reportage fránçois and the atlas mountains (oct. 2011)

10
28 FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 28

Upload: jflp

Post on 07-Jul-2016

7 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Reportage Fránçois And The Atlas Mountains (oct. 2011)

TRANSCRIPT

28

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 28

29

S’il ne fallait chérir qu’un seulalbum cette année, E VoloLove pourrait être celui-là.Le disque d’une pop platinéequi furète entre noblesseindie, chanson françaiseet world music de laboratoire.De Saintes à l’île d’Oléron,d’une piste de skate fossiliséeà une crypte romane, dePrince à Boris Vian, récit d’unevirée au pays de Fránçois& The Atlas Mountains.ARTICLEJEAN-FRANÇOIS LE PUILPHOTOGRAPHIESLAURENT BOCHET

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 29

30

a survie des musiques sensibles et sincères tient à la seulevolonté d’irréductibles engagés dans une douce guérilla uni-verselle. Aucun ennemi tangible, sinon l’indolent démon del’apathie et le distrayant pantin de la complaisance, tous deuxengraissés à grandes cuillerées de médiocrité. Les idéaux desgardes indie sont bruitistes ou raffinés, avant-gardistes ou nos-talgiques, provocateurs ou fédérateurs. Parce qu’il s’agit d’unrefus de laisser s’ensabler les convictions dans le désertd’inspiration environnant, les points de lutte dégoupillent par-fois là où on s’y attend le moins, tels des mirages qui gardentleur caractère miraculeux en oubliant d’être des illusions. Dugarage rock de Tacoma (Washington) dans les années 60 à laturne parisienne Born Bad Records aujourd’hui, des baladinsfolk d’Édimbourg en pleine époque hippie à l’actuelle famillestrasbourgeoise Herzfeld, des rappeurs interlopes de la villecanadienne Halifax il y a quinze ans aux songwriters bariolésde la cordée auvergnate Kütu Folk en ce moment… Innombra-bles et disparates sont les bastions en marge qui ont fait valoirleur identité grâce à l’activisme de passionnés plus entrepre-nants que d’autres. Une histoire régie par des lois humaines quisupposent pugnacité et lassitude, artistes doués et profiteurs,lieux de réunion et références réciproques, personnalités ras-sembleuses et militants de l’ombre. Prenez Milos Ares, parexemple. Vous ne le connaissez sûrement pas, et n’en saurezpas plus sur le bonhomme. C’est pourtant son nom qui est pro-noncé lorsque l’on évoque avec les quatre membres de Fránçois& The Atlas Mountains, avachis sur les rivages brillants de l’îled’Oléron alors que la soirée s’annonce, les moments-clés deleur destinée commune. Durant la seconde moitié des années2000, Milos fut le patron de feu le bar El Inca à Bordeaux. Dansson bouge, il accueille de vibrants représentants del’Internationale indé, des protégés du label K Records, Vetiver,Lawrence Arabia, ou Marissa Nadler. “C’était juste une petite cave,mais elle a ouvert les oreilles à beaucoup de monde dans la région”,raconte le multi-instrumentiste Pierre Loustaunau, qui agitaussi au sein de la troupe bordelaise Crane Angels, et en solosous l’alias Petit Fantôme. “Il y avait des concerts tous les jours etune émulation se créait, des musiciens du coin se rencontraient là-baspuis formaient des groupes ensemble. J’ai vu Fránçois & The AtlasMountains en concert pour la première fois à l’Inca, et j’y ai aussi ren-contré Amaury (ndlr. Ranger, homme à tout faire du quatuor)”. C’estégalement entre les murs d’El Inca que le collectif multidisci-plinaire Iceberg prend ses quartiers pour organiser des soiréesrégulières qui permettront par exemple à Botibol, auteur duremarqué Born From A Shore (2011), et lui aussi membre desCrane Angels, de s’épanouir. “Quand un mec de K Records tour-nait, tu étais sûr de pouvoir organiser le concert là-bas sans avoir àdemander d’autorisation, qu’il y aurait vingt personnes et quel’artiste pourrait repartir avec sa centaine d’euros. C’est le seul lieuen France où j’ai retrouvé la même facilité que je connaissais lorsquej’étais à Bristol”, prolonge François Marry, alias Fránçois. Car sile Saintais Amaury Ranger, vingt-trois ans, et le Landais Pierre

Loustaunau, vingt-six ans, ont défloré leur carrière dans leurrégion respective, leur aîné François, vingt-neuf ans, a fait lechoix de l’exil en quittant la Charente-Maritime pour Bristolen septembre 2003, après une enfance passée à Saintes et desétudes réalisées à La Rochelle. Une décision naturelle pourcelui qui prit très tôt l’habitude de voir du pays. “À dix-huit ans,je suis parti en Italie en stop et en InterRail, à la recherche des racinesitaliennes de mon grand-père (ndlr. Il en tirera la chanson Il Stra-gniero, parue sur son premier album, Les Anciennes Falaises, en2004). Je suis aussi allé en Europe de l’Est, en Grèce, en Espagne, auMaroc… Je partais à l’arrache et dormais à la belle étoile. C’étaitl’école de la démerde, ça m’a beaucoup enrichi. Au-delà des rencon-tres que tu peux faire sur place, ce qu’il y a de meilleur, c’est souventce que tu développes avec les gens qui t’accompagnent. Mais si j’ai euun amour sans bornes du voyage, il m’a un peu quitté aujourd’hui,car à force de tourner, lorsque l’occasion de me poser pour récupérerse présente, je ne me prive pas”.

SEPULTURAIl est 15 heures en ce lundi de septembre éclairé. Nous voilà

partis en vadrouille depuis deux heures avec François Marry etPierre Loustaunau à travers Saintes, charmante ville moyenne(27 000 habitants) et océanique (placée dans le mille de l’arcAtlantique). François nous transporte dans le van vieillissantqui conduit habituellement le groupe en tournée, tel le roi duvolant qu’il est, doublé d’un pro de l’autoradio mondialiste oùs’enchaînent le compositeur minimaliste Philip Glass, le tré-sor perdu de l’acid-folk These Trails, l’artiste nigérian KingSunny Adé – “ma petite amie Rozi Plain était persuadée que c’étaitmoi qui chantais, c’est un peu mon album de jùjú imaginaire”, plai-sante-t-il à ce sujet –, la compilation Legends Of Benin (2009), etles récentes sorties du label Domino. Le véhicule affiche 45 000kilomètres au compteur pour cette dernière année, desplanches de surf font partie intégrante de son habitacle, et dessouvenirs transcendantaux y siègent, comme cette intermina-ble traversée des tunnels norvégiens entre Oslo et Bergen avecen fond sonore les tourbillons à suspense de Philip Glass (bis).Sans réclamer de répit, Fránçois & The Atlas Mountains repar-tira pour une poignée de dates britanniques le lendemain,mardi 6 septembre, direction Glasgow via Calais et Londres.Mais pour l’instant, nous stationnons là où nous n’aurions paspensé stationner : au niveau d’un snake, cette pente vertigineuseen béton qui faisait fureur chez les fans de skateboard dans lesannées 70. “Je me souviens m’être lancé ici pour la première foisquand j’étais ado, sur les conseils d’un vieil Haïtien farfelu qui medisait de ne pas m’inquiéter. C’est une piste historique parce qu’il n’enreste plus beaucoup dans ce genre, des amateurs viennent de loin pours’y frotter”, nous confie François en fixant les graffitis qui recou-vrent le revêtement et la mare d’eau qui a inondé la cuvette

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 30

31

finale. C’est donc au son du roulis de la planche que la passionéclot avec fracas chez l’ado. Merci à Nevermind (1991) de Nir-vana, à Silverchair, et même à… Sepultura ! À seize ans, FrançoisMarry goûte à la pop moderne grâce à la collection de vinylesdu père de son très cher ami d’enfance Victor Crespi. Low, avecl’album The Curtain Hits The Cast (1996), figure une impression-nante porte d’entrée. Le piano de la maison, qu’il n’avait pas euenvie d’apprivoiser par le biais de la théorie lors de cours parti-culiers reçus à l’âge de treize ans, devient un fidèle compagnond’improvisation, et la guitare rugit avec Victor au sein de leurgroupe de rock 5-O, baptisé ainsi d’après la figure de skate. Afind’allier son goût pour la musique et son affection pour le des-sin – ce qu’il continuera à faire par la suite, dans ses clips ou surses pochettes de disques –, François met au point le fanzine LaTuile, qu’il vend 1€ à ses copains de lycée. Il y dessine les musi-ciens qu’il interviewe, et réalise par exemple un entretien avec,tiens donc, Dominique A. “Erik Truffaz y est passé aussi ! Je mesouviens lui avoir parlé de mon goût pour la trompette, du fait que jevoulais ressembler à Boris Vian. Il m’a encouragé et je m’y suis mistout seul. J’ai un tempérament assez solitaire, je passais beaucoup detemps seul à l’époque, à crayonner et à jouer. J’allais souvent à laMédiathèque sans personne, en skate, c’était chouette. Mais ce n’étaitpas maladif, j’avais des amis très proches”. Parce qu’il affine ungoût pour la culture alternative, François découvre lesmusiques électroniques et participe à des rave party, écouteCrystal Distortion, Spicy Box, et voue un culte à Aphex Twin,dont il essaie de reproduire les beats désaxés sur une machineà écrire. C’est la fête, quoi… Mais retour à un temps présent quin’a rien à envier aux épisodes du passé, car la fête est aussi aurendez-vous quand, à quelques rues du snake, nous débarquonschez Charlotte. La jeune femme à la jupe et aux cils bleutéschante dans Archipel (ex-Uncle Jelly Fish), autre groupe deSaintes qui a scellé un pacte d’amitié avec Fránçois & The AtlasMountains. Dans une chaleureuse ambiance d’auberge espa-gnole, on retrouve alors les deux membres du quatuor qui man-quaient à l’appel depuis notre arrivée : Amaury Ranger etGerard Black. Le premier est lui-même partie prenante dansArchipel. Le second vient d’Écosse, a mené en son temps la for-mation Findo Gask, s’active aujourd’hui en tant que leader deBabe, et a appris le français grâce à une idylle avec ladite Char-lotte. Tout ce beau monde réuni, en fin d’après-midi, nous met-tons le cap sur l’île d’Oléron, à une petite heure de route deSaintes. Depuis ce trajet à travers “les paysages neutres” de laCharente-Maritime jusqu’au pique-nique terminal en fin de soi-rée avec à l’horizon le célèbre viaduc du coin, une paisible sen-sation d’amitié affleure. Sous ses airs nonchalants, Pierre Lous-taunau serait le plus malicieux, s’isolant facilement dans latorpeur foisonnante de son imagination pour mieux y aller deses observations mordantes quand l’occasion s’y prête. Levivace Amaury Ranger parle avec la fougue d’un jeune loupcandide, les yeux grands ouverts sur tout ce qui l’entoure,l’envie d’apprendre et de découvrir en permanence à l’esprit.François Marry est le plus apaisant, les traits tranchants de son

visage et son regard bleu acier contrastant de façon magnétiqueavec le débit cool et le ton virilement douceâtre de sa voix. Aufil des conversations, la relation qui unit François et Amauryapparaît essentielle. “Il me pousse dans mes retranchements, il esttrès perfectionniste”, étaye le léger leader.

L’ÉCUME DES JOURSMais si l’association fonctionne aussi bien musicalement, elle

puise son essence dans une relation personnelle revigorantepour chacun. Il faut remonter à l’aventure anglaise de Françoispour bien comprendre. Profitant d’une opportunité d’y travail-ler en tant que prof de français assistant, il débarque à Bristol fin2003 avec, à l’esprit, les mythes qui entourent la scène trip hop.Il apprécie Tricky, notamment, mais aussi Movietone et Cres-cent. “En arrivant avec mon sampler et ma trompette, je n’ai pas euà me forcer pour rencontrer des gens. Depuis la France, j’avais déve-loppé un tel imaginaire autour de la musique en Grande-Bretagne queje véhiculais cet enthousiasme avec moi une fois là-bas”. Après avoirposté une petite annonce dessinée sur la fenêtre d’un local d’artdu coin, où François apparaît en train de jouer sur un sampleravec en face de lui un… fantôme, il rencontre par la grâce de coïn-cidences non fortuites les membres de Crescent, avec qui il semet à jouer de la trompette sur scène, et avec qui il part en tour-née. En parallèle, François s’active en solo, livrant son premierconcert à Bristol en janvier 2004. En guise d’alias, il garde son pré-nom mais y place un accent (grave ou tonique, ça dépendra del’humeur) sur le “a”, parce que les Anglais le prononcent ainsi,parce qu’il est fan de Múm, parce qu’il avait tout le temps un épisur la tête quand il était gamin, parce que Dominique A… Choi-sissez l’interprétation qui vous convient, notre musicien espiè-gle s’en contentera. Sans démordre de l’idéal DIY, paraît, en 2004,sur le label artisan de Bristol Stitch-Stitch Les Anciennes Falaises,premier album solo crédité au nom du seul Fránçois. Au-delàde son carénage lo-fi qui peut l’identifier à la concomitante scène

DOMINIQUE AL’un dans l’autre

“Je fais souvent des rêves où s’invitentdes artistes que j’aime bien. C’estarrivé avec Dominique A une fois,qui m’a prodigué de bons conseils,pas loin d’un long tunnel…” Mystique

le gars ! Au-delà de l’anecdote qu’il nous raconteen rigolant, François Marry sait que l’aura de l’auteurde La Fossette (1992) plane incontestablement surson parcours. La faute à un phrasé similaire, à desparoles en français, et à un goût commun pour le lo-fiavant de partir vivre l’aventure sonore. C’est avecle disque Remué (1999) que François découvreDominique A. “Enfin, je trouvais quelqu’un qui avaitune vraie maturité dans son discours, alliant le fondet la forme”. Celui qu’il considère alors comme laréponse hexagonale au trip hop intervient ensuitedans les pages de son fanzine La Tuile, une rencontrequi rassure le musicien débutant sur le caractèreaffable de l’artiste admiré, et qui le pousse à écouterplus intensément ses textes. Le coffre qu’il y décèle,et l’absence de complexes vis-à-vis des mots déliésinfluencent François, qui délaisse peu à peu sonphrasé introverti – plus proche d’une autre de sesmarottes d’alors, Encre – pour une diction frontale.“Mais ça me ferait de la peine qu’on dise que je faisde la copie de Dominique A, parce que même s’ilm’a beaucoup apporté, j’ai aussi l’impression dem’en être largement démarqué”. On acquiesceforcément, l’avenir ayant prouvé que François n’étaitpas destiné à exercer Le Métier De Faussaire. JFLP

"JE PARTAISÀ L'ARRACHE ETDORMAIS À LABELLE ÉTOILE.C'ÉTAIT L'ÉCOLEDE LA DÉMERDE,ÇA M’ABEAUCOUPENRICHI.CE QU'IL Y ADE MEILLEUR,C'EST CE QUETU DÉVELOPPESAVEC LESGENS QUIT'ACCOMPAGNENT".

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 31

32

folktronica, les dix titres de ce disque – parmi lesquels un hom-mage à la batteuse de The Pastels, Katrina – dévoilent les traitsd’une identité musicale singulière : jonglerie entre orchestrationorganique et ajouts électroniques, goût pour les instrumentsmultipliés qui omettent de s’annuler, sensibilité pop qui fait fla-sher les mélodies, thème aquatique qui finira par devenir obses-sionnel (la future antienne érotique Be Water (Je Suis De L’Eau) enguise de sommet), naïveté de façade pour dissimuler la franchiseintérieure la plus dérangeante, et une bouleversante poésie desparoles qui use du français et de l’anglais pour sublimer la fantai-sie dans un délicieux et permanent jeu de mots et de conso-nances. Il est vrai que personne n’est jamais ressorti indemne dela lecture de L’Écume Des Jours (1947) de Boris Vian, l’un des livresréférents de François – où l’eau joue d’ailleurs un rôle important,elle qui cause la perte du personnage Chloé – avec les ouvragesde Franz Kafka et Albert Camus. Tous ces auteurs, François lesdessine, en 2008, dans le clip de Hold On Twice, où l’on retrouveaussi les visages de Cesare Pavese, Olivier Adam et MargueriteYourcenar. Entre-temps, il sort son second LP, The People To Forget(2006), toujours sur le label Stitch-Stitch qu’il contribue à géreravec le fondateur Aaron. Fránçois devient alors Fránçois & TheAtlas Mountains. Un orchestre pas si imaginaire dont le nom res-pire l’air des quartiers lointains pris au Maroc par le copaind’enfance Victor, auquel il rend fréquemment visite. Celui-cientreprend d’ailleurs son propre projet musical, Ladybird, sansl’aboutir totalement. “Victor a un peu mené la vie que j’aurais menéesi je ne m’étais pas autant investi dans la musique”, confie Françoisau sujet de son compagnon qui paraît lui tenir la main en perma-nence. Les deux inséparables partent en tournée aux États-Unisen 2005 avec un clavier Casio, une guitare acoustique, et deux

shakers. Un épisode marquant au cours duquel ils font la ren-contre d’Adrian Orange, pensionnaire du label K Records quidevient un ami, et référence essentielle pour la nouvelle scènebordelaise. Si Ladybird apporte sa contribution à la troupe desAtlas Mountains, certains membres de Crescent et Movietonefont de même. “Celui qui pouvait se payer le billet d’avion partaitavec nous, ça marchait ainsi”. Alors que sa carrière musicale frétille,François continue de multiplier les rencontres grâce à son bou-lot de caissier dans la salle de ciné-concert The Cube. Il joue enpremière partie des groupes invités et les héberge de temps entemps, à l’instar de cette soirée où il rencontre Noah Lennox, aliasPanda Bear. S’il n’est pas présent quand l’un de ses artistes favo-ris est programmé au Cube, il laisse un mot et un CD-R à sonadresse, comme il le fait avec Françoiz Breut, qui le contactequelques jours plus tard pour le remercier. Mais aussi florissantesoit-elle, la vie d’artiste de François à Bristol reste précaire. Mêmelorsqu’il se fait recruter par Camera Obscura pour parcourir lemonde en tant que trompettiste. “C’était cool, mais c’était seulementl’affaire de deux mois”, se rappelle-t-il. “J’ai vécu une période très dif-ficile en 2007 et 2008, où tout était instable. Je commençais à vieillir etj’avais été trop loin dans la musique pour pouvoir envisager une carrièreplus traditionnelle à côté. Je souhaitais développer mon projet solo, maisje n’avais pas un sou pour le faire”.

ICAREAlors qu’il travaille sur son nouvel album Brother, François

jette l’éponge, le disque originel aboutissant peu ou prou au EPdu même nom paru en 2008 sur le label Lejos Discos, et sur lapochette duquel figure une photo d’enfance où il apparaît encompagnie de son frère. Vent debout dans la tempête, FrançoisMarry décide de rentrer en France, à Saintes, chez sa maman,pour reprendre ses esprits et ne plus toucher d’instruments pen-dant quatre mois. “Les tournées avec Adrian Orange, c’était sympa,mais traverser l’Europe pour jouer un concert où t’es payé 50€, c’est unpeu dur quoi. Alors je suis revenu à la maison. C’était aussi une périodetrès difficile pour un compagnon qui m’était cher, il fallait que je prennele temps d’être avec lui. Avec le recul, j’ai bien fait d’agir ainsi”. Car enplus de soutenir son camarade, le musicien s’immerge dans unescène locale en pleine ébullition. Les jeunots d’Uncle Jelly Fishsont là pour l’accueillir, et la rencontre va se révéler passion-nante pour tout le monde. “Grâce à eux et à leur musique belle etexcentrique, je retrouvais cette émulation qu’il y avait à Bristol les pre-mières années où je me suis installé”. Par le biais de l’activiste localAmaury Ranger – qui compose, produit, arrange, chante, joue etorganise des concerts –, François découvre le monde desmusiques traditionnelles et rencontre le groupe polyphoniqueBostgehio. Il côtoie aussi de plus belle le collectif Iceberg à Bor-deaux. Surtout, une relation musicale formidablement complé-mentaire se noue avec Amaury. Le prodige arpenteur de passe-relles sonores redonne le goût du bel ouvrage au compositeur unpeu usé par des années d’agitation souterraine, et les deux der-niers albums en date de Fránçois & The Atlas Mountains sont lefruit de cette alliance. Si Plaine Inondable (2009), avec son pianotire-larmes qui soupire des regrets (rien à voir avec le pianock-tail de Boris Vian), laisse une “impression humide” et porte encreux les stigmates des maux passés tout en célébrant l’amitiécomme bouée de sauvetage, E Volo Love (2011) serait son pen-

ADRIAN ORANGEFruit de la passion

Si sa réputation n’a pas dépasséle giron des inconditionnels, à l’instard’un Jeff Mangum (Neutral MilkHotel), Adrian Orange bénéficied’une cote d’amour intense chez

les amateurs de folk orchestré avec folie. Basé àPortland, Oregon, ce parangon DIY a œuvré de 2001à 2006 sur son label artisan Marriage Records, sousl’alias Thanksgiving, avant de rejoindre K Records letemps de l’album éponyme Adrian Orange & HerBand (2007). Porteur d’une musique enfiévrée etdiseur de textes à tripes – pas si éloignés de NeutralMilk Hotel, Phil Elverum (les deux ont d’ailleurscollaboré ensemble), ou d’un Beirut ravagé –,le prodige Adrian Orange marque François Marrylors d’un concert en 2005, alors qu’il joue à Portland.“C’est l’une des rares fois dans ma vie où j’ai vu unmusicien sur scène que l’on sentait vraiment investid’une mission. Je l’ai vu retourner une salle oùl’atmosphère était inerte, du genre : « Mais qu’est-ceque vous voulez ? Moi je fais de la musique, je suisvenu de loin, j’ai vraiment quelque chose à vous dire». Ça m’a inspiré, je me suis dit, oui on peut êtrehonnête dans la musique, c’est dans ce sens qu’ilfaut aller”. Après avoir sympathisé avec lui, Adrianvient jouer à Bristol sur invitation de François, puis unetournée européenne unit les deux musiciens. “Ça aété un réel plaisir. C’était une période difficile dans savie, avec pas mal de changements, il y a donc eudes moments compliqués, mais c’était intéressantde gérer ça avec lui. Depuis, je crois qu’il est passépar une sale période, je n’ai plus trop de nouvelles”.Pas grand monde n’en a, d’ailleurs, Adrian Orangen’ayant plus rien sorti de tangible depuis 2007. JFLP

"ERIK TRUFFAZEST PASSÉ DANSLES PAGES DEMON FANZINE.JE ME SOUVIENSLUI AVOIRPARLÉ DE MONGOÛT POURLA TROMPETTE,DU FAIT QUEJE VOULAISRESSEMBLER ÀBORIS VIAN. ILM’A ENCOURAGÉET JE M’YSUIS MIS".

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 32

33

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 33

34

dant revitalisé, “sec et ensoleillé”, avec une pochette qui figure un“Icare tombé du ciel, tout éberlué”. L’œuvre est griffée par le jeu deguitare voltigeur de François, hérité d’une répulsion pour lemédiator qui façonne ses doigts, des souvenirs du Maroc où ildécouvre la façon de jouer sensuelle et vivifiante des guitaristeslocaux, et de son attirance pour les bluesmen du désert GroupDoueh ou Tinariwen (dont François a recruté le producteur Jean-Paul Romann pour mixer les morceaux les plus dépouillés dudisque, comme les ballades de dunes Azrou et Do You Want ToDance?). Pour signaler le changement d’humeur, E Volo Lovedébute volontairement par Les Plus Beaux. L’un des titres le plusouvertement euphorique écrit par François, porté par une dis-crète torsade d’accords électriques et un bal de percussions afri-caines qui annoncent le festival de dum dum à venir. “Lesmoments passés en groupe avec Amaury, Pierre, Victor, et plus récem-ment Gerard, m’ont beaucoup apporté ces dernières années”, détailleFrançois pour justifier la joie pure que transmet son nouveaudisque. Des excursions dans le monde des danses traditionnellesavec Amaury lui embellissent l’âme de la même façon. “J’ai aussiune attitude plus sereine aujourd’hui. C’est bête, mais j’ai subi une opé-ration bénigne pour une hernie et j’ai été placé sous anesthésie générale.J’ai mis deux semaines pour pouvoir remarcher, et le fait de passer parl’hôpital, qui venait s’ajouter à la fatigue des tournées et à l’idée de voirmes parents vieillir, m’a donné une conscience de la mortalité que jen’avais jamais ressentie. Je me suis simplement dit qu’il y avait debelles choses à vivre, et que j’avais envie de les vivre. Et si par la mêmeoccasion, je peux aider les gens à traverser un peu mieux leur exis-tence…” Cette conviction nouvelle dans un rôle social est impor-tante pour François. Elle lui manquait depuis ses annéesd’enseignement à Bristol et lui permet d’alléger sa consciencevis-à-vis de sa maman et du tribunal sociétal.

DOMINOLabel échappée

Prise à la volée, la signature deFráncois & The Atlas Mountains surle label au rayonnement internationalDomino – premier artiste françaisde son histoire – est une (heureuse)anomalie. En fouinant, cette issue

deviendrait presque prévisible. “Mon grand ami, et finconnaisseur Stephen Pastel m’avait encouragé àécouter leur musique, mais pour une fois, j’étais déjàau jus !”, nous confie ainsi Laurence Bell, fondateurde Domino. Car si, lors de son escale à Glasgow,François Marry fréquente le gratin local, travaille avecses amis de Camera Obscura et rencontre StephenMcRobbie, le leader des Pastels, il s’entend aussi avecl’équipe du label écossais Fence, sur lequel est signéesa dulcinée Rozi Plain, et qui éditera Plaine Inondable(2009) en Grande-Bretagne. Les passerelles entreFence et Domino étant multiples (cf. King Creosote,James Yorkston, Lone Pigeon), il n’en fallait pas pluspour que les ritournelles de François parviennent auxoreilles de Laurence Bell, qui est séduit d’emblée : “Onm’a donné une copie de Plaine Inondable fin 2009, etcet album est devenu notre disque de chevet à lamaison pendant les vacances de Noël. Rythmiquesintimes et emballantes, mélodies qui tiennent chaud…J’ai découvert une œuvre avec une personnalité, quidevient votre ami. L’écoute à domicile est un excellentrévélateur, la plus enrichissante et humaine desdirections artistiques”. Des prestations live vues par leboss et l’ouverture concomitante du bureau deDomino France à Paris finissent le boulot. “L’audiencefrançaise nous a toujours paru très sophistiquée, etnous sommes fiers de présenter à notre pays favorile retour de l’un de ses fleurons”, confie Laurence, qui“croise les doigts pour que le monde entier aime lamusique que nous aimons”.JFLP

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 34

35

TOUR DE FRANCEL’histoire que nous raconte E Volo Love est donc celle d’une

légère renaissance doublée d’une plénitude effleurée. Mais ceprésent reconquis n’empêche pas les ponts avec le passé. Pis-cine, par exemple, résulte d’un large remodelage du titre AllonsÀ La Piscine, présent sur le maxi vinyle Her River Raves Recollec-tions (2009). Après des expérimentations scéniques qui virent àla transe, le titre lo-fi originel se voit ainsi gratifier d’un finalébouriffant, mêlant tatapoum africain, électronique d’hypnose,et chœur filant. La mise en son s’est également éclaircie, àl’image de la conscience de François. “J’adore la lo-fi, mais je devaism’en détacher parce que je n’avais plus le discours musical qui collaitavec. Je souhaitais obtenir quelque chose de plus contemplatif, de plusonirique, avec des cordes, le piano, les chœurs. Le côté crade et directde la lo-fi ne me permettait pas d’y arriver. Il fallait évoluer”. Pourcela, un minutieux travail d’enregistrements redoublés – déjàétrenné sur Plaine Inondable – est réalisé pendant moins de deuxsemaines à la chapelle Chavagne de Saintes, endroit réaménagéen lieu de répétition par la gentille mairie. Ce sont François,Amaury, le batteur Robert Hunter, et le pote technicien NicoMarcel qui s’y collent au printemps 2010. Ce travail de sape estensuite complété par des ajouts multiples réalisés pendant lereste de l’année par François, Amaury, Gerard et Julien Tirbois,avant les mixes finaux de Nico Marcel, Simon Caubet, Jean-PaulRomann (Tinariwen) et Antoine Gaillet (M83, The Berg SansNipple, Cyann & Ben). “On travaille beaucoup à base de ‘re-re’”,appuie Amaury. “J’aime avoir le plus de matière possible pour figerl’ossature d’un morceau et pour polir le son. François fonctionne aussicomme ça, en reprenant parfois des anciennes démos pour les retra-vailler”. Les va-et-vient temporels sont donc multiples sur E VoloLove, renforçant la richesse d’un extraordinaire disque

mosaïque, prisme étincelant de vies musicales et personnellesouvertes à tous les vents. La rengaine tubesque City Kiss, quiexpédie Gamine sur le label Thrill Jockey, est ainsi un très vieuxtitre dont on retrouve des échos sur Tour De France, une chan-son datant de 2007. La lave instrumentale fumante qui couledans les allées de Buried Treasures évoque les réminiscences desmoments passés à jouer avec Adrian Orange. Edge Of Townreprend des paroles d’un titre composé par le musicien Luc, unautre ami d’enfance saintais parti faire sa vie en Nouvelle-Zélande. Slow Love est aussi un titre de Prince (ndlr. sur l’albumSign “O” The Times, 1987), modèle de mise en son pour Fran-çois. Cherchant Des Ponts figure l’issue heureuse du rendez-vousmanqué à Bristol entre l’Anglais d’adoption et Françoiz Breut,la chanteuse étant invitée à entonner sur ce titre “parce qu’il yavait trop de couplets à réciter”, plaisante François. “J’aime bienque les morceaux suivent un cheminement, puis un autre, et finissentpar prendre une forme qui fait sens. Pour E Volo Love, on a enregis-tré seize morceaux, mais nous n’en avons gardé que onze. Les titreslaissés sur le carreau n’étaient pas assez matures. On les retrouverapeut-être sur les prochains disques, en faces B de singles, ou ils dispa-raîtront”. Seize morceaux pour assembler un disque palin-drome, c’était le concept de base. Le titre, E Volo Love, en est unbeau, de palindrome, qui mêle italien et anglais pour signifieren substance “le vol d’amour”. Parmi les compositions délais-sées figure Strong Pair Of Solid Arms, une chanson à laquelletenait beaucoup François, qu’il a déjà jouée sur scène et quidevait servir de morceau pivot à l’album originel. Avant de pas-ser étonnamment à la trappe. “Au moment où il a fallu finaliser letracklisting, j’avais perdu le fil. Ça faisait tellement de mois que jevivais avec ces chansons, je n’arrivais plus à retrouver l’énergie dudébut. Et cette idée de disque palindrome était un casse-tête. Robert

"JE SOUHAITAISOBTENIRQUELQUE CHOSEDE PLUSONIRIQUE.LE CÔTÉ CRADEET DIRECT DELA LO-FI NEME PERMETTAITPAS D'YARRIVER.IL FALLAITÉVOLUER".

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 35

36

Hunter, que j’aimerais intégrer au groupe par la suite, m’a beaucoupaidé sur ce plan-là”. Strong Pair Of Solid Arms n’étant plusd’actualité, on se demande quelle autre composition peut bienreceler la déchirante dose d’intimité qu’aime instiller Françoisdans ses œuvres, parce que “ce qui donne de l’énergie et de la valeurà une chanson provient de cette matière précieuse que l’on a touchéede près, ces moments bons et sincères qui ressemblent à des poèmes etqu’il ne reste plus qu’à mettre en musique”.

CRYPTEComme pouvait l’être Moitiée sur Plaine Inondable, il ne faut

pas plus d’une écoute pour élire Bail Éternel au rang de pièce maî-tresse d’E Volo Love. “Oui, complètement, ces deux morceaux viennentdu même endroit”, confirme François sans aller plus loin. “En souf-flant tout flambe/J’avale des cendres/Nous sommes attisés/Quand bienmême/Je t’aurai retrouvée/Les airs opaques/Qui saisissent nos pas-sés/Nous reprennent”… Parce que sa narration trouve ses racinesdans les plus frappants instants de l’existence, de ceux qui for-gent la mémoire morte des sentiments, Bail Éternel bouleverse.La rengaine s’appuie sur un carillon électronique redondant, unrythme uniforme qui bat comme un cœur mis en balance, et lesvocalises finales du groupe polyphonique basque Bostgehio.Utilisées de façon enjouée sur Plaine Inondable, les femmes sem-blent cette fois prononcer un sacrement, façon Einstein On TheBeach (1978) de Philip Glass (ter). Elles récitent en fait un autrepalindrome rendu célèbre par le film de Guy Debord, In GirumImus Nocte Et Consumimur Igni (1978). Littéralement : “Nous tour-nons sur nous-mêmes dans l’obscurité et nous nous consumonsdans le feu”. À l’orée de la liturgie ambiante, on ne s’étonne pasd’apprendre au cours de notre excursion charentaise, alors quenous nous promenons avec François dans la crypte romane dela basilique Saint-Eutrope, à deux pas de la chapelle Chavagne,que ces chants terminaux devaient initialement être enregis-trés sous la voûte du lieu bâti à la fin du XIe siècle. Malgré l’échecde l’initiative, le résultat est extravagant de beauté. Une semaineaprès notre rencontre en Saintonge avec Fránçois & The AtlasMountains, on retrouve la bande dans un autre genre de pro-fondeurs. À Paris, lors du concert de Petit Fantôme dans la cavedu Pop In. Une prestation heureuse pendant laquelle Françoisassure son rôle dans l’ombre, au service du répertoire de Pierre.Une abnégation amicale qui en dit long sur les relations quiunissent nos guides d’un jour. “Ça me permet de me reposer, c’estcool”, nous confie François après ce concert. Il nous dit égale-ment qu’il est impatient de se rendre à Rennes le lendemain,parce qu’on lui a affirmé que c’est la ville française dont l’étatd’esprit ressemble le plus à celui de Bristol. L’épilogue veut quesur le trajet qui les mènera en Ille-et-Vilaine, un des quatre pneusdu van explosera en pleine vitesse, à 130km/h, manquantd’expédier le véhicule et ses passagers dans le bas-côté. Unefrayeur qui aura sûrement renforcé chez François l’idée qu’il ya de belles choses à vivre, et qu’il faut tout faire pour les vivre. Leplus noble dans toute cette histoire étant que lui et sa musiqueparviennent à nous le faire comprendre, à nous aussi.---------------------------------------------

"AU MOMENTOÙ IL A FALLUFINALISER LETRACKLISTING,J'AVAIS PERDULE FIL. ÇAFAISAITTELLEMENTDE MOIS QUEJE VIVAIS AVECCES CHANSONS,JE N'ARRIVAISPLUS ÀRETROUVERL'ÉNERGIEDU DÉBUT".

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 36

37

FRANCOIS.qxd:grille 18/05/16 15:26 Page 37