mai et un Parlement en juin pour cinq ans. Ilsaimeraient tant entendre les candidats exprimerune vision de ce qu’ils souhaitent que devienne laFrance dans dix ans, dans vingt ans : maintenir ouretrouver un rang de grande puissance mondiale ?

nous séjournons, Christelle et Frédéric Carton– la trentaine, deux enfants –, qui ont quitté Dun-kerque, au bord de la mer du Nord, pour réali-ser à la montagne leur rêve de devenir leurspropres patrons.

Et la politique ? “Oui, on regarde les débats àla télé. Je n’aime pas Sarko. Il ne parle que de lui.En augmentant la TVA, il va détruire l’économie”,juge Christelle Carton. François Hollande ? “Ila l’air brouillon.” Marine Le Pen ? “Ne m’en parlezpas. Elle veut donner 200 euros de plus par mois àtous les salariés. Où est-ce qu’elle va trouver l’ar-gent ?” Un raisonnement nuancé que nous neretrouverons pas au marché, plus tard dans lajournée. Patrick Nore, mercier, 47 ans, grogne :“Tous les politiques sont des pantins grassementpayés. Peu importe pour qui je vote, ça ne changerarien.” Pour autant, cette défiance marquée àl’égard des politiques, loin des milieux bavardset sophistiqués de la capitale, ne se traduit paspar un faible taux de participation.

A la Taverne de la Halle, quatorze ouvriers enbleu de travail sont assis autour de la même tabledevant un repas généreusement arrosé de vinde pays comprenant entrée, plat, fromage et des-sert. C’est la pause déjeuner. Ils ont quitté lechantier d’extension de la maison de retraite,située à 200 mètres de là. Six d’entre eux sontportugais et n’ont pas le droit de voter, mais leshuit autres s’accordent à dire que tout est pluscher et que les politiques ne sont là que pours’en mettre plein les poches.

Cynisme dominantA la brasserie Le Saint-Bravy, ce n’est pas à sa viede jeune femme, mais à sa retraite, dans quaranteans, que songe Estelle, la serveuse : “Sarkozy nousa roulés en repoussant l’âge de départ à la retraite.”Un client de la brasserie, Roland Cromarias,menuisier, défend le président. “Il faut vivre avecson époque. Le reste de l’Europe travaille plus quenous.” Les avis ne manquent pas sur le train devie du chef d’Etat, qui se déplace en jet privé, ycompris pour de courts trajets, et compte 121 voi-tures à sa disposition. En la matière, les Françaisen ont pourtant vu d’autres : depuis trente ans,ils ont vu Giscard jouer les receleurs de diamantsavec Bokassa, Mitterrand faire payer les apparte-ments de ses maîtresses par le contribuable etChirac détourner l’argent de l’Etat pour financerl’appareil de son parti.

Devant son verre, un enseignant du villagelivre son point de vue sur le taux marginal d’im-position de 75 % proposé par François Hollande.“Cela ne concerne qu’une poignée de chefs d’entre-prise. Ils iront en Suisse et nos meilleurs joueurs defoot signeront en Premier League en Angleterre.”

On peut dire sans se tromper que le défai-tisme est le sentiment qui prédomine en cettepériode préélectorale. Ce que confirme un com-mentaire souvent entendu : “Les élus ne méritentpas nos voix.” Mais dans une France où le taux departicipation sera quoi qu’il en soit élevé, certainsdéplorent sèchement ce climat de défiance àl’égard des politiques : “Les électeurs ne méritentpas leurs élus.” Staffan Heimerson

* En français dans le texte.

Etre une puissance moyenne résignée ? Etre unepièce importante du grand puzzle européen aucôté de l’Allemagne ? Où va-t-on, demandent-ils ?

Derrière cette question qui préoccupe tout lemonde, les attentes ne sont pas identiques. LaFrance n’est plus un tout uni. Il y a au moins troisou quatre France aujourd’hui. Une France quiavance vite, inventive, bien formée, entrepre-nante, créative, dynamique, ouverte, encline àconquérir les marchés internationaux. Elle attendun élan, un encouragement, une bienveillance àson égard. Il y a aussi une France conservatrice,figée, qui gère le maintien des acquis et la toilesocio-législative qui protège. Elle est composéeautant de gens modestes que de Français plusriches qui craignent les réformes qu’ils pressen-tent, par peur de voir leur situation se dégrader.Il y a enfin un groupe de plus en plus large d’ou-bliés dans la précarité. Les habitants des terri-toires ruraux, qui se sentent de plus en plusabandonnés, à l’écart des priorités nationales.Mais surtout des millions de gens qui vivent auvoisinage du seuil de pauvreté, en majorité desjeunes, des femmes, des personnes âgées. Vis-à-vis de cette population, les élus sont restés sansréponses, esquivant les grandes actions et préfé-rant dire que la richesse est un scandale alors quec’est la pauvreté qui est inacceptable.

En 2012, la France n’est plus en mesure de dif-férer les réformes comme elle l’a fait durant detrop longues années. L’Histoire montre qu’unpays aussi riche, aussi nourri d’expériences, aussipétri de diversités a largement les ressources pourrebondir et construire un futur. La France abesoin d’une personnalité forte à sa tête, coura-geuse et déterminée. Mais elle doit surtout opérerdes réformes institutionnelles qui désenchevê-trent les responsabilités et rééquilibrent le poidsde l’Etat. Car le temps où tout découle d’un roi-président est révolu. Ignace Jeannerat

En couverture Rase campagne14 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Radiographie

Des électeurs en plein désarroi

A la brasserie Le Saint-Bravy,Estelle, la serveuse, s’inquiète pour sa retraite, dans quarante ans ST

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Retrouvez sur notre siteInternet notre pagespéciale consacrée à l’électionprésidentielle. Portrait des candidats,analyse des enjeux de la campagne,décryptage desmeetings et des débats :chaque jour découvrezle meilleur descommentaires publiésdans les journaux,magazines et webzinesinternationaux.Suivez-nous aussi sur Twitter, sur le fil@CourrierFrance.

� Meeting de FrançoisHollande, à Aurillac, le 22 mars.

Page 15: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

A la question “Pourquoi voter Nathalie Arthaud ?”, on obtientessentiellement des réponses par défaut : pour désavouer Sarkozy, rejeter la droite, marquer sa méfiance à l’égard de Hollande,exprimer son écœurement... Et puis, finalement, si vous insistez : pour exprimer la conviction que, “si les élections ne peuvent pas changer la vie, la lutte collective desexploités en a la force et la possibilité”. La Libre Belgique, Bruxelles

Près de 20 000 nantis français viventen Belgique, à l’abri du fisc mais aussid’un certain “racisme financier” ; et si François Hollande remporte les élections, beaucoup de nouveauxémigrants feront leurs bagages.

De Standaard (extraits) Bruxelles

Une BMW grise franchit sans bruitles hautes grilles en fer forgé dusquare du Bois, l’un des lieux lesplus huppés de Bruxelles. C’estici, dans de luxueux et majes-tueux hôtels particuliers, que

vivent certaines des plus grosses fortunes du pays.Ce domaine privé que les Bruxellois appel-

lent “l’impasse des milliardaires” abrite non seu-lement un commissaire européen et un ancienbourgmestre [maire], mais aussi un nombre crois-sant de millionnaires français.

Nouvelle vague de réfugiés françaisCes jours-ci, l’avocat fiscaliste Manoël Dekeyserest débordé : à l’approche de l’élection présiden-tielle en France, les coups de téléphone pleuvent

depuis Paris. Au bout du fil, de riches voisins veu-lent savoir comment fuir avec femme et enfantsvers la Belgique.

La nouvelle vague de réfugiés français fuyantle fisc est d’autant plus frappante que, depuisl’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, l’émigra-tion des Français vers Bruxelles s’était quasimentinterrompue, jusqu’à ce que François Hollandecommence à grimper sensiblement dans les son-dages à la fin de l’année dernière. Sa récente pro-position de soumettre tous ceux qui gagnent plusde 1 million d’euros par an à un taux d’impositionmarginal de 75 % a été pour beaucoup la goutted’eau qui a fait déborder le vase.

Selon Nathalie Garcin, propriétaire del’agence immobilière de prestige Emile Garcin,l’ampleur du nouvel exode des Français versBruxelles dépendra fortement du résultat de laprésidentielle. “Beaucoup de clients attendent cemoment pour prendre leur décision, mais, si Hollandegagne, cela va aller très vite.”

Racisme à l’égard des entrepreneursD’après les estimations, les évadés fiscaux fran-çais en Belgique sont au nombre de 15 000 à20 000, voire davantage. Ils se sont pour la plu-part installés dans les communes au sud deBruxelles, comme Uccle et Ixelles, que l’on sur-nomme d’ailleurs “le petit Paris”. Ils inscriventleurs enfants à l’Ecole européenne – établisse-ment élitiste – ou au Lycée français, égalementrenommé, et y achètent, le sourire aux lèvres, lesmaisons de maître et les villas des quartiers chicsenvironnants. “La catégorie de prix pour nos clientsqui cherchent à se loger à Bruxelles ? La fourchetteva de 1 à 3 millions d’euros”, dit Nathalie Garcinsans détours. Mais, à vrai dire, pour bon nombrede clients fortunés, le prix est accessoire, recon-naît-elle. Par rapport à Paris, Bruxelles est extrê-mement bon marché.

Jean-Luc, 42 ans, ancien Parisien, est l’und’entre eux. Pourquoi ce Français a-t-il décidé dedéménager à Bruxelles ? “Pas seulement pour desraisons fiscales, c’est aussi parce que ma femme estbelge”, dit-il, s’efforçant de sauver les apparences.Mais bien vite l’amertume reprend le dessus :“Vous savez, en France, il existe depuis des années unracisme à l’égard des entrepreneurs qui réussissent.Il n’y a aucune reconnaissance, ni de l’Etat, ni del’homme de la rue. Pour beaucoup de Français, il fautêtre presque fou pour démarrer une entreprise enFrance.” S’il comprend que l’on critique les super-primes dont bénéficient les PDG du CAC 40,Jean-Luc déplore que “les gens mélangent tout.Même les simples hommes d’affaires et les professionslibérales sont stigmatisés”.

Pour nombre de ces exilés, la Belgique repré-sente un soulagement. “Le climat général pour lesentrepreneurs est bien meilleur ici, même avec un Pre-mier ministre socialiste, explique Bruno. C’est simple :en France, c’est l’inquisition qui nous attend. Ici, ona encore droit au respect.” Nico Tanghe

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 15

En vertu de la loi électorale, Jacques Cheminade bénéficie du même temps d’antenne que le président. Auditeurs et téléspectateurs risquent donc de devenir, contre leur gré, des experts des projets de M. Cheminade :création d’un “corridor thermonucléaire”de la Terre à Mars, atmosphères artificielleset colonies humaines sur Mars et les lunes de Jupiter et Saturne.The Independent, Londres

La France des très riches

Sauve qui peut vers la Belgique !

Indécis, sans caractère, insipide, monotone, banal et ennuyeux : autant d’adjectifs qui pourraient s’appliquer à François Bayrou.

Aucune de ses idées n’est assez puissante pour lui permettre de battre ses opposants, qui ont du charisme

à ne plus savoir qu’en faire.The Guardian,Londres

La France des commerces

MauvaiscomptesBBC News Online (extraits) Londres

Lorsqu’il a lancé sa campagne, enfévrier, Nicolas Sarkozy a fait ses pre-miers déplacements chez un traiteur,un chocolatier et un poissonnier d’uneville de province [Annecy]. Il attes-tait ainsi non seulement l’importance

numérique des commerçants français – ils sont1,2 million –, mais aussi leur place dans l’imagi-naire collectif : un bon Français achète son painchez le boulanger* et son fromage chez le fromager*– ou du moins il aime à penser que c’est le cas.

A Nancy, pourtant, les commerçants se sen-tent négligés par les candidats. Il y a cinq ans, lorsde sa première candidature à la présidence,M. Sarkozy avait séduit de nombreux indépen-dants par son franc parler et son attachement àla valeur du travail – “travailler plus pour gagnerplus” était son leitmotiv. “Mais ce n’étaient que desmots”, assure Jack Le Clainche, membre d’un syn-dicat de travailleurs indépendants. “Il disait unechose en 2007 et il a fait le contraire.”

Valérie Grandmaire, elle, a bien du mal à trou-ver du personnel pour travailler dans sa boulan-gerie en horaires décalés. “Nous voulons embaucher,mais le coût du travail est vraiment un obstacle”,regrette-t-elle. Casse-tête supplémentaire pourles commerçants : les 35 heures. Elles interdisentaux salariés d’effectuer plus de 4 heures [hebdo-madaires] supplémentaires. Si les grandes entre-prises peuvent se permettre d’embaucher dupersonnel pour s’acquitter du travail excédentaire,ce n’est pas le cas des petites : toute tâche supplé -mentaire est réalisée par le patron, ou pas du tout.

Cela dit, même les commerçants les plus endifficulté semblent s’être trop résignés à leur sortpour en vouloir à M. Sarkozy. Danielle Cuny venddu linge de maison. Elle se tient dans sa boutique,l’air triste. Après plus d’un siècle d’existence, sonaffaire familiale, dans la principale rue commer-çante de Nancy, va mettre la clé sous la porte. “Lesdétaillants indépendants sont en chute libre, soupire-t-elle. Il n’y a rien à faire face à la concurrence desmagasins en ligne et des supermarchés.”

Le 22 avril, peu de commerçants voteront pourles partis de gauche, qui restent profondémentméfiants vis-à-vis des marchés. Beaucoup ferontcontre mauvaise fortune bon cœur et donnerontleur voix au président sortant. Henri Astier* En français dans le texte.

� Le 24 janvier, à Besançon, meeting de Jean-LucMélenchon.

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Nicolas Dupont-Aignan est à l’UMP ce que Mélenchon est au PS :

un transfuge qui tente de piquer des voix. Et il le fait lui aussi sur le thèmede l’Europe. Pour Dupont-Aignan, la bataille consiste à libérer

Paris du joug de Bruxelles et à récupérer la souveraineténationale perdue. Mais ses résultats ne s’annoncent pas aussi roses que ceux de Mélenchon.Lettera43, Milan

� Dessins de Glez,Ouagadougou

Page 16: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

En 2007, les banlieues étaientomniprésentes dans le débat. En 2012, les candidats n’évoquent le sujet que du bout des lèvres.

O Globo (extraits) Rio

Stéphane Denelle, 39 ans, est jardinier.Mais, depuis quelques mois, il estpayé par la mairie pour accomplirune curieuse tâche : monter et des-cendre plusieurs fois par jour lesdix étages d’un immeuble insalubre

et dégradé, chargé des cabas, sacs et autres objetsappartenant aux habitants. L’ascenseur est enpanne depuis cinq ans. “Combien de fois je montepar jour ? Ça dépend. J’ai commencé il y a quelquesminutes et j’ai déjà fait un aller-retour”, précise-t-il en se désignant comme “agent de portage”.

Un sujet à risquesBienvenue à Clichy-sous-Bois. Dans cette banlieue pauvre de Paris où a débuté en 2005l’une des plus violentes révoltes de jeunes desclasses populaires, le temps semble arrêté. Septans plus tard, les couloirs et les murs de l’im-meuble sont toujours recouverts d’insultes.Outre l’ascenseur, le vide-ordures est horsd’usage. Certains habitants jettent leurs déchetspar la fenêtre. “A cause de ça, nous avons descafards et des moustiques même en hiver”, sedésole Fatou Cissé, 22 ans.

Les banlieues sont un thème pratiquementabsent de la présidentielle cette année. Etquand les candidats s’y rendent, sans faire detapage, les promesses sont rares. Une situationqui ne surprend pas le sociologue Jacques

Donzelot : “C’est un sujet à risques pour la gauche.Dans le climat d’angoisse lié à la crise, toute sollici-tude marquée à l’égard des quartiers est perçuecomme une attention particulière en direction desimmigrés et cela fait perdre des voix.”

A Clichy-sous-Bois, 15 000 des 29 000 habi-tants ont moins de 25 ans, et le taux de chômageatteint les 40 %. Abdel Eliot, 24 ans, fils de Maro-cains, raconte que, malgré ses bonnes notes àl’école, il a été orienté vers le bâtiment. Il rêvaitd’être avocat, il est devenu électricien. Mais, enjuin 2011, Abdel a monté sa propre affaire commeinfographiste. “Pour les gens ici (en France), je nesuis pas français. Quand je dis que je le suis, on medemande aussitôt : ‘Oui… mais vous êtes d’où ?’”souligne-t-il. En 2005, Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait déclenché une polémique en pro-mettant de nettoyer au karcher la racaille de ban-lieue – c’est-à-dire de se débarrasser de jeunesd’origine immigrée qu’il associait à la délinquance.Aujourd’hui, sept ans après, avec une France tou-chée par la crise européenne et face à la dérivedroitière d’une partie de la classe politique, le pro-blème des banlieues a été mis sous le tapis. Mais

En couverture Rase campagne16 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Les Français, mais aussi les chefs d’Etatétrangers comme Angela Merkel, ont du mal à se faire à cette idée : FrançoisHollande pourrait bientôt emménager

à l’Elysée en tant que président, et s’inscrire dans la lignée d’hommes comme Napoléon, De Gaulle ou Mitterrand. Le seul à ne pas avoir

de doutes, c’est lui.Süddeutsche ZeitungMunich

La France des grandes tours

Les oubliés de la campagne

A la une

En couverture du NewStatesman, un jeunegraffeur met le pointfinal à cette inscription :”La France est monennemi.” Après l’affaireMerah, et en pleinecommémoration de la fin de la guerred’Algérie, le magazinelondonien, forum de lagauche indépendantebritannique, s’estpenché sur le sort desjeunes Franco-Algériens de notrepays. L’intellectuelAndrew Husseyretrace le parcours dutueur de Toulouse,révélateur du désarroide toute une jeunessedéfavorisée, souventmarginalisée, dans lesbanlieues des grandesvilles, “au croisementde plusieurs lignes defractures de la sociétéfrançaise”.

� A Boulogne-sur-Mer, le 27 mars,avant un meetingde Hollande.

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face au manque d’attention de la classe politique,les habitants s’organisent. Une caravane de mili-tants, partie de Clichy-sous-Bois, va passer parune vingtaine de villes afin de collecter des signa-tures pour une pétition contenant des proposi-tions pour la banlieue. Plusieurs associations àtravers le pays se préparent également à lancer enmai – après la présidentielle – un mouvement poli-tique des banlieues. Avec l’idée que des habitantsse présentent aux régionales et aux municipales.

“Je vis dans la honte”Dans une cour face à l’immeuble où travaille Sté-phane Denelle, un groupe de jeunes, sous l’em-prise de la drogue, passe l’après-midi sans rienfaire. L’un d’eux s’exclame : “On n’a rien à dire. Ici,c’est la misère !” Dans les banlieues, du fait du scep-ticisme à l’égard de la classe politique, certainsne veulent même pas voter. C’est le cas de Christine Krache, 41 ans, divorcée et mère dequatre enfants. Elle travaillait comme femme deménage, mais aujourd’hui elle se retrouve sansemploi. Christine Krache habite au 4e étage del’immeuble. Son fils de 16 ans a quitté l’école ettouche à la drogue. “Ma vie est un combat… je visdans la honte. Si au moins j’avais un boulot, je trou-verais le courage de continuer”, confie-t-elle.

A La Paillade [un quartier de l’ouest de Mont-pellier, rebaptisé La Mosson par la municipalitéen 2000], les immeubles sont en cours de réno-vation. Et bien que le quartier fasse partie desrares banlieues qui n’ont pas connu de révolteen 2005, les jeunes se plaignent des mêmeschoses qu’à Clichy-sous-Bois. Aziz Berrag, 27 ans,possède un diplôme d’ingénieur financier, maisil ne parvient pas à décrocher un emploi dans cesecteur. “Ou vous n’avez pas assez de diplômes… ouvous en avez trop. Mon père est venu du Maroc pouraider à construire la France, dans les années 1970.Ensuite, il a fait venir sa famille. Quand j’étais àl’école au Maroc, on disait que la France était uneldorado”, se souvient Aziz, lui qui est né dansun village sans électricité. Marwan Baraka,26 ans, formation en comptabilité en main,essaie de trouver du travail depuis six mois. “Jecherche dans la France entière sans succès. D’abord,on me dit que je n’ai pas assez d’expérience. Ensuiteque c’est la crise. Et puis… il y a ma tête qui ne doitpas passer. Alors je me demande : est-ce qu’il y a desFrançais en trop dans ce pays ?” L’une des raisonsde l’absence de révolte à La Paillade, selon cer-tains spécialistes, est le fait que les associationssoient très présentes. Mohamed Ait Ali Bouch,immigré marocain, entraîne aujourd’hui uneéquipe de football de jeunes âgés de 13 et 14 ans,pour qu’ils s’occupent et restent éloignés de ladrogue et autres tentations. Pour lui, les pro-blèmes sont nombreux à La Paillade. Mais quandil pense qu’il vient d’un village marocain où ilfaut parcourir 300 kilomètres pour se rendre àl’hôpital le plus proche, il soupire et dit : “Hon-nêtement, je suis bien ici.” Débora Berlinck

Eva Joly, la candidate des Verts, a rendu visite aux sinistrés de Fukushima, et a reproché

au gouvernement Sarkozy de “profiter” de la catastrophe

pour mettre en avant la sûreté de la technologie française. Malgré

la catastrophe nucléaire survenue à la centrale Daiichi [en mars 2011],

l’écologie et la remise en question de l’atome ne semblent étonnamment pas être une préoccupation centrale en France. Tokyo Shimbun Tokyo

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A Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais,la crise et le chômage ont fait bondir les résultats électoraux des extrêmes.

El País Madrid (extraits)

Hénin-Beaumont est une agglo-mération de 125 000 habitantsdu Nord-Pas-de-Calais, régionautrefois comparable à des Astu-ries à la française, un territoirepauvre, humide et dominé par

le Parti communiste. Dans les années 1980, la fermeture des mines et l’avènement d’un pôleindustriel made in France (Renault, Faurecia, Sam-sonite, Metaleurop mais aussi McDonald’s etKFC) firent de la ville un fief socialiste.

Mais les choses ont bien changé ces dernièresannées. Depuis 2008, la crise, les délocalisationset les fermetures d’usines ont entraîné des tauxde chômage record, dépassant les 15 %. En 2010,le Front national (FN) a remporté 48 % des voixaux municipales et, aux cantonales de 2011, l’ex-trême droite a même flirté avec les 80 % à Beau-mont. Devenue conseillère régionale, Marine LePen a décidé d’y installer son QG nordiste, mar-quant ainsi la fin de l’époque où le FN n’était qu’unclub de retraités fortunés de la Côte d’Azur. A l’ins-tar de la Ligue du Nord en Lombardie, le FN a ainsiéchappé à l’ostracisme grâce au vote ouvrier.

Aujourd’hui, il n’y a que deux sièges officielsde partis politiques à Hénin-Beaumont : celui duFN et celui du Front de gauche ; faut-il en déduireque les extrêmes se rejoignent  ? Depuis queMarine Le Pen a donné un vernis social et répu-blicain au parti de son père, il est effectivementdifficile de faire la distinction entre les deux pro-grammes. Tous deux réclament davantage de pro-tectionnisme, moins de mondialisation, plus demade in France. Mais cette recette, tous les partisfrançais la proposent.

“Le Front national défend l’idée que les patronset les ouvriers doivent s’unir contre les étrangers et ilest hostile aux syndicats”, explique David Noël,secrétaire de la section locale du Front de gauche.“Alors que nous, nous voulons revenir à la retraiteà 60 ans. Notre protectionnisme n’est pas nationa-liste : nous voulons simplement protéger l’industrieeuropéenne de l’exploitation de la main-d’œuvre tellequ’elle se pratique dans des pays comme la Chine.”

Le FN, parti des indignésCe sentiment d’invasion, d’inquiétude face à lamondialisation et d’intolérance au libre-échangeest très répandu en France. Mais dans les zonesles plus reculées et les plus touchées par la crise,l’appréhension est encore plus vive. Dans unarticle du Financial Times, le journaliste françaisPhilippe Manière*, estime que “la mondialisationrévèle l’injustice du modèle français. La promessed’égalité, au centre du pacte républicain, a été trahie :

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 17

Pas facile d’acquérir une culture classique à laquelle on a tourné le dos pendantcinquante ans. Malgré ses efforts, NicolasSarkozy continue de maltraiter la langue et de confondre des concepts aussiélémentaires que ceux de religionet de race. Il a affirmé que deux des militaires tués par Merah étaient “des musulmans, en tout cas d’apparence”. Comme si tousles musulmans de la Terre devaient avoir l’air arabe… La Nación Buenos Aires

De l’art de se choisir un successeur ! Ça ne fait qu’un an que l’enfant terrible* de la politique, le vieux Le Pen, 83 ans, a lâché sa cadette Marine dans le grand bain. Et Marine Le Pen prétend déjà au principal titre paternel, celui de “faiseur de président” (avant, on disait ‘faiseur de roi’). Les experts locaux prédisent qu’ellepourrait faire un meilleur score que sonpère. Ogoniok Moscou

Le succès de Jean-Luc Mélenchon reflète la déception des Français à l’égard du systèmeactuel ; son parti est une force radicale quicritique sans réserve les disparités salarialeset la mondialisation libérale. Mélenchonn’est pas inconnu des Chinois : il est l’un des rares politiques français à avoir osé s’opposer publiquement au boycott des JO de Pékin en 2008, et il a traité le dalaï-lamade “roi des moines”.Wangyi Pékin

Philippe Poutou, ouvrier chez Ford, a pris la relève d’Olivier Besancenot pour porter les couleurs du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).

Mais il dispose de beaucoup moins de charisme que le tribun-facteur. Les sondages ne le créditent même pas de 1 % des voix.Le Soir Bruxelles

ce sont toujours les mêmes qui vivent sous la menace(notamment celle de perdre son travail) tandis qued’autres profitent des avantages (une bonne carrièreet un salaire élevé)”.

Cette distance des élites – résultant de la collusion des politiques avec le monde média-tique et celui des affaires – explique en grandepartie le phénomène du Front national, commecelui du Front de gauche. Les deux partis ne recru-tent pas seulement des nostalgiques du fascismeet du communisme, ils fédèrent également le votedes indignés et des anti-système.

Pour les ouvriers, c’est Marine !Pour Dino, patron du Café de la Paix à Hénin-Beaumont, le succès de Marine Le Pen s’expliquepar la peur de l’immigration et surtout du chô-mage : “Ici, vous avez des maisons où trois généra-tions vivent sous le même toit et où personne n’a detravail.” María Francisca González, tenancièred’une friterie sur la place centrale, estime que,chez les militants du Front national, “il y a autantde gens en colère que de fachos”. D’après elle, “MarineLe Pen a fait un travail que les autres n’ont pas fait :elle est allée de quartier en quartier pour chercher lesvoix. Le FN a réussi à prendre les voix des mécon-tents. Il y a quinze ans, les militants n’osaient pas semontrer au grand jour, mais aujourd’hui tout lemonde les connaît. Et chez les licenciés de Metaleu-rop, ils sont nombreux”.

Marine Le Pen tire sa grande force électoraledes jeunes et des ouvriers, dont elle est la candi-date préférée. Elle mène une campagne presqueclandestine, faite de meetings le dimanche, dedistribution de tracts dans les usines et dequelques rares interviews accordées aux journa-listes. C’est apparemment un choix : l’extrêmedroite avance silencieusement, avec la compli-cité de quelques partisans qui préfèrent resterdiscrets. Peut-être les sondages ne reflètent-ilspas toute la réalité de cette France silencieuse etfarouche, qui trame sa vengeance contre les élitesnationales, européennes et internationales sansvouloir se montrer. Miguel Mora

* Auteur de l’ouvrage Le pays où la vie est plus dure,publié chez Grasset en 2012.

La France sans emploi

Les entreprises sont parties, l’espoir aussi

Marine Le Pen a fait un travailque les autres n’ont pas fait :elle est allée de quartier enquartier pour chercher les voix.

� Avant un meeting de la candidate du FN, à Bouguenais, le 25 mars.

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* En français dans le texte

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Selon le magazine britanniqued’inspiration libérale, les candidatsparlent de tout sauf de l’essentiel : les douloureuses réformes qu’il faudra mener.

The Economist (extraits) Londres

Si vous visitez la zone euro, voussentirez souffler le vent vivifiantde la réforme. Fort de son plan“Salva Italia”, Mario Monti n’a pashésité à déclarer que la crise del’euro était presque terminée. En

Espagne, le gouvernement de Mariano Rajoy aréformé le marché du travail et présenté unbudget d’austérité pour 2012. Malgré toutes leursdifficultés, les Grecs savent que le temps desdépenses inconsidérées et de l’évasion fiscale estrévolu. Mais il y a un pays qui n’a pas encore com-pris à quel point la situation avait changé.

La France aborde la dernière ligne droite desa campagne présidentielle. Or le plus frappant,dans cette élection, c’est que les candidats nedisent pratiquement rien du marasme écono-mique dans lequel est plongé le pays. Ils parlentau moins autant de dépenser plus que de dépensermoins. Aucun n’envisage sérieusement de réduireles impôts, exorbitants. M. Sarkozy, qui en 2007entonnait l’air de la rupture*, ne jure plus que parle protectionnisme, il menace de taxer les exilésfiscaux ou encore de quitter l’espace Schengen– et, du moins avant la tuerie de Toulouse, iln’avait pas de mots assez durs contre l’immigra-tion et la viande halal. De son côté, M. Hollandepromet de créer 60 000 postes dans l’enseigne-ment, de revenir partiellement sur la réforme desretraites et de faire payer les riches (dont il a dit,un jour, allègrement, qu’il ne les aimait pas) parl’instauration d’une tranche d’imposition à 75 %[sur les revenus dépassant 1 million d’euros].

Les défenseurs de la France font valoir quele pays est loin d’être aussi mal en point queses partenaires méditerranéens de la zone euro.La France dispose d’atouts économiquesenviables : une main-d’œuvre instruite et pro-ductive, plus de sociétés apparaissant dans les500 premières du classement mondial du maga-zine Fortune que n’importe quel autre payseuropéen, son dynamisme dans les services etl’industrie haut de gamme.

Nul n’envisage de réduire les impôtsCela dit, les fondamentaux sont nettement moinsencourageants. La France n’a pas équilibré sescomptes depuis 1974. La dette publique s’établità 90 % du PIB et elle ne cesse d’augmenter. Lesdépenses publiques, à 56 % du PIB, engloutissentune part plus importante de la production quedans n’importe quel autre pays de la zone euro– plus encore qu’en Suède. Les banques sont sous-capitalisées. Le chômage est plus élevé qu’il ne l’ajamais été depuis la fin des années 1990, il n’estpas redescendu au-dessous de 7 % en près detrente ans, entraînant un sous-emploi chroniquedans les banlieues* en proie à la délinquance. Lesexportations stagnent. En données corrigées del’inflation, la France présente le déficit de labalance des paiements courants le plus élevé detoute la zone euro. Elle pouvait peut-être vivre àcrédit avant la crise financière, lorsqu’il étaitencore possible d’emprunter facilement. Cen’est plus le cas aujourd’hui. De fait, une Franceà l’économie stagnante, réfractaire aux réformes,

pourrait même être frappée de plein fouet par laprochaine crise de l’euro.

Il n’est pas rare que les politiques évitent derappeler certaines vérités dérangeantes pendantune élection, mais, par les temps qui courent, ilest inhabituel en Europe de les passer sous silenceà ce point, comme le font en France les candidatsà la présidentielle. En Grande-Bretagne, enIrlande, au Portugal et en Espagne, les électeursont arrêté leur choix sur des partis qui leur pro-mettaient un réalisme douloureux. Le problème,en France, vient en partie du fait que les électeurssont convaincus de la bienveillance de l’Etat etde la cruauté sans bornes du marché. Les Fran-çais sont pratiquement les seuls parmi les paysdéveloppés à considérer la mondialisation commeune menace aveugle et non comme une sourcede prospérité. Et tandis que l’extrême gauche etl’extrême droite prêchent le protectionnisme,n’importe quel candidat croit devoir caresserl’électorat dans le sens du poil.

Le pire serait qu’ils soient sincèresDe nombreux dirigeants d’entreprise ne déses-pèrent pas de voir émerger un certain réalisme.Le débat va revenir au centre lorsque M. Sarkozyet M. Hollande vont s’affronter au second tour ;et, une fois élu, le nouveau président va renoncerà ses promesses dispendieuses et mener un pro-gramme de réformes raisonnable, comme cer-tains de ses homologues européens. Mais est-cevraiment possible ?

A vrai dire, il y a une hypothèse plus inquié-tante que le manque de sincérité : les candidatspensent peut-être vraiment ce qu’ils disent. Etdans le cas de M. Hollande, qui reste le vainqueurle plus probable, une telle éventualité pourraitavoir des conséquences désastreuses. La dernièrefois qu’un candidat socialiste inexpérimenté a étéporté à la présidence, c’était en 1981. En tant queprotégé de François Mitterrand, M. Hollande n’acertainement pas oublié comment les choses onttourné pour son mentor. Après avoir nationalisédes pans entiers de l’industrie et soumis le paysà deux dévaluations, ce qui lui a valu des mois desanctions de la part des marchés, M. Mitterranda été obligé de faire machine arrière.

Les partisans de M. Hollande affirment qu’ilest pragmatique, que son programme est bienplus modéré que celui de M. Mitterrand. L’abais-sement de l’âge de la retraite ne s’appliqueraitqu’à une petite catégorie de travailleurs ; le tauxd’imposition à 75 % ne concernerait qu’une toutepetite minorité de contribuables. Pourtant, detels projets traduisent une hostilité envers l’es-prit d’entreprise et la création de richesses. Ilstémoignent, de la part du Parti socialiste, d’uneincapacité à admettre que le monde a changédepuis 1981. A cette époque, des mesures decontrôle des capitaux étaient encore en vigueur,le marché unique européen n’avait pas encore étémené à son terme, les jeunes travailleurs étaientmoins mobiles, la monnaie unique n’existait pas.

Si M. Hollande l’emporte en mai (et si sonparti gagne aussi les législatives de juin), il pour-rait s’apercevoir qu’il ne faut que quelquessemaines aux investisseurs pour fuir le marchéobligataire français. Et si jamais M. Sarkozy étaitréélu, les risques ne disparaîtraient pas pourautant. Lui non plus n’envisage pas les réformesradicales ou la réduction structurelle des dépensesdont la France a besoin. Les dures réalités ne vontpas tarder à rattraper la France, quel que soit sonnouveau président. �

* En français dans le texte.

En couverture Rase campagne18 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Analyse

Les politiques ? Ils sont dans le déni

A la une

C’est désormais une tradition : avantchaque présidentielle,The Economistconsacre unecouverture à la France.En 2007, séduit par le candidat de l’UMP, il s’était inspiré d’un célèbre tableaude Jacques-LouisDavid pourreprésenter NicolasSarkozy en Bonaparteà cheval, prêt à conquérir l’Elysée. En 2012, l’humeur est tout autre. Le magazinebritannique pastichecette fois Le Déjeunersur l’herbe, d’EdouardManet, avec NicolasSarkozy et FrançoisHollande dans le rôlede pique-niqueursinsouciants, occupés à conter fleurettetandis que le payss’enfonce dans la crise.Dans l’article que nousreproduisons ci-contre, The Economistjustifie le choix de ce visuel.

Les Français sont les seuls à voirla mondialisation comme unemenace aveugle et non commeune source de prospérité

� A Paris, lors d’unmeeting de Jean-Luc Mélenchon, le 18 mars.

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Europe et en espagnol (El País). Il n’a pasencore de version en français, maisLe Seuil, éditeur de Günter Grass,en fera paraître prochainement la “traduction autorisée”.

Traduction Commenté dans le monde entier, le poème deGünter Grass a paru simultanémenten allemand (Süddeutsche Zeitung),en italien (La Repubblica)

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 19

Publié dans la presse européenne,le “poème-éditorial” du PrixNobel de littérature présenteIsraël comme un danger pour la paix dans le monde, et susciteun tollé. Grass a-t-il été biencompris ? Explication de texte.

Frankfurter Allgemeine ZeitungFrancfort

�I l est recommandé de lire lespoèmes de Günter Grass d’abordavec les yeux, puis avec le tour-

nevis à la main. Car ils ressemblent à desétagères Ikea. Sur le papier, tout a l’air trèssimple, mais, une fois qu’on a étalé toutesles pièces, monté et démonté le meuble,plus rien ne coïncide.

Certes, un poème n’est pas une étagère.De l’extérieur, on ne voit pas ce qu’il y adedans. Un poème est un poème parce qu’ilne dit jamais ce qu’est le fond de l’affaire.C’est pourquoi, depuis des générations, oninterroge les élèves sur ce que nous cachentles poètes.

Il en va tout autrement d’un éditorial.Un éditorial est un article qui donne tou-jours l’idée de fond. C’est pourquoi desgénérations de lecteurs de journaux se bat-tent tous les matins pour dire s’ils trouventjuste – ou faux – ce qu’il dit.

Par conséquent, quand un auteurassemble un poème et un éditorial, le lec-teur doit se demander s’il juge juste oufaux ce que cache le poète.

Nous voilà donc arrivés à Günter Grasset à son poème Ce qui doit être dit. Neufstrophes que le Prix Nobel de littérature[1999] fait publier sur la terre entière (fina-lement, The New York Times ne l’a toute-fois pas publié). A première vue, il paraîtsimple à comprendre et construit sansgrand artifice. “Ce qui doit être dit”, on letrouve à la septième strophe : “Israël, puis-sance nucléaire”, met en danger la paixdans le monde. Il y est question de l’Iranet d’Israël, de “potentiel nucléaire”, d’“anti-sémitisme”, de livraison de “sous-marins”,d’“hypocrisie de l’Occident”, de “paix dansle monde”, d’“installations nucléairesiraniennes”, de “contrôle permanent”, d’“uneinstance internationale” – voilà tous les élé-ments de l’éditorial politique.

Un communiqué sur la paixOn peut en débattre comme d’un éditorial.On constatera alors que – hormis la thèseque l’Etat d’Israël met en péril la paix dansle monde – Grass n’avance aucune opinionqui lui soit purement personnelle. DavidGrossman a exprimé, dans nos colonnes,des positions tout à fait similaires. Il y aquelques jours, le quotidien israélienHa’Aretz citait en détail les mises en gardede [la secrétaire d’Etat américaine] HillaryClinton contre une attaque préventive

d’Israël. A première vue, le poème de Grassse résume à ceci : un communiqué du PrixNobel de littérature sur la paix dans lemonde, stylistiquement à des années-lumière de tout ce qui se pratique de nosjours dans la littérature.

Mais si on prend son tournevis pour yvoir de plus près, on trouve alors undeuxième poème, en l’occurrence uneinversion assez bouleversante du discoursouest-allemand d’après-guerre. Pour pou-voir parler d’Israël en tant que victimed’Israël, Grass écrit un éditorial qui utilisele procédé lyrique. L’histoire allemande,avance-t-il, l’a jusqu’ici empêché de parlerouvertement. Mais désormais il doit parler.

Pourquoi je me tais,Je passe sous silenceSi longtempsCe qui est évident et se joue Sous forme de plansAu terme desquels nous, survivants,Serons au mieux des points de détail [de l’Histoire].

Il faut clairement se représenter ce quece maître du langage suggère de manièreallusive. Il parle en “survivant” potentielqui sera “au mieux un point de détail [de l’His-toire]” si l’on n’arrête pas Israël. Au plansémantique, il s’empare du mot “survivant”et s’arroge l’autorité morale des rescapésdes persécutions du IIIe Reich. Mieuxencore, il joue presque mot pour mot avecles discours des cérémonies de commé-moration de la Nuit des pogroms du 9 no -vembre 2008, où Charlotte Knobloch

[alors présidente du Conseil central desJuifs en Allemagne] dénonçait le risque devoir les victimes de l’Holocauste devenir des“points de détail de l’Histoire”. Angela Merkelavait répondu à cette crainte par une décla-ration restée célèbre que ce poème entendréfuter : “Il fait partie de la raison d’Etat alle-mande de garantir l’existence d’Israël.”

Mais ce n’est pas tout. Tout le poèmelaisse entrevoir en filigrane un message qui,si l’on en change quelques mots, pourraitlaisser croire qu’il s’agit du texte d’un résis-tant clairvoyant de 1934. Grass dit :

1) Je me suis tu trop longtemps, maisje ne veux plus me taire ;

2) Je me suis tu sous la “contrainte” etla peur de la répression ;

3) On m’accusera “d’antisémitisme”(substitution sémantique pour “haute tra-hison”) ;

4) Mais aujourd’hui je parle, car on seprépare à anéantir tout un peuple.

Ce qui est en jeu ici, ce n’est plus Israëlet l’Iran, c’est de saisir enfin la chanced’un changement de rôles. Bien sûr, Grassrappelle que les crimes allemands sont“exceptionnels” et “sans comparaison”. Mais

ce qu’il dément dans les mots, il le suggèrepar allusion. Le champ lexical dont se sertGrass, du survivant à l’anéantissement,autrement dit l’Holocauste, est sans équi-voque. Mais Grass a plus encore à offrirpour se délier la langue, et c’est peut-êtreson passage le plus marquant. Il ne parlepas seulement en tant que futur rescapéd’un génocide programmé, il évoque aussice qui l’a empêché de dire la “vérité” :

Car j’entendais que mes origines,Prisonnières d’une faute à jamais indélébile,M’interdisaient d’affirmer ces faitsComme une vérité déclaréeA la terre d’Israël, à laquelleJe suis et resterai lié.

Le produit du ressentiment Ce ne sont pas ses actes et ses cogitationsqui lui imposent la retenue, mais ses gènes.“L’origine en tant que faute” – il ne dit pas :“ma génération”, “mon pays”, “notre his-toire”, “mon histoire”, il utilise le conceptgénéalogique d’“origine”. Et ce pour uneraison bien simple : il partage ainsi la stig-matisation dont souffrent les véritablesvictimes du racisme. Certes, il ne se dit paspersécuté pour cette raison. Mais le prixqu’il pense avoir payé vaut une condam-nation à mort dans l’univers littéraire : sesorigines l’obligeaient à mentir.

Une fois le poème ainsi démonté, il nereprend plus jamais sa forme. Non, ce n’estpas un poème sur Israël, l’Iran et la paix.Comment cela se pourrait-il alors qu’ilrègle son compte au négationniste iraniende manière expéditive en le traitant de“bravache” pour mieux accuser expressé-ment Israël de menacer la paix mondiale ?

C’est là le piètre produit du ressenti-ment d’une génération moralement frus-trée à vie. Günter Grass aimerait bien quele débat, puisque débat il y a, porte main-tenant sur le droit en tant qu’Allemandde critiquer Israël. En réalité, le débatdevrait plutôt porter sur la légitimité ounon de présenter le monde entier commevictime d’Israël, et ce pour qu’un hommede 85 ans puisse enfin être en paix avecsa propre biographie. Frank Schirrmacher

Allemagne

Ce que Günter Grass veut nous dire

“Ce qui doit être dit” (titre du poème publié le 4 avril dans la presse européenne). Dessin de Hachfeld paru dans Neues Deutschland, Berlin.

Disqualifié pourincompétence, voiresénilité, et taxé de toutesparts d’“antisémitisme”– ce qu’il trouve “blessantet décevant” –, GünterGrass déclare au quotidienSüddeutsche Zeitungque, s’il devait réécrireson texte, il préférerait“éviter le terme ’Israël’ et

dire plus clairement qu’il [s’en prend au]gouvernement actuel de Nétanyahou”.Le fait que ce dernier le déclare persona nongrata marque un tournant dans les attaques contrel’écrivain. De nombreusespersonnalités en

appellent à la toléranceou émettent des signesde ralliement. A l’instarde Jakob Augstein, qui,sur le site en ligne de Der Spiegel, reconnaît à Grass le mérite d’avoirexprimé “ce qu’il fallaitdire” (à lire sur notre site,www.courrierinternational.com).

Contre-attaques

Colère, déception et ralliements

Une inversionbouleversante dudiscours d’après-guerre

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20 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

En Italie, il est rare qu’un chef departi démissionne. Le départ duleader de la Ligue du Nord aprèsdes révélations sur undétournement de fondspourrait créer un fâcheuxprécédent, ironise l’éditorialisteMarco Travaglio.

Il Fatto Quotidiano Rome

�E t maintenant qui va représenter leNord ?” s’interrogeait récem-ment, dépité, Dario Di Vico, le

directeur adjoint du Corriere della Sera,sur le plateau d’une émission de la Rai.Dans les colonnes du Corriere, PierluigiBattista se joint aux condoléances encélébrant “la grandeur reconnue d’un leaderqui a introduit dans l’agenda politique la‘question septentrionale’ et a su interpré-ter les sentiments d’un peuple qui n’avait pasde représentation politique… Une misérableaffaire de détournement de fonds ne sauraitfaire oublier une histoire qui a débuté à lapériphérie du système.”

Le Nord ? Le peuple ? La questionseptentrionale ? Faut-il rappeler que sila Ligue du Nord ratissait jusqu’à 30 %des votes en Lombardie et en Vénétiequand elle se portait bien, elle a toujoursséduit beaucoup moins dans le reste decette prétendue Padanie [nom génériquedonné par les militants du parti au nordde l’Italie, censé désigner toute la valléedu Pô] : elle n’a jamais représenté plus de10 à 15 % des électeurs nordistes. Cela n’en-lève en rien au rôle historique qu’elle a jouédans la chute de la Ire République [en 1994]et dans le soutien qu’elle a apporté àl’opération Mains propres, quand tous lesvieux partis auraient volontiers envoyéAntonio Di Pietro [ juge anticorruptionartisan de cette opération] sur la Lune.Mais vingt ans se sont écoulés. La der-nière fois qu’Umberto Bossi a fait quelque

Europe

chose d’utile, c’était en 1994, quand il acontribué à renverser Berlusconi alors que“le Caïman” achetait les membres de laLigue du Nord les uns après les autres[Umberto Bossi est ensuite devenu l’un desprincipaux alliés de Berlusconi]. Depuis, laLigue du Nord est devenue un caravansé-rail tragicomique rempli de clowns, deparasites, d’imposteurs, de beaucoup deracistes, de quelques voleurs et d’une tri-potée de laquais. Puis il y a eu l’ampoule[chaque année, le parti organise le rite del’ampoule, qui consiste à remplir uneflasque d’eau à la source du Pô, dans le Pié-mont, et à la verser dans la lagune de Venisepour marquer l’attachement des militantsà leur territoire], le drapeau italien qu’on

jette dans les toilettes [ou avec lequel ons’essuie le postérieur, comme Bossi l’a sou-vent répété], les terun [pour terronni ou“cul-terreux”, nom péjoratif qui désigneles Italiens du Sud], les negher [“nègres”],les doigts et les bras d’honneur, le “moi, jel’ai dure” [leitmotiv de Bossi pour évoquersa virilité], les kalachnikovs [dont la Pada-nie est censée s’armer pour lutter contreles envahisseurs], le parlement de Pada-nie, la monnaie de Padanie, la banque dePadanie, la sortie de l’euro, etc.

La Ligue du Nord a trouvé trois idéesprovincialistes à souhait – la sécession, lefédéralisme et la décentralisation – et s’yest agrippée pendant deux décennies auxdépens du soi-disant “peuple”. Mais der-rière cette façade carnavalesque, les diri-geants s’amusaient bien, tout contents de

trouver quelques millions de per-sonnes disposées à boire l’eau du Pôet à reprendre leur slogan “Rome lavoleuse”, tout contents aussi de pou-voir occuper des sièges ministérielscomme les autres. Dans un raremoment de lucidité, Roberto Calde-roli, devenu ministre de la Simplifi-cation des lois sous Berlusconi,avait confessé au Corriere : “Je n’au-rais pas parié un kopeck sur moi.”Aujourd’hui, il est membre du trium-virat qui a succédé à Umberto Bossi.

Ces jours-ci, on a vu fleurir desdizaines de mots d’excuses àl’adresse du grand chef : tout est lafaute de sa femme la sorcière, de sesenfants dépensiers, de Rosy Mauro,la sénatrice qui lui servait de garde-malade, du trésorier resquilleur.Tout s’est passé à l’insu du pauvremalade [Bossi est physiquementdiminué depuis un accident céré-bral, en 2004].

En dehors du fait que Bossisavait depuis des mois, aumoins depuis que les jour-naux l’en informèrent,que son trésorier,Francesco Belsito,avait transféré7 millions d’eu-ros en Tanzanie,peut-on me direqui a embauché ceBelsito ? Bossi. Qui a faitembaucher “la Truite”[surnom donné à son fils,Renzo Bossi] pour unsalaire de 12 000 euros parmois  ? Bossi. Sans parler des20 millions d’euros issus d’une caissenoire qu’il aurait versés à son ex-trésorier,Maurizio Balocchi. Tout le reste n’est que

larmes de crocodile. Mais la main légèreet l’œil humide de nombreux journauxcachent une mauvaise conscience carac-térisée : pendant des années, ils ont prisau sérieux ces voyous et leur fédéralismede bazar. De même, les mots indulgentset émus des autres chefs de parti dissi-mulent mal leur mauvaise conscience :

aujourd’hui, c’est tombé sur Bossi  ;demain, ça pourrait tomber sur eux. Aulendemain des révélations apportéespar l’enquête, le fondateur de la Liguedu Nord disait  : “Je me suis trompé.”Depuis, il a lu les journaux. Maintenant,il crie au “complot” des magistrats. Adop-ter cette fois le principe selon lequel undirigeant de parti peut démissionnermême s’il n’est pas directement mis encause par une enquête judiciaire pour-

rait créer un dangereux précédent.De fait, un cri unanime semble

s’échapper des couloirs dupouvoir : “Umberto, ne nousabandonne pas !”Marco Travaglio

“La Ligue ne l’a plus”, titrait le quotidien de droite Libero,le jeudi 5 avril,au lendemain de la démissiond’Umberto Bossi,70 ans, clin d’œilà l’un de ses slogansfavoris, expression d’unevirilité affichée : “Je l’aidure”. Le scandale qui a

éclaboussé le parti populisteet son dirigeantemblématiquea éclaté avecl’ouverture d’uneenquête pourdétournementsde fonds publics

et blanchiment d’argentsale visant le trésorier de la Ligue du Nord. Bossiet sa famille sont aussi

accusés d’avoir puisédans les caisses du partipour financer des dépenses privées :rénovation de maisons,achat de diplômes,location de voitures deluxe, etc. Le fils de Bossi,Renzo, 24 ans, a à sontour annoncé sadémission de son poste de conseiller régional deLombardie, lundi 9 avril.

Détournement

Une affaire de famille

Italie

Des larmes de crocodile pour le voyou Bossi

� Bossi, dans les parcs de Padanie. Dessin de Mauro Biani, Italie.

La Ligue du Nord estdevenue un caravansérailrempli de clowns, deparasites, d’imposteurs,de racistes et de quelques voleurs

Page 21: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

avantage sur ses compatriotes d’Athènes,qui pratiquent rarement une autre langueque la leur. “Si je pouvais, j’apprendrais legrec, mais d’ici à cet été je compte faire mesvalises”, dit Tom. Il n’est pas le seul. Chéet Lia vivent depuis dix ans en Grèce.Lia arrive à prononcer correctement lenom des quartiers d’Athènes où elle a tra-vaillé jusqu’à présent : “Patíssia, Kypséli,Omónia…” Le couple possède aujourd’huiune boutique de confection. “En 2008, jevendais tout en un ou deux mois. Aujour-d’hui, le stock peut tenir plus de six mois”,dit-elle. Lia ne va pas quitter la Grèce degaieté de cœur  : elle ne veut pas tropchambouler la vie de sa fille, qui est néeici. Pourtant, au fur et à mesure que lacrise frappe le pays, son mari, Ché, insistede plus en plus sur la nécessité de quit-ter les lieux : “Nous ne gagnons plus assezd’argent.” Tom, qui traduit ses propos, estd’accord : “Nous, nous sommes venus icipour vendre des produits chinois aux Grecs.Si c’est pour vendre des produits chinois auxChinois, autant rentrer à Pékin.”Marilis Margomenou

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 21

Elysée 2012 vu d’ailleurs

La campagne présidentielle vue de l’étranger chaque semaine avec

avec Christophe MoulinVendredi 14 h 10, samedi 21 h 10 et dimanche 17 h 10

L’émotion reste vivedans la classe politiquegrecque depuis qu’unretraité s’est donné la mort en public à Athènes, le 4 avril.

La Grèce tout entière estsous le choc après lesuicide de DimitrisChrisoula. Un telévénement est toujourstragique et suscitegénéralementl’incrédulité commepremière réaction. Maisle suicide de cepharmacien à la retraitede 77 ans a eu un énormeimpact sur notre société,surtout à cause de soncontenu hautementpolitique.Politique, d’abord par lechoix du lieu ou s’estdéroulée la tragédie. Laplace Syntagma, un lieuhautement symbolique,en face du Parlement, oùles représentants dupeuple déterminent lesort du pays en votantdes lois d’austérité quidétruisent la vie demillions de Grecs.Ensuite par la décisionde faire de ce geste, quihabituellements’accomplit dans lasolitude d’un lieu privé,un acte public – presque

un sacrifice devant la foule, pour que cedésespoir puisse toucherla société tout entière. Le pharmacien retraité a sacrifié son bien le plusprécieux – sa vie – pourtenter d’envoyer unmessage fort à la classepolitique qui dirige laGrèce. Il a voulu nousfaire savoir à tous, et auxhommes politiques enparticulier, qu’il payait de sa vie les pots cassésd’une politique socialedésastreuse. La lettreque l’on a retrouvée dans une poche de sonmanteau en apporte unepreuve supplémentaire.Son contenu est sansappel et met notre classepolitique dans unesituation d’échec et mat.“Le gouvernementTsolakoglou* a anéantitoutes mes possibilitésde survie, écrit-il. Et,comme mon âge avancéne me permet pas de réagir d’une façondynamique (quoique, si un compatriote devaitse saisir d’une kalachnikov,je m’empresserais de le suivre), je ne voispas d’autre solution quede mettre fin à ma viedignement, ce quim’épargne d’avoir

à fouiller les poubellespour survivre. Je croisque les jeunes sans avenirprendront les armes un jour et qu’ils pendrontles traîtres à ce pays surla place Syntagma,exactement comme les Italiens l’ont fait pourMussolini en 1945.”Ce qu’il faut dire aussi,c’est qu’aucun des mouvements de protestation contre lapolitique d’austérité miseen place il y a trois ans n’aeu autant de portée quece geste. Désormais noshommes politiques vontdevoir porter le poids trèslourd de ces accusations– et cela ne concerne pas uniquement ceux qui nousgouvernent, mais laclasse politique grecquedans son ensemble. Car le suicide de Dimitris Chrisoula n’est peut-être qu’un début…Giorgos Delastik To Ethnos (extraits)Athènes

* Du nom du Premier ministreGeorges Tsolakoglou (1886-1948), le “Pétain grec”,connu pour avoir collaboré avec l’occupant nazi en Grèce. L’auteur de la lettre le compare probablement au gouvernement de Lucas Papademos.

Traumatisme

Un suicide en forme d’ultimatum politique

Dessin de Balaban, Roumanie.

Frappés à leur tour par la crise,les Chinois d’Athènes mettent laclé sous la porte. Reportage dansleur quartier, ou ce qu’il en reste…

I Kathimerini (extraits) Athènes

�R ue Agisilaou en début d’après-midi. Un poste de télévision estallumé en plein milieu du trot-

toir. Sur l’écran, un film chinois. Troisjeunes garçons à genoux regardent,hypnotisés par les images. Ici, il n’y a pasde dragons rouges ou de robes en soie. Enrevanche, il y a du monde : des gens quicourent partout, des mobylettes, d’autresenfants qui mangent en plein milieu de larue. Cent cinquante commerces sur vingtpâtés de maisons. C’est le Chinatown athé-nien. Ou, du moins, ce qu’il était jusqu’àaujourd’hui. Car ici plus personne ne peutparier sur sa survie dans un an.

Depuis 2000, 20 000 personnes sontarrivées petit à petit de Chine pour consti-tuer leur propre communauté. Mais les Chi-nois de Grèce, qu’on se le dise, ne sont pasvenus pour rester. Qui laisse son pays pourvenir vivre dans le pire quartier d’Athènes ?Ils sont venus ici pour gagner de l’argent etl’envoyer dans leur patrie. Pour nombred’entre eux, la Grèce n’était qu’une étapesur leur route vers l’Europe de l’Ouest. LesChinois d’Athènes font eux aussi les fraisde la crise économique. En 2010, 10 % desboutiques chinoises ont mis la clé sousla porte. “Notre chiffre d’affaires a été réduitde moitié”, explique San, un vendeur devêtements. “On n’a jamais pu retrouver ladynamique d’avant. Beaucoup de magasinsferment.”

La vague de retours en Chine a com-mencé en 2011. 2012, c’est l’année duDragon. “Moi, je voudrais que le dragon meporte jusqu’en Italie”, intervient Tom, uncollègue de San. Ce jeune homme de 35 ansporte un prénom anglais parce que sonpère était un marin venu d’Angleterre.Ainsi, son fils parle l’anglais – un sérieux

Grèce

A Athènes, Chinatown se vide

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22 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Europe

Un système d’allocationspermettait encore récemment à des familles défavoriséesd’habiter les quartiers huppés de la capitale. La récente réforme sonne la fin de la générosité.

The Guardian (extraits) Londres

�C es derniers temps, les profes-seurs de l’école primaire Gate-way de Marylebone, dans le

district de Westminster, ont remarquéque certains de leurs élèves étaient enproie à des problèmes de logement. “C’estterrible, une fillette vient me voir presque tousles jours pour me demander si je lui ai trouvéune maison”, note Maggie Schneider,directrice adjointe.

Le plafonnement de l’aide au loge-ment (de 250  livres [300  euros] parsemaine pour un deux-pièces, à 400 livres[480 euros] pour cinq pièces ou plus),entré en vigueur en janvier, est en trainde bouleverser la vie de nombreusesfamilles du centre de Londres  : lesparents, qui ne peuvent plus payer leurloyer, ont les pires difficultés à trouverdes solutions de rechange. A Westmins-ter, 17 % des élèves du primaire pour-raient être contraints de déménager.L’allocation ne concernait que les loca-taires du secteur privé et non ceux deslogements sociaux. Elle permettait à ungrand nombre de familles modestes depayer une partie de leur loyer. “Si vousn’avez pas les moyens d’habiter ici, vousn’avez rien à y faire”, tel semble être l’es-prit de cette mesure. “Vivre à Westmins-ter est un privilège, et non un droit”, adéclaré un attaché de presse de la muni-cipalité de Westminster.

Comme Paris ?La réforme est mise en place progressi-vement et ne prend effet qu’à la signa-ture des nouveaux baux. Il faudra doncattendre la fin de l’année pour en mesu-rer l’impact. Mais les bénéficiaires deprestations sociales sont destinés à souf-frir encore quand le gouvernementplafonnera le montant global des alloca-tions [logement, chômage, famille…]à 500 livres par semaine en 2013 [voirencadré ci-contre] : les logements duquartier deviendront alors trop cherspour les familles nombreuses et la portionde Londres inaccessible aux bas revenuss’élargira d’autant.

Quelques semaines après l’introduc-tion du nouveau système, Maggie Schneiderestimait que 50 des 700 enfants de sonécole étaient déjà concernés. La positionofficielle de Westminster est que cettepolitique ne modifiera pas radicalementle profil socio-économique du quartier,

puisque sur les 110  000  foyers quecompte le district, 25 000 sont des loge-ments sociaux et ne sont pas concernés.La municipalité rejette l’idée que Londrespuisse devenir, comme Paris, une ville oùles plus pauvres sont relégués à la péri-phérie. “Est-il juste que l’Etat aide les gensà vivre dans les quartiers les plus chers de laville ? C’est la question. Si la réponse est :‘oui, chacun a le droit de vivre où il veut’,alors l’Etat et le contribuable doivent êtremis à contribution”, a déclaré Ben Denton,directeur stratégique du logement pourWestminster.

Pour les personnes concernées, démé-nager représente un parcours du com-battant. Jusqu’en novembre dernier,Amira, 39 ans, louait un appartementprès d’Edgware Road pour 812 livres[980 euros] par semaine, où elle vivaitavec ses quatre enfants. Son petit der-nier étant régulièrement hospitalisé, ellene peut pas travailler. Jusqu’à présentson loyer était entièrement couvert parl’allocation logement. Quand la pro-priétaire s’est aperçue que la famillen’aurait plus les moyens de payer le loyerune fois le plafonnement entré envigueur, elle a décidé de ne pas lui renou-veler le bail. Il lui a été impossible de

Royaume-Uni

Les pauvres chassés des quartiers chics de Londres

Subventions : un système très généreux

L’allocation logement en Grande-Bretagnefonctionne de manière particulière, ce qui explique que des loyers équivalant à 5 000 euros par mois aient pu êtreentièrement pris en charge. Le montant imparti à chaque foyer (sous conditions de ressources) dépend de la taille du logement dont il a besoin et du lieu où il habite. Jusqu’à l’an dernier,il était limité au prix médian des logementséquivalents dans une “aire” – l’“aire”pouvant être tout un comté ou, à Londres,un ensemble de quartiers. Ce qui produit des montants très élevéslorsque tous ces quartiers sont huppés,comme Kensington, Chelsea ou encoreWestminster, évoqué dans l’article. Un tel système est lourd pour les financespubliques, ce qui a conduit le gouvernementCameron à fixer des plafonds nationaux (et à abaisser les limites locales). En cestemps d’austérité, le gouvernement a aussifixé un plafond pour l’ensemble des aidessociales, notamment les aides au logement,le chômage et les allocations familiales. Ce plafonnement entrera en vigueur en 2013.

trouver un autre logement abordableà proximité de l’école.

Le 14 novembre, la famille a été expul-sée et Amira s’est retrouvée toute unejournée dans un bureau de la mairie avecses affaires dans des valises et des sacs-poubelles en attendant d’être relogée. Lamairie a fini par lui trouver une chambredans un grand bed and breakfast près deHyde Park, où elle a dormi avec ses quatreenfants. Plusieurs familles dans l’hôtelétaient là à cause du plafonnement desallocations.

La municipalité a proposé à Amirade la reloger à Dagenham, dans l’estde Londres, mais il aurait fallu que sesenfants changent d’école en cours d’an-née et Amira a refusé. Début janvier, lafamille a obtenu un nouvel appartement,temporaire, à une heure de bus de l’école.Mais le temporaire pourrait durer.

900 euros par semaineAzhar, 44 ans, vit quant à elle avec sesquatre enfants dans une tour près d’Edg-ware Road, pour un loyer de 750 livres[900 euros] par semaine. Avec le plafon-nement de l’allocation logement, il luifaudra persuader son propriétaire de bais-ser le loyer de 400 livres, ou partir. Alorsque la réforme est souvent présentée parle gouvernement et le Daily Mail [tabloïdconservateur] comme un moyen d’em-pêcher les familles de chômeurs de loger“aux frais du contribuable” dans des appar-tements luxueux à Kensington, la plupartdes gens qui vont devoir déménagervivent dans des appartements plus quemodestes que seule la proximité ducentre met hors de prix. Malgré son loyerexorbitant, l’appartement d’Azhar au7e étage est loin d’être luxueux : il estpetit, humide, meublé de chaises et de litsbranlants, et le four fonctionne mal. “Jene peux pas déménager. L’école des enfantsest à deux pas”, dit-elle. Affaiblie par unecardiopathie chronique, elle ne veut pasavoir trop à marcher pour conduire lesenfants à l’école ou pour aller chez sonmédecin. Elle a quitté l’Irak lors de lapremière guerre du Golfe après avoirvu sa maison détruite dans les combats.Elle est arrivée dans cette tour il y a cinqans. “C’est très stressant. J’en perds le som-meil, dit-elle. J’ai trop quitté de maisonsdans ma vie.”

Même s’il est clair que des famillesdéménagent, il est difficile de savoiroù elles vont. Mais à Barking et à Dagen-ham [quartiers moins chers de l’est deLondres] une responsable signale un grosafflux de familles probablement lié auxpremiers effets du plafonnement. “Nousavons une montée importante des demandesd’inscription dans les écoles, dit-elle. Il yavait beaucoup de places il y a encore troisans. Aujourd’hui, nous sommes au complet.”Amelia Gentleman

Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

Page 23: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

Le chef de l’Etat est une femmeémancipée. Divorcée deux fois,elle n’a eu besoin de personnepour accéder à la plus hautemagistrature. On ne parle passouvent de ses deux maris, maisPerfil a dressé leur portrait.

Perfil Buenos Aires

�D epuis son accession à la prési-dence en janvier 2011, DilmaRousseff s’est forgé une image

de femme compétente, sévère avec sescollaborateurs, efficace dans la gestiondes affaires publiques. Mère et grand-mère, le chef de l’Etat brésilien n’a paseu besoin de porter un nom [connu] nid’être la femme de qui que ce soit pouraccéder à la plus haute magistrature dugéant sud-américain. Mais, même si elles’est hissée à de plus hautes responsabi-lités que ses deux anciens maris, dontelle a divorcé longtemps avant d’arriverau Palácio do Planalto [siège de la prési-dence], ce sont eux qui lui ont permisd’entrer en politique : d’abord dans lalutte armée, ensuite dans les joutes élec-torales des partis.

Tant Cláudio Galeno Linhares, jour-naliste et ancien guérillero, que CarlosAraújo, autre compagnon d’armes sous ladictature militaire, aujourd’hui conseillerpolitique de Rousseff, ont gardé de bonnesrelations avec la présidente. Elle a beau neplus vivre sous le même toit qu’eux, ils res-tent les deux personnes qui l’ont le plusmarquée dans sa vie personnelle.

Rousseff a connu Galeno lorsqu’il mili-tait au Commando de libération nationale(Colina) et l’a épousé en 1968, alors qu’ellen’avait que 20 ans. “Elle avait une forma-tion intellectuelle précoce, se rappelle Galeno,de cinq ans son aîné. Elle lisait Marcel Proust

Amériques

et Jean-Paul Sartre.” Le premier mari de laprésidente raconte que, pendant la dicta-ture, il fabriquait “des boîtes munies de dis-positifs électromagnétiques pour ranger desdocuments secrets. Si on ouvrait la boîte, elleexplosait.” Galeno Linhares, aujourd’huifonctionnaire à la municipalité de PortoAlegre, est un proche de Fernando Pimen-tel, ministre de l’Industrie et du Com-merce du gouvernement Rousseff.

L’idylle a tourné court. Après unepériode de vie commune à Rio de Janeiro,Linhares a été envoyé à Porto Alegre par

l’organisation, tandis que sa femmerestait à la cidade maravilhosa [surnom deRio], où elle a rencontré Carlos FranklinPaixão de Araújo. Cet avocat de 31 ans,leader d’une fraction dissidente du Particommuniste brésilien, l’a séduite instan-tanément et, quelques jours plus tard, elledemandait le divorce à son mari. Une sépa-ration pacifique, car, de l’aveu mêmedu premier mari de Rousseff, “dans unesituation aussi difficile”, il n’y avait pas “beau-coup de possibilités d’être un couple normal”.Quelques mois plus tard, Rousseff épousait

Araújo, son aîné de onze ans et l’artisan dela transformation de Colina en Avant-garde armée révolutionnaire Palmares(VAR-Palmares). Très vite, Rousseff allaitdevenir l’un des cerveaux de la nouvelleorganisation, d’où son surnom de “Jeanned’Arc de la subversion”. Wanda et Max(autres pseudonymes du couple révolu-tionnaire) furent arrêtés par les militairesen 1970 et torturés. En 1976, Rousseff acohabité avec ses deux époux. “Je suisdevenu très ami de son ancien mari, car nousétions camarades de lutte”, a confié Araújoau quotidien O Globo.

Après avoir été libérés, ils ont militéensemble au Parti démocratique tra-vailliste (PDT), d’orientation sociale-démocrate. C’est son second mari qui l’afait entrer en politique. En 1982, l’avo-cat est élu député au corps législatif dePorto Alegre, où il obtient un deuxièmepuis un troisième mandat, en 1986 eten 1990. Dilma Rousseff occupe alors unposte subalterne, comme conseillère dugroupe parlementaire [d’Araújo]. Elle vaensuite devenir secrétaire des financesde Porto Alegre. C’est là qu’elle rencontreLuiz Inácio Lula da Silva et qu’elle entredans son gouvernement.

Bien qu’elle se soit séparée d’Araújoen 2000, ce dernier ayant eu une relationextraconjugale, les bonnes relations entreRousseff et ses anciens maris durentencore aujourd’hui. Atteint d’un emphy-sème pulmonaire, Araújo s’est retiré dela vie publique.

Forte de plus de 70  % de soutienpopulaire, la présidente est confrontée àune rébellion des partis de sa coalition,qui s’opposent à sa croisade contre la cor-ruption. Au sommet du pouvoir, Rousseffgouverne en solitaire, mais elle peutcompter sur l’appui et les conseils de sesdeux ex-maris. L’alliance politique entreles anciens époux demeure intacte. R. P.

Avec 77 % d’opinions favorables en mars, selon un sondage d’Ibope,Dilma Rousseff est devenue l’une des présidentes éluesdémocratiquement les plus

populaires au monde. Lundi 9 avril,elle a été reçue pour la premièrefois à Washington par BarackObama. Le Brésil est aujourd’hui la sixième économie mondiale.

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 23

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Dilma Rousseff. Dessin de Taylor Jones paru dans El Nuevo Dia, Puerto Rico.

Brésil

La présidente “Doña” Dilma et ses deux maris

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Page 24: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

24 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Les autorités mexicaines sont friandes d’arrestationsspectaculaires diffusées en direct à la télévision. Mais ce ne sont souvent que des manipulations destinées à alimenter le grand showpolitico-médiatique. Exemples.

Proceso Mexico

�E n 2002, un supposé ravisseurétait assassiné par des agentsde l’Agence fédérale d’investi-

gation [AFI, police judiciaire fédérale,sorte de FBI mexicain]. En mars 2006,une Indienne Otomie était accusée à tortd’avoir séquestré six membres de l’AFI.En septembre 2009, un pasteur était cap-turé devant des caméras de télévision ;accusé d’être un pirate de l’air, il n’était enréalité en possession d’aucun explosif etn’avait aucunement menacé les passagers.En juillet 2010, la fausse libération de jour-nalistes du groupe multimédia Televisa etde la société Grupo Milenio était organi-sée avec le concours de la police fédérale.

Voilà, parmi tant d’autres, quelques-unes des affaires les plus marquantes quiont été inventées et montées de toutespièces par Televisa [le plus importantgroupe multimédia du Mexique] et GenaroGarcía Luna – l’ancien directeur de l’AFIet l’actuel ministre de l’Intérieur – avecl’aval des deux derniers présidents de laRépublique, tous deux affiliés au Parti d’action nationale (PAN, conservateur).

Un véritable modus operandiQue ce soit avant ou après le cas FlorenceCassez [le 9  décembre 2005, la jeuneFrançaise était arrêtée prétendument “endirect”, alors que son arrestation dataitde la veille : les autorités l’ont “rejouée”le lendemain pour pouvoir diffuser lesimages à la télévision], les agents à labotte de Genaro García Luna ont tou-jours été des spécialistes de la manipula-tion afin de pouvoir passer à la télévision,en particulier sur Televisa, la chaîne jouis-sant de la plus large audience et du plusfort impact politique.

Ces petits arrangements ne sont nide simples erreurs ni des excès de zèledestinés à promouvoir les objectifs etl’image de Genaro García Luna. Ils consti-tuent un véritable modus operandi, mis enœuvre en fonction du contexte et desnécessités politiques des gouvernementsfédéraux successifs et du secrétariat à laSécurité publique [SSP, équivalent duministère de l’Intérieur].

Selon Juan Manuel Magaña, l’ancienresponsable de l’information de l’émissionPrimero Noticias, présentée par CarlosLoret de Mola sur Televisa [au cours delaquelle a été diffusée “l’arrestation” de

Amériques

Florence Cassez], “les affaires policières quipassent à la télévision ne sont jamais médiati-sées uniquement pour des raisons journalis-tiques. Quand l’affaire Florence Cassez acommencé, le scandale du moment mettait encause Marta Sahagún [la seconde femme duprésident de l’époque, Vicente Fox] et le traficd’influence de ses fils, qui faisaient l’objet d’uneenquête lancée par la Chambre des députés. Etce n’est pas tout : en décembre 2005, Calderónétait déjà le candidat du PAN aux électionsprésidentielles. Genaro García Luna cherchaità garder son poste.”

Le 30 mars 2002, à la veille du débutdes négociations entre Televisa et le gou-vernement de Vicente Fox sur le gel d’unenouvelle loi fédérale relative à la radio etla télévision, l’AFI et le bureau du procu-reur général de la République [PGR, équi-valent du ministère de la Justice] ontdéclaré qu’une enquête approfondie lesavait conduits à arrêter Guillermo VélezMendoza, un membre du gang connusous le nom de Los Antrax.

Le jour même de cette arrestationinique, la police laissait s’échapper le véri-table dirigeant du gang, Jaime Orozco. Etle 31 mars, Guillermo Félix Vélez Pelayo,le père de Guillermo Vélez Mendoza, étaitinformé que son fils était décédé dans unvéhicule du gouvernement “de mort natu-relle pour des raisons inconnues”.

Dans sa recommandation 12/2002 du14 mai 2002, la Commission nationale desdroits de l’homme (CNDH) a indiqué queGuillermo Vélez Mendoza avait été sortide chez lui par tromperie et que la ver-sion des agents de l’AFI et celle des soi-disant victimes ne concordaient pas.

Pour éviter le scandale, l’AFI a obligéle véritable chef de Los Antrax, JaimeOrozco, à affirmer à la télévision queGuillermo Vélez Mendoza était son com-plice. Mais, au procès, Jaime Orozco n’apas confirmé son implication. La familleVélez a gagné le procès qu’elle a intentéau PGR, qui a dû payer des dommages etintérêts. La mémoire du jeune hommeassassiné a été ainsi réhabilitée.

Le 3 août 2006, en plein conflit posté-lectoral [un mois après l’élection contro-versée de Felipe Calderón à la présidence],Jacinta Francisco Marcial, une IndienneOtomie originaire de Santiago Mexqui-titlán, était arrêtée à tort par des membresde l’AFI dans la ville de Querétaro. A sagrande surprise, Jacinta fut présentée dansles médias comme l’une des responsables,aux côtés de deux autres femmes, de l’enlèvement de six agents de l’AFI. Le19 décembre 2008, elle était condamnée àvingt et un ans de réclusion assortis d’uneamende équivalant à deux mille jours desalaire minimum. Ses supposées complices,Alberta Alcántara et Teresa González, ontété également jugées et incarcérées. Grâceaux pressions exercées au niveau nationalet international, Jacinta a été libérée le16 septembre 2009 après avoir injustementpassé trois ans en prison.

Le 9 septembre 2009, à la veille dudébut de discussions aux Etats-Unis surla réduction des fonds alloués au minis-tère de l’Intérieur et au ministère de laJustice dans le cadre de l’initiative de

Mérida [plan américain d’aide à la luttecontre le trafic de stupéfiants au Mexique,en Amérique centrale et aux Caraïbes,lancé en 2007], Genaro García Luna a faitune apparition à l’aéroport internationalde la ville de Mexico pour se vanter d’uneopération choc ayant permis d’arrêterJosmar Flores Pereira. Ce pasteur boli-vien aurait ce jour-là détourné le vol 576de la compagnie Aeroméxico en prove-nance de Cancún.

Selon Genaro García Luna, lepirate de l’air avait voulu attirer

l’attention des autorités fédé-rales sur la survenue immi-nente d’un “tremblement deterre dévastateur” au Mexique.La date, le 09/09/09, avait unesignification cabalistique : elle

peut se traduire par 666, soit lenombre de la Bête, c’est-à-

dire de Satan, dans le lan-gage apocalyptique.

Genaro García Luna a prétendu quel’AFI avait “sauvé” les otages et arrêté leprédicateur. Quelques jours plus tard, despassagers du vol, dont le député HernánVillatoro Barrios, ont démenti la versiondes services de police. Ils ont déclarén’avoir été confrontés à aucune prised’otages ni incident.

Une série de chantagesLe 31 juillet 2010, Genaro García Luna aorganisé une autre intervention en directdepuis un hangar de la police fédérale. Saconférence de presse s’est tenue devanttrente-deux caméras de télévision. Il a luun communiqué annonçant qu’à l’issued’un “important travail d’investigation”, sesagents avaient réussi à secourir Alejan-dro Hernández Pacheco, cameraman àTelevisa Torreón, Javier Canales, jour-naliste pour la société Milenio Multime-dia, et Héctor Bordoa, journaliste pourl’émission Punto de Partida. Les troishommes auraient été kidnappés par destueurs à gages de Joaquín Guzmán, dit“El Chapo” [l’un des mafieux les plusrecherchés de la planète].

Peu après, Alejandro Hernández araconté au journal télévisé présenté parla journaliste Carmen Aristegui que la“libération” ne s’était pas du tout passéecomme l’avait décrite Genaro GarcíaLuna. Selon lui, il s’agissait tout bonne-ment d’une manipulation du SSP, le pro-duit d’une “série de chantages” ayant pourbut de les exposer aux médias. Les jour-nalistes avaient été bernés par la pro-messe d’un entretien avec le présidentFelipe Calderón.

Craignant pour sa vie au vu de l’in-tervention du SSP et de l’absence deprotection de la part de son employeur,le cameraman a demandé asile auxEtats-Unis.Jenaro Villamil

Mexique

Scènes de crime manipulées par les autorités

� Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.

“Les affaires policièresqui passent à latélévision ne sont jamais médiatiséesuniquement pour desraisons journalistiques”

Les

archives

www.courrier

international.com Un dossier à relire : “Florence Cassez, la vérité sous séquestre”. L’écrivainHéctor de Mauleón retrace entre autresla vraie-fausse arrestation de la jeuneFrançaise, condamnée à soixante ans de prison pour enlèvement. (CI n° 1087)

Page 25: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

Conforté dans le rôle decandidat inévitable du Partirépublicain, l’ex-gouverneur du Massachusetts est prêt àcroiser le fer avec le président.

The Boston Globe (extraits) Boston

�L e 30 mars, lorsqu’il a prononcéson dernier discours avant laprimaire républicaine du Wis-

consin, Mitt Romney était seul dans lalumière, au centre d’une estrade plongéedans l’obscurité. Une mise en scène quisymbolise bien la position actuelle del’ex-gouverneur du Massachusetts dansla course à l’investiture républicaine.Romney a évincé ses rivaux un par un. Ilcontinue, certes, à égratigner Rick Santo-rum, mais il ne parle même plus de NewtGingrich et encore moins de Ron Paul.

Il se concentre désormais sur Obama,qui était déjà sa cible lorsqu’il a officiel-lement lancé sa candidature, le 2  juin2011, à l’occasion d’un buffet en plein airdans une ferme du New Hampshire.

“Obama et moi avons deux visions radi-calement différentes de l’Amérique”, a mar-telé Romney dans le Wisconsin. “Il a passéles quatre dernières années à poser les basesd’une nouvelle société dans laquelle tout tourneautour du gouvernement. Je passerai les quatreannées qui viennent à refonder les bases d’unesociété fondée sur la liberté individuelle et laliberté d’entreprendre.” A l’occasion d’uneautre allocution, prononcée le 19 mars àChicago, Romney s’en est également prisfrontalement au président démocrate : “Sila reprise est aussi timide, c’est à cause descoups portés par Obama à notre liberté éco-nomique. Si nous ne changeons pas de cap, cesatteintes à la liberté pourraient nuire au bien-être des Américains pour les décennies à venir.”

A chacun de ces discours, Mitt Romneya pris soin d’exhiber les attributs du par-fait candidat à l’élection présidentielle.Chose rare depuis le début de lacampagne, il est apparu en cos-tume. Il a également lu sontexte sur un prompteur– une béquille dont se serttoujours Obama, mais queRomney préfère réserveraux occasions où, selon sespropres termes, il veut s’assu-rer de trouver “les mots justes”.Dans le Wisconsin, les servicessecrets ont, pour la premièrefois, passé l’ensemble du publicau détecteur de métaux. Depuis ledébut du mois de février, le can-didat – rebaptisé “Javelot” parles services secrets – bénéfi-cie d’un dispositif de sécuritérenforcé. Mitt  Romney s’estlancé dans sa deuxième courseà la Maison-Blanche encherchant à donner

l’impression d’être incontournable. Il s’estainsi employé à se constituer un appareilpolitique, à gagner le soutien des élites duparti et à convaincre la base républicainequ’il était le seul candidat doté de l’endu-rance nécessaire pour faire face à Obama.

Durant la campagne, il a été poussévers sa droite par les partisans du mou-vement ultraconservateur Tea Party, asubi les coups de griffe de ses rivaux aufil des nombreux débats républicains eta suscité des doutes sur sa capacité à finirla campagne après avoir perdu le Colo-rado, le Minnesota et le Missouri au profitde Rick Santorum et à la suite de la vic-toire de Newt Gingrich en Caroline duSud. Il a également apporté de l’eau aumoulin de ses détracteurs en multipliantles gaffes sur sa fortune. Mais il a tenubon et il mène aujourd’hui la danse.

En décrochant le plus grand nombrede délégués et en remportant des victoireséquitablement réparties sur le territoireaméricain (de la Nouvelle-Angleterre à laFloride, en passant par l’Arizona et l’Etatde Washington), Romney a montré qu’ilétait le candidat républicain qui recueillaitla plus large adhésion dans le pays. C’estégalement celui qui a réussi la plus bellelevée de fonds. Si Obama a éclipsé tousles autres candidats en affichant une col-lecte de 157 millions de dollars à la finfévrier, Romney caracole en tête du camprépublicain avec 74 millions de dollars.Ron Paul se classe deuxième avec 34 mil-lions de dollars, alors qu’il n’a remportéaucune primaire. Newt Gingrich arrivetroisième, avec 21 millions de dollars,devant Rick Santorum, avec 16 millionsde dollars collectés.

Même si Gingrich et Santorum ont faitvœu de rester en lice, Romney tente désor-mais de convaincre l’électorat de la futi-lité de leur entreprise en accumulant lesappuis politiques de premier plan. Le20 mars, Jeb Bush, l’ancien gouverneur de

Floride, lui a apporté publiquement sonsoutien. La semaine suivante, c’était

au tour d’une autre figure ducamp républicain, le séna-teur de Floride MarcoRubio. Mais la plus belle

prise de Romney est sansdoute George  Bush père.

L’ancien président avait unmessage aussi sérieux quelyrique à adresser aux derniers

rivaux en lice de Mitt Romney :“Il faut savoir quand rester dans la

partie et quand se coucher”, a-t-ildéclaré en reprenant les paroles du

chanteur de country Kenny Rogers. “Jepense qu’il est temps de tous nous ras-

sembler derrière cet homme, qui estquelqu’un de bien.”Glen Johnson

Etats-Unis

Romney seul face à Obama

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 25

AMDAH, ODES MYSTIQUESOrchestre arabo-andalou de FèsSamedi 28 avril à 20h30Galerie Daru, Musée du Louvre

LA NÛBA CLASSIQUE Orchestre arabo-andalou de FèsDimanche 29 avril à 17hAuditorium du Louvre

ZIKR RIFAÏCérémonie soufie de TiranaJeudi 3 et vendredi 4 mai à 20h30Maison des Cultures du Monde

CHANTS DU PAYS DES AIGLESTraditions musicales guège, labe, tosque et tchameSamedi 5 mai à 20h30Dimanche 6 mai à 17hMaison des Cultures du Monde

LES QHAPAQ NEGRO DE PAUCARTAMBODanse masquée et chants à la ViergeSamedi 12 mai à 20h30Dimanche 13 mai à 17hMaison des Cultures du Monde

Le PCI, késako ?Du 4 mai au 29 juilletDu mardi au dimanche de 14h à 18h - Entrée libreCentre français du patrimoine culturel immatérielMaison des Cultures du Monde à Vitré

Renseignements et location :MAISON DES CULTURES DU MONDE101 boulevard Raspail – 75006 Paris01 45 44 72 30www.festivaldelimaginaire.comFNAC-CARREFOUR-GÉANT : 0892 68 36 22 (0,34€/min)

www.fnacspectacles.com

� Dessin de Cajas parudans El Comercio, Quito.

Page 26: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

Part des importations dans la consommation de carburants liquides* aux Etats-Unis (en %)

Boom Les Etats-Unis sur la voie de l’indépendance énergétique

Sources : “The New York Times”, Energy Information Administration 2005 2007 2009 2011

60 60 58 57 52 49 45

* Carburants issus du pétrole brut et du gaz naturel liquéfié, bioéthanol et biodiesel.

50 %

26 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Amériques

Après avoir reculé pendanttrente ans, la productiond’hydrocarbures augmente, tandis que la consommationbaisse. De quoi permettre au pays de rêver à nouveaud’indépendance énergétique.

The New York Times (extraits)New YorkDe Midland (Texas)

�L e jour, le Bassin permien duTexas, la région désertique quis’étend dans l’ouest de l’Etat, est

toujours le terrain de jeu des coucous ter-restres. La nuit, celui des coyotes. Mais leronronnement des dizaines de nouveauxpuits de pétrole et l’odeur âcre caractéris-tique qui flotte autour des derricks indi-

quent clairement que le pétrole brut jaillità nouveau dans la région.

Et pas seulement ici. D’un bout à l’autredu pays, l’industrie du pétrole et du gaz esten plein boom après deux décennies debaisse de la production. S’appuyant sur denouvelles technologies et poussée par lahausse des prix du pétrole depuis le milieudes années 2000, l’industrie pétrolièreextrait plusieurs millions de barils de pluschaque semaine, depuis les fonds marinsdu golfe du Mexique jusqu’aux prairies duDakota du Nord. Dans le même temps, lesAméricains consomment nettement moinsde carburant. Ce phénomène résulte enpartie de la récession et de la hausse du prixde l’essence, mais il est également dû aufait que les gens utilisent moins leur voi-ture et remplacent plus souvent leurs véhi-cules anciens par des voitures neuves plusefficaces du point de vue énergétique.

L’un dans l’autre, la hausse de la pro-duction et la baisse de la consommationont, de façon inattendue, rapproché lesEtats-Unis d’un objectif poursuivi par tousles présidents depuis Richard Nixon : l’in-dépendance à l’égard des sources d’éner-gie étrangères. Un bouleversement quipourrait reconfigurer la politique étran-gère américaine, l’économie du pays et plusencore. En 2011, les Etats-Unis n’ontimporté que 45 % des carburants liquidesqu’ils ont consommés, alors que les impor-tations de pétrole ont atteint le pourcen-tage record de 60 % en 2005.

La façon dont le pays a opéré ce virageest due à une série de politiques favorablesà l’industrie pétrolière mises initialementen œuvre par le président George W. Bushet largement poursuivies par le présidentObama – souvent contre l’avis des défen-seurs de l’environnement –, ainsi qu’à des

progrès technologiques qui ont permis l’ex-ploitation de gisements de gaz et de pétrolejusqu’alors trop difficiles à atteindre. Maisc’est surtout le résultat de la complexitéde l’économie de l’énergie qui tend à obéirà des règles de l’offre et de la demande quilui sont propres.

5,7 millions de barils par jourSi l’on s’en tient à un raisonnement éco-nomique simpliste, on peut penser que sile pays produit plus d’énergie, les prix decelle-ci devraient baisser. Mais il se trouveque le pétrole brut – ainsi que l’essence etle gazole qu’on en tire – est une matièrepremière dont le prix varie en fonctionde facteurs mondiaux. Les interruptionsde l’approvisionnement en provenanced’Afrique, le bras de fer avec l’Iran et lademande croissante d’une économie mon-diale en voie de redressement contribuent

Etats-Unis

Quand le pétrole se remet à couler à flots

Nouvelle ruéevers l’or noir au Texas.

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chacun à leur manière à l’envolée actuelledes prix mondiaux du pétrole, annulantl’impact de l’accroissement de la produc-tion domestique.

Cela dit, les tendances américainessont nettes. Les Etats-Unis ont, au coursdes trois dernières années, non seulementréduit de plus de 20 % leurs importationsen provenance des pays membres del’Opep, mais, pour la première fois depuisla présidence de Truman, ils sont redeve-nus des exportateurs nets de produitspétroliers raffinés comme l’essence. L’in-dustrie du gaz naturel, qui, il y a moinsd’une dizaine d’années, redoutait unépuisement des réserves nationales, setrouve confrontée à un tel excédent queles terminaux d’importation demandentaujourd’hui des licences leur permettantd’exporter du gaz vers l’Europe et l’Asie.

La production nationale de pétrole, quia connu une baisse régulière, passant de9,6 millions de barils par jour en 1970 à4,95 millions de barils par jour en 2008, estremontée au cours des quatre dernièresannées à près de 5,7 millions de barils parjour. Le ministère de l’Energie estime quela production journalière pourrait atteindreprès de 7 millions de barils en 2020. Cer-tains experts pensent même qu’elle pour-rait atteindre 10 millions de barils par jour– ce qui placerait les Etats-Unis quasimentau même niveau que l’Arabie saoudite.

La volte-face d’ObamaCette hausse de la production n’est passans conséquences. Certaines régions oùse sont multipliés les forages, parmi les-quelles le nord-est de l’Utah et le centre duWyoming, sont confrontées à des pro-blèmes de qualité de l’air. La technique deforage appelée “fracturation hydraulique”,qui utilise de l’eau, du sable et des lubrifi-cateurs chimiques sous pression afin d’ex-traire une plus grande quantité de pétroleet de gaz des formations rocheuses, est éga-lement accusée d’entraîner une pollutiondes eaux. Les experts de la vie sauvage affir-ment, par ailleurs, que la multiplication desforages met en péril l’habitat d’espècesrares ou menacées.

L’accroissement de la production decombustibles fossiles est bien loin duprojet énergétique formulé par BarackObama au cours de sa campagne électo-rale de 2008. A l’époque, il se disait favo-rable à des politiques permettant de luttercontre le réchauffement climatique mon-dial, promettant notamment des inves-tissements importants dans le secteur desénergies renouvelables et la mise en placed’un système d’échange de quotas d’émis-sions de carbone qui aurait découragé lerecours aux combustibles fossiles. Mais,avec la hausse du prix de l’essence et àl ’ approche de la présidentiel le denovembre 2012, M. Obama semble avoirchangé son fusil d’épaule. Il a ouvert denouvelles terres et eaux fédérales auforage, s’est félicité de la hausse de la pro-duction de gaz et de pétrole et a mis ensourdine ses préoccupations concernantle changement climatique. Le 22 mars, il

a annoncé qu’il soutenait la constructionaccélérée du tronçon méridional de l’oléo-duc Keystone XL, destiné à transporter dupétrole issu des sables bitumineux duCanada et dont le tracé global a été rejetépar la Maison-Blanche en janvier 2012.

La politique actuelle de M. Obamainquiète de nombreux défenseurs de l’en-vironnement, qui l’accusent de faire fi desrisques écologiques. Il n’a pas su non plusfaire taire les critiques émanant des répu-blicains et des compagnies pétrolières, quilui reprochent d’empêcher les forages surdes millions d’hectares au large des côtespacifique et atlantique ainsi que sur cer-taines terres fédérales et de gaspiller lesmaigres ressources fédérales dans des pro-grammes irréalistes d’énergies alternatives.

Si l’augmentation de la production aété largement due à la hausse des prix dupétrole, la tendance pourrait s’inverser sil’économie mondiale devait ralentir. Maiscette éventualité n’empêche pas les opéra-teurs du secteur d’être enthousiasmés parles perspectives d’avenir. “Ne plus avoir às’inquiéter de savoir d’où viendra notre pétroleest probablement le plus bel exploit qu’auraaccompli le pays en un siècle”, estime ainsiScott D. Sheffield, le PDG de la compagniepétrolière et gazière Pioneer NaturalResources, qui opère dans l’ouest du Texas.“Cela me rappelle un peu la révolution indus-trielle du charbon, qui a porté notre économieà la fin du XIXe et au début du XXe siècle.”

La dernière fois que l’ouest du Texasa connu un boom pétrolier – il y a de celapresque trente ans –, Rolls-Royce avaitouvert un showroom dans le désert, lechampagne coulait à flots et l’aéroportlocal n’était pas en mesure d’accueillirtous les jets privés qui ralliaient Las Vegaspour le week-end. Mais quand les prix dubrut ont chuté au milieu des années 1980,les compagnies pétrolières sont partieset le concessionnaire Rolls-Royce a laisséla place à une usine de tortillas. Les seulesactivités rentables alors étaient celles desavocats spécialisés dans les faillites etdes vendeurs aux enchères qui s’em-ployaient à écouler Ferrari d’occasion,

logements vides et puits à l’abandon.“Jusque-là on baignait littéralement dans lepétrole”, se souvient Jim Foreman, direc-teur du concessionnaire BMW de Mid-land, “et du jour au lendemain les géologuesse sont retrouvés à préparer des hamburgerschez McDonald’s.”

Cette époque est bel et bien révolue.Aujourd’hui plus de 475 puits – soit à peuprès un quart des puits en fonctionnementaux Etats-Unis – percent les roches duresde l’ouest du Texas et du sud-est du Nou-veau-Mexique. Ces deux régions produi-sent d’ores et déjà près de 1 million de barilspar jour, soit 17 % de plus qu’il y a deux ans.A la fin de cette décennie, selon les res-ponsables pétroliers, ce volume journalierpourrait facilement avoir doublé, attei-gnant quasiment la production totale duNigeria. “C’est une véritable révolution quiest en cours”, souligne G. Steven Farris,directeur général d’Apache Corporation,l’une des compagnies les plus actives dubassin. “Et pour l’instant nous ne faisons qu’ef-fleurer la surface.”

Protéger les lézardsCette révolution provoque un retour desinvestissements aux Etats-Unis. Durantplusieurs décennies, Pioneer NaturalResources a prélevé près d’un milliard dedollars sur les bénéfices que lui rappor-taient les champs pétroliers texans pouraller forer en Afrique, en Amérique du Sudet ailleurs. Mais, au cours des cinq der-nières années, l’entreprise a vendu pour2 milliards de dollars d’actifs à l’étrangerafin de les réinvestir dans les gisementsschisteux du Texas.

La situation enviable de Pioneer peutse constater sur cette concession de4 000 hectares nommée Giddings Estate,une étendue désolée peuplée de coyotesefflanqués, de lapins, de serpents à son-nette et de vaches qui broutent les rarestouffes d’herbe. Quand Pioneer a achetéle terrain en 2005, la centaine de puitsqui s’y trouvaient produisaient un total de50 barils par jour. “C’était un diamant encorebrut”, remarque Robert Hillger, qui gère

aujourd’hui la concession pour Pioneer.M. Hillger et ses collègues ont fait venir detout nouveaux outils à Giddings. Des pro-grammes informatiques simulent la confi-guration des puits. Une liaison directe enfibre optique permet aux ingénieurs et géo-logues travaillant au siège de l’entreprise,à 500 kilomètres de là, de surveiller l’avan-cée des travaux et de diriger à distance lestêtes de forage. Des micros souterrainsfacilitent la détection des fissures dans laroche et la planification des futurs forages.Aujourd’hui le gisement de Giddings pro-duit 7 000 barils par jour, et Pioneer espèreparvenir à extraire 25 000 barils par jouren 2017.

La nouvelle manne se propage bien au-delà des gisements eux-mêmes. Dans lesvilles avoisinantes, les compagnies pétro-lières achètent tellement de pick-up queles concessionnaires doivent louer des par-kings géants pour y entreposer leurs stocks.Il y a une telle pénurie de logements queles compagnies doivent faire venir des tra-vailleurs de Houston et que les hôtels sontdéjà entièrement réservés avant mêmed’être sortis de terre. Deux nouveauximmeubles de bureaux, les premiers depuistrente ans, sont en cours de constructionà Midland, une ville d’à peine plus de110 000 habitants. Avec un chômage quasiinexistant, les restaurants ont du mal àrecruter du personnel et les chauffeurs depoids lourds locaux perçoivent des salairesà six chiffres.

S’il y a un perdant dans ce boom, c’estl’environnement. Les spécialistes de l’eauaffirment que les nappes phréatiques decette région désertique pourraient êtretotalement asséchées si l’on continue d’uti-liser la fracturation hydraulique, et les com-pagnies pétrolières elles-mêmes admettentqu’elles doivent restreindre leur consom-mation d’eau. Pourtant les préoccupationsenvironnementales, qu’il s’agisse de la pol-lution de l’air ou des émissions de gaz àeffet de serre, ne font guère recette dansle bassin permien ni dans aucun des avant-postes de l’expansion énergétique.

Jay Lininger, un écologiste texan de36 ans, est l’un des opposants les plus actifsà cette nouvelle ruée vers l’or noir. Anciensoldat du feu dans un parc national, ildéclare aujourd’hui se battre contre unincendie d’un autre genre  : l’industriepétrolière. M. Lininger et son associationde défense de l’environnement tentent defreiner l’expansion des forages en deman-dant au United States Fish and WildlifeService [l’organisme fédéral des Etats-Unisresponsable de la gestion de la faune] deprotéger plusieurs espèces animales, parmilesquelles le lézard de Sagebrush, un petitreptile épineux d’une dizaine de centi-mètres de long dont il affirme que l’indus-trie pétrolière a d’ores et déjà détruit 40 %de l’habitat. “C’est peut-être un petit lézardpathétique dans un vilain désert, mais toutevie mérite d’être protégée, souligne M. Linin-ger. Plus nous brûlons du combustible fossile,plus notre planète aura du mal à se remettrede notre addiction énergétique.”Clifford Krauss et Eric Lipton

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 27

Production de carburants liquides aux Etats-Unis (en millions de barils par jour)

8 10

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20

25

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1980 1990 2000 2011 1980 1990 2000 2011

Consommation mondialede carburants liquides (en millions de barils par jour)

Etats-Unis

Asie et Pacifique(dont la Chine et l’Inde)Autres

Europe

Principales zonesd’exploitation d’hydrocarburesTracé du futur oléoduc Keystone XL

Principauxgisements de :

Pétrole Gaz Sablesbitumineux

Tronçon existant

1 000 km

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MEXIQUEMEXIQUEMEXIQUE

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Gisementde GiddingsEstate

Le bassin permien

Houston,complexe

pétrochimique

500 km

Le Texas au cœur du nouveau boom pétrolier

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28 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Les maoïstes de l’Assembléeveulent la fin de l’“exportation”des Gurkhas, ces soldatsnépalais qui se battent sous lesdrapeaux britannique et indien.Mais cette vieille tradition est source d’emplois.

Asia Times Online (extraits) HongKong, Bangkok. De Katmandou

�C eux qui brûlent de mettre unterme au recrutement des Gur-khas, soldats népalais, au sein des

armées britannique et indienne affirmentque cette tradition, qui remonte à 1815, estune insulte à l’indépendance du pays. Aleurs yeux, il s’agit d’une formidable ano-malie, et il faut y mettre un terme dans le“nouveau” Népal postmonarchique [leNépal est devenu une république en mai2008]. Telles sont les conclusions d’un rap-port approuvé il y a peu à l’unanimité parune commission parlementaire multipar-tite, mais dominée par les législateursmaoïstes.

L’affaire a suscité une attention consi-dérable dans les médias, nombre d’ar-ticles et d’émissions radiotéléviséesconcluant que le Népal ne devait plus êtreconsidéré comme un pays qui exporte des“mercenaires”. “Si le recrutement des Gur-khas offrait aux jeunes certaines possibilitésd’emploi, […] il n’a pas toujours permis auNépal de garder la tête haute”, déclare lerapport de la commission, qui évoque parailleurs les “pertes” subies par le Népal

Asie

quand ces jeunes hommes sont encoura-gés à devenir citoyens d’autres pays.Cette allusion vise principalement laGrande-Bretagne, qui dispose d’une bri-gade de Gurkhas, et l’Inde, dotée d’uncontingent important de Gurkhas dansses forces armées nationales.

Comme par hasard, le rapport parle-mentaire a été rendu public au momentoù le général David Richards, chef de l’ar-mée britannique, était en déplacement auNépal. Son itinéraire officiel prévoyait unevisite dans la ville touristique de Pokhara,où il a participé le 4 janvier au “défilé d’at-testation” qui marquait [comme chaqueannée] l’incorporation officielle de 176recrues masculines dans l’armée britan-nique. “Cette cérémonie d’allégeance, préci-sons-le, se déroule en pleineconnaissance du fait que ceuxqui ont décidé de rejoindrel’armée britannique sontdes citoyens du Népal”,nous rappelle le colonelAndrew Mills, chef de la BritishGurkhas Nepal [une brancheadministrative de l’armée britan-nique qui gère le recrutement desGurkhas].

Aujourd’hui, les forces armées deSa Majesté comptent 3 800 Gurkhas dansleurs rangs. Mais Londres a annoncé à lami-janvier la suppression de 400 de cespostes dans le cadre de coupes budgé-taires. L’Inde, dont le recrutement annuelconcerne entre 2 500 et 3 000 hommes,déploie actuellement 7 régiments de Gur-khas, soit plus de 30 000 hommes. Le pre-

mier recrutement de Népalais en tant queGurkhas a eu lieu en 1815, au lendemainimmédiat de la guerre entre le Népal etl’Inde britannique. Un traité de paix a misfin au conflit, et les Britanniques se sontentendus avec les dirigeants népalais, quiles ont autorisés à engager les enfants deceux qui les avaient impressionnés parleur bravoure sur le champ de bataille.

Près de 200  000 Gurkhas se sontbattus pour la Grande-Bretagne pendantles deux guerres mondiales, et plus de45 000 sont morts sous l’uniforme bri-tannique. “Ils ont une réputation de férocitéet de bravoure, et sont célèbres par leur arme emblématique, le poignard khukuri”, indiquel’Agence France-Presse.

Bien qu’un accord signé par Londreset Katmandou interdise au Népal deprendre des décisions unilatérales, lesdirigeants révolutionnaires du pays pour-raient en faire fi et “prendre des mesuresaudacieuses pour empêcher des armées étran-

gères de recruter des Népalais”, commele laisse entendre un éditoria-liste du Kathmandu Post.

Le pouvoir législatif actuel n’a pas lescompétences pour statuer sur ce sujet, sou-tient le Pr Lokraj Baral, à la tête d’un cabi-net de consultants, le Centre népalaisd’études contemporaines. (La législatureen exercice est avant tout une Assembléeconstituante, élue en 2008 avec pour mis-sion de rédiger une Constitution pour lanouvelle république. Elle a été prolongéejusqu’à la fin du mois de mai 2012.)

La plupart des membres de la com-mission sont conscients du ressentimentqu’ils suscitent chez les gens qui ont tou-jours vu dans ces recrutements une sourced’emplois. “Cette question touchant à la sou-veraineté du pays, nous devons nous montrertrès prudents”, nous dit Suresh Ale Magar,maoïste et membre de la commission.“Tout ce que nous voulons, c’est que l’arrêtdu recrutement ne soit pas brutal. Il faudraitd’abord développer d’autres solutions.”

Combien de temps risque-t-on d’at-tendre ces solutions, alors que les jeunesNépalais des deux sexes sont de plus enplus nombreux à devoir chercher dessous-emplois dans le Golfe et en Malai-sie ? John Tucknott, l’ambassadeur bri-tannique au Népal, considère que lesestimations du responsable maoïste Ale

Magar sont réalistes,puisque ce dernier parle de

la nécessité de trouver d’abordd’autres solutions. “Reste à savoir

si cela aura lieu de notre vivant.”Dhruba Adhikary

Indonésie

Le concombre de mer bien mieux que le ViagraS’inspirant de pratiquesancestrales, un scientifique a découvert que l’holothurieconstituait un puissantaphrodisiaque.

Tempo Jakarta

�A première vue, l’animal, un inver-tébré, n’a pas un aspect des plusappétissants. Qui se douterait

que cette créature des mers toute flasque,à l’allure de gros concombre gluant, avecdes tentacules autour de la bouche, recèleun potentiel extraordinaire pour la gentmasculine frappée d’impuissance ? Entreles mains d’Etty Riani, l’extrait d’holothu-rie [dite aussi bêche de mer ou concombrede mer] devient un aphrodisiaque très effi-cace. Le chercheur de la faculté de la pêcheet des sciences océaniques de l’institut

agricole de Bogor [au sud de Jakarta] aconduit plusieurs expérimentations eninjectant des extraits d’holothurie à desanimaux de laboratoire, dont un poussinde 1 jour. Résultat : le poussin s’est méta-morphosé sur-le-champ en coq adulte. “Illui pousse une crête et il s’égosille en cocoricosalors que ce n’est pas encore l’heure”, rap-porte Etty. En théorie, l’intégralité duconcombre de mer peut être utilisée. “Maisce sont les viscères qui contiennent la plusgrande concentration d’hormones stéroïdes”,précise le chercheur.

Ses recherches lui ont été inspirées parles habitants de Gorontalo [dans l’archipeldes Célèbes], qui depuis des générations

sont convaincus des vertus aphrodisiaquesde l’animal marin. Le concombre de merest également utilisé depuis cinq cents anscomme antiseptique sur l’île de Langkawi,à l’extrême nord de la Malaisie. Tradition-nellement, les femmes qui venaient d’ac-coucher le buvaient en décoction pour fairecesser les saignements et il était utilisé enpommade pour les adolescents à l’issue descérémonies de circoncision.

L’Indonésie pêche chaque annéequelque 200 000 tonnes d’holothuries, quiseront séchées, salées et exportées en Chineet au Japon pour leurs qualités gustatives.

Après une multitude d’expérimenta-tions, Etty Riani a découvert que c’étaitl’holothurie des sables (Holothuria scraba)qui contenait le plus haut taux et lameilleure qualité d’hormones stéroïdes.Contrairement au célèbre Viagra, ce sti-mulant sexuel présenterait l’énorme avan-tage d’être sans danger pour la santé et

sans effets secondaires. “Ceux qui souffrentd’hypertension risquent se retrouver K-O s’ilsprennent du Viagra”, met en garde le scien-tifique. Pour preuve, il a fait l’expérienceavec des rats. Les infortunés cobayes sesont mis à souffrir de toutes sortes detroubles des organes de reproduction, desreins, du foie et du cœur, tandis que lesanimaux auxquels il avait administré del’extrait d’holothurie ont continué à secomporter normalement. Ces recherches,qui ont débuté il y a trois ans, sont finan-cées par le Centre d’études des ressourceslittorales et maritimes.

Etty Riani et son équipe attendentmaintenant le feu vert de la Direction géné-rale de la propriété intellectuelle dépen-dant du ministère de la Justice et des Droitsde l’homme pour faire breveter leur décou-verte. Le centre d’études espère ensuitecommercialiser le produit miracle sousforme de décoctions et de pilules. �

Sans danger pour la santé et sans effetssecondaires

� Dessin de Reumann paru dans Le Temps,Genève.

Népal

Rendez-nous nos guerriers !

Egalité Depuis mai 2009, Londresaccepte que les vétérans gurkhaspartis à la retraite avant 1997 et ayant effectué au moins quatreannées de service dans l’arméebritannique puissent s’installer

au Royaume-Uni et y toucher la même retraite que les soldatsbritanniques. Or la British GurkhaWelfare Society (emblème ci-contre)a déclaré que 25 000 d’entre euxcontinuaient de recevoir un

montant inférieur. En 2011, elle a donc saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui étudierala question “fin 2012, pour un verdictfinal attendu entre 2013 et 2014”,écrit The Guardian.

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entrepris de prendre des poses noncha-lantes pour dénoncer la passivité du gou-vernement face à l’envolée des prix ducarburant. Aujourd’hui, les animateurs dumouvement espèrent le voir se muer enphénomène de masse à l’instar du planking.L’objectif est qu’un nombre croissant deces images d’indolence soient postées surles réseaux sociaux comme Facebook.

En attendant, le noynoying a au moinsréussi à agacer le principal intéressé au[palais présidentiel de] Malacañang. Enquelques jours, le bureau du président apublié une palanquée de photos d’Aquinoen pleine réunion ou portant des piles de

dossiers dans ce qui se veut être une jour-née d’un homme qui, eh bien, travaille !

Quoi qu’il en soit, il est nécessaire d’ad-mettre que Malacañang n’a pas complète-ment tort. Le président Aquino continuede se montrer inflexible dans sa lutte contrela corruption au sein du gouvernement, etsa politique économique porte ses fruits,

ainsi qu’en témoigne l’envolée des activi-tés boursières. A ce titre, il mérite qu’on luireconnaisse d’avoir tenu ses promesses decampagne et mis en œuvre son programme,qu’il a défendu en dépit des reproches surle manque de substance de ce dernier. Ainsiqu’il le dit lui-même : “Etant donné l’énor-mité de la tâche qui nous attendait quand nousavons pris nos fonctions, nous pensions qu’ilfaudrait au moins deux ans avant d’assisteraux premiers changements. Or, aujourd’hui[vingt et un mois après], je pense que nous lesobservons déjà.”Le président et son entourage devraientnéanmoins apprendre à mieux affronter lacritique. Aquino devrait se demander pour-quoi tant de Philippins, notamment lesjeunes, ont une si mauvaise opinion de lui.Au lieu de se plaindre d’être la victime dejugements infondés, il devrait réfléchir àune réponse autre que la publication dephotos de lui au travail. Ils font figure deréaction conservatrice et superficielle faceau dynamisme de ses détracteurs.

En outre, les adeptes du noynoying ontraison sur divers points. Si le président tireson épingle du jeu sur plusieurs fronts, iln’a toutefois rien fait pour apaiser unepopulation inquiète devant la flambée desprix du carburant. C’est le point de départde la contestation. Il existe une autrerevendication à laquelle le présidentAquino est prié de réagir : l’explosion desfrais d’inscription universitaires. Entre leprix de l’essence et celui de leur éducation,les jeunes Philippins perdent espoir aussibien dans le présent qu’en l’avenir. Ainsi,au lieu d’être sur la défensive, les autoritésdevraient prendre les devants. Rien ne vautl’ouverture d’un dialogue pour mettre leschoses au clair. �

Philippines

Rebelles de tout le pays, ne bougez plus !

Mode d’emploi Anakbayan,mouvement de jeunesse militant en faveur de la démocratie et àl’origine de la campagne raillantl’inaction du président “Noynoy”Aquino, a conçu un poster

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 29

Le président Aquino se tourne-t-il les pouces ? De jeunesmilitants en sont convaincus et ont lancé une campagnecitoyenne dont le principe est de prendre la pose sans,surtout, lever le petit doigt.

Philippine Daily Inquirer Manille

�P hénomène de mode spontanéinventé par des esprits sarcas-tiques, le noynoying doit son nom

à un étrange mélange entre le surnom duprésident Aquino [dit Noynoy] et le motplanking [une activité qui consiste à se fairephotographier dans des lieux publicsallongé et aussi raide qu’une planche]. Saufque les adeptes du noynoying s’appliquentà adopter la pose la plus languide possible :le plus paresseux ils apparaissent, le mieuxc’est. En dépit de cette apathie apparente,le noynoying est bel et bien un mouvementde protestation. Il s’agit avant tout derailler le président philippin, que bonnombre de ses concitoyens jugent fainéantet passif.

Certes, cette vision des choses ne faitpas entièrement l’unanimité. Mais l’idéeque le président a plutôt tendance àrester les bras croisés est largementrépandue. “Il n’a pas levé le petit doigt alorsqu’il devrait s’épuiser au travail”, affirmeVencer Crisostomo, à la tête de l’associa-tion Anakbayan [qui a lancé la campagne].“C’est ça, le noynoying, ne rien faire quand,en réalité, vous devriez vous activer.”

Comme bien d’autres phénomènes demode spontanés, le noynoying nous vientdes rues de Manille. Des militants ont

Plus de cent ans après la proclamation de l’indépendance, une grandemajorité de Philippinsdemeurent pauvres. Ces dernières années,le pays n’a cessé de dégringolerdans le classement de l’Indicede développement humain des Nations unies – qui évalueles progrès en termes de revenu, de santé et d’éducation. On peut doncconclure sans peine que nos derniers gouvernements sont coupables de noynoying , c’est-à-dire qu’ils n’ont rien fait ou, pour le moins, n’ont pas tout fait pour éradiquer la pauvreté.Tandis qu’un grand nombre de

nos concitoyens se débattentdans le dénuement extrême,nous comptons au moins six milliardaires en dollars et quantité de milliardaires en pesos. Et le gouvernementse contente de perpétuer ce statu quo inéquitable. Une éducation de qualité, qui pourrait permettre aux plusmodestes de s’extraire de leur situation, ne figure pasau rang des priorités dans le budget du pays. Les rejetons conservateurs des riches dynasties politiques(interdites, soit dit en passant,par la Constitution) sont doncen mesure de monopoliser le pouvoir politique sans rencontrer de véritable

opposition. C’est pour cette raison qu’une loicomplétant les dispositionsantidynastiques de la Constitution continue de prendre la poussière dansles archives du Congrès.Le monopole dont jouit l’élitesur le pouvoir politiqueconsolide sa domination sur l’économie philippine.Benigno Simeon “Noynoy”Cojuangco Aquino III, le président actuel, est issu du puissant clan Cojuangco, qui compte dans ses rangs des hommes d’affairesmilliardaires. Manuel “Mar”Araneta Roxas II, son colistierlors des élections de 2010, est issu du clan Araneta-Roxas.

Tous les sénateurs sontmultimillionnaires. La Chambredes représentants s’apparente,elle aussi, à un club pour millionnaires. Idem pour le gouvernementactuel. L’habitude est alors pourles hommes d’affaires fortunésde verser des fonds aux partispolitiques pour cimenter le “mariage” de la politique et de l’économie. Une fois au pouvoir, les élus servent en retour les intérêts de ceux qui ont financé leur campagne.Dans le même temps, desmillions de Philippins endurentla faim et le dénuement. Cette absence de progrès pour la majorité traduit en réalité la dépendance du pays

vis-à-vis des prêts etinvestissements étrangers. Nosvastes ressources naturelles neservent pas à l’industrialisationlocale, qui fournirait desemplois aux Philippins : lesentreprises étrangères et leurssuccursales les monopolisentpour les exporter à des prixridiculement bas. Résultat : le chômage et le sous-emploidemeurent élevés. Les plusqualifiés sont contraints par lescirconstances de chercher dutravail à l’étranger. Et le progrèsse fait d’autant plus attendre.David Michael M. San Juan*Manila Standard Today(extraits) Manille

* Professeur à l’université De La Salle-Manille.

Inégalités

Le “noynoying” nourrit la pauvreté

� Bayer aux corneilles, voilà comment manifester !

Venu des rues Manille, le noynoying a fini par agacer le Président

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BAYA

N

expliquant comment mettre enpratique les principes du noynoying :1. Trouvez un groupe de gens.2. Repérez un endroit public bondé.3. Asseyez-vous/étendez-vous etcomportez-vous comme s’il n’y avait

rien à faire, avec l’air paresseux et stupide de Noynoy.4. Prenez des photos ou faites unevidéo et essayez de les poster surTwitter en utilisant #noynoying ousur facebook.com/Noynoying2012.

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30 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

AsieChine

Le bruant, petit oiseau sur le grilSale temps pour les passereauxet consorts. L’Emberiza aureola,notamment, consommé grillé,sauté ou même cru, en Chineméridionale, est menacéd’extinction. Reportage dans laprovince du Guangdong.

Zhongguo Xinwen Zhoukan(extraits) PékinDe Canton

�L e bruant auréole (Emberizaaureola, famille des passereaux)est une espèce de petite taille qui

passe la moitié de son temps en vol. Leshabitants de la province [méridionale] duGuangdong savent bien qu’il arrive chezeux en automne lorsque les blés sont àmaturité, et qu’à cette époque sa chair estparticulièrement goûteuse. Il constituede plus un apport alimentaire intéres-sant pour la santé. Il y a une dizained’années, dans les campagnes duGuangdong, on apercevaitsouvent des bruantsauréoles se déplaçantpar di zaines de mil-liers, mais aujourd’huiils sont devenus trèsrares. Des malins ontessayé de les domestiquer,mais une fois en cage, cesoiseaux au chant cristallinet au splendide plumagedépérissent et perdent leurscouleurs. L’engouement des consomma-teurs pour ces oiseaux bénéficie en certainsendroits du soutien des pouvoirs publics.Vers la fin des années 1990, le district deSanshui, dans la municipalité de Foshan[ville-préfecture de la province du Guang-dong, dans le delta de la rivière des Perles],organisait même un festival gastronomiquequi attirait en foule les amateurs et entraî-nait le massacre d’un grand nombre d’oi-seaux.

Malgré l’interdiction de ce genre defêtes, il y a quelques années, par l’Officeprovincial des forêts, le bruant auréolen’a pas disparu pour autant des assiettes.Les multiples décrets n’ont fait que doperle cours du bruant auréole, qui est passéde 6 ou 7 yuans pièce [0,80 euro] à30 yuans pièce [3,60 euros], sans parlerdes restaurants où les tarifs ont explosé.

Certaines personnes ont commencéalors à se spécialiser dans le trafic de cesprécieux petits oiseaux. M. Huang* en faitpartie. “Quand les gens mangent des bruants,c’est par dizaine – soit, pour une tablée, unebonne centaine. C’est tout à fait courant, etl’addition monte alors facilement à plus de10 000 yuans [1 190 euros] !” explique-t-il.M. Huang est le patron d’un marché aubétail et aux volailles dans la bourgade deTaiping, dans la municipalité de Conghua

(province du Guangdong).En cet après-midi d’automne, c’est la

cigarette au bec, assis dans la pièce où iltient sa comptabilité, à côté de sa devan-ture, que M. Huang nous reçoit, l’œil surdeux employées d’âge mûr qui s’activent.Aux pieds des deux femmes, plusieursdizaines d’oiseaux morts jonchent le sol.En les montrant, M. Huang nous dit : “Cesont tous des bruants. Je peux vous en four-nir autant que vous voulez, mais je n’en aipas de vivants.” Il nous explique que lesbruants sont des oiseaux peu dociles ettrès sauvages, par conséquent difficiles à

transporter. Il faut donc les noyer tout desuite après les avoir capturés, car sinonils perdent beaucoup de sang et devien-nent moins savoureux.

Comme ils sont de petite taille, ils sedéplacent souvent par groupes importantslors de la migration. Ils vont d’un bosquetde roseaux à l’autre dans les champs. Ilssont incapables de parcourir d’une traiteune longue distance ; il leur faut donc sou-vent faire des haltes. Ils sont des proiesfaciles pour les chasseurs.

M. Lin excellait il y a quelques annéesencore dans ce domaine, à Qingyuan, dansle Guangdong. Chaque automne, quand

les blés arrivaient à maturité, des nuéesde bruants s’abattaient du ciel. Leur ponc-tualité était un sujet d’émerveillementpour M. Lin, qui sortait alors avec ses amischasseurs les filets réparés durant le restede l’année. A la tombée de la nuit, ils par-taient à plusieurs faire éclater des pétardsdans les roselières. Effrayés par le bruit,les bruants étaient forcés de se rassem-bler dans un autre bosquet de roseaux.Quand ils formaient un groupe de plu-sieurs milliers d’oiseaux, les chasseurs lan-çaient sans bruit leur filet sur la roselière.

“A ce moment-là, on allumait encore unchapelet de pétards. Les oiseaux prenaientpeur et cherchaient à s’envoler mais ils étaientpris dans le filet, où plus ils se débattaient,plus les mailles se resserraient sur eux. Beau-coup avaient les ailes cassées !” A l’époque,en une soirée, on pouvait attraper plu-sieurs milliers d’oiseaux et, à raison de5 yuans pièce, cela permettait de rapide-ment “faire fortune” !

Ce qui inquiète M. Lin, c’estque ces oiseaux si pré-

cieux deviennent de plusen plus difficiles à attra-per. “Quand ils arrivent,ils ont d’abord traversé les

provinces du Hubei et duHunan [au centre de la

Chine], où beaucoup sont captu-rés, et il nous reste de moins enmoins d’oiseaux à nous mettresous la dent”, déplore-t-il.

Il y a deux ans, Zou Fasheng,chercheur à l’Institut de recherche sur

les animaux en péril en Chine méridio-nale, est allé, avec plusieurs de ses col-lègues, réaliser des observations sur cesoiseaux dans la municipalité de Sihui(province du Guangdong). Après plu-sieurs jours d’enquête sur le terrain, ilsn’ont rencontré aucun bruant auréole, etles paysans du coin leur ont confié qu’ilsn’avaient plus vu ce type d’oiseaux depuisdes années. Du coup, le chercheur anourri des doutes : les gens mangent-ilsvraiment des bruants ? Selon M. Huang,“quand on a déjà dégusté de vrais bruants,on reconnaît le goût dès la première bouchée.Leurs os sont croustillants et on a vraimentl’impression de manger du gibier”.

Les habitants du Guangdong ontexpérimenté toutes sortes de prépara-tions culinaires “sur le dos” du bruantauréole, qu’ils cuisinent blanchi, grillé surune plaque chauffante, sauté à feu vif,poivré-salé, cuit sur le gril… Ils le man-gent même cru et, encore aujourd’hui, necessent d’expérimenter de nouvellesfaçons de le consommer ! Face à l’habi-tude populaire solidement ancrée de sedélecter de ce gibier, le sort de ces petitsoiseaux semble bien incertain… Li Guang* A la demande des intéressés, le nom de certainespersonnes interviewées a été modifié.

Le mot de la semaine

“shi yu”L’appétitAu lieu de se dire “Bonjour !”, les Chinoisse disent encore parfois : “Avez-vousmangé ?” Pour certains, c’est la preuvetangible de l’importance que ce peupleaccorde à la nourriture. Pour d’autres,cela exprime le souvenir des grandesfamines qu’il a connues depuis les temps anciens. Ainsi, des révoltespaysannes provoquées par la faminesont parvenues à renverser des dynasties et à les remplacer par d’autres. Se nourrir constitue un besoin vital pour la population, et nourrir le peuple une nécessité pourles gouvernants. Cela dit, le plaisir demanger des oiseaux ou de consommerdes produits exotiques (aileron de requin, corne de rhinocéros) n’estnullement un besoin. Cela relève plutôtdu domaine du désir. Ce désir de goûterdes mets rares appartient à une trèsancienne tradition de la gastronomiechinoise. Jusqu’ici, rares sont ceux qui ont souhaité imposer des limites à cette tradition. La tendance serait plutôt d’en faire la quintessence de la culture chinoise. La consommation de civettes dans leGuangdong est considérée comme une cause possible de la propagation del’épidémie de Sras* en 2003 ; pourtantl’appel à la prudence concernant laconsommation de ce petit mammifèrea été vite oublié. La gourmandise a repris ses droits. Aujourd’hui, grâce aux appels des écologistes, l’opinionpublique chinoise commence à évoluer,comme le montre le texte ci-contre. On s’interroge sur les dérives de cettetradition ancestrale. Mais cela suffira-t-il à changer les mœurs ? Sans doutepas. Les Chinois semblent avoir oublié que l’homme ne peut exister sur cetteplanète sans protéger les animaux,comme ils ont oublié qu’il fallaitprotéger l’individu contre la violencearbitraire des plus forts.Chen Yan, Calligraphie d’Hélène Ho* Syndrome respiratoire aigu sévère.

“On a vraimentl’impression de mangerdu gibier”

� Dessin de Javier Jaén paru dans Público,Madrid.

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Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 31

Le quotidien israélien MakorRishon, pourtant connu pour sespositions ultranationalistes, nesouhaite plus la fin de l’Autoritépalestinienne.

Makor Rishon (extraits) Tel Aviv

�D epuis quelque temps, invoquantde graves problèmes financierset le gel du processus diploma-

tique, les Palestiniens multiplient lesmenaces de dissolution de l’Autorité pales-tinienne (AP). Si cette perspective n’estcertainement pas dans l’intérêt d’Israël,elle n’est pas non dans celui de l’AP.

Pour Israël, voir l’AP fermer bou-tique et jeter les clés dans la mer Morteserait un cauchemar. Non tant pour lesconséquences internationales d’un telévénement qu’en raison des change-ments fondamentaux qu’il impliquerait surle terrain au niveau des relations qu’Israëlentretient avec la population palestinienne.Quant à la perspective de voir l’ancienrégime de gouvernement militaire et d’ad-ministration civile s’exercer à nouveau sur

toute la population [palestinienne] deJudée-Samarie [Cisjordanie], on voit malcomment Israël pourrait en assumer laresponsabilité.

Au-delà de l’enfer bureaucratique quereprésenterait l’obligation de ressusci-ter les infrastructures nécessaires pourencadrer la vie quotidienne des admi-nistrés de l’ancienne AP, il faut aussienvisager le fardeau économique quis’abattrait sur Israël du fait de l’abroga-tion automatique des accords financiers

Moyen-Orient

encore à ce jour un instrument pourmener des offensives politiques, faire dela propagande, garder pied dans les rap-ports internationaux et bénéficier d’avan-tages personnels et prosaïques.

Les recours juridiques contre Israëlrisqueraient quant à eux de prendre une

tournure tout autre en dégageant plusde bénéfices pour les particuliers palesti-niens. Par exemple, le système judiciaireisraélien devrait statuer sur les réclama-tions foncières palestiniennes selon descritères plus fiables que ceux d’aujour-d’hui. Et le système juridique israélienpourrait bien être ainsi le premier àoctroyer la citoyenneté aux ressortissants

[arabes] de Judée-Samarie.Le séisme politique que serait une

dissolution de l’AP risquerait éga-lement d’ouvrir la voie vers un

nouveau rôle pour la Jordanie.On pourrait ainsi voir Israëlexiger – avec l’aval des Palesti-niens – que le régime haché-mite reflète mieux l’identitéde la majorité de sa population[d’origine palestinienne]. Uneconséquence en serait peut-être que, ensemble, Jordaniens

et Palestiniens reprendraient lamain dans les négociations avec

Israël. Mais, en définitive, il appa-raîtrait que les mêmes problèmes,

encore et toujours, resteraient à négo-cier : Jérusalem, les frontières et les réfu-

giés. Avec un nouveau partenaire commeavec l’ancien. Amnon Lord

Le dirigeant palestinienemprisonné appelle à uneIntifada pacifique.Depuis sa cellule, MarwanBarghouti, le plus importantdirigeant palestinien du Fatahemprisonné en Israël, vient defaire une déclarationinhabituelle en appelant sonpeuple à entamer unsoulèvement populaire contreIsraël, à interrompre lesnégociations et à suspendre lacoordination sécuritaire.Jérusalem ferait bien de

l’écouter. Barghouti, qui purgecinq peines de prison à vie, estun des initiateurs de ladeuxième Intifada. Avant quecette dernière n’éclate,il avait averti Israëlqu’elle étaitimminente. A l’époque où ilétait encore undirigeant épris depaix, populaire et nonviolent, Barghouti avait fait latournée des partis sionistesisraéliens et des faiseurs

d’opinion pour les exhorter àconclure un accord avec lesPalestiniens sous peine de voiréclater un nouveausoulèvement. Ses paroles

étaient restées lettre morteet une terrible Intifadaavait explosé. Barghouti yavait joué un rôle clé.

De sa cellule, Barghoutipeut désormais observer

le gel total des négociations et l’immobilisme d’Israël : lesdossiers de l’occupation et dela paix ont disparu de l’agenda

israélien. Et il appelle de nouveauson peuple à se soulever. Onpeut le comprendre. Si Israëlavait voulu d’un accord avec les Palestiniens, il aurait dûlibérer Barghouti, le dirigeant le plus authentique du Fatah.Israël a choisi de ne pas le libérer, pas même dans le cadre d’un échange de prisonniers. Quant à l’occupation, nous avonstendance à considérer que, sil’on n’en parle plus, elle n’existeplus. Cette approche pourrait

bientôt nous exploser à la figure. En pensant que cette situation peut durer éternellement, legouvernement nous mène versun autre cycle de violence.Barghouti préconiseaujourd’hui une opposition nonviolente et nous devrionsl’écouter avant qu’il ne soit troptard. Si un troisièmesoulèvement éclate, Israël nepourra plus feindre la surprise.Barghouti nous aura avertis.Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv

Israël-Palestine

Et si Marwan Barghouti avait de nouveau raison ?

conclus [en mars 1994] dans la foulée desaccords d’Oslo [septembre  1993], lesfonds colossaux que les pays donateursversent sur les comptes de l’AP s’évapo-rant aussitôt. Bref, ce serait le chaos total.

Une désintégration de l’AP débouche-rait également sur une situation étrangedans laquelle les Etats-Unis risqueraientde devoir jouer un rôle par procuration.Ils seraient contraints de partager lacharge financière d’une “occupation” mili-taire israélienne pleinement restaurée, lestroupes israéliennes et les forces de sécu-rité palestiniennes se trouvant dans unvide politique. Du pain béni pour lesmédias étrangers.

D’un autre côté, de nouvelles oppor-tunités politiques peuvent se présenter,en fonction des initiatives israéliennes.Tout d’abord, d’un point de vue stricte-ment administratif, la voie la plus simplepour résoudre ce nouveau casse-têteisraélien pourrait être une intégrationcomplète de la Judée-Samarie à l’Etatd’Israël. Les hommes politiques étanttoujours à la recherche des solutionsles plus simples, un gouvernementde droite pourrait sans trop demal agir en ce sens. La consé-quence serait évidemment lelancement d’un processus pro-gressif de naturalisation desPalestiniens des Territoires.

Toute décision allant dansce sens susciterait des réac-tions politiques, tant au planinternational qu’au niveau pales-tinien. Pour combler le vide laissépar le retrait de la vieille garde ras-semblée derrière [le président del’AP] Mahmoud Abbas et consorts, denouveaux dirigeants palestiniens émer-geraient inévitablement. Cette émergenceserait d’autant plus spontanée que lesPalestiniens ont pu constituer une sociétécivile et politique dynamique et qu’il estpeu probable qu’ils attendent sagement

Palestine

Gare à l’effondrement de l’Autorité palestiniennequ’un fonctionnaire israélien du ministèrede l’Intérieur frappe à leur porte et leurdélivre enfin le fastidieux formulaire àremplir pour obtenir la citoyenneté israé-lienne. Etant donné que c’est l’AP qui dis-paraîtrait et non le peuple palestinien, cedernier finirait par s’organiser et parexiger que le processus d’intégration soitmené dans le cadre de négociations avecdes dirigeants politiques légitimes, aubesoin au terme d’élections organiséesd’un commun accord.

Un tel séisme politique n’est évidem-ment le souhait ni d’Israël ni des diri-geants de l’OLP, ces derniers ayant tout àperdre du démantèlement d’une AP quiconstitue leur ultime citadelle au sein dece qu’ils considèrent comme la patriepalestinienne. Aussi faible et dépendantesoit-elle, cette base territoriale constitue

Les Etats-Unis risquentde jouer un rôle d’occupantpar procuration

Les problèmes resteronttoujours : Jérusalem, lesfrontières et les réfugiés

� Dessin de Graff paru dans Dagbladet, Oslo.

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AFP

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32 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Les milices sunnites aussi bien que chiites tuent en toute impunité les jeunesmarginaux. Accusés d’être dépravés ou “déviants sexuels”,ils ne seraient pas conformes à l’identité irakienne.

Al-Mustaqbal Beyrouth

�U n nouveau mot s’est imposédans les journaux irakiens. C’estle mot imo. Des conférences

sont organisées à ce propos, les religieuxdonnent leur avis et les élites politiques,médiatiques et intellectuelles en disser-tent. Le mot est, semble-t-il, emprunté àl’anglais emotion [émotion] et désigne unepersonne sensible, assumant ses senti-ments et ses faiblesses, bref, une personneen rupture avec la rudesse et la violenceambiantes de la société irakienne. Un imose préoccupe de ses vêtements et se pared’accessoires qui attirent les regards. Sil’on parle autant des imos, c’est qu’ils ontrécemment été frappés par une vagued’assassinats à Bagdad.

En Europe, il y a eu des phénomènescomparables, les hippies par exemple,puis les punks. Et voilà qu’il y a des imosà Bagdad.

Filles et garçons, ils portent généra-lement des vêtements près du corps etdes chaussures souples. Ils teignent leurscheveux de couleurs vives : rouge, vert,blanc, etc., et arborent d’étranges acces-soires tels que de petits crânes, des clefset autres objets symboliques. Ils écoutentdu rap et du rock, échangent des baisersen public, se tiennent par la main etdonnent une impression de bonheur.L’agence de presse irakienne Al-Sumeriyaa diffusé un rapport mêlant quelques faits

Moyen-Orient

à beaucoup de fantasmes en disant queles imos suçaient le sang dans les fau-bourgs de Bagdad. Depuis, la rumeur suitson chemin.

Le pays, un immense mouroirOr les imos sont des êtres pacifiques. Ilsconstituent des groupes informels et res-tent entre eux, à l’écart d’une société quiles rejette parce qu’elle les considèrecomme une menace pour ses traditionset ses valeurs. Ils sont pourtant les enfantsde cette société. Celle-ci les engendre jus-tement par sa dureté, par la dominationd’un esprit de troupeau qui refuse dereconnaître l’individualité de chacun etpar le fait qu’elle n’offre pas d’horizonsocial aux jeunes générations.

Mais bien avant la récente vague d’assassinats qui a frappé les imos, audébut des années 1970, des milices ira-kiennes sillonnaient déjà les rues de lacapitale afin de couper les cheveux desjeunes gens, asperger de peinture lesjambes des jeunes filles et déchirer lesminijupes, voire molester les vieux s’ilsne portaient pas de vêtements “décents”.La mémoire collective des Irakiens resteégalement marquée par les mesuresprises en son temps par Saddam Husseinafin d’islamiser la vie et d’éliminer les“impuretés apportées par la modernité”.C’était à l’époque des sanctions écono-miques [dans les années 1990] dont leseffets étaient si dramatiques que lescitoyens étaient obligés de vendre jus-

qu’aux fenêtres de leur logement pourpouvoir nourrir leurs enfants. Le paysressemblait alors à un immense mouroir,et des millions d’Irakiens cherchaient àfuir dans l’espoir de trouver une bouchéede pain et un peu de sécurité ailleurs.Malgré cette misère matérielle, celui quise faisait alors appeler le “président croyant”[surnom choisi par Saddam Hussein]n’avait rien trouvé de mieux que d’inter-dire les bars, les clubs et les cabarets, maisaussi de chasser les prostituées, de lesdécapiter et d’exposer leurs têtes sur lesmurs de la capitale.

La joie disparaît de nos viesAujourd’hui, on a de nouveau affaire à unecampagne contre les femmes, contre lesjeunes non-conformistes, contre les sallesde cinéma, contre les lieux de distractionsen tous genre, contre les bars à alcool. Denouveau, des “milices des mœurs” obli-gent les jeunes femmes et les petites fillesà se voiler la tête et l’irrationalité est érigéeen valeur comme si le but ultime était d’an-nuler tout ce que l’Irak a pu faire commeprogrès pour nous ramener au Moyen Age.

Partout, surtout en province, onprend le chemin du fondamentalisme.Petit à petit, sans cri ni vacarme, on finirapar ressembler à l’Afghanistan des tali-bans. La joie disparaît de nos vies, nimusique, ni chants, ni coquetterie vesti-mentaire, ni fantaisie de nos jeunes pourégayer les rues sales, tristes, parseméesde trous, de déchets et de fils de fer.

En réalité, le sort des imos est partagépar tous ceux qui ne se plient pas aux loisnon écrites de ces milices des mœurs.

Des civils en armes quadrillent lesrues de Bagdad, à la recherche des imos.Dès qu’ils en attrapent un, ils le jettent àterre, puis lui écrasent la tête avec un blocde béton. Les victimes désignées se ter-rent chez elles ou quittent la capitale afind’éviter la mort. Selon une récenteenquête de la chaîne de télévision Al-Ira-qiya, les auteurs de ces attaques seraientaffiliés à Al-Qaida ou à divers groupes isla-mistes. Il y a eu des précédents. Ces der-nières années, des escadrons de la mortont assassiné de jeunes homosexuels, sur-tout à Sadr City, quartier périphérique deBagdad dominé par le courant sadriste[milice chiite radicale].

Le sujet a pris de telles proportionsque le Parlement irakien s’en est saisi. AliAl-Sistani [principale référence spirituelledu chiisme irakien] a déclaré qu’il étaitillicite de tuer les imos. De même, la plu-part de grandes figures religieuses ontdéclaré qu’au lieu de les assassiner, il valaitmieux leur prodiguer de bons conseils etleur montrer le bon exemple afin de lesramener sur le droit chemin, la méthodedouce étant le meilleur moyen de lespousser à abandonner cette “déviance occi-dentale”. Chaker Al-Anbari

Irak

On achève bien les “imos”

Barghouti puni Les autoritésisraéliennes n’ont pas appréciél’appel lancé par le leader palestinienemprisonné, en faveur de l’arrêt de toute forme de coordination avec Israël et le lancement d’une

nouvelle intifada populaire. Il a été placé pour une semaine à l’isolement dans la prisonisraélienne de Hadarim où il est détenu depuis dix ans,rapporte le Yediot Aharonot.

Les faits de torture sontindissociablement liés à l’histoire politique de l’Irak. Tout a commencé avec le coup d’Etat militairede 1958 contre la monarchiehachémite, orchestré par une bande de militairesde second ordre qui ontinstauré une soi-disant“légitimité révolutionnaire”à la place de la légitimitéconstitutionnelle. Dans la foulée, ils onttransformé les palais du roien centres de torture pour infliger à leurs

compatriotes les piressupplices. Il en est allé ainsi d’un modeste palais de Bagdad, le palais Rehab,qui a vu la fin terrible de la famille royale. Ensuite, à partir du coupd’Etat baasiste de 1963, ce lieu a été baptisé le “palais de la Fin”, une fabrique de pratiquesinhumaines contre les prisonniers, qui nedevaient pas sortir vivants de ce lieu. En 1973, sous le règne de SaddamHussein, le “palais de la Fin”

a été rasé dans une tentatived’effacer les traces des crimes effroyables, non sans que soient ouvertsde nouveaux centres detorture modernes et mieuxéquipés. Avec la chute deSaddam Hussein, en 2003,est venue l’”ère de la liberté”,sous les coups de boutoirdes marines américains. Or dans le sillage de leurschars sont arrivés des partisreligieux, disciples du régimeiranien, mais aussi desopportunistes réchappés du régime baasiste

qui ont retourné leur veste.Certes, nos amis américainsn’ont pas été en reste pour inventer des mises en scène dignesd’Hollywood, telles que les tortures infligées dans la prison d’Abou Ghraib,dont les photos diffusées sur Internet ont suscité un émoi considérable, mais il s’agissait de crimestrès modestes par rapportaux pratiques maison des Irakiens.Dawood Al-Basri Elaph(extraits) Londres

Histoire

Cinquante ans de torture

� Dessin de Cost, Belgique.

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Pour le quotidien populaire turcHürriyet, les musulmans sont lesmieux placés pour lutter contrele racisme dont ils sont victimes,en dénonçant les crimescommis en leur nom.

Hürriyet Istanbul

�P rès de sept ans après la crise descaricatures danoises,Mehmet Görmez, le plus haut

responsable religieux de Turquie, devraitbientôt se rendre sur cette “terre de blas-phème”. En langue officielle, M. Görmez,chef du Directoire des affaires religieuses,va effectuer un voyage au Danemark pour“coopérer contre l’islamophobie et appeler audialogue (interconfessionnel)”. Bien.

Le Danemark est le pays où un carica-turiste local, Kurt Westergaard, vit sous laprotection de la police depuis qu’il a des-siné des “caricatures blasphématoires du pro-phète Mahomet”. Il a ainsi contribué auréchauffement planétaire, puisqu’il apoussé des milliers de musulmans à mettrele feu à tout ce qui, de près ou de loin, pou-vait être considéré comme “infidèle”. Raressont les musulmans qui se sont contentésde désapprouver ou d’ignorer, ce que leurrecommande le Coran quand ils sontconfrontés au blasphème.

Un peu moins d’un mois avant que M.Görmez n’échange toutes sortes de gen-tillesses avec ses hôtes danois et ne fasseavec eux assaut de mots charmants sur lalutte contre l’islamophobie et le dialogueinterconfessionnel, un extrémiste islamistea commis un acte terroriste au nom de l’is-lam, tuant deux garçons juifs et leur père,ainsi qu’un autre enfant juif en France [lemassacre de Toulouse, commis parMohammed Merah].

Plus récemment, Suryadharma Ali,ministre des Affaires religieuses du paysmusulman le plus peuplé du monde, l’In-donésie, a proposé de classer le port de laminijupe dans la catégorie des crimes por-nographiques. Avant cela, Marzuki Alie,président de la Chambre des représentantsindonésienne, avait laissé entendre que lesfemmes qui portaient des minijupes encou-rageaient les hommes à les violer. “[Le violet d’autres actes immoraux] se produisentparce que les femmes ne s’habillent pas conve-nablement, incitant les hommes à faire deschoses”, a-t-il déclaré.

C’est avec cela en toile de fond que M.Görmez et ses partenaires danois vontentreprendre de lutter contre l’islamo-phobie. Dans ce XXIe siècle, des représen-tants fanatiques d’un culte assassinent desreprésentants mineurs d’un autre culte jus-tement parce que lesdits mineurs appar-tiennent à ce culte, des dignitaires officielsrendent des vêtements féminins respon-sables des viols. Je suis sûr que les hommes

d’Etat indonésiens se disent aussi que c’estla faute des enfants juifs s’ils ont été tués.Bien sûr : s’ils n’avaient pas été juifs, ilsn’auraient pas été tués. Par conséquent, lameilleure façon d’éviter le viol et lemeurtre, c’est d’interdire les minijupes etle judaïsme.

Les musulmans devraient faire unepause et se demander pourquoi on ne seheurte pas au même besoin de lutter contrel’“hindouismophobie” ou la “shintoïsmo-phobie”. M. Görmez, vous êtes un hommeplein de sagesse et de savoir, cela ne faitaucun doute. Je suis sûr que votre séjourau Danemark vous plaira, mais ce n’étaitpas la peine de perdre votre précieux tempsen allant si loin pour lutter contre l’isla-mophobie. Dans ce combat, vos partenairesessentiels ne sont pas les chrétiens, maisvos frères musulmans.

Publier des fatwas assassinesSi seulement les musulmans arrêtaientde tuer d’autres musulmans parce qu’ilsappartiennent à une autre secte, arrê-taient d’imposer leurs pratiques àd’autres groupes, étaient tolérants avecles musulmans moins pratiquants, étaientmoins virulents vis-à-vis des musulmansqui boivent de l’alcool et mangent duporc, ou qui ne fréquentent pas la mos-quée. Si seulement les musulmans netuaient pas hommes, femmes et enfantsparce qu’ils n’ont pas la même religion,n’attribuaient pas les viols à la longueurde la jupe d’une femme, n’assassinaientpas leurs femmes simplement parcequ’elles parlent à des inconnus, ou leursfilles parce qu’elles flirtent avec des gar-çons ou sont violées par des voyous. Siseulement les musulmans ne cherchaientpas à déclencher une troisième guerre

mondiale simplement parce qu’un illus-trateur insoumis a dessiné des caricaturesblasphématoires, s’ils ne publiaient pasde fatwas assassines parce qu’un auteura écrit un ouvrage blasphématoire, ou s’ilsn’avaient pas dans l’idée de propager leurreligion dans le monde entier, par lesarmes si nécessaire, alors combattre l’is-lamophobie serait bien plus facile.

M. Görmez, puisque vous allez auDanemark dans le but de lutter contre l’is-lamophobie, peut-être pourriez-vousrendre un grand service à votre cause. LeDanemark est un petit pays, et Arhus [villedanoise] n’est pas si loin que ça de Copen-hague. Donc, M. Görmez, vous pourrieztoujours passer par Arhus, dire bonjour àM. Westergaard, et démarrer votre dia-logue interconfessionnel par la même occa-sion. Je suis sûr que M. Westergaard et saprotection policière musclée seront ravisde vous recevoir. Ce serait vraimentprendre la lutte contre l’islamophobie àbras-le-corps, et un bel exemple de dia-logue interconfessionnel. Mais en êtes-vous capable, M. Görmez ? Burak Bekdil

Monde musulman

Comment vaincre l’islamophobie

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 33

� Dessin de Sampaid, Françoise.

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34 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Important lieu de rencontresfestives et carrefourcommercial, la grande ville duSud algérien est rattrapée par leterrorisme islamiste. Reportage.

Dz-Rider (extraits) Alger

�J ’ai longtemps prononcé “taman-rasset” en parlant de cette villedu Sud que je ne connaissais que

de nom. Mais, quand j’y suis allée pour lapremière fois, Boubeker, notre guide toua-reg, m’a expliqué que la bonne prononcia-tion était “tamenghast” (comme cette sorted’igue dans le sol, donc dans le sable, d’ori-gine humaine ou naturelle). Tamenghastallait donc me réserver pas mal de sur-prises ! Le premier petit tour dans la villeétait déjà bien révélateur de la différenceavec le Nord en général et, pour moi l’Al-géroise, avec la capitale en particulier.

A Tamenghast, les femmes marchentdroites. Leur attitude est imposante, leurregard est dur et leur démarche dansante.Leur tenue traditionnelle, le fa meux tis-segh’ness, laisse paraître de jolis ta toua gesau henné noir ; cette beauté du Sud m’émer-veillait. J’avais interpellé l’une d’elles. Je luiparlais en arabe, mais elle ne connaissaitque le touareg et le français, qu’elle maîtri-sait d’ailleurs parfaitement. Après unepetite discussion, cette jeune fille, que je neconnaissais que depuis quelques minutes,me donna spontanément son nom et sonnuméro de téléphone et me proposa de mefaire un ta touage semblable au sien.

Selon les commerçants, le business ena pris un sacré coup ces deux dernièresannées : la menace d’Al-Qaida au Maghrebislamique (Aqmi)… Les vendeurs, venusdes quatre coins de l’Algérie et des pays

Afrique

frontaliers, proposent très peu de produitsalgériens, plutôt du henné made in India,des médicaments du Mali, ou des noix decoco et des cannes à sucre d’on ne sait où.Les étrangers, Maliens ou Nigériens, ven-dent plutôt des portables contrefaits à desprix imbattables : 4 000 à 9 000 dinarsalgériens [40 à 92 euros] pour le dernieriPhone ! Quant aux locaux, les autochtonesde Tamenghast, ils aiment se présentercomme spécialistes des vêtements et desbijoux traditionnels. Au marché, desfemmes co quettes se ruent sur les bijouxde pacotille : les bracelets et colliers enplaqué or bling-bling sont très à la mode.

A Tamenghast l’ambiance m’évoquaitplus Bamako [capitale du Mali] qu’Alger.Les locaux appellent d’ailleurs les Algé-rois “les Blancs”. Selon eux, Tamenghast

ne représente pas grand-chose pour lesgens du Tel (le Nord), n’eussent été lesdeux festivals par trop folkloriques qui yétaient organisés chaque année [en févrierle Festival international des arts de l’Ahag-gar, consacré aux arts du Sahara, en avrille Tafsit, la fête du printemps, avec desexpositions d’artisanat, des concerts demusique et de chants traditionnels et unecourse de chameaux]. A Tamenghast lechômage tue les jeunes. Les infrastructuresde base telles que les hôpitaux manquentet les lieux de loisirs sont quasi inexistants.“On ne se sent pas algériens”, m’ont-ils avoué.

Le lendemain il était convenu qu’onaille à l’Assekrem visiter l’ermitage deCharles de Foucauld, situé à plus de 2 700mè tres d’altitude [cet officier de l’arméefrançaise, né à Strasbourg en 1858 et mort

à Tamanrasset en 1916, est devenu explo-rateur et ethnologue, puis linguiste ; en1901 il a été ordonné prêtre]. Montagnesde roche et pistes interminables, les lieuxsont à couper le souffle… Un moine polo-nais au nom imprononçable et un moineespagnol vivent là depuis cinq ans. Leurprincipale tâche est d’accueillir les visiteurset de préserver l’ermitage et tous les livresécrits par Foucauld, dont un dictionnairetouareg-français qu’il avait commencé àrédiger avec des Touaregs dès son arrivéeà Tamenghast. Chaque mot touareg estréécrit phonétiquement en caractèreslatins et sa définition apposée à côté enfrançais. Les deux moines étaient heureuxde nous recevoir. C’était le bon mo mentpour s’installer et admirer le soleil se cou-cher sur le Tahat, le plus haut sommet d’Al-gérie. Dans un silence quasi religieux, lescouleurs du jour s’enfonçaient dans la pro-fondeur de la nuit.

Les moines nous ont confié que lasituation sécuritaire aux frontières [avecle Mali, le Niger et la Libye] dissuadait lestouristes, pourtant si nombreux il y a àpeine deux ans. Début mars, un kamikazea pris pour cible la gendarmerie de la villeet fait 26 blessés. Ce premier attentat per-pétré dans la wilaya de Tamenghast a étérevendiqué par un obscur mouvement sefaisant appeler “Unicité et Djihad enAfrique de l’Ouest”, un groupe islamistequi serait lié à Aqmi. Cet attentat n’a pasvraiment surpris les habitants de la ville :un climat d’instabilité se faisait déjà net-tement ressentir dans la région en raisonde la présence des groupes terroristes auxfrontières, notamment libyennes, et duretour au combat des rebelles touaregsdans le nord du Mali. Tamenghast étaitdevenu le carrefour du trafic d’armes dansla région… Anissa Sidali

Algérie

Tamanrasset, la perle du Sahara

Les travaux de construction de la Grande Mosquée d’Algeront été lancés fin février. Un projet titanesque et inutile,s’indigne El-Watan.

N’est-ce pas un acte de tyrannie que d’imposer un projet fort onéreux – etimproductif qui plus est – dansun contexte de criseéconomique mondiale sanstenir compte des conseils du Fonds monétaireinternational, qui préconise,pour les Etats à économie faible,de limiter les dépensespubliques car les répercussionsde la crise seront encore plus

fortes en 2012 et en 2013 ? Au moment où les Etats les pluspuissants de ce monde tententd’amortir le choc en limitant au strict minimum les investissements publics,l’Algérie décide de débloquerplus de 1 milliard d’euros pour laconstruction d’une gigantesquemosquée [elle serait la troisièmeplus grande mosquée du monde]. Des citoyens, desuniversitaires et des architectesse sont exprimés dansla presse nationale pour dire que le mastodonte que veut édifierle président n’est pas opportun à plus d’un titre. Leur principalecrainte est de voir ce projet

investi par les circuits de la corruption, dont la voracitén’est plus à démontrer. Pourbeaucoup, la mégamosquée va coûter non pas 1, mais 3, 4 ou même 5 milliards d’euros.Une réévaluation qui serarendue nécessaire, sans qu’onsache trop pourquoi, commepour d’autres grands projets en Algérie, à l’exemple de l’autoroute Est-Ouest, dont la mise en chantier a révélé un énorme scandale financierqui n’a pas encore livré tous sessecrets [commencée dans lesannées 1980, relancée en 2005par Bouteflika, la constructionde cette autoroute, qui relie

la frontière marocaine à la frontière tunisienne, devraitêtre terminée fin 2012].Ensuite, pourquoi faire dans legigantisme ? S’il s’agit pour l’Etatalgérien de réparer les dégâtscausés par l’idéologie islamisteen reprenant en mainl’enseignement religieux,longtemps assuré par des charlatans et des incultes,mettre sur la table 1 milliardd’euros est certainementnécessaire. Encore faut-il que cet argent soit consacré à des projets à taille humaine.Dans ce cas-là, on parlerait deplusieurs pôles de rayonnementdes sciences islamiques, par

exemple à Oran, à Souk Ahras, à El-Bayadh ou à Tamanrasset,là où un jeune illuminé s’est tuédébut mars dans un attentatsuicide. La décentralisation de l’enseignement, religieux ou autre, donnerait de meilleursrésultats. C’est connu.Est-il encore temps de redonnerà ce projet des dimensionsraisonnables ? Pour l’heure, seul le président Bouteflika peut le décider. Ce qui est fortimprobable. AbdelazizBouteflika tient à sa mosquée et elle finira par porter son nom.Tyrannie oblige.Mohamed Tahar MessaoudiEl-Watan (extraits) Alger

Mégalomanie

La très chère mosquée de Bouteflika

� Les couleurs traditionnelles d’un village touareg dans le Hoggar,au nord de Tamanrasset.

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Page 35: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 35

Al-Qaida au Maghreb islamiqueest le grand vainqueur de la guerre au Nord-Mali. Pourla première fois, l’organisationterroriste a une base arrière solide dans la région.

Le Républicain Bamako

�E n 1991, on les apercevait, dépe-naillés, à la frontière algérienne.Ils n’étaient alors, aux yeux de

nomades maliens compatissants, que “ceuxqui ont été privés de leur victoire électorale”.En 2012, ils ont réussi l’inespéré : faire dela zone 9 de l’ancien GSPC [Groupe sala-fiste pour la prédication et le combat] algé-rien le sanctuaire djihadiste le plus sûr dumoment. Ce 2 avril, avec le tapis rougedéroulé à Tombouctou par Iyad Ag Ali[leader touareg, fondateur du mouvementislamiste Ansar Dine] à Abuzeïd et BenMokhtar, ces deux chefs d’Aqmi rééditentl’exploit de la Longue Marche, le Coran àla place du Petit Livre rouge, le lance-roquettes à la place du glaive. Et la Révo-lution culturelle comme camisole de forcepour les pays et les gens à leur portée. Ilsjubilent dans les enceintes de leur GrandeMuraille, solidement construite de nosrendez-vous manqués, de nos erreurs dejugement et, plus grave, de nos cupiditésmafieuses. Ils sont arrivés là, certes, avecforce compromis d’ordre tactique, avecaussi de la compromission au regard de ladoctrine. Mais leur objectif était et reste ledjihad. La guerre sainte, mais la guerre toutde même.

Dans l’enfer des ergs et des dunes, les“fous de Dieu” vivaient leur hégire [départdu prophète de La Mecque pour Médine,date importante dans le calendrier musul-man]. Et, l’hégire revenant toujours sur ses

pas, l’alliance Ansar Dine - Aqmi nous feratrembler tous. Au Nord-Mali conquis, ilspeuvent, impunément pour l’instant, assu-rer gîte, couvert et sécurité aux moudjahi-din traqués du monde entier. Dans leurcollimateur, une cible logique : l’Algérie.Même si ce pays a la particularité de dis-poser d’un service de sécurité fort et d’uneexpérience appréciable dans la traque desterroristes, les djihadistes ont un allié detaille, ironiquement dopé par les printempsarabes : c’est le repli identitaire sur l’islamdans le nouveau Maghreb. Les peuples etles pouvoirs maghrébins résisteront à l’ex-trémisme, c’est certain. Mais le propre del’extrémisme est de ne pas lâcher. Ni enAfrique du Nord ni en Afrique subsaha-rienne – dans une subtile stratégie de divi-sion du travail, cette dernière est “confiée”au Mouvement unifié pour le djihad enAfrique de l’Ouest.

Et, en hôte ingrat, l’intégrisme armé sepaiera d’abord le Mali. Et la Mauritanie [du

président] Ould Abdel Aziz ne dormira qued’un œil inquiet. Son pays est par excel-lence une réserve pour Aqmi : langue hasa-nya, proche de l’arabe, statut de républiqueislamique et ancienne pépinière de djiha-distes. Et puis, avec les raids successifs deNouakchott contre les bases d’Aqmi, il y aun fâcheux contentieux en cours. Maisl’onde de choc ira bien plus loin. EntreTombouctou aujourd’hui et Maiduguri[capitale de l’Etat islamique de Borno, dansle nord du Nigeria], entre Aqmi et BokoHaram, les arguments pour une alliancestratégique sont devenus plus forts.

Sous les applaudissements des bidon-villes, ils tailleront des croupières aux kleptocraties, avatars locaux du projetdémocratique dans lesquels l’Occidentvoit, à tort, les messagers sûrs de sa penséeunique. Pour tout dire, le fameux héritagejudéo-chrétien ! Les rançons ont produitdes rentes, peut-on dire. Hélas, le tempsn’est plus aux calembours. Adam Thiam

Mali

Aqmi a désormais sa Grande Muraille

Un accord a été trouvé : les putschistes du 22 marsacceptent le retour de l’ordreconstitutionnel, mais le président déchu ne reprend pas son fauteuil.

On ne peut que s’inclinerdevant la “science” de celui quiest passé maître dans l’art de la négociation. En un tour de main, le président BlaiseCompaoré [Burkina-Faso] est en effet parvenu à arracherun accord qui permet à la juntede lâcher un pouvoir qu’elleavait pris le 22 mars 2012, sansperdre la face tout en assurant

ses arrières par le biais d’une amnistie. Par un jeu de passe-passepolitico-juridique, le  chef de l’Etat déchu, AmadouToumani Touré (ATT), a ainsi rendu sa démission de son “plein gré”, ouvrant ainsi la voie à un intérimconstitutionnel avec le président de l’Assembléenationale, Diocounda Traoré.Le capitaine Amadou HayaSanogo et ses hommes battent ainsi en retraite et les apparences sont sauves.Il faut dire qu’ils n’avaient pasvéritablement le choix,

tant l’étau de la communautéinternationale et africaine se faisait chaque jour plusétouffant. Engagés dans unevoie sans issue, ils ne pouvaientdonc que raisonnablementfaire machine arrière. Que pouvaient-ils en effet faceà la batterie de sanctionsdiplomatiques, économiqueset financières qui s’est abattuesur le Mali et qui menaçait à terme d’asphyxier le pays, et face à la menace d’uneintervention militaire s’ils ne décampaient pas ?On ne peut d’ailleurs que saluerla fermeté de la Communauté

économique des Etatsd’Afrique de l’Ouest (Cedeao),qui, dès le putsch, a manifestésa ferme intention de sévir, car l’expérience maliennemontre que l’organisationsous-régionale peut réaliser de bonnes choses quand elleen a véritablement la volontépolitique. Désormais, les putschistes de tout payssavent à quoi s’en tenir.Mais la reconquête du Nord-Mali s’avère plus difficile et pluslongue. Plus que jamais donc,l’affrontement paraît inévitableet, les choses revenues à la normale à Bamako,

les forces en attente de la Cedeao, fortes de quelque3 000 hommes, saventmaintenant ce qu’il leur reste à faire, quitte à s’enliser dansces sables mouvants où il y apratiquement une rébellionderrière chaque dune de sable.Sans oublier le jeu parfoisambigu de certains pays de la bande sahélo-saharienne,qui s’accommodent bien du MNLA du moment qu’ilconstitue un rempart contrel’hydre intégriste, redouté par-dessus tout. AdamaOuédraogo L’ObservateurPaalga Ouagadougou

Avenir

La junte se retire, le président de l’Assemblée nationale en sauveur

Le MNLA [Mouvement national delibération de l’Azawad], Aqmi et AnsarDine ont remporté plusieurs bataillesdans le Nord-Mali, mais pas la guerre.Primo, le peuple malien ripostera et défendra avec abnégation et persévérance sa patrie. Secundo, le feuilleton MNLA - Aqmi - Ansar Dinene fait que commencer. Le partenariatentre ces trois mouvements nousréserve beaucoup de rebondissements. Rien qu’à mûrir une profonde réflexionsur leurs histoires, objectifs et modesopératoires, on se rend compte queleur alliance est contre nature. Le seul point qui les rassemblait étantrelativement atteint aujourd’hui, la libération du Nord de toute emprisede l’Etat malien, tout porte à croirequ’une guerre interne entre les “frèresalliés” n’est pas à exclure. Le MNLA est un mouvement indépendantiste et laïc ayant pour seul objectifl’indépendance de l’Azawad. C’est du moins la revendication qu’il défendet que l’on connaît. Contrairement au MNLA, les radicaux d’Aqmi ontprouvé à travers leurs actes que leur objectif majeur était le contrôle de la zone pour leurs trafics en toutgenre et leurs actions contre lesOccidentaux. Quant au mouvementAnsar Dine, son combat estl’instauration de la charia sur toutle territoire national. Fousseyni MaïgaLe Flambeau Bamako

Alliances

Un mariagefissionnel

� Dessin de Glez paru dans RNW, Pays-Bas.

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Pendant que Teodorínaccumule demeures et Rolls-Royce, 70 % des Equato-Guinéens vivent avec 1 dollar par jour

Guinée-Equatoriale

Teodorín Obiang, le fils gâté qui siphonne son pays

explique ainsi l’enrichissement du “Patron” : “Son père a réparti les secteurs clésentre ses enfants légitimes et ses neveux. Teo-dorín a récupéré les forêts : c’est lui qui décidequi a le droit d’exporter du bois et qui n’en a pasle droit. Et ses décisions dépendent d’énormescommissions qu’il exige des sociétés forestièresétrangères, dont il est d’ailleurs devenu associédepuis que son père a fait passer une loi impo-sant à toutes les entreprises ayant une activité

dans le pays d’avoir un associé équato-gui-néen.” Teodorín réclame que cet

impôt lu i so it versé en espèces ou en chèque au

porteur, assurent les jugesfrançais et américains quienquêtent sur lui. La jus-tice a commencé à s’in-téresser à la familleObiang quand desjuges américains ontmis leur nez dans lesaffaires douteuses dela banque Riggs, àNew York, et décou-vert l’existence d’un“compte pétrole” oùTeodorín possédaitquelque 700 millionsde pétrodollars. “De-puis, le pétrole et le boisne sont plus payés surdes comptes étrangers,mais directement enGuinée-Equatoriale”,explique le chefd’entreprise. Au pré-judice des forêts et

des travailleurs équa-to-guinéens, la société

malaisienne RimbunanHijau contrôle depuis 1999

la quasi-totalité des conces-sions forestières du pays.

Elle a signé cette année uncontrat d’exclusivité avecTeodorín. Selon les écolo-gistes, cette multinationaleasiatique est l’une des socié-tés forestières les plus impi-toyables de la p lanète ,

connue, comme l’a écrit l’ex-pert Richard Wilcox, pour “trans-

gresser les règlements internationaux, violer les droits de l’homme et enfreindre sesobligations contractuelles”.

Depuis que, en juin 2000, les cadres desgrandes sociétés pétrolières américains sesont mis à surnommer la Guinée-Equato-riale le “Koweït africain”, le pétrole necesse d’injecter dans le pays d’énormesquantités d’argent. Subitement, ce pays quidepuis des décennies survivait grâce aucacao et au bois est devenu le nouvel

La saisie a été ordonnée par les deuxjuges qui, depuis 2010, enquêtent sur laplainte déposée en 2008 par les ONG anti-corruption Sherpa et Transparency Inter-national contre trois chefs d’Etat africains,soupçonnés de posséder des “biens malacquis” : l’Equato-Guinéen Obiang, le dic-tateur gabonais disparu Omar Bongo et leCongolais Denis Sassou-Nguesso. Jeudi1er mars, Teodorín Obiang Nguema a déposéune plainte en diffamation à Paris contreTransparency International.

Après cette confiscation, un repré-sentant équato-guinéen, depuis Libre-ville, au Gabon, a demandé à NicolasSarkozy de réparer ce qu’il considèrecomme une “violation d’un édificeprotégé par l’immunité diplomatique”,au motif que Teodorín serait ledélégué de son pays devantl’Unesco [il ne l’est pas et faitcampagne actuellement pour ledevenir et bénéficier de cetteimmunité].

Le butin de l’avenue Foch aété déposé dans les entrepôtsdu ministère des Finances, àBercy, et il n’est guère pro-bable que la Guinée-Equato-riale puisse un jour remettrela main dessus.

La fortune de TeodorínObiang s’élève à 700  mil-lions d’euros. Comment le ministre de l’Agriculture etdes Forêts d’un pays africainde 700 000 habitants environ,d’une superficie [28  050  km2]équivalente à celle de la Galice [in-férieure à celle de la région Pro-vence-Alpes-Côte d’Azur], peut-il dé-tenir un patrimoine aussi colossal ? Etcomment peut-on faire étalage de pa-reilles richesses quand, selon l’ONU,20  % des enfants guinéens meurentavant d’avoir atteint l’âge de 5 ans ?

Adolfo Fernández Marugán, le secrétaire de l’Association de solidari-té avec la Guinée-Equatoriale (Aso-degue), critique à l’égard du gouverne-ment Obiang, a sa réponse : “L’extorsiona été le premier moyen d’enrichissement deTeodorín jusqu’à l’apparition du pétrole, en1994. Il a fait payer un impôt aux chefs d’en-treprise qui voulaient s’implanter en Guinée-Equatoriale. Il se targue d’être un entrepreneur,de faire des affaires, mais c’est faux. Person-ne ne lui connaît la moindre activité sérieu-se. C’est un imbécile, un gars simplet, capri-cieux, hyperactif et instable.”

Le monde des affaires est égalementtrès critique à son égard. Sous le couvertde l’anonymat, un chef d’entreprise euro-péen présent en Guinée-Equatoriale

A 41 ans, le fils et dauphindésigné de son dictateur de père mène un train de vieinsolent. L’immense fortune de Teodorín Obiang s’estconstruite avec la captation de l’argent du pétrole. Enquête.

El País Madrid

�D e Malabo à Malibu, tout le patri-moine amassé par [TeodoroNguema Obiang, dit] Teodorín

pendant des années d’impunité, devoyages en jet privé et de folles nuits estaujourd’hui en péril. Des enquêtes judi-ciaires ouvertes aux Etats-Unis, en Franceet en Espagne resserrent désormais l’étauautour du président de la république deGuinée-Equatoriale, Teodoro ObiangNguema Mbasogo, aujourd’hui âgé de69 ans, et de son fils préféré, Teodorín.Depuis l’adoption récente de la nouvelleConstitution, il est possible que ce der-nier puisse accéder au poste de vice-pré-sident et, à terme, assurer la successiondans ce pays qui compte parmi les plusriches et les plus inégalitaires au monde.

Pendant que Teodorín accumuledemeures et Rolls-Royce, 70 % desEquato-Guinéens (sur une populationtotale de 700 000 habitants environ)vivent avec 1 dollar par jour, malgré unrevenu par an et par habitant supérieurà celui du Japon, de la France ou de l’Es-pagne, à 34 843 dollars. La Guinée-Equa-toriale est un grand producteur depétrole et de gaz, le troisième d’Afriquesubsaharienne derrière le Nigeria et l’An-gola – mais la majorité de la populationvit sans eau ni électricité, et l’espérancede vie tourne autour de 50 ans.

Plácido Mico, 48 ans, unique membrede l’opposition présent au Parlement deGuinée-Equatoriale, est convaincu que laréforme de la Constitution n’a qu’un seulbut : “Elle a été conçue par le président pourqu’il puisse se faire remplacer par son fils,qui se considère déjà comme le deuxièmehomme du pays. Il y a trois ans, le père lui adonné la vice-présidence du Parti démocra-tique de Guinée-Equatoriale, le parti au pou-voir, alors qu’il y avait bien des militants plusexpérimentés et plus compétents. C’est ter-rible pour le peuple équato-guinéen, maistout indique que nous allons dans ce sens.”

Le 23 février dernier, après plusieursjours de travail intense, les agents de l’Of-fice central de répression de la grandedélinquance financière français sont repar-tis de l’avenue Foch avec 200 mètres cubesd’objets et de biens, pour un montant totalde 40 millions d’euros.

Repères Capitale : MalaboSuperficie : 28 050 km2

dans l’articleDensité : 25 habitants/km2

Population totale : 700 401 en 2011.Afrique36 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

DR

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eldorado, et les vols Malabo-Houston sontdevenus directs et quasi quotidiens. En2010, la production équato-guinéenne attei-gnait 273 900 barils par jour, précise un rap-port de la compagnie BP, qui nous informepar ailleurs qu’au rythme actuel la Guinée-Equatoriale détient des réserves pour plusde dix-sept ans. Getotal, une société déte-nue à parts égales par le français Total etl’Etat équato-guinéen, se charge de raffi-ner le pétrole brut que produisent les américaines ExxonMobil, Marathon Oil,Amerada Hess et Vanco Energy.

Ces entreprises ont versé des milliardsaux Obiang, dont le pays est le premierexportateur de pétrole vers les Etats-Unis.En quelques années seulement, l’affluxconstant de devises a radicalement changéle visage de la capitale, Malabo (ancien-nement Santa Isabel), située sur l’île deBioko (anciennement appelée FernandoPóo), mais aussi celui de Bata, la plusgrande ville de la partie continentale dupays. Une immense banque à la façadedorée est devenue le symbole de la nou-velle Guinée-Equatoriale.

Mais ces progrès n’empêchent pas lapeur de régner. Personne ou presque n’ac-cepte de nous laisser citer son nom, mêmepour dire du bien du pays. Richesses etpouvoir sont aux mains de la cleptocratiefamiliale, assène le ministère de la Justiceaméricain. Ou plus précisément, dit undiplomate, un petit cercle d’environ200 personnes, “parmi lesquelles le prési-dent, ses nombreux enfants et parents, et lesprotégés de l’ethnie fang, qui dirige le paysdepuis l’indépendance, en 1968”. Les Fangsdominent tous les postes clés du pays.

Tout se fait en famille. Le présidentpossède un holding, Abayak, et des partsdans tous les secteurs économiques.Gabriel, le petit frère de Teodorín, mieuxpréparé et plus respecté par les sociétésétrangères, travaille dans le pétrole. Sescousins sont au Trésor et ont le contrôledu budget, et c’est encore un membre dela famille qui est à la Défense. Cette plou-tocratie a créé une dictature militaire

semblable à la précédente, moins violentepeut-être, mais plus grotesque. L’organi-sation de défense des libertés FreedomHouse qualifie le régime d’Obiang, accusépar le ministère américain des Affairesétrangères de torturer et de réduire l’op-position au silence par des arrestationsarbitraires, d’être “l’un des pires parmi lespires”, avec la Corée du Nord et le Soudan.

Cet exercice exclusif du pouvoir n’acréé, pour l’heure, que des problèmesmineurs aux Obiang, des soucis de logis-tique et d’image. Depuis que l’or noir asurgi dans le golfe de Guinée, l’argent afflueen quantités telles qu’ils ne savent plusqu’en faire. “Là-bas, personne n’a de comptebancaire, on ne veut pas que d’autres puissentconnaître le montant de sa fortune”, racontele chef d’entreprise européen. “Tout lemonde paie en cash, certaines huiles en ontrempli des pièces de leur maison, mais d’autresne savent pas où ranger leurs billets. L’un d’euxa mis son argent dans le coffre de sa voiture,jusqu’au jour où le boy qui s’occupait de la

maison a filé avec la voiture au Cameroun. Unautre l’avait enterré dans son jardin et, quandil a voulu le déterrer, tout avait pourri.”

Teodorín n’a jamais eu ce problème. Ila toujours eu des goûts dispendieux et ladépense facile. Cela fait vingt ans qu’ilmène la grande vie et qu’il dépensecomme un cheikh. Son passeport diplo-matique lui permettait d’entrer et de sortircomme ça lui chantait aux Etats-Unis, enFrance, avec des valises remplies de mil-lions de dollars. Son périple a commencé

en 1991, à l’âge de 22 ans, nous dit la revueaméricaine Foreign Policy. De Malabo,Teodorín débarque à Malibu, titulaired’une bourse de la société texane d’ex-ploitations pétrolières Walter Interna-tional, pour étudier l’anglais à l’universitéPepperdine. Mais il n’étudie guère. Il pré-fère faire les boutiques de Beverly Hills,et il ne tarde pas à quitter le campus pours’installer au Beverly Wilshire Hotel et dansune maison qu’il loue à Malibu. WalterInternational prend en charge ses fraisen échange de parts dans le secteur pétro-lier équato-guinéen  : cinq mois après l’arrivée de Teodorín, la facture atteint50 000 dollars.

Plus tard, le fils Obiang crée son labelmusical, TNO Entertainment – à ses ini-tiales. Car le ministre de l’Agriculture etdes Forêts est un chanteur frustré. Pen-dant ses premières années à Paris, il atenté en vain d’enregistrer un disque sousle nom de Teddy Bear.

Le Patron “se sert de son jet privé commed’un taxi”, a raconté son ancien chauffeur,Benito Giacalone, à la justice américaine.“Il le prend seul ou pour aller chercher des pas-sagers. Un jour, il l’a envoyé de Los Angeles àRio de Janeiro pour aller chercher son coiffeur.”

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 37

Cheveux courts, lisses et coiffés enarrière, lunettes à verres épais : le princeTeodorín n’a pas le physique vraimentprincier. Mais il ne porte que du Gucci, duVersace et du Dolce & Gabbana et, quandil rentre dans l’une de ses demeures, ladomesticité l’accueille debout en rang d’oi-gnons devant la porte. Ses domestiques deMalibu l’ont attaqué en justice, affirmantqu’il les escroquait sur les salaires et leurfaisait payer les dépenses de la maison, dupapier-toilette à l’essence, tandis que défi-laient dealers, prostituées, bunny girls dePlayboy et même un tigre. “Je ne l’ai jamaisvu faire quoi que ce soit qui ressemble à du travail”, a déclaré un autre de ses ancienschauffeurs, Dragan Deletic, dans sa déposition à la police : “Il passait essentiel-lement ses journées à dormir, faire des achatset organiser des fêtes.” D’anciens hauts responsables de la justice américaine sedemandent pourquoi on l’autorise encoreà entrer aux Etats-Unis, dont l’ambassadeà Malabo a rouvert en 2003 après desannées de mésentente – à peu près aumoment où le pétrole a commencé àcouler. “Le pétrole a été pour la Guinée-Equa-toriale comme la manne dans le désert pourles Hébreux”, a dit un jour Obiang.

Pour l’heure, le Patron est freiné parles pressions judiciaires. Il voyage moinset passe ses journées dans sa demeurede Bata . Ce n ’est n i Mal ibu n i lesChamps-Elysées, mais le cadre est d’unegrande beauté, et les plages n’ont rien àenvier à celles de la Californie. Lamaison est au bord de la mer, et sa pis-cine bordée de statues italiennes enmarbre. La Guinée-Equatoriale est unparadis pour le petit prince de Malabo :pas de juges ni d’ONG pour vous empê-cher de paresser en rond. Pas de jour-naux ni de radios ni de télévisions libres.En 2009, le ministère de l’Informationa renvoyé quatre journalistes pour avoirmanqué d’enthousiasme dans leurslouanges au gouvernement.Miguel Mora et José María Irujo

� Quelques-unes des voitures de Teodorín Obiang saisies à Paris en septembre 2011.

Ses domestiques de Malibu l’ont attaqué en justice

41,5 % des Equato-Guinéens ont moins de 14 ans, 54,4 % entre 15et 64 ans et 4,1 % ont plus de 65 ansCroissance démographique :2,8 % en 2011

Population urbaine : 39,7 %Ethnies : Fang (85,7 %), Bubi (6,5 %),Mdowe (3,6 %), Annobon (1,6 %),Bujeba 1,1 %, autres (1,4 %)Langues officielles : Espagnol,

français et portugais depuis 2011Religion : Chrétienne (90 % de catholiques)Taux d’alphabétisation : 87 %

DR

Malabo

Libreville

Gisementde Zafiro

Gisementd’Alba

Gisementde Ceiba

Ile de Bioko

Mbini(Río Muni)

Ile d’Annobón

Equateur

Bata

300 km

GOLFEDE GUINÉE

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SÃO TOMÉ-ET-PRÍNCIPE

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2

3 Principaux gisements de pétrole

Limite des zones économiques exclusives de chacun des Etats(résultat d’unaccord bilatéral ou simple ligned’équidistance)

LA GUINÉE-ÉQUATORIALE1 2 3+ +

Zone litigieuse

Petit Etat, grande réserve...

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Afrique 38 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

des hommes politiques et des chefsd’entreprise ont encensé le modèleangolais, sans jamais évoquer la corruption du régime. Pedro RosaMendes, journaliste et chroniqueurde la première radio publique,

a dénoncé cette propagande. La semaine suivante, la direction de la radio a mis fin à l’émission.Pedro Rosa Mendes a ensuite portéplainte pour diffamation contre le PDG du service public audiovisuel.

Propagande En janvier dernier, à l’occasion de la visite en Angola de Miguel Relvas, ministre portugaisdes Relations avec le Parlement, la chaîne publique a diffusé une émission au cours de laquelle

9,99 % du capital de cet établissement.Depuis la fin de 2011, elle en possède12,44 %. En qualité de principal actionnaire,la Sonangol a chamboulé la structure admi-nistrative de la BCP en nommant sondirecteur et en fusionnant le conseil de sur-veillance et le conseil d’administration.“Avec le manque de crédit et les difficultés ren-contrées par la banque pour se financer, le pou-voir des autres actionnaires est quasi nul”,résume un ancien dirigeant. Actuellement,le numéro deux de la BCP est Carlos Joséda Silva – l’une des personnalités du milieupatronal angolais qui montent. De son côté,Isabel dos Santos, la fille aînée du prési-dent [en tête du palmarès des femmes lesplus riches de l’Afrique subsaharienne],contrôle, via un holding, 9,99 % de la BPI[quatrième institution financière portu-gaise], ce qui en fait le troisième action-naire. Elle détient également 25 % de labanque BIC Angola, qui est en train d’ache-ter pour 40 millions d’euros l’une des prin-cipales banques du pays, la BPN, en coursde privatisation [elle a été nationalisée en 2008, puis renflouée à hauteur de

5,1 milliards d’euros par l’Etat, à la grandecolère d’une partie de l’opposition]. Enfin,le général Hélder Vieira Dias, connu sousle nom de Kopelipa [ministre d’Etat et chefde cabinet militaire du président angolais],est devenu le quatrième actionnaire de laBIG, une autre banque.

Malgré la crise bancaire, ce secteurreste très attractif pour les Angolais. “Labanque constitue un tremplin pour contrôlerd’autres secteurs”, explique un haut fonc-tionnaire du ministère des Affaires étran-gères portugais. “Il suffit de repérer les clientsen manque de liquidités pour détecter lesbonnes affaires à réaliser à moindre coût.”

Prenons maintenant le pétrole. LaSonangol joue là encore le premier rôle. Sacible : Galp [l’un des principaux groupespétroliers et gaziers européens]. La Sonan-gol possède 45 % d’Amorim Energia, quidétient 33,4 % de Galp. Les Angolais cher-chent désormais à devenir les principauxactionnaires de Galp en rachetant à la com-pagnie pétrolière italienne ENI la moitiéde sa participation de 33 %, qui vaut 1,9 mil-liard d’euros.

Mais l’argent n’est pas un problème,comme le prouvent les investissementsréalisés dans d’autres domaines. Quelque10 % de ZON, principal opérateur de télé-vision par satellite et deuxième fournis-seur Internet, appartiennent à Isabel dosSantos via Kento [un holding immatriculéà Malte]. Pour sa part, Newshold, contrô-lée à 91,25 % par des capitaux angolais viaune société enregistrée au Panamá, a desparticipations dans plusieurs médias por-tugais. Elle possède 89,12 % de l’hebdo-madaire Sol [le troisième en termes devente], et, officiellement, environ 15 % de

Profitant de la manne pétrolièreet de la crise financière en Europe, l’Angola investitmassivement dans l’économiede l’ancienne puissancecolonisatrice.

Visão (extraits) Lisbonne

�I ls entrent discrètement via desprises de participation modestesdans le capital d’une société. Puis

ils attendent que l’entreprise ou un autreactionnaire ait besoin d’argent. Car les grosinvestisseurs angolais, eux, n’en manquentpas. [Les investissements angolais au Portugal sont passés de 1,6 à 116 millionsd’euros de 2002 à 2009.] Ils renforcent alorsprogressivement leur participation, jusqu’àce qu’ils occupent une position dominan-te qui leur permet de prendre les rênes dupouvoir. La banque – symbole incontestabledu pouvoir – n’est pas leur seule cible. Lesmédias, l’énergie, l’industrie du luxe ou en-core l’agroalimentaire attirent de plus enplus d’entrepreneurs proches du pouvoirangolais, concentré autour du présidentJosé Eduardo dos Santos [à la tête del’Etat depuis 1979].

La dernière opération en date a étémenée par Tchizé dos Santos, l’une desfilles du président, qui s’est emparée del’un des leaders de la production de fruits.Ces dernières années, de nombreusesexploitations agricoles ont été acquises pardes Angolais. “A Luanda, le vin et l’huiled’olive sont des produits très demandés et trèscoûteux. Certains Angolais ont donc décidéd’acheter des exploitations pour contrôler toutle processus”, explique un entrepreneur enimport-export.

L’exemple de la BCP [la premièrebanque privée du pays] est le plus emblé-matique de la stratégie angolaise. En 2008,la crise aidant, la Sonangol [la société pétro-lière publique angolaise] n’a eu aucune diffi-culté à acheter, pour 469 millions d’euros,

� Lisbonne, mars 2009. José Eduardo dos Santos, le président angolais,et Aníbal Cavaco Silva, le président du Portugal.

la Cofina – propriétaire du Correio daManhã [premier quotidien portugais] etdu Jornal de Negócios [deuxième quotidienéconomique]. Mais, selon des sourceséconomiques, le montant réel serait de22 %, via des montages financiers héber-gés par des pays tiers. Selon un analystefinancier, Newshold détient par ailleurs1,7 % d’Imprensa et négocie actuellementl’achat de 23 % supplémentaires. Cettesociété possède Expresso, Visão [respecti-vement premier et deuxième hebdoma-daire portugais] et la SIC [deuxièmechaîne en termes d’audience].

Pourquoi l’Angola s’intéresse-t-il autantau Portugal depuis ces dix dernières an-nées ? L’aspect économique – nous sommesen récession et eux en pleine croissance –n’est qu’une partie de la réponse. L’autrepartie peut se résumer en un mot : la po-litique. Il existe deux phases distinctes dansles relations entre les deux pays – avant etaprès la signature des accords de paix de Bi-cesse, parrainés par le Portugal [signés enmai 1991 par l’actuel président et par JonasSavimbi, le chef de l’Unita, la guérilla sou-tenue par les Etats-Unis et l’Afrique du Sud ;malgré tout, la guerre civile se poursuivrajusqu’en 2002].

L’engagement du Portugal en faveur dece processus a contribué à lui ouvrir lesportes économiques de l’Angola une foisla paix installée. “L’Angola était auparavanttourné vers Moscou. Après la chute du mur deBerlin, il a perdu ses repères politiques. Sesalliés disparus, il a dû se rapprocher d’autrespartenaires. On a rempli le vide”, résume unancien collaborateur d’Aníbal Cavaco Silva[actuel président de la République portu-gaise, à l’époque Premier ministre].

A chaque visite au Portugal (JoséEduardo dos Santos est venu en 2009) ouen Angola, ministres et députés sontaccompagnés de nombreux chefs d’entre-prise. Au fond, les politiques sont desimples “facilitateurs” pour faire desaffaires. Une source angolaise rappelle ainsila déclaration du Premier ministre, PedroPassos Coelho, lors de la campagne deslégislatives l’an dernier : “Je suis le plus afri-cain de tous les candidats.” [Il a passé unepartie de son enfance en Angola.] LesAngolais qui comptent savent qu’il existeau sein du gouvernement une sorte de“lobby angolais” incluant les ministresMiguel Relvas (Relations avec le Parlementet bras droit du Premier ministre), PaulaTeixeira da Cruz (Justice) et AssunçãoCristas (Agriculture) – tous nés en Angola.

Côté angolais, les choses sont plussimples. “Le pouvoir de Luanda au Portugalest celui de certains Angolais plutôt que celuide l’Angola lui-même”, ajoute un autre spé-cialiste de ce pays. “Il s’agit de stratégies per-sonnelles de membres de la nomenklatura, etnon d’une stratégie d’Etat.” Le temps dira s’ilen va vraiment ainsi.Paulo M. Santos avec Sónia Sapage et Filipe Luís

Un “lobby angolais” dans le gouvernementportugais

Exposition coproduite par le Fotomuseum Winterthur et le Jeu de Paume, Paris.

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Angola

Main basse sur le Portugal

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Sciences

Un espoirpour nourrirla planèteCette science qui consiste à fabriquer des organismesvivants à partir de rien pourraitnourrir les hommes sansendommager l’environnement,s’enthousiasme le célèbregénéticien Johnjoe McFadden.

The Guardian Londres

�L a biologie synthétique, c’est-à-dire la science visant à créer denouveaux organismes vivants,

pourrait être à l’origine d’une nouvellerévolution industrielle. C’est ce que vientde déclarer le gouvernement britannique,qui en a fait un de ses chantiers derecherche prioritaires. Mais, selon de nom-breux militants écologistes, la création denouvelles formes de vie constitue unemenace pour celles qui existent déjà. Resteque la biologie synthétique pourrait êtrenotre meilleure chance de préserver la viesur notre planète.

Les agissements de l’homme ont tou-jours eu des conséquences considérablessur la planète. Il y a environ 50 000 ans,

l’Australie était couverte de forêts tropi-cales et de prairies où paissaient de grandsherbivores, eux-mêmes chassés par desmarsupiaux carnivores. Dix mille ans plustard, les forêts, la mégafaune et les carni-vores ont tous disparu. Que s’est-il passé ?De nombreuses hypothèses ont été avan-cées comme un bouleversement climatiqueou la destruction d’un écosystème. Toute-fois, selon une récente étude menée parl’équipe de Susan Rule, de l’AustralianNational University, sur des échantillonsde pollen, le seul coupable serait l’homme.Les humains sont apparus sur le continentil y a environ 45 000 ans et ont commencéà déclencher des incendies et à chasser surtout le territoire, provoquant l’extinctionde nombreuses espèces.

Ces destructions ne sont pratique-ment jamais intentionnelles et résultentgénéralement de nos progrès dans l’agri-culture ou l’art de la chasse. Aujourd’hui,la technologie nous permet de laisser nostraces jusque dans les couches supérieuresde l’atmosphère. Et les choses ne sont pasprès de s’arranger à l’heure où noussommes de plus en plus nombreux à vivresur cette planète et à aspirer à un mode de

vie occidental. Si la nature a peut-être bien-tôt atteint ses limites, la solution pourraitconsister à les repousser.

Pour son développement, l’homme atoujours manipulé la nature. Quand lachasse n’a plus suffi, il a domestiqué desaurochs, qui sont devenus nos bœufs.Quand la cueillette n’a plus suffi, il a cul-tivé des herbes sauvages qui sont deve-nues notre blé, notre maïs et notre riz.

Toutes ces choses, ainsi que de nom-breuses espèces domestiquées, sont leproduit de la technologie humaine aumême titre que les voitures et les télé-phones portables. Aujourd’hui, noussommes confrontés à des défis inédits.En 2050, quand il faudra nourrir près de10 milliards de personnes tout en leurpermettant de faire rouler leurs voitureset de s’occuper de leurs déchets, la

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 39

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Si la nature a peut-être bientôtatteint ses limites, la solution pourraitconsister à les repousser

� 40

Débat

La biologie synthétique, un grand pas pour l’humanité ?

Sur le w

eb

www.courrier

international.com Pionnier En 2004, alors qu’ilsachevaient le séquençage dugénome humain, Craig Venter et sonéquipe s’attaquaient déjà à l’étape

suivante : fabriquer un génome de toutes pièces. “Et l’homme créa la bactérie”, un article de TheEconomist à retrouver sur notre site.

� Dessin de Krauze paru dans The Guardian, Londres.

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réponses spécifiques à ces questions, maisne récoltons souvent que confusion etrésultats contradictoires. Nous voulonssynthétiser les gènes et le génome pourproduire des carburants et des médica-ments, guérir des maladies et sauver la pla-nète, mais plus nous en apprenons sur lefonctionnement des gènes à l’intérieur descellules, plus la simplicité tant recherchéenous échappe. Les cellules sont tout sim-plement trop complexes pour le paradigmedu “un gène pour ça”.

Une certitude : ce battage influe sur lacompréhension de l’ADN chez les non-scientifiques, ce qui est suffisant pour qu’ilsoit dangereux en lui-même. Mais il s’in-filtre également dans les objectifs et lesdemandes de bourses des articles scienti-fiques, nourrissant ce qu’Andy Ellington,bio-ingénieur à l’Université du Texas àAustin, aux Etats-Unis, appelle le “fantasmecollectif” de la biologie synthétique.

La biologie synthétique se distingue dugénie génétique et de la biotechnologie desquarante dernières années en promettantqu’un jour nous pourrons nous asseoir faceà nos ordinateurs, taper ce que nous vou-lons que les cellules fassent, cliquer sur“compiler”, et recevoir quelques jours plustard l’ADN adéquat. Bien que la technolo-gie se développe de façon exponentielledepuis des années, rendant les expériencesplus faciles et moins chères, une biologiesynthétique simple et rapide à l’échelle dugénome n’existe pas encore et n’existera

Gare auxeffetsd’annoncePour la chercheuse et blogueuseChristina Agapakis, la biologiesynthétique est encore loin de pouvoir réaliser les miraclesqu’on lui attribue. Il faut seméfier des articles à sensation !

Discover (extraits) New York

�L e bio-hacking [les expériences géné-tiques menées par des non-scienti-fiques] est plus facile que vous ne le

pensez.” C’est ce que j’ai lu sur Twitter il ya quelques semaines. L’article incluait unevidéo de la présentation de Tuur Van Balenpour le spectacle Next Nature remontant àquelques mois. Van Balen est un designerbelge dont je suis le travail depuis deux outrois ans maintenant, et son projet le plusrécent consistait à imaginer comment labiologie synthétique pourrait produire etfournir des médicaments dans le futur.

A l’aide d’outils qu’il a fabriqués lui-même, d’équipements achetés sur eBay etde documents en ligne expliquant com-ment trouver et synthétiser des séquencesd’ADN, Van Balen montre que la modifi-cation d’une souche de bactérie pour luifaire produire un yaourt au Prozac est à laportée de tous. Il explique aussi de façonrelativement exacte comment quelqu’unpourrait injecter de l’ADN dans une bac-térie. J’ai posté ma propre version de l’his-toire en écrivant que les projets d’artcomme celui-ci posaient des questionsimportantes sur la biologie synthétique.

Un fantasme collectifLe lendemain, mon article était publié surThe Huffington Post sous un autre titre, quiinsistait sur le Prozac. Puis une version estapparue sur le site de Gizmodo, et à partirde là il s’est répandu sur la Toile. Le tempsqu’il se diffuse complètement, l’artiste VanBalen est devenu un bio-ingénieur à lapointe de la recherche, créant un yaourt auProzac en cinq jours avec seulement860 paires de bases d’ADN (si vous deviezréellement faire du Prozac de cette façon,cela nécessiterait l’action de nombreusesenzymes, chacune d’elles étant codée parsa propre séquence de centaines, voire demilliers de paires de bases).

Comment un objet d’art, une fictionqui nous demandait d’envisager avec unesprit critique les possibilités offertes parla biologie synthétique a-t-elle pu aboutirà une acceptation irréfléchie de ce que legénie biologique est capable de faire ? Peut-être aurais-je dû être plus claire dans monarticle, ou peut-être est-ce la faute aux grostitres à sensation qui cherchent à générer

des clics sur Internet. Mais il est possible,selon moi, que nous soyons tellement habi-tués au battage médiatique sur la sciencedes gènes et de l’ADN, et tellement accou-tumés à entendre parler de génétique révo-lutionnaire, du “gène du cérumen sec”, du“gène d’Alzheimer” ou du “gène du compor-tement humain”, que nous ne réfléchissonspas une seconde quand nous entendonsparler de la possibilité de mélanger des bac-téries avec le “gène du Prozac” pour créerun yaourt antidépresseur.

L’optimisme exubérant vis-à-vis de lagénétique capable de séquencer et main-tenant de synthétiser les gènes a créé desattentes disproportionnées, brouillant lesfrontières entre science-fiction et faitscientifique. Nous voulons séquencer notregénome pour nous connaître, connaîtrenotre personnalité, nos ancêtres dans l’évo-lution, nos facteurs de risques pour tout etn’importe quoi. Nous nous inscrivons à23andMe [société de biotechnologie cali-fornienne proposant une analyse du codegénétique de ses clients] en espérant des

Débat

40 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Sciences

planète pourrait bien ne plus avoirsuffisamment de ressources.

La biologie synthétique pourrait aumoins apporter un début de réponse à ceproblème. Les scientifiques ont déjà déve-loppé des semences génétiquement modi-fiées permettant de meilleures récoltes surdes terrains plus limités et résistant mieuxà la sécheresse, aux maladies et aux para-sites. Les OGM sont un peu à la biologiesynthétique ce que les mécaniciens sont àun concepteur d’automobiles. S’ils peuventaméliorer les performances d’une voiture,même les meilleurs ne parviendront jamaisà transformer une Ford Cortina en Ferrari.

Les OGM actuels sont les Ford Cortinade l’agriculture, et les spécialistes de la bio-logie synthétique espèrent pouvoir en fairedes Ferrari, capables d’exploiter une part

plus large du spectre lumineux pour la pho-tosynthèse ou de capter l’azote directe-ment dans l’air sans passer par les engrais.Aujourd’hui, les scientifiques imaginent denouveaux micro-organismes qui absorbentet dégradent des polluants toxiques, ou uti-lisent les déchets agricoles pour produirede l’électricité. Bien sûr, cela n’est pas sansrisque. Mais il serait aussi dangereux dene rien faire. Une croissance démogra-phique incontrôlée peut causer bien plusde ravages que des organismes de syn-thèse. Ceux-ci présentent actuellementdes déficiences génétiques implantéesintentionnellement de manière à ce qu’ilss’autodétruisent au cas où ils échappe-raient aux laboratoires.

Naturellement, certains organismes desynthèse, comme ceux qui nettoient lesmarées noires, devront bien sortir des labo-ratoires et être capables de survivre dansl’environnement au moins un certaintemps. Pourrions-nous alors être victimesde tels organismes ? Un spécialiste de labiologie synthétique dirait que nous avonsautant de chances d’être affectés par unmicro-organisme dévoreur de pétrolequ’un Boeing 747 en a d’aller sur la Lune.Les micro-organismes et les agents patho-gènes sont deux choses très différentes etils évoluent sur des territoires qui ne semélangent pas si facilement.

Certes, le risque zéro n’existe pas, maispour autant que nous le sachions, la modi-fication génétique est probablement laseule technologie qui n’ait pas provoquéde catastrophe (tout en nourrissant desmillions d’êtres humains). Jusqu’à présent,tous les travaux de biologie synthétiqueont été menés avec la plus grande pru-dence. Loin d’être une menace pour notreplanète, la biologie synthétique est peut-être notre meilleure chance pour l’avenir. Johnjoe McFadden*

* Professeur de génétique moléculaire à l’universitéde Surrey, au Royaume-Uni, et rédacteur régulierd’articles scientifiques dans The Guardian.

39 �

Des micro-organismesqui absorbent les polluants toxiques

L’optimisme exubérantvis-à-vis de la génétique a brouilléles frontières entre science-fiction et fait scientifique

� Dessin de Krauze paru dans The Guardian, Londres.

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peut-être toujours pas dans vingt ans.Même si on trouve aujourd’hui de nom-breuses applications passionnantes etutiles, et s’il y a beaucoup d’autres appli-cations potentielles pour l’avenir, le cheminque nous prendrons pour y parvenir n’estpas tracé. Le futur que nous imaginons aun impact sur la manière dont nous orien-tons nos recherches.

Pour Ellington, ce battage impliqueégalement la possibilité d’une réglemen-tation excessive conçue pour contrôler despromesses qui pourraient ne jamais seconcrétiser, ce qui compliquerait dès ledépart la réalisation des recherches. Il peutaussi menacer la situation déjà précaire dufinancement et du soutien de la rechercheappliquée, notamment dans un domainecomme celui des biocarburants ou del’énergie verte. L’image de la biologie syn-thétique véhiculée par les médias peutprendre deux formes extrêmes et radica-lement opposées : la menace d’un désastremenant à la fin du monde d’une part et lapromesse d’une résolution de tous lesmaux de la planète d’autre part. Cette per-ception manichéenne pourrait nous empê-cher d’évaluer avec réalisme la balancebénéfices-risques, les éventuelles applica-tions et la durabilité à long terme de cettescience.

Imaginer le futur La science-fiction, le journalisme scien-tifique et la recherche scientifique appli-quée regardent vers l’avenir, imaginantce qui est possible ou pas, se renforçantmutuellement de manière complexe pournourrir notre imagination et pour susci-ter des discussions sur le monde et lesnouvelles technologies que nous voulonspour demain. Les créations d’artistes etde designers comme Van Balen donnentvie à des technologies émergentes et ima-ginent comment les futures biotechno-logies pourraient affecter nos vies. Cescréations, comme le bon journalismescientifique, peuvent faire découvrir cestechnologies au grand public, non pourle convaincre ou promouvoir certainsprogrammes de recherche, mais pour l’in-viter à explorer et à réfléchir sur le rôlede la technologie dans nos vies, afin depermettre la création de technologiesutiles, sûres et justes pour tous.

Avec des travaux tournés vers l’ave-nir, les artistes doivent envisager l’en-semble du cycle de vie du produit qu’ilsconçoivent ; les scientifiques et les ingé-nieurs doivent intégrer les implicationstechniques, environnementales, socialeset éthiques de leur travail ; et les journa-listes et les blogueurs scientifiquescomme moi doivent reconnaître le rôleque leurs articles et récits jouent dans ledéveloppement de la technologie.Lorsque nous racontons l’histoire de nou-velles recherches, nous ne décrivons passeulement un passé récent, nous contri-buons à imaginer et à construire l’histoiredu futur. Christina Agapakis** Chercheuse en biologie synthétique à l’Universitéde Californie à Los Angeles (Ucla).

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A la frontière nord du Mexique,ces mammifères sauvages sontun fléau pour les cultures. Maisils représentent aussi un apportprovidentiel de protéines pourles populations locales, affaméespar le gel et la sécheresse.

Milenio Semanal (extraits) Mexico

�I l est 5 heures du matin, il faitencore nuit et le silence règne. Amoins de 500 mètres se trouve le

Río Bravo et, derrière les hautes herbes, lesEtats-Unis dorment aussi. Le fleuve, qui àcet endroit suit la frontière, est asséché,offrant ainsi une voie de passage sansencombre pour tout le monde. Un groupede paysans est à l’affût. Ils tentent de cap-turer des sangliers, mais sans succès. Ilsvérifient leurs collets : c’est avec des câblesen fer qu’ils espèrent prendre ces animauxsauvages et dangereux qui, depuis quelquetemps, sèment la terreur. Il est aussi pos-sible de les piéger dans des cages immenses.Les armes à feu constituent la troisièmeméthode de chasse.

Chaque jour, des troupeaux parfoiscomposés de 70 bêtes pesant chacune de150 à 200 kilos viennent dans ce secteurpour trouver à manger. Les sangliersempruntent généralement les mêmes che-mins, mais restent imprévisibles et redou-tables. A l’aube, les paysans constatent lesdégâts, qui, pour plusieurs cultures, sontconsidérables. Les traces, énormes, ne lais-sent aucun doute possible. Dans la boue,on peut voir des empreintes tout autourdes plantations. Beaucoup de nourriture aété perdue à cause de ce nouveau fléau.Dans le nord de l’Etat de Chihuahua, àquelques pas de la frontière avec les Etats-Unis, dans la municipalité d’Ojinaga, lessangliers sont en train d’anéantir lesrécoltes qui ont survécu à la sècheresse.

Selon l’Union internationale pourla conservation de la nature (UICN), le

Ecologie

sanglier européen (Sus scrofa) fait partiedes 100 espèces les plus envahissantes etles plus nuisibles au monde. Pourtant, saprésence pourrait bien être une solution– partielle – à la disette qui touche unegrande partie de la zone montagneuse duChihuahua. La situation d’urgence crééepar le froid et la sécheresse touche les24 municipalités de la Sierra Tarahumara,et risque de s’aggraver alors que l’hivervient de se terminer. Ce vaste territoireabrite environ 50 000 familles d’IndiensTarahumaras [peuple autochtone duNord-Ouest mexicain]. Selon le gouver-nement du Chihuahua, 250  000  per-sonnes y souffrent de sous-alimentation.

L’homme est son seul prédateurL’idée est de réglementer la chasse aux san-gliers. Lancé en février dernier, un pro-gramme ad hoc a été mis en œuvre duranttout le mois de mars. “Il ne s’agit pas seule-ment d’éliminer des bêtes, mais de se servir deleur viande pour la distribuer aux personnesqui souffrent de sous-alimentation, en l’oc-currence les populations indiennes de la SierraTarahumara”, explique Alonso Duarte, res-ponsable des espaces naturels au ministèredu Développement urbain et de l’Ecologiedu Chihuahua (Sedue).

Le sanglier européen est l’une desespèces de suidés [famille de mammifèresdont font également partie les cochonsdomestiques] les plus anciennes. Il y a unedizaine d’années, un agriculteur texan aintroduit une centaine d’individus dans sarégion pour pratiquer la chasse à courre.La grande capacité de reproduction desfemelles, qui peuvent mettre bas huit àdouze petits deux fois par an, fait de cetteespèce une véritable plaie pour les agri-culteurs et les éleveurs de bétail. Lâchéesen pleine nature près de la frontière, lesbêtes n’ont pas tardé à migrer vers le sud.Une bande de 70 kilomètres, à cheval sur

les territoires du Mexique et des Etats-Unis,est devenue la route favorite des “cochons”,comme les appellent les autochtones. SilviaCastro, responsable des questions écolo-giques pour le gouvernement du Chihua-hua, précise que ce sanglier “n’a pas vraimentde prédateur”. “La bête est si féroce, explique-t-elle, que seul le puma pourrait s’y attaquer,et encore. L’homme est quasiment seul à chas-ser le sanglier.”

Mais l’homme lui-même ne peut pastoujours l’affronter. Le mode de vie noc-turne du sanglier rend sa chasse difficile.Toutefois, dans le cadre du nouveau pro-gramme de distribution de viande, la saisonde la chasse restera ouverte jusqu’à nouvelordre. “Ici, on n’a pas besoin de permis. Aucontraire, nous avons besoin de renfort pournous aider à endiguer ce fléau. Nous recom-mandons aux gens de se constituer en groupescomprenant des chasseurs confirmés et des’équiper des armes nécessaires”, affirme SilviaCastro. Avec l’expérience, les agriculteurs

d’Ojinaga confrontés aux sangliers se sontrendu compte qu’une balle de calibre 22 nesuffirait pas à transpercer leur peau épaisse.

C’est le Sedue qui tient le registre desvolontaires. Contrairement aux autres pro-grammes de chasse réglementée, celui-cine coûte rien à ceux qui souhaitent parti-ciper. Les sangliers capturés et abattus sontconsommés sans qu’aucun contrôle sani-taire soit pratiqué. Les différents servicesde l’Etat chargés des questions écologiqueset sanitaires estiment qu’il est nécessaired’effectuer certains tests. “Il ne faut pasoublier que ces animaux peuvent être porteursde vers parasites comme les cysticerques [larvesde ténia] ou les trichines. Par conséquent, ilfaut s’assurer qu’aucune viande potentielle-ment infectée ne risque d’être consommée”,maintient Silvia Castro. Un processus dedistribution a également été envisagé :“Tuer la bête, puis la transporter jusqu’à unmarché, pour qu’elle soit vidée et que l’on puissevérifier qu’elle ne contient aucun parasite. Aumême endroit, on peut également couper laviande en morceaux pour faciliter le transport.On pourrait aussi la congeler avant de la dis-tribuer”, ajoute la fonctionnaire.

Melons et pastèques écrasés A l’heure actuelle, capturer et abattre lessangliers reste compliqué. Ils dorment auxEtats-Unis pendant la journée et traver-sent la frontière mexicaine la nuit. C’estsur le territoire du Mexique qu’ils mangentdes plants de maïs, de luzerne, de melonet de pastèque. C’est pourquoi le Mexiquea demandé le soutien du gouvernementaméricain pour enrayer la catastrophe.

Un agriculteur sort de son sac unedéfense de sanglier étincelante. Elle a uneforme de demi-lune et fait au moins 20 cen-timètres de long. “Voilà la dimension du pro-blème et le risque que nous courons s’ils nousattaquent, explique-t-il. Il faut absolumentque nous trouvions une solution.”Joaquím Fuentes

Espèces invasives

Le sanglier au menu des Mexicains

Moustiques Quelles seraient les conséquences si on éradiquaitces insectes vecteurs de maladie ?La revue Nature pose la question

aux scientifiques… et leursréponses sont surprenantes (article paru dans CI n° 1049, du 9 décembre 2010).

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 43

ÉTATS-UNIS

MEXIQUE

NOUVEAU-MEXIQUE

TEXAS

ÉTAT DECHIHUAHUA COHUILA

El Paso

Ojinaga

Chihuahua

300 km

Rio Grande Río Bravo del Norte

30° N

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Désert deChihuahua

Désert deChihuahua

Désert deChihuahua

Désert deChihuahua

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A la frontière mexicaine

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� Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

Page 44: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

44 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

Petits entrepreneurs en colèredans le Nord, files de candidatsà l’embauche dans le Sud.L’implantation de la marquesuédoise dans la péninsulerévèle cruellement les failles de l’économie italienne.

Il Corriere della Sera Milan

�O n pourrait dire, si l’on est ama-teur de formules, qu’Ikea est enpasse d’écrire la nouvelle bio-

graphie de la nation italienne. A en croireles échos qui remontent de province, lamultinationale suédoise semble cristalli-ser tous les phénomènes de notre viesociale. Dans le sud du pays, les files descandidats à l’embauche s’allongent, alorsque dans le Nord, à Trévise [Vénétie], ladroite locale s’est déchirée en essayantd’empêcher l’ouverture d’un nouveau pointde vente. Une situation vécue aussi à Turinet dans la région de Pise, par des com-munes de gauche.

Mais la dernière nouveauté vient desAbruzzes [région du centre de l’Italie], deSan Giovanni Teatino précisément, où,après avoir fait pression sur Ikea, une figurede la droite locale a reçu une lettre officiellede protestation de l’entreprise. La vérité,c’est qu’Ikea est désormais omniprésenten Italie. Alors que la récession continuede plomber profits et bénéfices, c’est l’unedes rares multinationales à embaucher. Ellea même réussi à se lancer avec succès dansla restauration, grâce aux restaurants ins-tallés dans ses points de vente qui propo-sent airelles, boulettes de viande suédoisesaccompagnées de confiture et saumon àtoutes les sauces. Ikea est devenu un acteurincontournable de la politique locale, unsujet sensible, à prendre avec des pincettes,qui peut décider de l’issue d’une électiondans différentes circonscriptions.

Les commerçants, par exemple, donton connaît le peu de sympathie pour Ikea,s’emploient généralement à faire pression

Economie

sur leurs concitoyens pour lui barrer laroute. A Casale sul Sile, dans la provincede Trévise, des électeurs traditionnelle-ment de droite se sont retrouvés aux côtésdes écologistes et de la gauche radicaledans une alliance inédite contre l’installa-tion d’un Ikea qui offrait 1 300 nouveauxpostes de travail.

Le responsable de la Confcommercio[le principal syndicat des commerçants etentrepreneurs], Guido Pomini, s’estinsurgé contre “les dommages irréparablessur l’environnement et sur la qualité de la vie”et a mis en garde contre “le nouveau béton-nage”. L’offensive des commerçants adonné le tournis à la Ligue du Nord, et leconseiller provincial de Trévise a dû patien-ter jusqu’au 24 mars, après des mois d’im-passe, pour donner son feu vert au nouveaucentre commercial.

Dans un premier temps, les fabricantsde meubles du Nord-Est sont restés euxaussi pétrifiés par l’offensive suédoise, mais

ils font aujourd’hui la course pour devenirfournisseurs de la multinationale. Un véri-table district Ikea est ainsi en train denaître le long de l’autoroute, entre lescentres commerciaux de Villesse et de Tré-vise, parsemé d’entreprises italiennes quis’enorgueillissent de réaliser l’écrasantemajorité de leur chiffre d’affaires grâce auxScandinaves. Les marges de profit sont par-ticulièrement basses, car Ikea, malgré saréputation de sobriété et d’élégance, ne faitaucun cadeau quand il s’agit de contrats.Et les réunions entre artisans s’en fontrégulièrement l’écho.

Le nom de l’entreprise suédoise sus-cite toujours les mêmes sourires embar-rassés devant un parterre d’industriels etd’artisans du meuble lombards. Car l’ex-traordinaire succès de la multinationalejaune et bleu représente un échec cuisantpour le made in Italy. Si un pays pouvait,mieux que les autres, se doter d’une chaînecommerciale capable d’attirer dans ses

magasins tous types de consommateurs,c’était bien l’Italie. Mais nous manquonsd’une culture de la vente au détail et lesSuédois nous ont fait mordre la poussièreles premiers, puis les Français (Décathlon,pour les articles de sport) et enfin les Espa-gnols (Zara, pour les vêtements). Espéronsque la liste s’arrêtera là.

Les plans d’Ikea sont ambitieux  :700 millions d’euros d’investissements etune douzaine d’ouvertures de magasins,dans une conjoncture où les postes de tra-vail valent de l’or. A Catane déjà, il y a plusd’un an, 24 000 candidatures avaient étéenregistrées en 72 heures, pour 240 postes.On avait alors calculé qu’au moins 13 % dela population résidant sur les pentes del’Etna (600 000 personnes entre Cataneet ses environs) nourrissait le rêve de deve-nir employé, magasinier, opérateur télé-phonique, comptable ou serveur chez Ikea.

On a assisté au même phénomène àBari et à Salerne : 20 000 candidats pour262 postes dans le premier cas, 21 000 pour210 embauches dans le second. Grâce àcette “force de frappe”, les managers d’Ikeajouissent évidemment d’un énorme moyende pression sur les communes locales. Lesconcurrents italiens dénoncent d’ailleursune multitude de faveurs accordées dans

toute la Botte, telle la modification du tracédes routes d’accès aux magasins de lamarque. La “variable Ikea” serait la pre-mière tentation à laquelle un maire – auxyeux de ses rivaux – succombe forcément.

Si les designers de renom accusent deplagiat les Scandinaves, qui se contententde reproduire les nouvelles idées dénichéesaux quatre coins du monde par leurs chas-seurs de tendances, la multinationale del’ameublement renouvelle en continu sonimage de responsabilité sociale et demodernité. Elle a récemment mené uneenquête sans précédent en Italie sur l’inté-gration des lesbiennes, gays, bisexuels ettransgenres (réunis sous le sigle LGBT) surle marché du travail. Sur un échantillon de500 employés d’Ikea, 14 % se déclaraientLGBT selon les résultats présentés à Milanpar Ivan Scalfarotto [militant de la causehomosexuelle et vice-président du PD, leparti de centre gauche]. Les managersd’Ikea ont pu conclure qu’“il [était] possiblede partir du lieu de travail pour bâtir l’idée decommunauté et d’attention réciproque, mal-menée ces dernières années en Italie”. Pour quela boucle soit bouclée, il ne manquerait plusque quelqu’un se décide à fonder un partiIkea en ces temps de crise des idéologies.Son mot d’ordre est tout trouvé : justice etconfort. Dario Di Vico

Entreprises

L’Italie démontée par Ikea

� Dessin de Beppe Giacobbe, Italie.

L’Italie est en récession. C’est officiel depuis la fin de l’année 2011, plusexactement depuis l’annoncedu recul de son produitintérieur brut (PIB) de 0,7 % au quatrième trimestre. Prise pour cible par lesmarchés en raison de sa dettecolossale (1 900 milliardsd’euros à la fin de décembre 2011, soit 120,1 %du PIB), la troisième

économie de la zone euro doit également faire face à un taux de chômage très élevé. D’après lesderniers chiffres de l’Istat(l’Institut national de statistique), il a encoreaugmenté en février, passantà 9,3 % de la population active– son plus haut niveau depuis 2004 –, contre 9,1 % en janvier. Les jeunes sont les plus touchés, avec un taux

de chômage de 31,9 % chez les 15-24 ans. La productionindustrielle a égalementchuté de 2,5 % en janvier,tandis que la confiance desentreprises s’est effondrée en février, atteignant son plus bas niveau depuisnovembre 2009. Après avoirrepoussé l’âge de la retraite etlibéralisé certains secteurs del’économie, le gouvernementMonti a adopté le 23 mars

dernier un projet de réformedu marché du travail, inspirédu modèle danois de“flexisécurité”, censé relancerl’emploi. La mise en cause de l’article 18 du code du travail, qui interdit les licenciements “sans justecause”, a soulevé une viveopposition des principauxsyndicats, qui ont prévu une manifestation communele 13 avril.

Etat des lieux

Un pays en crise

Les Suédois nous ont fait mordre la poussière

Page 45: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

Oubliés les oligarques, les établissements russess’efforcent maintenant d’attirerles capitaux des classesmoyennes en pleine croissance.Un bon signe pour le pays.

Expert (extraits) Moscou

�U ne classe moyenne émergeenfin en Russie. Et elle a de l’ar-gent. Ce nouveau segment, les

mass affluent [la catégorie “moyenne supé-rieure”, très aisée sans être extrêmementriche], est aujourd’hui la cible privilégiéedes banques. Trois professionnels du mar-keting bancaire et leur chef ont tenté dem’expliquer qui sont ces gens auxquels ilsproposent, depuis quelques mois, un pro-duit spécifique. Pourtant, aucune défini-tion précise ne se dégage vraiment de leurdiscours : les données concrètes, chiffres,évaluations, objectifs, sont “en cours d’éla-boration” ou font partie d’un “business planconfidentiel”.

Habituées à classer leurs clients endeux catégories, “les très haut de gamme”et “le reste”, les banques ont beaucoupde mal à cerner une classe moyenne quicommence à peser. En outre, la notionoccidentale de mass affluent ne coïncidepas exactement avec les réalités russes.“L’un des critères qui nous servent à classer lesclients est le montant de leurs fonds disponibles,ceux qu’ils sont prêts à nous confier”, expliqueGalina Tokmakova, vice-présidente de labanque Petrokommerts.

Aujourd’hui, les banques ont enfinatteint une maturité qui leur permet deproposer des services adaptés à des clientsse situant entre les grosses fortunes et lesdéposants ordinaires. Selon Nick Gardi-ner, conseiller et directeur du BostonConsulting Group, le revenu plancher decette clientèle se situe à 50 000 roubles[1 350 euros] mensuels. “Dans cette catégo-rie, nous distinguons essentiellement deux pro-fils : les jeunes cadres de 25 à 45 ans dont lesrevenus suivent l’évolution de carrière, et lespersonnes de 40 à 60 ans qui peuvent gagnerrelativement mal leur vie mais disposent derevenus provenant d’autres sources : actifs,économies, investissements, immobilier.”

Selon nos informations, plusieursbanques devraient s’adresser enfin à euxcette année, dont le géant russe Sberbank.A ce jour, les principaux acteurs sur cemarché sont Alfa-Bank [l’une des plusimportantes banques russes] et Citibank[l’une des premières banques étrangèresinstallées en Russie, en 1992]. Mais, enprovince, les banques régionales leur fontune sérieuse concurrence. La clientèlequ’elles visent ne recoupe pas vraimentla classe moyenne, comme le préciseGalina Tokmakova : “La classe moyenne, icicomme en Occident, ce sont des foyers avec

des revenus confortables, mais qui vivent àcrédit. Les mass affluent forment une caté-gorie qui jouit de sommes disponibles allantde 50 000 à 500 000 dollars, des sommes dontelle veut faire quelque chose.”

Les packages existants ou à veniroffrent divers moyens pour placer cetargent. “Les gens sont beaucoup plus aver-tis qu’il y a quelques années et acceptent desdurées de placement plus longues. Nous leurproposons différents portefeuilles, panachésen fonction des délais et des risques qu’ils sou-haitent”, explique Sergueï Korotkov, direc-teur de la branche particuliers de laCitibank. Dans le secteur financier, on abien compris que c’est à eux qu’étaientdestinés les fonds d’investissement et lecourtage, et qu’ils viendraient sur lemarché boursier dès qu’ils commence-raient à se développer.

Des clients pas ordinaires“En Occident, contrairement à la Russie, lespersonnes disposant de patrimoines moindresont déjà l’habitude de la finance et sont plusenclines à investir, explique encore SergueïKorotkov. Et les taux d’intérêt de l’épargnen’ont rien à voir. En Russie, surtout en cemoment où la rémunération des comptes cou-rants est assez élevée, les gens préfèrent lais-ser 90 % de leur argent sur leurs comptes aulieu de les placer.” Les particuliers détien-nent 9 500 milliards de roubles sur leurscomptes, tandis que l’ensemble des fondsd’investissement ne totalise que 470 mil-liards. Et, pour l’instant, même les gens lesplus actifs et éduqués, dont les mass affluentfont partie, ne semblent pas pressés deprendre des risques avec leur argent.

“Ils tiennent surtout à se constituer uneretraite. Si on est un cadre supérieur de 30ou 40 ans habitué à dépenser 5 000 ou 10 000 dollars par mois, on cherche à faire ensorte de pouvoir conserver ce niveau de vie à

la retraite”, constate Galina Tokmakova.Cette clientèle est donc bien plus pru-dente que les très riches et adopte un par-cours financier par étapes.

Mais, au fait, pourquoi les banques semettent-elles à faire tant de courbettes àces gens aisés ? Parce que cette nouvelleclientèle est de plus en plus nombreuse.Elle représenterait, selon certainesétudes, autour de 2 % de la populationrusse. Habitant surtout à Moscou et àSaint-Pétersbourg, elle détiendrait envi-ron 7 000 milliards de roubles d’actifs.Même si Citibank avance des estimationsmoitié moindres, cela représente malgrétout des sommes non négligeables. Etc’est grâce à ces investisseurs que les

banques comptent augmenter leursmarges. Comme l’observe Nick Gardiner,“ils génèrent cinq fois plus de bénéfices que lesclients ‘ordinaires’. Dans les trois ou quatreannées à venir, ils représenteront de l’ordrede 50 % des revenus de l’activité bancaire des-tinée aux particuliers.”

Cherche relation durableL’inconvénient, c’est que développer desservices à leur intention nécessite degrosses dépenses, ce qui expliquerait quela Sberbank ait tellement tardé à se posi-tionner sur ce marché. Mais les actifsdont dispose cette clientèle sont parmiles plus stables, et la relation prometd’être durable. Un atout précieux par rap-port aux clients occasionnels, mais aussiaux grosses fortunes. Galina Tokmakovale sait bien. “Un propriétaire de grandeentreprise peut avoir 100 millions de dollarsen banque, mais risque d’en avoir besoin dujour au lendemain pour finaliser une tran-saction. La volatilité est donc importante.”A l’inverse, les gens “simplement” aisésveulent se constituer une cagnotte, etcherchent à l’abonder régulièrement.

D’après Citibank, ce segment devraitcroître de 3 à 4 % l’an. Mais si ces clientsfont de plus en plus de placements, il n’estpas certain qu’ils privilégient le marchérusse. “A ce jour, ils répartissent un tiers deleurs actifs en titres étrangers, un tiers en titresrusses et conservent un tiers en cash”, résumeSergueï Korotkov. Quoi qu’il en soit, lesannées qui viennent devraient voir s’ins-taller une classe moyenne solide, pourvuesde belles économies et susceptible de deve-nir une excellente base pour le marchéfinancier russe, mais pas seulement. Evguénia Oboukhova

Russie

Les courbettes des banques aux gens aisés

Investissement Jusqu'en 2008, en Russie, l'immobilier était le placement le plus populaire.“L'achat d'un appartement à créditétait considéré comme uninvestissement idéal, à cause

de la hausse constante et faramineuse du prix du mètrecarré, particulièrement à Moscou”,indique l'article d'Expert. Mais depuis la crise, acheter un logement sur plans alors

que les fondations de l'immeublen'ont même pas encore été couléeset le revendre peu après en empochant un bénéfice est une technique qui fonctionne de moins en moins.

Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012 � 45

� Dessin de Pavel Constantin, Roumanie.

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46 � Courrier international | n° 1119 | du 12 au 18 avril 2012

L’acquisition d’Instagram parFacebook pour 1 milliard de dollars pourrait annoncerune nouvelle ère de surenchèresdans la Silicon Valley. Le point devue du chroniqueur Dan Gillmor.

The Guardian (extraits) Londres

�A la fin des années 1990, alors quela première bulle technologiqueenflait rapidement, une petite

société israélienne du nom de Mirabilisavait séduit des millions d’usagers avec sonlogiciel de messagerie instantanée, ICQ.

Mirabilis dépensait des sommesconséquentes pour développer sa based’utilisateurs encore embryonnaire etgarantir le fonctionnement sans heurt deses serveurs. On demanda à Yossi Vardi,son principal investisseur, comment lasociété espérait gagner de l’argent. Plai-santant à moitié, il eut alors cette répliquedevenue célèbre : “Les bénéfices sont unedistraction.” Car l’objectif ultime de Vardi

Economie

n’était pas de faire de l’argent sur le dosde ses utilisateurs, mais de vendre sonentreprise. Un but atteint en 1998, quandAOL, qui s’approchait à ce moment-là deson propre pic de capitalisation, achetaMirabilis pour 400 millions de dollars.

Le 9 avril, un autre service affichantune croissance rapide et qui n’avaitbesoin que d’un unique client a réussi uncoup de la même ampleur. Instagram, uneapplication mobile [et un réseau social]de partage de photos, s’est vendu à Face-book pour “environ 1 milliard de dollars encombinant liquidités et actions dans Face-book”. Une description vague qui signifieque la grande majorité de la vente a dû sefaire sous forme de portefeuilles d’actionsplutôt qu’en espèces sonnantes et trébu-chantes. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’unfabuleux contrat pour la Silicon Valley et,plus généralement, le secteur des nou-velles technologies.

Pour Om Malik, journaliste et entre-preneur du secteur, comme pour un grandnombre d’observateurs, cet accord estlogique : “Facebook a chié dans son froc et a

compris que pour la première fois de son his-toire un concurrent allait peut-être marchersur ses plates-bandes, voire anéantir ses pers-pectives d’avenir. Pourquoi ? Parce que Face-book est essentiellement axé sur les photos etqu’Instagram avait découvert et attaqué sontendon d’Achille – le partage de photos surmobile”, écrit-il sur le blog GigaOM.

Une chose est sûre : dans la mesureoù Facebook réussit le pari de devenir unréseau parallèle, à la tête de son propreécosystème, et non un sous-ensemble duweb, il peut se permettre d’investir n’im-porte quelle somme dans ce qui repré-sente une activité fondamentale. Mais onpeut interpréter cette acquisition autre-ment, en tirant des enseignements desannées ICQ. A cette époque, AOL pesaitde plus en plus lourd et accumulait unetrésorerie considérable. Il a perçu ICQcomme une fonction incontournable pourson propre service et a déboursé ce quiétait alors une somme astronomique pourl’acquérir. Peu après, en 2000, AOL a“acheté” Time Warner. Je mets des guille-mets parce que cette acquisition a été pos-

sible grâce à la valeur artificiellementélevée des actions d’AOL, juste avant quela première bulle Internet n’éclate.

Aujourd’hui, il est tentant de croire quele rachat d’Instagram par Facebook augurel’éclatement de la nouvelle bulle Internet.(Comme la dernière fois, évidemment, unefoule de petits génies soutient mordicusqu’il n’existe aucune bulle, et j’aimeraisbien avoir tort.) Pourtant, la situation danslaquelle nous nous trouvons suggère quela bulle actuelle, si elle existe, n’a pas finid’enfler, notamment en raison du Jobs Act[qui autorise les start-up à faire appel auxpetits épargnants pour leur financement],adopté récemment aux Etats-Unis. Si cetexte a été conçu pour encourager la créa-tion d’entreprises, il est toutefois tout aussiprobable qu’il favorisera la fraude indus-trielle. La Silicon Valley est ravie de cetteloi, mais les escrocs professionnels dumonde entier sont sûrement tout aussieuphoriques. Lorsqu’un déferlement decorruption s’ajoute à une marée montante,tous les navires y gagnent, au moins pen-dant un temps. Dan Gillmor

Internet

Une nouvelle bulle à l’horizon ?

Sur le w

eb

www.courrier

international.com Chine L’application Instagram existeen chinois et est déjà intégrée à la plate-forme de microblogging la plus populaire de Chine, Sina Weibo,rappelle The Wall Street Journal. Pour le quotidien économique,

l’opération menée par Facebook est une occasion pour le réseau socialde mettre enfin un pied dans l’empire du Milieu. Une analyse à lire en intégralité surcourrierinternational.com.

Page 47: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

Série télé

Insolites

Portfolio

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ersonnel de l’A

ngleterre par Pete

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Mariages en Chine : le co

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Le deuxième roman de l’auteur malaisie

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Tan Twan Eng — p. 5

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Page 48: [RevistasEnFrancés] ElMensajeroInternacional - n°1119del12al18deAbrilDe 2012

J’ai été fabriqué en Angleterre en 1972,à la Saint-Georges, patron de la nation– le même jour que William Shakes-peare. Jusqu’à 18 ans, j’ai vécu à quel -ques minutes de la mer. Dès monpremier souffle, mes narines se sont

emplies d’air salin, et mes rétines ont été bom-bardées de couleurs vives  : chaises longues,théâtres de marionnettes et bateaux tampon-neurs. Voilà comment j’ai découvert l’Angleterre.

Weymouth, où j’ai grandi, était une ville sau-vage. Presque tous les week-ends, elle subissaitles assauts de marins en rut qui déferlaient dela base navale de Portland. Des ouvriers en rutdes Midlands [le centre industriel du pays]débarquaient à la gare à chaque fermetured’usine. Les gens du cru étaient toujours en rut,ils avaient faim aussi, et surtout soif.

L’Angleterre n’a jamais été un modèle d’élé-gance. Beaucoup d’Anglais continuent de fairetout leur possible pour se couvrir de honte. Ilss’habillent de façon ridicule, mangent des platsabominables et ne connaissent pas les bonnesmanières. Dans mon livre, l’alcool occupe uneplace de choix parce que, qu’on fasse la fête lorsde la course d’aviron de Henley ou pour un enter-rement de vie de jeune fille à Blackpool, la camelégale préférée du pays n’est jamais bien loin.

Mais le plus choquant, c’est peut-être lanourriture que les gens engloutissent sur les cli-chés. Dans ce pays où le public achète des mil-liards de livres de cuisine, pourquoi tantd’hommes et de femmes adultes – y compris lessnobs – continuent-ils de dévorer tous ces hot-dogs et ces hamburgers, ces tourtes à la viandeet ces hideux assortiments de grillades enpublic ? Quand l’objectif se concentre sur le

Portfolio

L’Angleterre,nation mal élevée

contenu, nutritif mais suspect, d’une assiette encarton, c’est tout juste si l’on n’en sent pas lefumet. Cela tient peut-être à ce qu’ils mangent,à ce qu’ils boivent, au climat ou à quelque chosede plus profond, mais beaucoup de ceux qui par-ticipent à ces rituels anglais ont l’air à la foisdéçus et désemparés, comme s’ils ne parvenaientpas eux-mêmes à comprendre pourquoi ils nes’amusent pas autant qu’ils l’avaient escompté.

England Uncensored est une sélection réali-sée après dix années passées à photographier lesAnglais, un portrait exhaustif de l’Angleterre dela première décennie du XXIe siècle. Ce n’est pasun recueil idéalisé de paysages verdoyants etséduisants, mais plutôt une virée tonitruante,volontiers moqueuse, au cœur de cette nationsouvent mal élevée. C’est la vérité, sans fard,dans ses moindres détails.

Ce livre est témoin de l’ordinaire comme del’extraordinaire. Il explore tous les recoins, desvilles aux plages épuisées, en passant par lesboîtes de nuit, les vestiaires, les cathédrales etles sites réputés, comme le stade de cricket deLord’s et le château de Hampton Court. Il pré-sente quelques-uns des événements les plusinsolites d’Angleterre, comme le War & PeaceShow de Beltring, dans le Kent, “le plus grand ras-semblement de véhicules militaires du monde”, ouencore cette discothèque à thème du centre deLondres où les adultes peuvent enfiler des uni-formes d’écolier pour revivre “les meilleursmoments de leur vie”.

Ayant eu le privilège d’être envoyé en mis-sion dans plus de cinquante pays de par lemonde, c’est sur l’Angleterre que je braqueconstamment mon objectif. Elle est ma passion,ma terre. Peter Dench

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Au petit matin sur la plage de galetsde Portsmouth (côte sud).

Peter Dench

23 avril 1972Il naît à Weymouth,dans le sud de l’Angleterre.1998Après des études de photographie, il se lance dans le photojournalisme. Il a notammentcollaboré avec Time,Stern, Newsweek, The New York Times…2002Il reçoit un 3e prix au World Press Photopour un travail sur les Anglais et l’alcool.A paraître en 2012England Uncensored.www.peterdench.com

Dans England Uncensored (L’Angleterre non censurée),le photographe Peter Dench dresse le portrait d’unenation moderne, bigarrée et frisant parfois le ridicule.Dans le texte de présentation de ce recueil, il expliquecomment son enfance modeste, dans une ville des bordsde la Manche, lui a donné la passion de ce pays.

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Sur la promenade de Blackpool (nord-ouest del’Angleterre). La ville côtière est la première destinationtouristique nationale des Anglais depuis le XIXe siècle.

Blackpool a longtemps été prisée par les couples et les célibataires en mal d’amour.

Kizzy Neale, 14 ans, enceinte de huit mois, sur la plage de Paignton (sud-ouest ). Le père a environ le même âge.

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Au célèbre festival de photographie Format, en 2011, à Derby,dans les Midlands (centre de l’Angleterre).

Lisa fête un enterrement de vie de jeune fille. La vie nocturne estpeut-être la plus grande attraction de Blackpool.

Un groupe d’amis au style fantaisiste vident une bière à la terrasse du pub The Sloop Inn.

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Un des prefects d’Eton College, la très prestigieuse et très chère école de garçons. Seuls les prefectssont autorisés à porter le gilet de leur choix.

Jai Singh, 18 ans, lors d’une pause dans son travail. A la une du journal, les attentats de Londres de juillet 2005, qui ont fait 52 morts.

Un skinhead pose torse nu au pub de Bacup, un village du Lancashire (nord-ouest de l’Angleterre). Long

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Série télé

“Sex and the City” à Moscou

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Après L’Ecole, qui avait fait scandale en 2010, la sulfureuse cinéasteValeria Gaï Guermanika revient sur la première chaîne russe avecQuelques Leçons de vie heureuse. Où il est question, dans un style uniquemariant kitch et hyperréalisme, de l’impossible satisfaction du désirféminin dans la capitale.

TournageLa réalisatrice Valeria GaïGuermanika (au centre) et deuxcomédiens sur le tournage de la série TV russe “QuelquesLeçons de vie heureuse”.

Expert Moscou

Parlons d’abord de ce qui saute auxyeux. Premièrement, Valeria GaïGuermanika est toujours aussi inso-lente et douée. Deuxièmement, sontravail ne ressemble en rien à celuides autres auteurs russes de séries,

sans qu’elle cherche pour autant à copier les vir-tuoses américains. Troisièmement, elle seule estcapable de donner l’impression que chaque scènea été brillamment improvisée, illusion que les dia-logues les plus éculés ne parviennent pas à dissi-per. Les répliques banales ne manquent pas sousla plume d’Anna Kozlova, coscénariste sur cesQuelques Leçons de vie heureuse, série en seize épi-sodes, mais Guermanika a un autre talent rare :celui de mettre en scène des dialogues d’une pla-titude crasse comme si dans la vie on ne s’expri-mait pas autrement, au point qu’on finirait parpenser que si on n’a soi-même jamais entendu cegenre de chose à la machine à café, c’est justequ’on n’a pas eu de chance.

Valeria Gaï Guermanika est vivante, et seshéros le sont tout autant. C’est exceptionnel. Enoutre, elle est sans doute la seule cinéaste russequi sache filmer les scènes érotiques. Non seule-ment elle n’éprouve pas de gêne, mais elle réus-sit particulièrement ces moments-là, y comprisdans une série commandée par la première chaînede télévision nationale. Ainsi, dès la troisièmeminute de ces Quelques Leçons, nous apercevons,en images intermittentes mais précises, l’une des PE

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Festival

Du 16 au 22 avril, le Forum des images, à Paris, organise sa troisième édition de Séries Mania, unfestival consacré aux séries du mondeentier. L’occasion dedécouvrir le meilleurdes séries israéliennes,argentines,britanniques,australiennes,américaines, maisaussi d’assister à des conférences ou à des tables rondesanimées par desgrands noms dusecteur. Cette annéeest ainsi annoncé,entre autres, TerenceWinter, le créateur de la série américaineBoardwalk Empire,une plongée dans la ville d’Atlantic City au temps de la prohibition.Pour en savoir plus :www.forumdesimages.fr

“Quelques Leçons de vie heureuse”Rencontres et ruptures entre hommes et femmes qui ne s’entendent paset/ou n’arrivent pas à se satisfaire, processus ininterrompu de rechercheau cours duquel des contraires s’assemblent avant de se séparer avecperte et fracas…

protagonistes faisant l’amour avec un hommequ’elle a rencontré dans un bar, tandis que dansle troisième épisode une autre des héroïnes semasturbe sous la douche. Dont acte.

Si le style est personnel et inimitable, la tramedu récit est standard : nous suivons les péripétiesde quatre employées d’une agence de recrute-ment, encore jeunes mais déjà malheureuses,désignées par une épigraphe impitoyable emprun-tée à [l’auteur américain] Joseph Heller : “Jeunesfemmes de plus de 25 ans”. Quatre personnalitésdifférentes, quatre amies. Ça vous rappelle Sexand the City ? Oui, mais la capitale russe ne res-semble pas à New York, loin s’en faut. “Je suis pasune pute, mais à Moscou y a rien d’autre à faire”,constate froidement l’une de ces jeunes femmes.La vie est dure, l’humour ne permet pas de résis-ter à tout. Nous ne sommes pas dans les joyeusesaventures de Carrie Bradshaw, mais dans unenouvelle version de Moscou ne croit pas aux larmes[grand succès du cinéma soviétique, oscar dumeilleur film en langue étrangère en 1980, l’his-toire de trois amies venues tenter leur chance àMoscou, avec des trajectoires très différentes].Les années passent, les larmes ne cessent decouler, et Moscou n’y croit toujours pas.

Des actrices plus vraies que natureCes analogies n’ont rien de mécanique, elles s’im-posent, inéluctables, heurtant de plein fouet l’es-thétique documentaire (ou quasi documentaire)de la série. Le fameux “On n’y croit pas !” de Sta-nislavski [célèbre metteur en scène et théoriciendu jeu théâtral dont la méthode a fait école dansle monde entier] nous vient à l’esprit, malgré nosefforts pour lui opposer des arguments raison-nables : après tout, que savons-nous de la vie despetites employées et des sujets de conversationdes femmes entre elles, à Moscou, de nos jours ?Les actrices, pour leur part, se révèlent parfaite-ment naturelles, même dans des situations quine le sont pas. Les mouvements de la caméra etl’effet patchwork du scénario finissent parauthentifier la série au lieu de la décrédibiliser.Alissa Khazanova joue aussi bien que dans le subtilConte de l’obscurité [2009, où elle incarne une policière] ; Svetlana Khodtchenkova, en parfaitepeste blonde, fait oublier ses exploits de Rjevskicontre Napoléon [film russe délirant de 2012].Ksenia Gromova et Anna Sliou, quoique aux deuxextrêmes du spectre des émotions, sont toutesdeux d’une justesse irréprochable, à telle enseignequ’on les dirait tout juste découvertes par Guer-manika, alors qu’elles n’en sont pas à leur pre-mier rôle. C’est cette série qui fera date dans leurcarrière. La plupart des hommes n’apparaissentque comme des faire-valoir, mais c’est volontaire.Et conforme à la vraie vie. Alors, qu’est-ce quicloche dans tout cela ?

On commence à tiquer lorsqu’on assiste, dès le premier épisode, à deux coïncidencesincroyables, le genre de chose qui n’arrive jamaisdans la réalité : le petit copain de l’une des jeunesfemmes se révèle être le père de l’enfant d’unedes autres, pendant qu’un amant de hasardapprend au petit matin à la leste héroïne avec quiil vient de coucher qu’il est son nouveau patron.Avec ça, dans un soap mexicain, on s’efforce defaire durer le suspense pendant au moins cinq ousix épisodes, mais Quelques Leçons n’est pas uneétude physiologique, ni du cinéma vérité, c’est unrécit tout à fait artificiel réalisé dans un style àl’authenticité trompeuse. Examinons d’un peuplus près l’articulation entre les quatre protago-nistes : la première est une femme seule qui rêved’un homme, la deuxième une mère célibatairedéçue par la gent masculine, la troisième unefemme mariée qui ne parvient pas à avoir d’en-fant, et la quatrième, mariée, mère de deuxenfants, ignore ce que signifie être heureuse. � 54

Parcours

Avec à son actif huitfilms (dont cinqdocumentaires),plusieurs prixnationaux et la mention spécialede la Caméra d’orrécompensantle premier long-métrage au Festival de Cannes en 2008, la réalisatrice russeValeria Gaï Guermanikan’est plus unedébutante malgré ses 28 ans. C’est avec Ils mourronttous sauf moi, un filmsans concession sur le quotidien de troislycéennes, que le publicrusse et européen la découvre vraiment,en 2008. Son nom estimmédiatement associéà l’anticonformismevoire à la provocation,mais aussi à cettemodernité russe qui allie la créativitéartistique et une formed’engagement citoyen.En 2010, sa premièresérie télé sur l’école,Chkola, n’a pas dérogé à cette règle. Qu’onl’adore ou qu’on ladéteste – chacun de ses films est l’occasiond’un déchaînement de commentairespassionnés dans les médias et sur lesréseaux sociaux –, nul ne peut nier que les films de Valeria Gaï Guermanikacontribuent au débatd’idées sur l’évolutionde la société russe.

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montagne qui crève les nuages, et qu’y fait le jardinier de l’empereur ?

L’impression de sérénité pittoresque estpresque immédiatement troublée par les réfé-rences subtiles mais indubitables à la violence, àla douleur et au deuil présentes dans les phrasessuivantes. Quelle relation unit la narratrice et lejardinier japonais ? Dès le deuxième paragraphedu récit, je me suis retrouvée totalement absor-bée par les personnages, captivée par leur his-toire, et en particulier par la façon dont leurs viesse croisent, pour finalement converger versYugiri – le jardin des brumes vespérales

Teoh Yun Ling, la narratrice, est uneancienne juge, à la retraite depuis deux ans. Ellese rend à Yugiri, dans les Cameron Highlands[dans le nord de la Malaisie], le jardin qui lui aété légué par Aritomo, le jardinier japonais. Voilàplus de trente-cinq ans, elle lui avait demandéde concevoir un jardin japonais en mémoire deYun Hong, sa sœur aînée, morte dans un campd’internement. Aritomo avait refusé mais l’avaitprise comme apprentie.

A présent âgée de plus de 60 ans, Yun Lingvient d’apprendre qu’elle est atteinte d’une mala-die qui la privera à terme de la capacité de com-prendre tout langage écrit ou parlé. La peur deperdre la mémoire et, de là, les liens qui l’unis-sent à Yugiri, à Aritomo et au passé décide YunLing à écrire le récit de sa vie. Nous remontonsainsi le temps jusqu’à l’époque de la MalayanEmergency [l’insurrection communiste déclen-chée en 1948 contre le colonisateur britannique],où Yun Ling fait la connaissance du jardinier etdevient son apprentie. Même si la période pré-cédant l’indépendance [1957] ne m’a jamaissemblé un décor passionnant pour un roman, jeme demandais bien comment un jardinier japo-nais allait s’inscrire dans cette partie de l’his-toire malaisienne.

Mort et renaissanceTan Twan Eng, qui vit actuellement au Cap, enAfrique du Sud, a expliqué lors de plusieursentretiens en Malaisie : “Le germe de ce récit, c’estune rencontre que j’ai faite avec un Japonais quiavait vraiment été l’un des jardiniers de l’empereurdu Japon. La fonction même de cet homme – jardi-nier de l’empereur – a eu une telle résonance en moique j’ai commencé à réfléchir sur ce que je pourraisfaire avec un tel personnage.”

Avec bonheur, le jardin d’Aritomo et l’art dujardin japonais en général se révèlent des méta-phores puissantes de plusieurs des thèmes duroman, en particulier celui de la mort et de larenaissance, ainsi que celui de la réalité et del’illusion. Ironie émouvante, Aritomo est nonseulement un instrument de guérison pour YunLing, mais le baume même qui soigne ses bles-sures psychiques.

Selon Tan, écrire “Le jardin des brumes ves-pérales” n’a pas été une mince affaire, entreautres “parce que Yun Ling veut à tout prix garderses secrets pour elle. Du fait de ce qu’elle a vécu etde ce qu’elle est devenue, nul n’a le droit d’entrerdans sa tête. Et en même temps elle souhaite – elledoit – révéler ces secrets. J’ai dû constammentbatailler pour qu’elle s’ouvre.” L’une des raisonspour lesquelles Tan a écrit ce livre, c’est parcequ’à ses yeux il est important de raconter deshistoires ayant pour toile de fond l’occupationjaponaise – “l’un des événements les plus trauma-tisants que nous ayons connus dans le passé”. Amon avis, raconter ces histoires, c’est recon-naître les souffrances vécues à cette époque et

prêter une voix aux victimes. On peut alorsespérer que ce récit représente un pas vers

le pardon et la réconciliation.Daphne Lee

* Ed. Myrmidon Books, Newcastle upon Tyne,2012. Pas encore traduit en français.

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Le livre

Le jardinierjaponais quisavait soignerles blessuresL’occupation japonaise durant la Seconde Guerre mondiale, la lutte anticoloniale, le souvenir et la guérison. L’auteur malaisien Tan Twan Eng nous invite à un voyagesur les terres de la mémoire.

The Star Petaling Jaya (Kuala Lumpur)

Sur une montagne, au-dessus des nuages,vivait jadis un homme qui avait été jardinier de l’empereur du Japon.” La première phrase de The Gardenof Evening Mists* [Le jardin desbrumes vespérales], le deuxième

roman de Tan Twan Eng, possède des échos deconte de fées, un côté magique qui intrigue etséduit. Qui est cet homme et pourquoi s’est-ilretiré si loin de chez lui ? Où se trouve cette

L’auteur

Né sur l’île de Penang,Tan Twan Eng, 40 ans,a vécu dans diversendroits de Malaisie,avant de partir étudierle droit à Londres. Il a d’abord travaillécomme avocatspécialisé dans lapropriété intellectuellepour un cabinet deKuala Lumpur, tout enconsacrant une partiede son temps libre à militer en faveur de la conservation du patrimoinearchitectural. Plusrécemment, il a décidéde sillonner le mondeet c’est au Cap, enAfrique du Sud, qu’il a rédigé The Garden of Evening Mists, son deuxième romanaprès The Gift of Rain,dont l’action se passeen Malaisie avant et pendant laSeconde Guerremondiale.

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La recherche du “simple bonheur féminin”est le fil conducteur de l’histoire. A travers mé -andres et rebondissements, il doit amener le spec-tateur au dénouement.

Rencontres et ruptures entre hommes etfemmes qui ne s’entendent pas et/ou n’arriventpas à se satisfaire, processus ininterrompu derecherche au cours duquel des contraires s’as-semblent parfois, avant de se séparer avec perteset fracas : le leitmotiv de la série, c’est la guerredes sexes, mais aussi l’union des contraires. C’esttout à la fois l’idée-force de cette série, son prin-cipal mérite et son plus gros défaut. Les signesextérieurs de richesse auxquels aspirent les quatrejeunes femmes – qu’il s’agisse de maroquineriede luxe ou de 4 x 4 dotés de numéros minéralo-giques de prestige comme le “999” – renvoient,tels des miroirs déformants, à l’indigence de leurquotidien, fait d’engueulades futiles avec leursproches et de prises de bec pleurnicheuses avecleurs copines. L’hyperréalisme des scènes, avecleurs terribles gros plans et le travail presquemaniaque des décorateurs, est constamment misà mal par le caractère stéréotypé des scènes, eton ne sait plus si c’est la vie qui imite le mauvaiscinéma ou l’inverse.

Terrible infantilisme !La bande-son de cette épopée tirée de la vie dejeunes secrétaires (métier qu’on leur imaginefaute de plus de précisions, car on ne voit quasi-ment rien à l’écran qui indiquerait exactementleur activité professionnelle) est constituée desuccès plutôt vulgaires de Zveri [Bêtes sauvages,groupe rock qui figurait déjà sur la bande-son deIls mourront tous sauf moi], Timati [rap], Eva Polnaet du rappeur Siava. Quant au partenaire de Guer-manika, cinéaste alternative et provocatrice s’ilen est, il n’est autre que le “parrain” du businesstélé russe, Konstantin Ernst [directeur de la pre-mière chaîne], qui semble l’avoir adoptée.

On verra, une fois la diffusion terminée, cequi sera sorti de ces bizarres hybridations. Pourl’instant, une tendance intéressante se dessine :les quatre héroïnes, si différentes, affublées dedestins tellement divergents, se comportent parfois comme les personnages de L’Ecole [pré -cédente série télé de la réalisatrice] ou de Ils mourront tous sauf moi [son premier long-métragede fiction, mention spéciale de la Caméra d’or àCannes en 2008] : des lycéennes malheureuses,complexées, qui rêvent d’un bonheur chimérique,feignent un profond cynisme et se prennent par-fois de sacrés coups sur la figure. C’est sans douteparce qu’elles composent une sorte d’autopor-trait, et que chacune renvoie à une facette de laréalisatrice. Reste à voir si, à la fin, elles devien-dront vraiment quatre personnalités indépen-dantes, même imaginaires, mais aussi vivantes ethautes en couleur que Guermanika elle-même.

Sa nouvelle fiction n’est pas si éloignée desprécédentes. C’est encore un récit d’apprentis-sage, un drame (une comédie ?) sur le passage àl’âge adulte. Dont le principal obstacle est l’in-fantilisme, problème clé de la société russe.

Pour finir, j’oserais souhaiter à Guermanika,cinéaste remarquablement douée, non pas dusuccès mais un échec. Pas sur le plan artistiquebien sûr, mais commercial : de faibles audiencestélé et des critiques tièdes. D’une part parce queles talents en herbe ont plus besoin d’échecs quede lauriers et d’autre part parce que son associa-tion avec la télévision n’a que trop duré. Il esttemps qu’elle revienne au cinéma et qu’elle tourneun nouveau long-métrage. M. Ernst pourraitmême le produire, cela lui donnerait une chanced’atterrir dans tous les cinémas de notre grandpays, mais aussi à l’étranger, comme à Cannes,où a été lancée la carrière de Valeria Gaï Guer-manika. Anton Doline

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Insolites

Photo 1 : le patriarche russe Kirill porteune montre luxueuse au poignet.Photo 2 : la Breguet valant quelquesdizaines de milliers d’euros a disparu,mais l’objet se reflète encore sur lebois verni de la table. Ce clichéretouché publié sur le site officiel del’Eglise orthodoxe russe s’est répanducomme une traînée de poudre dans la blogosphère, le 29 mars, quand desinternautes se sont aperçus de cettemalencontreuse manipulation Photoshop.Face à ce tollé, rapporte le MoscowTimes, le patriarcat de Moscou s’estfendu d’excuses officielles, dénonçantvia Interfax une “erreur absurde du

service photographique”. C’est “ungrave manquement à nos principesmoraux”, clame-t-il dans ce communiqué.Sur les ondes de Vesti FM, quelquesjours plus tôt, Kirill criait au montage.“Il y a beaucoup de gens qui nous fontdes cadeaux. Et souvent il y a desboîtes qu’on n’a jamais ouvertes et onne sait pas ce qu’il y a dedans. Et j’aidécouvert en effet qu’il y avait uneBreguet, (…) mais je ne l’ai jamais portée.”Selon l’agence ukrainienne Unian.info,l’objet du scandale, aperçu pour lapremière fois en 2009 au poignet duprélat, est un modèle appelé “le Réveildu tsar”, à 30 000 dollars prix catalogue.

En Chine rurale, on ne plaisante avec l’au-delà. Après plus de soixante ans de pouvoircommuniste, le festival de Qingming esten plein renouveau. Honorer l’âme desancêtres disparus est un des premiersdevoirs filiaux en Chine, et la fête des morts,célébrée quinze jours après l’équinoxe, estl’occasion d’entretenir les tombes des dis-parus. C’est également la meilleure périodepour les “mariages de fantômes” et l’époquela plus lucrative pour les pilleurs de tombes. Le mariage de fantômes (minghun) est unetradition vieille de trois mille ans, particu-lièrement répandue dans le nord de laChine. La plupart des familles dont un desmembres est mort célibataire cherchentun “conjoint fantôme” pour leur disparu,explique Huang Jichun, chercheur à l’uni-versité de Shanghai. Les corps des deuxdéfunts sont alors enterrés ensemble aucours d’une cérémonie à mi-chemin entremariage et enterrement. Les fantômesn’étant plus solitaires, la famille peutrenouer avec la bonne fortune. En févrierdernier, dans le comté de Guangping,province du Hebei, un jeune homme de18 ans, Liu, mort d’une maladie cardiaque,a “épousé” Wu, une jeune femme de17 ans décédée d’une tumeur au cerveau.

La famille Liu a payé 35 000 yuans(4 200 euros) pour la dépouille de Wu,une somme considérable pour unefamille de paysans de la province duHebei, où le revenu moyen tourneautour de 5 000 yuans par personne etpar an. Les deux jeunes gens, qui ne sesont jamais connus de leur vivant, ont étéenterrés ensemble et des raviolis ont étédispersés sur leur tombe. Leur lune de mielfut toutefois de courte durée : la tombe aété rapidement profanée et le corps de Wurevendu pour un autre mariage de fan-tômes dans une autre province.“J’espère que les voleurs seront condamnés àmort ou au moins à vingt ans de prison”,déclare la mère de Liu, debout sur le seuilen terre battue de sa maison. Le commercede dépouilles féminines est florissant dansces zones rurales pauvres. Les corps sontgénéralement fournis par des intermé-diaires et le prix des dépouilles fraîches agrimpé d’au moins 25 % au cours des cinqdernières années. Il atteint aujourd’hui50 000 yuans. L’année dernière, un journalchinois a accusé de riches patrons de minesde charbon d’avoir fait monter le prix desdéfuntes épouses jusqu’à 130 000 yuans.En 2010, un réseau de pilleurs de tombes a

été démantelé dans la province du Hebei.Ses membres avaient profané des dizainesde sépultures dans la région et engrangédes centaines de milliers de yuans de profit. Les mariages de fantômes ont toujours étécontroversés. Sous le régime de Mao, cettecoutume était considérée comme unesuperstition et strictement interdite. Pourle chercheur Huang, la renaissance de cettetradition est en partie due à la croissanceéconomique de la Chine. Les familles depaysans vivent mieux aujourd’hui et ont lesmoyens de payer au prix fort une épousepour leurs défunts. Le commerce decadavres assure désormais une offre régu-lière de corps frais qui ne fait qu’alimenterla demande. La famille Liu souhaite offrir le repos à sesfantômes. Après avoir arrêté quatre descinq malfaiteurs, la police a rendu ladépouille de Wu à la famille de Liu, son pre-mier défunt de mari. Se méfiant du fengshui de la première tombe, la famille en afait construire une seconde, en béton.Outre les offrandes de nourriture, ils ontaussi soigneusement planté un baifan, unbâton enveloppé de crêpe blanc supposéaider les époux sur le chemin du paradis. The Economist (extraits), Londres

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Mariages : le cours du cadavre monte

Une applicationau secours des baleines Pour sauver les baleines, sortez votreiPhone. Une nouvelle applicationindique aux marins l’emplacement descétacés en temps quasi réel. Objectifde Whale Alert : éviter les collisionsavec ces mammifères géants. Plusd’un tiers des baleines franches del’Atlantique Nord tuées entre 1970 et2007 ont été embouties par des bateaux,or il ne reste que quelque 400 baleinesnoires dans le monde, indique lemagazine Wired. Whale Alert fonctionnegrâce à un système GPS et à des bouéesacoustiques qui détectent le chant descétacés. L’emplacement de la baleinepar rapport au navire apparaît sur unecarte marine électronique, engageantle capitaine à ralentir ou à se dérouter.Cette application, qui fonctionne aussisur iPad, est destinée aux bateaux decroisière et aux cargos qui croisent

dans les eaux d’Amérique du Nord. Plusles navires vont vite, plus les collisionsrisquent d’être fatales. “Lors d’un heurtavec un grand navire, une baleine peutrester empalée sur le bulbe d’étravejusqu’à l’accostage du bateau. Ce dernier subit alors une réductiond’allure et un retard. En outre, un animal mort de quarante tonnespose de graves risques sanitaires et doitêtre éliminé rapidement, aux frais duport concerné et selon des méthodestrès coûteuses”, précise l’associationscientifique Souffleurs d’écume.

Du bling-bling pas très orthodoxe

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