restricted eu
TRANSCRIPT
« Les facteurs de création ou de modification
des processus de radicalisation violente,
chez les jeunes en particulier »
Une étude réalisée par CEIS pour la Commission Européenne
(Direction Générale Justice Liberté et Sécurité)
Directeur de Mission : Axel DYEVRE ([email protected])
Auteure du rapport & Directrice scientifique de l’Etude : Selma BELAALA
Prestation réalisée sous système de management de la qualité certifié AFAQ ISO 9001 : 2000
Compagnie Européenne d’Intelligence Stratégique (CEIS)
Société Anonyme au capital de 150 510 € - Siret : 414 881 821 00022 – APE 741 G
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
280 bd Saint-Germain – 75007 Paris Tél. : + 33 1 45 55 00 20 Fax : + 33 1 45 55 00 60
Rapport final - Page 1
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 2
Disclaimer / Avertissement
This study does not necessarily reflect the opinions and views of the European Commission or of CEIS,
nor are they bound by its conclusions.
Cette étude ne reflète pas nécessairement les vues et opinions de la Commission Européenne ou de CEIS
et ses conclusions n’anticipent pas forcément de leurs actions futures.
Copyright clause / Clause de Copyright
Reproduction is authorised, except for commercial purposes, provided the source is acknowledged
and the following text accompanies any reproduction: ‘This study has been produced by CEIS for the
European Commission (Directorate General Justice, Freedom and Security). This study does not
necessarily reflect the opinions and views of the European Commission or of CEIS, nor are they
bound by its conclusions.’
La reproduction de cette étude est autorisée pour des objectifs non-commerciaux, à condition de citer la
source et d’accompagner toute citation ou reproduction de texte suivant: „Cette étude a été réalisée par
CEIS pour la Commission Européenne (Direction Générale Justice, Liberté et Sécurité). Cette étude ne
reflète pas nécessairement les vues et opinions de la Commission Européenne ou de CEIS et ses
conclusions n’anticipent pas forcément de leurs actions futures.“
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 3
Table des matières
1. Introduction .............................................................................................................................9 1.1 L’équipe de recherche ........................................................................................................9
1.1.1 Objectifs de l’enquête.....................................................................................................................9 1.2 Rappel des termes de références de l’étude ......................................................................9 1.3 Problématique .................................................................................................................10 1.4 Question sociologique et politique de la recherche.........................................................17 1.5 Étude du cadre social, culturel et politique local de la radicalisation. .............................18 1.6 Cadre théorique de la recherche ......................................................................................18 1.7 Les résultats de la recherche............................................................................................20
2. La méthodologie de collecte de données ..............................................................................22 2.1 Méthodologie et activités de collectes de données : la méthode d’ethnographie sociale de la radicalisation...................................................................................................................22
2.1.1 La relation d’entretien.................................................................................................................. 23 2.1.2 Première phase de l’étude : Terrain 1...................................................................................... 23 2.1.3 Deuxième phase de l’étude : Terrain 2 .................................................................................... 26
2.2 Nombre d’entretiens et de monographies au stade final de l’étude................................29 2.3 Les limites de la méthode ethnographique d’enquête sur la radicalisation islamiste .....29 2.4 La décomposition quantitative des entretiens de l’enquête par âge, niveau de formation scolaire et affiliation politique..................................................................................................32 2.5 La répartition nationale et régionale des entretiens et des monographies ......................33
3. Le cadre historique et politique de la genèse du salafisme djihadiste takfiriste...................35 3.1 L’émergence du salafisme djihadiste en Europe..............................................................35
3.1.1 La division au sein des djihadistes ............................................................................................. 36 3.1.2 Le retournement des djihadistes ................................................................................................. 37
3.2 Abu Qatada, Omar Bakri et Abu Hamza : « les faux Afghans » du Londonistan ..........38 3.2.1 La deuxième génération « d’Afghans » en Europe : les faux « Afghans »....................... 38
4. Déracinement et rupture par rapport à la tradition culturelle et religieuse............................40 4.1 La radicalisation islamiste est une idéologie de retour aux premiers temps de l’islam et de séparation vis-à-vis de la société ........................................................................................40
4.1.1 Le déracinement culturel : un socle sociologique commun aux radicaux islamistes étudiés 42 4.1.2 Effondrement des repères culturels et traditionnels chez les musulmans déracinés.......... 43 4.1.3 Echec de la transmission d’une tradition culturelle et religieuse........................................... 49 4.1.4 La remise en question de l’héritage culturel des primo-immigrants .................................... 50
4.2 Une individualisation impossible dans le cas des jeunes radicaux islamistes ...............51 4.2.1 Un sentiment d’échec individuel vis-à-vis de la société.......................................................... 51
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 4
4.2.2 Les femmes et la radicalisation .................................................................................................. 53 4.2.3 Repli identitaire et rupture du lien social ................................................................................. 58 4.2.4 Radicalisation et réislamisation .................................................................................................. 65
5. Le processus sociologique de la radicalisation islamiste violente : la fabrication de l’ennemi politique .......................................................................................................................................68
5.1 La question sociologique du passage à la violence ........................................................68 5.1.1 La régulation de la violence politique par les instances communautaires ou par le politico-sécuritaire...................................................................................................................................... 68 5.1.2 Une radicalisation à l’insu des acteurs ...................................................................................... 68 5.1.3 L’importance et le rôle joué par l’encadrement politique par le haut................................ 69
5.2 Effondrement des cadres de socialisation politique dans les quartiers des radicaux islamistes..................................................................................................................................73 5.3 L’ennemi proche : la dissidence avec les musulmans « renégats ».................................83 5.4 L’ennemi politique des radicaux violents : la nation, l’Etat et la société .........................89
6. Recommandations ................................................................................................................96 7. Glossaire des termes arabes employés ..............................................................................100 8. Liste des annexes (entretiens et monographies) .................................................................102 9. Références bibliographiques...............................................................................................111 10. Référence des citations dans les annexes ........................................................................114
Nota : dans le texte, les notes en chiffres romains (I,II,III, IV…) renvoient aux références des citations dans les annexes, partie 9 du rapport. Les notes de bas de pages sont en chiffres européens (1,2,3,4…)
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 5
NOTE DE SYNTHESE
Cette étude constitue le premier volet sociologique d’un triptyque dont les autres termes portent sur
le discours et le recrutement. Elle se limitait à tenter de comprendre les facteurs de radicalisation des
jeunes en Europe en choisissant deux populations tests (de jeunes radicaux et de jeunes radicaux
violents) sur trois pays ayant connu des attentats islamistes sur leur sol (la France en 1995, l’Espagne
en 2004 et la Grande-Bretagne en 2005).
Le défi a consisté, pour l’équipe composée de six chercheurs (la directrice de recherches, deux
Français, deux Espagnols et un Anglais) à réaliser environ 150 entretiens avec les radicaux islamistes
en Europe., pour lesquels plus de 300 personnes ont été sollicitées et rencontrées. Ce travail
d’ethnographie réalisé pour la première fois dans le monde de la recherche sur les islamistes violents
a porté sur des entretiens semi-directifs réalisés sur le terrain. Il a été rendu possible par un travail
d’immersion dans le mouvement radical mené par nos chercheurs depuis de nombreuses années. Les
groupes idéologiques islamistes que nous avons interviewés sont les Frères musulmans, les salafistes,
les tabligh (les missionnaires islamistes) pour la population des radicaux pratiquants, les takfiristes
(idéologie de l’apostasie et de l’anathème) et les djihadistes pour les radicaux violents
La problématique de l’Etude
La radicalisation islamiste est souvent assimilée dans le débat public et dans l’expertise généraliste
à un phénomène religieux, l’islam rigoriste en l’occurrence. Deux grandes écoles scientifiques ont
traité de cette question :
- l’école qu’on pourrait qualifier de « sécuritaire » qui aborde la radicalisation sous l’angle du
terrorisme
- l’école néo-orientaliste qui considère que la radicalisation est une résurgence rigoriste de
l’islam traditionnel ancien.
Nous nous différencions de ces démarches et nous nous inscrivons dans une approche de sociologie
intégrant la dimension historique, politique, culturelle et sociale des militants et des adeptes
rencontrés. L’étude a montré que la radicalisation violente, était en fait le résultat d’une double
rupture avec le milieu familial et vis-à-vis de la communauté nationale, et qu’elle visait à la
construction d’une identité politique plutôt que religieuse. D’autre part le processus qui a mené
certains à la violence est un continuum déjà en germe au plan idéologique. Il se construit sur une
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 6
rupture avec les proches et les coreligionnaires qualifiés de « faux musulmans », avec le reste de la
communauté nationale qualifiée « d’impie », et sur une vision millénariste du passé de l’Islam et des
conflits dans le monde musulman.
Nos entretiens et monographies menés avec les radicaux et les radicaux violents montrent que ces
derniers sont en rupture avec la tradition religieuse de leurs communautés et de leur pays d’origine.
En somme la radicalisation islamiste marque une rupture et une décomposition de la tradition
culturelle de leur milieu d’origine et ne constitue pas une résurgence de celle-ci comme l’affirment
certains travaux.
Comment distinguer la radicalisation de la radicalisation violente ?
Certains islamistes tels les Frères musulmans et les tabligh ont déclaré à l’issue des attentats de
Madrid et de Londres qu’ils dénonçaient le terrorisme et le considéraient comme un crime. Comment
distinguer au plan politique et idéologique les radicaux des radicaux violents ? Cette question est au
cœur de notre travail et a été le fil conducteur de notre recherche sur le terrain.
Nous avons volontairement distingué lors de notre enquête d’un côté les radicaux en première étape,
puis les radicaux violents en deuxième étape. Il s’est avéré alors qu’il existait un continuum
sociologique et idéologique entre les radicaux et les radicaux violents. L’appel à un retour aux
premiers temps de l’islam et à une rupture avec la société était présent chez les deux courants.
Toutefois les radicaux comme les Frères musulmans et les Hizb ut-tahrir appellent à une séparation
au plan des mœurs, des pratiques culturelles (vestimentaires) et donnent à la rupture avec la société
en place un sens social tout en acceptant les institutions des pays d’accueil (justice, armée, parlement,
législation). Dans le cas des radicaux violents, la rupture avec la société et le processus de
séparation sectaire visent à isoler le jeune et à lui attribuer une identité politique originale,
historique en rupture avec celle de ses parents. Cette rupture est également sociale, par rapport à
la société d’accueil et d’origine (Maroc, Algérie, Pakistan, Inde, Bengladesh…) et politique en
dissidence avec les institutions politiques en place, comme on le constate dans les phénomènes
idéologiques sectaires. L’enjeu central de la radicalisation violente islamiste est de transformer l’Etat-
Nation et les valeurs de la modernité politique en une entité ennemie qu’il faut anéantir. Il s’agit
d’un des ressorts de l’inimitié qui oppose le jeune radical violent au plan idéologique aux sociétés
européennes mais également aux sociétés et régimes arabo-musulmans qualifiés « d’hypocrites »
par les leaders comme Oussama Ben laden et Ayman Zawahiri.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 7
Le passage à la violence, stade ultime du processus, vient au terme de ce parcours et associe la
rupture sectaire des jeunes déculturés à un antagonisme vis-à-vis des valeurs historiques, politiques,
culturelles de la société des impies.
L’étude, qui a permis de couvrir des profils socioculturels, historiques et ethniques différents
(Bangladeshis,, Pakistanais, Maghrébins, Somaliens…), a montré la grande similarité des processus
de radicalisation. Elle a démontré également que la perte ou l’absence de références culturelle et
politique conduisait dans un contexte d’isolement micro-local des communautés ou des jeunes1 ou
régional2 à des perceptions déformées des conflits armés dans le monde musulman. Les radicaux
issus de la délinquance se radicalisent en donnant une justification politique aux pratiques de vol, de
prédation, de violence sociale, et à leurs victimes un statut d’ennemi politique. La radicalisation
devient dans ce cas la justification idéologique et politique du contrôle par ces derniers d’un quartier
et de ses ressources.
Dans le cas des jeunes diplômés considérés comme intégrés par le sens commun, qui ont rejoint des
groupes radicaux, on constate qu’ils rejettent les valeurs culturelles et historiques des Etats-Nations
européens car ils prennent conscience (soit à l’occasion d’un échec, soit à l’occasion d’un acte de
xénophobie) qu’ils n’ont pas d’ancrage dans les valeurs culturelles et nationales dans les pays
d’accueil. Dans ce cas le sentiment d’échec historique collectif et de menace voire de péril de
l’identité et de communauté musulmane devient un facteur de repli identitaire et de dissidence. On
ne peut comprendre l’adhésion à une communauté impériale, la oumma, dans le cadre de
l’islamisme, et l’appel au rétablissement du Califat, l’Empire perdu islamiste qu’à partir de la réalité
géopolitique contemporaine. Les franges qui se sont exilées depuis deux générations en Europe sont
le résultat historique de la marginalisation collective de certains d’entre eux au sein de l’Etat-nation
dans le monde arabe et musulman. Ce sont au sens étymologique et sociologique des « déculturés ».
L’expansion de l’islamisme en Europe est l’expression d’un repli identitaire et d’un sentiment
d’islamophobie dans le cas des jeunes rencontrés.
Compte tenu de la croissance actuelle du mouvement il est encore prématuré de parler de
phénomène de déradicalisation ou de désengagement. Ce processus reste dans le cas de
l’échantillon étudié un fait individuel et n’affecte pas pour l’heure le mouvement islamiste en Europe
de manière massive.
1 La cité des 4000 dans le banlieue parisienne, Crawley en Grande-Bretagne 2 Ceuta et Mélilla
Eléments de recommandations
Les quelques recommandations énoncées à la fin de l’étude, sont destinées à la Commission et non à
un niveau national. Elles se situent donc dans des domaines où l’intervention de la Commission et du
Conseil peut aider le niveau national et régional à mettre en œuvre des mesures de prévention :
- L’enseignement de la langue d’origine est essentiel pour communiquer avec les parents et
pour accéder aux textes universels de la civilisation du monde musulman. Il apparait en
effet que les jeunes ne sont que peu ou pas informés du passé politique et religieux de leurs
parents dont la place dans la société d’accueil n’a jamais fait l’objet d’un enseignement
autrement qu’à travers le prisme colonial par exemple. Dans la démarche de radicalisation,
les proches sont souvent considérés comme de « mauvais musulmans » première étape vers la
rupture et le rejet de la famille ou de la communauté chez les jeunes adeptes.
- Un appui aux publications scientifiques dédiées à l’étude du monde musulman et islamique
nous est également apparu indispensable. En effet, les publications sur lesquelles s’appuient
les propagandistes radicaux doivent être regardés comme des ouvrages de propagande y
compris par rapport à la tradition religieuse musulmane (méconnaissance et distorsion des
textes, anachronisme des analyses…). Il importerait donc que soient aidés des publications
scientifiques aussi bien pour les jeunes à la recherche d’une identité dans laquelle leur
religion familiale joue un rôle central, mais aussi pour les citoyens d’UE qui veulent tenter de
comprendre cette culture.
- Il convient d’élargir le plus possible la représentation des minorités musulmanes aux autres
courants culturels et cultuels de l’islam. On constate à peu près partout une surreprésentation
des courants radicaux (Frères musulmans, tabligh et déobandis dans les instances
représentatives des musulmans en Espagne, en France et en Grande-Bretagne).
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 8
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 9
1. Introduction
1.1 L’équipe de recherche
Le présent rapport est composé de deux volumes. Le premier porte sur l’analyse des résultats
de l’enquête dans le cadre du « Rapport final ». Le deuxième volume appelé « Annexes du rapport
final » comprend les résultats empiriques, les entretiens et les monographies qui ont été
intégralement restitués dans ce document.
Selma Belaala est auteure du Rapport et directrice scientifique de l’Etude
Elle a écrit le rapport initial et le rapport intermédiaire, dirigé sur le terrain les travaux de l’équipe
de chercheurs.
Jordi Moreras a réalisé les entretiens et les monographies en Catalogne. José Maria Irujo a réalisé
une partie des entretiens en Espagne.
En Grande-Bretagne, Wendy Kriastianasen a eu la charge d’une enquête empirique dans la
province anglaise tandis qu’un deuxième chercheur a enquêté dans les milieux djihadistes à Londres
et à Birmingham. Ce dernier a demandé l’anonymat dans le cadre de cette étude.
Les entretiens en France ont été réalisés par Pierre Nicolas.
1.1.1 Objectifs de l’enquête
Les objectifs de l’enquête fixés à 120 entretiens ont été atteints en dépit de la difficulté
rencontrée par l’enquête. En effet, l’équivalent de 150 entretiensi ont été réalisés à la date de 5
septembre 2007. Plus de 300 islamistes ont été contactés dans le cadre de cette étude.
Il est question dans le présent rapport d’expliciter la problématique de l’étude, la
méthodologie de collecte de données, et de restituer l’analyse du processus de radicalisation chez
les jeunes en Europe. Les recommandations proposées à la fin de ce rapport permettent d’élaborer
les principaux axes de travail politiques de cette recherche.
1.2 Rappel des termes de références de l’étude
Selon les termes de référence, les facteurs qui peuvent engendrer ou modifier des processus
de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier faisant l’objet de l’étude sont :
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 10
La légitimation de l’engagement radical : cette problématique rejoint la dimension subjective de
l’identité partagée au sein d’une communauté, d’appartenir à un groupe, sentiment de défendre la
même cause, les mêmes valeurs.
L’erreur d’interprétation des textes : impact de la propagande et de l’idéologie radicale
Le sentiment d’exclusion, la xénophobie et l’islamophobie : ces éléments contribuent-ils, et dans
quelle mesure, à la radicalisation ?
L’apparition d’opinions radicales chez les adolescents : quelles politiques éducatives et culturelles
possibles (sachant que l’adolescence est un âge où le jeune est plus vulnérable et réceptif aux idées
radicales violentes)
L’analyse approfondie des motivations psycho-sociales et socio-économiques : sentiments
d'humiliation, traumatismes, exclusion sociale, absence d'intégration, désillusions, discrimination et
injustice (perçus ou réels),
Chez les jeunes en particulier : échec scolaire, chômage et délinquance, influence extérieure (rôle
d’Internet et de la « cyber prédication, pression des pairs, du « leader charismatique », du quartier,
etc.)
L’environnement particulier qui pousse des jeunes à se raccrocher à de puissantes idéologies
subversives qui prêchent la violence sous toutes ses formes.
Les différences pertinentes entre les sexes, en termes d'influences extérieures sur les processus de
radicalisation, seraient également un aspect intéressant à étudier.
L'analyse des manifestations de tendances radicales violentes sans oublier de traiter le cas des
jeunes qui sont revenus sur leur engagement et ont quitté la radicalisation – violente ? Mettre en
lumière les différences sociologiques entre les radicaux et les radicaux violents.
La rupture par rapport à la famille : mémoire collective, rapport au père, transmission culturelle
dans le cas des jeunes radicaux ( le mode de transmission du patrimoine culturel familial ).
1.3 Problématique
Les travaux spécialisés sur la radicalisation islamiste et la violence en Europe sont composés
de trois approches principales. La première, sécuritaire (approche opérationnelle3), la seconde,
3 Cette approche du djihadisme appréhende ce type de mouvement politique violent à partir de certaines de ses manifestations opérationnelles dont le terrorisme, voir dans ce cas Jean-Luc MARRET, Les modes d'action terroristes, Questions internationales, juillet-août, 2004. L’approche sécuritaire du djihadisme est souvent limitée par les sources et les données car les recherches se restreignent aux sources fermées. Nous déplorons dans ce cas l’existence d’enquêtes sociologiques menées directement auprès des acteurs par les experts eux-mêmes. Dans ce cas la plupart des publications ne disposent pas ou peu de concepts analytiques de sciences sociales sur la radicalisation islamiste (sur le plan historique,
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 11
doctrinale4 (néo-orientaliste) et la troisième, sociologique. Notre étude s’inscrit dans la dernière
approche et s’appuie exclusivement sur l’enquête d’ethnographie sociale5. Elle se distingue de
l’approche sécuritaire qui porte davantage sur la radicalisation islamiste vu à partir du prisme des
études du terrorisme6. Nous souhaitons montrer à partir d’une approche sociologique de la
radicalisation violente islamiste que celle-ci est l’expression d’une identité politique qui a recours à la
violence sous diverses formes et qui ne peut être l’expression d’un phénomène opératoire comme le
terrorisme seulement. Certaines études7 sur la radicalisation reposent exclusivement sur des rapports
« autorisés »8 ou encore de sources fermées des services de renseignement. A la différence de ces
travaux, nous souhaitons montrer à travers notre étude que l’enquête ethnographique sur la
radicalisation islamiste est tout à fait possible à partir des sources ouvertes tout en participant de
manière modeste à la compréhension des phénomènes politiques de décompositions des identités
culturelles et historiques chez les jeunes en Europe dans un contexte de déculturation extrême.
La deuxième approche, néo-orientaliste associe, selon nous, de manière exclusive la
radicalisation de certains jeunes issus des minorités musulmanes en Europe à la tradition musulmane9
sunnite. Dans ces derniers travaux, où cette radicalisation est indirectement confondue avec l’islam10,
on distingue deux tendances : la première postule que le salafisme constitue l’embryon d’une société
civile11 locale dans les quartiers et dans la périphérie, en Europe par exemple. La faiblesse de cette
politique, sociologique et philosophique). Celle-ci est analysée sur un seul plan opérationnel et est décontextualisée. Le cadre politique, identitaire, social, historique des djihadistes est rarement étudié dans ce cas. Voir à ce titre d’exemples, Javier JORDAN and Robert WESLEY, « The threat of grassroots jihadi networks in Ceuta ». The Jamestown fondation, Volume 5, February 15, 2007. www.jamestown.org. Andrew BLACK, “The reconstituted Al-Qaeda threat in the Maghreb”, Jamestown fondation, February 1, 2007, Volume 5. www.jamestown.org. Enfin dans le cas de la Grande-Bretagne on peut citer dans l’approche sécuritaire à titre d’exemples les travaux publiés de Melanie PHILLIPS, Londonistan. How Britain is creating a terror state within, London : Gibson Square, 2006. Toutefois l’approche sécuritaire est efficiente dans le cas de l’approche sociologie des politiques sécuritaire (Europol, Eurojust, politique intérieure, asile, immigration, infrastructure de protection, bases de données et biométrie en Europe, ELISE) à partir d’une approche de relations internationales ou encore de sociologie de la sécurité voir à tire d’exemple le programme Challenge, Liberté et sécurité. www.libertysecurity.org. Voir aussi l’approche juridique intéressante de la lutte antitérroriste « Terrorisme et contre-terrorisme : la guerre perpétuelle », Esprit, aout-septembre 2006. 4 Richard BONNEY, Jihâd from Qurân to bin Laden, New York : Palgrave, 2004. Voir également Anne-Marie DELCAMBRE, L’Islam des interdits, Paris : Desclée de Brouwer, 2003. 5 Olivier ROY, L’islam mondialisé, Paris : Seuil, 2003. 6 Sur la formation du « concept » nommé le « 11 septembre » voir Jacques DERRIDA et Jurgen HABERMAS, Philosophy in a Time of Terror, Chicago : The University of Chicago Press, 2003. 7 Rohan GUNARATNA, Inside al Qaeda, Global Network of terror, London : Hurst, 2002. 8 Mélanie PHILLIPS, Londonistan…, op.cit. 9 Les musulmans représentent 5% de la population de l’Union européenne et constituent ainsi entre 14 et 17 millions vivant dans les principaux pays européens. Voir Jocelyne CESARI et Sean MCLOUGHLIN, European Muslims and the Secular State, Ashgate : Aldershot, 2005. 10 Vincenzo OLIVETI, Terror’s source, the ideology of wahhabi-salafism and its consequences, Birmingham : Amadeusbooks, 2002. 11 Du même auteur, Samir AMGHAR, « Les salafistes français : une nouvelle aristocratie religieuse », Maghreb-Machrek, 2005, n° 183.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 12
lecture, est que le discours des radicaux est tenu pour « acquis »12, sans recoupement ou observation
vis-à-vis des modes d’action et des pratiques des salafistes radicaux. Autrement dit, la propagande
du tabligh ou des salafistes appelant « à un retour à l’islam authentique » est interprétée dans
certains travaux13 comme une « réforme » religieuse en direction d’une jeunesse désocialisée, victime
de la drogue, de la délinquance et du crime organisé dans les marges de société et dans les
banlieues.
Or les pratiques de ces groupes montrent au contraire une action politique d’isolement, de
rupture des adeptes vis-à-vis de la société en général et des éléments socialisants en particulier, tels
l’école, le travail, la famille et la majorité non musulmane14. De manière implicite, la radicalisation
est confondue dans ces publications avec l’islam traditionnel et la sociologie religieuse de l’islam
amalgamée avec une idéologie politique contemporaine.
Si l’on adopte une lecture néo-orientaliste de la radicalisation et de la radicalisation violente,
on constate une confusion entre, d’un côté, le discours djihadiste, de l’autre, le corpus textuel des
Anciens. Bien avant l’émergence du salafisme djihadiste, des islamologues européens avaient étudié
le salafisme orthodoxe traditionnel à partir des textes anciens et avaient à cette occasion pointé les
ruptures majeures avec le salafisme wahhabite et le salafisme réformiste égyptien. Ainsi, les
communiqués d’Ayman al-Zawahiri et d’Abu Qatada, diffusés à Londres de 1994 à 2002, sont
considérés par ces publications comme un corpus « religieux» au même titre que les textes des clercs
et ceux de la jurisprudence orthodoxe islamique du XIIIe siècle. La continuité historique,
philosophique et politique suggérée dans cette approche est un contresens récurrent dans une partie
de l’expertise généraliste et universitaire sur la radicalisation islamiste. Pour éviter ce type d’écueil
méthodologique, notre approche intègre une comparaison entre les publications de la propagande
radicale djihadiste actuelle, la tradition culturelle et religieuse musulmane et les textes des Anciens
qui furent au cœur de la philologie et de l’islamologie européenne au début du XXe siècle.
Nos recherches révèlent une rupture centrale entre les radicaux islamistes modernes et les
jurisconsultes de l’Islam médiéval, comme Ibn Taimiya dont se revendiquent les djihadistes
aujourd’hui. Il s’agit pour nous de montrer que cette rupture, au cœur du décalage et de la
méconnaissance des textes anciens chez les jeunes islamistes radicaux en Europe, aujourd’hui, est
12 Voir au sujet de la doctrine d’Ibn Taimiya le contresens dans l’ouvrage de John L. ESPOSITO, Terror in the name of islam, New York : Oxford, 2002. 13 Samir AMGHAR, « Le salafisme en Europe : la mouvance polymorphe d’une radicalisation », Politique Etrangère, 2006, printemps, n°1. 14 Selma BELAALA, « Les nouveaux concepts de l’islamisme radical, ethnographie des Mouhadjiroun dans la banlieue de Londres », Etudes et recherches pour le Centre d’Etudes et de Relations Internationales (CERI), Paris : FNSP, 2005.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 13
aussi l’expression d’un schisme politique entre le salafisme radical contemporain et la tradition
religieuse malékite dans le cas des Maghrébins ou des soufis indo-pakistanais.
A travers l’étude des modalités sociales, culturelles et politiques actuelles des jeunes
radicalisés, nous montrerons qu’au plan sociologique cette idéologie appelle à la dissidence, y
compris avec les minorités ethniques dont sont issus les jeunes.
De plus, l’approche sécuritaire et l’approche néo-orientaliste n’abordent pas le substrat
anthropologique des individus islamistes radicaux dans le contexte où ces derniers agissent. L’étude
des interrelations et du vécu des radicaux dans la société actuelle constitue souvent le point aveugle
de ces approches. Pour cette raison, il nous a semblé important d’intégrer les différents niveaux
sociaux15, culturels, politiques et géographiques dans l’étude de ces jeunes qui ont adhéré aux idées
des groupuscules armés, telle la doctrine de l’apostasie (a-takfir), et qui ont rejoint les mouvements
djihadistes issus du GIA (algérien), du GICM ou encore du GSPC (algérien).
On constate en Grande-Bretagne, dans le cas de jeunes hommes ayant appartenu aux
groupes d’al Qaïda, une appartenance préalable, à un moment donné de leur radicalisation, à
l’organisation al Mouhadjiroun. Il s’agit pour nous d’étudier la radicalisation islamiste comme un
mouvement politique auquel participent différents courants et différentes franges sociales, ethniques
et politiques. De la même manière, le djihadisme et le salafisme radical mobilisent différentes
franges sociales, des délinquants issus de la banlieue à de jeunes diplômés de Hizb a-tahrir ou
encore à des « convertis », européens de souche. Notre approche sociologique étudie la
radicalisation comme un vaste mouvement dans lequel le tabligh et les salafistes constituent les
soutiens tandis que les djihadistes constituent le noyau dur. Une vision d’ensemble permet de mieux
comprendre les relations entre les différentes composantes du mouvement radical dans sa frange
terroriste ou encore sectaire en Europe.
Enfin, les travaux universitaires sur la radicalisation réalisés par Olivier Roy permettent de
saisir le phénomène de l’islamisme radical en Europe comme un mouvement idéologique à travers
lequel se pose le problème de l’échec de l’individualisation, de l’acculturation et de la recomposition
identitaire16. Dans la continuité de ces travaux, il est indispensable de poser la question de l’échec
de l’intégration politique des jeunes radicaux issus des minorités musulmanes en Europe. Ce
15 Michel WIEVIORKA, “The making of terrorism”, Chicago University of Chicago Press. Voir également du même auteur, « La violence : voix et regard », Paris : Balland, 2005 16 Dans le cas du processus d’individuation, c’est la psychologie sociale de l’individu qui nous intéresse et non l’approche psychologisante, voir dans ce cas l’étude de Marc SAGEMAN, « Understanding terror networks », Philadelphia : University of Pensilvania Press, 2004.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 14
problème est important pour nous car il pose la question politique du sentiment d’exclusion des
jeunes, problème qui semble jouer un rôle central dans le processus de radicalisation.
Dans notre approche, l’identité politique collective des radicaux et des musulmans en France
et en Grande-Bretagne pose la question de l’historicité de l’immigration issue des pays musulmans
dans le mouvement ouvrier en Europe, les travailleurs pakistanais des industries du textile à Leicester
ou encore les ouvriers algériens des usines Renault en France. Les cadres sociaux de la mémoire
collective des minorités musulmanes en Europe sont au cœur de notre approche. Il s’agit de
comprendre en quoi les jeunes radicaux sont en rupture avec ces cadres et de déterminer le lien
entre, d’une part, la désagrégation de cette identité historique des jeunes musulmans en Europe,
d’autre part, l’adhésion de ces derniers au salafisme ou encore au tabligh.
L’approche anthropologique que nous adoptons dans l’examen du substrat culturel des
adeptes salafistes et des activistes djihadistes nous a amené également à poser la question de la
mémoire collective et à intégrer les travaux d’historiens, d’anthropologues et d’ethnologues sur les
groupes culturels et les quartiers dont sont issus les radicaux. Nous voulons comprendre pourquoi des
jeunes français, britanniques ou espagnols partent dans des pays comme l’Egypte, la Syrie, le
Yémen ou l’Arabie Saoudite en quête d’une identité politique nouvelle, alors qu’ils ne parlent pas la
langue de ces pays et ignorent souvent les us et coutumes et les pratiques politiques de ces sociétés.
Nous montrerons que le salafisme radical en Espagne, en France et en Grande-Bretagne
pose le problème de l’enracinement dans l’histoire européenne. L’idéologie radicale islamiste est
souvent considérée, par de nombreux experts, de manière biaisée, comme un mouvement religieux à
part entière et comme l’expression d’une continuité doctrinale avec la tradition orthodoxe musulmane
du XIIIe siècle. En réalité, dans les pays occidentaux17 et dans les pays arabo-musulmans18, elle est
17 Cette observation essentielle a été déjà mentionnée en 1999 dans le cas des radicaux islamistes en Grande-Bretagne par Jorgen S. NIELSEN, Towards a European Islam, London : Macmillan Press LTD, 1999, voir p. 24. D’autres recherches universitaires de qualité avaient également noté ce même problème tels C. CURRER, The mental Health of Pathan Mothers in Bradford, Conventry, Department of Sociology, University of Warwick, 1983. R. SHARIF, « Interviews with young Muslim women of Pakistani origin», Research Papers : Muslims in Europe, n° 27, sept, 1985, et de F. HUSSAIN, Muslim Women, London : Croom Helm, 1984. L’ouvrage d’Olivier ROY, L’islam mondialisé, op.cit, pose également le problème de la déculturation des musulmans en Europe. 18 Sur l’émergence sociologique de l’islamisme comme résultat du changement social issu de l’exode rural dans le monde arabe et musulman voir sur le cas de l’Egypte Gilles KEPEL, Prophète et Pharaon, Paris : La Découverte, 1983. Dans le cas de la révolution islamique en Iran, la thèse de doctorat de Farhad KHOSROKHAVAR, L’utopie sacrifiée, sociologie de la révolution iranienne, Paris : Presses de la FNSP, 1993. sur les camps djihadistes au Liban voir Bernard ROUGIER, Le Jihad au quotidien, Paris : Presses de la FNSP, 2004. Olivier ROY, L’échec de l’Islam politique, Paris : Seuil, 1992. Dans le cas de l’Afghanistan, on peut citer l’ouvrage du journaliste Ahmed RASHID, Taliban : Islam, oil and the new great game in Central Asia, London : Tauris, 2000. Dans le cas algérien, voir Selma BELAALA, Djihadisme et utopie millénariste en Algérie : La rupture avec l’Etat–nation moderne (1989-2006), (en cours de publication).
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 15
moins l’expression d’une résurgence de l’islam ancien ou même du salafisme réformiste du XIXe siècle
qu’un problème de rapport des acteurs au présent et aux grands changements sociaux qui ont eu
lieu au sein de l’Islam et de sa place dans le monde. L’appel au retour à la première communauté
de l’islam, le tabligh en France et en Espagne, al Mouhadjiroun en Grande-Bretagne constitue un
leitmotiv commun aux différentes organisations radicales et pose dans notre étude la question de
l’intégration de ces jeunes dans l’identité nationale. Il nous a semblé donc essentiel d’étudier
l’identité politique familiale et la mémoire collective du groupe ethnique d’appartenance des
radicaux ainsi que de ceux qui refusent la radicalisation. L’étude de l’idéologie salafiste radicale en
Occident, montre qu’il s’agit dans le cas de ce problème d’un problème d’intégration de l’identité
historique plus que d’un « retour du religieux ».
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 16
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 17
1.4 Question sociologique et politique de la recherche
Au plan sociologique et culturel, la radicalisation est tout d’abord un processus de rupture
sectaire avec le groupe culturel originel : la famille, le quartier ou le territoire, l’ethnicité19 et la
communauté nationale. Le terme sectaire est utilisé dans notre recherche à partir d’une acception
sociologique. Il s’agit d’un phénomène de séparation et de rupture culturelle, sociale et politique
d’une association d’individus vis-à-vis du reste de la société. Max Weber détermine un des facteurs
importants caractérisant la secte : « un facteur est sociologiquement important : la communauté
constitue l’appareil de sélection qui sépare les personnes qualifiées des personnes non qualifiées. En
effet, la personne élue ou qualifiée doit éviter de fréquenter celles qui sont rejetées20 ».
En revanche, le stade ultérieur du basculement dans l’action violente est la conséquence d’une
rupture avec la communauté nationale et à l’égard de l’ordre politique en place. A ce sujet Max
Weber explique à juste tire que la secte constitue une formation « antipolitique21 » et refusant par
conséquent tout ordre politique en dehors de son propre système de coercition.
Cette fracture consiste en une cristallisation de l’identité radicale violente au plan politique,
au sein de laquelle l’individu conçoit comme des ennemis les groupes et les individus extérieurs à sa
propre organisation politique sectaire.
Les travaux scientifiquesii, théoriques et empiriques menés au préalable par des membres de
l’équipe du projet permettent de prendre comme hypothèse qu’au plan politique le processus de
radicalisation violente est le fruit d’une opposition à l’ordre politique national. Ainsi, en France, deux
niveaux de radicalisation apparaissent : d’une part le processus radical du « tabligh » (missionnaires
islamistes et salafisme radical), d’autre part, le processus radical violent, formé d’une idéologie et
d’organisations sectaires affiliées à la doctrine du takfir22, doctrine de l’anathème et de l’apostasie.
La radicalisation salafiste en Europe découle bien d’un repli sur soi sectaire mais ne constitue
en aucun cas l’expression religieuse d’une «intensification de la foi» selon une échelle donnée.
19 Vincent GEISSER, Citoyenneté, localité et ethnicité : nouveau triptyque identitaire chez les jeunes français ? De la citoyenneté locale, Paris : IFRI, 2003. 20 Max WEBER, Sociologie des religions, Paris : Gallimard, traduction de l’allemand par Jean-Pierre Grossein, 1996, p 318. Toutefois le terme de secte, firaq, dans l’islam désigne historiquement les mouvements politico-religieux ou schismes grandis au sein de l’islam, qui se distinguèrent de l’idéologie soutenue par le califat sunnite des Abbassides. Les sectes comportaient essentiellement les Zaydites, les imamites duodécimains, les Kharidjites. Voir Janine SOUDEL et Dominique SOURDEL, Dictionnaire historique de l’islam, Paris : PUF, 1996. 21Max WEBER, op.cit, p 324 22 Sur une étude ethnographique de la doctrine radicale violente a-takfir, voir Selma BELAALA, « Misère et Djihad au Maroc », Le Monde diplomatique, mars 2004.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 18
L’étude de l’identité collective et individuelle des acteurs violents est fondamentale pour comprendre
le processus sociologique de la radicalisation. En effet, la rupture et le repli identitaires expriment un
rapport à l’autre hostile, qui se traduit par des actes niant l’altérité. Ce n’est que dans un second
temps, à travers le discours sur la « foi islamique » prônée par la propagande radicale violente,
que cette radicalisation se dévoile.
1.5 Étude du cadre social, culturel et politique local de la radicalisation.
Notre recherche débute par une étude sociologique de la radicalisation, un processus de
rupture d’avec la communauté ou le groupe culturel en faveur d’un engagement politique et culturel
auprès d’une organisation sectaire antagonique avec le pays d’appartenance des nouveaux
convertis. Ainsi, avant de remettre en question les pratiques culturelles de ces derniers, la
radicalisation salafiste détruit leur appartenance culturelle en tant que Maghrébin ou «British
Muslim» en amenant l’adepte, par exemple, à rejeter son patronyme, son identité vestimentaire, son
langage en faveur de signes extérieurs divers qui sont présentés par les radicaux comme une forme
de religiosité «authentique».
La radicalisation violente, takfiriste, entraîne une rupture plus importante encore car elle
touche à l’identité et l’appartenance nationale du jeune islamiste radicalisé. Celui-ci se défait de son
sentiment d’appartenance originelle en cessant par exemple de se sentir français, normand, ou
même d’origine algérienne ou pakistanaise, pour devenir un « combattant pour la cause de Dieu»,
membre de la oumma, la « nation islamiste ». Il apparaît donc que la destruction des liens culturels
et nationaux est constitutive de la radicalisation violente.
1.6 Cadre théorique de la recherche
La radicalisation est un processus identitaire collectif et individuel puisqu’elle implique une
rupture sociale dans le rapport de l’individu avec ses concitoyens. Le jeune radicalisé rejette les
autres sur une base culturelle et politique, s’oppose à leurs valeurs et va même jusqu’à l’antagonisme
envers sa propre famille et sa communauté de quartier, envers également les groupes culturels
différents de son quartier ou de la société : juifs, hindous ou musulmans modérés.
Pour nous, il s’agissait de travailler sur les interactions entre le milieu social de la
radicalisation et l’environnement socio-culturel local et national, afin de comprendre les principaux
points de rupture constitutifs du sentiment d’exclusion, de « sous-intégration » et, par conséquent, de
repli sur soi, celui-ci conduisant à l’antagonisme culturel et politique évoqué.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 19
Le sentiment d’humiliation et la xénophobie sont considérés comme les stigmates culturels et
sociaux de l’échec de l’intégration collective et individuelle, dans le cas de la radicalisation des
jeunes dans le tabligh et le salafisme, mais aussi chez les autres courants comme les Frères
musulmans. Ce sentiment constitue une des caractéristiques de la rupture du lien culturel et national
développé par le jeune radicalisé dans le cas du takfir. Avant d’être la « rencontre avec Dieu »
promise par la propagande salafiste ou takfiriste, la radicalisation est ainsi avant tout un problème
de relation à l’autre et par conséquent une question complexe. Elle interpelle au plan culturel un
processus identitaire qui affecte le militant salafiste radical au niveau individuel et collectif.
Partant de cette définition de l’identité culturelle notre recherche s’inscrit dans le cadre de la
théorie de l’identité culturelle élaborée par l’école interactionniste23 de l’anthropologie culturelle
européenne. Nous avons transposé cette démarche méthodologique à l’étude de la radicalisation à
travers une observation des interactions entre les radicaux et le contexte social dans lequel ils ont
évolué. Partant de l’idée que l’identité culturelle n’était pas un processus immuable, il était important
pour nous de comprendre les changements et les ruptures culturelles majeures, au plan religieux et
culturel entre la nouvelle génération des jeunes issus de l’immigration des pays arabes et musulmans
et la génération de leurs parents. Nous nous sommes inspirés pour cette raison de l’étude magistrale
de Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad 24 sur le déracinement et le déplacement des paysans
algériens durant les années 1960. Enfin, la construction culturelle de l’identité politique des radicaux
étudiés dans notre recherche posaient le problème du lien entre le culturel et le politique. Comment
analyser la dissidence et la rupture avec la société et la nation en France, au Royaume-Uni dans le
cas des jeunes déracinés devenus des adeptes salafistes radicaux ? Les travaux d’Anthony Smith25
ont été d’une grande utilisé dans la compréhension du rôle de la mémoire collective d’une famille,
d’une communauté, du rapport au terroir d’origine et le processus d’intégration ou au contraire de
désintégration de l’appartenance des jeunes British muslim, ou maghrébins au sein des Etats-nations
en Europe.
Le traitement des termes de référence s’est attaché à comprendre l’interaction entre le
sentiment d’exclusion chez les jeunes issus de l’immigration maghrébine ou d’Asie du Sud et la
23 Frederich BARTH, Ethnic groups and boundaries, Bergen Oslo : Universitets forlaget, London : G. Allen and Unwin, 1970, 153 pages. L’approche interactionniste est innovante car elle permet d’étudier l’identité culturelle des groupes sociaux non comme une entité immuable mais comme un processus de transformation basé sur la relation avec le monde extérieur et les interactions avec les autres groupes. A ce titre elle rejoint sur ce point l’approche constructiviste telle qu’elle a été développée par Eric HOBSBAWM et RANGER, The Invention of Tradition, Cambridge University Press, Cambridge. Linda COLLEY, Forging the Nation, 1707-1837, Yale University Press, New Haven, CT, and Benedict ANDERSON, Immagined Communities, London, 1983. 24 Pierre BOURDIEU et Abdelmalek SAYAD, Le déracinement, Paris : Minuit, 1964 25 Anthony D. SMITH, “nations and their pasts”, in Nations and Nationalism, volume 2, november 1993.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 20
transformation de ce ressentiment en une rupture idéologique sectaire pouvant aller jusqu’à la
coupure de la communauté nationale et le départ vers le front irakien, la Tchétchénie ou le maquis
au Cachemire.
L’approche de l’étude était de vérifier de manière empirique comment le salafisme ou le
tabligh constituent une idéologie. Il s’agit de voir comment ces idées évoluent en un antagonisme
culturel et politique au fondement du passage à l’action violente. Notre enquête a identifié les
expériences sociales et culturelles qui sous-tendent cet antagonisme.
Notre travail a porté également sur des individus chez qui la radicalisation a échoué,
conduisant les adeptes à l’abandon de l’engagement sectaire, à travers des parcours observés par
des animateurs du culte musulman dans les prisons.
La problématique consignée dans les hypothèses de départ opère une distinction
sociologique et politique entre les radicaux et les radicaux violents. Or les résultats de nos entretiens
et monographies sur le terrain montrent au contraire qu’il n’existe pas de frontière étanche entre les
deux courants de l’islamisme en Europe.
Le lien politique et idéologique entre ces deux catégories de radicaux s’est alors imposé
comme le principal axe de la question sociologique de notre recherche.
Cette question est d’autant plus importante qu’elle pose en fin de compte le problème du
continuum entre, d’une part, les jeunes formés dans un islamisme qui accepte au plan politique les
institutions des sociétés occidentales, d’autre part, les activistes qui refusent la société et l’ordre
politique en place et adhérent à des doctrines sectaires violentes comme le takfir et le djihadisme.
1.7 Les résultats de la recherche
Sur le plan externe au mouvement radical, le passage de la radicalisation islamiste à la
radicalisation islamiste violente a lieu dans un contexte de déliquescence de la régulation sécuritaire
et politique publique au niveau local et national à la fois.
Sur le plan interne au mouvement radical, ces régulations politiques ont lieu généralement « par le
haut » dans les organisations islamistes. Le processus de radicalisation violente est freiné, dans
certains cas, grâce au leadership des Frères musulmans, tabligh, salafistes radicales, wahhabites
officiels qui verrouillent le passage à la violence des militants les plus radicaux en énonçant des
principes d’interdictions religieuses de la violence ou contractent un pacte informel avec les
institutions des pays européens.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 21
Pour cette raison, ces trois types d’acteurs politiques sont les principaux interlocuteurs sécuritaires des
autorités politiques et militaires au plan local et dans différentes régions d’Europe où le mouvement
radical islamiste est visible. Si ce type de verrouillage permet de freiner le passage de certains
jeunes radicaux à la violence, il comporte des limites au plan de l’intégration culturelle des jeunes.
Un dernier type de régulation opère en dehors du mouvement radical. Il s’agit d’une régulation par
une action politique locale et multilatérale qui fait intervenir la société civile, les acteurs du culte
musulman opposés aux islamistes (scouts musulmans de France, aumôniers musulmans, société civile
communautaire en Angleterre) et les autorités représentatives locales (mairies, gouvernements). Si
cette tendance est importante en France et en Angleterre, elle demeure très faible en Espagne.
La question qui reste posée est celle du problème de l’intégration des musulmans au plan national,
une intégration qui restera fragile tant qu’elle ne prendra pas en compte sa dimension historique. Il
s’agit ici de faire référence au mouvement ouvrier maghrébin du début du 20e siècle en France,
mais aussi en Grande-Bretagne. En Espagne, compte tenu du blocage exercé par les nationalistes,
l’héritage andalou pose problème dans la formulation de l’identité nationale, mais elle reste
toutefois un référentiel de politique étrangère visible notamment en direction des pays musulmans et
arabes (la politique diplomatique arabe de l’Espagne est intéressante dans ce domaine). Cependant
les instituts d’étude et de recherches sur l’Islam, le monde arabe et l’héritage andalou restent souvent
en retrait de la société civile locale à Grenade, à Séville, Ceuta, etc. Ces fondations, tributaires de
mécènes des pays du Golfe, sont liées à des politiques gouvernementales mises en œuvre au
détriment des enjeux socioculturels locaux et nationaux.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 22
2. La méthodologie de collecte de données
2.1 Méthodologie et activités de collectes de données : la méthode d’ethnographie sociale de la radicalisation
Notre projet s’inscrit dans une étude sur le terrain auprès des acteurs de la radicalisation
islamiste. Généralement, la plupart des études qui ont été réalisées sur les jeunes musulmans
adoptent une approche sociologique classique (institutionnalisation de l’islam, discriminations au plan
juridique) ou à l’inverse, abordent la radicalisation par le prisme sécuritaire exclusivement (étude
des réseaux terroristes).
Notre étude privilégie une approche intégrée portant directement sur les groupes acteurs et
enfin les soutiens et les sympathisants. Il est question de balayer le processus de radicalisation du
commencement jusqu’à son aboutissement ou au contraire de son échec. Notre approche
pluridisciplinaire associant des outils de la sociologie, de l’anthropologie, de science politique et
d’islamologie permettra à partir d’une étude à un niveau micro des acteurs et de leurs milieux
sociaux de rebondir sur l’analyse du mouvement radical dans son processus de formation en Europe
et de poser la question d’un phénomène d’adhésion individuel des jeunes.
Nous avons choisi d’utiliser la méthode d’ethnographie pour la collecte de données dans le
cadre de notre étude de la radicalisation. Il s’agit d’une méthode qualitative qui consiste à observer
sur le terrain le contexte culturel et social des individus radicaux. L’observation des interactions entre
d’un coté l’individu et d’un autre coté, son entourage social et familial, dans le quartier où il vit et
avec la société est également au centre de notre méthodologie. L’observation participante a eu lieu
dans les locaux de prière salafiste ou encore dans un quartier où le takfir avait eu une implantation
importante comme à Mélilla ou à la cité des 4000 dans la Courneuve et au sein des Mouhadjiroun
dans la périphérie de Londres. Les monographies ont constitué les principaux outils de collecte de
données dans ce cas.
La méthode ethnographique26 permet également d’utiliser plusieurs outils de collecte de
données. Nous avons procédé également à des entretiens semi-directifs afin de répondre de
manière concise aux termes de références de l’Etude. Ces derniers ont été intégrés au cœur de
l’enquête. Le guide d’entretieniii adopté par les chercheurs a été construit par ces derniers à partir 26 William FOOTE WHYTE, Learning from the Field, a guide from experience, 1984.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 23
de cette problématique et des termes de référence de l’Etude. Le travail d’intégration des termes de
références dans le protocole d’enquête empirique a nécessité beaucoup d’effort de la part des
membres de l’équipe et a constitué une phase décisive dans l’harmonisation des approches et des
traditions de travail de chacun des membres de la recherche.
Nous avons sélectionné une approche d’ethnographie sociale car elle permet d’observer
entre autres des phénomènes tels que la radicalisation islamiste au plus prêt des acteurs et du
terrain.
En choisissant de travailler sur des sources ouvertes sur la radicalisation nous voulions
développer une méthode d’enquête sociologique qui nous permette d’étudier le salafisme, le takfir
et le djihadisme à sa source et comme un fait social et politique à part entière. Il était question
d’enquêter sur ce phénomène pris comme une identité politico-idéologique. Il était important pour
nous de ne pas réduire la radicalisation violente islamiste à des réseaux clandestins de terroristes,
décontextualisés et inaccessibles aux méthodes d’enquêtes sociologiques.
En effet les radicaux et les radicaux violents sont originaires d’un quartier, d’un groupe
social, d’une histoire collective, d’un groupe générationnel et entretiennent une relation de rejet, de
rupture et de destruction avec la société et le monde. La méthode de l’ethnographie culturelle et
sociale permet d’observer à la fois les cadres sociaux, culturelles et de replacer l’individu, grâce à
l’interview, dans l’ensemble de ce contexte.
2.1.1 La relation d’entretien
L’identité du chercheur sur le terrain est appelée « la relation d’entretien » dans l’enquête de
terrain. Dans le cadre des entretiens, des contacts et des relations sur le terrain, nous avons choisi de
nous présenter comme chercheurs. L’affirmation de notre identité en tant que chercheurs est aussi une
manière d’établir une relation d’empathie et d’objectivité à la fois, vis-à-vis d‘un terrain sensible et
dense au sein duquel chacun d’entre nous serait en immersion.
2.1.2 Première phase de l’étude : Terrain 1
Identification des intermédiaires et construction d’un réseau de contacts pour la réalisation
d’entretiens sociologiques et l’observation des jeunes en radicalisation et radicalisation violente
Construction des réseaux de contacts à partir d’une méthode combinatoire associant contacts auprès
des organisations salafistes radicales, tabligh, mouhadjiroun etc. d’une part et des contacts avec la
société civile dans les quartiers d’autre part.
France
Les monographies ont porté sur :
o le département de la Seine-Seine-Denis.
o Lyon (Vénissieux, et Vaulx-en-Velin)
Sources d’information et personnes concernées :
Interviews avec des responsables
politiques et administratifs locaux
Interviews des décideurs de
l’international Frères musulmans (FM)
et prise de contact avec leur réseau
d’imams en Ile de France.
Interviews des imams FM, des
femmes militantes radicales et
militantes FM
Un travail de terrain a été effectué
sur les salafistes. Des monographies
des territoires de la radicalisation
ont été réalisées à La Courneuve,
Aubervilliers, Saint Denis, ainsi que
dans des communes situées en Seine-
Saint-Denis. Nous avons effectué un
travail sur les adeptes du Tabligh
fortement implanté dans certains lieux à Saint Denis.
Des entretiens ont été menés auprès des travailleurs sociaux dans les quartiers cités ci-dessus ainsi
qu’à Vénissieux dans la banlieue lyonnaise. Ce personnel actif au plan de l’aide sociale auprès des
milieux exclus constitue un relais important pour entrer en contact avec les familles des jeunes
radicalisés de manière violente.
Royaume-Uni
Les monographies ont porté sur :
o Londres
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 24
o Birmingham
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 25
o Leicester
o Leeds
o Crawley (ouest
Sussex)
Le choix des lieux du
terrain doit recouper les deux
territoires de radicalisation.
Londres et Birmingham ont été
des lieux privilégiés,
notamment les anciens
espaces du Londonistan
comme Finsbury Park, ou
Parsoons Green, et, dans le
cas de Birmingham, le
quartier musulman de Small
Heath dans lequel se croisent
toutes les composantes des
communautés musulmanes de
Grande-Bretagne.
Sources d’information et personnes concernées
Monographie des territoires de la radicalisation à Londres : les salafistes radicaux de
Londres
Des entretiens parallèles ont été réalisés avec des responsables de groupes ou de milieux associatifs
qui connaissent les trajectoires de certains sujets de leur communauté : on pense ici aux imams de
Brixton, de Parsoons Green, des grandes mosquées de Regent’s Park et Birmingham Central Mosque,
mais également à des responsables de la communauté algérienne en Grande-Bretagne ou du
secrétaire général des Ahl al-Hadith de Birmingham.
Interviews avec les Frères musulmans de Somalie, du Pakistan et d’Egypte.
Espagne
Les monographies ont porté sur :
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 26
o Madrid
o Grenade
o Catalogne (Vic, Martorel, Santacoloma)
o Ceuta
o Mélilla
Notre travail a consisté en la réalisation de monographies des quartiers radicaux. La
question de l’évolution radicale au plan idéologique et politique des territoires et des organisations
islamistes en Espagne est encore mal connue des experts et chercheurs. Aussi notre enquête a
souhaité couvrir ce domaine de connaissances dans le cas des quartiers suivants :
o Grenade (centre ville, les quartiers Almanjayar et Cartuja)
o Madrid (les quartiers de Villaverde)
o Catalogne (quartier El Rabal à Barcelone, Vic, Santacoloma, Reus, Martorel)
o Ceuta (Quartier Judan et Quartier Principe Alfonso)
Sources d’information et personnes concernées
Entretiens avec les leaders religieux et les associations espagnoles spécialisées dans les quartiers
d’immigrants. Il s’agissait de réaliser la même recherche auprès des interlocuteurs suivants :
o Autorités politiques locales : quartiers et villes qui comptent une population importante de
musulmans.
o Analystes des services de police et d’Intelligence, police locale et directeurs de prisons
o Universitaires et chercheurs ayant une expérience de terrain et spécialisés dans l’immigration
2.1.3 Deuxième phase de l’étude : Terrain 2
Entretiens avec le milieu politique, social et familial des radicaux violents :
Après avoir collecté des données sur les manifestations de la radicalisation violente chez les
jeunes, cette phase a constitué la phase la plus complexe de l’étude. Il était question de rentrer en
contact directement avec les familles des radicaux violents par le biais des canaux associatifs et
entrepreneurs « religieux » à partir de l’approche et la problématique citées plus haut.
Un terrain institutionnel a eu lieu auprès d’élus et d’institutionnels à Ceuta, Catalogne et en
Seine Saint-Denis.
Royaume Uni
Les monographies ont porté sur :
o Londres
o Birmingham
o Leeds
o Leicester
o Crawley (Ouest Sussex)
Sources d’information et personnes concernées
A l’issue d’un travail d’immersion, des
monographies ont été réalisées à chaque fois.
Dans un deuxième temps, le choix des
entretiens tenait compte du degré de
sensibilité d’une telle recherche. Les militants
radicalisés ne souhaitent pas en général faire
part de leur engagement, le plus souvent ils
s’identifient rarement comme radicaux. Il a été
néanmoins possible d’effectuer un nombre
important d’entretiens de ce type : par
exemple quelques militants du quartier de
Finsbury Park, des membres de l’association
al-Ghuraba, ex-Mouhajiroun, ou du Hizb al-
Tahrir.
Aujourd’hui, seuls les islamistes qui avaient centré leurs activités sur la communication, en
créant des centres ou des observatoires d’opposition en exil sont restés actifs en Grande-Bretagne,
comme Hani al-Sibaï, Yasser al-Sirri, Abu Bassir al-Tartousi ou encore les Saoudiens Saad al-Faquih
et Mohammad al-Masaari. Convertis pour certain dans la cyber prédication ou la diffusion
d’informations sur l’actualité islamiste du monde musulman, leur présence reste virtuelle,
principalement sur Internet, car ils ne disposent pas de base militante en Grande-Bretagne et leur
lectorat reste donc cantonné sur le Web.
France
Les monographies ont porté sur :
La banlieue parisienne
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 27
De même, nous avons étudié les manifestations précoces de la radicalisation chez les jeunes des
quartiers de la Seine-Seine-Denis et de Boulogne à Lyon (Vénissieux, Saint Etienne, Vaulx-en-Velin).
Sources d’information et personnes concernées :
Interviews des décideurs de l’international Frères musulmans (FM) et prise de contact avec leur
réseau d’imams en Ile de France.
Interviews des imams FM, des femmes militantes radicales et militantes FM
Des monographies des territoires de la radicalisation ont été réalisées dans la localité de la
Courneuve, Aubervilliers, Saint Denis, ainsi que dans des communes situées en Seine-Saint-Denis.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 28
Espagne
Les monographies ont porté sur :
o Madrid,
o Grenade,
o Barcelone,
o Mélilla
o Ceuta
Notre travail consiste en la réalisation de
monographies des quartiers radicaux. La question de l’évolution radicale au plan idéologique et
politique des territoires et des organisations islamistes en Espagne est encore mal connue des
experts et chercheurs. Aussi notre enquête consiste à combler ce vide dans les connaissances en la
matière dans le cas des quartiers suivants.
o Grenade (centre ville, les quartiers Almanjayar et Cartuja)
o Madrid (le quartier de Villaverde)
o Catalogne
Sources d’information et personnes concernées
o Entretiens avec les leaders religieux et les associations espagnoles spécialisées dans les
quartiers d’immigrants.
o Autorités politiques locales : quartiers et villes qui comptent une population importante de
musulmans. .
o Analystes des services de police et d’Intelligence, police locale et directeurs de prisons
2.2 Nombre d’entretiens et de monographies au stade final de l’étude27
0 5
1 0 1 5 2 0 2 5 3 0 3 5 4 0
UK E S P FR
R a d i c a l Ø R . v i o l e n t s
Figure 1 Nombre d'entretiens réalisés par pays Le cahier des charges consigné dans le rapport final fixait un objectif de 120 entretiens et
monographies. Les entretiens livrés dans les annexes du rapport final comprennent plus de 150
entretiens et monographies. Nous avons contacté et rencontré plus de 300 individus en relation avec
le mouvement islamiste en Europe afin de réaliser les interviews et les monographies ci-joint (voir
Annexes). Le principal objectif de notre étude a consisté à finaliser l’ensemble du travail empirique
selon un objectif fixé à 120 entretiens à la date du 1 septembre 2007. Une fois ce résultat atteint,
la directrice scientifique a entrepris le travail d’exploitation et d’analyse du ma150tériau dont les
principaux résultats théoriques et analytiques ont été consignés dans le présent rapport final.
2.3 Les limites de la méthode ethnographique d’enquête sur la radicalisation islamiste
Comme nous l’avons expliqué, la méthode que nous avons utilisée a consisté principalement
en des entretiens et des interviews avec les parents, les amis, les voisins et les connaissances des
radicaux violents. Les entretiens ont été réalisés grâce aux contacts dont disposaient nos chercheurs.
Les entretiens avec les interviewés ont été réalisés par nos chercheurs grâce en partie à des contacts
antérieurs. Toutefois une grande partie de notre travail a consisté à développer de nouveaux
contacts parmi le milieu social des radicaux et des radicaux violents mais ce travail a nécessité
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
27 5 septembre 2007
Rapport final - Page 29
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 30
beaucoup de temps et la durée de l’enquête proprement dite fixée à moins de 6 mois ne permettait
pas de récolter les fruits d’un long travail d’immersion. Par exemple, l’enquête sur les radicaux
violents en France notamment en prison nécessitait plusieurs entretiens avec l’Administration
pénitentiaire mais celle-ci n’a pas donné suite à notre demande à cette date. Il a fallu déployer en
même temps de gros efforts pour rencontrer les aumôniers musulmans des prisons au mois d’aout
2007 alors que le rapport préfinal devait être déposé le 22 septembre. Les contacts, les rendez-
vous d’entretiens et de monographies s’étalent dans ce cas sur plusieurs mois et il aurait fallu avoir 4
mois supplémentaires pour réaliser par exemple les entretiens avec un nombre plus important
d’aumôniers des prisons dans les différentes régions de France. Nous nous sommes contentés de
rencontrer deux d’entre eux qui ont une longue expérience de prévention auprès des radicaux en
prisons. Cette limitation dans le temps a réduit le spectre de notre échantillon sur les radicaux
violents en France bien que les entretiens semi-directifs approfondis ont été réalisés dans le cas de
la banlieue parisienne et ont permis de collecter des données importantes sur le processus de
radicalisation violente de nombreux jeunes.
En somme l’ampleur du terrain et les contacts réalisés dans ce cadre notamment avec les
proches des radicaux violents aboutissaient lors de la phase finale de l’étude. Une telle investigation
nécessiterait à l’avenir plus de temps, une durée 16 mois au lieu de 12 mois aurait permis
d’atteindre des strates profonds du terrain notamment dans le cas de l’étude des takfiristes en
Espagne et des djihadistes en France.
D’un autre coté, l’analyse des politiques publiques en matière d’immigration, du culte et de
l’intégration nationale au niveau gouvernemental nécessitaient des entretiens au plus haut niveau
politique national et européen et il n’a pas été fait compte tenu des agendas politiques et des
réponses tardives qui nous ont été envoyées après la finalisation du rapport préfinal.
Faiblesse de l’organisation de la recherche scientifique de sciences sociales sur la radicalisation islamiste violente.
Comme le montrera notre étude, la radicalisation islamiste n’est pas un phénomène religieux mais
politico-idéologique car il consiste en l’émergence d’une nouvelle modalité d’appartenance politique
et culturelle des jeunes déracinés en Europe.
Le recrutement et la composition d’une équipe de recherche dans le cadre de notre étude a été un
véritable parcours du combattant car il était question pour nous de travailler dans un cadre de
recherche universitaire européenne collective sur trois pays à la fois et d’utiliser une approche
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 31
pluridisciplinaire incluant une approche anthropologique, sociologique, de science politique et
islamologique.
Les travaux scientifiques réalisés par la recherche européenne sur les radicaux islamistes ont
longtemps porté sur ce phénomène dans le monde arabe et musulman au détriment de l’étude de la
radicalisation violente en Europe. Cette dernière gagnerait à intégrer et profiter des compétences et
à s’inspirer des travaux et des méthodes expérimentées par les scientifiques dans l’étude des
radicaux et des radicaux violents dans les pays musulmans.
L’Europe dispose de ressources, de compétences scientifiques et de connaissances sur la
problématique de la radicalisation islamiste mais elle ne les exploite pas de manière organisée et
efficace. Les ressources des universités européennes dans ce domaine sont importantes mais elles
révèlent une insuffisance dans le domaine des sciences sociales de la radicalisation au moment où on
assiste à une inflation de l’expertise journalistique et sécuritaire sur ce sujet.
L’insuffisance de financements européens et nationaux en direction de la recherche scientifique sur la
radicalisation et l’absence de recherche collective sous l’auspice de programmes scientifiques publics
ont pesé dans le désengagement des chercheurs de l’étude de la radicalisation islamiste dans
différentes disciplines de recherches scientifiques de sciences sociales en Europe. Il est intéressant
d’observer qu’aucun programme scientifique européen, ou national ne portait en 2006-2007 sur les
problématiques de sciences sociales sur la radicalisation islamiste violente ou non violente en Europe.
2.4 La décomposition quantitative des entretiens de l’enquête par âge, niveau de formation scolaire et affiliation politique
0
5
10
15
20
25
30
35
15-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-50
Répartition des interviewés par tranche d'age(age moyen : 27,6 ans)
Figure 2. Répartition des interviewés par tranche d'âge
Niveau de formation scolaire des interviewés
43%
15%
6%
37%
Université Lycée Lycée technique Etudes primaires
45%
40%
35%
30%
25%
20%
15%
10%
5%
0%
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 32
Figure 3 - Niveau de formation scolaire des interviewés
83%
7%
12%
45%
43%
29%
45%
55%
0%
82%
5% 17%
0%
20%
40%
60%
80%
100%
120%
Université Etudes secondaires Lycée Technique Etudes Primaires
Répartition des radicaux selon le niveau scolaire
Radical Violent Sans affiliation politique islamiste
Figure 4-Répartition des radicaux et des radicaux violents selon le niveau scolaire
2.5 La répartition nationale et régionale des entretiens et des monographiesiv
FRANCE
L‘équivalent de 40 entretiens a été effectué et retranscrit en France (voir graphe 1). Un
nombre de 20 entretiens ont été réalisés sur les radicaux tandis que 6 entretiens approfondis
équivalent à 20 entretiens individuels ont été effectués auprès de radicaux violents à Vénissieux et à
Vaulx-en- Velin (région de Lyon), à La Courneuve et Boulogne dans la banlieue de Paris.
En outre, 5 entretiens ont été réalisés avec les aumôniers musulmans auprès des prisons des
prisons de Lille et de Lyon par la directrice scientifique sur des parcours de takfiristes et de
djihadistes français arrêtés dans le cadre d’affaires terroristes liées au GIA.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 33
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 34
GRANDE BRETAGNE
37 entretiens ont été réalisés sur des radicaux à Londres, Birmingham, Leeds et Leicester (voir
graphe1). Une enquête comprenant 22 entretiens a été effectuée à Londres, Sussex sur des
radicaux violents.
ESPAGNE
Un nombre de 40 entretiens auprès de radicaux et radicaux violents ont été réalisés en
Catalogne et 19 entretiens ont été réalisés à Ceuta, Méllila et Madrid (voir graphe 1). Sur
l’ensemble de ce travail, 11 entretiens portent sur les radicaux violents.
Une ethnographie comparative sur la Catalogne, la région de l’Andalousie et Ceuta a été
également réalisée par la responsable scientifique de l’Etude.
.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 35
3. Le cadre historique et politique de la genèse du salafisme djihadiste takfiriste
3.1 L’émergence du salafisme djihadiste en Europe
La fin de la guerre d’Afghanistan joue un rôle fondateur dans l’émergence de la radicalisation violente en Europe
Les résultats de l’enquête que nous avons menée auprès de militants de l’islam radical à
Londres font apparaître une division politique profonde au sein du salafisme djihadiste entre d’une
part, les vétérans arabes de la guerre d’Afghanistan proches de Abdallah Azzam, enrôlés dans la
guérilla afghane contre les Soviétiques de 1980 à 1989, et d’autre part, les tenants de l’action
armée contre les Etats et les régimes dans le monde arabe et en Occident. Ce courant est composé
des dissidents vis-à-vis de la mouvance de Abdallah Azzam. Il y a donc bien un clivage politique
marqué entre d’un coté, les combattants historiques de la guérilla afghane et d’un autre coté la
deuxième génération d’activistes.
Les proches du fondateur des «Afghans arabes» avaient eu pour objectif de libérer des
territoires musulmans occupés alors que le courant allié à Ben Laden et Ayman Zawahiri avait
entrepris, avec l’appui des « recalés » de la guerre d’Afghanistan, de déclencher le djihad au sein
même du monde musulman et contre des objectifs stratégiques occidentaux dans le monde.
Le salafisme djihadiste a été souvent associé par différents observateurs à l’idée d’un retour
des «Afghans arabes» dans leurs pays d’origine afin de mener la guerre sainte contre leur régime
et d’instaurer l’Etat islamique. Or, Abdallah Azzam, le théoricien et fondateur de cette mouvance
internationaliste radicale, avait circonscrit l’islamisme armé à la lutte contre « l’occupation des terres
des musulmans ».
Issu de l’organisation des Frères Musulmans, Abdallah Azzam demeura proche des régimes
arabo-musulmans qui apportèrent soutiens et aides à son organisation, le Bureau des services (MAK,
maktab al khadamat) installé au début des années 1980 au Pakistan et implanté par la suite à
l’étranger pour recruter les volontaires, collecter les financements et diffuser l’idéologie du djihad.
Opposé au retournement du djihad contre les systèmes politiques dans le monde arabe, celui qui fut
l’initiateur d’Oussama Ben Laden au djihad, devint aux yeux de ses adversaires, dès le retrait
soviétique d’Afghanistan, un obstacle important à l’extension de l’action armée islamiste et de son
expansion dans le monde.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 36
L’assassinat en 1989 d’Abdallah Azzam, guide des djihadistes à Peshawar lors de
l’explosion d’une bombe dans sa voiture, reste une énigme. Les différents témoignages de ses
proches restent peu éloquents sur les auteurs de l’attentat et se gardent en même temps d’accuser les
services pakistanais ou bien américains.
3.1.1 La division au sein des djihadistes
L’action politique d’Abdallah Azzam a permis de poser le cadre idéologique et
organisationnel des «Afghans arabes» dès 1979. Sur le plan politique, son apport doctrinal fut
important car l’idée sous-jacente à son action consistait à faire des «Afghans arabes» l’avant-garde
d’une armée et d’un mouvement indépendantiste panislamique, prélude à un futur Etat califal.
A sa demande, al Albani, figure du salafisme wahhabite, produit une fatwa faisant du
djihad une obligation religieuse individuelle. Elle s’imposait selon eux, en Afghanistan et s’appliquait
aussi à l’ensemble des territoires islamiques occupés en Bosnie, en Tchétchénie, au Cachemire, en
Somalie, en Erythrée et en Andalousie. Le djihad était, d’après ces salafistes djihadistes, un pilier de
l’islam, au même titre que la prière ou le jeûne. C’est, ce cadre politique idéologique du djihad28 qui
sera profondément transformé par les salafistes takfiristes. Ces derniers le transposeront aux Etats-
nations et dans les pays arabes et musulmans tels l’Algérie et l’Egypte au début des années 90, qui
deviendront désormais une zone de guerre (dar harb), occupée par des régimes « impies » puis en
Europe à partir de 1995 à l’issu des attentats perpétrés par le GIA en France.
Ainsi, la mobilisation des volontaires était organisée en quatre étapes à travers lesquelles
l’idéologue des «Afghans arabes» traçait le chemin par lequel devait passer les volontaires pour
devenir des moudjahhidin29. Le processus de recrutement devait suivre un parcours tracé d’avance et
comportait l’étape de l’exil (al hijra), la préparation militaire (al i’dad), le campement aux frontières
ennemies (al ribat) et enfin, le combat (al qital). Aussi, après avoir transité par Médine pour récolter
des fonds nécessaires au financement de leurs voyages, les volontaires étaient accueillis par le
Bureau du MAK à Peshawar où ils étaient sélectionnés en fonction de leurs connaissances
théologiques, de leur culture politique et de leurs compétences professionnelles par Abdallah Azzam.
Face au succès de la mobilisation djihadiste dans les pays arabes comme L’Egypte, l’Algérie, la
Jordanie, l’Arabie Saoudite, l’afflux d’un nombre considérable de candidats à partir de 1986
dépassa les capacités d’accueil, de formation et devint critique. Nombre des impétrants étaient
refusés pour le djihad par manque de savoir faire politique ou à cause d’une socialisation politique
28 Abdallah AZZAM, Al djihâd. Le djihad : morale et règles, s.n , 1979. 29 Abdallah AZZAM, Al djihâd fard ayn. Le djihad : une obligation religieuse individuelle, s.n, 1979.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 37
défaillante. Cette composante de volontaires arabes qui était restée au Pakistan sans pouvoir
participer au combat, allait jouer un rôle décisif dans la décomposition du salafisme djihadiste et sa
dérive takfiriste en Europe.
Selon Abdallah Anas, responsable du MAK en 1984-1989, l’enjeu du djihad en Afghanistan
nécessitait un apport humanitaire et matérielv. Or, les vétérans arabes engagés dans le conflit ne
pouvaient se contenter de ce rôle logistique et ont décidé de donner à leur intervention initialement
« humanitaire » dans les maquis afghans, une dimension politique et idéologique forte. Pour cette
raison, de nombreux moudjahiddins arabes étaient appelés à devenir des instructeurs idéologiques
et des « commissaires politiques » auprès de chefs de guerre afghans.
Ainsi, le MAK avait défini la participation des «Afghans arabes» auprès des différentes
factions afghanes comme une réislamisation de la population et des cadres combattants qui avaient
besoin d’une éducation religieuse. Al dawa, une action de propagande islamiste sous couvert de
prosélytisme religieux, était associée au djihad et avait apporté aux « Afghans arabes » la
possibilité d’exercer une influence politique sur les combattants afghans. Pour cette raison ce courant
du salafisme djihadiste était resté dans une large partie fidèle à la pensée des Frères Musulmans.
3.1.2 Le retournement des djihadistes
Cette conception « élitiste » du djihadisme qui avait été calqué sur un recrutement des Frères
musulmans, était devenue une source de frustration et de marginalisation pour un nombre important
de volontaires venus faire le djihad sans en avoir le profil. A partir de 1987, la réalité de l’action
armée ne correspondait plus à la nature sociologique hétéroclite des volontaires30. Une partie
importante des fondamentalistes était venue, pour certains, « attirés par l’aventure «, pour d’autres,
par « les dons des organisations de charité saoudiennes », profils désignés par Abdallah Azzam
comme impropre au volontariat. La plupart d’entre eux trouvaient refuge dans les campements qui
devinrent des fiefs sectaires de délinquants, d’aventuriers et de psychopathes selon les
témoignages31. Ainsi, un clivage interne au sein des «Afghans arabes» existait bien avant le départ
des Soviétiques en 1989. On observe, à cette époque, une scission des djihadistes en deux
composantes.
Le groupe acteur du salafisme djihadiste (l’élite, composée des vétérans de la guerre d’Afghanistan)
combattant directement dans les maquis de la guérilla afghane avec Shah Massoud, Hekmatyar et
30Sur le tournant de 1985-1987 notre entretien avec un proche de Abdallah Azzam recoupe les informations rapportées par Jason Burke, al Qaeda : the true story of radical islam, Penguin Books, London, 2004, p. 75 31 Interview d’un responsable de la CIA par Jason Burke.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 38
Sayaf. A l’issue de la guerre, une partie importante d’entre eux s’est exilée en Europe et a bénéficié
du statut de réfugié politique.
Les exclus qui étaient venus des pays arabes installés pour la plupart dans les camps de la banlieue
de Peshawar qui devinrent les bastions du salafisme takfiriste en 1987-1992.
3.2 Abu Qatada, Omar Bakri et Abu Hamza : « les faux Afghans » du Londonistan
L’idée de retournement du djihad en une lutte armée contre les systèmes politiques arabes
s’est imposée avec force au lendemain du retrait des troupes soviétiques en Afghanistan en 1989 et
avec le déclin du courant de Abdallah Azzam après l’assassinat de ce dernier.
La fin de la guerre d’Afghanistan mit fin à l’intervention des «Afghans arabes» qui se
répartirent grosso modo en trois groupes, dont une partie retourna dans les pays d’origine pour
déclencher des opérations armées et organiser des groupes djihadistes locaux comme le GIA en
Algérie. Une deuxième faction s’exila à Londres, à Madrid et dans d’autres capitales européennes.
Enfin, la troisième composante des volontaires s’investit dans les conflits armés en Bosnie, en
Tchétchénie et dans la Corne de l’Afrique (Somalie, Erythrée) pour « libérer les musulmans
persécutés ».
3.2.1 La deuxième génération « d’Afghans » en Europe : les faux « Afghans »
Notre enquête montre que des leaders du salafisme takfiriste tels Abu Qatada, Abu Hamza,
Bakri, n’ont pas participé à la guerre d’Afghanistan mais faisaient partie des marginaux des camps
de Peshawar. En somme, ces figures des djihadistes n’ont pas été des militants islamistes et avaient
été à ce titre recalés au volontariat.
Dans ce sens, les témoignagesvides Frères musulmans qui avaient séjourné au Pakistan,
montrent que des leaders et soutiens politiques importants d’al Qaïda en Europe comme Abu
Qatada, Abu Hamza, Abu Bassir et Abu Musab, « n’ont participé à aucun front afghan » pouvant
étayer leur appartenance aux «Afghans arabes», selon Abdallah Anas. Devenus des proches du
régime des Talibans et des propagandistes de l’idéologie prônée par Ayman al-Zawahiri, ils
constituèrent un pôle de propagande et de recrutement et de théorisation de la violence politique en
Europe.
En instrumentalisant le label « Afghan arabe », ils accédèrent au rang de notable du djihad
et purent à ce titre devenir de véritables acteurs de la mobilisation de la deuxième génération de
djihadistes en Tchétchénie, Bosnie, Afghanistan, Algérie, Maroc, Libye, Irak et Egypte. Ils utilisèrent
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 39
leur bref passage dans les camps au Cachemire, Somalie, Egypte, Soudan et au Yémen, comme une
véritable campagne politique mêlant le prestige acquis par la participation à la guerre
d’Afghanistan, pourtant largement fictive, à une volonté de jouer un rôle médiatique et politique de
premier plan en Europe.
La genèse des idées djihadistes parmi la jeunesse en Angleterre, en Espagne et en France
eut lieu principalement à travers les discours et les publications en langue française, anglaise et
espagnole de ces propagandistes. Comme nous le verrons dans la section suivante, la stratégie de
ces leaders consista à instrumentaliser dans leur discours la symbolique historique de la tradition
religieuse musulmane. Grâce à cette démarche, une passerelle a été construite entre d’un coté, une
histoire collective et une tradition islamique distordues et d’un autre, la violence politique.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 40
4. Déracinement et rupture par rapport à la tradition culturelle et religieuse
Comme il a été indiqué dans notre problématique, au plan sociologique et culturel la
radicalisation est tout d’abord un processus de rupture sectaire avec le groupe culturel originel : la
famille, le quartier ou le territoire, l’ethnicité et la communauté nationale. En revanche, le stade
ultérieur de radicalisation violente est la conséquence d’une rupture avec la communauté nationale
et à l’égard de son ordre politique. Cette fracture consiste en une cristallisation de l’identité radicale
violente au plan politique, au sein de laquelle l’individu conçoit les groupes et les individus extérieurs
à sa propre organisation politique comme des ennemis.
Les travaux scientifiques, théoriques et empiriques menés au préalable permettent de
prendre comme hypothèse qu’au plan politique, le processus de radicalisation violente est le fruit
d’une opposition à l’ordre politique national. Un travail de terrain approfondi a permis de vérifier
cette hypothèse.
4.1 La radicalisation islamiste est une idéologie de retour aux premiers temps de l’islam et de séparation vis-à-vis de la société
Dans notre problématique, nous formulions une hypothèse qui posait la radicalisation au plan
sociopolitique comme une rupture avec le groupe culturel d’origine (famille, culture traditionnelle de
l’ethnie d’origine32) en faveur d’une identité culturelle réinventée dans un cadre sectaire.
A juste titre, une recherche universitaire précisait dès les années 80 : « A number of
contemporary Muslim movements, whether « fundamentalist » or otherwise, represent a radical break
with the scholarly traditions. The social anthropologist’s ‘great tradition’ has become increasingly
unrecognizable »33. La manipulation des textes des Anciens consiste justement, dans le cas des
radicaux, à en faire un outil de légitimation. Il est important de voir que le sens des textes des
jurisconsultes est souvent modifié de manière grossière. Là où Ibn Taimiya, le jurisconsulte médiéval
32 Cette observation essentielle a été déjà été faite en 1999 dans le cas des radicaux en Grande-Bretagne par Jorgen S. NIELSEN, Towards a European Islam, London : Macmillan Press LTD, 1999, voir p. 24. D’autres recherches universitaires de qualité avait aussi mentionné ce même problème tels C. CURRER, The Mental Health of Pathan Mothers in Bradford, Conventry, Department of Sociology, University of Warwick, 1983. R. SHARIF, « Interviews with young muslim women of Pakistani origin», Research Papers : Muslims in Europe, n° 27, Sept, 1985, et de F. HUSSAIN, Muslim Women, London : Croom Helm, 1984. 33 J.S Nielsen, op.cit, p. 23
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 41
de l’orthodoxie musulmane, parle de khawârij (des « dissidents » relativement à un prince mongol),
Ayman Zawahiri, le théoricien d’al Qaida, et Abu Hamza, le porte-parole des djihadistes à Londres,
parlent d’apostasie et de takfir (anathème). Le texte originel (perdu) du célèbre uléma médiéval,
qui n’est connu que de rares philologues et spécialistes universitaires français et syriens, n’a pu
encore être diffusé pour porter la contradiction aux propos tenus sur le web par la propagande
radicale qui s’est emparée du patrimoine traditionnel orthodoxe musulman.
Toutefois, dans le cas des salafistes, les résultats de notre enquête montrent qu’au plan
politique et idéologique, les éléments de la rupture politique sont souvent présents bien avant le
passage à l’action violente.
Ce constat des travaux de nos chercheurs remet en question la construction préalable de
l’existence d’une frontière idéologique et politique étanche entre la radicalisation intervenue par le
tabligh et le salafisme (terrain 1) et celle des takfiristes, radicaux violents (terrain 2). Si ces courants
sont opposés au plan politique pour des raisons stratégiques et sociologiques diverses, il n’est pas
possible d’établir une dichotomie totale entre ces deux mouvances : les passerelles idéologiques
existent et reposent notamment sur le processus de « retour à l’aïeul », al salaf, credo du mouvement
radical islamiste en Europe et dans le monde.
Qu’est-ce que la radicalisation au plan sociologique ? Il ne s’agit pas tant d’un processus
religieux, produit par les institutions culturelles traditionnelles, mais d’un processus idéologico-
politique né d’une doctrine contemporaine. Dans le cas des jeunes issus de l’immigration et des jeunes
européens de souche, la radicalisation est une réponse à la désagrégation de l’identité culturelle
autant chez les jeunes issus de l’immigration maghrébine ou indo-pakistanaise que chez les
Maghrébins ou encore certains Français ou Britanniques de souche considérés comme « convertis ».
La désagrégation de la culture
traditionnelle ancienne est le résultat d’un
processus de déracinement34 chez les
jeunes issus de familles déculturées, quel
que soit leur niveau social ou économique
ou leur origine ethnique ou nationale.
Cette destruction concerne autant les
communautés maghrébines, kabyles ou
arabes, berbères du Rif émigrées en
Catalogne et en Andalousie, que les
déracinés du Penjab indien dans la
banlieue nord de Londres ou les
déobandis à Birmingham et à Dewsbury,
dans la banlieue de Leeds.
4.1.1 Le déracinement culturel : un socle sociologique commun aux radicaux
islamistes étudiés
La désagrégation des structures culturelles traditionnelles de la première génération des
immigrés algériens, marocains, pakistanais, indiens, est à l’origine d’une perte de repères culturels au
sein de ces communautés. Les idéologies radicales de retour à l’aïeul, telles le salafisme, le tabligh,
se présentent comme un mouvement de réveil de l’islam des aïeux. Dans la pratique, le salafisme
radical consiste en une reconstruction identitaire basée sur une rupture avec la tradition culturelle de
la communauté d’origine, ethnique, villageoise, en faveur d’une adhésion à un dogme nouveau,
éminemment moderne, qui se réclame au plan idéologique de l’école salafiste médiévale et des
premiers temps de l’islam.
A la différence des travaux35 réalisés sur les salafistes en France, et grâce à l’ethnographie
des pratiques des radicaux, on va découvrir au contraire qu’au lieu de restaurer le lien social avec
la famille, la communauté ou avec les autres religions, le mouvement de radicalisation salafiste
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 42
34 Le déracinement au plan sociologique consiste selon Pierre Bourdieu en l’effondrement des repères culturels traditionnels d’un groupe culturel, d’une communauté ou d’une famille élargie. 35 Samir AMGHAR, op.cit.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 43
détruit les repères des jeunes au sein de leur famille même, leur ethnie, leur quartier et avec la
communauté nationale. Ceci aboutit à la reconstruction d’un lien politique et social nouveau dans les
structures sectaires au plan politique (umma), au plan social (al jamaa à la place de la famille et du
groupe ethnique ou culturel), au plan territorial (la mosquée au lieu de la cité), au plan culturel (la
figure du gourou remplace symboliquement celle du modèle paternel du père ou du grand frère).
4.1.2 Effondrement des repères culturels et traditionnels chez les musulmans
déracinés
Les entretiens et les observations sur le terrain montrent que la radicalisation au plan
sociopolitique constitue une rupture avec le groupe culturel d’origine (famille, territoire, culture
traditionnelle de l’ethnie d’origine36). Elle aboutit à la construction d’une identité politique et
culturelle réinventée dans un cadre idéologico-politique de l’islam. Il est essentiel de noter que les
pratiques, les référents religieux des jeunes radicaux sont en opposition aux référents religieux,
traditionnels et culturels de l’islam du rite malékite maghrébin ou encore du courant hanafite d’Asie
du Sud. Contrairement à ce qui est dit dans certaines recherches, la radicalisation salafiste est une
rupture avec la tradition religieuse de l’islam traditionnel dans son acception savante et populaire à
la fois.
Ce phénomène a été observé dès le début des années 1980 chez les British Muslims en
Grande-Bretagne « [...] among the community leadership are very few individuals who are
thoroughly familiar with the long heritage of Islamic scholarship »37. Les militants et sympathisants
radicaux montrent une méconnaissance de leur propre tradition religieuse, qu’elle soit vernaculaire
ou savante. A ce propos, les entretiens menés par Wendy Kristianasen dans le cadre de cette étude
montrent un déficit de connaissances religieuses et culturelles important chez les militants en cours de
radicalisation. A Batley, localité située à 15 kilomètres de Leeds, les jeunes qui fréquentent une
association islamiste, the Ansaar Organisation, répondent à la question de savoir à quel islam
appartient leur famille. L’un d’entre eux est incertain :
« Ils sont sunnites, n’est-ce pas ? »
Un autre ajoute :
36 Cette observation essentielle a déjà été faite en 1999 dans le cas des radicaux en Grande-Bretagne par Jorgen S. NIELSEN, Towards a European Islam, London: Macmillan Press Ltd, 1999, voir p. 24. D’autres recherches universitaires de qualité avaient aussi mentionné ce même problème tels C. CURRER, The Mental Health of Pathan Mothers in Bradford, Coventry, Department of Sociology, University of Warwick, 1983. R. SHARIF, « Interviews with young Muslim women of Pakistani origin», Research Papers : Muslims in Europe, n° 27, Sept, 1985, et F. HUSSAIN, Muslim Women, London : Croom Helm, 1984. 37 J.S Nielsen, op. cit, p. 23
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 44
« Ils disent que nous sommes sunnites, mais nous ne savons pas en quoi ça consiste, par conséquent on ne sait pas. »
L’ignorance vis-à-vis des appartenances traditionnelles religieuses indique une déculturation
qui est souvent un des facteurs de radicalisation islamiste.
En Espagne, Jordi Moreras note l’échec des institutions traditionnelles (la mosquée et la
famille) parmi la communauté musulmane originaire du Maroc : « La première génération de
Marocains immigrés a voulu bâtir un modèle de reproduction communautaire sur la base de liens
ethniques et nationaux » écrit-il. Ce modèle aurait échoué parmi la nouvelle génération. De plus, les
radicaux salafistes seraient apparus en Catalogne au moment où la transmission de l’islam
traditionnel malékite institutionnel échouait. Les monographies réalisées par notre équipe dans
différentes localités en Catalogne et à Ceuta montrent que ces migrants déracinés adhèrent au
salafisme radical et au tabligh au détriment de leur tradition religieuse propre.
Un jeune partisanvii salafiste âgé de 32 ans et habitant Barcelone parle de son adhésion au
salafisme radical et explique pourquoi il remet en question l’héritage religieux traditionnel familial
qui selon lui est dépourvu de sens réel.
« Avant je pratiquais mais c’était le résultat de l’héritage familial mais sans avoir une connaissance profonde de ce je faisais (…) Les salafistes sont les gens qui peuvent transmettre de manière fidèle le véritable message de l’islam (…) Je fais le ramadan et la prière mais je ne savais pas trop quel en était le sens».
Ainsi les salafistes dans cette localité ont apporté selon ce sympathisant « un sens profond »
aux pratiques religieuses. En réalité les salafistes radicaux affiliés généralement à l’islamisme
wahhabite remettent en question le malékisme des parents qui est limité à une transmission orale
dans le cas des migrants déracinés. Pour cette raison, la légitimité des salafistes est acquise aux
yeux des jeunes déculturés grâce à des références aux grands textes des Anciens et non à une
simple tradition orale comme celle de leurs parents.
En comparant la pratique religieuse familiale à une pratique froide et dépourvu de sens un
salafisteviii, âgé de 32 ans, propriétaire de deux commerces à Masvert explique :
« La répétition des pratiques héritées des parents n’ a pas de sens concret. C’est comme ramadhan, je le faisais car mes parents me disaient de le faire (…) Mon père me disait que je devais lire le Coran mais c’est « S » un chef salafiste de la mosquée locale qui m’a appris à le lire».
La critique de la tradition religieuse du père par ce salafiste montre que l’islam des parents
n’a pas de signification concrète aux yeux de ce militant. Réduit à une transmission familiale et à des
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 45
pratiques traditionalistes, l’islam malékite s’est désagrégé parmi ces migrants marocains de Masvert
au profit d’un salafisme wahhabite venu d’Arabie Saoudite.
En s’installant à Tarragone, les radicaux disent aux migrants que le salafisme n’est pas une
pratique radicale ou extrême. Leur discours consiste à expliquer aux travailleurs musulmans que la
doctrine salafiste était « la version définitive et unique de l’islam et elle ne pouvait pour cette raison
accepter d’innovations ou ajouts »ix. En s’appropriant le rôle de gardiens de la tradition, les militants
radicaux expliquent en réalité aux déracinés que le salafisme préserve leur histoire et leur tradition
religieuse de tout syncrétisme susceptible d’altérer l’identité religieuse de ces ouvriers marocains
résidents en Espagne.
De la même manière les résultats de l’enquête sur la radicalisation salafiste en Catalogne
montre que les mosquées, les lieux de culte et la représentation de l’islam ont été prises en main par
des chefs qui sont en réalité des commerçants et non des clercs. L’enquête en Catalogne montre que
la représentation de l’islam dans cette région est investi par des businessmen qui sont devenus des
militants politiques de la radicalisation et non par des religieux traditionnelsx. Des locaux
désaffectés ou des entrepôts préfabriqués dans des zones industrielles sont proclamés « mosquées »
par les salafistes radicaux comme on peut le constater dans la localité de Martorell et à
Torredembarra (voir figure 7,8,9 ).
Masvert est une ville industrielle située à 35 km de Barcelone. Il s’agit d’un nœud de
communication important (TGV et autoroutes). La population marocaine représentait 7,2 % des
habitants de cette localitéxi. La croissance rapide de cette population venue du nord du Maroc
explique en partie son besoin de disposer d’espace religieux et identitaire. Estimé à 237 personnes
en 1991 et à 1676 migrants en 2003, la minorité musulmane représentait 1802 habitants en
2006xii. Les salafistes radicaux ont été les seuls à répondre et prendre en charge cette demande au
détriment des modérés. La mosquée tariq al falah (le Chemin du salut) a été créée par des migrants
du Rif en 1997. La mosquée proche des salafistes a été fondée par des adeptes opposés au culte
traditionnel. La mosquée Tariq al Falah a été crée à l’issu d’une scission avec la mosquée al Hidaya,
la rédemption, crée en 1990. Cette dernière est proche du culte modéré traditionnel et de la Mairie
locale. Masvert est une ville qui compte une ancienne main d’œuvre de marocains employés dans les
industries de la chimie et de l’automobile.
Figure 5-Mosquée Tariq al Falah Figure 6- Mosquée al Hidaya, Martorell
(Catalogne), photos réalisées par Jordi Moreras
Située au bord d’une autoroute, cette mosquée de Torredembarraxiii est autant un lieu de
commerce, d’idéologisation que de prières.
.
Figure 7 : Localisation d'un local de prière salafiste en banlieue de Torredembarra, (conception Jordi
Moreras, septembre 2007)
En marge du centre-ville des espaces de relégation sont transformés en lieu symbolique du
salafisme sectaire en Catalogne. Noyé dans une zone industrielle excentrée, la mosquée des
salafistes radicaux à Vic n’est pas accessible à tous. Les femmes en l’occurrence ne disposent d’aucun
espace de prière comme on peut le constater souvent dans le cas des mosquées radicales de ce
type.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 46
Figure 8 Schéma de représentation d'un espace de prière et de réunions salafiste à Torredembarra (
réalisation et conception J. Moreras, septembre 2007).
La pratique religieuse salafiste radicale cohabite avec le commerce de voitures car le local
de rassemblement salafiste est aussi un lieu de commerce de voitures. Des voitures d’occasion
entreposées à la lisière de « la mosquée », sont vendues entre adeptes (figure 9 )
Figure 9. Plan de localisation d’un local de prière salafiste de Torredembarra (Réalisation J. Moreras,
2007)
Les entretiens approfondis réalisés par Pierre Nicolas chez les jeunes islamistes de Boulogne-
Billancourt, dans la banlieue parisienne, ont révélé que les militants prônent un islam nouveau dans
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 47
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 48
lequel les rituels religieux, les fêtes musulmanes et les pratiques cultuelles sont différents de la
tradition culturelle de leurs parents, ceux-ci ayant généralement conservé la pratique traditionaliste
du malékisme maghrébin.
L’observation des rituels « religieux » d’une jeune militante islamistexiv, issue d’une famille
algérienne d’ouvriers des industries automobiles, montre également une fracture culturelle et
religieuse entre cette militante et ses parents. L’islam populaire de la mère, notamment, est critiqué
par sa fille, qui s’oppose à l’usage ancestral des talismans ou encore au port de la main de Fatima
pour se préserver du mauvais œil, pratiques interdites par l’islam traditionnel. En même temps ; cette
jeune militante défend la pratique islamiste de la roqia et y recourt à l’occasion (il s’agit d’une
activité de désenvoûtement utilisée par les gourous tablighixv ou encore salafistes sur les adeptes). La
roqia serait « islamique » tandis que les pratiques de leurs parents ne seraient que le produit de
superstitions paganistes ou impies.
Le refus et l’opposition des militants radicaux aux fêtes religieuses cardinales de l’islam
comme al mawlid, qui célèbre la naissance du Prophète, constituent un acte de dissidence vis-à-vis la
tradition culturelle et religieuse du groupe culturel d’appartenance. Selon un immigré marocain,
membre d’un groupe salafiste de Tarragone, petite localité située en Catalogne, cette fête
religieuse majeure de la culture marocaine et musulmane est un acte d’apostasie qu’il qualifie de
chirk (associationnisme). Il explique cette dissidence religieuse en ces termesxvi :
« Le meilleur hommage au Prophète au quotidien consiste à suivre ce qu’il a dit et ce qu’il a fait durant sa vie ».
Selon l’idéologie radicale, cette pratique traditionnelle qui fête la naissance du prophète
constitue une « innovation » et pervertit à ce titre la tradition authentique, limitée aux seules
pratiques attribuées aux prophètes par les traditionalistes auxquels se référent les salafistes
wahhabites. Or l’histoire de la tradition islamique montre qu’une grande partie de ce corpus
religieux et du dogme s’est constituée en plusieurs étapes successives, après la mort du Prophète. Ce
processus historique, qui a occupé les Califes, se résume en une compilation du Coran par le calife
Othman.
Les pratiques d’isolement du jeune, coupé de sa famille et de sa culture, contribuent au
quotidien à la destruction des repères culturels et sociaux qui constituent les cadres de la mémoire
collective de sa famille. Dans ce contexte, l’identité culturelle de l’individu est considérablement
fragilisée. Les jeunes radicaux se réclament en réalité d’une idéologie politique, le salafisme radical,
qui, sur le plan des rituels religieux, fait référence au wahhabisme, au détriment du malékisme ou du
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 49
hanafisme qui sont respectivement les deux écoles religieuses dont sont issus les Maghrébins et les
Indo-Pakistanais immigrés en Europe.
Il convient de qualifier cette pratique de schisme sectaire dans le cas des radicaux issus de
l’immigration déracinée du Maghreb en France, en Espagne et en Grande-Bretagne.
4.1.3 Echec de la transmission d’une tradition culturelle et religieuse
L’univers social et culturel antérieur, dans le milieu familial des radicaux rencontrés dans le
cadre de cette étude, montre que l’éducation religieuse et culturelle occupait une place limitée, voire
inexistante, dans la socialisation des jeunes dès l’enfance. Pour cette raison, l’adhésion à une
idéologie islamiste radicale est vécue comme une « réislamisation » ou encore une « conversion ».
Dans l’espace public et communautaire, en l’occurrence, la remise en question de l’héritage
culturel des aînés par les cadets devenus radicaux a joué un rôle essentiel dans la montée en
puissance de ces derniers dans les cités et les quartiers périphériques. Dans la « Cité des 4 000 »xvii
de La Courneuve, un des hauts lieux de recrutement du radicalisme violent depuis 1994, l’exclusion
des « chibanis » (les anciens) de leur mosquée par les takfiri signifiait « l’établissement d’une nouvelle
loi dans la cité ». La mosquée était un repère culturel et social important pour ces ouvriers à la
retraite ou au chômage, issus eux-mêmes d’un parcours d’immigration et d’exils.
Le renvoi des chibanis par les radicaux violents a été vécu comme une humiliation par les
habitants de la cité, d’autant plus que l’occupation de la mosquée par ces jeunes délinquants
devenus « des vrais musulmans » – et dont certains ont rejoint le GIA, comme Stéphane Aït Idir,
Tarek Fellah et Redouane Hammadi qui participèrent à l’attentat de Marrakech38 contre l’hôtel
Atlas-Asni, le 24 août 1994 – avait été accompagnée d’une campagne de dénigrement des
« anciens », qualifiés de « mauvais musulmans ».
Dans la Cité des 4000, chez les jeunes qui sont passés de la délinquance à un engagement
sectaire radical et violent, le processus de rupture avec la génération des pères et leur culture est
38 Ils ont été condamnés à mort lors du procès de Fès qui eut lieu en 1995, l’attentat ayant causé la mort de deux touristes espagnols. C’est Rachid, un Marocain né en 1958, de son vrai nom Abdelillah Ziyad, qui avait recruté les jeunes beurs à La Courneuve avant de les envoyer en Afghanistan via Peshawar. « Rachid » organisait des trafics d’armes à partir de l’Allemagne vers l’Algérie (L’Humanité, 30 janvier 1995). Il reste des zones d’ombre autour de ce personnage mystérieux dont on ne sait pas jusqu’à présent s’il militait pour le Mouvement de la Jeunesse islamique marocaine, comme il l’a affirmé, ou pour les services algériens. Dans Exils et Royaumes, Hervé Terrel raconte qu'en 1986, c’est à la mosquée de la rue Jean-Pierre-Timbaud que furent recrutés aussi bien les deux Marocains qui l'aidèrent à organiser les attentats à Paris que Stéphane Aït-Idir et Redouane Hammadi.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 50
souvent évoqué par les militants salafistes radicaux du quartier. Cette destruction des repères
culturels, que nous avons constatée lors d’entretiens avec des jeunes radicaux dans les cités des
banlieues françaises, mais aussi avec les salafistes issus de la communauté marocaine en Catalogne,
est qualifiée de « vide religieux» par Jordi Morerasxviii. L’absence d’institutionnalisation du culte
musulman dans les petites villes de Catalogne, ainsi que le choix d’un faible encadrement politique
de la part des autorités sécuritaires locales, a abouti à une emprise des radicaux salafistes
wahhabites sur les immigrés marocains de Vic, Martorell, Santacoloma et Reus. En même temps, on
constate le phénomène inverse à Barcelone où la pression des institutions islamiques a constitué un
contre-pouvoir efficace, empêchant les courants wahhabites et tabligh de s’emparer des lieux de
cultes musulmans.
La prédominance des salafistes wahhabites et des tabligh dans les lieux de culte des localités
marginalisées traduit au plan politique une dislocation du lien politique et du sentiment
d’appartenance à la collectivité nationale, ce qui permet à un militant islamiste de La Courneuve de
parler d’« absence de l’Etat » dans ces nouveaux ghettos.
Cette question est vitale. Nous montrerons dans la section II consacrée à la radicalisation
violente, que la déliquescence des instances représentatives religieuses, de la société civile locale et
de l’innervation publique constituent le contexte politique local qui favorise le processus de passage
d’un simple militantisme radical à un soutien à la radicalisation violente.
4.1.4 La remise en question de l’héritage culturel des primo-immigrants
Créer une histoire et culture collective qu’on n’a pas apprise à l’école ou qui n’a pas été
transmise par les parents et la communauté permet au salafisme radical aujourd’hui d’inventer une
nouvelle identité politique porteuse de puissance en appelant au rétablissement de l’empire
musulman et une nation islamique telles qu’ils avaient existé avant la chute du Califat en 1922.
Instrumentalisés, ces référents deviennent un puissant levier de recrutement pour des garçons qui ont
perdu leurs repères identitaires. La présence à l’histoire, la question des conflits armés, est en réalité
l’expression d’une dislocation de l’identité historique et culturelle collective.
On peut citer utilement l’exemple des convertisxix français ou anglais de souche.
Paradoxalement, la rupture avec un parcours culturel « conservateur » ou encore « matérialiste » et
le contact nouveau avec des personnes d’origine culturelle différente seraient les raisons de leur
conversion. Selon des sources journalistiques, en France, plus d’un quart du mouvement salafiste
radical serait constitué de Français de souche. Le déficit d’une altérité culturelle apparaît alors
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 51
comme révélateur d’un problème identitaire chez ces militants, qu’ils soient « blancs » ou bouddhistes
ou hindouistes xx.
Mais l’histoire familiale, parentale, villageoise, et son rôle durant la colonisation, est souvent
méconnue chez ces jeunes radicaux qui pourtant rebondissent sur le leitmotiv colonial pour rappeler
les torts causés par la France dans les pays dominés. Ainsi, à la Cité des 4 000, un jeune salafiste
dont le père avait milité en faveur de l’indépendance de l’Algérie, n’avait jamais entendu parler de
cette histoire familiale.
On peut aussi observer ce problème dans le rapport mémoriel à la culture villageoise de ses
parents chez une jeune kabylexxi. Faute d’un cadre de la mémoire familiale et par conséquent de
lien interfamilial et de l’acte de se souvenir ensemble, qui constitue l’alpha et l’oméga de
l’appartenance d’un individu à son clan, celle-ci ne peut restituer le sens de la trajectoire de
l’immigration du père ou de la mère, celle de l’histoire du village ou tout simplement celle de ses
parents, de leur date d’arrivée, etc. Sans doute, l’illettrisme, l’absence d’une langue de
communication commune (l’arabe maghrébin) a été un élément central dans la destruction du lien
social au sein de certaines familles fortement touchées par la déculturation. Ce phénomène est
commun au parcours familial des jeunes islamistes en France, en Grande-Bretagne et en Espagne.
Ce phénomène culturel qui se reproduit chez des jeunes hommes ou femmes devenus radicaux
témoigne de la faiblesse, voire de l’absence de cadres sociaux, de la mémoire collective familiale. A
cette étape, nous pouvons mettre le doigt sur un des éléments essentiels de la désagrégation de
l’identité culturelle : le lien entre celle-ci et la perte des repères historiques et culturels, amorçant
l’engagement dans une utopie millénariste — le retour à la première société prophétique de l’islam
chez les tabligh, les salafistes et les Frères musulmans.
4.2 Une individualisation impossible dans le cas des jeunes radicaux islamistes
4.2.1 Un sentiment d’échec individuel vis-à-vis de la société
Comme nous l’avons montré précédemment, la radicalisation est un processus qui comporte
deux niveaux. En premier lieu, le déracinement qui affecte l’identité collective, notamment à travers
la fragilité ou l’absence de cadre de la mémoire collective familiale ; en deuxième lieu, l’identité de
l’individu à travers l’expérience de traumatismes liée à l’échec dans le domaine affectif, comme le
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 52
mariage, ou encore dans la vie professionnelle. Paradoxalement, l’importance de l’échec individuel
apparaît fortement chez les radicaux qui ont eu un parcours scolaire normal et un niveau
universitaire.
Il reste que l’échec personnel des militants auprès de qui nous avons enquêté, est souvent lié
à l’expérience d’une exclusion sociale basée sur leur appartenance ethnique et religieuse. Ce
sentiment d’échec est particulièrement apparent dans le parcours de ces jeunes à partir des attentats
du 11 septembre 2001 à New York. L’expérience d’un jeune diplômé d’origine marocainexxii,
employé dans une ONG de Catalogne, donne des indications intéressantes sur les facteurs
extérieurs qui déclenchent un repli identitaire et favorisent le sentiment d’échec dans la réalisation
de soi en tant qu’individu. Après les attentats de Madrid en mars 2004, ses relations sociales
avec les autochtones ont changé. Il décrit la montée d’une islamophobie envers la communauté
musulmane de Catalogne :
« J’ai eu besoin alors de mieux comprendre mon identité musulmane et de comprendre ce qui avait changé dans mes relations avec la société espagnole, y compris dans mon travail où j’avais droit à certains commentaires de la part des collègues qui me déclaraient : « Toi tu es intégré, tu n’as pas de problème, mais tu ne connais pas bien les musulmans »
En d’autres termes, dans son milieu professionnel, ce travailleur social avait le sentiment que
son identité religieuse était stigmatisée par ses collègues et ses amis. A partir de ce moment, il se
replie sur sa communauté et commence à fréquenter la mosquéexxiii où il fait régulièrement la prière
et les rituels. Le repli identitaire se traduisait dans son cas par de nouvelles relations avec les
islamistes et les conservateurs de sa communauté. Jordi Moreras explique que le sentiment d’échec
dans les relations amicales et professionnelles de cet animateur associatif avait été vécu comme un
échec personnel dû à son appartenance religieuse et ethnique en tant que musulman et marocainxxiv.
Vue de l’extérieur de la communauté musulmane, la stigmatisation vis-à-vis des migrants marocains a
lieu sur des critères culturels, ces derniers sont qualifiés de manière péjorative de « Maures »xxv.
La xénophobie dans les sociétés britannique ou espagnole est décrite par les islamistes
salafistes comme intrinsèque à ces sociétés. Tout effort d’intégration serait vain selon eux à cause
des préjugés qu’entretiennent ces populations à l’encontre des musulmans.
Un militant salafistexxvi, ouvrier dans une usine de la localité de Masvert en Catalogne,
évoque avec fatalisme cette situation de domination subie39 :
39 Sur la formation du stéréotype de Maure l’ouvrage de José Antonio GONZALEZ ALCANTUD, Lo moro, las logicas de la Derrota y la formacion del esterotipo islamico, Le Maure d’Andalousie, les raisons d’une exclusion et la formation d’un stéréotype, Tours : L’archange minotaure, 2002.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 53
« Je me fiche de me sentir à la marge de cette société qui est différente de la mienne. Ces derniers temps, elle a vraiment montré sa xénophobie envers les musulmans. Ce que pense la société catalane de moi ? Je m’en fiche car je sais que si je faisais tout ce qu’on me demandait afin de m’intégrer, ça serait encore insuffisant à leurs yeux. Mais je n’ai de comptes à rendre qu’à Dieu ».
Le racisme et la xénophobie constituent une expérience des plus difficiles car ils affectent
l’individu et le groupe d’appartenance à la fois. En contraignant ceux-ci à prendre conscience d’une
exclusion politique, ils contribuent à mettre un frein aux perspectives d’évolution personnelle du
parcours social individuel. Faute d’un ancrage culturel et politique solide, les jeunes déracinés qui
adhèrent, dans ce contexte, à une idéologie islamiste acquièrent des outils idéologiques qui donnent
l’illusion d’appartenir à une histoire politique « prestigieuse » à travers l’Islam.
4.2.2 Les femmes et la radicalisation
La plupart des radicaux que nous avons rencontrés ont vécu un échec professionnel ou
personnel précoce (divorce et chômage). Cet échec apparaît comme un facteur d’exacerbation de
l’identification aux conflits du Proche et Moyen-Orient perçus par les radicaux comme une
oppression occidentale contre les « musulmans ». On peut citer l’exemple de deux jeunes radicales,
la première, bachelière, est employée dans une société de prestations de services à mi-temps et
garde des enfants comme employée de maison non déclarée. La deuxième, de nationalité
tunisienne, titulaire d’un doctorat en sciences physiques d’une université parisienne, sans travail,
divorcée et sans enfants, gagne sa vie grâce à un travail précaire de garde d’enfants chez des
particuliers. A l’issue de ce double échec, professionnel et personnel, le processus de « retour à
l’islam », le port de l’uniforme islamiste pour ces femmes et la militance dans des associations
islamistes apparaissent comme une compensation à l’échec affectif et professionnel de chacune
d’entre elles.
Les traumatismes liés à une expérience de la xénophobie, par exemple en milieu scolaire,
sont cités par une militante du Mouvement Jeunes Musulmans de Boulogne-Billancourt. Cette dernière,
fille d’ouvriers algériens, explique qu’enfant elle avait vécu une expérience qu’elle ne parvient pas
encore à comprendre. Elle raconte qu’elle était la « bête noire » de son institutrice à l’école
primaire, victime de brimades injustifiées :xxvii
« Pour la famille, ça a été un échec total. Sur les 6 enfants, nous sommes deux à avoir eu le bac, mon frère Rabah et moi. J’ai redoublé le CM1, où j’étais la bête noire de l’institutrice, ça m’a pas mal traumatisée. »
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 54
Elle qualifie les injustices sociales qu’elle a subies au sein de l’école de « traumatismes ».
Selon cette militante active, les brimades étaient liées à ses origines culturelles. Cette jeune femme
de parents algériens déclare en dépit de ses origines qu’elle n’est « devenue musulmane » qu’à 16
ans. Autrement dit, elle considère de manière indirecte qu’elle n’était pas musulmane à cette époque.
La détention d’un critère culturel familial qu’elle qualifie de « culture musulmane » ou encore la
filiation parentale musulmane ne constituent plus dans le cas de cette jeune une identité de musulman.
C’est à l’extérieur à la famille qu’opère le processus de réislamisation de cette jeune qui est née et a
vécu à Boulogne. La réislamisation est également « autodidacte », elle a lieu au contact d’une
personne dont le regard sur l’islam est positif et par des lectures individuelles découvertes
principalement sur internet. Mais le discours des leaders islamistes en France comme Hassan
Iquioussen a constitué un tournant politique dans la recherche « spirituelle » de la jeune lycéenne car
les prêches islamistes de ce dernier tissent une passerelle entre d’un coté l’appartenance à la France
et d’un autre coté, la religion islamique des jeunes maghrébinsxxviii.
« Dès qu’il y avait un bruit ou de l’agitation dans la classe, on m’accusait. J’ai fait un bac gestion, puis j’ai commencé un Deug d’histoire* (Diplôme universitaire du premier cycle) que j’ai arrêté. (…) Je suis devenue musulmane à 16 ans. Ce sont des amis qui m’en ont parlé au lycée. Au collège, j’étais vue comme quelqu’un « de culture musulmane », mais moi je ne croyais pas en Dieu, je ne me considérais pas comme musulmane. Je mangeais même du porc… J’étais très réticente au début. J’étais imprégnée d’images sur l’Iran et les intégristes. Et puis j’ai fait mes propres lectures. Et une amie (…) m’a présenté un autre visage de l’Islam. Elle en parlait de façon très chaleureuse. C’était une Marocaine qui avait découvert l’Islam toute seule, une autodidacte. Moi, je ne supportais pas qu’on me parle d’islam en termes d’interdits, de licite et d’illicite… elle m’a montré un côté beaucoup plus spirituel. Nous écoutions les cassettes d’Hassan Iquioussen (*prêcheur islamiste en France proche du courant de Tariq Ramadan). Au milieu des années 1990, je fréquentais les JMF (Jeunesses musulmanes de France, association proche des Frères musulmans). Hassan Iquioussen est celui qui nous a appris à réconcilier le fait de vivre en France, notre culture d’origine et notre religion. Il nous a montré qu’il était possible d’accorder les trois. Pas besoin de renier l’un pour vivre l’autre. Et avec les trois, je me sentais bien ».
Il faut remarquer à travers ce parcours les nombreuses références à ces ténors de l’islamisme
des Frères musulmans, en France et en Europe. La principale action politique de ces derniers consiste
à consolider le lien politique des jeunes avec leur identité politique française tout en mettant l’accent
sur la dimension « religieuse » authentique de l’islam qui n’est autre qu’un appel à un retour aux
pratiques de « l’islam des premiers temps ». Toutefois la synthèse identitaire proposée par les
prêcheurs islamistes n’est pas toujours possible car les pratiques islamistes des jeunes femmes ou
hommes entrent nécessairement en conflit avec de nombreuses valeurs culturelles françaises. Le port
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 55
du foulard, le rejet de la culture des parents et le refus des droits individuels et l’antisémitisme prôné
à travers le conflit israélo-arabe, constituent dans la vie de tous les jours des freins sérieux aux
tentatives de conciliation de l’identité nationale d’origine, l’identité occidentale et l’islam à la fois.
Néanmoins, l’implication de notre interviewée dans des activités extra-scolaires grâce à une
Maison des jeunes, à l’époque, avait permis à cette jeune femme de dépasser le traumatisme vécu à
l’école. Ce vécu de la ségrégation dans le milieu scolaire serait exacerbé aujourd’hui par les insultes
verbales à l’encontre du vêtement « islamiste » et du « foulard » que cette dernière porte depuis
une dizaine d’années. Pourtant, vêtue d’un seroual et d’un turban, sa tenue apparaît davantage
comme étant une mode exotique qu’un uniforme islamiste typique.
La régression de la condition féminine au sein de la population d’origine maghrébine dans
certaines cités de banlieue, en France ou encore dans les ghettos chez des familles de déobandis à
Dewsbury, est un indicateur de la paupérisation et de la ghettoïsation de ces populations. Dans ce
cas, l’adhésion au mouvement radical constitue souvent la seule échappatoire possible pour un accès
facilité à l’espace public, à l’emploi et au « respect » de l’entourage, en dehors de l’espace
domestique.
Un des facteurs d’adhésion aux idées du mouvement radical islalmiste réside dans « la
gratification morale » du rôle des militantes par l’idéologie islamiste en tant que mères mais aussi
comme épouses. Dans la banlieue de Londres, L’action militante des femmes adeptes dans le cas des
Mouhajiroun est définie à travers le rôle de reproduction par les enfants et l’éducation de ces
derniers dans le cadre de l’idéologie salafiste radicale. La plupart des femmes que nous avons
rencontrées parmi les adeptes de cette secte islamiste à Londres sont jeunes et sont âgées entre 18
et 22 ans. Elles sont mariées avec des militants de l’organisation qui veillent au sein de la
communauté fermée à ce que les enfants aient une éducation conforme aux préceptes édictés par
Omar Bakri, le chef des mouhadjiroun. Les membres de l’organisation n’ont pas le droit de se lier à
des personnes extérieures au groupe. Les femmes des militants se voient entre elles dans le cadre
des rencontres hebdomadaires organisés par le Cheikh. En dehors du contact avec l’époux qui est un
militant, l’adepte femme dans cette organisation n’a pas de contact avec les hommes y compris les
autres militants. De la même façon, la plupart des jeunes femmes de ce mouvement sont mariées à un
âge précoce dès 18 ans et il est rare de rencontrer des femmes célibataires parmi elles. Il s’agit
également d’une manière pour ce type de structure radicale de verrouiller les contacts et les
relations possible entre les militants et le monde extérieur. Une responsable de la section femmes,
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 56
d’âge mure et proche de Bakri est généralement chargée de contacter les militantes célibataires dès
leur recrutement pour leur proposer un mariage avec un militant nouveau.
Mais ce système rigide que nous avons observé lors de visites et d’interviews au sein des
Mouhadjiroun est différent chez les femmes militantes parmi les Jeunes Musulmans de France par
exemple. Ces derniers plus ouverts que les djihadistes donnent aux militantes « carriéristes » une
possibilité de mobilité en interne et de prise de responsabilité en interne mais ces activités sont
réduites aux domaines de l’enfance, de l’éducation et de la femme. Il reste que le principal élément
d’adhésion des femmes à l’islamisme dans le cas des personnes rencontrées dans notre étude
apparaît à travers le discours positif sur le rôle de la femme dans l’islam
Selon une militante islamiste de banlieuexxix, le statut de la femme – souvent humiliée dans
une cité de banlieue ou encore dans le village d’origine en Algérie – à l’inverse, a été de tout temps
respecté par l’islam. Des exemples historiques tirés de la biographie du prophète ou encore des
réformes du statut de la femme dans cette société tribale des premiers temps de l’islam sont cités
pour montrer de manière exemplaire que le foulard est un signe d’émancipation et non de
régression. En même temps, l’expérience précoce du divorce vécu par cette jeune femme, à l’âge de
27 ans, avec son mari militant islamiste, semble avoir joué un rôle dans la remise en question de ce
modèle. Selon elle, si l’islam a beaucoup apporté aux femmes, les droits des femmes sont rarement
respectés parmi les militants salafistes radicaux, et la condition des femmes y est regrettable. Le
désengagement des adeptes du sexe féminin vis-à-vis de ce mouvement est fréquent dans son
quartier et parmi ses connaissances, notamment à l’issue de mariages entre adeptes « salafi »,
alliances qui ont échoué et conduit à une remise en question du salafisme radical.
A partir de 25-28 ans et dans le cas des femmes islamistes radicales on constate une prise
de conscience de contradictions et de pratiques internes qui lorsqu’elles sont réprouvées ou critiquées
par la militante montrent l’émergence de tensions ou de remise en question de l’organisation. La
pratique de la polygamie, la limitation des possibilités de nouer des liens ou de mobilité politique ou
sociale au sein ou en dehors du groupe dans le cas de femmes actives et motivées se transforment en
moment de crise et de remise en question de l’engagement au sein du groupe.
Par exemple, une jeune femme française, âgée de 23 ansxxx, d’origine algérienne, habitant
à Meudon, une banlieue résidentielle, raconte son parcours et explique son entrée et sa sortie de la
radicalisation salafiste. Le besoin d’être active et d’avoir une vie professionnelle épanouie semble
avoir constitué un moment de tension entre cette ancienne salafi et son mari qui militait dans ce
courant. Le port du djilbab, l’uniforme salafiste, a constitué également un frein dans la mobilité
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 57
sociale et professionnelle de cette jeune femme qui a préféré l’enlever après l’avoir porté de
nombreuses années.
« Je me suis mariée religieusement en janvier 2002. Au départ, j’avais commencé à m’investir dans une association qui s’appelait la LIDIM* (Ligue Internationale pour la Défense de l’Islam et des Musulmans), créée par des internautes de Mejliss, un forum du site Oumma.com40. C’est dans ce projet, dans cette association, que j’ai connu F, celui qui allait devenir mon mari. J’étais venue sur Paris pour une réunion de la LIDIM. Nous nous sommes rencontrés 3 ou 4 fois. Il était salafi. C’était la cerise sur le gâteau pour mon père : le voile, ma scolarité qui bat de l’aile, et maintenant un mariage avec un garçon qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. J’étais à l’ouest de tout… aujourd’hui, je suis blasée de tout ! Nous nous sommes mariés à N, en présence de mes parents, convaincus après mes crises. Comme j’étais la petite dernière, l’enfant pourrie gâtée, ils ont fini par céder.
Dans ce genre de mariage précipité, on se plait, on pense que ça pourra passer parce qu’il y a la religion : on partage un bon comportement, les mêmes envies, les mêmes objectifs… on voyait la vie de la même façon. La religion allait diriger notre vie, pas de raison que cela ne fonctionne pas, donc nous nous sommes mariés pour éviter la fornication, le péché. Notre mariage a duré de janvier 2002 à juillet 2006 (elle compte : 4 ans et ½). A l’époque je voulais des enfants, mais ma santé ne me le permettait pas. Chez les salafi, les contraceptifs sont strictement interdits, mais on m’a autorisé la pilule pour raisons de santé. Nous étions à fond minhaj salafi, nous ne lisions que salafi, nous ne côtoyions que des salafi, nous fréquentions des mosquées salafi…
Je suis retournée vivre à M. La mosquée de Clamart était tenue par des takfiri – même s’ils se disaient salafi. Des garçons qui suivaient des leaders comme Abou Qatada. Mon mari n’était pas d’accord avec eux. Il y avait des polémiques entre eux, des débats sans fin à la mosquée. Nous n’étions pas influençables par ces gens-là. Nous n’étions pas des durs. Nous avions un cercle d’amis, des salafi tranquilles de N, de V et du 93… Les deux mosquées dans lesquelles nous allions étaient à V et à L. Je me reconnais toujours aujourd’hui dans leur discours authentique et tranquille.
Ce qui a coincé avec mon époux, c’est que cette ambiance salafi m’a un peu saoulée. J’allais mieux, je me suis aperçue que j’étais jeune, que j’avais interrompu l’école… et je voulais atténuer ma « visibilité » (à l’époque, je portais le jilbab). J’avais envie d’être active, de travailler, d’avoir une vie où la religion et le travail se conciliaient. Le regard des autres me pesait. Je n’avais pas envie de rester à la maison, mais comme j’avais donné l’habitude à mon ex-mari de ce mode de vie, ça l’a un peu effrayé. Nous nous sommes mis d’accord, et j’ai trouvé un travail dans lequel je pouvais porter le voile (comme je fais toujours aujourd’hui). Mais je savais bien que ce mode de vie ne lui convenait pas. Ça l’a fait pendant un an et demi. Là-dessus se sont greffés d’autres problèmes… avec ma belle-famille. Ma belle-mère, kabyle et peu pratiquante, n’acceptait pas notre mariage, elle pensait que c’était moi qui avais « islamisé » son fils. En fait, j’avais plus envie de changer de vie que lui, même si après le divorce, il a changé de façon toute aussi radicale. Il s’est voilé la
40 On les appelle les « mejlissiens » ; beaucoup sont salafi, ndlr
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 58
face pendant plus longtemps que moi. Aujourd’hui il me dit : « Je te respecte plus qu’avant, parce que tu ne t’inventes plus une vie, tu es sincère ». Nous sommes séparés, mais nous nous entendons super bien. J’ai tourné une page dans ma vie ».
La rupture nécessaire avec la société en place, induite par le salafisme radical n’est pas
toujours acceptée par tous les adeptes d’autant plus que le port de l’habit islamiste constitue un
facteur de visibilité plus important chez les femmes qui se couvrent complètement le visage par le
niqab par exemple et qui préfèrent se désengager de la radicalisation. Le nombre de femmes que
nous avons rencontrées dans ce cas est limité. Il semble aujourd’hui dans le contexte d’émergence et
de croissance du mouvement islamiste que la phase de désengagement41 n’est pas encore au
rendez-vous compte tenu de la conjoncture exacerbée qui favorise la radicalisation tels que
l’exacerbation de l’islamophobie et le racisme, l’effet induit par les attentats du 11 septembre 2001
et de Madrid en mars 2004, la guerre d’Irak et le traitement passionné de l’islam par les médias.
A partir des parcours de déradicalisation que nous avons rencontrés dans le cadre de cette
étude, le désengagement relève d’un processus individuel qui de manière générale, est amorcé par
le blocage de la critique et du débat libre au sein des groupuscules radicaux. Toutefois à des
niveaux supérieurs du mouvement nous avons observé également l’existence de départ et de
désengagement vis-à-vis des Frères Musulmans et de l’OIF dans le cas d’un responsable qui a voulu
garder l’anonymatxxxi. Selon lui, l’adhésion à l’islamisme dans ce cas venait d’une demande spirituelle
forte de sa part mais la découverte de stratégies d’enrichissement et de verrouillage autoritaire en
interne dans le cas de responsables de ces organisations a poussé cet ancien chef islamiste à
remettre en question son engagement en faveur d’un travail associatif au niveau local auprès
d’associations d’affiliations politiques et communautaires plurielles.
4.2.3 Repli identitaire et rupture du lien social
Le processus de séparation et de rupture entre les jeunes issus de la communauté musulmane
a lieu bien avant la phase d’engagement dans la violence, ou tabligh. Il a lieu, selon les cas
enquêtés, à travers la rupture du lien interculturel, comme le montre le cas des jeunes British Muslims
appartenant au courant Jamaati de la mosquée située dans East London.
L’isolement social des musulmanes, entrepris dans certains cas par des organisations de
radicaux, est un processus latent qui intervient auprès d’un public très jeune, composé d’enfants en
41Dans le cas d’un récit de désengagement vis-à-vis de la radicalisation d’un jeune musulman britannique voir AD HUSSAIN, The islamist, London : Penguin, 2007. Sur le processus de désengagement des jeunes sympathisants et sympathisantes du FIS en Algérie voir Schams BENGHRIL (pseud.), La décomposition du djihad dans les quartiers populaires d’Alger, Annuaire Afrique du Nord, Aix-en Provence : Ed. CNRS, 1999.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 59
fin de cycle élémentaire, de collégiens et de lycéens. Chez les Jamaati, à Londres, la séparation en
tant que processus social et culturel inhérent à la radicalisation, est le résultat de l’interdiction faite
aux jeunes de la mosquée de participer à des loisirs « non islamiques », autrement dit à des
sociabilités en dehors du cercle islamiste. Ici l’interdiction consiste en une technique psychologique
consistant à culpabiliser les jeunes adeptes et à opposer la sociabilité avec les non musulmans à une
pratique juste de l’islam. En cas de désobéissance, la punition n’est pas physique mais psychologique
et se manifeste à travers de suspicions à l’égard de la foi du jeune adepte.
A Noisy-le-Sec, dans la banlieue nord de Paris, on peut observer également ce phénomène
de remise en question du lien interreligieux à travers les centres culturels « islamiques ». Ce travail
de séparation des jeunes issus des populations maghrébines intervient dans la remise en question des
symboles communs au Coran et aux Evangiles.
La rupture du lien interreligieux dans les banlieues est au cœur du processus de radicalisation
des nombreux jeunes rencontrés. Comme le montre notre chercheur en Grande-Bretagne, mais aussi
comme nous pouvons le voir à travers les entretiens réalisés parmi une multitude d’organisations
radicales d’obédiences politiques diverses dans la banlieue parisienne, la remise en question des
éléments communs aux musulmans et non-musulmans dans le quotidien est un des enjeux politiques de
l’idéologie radicale.
Pour les radicaux animateurs de ces centres, préserver les jeunes musulmans de la « perte de
leur religion » consiste surtout à leur expliquer, lors de cours hebdomadaires, que les autres religions
sont basées sur des légendes « inventées » alors que le Coran serait basé « sur la science », preuve
qu’il est une « création de Dieu ». Ainsi le dialogue interreligieux mené par l’Eglise et l’Islam depuis
des siècles est ignoré par les « formateurs » de ces centres au profit d’un discours idéologique qui
participe à la destruction du lien interculturel entre les jeunes adolescents et préadolescents d’origine
musulmane et les autres confessions.
L’isolement n’est pas une action voulue comme telle ou du moins n’est pas systématiquement et
délibérément voulue par ces centres. La volonté de préserver une identité culturelle menacée par la
déculturation est vécue comme une « disparition latente » ou comme une « menace » provenant des
autres groupes sociaux contre les musulmans et leur culture. La crispation identitaire inhérente au
processus sociologique de la radicalisation intervient principalement en réponse à un sentiment
subjectif qui constitue une « menace sur la pérennité de l’identité collective des musulmans en
Occident » selon de nombreux animateurs de la base du mouvement islamiste en Europe. A Vitry
dans la banlieue sud de Paris, la création d’une école « islamique » fait l’objet d’une assemblée
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 60
générale de parents issus pour un nombre important d’entre eux d’une immigration récente du
Maroc. La présence d’un représentant de l’UOIF à cette initiative locale donne au projet un ancrage
dans le mouvement islamiste mais montre également qu’il se réfère par la même occasion à un cadre
institutionnel cultuel reconnu par l’Etat et qui ne cherche pas à s’opposer à lui. Toutefois les allocutions
prononcées par les organisateurs lors de la réunion mettent l’accent sur la nécessité de préserver les
enfants des influences étrangères parmi la société en placexxxii.
Dans le processus de radicalisation, l’isolement et la séparation avec les non-musulmans
constituent une étape importante dans la formation du phénomène sectaire. En Catalogne, dans de
nombreuses localités de petite taille comme Martorell, ce phénomène est de plus en plus perceptible
chez les jeunes immigrés.
Originaire de la province du Nador (Nord du Maroc), ce jeune commerçant de 32 ans, qui
dispose d’une formation scolaire élémentaire et maîtrise peu la langue espagnolexxxiii, explique sa
volonté de vivre en marge de la société :
« (…) Avec les non-musulmans, on doit avoir des relations cordiales mais on doit pas approfondir. Si on approfondit les relations avec les non-musulmans, on risque de douter de nos convictions musulmanes (…) »
Après s’être aperçu que la drogue et la prostitution existaient dans les bidonvilles du Nador
(dont il avait une perception positive auparavant), il a émigré en Espagne où, à l’issue d’une retraite
spirituelle avec un chef tabligh, il est devenu salafiste wahhabite.
La doctrine de rupture sociale et culturelle avec le pays d’origine et le pays d’accueil est
promue par les idéologues du salafisme radical dès les premiers contacts avec les adeptes. La
motivation de ces gourous consiste selon eux à protéger les jeunes musulmans de l’aliénation et de
l’ignorance vis-à-vis de leur « religion ». Toutefois, même si certains idéologues islamistes sont
opposés à la violence politique, on observe dans les pratiques de ces acteurs politiques une tentative
de destruction de l’intégration culturelle des jeunes et du lien interreligieux dans les localités
périphériques.
Dans le cas des militants de base, ce travail est d’autant plus dangereux qu’il concerne un
public issu des franges modestes de la Seine-Saint-Denis, de la banlieue de Lyon, de Leeds et de
Leicester par exemple. En France, ce public est constitué d’écoliers et de collégiens issus de la
deuxième et troisième génération. Dans un cas étudié, certains parents musulmans inscrivent leurs
enfants dans des écoles privées catholiques afin de leur assurer un encadrement éducatif de
meilleure qualité. Ces adolescents y suivent, selon les militants islamistes, des cours de catéchisme,
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 61
une formation qui suscite la peur et la méfiance des centres culturels islamiques dont une partie est
affiliée à l’UOIF. Pour préserver leur public d’une « christianisation » potentielle, certains d’entre eux
agissent de manière individuelle ou concertée en proposant des conférences hebdomadaires
accompagnées de commentaires de versets coraniques, un matériau de propagande qui n’est qu’une
réplique au catéchisme dispensé à ces jeunes musulmans, aux yeux des militants. Ces organisations
agissent avec d’autant plus de conviction que les enfants qui ont grandi dans des milieux fortement
déculturés n’ont aucune notion préalable de culture religieuse ou de repères religieux qui leur
auraient été inculqués par leurs parents ou par les instances communautaires musulmanes intégrées.
Dans la localité de Vic, en Catalogne, les ouvriers agricoles se sont vu interdire de travailler
aux vendanges, lors de la récolte du raisin, par un leader salafiste wahhabite marocain, venu de
Belgique pour « prêcher » comme imam dans une mosquée locale. Ce système de limitation des
secteurs d’activité professionnelle des immigrés participe petit à petit à la marginalisation de ces
derniers et à un processus de séparation avec la société. Ce salafiste affirmait qu’il était préférable
de demander l’aumône à la porte de la mosquée plutôt que de travailler dans la culture du raisin
dont une partie est destinée à la production viticole.
À travers des mécanismes sociaux variés et divers, décidant du « licite » et de « l’illicite », les
idéologues radicaux mettent en place un système de verrouillage d’une microsociété sectaire. En
interdisant aux femmes marocaines d’être examinées par un médecin, homme ou femme, non-
musulman, ils introduisent une rupture à la fois vis-à-vis de la communauté musulmane de la localité
de Vic et à l’encontre du monde extérieurxxxiv. Un médecin proche du courant radical et adoubé par
le chef du groupe salafiste radical local, est alors désigné pour effectuer les visites médicales
auprès des patientes qui sont souvent les parentes des militants. Dans de nombreux cas, les chefs de
cette mouvance sont les interlocuteurs politiques des appareils sécuritaires locaux qui, faute
d’interlocuteurs visibles, permettent à ces imams autoproclamés de produire une norme culturelle et
sociale sectaire qui freine l’intégration cultuelle des migrants et de leurs enfants.
A l’inverse de l’action de propagande que nous avons observée dans les départements de
Seine Saint Denis (93) et du Val de Marne (94)xxxv, en banlieue parisienne, il importe de signaler la
démarche entreprise par certaines sections des Scouts musulmans qui mènent des actions avec les
Scouts catholiques de France en faveur de la consolidation du lien interculturel. Une action efficace a
ainsi été conduite par la municipalité de Boulogne-Billancourt (92), sous la forme d’activités
communes entre les deux organisations scouts, en direction des cités. Ici, la préservation de l’identité
des jeunes musulmans intégrait la différence sans exclure le lien interreligieux.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 62
Leicester est une ville où 50 % de la population est composée de musulmans d’Asie du Sud,
de migrants des Caraïbes, de Sikhs et d’Hindous. Une partie importante de ces migrants ont connu
déjà une immigration initiale en Afrique. Cependant, les quartiers de migrants somaliens, Sikhs,
Hindous et de musulmans du Pakistan cohabitent. Les quartiers comme Highfields sont constitués de
75-80 % de musulmans et pauvres mais le modèle multiculturel a survécu à l’épreuve de la
radicalisation grâce à une mixité culturelle avec les autres quartiers et une collaboration étroite
entre les responsables politiques et les communautés dans les politiques du logement et de la lutte
contre les ghettos depuis les années 1970.
Leicester compte 24 mosquées dont 19 sont situés dans le quartier de Highfields et 4 sont
représentées par des musulmans Barelwis42. Ces derniers représentent un islam enraciné dans la
tradition soufie asiatique. Toutefois le personnel et l’infrastructure appartiennent à l’ancienne
génération de migrants modérés ont du mal à répondre à une demande de jeunes musulmansxxxvi.
Les responsables ont par conséquent été contraints de recruter de jeunes imams, natifs et polyglottes
pour répondre à une demande cultuelle en provenance d’ethnicités diverses comme les Somaliens, les
Arabes, les Asiatiques et les British muslims.
Enfin les conférences organisées par la police locale en direction des jeunes habitants des
quartiers musulmans donnent à l’institution sécuritaire une bonne image auprès des jeunes comme
l’explique Wendy Kristianasenxxxvii. La politique sécuritaire locale consiste à tisser des relations entre
les différentes ethnicités : musulmans arabes, asiatiques, caraïbes, sikhs, hindou, et des polonais
également présents. La prévention menée depuis de longues années contre la radicalisation a
consisté également en une étroite collaboration avec les associations locales et le soutien de celles-ci
dans le domaine de l’aide scolaire, du sport, l’aide social en direction des adolescents. Les
associations de jeunes issus des quartiers musulmans sont dynamiques et efficaces et ont tenté de
suppléer à l’insuffisance de l’encadrement des familles et des madrassas par la création de la radio
locale appelée Radio Ramadan pour la prévention de la drogue et de la délinquancexxxviii. Les
fonds en provenance du gouvernement local et national soutiennent efficacement ce type de
microprojet associatif. De la même manière, le partenariat mené entre l’association des Muslim Burial
Council of Leicestershire (MBCOL) et le Leicester City Council assure un service de pompes funèbres
en direction des musulmans dans les hôpitaux.
42 Ahmed Kurshid est le président d British Muslim Forum (BMF) qui constitue la congrégation des associations et
mosquées Baghelwi qui compte 400 lieux de culte.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 63
Cependant le quartier de Highfields compte des communautés en difficulté qui pose des
problèmes de chômage, de délinquance et d’illettrisme. La mosquée qui accueille cette frange de la
population est sous obédience mixte de Déobandis et de Barelwis et tente de lutter contre la
tendance sectaire qui envahit les représentations locales des musulmans en Grande-Bretagne.
Cependant la cohabitation de ces deux courants dans le cadre du FMO a connu des rivalités
importantes qui ont affaibli les projets d’ouverture et de libéralisation du culte menés dans ce cadre.
L’insuffisance des moyens financiers et humains témoigne de l’état d’exclusion et de misère de cette
communauté. Les enseignants des madrassas ne sont pas payés par manque de fonds du FMO. De
plus, les formateurs des madrassas viennent du Bengladesh ou du Pakistan et ont un niveau faible
d’anglais.
Ahmed Khorshid, un intellectuel musulman modéré explique que la réforme de l’institution
religieuse des madrassas est nécessaire pour la prévention de la radicalisation. Ce responsablexxxix
de la communauté Barelwi explique :
« Plus de 80 % des Pakistanais viennent de régions rurales. La plupart d’entre eux sont analphabètes y compris en urdu. Ils ont travaillé dans les usines ici pendant 40 et 50 ans mais ne parlent pas l’anglais. La situation est identique dans le cas des Bengalais et des yéménites. Dans le cas des barelwi les imams viennent des villages d’origine, ils sont compétents mais ils ne peuvent communiquer avec les jeunes car ils ne parlent pas l’anglais ou barelwi. C’est un énorme problème. Nous fonctionnons avec ce type d’imams car leur travail est des moins coûteux : 50 £ à 80 £ pour une longue semaine de travail ».
Le recrutement d’un personnel éduqué nécessite des moyens financiers et éducatifs qui font
défaut dans le cas d’un public de condition modeste qui ne peut prendre en charge les frais
d’éducation religieuse des enfants.
L’enquête sur la politique du dialogue interreligieuxxl à Highfielfds montre l’émergence d’une
action dynamique du FMO et des islamistes de la Jamaat islami en direction du clergé anglican
représenté par High-ranking Anglican clergy qui joue un rôle important dans le dialogue
interreligieux en Grande-Bretagne et en Europe. Cependant cette action à l’image du dialogue
interreligieux mené par les islamistes non violents reste souvent limitée à un contact de haut niveau et
a lieu au détriment d’une action effective et suivie, sur le terrain, entre les jeunes musulmans,
chrétiens et juifs, hindous et non pas entre les chefs des communautés.
Dans les cités comme celle des 4000, situées dans des zones plus marginalisées, l’isolement
économique, la faiblesse de l’infrastructure, de l’innervation publique et de la société civile accroît
l’isolement des populations et dote par conséquent le mouvement radical islamiste d’un potentiel
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 64
d’action plus important auprès d’une population déculturée et fragile. On observe le même
phénomène à Vaulx-en-Velin dans la région de Lyon et à Saint-Etienne. On peut parler dans ce cas
d’un processus de déterritorialisation. Le sentiment d’exclusion collectif de la collectivité nationale et
l’absence d’une identité politique locale empêche le jeune maghrébin de se sentir lyonnais,
stéphanois ou enfant de La Courneuve et de s’identifier à l’histoire de ce territoire. Le sentiment
d’appartenance à une cité peut en revanche être porteur d’une culture populaire forte comme c’est
le cas dans certains quartiers de Marseille.
Ce sentiment d’exclusion territoriale est de loin un des facteurs les plus aggravants dans le
processus de radicalisation des jeunes, car il contribue directement à la destruction d’une identité
politique locale. Le déclin du mouvement ouvrier tout au long des années 1980 et la disparition des
structures d’encadrement historiques comme le Parti Communiste, ou encore les structures
communautaires fortes comme l’Amicale des Algériens en France, ont contribué à la désagrégation
d’une identité politique intégrée dans cette périphérie où la population d’origine maghrébine est
aujourd’hui majoritaire. Cette situation d’isolement culturel et politique est aussi aggravée dans
certains cas par la disparition d’un tissu social français de souche.
En Grande-Bretagne le même phénomène a été observé par Wendy Kristianasen dans de
nombreuses localités qui sont devenues à partir des années 1980 des hauts lieux du mouvement
radical déobandi et tablighi à Dewsbury dans la banlieue de Leeds. A Savile town, localité de
50 000 habitants, située dans l’ouest du Yorkshire, plus de 98 % des habitants sont musulmans et
sont originaires de l’Asie du Sudxli. Le départ de la majorité des blancs durant les années 1990 a
participé à l’isolement de ces British muslim et à la remise en question au plan local du modèle
multiculturel britannique dans cette ancienne cité ouvrière des années 1960.
Les relations entre les musulmans et la population autochtones étaient harmonieuses lors de
l’arrivée des migrants mais au fur et à mesure de la croissance démographique de ces derniers les
relations interethniques sont devenues tendues. Une des rares femmes non voilées de Savile Town
évoque le respect dont jouissaient les migrants venus d’Inde et du Pakistan de la part de la
population blanche.
« Je rêve de cette époque ancienne lorsque je suis arrivée dans cette ville en 1967 lorsque les gens avaient un respect les uns pour les autres. A cette époque révolue, lorsque l’intégration était plus faible il y’avait paradoxalement moins de criminalité et pas de terroristes. Aujourd’hui nous avons tous ces problèmes alors que les musulmans sont intégrés plus qu’ils ne l’étaient dans les années 1960, 1970 et 1980 ».
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 65
Cette femme de confession musulmanexlii souligne que le problème entre les musulmans et le
reste de la population a commencé lors du départ des blancs de Savile Town. Dans ce dernier cas,
les écoles privées radicales et déobandis constituaient le principal intérêt pour les nouveaux
arrivants musulmans venus en l’occurrence de Birmingham.
Le qualificatif de ghetto accolé à Savile Town n’est pas une métaphore. Les indicateurs de
développement économiques et sociaux sont parmi les plus faibles d’Angleterre et de Wales en
2004. En effet, 50 % des 16-74 ans ne possèdent pas de qualifications professionnelles et 4,6 %
sont sans emploisxliii. Après l’effondrement de l’industrie dans ces anciennes villes ouvrières, les
migrants musulmans se sont reconvertis principalement dans le petit commerce communautaire et le
service.
Les attentats du 7 juillet 2005 à Londres ont accentué le malaise et le sentiment d’exclusion
de cette communauté originaire à 65 % de Gujerati originaires de la frontière indo-pakistanaise.
Mohammed Siddique Khan, un des commanditaires des attentats est né à Beeston dans la banlieue
de Leeds et s’est marié avec une jeune femme de la communauté musulmane de Savile Town. Cette
localité est étroitement liée au mouvement tabligh en Europe car elle accueille la centrale
européenne de Jamaat Tabligh, appelé Markaz. Le « quartier général » des radicaux fut accusé par
les médias britanniques de constituer une étape charnière dans la radicalisation violente islamiste
dans le pays.
4.2.4 Radicalisation et réislamisation
La plupart des parcours de radicalisation enquêtés montre que la conversion, toutes origines
confondues, des jeunes à l’islamisme radical a lieu dans les pays européens et non dans les pays
d’origine. On note quelques exceptions chez les réfugiés politiquesxliv militants islamistes issus du
monde arabe et chez les « sans papiers »xlv marocains ou algériens de Ceuta ou de Grande-
Bretagne.
Comment expliquer ce phénomène de conversion de jeunes issus de l’immigration dans
l’islamisme sectaire ? Selon les salafistes radicaux de Londres, le tawhid consiste à « rompre avec le
monde des infidèles » xlvi. Il faut savoir que dans la tradition islamique le dogme monothéiste, tawhid
consiste en la déclaration : « il n’y a de Dieu que Dieu ». Or les islamistes sectaires distordent cette
doctrine religieuse et la transforment en un processus de rupture sectaire vis-à-vis de la société en
place. Il s’agit à ce stade du principal mécanisme d’endoctrinement des jeunes adeptes qui
confondent idéologie politique et théologie.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 66
Un islamiste algérien xlvii, réfugié politique en Angleterre et militant de la première heure
(1993) auprès de Abu Hamza al Masri, chef des djihadistes de la mosquée de Finsbury Park, à
Londres, explique la conversion de « Abu Abdallah », un ancien délinquant britannique, originaire
de la partie turque de l’île de Chypre, devenu le chef de l’organisation radicale Supporters of
Sharia (SOS) qui soutient la violence contre l’armée britannique en Irak et en Afghanistan et
apostasie le gouvernement britanniquexlviii :
« Suivre la voie de ahl a-sunna, les adeptes de la tradition, impliquait des changements dans sa vie, notamment dans sa profession et son comportement, car il devait couper, selon la Sunna (la tradition du Prophète, référence politico-idéologique dans le cas des islamistes), avec le monde des infidèles : à savoir ne pas prendre pour compagnons des infidèles et ne pas imiter les infidèles, soit le taqlid. Il décida alors d’abandonner ses activités sportives qu’il considérait comme une futilité. Son objectif consista alors à s’adonner à la dawa (prédication transformée en action d’endoctrinement et de mobilisation) et convaincre ainsi d’autres fidèles égarés de revenir au message de la sunna et d’appliquer le tawhid (dogme de l’unité de Dieu transformé en doctrine politique des radicaux). Il coupa donc les liens avec son environnement professionnel et ne garda de contact qu’avec sa propre mère.»
De même, « l’imitation du mode de vie », c’est-à-dire les normes, les valeurs et le mode de
vie de la société apostat est prohibé afin d’isoler le militant et de l’éloigner de toute possibilité
d’intégration politique et culturelle. Ainsi, le port de la barbe et de l’uniforme islamiste dans ses
différentes variantes constitue un des attributs culturels qui montre une adhésion à la communauté
salafiste et représente un rejet des attributs sociaux de la société. Il n’est pas sûr que ces vêtements
soient une expression d’une tradition culturelle, y compris chez les femmes. Il faut rappeler que le
port du haïk, le drapé blanc en soie, est un vêtement traditionnel féminin au Maghreb, alors qu’en
Asie du Sud le sari représente le mode vestimentaire culturel traditionnel.
La rupture avec les rythmes sociaux, culturels et économiques de la société « impie » est un
des pans de la rupture idéologique des militants salafistes radicaux. Grâce aux cinq prières
quotidiennes effectuées entre adeptes seulement et dans des salles communautaires, l’organisation
du temps de chaque élément du groupe est alors soumise à un contrôle strict. Les activités de loisirs,
de sport, ou encore la fréquentation de commerces, de cafés ou de restaurants, y compris
musulmans, qui ne soient pas gérés par des salafistes radicaux, sont considérés comme des liens
d’appartenance à la société infidèle.
Dans le même ordre d’idées, chaque prière est suivie par une réunion politique ou doctrinale
et se tient dans un gymnase communautaire. Une conférence est alors donnée par un responsable ou
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 67
un gourou, tels Omar Bakri ou Abu Hamza al Masri, sur des sujets comme l’intervention des
« croisés » en Irak, en Somalie ou encore sur des sujets doctrinaux comme « la signification du
tawhid ». Ces rencontres sont en réalité des sessions de formation consacrées à l’idéologie sectaire,
comme le taghout (le tyran) qui représente la figure de l’ennemi dans l’idéologie salafiste radicale.
Enfin il s’agit de rompre toute relation d’amitié ou d’affection en dehors du groupe appelé
firqa ou secte. La rupture a lieu également avec les British Muslims, perçus comme des « renégats »
et des « hypocrites ». Dans cette optique, l’arrêt de toute activité professionnelle auprès des
« blancs » (les Britanniques) apparaît comme un moment essentiel de l’engagement dans une
structure islamiste radicale.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 68
5. Le processus sociologique de la radicalisation islamiste violente : la fabrication de l’ennemi politique
5.1 La question sociologique du passage à la violence
Au plan doctrinal, le processus de radicalisation violente est présent en amont du passage à
l’action armée. Nous montrerons dans la présente section que l’encadrement politique exercé par les
autorités publiques au niveau régional, départemental ou municipal constitue une des modalités
politico-sécuritaires importantes qui freinent le passage collectif à l’action violente chez les adeptes
radicaux. Par conséquent, la déliquescence de ce type d’encadrement politique au niveau local
constitue un des éléments de passage à l’action violente sur un territoire national ou à l’extérieur du
territoire européen.
5.1.1 La régulation de la violence politique par les instances communautaires ou par
le politico-sécuritaire
Ces modes d’encadrement politique sont soumis à des négociations politiques informelles au
niveau local, comme on a pu l’observer entre les radicaux de la Courneuve et les autorités
sécuritaires locales, mais ils peuvent également revêtir une dimension formelle comme dans le cas
des négociations entre l’UOIF et le ministère de l’Intérieur français.
En revanche, en Grande-Bretagne, pour des raisons de politique étrangère liées à
l’intervention de l’armée britannique en Irak, le compromis sécuritaire à l’encontre des leaders
djihadistes du Londonistan, porte-paroles de l’idéologie d’al Qaïda, a contribué à remettre en
question le modus vivendi entre les djihadistes et le gouvernement britannique. L’encadrement des
radicaux par les chefs politiques de leurs organisations est vital dans les moments de forte rupture
politique entre les jeunes et l’identité nationale, et en l’absence de relais politique stables ou d’une
forte société civile locale.
5.1.2 Une radicalisation à l’insu des acteurs
Le mouvement radical est loin d’être un agrégat d’organisations cloisonnées les unes par
rapport aux autres. Les jeunes passent d’une organisation à une autre, des radicaux missionnaires
vers le salafisme ou encore du tabligh vers le djihadisme, ce qui indique que l’évolution de ces
courants a lieu dans le cadre d’un vaste mouvement politique de réislamisation appelant à un
« retour à l’aïeul ».
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 69
Une partie des jeunes sympathisants ou adeptes constituant la base du mouvement sont en
réalité des électrons libres sans carte, ni attaches organiques avec les organisations politiques
radicales. Souvent le lien réel ou affectif avec une figure charismatique ou un prêcheur constitue le
seul lien entre le radical et les idées véhiculées par le salafisme violent.
Au début de notre recherche sur le processus de radicalisation violente, nous avons émis
l’hypothèse que la phase terroriste était une rupture vis-à-vis de la tradition religieuse et culturelle
héritée des parents et une destruction des repères fondamentaux de l’identité politique de l’individu.
Nous sommes revenus sur l’hypothèse distinguant au plan sociologique la radicalisation d’un côté et
la radicalisation violente de l’autre. Il existe une passerelle commune reliant les deux courants sur la
base des référents idéologiques tels les référents aux salafistes médiévaux traditionnels comme
l’imam Ibn Taimiya. Il reste qu’au plan politique, les deux courants sont opposés. L’encadrement par
les leaders, dont un grand nombre sont réservés à l’égard de l’option terroriste, exerce une forte
influence sur la base qui elle, reste ambivalente quant à la question du passage à la violence
politique. Si les leaders de l’un et l’autre courant sont en opposition sur l’usage de la violence
politique et ses modalités, il reste que les deux courants ne peuvent être considérés, au niveau de
leur base respective, comme une nébuleuse qui serait constituée de courants cloisonnés.
5.1.3 L’importance et le rôle joué par l’encadrement politique par le haut
Les facteurs sociaux et idéologiques de la violence, en particulier au plan de la
désagrégation de l’identité nationale, sont présents en amont du passage à l’action violente dans le
cas des jeunes radicaux, sans toutefois qu’il y ait un projet précis.
Un encadrement idéologique mis en place par les chefs des organisations a lieu dans de
nombreux cas en concertation avec les autorités sécuritaires locales. Adoubés par les responsables
sécuritaires locaux, des imams appelés les Aumôniers musulmans des prisons en France sont associés
par les autorités pénitentiaires afin d’encadrer le culte musulman au sein des prisons en France afin
de prévenir la radicalisation islamiste en milieu carcéral.
En Espagne, des représentants de la communauté musulmane ont été chargés de superviser
les aliments hallal à Ceuta et de diriger les prières dans les salles de prières au sein des casernes de
l’enclave où les soldats issus de la communauté musulmane sont nombreux. Cette action commune
permet en général de prévenir l’entrisme islamiste et le processus sectaire salafiste à un stade
précoce qui ne permet pas l’adhésion à des doctrines révolutionnaires islamistes ou encore à
l’idéologie djihadiste. Une deuxième association, appelée « représentation de la communauté
musulmane » à Ceuta, est issue d’une dissidence des radicaux du tabligh qui a opté pour un retour
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 70
vers le malékisme traditionnel. Au plan sécuritaire, la représentation politique de cette dernière
constitue l’interlocuteur de la Guardia civil à Ceuta, en particulier dans le domaine du culte, auprès
des jeunes d’origine marocaine de l’enclave qui se sont engagés dans l’armée espagnole.
Des consignes idéologiques claires construisent alors les frontières politiques entre « la
guerre » et « la paix », dans un jargon idéologique. Cette situation est observable dans le cas des
quartiers difficiles comme la Cité des 4000. Dans ce cas, le mode de régulation politique des
autorités est appliqué par des jeunes encadrés au plan doctrinal par des salafistes cléricaux
wahhabites formés à Médine en Arabie Saoudite. A la Courneuve, les salafistes wahhabites sont au
plan politique opposés aux takfiristes qui eux soutiennent le passage à la violence. Parallèlement,
les hauts responsables du tabligh, dont le siège national est basé à la Courneuve, freinent le
passage à la violence en énonçant des principes généraux qui interdisent la guerre et prêchent la
sécurité.
La ligne politique des Frères musulmans en Europe et dans le monde musulman est basée sur
une programmatique « étapiste ». Selon eux, l’instauration de l’Etat islamique doit se faire par une
méthode progressive et nécessite l’adhésion de la société au projet social islamique. Ce courant
islamiste ajourne sine die l’idée du passage à la violence politique et s’oppose de manière politique
aux radicaux violents qui l’accusent de « trahison » et d’hypocrisie par la voix d’Ayman Zawahiri43
en particulier.
Le processus de passage à la violence intervient aussi lorsque l’encadrement politique fait
défaut chez des individus déculturés, atomisés, fragiles au plan social et identitaire et ayant une
socialisation politique limitée dans des organisations politiques formelles comme l’UOIF ou les
Jamaati en Grande-Bretagne, ou encore al Adl wa al ihsan ( organisation radicale islamiste
marocaine appelant à l’instauration d’une république islamique à la place de la monarchie) à
Murcie et à Grenade. Il s’agit là d’appareils d’encadrement politique et idéologique importants,
mais on ne peut pour autant dire que ces derniers participent à une socialisation aux valeurs
démocratiques — nécessaire pour l’intégration politique des jeunes.
Ce rôle de garde-fous joué par certains leaders politiques Frères musulmans, tabligh ou
salafistes wahhabites est essentiel lorsque ces derniers jouent un rôle de passerelle entre le jeune
radical isolé, atomisé, qui n’est ni un militant formé, ni un adepte, et la collectivité nationale. En
réalité, les principes politiques énoncés dans certains cas par des islamistes opposés aux djihadistes
43 Ayman ZAWAHIRI, La moisson amère, Opuscule, éditeur inconnue, 1992
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 71
permettent de bloquer le processus de « fabrication de l’ennemi » véhiculé par la propagande des
takfiristes et des djihadistes.
Les résultats de notre enquête montrent que les facteurs d’adhésion à la radicalisation
violente se cristallisent à l’insu des acteurs. Souvent ces derniers amorcent une rupture sans avoir la
conscience politique concrète qu’ils sont dans un processus d’antagonisme politique vis-à-vis de la
société. Dans certains cas, l’engagement dans la violence politique djihadiste n’est pas associé
directement à une idéologie subversive et totalitaire et est vécu comme une réplique à une injustice
insupportable contre les musulmans. L’idéologie de la rupture politique est en quelque sorte dissoute
de manière insidieuse dans un parcours d’isolement et d’appartenance à une communauté sectaire
qui accroît la perte de repères. Il s’agit dans ce cas de se préserver d’une pollution générée par une
société « individualiste » et « sans pitié ».
L’existence de facteurs politiques d’encadrement des jeunes radicaux parmi les prêcheurs
favorise considérablement le blocage du processus de passage à la violence. Il faut savoir que la
désagrégation du sentiment d’appartenance nationale peut être transformée en facteur d’inimitié
contre la société grâce à des éléments d’endoctrinement divers qui peuvent aller de la volonté de se
retirer d’une collectivité où « les musulmans sont humiliés » à un fort sentiment de rejet des valeurs
historiques et culturelles de la société en place. Ainsi, l’activation du levier politique et idéologique
qui désamorce le discours de dissidence et de séparation en posant des règles du jeu politique
simples agit fortement comme un frein sur le processus de radicalisation.
Si la radicalisation est un phénomène qui touche des groupes sociaux, en particulier les
musulmans, il reste que le passage à l’action armée est à l’inverse souvent un phénomène individuel
dans le cas des jeunes radicaux en Europe. On peut voir à partir des entretiens réalisés avec les
militants de la radicalisation violente que le processus d’adhésion au djihadisme takfiriste pose le
problème de l’intégration de chaque individu selon un parcours propre et de manière à chaque fois
singulière.
En somme, l’existence de garde-fous idéologiques élaborés par les responsables et les
cadres de ces organisations radicales est importante, mais les repères parentaux et familiaux
agissent également comme un des freins les plus solides contre la radicalisation violente. L’exemple
de radicaux violents comme Mourad Benchellali44, son frère aîné et leur père étaient des salafiste
takfiristes aux Minguettes dans la banlieue de Lyon. Cet engagement collectif montre que le
processus d’engagement dans le djihadisme et le takfir peut affecter plusieurs membres d’une même
44 Mourad BENCHELLALI, Voyages vers l’enfer, Paris : Robert Laffont, 2006.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 72
famille à la fois. Toutefois, l’exemple du djihadiste Zacarias Moussaoui en Belgique montre que
l’engagement dans l’islamisme violent rencontre des oppositions au sein de sa famille. Le témoignage
public de sa mère45 et son frère46 montre que ces derniers sont opposés à l’engagement
idéologique de Zacarias Moussaoui. La famille de ce dernier défend à l’inverse de Zacarias un
courant modéré de l’islam marocain.
Le sentiment d’appartenance à une communauté peut contribuer à un ancrage, un
enracinement et une intégration politique dans la société. En revanche, la fragilité des repères
idéologiques, sociaux ou territoriaux peut considérablement fragiliser des jeunes déracinés en quête
d’une identité politique et historique.
Les trois niveaux, local, national et transnational de la violence politique radicale convergent
entre eux. Ce phénomène a été observé dans le cas du GICM en Espagne. A cette occasion, des
réseaux radicaux violents transnationaux et des groupuscules takfiristes locaux, formés de
marginaux et de délinquants se sont réunis xlix pour commettre les attentats du 11 mars 2004.
En 1994, l’expérience du GIA algérien montrait l’existence d’une synergie entre des jeunes
takfiristes issus d’un coté de la délinquance de la Cité des 4 000 à La Courneuve, de Vaulx-en-Velin
et d’un autre coté de la guérilla salafiste djihadiste du GIA en Algérie. Enfin l’endoctrinement des
kamikazes des attentats du 7 juillet 2005 à Londres, dans le cadre de l’organisation al Mouhajiroun,
a été longuement signalé dans la presse britannique à partir d’une analyse du parcours des
activistes qui ont participé à ces actions. Certains d’entre eux avaient eu une formation universitaire
en Grande-Bretagne et n’étaient pas forcément des délinquants ou des marginaux.
Dans notre travail, nous avons privilégié l’analyse du passage à l’action violente à ces
différents niveaux complexes des radicaux islamistes. La violence de ces derniers est souvent réduite
au terrorisme dans les médias. Or on se rend compte que la radicalisation violente ne se limite pas
au mode opératoire terroriste, mais peut aussi apparaître à travers une violence radicale milicienne,
au niveau local, chez des groupes de délinquants et criminels par une coercition violente exercée et
un racket sur les habitants et la communauté. A ce titre, l’exemple du groupe takfiriste connu sous le
nom du gang de Roubaix offre un exemple intéressant pour comprendre les modalités opératoires
de ces milices takfiristes violentes issues du milieu de la criminalité et des droits communs.
Le passage à la violence ou l’adhésion à des groupuscules qui prônent ouvertement la
violence comme les takfir, les Mouhajiroun et les salafistes djihadistes a lieu notamment chez les
jeunes radicaux qui remettent en question l’appartenance nationale ou dont l’intégration politique et
45 Aïcha EL-WAFI, Mon fils perdu, la mère de Zacarias Moussaoui parle, Paris : Plon, 2006. 46 Abd Samad MOUSSAOUI et Florence BOUQUILLAT, Zacarias Moussaoui, mon frère, Paris : Denoël, 2002
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 73
historique nationale, dans le pays d’accueil ou le pays d’origine, est faible ou inexistante. On
constate ce phénomène chez les British Muslims devenus les soutiens des djihadistes en Grande-
Bretagne ou encore chez les radicaux takfiristes à Ceuta et à Méllila comme le montre l’entretien
avec un takfiriste&l âgé de 18 ans et parmi les plus actifs de son quartier. Même si ce dernier a la
nationalité espagnole, il affirme que l’intégration politique et culturelle n’est pas possible. De la
même manière il explique le rejet de la société à son égard par le port de la barbe et son soutien à
Oussama Ben Laden qu’il considère comme un « héros ». Les radicaux violents ne se sentent ni
marocains, ni espagnols et épousent une identité politique takfiriste comme le montrent les interviews
réalisées en Espagne. Ils déclarent également ne pas vouloir s’intégrer dans la société espagnole et
qualifient l’arméeli de ce pays comme une entité « impie » et par conséquent ennemie. Les résultats
de notre enquête sociologique dans ce cas montrent que les jeunes radicaux violents du groupe
Takfir wa al hijra ont été emprisonnés pour des délits de droits communslii.
Cette rupture politique affecte le pays d’origine autant que l’appartenance nationale en
Europe. En résumé, plus le sentiment d’appartenance politique national, culturel et individuel est
fragile chez les jeunes qui s’engagent dans l’islamisme en Europe, plus la radicalisation tend vers le
pôle violent.
5.2 Effondrement des cadres de socialisation politique dans les quartiers des radicaux islamistes
Dans le cas des jeunes militants salafistes issus de la délinquance, l’intégration politique au
plan local est faible. De nombreuses cités de logements sociaux sont devenues des ghettos : les
4 000 à la Courneuve ou encore le quartier Principe à Ceuta et Dewsbury à Leeds. Il faut rappeler
qu’il s’agit des principaux lieux dont sont issus des jeunes nés en Europe et devenus djihadistes.
L’effondrement des cadres historiques de la socialisation politique constitue un dénominateur
commun à ces nouveaux quartiers de relégation de populations d’origine immigrée.
Dans une cité qui a vu l’émergence en 1990-1994 des groupuscules takfiristes et de jeunes
terroristes du GIA, l’entretien avec un responsable local salafiste radical montre l’existence d’un
sentiment de rupture avec le mouvement historique des jeunes issus de l’immigration. Français,
d’origine algérienne, ce trentenaireliii a été étudiant dans une université de la banlieue où il a
préparé un Deug en sociologie et en Histoire. Ce parcours universitaire n’a pu prémunir ce jeune
contre un basculement dans la délinquance locale et par la suite dans le salafisme radical. Il
explique cette dérive par « la fatalité » imposée par son vécu dans une cité-ghetto. Toutefois, les
résultatsliv de l’interview avec ce jeune montrent que la désagrégation des cadres historiques et
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 74
politiques locaux et nationaux ont fortement contribué à la décomposition de la conscience historique
et politique dans le cas de ce type d’individu et à l’émergence d’idéologies sectaires comme le
salafisme radical comme unique univers de sens.
« Dans les années 1960, nos parents c’étaient des « indigènes »47. Nos grands frères, nos grandes sœurs, dans les années 1970, c’étaient des « bougnoules»48. Nous, dans les années 1980 on a été des « beurs »49, et puis pour faire encore plus folklorique, dans les années 1990 on nous a appelé « les potes »50… et aujourd’hui on se demande pourquoi nous ne nous considérons pas comme « Français à part entière », mais entièrement à part ? (…) « Touche pas à mon pote »51, ce slogan veut dire quoi ? C’est qui le « pote » ? C’est celui qu’on appelait hier le « bougnoule » et aujourd’hui comme on trouve que ça fait péjoratif, on va l’appeler « pote » ? Si on cherche à me donner un autre nom que ce que je suis, c’est qu’il y’a un problème dans ma présence. Aujourd’hui on m’appelle « beur »… Beur ! [ndlr : il éructe le mot]. Beurre allégé ? Le beurre c’est pour tartiner les tartines. On m’a pris pour une tartine ! (…) Parce que mes parents sont issus de l’immigration, et que moi je suis le fils de mes parents, inconsciemment je vais être éternellement quelqu’un « issu de l’immigration ». Aujourd’hui, on parle de 4e génération ! waow ! Ils sont forts ! Bientôt on va être la 28e génération issue de l’immigration (…) Et c’est pour cette raison que la France n’a eu que ce qu’elle méritait et elle aura les musulmans qu’elle mérite. ».
La marche des « beurs », les mouvements sociaux antiracistes des années 1980, qui
constituaient le cadre politique de socialisation des jeunes issus de l’immigration dans les cités sont
tour à tour mis en cause dans le discours radical au sein de la Cité des 4 000. La disparition dans la
cité des représentants locaux des différentes organisations politiques notamment le Parti communiste,
les associations antiracistes qui émanaient de la gauche française a participé à l’isolement de ces
anciens bastions populaires dans cette banlieue de Paris. Aussi, le vieillissement ou le départ des
militants du Parti Communiste français qui encadraient les populations ouvrières depuis deux
générations, a transformé ce type de quartier en no man’s land. Il faut savoir que le départ
progressif de la population européenne de souche de ces cités a accentué l’isolement des
populations maghrébine et noire et transformé petit à petit en vivier collectif de l’exclusion politique
et culturelle.
Un fort taux de criminalité et d’une économie parallèle ont aussi participé à la déliquescence
de l’autorité de l’Etat dans ces niches de radicaux islamistes violents à partir des années 1990.
47 « Indigènes » : appellation donnée par l’administration coloniale française aux musulmans autochtones des colonies françaises au Maghreb, ndlr 48 « Bougnoules » : stigmate culturel pour désigner les maghrébins, ndlr 49 « Beurs » : désigne le mouvement des Beurs en France composé des jeunes issus de l’immigration dans les années 1980, ndlr 50 « potes » : camarades, ndlr 51 Slogan du mouvement antiraciste en France durant les années 1980, ndlr
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 75
L’absence d’un tissu associatif, d’une économie locale et la faiblesse de la sécurité publique constitue
souvent un indicateur de l’émergence de nouveaux ghettos en marge de l’innervation publique locale
et nationale.
La faiblesse patente du sentiment d’appartenance à une mémoire politique et culturelle
nationale est posée à un âge précoce chez la plupart des soutiens des radicaux violents. Le
salafisme radical apparaît, dans les parcours de jeunes proches du djihadisme, comme une réponse
à l’effondrement de l’identité politique nationale chez les jeunes de Vaulx-en-Velin, à l’exemple de
certains fiefs radicaux dans le département de la Seine-Saint-Denis :
« Si la religion n’apporte rien de concret, les gens vont s’en détourner, tout comme ils se sont détournés de la République, de la laïcité, de SOS Racisme, de tout le tralala qu’on nous a servi pendant vingt ans ».
Les militants d’organisations salafistes ont émergé, à l’issue de l’effondrement des
mouvements politiques dans les quartiers défavorisés de la banlieue, en associant des doctrines
politiques radicales violentes à la religion. En se détournant de la République, cet ancien voisin de
Stéphane Aït Idir, un des chefs du « gang de Roubaix », a opéré une dissidence avec les valeurs
politiques essentielles des institutions françaises. A ce stade de la radicalisation, l’opposition aux
mouvements politiques historiques français est souvent l’expression d’une rupture avec les valeurs
culturelles, politiques et historiques de ce pays.
A Mélilla et Ceuta, la population d’origine marocaine s’autodésigne comme musulmane alors
que les Espagnols de souche sont appelés les chrétiens. Cette distinction religieuse s’inscrit également
dans le territoire et acquiert de ce fait un sens politique. A Méllila 60 % des enfants scolarisés sont
musulmans, la majorité d’entre eux ont la nationalité espagnole. Moins de 7% de la population
musulmane à Ceuta est née au Maroc. Toutefois, l’absence de l’infrastructure économique, publique
et touristique dans « le quartier musulman »52 situé à l’ouest de la ville, et la concentration de
l’équipement économique, politique et de loisirs (hôtels, édifices, office de tourisme, transports) dans
le quartier « chrétien » situé dans l’est, constitue un des facteurs majeurs de l’exclusion politique dans
les enclaves. L’absence de politique d’intégration efficace a transformé le quartier musulman de
Principe Alfonso en un ghetto coupé au plan culturel et politique et l’a fatalement isolé du reste de
la société espagnole locale et nationale. La population de ces quartiers vit non pas d’aides sociales
ou d’emplois réguliers mais du commerce informel de produits de consommation avec le Maroc : plus
52 Sur les relations interethniques entre les musulmans et les chrétiens voir Carmen GONZALES ENRIQUEZ , Ceuta and Mélilla : clouds over the African Spanish towns. Muslim minorities, spaniards fears and Morico-Spain mutual dependance, The Journal of North African Studies, Vol 12, n° 2, June 2007
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 76
de 30 000 marocains, la majorité sont des paysans sans terres qui se déplacement à pied ou en taxi
collectif, dans les entrepôts à la lisière du quartier Alfonso, chaque jour, en provenance du Nador,
Tanger et Tetouan pour acheter des produits espagnols à des prix bas et afin de les revendre au
Maroc. Estimé à 1000 millions d’euros, ce gigantesque marché informel a permis aux dealers de se
reconvertir dans le négoce.
L’instauration d’un gigantesque marché informel de produits de consommation a permis à la
population d’origine marocaine d’échapper à l’asphyxie économique et à mettre fin en partie au
monopole des narcotrafiquants. Les jeunes musulmans des enclaves sont les moins diplômés en
Espagne. Les indicateurs dans le domaine de l’éducation sont les plus faibles du pays53. Plus de 50
% des jeunes n’obtiennent pas le brevet des collèges (ESO) en comparaison avec la moyenne
nationale qui est de 26 %. A Mélilla, l’échec scolaire des enfants espagnols d’origine marocaine est
cinq fois plus élevé par rapport au reste de l’Espagne. Ils constituent dans les deux enclaves 80 %
des étudiants qui ne peuvent achever leur certificat d’études moyennes et secondaires (ESO). Seuls
4% des étudiants des facultés à Ceuta et Méllila sont musulmans alors qu’ils sont sur le point de
constituer plus de 50 % de la population locale. Cette exclusion est à l’origine d’un échec
professionnel et d’une rupture politique la nouvelle génération de musulmans espagnols de ces
provinces autonomes. Du fait d’une formation insuffisante la plupart d’entre eux ne peuvent
prétendre à des emplois qualifiés et au travail dans la fonction publique locale contrairement au
reste de la population. Plus de 52 % d’entre eux sont au chômage54.
L’absence de référence historique publique à l’histoire55 andalouse de Ceuta et
l’enseignement de celle-ci ont contribué à accentuer une déculturation des musulmans espagnols et à
renforcer indirectement le courant radical islamiste dans les enclaves. Le tabligh et la takfir
deviennent faute d’un enracinement dans l’histoire nationale et locale, les cadres historiques pour les
musulmans de l’enclave qui en même temps ne se revendiquent pas comme marocains selon nos
interlocuteurs de Ceuta et de Méllila. Il est étonnant de voir que le seul édifice touristique et cultuel
musulman de Ceuta, la mosquée Moulay al Mahdi, date de la dictature et a été construite par
Francisco Franco en reconnaissance à sa cavalerie prétorienne qui fut constituée de cavaliers
musulmans du Rif pendant la dictature.
Les quartiers musulmans de Judan et de Principe Alfonso, devenus des ghettos de la
radicalisation, ont pourtant une Histoire longue. L’ancien quartier médiéval de Ceuta qui était
53 Ibid, p 222 54 Ibid, p 223 55 Sur la politique de la mémoire et sur le traitement de l’histoire en Espagne voir Margarita DIAZ-ANDREU, Islamic Archaelogy and the origin of the spanish nation, in Margarita DIAZ-ANDREU, and T. CHAMPION (eds), Archaelogy and nationalism in Europe, Londres : UCL Press, 1996.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 77
appelé Sudan au XIII et XIVe siècle56 fut un lieu de négoce en provenance du Soudan est aujourd’hui
le ghetto des bidonvilles en durs où s’entassent les habitants de la communauté musulmane et les
radicaux. Ces derniers contrôlent selon un représentant politique de la communauté plus de 47
locaux de prières sur 49 lieux de cultes musulmans recensés à Ceuta. De plus, ces locaux situés dans
des sous-sols ou dans des habitations sont informels et n’ont pas été autorisés. Ces doubles ruptures
politiques et culturelles des jeunes musulmans vis-à-vis de l’Espagne et du Maroc à la fois expliquent
l’adhésion de certains d’entre eux au takfir et au tabligh et met le doigt sur l’existence de
défaillances à différents niveaux politiques de ces provinces autonomes espagnoles.
Le lien entre le banditisme et la violence radicale violente : Takfir et délinquance à la cité des 4000 (1994-1998)
L’étude du processus de passage à la violence islamiste d’un groupe de jeunes délinquants
de la cité des 4000 montre que la radicalisation violente a eu lieu en plusieurs phases. Il s’agit d’un
groupe de délinquants connus dans les médias français sous le nom du « gang de Roubaix ». Cette
bande a constitué un exemple intéressant pour comprendre le passage à la violence takfiriste de
cette frange de la criminalité issue de la banlieue de Paris. En 1994 ce groupuscule qui adhère au
GIA (Groupe islamiste armé) et a perpétré un attentat contre l’Hotel Hasni Atlas à Marrakech.
Un ancien délinquant issu de cette cité située dans la commune de la Courneuve retrace le
parcours de cette bande et de Stéphane Aït Idir son ancien voisin et membre du gang de Roubaix
au sein de la cité des 4000. Mohcen habite avec sa famille et milite activement avec les salafistes
wahhabites au niveau de la localité. Il s’agit selon lui d’imposer « la loi de dieu » aux délinquants
locaux, débarrasser la cité de la « racaille » et des takfiristes « qui salissent l’image de l’islam ». Né
en France, âgé d’une trentaine d’années, il a ouvert un commerce après sa sortie de prison. Il
explique le processus d’adhésion des jeunes du gang de Roubaix au takfir et le passage de ces
derniers à la violence politique.
« Tout commence au début des années 1990. A l’époque, la drogue inonde le quartier, un truc de fou ! Imaginez, en 1993, on a saisi 2 tonnes de cannabis à la Courneuve. 2 tonnes ! A l’époque, on était capable d’offrir une Mercedes à un môme du quartier qui avait servi d’éclaireur. Il n’y avait pas d’espace Schengen. Les trafiquants avaient des faux papiers, ce qui leur permettait, quand ils allaient en tôle, d’être embastillés mais pas sous leur nom. L’acte de naissance du lien banditisme / islamisme, c’est 1991-92. Il y a alors une pénurie de cannabis. Les prix sont passés de 11 000 F le Kg à 14 000 F le kg. Un des chefs de gang de l’époque s’appelait S (de la cité de 4000) ; il avait dans son équipe des jeunes comme Stéphane Aït Idir. Ils faisaient des braquages importants, en plus du deal. S décide alors de se tourner vers les Pays-Bas, et il va chercher là-bas de l’herbe moins chère. C’est là qu’il entre
56 Mohamed CHERIF, Ceuta, Paris : L’Harmattan, 1996
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 78
en contact avec le caïd de là-bas, un Tunisien qu’on appellera Monsieur X. C’est une rencontre terrible, lourde de conséquences pour la cité. Car ce qu’ignore S au départ, c’est que le Tunisien, en plus d’être un trafiquant, est un takfiri. »
Le recrutement des trafiquants de drogue de la cité des 4000 par un takfiriste basé au
Pays-Bas a lieu grâce à une technique d’endoctrinement consistant à redonner à ces anciens repris
de justice un rôle de puissance et d’influence parmi la société. L’argent des braquages et les revenus
des narcotrafiquants doivent servir des causes importantes en Algérie, en Bosnie et en Tchétchénie
selon le chef takfiriste à l’origine de l’endoctrinement du groupe. Certains membres du groupe de
Roubaix sont Français de souche mais en adhérant au takfir ces derniers sont considérés par les
jeunes musulmans de souche comme des musulmans à part entière. Une nouvelle identité culturelle et
politique apparaît alors dans ce milieu de la délinquance qui accède à un nouveau statut social
grâce à l’adhésion à la cause djihadiste.
« Très vite, il leur parle de la cause. Il leur dit : « vous vivez dans un pays de mécréants, vous dépensez sans compter, alors que vous devriez partager cet argent avec ceux qui se battent pour la cause. Il les a culpabilisés. Et vous connaissez l’engouement des jeunes convertis (…). Ils veulent foncer, ils n’ont pas les outils pour comprendre. Là, nous avons vu les chefs du banditisme de la cité abandonner leur poste, leur place, leur carrière (…). Des jeunes comme Aît Idir rackettaient les dealers de la cité, les barbus étaient plus puissants que les bandits, c’était le monde à l’envers ! Nous étions choqués, mais nous en avons profité pour prendre la place des anciens voyous (...). Les anciens caïds, quand ils cherchaient de l’argent, en arrivaient à braquer leurs anciens fournisseurs ! La religion, pour eux, ça leur donnait une raison valable d’être violents. Ils se sont endurcis dans la méchanceté. Au moins, maintenant, il y avait une vraie raison à leurs actes. »
Le groupe de délinquants pratiquait le racket de la communauté musulmane de la cité des
4000 afin de prélever « l’impôt » pour la cause djihadiste en Algérie. Aussi ils braquaient des
boucheries soupçonnées de trafiquer de la viande Hallal et de commerces alimentaires de la
communauté juive. Ces actes de banditisme étaient justifiés par une autorisation takfriste qui
légitimait le vol des biens et des ressources des « impies ». Ce syncrétisme entre les délinquants et
l’idéologie politique takfiriste est comparé par notre interlocuteur à la mafia italienne immigrée aux
USA au lendemain de la Première guerre mondialelv.
« C’est l’époque des braquages contre les boucheries juives, du trafic de fausse viande hallal à Rungis. C’est aussi l’époque des attentats au Maroc, le groupe d’Aît Idir. Stéphane Aït Idir, il est tombé dans le piège, le pauvre (…). C’est une famille brisée. Le but de cette série d’attentats, en 1994, c’était de créer un incident diplomatique entre le Maroc et l’Algérie. C’était d’isoler l’Algérie en en faisant une enclave, et en un sens ça a réussi. Le problème, c’est l’inexpérience des mômes. Aucune formation militaire, ce sont tous des réformés P4 ! Ils ont donc besoin de formation. C’est là que s’organisent les filières afghanes, encore une fois sous
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 79
l’impulsion du tunisien, via Peshawar. Le banditisme, l’islamisme ont évolué, mais ils répondent toujours à une hiérarchie, avec un grand chef… regardez les films Le Parrain, I, II, III, IV, vous comprendrez. Les gens font dans la racaillerie57 religieuse, c’est tout ; et ils ont des chefs, différents, mais rien n’a vraiment changé.
L’interview réalisée par Pierre Nicolas à ce sujet donne des indications intéressantes du
passage de la violence délinquante à une violence politique au nom du djihad. Au vu de ce récit on
constate qu’en devenant takfiristes, les délinquants de la bande de Roubaix volent et tuent non pour
s’enrichir à titres personnels mais pour servir « une cause » qu’ils perçoivent comme nécessaire au
triomphe des nouvelles valeurs qu’ils défendent. Le contexte de montée du terrorisme et de la
guérilla djihadiste au niveau international et des conflits dans le Moyen-Orient constitue un terrain
favorable à l’organisation du recrutement et de contacts directes entre les djihadistes et des
délinquants de la cité des 4000 et de Vaulx–en-Velin (Lyon) en direction de zones de conflits comme
l’Afghanistan, le Cachemire et la Bosnie en 1995. L’organisation des réseaux d’acheminement des
jeunes vers les maquis est rudimentaire mais efficace comme le montre notre interviewélvi.
« La deuxième phase a lieu en 1995-1998. C’est la période où les jeunes commencent à partir pour l’Afghanistan et le Cachemire. L’événement qui a accéléré tout ça, c’est la fin de la première guerre du golfe. Les Américains refusent de quitter l’Arabie Saoudite avec leurs troupes (…). En 1995 commencent les départs, pour la Bosnie, la Croatie, l’Afghanistan, le Cachemire. Le Tunisien leur dit [au gang de la cité des 4000, ndlr] : « vous allez en Allemagne. Vous avez forcément un proche qui tient une épicerie, vous prétendez que vous allez en Allemagne acheter des fruits et des légumes pour lui, et là-bas quelqu’un vous accueillera. A Hambourg, on vous donnera des faux papiers, et vous vous retrouverez en Afghanistan. Les premiers reviennent en France alors que le pays est frappé par des attentats. Qui prend en charge leur retour ? Un certain Rachid Ramda. C’est l’époque du gang de Roubaix, de Khaled Kelkal et du groupe de la Courneuve ».
Comme Stéphane Aït Idir, les radicaux violents qui ont adhéré au GIA et sont issus de cités de
la banlieue sont des délinquants ou des marginaux, le Groupe de la Courneuve et Khaled Kelkal
sont représentatifs de l’adhésion de jeunes déviants à une idéologie politique sectaire et violente
comme le takfir. Rachid Ramda, un des responsables du GIA en Europe et du bulletin de cette
organisation durant les années 1995-1998, semble avoir joué le rôle de financier des milices
locales.
Hizbu Tahrir à Londres : le cas de la radicalisation islamiste en milieu universitaire
Les conditions sociales des jeunes qui adhérent à l’idéologie radicale salafiste ne peuvent
être limitées à un profil social type tel celui du délinquant ou encore du chômeur (voir figure 4) bien
57 « racaillerie : actes de voyous, ndlr
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 80
que ce type de trajectoire peut dans certains pays être récurent comme en France par exemple ou
encore à Ceuta et Méllilalvii.
On ne peut pas tenir le même raisonnement sur le cas de la radicalisation islamiste au
Royaume Uni où le mouvement radical islamiste comprend également des étudiants et diplômés
notamment au sein de Hizb ut-Tahrir al Islami (HT) 58, le Parti de la libération islamiste. La
monographie réalisée sur ce mouvement montre que localisation de ce dernier a lieu dans la
périphérie de Londres.
Implantation du HT, l’exemple de Londres
Comme le montrent les entretiens réalisés auprès de militants de ce courant à Londres la
désagrégation des cadres mémoriels et historiques affectent l’identité collective de ces jeunes
universitaires qui ont souvent des formations techniques telles l’informatique ou la gestion. La
demande du marché de travail dans ce domaine d’activité offre souvent pour ces jeunes des chances
d’exercer leurs compétences professionnelles. Toutefois on ne peut dire que le travail a représenté
réellement un facteur d’intégration suffisant de l’identité collective au plan historique ou culturel dans
le cas des militants que nous avons rencontrés. Le sentiment de domination subi de l’Islam chez ces
partisans de Hizb Tahrir apparaît fortement dans les entretiens et l’idéologie du groupe. Dans ce cas
le déracinement affecte l’identité historique de ces jeunes qui vivent la décomposition de l’Empire, le
califat islamiste, comme une menace imminente et extérieure contre la survie de l’identité historique
et territoriale de l’Islam. A ce tire les conflits armés dans le monde musulman tel le conflit israélo-
palestinien constitue un symbole fort de l’idéologie radicale des militants diplômés membres du HT.
La décadence de la nation de l’Islam, la oumma est vécue et réinterprétée à travers l’actualité
géopolitique du monde arabe et musulman. Ainsi le déclin et la décomposition de la oumma
constituent pour ces diplômés les principaux cadres historiques du déracinement et permettent à ce
titre de comprendre la présence du HT dans les campus universitaires au détriment des quartiers
défavorisés.
58 Fondé en 1953 par le palestinien Taqui Din Nabahani. L’objectif de l’organisation est le rétablissement du califat islamique (l’Empire islamique) à la suite de la chute de ce dernier en 1924. Le mouvement possède plusieurs branches en Europe notamment en Grande-Bretagne, Espagne, Belgique, Allemagne et Danemark. Le HT a aussi de nombreuses filières politiques dans le monde-musulman. La fondation de la branche britannique remonte au début des années 1980 et a été impulsée par le syrien Omar Bakri Mohammed et le libanais Fouad Qassim. Voir l’ouvrage de Suha TAJI-FAROUKI, Hizb al –Tahrir and the search of the islamic caliphate, London : Grey Seal, 1992. Pour un aperçu du programme du HT : www.hizb-ut-tahrir.org
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 81
Plus de 10 entretienslviii ont été réalisés avec des membres du HT basés au Royaume Uni.
Omran Waheed est le Secrétaire général de ce Parti. A l’image de nombreux militants ce
Pakistanais d’origine est psychiatre de formation. Un des responsables de l’organisation a été
interviewé dans le cadre de l’étudelix. Son engagement dans le HT remonte à l’époque où il était
étudiant à l’université de Birmingham en 1995. Il rejoint l’organisation via une « Islamic Society ». Ce
militant radical est fonctionnaire dans un ministère britannique important où il travaille dans le
département de l’immigration. Il est diplômé en communication de l’université de Brunel. Il est né sur
le territoire britannique d’une famille mirpuri, origine du Cachemire, à Banbury (Oxforshire), arrivée
sur le territoire dans les années 70, main d’oeuvre non qualifiée venue travailler dans des usines au
sud de Birmingham. Son emploi de fonctionnaire fait qu’il réside à Londres depuis trois ans, à
Tottenham, dans un quartier dans lequel la population blanche est majoritaire.
Ce responsable explique qu’il n’avait pas auparavant d’engagement politique, son cercle
familial ne militait pas dans l’islam politique et n’étaient pas pratiquants. Il explique également qu’il
fait partie d’une famille influencée par un islam populaire soufi. Disposant d’un niveau de formation
supérieure et d’engagement politique dans une mouvance qui se réclame de l’islam ce dernier ne
connaît pas la confrérie à laquelle appartient sa famille et explique ne pas avoir de détails sur les
orientations soufies de sa famille, de ses parents et ses grands parents. Il met en avant en revanche
une identité Cashemiri de lutte de libération nationale qui lui a été inculquée dès son adolescence.
Comme le montrent les entretiens et la monographie d’un rassemblement du HTlx, l’adhésion
à ce mouvement ne concerne pas seulement les musulmans de souche mais affecte également dans
les universités des étudiants anglais de souche ou encore bouddhistes. Par exemple un jeune
militantlxi âgé de 25 ans a été interviewé dans le cadre de notre recherche, celui-ci est né dans les
quartiers ouest de Londres, district de Southall, arrondissement d’ Ealing. Il est issu d’une famille de
parents divorcés d’origine indienne, appartenant à la minorité bouddhiste qui venait du nord de
l’Inde (frontière avec le Nepal et le Bhoutan). L’absence du père est signalée comme un manque
ressentie par l’individu, mais elle n’est pas présentée comme une des causes de son problème
identitaire. Sa mère vivait dans ce quartier et avait de rares contacts avec d’autres membres indiens
(la première minorité du quartier) de la communauté bouddhiste, elle était employée dans un
supermarché. En revanche la personne met en avant le manque de connaissances sur son identité
bouddhiste d’origine, le culte n’étant pas ou peu célébré dans sa famille. Il explique également qu’il
n’y avait pas d’éducation bouddhiste transmise au sein de sa famille.
L’analyse des interviews montre comment l’idéologie de HT consiste à apporter une réponse
idéologique radicale aux jeunes étudiants déracinés qui ont été coupés de leur culture traditionnelle
d’origine au sein même de leur famille et leur communauté qu’ils soient issus de la communauté
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 82
blanche, indou ou encore musulmane. De la même manière que les jeunes exclus et peu éduqués des
banlieues et des ghettos le processus de déracinement culturel et historique est récurrent dans le cas
des diplômés et des étudiants qui adhérent à l’idéologie islamiste.
Au plan politique la stratégie du HT consiste à mettre en cause les accusations des autorités
qui visent certains musulmans susceptibles de préparer des attaques sur le territoire britannique. Le
responsable rencontré dans le cadre de l’étude compare la crise qui a eu lieu après les attentats du
07 juillet 2005 à du « Mac Cartisme » contre les musulmans qui contribue à faire augmenter le
sentiment d’islamophobie chez les populations chrétiennes et juives de Grande-Bretagne. Le discours
de victimisation est un des ressorts de l’isolement sectaire entrepris par le HT au nom de
l’islamophobie. D’ailleurs, on observe que les thématiques sur l’Etat policier et sur les campagnes
d’informations des médias accusatrices contre l’islam sont devenues la marque de fabrique des
conférences organisées par le HT; thématiques que partagent aussi les radicaux violents d’Ahl al-
Sunna wal-Jamaa qui généralement organisent leur propres réunions. On remarque sur ce point que
le HT organise des manifestations et des conférences aux côtés de membres de la société civile
britannique, mais rarement en coordination avec les partisans du courant salafiste djihadiste que
l’interviewé considère comme ayant adopté une posture extrémiste contre productive pour la
communauté. Chaque mouvance souhaite donc préserver son domaine.
Cependant, ce responsable cite le fait que le HT a su nouer des relations avec des membres
non musulmans de la société britannique, en particulier des intellectuels et des journalistes opposés
aux guerres menées en Irak, en Afghanistan ou favorables à la cause palestinienne par exemple,
preuve selon de la volonté d’ouverture du mouvement.
Il précise que le HT ne croit pas aux accusations des autorités qui visent certains musulmans
susceptibles de préparer des attaques sur le territoire britannique.
Dans plusieurs discours, le Premier Ministre Tony Blair avait pris position contre ce mouvement
et souhaitait qu’il soit régi par la législation en vigueur du Terrorism Act, le considérant comme un
groupe subversif susceptible de porter atteinte aux intérêts du pays. A ce propos notre interlocuteur
demande que des preuves soient apportées à ce discours. Les campagnes de restrictions de ses
activités ont amené le HT à modifier sa stratégie de communication ces derniers mois. Il est précisé
que les conférences sont souvent organisées en collaboration avec des membres de la société civile
(intellectuels d’opposition anti-guerre, anti-sioniste …) et les réservations de salle se font au nom de
l’association non musulmane ou sous un autre nom d’associations militantes liées au HT comme la East
London Youth Forum , Muslim Women's Cultural Forum, Pakistan Society ou 1924 Committee.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 83
5.3 L’ennemi proche : la dissidence avec les musulmans « renégats »
L’adhésion à la doctrine politique salafiste radicale consiste avant toute chose de rompre
avec les musulmans « renégats ». A ce stade, l’identité radicale est nécessairement associée à un
soutien de la violence car elle introduit une rupture en actes.
De même, à Ceuta, l’opposition aux chrétiens majoritairement installés dans le quartier
moderne à l’est de l’enclave, se manifeste à travers un antagonisme contre les valeurs des
« chrétiens ». Néanmoins les premières cibles des radicaux islamistes sont les musulmans eux-mêmes.
« L’ennemi proche » se trouve dans le quartier musulman appelé Judan et d’un autre quartier du
même type connu sous le nom de Principe Alfonso qui ont été les premiers ciblés par la violence des
radicaux, pour la plupart d’anciens délinquants ou trafiquants de cannabislxii.
« Dans le quartier des musulmans du ghetto Principe Alfonso, que tout le monde appelle « Principe », des habitants avaient été attaqués par les takfiristes à plusieurs occasions. Ces derniers les traitaient de renégats et battaient les femmes, les musulmanes qui ne portaient pas le hidjab. Jusqu’en 2005 tout le monde avait peur d’eux et il était impossible de voir une femme sans hidjab ici si elle appartenait aux musulmans. Ils étaient armés de couteaux et de sabres et faisaient la loi. Ils battaient les vieux, les jeunes, tous ceux qui n’appliquaient pas leur loi à eux. La police espagnole avait peur et ne venait jamais ici. On a souffert et beaucoup enduré à cause d’eux. »
Un proche des groupuscules salafistes proche de la ligne officielle wahhabite explique ce qui
s’est passé à La Courneuve dans l’affaire de la mosquée Ibrahim al Khalil lxiii :
« En 1993 les takfiri prennent le contrôle de la mosquée Ibrahim el Khalil, ouverte pour les chibani en 198359. Les chibani60 ne se méfient pas, ils n’ont rien compris les pauvres. Ils en ont bavé, on les a rendus dingues ! Aujourd’hui tous ces vieux on les retrouve à l’UOIF. Au début, ils ont trouvé bien que les jeunes demandent les clés de la mosquée plutôt que de faire du trafic dans les halls d’immeubles. La démarche semblait saine. A l’époque, le spectre du terrorisme n’existait pas. Les takfiri ont vite terrorisé les vieux. Les vieux, les pauvres, avaient beaucoup regretté de leur avoir fais confiance ».
Face à la prise de contrôle de mosquées ou de quartiers par les takfiristes, les tentatives de
reconquête de ces territoires et espaces de culture par les modérés et le islamiste opposés au
terrorisme constituent encore une expérience limitée à ce jour. La faiblesse de l’organisation
politique du culte musulman modéré et l’éloignement du terrain des radicaux non violents qui se
contentent dans certains cas de discours de bonnes intentions ne constituent pas encore dans les pays
étudiés une base de prévention suffisante face aux radicaux violents. 59 elle a été construite par l’Amicale des Algériens en France, association proche de l’Etat algérien, ndlr 60 les anciens, les vieux, ndlr
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 84
Toutefois, il est nécessaire de citer quelques expériences à travers lesquels des bastions du
djihadisme ont été repris et soustraits aux radicaux violents comme il fut le cas à Finsbury Park en
février 2005. Une ancienne fabrique désaffectée avait été transformée en lieu de rassemblement et
de prières des djihadistes au début de l’année 1994. De la même manière, le quartier tout entier
était devenu le repère des radicaux violents dans toute l’Europe et pour les djihadistes issus des
pays du Maghreb, du Moyen-orient et d’Asie du Sud.
La reconquête de ces hauts lieux par les Frères musulmans et des islamistes de différentes
obédiences nécessitait une collaboration étroite de ces derniers avec les autorités locale. Un
consensus politique fort au sein de ces courants était nécessaire pour occuper la mosquée pendant
plus de 20 jours successifs. Une présence directe sur le terrain de la part des islamistes opposés au
terrorisme fut à l’origine de l’éviction des Supporters of Sharia (SOS), les successeurs d’Abu Hamza
et Abu Qatada, de la mosquée de Finsbury Park. Il était nécessaire dans ce cas que ces derniers
contredisent publiquement les djihadistes au sein même de la mosquée et remettent en question leurs
arguments religieux. Il faut savoir que les SOS n’avaient pas toujours la formation politique
nécessaire pour mener une telle contradiction et ont du céder devant la mise à l’épreuve idéologique
imposée par des responsables des Frères musulmans. Toutefois, ce type de confrontation n’est pas à
l’abri d’un affrontement physique, avantage que possèdent souvent les djihadistes contre les
islamistes légalisteslxiv.
En somme les islamistes qui sont opposés au terrorisme sont en mesure de récupérer les
mosquées dont les djihadistes avaient le contrôle à condition de mener un travail concret de
prévention et de contradiction contre ces derniers sur le terrain et non uniquement dans les discours
officiels. Ceux d’entre eux qui ont pu mener cette action par exemple à Londres ou dans certaines
mosquées de la région de Lyon et de Marseille possèdent une compétence doctrinale et politique de
haut niveau, une relation de confiance avec les acteurs sécuritaires officiels locaux et un courage
physique en cas d’intimidation ou d’affrontement avec les adeptes des takfiristes.
Dans le cas d’une mosquée située dans la région du stéphanois, l’expérience d’un imam
modéré, appartenant au culte officiel61 marocain, a pu faire barrage aux takfiristes et protéger la
principale mosquée d’une localité importante contre les tentatives d’infiltration et d’intimidation de
jeunes proches des takfiristes. Cette action a été menée grâce à une contradiction théologique solide
menée par l’imam avec le maître à penser62 de ces derniers, une relation de confiance avec les
autorités locales et surtout un soutien des fidèles issus de la communauté marocaine à l’origine de la
construction du lieu de culte.
61 L’imam est également aumônier musulman des prisons dans cette localité. 62 Les jeunes takfiristes communiquaient via internet avec leur responsable doctrinal en Arabie Saoudite.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 85
Toutefois une faiblesse dans la formation doctrinale et politique des imams modérés à
Ceutalxv et à Méllila n’a pu prémunir l’enclave contre une offensive des tabligh et des takfiristes.
Pourtant ces entrepreneurs du culte musulman bénéficient de la confiance des autorités espagnoles et
disposent de relais parmi la population locale.
En France, des terroristes takfiristes issus du milieu délinquant font du zèle : ils « pourchassent
le mal » parmi leur communauté d’origine. Il s’agit d’ « assainir un corps malade » plus que de
mener une démarche de prosélytisme, la da’wa. Par exemplelxvi, un détenu, ancien takfiriste
condamné pour tentative d’attentat contre des intellectuels juifs en France, refuse de voir sa mère et
sa famille et condamne les musulmans. Il n’a pas confiance en ces derniers car ils n’adhèrent pas aux
préceptes takfiristes et sont, dit-il, des indicateurs potentiels. Il explique que ce type de musulmans
l’a dénoncé à la police. Ce sont des « traîtres » et des renégats et qu’il est nécessaire de combattre.
Le clivage avec l’ennemi politique est donc introduit par les radicaux violents au cœur de la
communauté d’origine. Les musulmans non radicaux sont qualifiés d’ « ennemi proche » par Ayman
Zawahiri et ses adeptes, par opposition à l’ « ennemi lointain »63. Comme dans toute secte, les
militants Mouhajiroun exigent de leurs adeptes qu’ils rompent avec leurs proches et les musulmans
non radicaux.
La première ligne de front a été tracée par le responsable égyptien d’al Qaïda, déclarant
les Frères musulmans apostats en 1992. Dans cette perspective, les radicaux violents en Europe ont
apostasié les instances représentatives officielles de l’islam tels le MCB lxvii, l’UOIF ou le Muslim
communidad de Ceuta et de Madrid.
Enfin, l’observation ethnographique d’adeptes de l’organisation sectaire al Mouhajiroun dans
la banlieue de Londres, de djihadistes issus de la localité de Saint-Etienne à Lyon et de leaders
djihadistes comme Sitt Mariam et Abu Dahdah à Madrid et à Ceuta, a été utile pour comprendre le
processus sociologique du passage à l’action armée.
L’étude de ces trajectoires de la radicalisation nous a permis de comprendre que le processus
d’adhésion à l’idéologie radicale violente avait lieu à l’occasion de la rupture et l’antagonisme vis-
à-vis de l’Etat-nation dans chacun des cas. L’engagement dans la radicalisation violente a lieu en
63 Abderrahim ALI, Hilf al irhab, L’alliance du terrorisme : l’organisation al Qaïda, Ayman Zawahiri, Le Caire : al Mahrossa, 2003.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 86
amont du passage à l’action violente et non au moment de celle-ci, comme le représente l’approche
sécuritaire du djihadisme.
A la différence de l’approche sécuritaire sur la violence terroriste islamiste, nous montrons
que le processus de radicalisation violente a lieu en amont du passage à l’acte violent. Durant cette
étape préalable à toute action armée, la rupture vis-à-vis des valeurs politiques et culturelles
nationales est déterminante dans les parcours des jeunes qui ont été recrutés comme djihadistes en
Irak, au Cachemire, mais aussi chez ceux qui sont revenus en Europe et ont organisé des actions
kamikazes.
Néanmoins on ne peut réduire le passage à la violence dans un cadre organisationnel
sectaire à un sentiment de haine personnelle. La violence politique est une question qui inclut un
antagonisme vis-à-vis d’une unité politique dans son ensemble et transcende le sentiment de haine
personnelle d’individu à individu qui relève davantage de la violence délinquante ou privée.
La relation à l’ennemi politique intègre la question de l’inimitié au sens collectif et elle est
distincte d’une relation d’inimitié personnelle. Ainsi, il est important de montrer que la violence
islamiste radicale ne vise pas tant des individus en tant que tels mais constitue une menace contre
une collectivité politique et historique. Par la violence, le djihadisme combat les valeurs culturelles et
politiques d’une unité politique ennemie et non des individus au sens privé.
L’antagonisme entre les valeurs de l’Islam et les valeurs occidentales « impies » constitue le
ressort de l’idéologie radicale violente par excellence. L’analyse des entretiens qui ont été réalisés
avec des militants radicaux violents de l’organisation al Mouhadjiroun, al Ghuraba, les adeptes de la
Sunna et Supporters of Sharia (SOS) à Londres, à Birmingham et à Crawley, montrent que ce
processus de rupture politique apparaît dès l’enfance des radicaux appartenant à ces organisations.
Le parcours de ces militants montre que la formation d’une identité politique nationale
constitue un problème dans la socialisation politique des jeunes avant l’adolescence. Le sentiment
d’appartenance à une identité nationale est fragile ou inexistant à cause notamment d’un
déracinement précoce et d’une instabilité politique présente antérieurement dans le parcours
familial.
Dans le cas de ces immigrés venus des provinces pauvres de l’Inde occidentale, de Somalie et
d’Erythrée, l’inscription culturelle dans une identité politique nationale est faible et quelquefois
absente. La nationalité et l’appartenance au pays d’origine ou même à celui d’adoption, n’est
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 87
qu’une formalité administrative, dont la signification culturelle est mineure, voire nulle, selon les
adeptes des organisations djihadistes en Grande-Bretagne. Un militant expliquait à ce sujet lxviii:
« Je suis né sur ce territoire appelé la Grande-Bretagne, dans un pays, le Royaume-Uni, qui pour moi ne signifie pas grand-chose si ce n’est que mon passeport pour voyager y fait référence. Je le considère comme un document de voyage administratif mais je ne prête pas allégeance à un pouvoir non musulman et à des autorités responsables de la mort de milliers de musulmans, que ce soit en Irak, en Afghanistan, en Afrique, mais aussi au regard du passé colonial de ce pays ».
Toutefois, l’examen des trajectoires de nombreux radicaux violents montre un parcours de
désagrégation culturelle, religieuse et politique qui remonte à deux générations dans de nombreux
cas et qui est antérieur aux conflits armés en Irak et en Afghanistan.
Aussi ce militant radical violent du quartier de Walthmastow, au nord de Londres, expliquait
que l’abandon de son identité politique venait du traditionalisme ethnique qui avait freiné la prise
de conscience et l’appartenance à une identité islamique dans le cas de ses parents, issus de la
communauté gujarati (province occidentale de l’Inde).
«(…) Les traditionalismes64 sont le résultat des ignorances des peuples musulmans qui sont venus des régions reculées de l’Inde, du Bangladesh et du Pakistan. La nouvelle génération, en particulier ceux qui participent au réveil islamique, comme notre groupe « les partisans de la Sunna », sommes opposés à ce genre de pratiques et généralement nos frères qui se marient le font en libre choix avec les sœurs65, en étant souvent en opposition avec leurs parents ignorants ».
De même que la tradition ethnique, la tradition religieuse, dans le cas de ces déracinés, n’a
pas été transmise même si ce militant avait suivi autrefois son père à la mosquéelxix.
« Dans la famille, nous n’avons pas reçu une éducation religieuse particulière. J’ai suivi mon père, qui allait à la mosquée, dès l’âge de 10 ans. Mais je n’ai pas suivi de formation islamique ».
La « formation islamique » dont parle cet adepte fait référence à une socialisation politique
dans le cadre d’une nation islamiste, la oumma islamiste. La déliquescence de l’appartenance
nationale dans le cadre de l’Inde ou du Pakistan a exclu ce type de jeunes déracinés d’une histoire
et d’une identité politique nationale, en dehors du cadre étroit du groupe ethnique d’origine.
L’absence d’un ancrage national et d’une identité nationale dans le pays d’origine et en
Angleterre est instrumentalisée par les leaders charismatiques comme Omar Bakri et Abu Qatada.
64 l’endogamie et le mariage interethnique dans ce cas, ndlr 65 les militantes des Mouhadjiroun, ndlr
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 88
La décomposition de l’empire islamique, le Califat, l’exclusion des primo-immigrants des
identités nationales naissantes dans le pays d’origine sont présentées par les gourous comme le
résultat de l’histoire coloniale et politique de la Grande-Bretagnelxx.
« Le cheikh Omar Bakri66 nous a toujours enseigné que la Grande-Bretagne était l’un des grands responsables de la division du monde musulman, en particulier en ayant précipité la chute du Califat ».
A ce stade de la radicalisation djihadiste, l’intrusion d’une dualité et d’un antagonisme
historique vis-à-vis de la Grande-Bretagne construit une inimitié vis-à-vis de ce pays sur une base
historique et politique. Ce propos associe au plan historique la nation britannique à la chute de
l’empire et à la dislocation de l’identité politique islamique, la oumma — la nation islamiste pour les
salafistes radicaux violents. La propagande des radicaux consistera à formuler cette situation dans
la symbolique de la tradition religieuse musulmane.
Il est alors question d’une opération idéologique qui donne à une violence politique une
dimension religieuse. Ces mêmes représentations sociales sont véhiculées par les structures radicales
violentes chez les jeunes musulmans, en Espagne par exemple, où la destruction de l’appartenance
historique a lieu grâce à une propagande sur la chute de l’empire islamique en Andalousie.
A l’issue d’un processus préalable de rupture avec la nation britannique, une étape ultérieure
dans le processus de passage à la violence a lieu, principalement lors de l’apostasie des institutions
politiques nationales telle la justice, la démocratie et l’armée britannique. On retrouve cette doctrine
politique de la violence chez les adeptes de Ahl sunna wa al jamaa et les Mouhajiroun.
Cette dissidence radicale s’applique au domaine juridique, social et politique des sociétés
britannique, française ou espagnole. La désobéissance à l’autorité publique — les tribunaux et les
lois nationales – est enseignée aux adeptes takfiristes en France ainsi qu’en Angleterre. Avant son
évasion en direction du Liban en 2005, Omar Bakri, chef des Mouhadjiroun, avait créé la « Sharia
Court » afin de légiférer en matière de divorce, de mariage et de contentieux. Toutefois, Bakri
ayant déclaré que « les biens et les ressources des impies étaient licites », les militants des
Mouhajiroun vivent en grand nombre grâce aux aides sociales de l’Etat britannique (aide au
logement, aide au retour à l’emploi, allocations chômage), selon la déclaration d’un responsable de
cette organisation. Les aides sociales représentaient en quelque sorte « un butin de guerre », selon le
gourou du mouvement djihadiste en Europe.
66 cheikh : un clerc ou un maître, détenteur du savoir. Ce terme est utilisé par les radicaux pour désigner les chefs politiques - ndlr
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 89
5.4 L’ennemi politique des radicaux violents : la nation, l’Etat et la société
A la différence des radicaux, qui acceptent les législations et les valeurs politiques des
sociétés européennes, les militants djihadistes qualifient les Occidentaux de « Croisés » ou de
« mécréants » comme le montrent plusieurslxxi entretiens réalisés avec des militants adeptes du
groupe Ahl sunna.
Un soutien des radicaux violents, âgé de 22 ans, appartenant au Supporters of Sharia (SOS)
à Londres, aborde la question des conflits en Afrique comme une guerre de « Croisés » contre les
musulmans. Arrivé d’Erythrée à l’âge de 12 ans en Grande-Bretagne, la vision du monde radicale
qu’il a acquis en Grande-Bretagne a été façonnée par le discours adopté par Ayman Zawahiri et
Oussama Ben Laden sur cette partie de l’Afriquelxxii.
« Le fait d’obtenir un passeport britannique ne signifie pas pour autant mon appartenance à une quelconque allégeance britannique et à ses lois. Cela a constitué dès le départ une divergence avec ma famille, car pour eux c’était important67. Je ne leur en veux pas, mais mes parents ne se souciaient pas de mon éducation islamique et leur identité ne faisait d’ailleurs pas référence à l’islam, alors que les raisons de leur départ de leur terre sont dues à l’agression des Croisés éthiopiens en guerre contre l’Erythrée. Ils ne pensent pas que ce conflit s’inscrive dans la confrontation globale que l’alliance croisée a entrepris de faire contre l’Islam, alors que les faits montrent aujourd’hui la réalité des aspirations croisées en Afrique de l’Est, que ce soit au Soudan ou en Somalie. Cela a constitué à ma majorité un problème avec mes parents ».
Dans ce contexte des conflits armés, les ennemis sont désignés par le terme de « Croisés ». En
faisant référence aux croisades entre les musulmans et les chrétiens, selon le vocabulaire utilisé par
Ayman Zawahri, la relation d’ennemi est fondée sur l’Histoire et les cadres sociaux désagrégés de la
mémoire collective dans le cas d’individus déculturés.
De la même manière, l’ennemi politique est appelé a-taghut, « le tyran » par les militants
radicaux violents. Il s’agit d’une figure du « tyran » « oppresseur des musulmans ». Le taghut est
associé à la dictature des régimes politiques arabes dans le cas des radicaux violents dans le
monde arabe et musulman. L’usage de cet anathème dans le cas des activistes dans le contexte
politique européen est quelque peu différent. La tyrannie des « Etats et des systèmes politiques » en
Europe ne serait pas le fait d’une répression des libertés politiques.
A la différence des régimes du Maghreb et du Moyen-Orient, dans le cas occidental la
tyrannie est associée à la participation des armées occidentales aux conflits armés contre les 67 Ces derniers avaient fait une demande de naturalisation en 2004, ndlr
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 90
musulmans. La politique étrangère et diplomatique constitue alors le terreau de la transformation de
l’Etat Britannique, de l’Espagne ou de la France en ennemi qu’il faut combattre.
Dans un entretien avec un responsable d’origine pakistanaise de la mosquée de Crawley,
ville par laquelle sont passés plusieurs radicaux violents appartenant à un groupe qui planifiait des
opérations 68 sur le territoire britannique, le responsable relate le processus de radicalisation d’un
certain nombre d’entre eux. Parmi les personnes de ce groupe, dit « cellule de Crawley » comme la
surnomment la presse britannique et les autorités, certains sont nés dans cette ville ou ont fréquenté
la mosquée de Langley Green. C’est là qu’ils ont été recrutés ou radicalisés par des éléments des
mouvances radicales, comme celle des Mouhajiroun qui était active dans la ville. Les radicaux se
focalisent sur des zones où leur capacité de recrutement et de mobilisation est facilitée par les
facteurs socioéconomiques. L’imam de la mosquée de Crawley explique à ce sujet le processus de
radicalisation violente d’un groupe de jeunes. La fragilité de l’intégration de ces jeunes dans la
société britannique en dépit d’une formation universitaire pour certains remet en question le cliché
selon lequel la radicalisation est un mouvement de jeunes en échec scolaire seulement. De plus, la
désagrégation de la langue vernaculaire principale cadre de transmission d’une identité culturelle et
d’une mémoire historique du pays d’origine par les parents met le doigt sur un processus de
déracinement latent chez ces jeunes radicaux violents. Toutefois les signes de passage et d’adhésion
à la violence ont lieu à l’issue d’un contact prolongé avec l’organisation takfiriste al Muhadjiroun à
Londres et à Crawley. A l’issu de cette idéologisation politique, les relations deviennent difficiles
avec les parents et la communauté religieuse locale est qualifiée de « renégat ». Ainsi à la suite de
plusieurs courts séjours au Pakistan qui semble constituer le moment de basculement dans la violence
contre la société britannique, la famille et la communauté originelle perçues comme des ennemies
potentielles. A ce sujet les propos détaillés de l’imam illustrent ce processus de la radicalisation
islamiste violentelxxiii.
« La grande majorité de la population ont constituée de blancs britanniques, les musulmans sont peu nombreux et les minorités ethniques en général vivent dans des quartiers isolés, loin des activités et du mouvement de Londres ou des grandes villes. Les jeunes n’ont pas d’activités extérieures car les transports sont coûteux, ou alors ils travaillent souvent dans la zone de l’aéroport. Crawley est ce qu’on appelle une ville dortoir, sans activités locales véritables pour occuper les jeunes ».
68 Il s’agit d’un groupe démantelé par la police en avril 2004 grâce à une perquisition dans un hangar près de Heathrow (Hanwell) ou des matières explosives d’origine organique ont été découvertes. Huit personnes en tout avaient été arrêtées (Omar Khayyam, 24 ans ; Waheed Mahmoud, 34 ans ; Ahmad Khan, 18 ans ; Nabil Hussein, 20 ans ; Jawad Akbar, 22 ans et Shujah Mahmood, 18 ans étaient de Crawley).
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 91
La question de l’intégration politique et culturelle nous a surtout interpellé sur le processus de
transmission d’une mémoire collective culturelle et politique. Certains jeunes radicaux de Crawley ont
eu un emploi et un parcours scolaire correctlxxiv.
« La cible des radicaux lors de ces conférences est essentiellement des jeunes. Ceux qui ont été arrêtés avaient entre 18 et 34 ans. Ils sont tous d’origine pakistanaise, du groupe des Mirpur, au nord-est du pays, au Cachemire. Seul Jawad Akbar était né au Pakistan et était arrivé à l’âge de 12 ans au Royaume-Uni. Sa famille avait trouvé du travail à Crawley grâce à des réseaux de solidarité au pays où les émigrants s’entraident souvent quand ils retournent visiter leur région d’origine. Les autres sont nés ici et avaient des connaissances basiques de leur culture d’origine. Ils parlaient mal l’urdu ou leur dialecte local et maîtrisaient davantage l’anglais (…) Dès leur adolescence, ils venaient prier dans la mosquée. Leurs études s’étaient bien déroulées, ce n’était pas des délinquants sous l’influence de gangs quelconques. Ils ont connu des succès scolaires et des jeunes, comme Ahmad Khan, ont étudié à l’université, le journalisme à Londres. Nabil Hussein était à Brunel University ; Waheed Mahmoud, le plus âgé, était mécanicien de formation, il travaillait dans une société de dépannage de gaz, était marié et avait quatre enfants. Les autres plus jeunes poursuivaient leurs études ou s’apprêtaient à continuer à l’université. Certains étaient issus d’une même famille, comme Omar Khayyam, son frère Sujah Mahmoud et leur cousin Ahmad Khan. Waheed Mahmoud et son frère Rashid étaient aussi des habitués de la mosquée.
Même si un grand-père avait participé en tant que soldat dans les armées coloniales britanniques, le problème de l’intégration politique dans la société britannique est lié également à l’expérience individuelle du contact culturel avec les « blancs » dans Crawley et en dehors du microcosme de cette petite ville en Grande-Bretagne.
Je pense qu’ils se sont laissés entraînés ensemble vers la radicalisation sous l’influence de Wahid et Omar, les aînés en quelque sorte. A partir de 2001, leur discours a commencé à changer. Auparavant, ils n’éprouvaient pas d’animosité particulière et ne rejetaient pas la société occidentale. Omar Khayyam, son frère et ses amis adoraient même le football et ils jouaient régulièrement au cricket ; ils connaissaient même les stars de l’équipe pakistanaise et certains joueurs britanniques. Le grand-père pakistanais d’Omar avait même servi dans l’armée coloniale et était arrivé en Angleterre en 1970. Ses parents ressentaient une certaine fierté et Omar et Shujah étaient aussi fiers de leur grand-père. L’exiguïté de Crawley fait qu’ils ont pu être attirés à partir de cette date, alors qu’ils étaient très jeunes par le discours radical véhiculé via les conférences d’al-Mouhajiroun dans les salles communautaires ou aussi au lycée à travers certaines Islamic society proches de cette mouvance. Le 11 septembre représentait dans leurs esprits une forme de revanche de l’islam sur la domination occidentale. Ils visionnaient également des vidéos où on leur montrait la situation des musulmans au Cashemire indien. On leur disait qu’il fallait soutenir les combattants du Cashemire contre l’Inde des infidèles. Les radicaux jouaient à la fois sur leur fibre patriotique pakistanaise et sur leur identité d’origine Cashemiri. Leurs parents ne les avaient guère sensibilisés à cette question d’identité et des aspects de la situation au Cashemire. Leur vision de l’islam était populaire, influencée par les
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 92
« tariqât »69 et ils voyaient la question du Cashemire comme un sujet d’identité nationale pakistanaise, entre le Pakistan et l’Inde, mais pas comme un djihad sur fond de discours religieux. A travers les vidéos et le discours, ils voyaient là un nouveau visage de l’Occident et de ses alliés comme l’Inde dans leur guerre contre les musulmans. Même le pouvoir pakistanais était aussi montré du doigt pour sa faiblesse, et sa lutte contre les groupes djihadistes terroristes sur son territoire. Dès les premiers mois de cette sensibilisation, leur comportement a changé. Leurs relations avec leur environnement familial étaient plus tendues, principalement avec leurs parents à qui ils reprochaient leur ignorance et leur absence d’engagement à l’égard des groupes djihadistes. Ils ont cessé de fréquenter la mosquée et nous ont accusés d’être des polythéistes parce que nous suivions le MCB et ne rejetions aucun courant modéré de l’islam qu’ils considéraient comme déviants. Ils nous accusaient de trahir les musulmans en s’alliant avec le pouvoir britannique. Ils poursuivaient leur réunion à Crawley, mais allaient souvent à Londres suivre les prêches. »
Le principe de dissidence totale vis-à-vis des sociétés européennes est appliqué par
l’idéologie sectaire violente des Mouhajiroun, soit la radicalisation violente selon le principe de
dissidence avec la société et avec la communauté d’origine. Cependant le passage à la violence
aurait eu lieu ultérieurement lors d’un contact avec des zones de guerre en Asie du Sud-Est.
« Ils poursuivaient leurs réunions à Crawley, mais allaient souvent à Londres suivre les prêches. Ils s’arrangeaient pour les trajets en voiture. Ils suivaient aussi régulièrement les actualités des situations du monde musulman via Internet à travers des forums ; ils passaient beaucoup de temps dans les quelques cafés Internet de la ville, dans notre quartier principalement. Un an après environ, vers 2002, ils ont arrêté de fréquenter notre mosquée et avaient pour la plupart coupé les contacts avec leur milieu familial. Ils avaient également quitté leurs réseaux d’amis et ne s’intéressaient plus aux activités sportives comme par le passé. Leurs familles n’avaient plus de contacts directs, ils avaient averti qu’ils partaient à Londres poursuivre leurs apprentissages en Islam et qu’ils souhaitaient se rendre au Pakistan pour apprendre le Coran et la sunna dans une madrasa. Omar Khayyam, Waheed Mahmoud, Shujah Mahmood ont tous été au Pakistan. Ils se sont rendus au nord du pays. Leur famille ignorait apparemment le lieu exact, même si pour Waheed, ce dernier avait averti de son départ qui a duré plusieurs mois jusqu’à son retour en 2003. Les autres sont partis sur des périodes plus courtes. Ils ont, je pense, été formés et embrigadés au Pakistan après une première étape dans leur radicalisation au côté d’al-Mouhajiroun. J’ai été néanmoins étonné d’apprendre leur arrestation sur le territoire en 2004, car tout au long de leur jeunesse et même après leur processus de repli, ils ne tenaient jamais de propos violents à l’encontre de la société britannique. Certes, ils la considéraient comme une société impie et disaient qu’il fallait s’en séparer physiquement et intellectuellement. Mais à aucun moment ils disaient qu’il fallait combattre les Britanniques sur leur territoire. Ils souhaitaient partir pour aider leurs frères au Cachemire disaient-ils. C’est dans les camps qu’ils auraient fréquentés qu’on leur a fait comprendre la nécessité de frapper le territoire britannique. D’ailleurs les autres personnes de la cellule démantelée, Anthony Garcia et Salahuddin Amin, ne sont jamais venus à Crawley et les jeunes devenus radicaux
69 Les confréries, ndlr
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 93
de notre mosquée ne les connaissaient pas avant leur départ pour le Pakistan. L’endoctrinement des groupes terroristes s’est probablement déroulé là-bas au Pakistan ».
La nécessité de combattre la société britannique « impie » apparaît à l’issue de la dissidence
avec la société et a lieu généralement dans un contexte politico-sécuritaire particulier, notamment
dans des zones de conflit où la présence d’entités étatiques ou d’encadrement sécuritaire public est
faible ou inexistante comme dans la zone nord du Pakistan, dans la région du Cachemire, en Afrique
de l’Est ou encore en Syrie, Liban et en Irak.
Néanmoins, lorsque ce principe de rupture n’est pas possible à appliquer au plan juridique,
politique, économique et social à l’encontre des sociétés française ou britannique, le processus de
radicalisation violente a lieu à l’occasion de la hijra, la dissidence totale y compris territoriale. Il est
question alors d’une obligation de départ et de rupture définitive vis-à-vis de l’Etat et des sociétés
française ou britanniquelxxv.
Cette doctrine de rupture territoriale a été adoptée dans le cas de jeunes radicaux
takfiristes issus de la Courneuve en France et à Vaulx-en-Velin. Ils ont, à la suite d’un processus de
formation à l’idéologie takfiriste en France, entrepris de partir en Syrie, au Liban ou en Egypte pour
vivre selon les préceptes d’une société islamique « authentique », selon le témoignage recueilli à
Aubervilliers auprès d’un militant du salafisme wahhabite saoudien. Les radicaux islamistes français
arrêtés au Caire en novembre 2006, qui étaient originaires de la Cité des 4 000, avaient été
formés à la doctrine salafiste violente par Abdelkader Bouziane, un gourou salafiste influent dans
les réseaux salafistes de Lyon.
Dans le cas de ce groupe, une formation préalable au principe de la rupture avec leurs
familles et leur milieu social d’origine a évolué par la suite en une dissidence avec leur pays, la
France. Al hijra, la rupture territoriale et l’exil vers l’Egypte qui s’en est suivi, avaient pour objectif
dans leur cas d’apprendre l’arabe. La phase de passage à la violence et le projet de combattre les
armées occidentales et les musulmans « renégats » en Irak eut lieu à l’issue de cette phase.
Les adeptes des djihadistes associent les conflits armés et la participation des armées
britanniques, françaises et espagnoles à un projet d’ « extermination » (ibâdah) de l’identité
historique et politique des musulmans et de l’Islam. Après l’annonce de la participation de l’armée
espagnole à des conflits armés dans le monde musulman, les groupuscules takfiristes de Ceuta ont
apostasié les militaires espagnols musulmans, dont le nombre est estimé à 5000.
Outre leur impact, ces guerres servent de terreau pour construire des identités politiques
ennemies. Cette étape de la radicalisation violente est importante dans l’engagement dans des
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 94
réseaux transnationaux en Irak, en Tchétchénie et dans des réseaux terroristes, comme le montre le
parcours de Denis Robert, un radical takfiriste de Saint-Etienne qui a participé à l’organisation des
attentats de Casablanca en mai 2003.
Durant cette phase, qui consacre l’entrée dans l’action armée, le sentiment premier observé
chez les radicaux violents est celui de « réagir » contre « l’anéantissement de la oumma, la nation
des musulmans ». Dans de nombreux cas de radicaux violents, la survie d’une « unité politique » en
péril est le moteur du passage à la violence.
Cet antagonisme est associé à la « défense de l’Islam » et il est au cœur du processus de
fabrication de l’ennemi politique, à l’occasion de la médiatisation des conflits armés dans le monde
musulman. Il s’agit alors de participer à la « défense des terres des musulmans » chez les salafistes
djihadistes et à la « survie » ou la revivification d’une identité politique. Nous pouvons parler à ce
stade de la violence politique telle qu’elle a été définie par Carl Schmidt et Julien Freund : « Qu’est
ce qu’un ennemi politique ? C’est l’autre qu’on combat en tant qu’il appartient à une unité politique.
Nous dirons que l’ennemi politique est constitué par l’ensemble des membres d’une collectivité que les
membres d’une autre collectivité combattent au nom des intérêts de leur collectivité, avec la possibilité
d’user dans certaines conditions de la violence physique70 ».
Ainsi, les sectes radicales violentes en Europe développent-elles une doctrine de la violence
basée sur l’existence d’une menace collective imminente contre la « nation des musulmans ». Ces
organisations radicales se présentent comme une minorité avant-gardiste chargée d’une mission
millénariste qui consiste à un retour de l’empire islamique, le Califat.
On note cependant de nombreux échecs dans le processus de passage à l’action armée. Un
nombre limité de radicaux candidats au djihad parviennent au terme de leur projet. La sélectionlxxvi
des jeunes recrues en provenance d’Europe est rude pour rejoindre le front djihadistes en Irak et en
Afghanistan. Souvent ces derniers doivent financer eux-mêmes leur déplacement ou trouver des
mécènes pour leur payer le voyage et les frais de séjour sur place. A la suite de ce parcours, les
entrainements militaires et physiques imposent une discipline qui met en échec les candidats qui n’ont
pas l’endurance nécessaire. De plus, les jeunes en provenance de France et de Grande Bretagne
parlent peu les langues vernaculaires des pays où ils vont combattre. Ces derniers découvrent au
contact des sociétés égyptienne et syrienne par exemple l’existence d’un mode de vie occidental,
70 Carl SCHMITT, Théorie des Partisans, Berlin : Duncke & Humblot, 1992
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 95
d’inégalités et de discriminations exercées par des musulmans entre eux. Le contact avec la réalité
politique et culturelle des pays arabes et musulmans constitue souvent un moment de désillusion et
d’échec du messianisme salafiste.
A ce stade, les jeunes ne peuvent plus faire marche arrière et revenir en Europe car ils sont
recherchés et doivent assumer leur échec auprès des leurs. Un changement de trajectoire politique
constitue généralement une « stratégie de sortie ». Des candidats au départ en Afghanistan
rejoignent par exemple l’Arabie saoudite et des appareils politiques et idéologiques salafistes
officiels pour pouvoir revenir en France et « prêcher la bonne parole » dans les cités et former à
leur tour de nouveaux radicaux.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 96
6. Recommandations
Le revers des politiques sécuritaires en direction du culte musulman au niveau local et
national
1. Compte tenu d’une présence importante des radicaux au sein des instances représentatives
de l’islam en Europe, ces institutions tendent de plus en plus vers la radicalisation même si
elles sont opposées au terrorisme. Comme le montre notre enquête sociologique, la
négociation et la cooptation des islamistes (Frères musulmans, tabligh, Jamaati) dans des
instances de représentations communautaires comme l’UOIF, BMC, EUCD, sont nécessaires
mais insuffisantes en matière d’intégration culturelle des jeunes issus des communautés
musulmanes en Europe. A terme, ce type de politiques sécuritaires qui sont menées dans le
cadre de la lutte antitérroriste freinent l’intégration identitaire des jeunes car certains acteurs
politiques islamistes agissent en faveur d’une séparation culturelle avec la société occidentale.
Il est donc nécessaire que l’UE mette en place une action de contrôle et de suivi des politiques
de prévention de la radicalisation violente (a) et de générer une action politique et
financière en direction d’interlocuteurs musulmans qui ne soient pas islamistes (b).
a. Le coopération avec les islamistes opposés au terrorisme en matière de prévention de la
radicalisation violente
On constate que les représentations des musulmans dans des pays européens sont
majoritairement islamistes. Cette radicalisation des instances cultuelles a transformé les
islamistes en interlocuteurs des décideurs politiques au niveau des Etats et de l’UE dans le
domaine de la prévention du terrorisme. En rejetant le terrorisme et la violence, les radicaux
apparaissent dans les médias et les instances politiques aujourd’hui comme musulmans «
modérés ». Il est important dans l’action de l’UE de pallier cette dérive. Nous recommandons
de construire la politique de l’UE en direction des instances représentatives dans le domaine
de la prévention du terrorisme par exemple sur la base d’une action de coopération avec la
société civile et les collectivités locales directement sur le terrain.
L’élaboration par les Instances représentatives de projets sociaux en direction des jeunes
musulmans doit se faire dans un cadre pluriel et associatif et non à travers des déclarations
de bonnes intentions. Un débat contradictoire avec les takfiristes dans les mosquées, les
centres culturels islamistes, les cités et les quartiers doit être mené par les Instances
représentatives des musulmans dans le cadre des programmes de prévention et des
financements dont ils bénéficient de la part de l’UE (programme RELEX par exemple). Cette
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 97
action doit avoir lieu sur le terrain dans les lieux de cultes, dans les sites internet, dans les
espaces publics dans les quartiers et les communautés isolées. L’UE par les politiques de
formation du culte, d’aide aux associations communautaires musulmanes doit associer
l’efficacité de sa politique dans ce domaine à une demande d’action concrète et pratique en
direction des représentants’ des communautés musulmanes en Europe.
b. L’UE doit agir davantage en faveur de la participation de musulmans du courant séculaire et
traditionnel, comme les scouts musulmans, les intellectuels modérés, les aumôniers musulmans,
les imams malékites et les imams barelwis, issus de courants politiques et idéologiques
indépendants vis à vis du mouvement islamiste en Europe. Il est nécessaire d’identifier les
réseaux associatifs regroupant cette tendance et de soutenir leur action dans le domaine
intellectuel, éditorial, médiatique, universitaire, et associatif. Face à l’émergence du salafisme
violent en Europe, l’intégration des Frères musulmans, des Jamaati , des déobandis et des
salafistes wahhabites, dans les instances représentatives de l’islam dans les pays européens
par les autorités sécuritaires et politiques a eu lieu au détriment des musulmans modérés
libéraux et traditionnels qui sont minoritaires voire absents dans certains cas au sein de ces
institutions depuis deux décennies. A terme, ce déséquilibre risque de mener à un ancrage
de cette idéologie parmi les générations nouvelles de musulmans sans contre pouvoir
politique possible.
2. Aussi, une politique de prévention efficace de la radicalisation doit intégrer les politiques
publiques qui ne sont pas pour autant exclusives d’une politique sécuritaire. L’Union
européenne doit agir de manière urgente sur les politiques publiques dans le domaine des
politiques éducatives en direction des jeunes. Nous recommandons de mettre en place un
programme de financement de l’enseignement scolaire publique en faveur des langues
vernaculaires comme l’arabe classique et dialectal, l’urdu, le Turc, et le Berbère dans les
écoles afin de prévenir la radicalisation des jeunes à la recherche de cette formation qui est
devenue un monopole des centres islamistes. Par le biais des gouvernements locaux qui
bénéficient du financement de l’Europe, cette dernière peut agir sur le déclin et l’abandon de
ce chantier culturel abandonné par les collectivités et par les gouvernements afin de limiter
l’emprise sur les écoliers et les lycéens des associations et des centres culturels contrôlés par
les islamistes.
L’enseignement des langues vernaculaires dans les pays européens fait partie des politiques
du Conseil européen. Ce dernier peut servir de relais dans l’élaboration d’une politique
d’enseignement de la langue arabe classique car il dispose d’un formidable réseau de
compétences à travers la fédération européenne des enseignants. Dans ce cadre les
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 98
enseignants et les inspecteurs de l’éducation nationale agrégés de la langue arabe peuvent
participer utilement, avec leur collègues européens, à la définition de normes pédagogiques
et de formation des professeurs de la langue arabe en Europe afin d’affaiblir l’intervention
des radicaux sur ce segment de l’éducation des jeunes européens.
3. Le référentiel des politiques sécuritaires de l’UE en matière de prévention de la radicalisation
islamiste pourrait utilement intégrer dans les textes sur la radicalisation que celle-ci est le
résultat d’un déficit de l’intégration politique de l’identité culturelle des jeunes. Des outils
politiques formidables dont disposent l’UE en matière de coopération avec les Régions en
Europe peut utilement servir d’innervation publique en direction des responsables territoriaux
(maires, fonctionnaires territoriaux, gendarmes, polices) afin que ces derniers soient
sensibilisés davantage aux problématiques de politiques publiques afin de prévenir la
radicalisation islamiste (déterritorialisation, illettrisme, drogue, criminalité, racisme) et ne le
restreignent pas à un phénomène religieux ou cultuel. Dans ce sens des colloques, des
formations et des campagnes de communication seraient d’une grande utilité pour doter le
niveau local d’outils socio-politiques de prévention.
4. Les politiques identitaires au niveau national : l’enseignement de l’histoire et la question
de la mémoire collective des immigrés et des musulmans en Europe. La politique culturelle
de l’Europe passe nécessairement par les politiques mémorielles de celle-ci. L’intégration de
l’histoire de l’immigration contribue à résoudre la question de la place religieuse et culturelle
de l’islam en Europe.
Au niveau national, l’histoire de l’islam en tant que religion est abordée de manière
conflictuelle. Compte tenu des divergences des politiques nationales dans le domaine de
l’Islam, il existe un axe d’intégration consensuel qui se dégage actuellement à travers la
mémoire et l’histoire du mouvement ouvrier maghrébin et indo-pakistanais en Europe et de la
participation également de ce dernier aux Première et Deuxième guerres mondiales des
Etats européens. Nous recommandons d’intégrer ces référents historiques et identitaires au
cœur des textes fondamentaux de l’UE et des politiques éducatives et mémorielles que
soutient celle-ci.
5. Favoriser une culture de masse européenne de l’islam en direction des jeunes issus de
l’immigration. Aujourd’hui l’Europe dispose du plus important dispositif académique dans le
monde dans le domaine de la recherche et de l’édition universitaire et savante au sujet de
l’Islam et du monde musulman. Il serait important de promouvoir une politique européenne
cohérente dans le domaine de l’édition et de la diffusion de cette culture par le biais de
financement et de l’organisation de campagnes médiatiques, de conférences, de salons du
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 99
livre sur la connaissance de l’histoire des musulmans et enfin de financement et de soutien de
programmes de recherche académiques sur la radicalisation islamiste (problématique de
désintégration culturelle de l’identité politique chez les jeunes européens issus de
l’immigration) dans le cadre du programme européen Marie Curie.
Le marché éditorial du livre sur les musulmans, l’islam et la radicalisation oscille aujourd’hui
d’un coté entre une offre élitiste de qualité disponible à un cout financier élevé et d’un autre
coté entre une offre idéologique financée par les organisations salafistes wahhabites ou
radicales vendu à un cout symbolique et dans certains cas gracieusement. Des maisons
d’éditions importantes comme Brill à Leiden, Maisonneuve Larose à Paris et d’autres en
Grande Bretagne, en Allemagne et en Autriche par exemple constituent un outil indispensable
à la création d’une culture de masse européenne de qualité sur la question du patrimoine
culturel de l’immigration musulmane. Toutefois cette connaissance d’excellence n’est pas
accessible à la majorité des musulmans compte tenu du cout financier élevé. L’aide financière
et le soutien de l’UE en direction de ces acteurs culturels peut contribuer à la prévention
efficace contre la diffusion des textes de la radicalisation qui a occupé le terrain de l’édition
et du net sous le label du « Savoir ».
Nous recommandons à l’UE de soutenir la démocratisation des publications universitaires sur
les musulmans et l’Islam en Europe à travers l’aide financière européenne et le soutien aux éditions.
La baisse des couts de la diffusion de la connaissance en Europe de l’Islam favorise l’enracinement
des référents démocratiques chez les jeunes musulmans. Il s’agit de rendre cette expertise savante et
élitiste plus accessible au plan économique aux lycéens, étudiants et au grand public car le coût à
l’achat de ces ouvrages est inaccessible à certaines catégories sociales modestes en Europe. En
même temps elle permettrait aux européens de culture non musulmane de se familiariser et découvrir
une dimension universelle de la pensée musulmane et de construire une passerelle avec ses Lumières.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 100
7. Glossaire des termes arabes employés
Glossaire des termes en langues non latines
Barelwis : Courant spirituel musulman modéré composé majoritairement de sunnites pakistanais.
Ce groupe entretient des relations étroites avec l’ordre soufi dont l’appellation remonte à
Bareilly en Inde. Kurshid Ahmed est un des leaders en Grande-Bretagne de ce courant opposés
aux idées radicales des Déobandis.
Déobandis : Opposés au Barelwis, le nom de ce courant traditionaliste remonte à la région de
Déobande en Inde. En Europe, il représente le courant radical de l’islamisme issu du Pakistan en
Grande-Bretagne.
Frères musulmans : Il s’agit du mouvement islamiste le plus important au plan politique dans le
monde. Il a été fondé en 1928 par Hassan al -Bana en Egypte et défend depuis les années
1980, l’option d’une participation politique légaliste à travers les urnes. Il s’agit du principal
courant fondamentaliste opposé au plan politique au salafiste djihadiste.
Hanbalisme : Prônant l’origine divine du droit en réaction au mutazilisme inspiré par la
philosophie grecque du VIIIe siècle, le hanbalisme est une Ecole de jurisprudence islamique
(maddhab) fondée par un imam syrien, Ahmed Ibn-Hanbal (780-855). Il a été par ailleurs
l’élève de l’imam Shafii, fondateur de l’école de jurisprudence shaffite. Ce rite de l’Islam
orthodoxe sunnite défend une application rigoriste des rituels religieux. Il est également
particulièrement observé par les pays du Golfe et dans Péninsule arabique notamment en
Arabie Saoudite grâce à Mohammed Ibn abd al Wahhab, le fondateur du wahhabisme.
Hizbu a-Tahrir (HT): Le parti de la Libération. Cette organisation a été créée en 1953. Elle
appelle à l’instauration du Califat dans le monde et a été interdite en Grande-Bretagne à l’issue
des attentats du 7 juillet 2005. Opposé au plan politique aux Djihadistes, ce courant se défend
de soutenir le terrorisme tout en appelant à instaurer le Califat sans préciser les moyens d’y
parvenir.
Jamaati : Mouvement fondé en 1941 par Abu al Ala al Maoudoudi à Lahore. Cette
organisation est proche du courant des Frères musulmans et dénonce l’usage de la violence
politique par les salafistes djihadistes.
Jamaa : Ce terme désigne en arabe le groupe ou encore la communauté. Dans l’idéologico-
politique islamiste il désigne plus particulièrement l’organisation politique en tant que telle,
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 101
tandis que dans le cas du salafisme radical cette appellation désigne l’organisation de nature
sectaire.
Mouhajiroun : organisation sectaire fondé par Mohammed Bakri en Grande-Bretagne. Le terme
Mouhajiroun veut dire « exilés » en arabe et désigne les adeptes de la séparation avec l’ordre
politique en place à travers le monde. La ligne politique de cette secte soutien le djihad. A la
suite de l’interdiction de l’organisation al Mouhajiroun au lendemain des attentats du 7 juillet
2005 à Londres, les militants de cette composante ont créé une nouvelle organisation appelée al
Ghuraba ou encore la secte du salut.
Malékisme. Ecole de jurisprudence religieuse (maddhab) islamique fondée par l’imam Mâlik Ibn
Anas (715-795). Né à Médine, il connaîtra la transition entre la période des Califes Omeyyades
et celle des Abassides. Cette période d’expansion de l’empire musulman voit apparaître la forte
nécessité de juridiction, en particulier dans les nouveaux territoires conquis à cette époque. Ce
rite de l’Islam sunnite est particulièrement observé au Maghreb depuis cette époque. L’imam
Malik élabora al Muwatta, un recueil de hadith et d’avis juridiques de compagnons du Prophète
Salafisme radical : courant politico-idéologique contemporain se revendiquant de la doctrine
salafiste, appelant à une reforme de l’Islam à partir d’un retour aux pratiques religieuses
originelles de l’Islam. Différents courants politico-religieux se réclament du salafisme : le
salafisme réformiste, le salafisme wahhabite (clérical ou cheikhiste). Ces deux dernières filières
s’opposent au salafisme djihadiste.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 102
8. Liste des annexes (entretiens et monographies)
Annexe numéro
Référence d'entretien
Durée d'entretien
Ville Nationalité Origine Etat civil
Niveau Tendance
I 1 8h Aubervillies Française Algérienne N.C. Etudes universitaires
Salafiste
I 2 4h Montreuil Française et marocaine
Marocaine M Etudes secondaires
Salafiste
I 3 2h30 Paris Française Française N.C. Etudes secondaires
Salafiste
I 4 2h30 Saint-Cloud Française Algérienne N.C. Etudes universitaires
Frère Musul
I 5 1h30 Paris Française Turque C Etudes universitaires
N.C.
I 6 2h30 Lyon Française Espagnole et italienne (grand-père marocain)
C Ecole professionnelle
Salafiste
I 7 1h30 Paris Française Guinée-Conacry C Etudes secondaires
Tabligh Ad Dawa
I 8 2h00 Boulogne-Billancourt
Française et algérienne
Algérienne C Etudes secondaires
Salafiste
I 9 1h30 Saint-Denis Française Tunisienne C Etudes universitaires
Tabligh Ad Dawa
I 10 4h00 Paris Française, tunisienne et américaine
Tunisienne M Etudes universitaires
Tabligh
I 11 2h00 Aubervillies Française N.C. N.C. N.C. Salafiste I 12 2h30 Mantes-la-
Jolie Française N.C. N.C. N.C. N.C.
I 13 2h00 Bourget Française, Algéryenne et C Etudes pas de minHaj
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 103
algérienne et égyptienne
égyptienne universitaires particulier
I 14 1h00 Boulogne-Billancourt
Française Française C Etudes universitaires
N.C.
I 15 2h00 Paris Française et tunisienne
Tunisienne N.C. Etudes universitaires
Proche Ikhwan
I 16 2h00 Clichy-sous-Bois
Française et algérienne
Algérienne M Ecole professionnelle
Sunni
I 17 1h30 Lyon Turque Turque C Etudes universitaires
Milli Gorüs
I 18 1h30 Lyon Turque Turque M Etudes universitaires
Milli Gorüs
I 19 2h00 Vénissieux Française et algérienne
Algérienne N.C. Ecole professionnelle
Tabligh
I 20 2h30 Gènevilliers Française Martiniquaise M Ecole professionnelle
Tabligh
I 21 1h30 Lyon Française Algérienne M Etudes universitaires
Salafiste
I 22 1h00 Paris Française Française C Etudes universitaires
N.C.
I 23 2h30 Melun Française Française C Etudes universitaires
pas de minHaj particulier
II 1 2h30 Londres Britannique Jamaïcaine M Etudes secondaires
Salafiste-Ahl us Sunna
II 2 2h30 Londres Britannique Pakistanaise M Etudes universitaires
Salafiste-Ahl us Sunna
II 3 1h45 Birmingham Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Ex-al-Muhajiroun
II 4 1h30 Londres Britannique Britannique M Etudes universitaires
Hizb ut-Tahrir
II 5 1h30 Londres Britannique Indienne M Etudes universitaires
Hizb ut-Tahrir
II 6 2h00 Londres Britannique Britannique M Ecole professionnelle
Salafiste
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 104
II 7 2h30 Crawley Britannique Pakistanaise M Etudes secondaires
Jamaati
II 8 2h00 Londres Britannique Pakistanaise M Etudes secondaires
Deobandi
II 9 1h30 Londres Britannique Pakistanaise M Etudes secondaires
Deobandi
II 10 1h00 Londres Britannique Bengali M Etudes universitaires
N.C.
II 11 1h30 Londres Britannique Pakistanaise M Ecole professionnelle
Salafiste-djihadiste
II 12 1h30 Londres Britannique Pakistanaise N.C. Etudes universitaires
Salafiste
II 13 2h00 Londres Britannique Pakistanaise M Etudes secondaires
Deobandi
II 14 2h00 High Wycombe Britannique Caribéenne M Etudes secondaires
Frère Musul
II 15 2h00 Birmingham Britannique Pakistanaise M Etudes secondaires
Deobandi
II 16 1h30 Londres Britannique Bengali M Etudes secondaires
Salafiste
II 17 2h00 Londres Britannique Pakistanaise M Etudes secondaires
Salafiste-Ahl e-hadith
II 18 2h00 Birmingham Britannique Pakistanaise M Etudes secondaires
Salafiste-Ahl e-hadith
II 19 2h00 Birmingham Britannique Indienne M Etudes universitaires
Deobandi
II 20 1h30 Londres Britannique Indienne M Etudes universitaires
Salafiste-Ahl e-hadith
II 21 1h30 Londres Britannique Egyptienne M Etudes universitaires
Frère Musul
II 22 1h00 Londres Algérienne Algérienne N.C. Etudes secondaires
Ex-Salafiste
II 38 2h00 Londres Algérienne Algérienne M Etudes secondaires
Proche djihadiste
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 105
II 39 1h00 Londres Britannique Erythréenne C Etudes secondaires
Supporters of Shariah
II 40 1h00 Londres Yéménite Yéménite C Etudes secondaires
Supporters of Shariah
II 29 2h00 Londres Britannique Caribéenne M Etudes universitaires
Salafiste
II 32 1h30 Leicester Britannique Pakistanaise - Indienne C Etudes universitaires
Sunni
II 33 1h30 Leicester Britannique Indienne C Etudes universitaires
Deobandi
II 36 1h15 Leicester Britannique Indienne C Etudes universitaires
Sunni
II 37 1h30 Leicester Britannique Indienne C Etudes universitaires
Sunni
II 23 1h30 Dewsbury Britannique Indienne C Etudes secondaires
Sunni
II 23 1h30 Dewsbury Britannique Indienne C Etudes secondaires
Sunni
II 23 1h30 Dewsbury Britannique Indienne C Etudes secondaires
Sunni
II 24 1h30 Dewsbury Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 24 1h30 Dewsbury Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 24 1h30 Dewsbury Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 24 1h30 Dewsbury Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 24 1h30 Dewsbury Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 25 1h45 Dewsbury Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 26 2h15 Kirklees Britannique Pakistanaise C Etudes universitaires
Barelwi
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 106
II 27 1h00 Batley Britannique Indienne C Etudes primaires
Sunni
II 27 1h00 Batley Britannique Indienne M Etudes primaires
Sunni
II 32 2h00 Birmingham Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Deobandi
II 30 4h00 Londres Britannique Latino-américaine M Etudes universitaires
Muhajiroun
II 31 1h50 Londres Britannique Pakistanaise - Indienne C Etudes universitaires
Deobandi
II 28 1h50 Londres Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 28 1h50 Londres Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 28 1h50 Londres Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 28 1h50 Londres Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 28 1h50 Londres Britannique Pakistanaise C Etudes secondaires
Sunni
II 33 1h30 Leicester Britannique Indienne C Etudes universitaires
Sunni
II 34 2h30 Leicester Britannique Libyenne et anglaise C Etudes secondaires
Sunni
II 35 1h30 Leicester Britannique Pakistanaise C Etudes universitaires
Tabligh (Ex - Muhajiroun)
III 1 0h45 Barcelone Espagnole Espagnole M Etudes universitaires
Non-musulman
III 2 1h00 Sinera Espagnole Espagnole M Etudes universitaires
Non-musulman
III 3 0h30 Barcelone Espagnole Espagnole C Etudes universitaires
Non-musulman
III 4 1h00 Masvert Espagnole Espagnole M Etudes secondaires
Non-musulman
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 107
III 5 0h45 Barcelone Espagnole Marocaine M Etudes primaires
Salafiste
III 6 0h45 Barcelone Espagnole Marocaine M Etudes universitaires
Sunni
III 7 1h15 Viens Espagnole Marocaine M Etudes universitaires
N.C.
III 8 2h30 Barcelone Espagnole Espagnole M Etudes universitaires
N.C.
III 9 1h50 Sinera Espagnole Espagnole M Etudes universitaires
N.C.
III 10 1h15 Rodolons Espagnole Marocaine M Etudes primaires
Salafiste
III 11 0h45 Barcelone Espagnole Marocaine M Etudes primaires
Tabligh
III 12 0h45 Barcelone Espagnole Marocaine M Etudes primaires
Salafiste
III 19 1h20 Masvert Marocaine Marocaine C Etudes universitaires
Non salafiste
III 20 2h00 Masvert Marocaine Marocaine M Etudes primaires
Salafiste
III 21 1h00 Masvert Marocaine Marocaine C Ecole professionnelle
Non salafiste
III 22 0h45 Masvert Marocaine Marocaine C Etudes primaires
Salafiste
III 23 1h20 Rodolons Marocaine Marocaine M Etudes primaires
Salafiste
III 24 1h00 Tarragona Marocaine Marocaine M Etudes universitaires
Salafiste
III 25 1h20 Rodolons Marocaine Marocaine C Etudes universitaires
Ex-Salafiste
III 26 1h00 Sinera Marocaine Marocaine M Etudes primaires
Salafiste
III 27 1h00 Girona Marocaine Marocaine C Etudes universitaires
Pro-salafiste
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 108
III 28 1h00 Torredembarra Marocaine Marocaine C Etudes universitaires
Pro-salafiste
III 29 0h45 Santa Maria de Baix
Marocaine Marocaine C Etudes universitaires
Non salafiste
III 30 1h00 Barcelone Marocaine Marocaine C Etudes primaires
Salafiste
III 31 2h15 Barcelone Marocaine Marocaine C Etudes universitaires
Salafiste
III 32 0h30 Manlleu Marocaine Marocaine M Etudes primaires
Salafiste (ex-tabligh)
III 33 1h00 Torredembarra Marocaine Marocaine C Etudes universitaires
Pro-salafiste
III 34 1h00 Torredembarra Espagnole Espagnole C Etudes universitaires
Pro-salafiste
III Caso 1 2h30 Madrid Marocaine Marocaine C N.C. N.C. III Caso 2 0h35 Ceuta Espagnole N.C. M Etudes
primaires Tabligh
III Caso 3 0h30 Hadu Espagnole N.C. N.C. Etudes secondaires
Tabligh
III Caso 4 0h30 Hadu Espagnole N.C. C Etudes secondaires
Tabligh
III Caso 5 0h40 Hadu Espagnole N.C. C Etudes secondaires
Tabligh
III Caso 6 0h30 Hadu Espagnole Marocaine N.C. Etudes secondaires
Tabligh
III Caso 7 0h30 Rosales Espagnole N.C. N.C. Etudes primaires
Salafiste
III Caso 8 0h25 Ceuta Espagnole N.C. N.C. Etudes primaires
Tabligh
III Caso 9 1h00 Principe Alfonso
N.C. N.C. N.C. N.C. N.C.
III Caso 10 0h30 Principe Alfonso
Marocaine Marocaine C N.C. Salafiste
III Caso 11 0h35 Principe Saharienne Saharienne C Ecole Salafiste
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 109
Alfonso professionnelle III Caso 12 0h40 Principe
Alfonso Espagnole N.C. C Etudes
primaires N.C.
III Caso 13 0h40 Madrid Bengali Bengali C N.C. N.C. III Caso 14 N.C. Madrid Marocaine Marocaine N.C. N.C. N.C. III Caso 15 1h00 Melilla Espagnole Marocaine C Etudes
primaires Salafiste
III Caso 16 1h00 Melilla Espagnole N.C. C Etudes universitaires
Salafiste
III Caso 17 0h15 Canada Espagnole Marocaine C Etudes secondaires
Takfiriste
III Caso 18 0h40 Melilla Espagnole N.C. N.C. Etudes primaires
Takfiriste
III Caso 19 1h00 Leganés Marocaine Marocaine C N.C. N.C.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 110
Annexe Référence Titre Nr d'entretiens synthétisés
II Monographie 1 Radicaux non violents – courant Jamaati East London Mosque (London Muslim Center)
1
II Monographie 2 Ahl us-Sunna wal-Jamaa 6 II Monographie 3 Radicaux non violents - Le Hizb ut-Tahrir (HT) NC II Monographie 4 Radicaux violents Ahl us-Sunna wal-Jamaa 2 II Monographie 5 Problèmes de la communauté pakistanaise à Ravensthorpe (Dewsbury) 0 II Monographie 6 Une association indienne - L'Association Indienne pour le Bien-être (The Indian
Muslim Welfare Society - IMWS) 0
II Monographie 7 Savile Town - lieu de rencontre des indiens et des pakistanais 0 II Monographie 8 Profile des communautés musulmanes de Leicester 0 III Introduction Provoquer la double rupture: le développement de la doctrine salafiste en
Catalogne 0
III Monographie 1 Les contextes locaux: les cinq villes et leur contexte communautaire 0 III Monographie 2 La représentation institutionnelle de l'Islam en Catalogne 0 III Monographie 3 Le développement du salafisme en Catalogne: réseaux, environnement et
dynamiques 0
III Monographie 4 La reproduction éphémère d'un espace islamique pur: les rencontres salafistes en Catalogne
0
III Monographie 5 La perception sociale de la menace islamiste et les discours sécuritaires 6
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 111
9. Références bibliographiques
(Synthèse des références bibliographiques citées dans l’ensemble de l’étude, classées par ordre
chronologique inverse)
1. AD HUSSAIN, The islamist (London – Penguin – 2007)
2. Carmen GONZALES ENRIQUEZ , Ceuta and Mélilla : clouds over the African Spanish towns.
Muslim minorities, spaniards fears and Morico–Spain mutual dependance (The Journal of North
African Studies – Vol 12, n° 2 – June 2007)
3. Selma BELAALA, Djihadisme et utopie millénariste en Algérie : La rupture avec l’Etat–nation
moderne – 1989–2006 (en cours de publication).
4. Mourad BENCHELLALI, Voyages vers l’enfer (Paris – Robert Laffont – 2006)
5. Aïcha EL–WAFI, Mon fils perdu, la mère de Zacarias Moussaoui parle (Paris – Plon – 2006)
6. Samir AMGHAR, Le salafisme en Europe : la mouvance polymorphe d’une radicalisation ,
(Politique Etrangère – n°1 – printemps 2006)
7. Michel WIEVIORKA, La violence : voix et regard (Paris – Balland – 2005)
8. AMGHAR, Les salafistes français : une nouvelle aristocratie religieuse, (Maghreb–Machrek –
2005 – n° 183)
9. Jocelyne CESARI et Sean Mcloughlin, European Muslims and the Secular State (Ashgate –
Aldershot – 2005)
10. Selma BELAALA, Les nouveaux concepts de l’islamisme radical, ethnographie des Mouhadjiroun
dans la banlieue de Londres (Etudes et recherches pour le Centre d’Etudes et de Relations
Internationales (CERI) – Paris – FNSP – 2005).
11. Marc SAGEMAN, Understanding terror networks (Philadelphia – University of Pennsylvania
Press – 2004)
12. Bernard ROUGIER, Le Jihad au quotidian (Paris – Presses de la FNSP – 2004)
13. Selma BELAALA, Misère et Djihad au Maroc (Le Monde diplomatique – mars 2004)
14. Richard BONNEY, Jihâd from Qurân to bin Laden (New York – Palgrave – 2004)
15. Jason Burke, al Qaeda : the true story of radical islam, (Penguin Books – London – 2004)
16. Anne–Marie DELCAMBRE, L’Islam des interdits (Paris – Desclée de Brouwer – 2003)
17. Olivier ROY, L’islam mondialisé (Paris – Seuil – 2003)
18. Jacques DERRIDA et Jurgen HABERMAS, Philosophy in a Time of Terror (Chicago – The
University of Chicago Press – 2003)
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 112
19. Abderrahim ALI, Hilf al irhab, L’alliance du terrorisme : l’organisation al Qaïda, Ayman
Zawahiri (Le Caire – al Mahrossa – 2003)
20. Abd Samad MOUSSAOUI et Florence BOUQUILLAT, Zacarias Moussaoui, mon frère (Paris –
Denoël – 2002)
21. José Antonio GONZALEZ ALCANTUD, Lo moro, las logicas de la Derrota y la formacion del
esterotipo islamico, Le Maure d’Andalousie, les raisons d’une exclusion et la formation d’un
stereotype (Tours – L’archange minotaure – 2002.)
22. Rohan GUNARATNA, Inside al Qaeda, Global Network of terror (London – Hurst – 2002)
23. Vincenzo OLIVETI, Terror’s source, the ideology of wahhabi–salafism and its consequences,
(Birmingham – Amadeusbooks, – 2002)
24. John L. ESPOSITO, Terror in the name of islam (New York – Oxford – 2002)
25. Ahmed RASHID, Taliban : Islam, oil and the new great game in Central Asia (London – Tauris,
2000)
26. Jorgen S. NIELSEN, Towards a European Islam (London – Macmillan Press LTD – 1999)
27. Schams BENGHRIL (pseud.), La décomposition du djihad dans les quartiers populaires d’Alger
(Annuaire Afrique du Nord – Aix–en Provence : Ed. CNRS – 1999)
28. Mohamed CHERIF, Ceuta (Paris – L’Harmattan – 1996)
29. Margarita DIAZ–ANDREU, Islamic Archaelogy and the origin of the spanish nation, in
Margarita DIAZ–ANDREU, and T. CHAMPION (eds), Archaelogy and nationalism in Europe
(Londres – UCL Press – 1996)
30. Michel WIEVIORKA, The making of terrorism, (Chicago – University of Chicago Press – 1993)
31. Farhad KHOSROKHAVAR, L’utopie sacrifiée, sociologie de la révolution iranienne (Paris –
Presses de la FNSP – 1993)
32. Olivier ROY, L’échec de l’Islam politique (Paris – Seuil –1992)
33. Vincent GEISSER, Citoyenneté, localité et ethnicité : nouveau triptyque identitaire chez les jeunes
français ? De la citoyenneté locale (Paris – IFRI – 2003)
34. Max WEBER, Sociologie des religions (Paris – Gallimard, traduction de l’allemand par Jean–
Pierre Grossein – 1996)
35. Janine SOUDEL et Dominique SOURDEL, Dictionnaire historique de l’islam (Paris – PUF –
1996)
36. Anthony D. SMITH, Nations and their pasts (Nations and Nationalism, volume 2 – Nov.
1993)
37. Ayman ZAWAHIRI, La moisson amère (Opuscule – éditeur inconnu – 1992)
38. Carl SCHMITT, Théorie des Partisans (Berlin – Duncke & Humblot – 1992)
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 113
39. Suha TAJI–FAROUKI, Hizb al –Tahrir and the search of the islamic caliphate (London – Grey
Seal – 1992)
40. R. SHARIF, Interviews with young Muslim women of Pakistani origin (Research Papers – Muslims
in Europe, n° 27 – sept. 1985)
41. F. HUSSAIN, Muslim Women (London – Croom Helm – 1984)
42. William FOOTE WHYTE, Learning from the Field, a guide from experience, (1984).
43. C. CURRER, The Mental Health of Pathan Mothers in Bradford (Conventry – Department of
Sociology – University of Warwick –1983)
44. Gilles KEPEL, Prophète et Pharaon (Paris – La Découverte –1983)
45. C. CURRER, The mental Health of Pathan Mothers in Bradford (Conventry, Department of
Sociology, University of Warwick – 1983)
46. Abdallah AZZAM, Al djihâd. Le djihad : morale et règles, (s.n – 1979).
47. Abdallah AZZAM, Al djihâd fard ayn. Le djihad : une obligation religieuse individuelle, (s.n –
1979).
48. Frederich BARTH, Ethnic groups and boundaries (Bergen – Universitets forlaget – 1969)
49. Pierre BOURDIEU et Abdelmalek SAYAD, Le déracinement (Paris – Minuit – 1964)
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 114
10. Référence des citations dans les annexes
i Sur l’ensemble des 300 contacts et 150 interviews réalisées pendant la mission, 110 ont fait l’objet
d’une retranscription détaillée individuelle dans les Annexes (I,II et III) et 16 dont fait l’objet d’une
retranscription indirecte dans les monographies (Pour plus de détail, voir partie 8 – Plan des
annexes) ii Jordi MORERAS, Présence musulmane en Catalogne : quelques données et problématique in Selma
BELAALA (dir), Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez
les jeunes en particulier, Rapport Intermédiaire, CEIS, mai 2007. Wendy KRISTIANASEN, Islamic
radicalisation in Great Britain in Selma BELAALA (dir), Les facteurs de création…, ibid, p 4-23 iii Sur l’élaboration du guide d’entretien dans le cas de chaque chercheur voir le Rapport
intermédiaire de notre enquête. De même les difficultés méthodologiques et les outils de collecte de
données et d’avancement méthodologique de l’enquête y ont été intégralement consignés. iv Les entretiens et les monographies détaillent dans les Annexes les appartenances politiques et
idéologiques des interviewés, l’âge et leurs origines sociales, culturelles et nationales v Résultat d’une interview réalisée par l’auteure vi Interview réalisée par l’auteure avec un ancien porte-parole de l’Organisation des Frères
Musulmans en Europe. Ce dernier avait milité à Peshawar dans les années quatre-vingt. vii Annexe III, entretien n° 31 viii Annexe III, entretien n° 20 ix Annexe III, entretien n ° 24 x Annexe III, Monographie n° 3 xi Chiffres au 1 janvier 2006 xii Annexe III, monographie n° 1 xiii Annexe III, Monographie 4 xiv Annexe I, entretien n° 4. xv Annexe I, entretien 10. xvi Annexe III, entretien n° 24. xvii Annexe I, entretien n° 3. xviii Annexe III, monographie n °1. xix Annexe I, entretien n° 3 et Annexe II, monographie n°3.
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 115
xx Annexe II, monographies n° 1 et n° 2. xxi Annexe I, entretien n°1. xxii Annexe III, entretien n° 27. xxiii L’obédience politico-idéologique de cette mosquée n’a pas été précisée dans l’entretien xxiv Annexe III, entretien n° 22 et entretien n° 27 xxv Annexe III , entretien n° 21 xxviAnnexe III, entretien n° 22 xxvii Annexe I, entretien n° 4 xxviii Ibid xxix Annexe I, entretien n°1 xxx Annexe I, entretien n° 8 xxxi Entretien réalisé par l’auteure xxxii Observation participante réalisée par l’auteure lors de l’Assemblée générale des parents
d’élèves en février 2007 xxxiiiAnnexe III, entretien n° 20. xxxivAnnexe III, monographie n° 4. xxxv Assemblée générale de création d’une école islamique dans la zone industrielle de Choisy- le-Roi.
Monographie et entretien réalisé par l’auteure. xxxvi Annexe II, p 300. xxxvii Annexe II, entretien n° 34. xxxviii Annexe II, monographie 8. xxxix Ibid. xl Annexe II, entretien n° 32. xli Annexe II, monographie 8. xlii Ibid. xliii Ibid. xliv Annexe II, entretien n° 21 et entretien n° 38. xlv Annexe III, entretien n°10 et entretien n° 13. xlvi Annexe II, entretien n° 39. xlvii Annexe II, entretien n° 38. xlviii Ibid xlix Enquête en Espagne auprès de responsable Frères musulmans à Madrid (source secondaire) l Annexe III, entretien n° 17
« Les facteurs de création ou de modification des processus de radicalisation violente, chez les jeunes en particulier »
Rapport final - Page 116
li Annexe III, entretien n° 14 lii Annexe III, entretien n°1, entretien n° 9, entretien n° 10, entretien n°12, entretien n°16 et entretien
n°17 liii Annexe I, , entretien n°1. liv ibid lv Annexe I, entretien n° 1 lvi Idem lvii Annexe I, entretien n° 3 et Annexe III, entretien n° 19, entretien n° 24, entretien n° 25, entretien n°
27, entretien n° 28, entretien n° 29, entretien n° 31, entretien n° 33 et entretien n° 34. lviii Annexe II, Monographie 3. lix Ibid. lx Ibid lxi Annexe II, entretien n°2. lxii Propos recueillis par l’auteure dans le quartier de Principe Alfonso à Ceuta, juillet 2007 lxiii Annexe I, entretien n° 1. lxiv Annexe II, entretien n° 22. lxv Monographie des mosquées des radicaux à Ceuta réalisée par l’auteure en juillet 2007. Voir
également l’entretien avec un radical de Ceuta dans l’annexe III. lxvi Entretien réalisé par l’auteure auprès d’un aumônier musulman des prisons en France lxvii Voir l’entretien réalisé avec un responsable de l’organisation radicale violente al Mouhajiroun, un
militant salafiste algérien et un vétéran de SOS en Grande-Bretagne lxviii Annexe II, monographie 11, p 133 lxix Ibid lxxMono graphie 4, p. 49. Voir également la monographie 11, p.133. Monographie 5, p. 67 lxxi Annexe II lxxii Annexe II, entretien n° 40. lxxiii Annexe II, monographie 5. lxxiv Ibid lxxv Ibid. Voir également Annexe II, monographie 6. lxxvi Annexe I, entretien n° 1.