religion (francais)

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4 Croyances © Cerveau & Psycho « C hacun a ses croyances ; l’athéisme, c’est aussi une croyance ; sans croyances, l’être humain ne peut pas vivre ; croire, c’est un acte de confiance ; à l’opposé de la vraie connaissance, la croyance est une opinion non fondée ration- nellement ou empiriquement. » Voilà quelques propositions que l’on entend ou lit souvent. Lesquelles sont vraies ? Ou fausses ? Le psychologue et le neuroscien- tifique peuvent apporter des réponses à ces questions traditionnellement traitées par les philosophes. À la lecture de cet Essentiel Cerveau & Psycho, vous constaterez que ces idées sont à la fois vraies et fausses ! Qu’est-ce qu’une croyance ? C’est une opi- nion, considérée vraie par un individu, mais ne faisant pas l’objet d’un consensus et n’étant pas confirmée ou vérifiable. Mais en réalité, ce terme désigne différentes réalités psycho- logiques. D’où les malentendus fréquents autour des croyances. Il existe plusieurs types de croyances, que l’on peut situer quelque part sur trois axes selon leurs degrés de « véri- fiabilité », « d’irrationalité » et de « positivité » émotionnelle (voir la figure page 6). De sorte que chaque être humain « croit » effectivement en quelque chose… de différent. C’est ce que nous allons examiner. Le premier axe concerne le degré de vérifia- bilité des croyances. Dans un sens large, le terme croyance correspond à une opinion, à propos de n’importe quel sujet, qui n’est pas encore confirmée. Par exemple, un individu peut croire aujourd’hui que le Soleil se lèvera demain ; objectivement, il n’en est pas certain à cent pour cent, mais il pourra vite le vérifier… À l’opposé, selon le sens plus restreint du terme croyance, une personne peut croire que Dieu existe ; mais étant donné que sa nature et sa façon d’agir sont mystérieuses (en tout cas, différentes de la nature et de la façon d’agir des êtres humains), cela fait quelques milliers d’an- nées que les preuves de son existence sont atten- dues. Notons que l’individu qui ne partagerait Les multiples facettes des croyances Le terme croyance correspond à des réalités psychologiques distinctes : penser que le monde est juste, croire en sa valeur, en Dieu, au Père Noël, aux extraterrestres, aux zombies, etc. Dès lors, sommes-nous tous croyants ? Tout dépend de ce à quoi nous nous référons. Avant-propos Vassilis Saroglou est professeur de psychologie à l’Université de Louvain et président de l’Association internationale de psychologie de la religion (International Association for the Psychology of Religion, IAPR). Il a coordonné ce numéro. Vassilis Saroglou

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Religion, delusion, french

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  • 4 Croyances Cerveau & Psycho

    Chacun a ses croyances ; lathisme, cest aussi une croyance ; sans croyances, ltre humain ne peut pas vivre ; croire, cest un acte de

    confiance ; loppos de la vraie connaissance, la croyance est une opinion non fonde ration-nellement ou empiriquement.

    Voil quelques propositions que lon entend ou lit souvent. Lesquelles sont vraies ? Ou fausses ? Le psychologue et le neuroscien-tifique peuvent apporter des rponses ces questions traditionnellement traites par les philosophes. la lecture de cet Essentiel Cerveau & Psycho, vous constaterez que ces ides sont la fois vraies et fausses !

    Quest-ce quune croyance ? Cest une opi-nion, considre vraie par un individu, mais ne faisant pas lobjet dun consensus et ntant pas confirme ou vrifiable. Mais en ralit, ce terme dsigne diffrentes ralits psycho-logiques. Do les malentendus frquents autour des croyances. Il existe plusieurs types

    de croyances, que lon peut situer quelque part sur trois axes selon leurs degrs de vri-fiabilit , dirrationalit et de positivit motionnelle (voir la figure page 6). De sorte que chaque tre humain croit effectivement en quelque chose de diffrent. Cest ce que nous allons examiner.

    Le premier axe concerne le degr de vrifia-bilit des croyances. Dans un sens large, le terme croyance correspond une opinion, propos de nimporte quel sujet, qui nest pas encore confirme. Par exemple, un individu peut croire aujourdhui que le Soleil se lvera demain ; objectivement, il nen est pas certain cent pour cent, mais il pourra vite le vrifier

    loppos, selon le sens plus restreint du terme croyance, une personne peut croire que Dieu existe ; mais tant donn que sa nature et sa faon dagir sont mystrieuses (en tout cas, diffrentes de la nature et de la faon dagir des tres humains), cela fait quelques milliers dan-nes que les preuves de son existence sont atten-dues. Notons que lindividu qui ne partagerait

    Les multiples facettes des croyancesLe terme croyance correspond des ralits psychologiques distinctes : penser que le monde est juste, croire en sa valeur, en Dieu, au Pre Nol, aux extraterrestres, aux zombies, etc. Ds lors, sommes-nous tous croyants ? Tout dpend de ce quoi nous nous rfrons.

    Avant-propos

    Vassilis Saroglou est professeur de psychologie lUniversit de Louvain et prsident de lAssociation internationale de psychologie de la religion (International Association for the Psychology of Religion, IAPR). Il a coordonn ce numro.

    Vassilis Saroglou

  • LEssentiel n 20 / novembre 2014 - janvier 2015 5

    pas la premire croyance serait aujourdhui suspect de souffrir de trouble psychique. Alors que celui qui ne partagerait pas la seconde ne le serait pas (ce qui ne fut pas toujours le cas).

    Croyances universelles, croyances trangesAu milieu de cet axe de vrifiabilit se trouvent des croyances ayant certaines possibilits de vrification, telles les croyances selon lesquelles il y a une justice dans ce monde et que les autres ne nous veulent a priori pas de mal et sont bienveillants. Ces dernires reprsentent avec quelques autres (croyance en sa valeur, optimisme, capacit de contrler sa vie, etc.) des croyances de base qui nous permettent de fonctionner psychologiquement de faon saine. Elles peuvent tre branles aprs, par exemple, un traumatisme, mais doivent

    ensuite tre restaures. Ces croyances de base ne sont pas vraiment objectives. Shelley Taylor, de lUniversit de Californie Los Angeles, et Jonathon Brown, de lUniversit de Washington, parlent plutt d illusions positives : nous surestimons la bienveillance des autres, notre propre valeur, ainsi que les raisons dtre opti-mistes. Cependant, cette lgre surestimation est ncessaire pour renforcer notre sant men-tale et notre bien-tre.

    Sur le deuxime axe des croyances se situe leur degr dexcentricit ou dirrationalit. Sont-elles crdibles ? Cest ici quil faut dis-tinguer deux types de croyances, dfinis par Pascal Boyer, de lUniversit Washington de Saint-Louis : la croyance en des agents surna-turels, tels que les dieux des grandes religions, possdant quelques lments contre-intuitifs (omniscience, omniprsence, conscience sans corps), mais de nombreuses caractristiques des tres humains et de leur psychologie (pen-ses, motions, comportements) ; et la croyance en des tres surnaturels trs, voire trop,

    bizarres , qui partagent peu de similitudes avec la psychologie humaine (par exemple, les extraterrestres ou le monstre du Loch Ness).

    Force est de constater que lhumanit, ds ses dbuts, sintresse plutt la premire forme de croyance, en des dieux semblables aux hommes. Aujourdhui encore, les deux tiers des tres humains se dfinissent comme croyants et appartiennent une religion. En revanche, les croyances en des entits nayant pas daptitudes de la psychologie humaine restent minoritaires et socialement peu cr-dibles. Aux croyances religieuses sopposent donc des croyances dites paranormales impli-quant souvent une cognition magique , telle lastrologie ou la tlpathie. Par exemple, si lon compare le dieu grec Zeus et le Dieu du christianisme, Zeus, travers les mythes, connat trop de mtamorphoses en divers tres vivants ou objets anims pour tre encore pris au srieux aujourdhui.

    Par ailleurs, en lien avec leur degr dirra-tionalit, certaines croyances ont plus dimpor-tance que dautres pour lhomme. Les tres surnaturels qui ont eu du succs et qui ont t transmis culturellement connaissent des informations utiles pour lhomme (par exemple, Dieu est suppos savoir quel est notre objectif dans la vie et nous conseille de prendre telle ou telle dcision). Cela nous intresse moins de croire en un tre surnaturel qui connatrait toutes les cuisines du monde ou des extra-terrestres qui essaieraient dentrer en contact avec nous pour nous pater avec leurs techno-logies surdveloppes. Autrement dit, certaines croyances risquent fort de devenir sectaires , compares celles qui nourrissent les religions socialement et historiquement importantes.

    Enfin, le troisime axe o les diffrentes croyances peuvent se situer indique leur carac-tre positif ou ngatif (le bien-tre ou le mal-tre quelles procurent par exemple). Les croyances de base, nous lavons soulign, sont des illusions positives . Celles dites inverses

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  • 6 Croyances Cerveau & Psycho

    Le monde est injuste ; lapocalypse est nos portes ; etc. sont quant elles minoritaires et refltent plutt une dtresse psychologique.

    En outre, les tudes sociologiques et psy-chologiques montrent que la conception dun dieu amour, providence et ami tend large-ment remplacer celle dun dieu svre, vengeur et punitif . Notons aussi que, mme si Dieu et Satan partagent plusieurs caract-ristiques (leur existence est invrifiable, ils sont dots dune conscience et dune psychologie humaines, et disposent daptitudes contre-intuitives semblables), les cultes sataniques sont rares, considrs comme sectaires et nfastes pour le dveloppement psychologique.

    Nous pouvons placer sur laxe de positivit-ngativit les pratiques de la magie noire, de la magie blanche, et diffrentes superstitions ( Passer sous une chelle porte malheur ). Certaines sont plus ou moins positives, dautres engendrent de la peur. Nombre de croyances de lenfance (par exemple, les amis imagi-naires), et plusieurs croyances paranormales (par exemple, le Pre Nol), peuvent tre au milieu de cet axe. Ntant ni totalement posi-tives, ni vraiment ngatives, elles relvent plutt du ludique, de limaginaire, de la fan-taisie et de lextraordinaire. Dailleurs, comme la montr Jacqueline Woolley, de lUniversit du Texas Austin, lenfant est tout fait capable de distinguer limaginaire et la ralit ; ce nest pas son ami imaginaire quil demande un biscuit quand il a faim, mais bien sa mre.

    Quant aux adultes qui iraient voir les traces de la dernire apparition de la Vierge ou qui chercheraient le monstre du Loch Ness, ils ne retombent pas forcment en enfance : ils peuvent simplement vouloir jouer avec lextraor-

    BibliographieV. Saroglou, Religion, personality, and social behavior, Psychology Press, New York, 2014.

    P. Boyer, Et lhomme cra les dieux, Robert Laffont, 2001.

    K. Rosengren, C. Johnson et P. Harris, Imagining the impossible : Magical, scientific, and religious thinking in children, Cambridge University Press, 2000.

    dinaire. Dailleurs, plusieurs tudes rcentes montrent que ladulte nabandonne pas dfi-nitivement le mode de fonctionnement cognitif de lenfance, contrairement ce que lon pen-sait : ladulte acquiert progressivement diff-rentes aptitudes cognitives qui le rendent plus raisonnable, mais celles de lenfance peuvent parfois prendre le dessus sans quil sagisse ncessairement dune rgression. Mme les adultes aiment croire lextraordinaire !

    De cette reprsentation des croyances sur trois axes, nous pouvons tirer deux conclu-sions. Dune part, les croyances religieuses se trouvent sur un continuum avec dautres croyances plus ou moins communes, plus au moins invrifiables et irrationnelles, plus au moins importantes pour ltre humain et plus ou moins positives. Dautre part, elles semblent moins excentriques, plus pertinentes psycho-logiquement et plus positives que plusieurs croyances dites paranormales.

    En outre, la religiosit correspond linter-section de quatre variables : idologies, rites collectifs, normes morales et appartenance un groupe. En effet, les croyances religieuses ne sont pas seulement des faons de penser ; dans lexprience du croyant, elles ont un contenu motionnel fort ( Dieu est amour ), elles reprsentent des repres comportementaux et moraux (Jsus fait des miracles pour rendre service aux ncessiteux) et elles attestent lap-partenance un groupe. Aujourdhui, en accep-tant la croyance en la virginit de Marie, un fidle montre quil appartient la communaut des catholiques et non quil adhre une information dont les dtails lui chappent.

    On ne croit pas tous de la mme faonEn consquence, il existe de grandes diffrences entre les individus concernant les croyances. On ne croit pas tous aux mmes choses ni de la mme faon. Certes, les biais cognitifs, les croyances de base ou les strotypes semblent universels. Mais ce nest pas le cas des croyances contenu existentiel et spirituel (une part de lhumanit nadhre pas ces croyances), encore moins des croyances au paranormal, des rumeurs de complot et des superstitions imprgnes de magie, qui nont presque plus dcho chez lhomme du XXIe sicle. Pourquoi ne croit-on pas de la mme faon ? Ce dossier propose des lments de rponses. n

    Les diffrentes croyances peuvent tre reprsentes selon un modle trois dimensions, les axes correspondant leurs degrs de vrifiabilit, dirrationalit et de positivit (dans quelle mesure limpact de la croyance est-il positif ou ngatif ?).

    Vrifiabilit

    Croyance en un monde juste

    Croyances en des divinits bienveillantes

    Croyances paranormales

    positives

    Croyance en la magie

    noireCroyances en des divinits malveillantes

    Superstitions positives

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    Irrationa

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    Positivit

    Croyance en sa valeur

    Vassilis

    Saroglou

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