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Responsables Dans ce numéro mouvement chrétien des cadres et dirigeants N° 426 • Mars-Avril 2015 FOTOLIA L’économie collaborative, entre partage et business www.mcc.asso.fr 7 e ISSN 0223 5617 Portrait du consommateur collaboratif, Pascale Hébel p.4 Devenez un manager collaboratif, Aurélie Duthoit p. 9 • « Ces nouvelles structures sont des poils à gratter », Jérôme Chemin p. 12 • Des règles du jeu qui s'étoffent, Loïc Jourdain, Michel Leclerc, Arthur Millerand p. 15 • Un mouve- ment de fond(s), Blanche Bloch p. 17 • Koha, les bibilothèques en partage, Paul Poulain, Jérôme Pouchol p. 23 • Quelle résonance avec l'Évangile ?, Bertrand Hériard-Dubreuil p. 30 • Vie d'équipe, Thibault Bellamy-Brown p. 32

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Page 1: Responsables - MCC · entre partage et business • 7 e • ISSN 0223 5617 Portrait du consommateur collaboratif, Pascale Hébel p.4 • Devenez un manager collaboratif, Aurélie

Responsables

Dans ce numéro

mouvement chrétien des cadres et dirigeantsN° 426 • Mars-Avril 2015

Foto

lia

L’économie collaborative, entre partage et business

www.mcc.asso.fr • 7 e • ISSN 0223 5617

Portrait du consommateur collaboratif, Pascale Hébel p.4 • Devenez un manager collaboratif,

Aurélie Duthoit p. 9 • « Ces nouvelles structures sont des poils à gratter », Jérôme Chemin p. 12 •

Des règles du jeu qui s'étoffent, Loïc Jourdain, Michel Leclerc, Arthur Millerand p. 15 • Un mouve-

ment de fond(s), Blanche Bloch p. 17 • Koha, les bibilothèques en partage, Paul Poulain, Jérôme

Pouchol p. 23 • Quelle résonance avec l'Évangile ?, Bertrand Hériard-Dubreuil p. 30 • Vie d'équipe,

Thibault Bellamy-Brown p. 32

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Responsables 2 n° 426 mars 2015

4 Portrait du consommateur collaboratifAu sein de l’économie collaborative, Pascale Hébel se penche sur les pratiques qui donnent une 2e (voire 3e ou 4e…) vie aux objets et qui relèvent ainsi de l’économie dite circulaire. Qu’est-ce qui motive les consommateurs à faire perdurer leurs biens ? Quel est leur profil ?

7 Et si les entreprises faisaient le pari du don et de la confiance ?Jean-Edouard Grésy prône une révolution ma-nagériale dans laquelle les pratiques de manage-ment seraient façonnées par le don et son cycle : demander/donner/recevoir. Dans cette perspec-tive, il pointe sept entraves principales au don dans les organisations actuelles.

9 Devenez un manager collaboratif…Pour Aurélie Duthoit, les logiques à l’œuvre au sein de l’économie collaborative engendrent une dynamique de fond qui traverse toute la société. Trop d’entreprises semblent pourtant négliger ces enjeux et le potentiel de croissance associé. Elles devront repenser leur modèle managérial prédit-elle...12 « Ces nouvelles structures sont des poils à gratter »Jérôme Chemin milite pour un modèle colla-boratif organisé, en quelque sorte hybridé : qui démontre son aptitude à s’approprier les règles sociales de l’entreprise classique et qui soit aus-si un levier pour inciter cette dernière à évoluer.

15 Des règles du jeu qui s'étoffentDe loin, un far west juridique avec ses my-thiques pionniers, ses conquêtes spectaculaires, sa régulation encore brouillonne… ? Pas tout à fait : tout n’est pas possible en cette terre pro-mise collaborative, affirment trois jeunes avo-cats, Loïc Jourdain, Michel Leclerc, Arthur Millerand. Leurs explications en toute rigueur.

17 Un mouvement de fond(s)Levée de fonds participative via une plate-forme dédiée, le crowdfunding est un pied de nez au système de financement traditionnel. Une recherche de sens aussi pour des prêteurs altruistes qui contribuent à faire émerger un nouveau modèle, selon Blanche Bloch.

19 Voyage au cœur de BlaBlaCarNuméro 1 du covoiturage en France fort de 7 millions d’utilisateurs, BlaBlaCar a été dis-tingué en 4e position par le prix « Great place to work » 2014 qui récompense les entreprises

où il est le plus agréable de travailler. Qu’est-ce qui fait la spécificité du modèle managérial de cette start-up ? Les réponses de Simon, l’un de ses salariés, co-enthousiaste !

21 CitéLib : voie d’innovation sociale Avec le covoiturage, l’autopartage, sorte de transport en commun individuel, révolutionne la consommation traditionnelle de l’automobile en privilégiant l’usage à la possession. Direc-tion Chambéry où Martin Lesage a co-créé CitéLib sous forme coopérative.

23 Koha, les bibliothèques en partageInternet a développé une culture du partage d’information et de la co-construction. Emblé-matique à ce titre, le logiciel libre s’inscrit à rebours du mode propriétaire. Deux passion-nés, Paul Poulain et Jérôme Pouchol, content l’aventure de Koha, logiciel de gestion pour bibliothèques.

25 Agissons ensemble !Start-up technologique à impact social en ce qu’elle relève des défis de développement durable par l’action collective, Koom est une plateforme d’action éco-citoyennes. Son cofon-dateur Jérôme Lhote présente sa « Koomu-nauté » ainsi que ses réflexions sur l’essor de ce nouveau pan de l’économie.

27 Nous avons testé pour vous…Place aux expériences de proximité ! Votre comité de rédaction à l’écoute de ces pratiques est aussi en mode collaboratif. Plusieurs d’entre nous retracent leur apprentissage. Examen de passage réussi ? Lisez donc.

30 Quelle résonance avec l’Évangile ?Comment je rejoins les initiatives fécondes de l’économie collaborative ? Quels signes de la présence de Dieu j’y perçois ? À quels déplace-ments suis-je appelé ? Bertrand Hériard-Du-breuil nous invite à questionner la dynamique en cours en veillant à créer des structures justes : qui assurent le bien commun de tous.

32 Vie d’équipeCette proposition pour une rencontre d’équipe soulève une question cruciale : le partage est-il un nouveau levier de croissance économique ? Le point avec Thibault Bellamy-Brown qui interroge aussi notre pratique de l’économie collaborative : les chrétiens ne peuvent rester en-dehors de cette dynamique porteuse de va-leurs humanistes.

sommaire

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Responsables 3 n° 426 mars 2015

Parlons-en !

Marie-Hélène Massuelle, responsable éditoriale

Un monde qui naîtEn ces temps de crise,

la perspective d’arrondir ses fins de mois en louant, troquant, partageant sa ton-

deuse, son canapé ou son siège de voiture peut séduire les consommateurs. Dérisoire ou prometteuse, l’économie

collaborative ? Née du croisement aussi surprenant que fé-cond entre l’esprit babacool communautaire de San Francisco

et la culture high tech de la Sillicon Valley ou bien, dit autrement, de la rencontre entre l’innovation sociale et les potentialités du nu-

mérique, l’économie du partage (traduction de « sharing economy ») a des contours pluriels : nous ne dresserons pas son panorama com-

plet dans ce dossier mais ferons place à quelques-unes de ces initiatives qui privilégient l’usage à la propriété, ajustent les échanges au plus près

des besoins grâce à des solutions agiles et favorisent les logiques partena-riales particulièrement en entreprise, le tout sans se départir d’une réelle

conscience écologique, notamment pour l'économie circulaire qui valorise la réutilisation des objets. Bref, la quadrature du cercle enfin résolue ?Remettant bien souvent au goût du jour digital d’anciennes pratiques propices au don, notre société à l’individualisme exacerbé ne redécouvrirait-elle pas, dans ces dynamiques, les bienfaits de l’échange et du lien ? Que l’homme est un être de relations ? À force d’avoir refoulé Dieu, l’homme ne s’est-il pas recentré sur lui-même, préoccupé par la satisfaction de ses propres besoins, oublieux de l’autre, redonnant aujourd'hui un peu plus de place à son prochain dans des pratiques plus altruistes ? La confiance qui fait tant défaut à notre société, ciment de l’économie collaborative, voilà une bonne nouvelle ! Mais économie partagée ne signifie pas nécessairement gratuité… Ne transforme-t-elle pas nos gestes de générosité en actes de consommation rétribuables ? S’agit-il de remettre du lien social dans les échanges marchands ou bien de monnayer toute relation ?Ni angélisme, ni méfiance donc : ce numéro de Responsables cherche avant tout à comprendre l’engouement pour ces abondantes initiatives qui s’en-racinent dans notre quotidien à tel point que nous ferions du collaboratif

sans le savoir. À prendre le pouls de ce secteur innovant de l’économie auquel d’aucuns prédisent une ascension fulgurante. À saisir aussi ce

qu’il produit de meilleur sans pour autant éluder ses manques ou lacunes. De tout cela les auteurs sollicités par votre comité de

rédaction débattent ou témoignent. Mieux connaître, saisir les points positifs, prendre de la distance aussi, voilà les visées de

ce dossier ponctué comme à l’habitude d’un éclairage spiri-tuel et de la très attendue vie d’équipe : pour mieux vous

emparer de ces enjeux et alimenter vos rencontres.

« S’agit-il de remettre du lien social dans les échanges marchands ou bien de monnayer toute rela-tion ? »

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Responsables 4 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

Portrait du consomma-teur collaboratifLa crise de 2007 a eu des effets importants en termes de dégradation du niveau de vie, de précarisation des franges de la population les plus fragiles, mais également d’interrogations sur notre modèle de production et de consommation. Inscrit dans une réflexion sur les modes de vie et de consommation durables, favorisant la réduc-tion des ressources utilisées et des déchets générés, le CREDOC s’est intéressé aux possibilités de développement des pratiques favorables à la « seconde vie » des objets. Pascale Hébel, directrice de son département Consommation, fait le point sur la diffusion de ces nouveaux usages et le profil des « pratiquants ».

©JM

Wal

lace

Directrice du département Consommation du CREDOC, Pascale Hébel est écono-

miste. Elle a publié en 2013 La révolte des moutons : les consommateurs au pouvoir

(Éditions Autrement)

Deux interrogations ont gui-dé notre réflexion. Quelle est l’ampleur des pratiques d’acquisition et de délais-

sement qui favorisent la seconde vie des biens de consommation (achat d’occasion, achat à plusieurs, location, mais également revente, prêt, don, recyclage, etc.) ? Quels sont les déter-minants, en particulier socio-démo-graphiques, de ces pratiques ? L’inter-rogation de 1 000 individus de 18 ans et plus en 2011, puis en 2012 et 2013 sur le sujet montre combien le phéno-mène de la seconde vie des objets pro-gresse, facilité aujourd’hui par Internet. Le choix qui a été fait pour mesurer le phénomène de seconde vie, dans une enquête réalisée par téléphone, a été de poser pour plusieurs objets la ques-tion d’où venait le dernier objet pos-sédé et ce qu'on avait fait du dernier objet délaissé.

« Plusieurs éléments expliquent le dévelop-pement des pratiques de seconde vie des objets : le motif écono-mique, l’effet de génération et la diffusion de la norme écologique »

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Responsables 5 n° 426 mars 2015

●Seconde vie des objets et multipli-cité des usagesLes pratiques d’acquisition et de dé-laissement s’avèrent très différenciées selon les produits concernés. Dans 90 % des cas, nous avons acheté neufs les vêtements que nous portons ; dans 80 % des cas, le téléphone portable que nous utilisons. Les modes d’acquisi-tion de la voiture que nous conduisons paraissent plus diversifiés : elle n’a été achetée neuve que dans 38 % des cas et, a contrario, fréquemment été ac-quise d’occasion (49 %) ou, dans une moindre mesure, à la suite d’un don, d’une location, d’un emprunt (13 %). L’ordinateur, l’article de sport, l’objet de décoration, le matériel de bricolage ou de jardinage, ainsi que le vêtement pour enfants, sont pour plus des trois quart achetés neufs. À l’exclusion du matériel de bricolage ou de jardinage, ils ne sont qu’exceptionnellement loués ou empruntés, l’achat d’occasion étant non négligeable pour l’objet de décoration, le vêtement pour enfants et l’ordinateur.

Comparativement, la part de l’achat neuf apparaît réduite pour d’autres pro-duits de consommation courante. Le vélo est dans près d’un cas sur quatre acheté d’occasion, mais également fréquemment emprunté ou même loué, pour, au final, seulement la moi-tié d’achat neuf (51 %). Dans un tiers des cas, le livre et le DVD ne sont pas achetés neufs, mais empruntés, achetés d’occasion ou même loués dans le cas du DVD.

De façon quelque peu paradoxale dans une optique de durabilité, l’automobile, contributrice majeure dans la produc-tion des gaz à effet de serre (GES), appa-raît, au final, comme le produit le plus favorable aux pratiques de seconde vie, notamment en raison de sa valeur mar-chande très élevée, de l’importance et de la structuration de son marché de

l’occasion, si ce n’est de son réseau de location, mais également de l’interdic-tion de tout abandon d’un véhicule sur la voie publique.

●Le profil de ces consommateursPlusieurs éléments expliquent le déve-loppement des pratiques de seconde vie avec, en tête, le motif économique et, par là, les effets de la crise, mais également l’effet de génération et la diffusion de la norme écologique au sein de la société française. La seconde vie des objets se développe en effet pour des raisons économiques, en lien avec un faible niveau de ressources financières et/ou le sentiment de ne bénéficier d’aucune aisance financière, notamment pour l’automobile, le vête-ment d’enfant et le livre. Les ménages les plus aisés y paraissent hostiles, en conservant en particulier un rapport ostentatoire avec leur automobile.

L’enquête montre que les plus jeunes sont les plus adeptes de la seconde vie pour le vêtement d’enfant, l’automo-bile, le matériel de bricolage et de jar-dinage, le DVD. L’effet est inverse sur le livre : les plus âgés les empruntent plus souvent, car ils fréquentent davantage les bibliothèques municipales.

« De façon paradoxale dans une optique de durabilité, l’automobile, contributrice majeure dans la production des gaz à effet de serre, ap-paraît comme le produit le plus favorable aux pratiques de seconde vie »

DéfinitionL’économie circulaire consiste à revoir notre façon de produire et de consommer avec le souci d’une utilisation la plus efficace possible des ressources, tout en réduisant les impacts sur l’environnement et en maintenant notre niveau de bien-être. Il s’agit de passer pro-gressivement d’une logique linéaire qui consiste à extraire toujours plus de ressources pour consom-mer davantage vers une logique plus circulaire, qui minimise les impacts sur l’environnement.

« Les per-sonnes affi-chant une sensibilité environne-mentale déve-loppent de façon intense la seconde vie du vêtement d’adulte, de l’article de sport et du livre »

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Responsables 6 n° 426 mars 2015

Les habitants des grandes aggloméra-tions favorisent la seconde vie de l’au-tomobile, via l’achat de véhicules d’oc-casion, mais également du livre et du matériel de bricolage et de jardinage. Les effets d’une offre plus importante de bibliothèques et de magasins de location, si ce n’est d’achat et de vente d’occasion, expliquent l’influence de la densité résidentielle. La petite taille des logements intervient également : elle réduit l’utilité de la possession des ar-ticles de bricolage et de jardinage, mais également les possibilités de stockage des objets volumineux.

Les personnes affichant une sensibi-lité environnementale développent de façon intense la seconde vie du vête-ment d’adulte, de l’article de sport et du livre. À l’inverse, l’intérêt porté par les consommateurs à l’innovation ou à la mode freine la seconde vie des ob-jets, notamment du vêtement d’adulte, de l’article de sport, du matériel de bri-colage et de jardinage.

Les pratiques liées à la seconde vie des objets concernent ainsi des popula-tions aux profils divers : « militants » des classes moyennes diplômées tentant de mettre en pratique leurs aspirations écologistes, ménages des catégories les plus modestes ou tout simplement voyant la crise restreindre leur pouvoir d’achat, jeunes urbains moins impli-qués que leurs aînés dans les luttes collectives (syndicats, partis politiques, associations) et recherchant au travers de la consommation des modes d’ex-pressions nouveaux.

Pour en savoir plus : cette note de syn-thèse est tirée d’un rapport d’analyse plus complet : « Les secondes vies des objets : les pratiques d’acquisition et de délaissement des produits de consom-mation », Isabelle Van de Walle, Pas-cale Hébel, Nicolas Siounandan [2012], Cahier de recherche du CREDOC, n°290, disponible sur www.credoc.fr

L’hypothèse d’un facteur générationnel dans le développement de la seconde vie des objets devra être validée par des enquêtes évolutives. Toutefois, celle-ci apparaît d’ores et déjà comme un phé-nomène durable, d’autant plus suscep-tible de perdurer qu’il est favorisé par la modification de l’offre commerciale et la multiplication de sites physiques (brocantes, vides-greniers…) ou vir-tuels (Internet) de vente d’occasion ou d’échange.

● Pascale Hébel

Réutiliser, une alternative à l’acte d’achatPour moi, l’aventure a commencé fin 2013. Une amie me parle d’un projet de Ressourcerie. De quoi s’agit-il au juste ? « Les ressourceries sont des structures à but non lucratif qui collectent tous types d’objets en bon état - électroménager, linge de maison, meuble, vélos - dont les propriétaires souhaitent se débarras-ser, les réparent, les relookent et les revendent », m’ex-plique-t-elle. Fondées sur les trois R « réduire, recycler, réutiliser », elles proposent des conseils pour réduire les déchets et des ateliers pratiques de réemploi. En France, il en existe déjà plus de 120. Les objectifs sont multiples : allongement de la durée de vie des objets de consommation, lutte contre le gaspillage et gain en pouvoir d’achat. Quel beau projet, à contre-courant d’une société où l’on consomme, gaspille et jette les objets comme les salariés ! Pourquoi pas ? Et me voilà lancée dans l’aventure. L’association Au bas de l’Aisne est née en janvier 2014. La ressourcerie ambitionne de récupérer 200 à 400 tonnes d’objets abandonnés en déchetterie, créer 5 emplois d’insertion et trois postes permanents dès 2015. Elle souhaite favoriser le lien social et faire émerger de nouvelles solidarités sur son territoire pour réapprendre, ensemble, à réparer et à se rendre service mutuellement. Début d’activité prévu en juillet 2015…

Vittoria de bagnolo, Porteuse de Projet ressourcerie et Présidente

de l’association au bas de l’aisne®

« La petite taille des logements réduit l’uti-lité de la possession d’articles de bricolage et les possibilités de stockage des objets volumineux »

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Responsables 7 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

Et si les entreprises faisaient le pari du don et de la confiance ?Le management collaboratif est une forme de réaction aux manquements des organisations classiques, notamment en ce qu’il réintroduit le don dans les relations professionnelles. L’anthropologue Jean-Edouard Grésy, co-au-teur de La Révolution du Don. Le management repensé par l’anthropologie (Seuil, 2014), souligne en creux ce que serait ce management 2.0 : libéré des sept péchés capitaux qu’il identifie dans une relecture appliquée à l’entreprise.

Le choix de parler de « révo-lution du don » n’est pas à prendre à la légère. Cette révo-lution prend tout son sens dans

un monde où s’accroît la conscience de notre vulnérabilité. Les systèmes de partage, d’économie collaborative prennent de l’ampleur, et le don trouve

un écho singulier et moderne dans ces nouvelles tendances. Dans le champ de la gestion, prendre le don au sérieux implique de révolution-ner bien des certitudes que l’on croyait acquises, et de bouleverser toute une série de routines et d’allants de soi. Le recours au don constitue bien une ré-volution managériale.

●Don et managementL’anthropologue Marcel Mauss, fon-dateur de l’ethnologie française, démontre, dès 1925 et à travers son célèbre Essai sur le don, toute la di-mension anthropologique et archaïque universelle du don. Il explique com-ment, sans ce dernier, il n’est pas de bonne volonté et pas d’efficience pos-sible.

En appliquant cette dimension au champ du management, on rend vi-sible la face cachée de la coopération et on met à jour les ressorts informels de l’efficience. Lier don et management constitue une révolution en ce que de nombreuses organisations, victimes du

« L’anthro-pologue Mar-cel Mauss démontre, à travers son célèbre "Essai sur le don", toute la di-mension an-thropologique et archaïque universelle du don »

Anthropologue, docteur en droit et diplômé de l’EDHEC, président du cabinet AlterNego, Jean-Edouard Grésy est média-

teur et enseigne la négociation

dr

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Responsables 8 n° 426 mars 2015

syndrome de la poule aux œufs d’or, ont été ou sont proches de tout perdre en voulant tout gagner.

Comment expliquer que la véritable source de la coopération efficace, de la confiance et du travail pris à cœur se trouve dans le cycle du don ? Le cycle du demander-donner-recevoir et rendre. Et quels sont les écueils fré-quents qui enrayent la mécanique du don ?

●Sept entraves au donPassons brièvement en revue les sujets qui font l’actualité des organisations. De manière amusante, nous pouvons synthétiser les manières de dévoyer le don dans une entreprise en évoquant les sept péchés capitaux.

La paresse est le premier travers organisationnel. Une entreprise, qui ne valorise que le capital matériel, se coupe de son projet social et de son capital immatériel, véritables sources de l’efficience. La performance écono-mique est-elle décorrélée de la perfor-mance sociale ?

La gourmandise, second péché ca-pital, se traduit par la financiarisation excessive du projet d’entreprise et trouve dans la phrase de La Fontaine un écho moderne : « Comment ne pas tout perdre en voulant tout gagner ? ».

L’avarice constitue le troisième écueil, s’illustrant par un oubli de l’entreprise à intégrer le développement durable à ses enjeux. Qu’est-ce qu’une entreprise peut rendre à l’environnement sur ce qu’elle prélève ?

La colère, quatrième de nos sept pé-chés capitaux, renvoie à la souffrance de ceux qui s’adonnent sans recon-naissance au travail. Quand le don est empêché, comment protéger la qualité de vie au travail ?

La luxure s’illustre à travers les pro-blèmes de gouvernance : quand il y a tentative de transformer le don en règles, de chercher à contrôler et rendre obligatoire ce qui relève de l’autonomie et de la prise d’initiatives. Si les entreprises se libèrent de ce néo-management, peuvent-elles faire le pari de la confiance et du don ?

L’orgueil est notre avant-dernière illustration des péchés capitaux. L’idée de se suffire à soi-même, sans se confronter aux autres, est une vraie pro-blématique managériale. Et si l’ouver-ture et la diversité sociale et culturelle permettaient au contraire de nourrir le projet de l’entreprise, et de s’adapter aux contraintes extérieures ?

L’envie constitue le péché le plus capi-tal des sept péchés capitaux, qui ruine les espoirs de toute société humaine et de toute organisation. Léonard de Vinci expliquait qu’« il n’y a pas de maîtrise à la fois plus grande et plus humble que celle que l’on exerce sur soi ». Quel plaisir et quel désir de l’appropriation ?

Les dérèglements du don, tels qu’ils ont été décrits sont au cœur des préoccu-pations des organisations.

Le passage du symbolique (l’être en-semble) au diabolique (l’être divisé) peut survenir très facilement si l’on n’y prend pas garde. Le don est en effet cadeau ou poison, bienfait ou méfait, selon la manière dont les équipes et plus généralement l’organisation le cultivent. Et vous, comment le cultivez-vous ?

● jean-edouard grésy

« Les systèmes de partage, d’économie collaborative prennent de l’ampleur, et le don trouve un écho singulier et moderne dans ces nouvelles tendances »

« La colère renvoie à la souffrance de ceux qui s’adonnent sans recon-naissance au travail. Quand le don est empêché, comment pro-téger la qua-lité de vie au travail ? »

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Économie collaborative

Devenez un manager collaboratif

Démarrons la démonstra-tion par un constat partagé par le plus grand nombre : le client est enfin devenu

« roi ». Il a acquis de plus en plus de marges de négociation et a les moyens et le pouvoir d’être plus exigeant vis-à-vis des entreprises : il peut deman-der plus de rapidité dans la livraison, plus de garanties, plus de réduction de prix, etc. Et demandera peut-être un jour des produits conçus ou fabriqués plus éthiquement… Connecté via son Smartphone à toute une base de don-nées d’informations (promotion, com-parateurs de prix, avis clients, infos sur la marque, conditions de fabrication/travail…) et pouvant désormais faire son marché dans un village globalisé, le client est en position de force au mo-ment de faire ses achats.

●Changement de paradigmeC’est dans la consommation collabo-rative que ce basculement du rapport de force entre l’individu et l’entreprise est le plus marqué. En effet, la consom-mation collaborative est l’ensemble des échanges de biens et services que les individus ont structuré en marge des circuits de distribution traditionnels orchestrés par les entreprises et les marques. Dans ce nouveau mode de consommation P2P (pair à pair), le par-

C’est aux dirigeants et cadres d’entreprises qui doivent faire face à un contexte de croissance morose, évoluant dans des environnements ultra concurrentiels, bousculés par de nouveaux usages évoluant au tempo accéléré des innovations digitales, que l’accompagnatrice en innovation collaborative et co-fondatrice du site de crowdfunding solidaire Babyloan, Aurélie Duthoit, a souhaité s’adresser. Dans son analyse, elle montre que l’économie collaborative peut représenter des leviers de performance et s’attache à identifier les relais de croissance pour les entreprises.

ticulier est donc autant consommateur que fournisseur ou producteur. Ce qui a donné lieu – au-delà du néologisme - à un nouveau concept fondateur : celui de prosommateur. Or le phénomène collaboratif ne se li-mite pas à la consommation. L’individu, en plus d’être prosommateur, devient aussi banquier du financement partici-patif ; fabricant grâce aux phénomènes des makers (bidouilleurs/bricoleurs), du DIY (Do It Yourself) et de l’impres-sion 3D. Il accède aux savoirs de façon

« La consom-mation colla-borative est l’ensemble des échanges de biens et services que les individus ont structuré en marge des circuits de distribution tradition-nels »

Cofondatrice de Babyloan et créatrice d’un labo-ratoire de pratiques collaboratives en entreprises,

Aurélie Duthoit est l’auteure du Petit manuel d’économie collaborative à l’attention des entre-

prises (Circus, 2015)

dr

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Responsables 10 n° 426 mars 2015

illimitée avec les MOOCs (cours en ligne ouvert à tous). Il est super-citoyen actif maintenant que des enveloppes budgétaires participatives lui sont consacrées au sein des municipalités (500 millions d’euros pour la ville de Paris). L’économie collaborative touche donc désormais tous les pans struc-turants de notre société et « empuis-sance » l’individu.

●L’entreprise ne semble pas mesurer les enjeux et le potentielPourtant, une institution semble her-métique ou à l’écart de ce mouvement de fond irréversible. Comme une ré-ponse à la menace que l’économie col-laborative peut représenter de prime abord pour elle : l’entreprise. C’est un mauvais calcul qu’elle fait, à 2 titres. Tout d’abord parce que l’économie collaborative a été identifiée comme un des 3 grands territoires d’innova-tion (avec le Big Data et la mobilité) et qu’en ignorant ou en essayant de contrer cette économie émergente, l’entreprise tourne le dos à de nom-breux relais de croissance. Les chiffres le prouvent : selon un sondage IFOP da-tant de 2014, 75 % des Français auraient déjà pratiqué la consommation colla-borative. Une autre étude de Pricewa-terhouseCoopers prévoit qu’en 2025, l’économie du partage représentera la moitié du PIB mondial. Ensuite, car l’entreprise traverse de profondes mutations qui la fragilisent. Le dernier rapport Gallup est même alarmant : en France, 9 % des salariés seraient engagés… contre 68 % de dé-sengagés et 23 % de désengagés actifs. S’inspirer des dynamiques collabora-tives à l’œuvre dans l’économie du partage pour valoriser la contribution de vos collaborateurs permettrait de redonner du sens à leur travail et à leur rôle au sein de votre organisation. Et quand on sait qu’en 2025, la génération Y en quête de sens, rejetant les struc-tures hiérarchiques fortes et habituée à accéder librement à l’information, représentera 75 % de la population active, ce n’est plus une question de

conviction mais de nécessité. Et c’est tant mieux pour votre entreprise car libérer les potentiels de l’ensemble de vos collaborateurs est certainement ce qui peut lui arriver de mieux : donner la parole et écouter ceux qui « font » pour savoir comment ils pourraient mieux faire.

●Management collaboratif et perfor-manceLes 1ères idées proposées concerne-raient certainement l’amélioration de leur quotidien (les « petits cailloux ») et ne seraient pas directement orientées « amélioration de la production » mais les effets en termes de gain de produc-tivité en seront tous aussi bénéfiques. Un salarié pris en compte, écouté, libé-ré de contraintes dont il ne comprend pas la finalité est un salarié plus pro-ductif qui produit un travail de meil-leure qualité. Le taux de défaut ou de retard des entreprises libérées (l’entre-prise dite libérée renverse la gestion pyramidale des organisations issue du management taylorien) comme Favi ou Chronoflex est certainement l’exemple le plus pertinent. Le turn-over dimi-nue et les marges de l’entreprise s’en trouvent améliorées comme ce fut le cas chez SOL, entreprise de nettoyage finlandaise : dès lors qu’a été mis en place le travail de jour suggéré par les femmes de ménage (car identifié comme source d’épanouissement dans leur travail), celles-ci en contact direct avec le client ont pu mieux identifier ses besoins et proposer des services complémentaires qui représentent aujourd’hui 15 % de la marge nette de l’entreprise. Faire travailler des femmes de ménages pendant les heures de bu-reau était une proposition de rupture avec le reste du secteur qui ne pouvait être pensée que par les femmes de mé-nage elles-mêmes… et qui rapporte.L’économie collaborative est une loupe qui nous permet de constater que l’individu peut prendre des initiatives, penser et bâtir des solutions collec-tives efficaces en dehors des schémas établis qui ne font plus recette. Pour-

« C’est dans la consomma-tion collabo-rative que le basculement du rapport de force entre l’individu et l’entreprise est le plus marqué »

« Dans ce nouveau mode de consomma-tion P2P, le particulier est autant consomma-teur que four-nisseur ou producteur »

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Responsables 11 n° 426 mars 2015

quoi s’accrocher à une organisation du travail clivante - sachants d’un côté, exécutants de l’autre - qui montre au-jourd’hui largement ses limites ?

●Co-concevoirAu-delà de l’entreprise libérée, l’éco-nomie collaborative qui s’appuie sur toutes les ressources disponibles et pas seulement celles légitimées par un titre ou une fonction d’ayant droit, nous ins-pire le travail en écosystème, ou en Open innovation (mode d’innovation basé sur le partage, la coopération). Au rythme où vont les innovations, une entreprise seule ne peut prétendre détenir tous les savoir-faire (et savoir-être) nécessaires pour répondre aux attentes et correspondre aux usages en perpétuelle évolution des consomma-teurs. L’enjeu pour l’entreprise est dé-sormais de savoir et pouvoir capter ces savoir-faire. Le crowdsourcing, ou appel à la foule des utilisateurs pour mieux co-concevoir l’offre, est un exemple d’Open innovation qui s’applique aussi avec des FabLab (laboratoire de fabrication ouvert au public), des uni-versités, des start-ups, des acteurs de la même filière.

L’économie collaborative, c’est quoi ?« Activité humaine qui vise à produire de la valeur en commun et qui repose sur de nouvelles formes d’organisation du travail, plus horizontales. Elle s’appuie sur l’usage plutôt que la posses-sion entraînant la mutualisation des biens, espaces et outils ; sur l’organisation des citoyens en « réseau » ou communautés ; et généralement sur l’intermédiation par des plateformes Internet. Au sein de l’entreprise, on qualifiera de "collaboratif" ce qui favo-rise l’intelligence collective. » (Source : Petit manuel d'écono-mie collaborative à l'attention des entreprises, Aurélie Duthoit, Circus, 2015).

L’idée de l’entreprise collaborative fait son chemin, et demande aux per-sonnes responsabilisées beaucoup de travail. Mais c’est certainement pour les cadres et dirigeants que le travail sur soi est le plus important : faire confiance, être bienveillant, ne pas manager ni mettre en place des procé-dures de contrôle pour les 3 % de dissi-dents. Mais en même temps mesdames et messieurs les managers, n’est-ce pas un état d’esprit souhaitable que celui de partir du principe que l’homme est bon et que l’entreprise et ses collabora-teurs partagent un objectif commun ? Sans compter le temps et l’énergie gagnés…

● aurélie dutHoit

Champs d'application de l'économie collaborativeSource : Petit manuel d'économie collaborative à l'attention des entreprises

« L'économie collaborative touche désor-mais tous les pans struc-turants de notre société et "empuis-sance" l'indi-vidu »

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Économie collaborative

« Ces nouvelles structures sont des poils à gratter »Pour Jérôme Chemin, secrétaire national de la CFDT cadres en charge des questions liées au numérique et la qualité de vie au travail, l’entreprise agissant dans le champ de l’économie collaborative est vouée à rejoindre des structures classiques : sa spécificité ne peut perdurer longtemps dans la mesure où elle cherche, elle aussi, à faire du commerce et à obtenir des financements. Ce faisant, elle enrichira l’entreprise classique par ses capa-cités d’innovation dans tous les domaines.

●ResponsablesComment voyez-vous cette nou-velle économie collaborative ?Jérôme Chemin. Au départ quelqu'un a une idée de service de personne à personne qui n'intègre aucun échange monétaire : application i-phone, le Bon Coin… Tout est gratuit. L'image que l'on donne est très séduisante : c’est celle d'une structure souple, sans souci hié-rarchique, réunissant des gens en bas-kets et jeans dans le cadre d'horaires libres.

Dans la plupart des cas, cela ne dure pas ; on rentre vite dans les structures habituelles et la question de l'organisa-tion du travail commence à se poser. Au début on a affaire aux « fondateurs », passionnés par leur projet, qui ne de-mandent pas forcément beaucoup de protection. Un peu plus tard ils sont obligés de recruter. Deux profils peuvent se présenter : soit des gens qui partagent la passion du projet, soit des salariés classiques qui ont le choix d’in-tégrer ces structures ou des entreprises plus traditionnelles. Dans ce cas on retombe dans le modèle classique des

entreprises qui doivent proposer un salaire attractif car le coté « aventure » du projet n’est pas suffisant pour recru-ter. Le meilleur exemple est l’entreprise Free : son fondateur Xavier Niel, tout en poursuivant des projets atypiques, est devenu un patron « classique ».

Secrétaire national et trésorier national de la CFDT cadres à mi-temps. Jérôme Chemin

est aussi le délégué syndical central CFDT de l’entreprise Accenture où il est

contrôleur de gestion

dr

« Il existe nécessaire-ment des liens de subordi-nation entre les personnes et des règles sont à éta-blir entre les associés et les premiers sala-riés »

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Nous, syndicats, ne pouvons intervenir que lorsque nous sommes sollicités. Cela n'arrive jamais au démarrage de ce type de structure… mais plus tard.

●ResponsablesQuelles difficultés apparaissent dans cette deuxième étape ?J. C. Ce sont les difficultés relation-nelles qui apparaissent les premières car il est impossible d’être dans le non-droit. Il existe nécessairement des liens de subordination entre les personnes et des règles sont à établir entre les associés et les premiers salariés. Si l'on formalise toujours le nombre d'actions à distribuer aux associés, on formalise rarement les relations avec les salariés dans un contrat de travail avant de prendre conscience du fait que proté-ger les gens c'est aussi les garder.Nous syndicats, sommes très peu sol-licités par ce genre d'entreprises qui n'ont pas de représentants du person-nel. Les fondateurs veulent souvent of-frir des conditions de travail agréables à des gens jeunes et dynamiques. Cer-tains acceptent cette précarité, ce sont quelques bac+5, plus « aventureux » que les autres qui eux ne peuvent pas prendre de risque.

Je dirai qu'il faut distinguer deux sortes d'entrepreneur collaboratif : celui qui est désintéressé et celui qui est animé par l'appât du gain. Mais une vérité s'impose : cela reste une façon de faire du commerce et, dans tous les cas, pour durer, il faut augmenter sa visibilité, avoir des moyens - surtout financiers - pour se faire connaître. On rejoint vite la structure classique.

●ResponsablesCertains parlent de concurrence déloyale…J. C. Tout à fait. Prenons l'exemple du conflit entre les taxis et Uber (B to C contre C to C ou entreprise à

consommateur contre consommateur à consommateur). Tous ont besoin d'argent mais le second modèle est favorisé par le modèle internet plutôt non régulé. Dans tous les cas, quand une association veut grandir, elle rentre dans le modèle du « collaboratif orga-nisé » et se retrouve en concurrence avec le modèle classique. Dans ce cas, les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Il est difficile d’être en concurrence avec une boîte sans salariés qui prend des clients mais ne crée pas d'emploi ; la concurrence réelle n'est possible qu'accompagnée d'égalité de traitement, notamment social et fiscal.

Le fait est que lorsqu'on achète sur internet, on achète toujours ce qui est moins cher. On n'est pas conscient qu'en faisant ces choix on détruit des emplois. Il est difficile de réaliser qu'on ne pourra pas sauver l'économie sans les comportements individuels. C'est un problème de responsabilité person-nelle face à l’inconscience collective.

La fiscalité a une part de responsabilité. Dans notre exemple il existe deux sec-teurs : l'un, marchand et taxé, le second non marchand et non taxé. On est re-venu, sans s'en rendre compte, dans la

« Nous syndi-cats, sommes très peu sol-licités par ce genre d'entre-prises qui n'ont pas de représentants du person-nel »

Foto

lia

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Responsables 14 n° 426 mars 2015

problématique du travail au noir, sans s'inquiéter pour les gens qui rentrent dans cette économie et n'ont plus de protection, parfois très contents de ne pas savoir comment cela fonctionne.

●ResponsablesQuelles solutions suggérez-vous ?J. C. Je suis convaincu qu'une réelle information doit être organisée, à la fois sur les droits de chacun et sur la réalité des choses (la réalité de la rémunéra-tion des salariés par exemple : quelles en sont les composantes ?). Il est nor-mal que les taxis communiquent avec les medias quand ils sont attaqués par Uber, et c’est bon qu’ils le fassent. Autre exemple : il serait bon de sortir un « vrai-faux » au sujet de BlaBlaCar qui ne relève plus de l'économie collaborative. Les entreprises devraient faire de la pé-dagogie sur leurs marges, leurs prix et leurs étiquettes en indiquant un « com-ment je fonctionne » et « quels sont les

« Il est diffi-cile de réali-ser qu'on ne pourra pas sauver l'éco-nomie sans les comporte-ments indivi-duels »

composants de mon prix de vente ? ». Permettre ainsi au consommateur de choisir de payer plus si socialement c’est défendable !Enfin, je dirai que l'économie collabo-rative est intéressante là où il y a des manques, elle incite à l'échange de com-pétences. Rien ne pouvant être gratuit, elle peut inciter à de nouveaux modèles de management et, dans cette optique, provoquer les entreprises classiques à l'innovation. Ces nouvelles structures, « poil à gratter » sont pour nous cher-cheurs et syndicalistes, des laboratoires qui nous permettent d’avancer dans la réflexion. Elles ne bouleversent pas l'entreprise, elles la bousculent et la poussent à se remettre en question, lui enseignant, par exemple, qu'on peut faire des économies sur les coûts sans forcément toucher les salaires, et ga-gner ainsi en efficience.

● ProPos recueillis Par solange de coussemaker

Fo

tolia

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Responsables 15 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

Des règles du jeu qui s'étoffentLes modèles d’économie collaborative proposent une possibilité efficace de mise en relation marchande entre particuliers* mais bouleversent les normes juridiques existantes. Loïc Jourdain, Michel Leclerc et Arthur Mil-lerand, avocats passionnés de nouvelles technologies et de l’économie collaborative, créateurs du blog droitdupartage.com qui décrypte les évolutions de ce nouveau domaine et apporte des réponses juridiques aux interrogations de tous ses acteurs, en particulier les jeunes entreprises, précisent les enjeux juridiques liés à son développement.

Les risques juridiques en la matière sont de nature et de degré différents selon que l'on se place du point de vue de

l'entrepreneur, du consom'acteur ou du consommateur.

●La responsabilité de l'entrepreneurL’entrepreneur recherche à la fois la sécurité juridique pour contenir sa res-ponsabilité et la souplesse pour être efficace dans le développement de son activité. Notre expérience nous a appris qu'une analyse de risques juri-dique et de faisabilité est souvent un pré-requis essentiel, souvent même demandé par ses investisseurs. Pour-tant, le déficit de normes législatives et réglementaires dans ces nouveaux domaines ne permet pas toujours de donner une réponse simple. Même si les règles classiques du droit civil et commercial permettent de répondre à la plupart des questions, les entre-preneurs bénéficient éventuellement de nouveaux dispositifs législatifs. Par exemple, en matière de crowdfunding, l'ordonnance du 30 mai 20141 a fourni

1 Ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif.

un cadre juridique plus précis et dans le secteur des VTC, la loi dite « Théve-noud2 » a cherché à réguler le secteur du transport routier sur ce sujet. L'en-trepreneur doit être attentif à l'évolu-tion du cadre juridique dans lequel il se trouve.

●L’activité du consom'acteurNotons que ce terme est la contraction entre « consommateur » et « acteur » : il désigne le particulier qui fournit ou produit un bien/service, constituant le cœur de cible des entreprises de l’éco-nomie collaborative. À ce titre, il est important de déterminer les règles ap-plicables à sa relation marchande qui le lie au particulier dans sa relation « Cus-tomer to Customer » (C2C). La ques-tion la plus importante est celle de la frontière entre l’activité occasionnelle, qui génère des revenus complémen-taires, et l’activité plus régulière, qui génère des revenus plus importants. Le critère dominant est l'exercice d'une activité régulière, lucrative et exercée

2 Loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauf-feur ; Décret n° 2014-1425 du 30 décembre 2014 relatif au transport public particulier de personnes

« L’entre-preneur recherche à la fois la sécu-rité juridique pour contenir sa responsabi-lité et la sou-plesse pour être efficace dans le déve-loppement de son activité »

* À titre d’exemples, le financement participatif (Anaxago), le partage d’objets (Sharevoisins), l’échange de ser-vices (lebonechange.com), le stockage d’objets (jestocke.com), le partage de bureaux (Bird Office) ou encore le covoiturage (Blablacar).

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Responsables 16 n° 426 mars 2015

avec l'intention qu'elle soit profession-nelle3. Les juridictions seront sans nul doute amenées à se prononcer spécifi-quement sur les acteurs de l'économie collaborative (par exemple, un proprié-taire louant de manière habituelle plu-sieurs logements sur Airbnb).

●Les garanties données au consom-mateurEn dernier lieu, il faut s'interroger sur les protections offertes au consomma-teur. En principe, aucune des garan-ties du droit de la consommation ne s'applique puisqu'il ne s'agit que d'une relation entre particuliers (C2C), et non pas d'une relation entre un profes-sionnel et un consommateur (B2C ou Business to Consumer). Cette question reste ouverte, notamment depuis le ré-cent avis de la Commission des clauses abusives ayant considéré que certaines clauses des conditions générales de Facebook créaient un déséquilibre si-gnificatif entre les droits et obligations des parties au détriment de l'utilisateur non-professionnel ou du consomma-teur4. Cette position pourrait annoncer

3 Ces critères ont notamment été établis pour les activités de vente de biens sur des sites de com-merce en ligne (Ebay par exemple).4 Recommandation n° 2014-02 relative aux contrats proposés par les fournisseurs de services de réseaux sociaux.

une évolution pour les consomma-teurs de l'économie collaborative.

Sur le marché de l’économie collabo-rative, le droit est un risque sérieux qu'il convient d'identifier et d'évaluer, en particulier par l’entrepreneur s’il veut bâtir une entreprise solide. Des réformes sont à venir sur le sujet, no-tamment à travers le projet de loi sur le numérique de la secrétaire d'État char-gée du Numérique, Axelle Lemaire, qui devrait comporter un chapitre dédié à l'économie collaborative. Ce projet de loi, qui devrait être présenté au Conseil des ministres dans les prochaines semaines, pourrait être l'occasion de fixer des règles de répartition des res-ponsabilités juridiques dans l'écono-mie du partage (notamment, la mise en relation entre particuliers) et de rendre applicables certaines exigences issues du droit de la consommation pour pro-téger le consommateur.

● loïc jourdain, micHel leclerc et artHur millerand

« En prin-cipe, aucune des garanties du droit de la consom-mation ne s'applique puisqu'il s'agit d'une relation entre particuliers et non pas entre un profes-sionnel et un consomma-teur »

Issu d’une double formation (Sciences Po, HEC), Loïc Jourdain est entrepre-

neur et juriste. Il est passionné par les modèles qui bouleversent les secteurs

économiques

Diplômé de Sciences Po et de la New York University, Michel Leclerc est

avocat au barreau de New York et colla-borateur spécialisé en contentieux

Arthur Millerand (Sciences Po, Paris II) intervient dans les litiges relatifs au

droit de la distribution, de concurrence déloyale, et pratiques commerciales

trompeuses

dr

dr

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Responsables 17 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

Un mouvement de fond(s)

Les chiffres sont certes mo-destes par rapport à la produc-tion de prêts bancaires (10,5 milliards d’euros en 2014, selon

la Banque de France) avec 66 millions d’euros en 2014, dont 37 sous forme de prêts, 19 sous forme de dons et 10 via l’investissement en capital, mais ils sont là. La collecte du financement par la foule (crowdfunding) se développe très rapidement notamment dans le

Le crowdfunding ou finance participative via des plateformes internet de dons, de prêts ou d’investissements en capital rencontre un vrai succès, avec une hausse de fonds collectés de 144 % en 2014, auprès des particuliers : signe d’une défiance pour le secteur bancaire mais aussi d’un engouement pour ces nou-velles formes de financement basées sur la confiance. Blanche Bloch analyse les raisons de ce succès grandissant.

domaine des prêts aux PME, c’est une bonne nouvelle car ce secteur est fort générateur d’emplois. C’est également un excellent signe pour ceux qui ont l’âme d’entrepreneur.

●Une tendance qui s’amplifie depuis deux, trois ansAvec l’entrée en vigueur de la législa-tion au 1er octobre dernier, permettant aux plateformes de crowdfunding de relever du statut de conseil en investis-sement participatif ou d’intermédiaire en financement participatif, le phéno-mène va très probablement s’amplifier, à l’instar de ce que l’on observe dans le secteur de l’économie sociale et soli-daire, aujourd’hui reconnue par la loi. Ceci étant, au-delà des chiffres que l’on trouve aisément sur internet, il est inté-ressant de s’interroger sur le rôle des acteurs financiers, notamment celui des banques classiques. Si le finance-ment participatif a le vent en poupe - sans pour autant minimiser le nombre d’initiatives qui ne trouvent pas de suc-cès (44 %) - cela s’explique par la non réactivité dans le temps de l’offre pro-posée dans le circuit bancaire tradition-nel qui n’est pas organisé pour prendre

« On revient à des types de financements en circuits courts et plus directs, avec une démarche proche de celles des coopératives créées au du XIXème siècle »

dr

Blanche Bloch est responsable du déve-loppement durable et de la RSE

(responsabilité sociétale de l’entreprise) dans un organisme bancaire

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Responsables 18 n° 426 mars 2015

le type de risque inhérent aux projets soumis au crowdfunding notamment à cause des règles prudentielles impo-sées au secteur bancaire. Un décalage qui peut faire péricliter le projet de ceux qui souhaitent lever des fonds rapidement. Aujourd’hui, ce segment de l’activité économique, principale-ment des start-up en plein développe-ment grâce aux nouvelles technologies, subissent un défaut de financement en phase d’amorçage. Le secteur ban-caire ne suit pas, ni les fonds d’inves-tissement. Bien conscientes de cela les banques sont en train de s’adapter. Certains établissements investissent dans des plateformes et y poussent de potentiels clients, ça permet aussi de suivre le mouvement. On observe le même phénomène en matière de mi-crocrédits destinés à la clientèle fragile non bancarisée qui souhaite rebondir en créant leur propre emploi.

●Moins d’intermédiaires, plus de proximitéCe phénomène montre aussi une forme de réconciliation entre les Français avec l’entreprise et les entrepreneurs. On revient finalement à des types de financements en circuits courts et plus directs, avec une démarche proche de celles des coopératives, qui se sont créées au début du XIXème siècle parce qu’elles avaient besoin de s’auto-financer mutuellement. Il émerge une idée d’altruisme dans ce jeune secteur où se dégagent deux tendances assez fortes. Tout d’abord, le côté palpable de la transaction, on sait à qui on donne, pourquoi on prête et à quoi va servir concrètement son investissement, c’est plus traçable et direct. Puis, il y a ce dé-sir d’économie collaborative différente de celle que l’on peut avoir avec son banquier. Comme si l’argent était moins tabou. Le « participatif » amplifie l’im-pact positif de la générosité. Donner, prêter, de manière solidaire ou non, ap-porte une forme de bonheur auquel de nombreuses personnes aspirent dans nos sociétés actuelles où nous sommes nombreux dans un état de défiance et où l’engagement citoyen prend un nou-

veau sens. La finance participative fait appel au « vivre ensemble », un petit peu comme ce qui a réuni à Paris 3,7 millions de personnes le 11 janvier 2015 Place de la République, et des millions d’autres compatriotes partout en France.

●Vers un nouveau modèle de finan-cement des entreprisesCette finance alternative s’intègre dans le secteur de l’économie sociale et solidaire là, où la force individuelle de chacun permet une force collective, générant une autre forme d’économie. Dans un monde où prédomine l’indivi-dualisme, on observe de plus en plus l’émergence de citoyens responsables et engagés souhaitant défendre des convictions d’un développement éco-nomique durable. Il est fort probable que le crowdfunding change d’échelle rapidement parce qu’il existe une vé-ritable place pour ce type de finance-ment et la nature n’aime pas le vide ! C’est un nouveau modèle capable d’in-tégrer une dimension plurielle, huma-niste, alliant une adhésion de principe, un risque financier non modélisé, une grande part d’affect et où l’implica-tion de chaque citoyen est centrale. Le retour sur investissement financier n’est pas le but central de cette nou-velle forme de financement collabo-rative et rappelons que les gains sont proportionnels aux risques souvent difficiles à évaluer ; mais le crowdfun-ding est en passe de devenir l’un des plus puissants moteurs de financement des entreprises (sous réserve d’une lé-galisation adaptée et d’un haut niveau de confiance de la part des potentiels investisseurs).Que se cache-t-il donc derrière ce mouvement ? C’est peut être un petit pied de nez au système bancaire et de financement traditionnel, le retour à certains fondamentaux, le besoin de relation de proximité, de confiance et de solidarité, sans oublier l’envie d’être utile et bienfaisant.

● blancHe blocH

« On sait à qui on donne, pourquoi on prête et à quoi va servir concrètement son investis-sement, c’est plus traçable et direct »

« Comme si l’argent était moins tabou. Le "partici-patif" ampli-fie l’impact positif de la générosité »

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Responsables 19 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

Voyage au cœur de BlaBlaCarBlaBlaCar n’est pas seulement le nom d’un célèbre site de covoiturage. Der-rière ces trois syllabes, une société de plus de 200 personnes tourne à plein régime, cultivant sa singularité tout en offrant de nouvelles perspectives professionnelles aux jeunes diplômés. Effet de mode ou vrai projet d’entre-prise ? Simon, jeune professionnel (JP) du MCC, nous livre son témoignage sur ce porte-drapeau de l’économie collaborative qu’il a rejoint en 2014.

●ResponsablesPourquoi avoir rejoint BlaBlaCar ?Simon. Pour deux raisons : l’intérêt technique du poste d’une part, et sur-tout l’envie de rejoindre une entreprise qui joue un rôle utile à mes yeux pour la société. Chez BlaBlaCar, j’ai le senti-ment que mon travail fait progresser les choses et je me reconnais dans le projet des dirigeants. Cela dit, en tant qu’informaticien, j’ai eu la chance de pouvoir vraiment choisir mon entre-prise, souffrant moins que d’autres des difficultés du marché de l’emploi. Enfin, il faudrait ajouter à cela une ambiance de travail particulièrement agréable !

●ResponsablesQu’est-ce qui fait la singularité de BlaBlaCar comme employeur ?S. Je dirais d’abord qu’il s’agit d’une entreprise bienveillante. Ensuite, il n’y a pas de structure hiérarchique verti-cale, rigide. Le manager est ici un faci-litateur, dont les compétences relation-nelles sont primordiales. Les décisions se prennent par consensus – le mana-ger sera appelé à trancher en cas de désaccord – et l’on attend de chacun qu’il apporte des solutions. Face à un problème, ce n’est pas « fais ceci ! » mais « comment fait-on ? ». Le travail de chaque salarié en est valorisé. D’ailleurs, contrairement à ce qui se pratique dans de nombreuses entreprises, évoluer ne

signifie pas nécessairement devenir manager, et développer son expertise permet de réelles promotions.

●ResponsablesQuel enthousiasme ! On s’interroge beaucoup au MCC sur les dysfonc-tionnements de l’entreprise, BlaBla-Car serait-elle la société idéale ?S. Je dois admettre qu’il existe une forte volonté des dirigeants de créer un cadre de travail épanouissant, reposant sur le partage et le service. La devise « Fun & Serious » n’est pas un slogan vide de sens, tout est fait pour fidéliser les salariés, sur un marché en recherche

« Il n’y a pas de structure hiérarchique verticale, rigide. Le manager est ici un facilitateur, dont les compétences relationnelles sont primor-diales »

La confiance au cœur de la stratégie de BlaBlaCarPour son fondateur Frédéric Maz-zella, cité par Edwin Mootoosamy : « pas de confiance, pas de tran-saction ». Gestion des profils d’uti-lisateurs, système d’évaluation, sécurisation des paiements et des réservations : assurer la confiance au sein d’une communauté de millions de membres a cependant un coût. Entre frais additionnels et moindre flexibilité, des critiques s’élèvent aujourd'hui contre une forme de marchandisation au détriment de l’esprit originel du covoiturage.

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Responsables 20 n° 426 mars 2015

de profils techniques. Nous ne sommes pas des baba-cools, mais le maintien de cet état d’esprit est sans aucun doute facilité par un certain effet génération-nel : les salariés, dont la moyenne d’âge ne dépasse pas 30 ans, adhèrent au même système de valeurs. BlaBlaCar est encore une jeune société : l’immense majorité des collaborateurs est arrivée au cours des quatre dernières années.

●ResponsablesComment se traduit la dimension « collaborative » de l’entreprise au quotidien ? S. L’échange de connaissances est permanent, que ce soit en interne, par exemple par le biais de réunions heb-domadaires de tous les employés et au cours de laquelle une équipe présente une partie de son travail, ou en externe. Blogs, forums, rencontres avec les équipes techniques d’autres sociétés, le partage est au cœur de notre travail ! C’est l’une de nos valeurs : « share more, learn more ». En cohérence avec le ser-vice que nous proposons, les salariés sont encouragés à pratiquer le covoitu-rage, et à utiliser les autres sites collabo-ratifs. Ainsi nous avons naturellement réservé notre logement sur Airbnb lors d’un séminaire à Barcelone !

●ResponsablesEn tant que chrétien, quel regard portes-tu sur ton métier ?S. Je me sens en phase avec mes convictions chrétiennes. Le service que je participe à offrir repose sur la confiance : sans elle comment des in-connus pourraient-ils envisager un tra-jet de plusieurs heures dans la même voiture ? Nous créons les conditions de cette confiance, et grâce à la tech-nologie nous mettons en relation des personnes. Nous poussons donc les in-dividus au partage (des frais en l’occur-rence) et des rencontres se font entre personnes d’origines et d’histoires dif-férentes.

● ProPos recueillis Par tHibault bellamy-brown

Rezo Pouce renouvelle l’auto-stop !Faire de l’autostop en toute sécurité, de façon organisée mais flexible, c’est désormais possible. Mise en place dans le Tarn-et-Garonne il y a 3 ans par des collectivités lo-cales, l’association REZO POUCE dénombre actuellement 90 communes desservies par 250 arrêts pour environ 1200 utilisateurs. En plus de créer du lien social, ce dispositif simple, peu coûteux et solidaire optimise le taux d’occu-pation des véhicules, principalement sur des distances in-férieures à 20 km. Le principe : les passagers munis d’une fiche destination estampillée REZO POUCE se rendent à un « Arrêt sur le Pouce » sans prise de rendez-vous préa-lable, à charge pour le conducteur du véhicule identifié par un macaron de s'arrêter et ainsi partager à moindre frais (0,50 € / 10 km conseillé) l'usage de son véhicule. Le dispo-sitif est sécurisé par l’attribution d’une carte d’identifiant et par la possibilité offerte au passager d’envoyer par SMS le numéro d’immatriculation avant toute prise en charge.À l'origine dédiée au milieu rural, l’initiative concerne aussi les territoires périurbains (des conventions ont été signées avec Airbus, Vinci-autoroutes…). La région Midi-Pyrénées finance de son côté des ateliers par-ticipatifs, indispensables pour faire connaître l’asso-ciation et ses objectifs auprès des habitants des com-munes desservies. REZO POUCE change aujourd’hui d’échelle face aux nombreuses demandes des collec-tivités : la société coopérative (SCIC) en cours de créa-tion permettra de mobiliser des partenaires privés et une application Smartphone favorisant la géolocalisa-tion des usagers sera bientôt opérationnelle. De quoi faciliter et sécuriser encore plus la pratique de l’autostop.

alain jean, fondateur

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Responsables 21 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

CitéLib : voie d’innovation sociale

Contrairement à une entre-prise classique au service des intérêts de ses actionnaires, une SCIC est un groupement

de personnes qui créent un outil pour satisfaire leurs besoins et ceux de leurs concitoyens. L’argent n’est alors qu’un instrument au service du projet, la me-

Répondant à des besoins urbains et péri-urbains de courte durée (moins d’une journée : courses, loisirs, transport d’objets pondéreux ou volumineux etc.), l’auto-partage consiste en la mise en libre-service d’une flotte de véhicules de toutes tailles et caractéristiques au profit d’utilisateurs abonnés. Le système se déve-loppe à un rythme soutenu, supporté par l’équipement des véhicules en services connectés améliorant la gestion des réservations et favorisant un trajet combiné avec les transports en commun. Société d’autopartage active en Rhône-Alpes, CitéLib a choisi le modèle de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Explications de Martin Lesage, l’un de ses fondateurs.

sure de l’acceptabilité du service rendu et la condition de sa durabilité : il n’est pas sa finalité. Ce choix répond bien sûr à des valeurs éthiques chères aux fon-dateurs de CitéLib (gouvernance démo-cratique, économie sociale et solidaire, participation des salariés à la gestion de la société), et se révèle particulière-ment performant pour l’autopartage.

●Favoriser l’implication des parties prenantesVariante récente du modèle coopé-ratif développé au 19ème siècle, la SCIC est le seul mode de coopérative permettant de réunir dans un tour de table – tout en gardant le principe « 1 homme = 1 voix » – des individus, des entreprises, des groupes d’indivi-dus réunis en Cigales ou associations, ET des collectivités. L’implication des diverses parties prenantes dans le capi-tal et la gestion de la structure optimise son fonctionnement :

• la participation des collectivités terri-toriales permet une intégration du ser-vice dans leurs politiques de déplace-ments (installation des stations CitéLib

« Le choix de la coopéra-tive répond à des valeurs éthiques : gouvernance démocra-tique, écono-mie sociale et solidaire, participation des salariés à la gestion de la société »

Ingénieur, responsable du secteur MCC de Savoie avec sa femme, Martin Lesage a

repris puis créé plusieurs entreprises. Il est co-fondateur et directeur de la

coopérative d’autopartage CitéLib

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Responsables 22 n° 426 mars 2015

à proximité des gares et des principales stations de tramway, bus ou vélos, abon-nements combinés à tarifs réduits…), • la possibilité, pour les abonnés, de de-venir sociétaires et de s’impliquer dans la gouvernance de la SCIC en favorisant une relation durable et de confiance,• l’ouverture facile à de nouveaux partenaires, que permet une société à capital variable comme la SCIC, est un atout pour le développement de l’offre à l’échelle départementale et régionale.

Les 190 sociétaires sont appelés à s’im-pliquer bénévolement dans le dévelop-pement de la SCIC. Outre la commu-nication (bouche à oreille, parrainage, témoignage d’utilisateurs dans les médias, animation de stands, exempla-rité des collectivités territoriales asso-ciées), les compétences des sociétaires en innovation, achats, marketing et communication, ressources humaines, finances, gestion… sont aussi mises à contribution pour le développement de la société. Enfin le choix de modèle de l’économie sociale et solidaire influe sur le mode de management et de dé-veloppement de l’entreprise ; la qualité des relations porte des fruits visibles par tous.

Ainsi, le modèle coopératif demande d’inventer un nouveau mode de gou-vernance en regroupant diverses par-ties dont les intérêts ne sont pas tou-jours convergents. Sur les 15 salariés de la société, une personne travaille à mi-temps à la mise en œuvre de la démo-cratie participative, à savoir l’écoute, l’information, la sensibilisation, la for-mation des abonnés et des sociétaires, et les relations avec les autres entre-prises de l’ESS.

●Soutenir le développement écono-mique de la structureLes résultats économiques et finan-ciers sont éloquents : CitéLib constate une accélération de la croissance de son chiffre d’affaires (multiplié par 4 entre 2009 et 2014). Son capital social

est également en augmentation perma-nente : 435 K€ en 2014 contre 65 K€ en 2010. 170 abonnés sont sociétaires de la SCIC. Avec 220 voitures début 2015, CitéLib a multiplié par 7 sa flotte par rapport à sa transformation en SCIC en début 2010, pour 6000 utilisateurs à ce jour. En termes macro-économiques, les 8 années d’activité de CitéLib ont permis d’économiser 1500 K€ de voi-tures, 1800 K€ de places de parking, et plus de 150 K€de carburant/an.

Loin de freiner le développement de la structure, le choix du modèle SCIC a au contraire joué un rôle important dans sa croissance en lui permettant d’accéder à des possibilités de gestion innovantes favorisant sa solidité finan-cière. Un montage financier inédit faci-lite la mise en place des nouvelles sta-tions, par le biais de partenariats avec les communes, les promoteurs ou les bailleurs sociaux.

L’exemple de CitéLib démontre que l’économie solidaire et sociale peut être vue comme un laboratoire de la vie démocratique de demain. Son suc-cès repose dans l’équilibre qu’il faut sans cesse chercher entre une durabi-lité économique responsable, des ré-munérations correctes, des innovations et des progrès de qualité de service permanents, et une vision à long terme pour éviter des erreurs de positionne-ment stratégique. Le dialogue perma-nent, respectueux, éclairé, ouvert, entre les acteurs leur permet de se remettre en question en permanence pour sa-voir comment contribuer à l’équilibre durable de l’entreprise.

● martin lesage

« La SCIC est le seul mode de coopé-rative per-mettant de réunir – tout en gardant le principe "1 homme = 1 voix" – individus, entreprises, associations, ET collectivi-tés »

« Le modèle coopératif demande d’inventer un nouveau mode de gouvernance en regrou-pant diverses parties dont les intérêts ne sont pas tou-jours conver-gents »

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Responsables 23 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

Koha, les bibliothèques en partageSi le terme « bien commun » a un sens, c’est bien dans ce domaine. L’expérience du logiciel libre avec un mode de travail en open source des programmateurs est, de fait, souvent citée comme étant à l’origine du modèle collaboratif. Paul Poulain et Jérôme Pouchol, fournissent l’exemple du logiciel de gestion de biblio-thèques Koha : du point de vue du co-concepteur puis de celui du co-utilisateur. Conquis par « le libre », ils parlent de « communauté Koha »...

« Si je donne ce que j’ai fait, je l’ai toujours. Et si celui à qui je donne com-plète, ajoute, corrige, et partage à son tour, nous nous retrou-vons chacun avec le tout »

Les logiciels libres reposent sur quatre règles : il est librement possible de télécharger, utili-ser, modifier et redistribuer ces

logiciels.

●Un éco-système collaboratifDes développeurs du monde entier unissent leurs forces pour développer des outils répondant à des probléma-tiques aussi diverses que les serveurs Internet, les traitements de texte, les na-vigateurs Internet... et depuis quelques années les logiciels dit « métiers ». Parmi ceux-ci, l’exemple du logiciel de gestion de bibliothèque Koha est particulière-ment intéressant : développé depuis 15 ans, par plus de 200 développeurs du monde entier et plusieurs dizaines de contributeurs-traducteurs, il équipe aujourd’hui plusieurs milliers de biblio-thèques à travers le monde. Il équipe notamment toutes les bibliothèques municipales d’Argentine et de Turquie, quelques bibliothèques nationales, une dizaine d’universités françaises, et bien d’autres, dans le monde entier.

●De la programmation…Les logiciels comme Koha reposent sur un principe simple : le logiciel est un bien non rival, c’est-à-dire un bien qui peut être consommé par plusieurs per-sonnes simultanément, sans entraîner de perte directe du bien. Si je donne ce que j’ai fait, je l’ai toujours. Et si celui à

qui je donne complète, ajoute, corrige, et partage à son tour, nous nous retrou-vons chacun avec le tout. La formule mathématique 1 + 1 = 2 ne s’applique donc pas. Avec les logiciels libres, 1 + 1 = 2 * 2. Chacun a fourni 1, chacun béné-ficie de 2 ! Les contributeurs au logiciel Koha ont bien compris ce principe et mettent leurs forces en commun pour développer un outil au service de tous.

Ils viennent d’horizons très différents :• des prestataires de service, qui gé-nèrent une activité économique réelle (1 M $ pour BibLibre en France, 2.5 M $ pour Bywatersolutions aux USA, pour ne citer que les deux plus importants)• des ministères ou des bibliothèques qui dédient des ressources humaines pour contribuer au projet, déployer le logiciel dans leur réseau,• des volontaires, bénévoles cela va sans dire, qui s’impliquent dans le pro-jet pour une raison ou une autre : un conjoint bibliothécaire, un projet dans un cadre scolaire,…Un autre point notable de cet éco-sys-tème collaboratif : certains participent juste le temps d’un projet, ou pour corriger un problème donné. D’autres s’impliquent dans la durée. Mais dans tous les cas, tout le monde bénéficie au final de ce qui est un « bien commun ».

●… à l’utilisationDans l’histoire des médiathèques Ouest Provence, réseau fort de 7 éta-

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Responsables 24 n° 426 mars 2015

Premier prestataire autour de Koha, responsable des développements et des

publications du projet de 2002 à 2005 puis en 2011-2012, Paul Poulain est

gérant de BibLibre

Directeur des collections et services de la médiathèque Ouest Provence, Jérôme Pou-

chol est animateur du blog professionnel Bambou et maître de conférence associé à

l'UPMF de Grenoble

blissements, 235 000 documents et 160 agents, le choix du logiciel libre Koha constitue une étape importante de son évolution. Il est même devenu un mar-queur fort de son identité et ce, bien au-delà de ses seules frontières régio-nales. Ce choix audacieux a été fait en 2006, alors que la communauté Koha était encore à un stade embryonnaire et que le logiciel n’avait pas acquis la per-formance et la stabilité fonctionnelles qu’on lui connaît aujourd’hui ; un choix qui reposait sur un certain nombre de valeurs et d’objectifs :• gagner en indépendance écono-mique vis-à-vis des éditeurs de logiciels,• disposer d’un progiciel intuitif, évolu-tif et hautement personnalisable,• faire évoluer les pratiques profession-nelles des bibliothécaires, leur rapport à l’outil principal que constitue pour eux le SIGB (système informatisé de gestion de bibliothèque),• participer à une entreprise mutua-liste et coopérative et ce, à l’échelon international.

Au terme de 8 ans de pratique de l’outil, ces grands espoirs ne sont pas déçus, bien au contraire. L’utilisation de Koha par les usagers du réseau

ne cesse de croître, en rapport avec l’évolution continue de ses services : suggestions d’achat, réservations à dis-tance, catalogue enrichi, communica-tion sms… ; une évolution à laquelle la médiathèque intercommunale a pu no-tablement contribuer, en finançant de nombreux développements commu-nautaires. Nous avons aussi pris, avec Koha, la mesure du formidable poten-tiel du produit libre et collaboratif, qui nous a conduit à repenser notre mo-dèle entrepreneurial, en nous appuyant sur des principes de partage (co-pro-priété de l’outil), de transfert de savoirs (reversion) et de co-construction (com-munauté d’acteurs-contributeurs).

À l’heure où la profession des biblio-thécaires et des documentalistes s’in-terroge sur ses missions et son avenir, l’aventure du « libre » ouvre ainsi le champ des compétences, élargit l’angle de vues, offre de nouvelles potentialités de service et de partenariat, redonne opportunément du cœur à l’ouvrage. Gageons que cette entreprise, parmi d’autres actions de développement du-rable et solidaire, apporte sens et deve-nir au métier.

● Paul Poulain et jérôme PoucHol

Pour en savoir plus : video « Koha, a community » et http://www.koha-fr.org

« Dans tous les cas, tout le monde bénéfi-cie au final de ce qui est un "bien com-mun"»

« Nous avons pris, avec Koha, la mesure du formidable potentiel du produit collabora-tif : partage (co-propriété de l’outil), transfert de savoirs et co-construc-tion »

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Responsables 25 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

Agissons ensemble !Les jeunes entreprises de l’économie collaborative ont en commun de privi-légier l’usage à la possession et de contourner les acteurs classiques, souvent les grands groupes. Ainsi on utilise la voiture de quelqu’un, on fait financer son projet par des internautes, on achète directement aux producteurs locaux, on va dormir chez un particulier au lieu d’aller à l’hôtel… À l’appui de son expé-rience de création d’une plateforme d’actions éco-citoyennes, Koom, Jérôme Lhote nous fait part de ses réflexions sur les logiques qui sous-tendent l’évolu-tion de l’économie collaborative.

●ResponsablesPouvez-vous décrire le modèle économique sur lequel se construit l'économie collaborative ?Jérôme Lhote. Les nouveaux acteurs économiques s’appuient tous sur un outil : internet, qui a changé les busi-ness model traditionnels. En effet la pro-messe que ces acteurs font nécessite d’avoir une communauté importante car leur business model consiste majori-tairement à se rémunérer sur l’intermé-diation, laquelle a permis la transaction entre la personne qui fournit l’usage/service (voiture, logement…) et celle qui en a besoin. Les grands groupes su-bissent parfois cette économie qui les contourne. Ainsi la SNCF considère Bla-BlaCar (lire aussi p. 19) comme l’un de ses deux principaux concurrents avec Google ; le financement participatif en investissement ou en prêt a ouvert une brèche dans le monopole bancaire. Pour autant, les grands groupes et les start-up ne sont pas nécessairement voués à la concurrence.

●ResponsablesGrands groupes versus start-up : le choc des cultures est-il inéluctable ou des formes de coopération sont-elles envisageables ?J. L. Si l’on veut schématiser, les grands groupes ont de l’argent et les start-up des idées. Pour différentes raisons, les grands groupes ont plus de mal à inno-

ver (manque d’agilité, de souplesse ma-nagériale, de créativité, de rapidité, âge des équipes…). Beaucoup d’innovation de start-up rencontrent un besoin chez les groupes. Ainsi leurs services sont parfois vendus en marque blanche, c’est-à-dire aux couleurs de l’entreprise cliente. C’est ainsi qu’a commencé BlaBlaCar en vendant sa plateforme à Castorama ou à Ikea. Les synergies sont même nécessaires car chacun trouve une création de valeur en travaillant avec l’autre. L’innovation est au cœur de ce secteur. Elle est parfois le résultat du hasard mais souvent liée à la rareté. Faire autrement avec moins d’argent, c’est un besoin que rencontrent de plus en plus de Français et surtout des jeunes à qui le marché de l’emploi laisse peu de place. C’est en trouvant les trains chers et complets que le fon-dateur de BlaBlaCar a fondé sa société constatant que beaucoup de voitures roulaient à vide. Idem pour l’essor du financement participatif avec la raré-faction du crédit bancaire.

« Le busi-ness model consiste majo-ritairement à se rémunérer sur l’intermé-diation, qui a donc permis la transac-tion entre la personne qui fournit l’usage/ser-vice »

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Responsables 26 n° 426 mars 2015

●ResponsablesParlez-nous de Koom…J. L. Constatant qu’il y a de nombreux enjeux sociétaux à relever, que les Fran-çais sont les champions du monde du pessimisme, et que la confiance envers les élus et les entreprises n’est pas au beau fixe, j’ai décidé de créer la plate-forme Koom. Celle-ci a pour objectif de faire agir ensemble les particuliers, entreprises et villes sur les enjeux liés au développement durable à tra-vers des défis. Par exemple « si 2000 habitants consomment bio dans une enseigne locale, alors cette enseigne fournit le pain gratuitement à une cantine scolaire pendant 1 mois ». Les personnes qui agissent sont géoloca-lisées, et elles peuvent se contacter. Ceci permet donc d’activer la « norme sociale », incitant à rejoindre une dyna-mique déjà existante à côté de soi. Nous vendons donc un outil de communica-tion et de mobilisation permettant à une entreprise (ou ville) d’agir avec ses parties prenantes internes (salariés) ou externes (clients/habitants).

●ResponsablesQuels sont vos projets d’avenir ?J. L. Nous avons récemment étendu ce concept de défi à du crowdfunding local via la plateforme Koomfunding : ainsi quand les habitants donnent 10 euros pour financer un projet associa-tif à côté de chez eux, alors une entre-prise ajoute 10 euros. Le don de l’habi-tant est donc doublé, et cela permet à l’entreprise d’agir avec les habitants de sa zone de chalandise, voire même avec ses salariés puisque nous propo-sons la plateforme en marque blanche (= personnalisée à la charte graphique de l’entreprise).L’idée derrière tout ça est de montrer aux particuliers qu’ils peuvent agir sur des actions concrètes à leur niveau, qu’ils ne sont pas seuls, et que leurs actions individuelles ont un impact collectif… en déclenchant l’action vo-lontaire d’un acteur privé ou public. Et pour les entreprises et les collectivités, c’est tout simplement se rapprocher de ses parties prenantes en agissant positivement avec eux. Yes we Koom !

● jérôme lHote

« Si l’on veut schématiser, les grands groupes ont de l’argent et les start-up des idées… »

Diplômé de l’IPAG Paris, jeune professionnel du MCC, Jérôme Lhote a fondé le site communau-

taire Koom en 2012

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Responsables 27 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

Nous avons testépour vous… La Ruche : qui gagne quoi ?

Oui, je l’avoue, l’hiver, je vais chercher mes poireaux, pommes de terre, carottes et autres légumes de sai-

son dans une « Ruche » près de chez moi. C’est sympa quand on habite la ca-pitale parisienne : l’odeur des légumes tout juste cueillis du matin, celle de la terre fraîche, et le sourire des bé-névoles du point de vente, jeunes et convaincus. Le tout très bien organisé. J’ajoute à mon panier, la commande se fait par internet, d’excellents fromages de chèvres, de délicieux yaourts aux vrais fruits, et parfois quelques autres gourmandises. L’été, en Bretagne, je vais cueillir des fraises et des fram-boises, des courgettes et des tomates, chez un producteur dit bio. En vélo de préférence. C’est tout près de ma mai-son.

●Tout un maillage de terrainMa question est de savoir en quoi cela est « collaboratif » ? Que peut-on mettre sous cet adjectif ? Pour chacune des 657 Ruches de France (chiffre fin 2014), le ou la responsable locale recherche des producteurs de sa région qui peuvent ainsi vendre en direct à des clients que la Ruche locale doit trouver pour les faire acheter par Internet, et prendre li-vraison de leur marchandise, deux fois

Les membres du comité de rédaction de votre revue ont une fois de plus active-ment contribué à ce numéro qui fait la part belle aux expériences de proximité : avec La Ruche qui dit oui, un Drive fermier, KissKissBankBank ou encore Ulule, ils ont fait le saut, eux aussi. Leurs témoignages, ou ceux de leurs proches, émaillent l’article qui suit.

Une affaire d’empreinte carbone ?Économie collaborative, de partage… Der-rière ces mots qu’y-a-t-il ? Quel sens cela a-t-il pour moi ? Séparer le bon grain de l’ivraie ? Collaborer : « participer avec un ou plusieurs autres à une œuvre commune ». Partage : Posséder quelque chose avec une ou plusieurs personnes ». Au regard de ces défi-nitions, selon quels critères vais-je juger des propositions qui se multiplient ? Prenons quelques cas que j’ai utilisés.BlablaCar : je mets en partage un bien, en l’occurrence un trajet, avec quelqu’un avec qui je vais plus ou moins parta-ger quelques heures. En arrière-plan, il y a sans doute un souci commun de minimiser notre empreinte carbone… L’objectif premier de celui qui va venir partager ce trajet reste malgré tout plus de réduire son coût de transport.Le Bon Coin : c’est sûrement une plateforme effi-cace pour vendre ou acheter des biens d’occasion, mais je ne vois aucune trace de valeurs communes. KissKissBankBank : soutenir au travers de ce site le projet d’un jeune ami parti en Bolivie pour ouvrir un bar à vins commercialisant les produits des coopéra-tives locales, c’est coopérer avec son réseau, famille et amis, à une réalisation dont je comprends et par-tage les enjeux ; sans ce site, il lui aurait fallu perdre un temps précieux à contacter et convaincre chacun.Sans ces dimensions d’enjeux partagés, de communauté d’objectifs, parler d’économie collaborative me paraît un abus de langage. On reste alors dans une économie classique utilisant les ressources du numérique pour tra-quer des gisements de réduction de coûts ou des effets d’aubaine : c’est typiquement ce que propose UberPop.

Patrice lucas

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Responsables 28 n° 426 mars 2015

par mois, lors d’un rendez-vous à proxi-mité. Ces producteurs garantissent les conditions de production mais tous ne sont pas labellisés bio. Pour le respon-sable, c’est tout un travail, y compris informatique, (une quinzaine d’heures par semaine) rémunéré sur le CA de sa Ruche. La fille d’une amie gagne ainsi 400 € certains mois, ce qui est une très bonne performance, me dit-on, et s’ex-plique aussi, par le fait que sa zone de chalandise est suffisamment large. Une Ruche, c’est un complément de revenu, comme on dit.

●e-commerce innovant, pas une AMAPCe travail ne me semble pas très diffé-rent d’un autre, si ce n’est son objectif : soutenir des petits producteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes marges que celles de la distribution, petite ou grande. L’ensemble de ces Ruches me paraît constituer une véritable entre-prise, à l’inverse des AMAP érigées en association loi 1901 (donc sans but lucratif et dirigées par un comité bé-névole, qui relie producteurs locaux et consommateurs). Avec des frais en moins pour la distribution. En effet, c’est le producteur qui reçoit 100 % du prix de vente et qui en rétrocède 8,35 % au responsable de Ruche local et autant à la société « Equanum », en-treprise qui pilote les Ruches et gère la plateforme internet.

Quant au statut des responsables de Ruche locaux : 66 % sont auto-entre-preneurs, 18 % ont un statut associatif, 7 % sont adossés à des entreprises agri-coles.

Collaboratif ? Je dirais plutôt du e-com-merce innovant qui a le vent en poupe puisque le volume d’affaire 2014 en France a été de 17.097.407 € TTC (TVA à 5 %), dont plus de 14 millions € pour les producteurs et 1.3 millions € pour les responsables de Ruches locaux (même somme pour Equanum).

Dans l’Aube, des produits du terroir en version driveLe Drive Fermier est un concept né en Gironde qui réu-nit aujourd’hui une cinquantaine d’entités partout en France. Un dernier né en novembre 2014 dans l’Aube, après 9 mois de réflexion sous l’impulsion de la chambre d’agriculture, regroupe une trentaine de producteurs et propose en saison haute jusque 500 références. Le panier est ici aux couleurs locales : champagne, len-tillons, fromages de chèvre, cidre ou jus de pommes (le pays d'Othe n’est pas loin), etc., on en redemande !Les profits vont directement aux producteurs constitués en société coopérative, elle-même adossée à un site internet de vente & paiement en ligne. L’objectif premier est de conquérir une clientèle de trentenaires convertis au tout « en ligne », outre la fidélisation des clients occa-sionnels. Plus intéressant est celui de réconcilier l’indivi-dualisme exacerbé par la toile avec un esprit collectif de regroupement d’entreprises, de producteurs ou de talents.Le Drive Fermier de l’Aube fait à son tour des émules dans la région avec l’ouverture de concepts analogues dans les départements voisins. Avec environ 150 commandes par semaine, après 3 mois d’existence, et un panier moyen élevé comparé à la moyennne nationale (autour de 40 €), le président du Drive affiche une grande satisfaction.Voilà un mode de commerce associant tradition et mo-dernité, qui répond à une véritable attente du public en matière de circuits-courts, de respect de l’environnement et de qualité des produits frais. Un exemple d’innovation positive en mode collaboratif au service de tous : produc-teurs, consommateurs et la société dans son ensemble.

antoine de montetyFo

toli

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Responsables 29 n° 426 mars 2015

Ce qui fait, calculette en main, moins de 2000 € euros en moyenne par an et par Ruche. Pas de quoi faire fortune ! Pour Equanum, c’est logiquement 657 fois cette somme.

●Près de chez moi, ça a du sensUn e-commerce inventif, issu d’idées nouvelles initiées de façon associative par les AMAP, et poussé, vu de ma lu-carne, par le plaisir de participer joyeu-sement à quelque chose qui est à taille humaine et a du sens. Pour Anita, la fille de mon amie, c’est surtout, dit-elle, un travail qui est « une démarche éco-logique, pour encourager la consom-mation de produits de qualité et de proximité. Pas vraiment collaboratif, mais l’occasion aussi de faire du lien localement en sensibilisant les gens du réseau à une consommation respon-sable ». C’est déjà ça !

● anne-marie de besombes

Une championne du monde 100 % collaborative !Grâce au financement obtenu via une plateforme de finan-cement participatif, venu compléter l’apport de sponsors locaux, Jessica Berra a pu se rendre aux championnats du monde d’aviron en Grèce au volant d’un minibus prêté par la mairie de sa ville, Hendaye. Avec 3 autres rameurs, ils ont ainsi tiré sur près de 3500 km et 3 jours leurs kayaks. Et ont pu louer un appartement chez l’habitant par l’inter-médiaire d’un autre site collaboratif. Rien de folichon mais au moins, ils n’y ont pas été de leur poche à défaut d’avoir été soutenus par la ligue d’Aquitaine d’aviron. Tout au long de leur parcours, cela va sans dire, ils ont bril-lé : CHAMPIONNE DU MONDE D’AVIRON DE MER pour Jessica, 4è place pour Lionel Picard au pied du podium.Je n’ai pas choisi de recevoir une contrepartie en nature (carte postale/T-shirt/bouteille d’Ouzzo, etc.) proposée par le site de crowdfunding, mais j’en retire un bénéfice émotionnel et une immense fierté : celle d’avoir contri-bué, bien modestement, à forger sa victoire en créant de (relatives) bonnes conditions à son succès. Comme si j’étais propriétaire d’une parcelle de l’aventure… Quant à notre sportive, elle a su transformer son enga-gement individuel en financement collectif, sans prendre de risques financiers et sans perdre de temps en logis-tique. Elle se savait aussi soutenue par une chaîne de solidarité : un atout psychologique indéniable pour elle. Prochaine étape : les championnats du monde au Pé-rou fin 2015. Si vous aussi, voulez pouvoir en recueil-lir les lauriers, une seule adresse : http://fr.ulule.com/ Pour info, le site prélève une commission de 8 % sur les sommes collectées, ce qui diminue d’autant le don...

marie-Hélène massuelle

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Jessica Berra (au centre), championne du monde d'avi-ron de mer, à Thessalo-nique (Grèce), octobre 2014

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Responsables 30 n° 426 mars 2015

Économie collaborative

Quelle résonance avec l’Évangile ?

« Mû par la foi, se sachant conduit par l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers, le peuple de Dieu s’efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence du dessein de Dieu » (GS §11).

Le développement de l’économie collaborative peut être lu par les chrétiens comme « un signe des temps » au sens de Gaudium et Spes (GS). Le changement de paradigme économique qu’elle provoque et qui s’expérimente localement dans le monde invite les chrétiens au discernement. Qu’est ce qui compte pour eux aujourd’hui ? Les nouvelles valeurs promues rejoignent-elles des valeurs évangéliques ? Des pistes de réflexion avec Bertrand Hériard-Dubreuil s.j., jalonnées d’une exigence : garder le souci de tous et particulièrement des plus pauvres.

● Les valeurs portées par l’économie collaborativeLe développement de l’économie collaborative peut-il être lu par les chrétiens comme « un signe des temps » dans le sens dont en a parlé le concile ? Comment les chrétiens sont-ils habilités à en faire la lecture ? Quelle est la contribution du magis-tère pour guider cette lecture ? Sur quels points se fait le discernement ? À quoi invite-t-il ?Gaudium et spes nous appelle à dis-cerner une conjonction entre des « événements », des « exigences » et des « requêtes ». Les exigences sont celles qui touchent la conscience morale, autrement dit les valeurs qui nous mobilisent. Et les chrétiens peuvent partager facilement celles de l’économie collaborative : co-construction, innovation, dévelop-pement durable, démocratie sociale et économique... Pour le concile, les requêtes en appellent également à la conscience, mais en creux : ce sont les insatisfactions profondes devant le gâchis, l’injustice du chômage, le vide de sens dont souffrent certains acteurs du « business as usual ». Les événements, en revanche, sont plus difficiles à juger, mêlant souvent le bien et le mal. Pourtant, « l’état de

« Gaudium et spes nous appelle à discerner une conjonction entre des évé-nements, des exigences et des requêtes »

Bertrand Hériard-Dubreuil est directeur du Ceras et de la Revue Projet. Jésuite vivant

en communauté à Saint-Denis, il a enseigné l’automatique puis la philosophie des

techniques à l’Icam

dr

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Responsables 31 n° 426 mars 2015

santé écologique » a été déjà consi-déré par Benoît XVI comme un signe des temps (CV §32). Le changement climatique demande un « kairos pla-nétaire » (ou « instant de grâce où tout peut basculer ») reconnaît Mgr Brunin, au nom de la commission « Famille et société » des évêques de France.

● Qui discerne les signes des temps ?Ceux, d’abord, qui s’engagent dans l’action au nom de leur foi, les mul-tiples innovateurs dont parle ce nu-méro. En même temps, c’est l’Église tout entière qui discerne comme sujet collectif. Pas seulement les auto-rités ecclésiales, mais tout le peuple de Dieu. Et la présence des humbles et des petits apparaît ici comme un enjeu central pour le discernement. Ainsi, le mouvement des « villes en transition » a-t-il commencé à Bristol, une ville pauvre du Royaume-Uni. De même, dans La véritable richesse, Juliet Schor montre comment les millions d’Américains exclus du mar-ché par la crise de 2008 ont investi autrement « leur temps retrouvé ». Le système D en filigrane dans le modèle collaboratif fait partie du discerne-ment !

● Quel est alors le rôle du magistère ?Il est de reconnaître les nouvelles formes d’engagement : c’est ainsi que Benoît XVI dans Caritas in Veritate (CV) insiste sur la place de l’écono-mie dite « civile et de communion » (CV §46). Il est de rappeler l’impor-tance de l’option préférentielle pour les pauvres : le pape François le fait vigoureusement dans Evangelii Gaudium (§ 197ss). Il est de mon-trer que le développement de ces nouvelles formes ne peut se faire sans institutions justes : « La vie éco-nomique a sans aucun doute besoin du contrat pour réglementer les rela-

tions d’échange entre valeurs équiva-lentes. Mais elle a tout autant besoin de lois justes et de formes de redistri-bution guidées par la politique, ainsi que d’œuvres qui soient marquées par l’esprit du don » (CV §37).

● Quelles structures changer pour que l’économie collaborative prenne toute sa place ?L’Église n’a pas ici de réponse tech-nique. Mais elle n’est pas dupe à pro-pos des rapports de force qui sont à l’œuvre. La transition énergétique allemande en donne un excellent exemple. Les régies municipales d’électricité sont de plus en plus di-rectement en conflit avec les grosses sociétés d’électricité. La répartition de l’effort est injuste pour le petit contribuable d’aujourd’hui et encore plus pour celui de demain. Comment faire que le nouveau paradigme soit accessible à tous ? Comment les conditions de vie qui s’inventent deviennent-elles le bien commun de tous ? Voilà les questions que rap-pelle la sagesse pratique de l’Église sédimentée dans sa doctrine sociale.

Comme ce dossier le montre, le dis-cernement est l’affaire de tous. C’est même pour cela qu’il intéresse les chrétiens. Sachant que leur foi est fondamentalement sociale, les chré-tiens s’y engagent selon leur cha-risme propre. Ils inventent avec les autres des nouvelles formes de col-laboration. Comme ils changent leur manière de consommer. Et comme ils partagent de nouvelles manières de travailler. Le dialogue qu’ils ouvrent sur ces chantiers bâtit l’Église, la ren-dant attentive aux signes des temps. Les structures qu’ils construisent, avec les autres, feront société dans la mesure où elles donneront place à tous.

● bertrand Hériard-dubreuil

« Les chré-tiens peuvent partager facilement les valeurs de l'économie collabora-tive : co-construction, innovation, développe-ment durable, démocratie sociale et éco-nomique »

« Comment faire que le nouveau paradigme soit acces-sible à tous ? Comment les conditions de vie qui s'inventent deviennent-elles le bien commun de tous ? »

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Le partage : nouveau levier de croissance économique ?L’économie collaborative est en plein essor. Reposant sur la mise en commun des

biens plutôt que sur leur acquisition (partager sa voiture, son appartement), pro-

mouvant la notion d’usage plutôt que de possession, cette approche fondée sur le

partage traduit autant une aspiration contemporaine à consommer différemment

qu’une nécessité de faire des économies dans un contexte morose. Le partage au

service du marché, voilà de quoi interpeller notre regard de chrétien !

vie d’équipe

Éditeur : U.S.I.C. - 18 rue de Varenne - 75007 Paris - tél. 01 42 22 18 56 - [email protected] paritaire n° 0417 G81875Directeur de la publication : Alain Heilbrunn - Responsable éditoriale : Marie-Hélène MassuelleComité de rédaction : Françoise Alexandre, Thibault Bellamy-Brown, Anne-Marie de Besombes, Pierre-Olivier Boiton, Catherine Coulomb, Solange de Coussemaker, Élizabeth Lefer, Patrice Lucas, Christian Sauret, Dominique SemontPour recevoir une version papier : 7 € (frais de port compris) le numéro / 28 € (frais de port compris) les 4 numéros - à commander aux coordonnées ci-dessus.

Autour des services fondés sur le partageInterrogeons notre rapport à ces nouveaux services : est-ce que je les connais, les utilise moi-même (comme le co-voiturage, les pla-teformes BlaBlaCar ou Uber, cette dernière permettant à des particuliers de se servir de leur voiture comme d’un taxi) ? En suis-je un simple consommateur (achat de biens d’occasion par exemple) ? Un contributeur actif (mise en location de son propre appartement sur le site AirbnB, où l’on peut louer sa chambre pour un week-end à des touristes) ?

Méditer sur le partageLe partage se trouve au cœur de l’organisa-tion de l’Église primitive : « La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais tout était commun entre eux. Avec une grande puis-sance, les apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus. Et une grande grâce était sur eux tous. Car il n’y avait parmi eux aucun indigent; tous ceux qui possédaient des champs ou des mai-sons les vendaient, apportaient le prix de

ce qu’ils avaient vendu et le déposaient aux pieds des apôtres ; et l’on distribuait à chacun selon qu’il y en avait besoin » (Actes 4,32-35).Quelle place le partage garde-t-il dans ma vie de chrétien ?Dans quel but partager ? Pour en tirer soi-même avantage (faire des économies ou compléter ses revenus) ? Par conviction politique/écologique ? Pour répondre aux besoins des autres (au sens de l’entraide, quand le partage est désintéressé) ?

Agir au quotidienAu-delà de ces nouveaux services, mon en-treprise favorise-t-elle le partage (de connais-sances, de compétences) ?Quelles actions concrètes puis-je mener pour promouvoir le partage dans mon envi-ronnement professionnel ?

1e temps

2e temps

3e temps

● tHibault bellamy-brown

Prochain numéro 427

La France est-elle réformable ?