renouard virtuel et reminiscence

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Virtuel et réminiscence Deleuze lecteur de Bergson A travers la conjonction de Proust et de Bergson, Deleuze crée un concept de réminiscence qui lui est propre. La distinction bergsonienne entre actuel et virtuel en est le fondement. On sait que, selon Matière et Mémoire, le passé ne disparaît pas hors de l’être, qu’il n’est pas non plus stocké dans le cerveau, mais qu’il se conserve en soi, selon un mode d’être spécifique, à l’état virtuel. Cependant le passé ne nous est pas livré en tant que virtuel : l’opération du souvenir nécessite toujours une réactualisation. « Il suffit à Bergson – écrit Deleuze – de savoir que le passé se conserve en soi. Malgré ses pages profondes sur le rêve, ou sur la paramnésie, Bergson ne se demande pas essentiellement comment le passé, tel qu’il est en soi, pourrait aussi être sauvé pour nous. Même le rêve le plus profond implique selon lui une dégradation du souvenir pur, une descente du souvenir dans une image qui le déforme. » 1 C’est justement cette manifestation du souvenir pur comme tel qui est, selon Deleuze, l’enjeu de la réminiscence proustienne. « La réminiscence nous livre le passé pur, l’être en soi du passé. » 2 Elle rompt ce que l’on pourrait appeler le mur du virtuel. Il en va de même dans les deux livres de Deleuze sur le cinéma, où l’image-temps – et singulièrement l’image-cristal – est aussi une présentation du virtuel. Entre « image-mouvement » et « image-temps », la différence recoupe celle qu’il y a, chez Bergson, entre matière et mémoire. Le passage du premier type d’images au second se réalise par la rupture du lien sensori- moteur et la libération de la rêverie. L’enchaînement de la perception sur l’action se défait. La Seconde guerre mondiale joue un grand rôle dans cette crise de l’image, où le cinéma s’empare de nouvelles puissances. Il devient capable d’une image-temps directe : une sorte d’épiphanie du temps dans l’image, vision du passé à l’état virtuel, perception d’ « un peu de temps à l’état pur » – petit pan de phrase proustienne qui est l’un des leitmotivs de Deleuze. Cette image-temps dont le concept s’établit de la même manière que celui de la réminiscence proustienne mériterait sans doute de recevoir aussi bien le nom d’image-réminiscence. L’Image-temps s’appuie sur une deuxième thèse bergsonienne concernant le temps et le virtuel. Non seulement le passé se conserve en soi, à l’état virtuel (c’est la première thèse) ; mais en outre, chaque présent est contemporain du passé qu’il va devenir. L’actualité de chaque instant a pour envers une passéité immédiate, recouverte en règle générale par les impératifs de l’attention à la vie, sauf à certains moments où celle-ci se 1 G. DELEUZE, Proust et les signes, Paris, PUF, 1976, p. 74. 2 Ibid., p. 78.

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Virtuel et réminiscence

Deleuze lecteur de Bergson A travers la conjonction de Proust et de Bergson, Deleuze crée un

concept de réminiscence qui lui est propre. La distinction bergsonienne entre actuel et virtuel en est le fondement. On sait que, selon Matière et Mémoire, le passé ne disparaît pas hors de l’être, qu’il n’est pas non plus stocké dans le cerveau, mais qu’il se conserve en soi, selon un mode d’être spécifique, à l’état virtuel. Cependant le passé ne nous est pas livré en tant que virtuel : l’opération du souvenir nécessite toujours une réactualisation. « Il suffit à Bergson – écrit Deleuze – de savoir que le passé se conserve en soi. Malgré ses pages profondes sur le rêve, ou sur la paramnésie, Bergson ne se demande pas essentiellement comment le passé, tel qu’il est en soi, pourrait aussi être sauvé pour nous. Même le rêve le plus profond implique selon lui une dégradation du souvenir pur, une descente du souvenir dans une image qui le déforme. »1 C’est justement cette manifestation du souvenir pur comme tel qui est, selon Deleuze, l’enjeu de la réminiscence proustienne. « La réminiscence nous livre le passé pur, l’être en soi du passé. »2 Elle rompt ce que l’on pourrait appeler le mur du virtuel.

Il en va de même dans les deux livres de Deleuze sur le cinéma, où l’image-temps – et singulièrement l’image-cristal – est aussi une présentation du virtuel. Entre « image-mouvement » et « image-temps », la différence recoupe celle qu’il y a, chez Bergson, entre matière et mémoire. Le passage du premier type d’images au second se réalise par la rupture du lien sensori-moteur et la libération de la rêverie. L’enchaînement de la perception sur l’action se défait. La Seconde guerre mondiale joue un grand rôle dans cette crise de l’image, où le cinéma s’empare de nouvelles puissances. Il devient capable d’une image-temps directe : une sorte d’épiphanie du temps dans l’image, vision du passé à l’état virtuel, perception d’ « un peu de temps à l’état pur » – petit pan de phrase proustienne qui est l’un des leitmotivs de Deleuze. Cette image-temps dont le concept s’établit de la même manière que celui de la réminiscence proustienne mériterait sans doute de recevoir aussi bien le nom d’image-réminiscence.

L’Image-temps s’appuie sur une deuxième thèse bergsonienne concernant le temps et le virtuel. Non seulement le passé se conserve en soi, à l’état virtuel (c’est la première thèse) ; mais en outre, chaque présent est contemporain du passé qu’il va devenir. L’actualité de chaque instant a pour envers une passéité immédiate, recouverte en règle générale par les impératifs de l’attention à la vie, sauf à certains moments où celle-ci se

1 G. DELEUZE, Proust et les signes, Paris, PUF, 1976, p. 74. 2 Ibid., p. 78.

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relâche, comme lorsque nous sommes frappés par un sentiment de déjà-vu. « Notre existence actuelle, au fur et à mesure qu’elle se déroule dans le temps, se double ainsi d’une existence virtuelle, d’une image en miroir. Tout moment de notre vie offre donc deux aspects : il est actuel et virtuel, perception d’un côté et souvenir de l’autre. »1 Ce que Deleuze appelle image-cristal donne à voir cette scission fondamentale. L’image cinématographique cesse d’être restreinte au présent ; le passé lui appartient directement et n’est plus l’effet du montage, par exemple dans le procédé du flash-back.

Les deux thèses bergsoniennes permettent de réunir, avec le concept de virtuel, les deux aspects de la réminiscence proustienne. Il y a, d’un côté, les réminiscences avec reconnaissance, celles où un passé autrefois vécu revient dans une lumière d’essentialité dont il était dépourvu lorsqu’il était présent (Combray, Venise). Il y a, d’un autre côté, les phénomènes plus énigmatiques où, malgré un sentiment de passéité similaire à celui qui fait l’intensité de ces réminiscences identifiées, l’on ne parvient pas à retrouver quel passé empirique peut bien s’y dissimuler (épisodes des clochers de Martinville, des arbres de Hudimesnil, du septuor de Vinteuil). De telles réminiscences sans reconnaissance se rapprochent de l’image-cristal plus encore que les réminiscences avec reconnaissance.

La distinction de deux faces du temps est un schème constant chez Deleuze. La différence entre Aiôn et Chronos, dans Logique du sens, s’exprime dans les mêmes termes que la différence entre virtuel et actuel. L’interprétation de l’éternel retour, dans Nietzsche et la philosophie, reprend mot pour mot la présentation des arguments de Bergson pour établir la nécessaire coexistence du présent avec soi comme passé : jamais l’instant qui passe ne pourrait passer, s’il n’était déjà passé en même temps que présent, et c’est en ce sens que le revenir est l’être du devenir2. La portée du concept de réminiscence risque donc d’être bien plus étendue que ne le laisseraient penser ses mentions relativement peu fréquentes. Et plus encore que d’un concept, c’est d’une philosophie de la réminiscence que l’on peut reconstituer la figure.

L’établissement d’une notion d’ « image virtuelle » est chez Deleuze la conséquence directe de la manifestation du virtuel comme tel. Chez Bergson, le virtuel reste hors du champ de l’expérience et c’est justement l’image qui opère la réactualisation du souvenir pur et ne le ramène à la lumière du jour qu’au prix de sa dénaturation. « Le souvenir pur, indépendant sans doute en droit, ne se manifeste normalement que dans l’image colorée et vivante qui le révèle. »3 « Dès qu’il devient image, le passé quitte l’état de souvenir pur et se confond avec une certaine partie de mon présent. Le souvenir actualisé en image diffère donc profondément de ce souvenir pur. »4 L’actuel semble être le statut propre de l’image et le virtuel celui de ce qui échappe à l’image comme à toute perception possible. Avec la notion d’image virtuelle, Deleuze

1 L’Énergie spirituelle, Paris, PUF, « Quadrige », 2009, p. 136 ; cité dans G. DELEUZE,

L’Image-temps, Paris, Minuit, 1985, p. 106. 2 G. DELEUZE, Nietzsche et la philosophie, Paris, PUF, 1962, p. 54. 3 Matière et Mémoire, Paris, PUF, « Quadrige », 2008, p. 147. 4 Ibid., p. 156.

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exprime précisément le dépassement d’une différence irréductible entre virtuel « en soi » et actuel « pour nous ».

Il arrive pourtant à Bergson de parler d’image virtuelle. Dans le passage déjà évoqué de L’Énergie spirituelle, lorsqu’il expose dans sa plus grande clarté – et sa plus grande radicalité – la thèse de la scission de chaque instant entre perception et souvenir, il en compare la face virtuelle à l’image que dépose un objet dans un miroir. Mais il est clair alors que c’est seulement en termes métaphoriques que le virtuel se rattache à la notion d’image. L’image virtuelle n’est image que par image. Dans L’Image-temps, Deleuze s’empare de l’expression au premier degré, pour imposer sans crier gare le concept d’image virtuelle qui est en réalité sa création propre.

Au fil de Matière et Mémoire, apparaissaient déjà quelques rares occurrences des termes « image virtuelle ». Il y en a trois, les deux dernières étant connexes. Dans un cas, au chapitre I, il s’agit de décrire le phénomène de la perception, et le sens de « virtuel » est sans lien avec le mode d’être du passé1. Dans l’autre cas, à la dernière page du chapitre II, « image virtuelle » désigne un état intermédiaire, en quelque sorte le processus même par lequel le passé pur revient à l’état actuel pour s’insérer dans la perception et lui donner sa plénitude, sa précision, son efficacité2. C’est seulement au chapitre III que la dissociation entre image et virtualité est formulée avec une plus grande nécessité.

D’une certaine façon, il ressort de ces pages que le lexique de Bergson n’est pas immédiatement figé, qu’il s’établit à mesure que sa pensée progresse elle-même dans sa conception et son énonciation. On voit également, dans ces textes, que les affirmations tranchées de Deleuze (virtuel ne doit pas être opposé à réel, virtuel n’a absolument rien à voir avec possible) ne sont pas traduites avec la même netteté par les termes auxquels Bergson a recours. Le fait que, chez lui, virtuel ne soit pas exclusivement équivalent à passé, que ce concept précède son application au passé et conserve sans doute une extension plus vaste que cette application (Bergson dit : le passé est « essentiellement virtuel », et Deleuze : « l’objet virtuel est essentiellement passé »3), indique qu’il n’édifie peut-être pas une ontologie du virtuel aussi stricte et aussi ambitieuse que celle qui nous est présentée par Deleuze. De là viendrait la possibilité de parler provisoirement d’image virtuelle sans contredire avec violence ce qui n’est justement pas la thèse fondamentale d’une ontologie. Le coup de force de Deleuze n’est pas seulement de rompre le mur du virtuel, mais déjà de poser le virtuel comme l’être même auquel il faudrait par cette rupture se ménager l’accès.

*

1 Ibid., p. 34. 2 Ibid., p. 147. 3 Respectivement : Matière et Mémoire, p. 150, G. DELEUZE, Différence et répétition, Paris,

PUF, 1968, p. 134.

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Dans sa lecture de Bergson, qui conditionne la manière dont il introduit ce concept au cœur de sa propre pensée, Deleuze opère en effet une sorte d’ontologisation du virtuel. Bergson ne dit pas « le virtuel » ; il parle d’« état virtuel ». Le passage au substantif est le fait de Deleuze. Il n’est d’ailleurs que la traduction spontanée d’un mouvement de pensée qui consiste non seulement à établir – peut-être plus encore que chez Bergson – le virtuel comme un secteur de l’être à part entière, mais comme celui où il y a, en quelque sorte, le plus d’être, comme si le virtuel désignait le cœur essentiel de toutes choses, la chose en soi en retrait derrière le phénomène, ou l’être de l’étant. Faut-il chercher dans la pureté du « souvenir pur » dont Bergson a forgé la notion une essence, un secret de l’être ? Dire, comme le fait Bergson, que le passé se survit « en soi », se conserve par lui-même, en lui-même, parce qu’il n’est emmagasiné nulle part, cela autorise-t-il à reconnaître en lui « l’être en soi » ? On ne peut manquer, en rapportant le virtuel à la réminiscence, de tendre à le confondre avec le domaine d’essences traditionnellement ouvert par cette forme singulière de mémoire, aussi bien chez Proust que chez Platon. Telle est la pente de la philosophie deleuzienne, dès le livre sur le bergsonisme.

Avec la notion d’état virtuel comme mode d’être spécifique, la théorie bergsonienne de la mémoire retourne le préjugé selon lequel le passé se serait en quelque sorte absenté de l’être. Dans sa lecture, Deleuze semble accentuer le trait en retirant l’être au présent, comme si cela devait être une contrepartie de la reconnaissance de l’être du passé. « Si nous avons tant de difficulté à penser une survivance en soi du passé, c’est que nous croyons que le passé n’est plus, qu’il a cessé d’être. Nous confondons alors l’Etre avec l’être-présent. Pourtant le présent n’est pas, il serait plutôt pur devenir, toujours hors de soi. Il n’est pas, mais il agit. Son élément propre n’est pas l’être, mais l’actif ou l’utile. Du passé au contraire, il faut dire qu’il a cessé d’agir ou d’être-utile. Mais il n’a pas cessé d’être. Inutile et actif, impassible, il EST, au sens plein du mot : il se confond avec l’être en soi. »1 Ainsi l’équation de l’être et du passé est-elle subtilement – mais clairement – établie. Le fait que le virtuel soit, chez Bergson, hors d’atteinte de toute visée psychologique atteste pour Deleuze son caractère ontologique, avant que la réminiscence n’apparaisse comme une conciliation presque miraculeuse de l’ontologie et de la psychologie. « Ce que Bergson appelle « souvenir pur » n’a aucune existence psychologique (…) En toute rigueur, le psychologique, c’est le présent. Seul le présent est « psychologique » ; mais le passé, c’est l’ontologie pure, le souvenir pur n’a de signification qu’ontologique. »2

Cette signification ontologique est-elle si établie chez Bergson ? Certes, il définit pour le passé un mode d’existence qui lui est propre. Mais une chose est de dire que le passé est de l’être ; une autre est de dire qu’il est l’être. La signification du souvenir pur n’est-elle pas aussi bien méthodologique ? Dans Matière et Mémoire, Bergson analyse les éléments dont se compose une réalité fondamentalement mixte et que l’on mutilerait en prétendant chercher sa quintessence dans un seul de ses éléments – qu’il

1 G. DELEUZE, Le Bergsonisme, Paris, PUF, 1966, p. 49-50. 2 Ibid., p. 50-51.

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s’agisse du souvenir pur ou, selon une autre perspective, de la perception pure. Le souvenir n’est pas pur parce qu’il s’identifierait avec l’être comme tel, mais parce qu’il est isolé dans un moment d’abstraction provisoire qui ne peut passer pour la fixation ultime d’une ontologie. Il est indépendant « en droit », mais la différence du droit et du fait n’est pas celle de l’être et du phénomène. Construire le motif d’un passé en soi dont on n’aurait jamais l’intuition, sauf justement en dépassant Bergson par la réminiscence ou l’image-cristal, n’est-ce pas reconduire le bergsonisme à un étrange kantisme où le souvenir pur tiendrait lieu de noumène ? Il n’y a, dans Matière et mémoire, aucun pathos du virtuel comme essence dont l’accès nous serait barré. Toute la philosophie de Bergson affirme au contraire la possibilité de coïncider avec l’absolu, lequel est d’ailleurs multiple. La science peut coïncider absolument avec la matière. La métaphysique peut – à son exemple mais non à sa manière – coïncider absolument avec la vie. « C’est l’être même, dans ses profondeurs, que nous atteignons par le développement combiné et progressif de la science et de la philosophie. »1 L’être n’est pas celé dans un mode spécifique. La vie est sans doute plus profonde, plus difficilement saisissable, mais ce n’est pas un titre à l’exclusivité ontologique. L’être ne se réduit pas à la vie ; et la vie ne se réduit pas au virtuel.

C’est bien au-delà de Matière et Mémoire que Deleuze unifie, dans sa lecture de Bergson, le champ de l’être sous le concept de virtuel (et de l’actuel qui en est le corrélat ; mais il semble que, chez Deleuze, l’actuel soit au fond une sorte de moment du virtuel considéré comme l’être même, un peu de la même manière que chez Hegel la phénoménalisation est intrinsèque au mouvement de l’absolu, à l’absolu comme mouvement ; ou comme le dit Badiou : l’actuel est une production immanente du virtuel). Il définit la durée et l’élan vital comme des actualisations d’un virtuel, « Un-tout » immémorial (on le voit particulièrement au chapitre V du Bergsonisme). Ainsi les différents concepts par lesquels, de livre en livre, Bergson approfondit et renouvelle la détermination du temps se trouvent-ils, en quelque sorte, subordonnés à l’un d’entre eux, celui de mémoire. Chez Deleuze, le virtuel n’est plus seulement l’état dans lequel se conserve ce qui a quitté le présent. Il n’est plus seulement un effet du temps qui avance, qui est invention incessante et qui crée de fait ce passé dont il faut définir la nature et considérer la place au sein de l’être. Il précède le temps dont il est condition et fondation. « Le passé – écrit Deleuze – ne suit pas le présent, mais au contraire est supposé par lui comme la condition pure sans laquelle il ne passerait pas. En d’autres termes, chaque présent renvoie à soi-même comme passé. D’une pareille thèse, il n’y a d’équivalent que celle de Platon – la Réminiscence. La réminiscence aussi affirme un être pur du passé, une Mémoire ontologique, capable de servir de fondement au déroulement du temps. »2 Si Deleuze peut ici entraîner le bergsonisme vers une philosophie de la réminiscence dont il se réserve pourtant l’accomplissement, c’est parce que, dans cette manière de le présenter, il en déplace les éléments

1 L’Evolution créatrice, Paris, PUF, « Quadrige », 2007, p. 200. 2 Le Bergsonisme, p. 54-55.

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fondamentaux au moment de les restituer. Là encore, en effet, une chose est de dire que le passé doit être contemporain du présent, sinon sa genèse est obscure. Une autre chose est de dire que ce passé est le moteur même de l’écoulement du temps, et cela, rien, dans Matière et Mémoire, ne permet justement de le dire. Deleuze était allé de la thèse de l’inscription du passé dans l’être à celle de l’équation de l’être et du passé. De là vient ensuite l’idée que ce qui a tant d’être devait au fond être déjà avant de passer. Comme si, dans une circularité remarquable, le virtuel était à la fois la source et le résultat du temps. En définitive, pour Bergson, virtuel est le mode d’être de ce qui demeure après le passage du temps ; pour Deleuze, c’est plus encore le mode d’être de ce qui existait avant. Il n’y a pas, chez Deleuze, de genèse du virtuel, le virtuel étant condition de toute genèse. « Le virtuel (…) est le caractère de l’Idée ; c’est à partir de sa réalité que l’existence est produite, et produite conformément à un temps et un espace immanents à l’Idée. »1

Ne faut-il pas préserver, chez Bergson, une différence essentielle entre durée et mémoire ? Entre l’élan qui transit le temps et le passé virtuel dont ce temps produit la genèse ? Dire que la durée est conservation et accumulation du passé, est-ce la même chose que de dire qu’elle est déploiement d’une mémoire ? Ne faut-il pas maintenir purs de toute antécédence, si subtile soit-elle, la puissance créatrice du temps et le surgissement de la nouveauté ? Deleuze a beau affirmer que le virtuel est hétérogène à l’actuel, qu’il y a entre eux une correspondance sans ressemblance (c’est ce qui distingue le virtuel du possible, image affaiblie et rétrospective du réel), et que, par conséquent, l’actualisation reste authentiquement une création ; il est difficile de retrouver chez lui la morsure imprévisible, inouïe, du temps sur les choses, qui est la marque de la philosophie bergsonienne.

L’enjeu, pour Deleuze, à l’époque du Bergsonisme et de Différence et répétition, est de produire un concept de l’être comme différence. Il le trouve dans le virtuel qu’il pose comme lieu de différences originaires (la « différentiation ») vouées par nature à s’actualiser (la « différenciation »). Alors que chez Hegel, la différence conçue comme contradiction reste une condition de la manifestation de l’être déterminé comme esprit, chez Deleuze, l’être comme virtuel est à chaque instant et de part en part différence, différentiation originaire d’abord, différence avec soi dans l’actualisation ensuite (puisque l’actuel est différent du virtuel), différences enfin entre les êtres qui s’actualisent. Chez Hegel, l’essence de l’essence est de se manifester. Chez Deleuze, l’essence de l’essence – c’est-à-dire du virtuel, c’est-à-dire de ce qui est déjà, initialement et fondamentalement, différence – est de se différencier. « Ce qui est premier dans le processus d’actualisation, c’est la différence – la différence entre le virtuel dont on part et les actuels auxquels on arrive, et aussi la différence entre les lignes complémentaires suivant lesquels l’actualisation se fait. Bref le propre de la virtualité, c’est d’exister de telle façon qu’elle s’actualise en se différenciant, et qu’elle est forcée de se différencier, de créer ses lignes de différenciation

1 Différence et répétition, p. 273.

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pour s’actualiser. »1 Il faut reconnaître là une thèse qui n’est plus celle de Bergson, mais celle de Deleuze, parce qu’elle est tout entière déterminée par le dessein de penser l’être comme différence.

* La réminiscence n’est pas seulement un concept, pour Deleuze. Il y a,

chez lui, toute une philosophie de la réminiscence, fondée sur une ontologie du passé. Badiou a parlé de « platonisme du virtuel »2 . Jusqu’où peut s’étendre la portée de cette formule, qui semble juste, puisque, sous le concept de virtuel, s’établit l’équation de l’être et du passé, et puisque c’est une notion de réminiscence qui en demeure la voie d’accès ? L’enjeu de la réminiscence est la détermination de l’être comme passé, soit que l’intellection de l’être nous entraîne vers un passé essentiel (Platon), soit que le passé vécu recèle la réalité profonde des choses (Proust). La différence qui sépare réminiscence platonicienne et réminiscence proustienne est sans doute trop grossièrement exprimée par le contraste entre la répudiation du sensible et son adoration. Car même chez Platon, l’intelligible est intelligible de ce monde, de ce sensible, dont l’auteur des dialogues a su être le poète admirable. Cette différence doit plutôt être celle de l’intelligibilité comme idée et de l’intelligibilité comme sens. Avec le concept platonicien d’idée, la réunion de la pensée et de la vie s’établit du côté de la pensée ; avec celui de sens, elle s’établit du côté de la vie. Très tôt, dans son compte rendu de Logique et existence, Deleuze avait repris les termes de Jean Hyppolite sur le passage d’une ontologie de l’essence à une ontologie du sens. Nous dirions plutôt : ontologie de l’idéalité et ontologie du sens, car il nous semble que « idée » et « sens » sont deux déterminations de l’essence. Ce que recouvre l’ontologie de l’idéalité (de l’essence, dans la formulation hégélienne d’Hyppolite), c’est la nécessité, pour l’intelligible, d’être séparé, en rupture avec ce dont il est l’intelligible. Sens désigne au contraire une intelligibilité immanente à la vie, qui en est issue, qui est accordée à elle, qui est même jugée par elle.

Deleuze appartient à cette époque de l’intelligibilité comme sens. Cependant, s’il en retient le postulat d’immanence, il n’a pas fait de la notion de sens – comme beaucoup au vingtième siècle – un nouvel absolu, l’objet d’une attente infinie, l’alpha et l’oméga de toute énonciation philosophique. Hyppolite parlait déjà d’une « logique du sens », mais le livre de Deleuze en propose une conception profondément différente, où sens ne peut plus être synonyme d’absolu3. Le sens n’appartient pas véritablement au registre de l’ontologie deleuzienne. Le virtuel ne nous donne pas « le sens ». Peut-être faut-il considérer que l’ontologie du virtuel est au-delà de l’ontologie du sens ; que la logique du sens n’est pas l’ontologie du virtuel, parce que sens

1 Le Bergsonisme, p. 100. 2 A. BADIOU, Deleuze, « la clameur de l’être », Paris, Hachette, 1997, p. 69. 3 Cf. J. HYPPOLYTE, Logique et existence, Paris, PUF, 1961, p. 221 (cf. également p. 75) ;

G. DELEUZE, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, p. 89-90.

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et être, au fond, sont disjoints. La question épuisante et inépuisable du sens de l’être ne se pose pas : c’est ce qu’implique la thèse de l’univocité de l’être ; c’est ce qui explique aussi la rareté des pages directement, thématiquement consacrées par Deleuze à son ontologie. Le rêve d’un sens absolu est déconstruit de fait par la possibilité d’habiter en quelque sorte le virtuel, d’y plonger, de l’explorer comme le monde même, et d’y puiser sans cesse des ressources de pensée, de création, d’intensité vitale. « Virtuel » est une détermination de l’essence qui ne se confond pas avec « sens », et semble même retenir certains caractères de l’idée platonicienne (la possibilité de se mouvoir dans un royaume essentiel et presque de l’habiter).

En d’autres termes, chez Deleuze, la réminiscence ne nous donne pas le sens du monde ; elle nous donne le monde comme monde. Le virtuel est, selon Badiou, la « face d’Un du réel »1. Dans le virtuel, tout coexiste et tout communique, alors que l’actuel ne nous livre que des secteurs du monde, limités, précis, utiles. Deleuze parle de « Mémoire cosmique », de « mémoire-monde » 2 . Il faut sans doute aller au bout de ce que cela implique : non pas seulement une mémoire aussi vaste que le monde dont elle saurait ne rien perdre, mais une mémoire qui est le lieu même du monde, de sa constitution et de son accès. Une mémoire où le monde n’est pas simplement recueilli, mais dans laquelle il advient. C’est pourquoi les thèses sur le caractère historico-mondial du désir – et du délire – dans L’Anti-Œdipe, comme les développements sur les peuples, les mythologies et les civilisations dans Mille Plateaux, prolongent directement la philosophie de la réminiscence qui s’esquisse dans les tout premiers ouvrages de Deleuze et se parachève dans L’Image-temps.

Il y a un bel exemple d’image-cristal qui montre combien cette plongée dans le virtuel est une plongée dans la totalité du monde. Deleuze le tire d’Amarcord de Fellini. C’est le moment de grâce où les lycéens, la saison finie, devant le grand hôtel, dans la brume et le vent, esquissent chacun de leur côté des pas de danse ou miment le maniement d’instruments de musique (« tandis que tombent les cristaux de neige », dit Deleuze, dont les souvenirs ont sans doute été influencés par la notion d’image-cristal ; ce sont en réalité des feuilles mortes). « Ils s’enfoncent dans une profondeur qui n’est plus celle de la mémoire, mais celle d’une coexistence où nous devenons leurs contemporains, comme eux deviennent les contemporains de toutes les « saisons », passées et à venir. »3 Deleuze poursuit ici une lutte presque intime avec le concept de mémoire. On se souvient que Proust et les signes affirmait, non sans provocation, « le rôle secondaire de la mémoire » dans A la Recherche du temps perdu. La théorie de la présentation du virtuel comme tel conduit à soupçonner la mémoire d’être un filtre qui ne donne accès au passé qu’en altérant son essence. Il faut penser le passé hors du souvenir, hors de la chronologie, hors de toute biographie individuelle.

Le caractère cosmique de la réminiscence implique en effet, aussi bien, de ne pas réduire le passé à des souvenirs personnels. Deleuze a souvent dit

1 A. BADIOU, op. cit., p. 74. 2 Le Bergsonisme, p. 117 ; L’Image-temps, p. 129-130. 3 Ibid., p. 122.

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son horreur des histoires de papa-et-maman, cette petite monnaie littéraire de la vogue psychanalytique qui ne peut usurper que par incompréhension ou mauvaise foi le patronage proustien. Ce qui est contesté à travers la psychanalyse, n’est-ce pas cet appauvrissement du rôle de la mémoire, réduite à la scène familiale œdipienne ? La réminiscence affirme au contraire une puissance cosmique de la mémoire que la variante jungienne ne parvient pas non plus à faire advenir, parce qu’elle refonde simplement dans un archaïsme supérieur les mêmes présupposés et la même herméneutique. Dans Différence et répétition, Deleuze avait déjà appliqué à la psychanalyse le concept bergsonien de virtuel, quelque peu transformé. Il s’agissait de dépasser la représentation, forme de pensée dans laquelle restent pris Freud comme Jung, et à laquelle échappe précisément le passé pur. Il s’agissait aussi d’opposer au thème du poids traumatique du passé un lien essentiel entre désir et réminiscence. « Toute réminiscence est érotique, qu’il s’agisse d’une ville ou d’une femme. C’est toujours Erôs, le noumène, qui nous fait pénétrer dans ce passé pur en soi, dans cette répétition virginale, Mnémosyne. Il est le compagnon, le fiancé de Mnémosyne. »1

Deleuze est platonicien par le poids de son ontologie, plutôt que par la nature exacte de celle-ci. Il l’est évidemment moins si l’on considère la revendication d’immanence qu’il porte plus loin encore que dans l’ontologie du sens. Mais il l’est peut-être, de nouveau, par les interrogations morales qu’implique sa philosophie. De ce point de vue, entre Bergson et Deleuze, la différence semble correspondre rigoureusement à celle qui sépare – au-delà de leur proximité au premier abord – leurs ontologies.

Bergson n’a guère entrouvert les portes de la psychédélie que sa philosophie pouvait impliquer. Il n’a pas déprécié l’action en faveur d’une rêverie où l’on se laisserait submerger par le souvenir pur – au prix d’un risque à courir pour la santé de l’esprit ou la vie biologique, qui ne vaut justement d’être couru que si l’enjeu en est l’accès à l’être même, dans ce souvenir pur. Certes, pour Bergson, « un être humain qui rêverait son existence au lieu de la vivre tiendrait sans doute ainsi sous son regard, à tout moment, la multitude infinie des détails de son histoire passée »2. Mais cette évocation, qui laisse elle-même passer une certaine rêverie, ne peut faire oublier que, quelques lignes plus haut, ce rêveur se trouve dans une attitude extrême qui ne mérite pas plus d’être mise en valeur que celle de l’impulsif. La conjonction de la mort et de la rêverie absolue, dans la vision panoramique des noyés qui revivent toute leur existence dans l’instant où ils vont basculer dans la mort, doit assez nous alerter. Les facultés n’ont pas à être exaltées d’une manière qui les opposerait entre elles ; alors qu’il y a, chez Deleuze, l’idée de les porter à un exercice à la fois extrême et conflictuel. Dans Le Rire, face à la figure de l’artiste, en partie affranchi des limites qui resserrent la perception normale autour du champ d’une action possible, la figure du distrait est là pour nous rappeler que l’affaiblissement de l’attention à la vie ne saurait à tout coup signifier un regain de force

1 Différence et répétition, p. 115, et suivantes. Cf. également le chapitre sur « Psychanalyse

et familialisme » dans L’Anti-Œdipe. 2 Matière et Mémoire, p. 172.

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spirituelle et ne peut, quoiqu’il en soit, définir à lui seul le thème d’une percée ou d’une ambition. L’intuition des choses sub specie durationis, qui est pour Bergson la métaphysique véritable, est recherche d’une précision inédite : elle ne s’accommode pas d’une extase qui supposerait de rompre les amarres de la perception présente.

Le « ô psychédélie » de Deleuze, dans Logique du sens (vingt-deuxième série : « Porcelaine et volcan »), n’est pas sans ambiguïté. « Plutôt la mort que la santé qu’on nous propose » – mais « on ne peut renoncer à l’espoir que les effets de la drogue ou de l’alcool (leurs « révélations ») pourront être revécus pour eux-mêmes à la surface du monde, indépendamment de l’usage des substances, si les techniques d’aliénation sociale qui déterminent celui-ci sont retournées en moyens d’exploration révolutionnaires ». Il reste que la vision de l’être justifie ultimement de compromettre le corps, de quelque manière que ce soit. Dans les termes bergsoniens dont s’est emparé Deleuze, la plongée dans le virtuel comme tel vaut de mettre à mal la fonction réductrice que peut jouer cet organe de l’actuel. La description de l’alcoolisme, dans cette même « série » de Logique du sens, reprend le thème de la scission du temps entre présent et passé (Deleuze dit : « on vit dans deux temps à la fois à la fois, on vit deux moments à la fois, mais pas du tout de la manière proustienne » ; on peut contester cette dénégation, car la répétition du motif est frappante). D’une certaine manière, un peu curieusement, tout se passe comme si c’était le cinéma, comme perception sans corps, perception capable de déployer un registre plus large que celui qui nous est assigné par notre condition biologique, qui allait remplir ce rôle assigné, un temps, à la démolition physique. Il y a quelque chose de platonicien dans cette manière de rudoyer le corps en faveur de la pensée (Jan Patocka a parlé d’une filiation platonicienne noire, orgiaque, faustienne1). Il y a quelque chose de platonicien dans la revendication d’une mort nécessaire pour renaître à une perception plus haute. « Les philosophes, ce sont des êtres qui sont passés par une mort, qui en sont nés, et qui vont vers une autre mort, la même peut-être (…) Le philosophe est revenu des morts et y retourne. Ce fut la formule vivante de la philosophie depuis Platon. »2

Si Deleuze est platonicien, c’est enfin par le rôle que joue implicitement, chez lui, la force de sentiments qui attestent la présence de l’être comme virtuel. La philosophie de la réminiscence dessine en creux une pensée de l’affectivité. Qu’est-ce qui nous fait dire « ici il y a de l’être », sinon l’affect ? Qu’est-ce qui, chez Platon, nous assure que l’idée est là, sinon l’extase qui emporte au-dessus de lui-même celui qui en est frappé ? Il en est de même chez Proust ; mais lui ne formule qu’avec prudence, hésitation, brièveté, l’esquisse d’ontologie qu’appelle l’intensité des expériences mémorielles qui le saisissent. Il est remarquable, dans l’histoire, que les philosophies dites « idéalistes », qui affirment l’existence d’un type d’être indestructible, nécessaire, incommensurable à la perception sensible, soient aussi, souvent, les plus attentives à l’importance du sentiment, parce qu’il est besoin de

1 Cf. J. PATOCKA, « La civilisation technique », dans Essais hérétiques sur la philosophie de

l’histoire, trad. fr., Paris, Verdier, 1999. 2 L’Image-temps, p. 271.

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celui-ci comme de l’attestation même de l’approche de ce qui ne saurait être ni visible, ni montrable. Certes, le virtuel, chez Deleuze, n’est pas incommensurable à la perception. Ce secret de l’être est en même temps accessible sans reste. Cette doublure du phénomène a sa propre phénoménalité. Mais précisément parce que le virtuel rentre dans le champ de la perception, sa reconnaissance comme tel – et comme l’être par excellence – reste menacée d’obscurité. Et l’on a souvent contesté la notion d’image-cristal au nom de cette obscurité.

Peut-être faut-il surmonter l’obscurité des images-cristal en considérant l’intensité affective qui les désigne à notre attention. Puisées, pour les plus emblématiques, chez Welles ou Fellini, ces images sont mélancoliques. La mélancolie est le sentiment de la plus grande proximité de l’être, et de sa séparation dans cette proximité même. Elle nous conduit au seuil d’une ontologie, qu’elle ne formule pas ; c’est pourquoi elle a toujours été liée au thème de la « pensivité », de la rêverie, de la réminiscence comme promesse irrésolue d’une intelligibilité dernière, enfouie et révélée dans le passé des choses. Vers cette matrice de son ontologie du virtuel, la philosophie deleuzienne ne se retourne pas. C’est à l’exploration du schème qui lie réminiscence et mélancolie qu’elle nous invite, en deçà de la construction où elle s’aventure en radicalisant les thèses de Bergson.