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Egalement disponible :

Encore !

Mia tient le courrier du cœur au sein d’une célèbre radio de Seattle, écoutant, conseillant, rassurantsans cesse les cœurs malades qui l’appellent souvent tard dans la nuit.Mais seule derrière son micro, le cœur brisé par une relation qui s’est mal terminée, la jeune femmene croit plus en l’amour, elle pourtant si apte à en parler aux autres…Par le plus grand des hasards, son chemin va croiser celui de Harry Bannister, milliardairerécemment élu Homme de l’année. Pragmatique, control freak, solitaire, Harry est tout son contraire. Et pourtant, ils vont découvrir ensemble que la vie peut être bien plus douce et drôle à deux !

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Egalement disponible :

Jeux interdits

À 15 ans, j’ai rencontré mon pire ennemi. Sauf que Tristan Quinn était aussi le fils de la nouvellefemme de mon père. Et que ça faisait de lui mon demi-frère. Entre nous, la guerre était déclarée. Eton n’a pas tenu deux mois sous le même toit. À 18 ans, le roi des emmerdeurs revient du pensionnatoù il a été envoyé pour le lycée. Il a son diplôme en poche, les yeux les plus perçants qui soient et unsourire insupportable que j’ai envie d’effacer de sa gueule d’ange. Ou d’embrasser juste pour le fairetaire.

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Egalement disponible :

Lui résister… ou pas

Joseph Butler est un homme d’affaires redouté qui n’a pas l’habitude qu’on lui résiste. Olivia Scottest une étudiante en droit qui a décidé de ne plus se laisser faire. Entre eux, la relation va vite tournerà la confrontation. Et si Joseph insiste pour être le patron d’Olivia, il ne se doute pas un seul instantde ce que le destin leur réserve…

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Egalement disponible :

Mon inconnu, mon mariage et moi

Grace est à Las Vegas pour assister à un mariage. Après une soirée bien arrosée, elle se retrouve aumatin mariée à Caleb, un homme rencontré la veille, sans avoir aucun souvenir de la cérémonie.Il est charmant, ce Caleb, il est même carrément canon, et en plus il est très riche, mais se marier, cen’était pas du tout dans les projets de Grace. Sa liberté, elle y tient. Le hic, c’est que son cher époux,dont elle ne sait rien, ne semble pas décidé à accepter l’annulation de leur mariage…

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Egalement disponible :

Ma vie, mes rêves et lui

Dès qu’il s’agit de sentiments, June Sachs est une grande empotée ! Elle ne possède pas le moded’emploi lui permettant de décoder les intentions des autres.Raphaël Warren est sûr de lui, très sûr de lui… et heureusement, car il va devoir l’être pour deux !

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Rose M. Becker

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NOËL, MON MILLIARDAIREET MOI

Volume 1

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1. Un cadeau empoisonné

Un œil fixé sur la pendule de mon tableau de bord, je tourne dans les petites rues de ma villenatale. Bienvenue à West Yellowstone ! Population ? Mille habitants et quelques… et moi, et moi, etmoi. Perdue au nord-ouest du Montana, la minuscule agglomération se dresse au beau milieu desmontagnes à perte de vue et des sapins qui se plient sous les bourrasques du mois de décembre. Ici,tout le monde se connaît. À peine ai-je le temps de tourner dans l’avenue principale que M. Stone, legaragiste, et Patrick Cunningham, l’agent immobilier, me saluent d’un petit signe de la main.

Home sweet home.

Je me gare devant une enfilade de bâtiments en bois qui s’étirent tout le long de Main Street. Etavant de sortir, je fais les vérifications d’usage. Écharpe ? Oui ! Manteau boutonné ? OK ! Gants ?Mis ! Bonnet en laine noire ? Yes ! Je suis prête à affronter la rigueur de l’hiver montanais. Derniercoup d’œil au rétroviseur. Bon, je ressemble un peu à Bibendum avec ma grosse parka molletonnéerouge. On me tirerait dessus, je crois qu’elle ferait gilet pare-balles…

Mais après vingt ans passés dans cet État, je sais comment survivre au froid glaciaire qui s’abatsur notre région en cette saison. Pas envie de finir avec les orteils cristallisés au fond de meschaussures ! Quand j’étais petite, mon père me racontait qu’un touriste avait été amputé des doigts depied pour avoir marché trop longtemps dans la neige. Franchement ? Je crois qu’il se fichait de moi !Mais je ne peux pas m’empêcher d’y songer avec un petit sourire en descendant de mon gros 4x4.Mon père… il me manque terriblement. Comme maman.

– Ça va, Mary ?

Stan Travis, le fils cadet du gérant du plus grand hôtel de la ville, travaille à mi-temps dansl’établissement, destiné à accueillir les touristes venus profiter du parc national tout proche deYellowstone. Quand je disais qu’on ne peut pas faire un pas ici sans être reconnu…

Intimité : zéro. Par contre, question convivialité…

– Ça roule.– Qu’est-ce qui t’amène dans les parages ? me demande-t-il, lui aussi emmitouflé jusqu’à la racine

des cheveux dans une parka XXL.

On ressemble à deux bonshommes de neige en train de faire la conversation. Les habitants de WestYellowstone ne sont pas très glamour en hiver. Mais revenez en été et vous verrez ce que vousverrez !

– Je dois faire une petite course avant d’aller chercher Brittany au collège. D’ailleurs, je suis à labourre !

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– Pour changer ! se moque-t-il.

Si je n’étais pas si pressée, je lui réglerais son compte, à mon vieux copain de lycée. Mais pourcette fois, je me contente d’une grimace avant de m’éloigner au petit trot – aussi vite que mesvêtements me permettent d’avancer – en direction de la boutique d’antiquités située au bout de la rue.Gérée par l’adorable Mme Miller depuis des temps immémoriaux (on la soupçonne d’avoir été unecontemporaine d’Abraham Lincoln), elle propose toutes sortes d’objets rares, délicats etgénéralement hors de prix. Mais j’ai prévu le coup, quitte à multiplier les heures de boulot entre mesheures de cours à la fac de médecine.

– Bonjour ! claironné-je en entrant dans le magasin.

Au-dessus de ma tête, un petit carillon retentit tandis que la porte en verre se referme derrièremoi. Aucune réponse. Apparemment, il n’y a personne. Surprise, je m’avance entre les étagèresgarnies de petites fioles en cristal, d’étuis à cigares anciens et de poupées en porcelaine. J’en profitepour enlever quelques couches : mon écharpe, mon bonnet… et j’abaisse le zip de ma parka. Histoirede respirer un peu dans mon airbag.

– Où est-il ? fais-je à mi-voix.

Deux mois plus tôt, j’ai repéré le cadeau idéal pour Serena Cooper, la vieille dame avec laquelleje suis devenue amie au cours de mes nombreuses visites en tant qu’aide-soignante. Malgré noscinquante ans d’écart, nous avons tissé des liens profonds. C’est la femme la plus intègre, la plusintelligente et la plus bienveillante de ma connaissance. Je la considère parfois comme une grand-mère, moi qui n’ai presque plus de famille en dehors de ma petite sœur Brittany.

Or, je voudrais la remercier. De sa gentillesse. De son attention. De nos fous rires. Et de soninvitation à sa grande fête de l’hiver, donnée chaque année au début de la saison. Je me faufilederrière une grande vitrine format Dwayne Johnson. Quand soudain, j’aperçois le superbe coffret àbijoux que je souhaite acheter.

Dans les mains d’un homme.

Pilant comme si je venais de prendre une porte en plein visage, je reste interdite à l’autre bout del’allée. Qui est cette bombe ? 1,85 mètre de cheveux châtains coupés court, de barbe de trois jours unpeu piquante, de lèvres charnues et d’yeux vert-noisette à tomber par terre. Sa carrure athlétique, seslarges épaules cachées sous un manteau en cachemire noir, me barrent entièrement la route. Mon cœurmanque un battement. Ou deux. Ou trois.

Dans le jargon médical, on appelle ça une crise cardiaque.

Je n’ai jamais vu un type aussi canon. Il est si impressionnant que j’en avale ma salive de travers.Je me sens soudain très gauche, incapable d’avancer. Zut ! Je ne vais pas jouer les mijaurées !J’hésite pourtant à l’aborder tandis qu’il examine mon coffret sous toutes les coutures. Un instant, jene peux m’empêcher d’admirer ses grandes mains, fines mais puissantes. Elles caressent le bois avec

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une douceur et une attention qui me rendent… toute chose. C’est presque sensuel.

Bon Dieu ! Je dois vraiment me trouver un petit copain !

De profil, lui n’a toujours pas remarqué ma présence, complètement absorbé par son examen.Tiens, je ne sais pas si je dois me vexer… J’en profite pour repérer la petite cicatrice qui barre sonmenton. Souvenir d’une bagarre ou d’un accident ? Je l’imagine bien en train de braver les dangersdans la jungle comme Indiana Jones. Avec un fouet, peut-être.

Un seau d’eau froide, par ici !

Reprenant mes esprits, je m’approche en toussotant. Sauf que mon bel inconnu ne se retourne pas.Je suis invisible ou quoi ? Me plantant derrière lui, je me racle à nouveau la gorge et mon demi-dieupivote enfin dans ma direction, tiré de sa profonde réflexion. Le coffret à bijoux entre les doigts, ilbaisse les yeux sur moi, plus petite d’une bonne vingtaine de centimètres. Des yeux comme je n’en aijamais vus. Profonds et mélancoliques. D’une beauté à couper le souffle. Sauvages, aussi. À peinem’a-t-il entraperçue qu’une lueur méfiante danse dans ses pupilles, assombrissant son regard. Commes’il se mettait en garde.

– Vous disiez ?

Il a une voix chaude, grave, bien timbrée, à vous donner des frissons partout… sauf que les motsclaquent sèchement, comme une cravache.

– Excusez-moi de vous déranger mais…

Moi, par contre, je ne brille pas par mon élocution. Je me force à redresser les épaules, biendécidée à ne pas me laisser impressionner par cet étranger.

– … c’est le coffret que je voulais acheter pour une amie.

L’homme hausse les sourcils. Et sans me répondre, il se met à détailler ostensiblement lemagnifique objet, passant en revue le couvercle ouvragé, les côtés incrustés de pierres semi-précieuses et le dos ciselé. Puis il relève la tête :

– Comment vous appelez-vous ?– Euh…

Je ne vois pas le rapport.

– Mary Elligson.– Eh bien, c’est bizarre, Mary Elligson… parce que je ne vois votre nom écrit nulle part.

J’en ai le souffle coupé.

– En fait, j’ai prévu d’offrir ce coffret depuis plusieurs semaines…

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– Alors pourquoi ne pas l’avoir acheté ? À présent, c’est moi qui vais le faire.

Le sale type !

Et sur ces mots, il me plante au beau milieu de l’allée, près de la vitrine « The Rock ». Mon cœurtambourine. D’accord. Monsieur Petite-Cicatrice-au-menton le prend sur ce ton. À peine s’est-iléloigné de quelques pas que je me lance à sa poursuite. Je ne suis pas le genre de fille à medécourager facilement. Ce coffret, je l’aurai ! Il correspond exactement aux goûts de Serena et jerefuse qu’il me file sous le nez, pas après avoir sué sang et eau pendant deux mois pour réunir lasomme.

– Attendez !

Déjà, mon inconnu gagne la caisse, posée sur un comptoir en verre où sont exposés une myriadede bijoux anciens hors de prix. Mme Miller sort au même moment de sa réserve. Sourde comme unpot, elle a sans doute été attirée par mes éclats de voix. Je tapote sur l’épaule de l’homme… qui seretourne encore. Il pince ses lèvres sensuelles, l’air franchement agacé. Mais pas seulement. Je diraisaussi qu’il semble… suspicieux. Comme s’il se méfiait de moi.

– Je croyais le problème réglé.– Écoutez, fais-je avec mon plus beau sourire. J’aimerais vraiment acquérir cet objet. C’est très

important pour moi.– Pour moi aussi.

Je tente de lui faire du charme en papillonnant de mes longs cils noirs. Sauf qu’il ne tique mêmepas face à mes grands yeux verts. Là, je me sens vexée. Carrément. Cela dit, cette technique n’ajamais fonctionné avec personne… Le visage fermé, il me contemple comme s’il attendait la suite etne comprenait pas où je voulais en venir.

OK. Pour le côté femme fatale, on repassera.

– J’ai économisé longtemps pour l’acheter…

Je tente de l’amadouer en penchant la tête sur le côté comme un cocker battu.

– Dites-le-lui, madame Miller !

Prise à témoin, la vieille dame sursaute avant de hocher la tête. Je sais qu’elle m’aime beaucoup.Surtout, elle connaît mon attachement à ce bel objet. Toutes les semaines, je passe vérifier qu’il setrouve bien en exposition. Car Mme Miller, dont les affaires périclitent en ces temps hivernaux, nepouvait guère se permettre de le réserver à mon nom sans que je verse un acompte. Elle se mord leslèvres, embarrassée… jusqu’à ce que l’inconnu lui décoche un sourire. Là, elle fond comme neige ausoleil, les joues rouges.

Je rêve ou Mme Miller, 85 ans, sourde et presbyte, est sous le charme ?

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– Pouvez-vous me faire un paquet cadeau, s’il vous plaît ?– Avec plaisir, monsieur.

La traîtresse.

Très bien. La politesse ne marche pas. La persuasion non plus. Le charme, encore moins (nocomment…) ! Ne reste que la supplique.

– Je me permets d’insister…– Je vois ça ! s’exclame Monsieur Cicatrice-sexy avec un petit claquement de langue agacé.– Je vous en prie, faites un geste. Je suis certaine que vous pourrez trouver une foule d’autres

cadeaux géniaux dans cette boutique. Regardez ces bracelets en argent ! fais-je, en les pointant dudoigt à travers la vitrine. Ou ce ravissant médaillon qui s’ouvre !

Il m’enveloppe d’un long regard des pieds à la tête, l’air indéchiffrable.

– Eh bien achetez-les, s’ils vous plaisent tant.

Le bide. Le méga four.

– S’il vous plaît ! fais-je en serrant les mains et en renonçant à toute dignité. C’est très important.Noël est dans moins de quinze jours… vous ne pouvez pas faire un petit geste ?

Un peu inquiète, Mme Miller emballe le coffret en nous contemplant tour à tour. Le cœur de cettefemme que je connais depuis l’enfance semble balancer entre nous deux. On dirait presque qu’elleassiste à un match de tennis, attendant le dénouement avec impatience. Pour une fois qu’il se passequelque chose dans sa boutique… L’inconnu fronce les sourcils, comme s’il réfléchissait intensément.Puis :

– Non.

Et il paie son achat sous mes yeux ronds de poisson rouge. Celle-là, je ne m’y attendais pas.Cachant un sourire en coin, il s’empare finalement de son cadeau et sort de la boutique après nousavoir saluées toutes les deux d’un petit signe de tête. Mme Miller a le culot de soupirer au moment oùil quitte son magasin. Je lui jette un regard furibard. Adieu, mon joli cadeau ! Je pense à tous cesmois de travail qui n’ont servi à rien à cause de cet homme. Outrée, je quitte finalement la boutiquebredouille.

Et en rogne, je claque la portière de ma voiture avec force, histoire de marquer le coup etd’avertir la moitié de la population de West Yellowstone. Puis je démarre en maugréant dans mabarbe. Voleur ! Sale voleur ! Mon 4x4 file sur la route en direction du collège de ma petite sœur. Ilest presque 15 heures et elle va bientôt quitter son club de théâtre. Mon cœur tambourine dans mapoitrine. Je n’arrive pas à me calmer. Non seulement Monsieur Cicatrice-au-menton m’a piqué lecadeau de mes rêves… mais en plus, il a le culot, l’audace, le toupet d’être canon !

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Soupir.

Tout en roulant sur les routes sauvages du Montana, je le maudis copieusement. Avec sa luxueuseveste en lainage et son portefeuille Vuitton, je suis certaine qu’il aurait pu s’acheter la moitié dumagasin d’antiquités. Mais non ! Il a fallu qu’il jette son dévolu sur ce malheureux coffret. J’expirepar la bouche en serrant un peu trop mon volant. Puis j’attrape ma bombe désodorisante pour assainirl’air et éloigner toutes les ondes négatives. Je ne vais pas me laisser polluer par cet apollon ! Non,non, non ! Je vais po-si-ti-ver ! À mi-voix, je répète mes mantras favoris.

– Si la vie te donne des citrons, fais de la limonade !

Tout va bien. Tout va très bien. Ce n’est pas si grave. Ce n’était qu’un coffret – un magnifiquecoffret, unique et irremplaçable ! J’essaie d’afficher un sourire convaincant en pensant aux fêtes defin d’année. Par bonheur, je suis d’une nature enthousiaste. Je ne me laisse jamais abattre… au pointd’être une tornade difficile à suivre pour mes proches. J’ai une énergie débordante. Surtout que Noëlme déchaîne.

J’adoooore Noël.

Je ralentis en vue du collège de ma sœur et je l’aperçois presque tout de suite. À 12 ans, Brittanyme ressemble beaucoup : mêmes cheveux noirs et raides comme des baguettes, même yeux verts enamande, un peu bridés, hérités d’un grand-père chinois, même petite taille. Aucun doute ! Noussommes de la même famille. Je ralentis à son niveau en donnant un joyeux coup de klaxon. Si bienqu’elle lève les yeux au ciel en grimpant sur le siège passager.

– S’te plaît, ne fais pas ça !– Quoi ? Klaxonner ?– Oui… tout le monde nous regarde !

Tout le monde ou juste Mike Tanner, le beau gosse de sa classe de cinquième ? Je réprime unsourire tandis qu’elle jette son sac à dos plein à craquer de bouquins sur la banquette arrière. Etj’attends patiemment qu’elle mette sa ceinture avant de démarrer. Je ne plaisante pas avec la sécurité– pas depuis la mort de nos parents dans un accident de la route deux ans plus tôt. Fauchés sur lecoup. Ils n’ont pas souffert, d’après les médecins. Aussitôt, je bloque l’afflux des souvenirs.

Je ne veux plus y penser. PLUS JAMAIS.

À la place, je décoche un sourire radieux à Brittany en roulant. Même si nous sommes le11 décembre, il n’a pas encore neigé sur le Montana – un phénomène rare, quasi exceptionnel. À cettepériode de l’année, nous croulons d’habitude sous un mètre de poudreuse. Au moins, les voiturespeuvent rouler… mais je regrette la magie des plaines cachées sous une couche de diamants.

– Alors, ta journée ?– Bof. Tania a dit à Maria que James lui avait raconté que…

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Je m’accroche. Vraiment, j’essaie. Je le jure. Mais suivre les aventures d’une bande d’ados aucollège demande autant de connaissances géopolitiques que si j’étais diplomate à l’ONU. Ma sœur setourne vers moi, l’air entendu.

– Tu y crois, toi ?– Euh… non. C’est dingue.

Je joue la carte de la sécurité. Et ça marche ! Ma cadette hoche vigoureusement la tête, ravie.

– Mark est un imbécile, conclut-elle.– Un minable ! renchéris-je, à fond derrière ma sœur quoi qu’il arrive.– Exactement ! Je lui ai dit que ce n’était pas la peine de me demander de l’aide pour son prochain

devoir de maths.– Surtout que tes devoirs de maths, c’est moi qui les fais…

Ma sœur prend une mine vaguement coupable tandis que je lui décoche un clin d’œil malicieux.De l’avantage d’avoir une aînée en deuxième année de médecine…

– Ouais, enfin, tu vois ce que je veux dire…

Je secoue la tête, amusée. Et parce que nous sommes aussi pipelettes l’une que l’autre, nousoccupons sans peine le silence durant les dix kilomètres qui nous séparent de notre chalet. Jem’enflamme au sujet des vacances de fin d’année qui approchent.

– On va pouvoir faire la grasse matinée ! m’exclamé-je, aux anges. Manger du pain d’épices et dessucres d’orge ! Regardez cinquante fois La Vie est belle de Capra à la télévision en buvant du lait depoule !

– Oh, non… tu recommences !– Je recommence ?– Tu es encore atteinte de Noëlite aiguë !

Je hausse les épaules. Tout ça parce que je me montre une toute petite minuscule rikiki joieexubérante dès que j’aperçois une branche de sapin ou des santons. À mon grand désarroi, ma petitesœur ne partage pas mon enthousiasme. Pragmatique et tête de mule, Brittany ne s’en laisse pas conterfacilement. Mais je regrette qu’elle ne goûte pas la magie des fêtes. Bien décidée à la convertir, jebrandis le disque posé sur le tableau de bord.

– Tu veux écouter des cantiques ?– Tu rigoles, Mary ! T’as quand même pas apporté ton CD de chants de Noël dans la voiture ? me

lance-t-elle, accablée.– Siiii, petite veinarde ! Et il y a tout : « Holy night », « Winter Wonderland », « Jingle Bells »,

« Let it snow » !– Noooon ! J’ai trop honte !

Je sens qu’elle aimerait bien mourir. Pour la peine, elle m’entendra chanter a capella « All I want

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for Christmas » jusqu’à la fin du trajet !

***

De retour à la maison, nous vaquons toutes les deux à nos occupations. Pendant que Brittany faitses devoirs devant la télévision laissée en fond sonore, je m’active en cuisine à préparer le dîner. Jene suis pas un cordon-bleu. Comprendre : je fais même brûler des toasts. Je suis la seule fille surterre capable de rater des pâtes. Heureusement, les pizzas surgelées existent ! Sans compter lagénérosité de nos voisins. Depuis la disparition de nos parents, toute la petite communauté de WestYellowstone nous soutient. Et nous ne manquons jamais de salades de pommes de terre et autresgratins de chou-fleur !

D’ailleurs, le chou-fleur devrait être illégal. Comme la drogue. Et les brocolis.

Sortant un plat du congélateur, j’enlève la cellophane en continuant à fredonner mes sacro-sainteschansons festives. Ma sœur râle dans le salon, sans doute pour que je la mette en sourdine. Bienentendu, j’augmente les décibels, juste pour la faire enrager. Nous sommes sœurs ou non ? Jel’entends étouffer un rire, penchée au-dessus de sa leçon d’histoire sur la table basse. À mon tour, jesouris. Cela fait deux ans que nous sommes seules. De notre ancienne famille, il ne reste que nous.Mais nous avons réussi à reconstruire notre vie. Pas à pas.

J’enfourne le plat de lasagnes au thon offert par Mme Ford, la propriétaire de la quincaillerie, surle gril. Grâce à la prévoyance de nos parents, Brittany et moi habitons dans ce ravissant chalet qu’ilsnous ont légué. À 18 ans, je me suis battue pour garder ma petite sœur avec moi, et pour éviterqu’elle ne parte en foyer ou dans une maison d’accueil. Heureusement, l’assistante sociale, JoanSimmons, était de notre côté. Refusant de nous séparer après le drame, elle a appuyé notre dossier detoutes ses forces auprès des services sociaux.

Et Brittany est restée.

Bien sûr, cela demande des prodiges d’ingéniosité et de logistique pour organiser notre vie àdeux. Entre mes cours de médecine et sa scolarité, mais aussi mes petits boulots d’appoint pourramener un peu d’argent à la maison, ce n’est pas facile tous les jours. D’autant que le pécule laissépar nos parents fond comme neige au soleil. Encore cinq ans à tenir ! Cinq ans et je serai médecin !Rien d’insurmontable. Je suis une incurable optimiste – et je n’ai aucune envie de guérir.

Je règle le minuteur en me grattant la tête. Dix minutes ? Vingt minutes ? De toute manière, quoique je fasse, ce sera brûlé ! Puis je me tourne vers la vaisselle empilée dans l’évier depuis l’époquedes colons… quand une odeur bizarre me chatouille les narines. Pas bizarre, non. Plutôt…pestilentielle.

Un ragondin est venu mourir dans la cuisine ?

Au même moment, la voix de Brittany s’élève :

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– Tu ne trouves pas que ça schlingue ?

Sans rire.

– Non, tu crois ? fais-je, sarcastique, en plaquant un torchon sur mon visage, histoire de ne pasmourir asphyxiée.

Tandis que Brittany me rejoint, un bras braqué devant son nez, je m’approche de l’évier comme sije m’apprêtais à désamorcer une bombe. Minimum. D’un doigt prudent, je soulève deux assiettes etrecule aussitôt d’un bond. Qui a balancé du gaz moutarde dans notre maison ? Ma sœur est hilare. Jeme tourne vers elle, furieuse. Elle n’a pas fini de se moquer, cette chipie ?

– Je voudrais bien t’y voir, tiens !– Ah, non ! C’est toi l’aînée !

Prenant mon courage à deux mains, je soulève la vaisselle sale, repousse les verres de Coca àmoitié vides, range l’éponge dans un coin… et découvre l’ampleur du carnage. Le diagnostic tombe,sans appel.

– C’est encore la tuyauterie qui refoule.

Cela arrive tout le temps dans les vieilles maisons au plancher lambrissé, aux murs épais et auxpoutres apparentes. Elles ont le charme des chalets traditionnels… et la plomberie hors d’âge qui vaavec. Sans parler de l’électricité défaillante les soirs d’orage. Le Montana, ce n’est pas pour lesmauviettes ! Brittany soupire. Ça recommence. C’est au moins la troisième fois en deux semaines quenotre évier décide de vomir ce qu’on lui donne à manger.

Comment ça, il ne faut pas nourrir son évier ?

Le torchon sur la figure, je renvoie ma sœur à ses devoirs et traverse la cuisine à grands pas. Il esttemps d’appeler mon sauveur. SOS Chris. Ouvrant la porte de la maison, je hèle mon voisin etmeilleur ami. Il habite le chalet d’en face, de sorte que seule une petite allée en terre nous sépare,sinuant ensuite vers les chaînes montagneuses. Nous sommes les deux dernières habitations de laville. M’apercevant par la fenêtre de son salon, Chris sort tout de suite.

– Un problème ? me lance-t-il, inquiet.

Chris. Le merveilleux Chris Donovan. Grand blond aux yeux bleus et à la peau tannée parl’altitude, il fait craquer toutes les filles… en dehors de moi. Chris, c’est le frère que je n’ai jamaiseu. Un peu plus âgé, il veille sur moi depuis l’enfance – car nous étions déjà inséparables à l’école.En ville, toutes les marieuses nous imaginaient finir ensemble avec quatre enfants. Sauf que non !Aucune attirance entre nous. Seulement une complicité hors du commun. À lui, je peux tout dire.Comme il vient tout me raconter. Ses désastres amoureux, mes soucis à la fac, ses problèmes de guidetouristique… Et Brittany aussi le considère comme un grand frère.

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– Je ne te dérange pas ? demandé-je, inquiète.– Jamais ! Mais…

Il s’interrompt une seconde pour respirer l’air froid, comme un chien flaire une piste.

– C’est quoi cette odeur ?– Devine qui est revenu ?

Nous éclatons de rire en même temps. Pas besoin d’explications. Car Chris, en plus d’être notrevoisin, ami et frère… se trouve également être notre plombier attitré. Et notre dépanneur de voiturecertains jours.

Un vrai couteau suisse.

Sans ajouter un mot, il disparaît dans sa cuisine. Je l’attends sur le palier, les bras serrés autour dema poitrine malgré mon gros gilet noir. Le thermomètre affiche -5 °C. Autant dire que je me gèle lepopotin. Une minute plus tard, Chris revient… armé de sa ventouse.

– Allons lui faire cracher son jus ! me balance-t-il.

Déterminé, il ouvre la marche en direction de la cuisine. Et durant cinq bonnes minutes, il sebagarre bec et ongles avec notre évier récalcitrant. De drôles de bruits s’élèvent. Schlurps. Gloups.Krong. Les sourcils froncés, je reste un peu en recul. Le pauvre s’escrime, les dents serrées parl’effort.

– Je ne sais vraiment pas comment te remercier pour tous les services que tu nous rends, Chris.– Surtout pas en me faisant un bon petit plat !– Ha, ha ! Très drôle !

Et… pssssschiiiit !

Toute l’eau putride remonte à la surface comme un geyser en éclaboussant le pull à col roulé demon meilleur ami… ainsi qu’une partie de son visage. C’est moche. Vraiment moche. Mais je doisme mordre les joues pour ne pas rire tandis qu’un liquide saumâtre lui barbouille le menton. Chrisreste les mains en l’air, sa ventouse dégoulinante à la main.

– Par contre, une douche, je ne dirais pas non…

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2. Les meilleurs ennemis

Juchée sur un escabeau, je tends le bras au maximum pour atteindre un angle du plafond. Jeressemble à une équilibriste sur la corde raide, je suis mûre pour le Cirque du Soleil ! Serena retientson souffle tandis que je joue les trapézistes de fortune. Tirant un peu la langue, je suis au sommet dema concentration au moment où j’accroche un ravissant ange doré dont les ailes se déploientgracieusement.

– Faites attention, ma chérie !– Tout est sous contrôle.

Satisfaite, je me perche à nouveau sur la plus haute marche de l’échelle, les poings plantés sur leshanches. Je ressemble à un contremaître en train d’admirer son chantier, ou à un roi qui contempleson royaume. Je ne plaisante pas avec Noël ! Et encore moins avec les guirlandes, les lampions etautres angelots bouffis. Ne suis-je pas connue dans toute la ville pour être la maniaque des fêtes,l’obsédée des santons, la dingue de décembre ?

J’assume ! À fond !

J’adore cette période : la neige, les cadeaux, les bons sentiments. N’est-ce pas le temps desgrandes tablées et des réunions de famille ? Moi qui ai perdu la mienne, je sais combien ces instantssont précieux. Même si j’éprouve toujours ce douloureux pincement au cœur. Et ce vide en pleinepoitrine.

– Qu’est-ce que vous en pensez ? dis-je en me tournant vers Serena.– C’est ravissant !– Et encore, vous n’avez rien vu ! Quand j’en aurai fini avec votre salon, les décorateurs du

Rockefeller Center rougiront de honte devant leur petit arbre.

La vieille dame éclate de rire, conquise par mon enthousiasme. Assise dans un confortablefauteuil, une couverture sur les genoux, elle profite du feu ronflant dans la cheminée. Par moments,des crépitements s’élèvent, parfumant l’atmosphère de chaudes fragrances boisées. Et de petitesétincelles jaillissent, modelant le visage ridé de mon amie de lueurs orange. Cette année, Serena m’ademandé de venir lui prêter main-forte pour transformer son rez-de-chaussée.

– Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans vous, Mary.– Oui, beaucoup de gens se posent cette question…

À nouveau, son rire élégant, aristocratique, résonne dans la pièce. Elle semble en formeaujourd’hui. À 75 ans, elle lutte contre une sévère arthrose qui lui déforme les mains. Ses crises sontparfois si fortes qu’elle ne peut plus écrire. Et c’est sous l’auspice de sa maladie que nos routes se

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sont croisées. Aide à domicile, j’arrondis en effet mes fins de mois en assistant des personnagesâgées dans leurs petits travaux quotidiens. Pas seulement pour l’argent, d’ailleurs. Ce métierdemande un véritable engagement de cœur. J’aime les gens. J’aime les aider. N’est-ce pas la raisonpour laquelle je veux les soigner, les sauver, en devenant un jour médecin ?

Peut-être parce que personne n’a pu les sauver, eux…

– Vous avez des doigts de fée, soupire Serena.

Je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir qu’elle jette un regard un peu désabusé à ses mainsabîmées. Pourtant, elle ne se plaint guère. Jamais je n’ai entendu un gémissement franchir ses lèvres,même au plus fort de ses crises. Serena Cooper, propriétaire du plus luxueux chalet de la ville, estune grande dame. Fille d’un ambassadeur et jouissant d’une grosse fortune, elle est devenue un pilierde notre communauté depuis son installation à West Yellowstone, cinq ans plus tôt.

– Que diriez-vous d’un Noël blanc et or ? dis-je soudain, pensive.– Je vous laisse carte blanche, Mary. De toute manière, ce sera spectaculaire.– J’espère en mettre plein la vue à vos invités pour la fête de l’hiver.

Car cette soirée qui ouvre la saison des fêtes approche à grands pas. Enthousiaste, j’installe auplafond de délicates guirlandes arachnéennes, ainsi qu’une kyrielle de flocons et de cristaux. C’estmagique ! Les décorations étincellent. Entre Serena et moi, la conversation roule. Et sans préciserque le cadeau était pour elle, je lui parle de mon voleur.

Mon voleur sexy.

– Cela faisait deux mois que je convoitais ce cadeau. Deux mois ! fais-je, toujours furax.

La méthode Coué : échec.

– Et cet homme arrive… et me pique mon cadeau des mains !

OK, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Mais c’est moi qui raconte l’histoire, pas vrai ?

– Quel goujat ! s’exclame Serena, outrée.– Je n’aurais pas dit mieux ! m’écrié-je, enchantée par son soutien. Un vrai mufle !

Mais alors un mufle super sexy. Avec une classe folle dans sa veste en cachemire noire. Et quedire de sa voix grave, posée ? Et de sa petite cicatrice au menton ? Ou de ses lèvres charnues ? Je mesens toute chose au sommet de mon escabeau. Prise de vertige, je ferme les paupières et refoule montrouble. Cet inconnu me donne encore des palpitations. La colère, bien entendu. Rien que la colère.

Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ?

– Où sont donc passés les hommes galants ? s’indigne Serena. À mon époque, on n’aurait jamais

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vu cela…

Elle tapote le chignon blanc noué sur sa nuque, lasse. La pauvre semblait sincèrement touchée parma mésaventure.

– Ce n’est pas bien grave, dis-je pour la rassurer. Par contre, je vais devoir trouver un autrecadeau…

Rassérénée par mon indéfectible optimisme, Serena se rencogne dans son siège. Moi, je déplacemon escabeau à l’autre extrémité de la pièce avant de tirer les cartons chargés de décorations.

– Je suis vraiment navrée de ne pas pouvoir vous aider, Mary.– Cela me fait plaisir. En plus, à cette heure, Brittany est au collège et j’ai tout mon temps. Je peux

vous consacrer l’après-midi.

Contrairement à ma petite sœur, je suis déjà en vacances. Je remonte sur mon perchoir tandis quela vieille dame tend les mains vers la grille en fer forgé placée devant l’âtre. La chaleur pénètre sesarticulations douloureuses, lui tirant un petit soupir.

– Si Harrison avait été là, il aurait pu vous prêter main-forte.– Harrison ? fais-je en essayant de démêler les cheveux d’ange emberlificotés ensemble.

J’ai l’impression de coiffer Lady Gaga.

– Mon petit-fils !

Son petit-fils, of course.

Comment ai-je pu l’oublier ? Serena me serine à longueur de journée à son sujet. Habitant NewYork à l’année, il est venu dans le Montana pour les vacances d’hiver… ce qui comble mon amie.C’est bien simple, je ne l’ai jamais vu aussi emballée ! Et grâce à elle, je connais toute la biographied’Harrison Cooper, le mystérieux multimilliardaire qui fuit les interviews depuis des années. Il estpourtant le créateur du logiciel d’exploitation pour ordinateur le plus vendu et le plus célèbre aumonde. Un véritable petit génie de la programmation qui a révolutionné l’informatique.

Un geek, quoi.

– Je vais enfin pouvoir le rencontrer, dis-je dans un sourire.– Vous allez l’adorer, Mary ! Harrison est un garçon si charmant… même s’il peut se montrer très

timide au premier abord.

Pourvu qu’il ne porte ni bretelles ni appareil dentaire.

– Il y a si longtemps que je rêve de vous le présenter… mais il croule sous le travail et il n’aimepas beaucoup voyager. Il se montre parfois un peu casanier. D’ailleurs, c’est moi qui lui ai rendu

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visite l’hiver dernier. Vous vous souvenez ?

Je hoche la tête en imaginant un grand dadais qui vit en reclus dans un bunker au sommet d’unetour de verre new-yorkaise. J’en frissonne. Brrrr ! Cette vision me donne la chair de poule. MaisSerena ne remarque rien. Les yeux en forme de cœur, elle me dresse un portrait enamouré de sonpetit-fils. Tandis que je dispose des bougies sur le manteau de la cheminée, elle me raconte sesderniers exploits professionnels. Elle, si pondérée, ne tarit pas d’éloges sur Harrison. Elles’enflamme comme une midinette pour la grande fierté de sa famille.

– C’est l’homme parfait, si je comprends bien ? dis-je, amusée.– Voilà. Vous y êtes.

À son tour, elle me rend mon sourire.

– Pardonnez-moi si je m’emporte mais il y a si longtemps que je ne l’ai pas vu. Douze mois, c’estlong ! Il me manque terriblement.

– Je suis ravie qu’il vienne passer quelques jours avec vous.– Vous êtes un ange, Mary.

Je lui décoche un clin d’œil.

– Alors il n’y a plus qu’à m’accrocher dans le sapin !

***

Mission accomplie !

J’ai transformé le salon et la salle à manger de Mme Cooper en véritable œuvre d’art. On secroirait dans l’atelier du père Noël. Chaudement emmitouflée dans ma parka et mes grosses bottes, jedévale l’escalier extérieur du chalet, juché sur une excavation rocheuse au cœur de la forêt. Autourde moi souffle une violente bourrasque qui plie les pins. Je lève la tête, admirant les cimes courbéespar le vent. J’aime ma région. Mais en baissant les yeux, je sursaute.

Une… une ombre ?

J’ai cru voir quelque chose bouger dans les fourrés. Une forme indistincte dissimulée par lesbuissons de houx qui bordent l’allée. Mon cœur manque un battement tandis que je me fige. J’hésite àpoursuivre ma route. Les animaux sauvages sont légion dans le Montana, à commencer par lesredoutables couguars ! Poussés par la faim, il n’est pas rare que ces puissants félins s’aventurent prèsdes habitations certains hivers. Et ils peuvent vite devenir dangereux. Sans parler des ours qui rôdentdans les bois, même si l’hibernation a probablement commencé. Je reste sur mes gardes.

Je n’ai pas envie de servir de goûter à un grizzli.

– Y a quelqu’un ?

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Comme si un couguar allait répondre !

Je lève les yeux au ciel, mi-amusée, mi-inquiète. Puis en vraie fille de la montagne, je rassemblemon courage et marche en direction de ma voiture. Je ne vais pas me laisser impressionner par unepetite bébête… avec des crocs énormes et des griffes comme des rasoirs. Je presse le pas. Bon,d’accord : je cours carrément. Devant mon 4x4 rouge, je cherche fébrilement les clés dans mon sac.Quand mon prédateur sort enfin des fourrés…

– Maggie ? fais-je, abasourdie.

Maggie O’Malley. Et croyez-moi, c’est bien pire qu’un couguar affamé !

– Mary Elligson ? fait-elle, l’air désarçonné. Qu’est-ce que tu fiches ici ?– Je te retourne la question.

La rouquine ne répond pas, m’enveloppant d’un regard peu amène. Elle me détaille des pieds à latête. Dans son impeccable tailleur, pantalon dissimulé sous un somptueux manteau en fourrure brun,elle n’a visiblement que mépris pour ma tenue de Bibendum. Ce qui ne me fait ni chaud ni froid. Enville, tout le monde sait que Maggie O’Malley, journaliste d’investigation au Daily News, est unevéritable peste… doublée d’une fouine ! Sa plume trempée dans le venin opère des ravages au seindu quotidien. Tout en assurant d’importantes ventes.

Tout le monde la redoute. Même son boss.

Sans cesse à la recherche du scoop qui la rendra célèbre et qui lui permettra de quitter notre« petit bled minable », elle ne fait pas dans la dentelle. Vous avez volé un rouleau de papier toilettechez l’épicier ? Elle le sait ! Vous avez copié sur Jimmy Meyer en sixième ? Elle est au courant !

Une vraie plaie.

– C’est vrai…, s’amuse-t-elle. J’avais oublié que tu jouais les Cendrillon chez la vieille Cooper.– Je suis l’aide-soignante de Mme Cooper.

J’insiste sur les derniers mots, scandalisée par son manque de respect.

– Et aujourd’hui, je suis venue chez elle en amie.– Une amie qui pèse trois millions de dollars.

Je hausse les sourcils, surprise. Comment peut-elle connaître l’état de la fortune de Serena ? Moi-même, j’ignore tout des comptes bancaires de ma confidente ; et je m’en moque complètement.

– Qu’est-ce que tu insinues ? Que je m’intéresse à Mme Cooper pour être couchée sur sontestament ?

– C’est toi qui l’as dit ! Moi, je me contente d’énoncer des faits.

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Respirer, respirer. Et po-si-ti-ver !

– Que veux-tu, Maggie ? dis-je d’une voix aussi calme que possible.

Je ne compte pas entrer dans son jeu, encore moins entamer une querelle avec elle. Car je n’aitoujours pas digéré l’article racoleur publié dans son torchon après la disparition de mes parents.

– Ça, ça ne te regarde pas, ma petite !

Positiver… tu parles !

Croisant les bras sur sa poitrine, la journaliste arbore un petit sourire suffisant de mauvais augure.Mais je ne recule pas, désireuse de protéger l’intimité de Mme Cooper de cette désagréableincursion. Je n’ai aucune envie que Maggie frappe à la porte de la vieille dame pour lui chercher desnoises. Elle pourrait la rendre malade… même si les domestiques de Serena feraient probablementbarrage.

– Je te signale que tu te trouves sur une propriété privée. Tu n’as aucun droit de traîner dans lesparages.

– Je ne « traîne » pas, comme tu dis. Je travaille. Je suis même sur une enquête qui promet d’êtrefructueuse.

Malgré moi, je hausse un sourcil interrogateur, la curiosité piquée. Ce qui n’échappe guère àMaggie et son sourire sarcastique.

– On dirait que tu as mordu à l’hameçon, Cendrillon ! s’amuse-t-elle. Je n’ai aucun compte à terendre mais pour ta gouverne, sache que je m’apprête à écrire un papier croustillant sur HarrisonCooper, le milliardaire.

– Le petit-fils de Serena ? m’étonné-je.

Maggie ricane.

– Tu en connais un autre ? Je l’attends pour lui parler et lui donner une chance de se défendreavant que je ne le crucifie.

Partant d’un rire triomphant, elle tourne les talons et me plante là pour se consacrer à sasurveillance. Malheureusement, je n’ai aucun moyen d’intervenir, sinon de prévenir le personnel deSerena qu’une femme rôde dans les environs. Maligne, Maggie reste néanmoins à la lisière dudomaine. Elle ne commet aucune infraction. Mais en montant dans ma voiture, je me demande tout demême pourquoi cette peste semble aussi remontée contre le geek new-yorkais…

Quelque chose m’échappe.

***

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Au volant de ma voiture, je m’engage sur la petite route de terre qui sinue hors de la propriété.Au-dessus de moi, le ciel gris se fait menaçant, tandis que des cumulus s’amoncellent par-delà lesmontagnes au profil ciselé. Un orage approche – mais toujours pas de neige ! J’augmente le chauffageà l’intérieur. Les températures sont négatives, sans possibilité d’amélioration avant des mois. LeMontana ne se trouve-t-il pas à la lisière du Canada ? En même temps, je vérifie machinalement maceinture de sécurité. Plusieurs fois.

C’est presque un TOC…

Je m’apprête à accélérer quand une autre voiture s’engage en sens inverse. Misère ! Jamais deuxvéhicules ne pourront passer, surtout face à face. Cela dit, c’est un problème fréquent sur les sentierssauvages de la région. Et l’un des deux conducteurs finit invariablement par se garer dans le fossé. Jeralentis en faisant des appels de phares à l’autre voiture. Et quelle voiture ! Une superbe et puissanteBMW d’un noir métallisé, aussi bien adaptée à la ville qu’à notre campagne. J’entends sesvrombissements jusque dans mon habitacle. Je peux presque sentir la route trembler sous ses roues.

– Toi, je ne t’ai jamais vu par ici…

Un tel bolide, je m’en serai souvenue ! Pas très rassurée, je rétrograde, un pied sur le frein. Enface de moi, l’autre conducteur m’imite jusqu’à ce que nos voitures se retrouvent museau contremuseau. De mon côté, je multiplie les appels de phares, sans que l’autre réagisse. Il a pourtant plusde place que moi pour reculer, grâce à un petit tertre placé sur le côté. Moi, je sens que je n’yarriverai pas… mais qui est l’autre conducteur, d’ailleurs ?

Plissant les yeux, je me penche vers mon pare-brise et… pincez-moi, je rêve ! C’est lui ! C’estmon voleur sexy ! Je reste interdite, courbée en deux sur mon volant comme une commère en traind’épier ses voisins. Mon cœur s’emballe, lancé au grand galop. À travers la vitre, je reconnais sestraits parfaits, ses mâchoires viriles, ses lèvres sensuelles. Par contre, je suis trop loin pour discernersa petite cicatrice.

Ce petit détail qui me fait craquer.

Je ne vois pas non plus ses yeux, d’un vert moucheté de brun. Par contre, je discerne sans peineson expression contrariée. Il fronce les sourcils et semble m’observer lui aussi. Je crois même qu’ilpince la bouche… avant de donner un coup de klaxon ! Bien pète-sec ! Aussitôt, le charme se brise.Ah ! J’avais presque oublié que Monsieur Petite-Cicatrice était aussi Mister Goujat.

Docteur Jekyll et M. Hyde.

Pour la peine… je klaxonne aussi. Oui, je sais, c’est mesquin. Mais je n’ai pas pu m’en empêcher.Je n’aime pas qu’on me marche sur les pieds. Et visiblement, lui non plus. En parallèle, nous ouvronsnos portières et quittons nos voitures au même moment. Ou plutôt, je bondis comme un diable hors desa boîte. En pétard. Comme chaque fois que cet énergumène croise ma route.

Parce que c’est de la colère, on est d’accord ?

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– Vous ! m’écrié-je.– Vous ! s’exclame-t-il sur le même ton.

Synchronisme : parfait !

– Vous êtes mon voleur de cadeau !– Ce raccourci ne m’étonne pas de vous, Mademoiselle Casse-Pied… Dois-je vous rappeler que

je n’ai rien volé ? Il me semble bien avoir payé mon achat avant d’avoir quitté la boutique.

Furieux, nous avançons comme si nous allions nous percuter de plein fouet. Et nous ne nousarrêtons qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, exactement comme nos voitures. Sauf que… je nem’attendais pas à cette décharge électrique. Au moment où ma poitrine effleure son torse, je suisparcourue d’un électrochoc. Comme si tous mes muscles, tout mon corps se raidissaient. Suis-je laseule ? Mon inconnu recule aussitôt d’un pas. On dirait qu’il s’est brûlé à la flamme d’une bougie. Jelis la surprise sur son visage. La surprise ? Ou le choc ? Puis soudain, ses yeux s’assombrissent.

– Vous bouchez la route, mademoiselle !– Vous plaisantez ? C’est vous qui m’empêchez de passer !– Je ne peux pas reculer. La terre du tertre est trop meuble, une voiture risquerait de s’y enliser.

Oups. Je n’avais pensé à ça. Mais plutôt mourir sur une roue de torture que de l’avouer.

– Vous êtes gonflée, Monsieur BMW !

L’air grésille entre nous, saturé d’électricité. Et à nouveau, nos corps se rapprochent, littéralementaimantés l’un par l’autre. Si lui a parlé avec un calme remarquable, l’agacement monte de mon côté.Et je sens quelque chose s’éveiller au creux de mon ventre. Mon voleur se penche lentement au-dessus de moi, me dominant de toute sa carrure. Il me barre toute la vue, je ne vois ni ne sens plusque lui. L’espace d’un instant, tout l’univers se réduit à lui ; mon monde, du moins.

– Je…

Les mots meurent sur mes lèvres et nos yeux se croisent, ferraillant comme des épées. Uneseconde, rien qu’une petite seconde, je me demande s’il ne va pas m’embrasser. Mon cœur trébuchedans ma poitrine. Son visage se rapproche tandis que je reste pétrifiée. Le temps, lui, se suspend.Puis :

– Je crois que je ferais mieux d’y aller.

Et il se détourne. D’un seul coup. Comme s’il s’arrachait à moi, au champ de force qui nous lie. Àmoins que je n’aie rêvé ? Je me pose la question alors qu’il n’offre que son large dos à ma vue. Ilmarche sans empressement vers sa voiture. Je ne vois plus sa figure, mais il ne me semble pastroublé. Au contraire, il paraît si maître de lui ! Je reste immobile, incapable de réagir, de reprendrele cours de ma vie.

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– Oui, moi aussi, dis-je tout bas.

Et parce qu’il remonte dans son bolide en claquant la portière, je me dirige à mon tour vers mon4x4. J’y grimpe en vitesse, me réfugiant dans son cocon protecteur. Mon cœur, lui, continue sur salancée. À l’instar de mon pouls, toujours en accéléré. J’ai l’impression d’avoir mis les doigts dansune prise électrique. En face de moi, le moteur de mon voleur gronde. À peine ai-je le temps defermer ma porte qu’il recule sur l’étroite bande de terre avec une dextérité stupéfiante. Il va si viteque ses pneus n’ont même pas le temps de s’enliser. La seconde suivante, il s’élance droit devant,évite mon véhicule d’un coup de volant et poursuit sa route.

Je ne bouge toujours pas. Assise derrière mon volant, je laisse une minute s’écouler en silence.Les vrombissements de la BMW décroissent jusqu’à disparaître. Et je me retrouve seule, plantée aubeau milieu de ce chemin de terre.

Que s’est-il passé, au juste ?

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3. La fête de l’hiver

Dans une longue robe noire et soyeuse, agrémentée d’une broche rouge qui rappelle les guirlandesdu sapin, je me faufile au milieu des invités. Pour une fois, j’ai remisé la blouse blanche de mesétudes de médecine au placard. Je n’ai pas si souvent l’occasion d’enfiler une tenue de gala ! Aussime suis-je fait plaisir en choisissant un modèle vaporeux, taille haute, digne de l’impératriceJoséphine. Mes bras nus s’échappent de manches courtes tandis qu’un décolleté rond et profondlaisse voir le renflement de… ma toute petite poitrine. Bon. Je n’ai pas vraiment les argumentsd’Adriana Lima. Cela dit, je ne suis pas mannequin.

– Tiens, Mary ! Ça va ?

Je souris à Patrick Cunningham, l’agent immobilier qui a vendu à Serena son chalet lors de soninstallation dans le Montana. Lui aussi a été invité à la grande fête de l’hiver donnée par mon amie.Chaque année, la vieille dame se plaît à convier tous ses amis, qu’ils appartiennent à la haute sociétéoù elle est née ou à notre petite bourgade sans prétention.

– Génial, le décor ! me lance M. Higgins, le médecin de la ville.– Oh la la ! merci…

Je rougis légèrement. Rien ne pouvait me faire plus plaisir qu’un compliment sur le magnifiquedécor imaginé pour mon amie. Dans le grand salon comme dans la salle de réception, les invitéspullulent. Et il y a foule ! Tout le monde semble s’être donné rendez-vous sous les tresses de gui etles couronnes de houx disposées aux quatre coins de la vaste demeure. Des serveurs circulent avecde lourds plateaux d’argent chargés de coupes de champagne.

Cerise sur le cupcake, la nuit m’appartient ! Avant de me rendre au chalet, j’ai déposé ma petitesœur à une pyjama-party organisée par sa meilleure amie, Anna, pour qu’elle s’amuse de son côté.Contournant l’immense conifère qui dresse fièrement ses épines et sa tonne de guirlandes vers leplafond, je m’approche d’un des garçons. Et je tends le bras vers la dernière coupe posée sur sonplateau. Quand soudain, une autre main se referme sur le verre. De grands et longs doigts, puissants ethâlés.

Je sursaute et mes yeux remontent le long de la main, du bras, de l’épaule… jusqu’à apercevoir levisage de… mon voleur. Pincez-moi ! À ce stade, ça ne peut plus être une coïncidence.

– Dites-moi que ce n’est pas vrai ! fais-je entre mes dents serrées.– Encore vous !

Monsieur Cicatrice me décoche un sourire amusé, sans pour autant lâcher le verre auquel nousnous agrippons tous deux. Mon cœur, lui, oublie de battre pendant une minute. Et mes tempes se

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mettent à bourdonner. Ce sale type est beau à damner une sainte dans son costume noir agrémentéd’une fine cravate sombre barrée d’une épingle d’or. La classe absolue. Simple, sans ostentation. Sesyeux vert-noisette pétillent de malice tandis que sa paume recouvre la mienne, gagnant du terrain. Jesuis… électrifiée.

Pire qu’une guirlande en train de clignoter.

– Vous le faites exprès, espèce de… de grossier personnage !

Dans le feu de l’action, je n’ai pas trouvé mieux.

Son sourire s’affirme, encore plus irrésistible. J’ai le sentiment qu’il adore me faire tourner enbourrique. Et ça marche ! C’est à peine si un nuage de fumée ne me sort pas du nez et des oreilles,comme dans les dessins animés. Je suis furieuse, ou autre chose, même si je n’arrive pas à définir cesémotions étranges qui me traversent. Ça pulse au creux de mon ventre, comme si des papillonscherchaient à me soulever de terre. Ça me tourne la tête, me donne le vertige.

C’est de la colère. Je vais en rester à cette explication.

– Grossier personnage ? sourit-il, caustique. Allons, allons… je suis sûre que vous pouvez fairemieux, miss Elligson.

Au moins, il n’a pas oublié mon nom. Ce qui affole ma tension. Ne suis-je pas ridicule ? Je suisravie qu’un goujat se souvienne de moi ! Précisons : un goujat ultra-séduisant. Redressant fièrementle menton, je plante mes yeux dans les siens. Le serveur, lui, toussote. Nous le prenons en otage avecnotre affrontement, chacun une main posée sur cette malheureuse coupe alors qu’une foule d’autresplateaux circulent. Mais non. C’est ce verre que nous voulons. Surtout moi.

Celui-là et pas un autre.

– Vous avez décidé de me dépouiller jusqu’au bout ?– Ce n’est pas ma faute si nous désirons précisément la même chose…

Pourquoi ai-je soudain l’impression qu’il ne parle ni du cadeau ni de la coupe ?

Mon cœur repart à cent à l’heure, pulsant beaucoup trop vite. Au même moment, une voixfamilière résonne derrière nous, de sorte que nous lâchons tous les deux notre prise. Encore une fois,coordination parfaite. À croire que nous avons répété avant de venir ! Une élégante silhouette seglisse vers nous, slalomant entre les invités avec la souplesse d’un chat. Et Monsieur Cicatrice et moinous tournons vers Serena, impériale dans une robe bleu nuit décorée d’une unique et grosse brocheen or torsadé, accrochée au niveau de son épaule.

– Mes deux invités préférés ! annonce-t-elle, aux anges.

Elle serre ses mains avec enthousiasme, nous englobant de son regard bleu pervenche plein de

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tendresse.

– Depuis le temps que je rêve de vous présenter l’un à l’autre.

Attendez. Il doit y avoir un malentendu.

– Harrison, je suis ravie de te présenter ma chère Mary : c’est l’adorable jeune fille qui vientparfois me donner un coup de main à la maison.

Ha… Harrison ? !

– Et Mary… je crois que tu l’as compris. Il s’agit de mon petit-fils, Harrison Cooper, sourit-elleavant de se tourner vers l’intéressé. Dire que je lui ai parlé de toi un million de fois est uneuphémisme !

Lui ? Un geek ?

Je manque d’en avaler ma langue. Mon sexy voleur, mon conducteur sans foi ni loi, monemmerdeur de première catégorie depuis trois jours… n’est autre que le petit-fils chéri de Serena.J’aimerais une chaise pour m’asseoir, s’il vous plaît. Je m’attendais plutôt à rencontrer un grandéchalas timide avec une houppette sur la tête comme Mark Zuckerberg ! Pas cette bombe sexuelle encostume de James Bond ! Où est le garçon casanier décrit par sa grand-mère ? Où sont les dents decheval et le gilet jacquard ? C’est une arnaque ! J’humecte mes lèvres à la pointe de ma langue.

– Je ne…– Enchanté de vous rencontrer, m’interrompt Harrison en me tendant la main.

Devant Serena, je ne peux refuser sa paume offerte, de sorte que nous nous saluons comme si nousnous croisions pour la première fois. À l’étincelle dans son regard, je vois bien qu’Harrison s’enamuse. Et il garde ma main un peu trop longtemps dans la sienne, à moins que ce ne soit moi quioublie de récupérer mes doigts ?

– Au fait, mon chéri… j’ai oublié de te remercier pour ton merveilleux cadeau.

Serena lisse un revers de la veste de son héritier, époussetant avec soin le tissu dénué de lamoindre poussière. À l’évidence, elle aime ce sale type. Moi, par contre…

– Quand j’ai vu ce magnifique coffret à bijoux, j’ai tout de suite pensé à toi.

En prononçant ces mots, Harrison me glisse un discret clin d’œil. Oh ! le mufle ! L’abjectpersonnage ! Je rêve ou il est train de se faire mousser avec MON cadeau ! Et en plus, il l’a offert àla même personne. Je vois rouge, obligée de ravaler ma rancœur comme une grande cuillerée d’huilede foie de morue.

– Je vous le montrerai, me déclare Serena. Cet objet est une splendeur en bois ciselé avec de

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petites pierres précieuses incrustées sur les côtés.– J’imagine très bien.

J’ai l’air d’avoir mangé un kilo de citrons. Et je n’ai aucune envie de faire de la limonade.

– Quelque chose ne va pas, mademoiselle Elligson ? demande Harrison d’une voix suave. Vousavez l’air contrarié.

– Non, non. Sûrement un truc qui ne passe pas.

Un truc de la taille d’un coffret à bijoux, par exemple.

Le salaud ! Il sait bien que je ne le dénoncerai pas. À aucun prix je ne voudrais gâcher la joie deSerena, ravie par la trouvaille de son petit-fils bien-aimé. Il me décoche un regard moqueur tandisque j’enrage toute seule dans mon coin.

Je crois qu’il va y avoir un meurtre avant la fin de la soirée.

***

Durant les deux heures suivantes, je me tiens éloignée de Monsieur Cicatrice-au-menton.D’accord, je lui lance parfois un regard en coin. Ou souvent. Ou tout le temps. Mais je ne lui adresseplus la parole, préférant me mêler aux autres invités. Par chance, je ne manque pas d’interlocuteurs.Je connais tout le monde ici ! J’échange d’abord quelques mots avec Mme Ford, qui m’a encoreapporté une foule de plats cuisinés dans le coffre de sa voiture.

J’en connais deux qui vont manger du chou-fleur à tous les repas.

– C’est si gentil à vous ! dis-je, sincère et consciente du temps qu’elle passe pour nous dans sacuisine.

– Comme je le dis tout le temps à Bobby, s’il y en a pour quatre, il y en a pour six. Pas vrai ?

Car dès qu’elle se met aux fourneaux pour son mari et ses deux grandes filles, elle ne nous oubliepas, Brittany et moi. Je dépose un baiser sur sa joue avant de répondre aux questions de notremédecin de famille au sujet de mes études. Pourtant, même si je donne le change, je continue àobserver mon séduisant voleur. Il serre des mains, parle avec les uns et les autres avec une assurancedigne d’un businessman aguerri. Je décèle pourtant autre chose. C’est furtif. À peine visible. Maissans trop savoir pourquoi, j’arrive à lire en cet homme comme dans un livre ouvert.

Il est mal à l’aise. Il semble en porte à faux, comme s’il n’était pas à sa place.

Je le devine à de petits détails : quand il recule d’un pas à l’approche d’un inconnu, quand lacommissure de ses lèvres se retrousse en un sourire forcé. Il n’aime pas la foule. Il semble submergé.Par moments, il survole la pièce du regard comme s’il cherchait une issue. Mon cœur se serre. Jedevrais être furieuse… mais quelque chose me touche, en lui. Il paraît si perdu, presque sur le pointd’étouffer. Mais parce qu’il donne bien le change, personne d’autre ne semble s’en apercevoir.

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Mystérieux Harrison Cooper.

Bientôt, d’autres discussions m’absorbent… mais après avoir siroté deux coupes de champagne,j’ai la tête qui tourne. Je n’ai pas l’habitude de l’alcool, j’évite d’ailleurs toutes les fêtes desconfréries à la fac. Pas envie de me retrouver en photo sur Facebook avec ma culotte sur la tête. Avecun sourire, je m’évade sur le balcon. L’air frais me dégrise aussitôt. M’approchant du vide, jem’appuie à la balustrade en bois avant de lever la tête vers un ciel piqueté d’étoiles. Et je frissonnedans ma belle robe noire. J’ai oublié mon étole à l’intérieur.

Quand soudain, je sens un poids sur mes épaules. Une veste. Une veste de smoking d’où émane unparfum viril et boisé.

– Vous allez prendre froid par ce temps…

Harrison.

Sorti sur le balcon avant moi, il sort de la semi-pénombre où il s’était réfugié. Sans son blazer, ilme sourit dans sa simple chemise blanche. C’est la première fois qu’il me regarde avec ces yeux-là,doux et tendres. Et carrément… craquants. Je frissonne. Et pas seulement à cause de la biseinsidieuse qui souffle sur la forêt. L’espace d’un instant, on n’entend plus que le bruissement desconifères qui se penchent et des branches qui dansent.

– Vous essayez de vous faire pardonner ? dis-je.– Peut-être.– Ah ! fais-je en pointant sur lui un index triomphant. Vous avouez votre crime ?– Je n’ai pas volé ce coffret… mais je regrette de vous avoir fait enrager face à ma grand-mère. Il

semblerait que vous réveilliez en moi… les pires instincts.

Rouge pivoine. C’est la nouvelle couleur de mon visage, coordonnée aux boules du sapin.Néanmoins, hors de question de battre en retraite dans cet étonnant bras de fer qui s’est engagé entremon voleur et moi depuis notre rencontre explosive.

– Je ne vous imaginais pas si direct pour un homme timide.

Il ouvre la bouche, puis la referme dans un bruit sec. Il semble… interdit. Un point partout, noussommes à égalité. Qui va remporter la belle, maintenant ? Car j’ai réussi à gêner Monsieur Cicatrice.Il finit par hocher la tête. Et à nouveau, un sourire amusé court sur ses lèvres.

– Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? Est-ce ma grand-mère qui vous a raconté ces bêtises ?– Non, pas du tout. Plutôt votre langage corporel.

Il hausse un sourcil ironique.

– Seriez-vous mentaliste, mademoiselle Elligson ?– Juste observatrice.

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Et je vous devine, je vous comprends… même si j’ignore pourquoi.

– Je vous ai observé pendant que vous parliez à ce gros monsieur chauve.– Maître Goldstein, l’avocat de ma grand-mère, rit-il dans sa barbe, visiblement amusé par ma

description.– Quand il a posé la main sur votre épaule, vous êtes devenu raide comme un piquet. Et quand

Mme Ford a voulu prendre en photo les invités, vous vous êtes éclipsé dans une autre pièce.– Je n’aime pas me faire tirer le portrait.

Avec un physique pareil, c’est presque criminel !

– Et pour être honnête, je ne suis pas un fanatique des fêtes de fin d’année, confesse-t-il avec unegrimace.

Alors là, l’heure est grave. Très grave.

– Vous voulez dire que vous n’aimez pas Noël ?

Harrison éclate de rire devant ma mine outrée.

– Je vous aurais annoncé que je pose des bombes dans des écoles maternelles que vous ne meregarderiez pas autrement.

– Non, non… mais tout le monde aime Noël !– Tout le monde sauf moi.– Vous n’aimez pas recevoir de cadeaux ? Décorer votre maison ? Être entouré des gens que vous

aimez ?

Ma voix tremble sur les derniers mots et ses yeux se font plus perçants. Apparemment, je ne suispas la seule à décrypter l’autre. Je me sens soudain mise à nue, vulnérable. Et je n’aime pas ça. Lapremière, je détourne la tête, perdant mon regard dans la forêt. Accoudés côte à côte à la rambarde,nous sommes plongés dans les ténèbres, seulement trouées par le clignotement des guirlandesdéployées sur le toit et la façade. Comme moi, Harrison fixe le paysage devant lui. Trop proches, nosbras se frôlent… sans que ni l’un ni l’autre ne songions à nous écarter.

Il se passe quelque chose. À moins que je n’imagine tout ? À moins que je ne me trompe surtoute la ligne ?

– Je n’aime pas les grandes réunions de famille, déclare-t-il enfin. Je les trouve hypocrites. Lesgens se rassemblent une fois par an, simulent la parfaite entende et promettent de se voir toutel’année… mais au final, ils ne sont jamais là quand on a besoin d’eux.

Surprise, je lui coule une œillade appuyée. Lui continue à regarder droit devant lui, enfermé enlui-même. J’ai presque l’impression qu’il réfléchit à voix haute, sans réelle conscience de maprésence.

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– On ne peut compter que sur soi.– Vous avez une vision du monde bien pessimiste. Moi, je crois que cette période de l’année sert à

se rapprocher, à se rappeler les choses et les êtres qui comptent vraiment… parce qu’ils peuventdisparaître n’importe quand.

À son tour, Harrison se tourne vers moi et nos regards se croisent. À notre corps défendant, nousavons tous les deux perdu nos masques durant quelques secondes. Comme si l’autre nous en libérait.Comme si nous étions soudain nous-mêmes. Lui ne semble pas mal à l’aise avec moi. Pas plus que jene me sens obligée de surjouer les filles positives pour cacher la blessure qui saigne au fond de moi.

– Nous ferions peut-être mieux de rentrer…, lâche finalement Harrison en se redressant.

Je l’imite aussitôt, enveloppée dans le cocon de sa veste. Sa fragrance me suit partout, se diffusantsur ma peau.

– Oui. Je commence à avoir froid.

Fin des confidences avec ce parfait inconnu, ou presque. Mais pourquoi ai-je la certitude qu’il mecomprend mieux que personne ?

***

Nous franchissons ensemble la porte vitrée coulissante… de sorte que nos corps se frôlent. Nospoitrines s’accolent, mes seins pressés contre son torse à travers nos vêtements. Je sens la tensionmonter tandis qu’Harrison s’efface pour me laisser entrer. Il est galant, finalement. Je note qu’il évitemon regard ; serait-il troublé, lui aussi ? Et je passe devant lui, les joues roses. Il s’apprête à mesuivre quand une voix masculine résonne depuis le fond du salon :

– Et le bisou, alors ?

Quoi ? Quelqu’un est-il en train de lire dans mes pensées ?

Un petit homme en costume bleu marine s’approche de nous, un verre à la main. Ce n’est pas sonpremier, à mon avis ! Il a l’air complètement éméché. Il ressemble un peu à Danny DeVito avec sabedaine, sa chevelure brune clairsemée et son œil qui frise. Jouant de l’effet de surprise, ils’égosille :

– Eh bien, les enfants ! Vous avez oublié la tradition ?

Je ne comprends pas, pas davantage qu’Harrison, immobile derrière moi. À cause de cet homme,nous sommes l’objet de toutes les attentions. Ce dernier part dans un grand rire imbibé d’alcool avantde pointer un doigt au-dessus de nos têtes, hilare. Suivant son geste, j’aperçois la longue guirlande degui qui pend au plafond. Harrison gronde aussitôt, désapprobateur :

– Oncle Barry…

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Ils sont de la même famille ? Je vais finir par comprendre pourquoi Monsieur Cicatrice n’aimepas les fêtes !

– Allez, Harrison ! Tu ne vas pas jouer les rabat-joie !

L’oncle Barry ne perçoit-il guère notre embarras, pourtant palpable ? Apparemment pas ! Uneminute plus tard, il tape dans ses mains pour entraîner la petite foule des convives avec lui. Et tousreprennent en chœur avec lui :

– Un bisou ! Un bisou ! Un bisou !

Harrison et moi nous tournons l’un vers l’autre tandis que les rires fusent. Nous n’y couperons pas.Mieux vaut s’en débarrasser le plus vite possible. Face à face, nous échangeons un regarddésemparé. Lui semble s’excuser d’avoir un oncle aussi pénible. Et moi… moi je tente de ménagermon pauvre cœur, qui n’en finit pas de battre la chamade. Sous les exclamations des invités, Harrisonpasse alors les bras autour de ma taille. Ses mains glissent sur le tissu de ma robe, m’arrachant unlong frisson. La faute à la porte-fenêtre encore ouverte. Et certainement pas à son visage qui serapproche du mien tandis qu’il se penche sur moi. Ce n’est qu’une tradition de Noël. Rien d’autre.Alors pourquoi ai-je l’impression que le sol va se dérober sous mes pieds ?

Nos lèvres se touchent.

C’est rapide, fugace. Autour de nous, les applaudissements potaches retentissent tandis que laplupart des convives, leur curiosité assouvie, se détournent. Mais je n’entends plus rien. Et je fermeles paupières tandis que la bouche d’Harrison se presse contre la mienne. Une bouche douce maisimpérieuse. Autoritaire mais sensuelle. Je noue les bras autour de sa nuque, aimantée par son corps,par sa chaleur.

Et le jeu dérape.

J’entrouvre les lèvres au moment où Harrison introduit sa langue dans ma bouche. À la seconde, jesuis coupée du monde, de la réalité, comme emportée avec lui dans une bulle. Nos salives se mêlent,nos goûts s’unissent. Soudés l’un à l’autre, nous nous étreignons à perdre haleine. Et l’on n’entendplus un bruit dans le salon. Le petit bisou sous le gui se transforme en un baiser brûlant, passionné,flamboyant. Nous sommes comme envoûtés, incapables de nous détacher.

Sous les boules blanches du gui, nos bouches s’entre-dévorent, nos langues s’affrontent, nos corpsse cherchent… comme si nous évacuions la tension accumulée depuis trois jours. Sa salive a un goûtde whisky, de menthe, d’homme. Je lui rends coup pour coup, caresse pour caresse. Tour à tourvorace et tendre, notre baiser s’éternise dans un silence de mort. Et c’est ce qui nous frappe enpremier. Ce silence étrange, opaque. Car nous ne sommes pas seuls… mais plantés au beau milieud’une foule.

Oups… j’avais oublié !

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Nous nous arrachons l’un à l’autre. En même temps. Et en pleine confusion, nous reculons.Harrison est livide, moi écarlate. Comme s’il s’agissait d’un jeu, des bravos jaillissent du groupe desinvités, enchantés par notre petit spectacle. De mon côté, j’essaie de ne pas croiser le regardd’Harrison. À la place, je tourne la tête… et rencontre les yeux pervenche et perspicaces de Serena.

Trop perspicaces.

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4. Mon beau sapin

Je potasse mes cours d’anatomie depuis vingt minutes sans parvenir à retenir le moindre mot.Plusieurs croquis du système digestif, pas très ragoûtants, sont étalés sur la table de la cuisine entredeux piles de bouquins. J’ai également ouvert mon bloc sans y écrire une seule note. Et je relis sanscesse le même paragraphe comme s’il était écrit en araméen ancien. Impossible de me concentrer ! Jen’arrête pas de songer à mon baiser de la veille avec Harrison. À ses lèvres sur les miennes. À songoût, à son parfum, à ses mains autour de moi.

Je dois couver un truc. Une grippe, peut-être ?

Je secoue la tête, un peu mortifiée. J’ai embrassé un inconnu en plein milieu d’une fête, et devantla moitié de la ville ! Un instant, j’imagine les conversations dans les boutiques, ce matin. Ça doitjaser ! Les yeux perdus dans le vide, je pousse un profond soupir avant de jeter un coup d’œil à lapendule accrochée au-dessus du réfrigérateur. 7 h 30. Dans un quart d’heure, je dois emmenerBrittany au collège, situé à dix kilomètres de la maison. Dans le Montana, toutes les distances sontgigantesques. Je pousse un petit soupir, toujours obsédée par mon baiser sous le gui. Je n’arrive pas àle sortir de ma tête.

Le baiser… ou Harrison ?

Je tripote un crayon de papier, agacée. Puis je claironne à l’attention de ma petite sœur, occupée àréviser son examen d’histoire dans le salon :

– On part dans cinq minutes !– Mmm…– Tu as fini tes corn-flakes ?– Mmm…

Pourquoi les ados râlent-ils autant ? Et pourquoi communiquent-ils principalement avec leurfamille par des grognements ? Forte de ces questions existentielles, je quitte mon siège et pose monmug de café à moitié vide dans l’évier. Étais-je comme ma cadette à 12 ans ? Je ne me souviens pas.Je suis sans doute victime d’une amnésie partielle qui me permet de refouler des souvenirs tropembarrassants. À base d’acné et de portes qui claquent. Brrr. J’en ai la chair de poule.

– Pour ton déjeuner, tu as pensé à prendre… ?

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase qu’un bruit de tonnerre éclate dans la pièce voisine.Figée, je rentre la tête dans les épaules tandis que mon cœur s’emballe. Qu’est-ce que c’était ?

– Brittany ? crié-je, paniquée.

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Pas de réponse.

Oh mon Dieu !

– Brittany ? Tu m’entends ?

Toujours aucune voix. Contournant la table, je me précipite en direction du salon… quand mapetite sœur jaillit devant moi. Se plantant sur le seuil, elle écarte les bras en croix pour me barrer laroute.

– Tu n’as rien ? Tu vas bien ?– Oui, oui. T’en fais pas. C’est…

Elle s’interrompt en scrutant mon visage d’un air inquiet, comme si elle s’attendait à me voirperdre connaissance d’une seconde à l’autre. Une main posée sur son épaule, je tente de l’écarter. Envain. Elle est solide, ma petite sœur. Elle reste campée sur ses positions, plantée comme un videurdevant l’entrée d’une boîte de nuit huppée.

– Non, Mary ! Tu n’es pas prête à voir ça !– « Ça » quoi ?– Attends, tu vas te faire du mal…

Ma cadette est peut-être forte, elle l’est cependant moins que moi. La repoussant sur le côté, je meprécipite au salon sans réfléchir. Et là, le drame. Sous le choc, je recule d’un pas en plaquant unemain sur ma cage thoracique afin de calmer mon pauvre cœur palpitant. J’ignore s’il va tenir le coupface à l’horrible spectacle.

– Le… le sapin… il…

La mine défaite, je découvre l’étendue des dégâts comme si j’étais sur une scène de crime. Monmagnifique sapin de Noël est étendu par terre de tout son long, comme évanoui. Sous son poids,plusieurs décorations se sont brisées, notamment des boules translucides en verre achetées unefortune l’année dernière. Je pâlis. Je… je crois que je vais vomir. Ou m’évanouir. J’hésite.

– Il était malade, me réconforte Brittany en me rejoignant en deux enjambées. Mais je suis presquesûre qu’il n’a pas souffert, ajoute-t-elle, malicieuse.

Je ne réponds pas, anéantie – que dis-je ? dévastée – par la catastrophe ! Sous les guirlandes et lesfigurines de bonshommes de neige, je remarque les branches abîmées de l’arbre. La plupart desépines sont tombées et les rares survivantes semblent calcinées. Bien entendu, comme seules lesramures tournées vers le mur ont été atteintes, il était impossible d’anticiper l’accident. Privé de sesforces, mon sapin s’est écroulé sous le poids des décorations à 7 h 38.

– Mary ? demande ma sœur, inquiète. Est-ce que tu veux t’asseoir ?

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Non, je ne veux pas m’asseoir. Non, non, non ! Me précipitant vers mon arbre momifié, je pousseun long cri déchirant.

– Nooooon ! Mon sapin ! Mon beau sapin ! Mon roi des forêts !

Je crois que Brittany, ce monstre d’insensibilité, doit se retenir pour ne pas exploser de rire. Cetteenfant n’a jamais eu la moindre once d’empathie pour son aînée. Tournant autour de la dépouille,j’étire mes joues avec mes mains comme si j’effectuais un lifting gratuit sans cesser de gémir. Etsoudain, la porte du chalet s’ouvre avec fracas dans notre dos… Surprises, ma sœur et moi noustournons de concert vers l’entrée.

– Où est-il ? Où ? s’exclame Chris.

Mon meilleur ami déboule au milieu du salon avec sa ventouse à la main, brandi comme une épée.J’ouvre des yeux ronds.

– Euh… bonjour, Chris.– Est-ce qu’il vous a fait du mal, à Brittany et toi ? éructe-t-il en me saisissant par les épaules.– Mais de quoi parles-tu ?– Je t’ai entendue crier et j’ai tout de suite compris qu’un fou s’était introduit dans votre chalet.

Alors où est-il ?

Cette fois, Brittany ne peut pas s’en empêcher : elle se tord de rire. Et malgré la mort tragique demon sapin, je rejoins ma sœur, vite imitée par Chris dès qu’il est mis au parfum de la situation.

Rest in peace, Christmas Tree.

***

Après avoir déposé ma sœur à son collège, je me dirige vers la forêt avoisinant notre chalet. Àbord de mon 4x4, je longe un chemin de terre qui mène au milieu de nulle part. Parfait ! Je me garesur le côté, près d’une barrière en bois à demi défoncée, et saute à terre dans ma grosse parka rouge.Normalement, je devais réviser mes cours pour la reprise de la fac… mais il y a urgence. Vitale,l’urgence. Ouvrant mon coffre, je récupère une grande bâche en plastique, des sangles et une hache.

Non, je ne vais pas commettre un meurtre.

Armée de mon matériel, je m’enfonce dans la forêt. Née dans le Montana, je connais par cœur lesalentours et slalome entre les arbres. La nature est complètement sauvage par ici. Les branchessquelettiques des arbres s’élancent au-dessus de ma tête, enchevêtrées, avant que je ne gagne unterrain à découvert… où se déploient des sapins. Voilà ce qu’il me faut ! Un nouvel arbre pour lamaison. Parce que un Noël sans sapin, ce n’est pas un vrai Noël. Un peu comme un été sans soleil,non ?

– Au boulot !

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Remontée à bloc, je me mets au travail. D’abord, je sélectionne le plus bel arbre des environs –en vérifiant une bonne dizaine de fois qu’il n’est pas malade. Au bout d’un quart d’heure, je trouvemon champion et déploie la vaste bâche destinée à l’accueillir. Car je m’apprête à le couper moi-même. Comme une grande. Une grande première, je l’avoue. Je ne suis pas Davy Crockett, hein !Normalement, j’achète mon sapin en magasin, comme tout le monde. Mais après un passage éclair enville, j’ai appris que tous les fleuristes et autres grossistes étaient en rupture de stock. Et moi, je nepeux pas attendre.

Il me faut ma dose d’épines, mon shoot de guirlandes, mon fix de boules dorées.

Levant ma hache, je vais frapper un grand coup dans le tronc quand un cri résonne dans mon dos :

– Nooon !

Puis un bruit de course s’élève. Des pas qui font trembler la terre. Faisant volte-face, je vois unhomme se précipiter vers moi… et m’arracher mon arme des mains.

– Vous avez perdu la tête ou quoi ?– Harrison Cooper ?

En personne.

– Ne me dites pas que vous comptiez abattre ce sapin toute seule à la hache ? s’exclame-t-il,visiblement énervé.

– Euh, si…– Ma parole, vous êtes folle ! Vous auriez pu vous blesser !

Waouh. Je suis en train de me faire enguirlander par Monsieur Cicatrice-au-menton. À l’évidence,il s’inquiète pour moi. Ce qui ne me déplaît pas du tout. Je peux lire le soulagement sur son visage aumoment où il recule, en possession de ma hache. Il secoue alors la tête, l’air accusateur.

– Et pourquoi voulez-vous couper ce pauvre sapin, au fait ?– J’en ai besoin à cause d’un accident. Et… et c’est une longue histoire, fais-je dans un soupir.

Vous ne comprendriez pas.

Mon ton est catégorique. Mais je ne me vois guère lui raconter la tragédie de ce matin. Il seficherait de moi.

– Vraiment ? ironise-t-il, l’air de penser que je le prends sans doute pour un idiot.

Nous sommes comme une allumette et un bidon d’essence : incapables de nous comprendre.Harrison me regarde longuement, les sourcils froncés. Des éclats sombres parsèment ses yeux vert-noisette, trahissant sa colère. Moi, je plante les poings sur mes hanches, faisant face à cet adonis enparka noire et jean ultra-sexy.

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– Maintenant, si vous pouviez me rendre ma hache, s’il vous plaît…

Tendant les bras, j’agite les doigts pour récupérer mon arme… sans grand succès.

– N’y comptez pas !

Face à cet homme bâti comme une armoire à glace, je n’ai aucune chance. Et contre toute attente,c’est lui qui contourne le sapin et se met en place, pieds bien plantés dans le sol, pour l’abattre.

– Je préfère encore m’en occuper moi-même.– Mais je ne peux pas vous demander ça…– Vous ne me demandez rien du tout. C’est moi qui l’ai décidé.

Pendant quelques secondes, je reste coite tandis qu’il entame le tronc à grands coups. Le bruit dela découpe résonne dans toute la forêt. J’ai l’impression qu’une véritable tornade s’est abattue surmoi. Je me rapproche d’Harrison, secrètement touchée. Il n’y a peut-être pas mis les formes, mais sesintentions ne sont-elles pas louables, sinon gentilles ? Et surtout, cela ne prouve-t-il pas qu’il s’enfait pour moi ? Et…

Et qu’est-ce que ça peut faire ? Ce n’est pas comme s’il avait une quelconque importance dansma vie !

Niant les papillons au creux de mon ventre, j’entame la conversation d’une voix dégagée… enessayant de ne pas imaginer ses biceps bandés sous son anorak et son pull à col roulé. Pourtant, voircet homme canon donner des coups de hache dans un arbre me rend rêveuse. C’est très… érotique. Jenourris peut-être un fantasme secret pour les bûcherons ?

La vache ! Ça fait trop longtemps que je vis dans le Montana.

– Qu’est-ce que vous faites dans le coin ? dis-je d’une voix aussi neutre que possible. Vous vousbaladiez ?

– Je faisais un petit tour de la propriété.– La propriété ? Vous parlez de la forêt ?– Oui. Cinq hectares m’appartiennent.

Oh. J’avais presque oublié qu’il était multimilliardaire.

– J’habite un chalet dans le coin, à côté de chez ma grand-mère, précise-t-il entre deux coups dehache.

J’acquiesce faiblement pendant qu’il tourne autour de l’arbre. Après avoir sérieusement entamé letronc d’un côté, il s’attaque à l’autre partie. Du beau travail ! Mon père n’aurait pas fait mieux. Unpeu empotée, les bras ballants, je tente de faire la conversation.

– Je regrette vraiment qu’il ne neige pas cet hiver. Pas vous ?

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– Non, pourquoi ?– Un Noël blanc, c’est quand même plus joli !

Je suis sûre qu’il sourit. Même si je ne vois que son dos, penché au-dessus de l’arbre, je suiscertaine qu’il rit dans sa barbe. Je l’entends à son souffle, je le vois à ses épaules qui tressaillent àpeine. Comme si je connaissais d’instinct ses réactions. Comme si je le connaissais déjà, lui.

– J’avais presque oublié que vous étiez une fanatique des fêtes !– Je ne suis pas fanatique. Je suis enthousiaste. Nuance.– Écoutez, pas de neige, cela signifie aussi que les voitures circulent mieux, que les magasins sont

approvisionnés, que…– Ça va, j’ai compris, espèce de rabat-joie !

Pour la peine, je tourne moi aussi autour du sapin, en bonne inspectrice des travaux finis.

– Vous ne vous en sortez pas trop mal.– Je vous remercie, riposte-t-il, sarcastique.– Jamais je n’aurais pensé que vous saviez manier une hache.– Ai-je l’air d’avoir deux mains gauches ?

J’ai piqué monsieur au vif. Pour être honnête, il ne semble guère maladroit. Au contraire… Lahache vole en l’air et percute plus violemment le tronc tandis que de petites gouttes de sueur seforment sur son front. Son beau visage est marqué par la concentration… et l’agacement.

– Non. C’est juste étonnant… pour un geek ! souris-je, espiègle.– Aïe !

À peine ai-je lâché ce petit mot qu’Harrison se raidit et lâche la hache en tenant sa main. L’armetombe lourdement à terre tandis qu’il réprime une petite grimace de douleur. Il s’est blessé. Je meprécipite vers lui, confuse.

– Oh, je suis désolée ! À force de jacasser, je vous ai déconcentré !– Ce n’est rien.– Je n’aurais jamais dû vous parler, monsieur Cooper.– Je vous assure que ce n’est pas grave.

Je tente de m’emparer de sa main mais il recule, comme s’il redoutait mon contact. Jem’immobilise à mon tour, surprise, et mes bras retombent le long de mon corps. Lui presse sa paumeavec ses doigts et m’adresse un sourire contrit. C’est moi… ou il a peur que nous nous touchions ? Uninstant, le souvenir de notre baiser torride flotte entre nous. Et il s’empresse de ramasser la hachepour finir le boulot.

– Rien qu’une petite égratignure. Laissez-moi encore dix minutes et vous aurez votre sapin !

***

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Une demi-heure plus tard, nous roulons tous les deux à bord de mon 4x4. Harrison a absolumenttenu à me raccompagner à mon domicile, refusant de m’abandonner seule avec un sapin à transporter.Il est vraiment très galant quand il ne pique pas les cadeaux des demoiselles en détresse. D’ailleurs,n’a-t-il pas traîné l’arbre sans mon aide jusqu’à la voiture, avant de le charger sur la galerie de lavoiture à la seule force de ses bras ?

– Comment va votre main, monsieur Cooper ?

Assis à la place du passager, il me jette un regard en coin alors qu’un lent sourire se dessine surses lèvres.

– Appelez-moi Harrison.– N’est-ce pas un peu prématuré ? le taquiné-je.– Couper un arbre dans la forêt ensemble, ça crée des liens…

Et s’embrasser à pleine bouche au milieu d’une foule aussi. Apparemment, nous pensons à lamême chose car il détourne la tête, s’obstinant à fixer le paysage qui défile à travers le pare-brise.Pendant un moment, nous n’échangeons plus un mot. Une tension palpable règne dans la voiture. Noscuisses sont toutes proches, même si nous ne bougeons pas. On dirait que nous avons tous les deux unmanche à balai dans le derrière. Je lui jette un coup d’œil par en dessous. Puis bien vite, je fixe laroute. Mais trente secondes plus tard, je jurerai qu’il m’observe aussi… avant de se dérober.

Fuis-moi, je te suis. Suis-moi, je te fuis.

Un peu mal à l’aise, je finis par me racler la gorge en cherchant quoi dire. Je n’ai jamais très biensupporté le silence, hormis en pleine nature, lors de mes promenades solitaires. Hélas, aucunerepartie spirituelle ne me vient à l’esprit. C’est le vide, le néant, le trou noir. Je toussote. Lui setortille en effleurant machinalement la petite cicatrice qui barre son menton. Hum… très sexy.

– Vous ne m'avez pas répondu : comment va votre main, Harrison ?

C’est bien, ça. C’est neutre.

– Je ne me plains pas.– Je peux voir ?

Tout en tenant le volant d’une main, je lui offre mes doigts pour qu’il me tende sa paume… qu’ils’empresse de planquer. Il croise même les bras afin que je ne puisse plus l’atteindre et arbore un airdétaché.

– N’insistez pas, Mary.– Ne faites pas l’enfant !– Et vous, tâchez de vous concentrer sur votre conduite !

On dirait une partie de ping-pong.

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– Montrez-moi ça !

Cette fois, je ne lui laisse pas le choix et je tire la manche de sa parka d’un coup sec, de sortequ’il ouvre sa paume. Aussitôt, je lâche un petit cri – sans pour autant cesser de surveiller la route. Etj’aperçois une large plaie couverte de sang coagulé. À l’évidence, il s’est entaillé assezprofondément la main. Pas au point de nécessiter des points de suture, mais il ne peut pas rester danscet état.

– Vous appelez ça une « égratignure » ? m’écrié-je.– Je vous assure que j’ai connu pire.– Pas question que je vous laisse rentrer chez vous dans cet état ! Je vais vous soigner dès que

nous serons dans mon chalet.– Mary…

Il fronce les sourcils, visiblement contrarié à l’idée de se retrouver entre quatre murs avec moi. Jejurerais qu’il a hâte de me quitter. Parce qu’il redoute de passer du temps à mes côtés ? Parce qu’ilsent comme moi l’air grésiller entre nous ? Ou parce qu’il ne peut pas me supporter ? Je sens alorsque la tension entre nous monte d’un cran. Serons-nous jamais d’accord sur un sujet ?

– Vous avez eu la gentillesse de me couper un arbre sur votre terrain et en plus, vous avez récoltéune blessure par ma faute. Alors vous venez avec moi, un point c’est tout.

– Vous êtes une tête de mule.– Vous pouvez parler, Monsieur Tête-de-pioche !– Miss Tête-en-bois !

Et nous continuons pendant tout le trajet, qui finit dans les rires.

***

J’ai eu le dernier mot. Je dirais bien : « nananère ! » mais je ne suis pas mesquine. Harrison entredans mon chalet en m’aidant à porter le sapin. Nous en tenons chacun une extrémité. Avançant àreculons, j’entre la première dans le salon. Lui jette des regards intrigués autour de lui, sans doutecurieux de découvrir l’habitat naturel de son enquiquineuse de première catégorie. Amusé, il détailleles innombrables décorations exposées sur le manteau de la cheminée, la table de la salle à manger etpresque tous les meubles. Même le canapé n’a pas été épargné avec des gros coussins à l’effigie dupère Noël.

– Vous n’êtes pas une fanatique, hein ? sourit-il.– Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler.

Il éclate de rire avant que nous n’installions ensemble mon nouveau sapin. Avant de partir, j’ai eule temps de jeter son misérable prédécesseur et d’en retirer les guirlandes et boules en bon état.Malgré sa main abîmée, Harrison stabilise sans peine l’arbre à côté de l’âtre où ronfle un feu discret.

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– Vous êtes vraiment habile, Monsieur le Geek !– Je ne suis pas un « geek ». Je suis un créateur de logiciels et de systèmes d’exploitation

informatique.– Ah ? Il y a une différence ?

Je le fais enrager.

– Venez avec moi dans la salle de bains pour que je jette un œil à votre blessure. Vous aurez toutle temps de m’expliquer pourquoi vous n’êtes pas un geek.

Traversant le chalet, je m’efface devant lui au seuil de la salle de bains et je lui propose des’asseoir sur le rebord de la baignoire pendant que je fouille dans l’armoire à pharmacie. Il s’exécutede mauvaise grâce. Difficile de ne pas remarquer combien il aimerait être ailleurs. Mais je ne peuxpas le laisser repartir ainsi. Pas alors qu’il s’est entaillé par ma faute. Je sors une bouteille d’alcoolà 90 °, une pommade cicatrisante, du tulle gras et une bande. Puis debout devant lui, je me mets àl’ouvrage.

– Cela va peut-être vous piquer un peu…

Sauf qu’Harrison ne bronche guère malgré la brûlure du désinfectant. Son visage reste impassible.Ne m’a-t-il pas dit en avoir vu d’autres, au cours de sa vie ? À l’évidence, il ne mentait pas… Celase devine à son maintien, à sa manière de rester sur ses gardes. Quel homme insaisissable ! Uninstant, je songe aux propos qu’il m’a tenus sur le balcon, lors de la fête de l’hiver. Qui est-il ?Quelle est son histoire ?

– À mon tour de vous complimenter sur votre adresse, Mary. Vous avez des doigts de fée.– Je suis étudiante en deuxième année de médecine.– Vraiment ? Ma grand-mère m’a pourtant dit que vous exerciez la profession d’aide à domicile.– Seulement pour arrondir les fins de mois. Et pour aider les gens qui en ont besoin.– C’est très altruiste. Je ne doute pas que vous ferez un excellent médecin.– Soigner est pour moi une vocation.– Ce qui explique votre entêtement…

Nos regards se croisent, intenses. Dans l’espace étroit de la salle de bains, nos corps sont toutproches. Soudain, je ne sens plus le froid glacial de l’hiver. La température monte d’un seul coupquand Harrison pose une main sur la mienne, de sorte que je cesse de presser le coton imbibé dedésinfectant. Je ne lâche pas ses yeux, perdue dans cet océan vert pailleté. À nouveau, je sens cevertige, cette ivresse. Et j’ignore ce qui me prend mais je me penche vers lui pour effleurer seslèvres. Je perds pied. Je perds la tête.

– Je… je suis désolée…

Je me redresse brutalement, confuse… quand Harrison s’empare de mon coude de sa mainvaillante et m’attire à lui. Je m’abats sur son torse au moment où nos deux bouches se plaquent. Aucœur de la minuscule salle d’eau, nous nous embrassons pour la seconde fois avec une ardeur, une

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fougue décuplée. À nouveau, des ailes me poussent tandis que nos langues se caressent, sepourchassent, se désirent. Harrison m’enlace. Ses lèvres soyeuses se font exigeantes, s’appropriantles miennes avec autorité. Assis sur la baignoire, il m’enserre la taille à deux bras et j’enfouis mesmains dans ses cheveux.

Je le veux. J’ai envie de lui. Jamais de ma vie je n’ai éprouvé une telle flambée de désir. Quand ilme relâche enfin, je peine à retrouver mon souffle.

– C’était…, fais-je, à court de mots.

Impossible de nier ce qui vient de se produire. Même avec toute la mauvaise foi du monde.

– Que diriez-vous d’enterrer définitivement la hache de guerre, Mary ? J’aimerais vous inviter àdîner chez moi, ce soir.

J’écarquille les yeux. Voilà une proposition qui ne se refuse pas.

– Je… d’accord. Avec plaisir.

Une soirée avec Monsieur Cicatrice-au-menton ? Je chavire !

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5. Let it snow !

En prévision de mon dîner avec Harrison, je profite de l’après-midi pour effectuer quelquesemplettes en ville. Trop accaparée par mes études, il y a longtemps que je ne suis pas sortie avec ungarçon. Encore moins avec un homme ; mon voleur sera le premier ! D’ordinaire, je fréquente desétudiants de ma faculté. Il y a eu Matthew, gentil et prévenant… mais notre relation était plus amicalequ’autre chose. Puis Jimmy, un peu trop porté sur les soirées alcoolisées. Chaque fois, nous noussommes quittés comme nous nous sommes aimés : sans heurt ni fracas.

Là, c’est différent. Là, c’est lui.

Dans la petite parfumerie de West Yellowstone, je choisis des fards à paupières et un nouveauvernis à ongles rose pâle. Joli et discret. Je n’ai pas envie de me déguiser – seulement d’être à monavantage. En parallèle, une nuée de questions tournent dans ma tête. Et s’il m’avait juste invitée pourfaire la paix ? S’il s’agissait d’un simple dîner amical ? Si je tirais des plans sur la comète ? Car jedois me rendre à l’évidence : cet homme m’attire.

Et pas qu’un peu…

Dès que je pense à ses lèvres, à nos baisers, je suis dans un état second. Jamais je n’avais éprouvécette sensation de flottement avant. Comme si je me révélais dans ses bras. Ce n’était pourtant pasgagné avec nos incessantes prises de bec ! À moins qu’elles n’aient été le combustible indispensableau feu qui brûle entre nous ? Je me mordille la lèvre inférieure en examinant un crayon khôl. Je nesaurai jamais étaler ce truc-là… Je le repose finalement avec prudence.

Pas question de ressembler à une Cléopâtre passée dans le tambour de la machine.

Après mon passage en caisse, je quitte la boutique et me dirige vers ma voiture, garée au bout dela rue. J’étais persuadée que ces achats calmeraient ma nervosité… mais pas du tout. Je suis superstressée. Harrison n’a pourtant pas parlé de jouer à Tarzan et Jane. Le pauvre, ce n’est pas sa faute sije suis une obsédée, une déviante, une monomaniaque, une fille qui n’a pas fait l’amour depuis un an !En déposant mon sac rempli de maquillage sur le siège passager, j’étouffe un fou rire.

– Ça ne s’arrange pas, marmonné-je.

Je claque la portière et en me tournant… je manque de percuter Maggie O’Malley de plein fouet.Crise cardiaque assurée. Avec un petit cri de surprise, je recule et me cogne à ma voiture. Lajournaliste sourit, ravie de son petit effet. Je jurerais qu’elle a fait exprès de me surprendre.

– Tu es dingue ! Cela t’arrive souvent de coller les gens sans t’annoncer ?

Pas de réponse. Seulement son sourire qui s’élargit alors qu’elle détaille avec dédain mon anorak,

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mon jean et mes grosses bottes en fourrure. Comme la dernière fois, elle est tirée à quatre épinglesdans un tailleur blanc cassé et un long manteau de lainage assorti. Issue d’une riche famille, elle necache ni son argent ni son ambition.

– Je t’ai vue rentrer chez toi avec Harrison Cooper, ce matin.

Ne vivez pas dans une petite ville. Jamais. Tout se sait.

– Qu’est-ce que tu veux, Maggie ?– Savoir ce que ce milliardaire faisait chez toi.

Au moins, elle est directe. Mais la reporter n’est pas connue pour faire dans la dentelle. Je fronceles sourcils et contourne mon 4x4 sans répondre. Je n’ai pas de comptes à rendre à cette femme.Surtout, j’éprouve d’instinct l’envie de protéger Harrison. Hélas, Maggie m’emboîte le pas et me suitjusqu’à ma portière. Sans doute a-t-elle l’espoir de me coincer. Ils ne sont pas rares, ceux qui ontcraché le morceau par mégarde après avoir été cuisinés par cette fouineuse.

– D’après mon informateur, vous étiez tous les deux dans ton affreuse jeep et vous avez débarquéun sapin avant de le rentrer dans ta baraque en rondins.

Radio commère, bonjour !

– Qui t’a raconté ça ?– Un bon journaliste ne révèle jamais ses sources, me répond-elle avec un sourire carnassier.– Et une personne saine d’esprit ne répondra jamais à tes questions, dis-je, sur le même ton.

Amusée, elle plante les poings sur les hanches. Notre escarmouche ne semble guère ladéstabiliser. On ne se débarrasse pas si facilement d’une peste professionnelle ! À cause de nosquatorze ans d’écart, je vois bien qu’elle ne me prend pas au sérieux. La rouquine me considèredepuis toujours comme une paysanne mal dégrossie.

– Très drôle, Elligson. Mais tu ferais mieux de me répondre, sinon…– Sinon quoi ?

Je lui jette un regard froid en déverrouillant ma portière. Je n’aime pas qu’on me menace. Surtoutpas elle.

– Sinon tu risques de le regretter.– Quoi ? Tu vas écrire un papier salé sur moi dans ton journal ? Tu vas faire courir une rumeur

honteuse sur mon compte en ville ?

Maggie éclate de rire.

– Comme si les gens s’intéressaient à une petite étudiante en médecine de ton acabit ! Moi, je disça pour toi, pour qu’il ne t’arrive rien…

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Cette fois, je n’y comprends rien. Et je grimpe dans la voiture, me glissant derrière le volanttandis qu’elle retient ma portière pour éviter que je ne la lui claque au nez.

– Tu ferais mieux de rester aussi éloignée que possible d’Harrison Cooper.– Que lui veux-tu au juste ? Et pourquoi toutes ces questions ? Tu as une dent contre lui ? Tu

détestes le système d’exploitation de ton ordinateur et tu cherches à te venger ?– Tu devrais m’écouter, ma petite. Et te méfier.

Tapotant sa queue de cheval frisée, elle part alors comme la première fois. La tête haute, ladémarche chaloupée, elle remonte la rue sans rien ajouter. Très bien ! Qu’elle garde ses mystères !Toutefois, je reste contrariée durant tout le trajet vers mon chalet. Pourquoi cette journaliste demalheur s’acharne-t-elle sur le beau milliardaire depuis son arrivée ? Devant chez moi, je m’apprêteà entrer quand je repère un gros paquet posé sur le paillasson avec mon nom inscrit dessus.

Je le ramasse et l’ouvre dans la cuisine, une fois bien au chaud et la théière en train de siffler surle feu. Une petite carte l’accompagne.

« Vous en aurez besoin ce soir ! »

La carte est signée « Harrison », avec son adresse inscrite au verso. Un sourire me vient auxlèvres. Qu’a-t-il encore inventé pour me faire bisquer ? Je déchire le papier et découvre…

– Une parka ? !

Une merveille en soie vert foncé, parfaitement accordée à la couleur de mes yeux. Avec sadoublure et sa capuche auréolée de fourrure, elle est superbe. Soudain, je trouve mon gros anorakrouge à boudins un peu… minable. Je l’enlève en vitesse pour me glisser dans ma nouvelle veste.

Mmm… c’est divin.

Je tire la fermeture Éclair, amusée. Mais qu’est-ce qu’Harrison a prévu pour ce soir ?

***

Le moment venu, je me sens un peu idiote dans ma robe de soirée blanche et ma superbe parka. Lamousseline diaphane se marie pourtant bien avec la fourrure brune qui tapisse ma veste… parsécurité, j’ai aussi enfilé mes grosses bottes de yeti. Après tout, j’ignore ce que Monsieur Cicatrice-au-menton a prévu pour moi. Je n’ai pas envie de me retrouver comme une bécasse en chaussures àtalons – d’autant que je ne suis pas très à l’aise en stilettos ! Dans le Montana, on a rarementl’occasion de marcher sur des échasses.

Dès ma descente de voiture, j’aperçois les contours d’un immense chalet perdu au milieu desarbres. Jamais encore je n’étais venue ici, moi qui me targuais de connaître les moindres recoins dela région. La maison est splendide, dissimulée au milieu des sapins et d’une nature sauvage. Sesépais murs en bois sont troués de grandes fenêtres et de baies vitrées, comme un écrin de modernité

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au cœur de la forêt. J’en ai le souffle coupé. Pourtant, je n’ai encore rien vu !

– Par ici, Mary ! me lance la voix grave d’Harrison.

Je l’entends avant de l’apercevoir. Il m’appelle depuis l’arrière de la bâtisse. Le cœur battant, jelonge l’édifice et… c’est le choc.

– Oh my God !

De la neige. De la neige à perte de vue. Une immense nappe de poudreuse s’étend sur une centainede mètres. Le chalet semble posé sur un tapis de diamants scintillants. Des étoiles plein les yeux, jeporte les mains à ma bouche, étouffant un cri. Harrison, lui, me sourit, debout au milieu du somptueuxdécor. Il m’attend dans un élégant pantalon noir et un anorak à capuche de fourrure qui rappelle unpeu le mien, comme si nous étions assortis. Il paraît guetter ma réaction avec fébrilité.

– Vous disiez bien qu’un Noël sans neige n’est pas un vrai Noël ?

Je finis par hocher la tête, subjuguée. Et parce qu’il me tend la main, j’ose enfin approcher.

– Venez donc en profiter ! lance-t-il avec un sourire craquant.

Il est irrésistible alors que ses yeux pétillent de malice face à mon air émerveillé. Comment a-t-ilaccompli ce miracle ? Comment a-t-il amené des tonnes de neige au cœur de cette forêt épargnée parle blizzard ? Intimidée, je marche enfin sur les milliers de petits cristaux artificiels. Mes bottess’enfoncent jusqu’aux chevilles dans l’épaisse couche. Une sensation grisante, enfantine ! Avec unéclat de rire, je donne un coup de pied et j’envoie voler la divine poussière.

– Harrison, je ne sais pas quoi dire !– Dites seulement que cela vous plaît et je serai heureux.– Vous êtes… un magicien !

Il éclate de rire alors que je braque sur lui des yeux éperdus. Lui pose une main un peu gênée sursa nuque, se frottant doucement le cou.

– Je n’ai pas fait grand-chose, m’assure-t-il.

En cet instant, il semble à la fois si fort et vulnérable… je dois lutter contre l’envie de le prendredans mes bras. Peu à peu, j’entrevois l’homme qui se cache sous la cuirasse. Un homme capabled’amener la neige à moi pour mon seul plaisir. Un homme capable d’un miracle pour une jeune filleinconnue, ou presque.

– Je me suis contenté de faire livrer ces tonnes de neige dans la journée. Je pensais que cela vousferait plaisir.

– C’est magique, Harrison !

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Je m’approche de lui et je me dresse sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue,juste à la commissure de ses lèvres.

– Rien n’aurait pu me toucher davantage.

Cette neige, c’est plus beau, plus fou, plus extraordinaire qu’une rivière de diamants.

– Merci, Harrison. Du fond du cœur.

***

Une table dressée pour deux nous attend dans la véranda du chalet. Immense, celle-ci couvre unpan entier de la bâtisse avec ses portes vitrées qui offrent une vue imprenable sur la forêt enneigéepar miracle. Je vis un rêve. Prévenant, Harrison m’avance une chaise avant de s’installer à son tour.Entre nous, un magnifique bouquet de poinsettia s’épanouit – les fameuses fleurs rouges, surnomméesles « étoiles de Noël », en raison de leur forme.

– Pour quelqu’un qui n’apprécie pas les fêtes, vous avez frappé fort ! m’exclamé-je, ravie.– Ce ne sont pas les fêtes que j’apprécie.

Sa phrase flotte entre nous. Sans vaciller, sans tricher, il me regarde dans les yeux. Et mon poulss’emballe. Comment ne pas fondre devant un tel mélange d’assurance et de timidité ? Tendant lamain, il couvre mes doigts, posés sur une nappe blanche à fin liseré écarlate. Je tressaille. La flammedes petites bougies, rouges elles aussi, dansent dans des photophores translucides. À nos pieds, desbranches de houx jaillissent de grands vases, mêlant petites boules rouges et feuilles dentelées.

– Vous êtes un homme surprenant.

Je ne reconnais pas ma voix, troublée.

– Je le prends comme un compliment.– Vous êtes un homme surprenant… et mystérieux. Je ne sais presque rien de vous.– Je pensais pourtant que ma grand-mère vous avait fourni une biographie complète pendant vos

visites ! rit-il.– Peut-être… mais je préfère les informations de première main.

Du bout de ses longs doigts, il dessine des symboles et des arabesques sur le dos ma main. J’enfrissonne. Son contact m’électrise, éveillant des sensations inconnues au creux de mon corps. Sous latable, je croise les jambes et frôle par mégarde son pied. Nos corps sont aimantés, irrésistiblementattirés l’un vers l’autre. Bientôt, la table me paraît de trop, à l’instar de nos vêtements et de tout cequi peut se glisser entre nous…

Le désir… j’ignorais ce que c’était avant aujourd’hui.

Au cours du dîner, nous racontons tous les deux de petits morceaux de notre vie, nous dévoilant

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sans trop en dire. Nous avançons à tâtons, pas après pas, l’un vers l’autre. Il ne s’agit pas seulementde faire la paix. Quelque chose flotte dans les airs. Quand je porte mon verre de vin rouge à mabouche, je vois son regard s’attarder sur mes lèvres humides. Quand lui effleure sa cicatrice aumenton, je ne peux détacher les yeux de son index.

– J’ai conçu mon système d’exploitation à l’âge de 18 ans, m’explique Harrison. Je l’ai mis aupoint durant une période difficile de ma vie. Me concentrer sur ce projet m’a permis de m’en sortir.

– Et de devenir le plus grand programmateur de la planète ! ajouté-je avec un clin d’œil.– Oh, je…

Modeste, il hausse les épaules.

– L’informatique est une passion pour moi. C’est un langage, comme l’anglais, comme la musique.Il suffit de savoir en jouer, en user… et l’on peut créer tout un univers, qui plus est, utile aux autres.

– Vous continuez à créer des logiciels malgré le succès ?– J’améliore constamment mon système en proposant des versions enrichies pour accompagner

chaque nouvelle génération de machines. En parallèle, je crée aussi des logiciels gratuits, traitementde texte et comptabilité, mis en ligne sur Internet.

Il semble si animé, si vivant. Il aime son métier, à n’en pas douter. Travaillant toujours avec lamême équipe, il bosse généralement depuis le vaste penthouse qu’il occupe à Manhattan. Moi, jedécouvre un homme sensible, profond, habitué à se tenir loin des autres. Confusément, je devine qu’ilcache quelque chose. Un secret ? Un drame ? Je n’ose pas l’interroger. Tout le monde porte descicatrices et les cache plus ou moins bien.

– Vous vivez seule avec votre petite sœur ? me demande-t-il doucement.

Quand on parle de blessure…

– Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer l’absence de vos parents.– Serena ne vous a rien dit ?

Il secoue la tête. Sans doute n’est-il pas le genre d’homme à fouiller le passé des autres ou àinterroger ses proches pour obtenir une information. Voilà la véritable classe. Je finis par acquiescer.

– Mes parents sont morts tous les deux.

Il presse aussitôt ma main avec délicatesse.

– Pardonnez mon indiscrétion. Rien ne vous oblige à en parler.– C’est encore très…

Je ne termine pas ma phrase. Puis je me racle la gorge et reprends :

– Brittany et moi vivons toutes les deux dans le chalet où nous avons grandi. Grâce à l’aide d’une

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excellente assistante sociale, nous n’avons pas été séparées. J’étais majeure, j’ai obtenu sa garde…et nous nous débrouillons plutôt bien malgré les circonstances.

Harrison porte ma main à ses lèvres, déposant un baiser au creux de ma paume. Durant tout lereste du repas, il veille à ne plus aborder ce chapitre douloureux. Nous avons tous les deux notre partd’ombre. Statu quo. Avec élégance, il dévie vers des sujets plus légers.

– Vous pensez toujours que je suis… comment dites-vous, déjà ?– Un geek ? complété-je, amusée.– Voilà, c’est ça.– Eh bien… je vais essayer de poser un diagnostic, souris-je en lui décochant un regard charmeur

sous mes paupières mi-closes.

Saisissant sa main, je l’examine longuement en caressant sa paume de mon pouce. J’ignore d’oùme vient cette audace mais je me sens en confiance avec lui. Libre d’être moi-même. Dans la pièce,la tension grimpe, les pouls s’affolent. Je remonte vers son coude, le caressant à travers son pull noir.Il cesse de bouger, attentif, au moment où je quitte ma chaise. Je me tiens devant lui tandis que lesreliefs du repas reposent à table.

– Vous avez des mains de pianiste… et je suis certaine que vous faites beaucoup de sport, ajouté-je en m’arrêtant sur ses biceps durs et musclés. Vous n’avez pas l’air de vivre en reclus ni d’être unaccro des jeux vidéo.

– Je suis démasqué !

Ma voix s’éteint presque, rauque.

– Je suis presque sûre que vous n’étiez pas un geek… Et vous pouvez me croire, je serai bientôtmédecin.

Un sourire s’épanouit lentement sur ses lèvres, séducteur. J’ai l’impression que le désir flambeentre nous. Nos regards se cherchent, nos doigts se nouent.

– « Presque sûre », docteur ?– Je vais avoir besoin d’effectuer des recherches approfondies.– Je serais ravi de vous servir de cobaye.– Vous êtes très courageux, monsieur Cooper.– Je suis prêt à tout pour aider la science.– Quel sens du devoir !

Et tout bascule. En une seconde. Au moment où nos lèvres se joignent, je sais qu’il y aura un avantet un après. Ma vie d’avant cette nuit, d’avant lui. Et ma vie d’après ses bras, d’après ce moment.

Plantée devant Harrison, je n’ai qu’à pencher la tête pour prendre sa bouche tandis qu’il lève sestraits parfaits vers moi. Mon cœur s’arrête à l’instant où nos lèvres se touchent. Sous l’aiguillon dudésir, c’est moi qui l’embrasse la première. Moi qui introduis ma langue dans sa bouche et caresse la

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sienne. Je suis en apnée, je flotte. Encadrant son visage entre mes mains, j’enfonce mes doigts dansses courts cheveux châtains. Ils sont doux, soyeux, épais. Je pourrais les toucher des heures, commeje pourrais embrasser cet homme jusqu’à la fin de mes jours.

Très vite, il me répond avec une fougue égale. Et soudain, c’est sa langue qui guide le ballet, quis’enroule autour de la mienne tandis que nos bouches se pressent, se frôlent, se détachent, sereprennent. Il me donne le baiser qu’on ne m’a jamais offert, le baiser qui me marque dans ma chair,dans mon âme. Ses larges mains se posent sur ma taille avant de remonter le long de ma colonnevertébrale. Je me cambre instinctivement. Comme si j’attendais plus, toujours plus. Lui s’appropriema bouche avec une ferveur redoublée. Nous nous dévorons, poussés l’un vers l’autre par le pluspuissant des moteurs.

Je le veux. Je le veux comme je n’ai jamais voulu personne.

Son goût envahit mon palais, enivrant, un peu alcoolisé. J’ai l’impression que la terre tremblesous mes pieds, que je ne tiendrai plus longtemps debout. Les doigts audacieux d’Harrisonredescendent, épousant les courbes de mon corps. Tout à coup, il me fait asseoir sur lui. Je pousse unpetit cri surpris, étouffé par sa bouche. En une seconde, je me retrouve assise sur ses genoux. Et sesbras m’enveloppent, me pressant contre son torse, me renversant en arrière. Il embrasse comme undieu. Possessives, ses lèvres s’impriment sur les miennes au fer rouge du désir.

Bientôt, je sens ses dents mordiller ma lèvre inférieure, s’attarder à la commissure de mabouche… puis la pointe de sa langue en redessine le contour. Je vois mille étoiles. Quand je rouvreenfin les paupières, Harrison se détache un peu de moi. Nos visages sont tout proches. Nos nez sefrôlent. Mais je ne vois que ses yeux, ses yeux d’un vert-noisette magnifique qui me parlent de désir,de la nuit devant nous.

– Est-ce que tu es sûre, Mary ?

Le tutoiement me semble si normal, si naturel. Une barrière, ou plutôt un barrage, vient de tomberentre nous. J’acquiesce d’un hochement de tête

– Oui.– Dis-le-moi encore, Mary. Je veux te l’entendre dire.– J’en ai envie.

Les mots s’étranglent dans ma gorge. Et les yeux d’Harrison flamboient, éclairés par un feusauvage. Sa poitrine vibre à travers son pull, comme si une onde brûlante le traversait. Je noue mesmains derrière sa nuque, me raccrochant à lui.

– J’ai envie de toi.– Mary…

Sa voix n’est plus qu’un murmure rauque, heurté, bouleversé. En réponse, il me soulève contre lui,un bras derrière mes épaules, un autre sous mes genoux. Il me porte comme une princesse sans me

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lâcher des yeux. Nos prunelles se confondent ; son vert-noisette et mon vert émeraude ne formentqu’une seule toile, une seule couleur. Traversant la véranda, il rejoint la pièce voisine. Je n’en voispas le décor, incapable de me détacher de son visage. Je sais seulement qu’il s’agit d’un salon oùronfle un feu de cheminée.

Harrison me dépose par terre, sur un épais tapis de fourrure, jeté devant l’âtre. Il m’allonge avecprécaution, en prenant soin d’appuyer ma tête sur l’un des nombreux coussins répandus sur leplancher. C’est si confortable que j’ai presque l’impression d’être sur un lit. Lui s’agenouille près demoi. D’un geste rapide, il retire son pull noir, le faisant passer par-dessus sa tête. Il se retrouve enchemise blanche, de sorte que j’aperçois le dessin de ses larges épaules. Couchée, je tends les brasdans sa direction et j’atteins les premiers boutons. Je les fais sauter un à un. Jusqu’à ouvrir sonvêtement dont j’écarte les pans.

Wa-ouh. Waouh, waouh, waouh.

Pour le cliché de l’informaticien gringalet… on repassera ! Je découvre son large torse sculpté.Du bout de l’index, je suis le tracé de ses pectoraux. Puis j’applique ma paume sur son ventre dur etplat. Le grain velouté de sa peau tranche avec sa musculature de sportif. J’en pousse un soupir desatisfaction. Et dans un sourire, il se débarrasse de sa chemise, sortant ses bras des manches avant dese coucher sur moi.

Je l’accueille à bras ouverts. Je sens son poids sur mon corps, viril, sécurisant. Je n’ai pas peuravec lui. Je me sens si bien, si à l’aise. J’ai l’impression de flotter dans les vapes alors qu’ilm’embrasse à nouveau. Il dépose une série de petits baisers sur mes lèvres, mes pommettes, monmenton. Il fait le tour de mon visage tandis que je renverse la tête en arrière, son torse nu pressécontre mes seins. Sensation grisante, vertigineuse. Je le serre dans mes bras, possessive, avide.

À cet instant, des crépitements s’élèvent dans la cheminée. Une bûche s’effondre, répandant unedouce chaleur près de nous. La peau d’Harrison se pare de lueurs orangées, comme son visage, sescheveux. L’espace d’une minute, il semble coulé dans l’or vif. Puis se redressant sur les coudes, ildescend vers ma poitrine. Ses lèvres s’attardent dans mon cou avant de tracer leur sillon de feu. Moncœur cogne à gros coups dans ma cage thoracique et mon corps entier s’alanguit.

À travers la mousseline blanche de ma robe, je sens la bouche de mon amant presser l’un de mestétons. Je gémis. Lui relève la tête pour m’interroger du regard, sans un mot. « Je peux ? » semblentme dire ses yeux. J’acquiesce d’un battement de paupières. Car je ne veux pas briser ce silence entrenous, seulement troublé par les craquements du feu. De ses doigts experts, Harrison fait glisser lesbretelles de ma robe avant d’enfouir une main entre mon dos et le tapis. Il abaisse le zip. Puis il faitcouler le tissu vaporeux le long de mon corps.

– Mary…

Je me retrouve en sous-vêtements devant lui. Soutien-gorge et culotte en dentelle blanche.Harrison reste une minute immobile. Ce sont maintenant ses yeux qui me caressent, sans épargner le

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moindre détail de mon anatomie. Et sous la vague chaude de son regard, je me sens… femme. Ettellement désirable. Finis, les complexes sur mes petits seins ou ma carrure de crevette. Je suis belledans ses yeux.

– Tu es divine.

Il s’allonge près de moi. À nouveau, sa peau semble coulée dans le bronze alors que les flammesdansent dans un ronflement. Tendant le bras, il repousse la bretelle de mon soutien-gorge, avant dedescendre plus bas, toujours plus bas. Son index suit la ligne de ma poitrine vers mon nombril, puisl’élastique de ma culotte. Je frissonne, en proie à l’envie brutale, presque animale, d’être étreinte.

– Viens.– Laisse-moi t’admirer encore un peu…

Du plat de sa main, il enveloppe mon sexe à travers la dentelle, le couvre entièrement. Je reçoisun électrochoc. Son majeur suit ma fente… avant de s’en aller, me laissant pantelante et humide. Cen’est plus du désir, là… c’est au-delà ! Je tends les bras. Lui roule sur un flanc pour se coller à moi.Aussitôt, la chaleur de son corps se diffuse à travers ma peau. Et je sens une bouffée de son parfumboisé, qui se mêle à l’odeur particulière, délicieuse, de sa peau.

– Tu es belle, Mary.

Du bout du doigt, il fait glisser l’autre bretelle de mon soutien-gorge. Puis il le dégrafe dans mondos. Je l’aide en décollant un peu les hanches du sol, si bien qu’il le retire sans peine, libérant deuxpetites perles de nacre. Je rougis légèrement.

– Je veux te regarder, t’aimer tout entière.

Et quand il pose les yeux sur mes seins, je vois crépiter l’étincelle du désir. Il a envie de moi, ilne ment pas. C’est comme une libération. Une nouvelle barrière qui s’écroule entre nous. Et c’estsans retenue que je m’abandonne à sa bouche quand elle se pose sur mon sein. Sa langue suçote l’unde mes tétons, avant de lécher le tour rose de l’aréole. Je gémis, en proie au plaisir. D’une main, ils’occupe de mon autre sein, titillant la pointe, la pinçant avant de mieux me caresser de sa paumetiède.

Je perds tous mes repères. Je ne sens plus que sa langue, ses doigts. Je n’ai plus conscience derien hormis de mon corps qui s’embrase. Quand il se redresse, ce n’est que pour retirer sa ceinture,son pantalon. Il se détache à peine, allant le plus vite possible pour revenir à moi. Et c’est en boxerqu’il se couche sur moi. Je sens son sexe pressé contre une de mes cuisses. Oui, son désir ne faitaucun doute. En même temps, ses mains s’aventurent vers ma culotte… qu’il m’ôte avec une lenteurdélibérée, comme s’il révélait un trésor.

Je l’entends déglutir avec peine. Et nue sous lui, je tremble de plaisir quand ses doigts se posentsur mes fesses. Il me soulève un peu pour caresser mes rondeurs, le temps de me donner la chair depoule.

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– Harrison… j’en ai envie.

C’est presque un sanglot dans ma bouche. Sa main vient sur mon sexe, s’y introduisant avecdouceur pour se perdre dans son cœur moite de désir. Il en découvre les replis intimes, la douceursoyeuse. Et soudain, son regard se brouille. Je le perds alors qu’il joue avec ma féminité humide delui, pour lui. Sauf que je n’en peux plus. Je le veux. Je le veux maintenant alors que ses caresses vontcrescendo, de plus en plus intimes, de plus en plus osées.

– Viens, viens, s’il te plaît…

Ce timbre n’est pas le mien. Et pourtant ! En parallèle, je caresse son dos, laissant de longs sillonsrouges avec mes ongles, le griffant doucement de ses omoplates jusqu’à ses reins. Je l’apaise ensuiteen le caressant de mes paumes, encore et encore. Puis je m’attarde sur ses fesses, rondes et fermes,parfaitement musclées, à travers le tissu noir de son boxer.

– Tu me rends fou, souffle-t-il.

Comme il s’assoit sur le tapis, je l’imite. Nous sommes face à face. Moi nue, lui presque. Et cettefois, c’est moi qui l’aide à retirer son boxer, libérant son sexe déjà érigé. Sa peau est encore plusdouce à cet endroit que sur le reste de son corps. L’entourant de ma main, je le caresse. À son tour deme demander grâce ! Mes doigts vont et viennent sur lui, de bas en haut. Bientôt, il pousse un râlerauque alors que le désir monte en lui comme une sève.

– Attends si tu ne veux pas que je perde tout de suite la tête.

Posant une main sur la mienne, il la repousse délicatement avant de franchir le point de non-retour.Puis il attrape son portefeuille, resté sur la table basse, pour sortir un petit étui argenté. Et il ledéchire d’un coup sec avant de sortir un préservatif. Portée par l’envie qui me tenaille, je me sensprise de toutes les audaces. Et j’ose le lui prendre des mains pour le gainer moi-même avec desgestes langoureux, doux.

J’aime son gémissement. J’aime ses bras qui se referment autour de moi, qui me recouchent dansles coussins. J’aime son poids quand il vient s’allonger sur mon corps, mêlant nos jambes, nos chairsmoites. Harrison plonge dans mes yeux, quêtant une dernière fois ma permission. Car il veut m’aimerà mon rythme.

– S’il te plaît !

Aime-moi. Aime-moi de toutes tes forces.

Je le sens alors entrer en moi. Son sexe me pénètre, se glissant au creux de mon corps. Il s’enfonceen me tirant un long gémissement de plaisir. Et me remplissant tout entière, il s’arrête avant deressortir lentement… pour faire durer ce moment magique. Moi, je noue les jambes autour de sataille, croisant mes chevilles. Ma poitrine et son torse se frottent alors qu’il reste dressé sur sescoudes. À nouveau, il plonge dans le tréfonds de mon être. Encore et encore. Il bouge en moi, de plus

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en plus vite, de plus en plus fort. Mais je refuse de fermer les paupières. Même si les murscommencent à bouger, même si le plafond tourne au-dessus de ma tête, même si le plancher tangue.

Je me raccroche à ses yeux. Je me perds en eux, je m’abandonne totalement. Une immense vaguese lève en moi, grandissant, grossissant de seconde en seconde… jusqu’à me submerger totalement,me noyer sous une déferlante de plaisir. C’est si intense que j’en suis presque aveuglée. Je crois queje crie son nom, mais je ne suis sûre de rien. Lui gémit mon nom à mon oreille, tombant à son tourdans l’abysse. La jouissance est si forte que tout s’arrête. C’est le noir total. Et tout mon corps, tousmes muscles se contractent, agités par des spasmes.

Le plaisir. Tel que je ne l’ai jamais connu. À l’état brut.

Je ne redescends qu’après une éternité. Et à bout de souffle, Harrison se laisse tomber à côté demoi. Roulant sur un flanc, je reste collée à lui tandis qu’il m’entoure d’un bras.

– Votre diagnostic, docteur ? sourit-il.– Je ne peux pas encore me prononcer. Je vais avoir besoin d’étudier votre cas plus longtemps,

monsieur Cooper. Beaucoup plus longtemps…

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6. Scoop

Après une nuit magique aux côtés d’Harrison, je quitte sa maison à l’aube. Mais en remontant dansma voiture, je l’emporte avec moi, sur moi, en moi. Je sens toujours ses mains, sa bouche, sur mapeau. Notre étreinte m’a marquée à jamais. Comme le long baiser qu’il m’a donné devant sa maison,avant mon départ.

Que la femme qui ne craquerait pas pour Harrison Cooper me jette son premier talon aiguille !

Dès qu’il est là, mon cœur bat plus vite. Tout a commencé dans la boutique d’antiquités de MmeMiller avant de monter crescendo. Les disputes. L’asticotage. Le flirt. Jusqu’au dérapage sous le gui.Dois-je déjà parler d’amour ? Je n’en ai pas la moindre idée. Je ne suis pas une experte, loin de là !Toutes ces émotions sont nouvelles pour moi. Et puis, c’est peut-être un peu tôt. Après tout, nous nousconnaissons depuis trois jours.

Trois jours… et il a déjà changé ma vie.

Pour être honnête, je redoute un peu la suite des événements. Cela dit, je m’interroge sur la suitede l’histoire. En me raccompagnant à mon 4x4, Harrison a clairement manifesté son envie de merevoir. Vite, très vite. Sauf qu’il habite à New York… et moi, dans le Montana. Nous avons des viessi différentes ! À la fin des vacances de Noël, il pliera bagage et rentrera chez lui.

Alors qu’adviendra-t-il de moi ? De nous ?

Abordant le petit chemin de terre de ma propriété, je pousse un soupir. Ce n’est pas le moment depenser à ça ! Je suis certaine que le destin fera bien les choses. Pour l’heure, je me concentre sur lessouvenirs de notre étreinte. Et j’ai le sourire aux lèvres en franchissant le seuil de mon chalet.L’oreille tendue, je pousse la porte avec précaution. Centimètre après centimètre. Je récite mesprières pour que les gonds ne grincent pas. À nouveau, j’ai 15 ans et je viens de dépasser le couvre-feu imposé par mes parents.

Sauf que je n’ai plus d’acné. Amen.

Je ne veux pas réveiller ma petite sœur. Pour ne pas la déranger, bien sûr. Elle doit se lever dansune demi-heure pour aider Chris avec un groupe de touristes. Bon, c’est vrai : je mens. Un tout, toutpetit peu. J’avoue : je n’ai aucune envie d’être surprise dans cette situation compromettante. Encoremoins de répondre à ses questions. Plutôt affronter un grizzli au mano a mano. J’avance dans lecouloir sur la pointe des pieds en rasant les murs.

En mode ninja.

Aucun bruit dans la maison. C’est plutôt bon signe. Toute contente, je jette un coup d’œil dans le

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salon désert où clignote encore notre sapin de Noël bardé de guirlandes électriques. Ma cadette asans doute oublié de le débrancher avant de se coucher. Amusée, j’entre dans la cuisine et…

Raté !

– Tiens, tiens ! Ce ne serait pas ma grande sœur ?

Ma petite sœur. Devant son bol de céréales. Assise face à la porte comme un gardien de prisonguettant une évasion.

– Brittany ? Tu… tu es déjà debout ?– Ouais. On est samedi mais j’ai promis à Chris de l’aider.– Je…– Toi, par contre, tu n’as pas l’air d’avoir beaucoup dormi.– C’est-à-dire que…

Je suis écarlate. Allez expliquer à votre sœurette que vous avez fait des folies de votre corps toutela nuit ! Le problème ? Elle est loin d’être bête ! Elle a 12 ans, pas 5 ! Hélas…

– Pas besoin de me faire un dessin. Ton milliardaire et toi, vous avez fait des cochonneries !– Des cochonneries ?

Mais où a-t-elle appris à parler comme ça ?

– Vous avez fait crac-crac, quoi !– Brittany !– Vous avez…– Tu vas te taire, oui !

Hilare, je lui saute dessus en attrapant le torchon à vaisselle et je le lui plaque sur la bouche. Uneminute plus tard, nos rires résonnent dans la toute la cuisine tandis qu’elle se débat comme une folle.Moi, je réprime le flot d’horreurs qui sort de sa bouche, morte de rire. Cela me rappelle les bagarresde notre enfance. Cette chipie venait m’asticoter dans ma chambre, voler mon journal intime ou mesbijoux fantaisie… et elle finissait bâillonnée et saucissonnée sur mon lit.

– Tu n’as pas honte, Brittany Rose Elligson ?– Arg, murch, chtrump, trump !– Quoi ? Je n’ai pas bien entendu ? la taquiné-je. Ça t’apprendra à faire enrager ta grande sœur,

petite peste !

Quand je la relâche, elle avale une grande goulée d’air, les larmes aux yeux à force d’avoir tant ri.Moi-même, je ne suis pas en reste. Que ça fait du bien ! Je me laisse tomber sur le siège d’à côté.Dans notre lutte, nous avons renversé une bonne partie du lait de ses Cheerios sur la table. Je n’aiqu’à tendre le bras pour ramasser ses céréales d’un coup d’éponge.

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– Je suis ton aînée : n’oublie pas que tu me dois le respect !– Pfff…

Voilà qui est encourageant.

– Tu ferais mieux de te préparer au lieu de m’enquiquiner. File à la salle de bains !– C’est bon, je suis en avance. Chris ne m’attend pas avant 8 heures.

Elle se lève néanmoins en traînant des pieds. Mais au lieu de quitter la salle, elle s’approche dupanier en osier où nous empilons notre courrier ; je l’ouvre seulement une fois par semaine, histoirede ne pas perdre le moral. Parce qu’il s’agit toujours de factures, d’impôts, de taxes, de lettres de labanque… Brittany en extrait une longue enveloppe rouge qu’elle m’apporte avec un grand sourire.

– Je suis sûre que ça va te faire plaisir. On l’a reçue hier.– Dis-moi que c’est ce que je pense !

Je l’ouvre avec mes ongles, presque avec mes dents, et je découvre un somptueux cartond’invitation à l’ancienne, sur un épais papier rouge décoré d’un liseré doré et de deux petites feuillesde houx entrecroisées. Cette année, Serena Cooper nous convie à son réveillon du 24 décembre encompagnie de sa famille et de ses proches. Je pousse un grand cri de joie, hors de contrôle. Etbondissant de ma chaise, j’attrape les mains de ma sœur pour la faire valser. Elle éclate de rire.

Un vrai réveillon, une grande tablée dans une vraie famille ! Ce n’était pas arrivé depuis… troisans.

***

Pendant que ma petite sœur donne un coup de main à mon meilleur ami, harassé de travail en cespériodes de fêtes de fin d’année, je me rends en ville pour remplir le frigidaire. Je déteste la corvéedes courses. Cela dit, je ne suis pas sectaire : je déteste toutes les corvées ménagères. L’aspirateur, lavaisselle, la lessive : tout, je vous dis ! Je file en vitesse chez l’épicier du coin pour acheter quelquesdenrées urgentes : œufs, farine, lait, flocons d’avoine… Et j’en ressors un quart d’heure plus tardavec deux gros paquets en papier kraft bien remplis.

– Bonjour, Mary ! me lance le libraire.

Je lui rends son salut d’un grand sourire en poursuivant ma route… avant de freiner net. Minute !J’ai des hallucinations ou je viens d’apercevoir la photo d’Harrison en une du Daily News ? Enmarche arrière, je reviens sur mes pas malgré mes courses qui pèsent une tonne. Je m’arrête devant lapile de quotidiens du matin. Oui, c’est bien lui. Un superbe portrait en noir et blanc. Levant les yeux,j’aperçois ensuite la manchette.

« Un assassin parmi nous ? »

Quoi ?

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Je lis les premières lignes et… mes sacs m’échappent des mains dans un grand fracas. Ma briquede lait se renverse par terre, à mes pieds, sans que je réagisse. Dans ma poitrine, mon cœurs’emballe alors que les mots dansent devant mes yeux, signés par Maggie O’Malley. Non, non, cen’est pas possible.

– Est-ce que tout va bien, Mary ?

La voix du libraire me parvient dans le lointain, comme si je me trouvais derrière une épaissevitre en verre. J’offre sans doute un curieux spectacle, debout au milieu de mes emplettes éparpillées,un numéro du journal régional à la main. Je ne réponds pas, trop occupée à parcourir l’article écrit auvitriol. D’après la journaliste, Harrison a été deux ans en prison pour mineurs… après avoir tué unefamille, les parents et un petit garçon, dans un accident de voiture un soir de Noël.

***

Je n’ai pas ramassé mes courses. Je n’ai pas réfléchi une minute. Je me suis précipitée vers mavoiture pour rouler à tombeau ouvert jusqu’au chalet du milliardaire. J’ai jeté le journal sur le siègepassager, mais je l’ai retourné, incapable de supporter la vue de sa photo. À grand-peine, je retiensles larmes qui menacent de couler. Je préfère m’abandonner à la colère pour ne pas céder au chagrin.Pas tout de suite. Pas maintenant. Pas tant que je n’aurai pas réglé mes comptes.

Freinant brusquement, je m’arrête devant sa superbe maison en pleine forêt. On peut dire qu’ilmène une vie heureuse malgré le sang sur ses mains ! Tout en moi se révolte. Une rage brûlante sedéverse dans mon cœur. Bientôt, je saute de voiture et cours vers sa porte, hors de moi. J’ai surtoutl’impression de rêver, comme si j’agissais dans un état second, comme si rien n’était réel. À chaqueseconde, je me demande si je ne vais pas entendre mon réveil sonner et me redresser d’un bond dansmon lit, en sueur. Mais non. Je grimpe les marches et sonne. En fait, j’écrase le bouton de mon indexsans discontinuer. Dans mon autre main, je garde le journal froissé.

– J’arrive !

La voix d’Harrison s’élève à l’autre bout de la maison qu’il traverse au pas de course. Jel’entends à travers la cloison. Puis le battant s’ouvre devant moi, laissant apparaître mon voleur, monmeilleur ennemi, mon amant… et ma pire erreur.

– Mary ? s’étonne-t-il.

Il est superbe dans son jean et son pull marron. D’épais cheveux châtains un peu en pétard, undébut de barbe mal rasée surmonté par ses yeux vert-noisette en amande… il est chaque fois plusbeau que dans mes souvenirs. Ce qui rend toute cette scène encore plus douloureuse. J’ail’impression d’avoir un poignard planté dans la poitrine. Je sens la lame dès que je bouge et je nepeux rien y faire.

– Que se passe-t-il ? me demande-t-il, anxieux. Il t’est arrivé quelque chose ? Quelqu’un t’a fait

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du mal ?

Il s’inquiète face à mon visage défait. Tout à l’heure, je me suis vue dans le rétroviseur… et jen’étais pas brillante. Teint de papier mâché, yeux étincelants de larmes, bouche pincée sur dessanglots que je ne peux pas verser. Devant lui, je me contente de brandir le journal où sa photos’étale. Il recule, sans comprendre… avant que je ne le lui jette à la figure. Les feuilles s’ouvrentdans un horrible bruit de froissement tandis qu’il les rattrape au vol. Déboussolé, il découvre alors legros titre et blêmit. Mais ne semble pas surpris. Comme s’il s’y attendait. Comme s’il savait déjàqu’une telle chose se produirait un jour.

– Tu es un monstre !

Quand il avance vers moi, je recule d’un pas. Je ne veux pas qu’il m’approche, pas qu’il metouche.

– Mary…

Il ne cherche pas à se justifier, à s’expliquer. Il prononce seulement mon nom comme une prière,une supplique. Je secoue farouchement la tête malgré ses yeux éperdus qui s’accrochentdésespérément aux miens.

– Est-ce que je t’ai déjà raconté comment mes parents sont morts ?

Il ne répond pas. Il sait déjà. Il a deviné.

– Ils rentraient d’une fête entre amis. C’était le 27 octobre 2013. Ils roulaient à bord du vieuxbreak de la famille sur une route tranquille… quand un chauffard ivre mort est arrivé en face. D’aprèsles experts et les traces de pneus, mon père a essayé de donner un coup de volant, de se jeter dans lefossé. Sans succès. L’autre conducteur les a percutés de plein fouet avec ses deux grammes et demid’alcool dans le sang.

Cette fois, les larmes coulent. Je ne peux plus les retenir.

– Ma mère est passée à travers le pare-brise. Mon père a eu la cage thoracique défoncée par sonvolant. Officiellement, ils sont morts sur le coup. Officieusement, ils ont agonisé des minutes entières.

J’essuie mon visage, mon nez qui coule, mes joues trempées.

– Et toi, tu es comme cet homme, tu es comme ce monstre qui les a tués !

Harrison ne se défend même pas.

– Je ne veux plus jamais te voir.

Je m’enfuis alors à toutes jambes, laissant derrière moi un homme à l’air brisé et un bout de moncœur.

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À suivre,ne manquez pas le prochain épisode.

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Noël, mon milliardaire et moi - 2

Milliardaire au passé douloureux, Harrison Cooper déteste les fêtes. Il se rend pourtant dans leMontana pour retrouver sa famille. Mary Elligson est son opposée, étudiante vive et enjouée, elle estune amoureuse inconditionnelle de Noël. Entre eux, tout commence mal : jetant leur dévolu sur lemême cadeau, Mary et Harrison se disputent au moment où ils font connaissance. Ils aimeraient tousles deux ne plus jamais se revoir ! Mais la magie de Noël peut faire des miracles, et voilà que leurschemins se croisent à nouveau ! Invités à la même soirée, coincés sous une branche de gui, ils nepouvaient imaginer pire situation… Et pourtant, de hasards en surprises, ils ne vont cesser de serapprocher… Mais pourront-ils se supporter ?

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Découvrez Sex Friends - Et plus si affinités,de Rose M. Becker

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EXTRAITSEX FRIENDS - ET PLUS SI AFFINITÉS

Vol. 1

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1. Prologue

À la lueur des chandelles, je ronge mon frein en écoutant Mark évoquer son nouveau travail. Ilparle. Beaucoup. Énormément. En fait, il ne s’arrête pas une seconde, de sorte que je ne peux pasplacer un mot. Ce soir, je rêve qu’il ait un bouton « off » dans le dos… Mais c'est impossible de lefaire taire tandis qu’il me décrit par le menu son nouveau poste à « grandes responsabilités » au «sommet de la pyramide hiérarchique ». Me mordant les lèvres, j’attrape mon verre de vin pour leporter à mes lèvres, assommée par sa logorrhée. Puis je le repose aussi sec.

Non. Ce n’est pas bon pour le bébé.

Parce qu’il y a un bébé. Parce que je suis enceinte. Moi, Jane Sullivan, 22 ans, j’attends un enfant.Je dois me pincer pour y croire. Ou plutôt non, je ne me pince pas, je vais bien assez souffrir cesoir... et durant les sept prochains mois. Un bébé ! Moi ! Alors que je suis encore étudiante en MBA.Je tends la main en travers de l’impeccable nappe blanche du superbe restaurant où Mark m’ainvitée. Mais au moment où j’effleure ses doigts, il les retire prestement pour goûter une gorgée deson grand cru.

– Qu’est-ce que tu en penses ?

J’ouvre la bouche pour lui répondre. Mais mon compagnon enchaîne :

– J’ai eu l’impression de recevoir un parpaing sur la tête. Je t’assure.

J’avais oublié qu’avec Mark, les questions sont toujours rhétoriques.

– Puis j’ai réfléchi et j’ai trouvé cette promotion assez logique. Après tout, j’étais le choix le plusévident au sein du service financier.

Je souris faiblement. Mais alors très, très faiblement. Je n’ai qu’une envie : me lever et lui hurlerque je suis enceinte. Pourtant, je reste sagement assise sur mon siège tandis qu’un serveur styléapproche de notre table en portant un lourd plateau d’argent. Avec une mine compassée, il déposedevant nous des plats sous cloche avant de les soulever de ses gants blancs en annonçant une « solebraisée et sa compotée de poireaux aux graines grillées de sésame blond ». L’odeur me porte tout desuite au cœur.

Je… Je crois que je vais tomber dans les pommes.

Bien sûr, Mark ne remarque rien et attaque son plat de bon appétit. Le temps qu’il avale unebouchée, je profite d'un bref répit. J’essaie de réfléchir, victime de mon premier haut-le-cœur officielde femme enceinte. Cela dit, à mieux y réfléchir, je n’étais pas très brillante au cours des deuxderniers mois. Tout s’explique. Voilà pourquoi je ne supportais plus le chocolat et la viande rouge.

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Pendant un temps, j’ai cru que j’étais gravement malade.

Le chocolat, quand même…

Sans cette prise de sang imposée par mon médecin, inquiet de mes fréquents vertiges et de mesmaux de ventre, je n’aurais pas su que j’attends un enfant. Du moins, pas si vite. Je me croyaisseulement indisposée. Dans tous les cas, je ne me doutais de rien même si j’ai dû oublier ma piluleune fois ou deux. Je ne sais plus. J’ai bien programmé l’alarme de mon téléphone pour la prendre àheure fixe mais elle sonne parfois dans le métro, quand je rentre de mes cours. Et là, c'est difficile desortir ma petite plaquette. Misère ! Je suis déjà en train de me justifier.

– … et j’ai rencontré mon nouveau supérieur en début d’après-midi pour la signature de moncontrat. Tout s’est décidé très vite.

Un bébé. Un vrai de vrai.

– Tu m’écoutes ?

Est-ce que je dois le garder ? Est-ce que je dois avorter ?

– Jane ?

Mark passe une main devant mon visage et je sursaute violemment.

– Hein ?– Tu es encore avec moi ? J’ai l’impression que tu ne m’écoutes pas.

Moi aussi j’ai l’impression que tu ne m’écoutes pas. On est deux dans ce cas.

– Si, si, bien sûr que si. Tu parlais de la signature de ton contrat. Je suis juste un peu… distraite.– Tu pourrais quand même faire preuve d’un minimum d’intérêt quand je te parle de moi. Ce n’est

pas si souvent !

J’ouvre de grands yeux ronds qui me donnent un air de merlan frit. Ou de sole braisée. Je le trouvegonflé car depuis huit mois que nous sortons ensemble, il tient plus souvent le crachoir que moi. Celane me déplaisait pas au début. J’ai été fascinée par son aisance et sa décontraction lors de notrepremière rencontre dans une garden-party où mon père, banquier dans un illustre établissement privé,était l’invité d’honneur. Grand, blond, l’œil bleu laser… Mark était si séduisant dans son costume delin blanc. En général, j’apprécie son ambition et son assurance, mais pas ce soir.

– Tu devrais te réjouir pour moi, Jane. Il s’agit de notre avenir à tous les deux.

Mon cœur cogne plus fort. Au moins, il se projette dans le futur avec moi. Du bout de mafourchette, je picore vaguement dans mon assiette. Je coupe des bouts minuscules et les mastique unebonne centaine de fois avant d’avaler. Je ne me sens pas bien. Traduction pour les non-bilingues en «

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femme enceinte » : je vais dégobiller sur la table. Peut-être aussi sur la moquette. J’hésite, je me tâte.Surtout, je serre bien fort les dents en écoutant Mark pérorer. Pour le coup, je ne le trouve plus aussifascinant. Saisissant la bouteille de pinot noir, Mark remplit à nouveau son verre. « Les Jardins duRoy », lis-je sur l’étiquette. Heureusement, mon petit ami ne semble pas s’inquiéter de mon manqued’appétit.

– Je les ai beaucoup impressionnés avec la gestion du portefeuille Morrison.

Et là, ça sort tout seul :

– Je suis enceinte.

Comme ça. D’un coup.

– Je pense… continue Mark avant de s’interrompre brutalement.

Bref silence.

– Qu’est-ce que tu viens de dire ?

Cette fois, je dois prendre mon courage à deux mains pour me répéter. J’inspire un bon coup avantde murmurer, la voix tremblante :

– Mark, je suis enceinte.

Long, très long silence. Si long que j’entends presque les mouches voler. Autour de nous, lesconversations des clients vont bon train, formant un discret et raffiné brouhaha. Personne ne place unmot plus haut que l’autre dans ce temple du bon goût où quatre étoiles s’affichent crânement aufronton. Je me trémousse dans ma délicate robe de mousseline rose qui laisse apparaître mes longuesgambettes. En même temps, je triture une mèche noire échappée de ma haute queue de cheval. Markm’examine sans mot dire.

On dirait un cyborg. Il n'a pas la moindre expression sur son visage.

– Tu es enceinte ? articule-t-il en détachant chaque syllabe, comme s’il prenait la pleine mesure demon aveu. Depuis quand le sais-tu ?

– Je l’ai appris cet après-midi. J’ai reçu les résultats de ma prise de sang et…– Combien de mois ?

Prise de court, je ne comprends pas. Puis, je sens son regard brûlant rivé à mon tour de taille. Onne voit encore rien. Ni bosse, ni petit renflement. Juste mes abdos en acier obtenus à grand renfort deséances de sport et de joggings dans Central Park.

– D’après le médecin, huit semaines.

À cet instant, un indicible soulagement se répand sur les traits de Mark. Comme si on lui ôtait un

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manteau de plomb des épaules. Les plis de son front disparaissent, ses épaules s’affaissent, son bustese relâche. Toute la tension accumulée s’évapore. Moi, je ne bouge pas, les sourcils froncés et lafourchette toujours à la main. J’ai très froid soudain.

– Bon. Alors il n’est pas trop tard.– Trop tard pour quoi ?– Pour remédier à la situation.

Un éclat inquiet brille dans mes yeux dorés. D’instinct, je porte une main à mon ventre, les doigtscrispés. À croire que je cherche à protéger l’enfant qui se trouve à l’intérieur. OK, c’est un petitsquatteur. OK, il n’a pas été invité à la fête. Mais c’est mon bébé ! Quelque chose en moi est en trainde se réveiller tandis que Mark m’enveloppe d’un regard… condescendant. Presque paternaliste.C’est exactement cela, il ressemble à mon père quand je lui ramène une note inférieure à A.

– Tout va bien se passer, Jane. Cette histoire ne sera plus qu’un mauvais souvenir dans quelquesjours. Et dans un mois, tu n’y penseras plus.

– Pardon ?– Je vais tout organiser.– Je suis perdue, là.– Dès demain, je prendrai rendez-vous dans une clinique discrète. Personne ne sera au courant, je

te le promets.

J’en reste bouche bée et ne trouve rien à répliquer. Je n’ai même plus l’air d’une sole braisée, jeressemble à un mérou idiot maintenant.

– Considérons cette affaire réglée et n’en parlons plus.

Mark me sourit et avale une généreuse portion de poireaux. Pour ma part, je ne réagis pas,statufiée au milieu de cet établissement hors de prix. Soudain, tout m’apparaît avec une clarténouvelle. Comme si le voile devant mes yeux s’était déchiré : les ronds de jambe du serveur auxriches convives et à l'accent français de pacotille, l’éclat vulgaire d’une rivière de diamants au coud’une femme, la vacuité de la conversation à la table voisine. Je n’ai plus l’impression de faire partiedu tableau. Je me sens différente. Lointaine. Spectatrice.

– Et si moi, j’ai encore envie d’en parler ?– Que t’arrive-t-il, Jane ?– Il m’arrive que je suis enceinte. Et que je n’ai peut-être pas forcément envie d’avorter.– Tu plaisantes ?

Est-ce si choquant que cela ? Face aux yeux écarquillés de Mark, je me pose la question. Puis jesecoue la tête.

– Je veux parler de toutes les possibilités avant de prendre une décision radicale.– Tu te fous de moi ?

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Le ton ne monte pas, Mark est trop bien élevé pour ça. Mais je perçois toute la colère de moncompagnon lorsqu’il siffle entre ses mâchoires contractées. Dans ses prunelles pâles, j’aperçois uneflamme étrange et ses traits se durcissent. Je ne lui connaissais pas cette expression. Il semblesoudain si méchant.

– Tu penses sérieusement à garder ce… ce…– … ce bébé ? je complète pour lui.– Ne joue pas les sentimentales. À ce stade, ce n’est encore qu’un fœtus.

J’encaisse le coup comme si j’avais reçu son poing dans l’estomac. J’en ai la respiration coupée.

– Écoute-moi bien, Jane, commence-t-il d’une voix menaçante. Il est hors de question que j’aie unenfant avec toi. Surtout maintenant alors que je viens juste de décrocher une promotion plusqu’intéressante au sein de Garibaldi Group. J’ai vingt-sept ans, je suis aux prémisses de ma carrièreet je ne veux aucune attache.

– Tu oublies une chose, ce bébé est déjà là.– Plus pour longtemps.

Je repose ma fourchette qui cogne bruyamment le rebord de mon assiette. Je ne sais pas pourquoije réagis avec une telle force. Après tout, en rejoignant Mark dans ce restaurant, je n’étais pascertaine de vouloir garder cet enfant. À mon âge, est-ce seulement raisonnable ? Je ne suis pasmariée, je fais encore des études, j’ai vingt-deux ans. Mais soudain, la réponse m’apparaît avec unelimpidité troublante.

Ce bébé, je le veux.

– Je n’avorterai pas.

Cette fois, ma voix ne tremble pas. Mark me fusille du regard.

– Alors ce sera sans moi.

Se tamponnant lentement la bouche, il pose sa serviette blanche avec des gestes mesurés, cachantsa flambée de rage sous un vernis brillant. Il semble si sûr de lui et de son bon droit.

– Si tu gardes cet enfant, je ne veux plus jamais te revoir.– Tu me fais du chantage ?– Non, Jane. C’est toi qui me prends en otage avec ce… cet embryon.– Il s’agit d’un bébé, notre bébé !

Je déraille dans les aigus et plusieurs têtes se tournent dans notre direction. Mark me lance uncoup d’œil exaspéré, m’imposant une discrétion de bon aloi. Seulement, je ne peux pas me contrôlerà cause de la grossesse, des hormones ou de son comportement de mufle.

– Soit tu avortes, soit je te quitte. Au choix.

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Nos regards se croisent, s’accrochent, s’affrontent.

– Je garde le bébé.– Très bien.

Il se lève lentement et fouille dans la poche de sa veste. Sortant son portefeuille, il en extrait uneliasse de billets qu’il jette sur la table.

– Qu’est-ce que tu fais ? dis-je d’une voix blanche.

Mark me décoche un regard noir, un regard qui me cloue littéralement à ma chaise. Et,parfaitement maître de lui, il me répond :

– Je te quitte.

Une seconde plus tard, il traverse le restaurant à grands pas, sans même se retourner.

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2. Une nouvelle vie

Au volant de ma vieille camionnette, je fixe la route sinueuse qui mène à San Francisco. Toutl’habitacle tressaute à cause des gravillons tandis que le moteur tousse méchamment. C'est à croireque mon pick-up va rendre l’âme d’une minute à l’autre. Mais je sais qu’il tiendra le coup. Avec sapeinture écaillée et ses cageots de légumes empilés sur la plateforme arrière, il est in-des-tru-ctible.Je le soupçonne d’avoir servi durant la guerre du Golfe et celle du Viêt Nam. Peut-être même a-t-ilravitaillé les confédérés. En tout cas, c’est ce que ma grand-mère prétend ! Il résisterait à des tirsd’obus malgré ses gros phares et son design ringard des années 80 .

K2000 , quitte ce capot !

– On va arriver à bon port, relax !

Je décoche un clin d’œil à ma fille. Solidement harnachée dans son siège pour bébé, Eva gazouillejoyeusement à côté de moi. Elle semble ravie par notre petite escapade. Elle dresse ses pieds en l’airet tente d’en fourrer un dans sa bouche. J’éclate de rire, tendant le bras avant qu’elle ne dévore sesorteils. Où sont passées ses chaussures ? Je les aperçois par terre, retirées on ne sait comment.

– Ne me dis pas que tu as encore faim !

Je lui ai donné un biberon de semoule une demi-heure plus tôt, juste après le chargement de monfourgon. Avec ses joues roses et rebondies, mademoiselle ne semble pas dépérir. Sans parler de sesgrosses fesses à croquer, mises en valeur par un délicieux bloomer à fines rayures roses et blanches.Elle est toute ronde, toute dodue, et elle a de qui tenir ! Je pousse un soupir en croisant mon refletdans le rétroviseur. Mes longs cheveux noirs retenus par une pince s’effondrent à moitié sur manuque. Et ma ceinture de sécurité rentre dans mon petit bidou.

Ma ligne de top modèle ? Un vieux souvenir !

– Tu me trouves comment ? Sois franche.

Ma fille pousse un gazouillis plein d’entrain. Du haut de ses six mois, Eva est toujours d’unehumeur radieuse. C'est un vrai rayon de soleil et elle ne semble pas accorder une importanceprimordiale à ma culotte de cheval, ma peau d’orange et ma cellulite. D’ailleurs, je ne porte plus quedes vêtements larges. J’avoue qu'il m’arrive même d’enfiler mes vieilles chemises de grossessecertains jours. Juste pour me sentir à l’aise dans un vêtement trop grand. Ça me donne l’impressiond’avoir perdu du poids.

Malin, non ?

Ou pathétique. J’hésite...

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Aujourd’hui, j’ai opté pour un t-shirt noir, un jean et une paire de Converse bleu marine. DepuisEva, j'ai oublié les jupes taille haute, les tuniques en soie précieuse et les petites robes de cocktailaux froufrous effrontés. Oubliés aussi les talons hauts qui font un « galbe de la mort qui tue ». Je suistrop crevée pour ça ! Non seulement je ne rentre plus dans mon ancienne garde-robe mais les refluxgastriques d’Eva m’ont dissuadée à jamais d’enfiler mes tops en mousseline. Entre les taches de laitcaillé et les odeurs fermentées, je ne sais pas ce que je préfère. Un choix cornélien. Avec tendresse,je redresse le petit turban muni d’un nœud rose qu’Eva porte dans son duvet de cheveux blonds.

Ma fille est mieux fringuée que moi. Super.

– Tu vas finir par me filer des complexes, louloute.

La voilà qui riote de plus belle, la bougresse. Ça me donne envie de lui pincer le bout du nez.Seulement, je dois rester concentrée sur la route pour éviter de passer dans le fossé avec les cageotsde légumes bio que je cultive dans ma petite ferme. Je ne dois pas non plus me laisser distraire parles gargouillis de mon estomac. À ce stade, ça ressemble à une polyphonie corse. Ça n’arrête pas là-dedans parce que je n’ai pas vu l’ombre d’un aliment roboratif depuis une éternité.

Ici, il faut comprendre que je n’ai pas mangé de pâtes depuis deux jours.

Quoi ? C’est long, deux jours…

Au même moment, la sonnerie de mon téléphone s’élève. J’enfile aussitôt mes oreillettesbranchées sur un kit mains libres. Être maman, ça change pas mal de choses et pas seulement le tourde taille… Je décroche en appuyant sur un bouton de l’appareil, accroché au tableau de bord.

Sécurité maximale.

– Allô ?– Coucou, la petite fermière !

J’éclate de rire en reconnaissant la voix de ma meilleure amie. L’espace d’un instant, j’ail’impression que Lucy est là, avec moi, une tornade de bonne humeur et d’énergie avec ses grandsyeux verts et sa crinière rousse.

– Hey ! Je ne suis pas seulement fermière. Je restaure aussi de vieux meubles, je fais, l’air docte.

Pour gagner trois dollars, il faut plus d’une corde à son arc. Surtout quand on est une mèrecélibataire.

– Je sais, ma belle. Et je t’ai déjà dit mille fois que tu avais un talent fou. Mais à cette heure, jeparie que tu roules vers le marché.

– Tu lis dans une boule de cristal ou quoi ?

Elle rit à son tour. Comme elle me manque ! Depuis plusieurs mois, nous vivons à des centaines de

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kilomètres l’une de l’autre. Personal shopper au sein de sa propre boutique de vêtements, Lucyhabite toujours sur la côte Est. Citadine jusqu’au bout de ses stilettos, elle est restée à New Yorkalors que je pliais bagage vers la Californie. Au milieu de ma grossesse, il m'était impossible devivre dans la Big Apple plus longtemps. Entre les critiques acides de mes parents, Mark inscrit auxabonnés absents et l’interruption de mes études de commerce, c’était devenu trop dur.

– Les affaires marchent bien ? me demande-t-elle.– Avec des hauts et des bas. Et toi ?– Je viens de décrocher un contrat avec les studios Disney. Je dois relooker leur nouvelle

chanteuse à la mode pour lui donner une apparence plus mature.– Waouh !

La liste des clients célèbres de Lucy s’allonge de jour en jour, à ma plus grande fierté. Nousn’avons jamais été en compétition. Amies depuis notre plus tendre enfance, nous nous sommesrencontrées à l’école primaire et sommes devenues inséparables. Toutes les deux issues de famillesbourgeoises et fortunées, nous fréquentions les mêmes cercles d'amis jusqu’à ce que je mette lesvoiles il y a six mois. Je continue néanmoins à me réjouir de ses succès, comme elle me félicite à lamoindre victoire. Nous sommes sœurs de cœur pour toujours.

Au même moment, mon ventre roule dans un bruit de tonnerre.

– Euh… C’était quoi ? me demande-t-elle à l'autre bout du fil.– C’est… c’est le moteur ! fais-je, rouge de honte.

Ou moi qui meure de faim.

– Ne me dis pas que c’était ton estomac ?

À l’autre bout du fil, j’entends le même gargouillis en écho, comme si un tambour roulait à côté deLucy.

– Attends… Toi aussi ?– Bien sûr que non ! s’écrie-t-elle. C’est… C’est…

Je me retiens de rire pendant qu’elle cherche désespérément une bonne excuse au vacarmeintestinal qui parasite la ligne. Cela dit, je ne vaux pas mieux. Je suis en train de m’agiter sur monsiège comme si j’avais une envie pressante. Ce qui est bien le cas car je tuerai père et mère contre unbon steak bien saignant et des tonnes de frites croustillantes. Avec du ketchup. Et de la mayonnaise.

Mon Dieu ! Je suis pire qu’une junkie en manque.

– C’est mon ventre, lâche finalement Lucy à contrecœur.– Madame passe aux aveux ?– Tu peux parler ! J’ai l’impression que tu conduis avec un groupe de mariachis sur ta banquette !

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Je me retiens de rire.

Pour le glamour, on repassera.

– Et tu n’as rien remarqué d’étrange depuis qu’on a commencé le « régime violet » ? me demandesoudain Lucy.

Pour les néophytes, le régime violet consiste en un programme ultra-perfectionné imaginé par unéminent nutritionniste/magicien/gourou. Le principe est simple. Il ne faut manger que des aliments decouleur violette pour maigrir. L’histoire ne dit pas combien de mois le type a passés en prison pourempoisonnement car faute de survivante à sa cure, aucune femme n’a pu porter plainte. Franchement,qui arrive à vivre en se nourrissant exclusivement de mûres et d’aubergines ? En plus, je n’ai mêmepas perdu cent grammes. Bon, j’ai bien fait un ou deux écarts. Il y a eu ce paquet de crackers, l’autrejour. Et ces gâteaux avalés cette nuit sur le pouce, la lumière éteinte. Mais ce qu’on mange dans lenoir ne compte pas, pas vrai ?

– Euh… non…– Tu n’as pas eu d’idées bizarres depuis que tu as commencé le régime ? insiste Lucy.

Je fais celle qui ne comprend pas parce que j’ai peur de passer pour une zinzin. Disons que depuisle début de notre nouveau programme minceur, j’ai des idées noires bizarroïdes qui me trottent dansla tête.

– En fait, il se peut que j’aie été légèrement déprimée ces derniers temps.

J’ai pensé à me suicider en m’étouffant avec du sucre en poudre. C’est normal, docteur ?

– Ah toi aussi ? répond mon amie, l’air dégagé. Parce que ce matin, j’ai voulu me pendre avec maceinture.

– Moi, j’envisageais plutôt de me jeter du haut de la Transamerica Pyramid. C’est bien, c’est haut.

Nouveaux éclats de rire. Ça doit être le manque de glucides et de protéines. Et de nourriture engénéral. Alors, dans un bel ensemble :

– On arrête ?

Avant qu’Eva ne soit orpheline, si possible.

– En plus, si je vois encore une prune, je risque de m’évanouir ! assure Lucy.– Et une betterave, alors ? Je ne pourrais plus jamais en manger de ma vie.– J’ai souffert le martyre et je n’ai pas perdu un kilo.– De toute manière, tu n’as pas besoin de perdre un gramme, Lucy. Tu es déjà mince comme un fil.

Mon amie ressemble à un mannequin avec ses interminables jambes de gazelle, son ventre plat, sapoitrine menue et ses bras délicats de ballerine. À sa vue, toutes les femmes de la planète

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complexent, moi comprise.

– Ne dis pas n’importe quoi ! J’ai un petit bourrelet au niveau des cuisses. Et d’abord, toi non plustu n’as pas besoin de perdre de poids. Tu es parfaite comme tu es.

– Je te signale qu’on m’a contactée pour le remake de Sauvez Willy !

Lucy pouffe de rire.

– Arrête de raconter des bêtises. Tu as seulement pris cinq kilos avec la naissance d’Eva.

Six et demi. Mais je ne suis pas mesquine, si bien que je ne relève pas et hausse les épaules,magnanime. Et en m’engageant sur une route à trois voies aux abords de la ville, je continue à devisergaiement avec ma meilleure amie. Fringues, coiffures, problèmes de cœur, tout y passe !

***

Une heure plus tard, j’ai enfin déchargé tous mes cageots de légumes au milieu du vaste entrepôtoù attendent mes acheteurs. Comme toutes les semaines, je me suis rendue au Farmers Market avantses heures d'ouverture au public afin d’écouler mon stock de produits frais. Contrairement aux grosexploitants, je ne dispose pas d’un stand pour vendre directement ma production aux habitants de SanFrancisco. L’emplacement coûte une petite fortune ! Alors, selon la saison, je propose mes courgetteset autres tomates gorgées de soleil aux principaux grossistes qui achalandent les lieux.

– Qu’est-ce que vous nous proposez de beau, aujourd’hui ?

Je souris en reconnaissant la voix de monsieur Rani. Depuis quelques semaines, ce vieux monsieurd’origine indienne, arrivé aux États-Unis avec sa famille quarante ans plus tôt, est devenu mon plusfidèle client. Je crois qu’il m’aime bien. Quelque part, il doit se reconnaître en moi : je débute dansle métier sans un sou en poche et me débrouille avec une situation familiale... bancale. C'esteffectivement difficile de ne pas remarquer la présence d’Eva ! Malheureusement, je n’ai trouvépersonne pour la garder aujourd’hui. Ma grand-mère et ses copines sont absentes.

J’ai donc fait ce que je fais de mieux : improviser.

Ainsi, ma petite fille trône dans son siège bébé, occupée à contempler les allées et venues desmarchands d’une mine réjouie. De temps en temps, elle tend la main vers les cagettes de brocolisempilées à ses côtés. C'est sans grand succès et ses petits doigts se referment sur le vide.

– Mes légumes ne sont pas seulement beaux ! fais-je avec enthousiasme. Ils sont égalementdélicieux.

Attrapant au vol une petite assiette de dégustation, je la tends à mon acheteur.

– Voulez-vous goûter mes pomélos ? Ils sont bien sucrés et idéaux pour le petit-déjeuner !– Mmm… pas mauvais du tout.

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– Pas mauvais ? Vous allez me vexer, monsieur Rani !

Il se met à rire alors que je lui fais les gros yeux avec une bonne humeur communicative. Quand jevends mes produits, je me donne à fond. Rien ne compte davantage que ma réussite professionnelle.En dehors d’Eva bien sûr. Car même si j’ai abandonné mes études avant d’obtenir un diplôme, mêmesi j’ai tourné le dos à une existence toute tracée, je veux réussir. Et je compte gagner assez d’argentpour offrir à ma fille un avenir décent. D’ailleurs, j’ai du mal à reconnaître l’étudiante BCBG ettimide dans la jeune vendeuse investie et sociable que je suis devenue.

Ce qui n’est pas pour me déplaire.

Le changement a pourtant été radical. Du jour au lendemain, je suis partie me réfugier chez magrand-mère à l’autre bout du pays avec mon gros ventre. Durant ma grossesse, je suis restée dans lecocon protecteur de la vaste maison qu’elle partage avec deux amies aussi fofolles qu’elle. Puis j’aiséché mes larmes parce qu’avec la naissance d’Eva, quelque chose s’est passé.

Elle.

Elle est entrée dans ma vie.

Et dès l’instant où j’ai posé les yeux sur elle, je suis devenue une autre.

Sa mère, tout simplement.

J’ai donc retroussé mes manches, pour elle et pour moi, et j’ai accepté la proposition de Serenity,ma mamy, qui m’a offert d’occuper la vieille ferme où elle n’habitait plus. Cette grande bâtisseentourée de vastes champs demande de l’énergie, du temps et de l’entretien. Bien trop pour une dameâgée. Mais de mon côté, j’ai relevé le défi sans hésiter. J’ai commencé avec des légumes bio, desfruits et un petit élevage de poules. Pas grand-chose, juste quelques cocottes qui pondent des œufsfrais dont les citadins raffolent. Puis, je me suis lancée dans la restauration de vieux meubles. Unecommode décapée et repeinte par-ci, un fauteuil retapissé par là…

Ça marche de mieux en mieux.

Ce qui ne m’empêche pas de stresser à mort.

– Je vais vous prendre votre stock de pomélos.

J’ouvre de grands yeux.

– Tout le stock ?– Absolument. Vos butternuts remportent aussi un franc succès, vous savez. Il vous reste des œufs,

au fait ?

Avec un clin d’œil, je sors un petit panier d’osier où s’empilent une vingtaine d’œufs d’un délicat

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beige rosé.

– Pondus aujourd’hui ! fais-je en soufflant sur une plume grise encore accrochée à l’un d’eux.– Excellent. Mes clients vont se régaler.

Je m’empresse d’empocher l’argent liquide donné par monsieur Rani. Ces merveilleux billetsverts qui crissent sous mes doigts. Le nerf de la guerre. De la mienne, en tout cas. Puis, je faisdiscrètement le signe de la victoire à Eva pendant que deux gros bras emportent les cageots avec eux.

Les affaires prennent !

***

Deux heures plus tard, ma camionnette ronronne sur une petite route de campagne, dépassant lasuperbe ville de Monterey. Toutes mes marchandises écoulées, je retourne à la ferme le cœur enliesse. Eva sommeille à côté de moi, épuisée par nos aventures. À chacune de ses respirations, unepetite bulle de bave gonfle au coin de ses lèvres. Je me sens submergée par une vague d’amour. Etdire qu’elle aurait pu ne pas naître ! Si j’avais écouté Mark, si je m’étais rendue dans cette mauditeclinique…. Non, non ! Je préfère ne pas y penser.

Mark.

Il a tenu parole et ne m’a plus donné de nouvelles. Il a purement et simplement disparu de ma viedu jour au lendemain. Et six mois après la naissance de notre bébé, il n’a toujours pas cherché àrencontrer sa fille. Cela me choque et m’attriste. Heureusement pour lui, je ne pratique par levaudou ! Parce que si j’avais une poupée et des aiguilles… couic ! Je sais à quelle partie de sonanatomie je m’attaquerai.

Retenant un fou rire, je passe une vitesse. Ma fourgonnette se traîne comme un escargot au milieude la route, empiétant sur les deux voies. Elle est encore chargée de caisses et pèse lourd. Habituée àpiloter de petites citadines, j’ai parfois l’impression d’être aux commandes d’un tank.

Quand elle surgit de nulle part. Une moto. Une moto lancée à plein gaz.

En une fraction de seconde, je la vois apparaître dans mon rétroviseur et foncer sur moi à lavitesse d’une météorite. Je manque de m’étrangler. Je sens que ça va mal se passer. Très très mal…Cramponnée à mon mastodonte, je freine de toutes mes forces en donnant un grand coup de volantpour me ranger sur le côté avant la collision. Mayday, mayday ! La moto se rapproche dans ungrondement. Il est hors de question que je joue aux autos-tamponneuses avec ce fou furieux !

À cette seconde précise, l’engin frôle l’aile de ma fourgonnette avec un vrombissement tonitruant.On se croirait dans un rallye. Moi, j’appuie sur le klaxon comme une dératée.

– Espèce de cinglé !

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Le pilote ne s’arrête ni ne se retourne, poursuivant sur sa lancée tel un boulet de canon. Ilm’adresse néanmoins un petit signe de la main en guise d’excuse. Lâchant ses commandes, il agite lesdoigts, nonchalamment.

– Ça va pas la tête !

Levant le poing, je vocifère tandis qu’Eva se réveille, choquée par mes imprécations diverses etvariées. Entre « conducteur du dimanche », « Lewis Hamilton de malheur » et autres « serial-killerdes autoroutes », je continue à le suivre des yeux. C’est plus fort que moi. Pourtant, je n’ai même pasaperçu son visage, tout juste sa chevelure d’un noir bouclé et mi-longue. Parce qu’en plus, ce fou neportait pas de casque. Un vrai danger public. À présent, je discerne seulement son large dos, gainéd’un blouson de cuir… Il se réduit à un petit point noir à l’horizon. Et disparaît.

Je secoue la tête, furax. D’accord, j’étais en plein milieu de la route mais je pilote un truc de lataille de Godzilla. Sous le choc, je me gare dans l’herbe qui borde le chemin et éteins le contact letemps de reprendre mes esprits et de consoler ma fille. Je veux m’assurer qu’elle n’a rien.

– Tout va bien, ma louloute. Ce n’était qu’un sale type ! On devrait lui retirer son permis à celui-là !

Tout en parlant, je continue à fixer l’horizon comme si mon malotru allait resurgir d’une minute àl'autre.

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3. Dans les plumes

Où sont-elles encore passées ?

Je tourne sur moi-même, une main en visière pour éviter les rayons du soleil en ce début dematinée. Et j’enrage ! Où sont passées ces fichues poules ? Ces satanées cocottes me font tourner enbourrique depuis six mois. Je suis sûre qu’elles le font exprès, qu’elles me mettent à l’épreuve. Ellesme testent pour voir jusqu’où je vais tenir… Mais elles ne m’auront pas. Ça, je peux le jurer. Ellescraqueront avant moi, ces grosses dodues malpropres.

– Si je vous attrape…

Ma voix résonne dans le poulailler désert.

– Je vous vole dans les plumes !

Sauf que ma menace n’a pas l’air d’impressionner grand monde. En fait, personne ne prend lapeine de quitter sa cachette. Je suis snobée par mes propres poules. Je les soupçonne de se moquerde moi parce que je suis une citadine reconvertie en fermière. Elles ne me prennent pas au sérieux,voilà tout. Et…

Qu’est-ce que je raconte ?

Levant les yeux au ciel, je repose le seau rempli de grains destinés à mes poulettes en révolte.

Le poulailler se situe à l’écart de la propriété « Stewart ». C'est le nom de Serenity, ma grand-mère maternelle. C’est un petit bout de terrain entièrement grillagé, avec un chemin de terre, unepelouse et une maisonnette où les cocottes s’abritent et pondent à leur aise dans la paille. Fermé debout en bout, il empêche les renards et autres gobeurs d’entrer. Mais mes poules sont de véritableskamikazes. Elles trouvent toujours un moyen de ficher le camp. Apparemment, aujourd’hui, elles ontdébusqué un petit trou dans la grille et se sont fait la malle.

J’examine les dégâts, vêtue de mon sempiternel jean, d’un t-shirt blanc et d’un gilet bleu marine.Le soleil est traître dans cette partie de la Californie, surtout à l’aube au mois de février. Parmi lesvignes qui s’étendent à perte de vue, les températures montent doucement au cours de la matinée. Jefrissonne en me piquant le bout du doigt à un fil de fer. Comment mes poules ont-elles réussi à abîmerle grillage ? Ces garces réussiraient à s’évader d’Alcatraz, à mon avis.

– Vous vous croyez dans Prison Break ?

Je rêve ou je parle toute seule ? Je suis en train de retourner à l’état sauvage !

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Je hausse les épaules. De toute manière, je m’en moque. Rira bien qui rira le dernier. Chaussée demes grosses bottes en plastique noir, je quitte l’enceinte et me dirige vers la route. Au passage, jerepère quelques traces laissées par les fugitives : des plumes grises, noires ou blanches de ci, de là.Sans parler des crottes lâchées à la sauvette. J’éclate de rire, un fichu sur la tête pour lutter contre levent.

OK, je ressemble à un épouvantail. Mais je vous mets au défi de passer un an à la campagne etde rester bien habillée.

– Pincez-moi !

Jusqu’où se sont éloignées mes poules ? Je rêve ! Au bout de deux minutes, je suis obligée dequitter mon terrain pour m’aventurer sur la route qui mène aux vignes verdoyantes du fiancé de magrand-mère. Ai-je oublié de mentionner que Serenity va bientôt épouser notre voisin, maître de chairespecté et talentueux… Et bel homme de quatre-vingts ans à la remarquable prestance ?

Oui. Ma grand-mère se remarie. Je vais donc assister à son second mariage avant de pouvoirassister à mon premier.

La loose.

J'aperçois soudain le derrière d’une de mes filles, impudiquement dressé en l’air pendant qu’ellepicore quelque chose sur la route. Pile au même moment, j’entends un moteur ronronner. Inquiète,j’accélère et traverse le champ comme une fusée. C’est alors que je l’aperçois. La moto est bloquéesur la route à cause de mes cocottes. Elles sont toutes là et occupent le chemin sans vergogne.L’homme les regarde d’un air mi-amusé mi-navré.

L’homme. Parlons-en.

Je m’arrête, fauchée en plein élan.

Lui.

Bien qu’assis sur sa selle de cuir, je devine sa haute taille, probablement un mètre quatre-vingt-cinq ou plus. Il est… Il est canon dans le genre surhumain ascendant dieu grec. D’un coup d’œil, jedétaille sa stature athlétique, ses larges épaules moulées dans un t-shirt noir, ses muscles longs, secset nerveux. Je m’attarde sur ses mains, enroulées autour de son guidon. Il a de longs doigts fins, unepeau halée et le teint d’un homme qui aime le soleil et vit dehors.

Et son visage.

Oh my… ! Je retiens un miaulement.

Il a des traits fins et parfaits malgré une mâchoire virile à la ligne affirmée et de grands yeux noirssous d’épais sourcils froncés. Jamais je n’ai vu un regard pareil. Même à cette distance, je devine

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des pupilles ténébreuses, comme une mer d’encre. Il a aussi un nez droit et une bouche sensuelle,idéale pour les baisers passionnés, farouches, torrides.

Vite, un seau d’eau froide ! Ça fait trop longtemps que je n’ai pas fait l’amour !

Tout en cet homme évoque la fièvre. Il dégage une puissance mal contenue et fougueuse comme sila vie pulsait dans ses veines. Mon regard s’attarde sur sa chevelure noire, mi-longue et bouclée…J'arrive à l’identifier malgré mes hormones en ébullition.

Ce ne serait pas mon danger public ?

On peut être frustrée ET perspicace. Si, si.

À cet instant, il tourne la tête et me remarque à son tour tandis que je dévale la pente menant à lalongue route qui sillonne entre les vignes et ma propriété. Il hausse les sourcils. De mon côté,j’essaie d’avoir l’air la plus normale possible. Ce qui n’est pas évident quand on se tord leschevilles en sautant au-dessus d’un fossé. Un demi-sourire étire ses lèvres pleines et ourlées. Deslèvres criminelles, oui ! Des lèvres qui devraient être interdites par la loi !

– Voilà les renforts ?

Seigneur ! Il a une voix chaude et rauque à vous damner toutes les saintes du paradis. C’est sisexy que c’en est presque indécent.

Qu’est-ce qu’il fiche ici, au fait ? Deux fois en deux jours, je n’appelle plus ça unecoïncidence !

– J’imagine que vous êtes la propriétaire de ces… ces volatiles ?

Je me plante devant lui, les poings sur les hanches. Parce que monsieur a beau être un canon, undemi-dieu, un extraterrestre ou que sais-je encore, je n’en suis pas moins en pétard. Il a quand mêmefailli emboutir ma voiture hier soir ! Et ma fille se trouvait à l’intérieur. Et ça, c’est impardonnable.Même pour Mister Fever.

– Je vous reconnais ! Vous êtes le fou à moto.– Le fou à moto ?– Parfaitement. Quand on ne porte pas de casque, il faut s’attendre à être identifié par une ancienne

victime !

Je le foudroie du regard.

Ça va chauffer, les enfants.

– Vous voulez dire que c’est vous qui conduisiez cette camionnette au ralenti ?

Au ralenti ?

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Oh, maman ! Mon sang ne fait qu’un tour.

– Je ne conduis pas doucement, je suis prudente. Nuance.

Le sourire de Mister Fever s’agrandit. Je rêve ou je suis en train de me justifier devant lui ?

– Hé ! fais-je en me ressaisissant. N’inversez pas les rôles. Vous avez failli me tuer hier !

Et Eva avec moi.

Mon inconnu décoche un autre sourire irrésistible. Il est une véritable arme de destruction massiveet ses yeux pétillent de malice. Il ne serait pas un peu en train de se moquer de moi ?

– Je vous ai évitée sans peine. Et rien ne serait arrivé si vous saviez conduire.– Parce que c’était ma faute ?

Oui, en vrai c’était ma faute. J’occupais les deux voies avec mon fourgon à l’agonie, empêchanttout véhicule de me doubler. Mais plutôt mourir que d’avouer. D’autant plus qu’il secoue la tête, trèsamusé par notre confrontation. Sent-il également cet étrange grésillement dans l’air ? Comme sil’atmosphère crépitait sous l’effet d’un courant électrique ? À moins que je ne sois seule avec machair de poule et mes longs frissons… Pourtant, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose demagnétique dans l’air. Nos yeux s’accrochent. Lui ne laisse filtrer qu’une expression amusée, assissur sa moto, une de ses longues jambes posée à terre pour retenir le poids de sa moto.

– Si je vous ai fait peur, je m’en excuse.– Oh, je…

Je ne m’attendais pas à ce sourire désarmant.

– Et maintenant… Pourriez-vous récupérer vos poules, mademoiselle ?

Là, je me sens complètement idiote. Les poules. Je les avais oubliées ! Elles colonisent la route,mangeant les miettes et les poussières trouvées sur le bitume. Sans parler de leurs caquètements aigusquand elles se déplacent. On dirait une manif d’emplumées ! Je rougis et prends conscience de mamise. Bottes en plastique, fichu sur la tête, jean trop large et cracra. Comment ai-je pu oublier uneseconde à quoi je ressemble ?

– Oui, je… Je m’en occupe tout de suite.– Ça leur arrive souvent de s’échapper ?– De temps en temps. Ce sont des récidivistes.– Elles se promènent souvent dans les vignes ?

Tout en chassant mes poules vers le bas-côté, je jette un coup d’œil à Mister Fever, occupé àenglober le paysage d’un regard comme s’il lui appartenait. Frimeur, va ! N’empêche que je me

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demande ce qu’un type comme lui fait dans les parages. Je ne l’avais jamais vu avant. Il a un petittruc à la James Dean, l’air rebelle sans doute. Sauf qu’il est plus beau. Et plus sexy. Et plus… tout.

Soupir.

Ah, je le déteste !

– Eh voilà le travail ! fais-je en retenant mes filles près du fossé.– C’est-à-dire que…

Suivant son regard, je découvre une énorme cocotte noire qui le fixe d’un œil sombre comme sielle souhaitait engager un duel au pistolet. Je reconnais tout de suite Britney, la pire de mespensionnaires.

– Oups. Excusez-la. C’est la caïd du poulailler.

Je l’attrape à pleines mains alors qu’elle se met à battre furieusement des ailes, m’envoyant sesplumes dans la figure. En particulier dans la bouche et les trous de nez. Mister Fever doit se retenirpour ne pas rire de mon combat avec la poule catcheuse.

– Allez-y, elle est neutralisée !– Besoin d’un coup de main ?– Non, je survivrai. Mais dépêchez-vous parce que je ne tiendrai pas longtemps ! Vite, fuyez !

Il hoche la tête, hilare.

– Ça a été un plaisir.

Tout le plaisir était pour moi, Mister Fever. Tout le plaisir, vraiment.

– Vous devriez porter un casque.

C’est sorti tout seul, sans que j’y pense. Je rougis légèrement. Lui me sourit, amusé.

– Merci de vous en soucier.

Et sur ces mots, il disparaît dans un grondement de moteur, filant vers l’horizon sans un regard enarrière.

Sans même un petit regard.

Soupir.

***

Après une journée passée dans les champs entre les poules et les légumes bio, je consacre le

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lendemain à la restauration des meubles. Enfermée dans mon atelier contigu à la maison, j’attrape dupapier de verre et frotte le bois d’un fauteuil pour lui ôter ses scories. Je peindrai ensuite ses piedsdans une teinte nacrée. Puis, je tapisserai son dossier d’une étoffe rose délicatement perlée. MadameJohnson, ma nouvelle cliente, en sera enchantée. Au départ, rien ne me prédestinait à ce boulot. Maispeu après mon arrivée en Californie, j’ai réussi à sauver une vieille commode de ma grand-mère, quia été éblouie par mon travail.

De fil en aiguille, motivée par ses encouragements, je me suis lancée dans cette petite entreprise.Trouvant d’abord des acheteurs parmi mes voisins, je suis désormais contactée par des habitants detous les environs. Mes sièges obtiennent un franc succès et les commandes s’enchaînent ! Je m’amusecomme une folle à donner une seconde vie aux meubles. En plus, cela rapporte pas mal d’argent.L’argent, toujours l’argent... Parfois, j’ai l’impression de n’avoir que ce mot à la bouche.Malheureusement, les factures s’entassent dans ma boîte aux lettres. Sans parler du prix exorbitantdes couches, de la gouttière qui fuit et du tableau de plomb à changer.

Ah… Les charmes de la vie rustique !

– J’espère que ma petite entreprise va marcher.– J’en suis certaine, ma chérie.

Mince. J’ai encore pensé à voix haute.

Ma grand-mère m’observe depuis l’autre bout de la pièce, sans cesser d’examiner ses cristaux detoutes les couleurs. Dans sa robe psychédélique aux motifs géométriques, Serenity semble être uneéchappée du festival de Woodstock. Ou d’une faille temporelle. Ma foi, les deux sont possibles avecelle. Avec ses longs cheveux blancs relevés en un lourd chignon, elle est toujours séduisante. Sur safigure, pas la moindre trace de maquillage. Seulement deux grands yeux bleus pleins d’humour et unéternel sourire au coin des lèvres.

Serenity. Mon rayon de soleil.

À ses côtés, Eva s’agite dans son siège. Ma fille ne me quitte pas d’une semelle quand je travailledans l’atelier. Sauf lorsque je manipule des produits toxiques et que je me cache derrière un masqueen plastique. Trois générations de Stewart-Sullivan sont réunies dans la même pièce. Il ne manqueque ma mère… qui ne risque pas de mettre les pieds sous ce toit. Même sous la menace d’une arme,Catherine Sullivan refuserait d’entrer dans la maison de son enfance. Mais c’est une autre histoire.

– Tu ne devrais pas t’en faire autant. Les forces telluriques sont de ton côté.– Les quoi ?

Je m’arrête une seconde, les yeux écarquillés. Ma grand-mère lève les bras au ciel, agitant lesmanches papillons de sa robe.

Restons modérés et disons que je n’ai pas une mamy banale.

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– Les forces telluriques, ma chérie. Les forces de la nature, des arbres, de la campagne qui nousentoure !

Ne pas éclater de rire. Surtout, ne pas éclater de rire.

– Il va t’arriver quelque chose de formidable, Jane. C’est dans l’air !– Mouais.

Puis, dans ma barbe :

– Dommage que les forces telluriques ne paient pas mes impôts.– Je t’ai entendue, sourit ma grand-mère. Je te pardonne néanmoins ton incrédulité, femme de peu

de foi.– C’est très généreux.

Je souris en examinant mon fauteuil. Soufflant un grand coup sur le pied, je fais voler un nuage depoussière. Serenity, elle, présente ses cristaux à ma fille. Elle lui montre les différentes nuances etcela semble ravir Eva. En indécrottable coquette, ma princesse tente de les attraper en gazouillant.Soudain, je sens à nouveau le regard de ma grand-mère se poser sur moi, plus grave et sérieux.

– Je suis très fière de toi, ma chérie.– Oh, je… Tu ne me l’avais jamais dit.– Eh bien, je le fais. Tu t’en sors remarquablement avec cette ferme et avec ta fille. Note bien que

je n’ai jamais douté de toi.– Je sais. Tu as toujours été ma plus grande supportrice.

Au contraire de mes parents. On ne peut pas dire que Patrick et Catherine Sullivan sont membresde mon fan club. Du moins depuis que je suis tombée enceinte de Mark, devenant du jour aulendemain fille-mère. Tant que j’étais leur poupée bien élevée, tout se passait à merveille. Mais il asuffi que je m’écarte du droit chemin pour que nos relations se détériorent. Comme si elle lisait dansmes pensées, Serenity s’approche de moi. Je la soupçonne d’être télépathe en plus de lire dans lestarots et les marcs de café.

Les malheurs d’avoir une grand-mère médium…

– Je voudrais que tu prennes ceci, me dit-elle en passant une grande chaîne d’argent autour de moncou.

Soulevant ma longue queue de cheval, elle m’offre son curieux bijou. Il s’agit d’un bout de cristalrose taillé en pointe et enchâssé dans un cabochon d’argent. Ce collier est à la fois superbe etdéroutant, comme sa créatrice. Car ma grand-mère fabrique des bijoux qu’elle s’amuse à revendredepuis des années sur les marchés californiens. Elle n’a pas besoin d’argent mais elle ne sait pasvivre sans travailler. Un peu comme moi. Bien sûr, ses colliers n’ont rien d’ordinaire, mais Serenitya-t-elle déjà fait une chose banale ?

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– Cette pierre est chargée en énergie positive, comme toute ma nouvelle gamme de bijoux. Lescristaux bleus préservent la santé, par exemple. Les rouges favorisent les rencontres.

– Le ciel m’en préserve. Et les roses ?– Ils attirent la chance, ma chérie.

M’arrêtant un instant, je considère le morceau de cristal qui pend au bout de sa fine chaîne. Puis jesoupire :

– Il ne pourrait pas plutôt attirer l’argent, ton truc ?– Qui te dit qu’il ne fait pas mieux ? me lance Serenity avec un sourire mystérieux.

Puis elle s’éloigne pour ranger ses créations dans une grande besace en tissu. Il lui arrive parfoisd’envahir mon atelier avec sa production farfelue. De nombreuses petites boîtes de stockage entémoignent, rangées sur les étagères que j’ai moi-même vissées aux murs. Cela ne me dérange pas, aucontraire. J’aime quand ma grand-mère me rend visite. Du moins lorsque les préparatifs pour sonmariage lui en laissent le temps. J’ai encore du mal à croire que Serenity s’appellera bientôt madameJohn Roy. Tout s’est décidé si vite…

– Bon, il est temps que je file.– Où vas-tu, Serenity ?

Oui, j’appelle ma grand-mère par son prénom. Parce qu’en plus d’être fiancée, elle est aussiplus cool que moi.

– Tu as oublié ? Je m’absente pendant deux jours !– Bien sûr ! fais-je, en claquant des doigts. Tu participes au marché New Age de Napa Valley.– Et je compte bien écouler tous mes bijoux là-bas. Je n’en aurais plus l’occasion avant un

moment avec mon mariage au printemps. Nous allons être prises dans un tourbillon.

Comme je suis agenouillée sur le sol en béton, elle se penche vers moi et dépose un affectueuxbaiser sur mon front avant de gagner la porte dans une bouffée de santal et de patchouli. Joignant lesdeux paumes, elle me salue en s’inclinant comme une prêtresse zen.

– Que la Grande Déesse te protège !

Je marmonne en laissant la porte se refermer. Puis, je jette un coup d’œil complice à Eva, en trainde somnoler sous une délicate courtepointe brodée par Hope et Samantha, les deux colocataires deSerenity.

– Tu crois qu’elle peut faire disparaître ma peau d’orange, la Grande Déesse ? Parce que c’est tafaute si mes cuisses ressemblent à une râpe à fromage…

Au même moment, une pétarade s’élève dans le jardin. Surprise, je me redresse en abandonnantmes outils. J’espère que ce n’est pas la voiture de Serenity qui cale. Mais le break de ma grand-mèrea disparu. À la place, une puissante moto se gare dans le jardin. Et je reconnais immédiatement mon

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superbe motard.

Hep, une minute !

De quel droit Mister Fever entre-t-il sans permission chez moi ?

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4. Mister Fever & moi

Je jette un coup d'œil à Eva pour m'assurer qu'elle dort bien puis je jaillis de mon atelier commeun diable. Les sourcils froncés, je fonce vers mon motard sexy. Il est gonflé ! En fait, il n’en rate pasune : il manque de renverser ma voiture, d’écraser mes poules et ensuite, il entre sur mon terrain sansmon autorisation. On appelle ça du harcèlement ! Comment ça, je réécris l’histoire ? Absolument pas.Tout est une question de point de vue. Mon motard retire le casque qu’il a daigné mettre et libère lamasse de ses boucles noires. Hum… C’est muy caliente !

– Hé, vous !

Mister Fever redresse la tête, son casque sous le bras. En tout cas, il a écouté mon conseil. Surprispar mon apparition, il reste interloqué.

– Que faites-vous ici ? demande-t-il à brûle-pourpoint.– Ce serait plutôt à moi de vous poser la question !

Et en plus, il me vole ma réplique !

Je m’arrête devant lui, à quelques mètres de sa moto. À cause du soleil matinal, je cligne plusieursfois des yeux. Comme hier, je ne suis pas vraiment à mon avantage dans mon jean et mon épaisseblouse blanche couverte de taches de peinture.

– Qu’est-ce que vous fabriquez chez moi ?– Chez vous ? répète-t-il, de plus en plus étonné. Il doit y avoir une erreur.

Passant une main dans ses cheveux, il repousse son épaisse tignasse en arrière, découvrant sonfront hâlé et ses yeux sombres à perdre la tête. En même temps, il se mordille la lèvre inférieure. Cetype est une incitation au crime. À moins que tous ces mois passés dans ma ferme ne me montent aucerveau ? Oui, c’est sûrement ça. Toute cette frustration accumulée me rend hautement…inflammable. Parce que cet homme a beau être une gravure de mode, tout ne lui est pas permis, sur laroute et ailleurs ! Depuis Mark, je ne supporte plus les types trop sûrs d’eux.

C’est épidermique.

– Vous êtes dans une propriété privée.– Je cherche madame Stewart.– Vous l’avez manquée de peu. De toute manière, elle n’habite plus dans cette ferme depuis un bon

bout de temps.– Je ne comprends pas. Mon grand-père m’a expliqué qu’elle logeait avec deux amies dans une

maison située sur son terrain…

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Je fronce les sourcils. Je vais finir par ressembler à Cara Delevingne ou Groucho Marx.

– Non, il n’y a que sa ferme sur ce domaine. Sa nouvelle maison est située plus loin sur la route,derrière la barrière blanche.

– Je vois. Dans ce cas, sauriez-vous où je peux trouver Jane Sullivan ?

Mon cœur manque un battement.

– Qu’est-ce que vous lui voulez à Jane Sullivan ?– Je lui dirai quand je l’aurais en face de moi, répond-il en descendant de sa moto avec un calme

exaspérant.– Dites-moi au moins qui la demande.

Nous nous dressons maintenant l’un face à l’autre et je suis obligée de lever la tête pour croiserson regard. Il est beaucoup plus grand que moi, ce qui lui confère un avantage indéniable.

– Anthony Roy.

Roy, Roy… Comme dans John Roy ?

– Attendez ! fais-je en me remémorant plusieurs conversations avec le fiancé de ma grand-mère.Vous ne seriez pas le petit-fils de John Roy ?

– En personne. À qui ai-je l’honneur ?

Il ne semble guère apprécier d’être le dernier mis au parfum, et encore moins de parler à uneinconnue qui possède une longueur d’avance sur lui. Je suis sûre que Mister Fever adore le contrôleet l’organisation. Je lui tends finalement la main avec un demi-sourire, mi-figue, mi-raisin. Cethomme me hérisse les poils… Tout en me donnant la chair de poule !

Épidermique, je vous dis…

– Jane Sullivan !– La petite-fille de madame Stewart ?– En chair et en os.

Cette fois, un lent sourire éclaire son beau visage… C'est comme s’il était à la fois amusé et piquéau vif. J’ai bien l’impression de lui faire un effet « poil à gratter », moi aussi. Il y a quelque chosed’explosif entre nous, comme si l’air vibrait, palpitait. Exactement comme hier sur la route. Nos yeuxs’accrochent et je me perds dans l’océan noir de ses pupilles. Ma paume devient dangereusementmoite tandis qu’il garde ma main un peu trop longtemps dans la sienne.

Je rêve où il y a un truc ?

Oui, c’est ça, je dois rêver.

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Sauf que… Il y a bien une étincelle…

Non, non, je rêve.

– Je suis enchanté de vous rencontrer. Mon grand-père m’a beaucoup parlé de vous et Serenity.

J’esquisse un sourire, certaine que John a chanté mes louanges et celles de ma grand-mère. Bienque taiseux et discret, le vieux maître de chai est un homme charmant. Le genre de personne solidecomme un roc sur laquelle on peut s’appuyer sans problème en cas de tempête.

– Vous êtes venu pour les préparatifs du mariage ? fais-je, un peu ingénument.

Un sourire railleur étire ses lèvres charnues.

– Non, je n’ai pas vraiment le temps. Je souhaitais seulement rencontrer madame Stewart avant lesépousailles. Comme leur mariage s’est décidé très vite, je n’ai pas eu la chance de la croiser.

Je devine un soupçon de reproche dans sa voix et ne peux m’empêcher de défendre le couple.

– Le coup de foudre frappe à n’importe quel moment, et à n’importe quel âge.– Vous croyez au coup de foudre ?

Anthony me lance un regard indéchiffrable, peut-être ironique. Je me contente de hausser lesépaules.

– Pour les autres, oui. Et à l’évidence, John et Serenity sont sérieusement mordus.– Pour se marier trois mois après leur rencontre, j’imagine. Cela dit, je ne suis pas venu pour cette

unique raison.– Ah bon ?

Mon cœur fait des grands bonds dans ma poitrine, presque des loopings. Peut-être parce que lesyeux de Mister Fever s’attardent un peu trop longuement sur mes lèvres, comme s’il les détaillait ?Que se passe-t-il à la fin ?

– Vous savez peut-être que je compte racheter toutes les parcelles de terrain qui jouxtent mesvignes ?

– Oui. John m’a expliqué que vous souhaitiez agrandir votre domaine.– C’est la vérité. Mes vignes produisent principalement du vin rouge, notamment du pinot noir, et

je souhaite m’agrandir assez vite. Je compte importer des pieds et des boutures de mon exploitationen Toscane et…

Il s’apprête à ajouter un mot, l’œil étincelant, avant de s’interrompre.

– Excusez-moi, je m’enflamme vite dès qu’il s’agit de mon travail. Je ne suis pas venu vousassommer avec mes histoires de vigneron.

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– Pourquoi me cherchiez-vous, alors ?

Car je ne vois toujours pas le rapport avec moi.

– Je veux acheter votre ferme.– Quoi ?– Je vous en propose un très bon prix.

Il énonce un chiffre qui me laisse coite. Le temps de reprendre mes esprits, je m’ébroue comme unchien, secouant la tête en faisant onduler ma longue queue de cheval. Un sourire amusé se dessine surles lèvres d’Anthony.

– C’est beaucoup d’argent, en effet. Sauf que vous oubliez un détail : la ferme n’est pas à vendre.– Je le sais. Et je suis ici pour vous convaincre, vous et madame Stewart. Mon grand-père m’a

expliqué la situation légale de la propriété. Votre grand-mère a la nue-propriété des lieux et vousgérez la ferme en tant qu’usufruitière.

Je hoche la tête, sur mes gardes. Il me semble en effet très au courant. Certes, c’est plutôt normals’il convoite notre terrain mais ma méfiance est en éveil.

– Non seulement j’exploite ces terres et j’en vis mais j’habite aussi ici, dis-je d’une voix sèche.– Mon but n’est pas de vous mettre à la porte de votre demeure.– C’est toujours bon à savoir !

Ma réponse claque durement, peut-être trop. J’ignore pourquoi je m’emporte aussi vite face à cethomme. Ou plutôt, je le devine trop bien. La faute à cette maudite année sans sexe. À cause de ça jedémarre au quart de tour. Mais comment lui faire comprendre que cette ferme est ma seulepossession, obtenue et entretenue à la force de ma sueur et de mon travail ? Je n’ai rien d’autre, endehors d’Eva bien sûr. Cette ferme, c’est un peu mon deuxième bébé et mon espoir de m’en sortirdepuis ma rupture avec ma famille et mon ex. Anthony me décoche un sourire charmeur, déclenchantmon alarme intérieure.

Danger ! Danger !

– Je vous propose un prix beaucoup plus élevé que celui du marché.– J’en ai conscience mais je vous le répète : cet endroit n’est pas à vendre.– Pour l’instant.– Pour toujours.

Son sourire s’affirme, à la fois séducteur et carnassier, tandis qu’une lueur de défi s’allume dansson regard. Visiblement, il est homme à aimer les paris risqués. Et je ne mesure que trop tard monerreur tactique car s’il ne tenait pas vraiment à ce terrain, il en a maintenant une envie folle. Et il nesemble guère prêt à en démordre.

– Vous pouvez racheter tous les domaines alentour mais pas celui-là.

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– Les acquisitions sont déjà en cours.

À cet instant, un petit cri nous interrompt. Eva.

– Excusez-moi…

Sans hésiter, je tourne les talons et me précipite en direction de l’atelier. Ma fille s’est réveillée,visiblement barbouillée. Slalomant entre les meubles en pleine restauration, je la prends dans mesbras, la laissant s’y blottir avec un petit gazouillis. Chose rarissime, Little Miss Sunshine n’a pasl’air de bonne humeur. Bougonne, elle roule des yeux tandis que je la berce en arpentant la pièce àpas lents. Dans mon dos, je devine la présence d’Anthony sur le seuil.

– Elle est mignonne. Comment s’appelle-t-elle ?– Eva.

Avant qu’il ne m’interroge fatalement sur notre lien de parenté, je coupe court à sa curiosité :

– Je la garde. Ne vous en faites pas, elle va vite se rendormir.

Je n’ai pas envie d’aborder ma situation personnelle avec cet inconnu. Depuis la naissance, je suislassée par les regards condescendants ou compatissants qu’on pose sur moi. Trop souvent réduite àmon statut de jeune mère célibataire, je ne supporte plus de donner des explications sur la disparitionde Mark ou mes soucis financiers. Ma famille ne regarde que moi et certainement pas cet homme tropbeau et trop confiant qui me tend sa carte de visite.

Alerte rouge ! Alerte rouge !

– J’ai sans doute mal choisi mon moment pour vous rendre visite. J’ai bien essayé de téléphonermais personne ne répondait.

– Ça ne m’étonne pas. Je n’entends pas la sonnerie depuis l’atelier. Cela dit, ma réponse seraidentique à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Je ne vous vendrai pas cette propriété. Et jesuis têtue.

– Ça tombe bien, moi aussi.

Bizarrement, je n’en doute pas une seconde.

– J’aimerais vous inviter à dîner pour en reparler tranquillement. Qu’en dites-vous ?– Non.

Il élude ma réponse, me gratifiant d’un sourire désarmant.

– Êtes-vous libre ce soir ? Vers vingt heures ?

Moi ? Un homme ? Au restaurant ? Ça ressemble à un scénario de science-fiction.

– Oui, mais…

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– Rien qu’un dîner mademoiselle Sullivan. Si à la fin du repas, vous refusez toujours de mevendre votre propriété, je m’inclinerai.

J’ouvre la bouche mais aucun son ne s’en échappe. Puis, à ma plus grande surprise, j’accepted’une voix beaucoup trop rauque. Une femme a-t-elle jamais été capable de refuser quelque chose àcet homme ?

Eh bien si ce n’est pas le cas, je serai la première !

***

Surveillant la pendule, j’attends environ une heure pour téléphoner à ma grand-mère. Je saisqu’elle ne répond jamais au volant et elle a bien raison. Serenity n’est pas une adepte des nouvellestechnologies… Moi non plus, d’ailleurs. J’ai renoncé à toute cette modernité lors de mon arrivée à lacampagne. Si, si, je le jure. Je vis comme aux temps des colons et de La Petite Maison dans laprairie. Comment ça, personne n’y croit ? Bon, OK j’ai un Smartphone… Et peut-être une télévisioncachée dans l’armoire de ma chambre… Oh, ça va ! Je n’utilise presque pas mon ordinateur portableet je n’ai pas accès à Internet. Du moins en dehors du lundi au dimanche.

– Serenity ?

Ma grand-mère décroche dès la première sonnerie. J’entends derrière elle un brouhaha de voix.Sans doute est-elle arrivée à la petite auberge où elle passera la nuit. Je l’imagine en train deréquisitionner le personnel des lieux pour l’aider à décharger son break. Tout le monde adoreSerenity. C’est la plus sociable, la plus drôle, la plus fantasque des femmes. Et personne ne lui refusejamais rien. Un super pouvoir dont je n’ai malheureusement pas hérité...

– Un problème avec Eva ? s’inquiète tout de suite ma grand-mère.– Non… Avec Anthony Roy, plutôt.

Pourquoi même son nom est sexy ? C’est injuste.

– Ah oui ! John m’a prévenue que son petit-fils était arrivé sur leur domaine. Le pauvre garçon atellement de travail que je n’ai pas encore eu l’occasion de le croiser. À en croire les photos, il estcharmant.

Charmant. C’est exactement ça.

– Tu savais qu’il veut racheter notre ferme ?

Sans reprendre mon souffle, je lui déballe toute l’histoire en insistant sur l’arrogance de MisterFever. Parce que je le trouve gonflé. Et sexy. Non, je ne me répète pas. Je souligne une desprincipales caractéristiques de mon adversaire. Il faut toujours connaître ses adversaires. C’est trèsimportant. Capital même. Engloutie sous le flot de mes récriminations, Serenity finit par éclater d’unrire léger.

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– Calme-toi, ma chérie.– Comment veux-tu que je me calme ?– Parce que la décision t’appartient. Personne ne t’oblige à vendre le terrain, surtout pas moi. Tu

es chez toi à la ferme.– Mais tu en es légalement propriétaire…– Et tu en as l’usufruit, ce n’est pas rien. John et moi sommes bien décidés à ne pas nous mêler de

cette histoire. Vous allez régler ça entre vous, les jeunes. Tu as donc carte blanche : soit tu vends pourun bon prix, soit tu continues sur ta lancée.

Elle se tait une seconde.

– Sache seulement que je te trouve plus épanouie depuis quelques semaines.– Cet endroit me fait du bien.– Alors tu sais ce qu’il te reste à faire, ma chérie.

Dire « non » à Anthony Roy. Un mot qu’il n’a pas dû entendre souvent.

***

Ce n’est qu’un dîner d’affaires, bon sang ! Pas la peine de se casser la tête pendant des heures.Alors pourquoi suis-je plantée devant mon armoire depuis des lustres ? J’hésite entre ma robe degrossesse à fleurs taille cachalot et mon jean ultra large réservé aux travaux de jardinage. En gros, jen’ai rien à me mettre. Certes, quelques petites robes de cocktail dorment encore dans mes placardsmais je ne rentre plus dedans depuis la naissance d’Eva. Quant au reste de mon dressing, il ressembleà celui d’un candidat de Farmer wants a wife. Au secours !

Au rez-de-chaussée, j’entends des coups frappés à la porte. Qui peut me déranger à seize heures ?Je n’attends personne, aucun client. Dévalant les escaliers, j’ouvre et me retrouve nez à nez avec uninconnu. C'est un garçon d’une vingtaine d’années qui tient à la main un gros paquet en carton.

– Mademoiselle Sullivan ? Une livraison pour vous !

Dubitative, je m’empare du colis tandis qu’il s’en va sans me faire signer le moindre registre.Aucune adresse, aucun cachet de la poste sur l’emballage. Qui est l’expéditeur ? J’aimeraisinterroger le messager mais il a déjà disparu dans l’allée, se dirigeant au petit trot vers les vignes dela famille Roy. J’ai alors un curieux pressentiment. Mon cœur se met à cogner à grands coups dansma poitrine. Dénouant le ruban en taffetas bleu, je soulève le couvercle de la boîte et…

Oh. My. God.

– Dites-moi que je rêve !

C'est une robe. Une robe magnifique. Une robe à tomber par terre. Avec des gestes plein derespect, je déploie la somptueuse mousseline noire qui cascade jusqu’au sol. La robe n'a pas de

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manche ni de décolleté vertigineux. La divine toilette s’attache grâce à un large plastron de pierreriesdorées qui laisse émerger les épaules. L’étoffe moule ensuite la poitrine alors que la taille s’attacheavec une mince ceinture d’or. Je me retiens de danser. Jamais je n’ai vu une tenue plus exquise, à lafois élégante et simple, splendide et sobre.

Surexcitée, je plaque la robe devant moi, cherchant mon reflet dans la porte vitrée. Il y a silongtemps que je ne me suis pas faite belle à force d’arpenter mon terrain en bottes de caoutchouc etgros gilet informe. J’ai fini par ressembler à… à rien ! J’ai envie de tournoyer pour le seul plaisir desentir l’étoffe voleter autour de mes jambes. Sauf que la réalité me frappe de plein fouet. Et la petitecarte, tombée à mes pieds, me saute au visage comme une gifle.

– Anthony Roy…

Sa signature s’étale sur le bristol qui accompagne l’envoi. C’est mon maudit voisin qui m’aadressé cette robe. Je la repose sur la table, les lèvres pincées. Je ressemble à ma mère dans cesmoments. En gros, j’ai l’air d’avoir avalé un manche à balai. Fonçant vers mon téléphone, jem’empare de la carte de visite laissée par Mister Fever lors de notre dernière rencontre. Je ne peuxpas laisser passer un truc pareil. Certes, la robe est sublime. Mais pour qui me prend-il ? Unebouseuse qui ne sait pas s’habiller ?

– Anthony Roy.

Il répond presque tout de suite. Je ne m’y attendais pas. Alors forcément, je suis prise de court etun son non identifié sort de ma gorge.

– J’écoute…

La voix est polie mais froide. Agacée, aussi. Comme s’il n’avait pas de temps à perdre. Ce qui estsans doute le cas. D’après les recherches que j’ai effectuées sur Wikipédia, c’est un homme trèsoccupé.

Ne me jugez pas. Je suis juste curieuse.

D’autant plus que ce n’est pas grâce à John, son grand-père, que j’ai appris grand-chose surAnthony. Le fiancé de Serenity est très discret sur la fortune amassée par son petit-fils. Mais mon toursur le web s’est révélé très instructif. Mon motard sexy est un milliardaire novateur et génial à la têtede la plus célèbre marque de champagne au monde. Ce qui ne l’empêche pas d’être agaçant, arrogantet surtout blessant.

– Jane Sullivan à l’appareil.– Ah, mademoiselle Sullivan !

Soit c’est un effet de mon imagination (je précise qu’elle est ultra fertile), soit il semble sedétendre. C'est comme si un sourire colorait ses mots. Je me mords les lèvres. Par chance, je n’aiqu’à souffler un peu pour ranimer les braises de la colère.

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– J’ai reçu votre paquet.– Parfait. Je passerai vous prendre à vingt heures, comme prévu.

Un bon point pour lui : il n’attend visiblement pas de remerciement.

– Je suis capable de choisir mes vêtements seule, monsieur Roy.– Je m’en doute. Simplement, je…– Je vis peut-être à la campagne depuis un certain temps mais je n’en suis pas moins apte à

m’habiller correctement pour une soirée. Vous redoutiez de sortir avec une paysanne attifée commel’as de pique ? Vous aviez peur que je ne vous fasse honte ?

Aucune réponse. Mister Fever reste un instant le souffle coupé face à ma tirade, crachée d’unetraite. Et soudain, son rire rauque et masculin résonne au creux de mon oreille. Mmm… Je me sensfondre. Avec un rire pareil, il pourrait désamorcer n’importe quel conflit. Peut-être même rétablir lapaix au Proche-Orient.

– Eh bien, quel tempérament ! La négociation risque d’être serrée ce soir.

Je m’apprête à répliquer mais il ne me laisse pas le temps d’ouvrir la bouche.

– Vous vous méprenez sur mes intentions, mademoiselle Sullivan. À l’évidence, vous êtes unefemme qui a beaucoup de classe, dans n’importe quelle situation.

J’en reste sans voix. Pour de bon.

– Mais comme vous ignorez le style du restaurant où je vais vous emmener, j’ai préféré parer àtoute éventualité. Malheureusement, j’ai parfois un sens de l’organisation un peu… envahissant. Sivous ne souhaitez pas porter cette robe, je le comprendrai.

– Elle est magnifique.

Je ne le vois pas. Mais je jurerai qu’il sourit, exactement comme moi. Et qu’il laisse échapper cesderniers mots presque malgré lui :

– J’ai pensé qu’elle mettrait en valeur vos yeux couleur d’or…

Un ange passe.

– Faites comme bon vous semble, mademoiselle Sullivan. Vous saurez m’éblouir, avec ou sanscette robe.

Sur ces paroles qui me font rougir, il raccroche doucement l’appareil.

Je rêve ou il y a un double sens ?

***

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C’est décidé, je vais la mettre. J’ai peut-être un orgueil taille XXL mais pas au point de renoncer àma tenue de princesse. Seule dans ma chambre pendant la sieste d’Eva, je respire un bon coup.J’inspire, j’expire. J’inspire, j’expire. Ça me rappelle les cours de préparation à l’accouchement, quine servent à rien d’ailleurs. Le grand jour, j’ai beuglé et poussé comme une forcenée en oubliant unechose essentielle à ma survie : l’oxygène.

– Vas-y, Jane ! fais-je pour m’encourager. Tu peux le faire !

Trois, deux, un… Go !

Je tente d’enfiler ma toilette avec la trouille de ne pas entrer dedans. Je crains qu’Anthony ne l’aitchoisie en taille 36 , mensurations officielles de toutes ses petites amies d’après les photos glanéessur Internet. Je sais, je dois arrêter de traîner sur la toile. N’empêche que j’ai peur que mes fessesrebondies ne passent pas. Je taille du 40 alors c'est le ventre rentré que je remonte la robe le long demes jambes. Miracle ! Mes genoux passent, mes cuisses aussi, et même mes hanches !

Hourra !

Grandiose, que dis-je ? Impérial ! Je tire le zip dans mon dos d’un geste élégant. En réalité, je metortille comme un ver, les joues rouges et les cheveux en pétard. Et là… stupeur ! J’arrive même àrespirer ! J’en pleurerai de joie. Dansant devant ma glace, j’attrape la délicate mousseline avant deplonger dans une révérence comme si j’étais Sissi. Depuis combien de temps ne me suis-je pas sentieaussi séduisante ?

Et aussi nerveuse.

Ce n’est qu’un rendez-vous d’affaires, bien sûr. Rien qu’un dîner avec un acheteur potentiel que jecompte envoyer sur les roses. Alors pourquoi ai-je les mains moites et le cœur qui bat vite ?Cartésienne, je décide de mettre cet accès de stress sur le compte de ma longue retraite à lacampagne. Il y a trop longtemps que je ne me suis pas retrouvée en tête-à-tête avec un homme. Entoute logique, je redoute de manquer de conversation et d’affronter les yeux noirs de Mister Fever !C’est leur faute, aussi. Ils me perturbent.

Ils me pertubent tant que je me jette sur le téléphone et appelle Lucy. En entendant le son inquiet dema voix, elle se met à rire :

– SOS meilleure amie, j’écoute…

***

À vingt heures tapantes, Anthony sonne à ma porte dans un luxueux costume noir agrémenté d’unechemise à la blancheur immaculée. Sur le seuil, j’essaie d’aligner deux mots autres que desonomatopées. Il est canonissime. Oui, le mot vient d’être inventé pour lui. Brun, ténébreux, torride.Sans cravate ou nœud papillon, le premier bouton de sa chemise ouverte, il semble à la fois

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décontracté et chic. Jusqu’à présent, je l’avais seulement vu en jean et blouson de cuir… Ce quivalait aussi le détour.

Stop Jane ! Tu te transformes en obsédée !

– Ai-je le droit de vous complimenter sur votre tenue ? me demande-t-il, taquin.

J’éclate de rire.

– À vos risques et périls !– J’adore prendre des risques, répond-il du tac au tac en m’enveloppant d’un long regard des

pieds à la tête.

J’ignore ce qu’il pense pendant que ses yeux de jais s’attardent sur moi. Le rouge me monte auxjoues, m’obligeant à triturer mon bracelet en citrine. Finalement, Anthony s’ébranle comme s’ils’arrachait à un rêve. Avec galanterie, il m’offre son bras pour me conduire à sa voiture. La luxueuseberline, noire et anonyme, prend alors le chemin des vignes.

– Nous n’allons pas au restaurant ?– Si… Mais pas en voiture, m’explique-t-il. Ce serait trop long.

Quelques minutes plus tard, je découvre notre véhicule. C'est un hélicoptère. En toute simplicité.Sur mes gardes, je monte dans l’appareil aux côtés de mon cavalier. J’ai l’impression qu’il essaie dem’en mettre plein la vue avec ses joujoux d’homme d’affaires tout puissant. Une manière dem’intimider ? Ce genre de tactique me rappelle Mark, toujours prompt à jeter son argent à la figuredes gens. Sauf qu’Anthony a un sourire désarmant lorsqu’il se penche au-dessus de moi pour attacherma ceinture. Je recule tandis qu’une bouffée de son parfum me chatouille les narines. Une fragrancediscrète, boisée… mais tenace. Mon cœur palpite quand ses longs doigts frôlent ma taille. Il enfoncesimplement le clip de sécurité.

– Vous êtes bien harnachée. Vous ne souffrez pas de vertige, au moins ?– Non, pas du tout.– Je m’en doutais. Vous avez l’air d’être une femme qui n'a pas peur de grand-chose.

Ce qui ne semble pas lui déplaire. Nos regards se croisent puis il se glisse à la place du pilote.

Quoi ? C’est lui qui va tenir les commandes ?

Devant ma surprise, il étouffe un petit rire amusé.

– Oui, je pilote. J’adore conduire les avions, les voitures, les mots, les hélicoptères, les bateaux…Cela dit, il est encore temps de vous enfuir, mademoiselle Sullivan !

– Rassurez-moi, vous êtes plus prudent qu’à moto ?

Je suis ravie qu’Eva ne soit pas avec moi. Je l’ai confiée pour la soirée aux bons soins de

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Samantha et Hope, les deux meilleures amies de ma grand-mère. À cette heure, elle doit dormircomme un loir. Nerveuse, je tripote à nouveau mon bracelet.

– Vous verrez bien ! rétorque-t-il avec un clin d’œil au moment où les pales se mettent à tournoyer.

Anthony Roy pilote bien et même très bien. Je m’en rends compte durant le trajet et lors de sonatterrissage sans la moindre secousse sur le toit du restaurant. C’est finalement à San Francisco qu’ilm’emmène dîner. Anthony m’aide à descendre en tenant délicatement ma main. Il s’agit de la simpleattention d’un homme galant mais mon cœur s’emballe. Je dois me rendre à l’évidence : il m’attire.Comme la totalité des femmes du restaurant où nous entrons. Nous suivons un serveur aux manièresimpeccables. Celui-ci nous entraîne à travers une grande salle toute en baies vitrées avec une vueimprenable sur la cité brumeuse et ses lumières nocturnes.

– C’est magnifique, dis-je, circonspecte.

J’ai la conviction qu’Anthony Roy, l’orgueilleux businessman producteur des plus fameuxmillésimes, cherche à m’épater et prendre l’avantage. Et il ne lésine pas sur les moyens ! Je feuillettela carte des vins et remarque les grands crus issus de son domaine : Empire, Les Jardins du Roy…N’est-ce pas la cuvée que Mark sirotait le soir de notre rupture ? Dois-je y voir un mauvais présage ?

– Je vous laisse choisir, monsieur Roy.– Appellez-moi Anthony, ce sera moins formel. Après tout, nous allons bientôt faire partie de la

même famille.

J’esquisse un sourire.

– D’accord… Vous pouvez m’appeler Jane.– Avec plaisir, miss Jane.

Oh, maman ! Même sa manière de prononcer mon nom est indécente. D’ailleurs, tous les gestes decet homme sont classés X… À commencer par la manière sensuelle dont il hume le merlot qu’il acommandé pour nous. Il a en effet eu le tact de ne pas choisir ses propres bouteilles. Je le regardependant qu’il absorbe une première gorgée. Mon petit doigt me dit que cet homme ne doit pascommettre souvent des fautes de goût.

– Vous semblez tendue.– Non… Je…

Je suis prise de court par l’attaque frontale. Il tend alors le bras en travers de la nappe damasséeet couvre mes doigts de sa paume, en un geste bienveillant, intime.

– Je ne suis pas votre ennemi. Votre terrain m’intéresse, voilà tout. Je ne devrais pas vous le diremais c’est vous qui avez les cartes en main.

N’est-ce pas précisément les mots que j’avais besoin d’entendre ? Face à son sourire franc et ses

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yeux sincères, j’ai honte de ma méfiance à son égard. À ma décharge, je me méfie des hommes engénéral… Surtout quand ils me plaisent. Pardon. Quand ils me font fondre comme la calotte glaciaire.D’ailleurs, c’est la première fois que j’éprouve une telle attirance. Le serveur nous apporte nos hors-d’œuvre et rapidement, la conversation roule à propos de nos grands-parents. En négociateur aguerri,Anthony n’entre pas directement dans le vif du sujet.

– Vous n’êtes pas mariée, Jane ?– Non… Pourquoi ? Vous comptez me faire une proposition indécente ?

Jamais je ne me serai cru capable de dire un truc pareil mais cet homme me donne de l’aplomb, del’audace. Son rire grave me répond. À nouveau, j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose entrenous. Et à en croire le regard dont il caresse mes épaules nues, je ne me fais pas de film. Le désircrépite, il est bien réel. Anthony se mordille la lèvre inférieure alors que je l’observe sous mespaupières mi-closes, féline. Je me découvre des talents de charmeuse inconnus.

– Pour racheter votre ferme, je serai prêt à tous les sacrifices…

Nos prunelles s’accrochent, noires pour lui, or pour moi. Un ciel d’orage zébré d’éclairs.Explosif.

– … même les plus agréables, ajoute-t-il avec un sourire plein de promesses.

Au feu !

– Je me faisais une réflexion hier matin. Vous rendez-vous compte que nos grands-parents se sontrecasés avant nous ?

Cette fois, impossible de ne pas rire.

– Ne m’en parlez pas ! J’en suis mortifiée. Touchée, émue, ravie et…– … mortifié, complète-t-il avec une œillade entendue.

Rapidement, il m’interroge sur la rencontre de Serenity et John. Parce qu’il n’était guère auxpremières loges, je lui raconte les débuts de cette relation amoureuse hors norme. En fait, ma grand-mère était en train de voler une grappe de raisin quand le maître de chai l’a surprise…

– Trois mois… Vous ne trouvez pas ce délai un peu précipité pour un mariage ?– Un peu, si. Pour ma part, je ne m’engagerai pas si rapidement avec un homme.– Nous sommes d’accord.

Alors pourquoi l’air flambe autour de nous ? Je ne peux m’empêcher d’observer ses lèvrescharnues à chaque fois qu’il absorbe une gorgée de vin ou porte sa fourchette à sa bouche. Luidétaille sans cesse mes yeux, mes épaules, ma poitrine tendue sous le tissu noir de ma robe. Uneseconde, j’ai envie de m’éventer avec le menu.

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– Serenity n’est pas le genre de femme à courir vers l’autel. En fait, elle n’aime pas l’institution dumariage. Elle trouve ça trop bourgeois.

– Vraiment ? s’étonne Anthony.– John lui a demandé deux fois sa main avant qu’elle n’accepte. Elle a toujours eu peur de se

ranger, de renier sa liberté… Mais elle a cédé pour John. C’est un homme bien même si parfois vieuxjeu.

– Une description qui lui va comme un gant.– Il estime qu’à quatre-vingts ans, il a passé l’âge d’attendre. Il veut profiter de chaque seconde

auprès de ma grand-mère même si elle reste farouchement indépendante.– Intéressant.

Anthony hoche la tête et il attend le dessert pour évoquer ses intentions.

– Et si nous passions aux choses sérieuses ? me demande-t-il pendant que le serveur pose devantmoi une somptueuse pâtisserie aux trois chocolats saupoudrée de fèves de guanaja et d’un nuage dechantilly.

– Vous tentez de m’acheter avec du chocolat !– Et ça marche ?– Complètement !

Nos pieds se rencontrent par mégarde sous la table. Anthony retire aussitôt sa jambe, prêt às’excuser quand je pose mes orteils nus sur son mocassin. Je viens de retirer mes sandales à talon etje caresse furtivement son pied, sa cheville. Nos regards, eux, s’accrochent. C’est magnétique. Jeveux cet homme. De toutes mes forces. J’en ai le sang qui palpite à mes tempes. Lui déglutit si fortque sa pomme d’Adam monte et descend dans sa gorge. Je retire alors mon pied.

Qu’est-ce que je fabrique ?

– Vous cherchez à me déstabiliser ? Parce que vous êtes une habile négociatrice, Jane…– Vous en doutiez ? fais-je, scotchée par ma propre audace.

Anthony sourit, visiblement séduit. Et il se met aussitôt à mon diapason, se penchant un peu au-dessus de la table, de sorte que nos visages se rapprochent. Je dois presque me retenir de l’attraperpar le col pour lui rouler une pelle.

– Vos armes sont plus redoutables que les miennes.

Sa voix n’est qu’un souffle, rauque et envoûtant. D’abord, je me tais. Puis, je le détaillelonguement, non sans me repaître de ses yeux de braise, sa bouche charnue et son sourire de loup.

– J’en doute… dis-je enfin. Mais je suis de taille à me défendre.– Je vous crois sans peine.

Oh my God ! C’est tellement érotique !

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Jamais je n’aurais pensé que les affaires pouvaient être si torrides.

– Jane… Je veux votre domaine.

Dans sa bouche, ces mots semblent chargés d’une incroyable tension sexuelle. Sans me lâcher desyeux, il m’explique alors son grand projet : agrandir son domaine, se lancer dans la production de vinblanc… Je l’écoute avec attention pas seulement par politesse mais parce qu’il sait être passionnantquand il raconte son métier.

– Tous vos voisins ont accepté de me vendre leur terrain.– Le prix proposé est très attractif…– Mais ?– Mais ce n’est pas une question d’argent. Cette ferme appartient à ma famille depuis longtemps et

je m’y sens chez moi. C’est là que je me suis reconstruite après une période difficile. J’y cultive laterre, j’y restaure des meubles et mes affaires commencent à marcher. Je ne veux pas m’en séparermaintenant.

Sans parler du fait qu’un déménagement bouleversait ma petite Eva. Mais cela, il n’a pas besoinde le savoir.

– Alors c’est non ?– C’est non.

Ma voix est ferme. Soudain, Anthony tend le bras et effleure le coin de mes lèvres. Un geste d’unelenteur délibérée, d’une sensualité troublante. Ses doigts caressent ma peau, me donnant un longfrisson. Il retire quelque chose, puis tamponne ma joue avec sa serviette.

– Oh, je…– Vous aviez une petite pépite de chocolat.

Tout en me fixant droit dans les yeux, il croque la fève sucrée, la faisant fondre et rouler sous salangue.

Le chocolat intègre instantanément le top de mes fantasmes.

Après avoir réglé l’addition avec discrétion, Anthony me reconduit à l’ascenseur pour gagner letoit du restaurant. Son hélicoptère nous attend avec sa forme sombre éclairée par les spots disséminésaux quatre coins de la piste. À peine suis-je sortie sur le toit qu’un vent frais soulève ma robe, faisantdanser les voiles de mousseline noire. Sa main dans la mienne, Anthony m’invite à le suivre versl’appareil. Il n’y a plus personne. Il vient de congédier le groom chargé de notre escorte.

Lui. Moi. La nuit.

– Jane ?

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Sa voix est si heurtée que je retiens ma respiration. Il s’arrête au milieu du toit avant de tournervers moi son regard d’un noir tourmenté.

– Oui ?– Je n’aime pas qu’on me dise non, chuchote-t-il.

Il se rapproche de moi, faisant un pas dans ma direction, de sorte que son torse effleure mapoitrine. Mon pouls s’affole. À nouveau, son parfum m’enivre, sa chaleur m’enveloppe. Je devine sesmuscles durs sous sa chemise. J’avale ma salive avec peine :

– En ce moment, je n’ai aucune envie de vous dire non.

Anthony ne sourit pas, ne dit rien. Mon aveu flotte entre nous. J’aperçois l’étincelle dans sonregard qui met le feu aux poudres. Ce n’est ni réfléchi, ni prémédité. Tels deux aimants, nousfranchissons les derniers centimètres qui nous séparent. Nos bouches se trouvent, se prennent avecvoracité. Mon cœur cogne à toute allure, lancé au galop. Je sens les bras puissants d’Anthonym’envelopper alors qu’il me serre contre lui. Dans un gémissement sourd, je m’abandonne contre sapoitrine, vaincue.

Ses lèvres prennent possession des miennes, autoritaires, exigeantes, expertes. À la fois douces etaffamées, elles me caressent puis se détachent pour mieux revenir à l’assaut. Son goût m’envahit aumoment où sa langue se glisse en moi, impérieuse. Sans m’en rendre compte, je me cramponne à sachemise, froissant le luxueux tissu entre mes doigts. Je m’arrime à lui, lui rendant son baiser avecpassion. Sa salive a un goût d’alcool, un goût de vertige. Je perds pied, je perds prise. Je n’ai plusaucun repère tandis que nos corps s’accolent dans les ténèbres, caressés par le vent.

Notre baiser se prolonge. Magique. Vital. Intense.

Jusqu’à ce qu’il se détache lentement de moi. J’ai chaud partout. Peut-être parce que Mister Feverme regarde avec un désir brûlant ? Nous avons tous les deux la fièvre. Et d’une voix rauque, ilmurmure :

– Je vais vous ramener. Ce sera plus… prudent.

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5. L'œil de la tempête

Un joyeux babillage s’élève dans mon atelier, un fond sonore de voix et de rires qui égayent mamatinée. Samantha et Hope, les deux amies de ma grand-mère, sont venues me rendre visite enl’absence de Serenity. Et elles n’en ratent pas une.

– On veut tout savoir !– Il n’y a rien à dire.– Tu nous dois bien ça en échange de la garde d’Eva…– Je croyais que c’était gratuit, dis-je, moqueuse.

Les deux vieilles dames se mettent à piailler, ravies par ce rebondissement inattendu dans mamorne vie. Ni l’une ni l’autre ne croit à mon histoire de rendez-vous professionnel avec Anthony.C’est pourtant la vérité. Enfin, en partie. La tête baissée, j’essaie de ne pas penser à la fin de lasoirée. Que s’est-il passé au juste ? Je revis notre baiser enfiévré et j’effleure mes lèvres dansl’espoir d’y trouver la trace de sa bouche. Je ne peux pas nier le désir entre nous. Mais de là à parlerd’un tête-à-tête galant… Non ! C’était une entrevue professionnelle et neutre.

À qui je veux faire croire ça, sérieusement ?

– Arrêtez de m’enquiquiner, les craquantes ! dis-je, en référence à la série télé.

Parce que j’ai parfois l’impression de vivre moi aussi entourée de vieilles dames impossibles.

– Tu vois…, souffle Samantha en donnant un coup de coude à sa copine. Elle a des choses àcacher.

– Vous vous trompez. Anthony souhaitait seulement me parler du rachat de ma propriété. J’aid’ailleurs refusé son offre.

– Nous ne sommes pas nées de la dernière pluie, intervient Hope, taquine. Tu sais que tu rougisquand tu parles de lui ?

– Quoi ?

Me retournant vivement, je croise mon reflet dans le miroir sur pied situé à l’autre extrémité del’atelier. Et le pire c’est que Hope a raison !

– On verra quand tu auras notre âge, ma mignonne ! rajoute Hope. Toi aussi tu vivras la vie desautres par procuration.

Pendant ce temps, les grands yeux de Samantha papillonnent innocemment derrière ses lunettes àtriple foyer. Comment vais-je tenir le coup avec ces deux mamies sur le dos ? Sans parler d’Eva quime lance des regards lourds de sens depuis sa chaise. C’est comme si elle lisait clairement dans monjeu. Pour la peine, je peins les pieds du fauteuil d’un grand coup de pinceau rageur et le bois prend

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une belle teinte rouge vif.

– Hope a raison. Ta vie sentimentale nous passionne.– Quelle vie sentimentale ? Je vis dans un no sex land depuis des mois !

Pile à cet instant, des coups toqués à la porte se font entendre et je redresse la tête. Le visaged’Anthony apparaît derrière les petits carreaux en verre du battant. Et je devine son sourire pour nepas dire son fou rire contenu. À mon avis, il a clairement entendu mes dernières paroles.

Prenez un fusil et abattez-moi.

– Anthony ?

Je manque de m’étrangler, morte de honte. Je me lève d’un bond, tel un vieux jouet mécanique.Dans mon dos, les deux mamies gloussent et font des messes basses dignes de deux collégiennes.C’est à peine si elles ne font pas mine de tomber dans les pommes quand j’ouvre à Mister Fever.Cela dit, je les comprends. Il est canon dans son jean noir et son polo sombre.

– J’ai téléphoné…, s’excuse-t-il.– Je n’ai sûrement pas entendu…

Nous restons plantés l’un face à l’autre. Lui ne semble pas gêné, contrairement à moi qui rêve derentrer sous terre. En fait, il semble à la fois amusé et décontenancé. Le pauvre n’a sans doute passouvent eu l’occasion de croiser une grand-mère en jogging rose fluo et une autre en jupe à volants.Avec un soupir, je me résous à lui présenter les deux spécimens.

– Hope Warwick et Samantha Stone, deux amies de ma grand-mère. Ce sont aussi ses colocataires.– Bonjour bel inconnu ! lance Hope d’une voix qui rappelle le téléphone rose.

Fusil, revolver, grenade. Je prends tout.

– Mesdames, s’incline Anthony. Je suis enchanté de vous rencontrer.

Avant que la situation ne dégénère, je l’attire dehors en vitesse. Les craquantes seraient biencapables de le questionner sur notre soirée. L’attrapant par le coude, et recevant du même coup unepetite décharge électrique, je l’entraîne dans le jardin et referme la porte de l’atelier dans notre dos.

– Je suis désolé, Jane. Je ne voulais pas vous déranger.– Ce n’est rien.– De toute manière, je ne reste pas longtemps. Je venais simplement vous rapporter ceci.

Ouvrant la main, il laisse tomber mon bracelet en citrine au creux de ma paume.

– Vous l’avez perdu dans l’hélicoptère. Un employé l’a retrouvé ce matin.

Il me sourit gentiment. Puis, avec un signe de tête, il prend congé et rejoint sa moto. Sans trop

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savoir pourquoi, ma poitrine se gonfle de déception. Qu’attendais-je, au juste ? Qu’il m’embrassepassionnément ? Qu’il évoque notre étreinte ? Qu’il m’invite à nouveau ? Quelle idiote ! Ce baiser nesignifiait rien, ni pour lui, ni pour moi. Ce n’était qu’un petit bisou donné dans le feu de l’action.

Un petit baiser brûlant. Intense. Charnel.

Me tournant lentement vers l’atelier après le départ d’Anthony, je découvre les visages deSamantha et Hope collés à la vitre.

– Je rêve ou vous m’espionniez ?– Non, tu ne rêves pas.– Vilaine cachottière ! Tu as oublié de nous préciser que cet homme, c’est de la dynamite !– Hope ! Plus personne ne parle comme ça depuis… 1850 !

La vieille dame hausse les épaules. Moi, j’étouffe un fou rire en rejoignant mon fauteuil et mesoutils. Quant à Eva, elle suit notre échange d’un regard intéressé. Pauvre enfant, nous allons latraumatiser. Voilà comment on finit sur le divan d’un psy à l’âge adulte !

– Il est superbe. C’est tout ce que je voulais dire.– Je n’ai jamais prétendu le contraire.– Oh ! On pourrait peut-être lui préparer un philtre d’amour ? s’écrie soudain Samantha. Qu’est-ce

que tu en dis, Jane ?– J’en dis que vous allez ficher le camp, les craquantes ! Et vite !

***

Une fois seule dans l’atelier, je réalise que je n’ai pas eu le temps de remercier Anthony. Il estparti trop vite et je n’étais pas très à l’aise avec mes deux commères dans les pattes. Saisissant monportable, je retrouve son numéro dans mon journal d’appels. Cette fois, il ne répond pas et je tombesur son répondeur.

Grrr… Je déteste ces machines !

Il n’empêche que sa voix est hyper sexy sur le message d’accueil. Je soupire alors qu’un long «bip » me vrille dans les oreilles. Misère ! C’est à moi de parler ! Que suis-je censée dire au mec leplus torride de la planète après un baiser ?

– Allô, Anthony…

Brillant. Puissant. Novateur.

– Je voulais vous remercier pour le bracelet.

Quand soudain, l’évidence me frappe de plein fouet. Anthony Roy m’a rapporté ce bijou enpersonne ! Il aurait pu envoyer un messager, comme pour la robe… Mais non ! Il est venu chez moi

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himself. À nouveau, l’usine à fantasmes se remet en route. Alors je prends ma voix la plus sensuelle,décidée à m’amuser un peu. Pourquoi ne pas continuer notre innocent flirt de la veille ? Celan’engage à rien.

– Merci aussi pour le baiser d’hier soir. J’ai trouvé plus agréable de vous dire « oui » que « non».

Et je raccroche. On verra bien. Peut-être ne répondra-t-il jamais à mon message ? Un hommepareil, riche de plusieurs millions et beau comme un dieu, doit avoir toutes les femmes de la planèteà ses pieds.

Arrête de te faire des idées, Jane Sullivan !

Je reprends mon boulot, absorbée par la restauration du fauteuil rouge. Pour cette pièce, j’ai mariéun bois carmin, poncé et verni, à un tissu violet égayé et résolument moderne. Je fourmille d’idées. Jem’éclate avec le mobilier de mes clients. Régulièrement, je m’assure qu’Eva ne manque de rien :biberons, couches et le plus essentiel de tout, les câlins. Au bout d’une heure, une discrète sonnerieretentit au fond de ma poche.

[Tout le plaisir était pour moi, miss Jane. Votre bouche est faite pour dire « oui ». Et pour biend’autres choses…]

Hiiiiiii !

C’était moi ce cri idiot ? Me trémoussant, je renverse par mégarde mon thermos de café. Et zut !Cela dit, je m’en moque pas mal. Je viens de recevoir un SMS bouillant d’Anthony Roy. Je m’éventeavec la main. Des images interdites aux moins de dix-huit ans défilent dans ma tête. Très bien MisterFever. À nous deux. Le sourire aux lèvres, je tapote à toute allure :

[Qu’avez-vous en tête, monsieur Roy ? Une nouvelle proposition indécente ?]

Après expédition, j’éponge la grosse tache de café sur le sol et reprends mon tapissage. Dixminutes plus tard, mon téléphone vibre à nouveau. Je me jette littéralement dessus.

Pressée, moi ? À peine…

[Je suis démasqué. Mais c’est votre faute, votre bouche m’obsède. Sortez de ma tête, miss Jane !]

Cette fois, je pousse un soupir rêveur. Est-ce qu’il flirte vraiment avec moi ? Je glousse commeune de mes poules.

[Est-ce un ordre, monsieur Roy ? Parce que je n’ai pas l’habitude d’obéir…]

La réponse me parvient instantanément.

[Ne pourriez-vous pas faire une exception ? Pensez-y pendant ma réunion.]

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Je soupire à nouveau même si sa réunion met un terme à notre petit jeu. Au bout d’une heure, jesors arroser les plantes. Eva est lovée contre moi dans son porte-bébé. Je vérifie malgré tout mamessagerie une bonne douzaine (ou cinquantaine…) de fois. En vain. J’enchaîne les bêtises, piétinemes courgettes et fiche la trouille à mes cocottes lors de la réception d’un SMS… de ma grand-mère.Je dois arrêter de penser à cet homme. De toute façon, il n’est pas pour moi.

Redescends sur terre, Jane !

***

Au volant de ma camionnette, je longe prudemment le bas-côté de la route tandis que mes essuie-glaces projettent des trombes d’eau sur les côtés. Depuis mon départ de Monterey, une pluiediluvienne s’abat sur la campagne et des grêlons gros comme des balles de golf rebondissent sur lepare-brise. Je roule au ralenti, les phares allumés. Par chance, je ne croise aucun véhicule sur lechemin du retour. Qui se risquerait dehors par ce temps ? Qui, en dehors de moi ? Pour me rassurer,j’allume l’autoradio mais ne capte que d’inquiétants grésillements.

– Merde !

Il y a de la friture sur toutes les stations. J’éteins, intimidée par le décor d’apocalypse autour demoi. Avançant à trente à l’heure, je me console en pensant à Eva, à l’abri avec Samantha et Hope. Lesamies de ma grand-mère ont accepté de veiller sur ma puce pendant que je livre à mes clients leursmeubles restaurés.

Un lent sourire étire mes lèvres malgré les hurlements de la bise… J’effleure le cristal rose penduà mon cou. Peut-être porte-t-il vraiment chance ? Madame Johnson a semblé ravie par son nouveaufauteuil et m’a confié deux nouveaux sièges. Je les transporte d’ailleurs à l’arrière de mon fourgon,solidement attachés pour éviter les secousses. Par ce temps, je ne peux éviter aucun pied-de-poule !

En plus, j’ai la tête ailleurs à force de rêvasser à Anthony Roy. Depuis notre échange par SMShier, il occupe mes pensées. À l’aube, je me suis même réveillée en nage après une séquence torridesur une plage de sable blanc. Il y avait des cocotiers, son torse musclé, l’océan turquoise, son torsemusclé, un soleil brûlant… Ai-je parlé de son torse musclé ?

Ça fait vraiment trop longtemps que je n’ai pas fait l’amour.

Je tripote mon collier en abordant un tournant. Suis-je encore loin de la ferme ? Je lutte contre leséléments à grands coups d’essuie-glaces quand un gargouillis bizarre s’échappe de la voiture. Pourune fois, ce n’est pas mon estomac !

– Qu’est-ce que…

Une bruyante pétarade explose sous mon capot et mes phalanges blanchissent sur mon volant. D’unrevers de la main, je tente de voir quelque chose à travers la vitre. J’aperçois une discrète fumée qui

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s’échappe de mon moteur.

Euh…

La vieille mécanique tousse, crache… et s’arrête. Comme ça. Par surprise. Je reste immobile etincrédule. Mon tacot vient de me lâcher en rase campagne et en pleine tempête. Je tourne la clé decontact à dix reprises mais c’est sans succès. Dans le ciel, un éclair jaune zèbre le ciel. Ce n’est pastrès rassurant. Je frissonne dans ma chemise à carreaux et mon jean. Bien entendu, mon portable n’aplus de batterie. Je fixe l’appareil abandonné sur le siège passager avec mépris. Que faire ? Sortirsous ce déluge ? À la place, je m’empare de mon cristal et me mets à prier le grand esprit de lanature.

– Ramène le soleil ! Ramène le soleil… !

Bizarrement, ça ne marche pas du tout. Le tonnerre gronde et les grêlons fracassent ma carlingue.Par chance, je parviens à déporter mon véhicule près du fossé avant de serrer le frein à main. Oùsuis-je exactement ? Je colle mon nez à la vitre. Les yeux plissés, je discerne des pieds de vignenoueux à perte de vue mais pas âme qui vive. Rien, personne, nulle part.

Bon, surtout ne pas paniquer et ne pas penser à la foudre. Ou à un tueur psychopathe quirôderait avec une hache.

Détachant ma ceinture, je distingue une forme à l’horizon, comme une grande bâtisse. Je n’en voisque les contours mais l’édifice semble grand, avec un corps central et deux ailes. Je me mords leslèvres. Ne serait-ce pas le manoir des Roy ? À la lueur d’un éclair, il apparaît un instant avec sesdizaines de hautes fenêtres crénelées.

Dois-je courir un cent mètres sous la pluie battante ? Et est-ce que quelqu’un m’ouvrira ? J’ignoresi John se trouve chez lui… J’hésite une seconde puis klaxonne à tout hasard. Peut-être qu’unemployé m’entendra. Je ne m’imagine pas passer la nuit dans cette affreuse carlingue et sansnouvelles de ma fille…

– C’est pas vrai ! je fulmine.

Soudain, une forme se découpe sur la route. Je presse plus fort le klaxon pour interpeller lasilhouette.

Pourvu que ce ne soit pas un loup-garou ou un vampire.

Sauf s’il ressemble à Ian Somerhalder ! Là c’est OK, il peut venir. Bientôt, je discernel’imposante carrure d’un homme. À mesure qu’il approche, je vois ses cheveux noirs et mi-longs,agités par le vent sous un grand parapluie. Il court vers mon fourgon, envoyant de grosseséclaboussures dans son sillage.

Anthony.

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– Vous avez besoin d’aide ?

Il crie pour dominer la tempête et tape doucement du poing contre la vitre. Mon estomac se noue.

Lui. Il a fallu que je tombe sur lui.

Quelles étaient mes chances pour qu’il sorte en personne de sa vaste demeure ? Partagée entre unindicible soulagement et une tension nerveuse, j’ouvre ma portière et découvre mon voisin vêtu d’unjean, de bottes de motard noires et d’une veste doublée en mouton boutonnée jusqu’au cou.

– Jane ?

Surpris, il plisse les yeux, fouetté par la bise et la pluie qui s’abattent en rafale sur nous.

– Vous êtes tombée en panne ?– Je suis contente de vous voir Anthony. Ma guimbarde n’a pas tenu le coup. Cet orage, c’était

trop pour elle. Vous croyez qu’on peut appeler une dépanneuse ?– Par ce temps, n’y comptez pas trop ! Aucun garagiste ne mettra le nez dehors.

Il m’adresse un sourire en coin. D’un coup, j’ai nettement moins froid.

– Tout ce que je peux vous proposer, c’est d’entrer à l’intérieur en attendant que la tempête secalme.

– Je… Ce ne serait pas de refus.

Me prenant la main, il m’aide à descendre en utilisant le haut marchepied sans cesser de tendre leparapluie au-dessus de nos têtes.

– Attendez ! Vous allez mourir de froid dans cette tenue ! s’exclame-t-il.

Retirant sa veste, il la pose sur mes épaules sans me laisser le temps de protester. Je me retrouveenveloppée dans le blouson fourré et imprégné de son parfum viril.

Mmm… Délicieux.

J’en ai des palpitations. Surtout quand j’aperçois ses muscles durs sous sa chemise trempée. Moncœur a de sérieux ratés.

Il ne fait pas si froid dans le fond…

– Merci.– Vous êtes prête à piquer un sprint, miss Jane ?– Et comment ! Je parie que je peux vous battre à plate couture.

Nous échangeons un regard de compétiteurs, aussi amusés l’un que l’autre. D’un geste vif, Anthonyattrape ma main, sans doute pour m’aider à courir. Puis, nous nous élançons en direction du manoir,

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indifférents aux grandes flaques qui s’ouvrent sous nos pas, aux hurlements du vent, aux crépitementsde la foudre et à la pluie diluvienne…

***

À bout de souffle, je pénètre à la suite d’Anthony dans l’aile est du vaste édifice. Abandonnant leparapluie sous le porche, il referme la porte et m’aide à retirer sa veste, un bras après l’autre. Aucontact de ses doigts, je tressaille. Nous sommes tous les deux dans un grand vestibule plongé dans lenoir.

– Vous n’allumez pas la lumière ? je demande, étonnée.– L’électricité a été coupée. Elle a sauté peu avant que vous ne commenciez à klaxonner.

Anthony se gratte la tête, ses doigts remuent dans ses boucles noires où je meurs d’envie d’enfouirmes mains depuis notre premier face-à-face.

– Je vais essayer de relancer le générateur dans la cave.

J’acquiesce vigoureusement, emballée par l’idée. Puis je jette un œil au décor. Mangés par lesombres, les meubles ressemblent à des formes étranges, confuses et angoissantes. Tendue, j’emboîtele pas de mon hôte tandis qu’il traverse l’entrée, récupérant au passage une lampe de poche dans untiroir. Un mince faisceau lumineux éclaire aussitôt son chemin. Ou plutôt, notre chemin car je ne lequitte pas d’une semelle. En ouvrant la porte du sous-sol, il se tourne vers moi :

– Vous avez peur du noir ?– Non, pas du tout.– Alors pourquoi me tenez-vous par la ceinture ?

Ah ? Je fais ça ?

Il se peut en effet que j’aie glissé mes doigts dans les encoches de son jean. Je le lâche sur-le-champ tandis qu’il me sourit. Même si nous sommes dans la pénombre, je vois l’éclat de ses dentsblanches et de ses yeux sombres, pleins de malice.

– Vous pouvez m’attendre au salon, au chaud, devant la cheminée.– Vous plaisantez ? fais-je d’une voix trop aiguë.

Puis, me reprenant :

– Je suis sûre que vous n’arriverez pas à vous débrouiller sans moi en bas.

Il ne dit rien mais son sourire s’agrandit.

– Vous avez raison. Je risque d’avoir besoin d’aide, venez avec moi.

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Un quart d’heure plus tard, l’électricité est revenue dans toute la maison mais Anthony a seulementallumé deux petites lampes dans le vaste salon où nous nous sommes réfugiés. L’atmosphère estintime. Roulée en boule sur le tapis, devant le feu qui crépite dans l’immense cheminée, je meréchauffe peu à peu. J’ai même pu m’isoler un instant pour téléphoner à Samantha et lui expliquer lasituation. Impossible de rentrer à la maison par ce temps. La vieille dame m’a réconfortée,m’assurant qu’elle garderait Eva jusqu’à demain matin.

– C’est un miracle que vous m’ayez entendue, dis-je sans quitter des yeux les flammes orangéesqui dansent dans l’âtre.

Deux verres de vin à la main, Anthony me rejoint et s’assoit sur le tapis. À mes côtés, il me tend lebreuvage d’une belle robe dorée.

– Je travaillais dans mon bureau qui donne sur les vignes et j’ai cru entendre un moteur pétarader,puis s’arrêter.

Il me contemple intensément au moment où j’avale une première gorgée.

– Que pensez-vous de ce vin ? me demande-t-il à brûle-pourpoint.

Un peu surprise par son ton pressant, je passe ma langue sur mes lèvres, attirant inévitablementson regard d’ébène sur ma bouche. J’ai encore le goût fruité, doux et velouté de l’alcool dans lagorge.

– Je n’y connais rien.– Votre avis m’intéresse.– C’est un vin… élégant. Je dirais même sensuel. À la fois boisé et doux. Je suis désolée, je ne

sais pas comment le décrire.– Vous y arrivez très bien, pourtant.

Nos visages sont très proches et seul le crépitement du feu trouble le long silence qui suit. Anthonym’explique alors qu’il s’agit de sa première cuvée de vin blanc, mise en fût quelques années plus tôt.

– Et vous m’offrez le privilège de goûter votre grand cru ? Je suis flattée.

À son tour, il fixe la cheminée en souriant distraitement. Les flammes illuminent son profil parfaitd’une lueur rougeoyante, soulignant ses épais sourcils, ses longs cils noirs, sa bouche charnue et samâchoire virile… Soit le vin me fait tourner la tête, soit c’est lui. Je pose mon verre sur le parquet debois pour éviter de ruiner le tapis. Je peux me montrer très maladroite quand je suis nerveuse.J’éprouve le besoin de combler le silence lorsque nos épaules se frôlent.

– Ces vignes appartiennent depuis longtemps à votre famille ?

Anthony met quelques instants à répondre, comme s’il choisissait soigneusement ses mots ouressassait de vieux souvenirs. Je ne peux m’empêcher de le dévorer du regard en espérant qu’il ne

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s’en rende pas trop compte !

En mode furtif.

– C’est mon arrière-grand-père qui a acquis ces terres sur la côte californienne pour une bouchéede pain. Puis son fils, John, en a hérité. À l’époque, ma famille produisait un champagne de bonnequalité mais sans parvenir à se démarquer des autres viticulteurs…

– Jusqu’à votre arrivée.

Il sourit faiblement.

– C’est un monde très dur où la compétition s’avère féroce. Nous sommes nombreux sur lemarché. J’ai longtemps étudié la communication et le marketing à l’université afin de rajeunir notreimage.

Comme tout le monde, je songe à la fameuse publicité du champagne Trinity qui avait envahi lapresse trois ou quatre ans plus tôt. C’était une campagne destinée aux femmes et aux jeunes : elleprésentait trois petites bouteilles de vins pétillants, vendues dans un coffret tapissé de velours, tel unécrin. Ma mère m’en avait offert un à mon anniversaire. La publicité a été un véritable triomphe,même en-dehors des États-Unis.

– Votre père devait être fier de vous, dis-je avec une pointe d’admiration.

Je connais un peu le passé de mon voisin par son grand-père. Mais je ne sais pas grand-chose,seulement des bribes car John n’est pas du genre à raconter la vie des autres. Je sais seulement queCharles Roy, le père d’Anthony, est décédé huit ans plus tôt d’une crise cardiaque. Étrangement, sonfils ne sourit pas. Il a un rictus au coin des lèvres.

– Mon père était un homme… particulier.

Sa voix tendue ne laisse planer aucun doute. Le sujet est sensible et nous marchons sur des œufs.

Attention : terrain miné.

– J’ai une sœur aînée, Erin, qui ne s’est jamais passionnée pour le monde du vin. Par conséquent,mon père m’a vite considéré comme son unique héritier. En général, il se montrait très exigeant. Iln’admettait pas que ses proches ne répondent pas à ses désirs, à son cahier des charges. Par exemple,je pense qu’il se serait farouchement opposé aux changements que j’ai opérés au sein de la société,notamment en m’adressant à un large public plutôt qu’à une poignée d’initiés.

– Pourtant, vos choix ont été couronnés de succès.

Anthony part dans un petit rire sans joie.

– Là n’est pas la question. Croyez-moi, le succès n’aurait pas pesé lourd dans la balance. CharlesRoy n’était pas homme à tolérer la désobéissance de ses amis, de ses collaborateurs… et encore

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moins de son fils !– Je vois ce que vous voulez dire. Nos pères ont certains points communs.

Tournant la tête dans ma direction, Anthony me décoche un regard aigu. Il ignore encore que jepossède un doctorat en pères tyranniques.

– Vous voulez en parler ?– Mon père est conseiller dans une banque d’investissement privée new-yorkaise. Quant à ma

mère, elle est le prototype de la femme au foyer riche et oisive. Nous formions une famillebourgeoise idéale et mes parents me destinaient à de hautes études commerciales. Si possible suiviesd’un beau mariage qui les aurait rendues inutiles…

Mon compagnon sourit tandis que je me soustrais à son regard d’ébène, trop intense, trop profond.Je préfère fixer les flammes et me perdre dans leur danse folle. J’ignore pourquoi je me confie sifacilement à cet homme… Mais les mots sortent tout seul. Peut-être est-ce à cause de la tempête quisouffle dehors ? Peut-être est-ce le feu de cheminée qui meuble nos silences ? À moins que ce ne soitsa présence, son corps tiède, rassurant et fort tout proche du mien ?

– Je les ai beaucoup déçus dernièrement.– Parce que vous avez choisi une vie différente ?– Oui, sans doute. Et l’existence que je suis en train de me bâtir ne leur plaît pas.

Alors que je me tourne vers lui, Anthony en profite pour plonger ses yeux dans les miens. Pendantce temps, les bûches s’effondrent dans l’âtre, faisant voleter une myriade d’étincelles. Nos regardss’accrochent sans se lâcher. Un instant, j’ai l’impression que je ne pourrai plus jamais me soustraireà l’emprise magnétique de cet homme. Il se passe quelque chose entre nous, comme sur la route, à laferme ou au restaurant.

– Et elle vous plaît à vous ?– De plus en plus.

J’ai parlé d’un timbre enroué, comme si j’avais des maux de gorge. Je me demande alors siAnthony va se pencher vers moi pour m’embrasser.

– Votre bouche m’obsède, souffle-t-il sans la quitter des yeux. Nous ferions peut-être mieux d’allernous coucher avant que…

Il ne termine pas sa phrase, pas besoin. À la place, il se redresse et me tend la main pour m’aiderà me relever avant de jeter un coup d’œil à la pendule.

– Il est tard et la tempête risque de ne pas se calmer avant des heures. Puis-je vous proposer unechambre d’ami ?

– Merci.

Je suis tellement frustrée !

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***

Anthony me conduit en silence à travers les couloirs. Nous ne croisons personne car sans doute lepersonnel est-il déjà couché. Brièvement, il m’explique qu’il occupe cette aile durant ses séjoursdans les vignes. Son grand-père habite à l’année le corps principal. Puis il s’arrête devant une porteen bois du premier étage. Tournant la poignée, il frôle mon bras et m’électrise. Sans rien laisserparaître, je me concentre sur le luxueux décor : grand lit, commode ancienne, secrétaire Louis XV etdélicat papier fleuri.

– Bonne nuit, Jane.

Il se penche lentement vers moi et ses lèvres effleurent les miennes. C’est fugace comme une ailede papillon, une caresse éphémère. Je ferme les paupières. Et emportée par mon élan, je noue mesbras autour de son cou et m’arrime à lui. C’est plus fort que moi et mes bonnes résolutions partent enfumée.

Ne pas craquer, ne pas craquer, ne pas… quoi, déjà ?

Tant pis s’il cherche à acheter ma ferme. Tant pis si le mariage de nos grands-parents nous faitentrer dans la même famille. Tant pis si mon cœur n’est pas à prendre. Anthony pose les mains surmes hanches et sa bouche se fait plus audacieuse, presque impérieuse. Nos langues s’affrontent en unbaiser intense. Nous dérapons, dépassés par l’intensité de notre désir, un désir qui couve depuis desjours. J’entends mon cœur s’emballer. À moins que ce ne soit la respiration d’Anthony qui résonnedans le couloir, forte, douloureuse.

Et soudain… Stooop !

Je m’écarte brutalement. Aussi vite que je me suis jetée à sa tête.

– Je ne peux pas.

Anthony reste interdit, haletant, les mains sur ma taille. Dans ses yeux se consume un feu noir quime fait reculer.

– Ce ne serait pas raisonnable. Je suis désolée.

Je me précipite alors dans la chambre, l’abandonnant sur le palier. Le pauvre semblecomplètement déstabilisé. Il a encore les bras tendus en l’air au moment où je disparais. Hélas, je nepeux rien lui expliquer, ce serait trop risqué. Et trop personnel. Claquant la porte, je m’adosse aubattant, hors d’haleine et comme si j’avais échappé à un danger imminent. Je reste aux aguets jusqu’àentendre ses pas décroître. Anthony est parti. Alors seulement, mes muscles se relâchent, marespiration s’apaise.

La vérité c’est que j’ai la trouille parce que je n’ai pas eu de relations sexuelles depuis… euh…l’arrivée du Mayflower ? La dernière fois, j’étais encore avec Mark. C’est dire !

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Je suis rouillée, quoi.

Par-dessus tout, je redoute d’accorder ma confiance à un homme. Sans parler de mon apparencephysique… Prise de panique, je me précipite vers la ravissante salle de bains attenante et me soumetsà un examen impitoyable. Je secoue la tête, affolée. J’ai de gros cernes sous les yeux car Eva ne faitpas ses nuits. Sans parler de mon teint de papier mâché. Vous ai-je déjà parlé d’Eva ?

– Je ne ressemble à rien !

Dénouant ma longue queue de cheval, je répands ma crinière noire sur ma chemise de bûcheron.Passons sur mes fringues pourries, je faisais des livraisons de meubles alors j’ai une excuse. Envitesse, je retire mon jean et ma chemise pour m’inspecter à la loupe. Mes cuisses ? Trop grosses etcouvertes d’une fine et tenace cellulite. Autrefois, j’étais mince comme un fil.

Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine…

Me penchant en avant, j’examine mes mollets et pousse un long cri digne de Chewbacca.

– Mais je ressemble à un yeti !

Depuis combien de siècles ne me suis-je pas rasé les jambes ? Fofolle, je m’empare d’un rasoirjetable trouvé dans la petite armoire à pharmacie au-dessus du lavabo. Je monte illico dans labaignoire et vais retirer cette moquette. À grands coups de lame, j’ôte les poils en jachère. Dois-jerappeler que je suis jeune maman ? Et célibataire ? L’épilation ticket de métro ne fait plus partie demes priorités. Au passage, je rafraîchis mon maillot, assez satisfaite de cette retouche urgente. Jetermine mon sauvetage par une bonne douche chaude et me sèche.

J’ai retrouvé figure humaine. Enveloppée dans une serviette éponge moelleuse, je me dirige versl’armoire. Je n’ai aucun vêtement de nuit et je n’ai pas eu le temps d’en toucher mot à Anthony… Jerougis en fouillant le meuble où je débusque une chemise blanche d’homme. À qui appartient-elle ?Un fantôme ? En tout cas, elle fera l’affaire. Je l’enfile en vitesse et m’assois sur le bord du lit. Lapluie fracasse toujours les carreaux de la fenêtre, la tempête fait rage. Un instant, un éclair illumine lapièce, me donnant des frissons.

Je n’ai pas sommeil. Comment pourrais-je dormir au son des éclairs et de la foudre ? Et ensachant que Mister Fever est seulement à quelques mètres de moi ? Je me mordille les lèvres et merelève. Au même moment, on frappe à ma porte. Je me rapproche à pas lents. Avec le tonnerre, je nesuis pas certaine de…

– Jane ?

Je pose une main tremblante sur la poignée alors que la voix d’Anthony m’appelle, envoûtante.

– Jane, ouvrez-moi ! Je voudrais vous parler.

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Il semble profondément troublé.

– Je suis désolé si…

Il ne termine pas sa phrase et j’ouvre le battant d’un seul coup. Je le regarde. Et je sais. Je saisqu’avec lui, je peux m’abandonner. Là, tout de suite. Je peux avoir confiance. Je le devine au plusprofond de moi et je dois dépasser mes complexes. Sans réfléchir, je me jette à son cou, tel un bouletde canon. Au diable les hésitations ! Il n’a que le temps d’ouvrir les bras pour me réceptionner tandisque nos corps se retrouvent, fous de désir. Au même instant, la foudre s’abat sur un arbre dans lejardin. Nous n’y prêtons aucune attention. Cette nuit, c’est notre nuit.

Nos bouches se trouvent avec une passion brûlante, s’affrontant comme deux ennemies. Avecavidité, nos lèvres se caressent, se pressent et nos langues se joignent en un ballet aérien etimpétueux. Son goût enivrant emplit mon palais. C’est un mélange de vin fruité et de menthe qui mefait tourner la tête. Je perds pied, soudée à lui sur le seuil de la chambre. Je le goûte comme si j’étaisaffamée, incapable de me détacher de lui. Et il me répond avec la même ardeur, mordillant un instantma lèvre inférieure de ses dents avant de picorer les commissures de ma bouche d’une pluie de petitsbaisers. Mon cœur cogne à grands coups, je suis impatiente. Je sens le désir m’inonder et courir dansmes veines comme un sang neuf et bouillant.

Je ne peux pas lui résister.

À lui, à Anthony.

À cette force viscérale qui me pousse vers lui.

– Vous avez changé d’avis ? me demande-t-il, incapable de cacher sa surprise… et sa satisfaction.

Il ne me laisse pas le temps de répliquer car il étouffe ma réponse d’un nouveau baiser. Cette fois,il se montre moins avide, plus exigeant. Je devine pourtant l’urgence dans chacun de ses gestes. Luiaussi brûle de désir pour moi. Et je n’ai pas le temps de me poser la question de savoir pourquoi unhomme si séduisant et si puissant se tourne vers une femme normale et simple comme moi ? De sabouche experte, il me fait oublier mes interrogations inquiètes, mêlant nos salives en une explosionde sensations et de saveurs. Son baiser ressemble à une caresse profonde.

Quand il se détache de moi, nos regards se croisent. Je fonds face à ses prunelles d’un noir dejais, aussi sombres que le ciel orageux qui couvre la campagne et les vignes au-dehors. Je pourraisme perdre dans cette nuit, à jamais.

– Vous êtes sûre de vous ? fait-il d’une voix rendue rauque par l’excitation.– Oui.

Je ne reconnais pas non plus mon timbre de voix sorti d’une gorge nouée, trop serrée. Surtout, j’aiencore le vertige de nos baisers. J’ai l’impression de m’être approchée trop près du rebord d’unefalaise. Et je n’ai qu’un souhait : me jeter dans le vide. Parce que je peux voler. Avec lui, je sens des

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ailes me pousser et me porter. Mes yeux couleur de miel soutiennent son beau regard sans hésiter,sans louvoyer.

– Je le veux. Je te veux, toi.

Sincère. Franc. Sans fioriture. Comme moi. Anthony m’enveloppe de son regard de braise et j’aila sensation de prendre feu.

Combustion spontanée et directe.

Sans m’en rendre compte, je suis passée au tutoiement et Mister Fever m’emboîte le pas. J’enfrissonne avec la certitude de franchir un nouveau palier, un autre degré d’intimité.

– Je rêve de t’entendre prononcer ces mots depuis notre première rencontre...– Ah bon ?

Je semble si étonnée qu’il éclate d’un rire rauque sans me lâcher. Ses bras ceinturent maintenantma taille et nos bassins sont plaqués l’un contre l’autre. Impossible d’ignorer la force de son désirdans cette position. Je devine la bosse dure dans son jean qui frotte contre moi, qui attise mon enviede me jeter sur lui pour lui arracher ses vêtements. Grr… Il est en train de me transformer entigresse ! Jamais je n’ai éprouvé une telle flambée des sens pour un homme. Je me mue en torche sousses paumes tièdes qui se baladent dans mon dos, montant et descendant par-dessus l’étoffe de machemise blanche.

– Tu as l’air surprise. Tu es pourtant une femme incroyablement désirable.

J’en reste coite tandis qu’il se penche vers moi. Beaucoup plus grand, il me domine de sa largecarrure sans m’oppresser. Collé à moi pour ne rien laisser ignorer de son envie féroce, il promèneses lèvres sans m’embrasser, se contentant de m’effleurer. Sa bouche effleure mon front, ma tempe,ma pommette avant de venir jusqu’à mon oreille dont il mordille délicatement le lobe, me tirant untremblement de plaisir.

– Désirable, oui.

Sa bouche dépose un baiser chaud et humide au creux de mon cou.

– Excitante.

En même temps, ses mains caressent mes hanches rondes que j’ai toujours trouvées trop larges.Sauf que le souffle d’Anthony s’accélère comme s’il goûtait ces rondeurs et les trouvait inspirantes.Affolantes.

– Irrésistible, ajoute-t-il.

Sa respiration me chatouille, balayant mon décolleté. Ses cheveux noirs et mi-longs frôlent

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également mon épaule alors qu’il butine la base de mon cou, laissant un sillon de feu sur son passageet savourant chaque centimètre de ma peau du bout de sa langue.

– Surtout dans cette chemise…

D’une main, il remonte au niveau de l’encolure. Je n’ai pas fermé les deux premiers boutons et letissu baille jusqu’à la naissance de mes seins.

– Tu ne m’en veux pas de te l’avoir empruntée ?– Aucun inconvénient, miss Jane.

Agrippant mes hanches, il me repousse et m’adosse au cadre de bois de la porte avant de seperdre dans mes yeux.

– Tu as les yeux les plus extraordinaires que j’ai vus. Comme de l’or. Comme du champagne…

Je m’apprête à baisser la tête mais il pose deux doigts sous mon menton, me forçant à le regarderencore un peu. De mon côté, je n’ai jamais soutenu des yeux aussi expressifs et aussi brûlants que lessiens. Ce noir d’encre m’évoque du pétrole en flammes. Et fascinée, je n’arrive plus à m’en détacher.Quel est ce bruit près de nous ? Je n’identifie mon propre souffle, saccadé et court, qu’après uneseconde. Il remplit tout le couloir jusqu’à ce qu’Anthony m’embrasse passionnément, scellant notredésir. En parallèle, ses doigts aventureux s’introduisent sous l’étoffe de ma chemise dont ils écartentun pan.

Sa main. Sa main sur mon sein.

Mon pouls s’affole, mon cœur s’emballe. Je me mets à trembler, d’envie et de crainte, tandis queles doigts d’Anthony pincent délicatement l’une des pointes tendues sous le tissu. Puis, sa main sedéploie, entourant mon sein, caressant l’auréole veloutée, sans me quitter du regard.

– N’aie pas peur Jane. Pas de moi.

Et, encore plus bas :

– Pas de nous.

Je me force à sourire, à avaler ma salive tandis qu’une myriade de sensations m’emportent. Leplaisir se répand, tel un délicieux poison dans mes muscles, dans mon corps. Je n’arrive cependantpas à me détendre totalement, retenue par ces vieux complexes ancrés en moi. En homme fin etréellement viril, Anthony devine sans mal ma réserve. Et il se presse contre moi, faisant peser dansmes bras son merveilleux poids d’homme. J’aime son corps accolé, chaud et exigeant.

– Laisse-toi aller. Ne réfléchis pas.– C’est que…

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Je me mords les lèvres tandis qu’il m’écoute avec attention, sans cesser de caresser mes seins, detitiller mes tétons, de m’enivrer. Son parfum mâle et boisé crée une bulle autour de nous. Je perdspied alors que ma poitrine se gonfle de sève au gré de ses délicats pincements. Je voudrais qu’iln’arrête jamais. Et je secoue la tête de gauche à droite, appuyée au chambranle, comme si j’étais ivre.Bientôt, je ne serais plus capable de donner mon propre nom. Mon épiderme, lui, se couvre d’unefine chair de poule.

C’est si bon… Si bon…

– Ça fait longtemps que je n’ai pas… enfin tu vois…

Anthony sourit. Il a parfaitement compris. À mon grand soulagement, il ne se moque pas de moiparce qu’il m’écoute et me comprend. Reculant d’un pas, il écarte les bras et me soulève de terresans prévenir. Sous l’effet de la surprise, je pousse un petit cri aigu. Je ne m’y attendais pas ! Etaussitôt, je tente de lutter en battant des jambes. Non que je n’aime pas ses manières chevaleresques,mais j’ai peur d’être trop lourde. Bah oui ! Je me sens grosse. Pourtant, il me porte comme uneplume. À croire que je ne pèse rien pour cet homme masculin, sûr de lui… et fou de moi.

Je le lis dans ses yeux. J’y vois son désir sans frein et sans fard.

– Nous allons très vite remédier à cette situation, miss Jane !

Dans les rires étouffés, il franchit le seuil de la chambre, m’emportant comme une princesse.Traversant la pièce en trois enjambées, il me dépose sur le plaid blanc comme si j’étais un objetprécieux. Cela me touche profondément. Alors, s’asseyant sur le bord du lit, il commence àdéboutonner lentement ma chemise. Sans se presser. Sans me quitter des yeux. Moi, je reste allongéesur le dos, bouleversée par ses gestes. Ma gorge se serre au moment où il écarte lentement levêtement pour dévoiler ma peau nue. Et s’il me trouvait moche, dodue et repoussante ?

Sauf que non.

La lueur de désir se transforme en feu, en incendie. Anthony s’en mord la lèvre inférieure, medétaillant de son regard d’ébène et n’épargnant aucun recoin de ma peau. À en croire ses pupillesdilatées, il n’a jamais vu une femme plus belle de sa vie. En tout cas, moi, je ne me suis jamais sentieaussi attirante, aussi féminine. Au diable mes kilos en trop ! Ses grandes mains possessives se posentsur mes hanches, telles deux anses d’une jarre antique.

– Tu es superbe…

Ses doigts glissent vers ma taille fine et bien marquée, un de mes atouts. Puis, il caresse monventre, pas vraiment plat et doté d’un petit bourrelet qui me fait honte. Anthony, lui, ne semble guèredégoûté. En fait, il s’en délecte, caressant ma peau avec une sensualité exacerbée, grandissante.

– Une vraie femme… me souffle-t-il, émerveillé.

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Ses mains montent et descendent, dessinant ma silhouette en violoncelle.

– Toute en courbes et creux…

Je me mords les lèvres, hypnotisée par sa voix chaude, par ses caresses.

– Une déesse…

Quelque chose cède en moi. Le barrage de peur, de crainte et de honte est détruit par ces simplesmots. Je me mets à ronronner tandis qu’il s’attarde sur ma poitrine, soupesant mes seins ronds etfermes, les caressant avant de pencher la tête pour en gober l’une des pointes. Je soupire, comblée.Une première vague de plaisir monte en moi. Lui mordille délicatement mon téton. Sa langue laisseune trace fraîche et douce, vite chassée par la voluptueuse morsure de ses dents. Et soudain, je mecambre, envahie par le plaisir.

Complètement enivrée, les cheveux dépeignés, je m’abandonne à toutes ces sensations troplongtemps oubliées. C’est si bon… Puis, je me redresse dans le lit tandis qu’il s’écarte un peu,m’observant de ses yeux étincelants. Je veux le toucher, moi aussi. Et sans attendre, je m’attaque à sesvêtements. Mister Fever sourit, troublé. À mon tour, je veux le sentir contre moi, en moi, tout au fondde moi. Il m’aide d’abord à retirer les manches de ma chemise. Et seulement parée de ma culotte decoton blanc, je lui retire à son tour sa chemise, dévoilant un torse hâlé par le soleil et musclé par desheures d’effort et de sport. Il est canonissime. D’une main gourmande, je caresse ses tablettes dechocolat.

J’ai déjà dit que j’aime le chocolat ?

Mes doigts soulignent ses pectoraux avant de suivre la courbe de son ventre dur et plat jusqu’à sonnombril. J’en ai le souffle coupé. Machinalement, mes paumes remontent vers ses larges épaules et jem’agrippe à ses biceps, sentant ses muscles rouler sous mes doigts. Mon cœur bat la chamade. Et ledésir s’empare de moi par bouffées. C’est irrépressible. Incontrôlable. Alors, lui arrachant un grandrire, je me jette sur lui et le renverse sur le dos pour m’asseoir à califourchon sur ses hanches. Je suispressée. Très pressée.

Rappelons que je n’ai pas fait l’amour depuis treize mois.

Et jamais avec un demi-dieu.

Avec rapidité, je lui arrache sa ceinture et la balance à travers la chambre. Anthony éclate de rire.Puis, je lui ôte son jean qui glisse le long de ses jambes parfaites. Comme toute sa personned’ailleurs. De son côté, Mister Fever ne reste guère statique. Ce n’est pas son genre ! Il m’aide pouraller plus vite, les sens fouettés par l’envie. Je m’attaque alors à l’élastique de son boxer noir qui nelaisse rien ignorer de son avantageuse anatomie. Lui, prend mes deux seins à pleines mains. J’engémis et lui retire son sous-vêtement.

Waouh ! C’est moi qu’il désire comme ça ?

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Je reste interdite et flattée face à sa virilité triomphante. Je murmure son nom, telle uneincantation. En réponse, il me regarde avec des yeux brillants.

– Jane, j’ai envie de toi.

Sa voix rauque se brise.

– Tout de suite !

Impitoyable, je le fais taire d’un baiser. Profond. Intense. Ma main, elle, s’aventure à l’intérieur deses cuisses, là où la peau est douce et tendre avant de remonter vers son aine. Effleurant son sexe, jetire à Anthony un râle de plaisir. Puis je l’empoigne avec fermeté et douceur, formant un anneau avecmes doigts, montant et descendant. Anthony ferme les yeux et renverse la tête sur l’oreiller. Sesboucles noires se répandent sur la taie blanche. C’est un spectacle magnifique. Et excitant. J’ail’impression d’être en feu car la moindre parcelle de mon corps me brûle.

Je me penche sur lui. Nous sommes moites, humides. Nos poitrines se touchent, les pointes de messeins durcis frôlent son torse. Et je sens sa virilité gonfler au creux de ma main. Si bien qu’Anthonypose bientôt des doigts fermes autour de mon poignet.

– Attends ou je ne réponds plus de rien.

Je me mets à rire joyeusement, enivrée, libérée. Je suis… comblée. Moi aussi j’affole MisterFever ! Nos souffles rauques remplissent la chambre de leur musique. Anthony tend alors le bras versla table de chevet. Là, il s’empare de l’étui argenté d’un préservatif et le déchire d’un coup de dent.Mais je le lui prends des mains, l’enfilant pour lui. Je dois néanmoins m’y reprendre à deux fois, lesmains un peu tremblantes. Je n’en peux plus. Je n’y tiens plus.

Alors, à califourchon sur lui, je le laisse me déshabiller. Il me retire ma culotte, il me révèle danstoute ma nudité. Je baisse un instant la tête. L’embarras est de retour ! Sauf qu’Anthony encadre monvisage entre ses deux paumes.

– Je n’ai jamais tenu une femme plus désirable, plus sensuelle et plus attirante entre mes bras.– Je…– Ne l’oublie jamais.

D’une main chaude, il tend le bras vers moi, toujours assise sur lui. Il explore ma féminité,pénétrant ma fente humide du bout de ses doigts. Et d’un seul coup, tout s’emballe. Je perds la tête. Etje le veux. Lui. En moi. Maintenant. Tout de suite. Me dressant sur les genoux, je le chevauche. Je lefais coulisser en moi, centimètre après centimètre. En même temps, je renverse la tête en arrière,répandant la lourde masse de mes cheveux noirs dans mon dos.

– Une déesse… répète-t-il.

Et j’ondule. Je le sens. Chaud. Puissant. Au creux de mon corps.

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Il pose ses mains sur mes hanches pour imprimer le rythme, me guider. Je m’abandonne, fermantles paupières, offerte à sa vue. Jamais je n’aurais pensé me laisser aller dans cette position. Moi surlui. Lui en moi. Sa virilité me remplit toute entière. Au gré des va-et-vient, il me possèdeintensément, absolument. Je me fonds en lui, autour de lui. Et, posant mes mains sur son torse, jeplante mes ongles dans sa peau sans réaliser que je le griffe sous la vague de jouissance.

Le plaisir est énorme, irrépressible.

Le plaisir absolu.

Mon corps se dissout, mon cœur s’arrête et durant un instant, je cesse d’exister. Peu après,Anthony me rejoint au sommet, planant à son tour, déployant ses ailes tandis que l’orgasme le balaie.Au-dehors, le tonnerre couvre ses râles et mes gémissements. À ce moment précis, nous faisonspartie de cette nature violente, de cette explosion de foudre, de colère, de chair, de plaisir. Jamais jene pourrais redescendre. Les spasmes agitent tout mon corps tandis qu’Anthony plante ses doigts dansmes hanches, y laissant leur marque.

Quand le tumulte se calme enfin, je m’écroule sur lui. Je m’abats sur son torse, la joue posée sursa poitrine. Je reprends mon souffle avec l’impression de respirer pour la première fois de ma vie.Comme si je renaissais. À lui. À moi.

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6. Friends with benefits

J’ouvre lentement les paupières, incertaine. Encore plongée dans les vapes, je fixe le plafondquelques secondes. C’est le temps qu’il me faut pour reprendre mes esprits. Où suis-je ? Que s’est-ilpassé ? Les ténèbres enveloppent une chambre aux contours inconnus et mon regard s’attarde sur unependulette posée sur une table de chevet en pin blanc. Cinq heures du matin. Je me redresse sur uncoude… et découvre une forme à côté de moi. Un homme. Un vrai.

Moi ? Avec un homme ? Dans un lit ? Ai-je été aspirée dans un trou noir ou bien projetée dansune dimension parallèle ?

Soudain, les images de la nuit dernière m’assaillent, jaillissant de ma mémoire engourdie. Latempête. La panne de ma camionnette. Anthony. Ses bras autour de moi, sa bouche sur la mienne.Notre étreinte passionnée et intense. Je rougis en contemplant mon amant, étendu à côté de moi etprofondément endormi. J’ose à peine respirer de peur qu’il ne se réveille.

Qu’est-ce que je suis censée faire ?

Me mordant les lèvres, j’hésite une seconde, à la fois confuse et émue. Mister Fever estincroyablement beau et touchant quand il se repose et baisse la garde. Plus de regard noir ou desourire en coin. Juste son magnifique corps hâlé allongé dans les draps froissés, et sa respirationpaisible. Ses longs cils noirs jettent une ombre sur sa joue tandis que son front disparaît sous lamasse de ses boucles brunes en bataille. Il semble si tranquille, si vulnérable. Je me retiens decaresser son épaule.

À la place, je me lève sur la pointe des pieds. Et, toute nue, je cherche mes vêtements dans lapénombre, sans oser allumer la lumière. Les fesses à l’air, je tâtonne sous un secrétaire pourrécupérer ma culotte blanche. Je l’observe une seconde en la tenant à bout de bras devant moi, étirantl’élastique mou. Anthony Roy m’a vue dans mon maxi slip ? J’étouffe un gémissement de bêteblessée. Je ne sais pas si je vais m’en remettre un jour.

Le type le plus sexy du monde a vu ma culotte géante. #Fail

Tout en jetant des coups d’œil inquiets à mon Apollon, j’enfile en vitesse mon parachute spécialpopotin généreux et récupère mes vêtements abandonnés dans la salle de bains après ma douche. Jeles rassemble en trente petites secondes. Et telle une voleuse, je regagne le corridor et m’habille surle palier. Je ne suis pas très fière de moi. J’ai l’impression de fuir les lieux d’un crime avantl’arrivée des flics. Je n’ai rien fait de mal, pourtant. Je me suis juste… laissée aller.

Avec un homme. Et quel homme !

Reboutonnant mon jean, je dévale les escaliers en chaussettes pour éviter que les marches ne

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grincent. Je pars parce que j’ai la trouille. Il n’y a pas de place pour un homme dans ma vie. Evaoccupe tout mon cœur, toutes mes journées. Sans parler de mon boulot chronophage, où je jongleentre poules, potager, vente de légumes et restauration de meubles… Comment caserai-je une relationamoureuse dans ce chaos ? Ma vie est un vrai bazar puissance 1000 .

– Je suis pragmatique, voilà tout ! dis-je à voix haute sous le porche de l’aile est.

Après un dernier regard à la façade, je saute dans mes bottines et m’engage dans la longue alléeentre les vignes. La tempête s’est calmée même si d’épais nuages noirs s’effilochent dans le ciel.J’avance dans la pénombre, éclairée par la faible lueur de la lune. Mon fourgon m’attend en bas, aumilieu d’une nature qui dégoutte, alourdie par l’eau de pluie et la rosée. J’en profite pour inspectermon véhicule. RAS. Rien n’a changé, c’est toujours une mort clinique. Alors, je prends le chemin dela ferme… à pied.

Tout en marchant, je ne cesse de cogiter, me passant en boucle le même disque. Anthony Roy nepeut pas faire partie de ma vie. Je ne sais même plus où j’en suis. Depuis Mark, je ne me sens pas lecourage de faire à nouveau confiance à un homme. Et l’engagement, n’en parlons pas ! Cette simpleidée me hérisse tous les poils du corps ! Enfin, ceux qui ont survécu à ma tonte sous la douche…

– Ce n’était qu’une nuit. Ça n’engage à rien. Tu es une femme libre et indépendante, JaneSullivan !

Je tente de me motiver. D’ailleurs, je n’ai pas traîné sous le toit d’Anthony car je n’aurais passupporté le moment du petit-déjeuner en duo : « Bien dormi, chéri ? Tu veux des corn-flakes ? Uncafé ? ». Non, non, très peu pour moi. Je n’aurais jamais supporté cette mascarade, ce simulacre devie de couple. J’y suis allergique depuis ma rupture « coup de poing » avec le père de ma fille. Markm’a laissé une blessure indélébile. Jamais la plaie ne s’effacera.

Bien sûr, c’était magique avec Anthony. Comment le nier ? Je pousse un soupir comblé. Jamais jen’avais ressenti quelque chose d’aussi fort, d’aussi fou. Mais nous étions tous les deux dans le feu del’action, grisés par le désir. À froid et à tête reposée, je vois la situation sous un autre angle. Et je mesens terriblement coupable en franchissant la grille de ma ferme. Sans hésiter, je me dirige vers legarage pour récupérer ma voiture, une petite citadine destinée à mes séances de shopping en ville.Autant dire qu’elle ne sort pas souvent. Jamais, quoi. À son volant, je rejoins la colocation de magrand-mère. À cette heure, toutes les lumières sont éteintes et j’entre en utilisant le double confié parSerenity.

– Coucou, ma petite puce !

Je retrouve Eva à l’étage, dans son petit lit à barreaux. Au son de ma voix, la coquine agite lesorteils. J’ai la seule enfant qui communique avec ses doigts de pied. Un grand sourire fend sonvisage. Je remarque au passage une mèche de ses cheveux blonds dressée comme une crête sur satête.

– Tu ressembles à une petite punk…

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La prenant dans mes bras avec précaution, je la serre contre mon cœur, déposant un baiser sur sonfront. Son poids et sa fragilité me bouleversent. Elle n’a que moi. Et elle est craquante. Comblée, ellese rendort presque aussitôt. Tant que mademoiselle n’a pas fini sa nuit, il est inutile de lui demanderquoi que ce soit. Un peu comme moi avant mon café.

Telle mère, telle fille.

J’écris un petit mot à Samantha et Hope pour les remercier et les prévenir de mon passage. Lesdeux malheureuses seraient bien capables de croire à un enlèvement et d’appeler la police. J’épinglele mot sur l’oreiller d’Eva. Voilà, il est bien visible. Puis je rentre à la ferme, le cœur gonflé degratitude pour mes vieilles dames, toujours prêtes à me donner un coup de main. Sans elles etSerenity, jamais je ne réussirais à jongler entre boulot et bébé.

À sept heures, dès l’ouverture du garage, je téléphone à une dépanneuse pour qu’elle récupèremon fourgon dans les vignes. Je m’apprête à poser le téléphone mais je compose un autre numéro.J’ai besoin de parler à quelqu’un.

SOS meilleure amie.

– Allô Lucy ? C’est moi…– Jane, quelle bonne surprise ! Je pensais à toi, justement.

À peine ma confidente a-t-elle prononcé un mot que je me sens tout de suite mieux. Sa voix pleined’entrain et son grand rire me réchauffent le cœur.

– J’étais à une super fête hier soir, j’aurais a-do-ré que tu sois là. J’accompagnais Nadine Rogers,l’ancien mannequin que j’ai récemment relooké, et devine qui j’ai croisé…

– Tom Cruise ?– Plus grand !– Bradley Cooper ?– Si c’était le cas, je serais à Las Vegas en train de l’épouser…

J’éclate de rire. Lucy ne fait plus durer le suspense.

– Sven, mon ex !– Le suédois sexy qui montait des étagères tout nu ?– En personne. Et pour ta gouverne, il ne s’est pas occupé que de mes étagères, cette nuit…– Quoi ? fais-je, effarée et hilare. Vous avez remis le couvert ? Je croyais que tu avais tiré un trait

sur lui.– C’était juste pour une nuit, tu sais. Pas pour la vie…

Mon estomac se noue à ces mots.

– Eh bien, à ce propos…

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Sans attendre, je lui raconte les derniers événements survenus dans mon existence : la rencontreavec Anthony, le dîner, notre nuit ensemble… À la fin de mon récit, Lucy émet un sifflementadmiratif.

– Félicitations Jane ! Tu as officiellement quitté le désert de Gobi !– Ce n’est pas drôle, je t’assure.– Je ne me moque pas. Tu t’es envoyée en l’air avec le sosie de Kit Harington. Je suis juste

jalouse, en fait.

Je me mords les joues pour ne pas rire. Lucy a vraiment le chic pour dédramatiser toutes lessituations.

– Je n’ai pas envie de m’engager et…– Quoi ? Il a parlé de te passer la bague au doigt ? Si c’est le cas, tu me l’expédies direct. Je veux

le même à la maison !– Non, mais…– Mais vous êtes deux adultes, libres et canons, qui avez eu une petite aventure. Je ne vois pas le

problème.

Je me mords les lèvres, embarrassée. Dehors, le soleil s’est levé et j’imagine mes poules en trainde m’attendre. Je suis en retard. Ces monstres cannibales risquent de me dépecer vivante lorsquej’amènerai leurs grains tout à l’heure… Elles ne pardonnent pas la moindre erreur.

– J’aurais dû me trouver auprès d’Eva. Je me sens super coupable. Tu te rends compte que jem’envoyais en l’air pendant que ma fille était à la garde de deux amies ?

– Et… ?– Et tu le fais exprès ? Ma place était à ses côtés, pas dans le lit d’un homme !

Lucy soupire, agacée.

– Jane, tu t’occupes de ta fille sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis sanaissance. Tu as bien le droit de penser à toi de temps en temps et de t’amuser. Cela ne fait pas de toiune mauvaise maman !

– Oui, mais…– Mais rien du tout ! Tu es peut-être mère mais tu n’en restes pas moins une femme !

En raccrochant, quelques minutes plus tard, je me sens nettement mieux.

***

La journée s’écoule à toute vitesse, rythmée par une nouvelle fugue de mes poules en folie, unappel du garagiste qui m’annonce que mon fourgon est en phase terminale et une interventiond’urgence dans mon potager, sérieusement touché par la grêle nocturne. Aucune courgette n’a survécu.Quant aux choux, n’en parlons pas.

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Rest in peace, légumes verts.

Tout cela ne va pas arranger mes finances. Contrariée par cet impondérable, j’examine mes livresde compte en début de soirée quand on frappe à la porte de la ferme. Surprise, je relève la tête… etdécouvre Anthony. Il se tient sur le seuil, le poing levé, prêt à toquer. Mon cœur plonge comme unepierre au fond de ma poitrine. Je reste bêtement plantée sur ma chaise, les cheveux relevés à la va-vite en un chignon approximatif. Je porte mon sempiternel jean et un gros gilet gris, mon index estsuspendu au-dessus de ma calculette. Quant à la table, elle disparaît sous les piles de papier : impôts,factures, taxes, devis…

– Je peux entrer ou tu risques de prendre tes jambes à ton cou ? me demande-t-il.

Anthony sourit mais ses yeux restent froids. Au mur, la pendule affiche sept heures du soir. Je meraidis.

– Euh, je…

Je me doutais bien que cette confrontation aurait lieu tôt ou tard. Mais j’aurais préféré tard, trèstard, si bien que j’ai opté pour la technique de l’autruche, ignorant délibérément ses deux messagessur mon répondeur. En gros, j’ai enfoui ma tête dans le sable. Ou plutôt, dans les engrais. Je lui faissigne d’approcher mais il reste devant la porte de la cuisine, les bras croisés sur la poitrine. Sescheveux noirs bouclent dans son cou et je n’ai qu’une envie : rentrer sous terre pour échapper à sespupilles couleur de l’ébène.

– Je ne viens pas t’accabler de reproches Jane, attaque-t-il à ma plus grande surprise. J’ai justeété surpris de ne pas te trouver à mon réveil. J’aurais simplement aimé avoir une explication…

– J’ai dû partir vite. J’avais… beaucoup de travail.– Moi aussi.

Pour le coup, je me sens un peu idiote face à ce PDG riche à millions, accablé par lesresponsabilités et chargé du sort de centaines d’employés. Difficile de faire croire que j’ai plus deboulot que lui. Je viens de remporter haut la main la palme de l’excuse la plus nulle de l’année. Voirede la décennie.

– Pourquoi es-tu partie comme une voleuse, Jane ?

J’opte pour la vérité car je lui dois bien ça. Surtout après la nuit fantastique que nous avons passéeensemble. Ce petit miracle de sensualité, de plaisir, de passion…

– J’avais peur que tu te fasses des idées.– Pardon ?– Ma vie est très compliquée, Anthony. Nous avons passé un moment très bien, et même génial

voire génialissime…

Je rougis un peu – beaucoup, à la folie – avant de conclure :

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– Mais je ne suis pas prête à m’engager dans une relation.– Et qui t’a dit que j’en voulais une ? répond-il, les sourcils en accent circonflexe. Qui t’a parlé

d’engagement ?

Vlan, dans mon ego !

J’en reste sans voix. C’est vrai après tout, je ne sais rien de ses envies. Mais il n’empêche qu’unepartie de moi se vexe. Je n’étais donc pour lui qu’une fille d’un soir ? C’est le monde à l’envers, j’enai bien conscience. Je lui reproche de réagir comme moi. Je ne veux pas de lui mais j’aimerais qu’ilveuille de moi.

Argh.

– Ravie d’apprendre que je n’étais qu’un coup vite fait ! dis-je aigrement. Tu aurais quand mêmepu me prévenir avant qu’on passe aux choses sérieuses.

Je marche vers lui, incapable de museler ma colère et ma déception. Car oui, je suis déçue.Personne n’a dit que j’étais cohérente ou logique.

– Je n’ai jamais pensé une chose pareille, Jane ! s’emporte Anthony, visiblement choqué.– Excuse-moi, mais c’est bien ce que tu viens de sous-entendre !– Quoi ? Pas du tout ! Et pour ton information, c’est toi qui es partie en catimini ce matin. Pas moi.– Oh ! Tu ne vas pas me le reprocher durant le restant de mes jours !

D’une parfaite mauvaise foi, je me dresse face à lui. Mister Fever, plus torride que jamais, serreles poings. L’atmosphère devient irrespirable. Suffocante. Explosive. Et brutalement, nous nousjetons l’un sur l’autre. D’un seul coup, sans prévenir. C’est sauvage et intense. Le désir nous faucheen plein vol. Nos bouches s’affrontent férocement, remplaçant les mots et les piques. Et lorsque nousnous séparons, après un baiser passionnel, nous sommes tous les deux hors d’haleine.

– Nous devons nous rendre à l’évidence… Une nuit n’a pas suffi, sourit Anthony.

À bout de souffle, je hoche la tête, amusée et confuse. Je n’arrive pas à me contrôler en présencede cet homme. Anthony tend la main pour replacer une mèche échappée de mon chignon derrière monoreille.

– Je ne peux pas nier le désir que tu m’inspires, Jane.– Je te comprends, crois-moi. C’est…– … plus fort que nous ? propose Anthony.

J’acquiesce faiblement.

– Qu’allons-nous devenir ? je gémis.

Il éclate de rire alors que je me tords les mains. Puis il reprend le plus sérieusement du monde :

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– J’ai réfléchi à notre situation aujourd’hui. Et je suis venu te faire une proposition.

Autrement dit, il a déjà pensé à tout. Comme je me fige d’un air guindé, il me décoche un clind’œil narquois.

– Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te demander en mariage et sortir un solitaire de ma poche. Jesuis aussi allergique que toi aux relations sérieuses.

– Alors que proposes-tu ?

Son sourire malicieux s’élargit.

– Une sorte de contrat qui va nous permettre de rester libres comme l’air. Le désir sans lesconséquences. Le plaisir sans les inconvénients. L’amusement sans la banalité.

– Dis comme ça… C’est tentant.– En fait, je propose que nous devenions sex friends.

Des sex friends ? Je ne m’y attendais pas du tout. Et au bout d’une longue minute, l’idée fait sonchemin jusqu’à mon cerveau. Ce n’est pas si bête. C’est même assez intéressant.

– Nous pourrions sortir ensemble, aller au restaurant, au théâtre, profiter de la vie à deux maissans nous attacher un boulet au pied.

– Et faire l’amour sans penser à l’avenir, dis-je pensive.– Exactement.

Nos regards se croisent. Les yeux noirs d’Anthony étincellent comme les miens. Et quand ils’empare de ma main, je ne me dérobe pas. Un instant, j’hésite à lui parler d’Eva puis renonce. C’estmon jardin secret. Après tout, je le connais depuis seulement une semaine. Je me mords les lèvres carcela dit, depuis qu’il est entré dans ma vie sur sa moto lancée à pleine vitesse, je pense sans cesse àlui… Même si mon cœur n’est pas à prendre…

– On devrait peut-être fixer certaines règles en cas de dérapage ? dis-je enfin.– Figure-toi que j’y ai pensé aussi.

À quoi Anthony ne pense-t-il pas ?

– Règle n°1 : aucun engagement sentimental de notre part.– Ça me va.– Règle n°2 : aucune obligation l’un envers l’autre.– Parfait.– Règle n°3 : s’amuser, s’amuser et seulement s’amuser.

J’esquisse un sourire alors qu’il se rapproche de moi. Nos hanches se touchent presque tandisqu’il me dévore du regard. Nous sommes sur la même longueur d’onde, lui et moi. Et je murmure :

– La règle n°3 me plaît tout particulièrement.

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À ma grande surprise, Anthony pose alors un genou à terre pour s’emparer d’une de mes mains.J’écarquille les yeux. On dirait un chevalier servant devant sa dame.

Euh… J’ai loupé quelque chose ?

– Passons aux choses sérieuses maintenant. Jane Sullivan, accepteriez-vous de devenir ma sexfriend pour le meilleur et pour le meilleur ?

J’éclate de rire.

– Oui, je le veux. Et vous Anthony Roy, jurez-vous de rester mon sex friend jusqu’à ce que l’ennuinous sépare ?

– Oui… Je te veux !

Un fou rire succède à notre promesse solennelle. Un fou rire vite transformé en baiser, fougueux etpassionné. Puis, il se relève et me prend dans ses bras avant de me faire tournoyer dans la cuisine.

***

Une demi-heure plus tard, j’agite la main à la fenêtre pendant qu’Anthony contourne ma ferme pourrejoindre sa moto. Son impressionnant deux-roues japonais est garé dans l’allée qui mène au corpsprincipal. Il m’adresse un clin d’œil en récupérant son casque. C’est une concession à la sécuritéqu’il fait pour moi, je le sais. Puis je me détourne, des rêves plein la tête. Je ne suis pas amoureuse,certes. Absolument pas. J’ai fait une croix sur le grand amour depuis ma rupture avec Mark.

Mais je suis heureuse. Je flotte sur un petit nuage. Sexe et amitié ? Je ne connais pas de meilleurcocktail…

C’est Lucy qui avait raison. Je suis une femme libre, moderne et indépendante. Au même moment,j’entends le grondement d’un moteur et me rapproche de la fenêtre qui donne sur le jardin. J’aperçoisla voiture de ma grand-mère en train de se garer près d’Anthony. N’est-ce pas la première fois qu’ilsse rencontrent ? Mon voisin en profite pour lui ouvrir la portière et la saluer.

Avec tous ces rebondissements, j’avais complètement oublié que Serenity rentrait aujourd’hui deson marché New Age. Je m’apprête à la héler quand des bribes de leur conversation me parviennent.Et c’est alors que mon cœur se glace. Même à cette distance, la voix claire de ma grand-mèrerésonne distinctement.

– Vous discutiez du contrat tous les deux ?– Non… Je ne suis pas venu pour les affaires, ce soir.– Ah, formidable ! Alors vous teniez compagnie à Jane et sa fille ? C’est adorable de votre part.– Sa… sa fille ?– Oui, Eva. N’a-t-elle pas une bouille à croquer ? C’est fou comme elle ressemble à Jane à son

âge !

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Anthony fixe intensément ma grand-mère, incrédule.

– Vous voulez dire que ce bébé que j’ai vu l’autre jour est le sien ?

Dans la cuisine, je porte une main tremblante à ma bouche. Anthony vient d’apprendre que je suismaman. De la pire des façons...

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7. Clash

Je sors dans le jardin en courant, le cœur battant à tout rompre. Je ne remarque même pas laprésence de ma grand-mère et fonce vers Anthony. Elle me jette pourtant un coup d’œil surpris,inconsciente de sa gaffe. Je ne comptais pas révéler à Anthony l’existence d’Eva avant quelquesjours. Bien sûr, je lui en aurais rapidement parlé mais pas maintenant, pas comme ça. Je n’avaisaucune envie de lui révéler tout de suite mon passé. Je voulais rester encore un peu une fille de vingt-trois ans, légère et sans attache. Retrouver ma jeunesse enfuie… Sans pour autant renier Eva et celleque je suis devenue.

Que c’est compliqué !

– Anthony !

Il se tient de dos, occupé à enfiler son casque. Ses mouvements sont précis, rapides mais je devinesa colère. Des ondes de rage émanent de lui, remplissant l’espace. L’air vibre presque autour de lui,glacial.

– Anthony, attends !

Il ne se retourne pas. À croire que je suis devenue invisible… J’entends le bruit de la sangle quise ferme sous son menton tandis qu’il monte en selle, ses deux mains posées sur le guidon de sa moto.Remontant l’allée en courant, je dépasse Serenity qui préfère sagement battre en retraite. Prudente,elle s’éloigne en direction de l’atelier, les bras chargés de ses rares colliers invendus. A-t-elledeviné ce qu’il s’est passé entre nous ? Le drame qui se noue sous ses yeux ? Elle est fine etperspicace sous ses dehors fantasques.

– S’il te plaît…

Je me plante devant lui et pose une main sur son bras qu’il retire tout de suite, comme si moncontact le brûlait. Ce qui ne me retient pas d’ajouter, la gorge nouée :

– Attends une minute.

D’abord, il ne bouge pas. Puis il retire son casque d’un seul coup, d’un geste rageur, à deux doigtsde le balancer par terre. Je découvre alors l’expression de son visage. Anthony est blême, les dentsserrées, la bouche pincée par la fureur. Dans ses yeux noirs brillent un feu coléreux, dangereux. Iln’est pas seulement fâché, il semble bouleversé, touché en plein cœur. Les clés de sa moto pendentsur le contact alors qu’il renonce un instant à démarrer en trombe. Ce n’est pourtant pas l’envie quilui en manque, visiblement.

– Comment as-tu pu me cacher un truc pareil ? explose-t-il.

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– Ce n’est pas ce que tu crois.

Super. Je ressemble à ces minables qui racontent des salades à leur femme.

– Je veux dire…

Anthony ne me laisse pas le temps d’en placer une. Et sa voix tonne dans l’air frais du soir alorsqu’il me fusille du regard.

– Quand je t’ai parlé d’Eva, tu m’as dit que tu la gardais !– C’est la vérité ! Je n’avais juste aucune envie d’entrer dans les détails. On ne se connaissait pas,

on se voyait pour la seconde fois de notre vie.– C’est une raison pour renier sa fille ?

J’encaisse sa phrase comme un uppercut dans l’estomac. Et je recule d’un pas, touchée, presquecoulée. Moi, renier ma fille ? Plutôt mourir ! Mais Anthony n’a pas traversé les mêmes épreuves quemoi cette année. Il ne sait pas. Il ignore que je ne supporte plus les justifications, les mises enaccusations, les regards condescendants ou plein de compassion pour la fille-mère, abandonnée parle père de son enfant, sans emploi sérieux ou fixe, que je suis ! On est peut-être en 2015 maiscertaines mentalités n’évoluent pas. Je bouillonne. Hélas, les mots ne viennent pas.

– C’est ta fille !– Je te l’aurais dit, je t’aurais raconté notre histoire. Mais tu peux comprendre que je n’ai pas

forcément envie de déballer toute ma vie au premier venu. On se connaît depuis une semaineseulement !

– Et alors ?

Nous crions si fort qu’une nuée d’oiseaux s’envole, quittant le grand pommier planté près de monatelier. Dans les froissements d’ailes, ils fuient le champ de bataille. Perso, je les imiterai bien.

– Comment as-tu pu me cacher l’existence de ta propre fille ! Est-ce que tu te rends compte ?C’est… C’est monstrueux !

Sa colère est énorme, disproportionnée. Certes, il a le droit d’être secoué ou remué par sadécouverte, mais à ce point ? On dirait qu’il essuie un affront personnel.

– Comment une mère peut-elle garder secrète l’existence de son enfant ?

Il détourne les yeux une seconde, portant son regard sur l’horizon. J’ai l’impression que même mavision lui insupporte et mon cœur se serre douloureusement. Un pli amer creuse la commissure de seslèvres charnues.

– Je ne veux plus te revoir, Jane.– Mais…– Jamais ! m’interrompt-il, glacé.

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Il secoue la tête, un curieux rictus au coin des lèvres, un mélange d’ironie et de dépit. Ses mainsn’ont toujours pas lâché les commandes de sa moto à laquelle il s’agrippe farouchement. Je jureraiqu’il souffre. Moi, je reste bêtement plantée à côté de lui, les bras ballants. Et le cœur qui ne batplus. C’est alors qu’il ajoute :

– J’avais raison de me méfier des Sullivan - Stewart. J’étais certain que cette fichue famillecachait quelque chose quand mon grand-père m’a appris son mariage précipité. Mon détective asimplement cherché dans la mauvaise direction.

– Ton détective ?

Cette fois, j’ai l’impression que le sol se dérobe sous mes pieds. Ai-je bien entendu ?

– Tu as embauché un détective ?– Oui. Mais apparemment, il n’a pas mené l’enquête assez longtemps, conclut Anthony.– Tu as espionné ma famille ?

J’ai la gorge sèche, les mains moites. C’est un cauchemar, je vais me réveiller.

– Non, j’ai demandé des renseignements Jane. Je voulais savoir à quel genre de femme mon grand-père s’unissait. Nous sommes très riches et je m’inquiétais qu’il ne tombe entre les mains d’uneépouse sans scrupule, surtout à son âge, surtout avec notre fortune à portée de main.

– Quoi ? Tu es en train de traiter Serenity de voleuse ?

Le ciel me tombe sur la tête.

– Non, je la crois honnête.

Il marque un bref arrêt.

– Contrairement à toi.

Jamais je n’ai été autant insultée de ma vie. Certes, il n’a pas totalement tort, loin de là, car jen’aurais pas dû passer sous silence l’existence d’Eva malgré ma peur. Mais de quel droit fait-il fairedes recherches sur ma famille ? Comment peut-il soupçonner ma grand-mère d’être une vulgairearriviste en quête d’un joli pactole ? Mon sang ne fait qu’un tour dans mes veines. Surtout quand jerepense à toutes les questions dont il m’a bombardée lors de notre dîner au restaurant. Je comprendsmaintenant son intérêt pour Serenity et sa rencontre avec John… Il tâtait le terrain !

– Fiche le camp, Anthony Roy !

Il remet son casque. Et avant d’abaisser sa visière, il me dit :

– Ne t’inquiète pas, je ne comptais pas rester.– Et ne reviens pas ! je crie, furax. Tu n’es plus le bienvenu ici.– Parfait. Adieu Jane.

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Dans un vrombissement sourd, la moto démarre et bondit en avant, descendant mon allée à touteallure. Les poings sur les hanches, je regarde Anthony disparaître jusqu’à ce qu’il se réduise à unpetit point à l’horizon, jusqu’à ce qu’il sorte de ma vie. Bon vent ! Bon débarras ! Qu’il ne reviennejamais !

Alors pourquoi ai-je si mal, là, dans la poitrine ?

À suivre,ne manquez pas le prochain épisode.

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