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Repenser les méthodes de gestion : proposition de points d’ancrage conceptuels : l’exemple du contrôle de gestion 1 Revue internationale sur le travail et la société, février Evelyne Rouby, Guy Solle Groupe de recherche en droit, économie et gestion Université de Nice-Sophia-Antipolis CNRS Année : 2006 Volume : 4 Numéro : 1 Pages : 18-44 ISSN : 1705-6616 Sujets : Méthodes, contrôle, gestion, ancrages conceptuels La question de l’évolution des méthodes de gestion apparaît comme récurrente dans la recherche en gestion et ce dans différents domaines tels la gestion des ressources humaines, le contrôle de gestion, le marketing… lesquels offrent différents instruments, dispositifs, au service du pilotage d’un espace organisé, espace dans lequel s’exercent des relations de travail. Cette question peut être abordée dans une perspective qui renverrait aux évolutions des environnements économique, sociologique, technologique… (approche de type macro), ou dans une perspective plus normative qui donnerait la priorité à une dimension instrumentale des outils de gestion et donc à leur technicité (approche de type micro). En toile de fond de cette question, rappelons que toute instrumentation de gestion a cherché à répondre à une problématique c'est-à-dire à une question posée dans un espace organisé donné et dans un temps donné. Ainsi, l’instrumentation est-elle contextualisée et théorisée. Théorisée car elle correspond à une certaine vision de l’organisation et de fait dépositaire d’hypothèses sur la nature de cette organisation et de son fonctionnement. 1 Note au lecteur : Ce papier constitue un propos d’étape au regard de travaux en cours. Il nécessite encore des enrichissements et un effort empirique. 18

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Repenser les méthodes de gestion : proposition de points d’ancrage conceptuels : l’exemple du contrôle de gestion1

Revue internationale sur le travail et la société, février Evelyne Rouby, Guy Solle Groupe de recherche en droit, économie et gestion Université de Nice-Sophia-Antipolis CNRS

Année : 2006

Volume : 4

Numéro : 1

Pages : 18-44

ISSN : 1705-6616

Sujets : Méthodes, contrôle, gestion, ancrages conceptuels

La question de l’évolution des méthodes de gestion apparaît comme récurrente dans la recherche

en gestion et ce dans différents domaines tels la gestion des ressources humaines, le contrôle de

gestion, le marketing… lesquels offrent différents instruments, dispositifs, au service du pilotage

d’un espace organisé, espace dans lequel s’exercent des relations de travail. Cette question peut

être abordée dans une perspective qui renverrait aux évolutions des environnements économique,

sociologique, technologique… (approche de type macro), ou dans une perspective plus

normative qui donnerait la priorité à une dimension instrumentale des outils de gestion et donc à

leur technicité (approche de type micro).

En toile de fond de cette question, rappelons que toute instrumentation de gestion a cherché à

répondre à une problématique c'est-à-dire à une question posée dans un espace organisé donné et

dans un temps donné. Ainsi, l’instrumentation est-elle contextualisée et théorisée. Théorisée car

elle correspond à une certaine vision de l’organisation et de fait dépositaire d’hypothèses sur la

nature de cette organisation et de son fonctionnement. 1 Note au lecteur : Ce papier constitue un propos d’étape au regard de travaux en cours. Il nécessite encore des enrichissements et un effort empirique.

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Si l’instrumentation est consubstantielle d’une problématique dans un espace organisationnel à

un moment donné de temps, elle l’est aussi de la représentation que l’on a de cette organisation

et de son fonctionnement; le tout fondant des hypothèses qui définissent l’usage des outils et

valident leur mise en œuvre.

Considérant le caractère contextuel de toute instrumentation et son adossement à certaines

modélisations, notre travail se situe donc à un meso niveau d’analyse. Pour nous, il ne s’agit, ni

de faire l’économie d’une réflexion sur l’analyse des mutations de l’environnement (macro

niveau) qui ont conduit à la question de l’évolution de l’instrumentation, ni d’abandonner la

question de la technicité des outils (micro niveau). Il s’agit plutôt d’adopter une posture

intermédiaire en dressant le décor de l’évolution au regard d’un nouveau paradigme de

l’organisation.

Cela nous conduit à étudier dans quelle mesure, différents modèles de l’organisation

questionnent le pourquoi, les enjeux, l’usage, la légitimité des méthodes et le sens donné, en

bousculant les représentations usuelles du statut de l’acteur au travail, paramètres parmi d’autres.

Dans une première partie, nous constaterons l’émergence d’une nouvelle approche de la stratégie

et de la performance organisationnelle. Cela nous conduira à mettre en perspective les approches

dites classiques et renouvelées.

Dans une deuxième partie nous analyserons dans quelle mesure ces versions révisées de la

stratégie et de la performance bousculent la perception usuelle d’une méthode de gestion en

particulier : le contrôle de gestion. Cela nous conduira à interroger la notion de risque

organisationnel en questionnant le statut des acteurs au travail à travers la reconnaissance d’une

autonomie cognitive et d’une rationalité interactive située.

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1. La stratégie et la performance organisationnelle : de l’héritage à l’évolution paradigmatique

L’évolution des environnements sociologiques, économiques et technologiques a provoqué un

profond bouleversement dans le domaine du Management Stratégique et conduit, dans le même

temps, à revisiter les paradigmes de l’organisation et de la performance.

1.1 Le management stratégique classique versus le management stratégique renouvelé : un changement de perspective

Avec pour objectif la réponse aux attentes des parties prenantes, l’obtention d’un avantage

concurrentiel et la création de valeur pour les clients, la stratégie consiste en une allocation de

ressources qui engage l’organisation sur le long terme en configurant son périmètre d’activités

(Johnson et al. 2002). Cette définition, comme l’ensemble de celles présentes dans la littérature

en management stratégique, met l’accent sur plusieurs éléments caractéristiques de la stratégie

tels que par exemple la distinction entre ce qui relève des niveaux stratégique ou opérationnel, la

complexité intrinsèque des décisions stratégiques (…). Plus en amont, pourtant, même si les

définitions s’adossent à une conception relativement voisine du management stratégique et de ses

prérogatives – le management stratégique s’inscrit dans un travail de diagnostic, d’élaboration de

choix stratégiques et de déploiement de ces choix-, le paradigme de la stratégie et la philosophie

de la démarche stratégique varient considérablement selon que les managers privilégient une

perspective externe (approche classique) ou interne (approche renouvelée).

1.1.1 La perspective externe ou approche classique

La perspective prioritairement externe a longtemps dominé l’analyse stratégique et s’est

matérialisée dans l’outil planification. Dans sa conception classique, différentes phases

séquentielles ponctuent la démarche stratégique : l’élaboration d’un diagnostic stratégique

(externe et interne); la détermination des facteurs clés de succès; la formulation d’une stratégie

cohérente avec l’étape du diagnostic; la mise en œuvre de la stratégie par une décomposition des

objectifs généraux en sous objectifs, leur déclinaison en plans opérationnels et la détermination

de politiques d’allocation de ressources nécessaires à leur réalisation (pratiques budgétaires); le

contrôle de la stratégie et de sa mise en œuvre (analyse budgétaire, dispositifs de reporting); la

mise en oeuvre d’actions correctives. En toile de fonds de cette méthodologie, le modèle

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traditionnel de l’analyse de la performance (Barney, 1991) suggère que les organisations

augmentent leur profit lorsque leurs stratégies savent exploiter les opportunités de

l’environnement et neutraliser ses menaces. Adossées à cette première hypothèse selon laquelle

les forces du champ concurrentiel déterminent l’intensité de la concurrence, soit encore la

profitabilité du secteur, et ont une influence directe sur les stratégies des entreprises (Collins,

1991). Deux autres hypothèses sont considérées comme pivot de l’approche classique : d’une

part, l’hypothèse d’homogénéité des firmes (cette homologie est relative à l’éventail de leurs

choix stratégiques compte tenu de la structure du secteur auquel elles appartiennent (Porter,

1986; Rumelt, 1984); d’autre part, l’hypothèse de la forte mobilité des ressources (les ressources

utilisées dans la mise en œuvre de la stratégie sont de courte durée car très mobiles, puisqu’il

existe toujours un marché sur lequel l’approvisionnement est possible sous contraintes de

ressources financières suffisantes).

Adossée à ces deux hypothèses fondatrices, l’approche classique se revendique d’une

philosophie externe de la stratégie, encourageant plutôt des stratégies d’adéquation à un

environnement pertinent (lointain ou proche), perçu comme réel et modélisable à l’aide des outils

de diagnostic externe, principalement le modèle PEST, la courbe de cycle de vie, la matrice

BGCI II, les cinq forces de M. Porter, les groupes stratégiques. Dans le même temps, c’est une

conception exclusivement patrimoniale de l’organisation qui est véhiculée. L’entreprise,

d’emblée segmentée en domaines d’activités stratégiques (DAS) à l’aide de l’outil

« segmentation stratégique », est vue sous l’angle d’une panoplie de couples

« produits/marchés » et comprise, au niveau de chaque DAS, comme un espace d’allocation de

ressources essentiellement financières, espace mis sous contrôle par les pratiques budgétaires.

Elle s’analyse en définitive comme un patrimoine de ressources financières, humaines,

matérielles, et immatérielles, qui ont la particularité d’être mobiles et agrégées les unes aux

autres pour être mises au service des stratégies déployées dans chacun des DAS.

1.1.2. La perspective interne ou approche renouvelée

La perspective interne ou approche renouvelée, s’est développée de façon accélérée (Wernerfelt,

1984, 1989) à partir du constat d’un certain nombre d’insuffisances de la démarche stratégique

classique, notamment la difficulté rencontrée par certaines entreprises dans la mise en pratique

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des outils méthodologiques censés organiser la réflexion stratégique. Le management

stratégique, en proie à un profond changement, a alors vu se développer un nouveau paradigme

de la stratégie, adossé à une série d’hypothèses qui rompent avec la tradition « classique ». En

premier lieu, et pour expliquer les écarts importants de performances enregistrées par des firmes

présentes au sein d’un même secteur d’activité2, les partisans de l’approche renouvelée notent

que des divergences notables existent en matière de dotation de ressources et/ou d’usage de ces

ressources par les entreprises, reconnaissant la nature endogène de ces écarts et leur stabilité dans

le temps. Contrairement à ce que postulent les auteurs classiques pour qui, la performance est

supposée dépendre à la fois des environnements de l’entreprise et de son patrimoine de

ressources en regard des exigences de cet environnement, voire pour les plus traditionnels

d’entre eux, être directement liée aux composantes de cet environnement, la performance de

l’entreprise se définit sous un angle particulier : elle résulte d’une part d’un système de

ressources idiosynchrasiques et inimitables et d’autre part, de la capacité de l’entreprise à

développer, accéder et combiner ces ressources afin de construire et d’exploiter des compétences

(Wernerfelt, 1984; Barney, 1991; Grant 1991; Hamel et Prahalad, 1995; Sanchez et al., 1996).

Les principes d’hétérogénéité des entreprises (les ressources ont un caractère idiosyncrasique) et

de faible mobilité des ressources constituent alors et en deuxième lieu la pierre angulaire de

l’approche renouvelée. Parmi les ressources de l’entreprise, une attention toute particulière doit

être portée à celles qui ne sont pas de type « actifs », matériels ou immatériels, mais de type

« compétences » (Hall, 1992). Les compétences organisationnelles sont décrites comme des

ressources organisationnelles qui consistent dans une coordination de ressources à un niveau plus

élémentaire (notamment une combinaison de compétences individuelles) (Grant, 1991), cette

combinaison étant le résultat cumulé d’une série d’investissements réalisés sur une période

donnée. Ici, les compétences sont fondamentalement collectives et sont liées à l’expérience

accumulée dans le temps par, et au niveau d’un collectif, et confèrent un différentiel fonctionnel

à l’entreprise qui en est dépositaire. Cette première définition, issue du courant Resource-Based

View, s’enrichit de plusieurs autres3. Celles portées par les auteurs de la théorie des compétences

2 Soit par des firmes détentrices de positions concurrentielles relativement voisines, soit par des firmes, leaders incontestés, au bénéfice d’entreprises plus petites, moins bien placées, avec moins de ressources financières notamment. 3 Les compétences organisationnelles sont « a Bundle of constituent Skills and Technologies » (Hamel G., Prahalad C.K., 1995), « a coordination of diverse production skills and integration of multiple streams of technologies » (Rumelt R.P., 1994).

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fondamentales privilégient une représentation de la compétence en tant qu’ensemble combiné de

savoirs divers et de technologies qui permettent à l’entreprise de proposer un avantage particulier

à la clientèle. Parmi elles, nombreuses sont celles qui mettent l’accent sur la dimension relative à

l’intentionnalité managériale, considérant la compétence comme « an ability to sustain the

coordinated deployment of assets in a way to help a firm achieve its goals » (Sanchez et al.,

1996, p. 8). Dans cette optique, la création de valeur ne peut être le fruit du hasard, elle émerge

d’une combinaison intelligente de ressources et de compétences de niveaux plus élémentaires

pour répondre à une finalité (le dessein stratégique à diffuser, faire partager mais aussi évoluer).

Les compétences organisationnelles sont alors intimement liées aux processus de management et

aux éléments organisationnels construits autour de la connaissance et des savoir-faire

individuels. D’un côté, il y a des ingrédients (un patrimoine), de l’autre, leur mise en action

combinée portée par des individus, des outils et des processus organisationnels, pour atteindre un

objectif voulu. Dans la théorie des capacités dynamiques, les compétences renvoient plutôt aux

savoirs fondamentaux dont dispose l’entreprise, notamment dans le domaine technologique.

Elles se distinguent ainsi des capacités qui ont trait aux savoir-faire de l’entreprise qui

conditionnent la qualité de la mise en œuvre des compétences centrales (Collis, 1996; Stalk et

al., 1992), permettent de comprendre le passage de la compétence centrale au produit ou service

final et ont trait à des modèles reproductibles d’utilisation d’actifs pour créer, produire et/ou

commercialiser des produits (Sanchez et al., 1996). Parmi les capacités, qui constituent l’axe

managérial des compétences clés, certaines sont qualifiées de dynamiques dans le sens où elles

garantissent le développement des compétences et/ou leur déploiement sur de nouveaux

créneaux. Cela rejoint l’idée selon laquelle l’entreprise doit combiner sa capacité à œuvrer dans

certains domaines et le fait d’exceller dans les processus d’apprentissage inhérents à ces

domaines. D.J. Teece et al. (1997) notent l’importance des capacités relatives de la firme à

utiliser ses ressources actuelles pour créer de nouvelles ressources et pour concevoir de nouvelles

manières d’utiliser les ressources en les combinant avec d’autres, nouvellement intégrées. Les

définitions proposées4 ont ceci de commun que les capacités dynamiques reposent sur la

construction de processus organisationnels, par exemple de type développement de nouveaux 4 Dynamic capabilities are: « organizational processes by which firms synthesize and acquire knowlege resources and generate new application from those resource » (Kogut et Zander, 1992); « they provide from the firm’s processes that use resources – specifically the processes to integrate, reconfigure, gain and release resources- to match and even to create market change. They are the organizational and strategic routines by which firms achieve new resource configurations » (Einsenhardt et Martin, 2000, p. 1107).

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produits (dans une perspective voisine du Chain-linked Model of Innovation proposé par Kline et

Rosenberg, 1986), de processus de décision stratégique (construction d’une décision collective

pour définir et faire évoluer le dessein stratégique), de processus d’acquisition de nouvelles

ressources (nouage de partenariats), de processus de knowledge management (capitalisation de

connaissances pour accumuler et/ou combiner des savoirs).

Cette vision de l’entreprise en tant que portefeuille de compétences organisationnelles, de chaîne

de compétences à articuler pour réaliser les objectifs de la stratégie (Guilhon et

Gianfaldoni, 1990), s’accompagne d’une profonde évolution du paradigme de la stratégie. Plutôt

conçue comme un moyen de valoriser des ressources et compétences internes accumulées par

l’entreprise que comme un moyen de s’adapter à un environnement pertinent (segments porteurs,

clients à suivre, contraintes des fournisseurs …), les stratégies sont plutôt de type proactives

qu’adaptatives. L’entreprise, cherche à participer à la construction ou à la reconstruction de la

logique du secteur sur lequel elle intervient; elle privilégie l’« homéorhésie » au détriment de

« l’homéostasie » au sens où l’entendent E. Métais et C. Roux-Dufort (1997). Dans un cas, il

s’agit d’établir des positions nouvelles et défendables grâce à l’utilisation de ressources inédites

ou à la combinaison originale de ressources existantes. Dans l’autre cas, il s’agit de recourir à

« des mécanismes d’imitation ou de substitution qui ne font que reproduire les stratégies des

plus forts » (Métais, 2000, p. 245). Les managers identifient, au préalable, la situation pour en

comprendre la logique. En conséquence, ils réfléchissent à la politique d’allocation des

ressources nécessaires à la mise en acte de la stratégie à adopter compte tenu du diagnostic

stratégique réalisé. Les différentes politiques d’allocation des ressources sont perçues comme des

mécanismes de régulation qui permettent de garantir l’adéquation de l’organisation aux

évolutions diagnostiquées des contraintes de son environnement immédiat. Quand les

compétences organisationnelles deviennent les fondements de la stratégie (Barney, 1991), les

stratégies visent, en priorité, un recentrage sur les métiers de base et en amont, sur les savoir-

faire spécifiques des entreprises. La méthodologie de l’analyse stratégique évolue pour

s’articuler autour de quatre étapes essentielles que sont l’identification, l’exploitation, la

protection et le développement des compétences organisationnelles clés (Hamel et Prahalad,

1995).

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1.2. La performance organisationnelle : quelle(s) lecture(s)?

Polysémique, le terme performance véhicule une variété de définitions (Bourguignon, 1997). La

performance peut tout à la fois être comprise comme une évaluation ex post des résultats obtenus

(Bouquin, 1998) ou comme une évaluation en temps réel des processus d'action (Bourguignon,

1995). Le qualificatif performant peut ainsi être orienté vers le prospectif et apporter des

jugements de valeur ou encore être entendu comme l'action elle-même (Baird, 1986). Dans tous

les cas, la compréhension de la performance repose sur l'identification d'un modèle de causalité

qui indique comment on peut agir, de manière continue et avec renouvellement, sur les

paramètres déterminants des résultats (Lebas, 1995). La performance ne prend sens que dans son

contexte spécifique et permet des interprétations d'autant plus variables qu'elle n'est pas toujours

explicitement définie (Bourguignon, 2001). Globalement, nous considérons, en accord avec

Bourguignon (2003), que la performance correspond à la réalisation d’objectifs organisationnels

et qu’elle se réfère non seulement aux résultats attendus mais aussi à la mise en œuvre des

moyens requis pour l’atteinte de ces résultats, mise en œuvre comprise dans toutes les

dimensions (économiques, sociales, commerciales…) propres au fonctionnement de

l’organisation.

Comme nous venons de le voir, deux approches paradigmatiques de la stratégie s’opposent.

Articulées autour d’une série d’hypothèses exclusives les unes des autres, elles véhiculent deux

philosophies en opposition qui privilégient chacune une méthodologie spécifique de définition et

d’impulsion de la stratégie. Selon l’approche retenue, la nature et la formalisation des objectifs

organisationnels de même que leur mise en acte par les acteurs, diffèrent notablement. Dans tous

les cas, le prisme de lecture de la performance organisationnelle et de ses conditions d’obtention

est perçu comme consubstantiel de l’approche paradigmatique de la stratégie avec laquelle il

entretient une étroite relation dialectique de complémentarité.

1.2.1. Une lecture classique de la performance organisationnelle

Dans une vision traditionnelle de la stratégie, la performance de l'entreprise découle d'une part,

des perspectives de profitabilité propres au secteur d'activité et d'autre part, de la position de la

firme au sein de ce secteur. N’oublions pas que les firmes sont ici considérées comme

homogènes, une homogénéité qui concerne les ressources stratégiques susceptibles d’être mises

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en œuvre et l’éventail des choix stratégiques compte tenu de la structure du secteur auquel elles

appartiennent. Dans une optique de positionnement, plus une organisation se situe dans un

secteur attractif, plus, par hypothèse, elle a des chances d’être rentable5. Les forces du champ

concurrentiel déterminent l’intensité de la concurrence, les perspectives de profitabilité du

secteur et ont une incidence directe sur les stratégies des entreprises et leurs politiques

d’allocation de ressources. La clé de la performance réside fréquemment dans les restructurations

d’entreprises, dans la reconfiguration de leurs portefeuilles d’activités en réponse aux évolutions

de l’environnement et consécutivement dans les procédures d’allocations de ressources et leur

contrôle. L’organisation recherche la création d'un surplus de richesses par rapport aux

ressources consommées. Ainsi, la répartition de ce surplus devrait-elle permettre d'assurer la

pérennité de cette organisation. Il y a fondamentalement une recherche d'efficience qui s'adosse à

une modélisation ex ante des conditions de la mise en œuvre de la performance, à des

« algorithmes d'activités prédéfinis » qui donnent lieu à la présentation de procédures préétablies

qu'il suffit de respecter.

Dans cette perspective, la source de l’efficience est principalement disciplinaire. L’influence de

l’organisation sur le processus de création d'une valeur économique se limite à l’action

disciplinaire (Charreaux, 2002), en particulier celle des supérieurs hiérarchiques sur les décideurs

des niveaux intermédiaires puis opérationnels. La relation d’interdépendance entre niveau

stratégique et niveau opérationnel est synthétisée et pilotée par le mécanisme d’allocation des

ressources, dotation et utilisation des ressources constituant alors le fondement du contrôle

budgétaire et des pratiques usuelles de reporting, sous-ensembles instrumentaux du contrôle de

gestion. Les outils mis en œuvre, et notamment l'instrument comptable de gestion sous-jacente,

postule le cloisonnement des activités, l'additivité des performances locales, la stabilité des

prévisions, un temps discret. On postule ici une logique de responsabilité individuelle et de

conformité aux objectifs prescrits, une modélisation de la performance globale qui correspond à

une addition de performances locales (Thomas, 2003).

5 Selon M. Porter (1985, 1986), les forces du champ concurrentiel exercent une influence directe et notable sur le choix des manœuvres stratégiques et donc sur la rentabilité analysée prioritairement en termes de parts de marché. L'avantage concurrentiel est alors perçu comme statique dans la mesure où les profits dégagés par une organisation sont supposés être réinvestis afin de soutenir son avantage de position.

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1.2.2. Une lecture renouvelée de la performance organisationnelle

Dans l’approche renouvelée de la stratégie, l’organisation se comprend comme un système

articulé de compétences individuelles, collectives et organisationnelles6 et pour lequel la

perception de la performance mérite d'être revisitée.

D’une manière générale, l’approche renouvelée de la stratégie conduit à une analyse de la

performance en termes de rentes organisationnelles. Ces rentes organisationnelles dépendent de

la combinaison des ressources et compétences spécifiques à l'entreprise, accumulées dans le

temps et dans l’espace et valorisées sur un ou plusieurs marchés. La dimension structurante de la

performance n’est plus seulement la position concurrentielle mais principalement la gestion

cohérente dans le temps des ressources et des compétences accumulées, dans une perspective de

coordination et d’intégration des ressources entre elles. Les sources de l’avantage concurrentiel

proviennent pour une large part de la dotation de l’entreprise en ressources et compétences, des

propriétés inhérentes à ce patrimoine mais également et surtout, de l’usage que l’entreprise veut

et sait en faire, soit en s’adaptant, soit en anticipant sur les transformations de son environnement

(approche proactive). Il s’agira selon la conjoncture, de garantir le maintien des compétences

fondamentales et/ou leur évolution ce qui renvoie au dilemme de J. G. March (1991) entre

l’exploitation des compétences existantes et l’exploration de nouvelles compétences. Dans cette

perspective, ce sont en priorité les choix organisationnels en matière de gestion des compétences

individuelles et collectives qui conditionnent la performance des entreprises. En définitive,

l’accent est prioritairement mis sur le caractère endogène de la performance et sur sa dimension

fondamentalement collective (perspective de création de ressources). La performance se

construit alors dans le temps et dans l’action collective, c'est-à-dire dans l’agencement continu

des compétences individuelles et des compétences collectives et non plus dans le seul respect des

procédures qui découlent de la planification.

Pour comprendre dans quelle mesure le paradigme de la performance est appelé à évoluer, un

retour sur la définition des compétences organisationnelles et des principes génériques qui les

caractérisent, semble constituer un point de passage utile. 6 Système co-évoluant avec son environnement. Différents travaux s'inscrivent dans le courant co-évolutionniste développé par H. Volberda, M. Koza et A. Lewin : voir le numéro spécial de la revue Organization Science, vol 10, n°5, 1999.

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De l’ensemble des définitions proposées dans le cadre du Mouvement Ressources

Compétences7, une définition générique peut être retenue : la compétence organisationnelle peut

être définie comme une action collective, finalisée et intentionnelle qui combine des ressources

et des compétences de niveaux plus élémentaires pour créer de la valeur. A partir de cette

définition, plusieurs caractéristiques formelles des compétences organisationnelles peuvent être

identifiées (Rouby, Thomas, 2004).

La compétence organisationnelle (ou savoir-faire de l’organisation) est le résultat d’une mise en

action combinée de ressources portée par des individus et des processus organisationnels

(principe d’action); elle est un facteur stratégique de l’entreprise, le résultat d’une intention

stratégique (principe de finalité); elle est une combinaison de ressources, de compétences et de

capacités, individuelles et collectives (principe systémique); elle est la réponse à un besoin de

marché (principe de lisibilité et de reconnaissance) et est donc évaluée en termes de performance

sur le marché. Enfin, l’exploitation, le développement et le renouvellement de la compétence

supposent une accumulation de savoirs, un apprentissage collectif, et la conception de nouvelles

combinaisons de ressources et compétences qui doivent garantir leur déploiement et leur

renouvellement dans le temps et dans l’espace (principe dynamique et cumulatif).

La mise en évidence de ces différentes caractéristiques et/ou principes est riche d’enseignements

à plusieurs points de vue. Notamment, elle permet d’identifier plusieurs dimensions désormais

jugées fondamentales pour l’analyse de la performance. Le tableau ci-après définit ces

différentes dimensions qui bien que présentées ici dans leur singularité, sont largement

complémentaires.

7 Le Mouvement Ressources Compétences entend offrir un véritable renouvellement de l’approche stratégique classique. Il s’articule autour de trois courants : la théorie des ressources (Resource-Based View), la théorie des compétences fondamentales (Core competencies) et la théorie des capacités dynamiques (dynamic capabilities).

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Caractéristiques des compétences organisationnelles

Éléments clés du management stratégique des compétences

Points clés de la performance

Principe d’action Principe systémique

Dynamique d’échange et de combinaison de compétences individuelles et/ou collectives

Pilotage des interfaces

Principe de finalité Principe de lisibilité et de reconnaissance Principe dynamique

Identification des compétences ou capacités clés Matérialisation des compétences ou capacités dans des produits et/ou services valorisables sur plusieurs marchés Anticipation de la valeur crée par de nouvelles combinaisons de compétences et capacités

Pilotage d’une dynamique décisionnelle décentralisée, collective et interactive Pilotage d’un processus de décision inter rythmes et inter niveaux

Principe cumulatif Dynamique collective de l’apprentissage Construction d’une mémoire collective

La dimension combinatoire est consubstantielle d’une vision de l’organisation en tant que

système articulé de compétences. Les compétences organisationnelles sont par essence

collectives, une construction collective qui peut être analysée à des degrés de granularité

variables. Cela est conforme au principe de hiérarchie des compétences développé par Nordhaug

(1996) selon qui, les compétences individuelles des salariés (niveau micro) s’articulent entre

elles pour constituer des compétences collectives (niveau meso) lesquelles, à leur tour articulées,

participent à l’élaboration des compétences organisationnelles de l’entreprise (niveau macro).

Quel que soit le niveau de description des compétences choisi, l’échange et la combinaison

deviennent deux aspects fondamentaux de leur management (Nahapiet et Ghoshal, 1998) et le

pilotage de la dynamique combinatoire, à des niveaux variables de l’organisation, un élément clé

de la performance organisationnelle.

Les dimensions collective et décentralisée de la prise de décision méritent par ailleurs d’être

soulignées. Globalement, les manageurs sont appelés à se positionner par rapport aux questions

suivantes : Sur la base des compétences organisationnelles actuelles, quelle part de créneaux

futurs pourrons-nous espérer occuper? Quelles nouvelles compétences organisationnelles

devrons-nous intégrer et comment modifier notre définition du marché cible afin d’élargir notre

part des créneaux à venir? Compte tenu de notre portefeuille de compétences, quels créneaux

sommes-nous le mieux en mesure d’occuper? (Hamel et Prahalad, 1995). L’objectif est

d’élargir8 le portefeuille de compétences, d’imaginer et construire de nouvelles combinaisons

pouvant être matérialisées dans un ou plusieurs produits, sur un ou plusieurs marchés

8 B. Kogut et U. Zander (1992) évoquent la notion de « combinative capabilities » : organizational processes by which firms synthesize and acquire knowlege resources and generate new application from those resources.

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(diversification cohérente). Le « mariage entre compétences fondamentales et souci de

fonctionnalité du produit doit permettre à l’entreprise de découvrir des contrées inexplorées, de

dépasser ce qui est pour imaginer ce qui pourrait être » (Hamel et Prahalad, 1995, p. 39). C’est

en ce sens que certains auteurs emploient le terme de tension (Métais et Roux-Dufort, 1997),

pour signifier que l’entreprise doit se mettre en situation d’inventer le futur au-delà même des

besoins exprimables par le marché, pour se créer un espace concurrentiel sur mesure. La mise en

tension de ses ressources et de ses compétences par l’entreprise signifie donc qu’elle s’impose

des ambitions disproportionnées en rupture sensible par rapport à son cadre de référence existant,

c’est-à-dire ses compétences existantes et les besoins actuels de ses clients (Hamel et Prahalad,

1994). Dans une telle perspective, une entreprise qui chercherait à se différencier sur des

marchés à long terme, caractérisés par des contours non encore clairement définis et sur lesquels

les besoins des consommateurs restent à créer, rechercherait non seulement à valoriser ses

compétences existantes pour développer des activités nouvelles9 mais aussi à en intégrer de

nouvelles qui seront à déployer sur de nouveaux créneaux10. Si l’accent est porté sur

l’intentionnalité managériale, la clairvoyance des managers, c’est-à-dire leur capacité à

concevoir de nouvelles manières d’utiliser les compétences existantes, en les combinant

autrement ou en les combinant avec d’autres, nouvellement intégrées, il est à noter que

l’intentionnalité managériale n’est pas centralisée entre les mains des seuls directeurs généraux.

L’organisation toute entière représente un vivier dans lequel s’entrecroisent des espaces

individuels et/ou collectifs à l’intérieur et à l’interstice desquels se forgent des idées nouvelles.

Ici, la nature de la performance est principalement endogène. La performance dépend en priorité

d’une série de choix organisationnels (design organisationnel, dispositifs managériaux…) visant

à piloter la création des connaissances, portée par les échanges et les combinaisons de savoirs

divers, de sorte à faire évoluer les produits et/ou services et à déployer les compétences sur

différents marchés cibles. Il s’agira finalement de piloter un processus de décision articulant des

rythmes différents (temps de l’action, temps de la stratégie) et des niveaux stratégique

(stratégique et opérationnels).

9 L’exemple de SEB et du développement de la domotique, Métais (2000). 10 Cf. l’exemple de la téléphonie mobile (Quinn, 94).

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Enfin, lorsque l’entreprise est vue comme une compétence foncière où l’accent porté est sur la

croissance endogène, une importance capitale est conférée aux mécanismes d’apprentissage

collectif. L'entreprise devient un lieu d’apprentissage, de production, de valorisation et

d’accumulation de connaissances au service de la compétitivité et de la performance. Elle est vue

comme un lieu dépositaire et processeur de connaissances (Cohendet et Llerena, 1999 ; Nesta,

2001), un lieu de création et non plus seulement d’allocation de ressources, en opposition avec

les approches classiques fondées sur le triptyque S.C.P11. Il s’agit pour l’entreprise, d’une part

de définir les connaissances qu’elle souhaite fixer dans sa mémoire collective, soit pour éviter

l’érosion des compétences, soit pour favoriser leur échange et combinaison et, d’autre part, de

construire les outils et dispositifs d’aide à l’accumulation.

2. Les paradigmes de la stratégie et de la performance revisités ou la prise en compte de nouveaux risques organisationnels

Dans le cadre de notre réflexion sur l’instrumentation de gestion mise en oeuvre pour piloter les

organisations, nous avons choisi de nous centrer plus particulièrement sur l’instrumentation de

contrôle de gestion, objets de travaux précédents (Solle et Rouby, 2002). En effet, il s’avère que

cette instrumentation est appelée à évoluer sous l’impulsion de nouvelles approches

paradigmatiques de la stratégie et de la performance, en même temps qu’évoluent les risques

organisationnels qu’elle est censée mettre sous tension.

Les outils de contrôle ont pour vocation première le pilotage du lien « stratégie/mise en œuvre de

la stratégie » et de ce fait, à identifier puis prévenir, les risques organisationnels12, qui

essentiellement au niveau opérationnel, pourraient entraver la mise en oeuvre de la stratégie et de

ce fait, la performance. La compréhension, l’évolution, de ces risques constitue dès lors un point

de passage obligé pour une réflexion sur le repositionnement du contrôle de gestion et

l’évolution de son instrumentation. Des risques classiques qualifiés de risques de comportement,

11 Pour le modèle Structure-Conduite-Performance, la structure industrielle du secteur détermine les potentialités d'avantages concurrentiels accessibles à la firme. En outre, la structure industrielle du secteur est stable sur la période d'étude ce qui sous-tend une formulation rationnelle de la stratégie ; l'allocation de ressources permettant alors la mise en œuvre de cette formulation rationnelle. 12 Ces risques ont trait aux modalités de fonctionnement interne de l’organisation et en fonction de la vision de l’organisation qui est retenue, ils se définissent et se déclinent de manière différente.

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nous transiterons vers une prise en compte de risques d’une autre nature, revisitant le statut des

acteurs au travail et posant la question de leur autonomie et de son pilotage.

2.1. Les risques organisationnels classiques

Les différentes définitions du contrôle et du pilotage de ces dernières décennies13 (cf. Solle et

Rouby, 2002), pour la plupart, ne rompent pas avec une approche de type « strategy fit" en

l’occurrence un positionnement de l'entreprise sur un marché face à un environnement donné,

quasi-réel et « imposé", en référence à la perspective externe ou approche classique de la

stratégie.

Dans sa lecture usuelle, le contrôle de gestion prend appui sur une vision particulière du lien

« niveau stratégique – niveau opérationnel », vision fondée sur un paradigme classique de la

stratégie et de la compétitivité comme le soulignent E. Rouby et G. Solle (2003a, 2003b, 2004).

Dans cette lecture, les décisions stratégiques (la pensée stratégique) sont dissociées des décisions

opérationnelles (la mise en œuvre de la pensée dans l’action). Dès lors, comme l'a montré

H. Bouquin (2001), les liens entre la stratégie et la structure qui accueille sa mise en œuvre aux

niveaux opérationnels (en prenant fondamentalement appui sur les travaux de Chandler) ont fait

la fortune du contrôle de gestion, l’organisation étant au service de la stratégie, sa structure et les

ressources alloués, des variables dépendantes.

Les dispositifs de contrôle de gestion, dans cette vision planifiée de la stratégie, trouvent

naturellement leur place, une fois que la stratégie, d’abord définie à un horizon long terme et

sous l'angle de la politique générale de l’entreprise, se décline en sous-objectifs réalisables aux

niveaux intermédiaires puis opérationnels à moyen et court terme. L’interdépendance entre

niveaux stratégique et opérationnel est alors principalement résolue, dans un premier temps par

un mécanisme d’allocation de ressources et dans un deuxième temps par un mécanisme de

contrôle. C'est ainsi que dotation et utilisation des ressources constituent le fondement du

système budgétaire qui permet de décliner les objectifs puis de contrôler leur mise en œuvre par

des opérations de reporting. Le chiffre et la mesure constituent l’essence des outils de gestion.

Dans tous les cas, on respecte le caractère séquentiel de l’outil planification : après avoir réalisé 13 Notamment, R. N. Anthony, 1965, 1988; Anthony et Govindarajan, 1997.

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un diagnostic, il s’agit, ex ante, de définir des manœuvres stratégiques, d’identifier les conditions

de leur mise en œuvre, notamment en créant et en alimentant les structures adéquates, sous-

entendu en réfléchissant à l'allocation optimale des ressources. Dans cette tradition, le contrôle

de gestion recherche prioritairement les moyens d’un contrôle de conformité, conformité des

actions et du comportement des individus au « schéma » préalablement conçu par les décideurs

dirigeants. En ce sens, sa perception demeure de l’ordre de la recherche d’une minimisation des

risques de comportement des individus, inhérent au non-respect des procédures et de la ligne

prédéfinie, mais aussi à la suspicion d’opportunisme qui pèse sur le comportement des agents14.

Les outils de gestion sur lesquels se fonde le pilotage de l’organisation, fondamentalement au

niveau opérationnel, proviennent alors, pour l’essentiel, de constructions comptables; les

approches contractualistes de l’organisation, la théorie de l’agence fondamentalement,

constituant le support théorique de validation de ces outils.

Cette lecture du contrôle de gestion nous semble correspondre au modèle de la routine (Besson,

2001), historiquement modèle fondateur des disciplines de l’organisation qui consiste à rendre

prévisible le comportement des membres de l’organisation en le définissant comme routine et

recherchant sa conformité à cette définition. Ce modèle identifie deux risques

organisationnels majeurs, le risque de coordination ou plutôt le risque de non-coordination ou de

mauvaise coordination des agents et le risque de comportement opportuniste de ces agents.

Ces risques sont fondamentalement liés à l’asymétrie informationnelle, à la dispersion de

l’information dans l’organisation et à la rationalité calculatrice des agents qui en bénéficient.

Dans les deux cas, l’information et le retour d’informations sur ce « qui se fait » aux niveaux

hiérarchiques inférieurs sont considérés comme fondamental pour les dirigeants.

Dès lors, les informations qui fondent le processus de planification, l’articulation budgétaire puis

les procédures de contrôle, prétendent réduire les difficultés de coordination en réduisant

l’asymétrie informationnelle et les effets de dispersion. Cette information semble alors suivre

une loi de rendement positif et les managers vont rechercher l’obtention d’un maximum

d’informations pour contrôler l’activité des niveaux hiérarchiques inférieurs. De ce fait, et 14 Notamment dans l’optique contractualiste dans laquelle les agents sont opportunistes par calcul et non par vice; cf. P.Y. Gomez (1996)

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comme le signalent P. Milgrom et J. Roberts (1997), la tendance va consister à essayer de traiter

un maximum d’informations afin de mieux contrôler le comportement des agents situés à des

niveaux « inférieurs " de la hiérarchie. Le « reporting » comptable et budgétaire, alimenté ces

dernières années avec la montée en puissance des technologies de traitement de l’information,

devient un outil majeur, censé permettre le contrôle de conformité.

2.2. Les « nouveaux » risques organisationnels

Dans une nouvelle vision de la stratégie et de la performance, deux risques organisationnels

majeurs émergent : un inhérent au déficit de coordination inter compétences (individuelles ou

collectives) et donc au problème de l’intégration des connaissances qui les caractérisent; un autre

lié à une gestion non cohérente de la dynamique décisionnelle ici décentralisée, collective et

interactive.

La nécessaire décentralisation des processus de décision diffuse alors un risque comportemental

à tous les niveaux de l’organisation, risque comportemental qui s’assimile désormais à un risque

de pertinence. En effet, l’interprétation correcte par les individus des messages qu’ils reçoivent,

puis les réponses qu’ils y apportent à leur niveau dans l’accomplissement de leurs activités,

deviennent primordiales pour, d'une part, permettre une bonne articulation des processus

opérationnels et d'autre part, veiller au maintien de la cohérence de cette articulation avec le

principe de finalité.

Ici, la coordination des individus et des collectifs repose sur de la « connaissance » qui n’est pas

seulement mémoire, item figé dans un stock, mais qui est aussi processus de construction d’une

représentation (Pascal, 2002). Ce dernier aspect de la connaissance renvoie à la capacité que

donne la connaissance à engendrer, extrapoler et inférer de nouvelles connaissances et

informations. Autrement dit, une personne, un agent – acteur, qui possède des connaissances

dans un certain domaine est capable de produire à la fois de nouvelles connaissances et de

nouvelles informations relatives à ce domaine (Foray, 2000), ce qui pose la question de la

conformité de l’interprétation des messages reçus au regard du cadre de référence propre à

l'organisation. Il s'agit d'un risque organisationnel qui pose la question de la pertinence des

réponses apportées par les acteurs, dans l'exercice de leur autonomie et donc dans

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l’accomplissement de leurs activités au sein de processus opérationnels. Ce risque peut, d’une

part, induire une mauvaise articulation des compétences au sein de l’organisation et d'autre part,

conduire à une non-cohérence de cette articulation avec le dessein stratégique. Il correspond à un

risque de nature cognitive puisqu’il pose le problème de l’interprétation des informations par les

acteurs et de l’équifinalité des solutions qu’ils proposent à la suite de cette interprétation. Le

risque cognitif est lié à l’existence d’une asymétrie cognitive, synonyme du non-alignement15

des schémas cognitifs des acteurs participant à une même action collective. Ce non-alignement

des schémas cognitifs peut conduire à des actions localisées qui ne débouchent pas forcément sur

une action coordonnée dans le temps.16

Un point important d’inflexion de ce type de lecture, prend appui sur le nouveau paradigme de

la stratégie qui, dans une certaine mesure nous semble faire écho au modèle du processus Bower-

Burgelman, repris par T. Noda et J. L. Bower (1996), encore utilisé par H. Mintzberg et al.

(1999) dans la présentation de « l’école de l’apprentissage » en stratégie. En effet, ce modèle

nous permet de reconnaître le processus d’élaboration de la stratégie comme une activité

managériale multiple, entremêlée portant sur différents niveaux et différents sous processus. Les

auteurs distinguent des processus centraux (définition, impulsion17) et des processus généraux.

Ces derniers, du ressort des niveaux hiérarchiques supérieurs, visent à la détermination du

contexte structurel et à celle du contexte stratégique. Pour autant, ces phases de définition et

d’impulsion peuvent trouver leurs sources dans les cycles opérationnels18 et notamment dans

l’espace d’action des managers de proximité. Un espace organisationnel proche de celui qualifié

de « moteur de l’esprit d’entreprise » par R.A. Burgelman (1983) apparaît, espace où se

développent des initiatives stratégiques autonomes de personnes situées dans l’entreprise aux

niveaux opérationnels, en dehors du concept habituel de la stratégie au sens de planification

abordée ci avant. Chez T. Noda et J. L. Bower, le contexte stratégique apparaît ainsi comme un

15 i.e, selon nous, provenant de filtres de représentation ou de schémas d'interprétation inhérents aux individus et qui leur seraient trop spécifiques, ou d’un déficit d’artefacts cognitifs interactifs. 16 G. Charreaux (2002), évoque un problème de coordination qualitative des activités et un problème d'alignement des modèles d’anticipation des acteurs. 17 Le processus de définition se présente comme un processus cognitif dans lequel les forces de la technologie et du marché, mal définies au départ, sont prises en compte par l’entreprise, et où des initiatives stratégiques sont prises d’abord par des cadres de base, qui possèdent normalement les connaissances spécifiques concernant les techniques et sont plus proches du marché. L’impulsion est un processus largement socio-politique. 18 Ce que l’on comprend assez bien dans le secteur des services, par exemple lorsqu’il y a co-construction de la prestation du service en présence du client ou de l’usager.

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processus politique articulé entre niveaux hiérarchiques différents, ce qui nécessitera des

arbitrages inter niveaux, arbitrages que l’on retrouve par ailleurs chez R Amit et P.J. Schoemaker

(1993) qui, lorsqu'ils analysent les processus de prise de décision stratégique, traitent des

perceptions cognitives et sociales des managers.

Ici, nous reconnaissons aux acteurs internes, notamment situés à des niveaux opérationnels, la

capacité de percevoir des opportunités nouvelles, fondées sur des capacités nouvelles, non encore

nécessairement reconnues par les « stratèges ». Toutefois, il n’est pas question de nier l’influence

critique des cadres supérieurs et de la direction, lesquels déterminent le « cœur des choses ».

Comme le précisent I. Nonaka et H. Takeuchi (1997) dans leur « dichotomie management haut-

bas/bas-haut"19, les managers de proximité ne sont plus de simples relais de la direction générale.

Au contraire, ils bénéficient d’une position d’interface entre les top managers et les lignes

opérationnelles, et se trouvent, de fait, au cœur des boucles de rétroaction entre ces deux

niveaux.

Cette conception de l’élaboration de la stratégie repose sur un processus de prise de risque

interne qui ne débouche pas forcément sur une action coordonnée (Mintzberg et al., 1999, p. 97).

C’est à la gestion de ce risque que peut prétendre le contrôle de gestion en aidant à la mise en

œuvre du principe de finalité, à la diffusion des principes stratégiques durables, c'est-à-dire, de

fait, à la compréhension, par l'ensemble des acteurs, d’un cadre cognitif vecteur de partage de

sens, qui aidera à maintenir une certaine stabilité dans le sens, la signification des actions pour

leur auteur et aidera ainsi à maintenir une cohérence au regard des finalités stratégiques. Ainsi,

l’apprentissage stratégique combine-t-il l’action et le résultat, c'est-à-dire donne-t-il aux acteurs y

compris aux opérationnels, les moyens d’apprendre en agissant, de donner rétrospectivement du

sens aux actions comme le préconisent les travaux de K. Weick.

19 Le modèle « haut-bas » suppose que seuls les directeurs généraux définissent « ce qui doit être », c’est-à-dire le devenir de l’entreprise. Les concepts qu’ils génèrent doivent être dépourvus de toute ambiguïté ou caractère équivoque car les ordres et les instructions qu’ils donnent en découlent directement. Le modèle " bas-haut "suppose au contraire que les employés de la ligne opérationnelle sont dotés d’un esprit entrepreneurial. Ils reçoivent peu d’ordres et d’instructions de la part de leur direction générale, agissent comme des acteurs indépendants et séparés qui préfèrent travailler par eux-mêmes.

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Selon nous, ni la méthodologie classique, qui consiste à définir une stratégie, à la décliner en

plans d’actions et à élaborer un « calendrier » et des outils de contrôle, ni la référence à

l’ambiguïté causale20, ne conviennent à la perspective ou à représentation de l’organisation que

nous adoptons fondée sur une articulation de compétences (cf. figure 1). Il s’agit plutôt de

travailler à la diffusion de la vision stratégique dans toute l’organisation et d’agir sur l’alchimie

organisationnelle, de manière à comprendre et à maîtriser, même partiellement, cette ambiguïté

causale. Rappelons que la vision n’est pas figée une fois pour toutes puisqu’elle doit

correspondre à la fois aux grands domaines de compétences de l’entreprise et à leur nécessaire

évolution notamment au regard des attentes des marchés commerciaux et des divers partenaires

externes.

2.3. Un focus sur l’acteur autonome

Dans cette approche, les managers rechercheraient donc plus les modalités de l’exercice d’une

action collective, de l’articulation de compétences individuelles et collectives (en fonction du

dessein stratégique), qu’une minimisation des risques de comportement des individus au regard

des procédures préétablies. Des lors, un management stratégique des compétences suppose que

l'on s'interroge sur une double articulation schématisée ci-dessous. Cette articulation qui porte

sur les niveaux stratégiques et opérationnels, nécessite la définition d'un cadre de stabilité

« cognitive » non figé dans lequel l'adaptation nécessaire des processus opérationnels prendra

corps dans le temps.

20 En fait un espace aux frontières et au contenu flous. Dans cet espace, l’alchimie organisationnelle, c’est-à-dire les multiples agencements de ressources financières, physiques, humaines, matérielles et immatérielles, seraient le fruit de processus fortuits, peu prévisibles et peu visibles.

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Dessein stratégiqueDessein stratégique

Figure 1. L’articulation de niveaux et de rythmes différents.

Ce cadre ne peut que respecter des cycles lents, ceux de l’évolution de la stratégie, alors que les

processus opérationnels sont caractérisés, le plus souvent, par des cycles courts. Ainsi, par cadre

de stabilité, nous entendons une régionalisation du temps et de l'espace qui s'effectuera selon des

propriétés, qui sans être immuables, respectent certains principes de stabilité (ou principe de

permanence des dispositifs organisationnels). Il s'agit ici de définir des règles en compréhension

au sens de B. Reynaud (1997). En effet, le dessein stratégique n'est plus décomposé en un

ensemble de sous-objectifs et de procédures pré-déterminées. Il constitue au contraire une

représentation du futur construite de manière collective, à déployer, à interpréter et à faire

évoluer au fil du temps. Il constitue un cadre de référence pour la construction et le déroulement

continu des processus opérationnels, articulation d’activités qui répondent à l’exercice du métier

(ou des métiers) de l’organisation. Il ne s’agit plus uniquement de réaliser une production ou une

prestation de service, il s’agit de répondre à une finalité opérationnelle cohérente avec la finalité

stratégique.

Or, l'autonomie caractérisée par une logique d'acteurs en situation de co-présence, qui mettent en

œuvre, en temps réel, la stratégie par adaptation permanente, activation et achèvement sur le

terrain des processus, s'insère dans ce cadre. En effet, la dynamique émergente dans les

entreprises repose désormais sur l'obtention de la performance par et dans le travail, conférant

aux salariés une responsabilité qui ne se limite plus aux résultats du processus mais aux

Rec he r ch e de c oh é re nc e en tr e cy c le s l en ts e t c yc le s co u rts

Cycles courts

Cycles lents

Agencement de compétences individuelles et collectives

Dessein stratégique

Agencement de compétences individuelles et collectives

Dessein stratégiqueR

echer ch e de c oh é re nc e en tr e cy c le s l en ts e t c yc le s co u rts

Dispositifs organisationnels et mise en place d’outils interactifs

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Processus opérationnels - articulation d ’activités

Cycles courts

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Agencement de compétences individuelles et collectives

Dispositifs organisationnels et mise en place d’outils interactifs

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Processus opérationnels - articulation d ’activités

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conditions d'exercice de leurs activités. Les agents, devenus acteurs, disposant d’une autonomie

relative et de capacités d’arbitrages, doivent avoir une compréhension cohérente et collective des

situations à traiter. Toutefois, si l’autonomie des acteurs est nécessaire pour assurer la dynamique

du système cela ne signifie pas pour autant qu’il y ait indépendance des équipes et des agents. En

effet, l’autonomie se construit dans l’interdépendance des différents acteurs participants à une

même action collective, à des niveaux différents. Cette interdépendance appelle une révision des

modes de coordination dans l’espace et dans le temps. Cette coordination se caractérise par des

boucles de rétroaction propres aux systèmes autonomes complexes (Thomas, 2001). Ces boucles

de rétroaction permettent une articulation entre long terme et court terme ce qui reviendrait à

gérer le paradoxe « flexibilité opérationnelle et stabilité organisationnelle", en d'autres termes à

encadrer l'ambiguïté causale.

Ainsi, d’un côté, il y aurait une stabilité cognitive assurée par le dessein stratégique et de l’autre

une adaptation permanente des processus opérationnels autorisant le changement sans

déstabiliser l’organisation (Amintas, 1995). Les processus opérationnels qui prennent corps dans

des cycles courts vont permettre, par rétroaction, une évolution plus lente du dessein stratégique

ce qui devrait garantir la pertinence des finalités au regard des attentes des partenaires. Or, un

processus produit des connaissances nouvelles sur lui-même et sur les activités qui le composent

; il forme un objet d'interprétation au regard du principe de finalité. La source de connaissances

se trouve dans le processus, dans les mécanismes de coordination et non dans les seules

ressources (Lorino, 1995). N'est-ce pas dans ses processus continus que l’organisation puise

l’originalité de son portefeuille de ressources et donc ses sources de performance dans le temps

(rente organisationnelle)?

Aussitôt que l’on accepte la complexité organisationnelle, c'est-à-dire que l’on reconnaît

qu’existent un grand nombre d’éléments en interactions et que les modalités des interactions sont

incertaines (Le Moigne, 1990), reconnaissance qui alimente l’ambiguïté causale chez les auteurs

de la compétence (Dierickx et Cools, 1989), il devient plus difficile d’admettre une modélisation

mathématique de la performance. Cette difficulté transfère une partie du risque de pertinence

économique au niveau du risque comportemental puisque les conditions de réalisation de la

performance ne sont plus définies ex-ante.

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Conclusion

L’évolution des paradigmes de la stratégie et de la performance nous invite à reconnaître

l’existence d’interactions complexes et paradoxales à tous les niveaux de l’organisation, y

compris au niveau des cycles opérationnels qui bouleversent les relations de travail et leur

organisation.

Cela n’est pas sans incidence sur les méthodes de pilotage notamment le contrôle de gestion dont

les prérogatives évoluent d’une mise sous tension de risques de comportement à une mise sous

tension de risques de type cognitif.

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