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DOCUMENT A/1775 QUARANTE-HUITIME SESSION________

4 juin 2002

Renseignement europen : les nouveaux dfis Rponse au rapport annuel du Conseil

RAPPORTprsent au nom de la Commission de dfense par M. Lemoine, rapporteur

ASSEMBLE DE LUNION DE LEUROPE OCCIDENTALE ASSEMBLE EUROPENNE INTRIMAIRE DE LA SCURIT ET DE LA DFENSE 43, avenue du Prsident-Wilson, 75775 Paris Cedex 16 Tl. 01.53.67.22.00 Fax 01.53.67.22.01 E-mail : [email protected] Internet : http://www.weu.int/assembly

Document A/1775 Renseignement europen : les nouveaux dfis Rponse au rapport annuel du Conseil

4 juin 2002

RAPPORT1prsent au nom de la Commission de dfense2 par M. Lemoine, rapporteur

______TABLE DES MATIRES RECOMMANDATION N 707 sur le renseignement europen : les nouveaux dfis Rponse au rapport annuel du Conseil EXPOS DES MOTIFS prsent par M. Lemoine, rapporteur I. Introduction II. Les besoins europens en matire de renseignement 1. Quest-ce que le renseignement ? 2. La gestion des crises internationales : renseignement gnral et de dfense 3. Besoins lis au terrorisme III. Situation actuelle et projets en coopration 1. Les services de renseignement et leur coopration 2. Le renseignement dans le cadre des structures politico-militaires de lUE 3. Moyens, coopration et projets dans le domaine de lacquisition du renseignement (a) Limagerie spatiale (b) Limagerie arienne (c) Linterception lectronique IV. Conclusions et recommandations ________1

Adopt par la commission lunanimit le 11 avril 2002. Membres de la commission : M. Schloten (prsident) ; MM. Baumel, McNamara (vice-prsidents) ; MM. Acosta Padrn, de Arstegui San Romn, Mme Bakoyianni, M. Blaauw, Lord Burlison, MM. Contestabile, Cox, Dhaille, Daz de Mera (remplaant : Agramunt), Dreyfus-Schmidt, Glesener, Goris, Goulet, Gubert, Henry, Irmer, Koulouris (remplaant : Kontoyiannopoulos), Leers, Lemoine, Medeiros Ferreira, Mota Amaral, Neumann, Pereira Coelho, de Puig, Ranieri, Rigoni, Rivolta (remplaant : Nessa), Siebert, Skoularikis, Timmermans, Valk, Walter, Wilkinson, Zierer. Membres associs : MM. Brsony, Braun, Chobot, Docekal, Mme Fjeldsted, MM. Gnl, Janas, Kalkan, Kelemen, Komorowski (remplaant : Galazewski), Lorenz, Mutman, Necas, Mme Nybakk, MM. Telek, Wrzodak (remplaant : Lusnia), N N.B. Les noms des participants au vote sont indiqus en italique.2

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RECOMMANDATION N 7071 sur le renseignement europen : les nouveaux dfis Rponse au rapport annuel du Conseil LAssemble, (i) Consciente de limportance du renseignement pour lvaluation des situations stratgiques dans les zones de crises potentielles ; (ii) Rappelant le rle fondamental de lexploitation du renseignement pour organiser la lutte contre le terrorisme international ; (iii) Constatant la ncessit de disposer dune valuation de situation faite en commun pour organiser une rponse europenne conjointe ; (iv) Consciente de limportance du renseignement tant pour la planification que pour la conduite doprations militaires par lUnion ; (v) Rappelant limportance du renseignement dorigine humaine et de la capacit dinterprter les informations ; (vi) Consciente que la recherche du renseignement se heurtera toujours un problme de dontologie et quen consquence, cette question ncessite un suivi parlementaire et le respect des lois et rglements par les services concerns ; (vii) Constatant que les oprations en Afghanistan ont rvl des capacits extraordinaires engendres par lutilisation des techniques les plus rcentes telles que les drones et les rseaux de transmissions de donnes ; (viii) Se rjouissant de lorganisation de lvaluation des situations de crise autour du Secrtaire gnral/Haut reprsentant pour la PESC (SG/HR) de lUnion europenne et de limportance donne la division Renseignement au sein de lEtat-major de lUnion (EMUE) ; (ix) Appelant au dveloppement de lchange des renseignements entre lUE et lOTAN ; (x) Regrettant la faible capacit de lUE de traiter les dossiers dimages des fins militaires en temps de crise, en dpit du transfert lUnion du Centre satellitaire de lUEO de Torrejn ; (xi) Constatant labsence totale dorganisation en ce qui concerne le recueil de renseignements en commun au niveau de lUE et de lUEO ; (xii) Regrettant le faible niveau de coopration europenne dans les programmes de satellites de renseignement ; (xiii) Constatant cependant lexistence daccords pour lchange dimages optiques et radar entre quelques pays membres de lUnion, RECOMMANDE AU CONSEIL 1. Dinciter les gouvernements des pays membres de lUE : court terme : renforcer lorganisation mise en place au sein de lUnion pour le traitement du renseignement en organisant des rencontres systmatiques des directeurs des services de renseignement et des runions thmatiques sur la lutte antiterroriste, le renseignement de dfense et sur toutes les zones de crises potentielles ; mettre en place auprs du SG/HR une vritable cellule de synthse du renseignement organise sur le modle de la division Renseignement de lEMUE ;

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Adopt par lAssemble sans modification le 4 juin 2002, au cours de la deuxime sance.

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accrotre les ressources consacres aux systmes de recueil du renseignement moyens humains, coutes lectroniques, satellites, drones tout en encourageant toutes les possibilits de cooprer au niveau europen ; dvelopper leurs forces spciales et les units militaires de renseignement pour atteindre lobjectif global dHelsinki et favoriser leur coopration par lorganisation dexercices appropris ; dvelopper les capacits militaires du Centre dimagerie europenne de Torrejn en le rendant apte linterprtation de tous types dimages ;

plus long terme : dfinir une vritable politique europenne du renseignement, en crant une Agence europenne du renseignement sous la responsabilit dune Haute autorit charge du renseignement ; dfinir des politiques nationales du renseignement harmonises et coordonnes, au moins partiellement, par cette agence europenne pour permettre lutilisation des moyens nationaux en synergie et de faon complmentaire ; transformer le Centre de Torrejn en vritable Office europen de limagerie de dfense .

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EXPOS DES MOTIFS prsent par M. Lemoine, rapporteur I. Introduction 1. Les attentats meurtriers dont les Etats-Unis ont t la cible le 11 septembre dernier ont rvl les difficults, mais galement les faiblesses, de lacquisition et de lexploitation du renseignement face au terrorisme international. Afin dviter ces difficults, lEurope devra mettre en place des structures efficaces de coordination dans le domaine du renseignement entre les diffrents Etats participants. 2. En outre, la guerre froide a laiss place au dveloppement de nombreuses crises rgionales telles que la guerre du Golfe, le conflit en ex-Yougoslavie, les crises africaines ou encore la guerre en Afghanistan. Cest dans cet environnement international mouvant et multiforme que les politiques de scurit et de dfense europennes se sont orientes vers la prvention et la gestion des crises. Paralllement cela, le renseignement a, notamment depuis la fin de cette priode, atteint une dimension mondiale. II. Les besoins europens en matire de renseignement 1. Quest-ce que le renseignement ? Les divers types de renseignement 3. Il existe deux sortes de renseignement. Le premier est le renseignement de type gnral, qui couvre des domaines varis tels que le politique, le social, lconomique. Il a pour objet de fournir au gouvernement des informations trs nombreuses qui ont trait soit son domaine intrieur, soit la sphre extrieure. Ces informations concernent principalement la surveillance de rgions risques, la criminalit organise, les migrations illgales ou bien encore le terrorisme international qui, depuis le 11 septembre, fait lobjet dune attention toute particulire, encore plus grande que par le pass. Le second, de type dfense , a pour mission de participer la prvention des crises internationales, de procder des valuations de situation devant permettre de dcider dventuelles actions, notamment militaires, ainsi que de conduire, le cas chant, des oprations militaires. Le rle du renseignement est donc dapprcier des situations en vue dclairer les autorits charges de prendre les dcisions. 4. Par ailleurs, le concept de renseignement couvre les notions de recueil et de traitement de linformation. Le recueil de linformation ncessite dassurer les fonctions de veille, cest--dire de dtection des indices dalerte, et de surveillance, qui consistent porter une attention permanente des zones ou sujets dintrt particulier. Le traitement de linformation consiste, quant lui, regrouper, comparer et fusionner les informations pour les prsenter sous forme synthtique de renseignement . Les principes de lacquisition et de lexploitation du renseignement 5. On peut dire que le renseignement est une matire premire qui savre indispensable aux gouvernements. La connaissance de linformation et la matrise corrlative de celle-ci garantissent la libert dapprciation des gouvernants, lment fondamental pour lindpendance de toute dcision politique. 6. Lacquisition et lexploitation du renseignement doivent ainsi obir aux principes suivants : La coordination doit permettre loptimisation des capteurs et le recoupement ncessaire des informations devant constituer un renseignement. La scurit du renseignement et de ses sources suppose une centralisation de la conduite de celui-ci. Cette coordination doit assurer une satisfaction des besoins nationaux, et des autorits de niveau suprieur. Pour permettre une raction rapide et approprie, le renseignement doit arriver au bon moment, au bon endroit et la bonne personne . La transmission des informations doit se faire dans un temps compatible avec les dcisions prendre et peut ainsi varier de quelques secondes quelques jours.

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Tout est renseignement. Cette exhaustivit fait que le renseignement est laffaire de tous et quaucune information ne peut tre dlaisse. Laccs linformation doit tre large car linformation nappartient pas celui qui lobtient, mais celui qui en a besoin. La fiabilit du renseignement est fondamentale et impose un renseignement sr qui doit pouvoir tre recoup par diffrentes sources. La complmentarit des capteurs est un impratif oprationnel. La scurit, enfin, passe par lintgrit des capteurs et des structures, la sauvegarde du personnel qui le met en oeuvre et la protection du renseignement lui-mme. Typologie du renseignement 7. On peut dresser une typologie du renseignement en fonction des capteurs ou des sources permettant son acquisition : renseignement dorigine image (ROIM), comprenant toute forme dimagerie, en particulier satellitaire (optique et radar) ; renseignement dorigine humaine (ROHUM) ; renseignement dorigine lectromagntique (ROEM), couvrant le domaine des signaux (SIGINT), des communications (COMINT), de la tlmesure et du radar ; renseignement des signatures lectromagntiques (MASINT), optiques, lectro-optiques, infrarouges ; renseignement dorigine acoustique (ACOUSINT) ; renseignement de sources ouvertes, open sources intelligence (ROSO). Le renseignement de dfense 8. Le renseignement de dfense est gnralement subdivis en trois catgories : Le renseignement de documentation, acquis ds le temps de paix, pour avoir une connaissance gnrale des zones de crises potentielles : mouvements politiques, gographie des lieux, forces armes et milices, installations militaires. Le renseignement de situation, acquis au moment de la crise, que lon peut diffrencier en fonction du niveau de rflexion de ltat-major qui va lutiliser : niveau stratgique (Etatmajor de lUE, tat-major du commandant dopration), niveau opratif (tat-major du commandant de force sur le thtre dopration), niveau tactique (tat-major qui met en oeuvre une composante de la force pour une opration localise). Le renseignement de combat, en temps rel, qui permet au combattant sur le terrain de conduire laction (valuation des tirs, position des combattants). Cycle type du renseignement de dfense en cas de crise internationale 9. Le cycle du renseignement couvre diffrentes fonctions (dfinition du besoin, acquisition, traitement, utilisation), qui ncessitent une organisation spcifique ordonne selon un cycle temporel appel boucle du renseignement . La rptition de ce cycle une frquence de plus en plus grande permet une meilleure connaissance de la situation. Phase pr-dcisionnelle 10. Cette phase correspond une phase dobservation gnrale. Le renseignement repose sur deux types dactions : les actions de surveillance, qui ont pour objet la dtection en temps rel du danger, et les actions dacquisition de donnes, orientes et ponctuelles, qui servent lemploi des forces armes. 11. Aussi la surveillance de la situation est-elle un pralable stratgique dcisif qui doit permettre de simuler, de prparer et galement dengager une action si cela est ncessaire. En amont, le renseignement de documentation permet ltude de lenvironnement de la crise, et la constitution de

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dossiers dobjectifs et de bases de donnes oprationnelles indispensables aux systmes dinformation et aux systmes darmes. 12. Le renseignement offre ainsi une grille danalyse permettant lvaluation stratgique. Celle-ci, terme, devra servir prsenter des options stratgiques aux dcideurs politiques. Cest au cours de cette phase que lon doit permettre aux dcideurs laccs lensemble des observations, valuations et planifications ralises afin quils puissent prendre une dcision et dfinir prcisment le but de lopration et les moyens y consacrer. Planification oprationnelle 13. La dcision daction ayant t prise, il faut prparer un plan doprations qui repose sur la connaissance de la situation des adversaires et de ses propres forces armes. Les tats-majors de planification oprationnelle sappuient ainsi sur le renseignement obtenu. En outre, ils participent sa dfinition dans la mesure o leurs besoins vont orienter la recherche. Au cours de lopration militaire 14. Le renseignement de situation a un rle prpondrant permettant un suivi prcis de la crise. L aussi, la fonction renseignement sinscrit dans un cycle en boucle : elle permet tout dabord de prsenter aux autorits gouvernementales une situation des forces en prsence, les risques politicomilitaires et enfin lvolution probable de la situation. 15. Cest partir de ces lments que les autorits charges du contrle politique et de la conduite stratgique prennent des dcisions qui vont conduire une modification des planifications et donc de nouvelles actions qui vont modifier leur tour la situation. Phase de sortie de crise 16. La sortie de crise, priode suivant la fin du conflit arm, correspond le plus souvent la mise en place dune force de maintien de la paix avec laccord des parties en prsence et dune autorit politique charge de la stratgie de reconstruction de la zone de conflit. Pour mettre en oeuvre cette stratgie, lautorit politique mandate une quipe civile sur le terrain. 17. Ces interventions dans le domaine civil visent dabord au rtablissement de la confiance et la reprise dune vie normale pour les populations concernes, puis se concentrent sur la mise en place des structures politiques et conomiques ncessaires la stabilisation, et enfin sur la prparation du retrait des intervenants. 18. Au cours de cette phase, le renseignement change de nature. Il sagit alors de surveiller le comportement des factions en prsence et de participer aux enqutes policires ncessites par dinvitables rglements de compte. La synthse de ces renseignements doit servir prsenter la situation globale, et notamment politique, de la zone concerne. Le cas particulier du renseignement militaire 19. Pour une opration militaire, la connaissance de lenvironnement est un lment fondamental de la dcision car elle permet aux combattants doptimiser les moyens en leur possession, de cibler leurs efforts, danticiper les vnements et de prserver leur force. 20. Cette connaissance de lenvironnement est un aspect du renseignement militaire ; elle porte notamment sur : le positionnement, cest--dire sur la connaissance des mouvements des combattants allis ; la datation, qui permet de synchroniser lensemble des systmes darmes ; la navigation, qui augmente et favorise la prcision des attaques, et contribue la sauvegarde des units ; la mtorologie et la cartographie, autres domaines essentiels de lanalyse de lenvironnement.

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2. La gestion des crises internationales : renseignement gnral et de dfense 21. En cas de crise internationale, la ncessit pour lUnion europenne de pouvoir prendre en toute autonomie la dcision dune ventuelle intervention a t clairement explicite dans la dclaration franco-britannique de Saint-Malo (1998) : LUnion doit disposer dune capacit dvaluation des situations, de sources de renseignement, et dune capacit de planification stratgique, sans duplication inutile . 22. Cependant, lambition europenne doit tre raisonnable pour des raisons financires videntes : linformation dorigine amricaine sera toujours bienvenue, mais lEurope doit pouvoir sintresser des points particuliers ou vrifier des donnes dorigine extrieure au cas par cas, et la situation de lUnion est bien diffrente de celle de lOTAN o, par dfinition, les Etats-Unis sont les principaux pourvoyeurs de renseignements. 23. Cependant, la relation spciale liant les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ne facilite pas cette perception de la ncessaire autonomie de lUE dans ce domaine du renseignement, ni la mise sur pied dun systme de coopration europenne, dans la mesure o la Grande-Bretagne ne dsire pas investir dans des satellites dobservation et ne peut pas partager avec les Europens tous les renseignements quelle possde. Cette situation peut conduire des perceptions diffrentes de la crise, mme si cela nexplique pas toutes les diffrences dapprciation entre pays membres de lUnion. 24. Ces difficults seraient moindres si une plus grande confiance rgnait entre les Etats-Unis et certains pays europens. Pour linstant, labsence daccord de scurit entre lUE et lOTAN ne favorise pas ce dialogue. En outre, lexprience rcente de la campagne arienne au Kosovo (marsjuin 1999), lie la difficile question du choix des cibles, a pouss les pays europens rechercher une autonomie du renseignement, comme la montr le regain dintrt de lAllemagne pour les satellites dobservation (programme SAR Lupe et accord franco-allemand). 25. La capacit de gestion de crise internationale de lUnion europenne, notamment dans le domaine du renseignement, est justifie par la dclaration du sommet dHelsinki (dcembre 1999) : Le Conseil europen souligne sa dtermination dvelopper une capacit autonome de dcider, et l o lOTAN en tant que telle nest pas engage, de lancer et de conduire des oprations militaires sous la direction de lUE, en rponse des crises internationales 26. Lobjectif est donc de doter lUnion europenne dune autonomie de dcision permanente. Lorganisation mise en place doit tre capable de prvenir les crises, ce qui ncessite une fonction de surveillance et dalerte rapide, puis en cas de crise avre, de pouvoir prendre une ventuelle dcision dengagement avec recours ou non loutil militaire (phase dvaluation de la crise), puis ventuellement, de conduire efficacement les oprations et den assurer le contrle politique (phase de gestion de la crise). 27. Au cours de la phase qui prcde lventuelle dcision dintervention, phase couramment dnomme pr-dcisionnelle , la premire ncessit est de connatre puis dapprcier de faon exacte la situation locale. Pour viter dtre prise au dpourvu, lUnion doit mettre en place une organisation permanente charge du suivi des zones de crises potentielles, dcoupe en zones gographiques ds le temps de paix. 28. En pratique, cette valuation sera fonde sur des informations ouvertes, telles les donnes de documentation gnrale sous tous leurs aspects politiques, conomiques, sociaux et militaires. Mais lUnion devra sappuyer sur les Etats membres pour recueillir les informations confidentielles auprs des services diplomatiques ou de renseignement, civils ou militaires. Ceci ncessitera la mise en place dune organisation de recueil du renseignement spcifique lUE. En outre, des liens troits devront tre tablis avec dautres organisations internationales concernes par les mmes crises potentielles, et tout particulirement lOTAN. Lampleur de la tche et le nombre important dinterlocuteurs dans ce domaine conduisent la ncessaire mise en place dun rseau informatis de recueil et dexploitation du renseignement europen. 29. La capacit de conduire des oprations militaires, clairement explicite dans la Dclaration dHelsinki (dcembre 1999), inclut la ncessit pour les tats-majors de disposer des renseignements

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ncessaires la planification et la conduite des oprations. Toute la panoplie du renseignement de dfense relative un thtre doprations, tant de documentation que de situation, est indispensable comme outil de base de la planification oprationnelle, qui sera la premire tche de ltat-major du commandant de lopration. Cet tat-major multinational devra disposer dune importante division renseignement dont lefficacit reposera sur les liens avec les services nationaux des Etats membres et certains organismes multinationaux, commencer par lEtat-major de lUE (EMUE), lOTAN et le Centre satellitaire de lUE de Torrejn. 30. Enfin, les renseignements ncessaires aux forces projetes sur le thtre doprations leur seront fournis par ltat-major du commandant doprations ; mais il est indispensable de prvoir une capacit de recueil et dexploitation locale du renseignement la disposition du commandant des forces. Aujourdhui, outre les rgiments et units spciales chargs de ce type de mission, des moyens techniques modernes, tels les drones et les stations de rception mobiles dimages satellitaires, permettent dobtenir des renseignements sur le thtre en temps quasi rel. 3. Besoins lis au terrorisme 31. A la suite des attentats du 11 septembre, diverses runions europennes tenues au plus haut niveau ont permis de prendre des dcisions pour lorganisation de la lutte antiterroriste en Europe. Ds le 14 septembre, la dclaration commune des chefs dEtat et de gouvernement de lUnion europenne prcisait : nous rendrons oprationnelle la politique europenne de scurit et de dfense au plus vite. Dans la lutte contre le terrorisme, nous dvelopperons nos efforts en matire de renseignements ; LUnion europenne acclrera la mise en oeuvre dun vritable espace judiciaire europen commun, ce qui implique entre autres la cration dun mandat europen darrestation et dextradition conformment aux conclusions de Tampere, et la reconnaissance mutuelle des dcisions judiciaires et des jugements. 32. On voit bien apparatre dans cette dclaration de principe les deux aspects complmentaires des besoins en renseignement lis au terrorisme : le besoin en renseignements stratgiques : connaissance des rseaux : leurs principes dorganisation et leur localisation ; historique et idologie ; leurs cibles, donc valuation de la menace ; les dommages potentiels ; leur modus operandi et les consquences globales pour la scurit des Etats membres description des situations possibles ; leur financement (circuits financiers, contrle bancaire, rles des organisations caritatives ). Il sagit l essentiellement de renseignements rechercher en dehors du territoire des Etats membres. Cest le rle des services de renseignements qui doivent rechercher aussi des renseignements concrets sur les pays abritant les bases de rseaux terroristes : rgimes politiques, liens avec les terroristes, volution possible, mais aussi infrastructure et moyens militaires. le besoin en renseignements de scurit/contre-ingrence , de nature plutt policire. Il sagit de renseignements recherchs sur les rseaux dj implants sur les territoires des pays membres de lUE ou allis dans cette lutte : membres des rseaux, habitudes et adresses, surveillance et filature, coopration internationale des polices. 33. Pour organiser ces cooprations ncessaires, le Conseil Justice et affaires intrieures de lUnion (JAI) a adopt ds le 20 septembre un catalogue de mesures, dont un chapitre intitul coopration policire/services de renseignements qui prcise la ncessit de cooprer au niveau des chefs de service de police (Task forces des chefs de police) et entre les services de renseignements, et de crer une quipe de spcialistes antiterroristes au sein dEuropol.

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III. Situation actuelle et projets en coopration 1. Les services de renseignement et leur coopration 34. Les pays europens disposent de diffrents types de services de renseignement dont certains pourraient dailleurs, terme, servir de base la mise en place effective dune organisation coordonne, voire commune lUnion europenne. 35. LAllemagne, dont lorganisation des services de renseignement date de laprs-guerre mondiale, possde diffrents organes de renseignement : le premier, de type gnral, est le Bundesnachrichtendienst (BND), service fdral de renseignement et de scurit orient vers lextrieur du territoire et qui a pour objectif de surveiller les pays dfinis comme pays risque , la criminalit organise, le blanchiment dargent, etc. Le second, pour la scurit intrieure, est le Bundesamt fr Verfassungsschutz (BfV), littralement office gnral pour la protection de la Constitution ; charg du contre-espionnage et de la lutte contre la subversion, il dpend du ministre de lintrieur. Le renseignement militaire, quant lui, repose sur lAmt fr Nachrichtenwesen der Bundeswehr (ANBw) (littralement office du renseignement des armes) et sur lAmt fr Fernmeldewesen der Bundeswehr (AFBw), qui concentre plus particulirement ses activits sur le renseignement lectronique militaire. 36. En France, la Direction gnrale de la scurit extrieure (DGSE) a pour fonction de rechercher et dexploiter les renseignements intressant la scurit de la France ainsi que de dtecter les activits diriges contre les intrts franais manant de lextrieur du territoire national. La Direction de surveillance du territoire (DST) a pour mission de rechercher et de prvenir, sur le territoire franais, les activits de nature menacer la scurit du pays. Enfin, la Direction du renseignement militaire (DRM), charge de recueillir et de trouver les informations ayant un caractre militaire ou des informations gnrales de types politique, social ou conomique qui sont ncessaires au ministre de la dfense et qui pourraient avoir une influence sur lorganisation dune opration militaire, complte les services de renseignements franais. 37. En Grande-Bretagne, le Secret Intelligence Service (SIS (ex MI 6)), subordonn au ministre des affaires trangres, sintresse au renseignement extrieur stratgique. On trouve galement le Security Service (SS), ex MI 5, plac sous lautorit du ministre de lintrieur, qui a pour domaine de comptence le terrorisme au Royaume-Uni, la lutte contre le terrorisme international, le contreespionnage, ou encore le crime organis. Dans le domaine du renseignement de dfense, le Defence Intelligence Staff (DIS) porte son attention sur tous les domaines qui touchent la dfense, y compris des problmes conomiques, politiques ou mme technologiques. Il existe plusieurs autres services spcialiss comme la Special Branch de Scotland Yard, qui trouve son origine dans le terrorisme irlandais ; le National Criminal Intelligence Service (NCIS) charg du crime organis, le Government Communications Headquarters (GHCQ) charg des coutes lectroniques, etc. La coordination de ces services se fait grce au Joint Intelligence Committee qui assure la centralisation et la coordination du renseignement en dfinissant les besoins et en produisant des valuations rgulires sur les thmes dintrt gnral. Se runissant une fois par semaine au niveau des chefs dagence et reprsentants des ministres concerns, il est propos comme modle et apparat comme symbole de la communaut du renseignement britannique. 38. En Espagne, la communaut du renseignement a tout rcemment t rorganise par une loi qui a remplac le CESID (Centre suprieur de renseignement et de dfense, plac sous la tutelle du ministre de la dfense) par le CNI (Centre national dinformation), organisme vocation gnrale : terrorisme, mouvements extrmistes mais aussi contre-espionnage et renseignement conomique. Il est comptent aussi bien lextrieur que sur le territoire national. Le ministre de lintrieur est responsable du CGI (Centre gnral dinformations) qui conduit les enqutes sur le territoire (subversion, ETA, stupfiants, dlinquance conomique et financire) et dispose aussi dune unit de renseignement extrieur (intgrisme islamiste, coopration internationale, veille conomique, etc.). Enfin, le renseignement de dfense est de la responsabilit de lEtat-major gnral (EMACON). 39. LItalie possde deux services principaux. Le Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Democratica (SISD) est spcifiquement attach la protection des intrts de la scurit intrieure et

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le Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Militari (SISMI) est charg des tches de renseignement plus spcifiquement militaire et de scurit extrieure. 40. A travers ces diffrents exemples, on constate que les services de renseignement que nous venons de mentionner ont des structures semblables et des intrts identiques. Le renseignement militaire fait le plus souvent lobjet dune catgorie particulire, spare des services de renseignements internes et externes. Cest notamment le cas de la DRM en France, de lANBw en Allemagne ou encore du DIS en Grande-Bretagne. Le renseignement gnral sur le territoire des pays membres sintresse, quel que soit le pays, des questions similaires (DST en France, SS en GrandeBretagne, Bfv (Bundesamt fr Verfassungsschutz) en Allemagne. Cette similitude des structures est la base des cooprations actuelles et futures entre les services homologues des diffrents pays europens qui ont des missions de mme nature. 41. Dans le cas particulier des services de renseignement militaires, notons que les principaux fournisseurs sont les attachs de dfense accrdits auprs des ambassades dans divers pays. Certains pays europens ont encore des rseaux dattachs de dfense trs dvelopps, qui sont les principales sources dinformation sur les conflits potentiels et les mouvements terroristes locaux, ct des reprsentants des services civils , dont les rsidents ont une prsence discrte, souvent sous couverture diplomatique. Les forums existants 42. Le grand public connat mal la connivence organise, durant les annes 1980, entre les services europens de renseignement et de scurit dans la lutte contre les terrorismes internationaux. Elle sappuyait sur un rseau de communication instantan protg Intranet avant lheure aujourdhui institutionnalis. Les propos du Prfet Bernard Grard, ancien directeur dun service de renseignement intrieur franais, la DST, rvlent lexistence dune coopration assez pousse mais limite un domaine. Des forums se sont ainsi crs pour traiter de sujets particuliers en rassemblant des services de renseignement de diffrents pays. Ces groupes sont plus ou moins connus. Souvent cits dans la littrature ouverte, leur composition exacte et leur organisation ne sont que rarement dcrites. 43. Le plus clbre de tous les forums est sans doute le groupe de Trevi, dont le nom signifie Terrorisme, Radicalisme, Extrmisme et Violence Internationale . Cr en 1975, il runit les ministres de lintrieur et de la justice de lUnion europenne dans le but de renforcer la coopration policire. Ses domaines daction sont la criminalit organise, le terrorisme, le trafic de stupfiants, etc. Avec le Trait de Maastricht, le statut du groupe de Trevi a t modifi. Devenu permanent, il est constitu de six groupes dexperts qui travaillent sur des thmes particuliers. Ces groupes sont chargs dorganiser les changes de renseignements et dharmoniser les lgislations et rglementations europennes. Il a t le creuset des accords de Schengen ; aujourdhui, par exemple, on y discute du mandat darrt europen. 44. Le Club de Berne, un peu moins connu, a t cr en 1971 et regroupe aujourdhui 18 pays. Lorsque la Grce laura rejoint, tous les pays de lUE en seront alors membres. 45. En fait, ce club est le cadre de nombreuses runions organises par thmes en fonction des proccupations du moment. Il permet des contacts informels par petits groupes. Mais on constate que les synthses de situation labores au niveau des directeurs de service ne servent qu informer les pays membres puisquil ny a pas dautorit politique europenne destinataire de ce renseignement, comme pourrait ltre le Haut reprsentant pour la PESC, M. Solana. Il est vrai que le renseignement, accompagn dune apprciation de situation, peut engager la politique dun pays et que cela pose des problmes de souverainet aux Etats membres. 46. Le Kilowatt Group comprenait, lors de sa cration en 1977, 15 membres (pays de la CEE, Canada, Norvge, Sude, Suisse, CIA et FBI, Mossad et Shin Beth). Dans ce groupe, il ne sagit pas dchanges donnant donnant , ce qui est avantageux pour les petits pays. Chaque service de renseignement national met la disposition des autres les informations quil possde sur le terrorisme. Ce nest en fait quun rseau de tlex.

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47. Citons encore la confrence des ministres de lintrieur de la Mditerrane occidentale, cre Rome en 1982, linitiative de la France, pour lutter contre le fondamentalisme islamique et le crime organis. Elle regroupe la France, lEspagne, la Tunisie, lAlgrie et le Maroc. 48. Enfin, le Comit spcial de lOTAN runit des services de scurit des pays membres. Il a pour comptence le contre-espionnage et la lutte contre le terrorisme, notamment pour la protection des troupes essentiellement amricaines dployes ltranger. Nanmoins, le grand nombre de participants et des divergences de vues sur la dfinition du terrorisme limitent la confidentialit des renseignements changs. 49. Il existe de nombreux forums de ce type dont lexistence nest pas rvle au public. Ils sont la preuve quune coopration existe et peut tre organise. Cependant, si lefficacit de certains groupes comme ceux de Trevi ou de Berne est reconnue, le contenu des changes nest videmment pas rendu public. Ces groupes sont qualifis dorganisations de lombre ( shadowy European organisations )2, et si leur existence est cache, ils peuvent difficilement sinsrer dans une politique officielle europenne. 50. Une autre instance, en revanche tout fait connue, est Europol. Lorganisation de la coopration dans le domaine du renseignement europen pourrait prendre exemple sur la Convention Europol, signe en 1995 et entre en vigueur le 1er octobre 1998. Cette convention a mis en place un Office europen de police qui a pour objectif damliorer lefficacit des services comptents des Etats membres et leur coopration en ce qui concerne la prvention et la lutte contre le terrorisme, le trafic illicite de stupfiants et dautres formes graves de la criminalit internationale . Ses fonctions sont les suivantes : faciliter lchange dinformations entre les Etats membres ; rassembler et analyser les informations et renseignements ; communiquer aux services comptents des Etats membres les informations les concernant et les informer immdiatement des liens constats entre des faits dlictueux ; faciliter les enqutes dans les Etats membres ; grer des recueils dinformations informatiss. 51. Lapplication de la Convention dans chaque Etat se fait grce une unit nationale , seule autorise faire la liaison entre Europol et les services nationaux concerns et comptents. Cette unit envoie auprs dEuropol au moins un officier de liaison, charg de reprsenter les intrts de son pays au sein de lorganisation. Europol gre des bases de donnes qui permettent un change dinformations sur les personnes suspectes pour faciliter leur arrestation. En pratique, il ne permet pas vraiment de procder des changes de synthses ni une rflexion sur les menaces. Europol est contrl par les ministres de la justice et nest pas un forum dchanges entre services de renseignement. Les autres formes de coopration 52. Les services de renseignement ont tabli depuis longtemps des cooprations informelles, le plus souvent bilatrales. Soulignons que ces cooprations ne sont pas lexclusivit des Europens mais stablissent de manire internationale. Ainsi, les Etats-Unis ont tabli des cooprations avec leurs allis depuis des annes. Les cooprations entre Europens semblent nombreuses, tel point que certains parlent de patchwork daccords 3. Les pays frontaliers ont souvent intrt travailler ensemble, ce qui a pour consquence le dveloppement de cooprations entre certains services europens. Par exemple, le CGI espagnol, dont la principale mission est la lutte contre le terrorisme de lETA, dispose dune brigade de renseignement extrieur qui surveille lvolution des groupes terroristes trangers et collabore avec des services allis, en particulier franais. Il existe une collaboration analogue en ce qui concerne les flux migratoires.

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Janes Foreign Report 2629. Janes Foreign Report 2629.

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53. Les changes bilatraux sont nombreux et il semble que chaque pays organise ce genre dchanges. Comment ces cooprations naissent-elles, quelle frquence et de quelle manire ? Qui les autorise et les met en place ? Nous ne pouvons rpondre toutes ces questions. 54. Laccroissement des zones de conflit et dinstabilit potentielles, ainsi que celui des flux dinformations compliquent la tche des services de renseignement. Ceux-ci devraient logiquement envisager un partage des missions ou des zones, dautant quils ont chacun leur propre zone dintrt qui correspond une zone dinfluence traditionnelle, par exemple lAfrique pour la France (DGSE), lAmrique latine pour lEspagne (CNI). 55. Mais dans lensemble, cest aujourdhui une politique du chacun pour soi qui prvaut en Europe et plusieurs facteurs expliquent les rticences des services cooprer. Tout dabord, une distinction doit tre faite entre les informations brutes et les valuations fondes sur ces informations : le partage de lanalyse se fait plus facilement que celui de linformation brute . 56. De plus, il est une rgle laquelle les services de renseignement ne doivent pas droger : il sagit de la protection des sources. Lidentit des personnes doit tre tenue secrte pour garantir leur scurit ; cela parat logique et naturel. Mais la protection des sources concerne aussi les moyens techniques. Et quel que soit le type de source, leur connaissance peut permettre de se faire une ide de la politique de renseignement conduite par un Etat. Ce principe est lun des principaux obstacles au partage du renseignement. Les services ne donneront pas dinformations sils pensent quelles permettent de remonter la source. Dans ce cas, les possibilits dchanges et de coopration sont rduites. Ajoutons quil est peu probable quun Etat dot de moyens de renseignement sophistiqus accepte de partager les valuations sensibles avec un autre pays, sauf sil pense recevoir quelque chose dintressant en retour. 57. Enfin, ce qui est nouveau dans le cadre de lUnion europenne, cest la mise en place dune coopration des services de renseignement, dcide la suite des attentats du 11 septembre, au cours du Conseil Justice et affaires intrieures (JAI) du 20 septembre : Le Conseil rappelle limportance pour la qualit des analyses dEuropol dune transmission rapide par les autorits policires, mais aussi par les services de renseignements des Etats membres, de toute donne pertinente en matire de terrorisme. () Le Conseil dcide de constituer au sein dEuropol, pour une dure de six mois renouvelable, une quipe de spcialistes antiterroristes pour laquelle les Etats membres sont invits dsigner des officiers de liaison provenant des services de police et des services de renseignements spcialiss en la matire, () 2. Le renseignement dans le cadre des structures politico-militaires de lUE 58. Ltude ci-dessus des besoins en renseignement pour la gestion des crises internationales a montr combien il est important de disposer de renseignements fiables et rcents. Pour lUnion europenne, la ncessaire autonomie de dcision et la capacit de contrle politique dune ventuelle intervention a ncessit la mise en place dorganes spcifiques constituant une vritable chane du renseignement adapte aux divers stades de gestion de la crise. Aujourdhui, lUnion dispose dune structure de gestion de crise place sous la responsabilit du Secrtaire gnral du Conseil/Haut reprsentant pour la PESC (SG/HR) et du Comit politique et de scurit (COPS) dont le fonctionnement est dcrit ci-dessous : LUnit politique de planification et dalerte rapide (UPPAR), ne du Trait dAmsterdam, et mise en place en octobre 1999, travaille sous lautorit du SG/HR ; elle a pour mission de fournir des valuations des intrts de lUnion en matire de PESC, de donner rapidement lalerte en cas de situation de crise et dtablir des documents prsentant, dune manire argumente, des options concernant la politique suivre. Elle comporte plusieurs sections : Balkans/Europe centrale ; PESD ; questions horizontales et Amrique latine ; Russie/Ukraine/relations transatlantiques/Asie ; Mditerrane/Barcelone ; Moyen-Orient /Afrique.

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Elle est compose dune vingtaine de personnes et de hauts fonctionnaires du Secrtariat du Conseil et de la Commission. Elle sappuie sur des informations diplomatiques, conomiques, politiques, sociales, ouvertes ou obtenues auprs des missions diplomatiques des pays membres. 59. La cration et la mise en place au cours de lanne 2001 de trois nouveaux organes au sein du Secrtariat du Conseil constituent un progrs considrable pour lEurope de la dfense : le Comit politique et de scurit (COPS), le Comit militaire (CMUE) et lEtat-major de lUnion europenne (EMUE) ont t crs au Sommet de Nice (dcembre 2000) et lensemble a t dclar oprationnel Laeken (dcembre 2001). 60. Le Comit politique et de scurit (COPS) : compos de hauts fonctionnaires ayant rang dambassadeurs et plac sous lautorit du Conseil europen (chefs dEtat) et du Conseil Affaires gnrales (CAG), au niveau des ministres, il est charg de lensemble des questions relatives la PESC : un comit politique suit la situation internationale dans les domaines relevant de la politique trangre et de scurit commune et contribue la dfinition des politiques en mettant des avis lintention du Conseil, la demande de celui-ci ou de sa propre initiative. Il surveille galement la mise en oeuvre des politiques convenues, sans prjudice des comptences de la prsidence et de la Commission. 4 61. En cas de crise, son rle est dassurer le contrle politique et la direction stratgique doprations conduites par lUE : il examine toutes les options envisageables pour la rponse de lUnion et les propose au Conseil. Il adresse ses directives au Comit militaire (CMUE) qui lui-mme formule des recommandations et avis destins au COPS. 62. Le Comit militaire (CMUE) : compos des chefs dtat-major des armes reprsents par leurs dlgus militaires 5, il est lenceinte de consultation et de coopration militaire entre les Etats membres de lUE dans le domaine de la prvention des conflits et de la gestion des crises 6. Plus gnralement, il exerce la direction militaire de toutes les activits militaires dans le cadre de lUE. Comme nous lavons vu, il fournit au COPS ( la demande de celui-ci ou de sa propre initiative) des recommandations et des avis sur toutes les questions militaires dans le cadre de lUE, par exemple lvaluation des risques potentiels, lvaluation et le rexamen des objectifs en termes de capacits. 63. En cas de crise, il adresse, la demande du COPS, une directive au Directeur gnral de lEMUE pour que celui-ci prsente les options militaires stratgiques. Il value ces options labores par lEMUE et les transmet au COPS avec son valuation. Sur la base de loption militaire retenue par le Conseil, il autorise llaboration dune directive initiale de planification lintention du commandant doprations. Le prsident du CMUE est le porte-parole du CMUE et ce titre, il est le conseiller militaire du SG/HR. 64. LEtat-major de lUnion europenne (EMUE) : cest la source de lexpertise militaire de lUE. En cas de crise, il est charg de lalerte rapide, de lvaluation des situations et de la planification stratgique qui recouvre lapprciation de situation, la dfinition dun cadre politico-militaire dune ventuelle intervention et llaboration doptions militaires stratgiques. Les fonctions de lEMUE sont nombreuses et augmentent bien videmment en situation de gestion de crise. Lventail des fonctions qui lui sont attribues engendre un grand besoin de renseignements qui devront lui tre fournis dans les capacits nationales et multinationales appropries 7. Une division Renseignement a donc t cre au sein de lEtat-major europen. Elle contribue lvaluation de situation, lalerte rapide (veille stratgique) et assure un soutien aux oprations en cas dengagement europen, mais ne soccupe pas de renseignement de documentation. Pour fonctionner, elle sappuie sur une trentaine de personnes (23 officiers et sept sous-officiers). Au moins un expert de chaque Etat membre y participe. Ces experts travaillent tous pour le Directeur de lEMUE, mais chacun dispose dune liaison scurise vers le service national de renseignement auquel4 5

Article 25 du Trait sur lUnion europenne. Il se runit au niveau des chefs dtat-major en tant que de besoin. 6 Annexe IV du rapport de la prsidence franaise de lUE (Nice, dcembre 2000). 7 Annexe V du rapport de la prsidence franaise (Nice, dcembre 2000).

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il appartient. Ainsi, il peut recevoir les contributions de son pays et les solliciter en cas de besoin. Cet arrangement a demand la mise en place dinfrastructures spcifiques et chaque Etat membre a dfini quel organisme national est responsable de la fourniture des renseignements. A partir des renseignements reus cette division doit fournir une valuation de situation qui reflte une position europenne commune. Les documents produits sont transmis au Directeur gnral de lEtat-major, au Comit militaire, au Centre de situation et aux organismes nationaux de renseignement. 65. Le Centre de situation (SITCEN) est la cl de leffort de synergie entre les renseignements dorigine civile et militaire. Plac sous lautorit du SG/HR, et dirig par son Conseiller spcial il est charg de lui fournir tous les renseignements ncessaires lvaluation et au suivi de la situation. Il comprend une cellule de recueil et danalyse du renseignement en provenance des services civils de renseignement, cellule arme par du personnel mis disposition par les Etats membres. Outre la cellule prcite, son personnel provient de lUPPAR et de la division Renseignement de lEMUE. Le SITCEN a un rle de synthse de linformation et en assure la diffusion. En cas de crise dclare, il se transforme en cellule de suivi de crise et assure donc une permanence. 66. En ce qui concerne les relations entre lUE et lOTAN dans ce domaine, il faut noter le rle particulier que devrait jouer le rseau informatis dinformations confidentielles de lOTAN, le BICES (Battlefield Information Collection and Exploitation System). En fait, lOTAN nest pas le fournisseur dinformation car ce sont les allis qui mettent certains documents sur ce rseau. Tous les experts estiment trs important de voir le SITCEN ou la division Renseignement disposer dun terminal sur ce rseau, mais ce nest pas encore le cas car les arrangements sont encore loin dtre finaliss, notamment du fait de la prsence lUE de membres nappartenant pas lOTAN. Pour linstant, le seul accord de scurit intrimaire entre lUE et lOTAN ne permet pas lchange de renseignement entre lEMUE/SITCEN et lOTAN (SHAPE/EMI)8, mais il faut noter que ces accords et la participation au rseau BICES existaient dans le cadre OTAN/UEO. 67. Pour linstant, lUE a repris, sous le nom d ESDP net , le rseau WEUCOM qui tait en place entre le Secrtariat gnral de lUEO et les capitales des pays membres (11 pays raccords). Mais le dbit de ce systme est considr comme trop faible pour permettre le contrle politique et militaire dune opration en temps rel. Des tudes sont en cours pour la mise en place dun systme informatis grand dbit entre le SITCEN/EMUE et les pays membres. 68. La question des renseignements trs confidentiels en provenance des services de pays membres nest pas rgle dans cette structure. Aussi M. Solana a-t-il dcid de crer une cellule de spcialistes de synthse/valuation qui jouera le rle dun Comit de renseignement. Cette cellule, place sous lautorit de son Conseiller spcial, comprendra une vingtaine de personnes dont un certain nombre auront des liens privilgis avec les services de renseignements nationaux. 69. Nous pouvons donc constater la mise en place dune organisation srieuse au profit des responsables chargs de llaboration des options stratgiques et des choix politico-militaires lors du dveloppement dune crise. Elle devrait permettre de conseiller efficacement les dcideurs politiques dans le cadre de leur participation au Conseil Affaires gnrales (CAG) ou au Conseil europen au niveau des chefs dEtat. 70. Cette organisation aura pour rle principal dassurer la fonction renseignement en phase prdcisionnelle en cas de crise. En outre, en cas dintervention militaire conduite dans le cadre de lUE, les valuations stratgiques fournies par cette structure serviront de base aux travaux de planification oprationnelle de ltat-major de lopration. Mais cet tat-major aura besoin de renseignements plus pratiques et plus dtaills pour la conduite de lopration. La rflexion sur lorganisation du cycle de renseignement au niveau de ltat-major dopration et de ltat-major de forces dploy sur le thtre doprations est lobjet des travaux actuels conduits par lEMUE dans le cadre du concept ISTAR (Intelligence, Surveillance and Targeting). 71. En pratique, on constate que lorganisation se met en place de faon satisfaisante, et que le personnel dtach par les pays est de qualit et couvre par sa comptence les divers secteurs de crise.8

SHAPE = Commandement suprme des forces allies en Europe (Mons), EMI = Etat-major international de lOTAN (Bruxelles).

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LEMUE a dj adress des demandes de renseignements aux services nationaux qui ont t en grande partie satisfaites. Enfin, des runions des directeurs des services de renseignement militaires des pays membres commencent se tenir rgulirement sous chaque prsidence. 72. Actuellement, la coopration europenne pour lexploitation du renseignement de dfense est en bonne voie, bien quelle ne repose que sur des contributions nationales volontaires et ne couvre pas la phase dacquisition du renseignement, domaine o les cooprations europennes restent encore trs parcellaires. Les Etats membres prendront-ils lhabitude de faire parvenir rgulirement des renseignements de qualit sur les divers thtres de crise ? Etant donn le caractre fondamental pour lautonomie de lUE de la rponse cette question, on peut dire que la faon de partager le renseignement sera dcisive pour lavenir de lUE en matire de dfense. 3. Moyens, coopration et projets dans le domaine de lacquisition du renseignement (a) Limagerie spatiale 73. Le rle des satellites est essentiel pour lacquisition du renseignement ncessaire la prvention et la gestion des crises, quil sagisse de lapprciation gnrale de la situation, de lvaluation des forces en prsence ou des mouvements de rfugis, de la surveillance des embargos, de la prparation des activits humanitaires ou des interventions militaires. 74. En outre, ils sont le seul moyen permanent de surveillance de la prolifration des armes de destruction massive. Ils peuvent en effet observer, o que ce soit, le fonctionnement des usines de production et lactivit des centres dessai et la mise en place des missiles balistiques. Ils sont essentiels galement pour la vrification de la bonne application des traits de matrise des armements. 75. Il existe plusieurs catgories de satellites dobservation que leurs atouts et leurs points faibles rendent complmentaires. En effet, tandis que les satellites optiques, qui offrent une bonne rsolution, sont aveugles la nuit et par temps couvert, les satellites radar, dune rsolution moindre, constituent une capacit tous temps . Les capteurs infrarouges, qui enregistrent une partie non visible du spectre optique et crent des images partir des variations de temprature, permettent une vision de nuit. 76. De la guerre du Golfe au conflit en Afghanistan, en passant par les Balkans, toutes les crises rcentes ont confirm limportance de lobservation spatiale. Elles ont aussi rvl la domination sans partage des Etats-Unis dans ce domaine en mme temps que la dpendance de lEurope. Aussi les ministres de lUE, runis Laeken en novembre 2001, ont-ils dclar quil fallait consentir un rel effort au profit des programmes dimagerie spatiale de haute rsolution afin que lEurope accde la matrise du renseignement stratgique. Une coopration aboutie : le programme Hlios 1 (France, Italie, Espagne) 77. Le programme Hlios 1 constitue le plus bel exemple de coopration russie. Ce programme, auquel participent la France ( hauteur de 78,9%), lItalie (pour 14,1%) et lEspagne (7%), comprend deux satellites militaires optiques Hlios 1A et 1B. Tous deux ont t mis en orbite partir de la base de Kourou, lun en juillet 1995, lautre en dcembre 1999. 78. Au total, plus de trente industriels franais, italiens et espagnols ont contribu la ralisation du programme Hlios 1. Les efforts dploys par chacun des acteurs ont permis de maintenir le cot du programme dans lenveloppe prvue, environ 1,52 milliard deuros, lancement compris. 79. Le principe de cette coopration est fond sur une exploitation en commun. La composante sol du systme comprend des centres principaux Creil (rgion parisienne), Patricia di Mare (prs de Rome) et Torrejn (prs de Madrid), mais aussi des centres de rception des images Colmar (France), Lecce (Italie) et Maspalomas (Espagne) ainsi quune station de thtre transportable franaise (STT). Le centre principal franais de Creil assure la direction et la coordination de tout le systme Hlios 1 et la programmation quotidienne des satellites partir des demandes de chaque pays selon un partage au prorata des participations financires. Bilan de cette coopration

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80. Lexemple de la coopration tripartite autour du systme Hlios 1 tend dmontrer quune coopration sur les moyens techniques dacquisition du renseignement favorise une relative harmonisation des politiques et stratgies de renseignement des pays participants. En effet, aujourdhui, 30% des prises de vues manent de demandes communes contre 17% en 1997. Pendant lopration au Kosovo, la totalit des prises de vues a t commune. 81. Ainsi, en tant que premier systme satellite dobservation militaire europen, le systme Hlios 1 apparat comme un relatif succs puisque ses performances sont apprcies, mme si elles ngalent pas celles des Amricains et que la coopration sest rvle intressante pour les trois pays. Pourtant, le programme Hlios 2 dcid par la France en vue du remplacement dHlios 1 peine connatre le mme sort que son prdcesseur. Notons toutefois que la Belgique et lEspagne, qui ont dcid de participer Hlios 2 hauteur de 2,5% chacune, devraient tre les partenaires de la France sur ce projet. La mise en orbite du premier des deux satellites (optique et infrarouge) est prvue lhorizon 2004. Les accords dchange entre programmes nationaux 82. En dehors du programme Hlios 1, les projets europens en matire dimagerie spatiale se rpartissent entre diffrents programmes nationaux : SAR Lupe pour lAllemagne, Ishtar pour lEspagne, Cosmo Skymed pour lItalie et Hlios 2 pour la France. Les formes de coopration envisages diffrent de celle dHlios 1. Alors quavec le programme Hlios 1, on pourrait parler de coopration quasi intgre , cest--dire dun partage de ressources communes, les nouveaux projets de coopration procdent davantage de la complmentarit que de lintgration. Ainsi, les pays mentionns vont dvelopper un programme dimagerie spatiale (optique ou radar) et le complter par des changes dimages disponibles sur la base daccords bilatraux. Avec Hlios, la France a opt pour la filire optique et ne dispose donc pas de satellites radar, ce qui explique la conclusion daccords de coopration avec lAllemagne et lItalie, qui entendent se positionner sur la filire radar. La coopration franco-allemande : Hlios SAR Lupe 83. Lors du sommet de Mayence (juin 2000), la France et lAllemagne ont affirm leur intention de contribuer la constitution dune capacit europenne de renseignement en y apportant leurs futurs systmes militaires dimagerie spatiale Hlios 2 et SAR Lupe. Dans cette perspective, la France et lAllemagne se rapprocheront pour changer des donnes radar SAR Lupe et optiques Hlios. Ces changes se limiteront aux donnes existantes et ne prvoient pas la possibilit de programmer le satellite de lautre pays. 84. Grce au systme militaire allemand SAR Lupe, disponible en 2005, lEurope comblera un vide dans le domaine de lobservation radar de haute rsolution. Laccord franco-italien : Plades Cosmo Skymed 85. Laccord sign entre la France et lItalie, loccasion du sommet de Turin (janvier 2001), dfinit les principes de la coopration devant rgir un grand systme multi-capteurs sappuyant sur de petits satellites pour des missions optiques et radar. Ce systme repose sur deux programmes civilomilitairess de satellites dont la mise en place doit se drouler entre 2003 et 2006. Il sagit du programme italien Cosmo Skymed, prvoyant quatre satellites radar, et du programme franais Plades, compos de deux satellites optiques haute rsolution. 86. En se fondant sur lexistence de leurs programmes nationaux de satellites dobservation respectifs, la France et lItalie ont donc sign un accord dchange dinformations dorigine satellitaire. Laccord concerne galement le segment sol qui sera dvelopp en commun par les deux parties. Il sagit dun systme dual (civil et militaire) qui assure la fois la protection des intrts de dfense, en termes de scurit et de priorit des demandes de mission et la satisfaction des utilisateurs civils et commerciaux. Lutilisation du systme sera en effet ouverte plusieurs catgories dutilisateurs, mais les demandes de missions des ministres de la dfense seront traites en priorit. Cette coopration est ouverte tous les Etats de lUE et aux organisations multilatrales europennes, ce qui permet denvisager des progrs dans le sens de la constitution dune Europe spatiale.

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87. En conclusion, ces cooprations techniques permettent de donner un lan lEurope du renseignement spatial mais ne sont pas la garantie de la mise en place future dun vritable systme commun europen. Elles se rvlent pourtant indispensables pour la simple raison quaucun des membres de lUnion europenne na les moyens de squiper, au niveau national, de toute la panoplie dlments de recueil et de traitement ncessaire en matire de renseignement. La poursuite du programme Hlios 2 avec les Belges et les Espagnols, complte par les accords Plades/Cosmo Skymed et Hlios/SAR Lupe, est un signe encourageant, et on pourrait envisager terme un systme global europen dobservation de lespace en commenant par fdrer les segments sol des diffrents systmes existants. Le Centre satellitaire de Torrejn 88. Au-del des diverses cooprations europennes portant sur les moyens techniques de recueil du renseignement, il convient de rappeler les possibilits dintgration du renseignement europen quoffre le Centre satellitaire de Torrejn en matire de traitement de linformation. Rcemment transfr lUE, le Centre est charg de lexploitation des images issues de lobservation spatiale au profit du Centre de situation ou de lEtat-major de lUE en vue de llaboration des options stratgiques. A ce titre, il appartient lEMUE, et plus particulirement sa division Renseignement, dorienter les recherches du Centre concernant les questions de scurit et de dfense en lui faisant part de ses besoins. Par ailleurs, au niveau de la conduite de lintervention militaire, ltat-major de lopration devra tre mis en liaison directe avec le Centre de Torrejn. 89. Pourtant, il reste encore des progrs accomplir au Centre satellitaire afin datteindre le niveau defficience des centres militaires nationaux dexploitation de limagerie spatiale. En effet, le Centre de Torrejn tant de nature largement civile et dpourvu dun personnel suffisant et adapt (interprtes dimages statut militaire), il peine assurer le traitement des images en temps quasi rel qui est ncessaire la conduite des oprations militaires au cours dune crise. Il sagit donc de crer en son sein mme une vritable division militaire du renseignement, dote de personnels militaires dtachs des divers pays membres, capables de travailler sans limites dhoraires et pouvant tre rquisitionns en temps de crise. 90. En dernier lieu, afin de dlivrer des dossiers images complets, le Centre ne doit pas se limiter lanalyse des seules images dorigine spatiale, mais doit pouvoir intgrer galement les images dorigine arienne (aronefs pilots ou drones) et les corrler ensemble. A terme, il doit devenir une vritable agence europenne de limagerie. (b) Limagerie arienne Les aronefs pilots : les avions de reconnaissance 91. La plupart des armes de lair comprennent depuis longtemps une composante pilote spcialise dans la reconnaissance arienne, dsormais photographique, infrarouge et radar. La France dispose dans ce domaine dun large ventail de vecteurs et de capteurs, commencer par les Mirage F1 CR et les Mirage IV P pour les vecteurs. Concernant les capteurs, ces appareils sont quips de nacelles : photo (rsolution denviron 1 m), infrarouge et radar (sur Mirage F1 CR uniquement, rsolution de 3 6 m). Outre les 5 Mirage IV P, dont lallonge, laltitude de vol (50 000 pieds) et la vitesse (Mach 2) demeurent remarquables, et les deux escadrons (40 appareils) de Mirage F1 CR, respectivement en service jusquen 2005 et 2010/2012, la France dispose galement des SuperEtendard moderniss, embarqus sur porte-avions. Tous les avions de larme de lair consacrs la reconnaissance tactique ou stratgique doivent tre remplacs par le Mirage 2000-N lhorizon 20052006. Ces derniers seront quips des nacelles de reconnaissance de nouvelle gnration RECO-NG, capacit optique et infrarouge, utilisant la technologie numrique. 92. Sagissant de la surveillance aroporte du ciel, la future Force de raction rapide devrait disposer des AWACS fournis par le Royaume-Uni et la France (un ou deux chacun). Pour la surveillance aroporte du champ de bataille, elle naura pas de J-STARS amricains (Joint Surveillance Target Attack Radar System), mais elle aura la possibilit de recourir au systme franais hliport de thtre Horizon qui a fait ses preuves dans les Balkans et, partir de 2006, au systme

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aroport britannique ASTOR (Airborn Stand-Off Radar) qui sera capable de traiter et dacheminer quasiment en temps rel et par tous les temps les images captes par ses radars. Les drones 93. Le drone (ou UAV : Unmanned Aerial Vehicle) est un aronef sans quipage dont le vol est prprogramm, donc non modifiable en cours de mission, ou tlpilot, auquel un oprateur situ dans une cabine de commande passe ses ordres et qui retransmet les images vido du terrain survol. 94. En opration, les Amricains ont confi aux drones les missions dites 4 D : dull (ennuyeux), dirty (sale : environnement radioactif ou toxique en cas dattaque nuclaire ou bactriologique), dangerous, dollars. En effet, les drones peuvent tre utiliss en temps de crise pour des missions potentiellement dangereuses, politiquement sensibles, loccasion desquelles la capture ou la perte dun quipage pourrait tre lorigine dune escalade diplomatique ou militaire. Labsence dquipage permet des missions de longue dure, la technologie permettant dsormais de saffranchir des contraintes physiologiques inhrentes lhomme. La rduction des cots induits par les drones et leur taille limite les consquences oprationnelles et conomiques de leur perte. 95. Les drones ont dj t utiliss au-dessus de Cuba en 1962 et leur emploi pour la reconnaissance sest peu peu gnralis. Les Israliens sen sont servis au cours des guerres isralo-arabes (notamment au Liban) et ils ont permis aux Amricains de dtecter les batteries antiariennes ennemies au Vietnam. Les drones de reconnaissance ont depuis servi avec avantage dans tous les grands conflits rcents (Golfe, Bosnie, Kosovo) jusqu lopration Libert immuable en Afghanistan o, pour la premire fois, on a utilis un drone de combat (UCAV : Unmanned Combat Aerial Vehicle), le drone amricain Predator muni de missiles antichars Hellfire. On distingue plusieurs types de drone : les drones lents de courte porte ; les drones rapides de moyenne porte ; les drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE) ; les drones de haute altitude et longue endurance (HALE). 96. Les drones (lents) de courte porte satisfont des besoins tels que voir derrire la colline , dsigner des objectifs avec prcision, contrler en temps rel lefficacit des feux ou brouiller localement les radiocommunications adverses. Dans cette catgorie, les Europens sont bien pourvus. La France dispose des drones Fox (produits par la socit franaise CAC Systmes) et Crcerelle (produits par la socit franaise Sagem). LAllemagne possde le Brevel (coproduit par la socit franaise Matra) et le Taifun. Les Britanniques ont dvelopp le systme Phoenix, un drone qui peut tre rcupr sans piste ni quipement spcial, mais laide dun parachute et dun coussin gonflable de conception originale. LItalie met en oeuvre le Mirach 26 et lEspagne le drone Siva. Enfin, les Pays-Bas ont command quatre escadrons de drones Sperwer la socit franaise Sagem. 97. Les drones rapides sont destins remplir des missions de renseignement tactique au profit des armes de terre dans la profondeur du dispositif adverse. En la matire, lEurope peut compter sur le drone CL-289 (France, Allemagne), et le drone italien Mirach 150. 98. LEurope ne dispose que dun nombre trs limit de drones de longue endurance MALE. Dans ce domaine, larme franaise a acquis une batterie de quatre drones Hunter de fabrication isralienne. Ce type dUAV est apte la surveillance de zone puisquil peut rester en vol de cinq six heures 15 000 pieds. Il est quip de camras vido retransmettant les images son poste de contrle. En outre, il est dot dun illuminateur laser qui permet la dsignation de cibles pour une attaque par avion dot darmement guidage laser. 99. En revanche, les Europens ne disposent daucun drone de type HALE linstar du drone amricain Global Hawk, qui a opr en Afghanistan une altitude de 20 000 m, soit deux fois celle des vols commerciaux. Ce type dUAV peut effectuer des vols de 35 heures 2 000 km de sa base.

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100. De nombreux projets sont en cours dtude en Europe, mais jusquici il ny avait pas de coopration europenne organise. Aussi dans le cadre du Plan daction europen sur les capacits adopt par les membres de lUnion europenne en novembre 2001, il a t dcid de mener des tudes en commun sur les diffrentes lacunes constates sous leadership dun pays membre. La France a t dsigne comme leader pour les drones. (c) Linterception lectronique 101. Les oreilles sont aussi importantes que les yeux et les moyens dinterception lectronique crent des opportunits formidables en matire de renseignement. Sur ce sujet, on ne peut pas ne pas voquer le rseau Echelon qui, au niveau plantaire, est capable dintercepter toutes les communications, paroles, traces techniques, fax, e-mails Mais si Echelon est lexemple mme, unique au demeurant, dune coopration technique pousse en matire despionnage lectronique, il nen reste pas moins exclusivement anglo-saxon et sous contrle amricain. [En effet, le systme Echelon runit la National Security Agency (NSA) amricaine, le Government Communications Headquarters (GCHQ) britannique, le Defence Signals Directorate (DSD) australien, le Communications Security Establishement (CSE) canadien et le Government Communications Security Bureau (GCSB) nozlandais.] 102. Quen est-il de lEurope ? Force est de constater quil nexiste pour lheure aucune vritable coopration technique dans ce domaine, chaque Etat considrant que la matrise de la situation lectromagntique sur une zone ressortit sa souverainet. Ds lors, le potentiel europen se rduit la juxtaposition de moyens et dmarches purement nationaux et quasi embryonnaires au niveau spatial. Cela dit, on peut tout le moins en dresser linventaire. Rappelons au pralable que le recueil de renseignements par linterception des transmissions, ou SIGINT (Signals Intelligence), comprend deux sous-familles : le COMINT (ou Communications Intelligence), savoir les techniques dcoute et de captage, didentification, de dcryptage et danalyse des messages, lELINT (ou Electronic Intelligence), couvrant la radiogoniomtrie, lidentification et lanalyse des sources dmissions lectromagntiques. Par ailleurs, au mme titre que limagerie, lcoute repose essentiellement sur des vecteurs ariens et spatiaux, auxquels on peut ajouter des moyens navals (la marine franaise disposant cet gard du navire dcoute Bougainville) sans oublier les centres dcoute fixes. 103. En ce qui concerne les vecteurs ariens, il sagit davions de transport et davions rapides qui assurent linterception des missions radiolectriques, leur identification et leur localisation. En temps de paix, les avions de renseignement lectromagntique peuvent permettre de reprer un dbut de crise grce la dtection dune soudaine augmentation de lactivit radiolectrique. Globalement, la flotte europenne rassemble une vingtaine dappareils en charge de la reconnaissance lectromagntique. LAllemagne possde des Breguet 1150 Atlantic datant des annes 1970, moderniss par deux fois. Au-del de ses Falcon 20 et Tornado, le Royaume-Uni peut compter sur sept Sentry AEW.I (E-3D AWACS) en plus de trois Nimrod R.1 entrs en service en 1974 et moderniss pour la dernire fois en 1995. La Sude utilise deux Gulfstream IV appels S102 B. Enfin, la France dispose de deux C-160 Transall Gabriel et du DC-8 Sarigue. Elle a en outre la possibilit de monter la nacelle ASTAC ddie la reconnaissance lectromagntique sur des avions de combat ou des drones. 104. Contrairement limagerie, lcoute fait figure de parent pauvre du renseignement spatial europen. Tout juste peut-on relever quelques projets nationaux encore au stade exprimental, linstar des programmes franais Cerise et Clmentine qui ont respectivement accompagn les lancements dHlios 1A en 1995 et dHlios 1B en 1999. Lun comme lautre recueillent des signaux lectromagntiques dans un spectre de frquences utilis par les radiocommunications tactiques et les tlphones cellulaires. Toutefois, ces satellites ne soutiennent pas la comparaison avec les satellites SIGINT amricains, mais ils devraient tre rejoints par une constellation de quatre satellites Essaim spcialiss dans le COMINT vers 2003-2004. Lensemble pourrait sinscrire terme dans un systme europen de renseignement lectromagntique depuis lespace, qui viendrait utilement complter le dispositif dobservation. Mais, comme dans le domaine du renseignement image , une relle

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coopration technique ne pourrait tre mene qu travers la cration dune vritable agence europenne de renseignement. IV. Conclusions et recommandations Le constat 105. Nous avons constat dans ce rapport une absence totale dorganisation en ce qui concerne le recueil de renseignements en commun au niveau de lUE. Dautre part, lchange de renseignements entre services nationaux reste la pratique la plus courante. On peut noter cependant quelques efforts de coopration au niveau des programmes de satellites ou de drones entre pays europens, le plus souvent dans le cadre daccords entre deux ou trois pays sur un programme ou sur lchange systmatique dimages (accord franco/allemand et franco/italien). 106. Dans le domaine de la mise en commun de renseignements, la cration rcente auprs de M. Solana, Secrtaire gnral de lUEO et Haut reprsentant pour la PESC, du SITCEN et de lEtat-major (EMUE), disposant dune division renseignement bien structure, est un progrs considrable, condition que les pays membres aient la volont politique de les alimenter par des renseignements de valeur lors des crises. Le problme est le mme qu lOTAN, o il ny a pas de relle mise en commun, le principal fournisseur tant les Amricains qui sont matres des renseignements quils donnent en les mettant la disposition des allis sur le rseau BICES. 107. En ce qui concerne lexploitation et linterprtation des images, le Centre de Torrejn, qui nest pas un organe militaire et ne traite que des images satellitaires largement civiles, est trs insuffisant. 108. Enfin, on constate que les techniques nouvelles, drones et satellites, exploites avec des moyens de communication et de commandement ultra-performants, ont boulevers les doctrines oprationnelles en rendant possible lexploitation dimages en temps quasi rel, comme la montr lusage de ces mthodes par les Amricains en Afghanistan, ce qui a permis lintervention de systmes darmes moins de 15 minutes aprs le reprage de lobjectif sur des images. 109. Les principes : Le renseignement dorigine humaine et la capacit humaine dinterprtation des informations restent la base du renseignement et doivent tre privilgis. Il ne suffit pas de disposer de moyens techniques de recueil de renseignements, il faut savoir interprter les donnes recueillies.

On ne peut pas sparer le renseignement de la politique : le renseignement est global ; cest la matire premire du dcideur politique et laspect militaire nen est quune facette. La recherche du renseignement se heurte toujours un problme de dontologie : il existe une limite thique aux moyens que lon peut employer pour la recherche du renseignement. Cest un problme de dmocratie, qui exige un suivi parlementaire et une connaissance sans faille des lois et rglements par les services concerns. Pour faire progresser le renseignement europen, il faut doter lUE de moyens dacquisition conjointe de renseignements (imagerie, coute), dont lexploitation doit tre organise en commun et mise la disposition de tous les membres. Cest le principe du Centre de Torrejn quil faut gnraliser. Les propositions 110. Lidal serait de constituer une vritable Europe du renseignement , efficace et cohrente, et dote de larchitecture approprie. Mais ceci ne peut tre envisag court terme car tout est construire dans un domaine trs sensible pour les souverainets nationales. Il faut donc prvoir des mesures ralisables court terme : Officialiser les runions de directeurs nationaux du renseignement et prvoir des runions thmatiques sur les questions suivantes : lutte antiterroriste ;

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renseignement de dfense ; crises en cours (Moyen-Orient, Balkans, etc.). Mettre en place auprs du SG/HR un Service de renseignements sur les zones de crises , avec des reprsentants des services nationaux de renseignements des pays membres sur le modle de la division Renseignement de lEMUE. Dvelopper la division Renseignement de lEMUE pour lui permettre de suivre tous les thtres de crises potentielles. Dvelopper et militariser le Centre dimagerie europenne de Torrejn en le rendant apte linterprtation de tous types dimages. Inciter tous les gouvernements europens investir une part croissante de leur budget de dfense dans les systmes de recueil de renseignement renseignement humain, satellites, drones en favorisant toute occasion de coopration europenne. Dans le domaine oprationnel et dans le cadre de lobjectif global, dvelopper les forces spciales et les units charges du recueil du renseignement, et favoriser leur coopration par lorganisation dexercices appropris. 111. A plus long terme, il faudra constituer une vritable Europe du renseignement disposant dune architecture permanente. En premier lieu, il convient de dfinir une politique europenne du renseignement, prpare et dcide au plus haut niveau politique, cest--dire par le Conseil. Une Haute autorit europenne du renseignement serait charge de proposer au Conseil la politique adopter, puis de lappliquer sous la direction du COPS. Cette Autorit devrait disposer dune agence europenne du renseignement crer. Elle serait charge de la collecte, de la synthse et de la distribution du renseignement aux diffrents services des pays membres. 112. Les Etats devraient dfinir des politiques nationales harmonises du renseignement. La cration de structures nationales plus similaires favoriserait lharmonisation globale, et lidal serait dinstaurer dans chaque pays une Haute autorit nationale du renseignement . Les moyens nationaux devraient tre complmentaires et travailler en synergie, leurs activits tant coordonnes, au moins partiellement, par lAgence europenne du renseignement. 113. Enfin, il faudrait crer un vritable Office europen de limagerie en largissant les domaines dactivit du Centre satellitaire de Torrejn qui devrait tre double vocation, civile et militaire.

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