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Regulação

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  • LECOLE DE LA REGULATION, DE MARX A LA FONDATION SAINT-SIMON : UN ALLER SANS RETOUR ? Michel Husson in J. Bidet et E. Kouvelakis, Dictionnaire Marx contemporain, PUF, 2001 Le livre dAglietta, Crises et rgulation du capitalisme, date de 1976 et peut tre considr comme lacte fondateur de la thorie de la rgulation. Sa rdition de 1997- et la postface qui lagrmente - marquent sans doute le point darrive dune trajectoire qui a emmen cette cole assez loin du marxisme dont elle est pourtant en partie issue. Gense dune cole A sa sortie, louvrage dAglietta avait pu susciter une interrogation sur laquelle il convient de revenir aujourdhui : sagissait-il dune reformulation/actualisation du marxisme ou de la mise en place dune approche thorique compltement renouvele ? A lpoque, les rgulationnistes ( lexception notable de Boyer) se situent dans le champ du marxisme : Aglietta venait du PCF, Lipietz du maosme, Billaudot animait la commission conomique du PSU, o militait aussi Bertrand. Les membres fondateurs sont aussi, pour la plupart, polytechniciens et travaillent comme conomistes dans les appareils idologiques dEtat (pour reprendre la catgorie dAlthusser) plutt qu lUniversit. Ils sont donc marqus, dun ct, par une tradition colbertienne ou saint-simonienne et, de lautre, par une certaine incarnation, bien franaise elle aussi, du marxisme. Lipietz (1994) na pas tort den faire les fils rebelles de Mass et dAlthusser , et leur projet peut sanalyser comme une rupture dialectique lgard de cette double filiation. La crise sera loccasion de cette rupture. Le projet rgulationniste est en effet n dans une conjoncture bien prcise : sur le plan politique, cest la priode du dbat autour du Programme commun, qui devait sachever avec la rupture de lUnion de la gauche en 1977. Sur le plan conomique, la rcession gnralise de 1974-75 marque lentre dans la crise . Par certains cts, celle-ci vient donner raison aux thoriciens du PCF qui prvoyaient depuis deux dcennies lenlisement final du Capitalisme Monopoliste dEtat . Mais elle fait surtout apparatre rtrospectivement le dogmatisme dune thorisation misrabiliste du capitalisme daprs-guerre. Les rgulationnistes ont alors lintuition que la cl de la crise se trouve dans la comprhension des Trente glorieuses qui viennent de sachever, sans que lon sen rende pleinement compte. Deux ouvrages fondateurs sont alors produits : le livre dAglietta de 1976, puis le rapport Boyer-Lipietz (et alii) de 1977 sur linflation. Une relecture confirme aujourdhui le sentiment que lon pouvait avoir lpoque de ne rien y trouver dautre que la reformulation dun marxisme dont la principale novation est dtre dbarrass de ses oripeaux staliniens. Le livre dAglietta nest pour lessentiel quun expos assez classique des lois de laccumulation capitaliste, avec application au cas des Etats-Unis. La nouveaut, relative nos yeux, consiste parler daccumulation intensive, dfinie comme reposant sur la production de plus-value relative. Certains concepts de Marx sont confronts aux donnes macro-conomiques de la compatibilit nationale, et Aglietta avance loccasion des pseudo-concepts aujourdhui oublis, comme ce cot salarial social rel qui nest autre chose que la part des salaires dans la valeur ajoute. Lanalyse empirique conduit Aglietta noncer que le meilleur indicateur statistique pour reprsenter lvolution du taux de plus-value est lvolution du cot salarial rel . Il ny a pas l de dcouverte renversante.

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    Les rgulationnistes ont cependant le sentiment dinnover radicalement sur le plan mthodologique, par le simple fait de confronter leurs concepts la ralit empirique. L encore, la rupture avec un certain structuralisme marxiste se combine avec leur insertion dans ladministration conomique pour les inciter chercher une quantification empirique de leurs analyses. Mais cest avec lardeur des nophytes quils smerveillent de cette coupure pistmologique : ce retour la mesure, mme difficile et toujours insatisfaisant compte tenu de lorigine prcise des statistiques utilises, a pour effet dintroduire la possibilit dun dmenti du cadre thorique de dpart, fut-il minemment satisfaisant dun strict point de vue logique (Bertrand et alii 1980). Cest quand mme la moindre des choses ! Cette dcouverte nave de lautonomie de la ralit concrte par rapport la logique thorique ne peut srieusement prtendre reprsenter un dpassement de la mthode marxiste et reste bien en de, par exemple, de la contribution si riche et si fine de Kosik (1970). Certes, on peut y voir un progrs par rapport au dogmatisme, mais cest aussi une banalit pour le marxisme vivant. A ce compte-l, cest Phline qui devrait revendiquer le titre de prcurseur de la rgulation pour son article de 1975 o il analysait lvolution de la plus-value (sans la nommer !) dans une revue du Ministre des Finances. Mme la rticence maintenue utiliser des statistiques dont lorigine (bourgeoise ?) est douteuse fera sourire les lecteurs de Marx et Lnine - ou plus prs de nous de Baran, Sweezy ou Mandel - qui savent bien que ces critiques marxistes du Capital ont pass leur vie accumuler des statistiques. Que lide selon laquelle il faut se frotter aux chiffres ait pu paratre si audacieuse en dit long sur la rgression qua pu reprsenter la prgnance particulire du stalinisme en France. La rupture avec Althusser est longuement dcrite par Lipietz (1979) ; le principal reproche quil lui adresse est de nier que sur cette base matrielle des rapports sociaux puisse se constituer quelque chose qui puisse dire cest nous et bouleverser le systme des rapports. Ce quelque chose tait pour nous le mouvement rvolutionnaire des masses . Cette citation est distrayante, dabord en raison de lvolution des concepts prospectifs manis par un Lipietz qui se fait aujourdhui le promoteur des mutuelles comme dpositaires de lpargne salariale. Mais il est surtout extraordinaire de pouvoir prsenter lintervention du mouvement rvolutionnaire des masses comme quelque chose quil serait ncessaire de redcouvrir pour renouer avec le marxisme dont cest videmment un lment constitutif ! Cest cette capacit enfoncer les portes ouvertes que lon mesure la chape de plomb stalino-maoste que les inventeurs de la rgulation ont d soulever pour se retrouver lair libre. Cette trajectoire nest pas indiffrente, car elle les aura tenus lcart de la tradition vivante du marxisme quils nauront pratiqu qu travers Althusser, Mao ou Boccara. Il ny a donc rien de surprenant constater quils ignorent superbement des courants fconds du marxisme (notamment anglo-saxons) comme, bien sr, celui incarn par Ernest Mandel, dont louvrage fondamental, Le troisime ge du capitalisme, est paru en France en 1976. Tout cela nempche pas les rgulationnistes dtre cette poque des critiques assez consquents du capitalisme. Quand le rgulationnisme nest pas (encore) un harmonicisme On doit Lipietz (1994) cette dfinition parlante de la dmarche rgulationniste : on est rgulationniste partir du moment o on se demande pourquoi il y a des structures relativement stables alors que logiquement elles devraient clater ds le dbut, puisquelles sont contradictoires (...) alors quun structuraliste trouvera anormal quelles entrent en crise . Mais si lon ne rduit pas le marxisme un structuralisme, ltude des modalits de la reproduction du capital fait videmment partie intgrante de sa critique qui na nul besoin dune sorte de thorme deffondrement permanent.

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    Quoi quil en soit, la rflexion initiale dAglietta sur le no-fordisme montre quil se situe alors pleinement dans le champ du marxisme et que, sur un point essentiel, il nest peut-tre pas compltement rgulationniste au sens o on lentend aujourdhui. Aglietta (1976) envisage en effet la possibilit dune issue la crise, fonde sur un no-fordisme ainsi dfini : un nouveau rgime daccumulation intensive, le no-fordisme, sortirait de la crise en faisant progresser laccumulation capitaliste sur la transformation de la totalit des conditions dexistence du salariat, alors que le fordisme tait ax sur la transformation de la norme de consommation prive, la couverture des frais sociaux capitalistes demeurant la lisire du mode de production capitaliste . En dautres termes, la crise pourrait trouver une issue par lextension aux consommations collectives (sant, ducation, transports...) de ce que le fordisme avait ralis pour la consommation prive (logement et quipement mnager, voiture individuelle). Ce thme est aussi prsent chez Attali (1978) qui crivait par exemple : la socit postindustrielle sera probablement hyper-industrielle. Mais la production y est oriente vers de nouveaux secteurs, substituts aux services collectifs producteurs de demande, lcole, lhpital. Elle sappuie sur un nouveau rseau, technologique et social, produisant une demande pour ces objets marchands . Aglietta introduisait cependant une prcision dcisive en soulignant demble que le fait que cette transformation [no-fordiste] des fondements du rgime daccumulation intensive soit la seule issue durable la crise ne signifie pas ipso facto quelle soit possible dans le capitalisme . Cette restriction montre que lapproche rgulationniste est alors dpourvue de toute tentation harmoniciste et pouvait donc tre absorbe sans peine dans le corpus marxiste. Le rapport salarial, un concept-cl Dans un autre texte fondateur, Boyer (1979) introduit une distinction entre grande crise et petite crise sans apporter grand-chose la thorie des ondes longues (Mandel 2000) quil sest toujours efforc par ailleurs de confondre avec une rsurgence de Kondratieff. Cest plutt autour de la notion de rapport salarial que loriginalit de la priode daprs-guerre est tablie. Boyer constate en premier lieu une monte des structures monopolistes , ce qui est un lieu commun des htrodoxes de lpoque. Mais pour installer une rgulation monopoliste qui se substitue la rgulation concurrentielle , il faut un ingrdient supplmentaire, savoir linstauration dun rapport salarial adquat. Ce nouveau rapport salarial a t institutionnalis aprs 1945 avec linstauration dun salaire minimum, de conventions collectives, et lextension du salaire indirect. Du coup, la croissance des salaires nest plus rgle par la pression du chmage. Elle dpend dune part dun ajustement quasi automatique sur lvolution du cot de la vie, dautre part de la prise en compte de faon implicite ou explicite de gains de productivit attendus ou enregistrs au niveau des firmes, des secteurs voire de lconomie tout entire . Les contradictions capitalistes nont pas disparu mais elles sont dplaces : la rduction des tensions lies la non ralisation butent terme sur les difficults de valorisation du capital . A tout cela, il faut ajouter lextension et la mutation du rle de lEtat. La vraie nouveaut se trouve au fond dans cette analyse du rapport salarial fordiste. Boyer en fait un indicateur central des spcificits de la rgulation monopoliste : lajustement cyclique ne sopre plus par les prix (Boyer 1978), les institutions contribuent aligner la progression moyenne des salaires sur la productivit industrielle (Boyer Mistral 1978). Aglietta (1976) introduit quant lui la notion centrale de norme de consommation et montre bien comment le fordisme marque prcisment lentre dans la consommation

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    salarie de biens produits avec dimportants gains de productivit. Enfin, Bertrand (1979) vrifie cette hypothse grce une analyse en sections de lconomie franaise qui reprend les schmas de reproduction du Capital. Du point de vue thorique, encore une fois, il sagit donc plutt dune remobilisation de dbats et schmas disponibles par ailleurs, sans quon sache si ces filiations sont conscientes chez des rgulationnistes qui semblent tout ignorer du marxisme aprs Marx. Pour prendre un exemple, le lien nest notre connaissance jamais tabli avec le dbat qui a mobilis les conomistes marxistes pendant de longues annes autour de la Premire Guerre Mondiale : ses protagonistes sappelaient Kautsky, Bernstein, Lnine, Boukharine, Luxemburg, Bauer, Tugan-Baranovsky. Ce dernier, par exemple, propose des schmas de reproduction o la baisse de la production est compense par laccumulation, et rejette pour cette raison la thse de leffondrement final. Bauer parvient un rsultat semblable et conclut la validit de laccumulation du capital lintrieur de certaines limites rgles par la productivit et la population. Sa polmique avec Rosa Luxemburg tourne autour dune question qui est exactement celle de la rgulation : pourquoi cela ne seffondre pas ? Ces rfrences ne sont jamais cites par les rgulationnistes et cela donne souvent leurs travaux un ct naf, comme si le fait daborder ces thmes tmoignait dune formidable impertinence lgard du marxisme assimil aux manuels officiels dits Moscou, Pkin ou Paris. Une autre source dinspiration est en revanche trs clairement revendique dans le cas de Boyer, cest lcole cambridgienne. Les intuitions fondamentales du modle Star (Boull et alii 1974) labor la Direction de la Prvision du Ministre des Finances - en particulier la relation profit-croissance - sont directement tires des conceptualisations de Kalecki ou de Joan Robinson. Dans lAccumulation du Capital, celle-ci propose par exemple une dfinition de l Age dor qui ressemble fortement la rgulation fordiste. Cette filiation revendique est parfaitement lgitime et elle nest mentionne ici que pour souligner quel point la thorie rgulationniste aurait pu se construire partir dune synthse fructueuse du marxisme et du post-keynsianisme cambridgien. Plutt que dun dpassement du marxisme, la rgulation apparat ainsi comme une actualisation ou une rappropriation ncessaires pour prendre en compte les spcificits historiques du capitalisme daprs-guerre et sortir du dogmatisme. Louvrage qui, de ce point de vue, reprsente nos yeux la vritable synthse de lapport rgulationniste est celui de Docks et Rosier, paru en 1983 (et qui mriterait lui aussi dtre rdit). Lanalyse du rapport salarial et de la norme de consommation est parfaitement intgrable par un marxisme vivant, condition dabandonner lhypothse implicite dun salaire rel constant, ce qui ne remet pas en cause le cadre gnral danalyse (Husson 1999). On ne voit pas enfin pourquoi ltude des formes institutionnelles serait incompatible avec la mise en lumire des contradictions du mode de production capitaliste. Mais il y a quelque chose de plus dans lapproche rgulationniste qui en fait la vritable spcificit, mais aussi sa principale limite : cest lharmonicisme. Le tournant harmoniciste Le basculement est simple : de la thse juste selon laquelle le capitalisme peut fonctionner, les rgulationnistes passent imperceptiblement une autre position, qui ne sen dduit pas forcment mais qui est un prolongement possible de leur analyse, selon laquelle le capitalisme peut toujours finir par fonctionner de manire relativement harmonieuse. Comme le dit clairement Lipietz (1994) : si lon comprend comment a a march, on va aussi comprendre comment faire marcher un autre modle .

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    Ce glissement tait dautant plus tentant que larrive de la gauche au pouvoir en 1981 apportait aux rgulationnistes loccasion de quitter une position de critiques clairs pour se transformer en conseillers du prince. Leur position dans lappareil de ladministration conomique et leur formation d ingnieurs les portaient naturellement vouloir faire , autrement dit peser sur la mise en place dune nouvelle rgulation permettant de sortir de la crise par le haut. Sur le plan thorique, le tournant sest effectu en pivotant autour de la notion de norme de consommation. On peut le dater prcisment, avec la contribution dAglietta et Boyer un colloque organis en 1982. Sur la base dune analyse typiquement rgulationniste, leur texte dbouche sur une premire recommandation : il faut maintenir une certaine progression de la consommation, pour autant quelle soit compatible avec la reprise de linvestissement industriel et lquilibre des paiements extrieurs et chercher discerner les nouvelles demandes dont lapparition et le dveloppement sont aujourdhui freins par linstabilit et lincertitude vhicules par la crise . Cette analyse rejoignait une version plus technologiste de lcole de la rgulation faisant de la filire lectronique le lieu naturel dmergence dune issue la crise, en fonction dun raisonnement dcoulant logiquement de lanalyse du fordisme : A notre explication de la crise correspond notre perception de son issue. Les nouveaux lieux daccumulation doivent donc respecter globalement lensemble des contraintes explicites dans notre reprsentation, savoir permettre la fois de faire apparatre des gains de productivit et une norme de consommation renouvele, et transformer une partie du travail improductif en travail productif (Lorenzi Pastr Toledano 1980). Le programme de travail rgulationniste est ds lors rorient vers linvention du post-fordisme. Il sagit dimaginer un nouveau compromis social positif fond sur de nouvelles productivits et sur un nouveau modle social . Dix ans aprs le premier rapport pour le Cepremap, Boyer coordonne en 1987 une volumineuse tude intitule Aspects de la crise, et dont le tome qui sert de conclusion sintitule les conomies au milieu du gu . On y retrouve une logique, typique de la planification la franaise (Mass !), qui consiste prsenter trois scnarios, que lon pourrait appeler le bon, la brute et le paresseux. Le dernier est la prolongation un peu terne des tendances loeuvre, le second correspond une inflexion vers un modle socialement rgressif, et le premier reprsente, videmment, le bon choix. Ils dessinent trois grandes perspectives, dfinies par des volutions peu prs cohrentes et vraisemblables dun point de vue socio-politique . Cette cohrence se dfinit autour de cinq lments de base diffremment combins : systme technique, formes de la concurrence, rapport salarial, interventions publiques, rgime international. Le type de tableau qui dcrit cette combinatoire, et dont Boyer fera un usage constant, voque irrsistiblement les fameuses matrices du Boston Consulting Group, et il sagit bien au fond doutils de management social. Les rgulationnistes sadressent aux dcideurs pour leur montrer les options disponibles et valuer leurs avantages respectifs : la thorie de la rgulation est devenue technique de rgulation. On peut toujours choisir de ne rien faire, et cest le scnario baptis fil de leau qui sert de repoussoir. On peut videmment choisir de mettre en oeuvre un programme volontariste de retour au march dinspiration no-librale. Mais le bon scnario est videmment le troisime, tout aussi volontariste que le prcdent, mais qui vise instaurer des formes collectives dadaptation aux mutations, et, qui suppose que soit ngocie une nouvelle configuration du rapport salarial fond sur un principe original de partage des gains de productivit entre progression du salaire, rduction du temps de travail et cration demplois lchelle de la socit toute entire . On voit bien la patte rgulationniste : il y avait un bon rapport salarial fordiste mais il a fait son temps, il faut donc trouver autre chose, tous ensemble.

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    Cette dmarche souligne plusieurs manques de la thorie, ds lors quelle se trouve confronte la question indites pour elle des conditions dmergence dun nouveau mode de rgulation. Est-ce forcment le meilleur qui simpose, et que se passe-t-il dans lentre-deux ? Cette dernire question est particulirement dlicate pour les rgulationnistes. Dun ct, leur problmatique essentielle consiste tudier comment a marche, puisque a ne seffondre pas. Mais, dun autre ct, ils montrent quon a le choix entre plusieurs modalits de fonctionnement. Dans ces conditions, une des grandes difficults des rgulationnistes est den tre toujours, vingt ans aprs la crise, laborer dautres scnarios possibles plutt que dtudier le modle nolibral rellement existant. Ce dplacement saccompagne dune restructuration thorique. Alors que les textes fondateurs insraient les formes institutionnelles dans le cadre fix par les invariants capitalistes, la plasticit des modes de rgulation en vient tre considre comme pratiquement illimite, et cest Coriat (1994) qui formule avec le plus de lucidit ce glissement analytique : progressivement ces formes structurelles ont acquis dans la thorie de la rgulation le statut de vritables catgories intermdiaires, au sens o elles assurent entre thorie pure et invariants dun ct, faits observs et styliss de lautre, ces outils indispensables la recherche desquels nous tions, pour pouvoir penser, au-del des permanences, les changements et leurs spcificits . La porte est dsormais ouverte une combinatoire sans fin. Ds lors, la question thorique centrale se dplace et devient celle de la gense des modes de rgulation. Elle a conduit une alliance passagre avec les thories des conventions qui constitue sans aucun doute une grave erreur tactique. Boyer et Orlan signent en 1991 un article o lon dcouvre que Ford ntait pas fordiste, comme Foster (1988) lavait soulign, et comme Docks (1993) le dveloppera dans un article brillant qui rompt avec lengouement pour le toyotisme. Larticle de Boyer et Orlan constitue pour lessentiel un ralliement dfensif une mthodologie individualiste qui illustre les impasses de la rgulation et souligne de manire rtroactive les ambiguts de la notion de contrat social. Toute dynamique sociale est vacue et le mode de rgulation devient une convention comparable au Code de la route. La thorie de la rgulation est ds lors ballotte entre deux positions symtriques consistant tantt dire que le mauvais capitalisme lemporte sur le bon , et tantt montrer quil nexiste que des capitalismes concrets qui sont construits partir dune combinatoire dans laquelle on peut puiser volont. Entre lanalyse et la norme, le message est dfinitivement brouill, ou rduit quelques lieux communs de bon aloi : la comptitivit ne dpend pas seulement du cot du travail, le march ne peut tre pleinement efficace sans institutions, le capitalisme sauvage nest pas forcment le plus lgitime, et le modle japonais est atteint mais rsiste malgr tout. Cette trajectoire vient de conduire les rgulationnistes un nouveau changement de cap. Lhorizon post-fordiste (changerais rduction du temps de travail contre implication des salaris) est dfinitivement abandonn pour celui du capitalisme patrimonial (changerais intensification du travail et gel des salaires contre stock options). Cest un point quil faut souligner avec vigueur et que les rgulationnistes vitent soigneusement dvaluer dans leur recueil (Boyer et Saillard 1995) : la ralit capitaliste leur a inflig un dmenti cinglant puisque cest un modle no-libral qui sest install. Le symbole le plus frappant en est sans doute la fermeture par Volvo de lusine dUddevalla en Sude qui avait inspir le concept (mort-n) duddevalisme ! Ce que proposent aujourdhui les rgulationnistes na rien voir avec ce quils avanaient il y a dix ans, sans que les implications de ce revirement aient jamais t tires.

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    Le nouveau mode de rgulation du capitalisme Puisque le fordisme est fini et que le capitalisme ne sest pas effondr, cest donc que ce dernier a su inventer quelque chose de neuf, et quun nouveau mode de rgulation sest mis en place. Les rgulationnistes ont au fond oubli dtre rgulationnistes, puisquil auront pass vingt ans expliquer que nous sommes la croise des chemins au lieu dtudier ce mode de rgulation qui sinstallait sous nos yeux. Ou alors, en poussant jusquau bout la drive harmoniciste, il faudrait rserver le label aux bonnes rgulations, stables, cohrentes et lgitimes. Mais que se passe-t-il pendant les priodes de cohrence instable, et en particulier au cours de cette phase rcessive de londe longue daprs-guerre ? Il nous semble au contraire que lon peut trs bien exposer - dun point de vue marxisto-rgulationniste si lon veut - les paramtres dun modle de fonctionnement du capitalisme fond sur laugmentation parallle du taux dexploitation, du taux de chmage et de la part du revenu national allant aux rentiers. Plutt que de no-fordisme, il faudrait plutt parler de no-malthusianisme. A ct de sa fameuse loi de population, Malthus est aussi linventeur dune intressante thorie dmontrant la ncessit dune classe de consommateurs improductifs comme moyen daugmenter la valeur changeable de la totalit des produits . Certes, Malthus aurait bien voulu que soit possible le bonheur de la grande masse de la socit . Mais une progression exagre des salaires doit beaucoup augmenter les frais de production ; elle doit aussi faire baisser les profits, et diminuer ou dtruire les motifs qui engagent accumuler . Dun autre ct, Malthus voit bien que la consommation des classes productives tendra tre infrieure loffre des produits matriels, et cest donc assez logiquement quil en conclut la ncessit dun corps de consommateurs qui ne soient pas directement engags dans la production . Ces questions sont de vieilles questions de rgulationniste et il nous semble que cest bien ainsi que fonctionne le capitalisme contemporain (Husson 1996). Dans ces conditions, o un taux de chmage lev entretient une pression constante sur le salaire et o existent des dbouchs de substitution la demande salariale, il est rationnel de bloquer les salaires. Tous les arguments sur les nouvelles productivits la base dun nouveau consensus social seffacent devant le constat (Coutrot 1998) que lon peut rsumer ainsi : les patrons ont le beurre (limplication salarie) et largent du beurre (le blocage des salaires). Cest la revanche des invariants capitalistes et au premier chef de la concurrence entre capitalistes privs. La thorie du capitalisme patrimonial ou linvolution Mais il sagit dune rgulation trs rgressive, et les rgulationnistes pensent que le capitalisme peut mieux faire. Par des voies dtournes, ils sont en train de reconstituer leur unit autour dun projet dactionnariat salari adapt au capitalisme patrimonial . Pour en arriver l, il a fallu oprer un nouveau basculement et faire des relations entre la finance et lindustrie un rapport fondamental qui surdtermine le rapport salarial. Lopration a t mene par Aglietta qui propose un nouveau principe de priodisation du capitalisme reposant exclusivement sur le mode de financement de laccumulation : la finance oriente en trs longue priode le dveloppement du capitalisme. Elle dtermine les conditions de financement qui, alternativement, entranent des phases longues o la croissance est encourage, puis dcourage (Aglietta 1995). Lhistoire du capitalisme serait ainsi scande par la succession de deux grands modes de financement. Les systmes financiers structures administres ont pour avantage de sauvegarder les projets dinvestissement de telle sorte que laccumulation du capital

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    est prserve mais que linflation peut tre variable . Au contraire, la finance libralise admet les proprits inverses : elle favorise une inflation stable et basse, mais entrave laccumulation . Cest donc une lecture indite de lhistoire longue du capitalisme et de ses crises que nous invite Aglietta. Vingt ans aprs avoir propos une analyse du capitalisme fonde sur des notions telles que la norme de consommation salariale, Aglietta revient sur cette comprhension dune ncessaire articulation des diffrents domaines de la reproduction du capital, pour rabattre toute la dynamique du capitalisme sur une seule dimension, celle de la finance. Une boucle est donc effectivement boucle, qui ramne les rgulationnistes lune de leur matrice de dpart, autrement dit le keynsianisme. Dans un texte rdig pour la Fondation Saint-Simon, Robert Boyer et Jean-Louis Beffa concluent que la cration de fonds salariaux linitiative des entreprises et des syndicats puis leur gestion en fonction dobjectifs arrts en commun, quitte ce quelle soit confie des professionnels, pourrait marquer une avance, en terme de nouveaux droits sociaux . Michel Aglietta justifie de nouvelles formes de rmunration par les transformations du travail : avec les technologies actuelles, ce sont au contraire linitiative et ladaptation qui sont valorises (...) vous navez plus la garantie de lemploi, mais vous recevez une part des profits sous la forme de participation, dintressement, ou de stock options pour les cadres dirigeants : le partage des responsabilits sest accompagn du partage des profits . Quant Lipietz, il a trouv avec les mutuelles la nouvelle forme institutionnelle pour le XXIme sicle : mme si lon demeure persuad de la robustesse des retraites par rpartition face aux instabilits financires et dmographiques, on ne peut plus exclure la contribution dune composante complmentaire par capitalisation (...) Cette volution correspond deux demandes sociales ; laspiration une certaine souplesse et une certaine diversification (...) le souci dasseoir la capitalisation des entreprises franaises sur une base financire intresse lemploi en France (Lipietz 1999). La boucle est ainsi boucle. Les rgulationnistes ont choisi de se faire les apologues de lactionnariat salarial et ont au passage abandonn toute rigueur scientifique. La manire dont Aglietta vante la dmocratie en Amrique est en effet un vritable travestissement dune russite fonde sur une concentration des revenus (et de la dtention dactions) sans prcdent. De plus, en suggrant que ce modle est transfrable, les rgulationnistes oublient purement et simplement les avantages tirs de la situation de puissance dominante des Etats-Unis, confirmant ainsi leur incapacit intgrer le concept dconomie mondiale. On pourra encore trouver dans les textes rgulationnistes des lments danalyse et dutiles revues de la littrature, mais peu de suggestions abouties pour ceux qui veulent comprendre le monde et le transformer. Cest dommage, parce que cette trajectoire ntait sans doute pas la seule possible : la thorie de la rgulation aurait pu faire oeuvre plus durable au lieu de rompre avec la tradition critique du marxisme pour devenir une sorte de think tank pour directeurs des ressources humaines. Bio-bibliographie Michel Husson est conomiste et membre du conseil scientifique dAttac. Il a coordonn deux ouvrages de dbats pour AC ! (Donnes et arguments n1 et 2, Syllepse, 1994 et 1995) puis contribu au livre de la Fondation Copernic, Les retraites au pril du libralisme, Syllepse 1999. Aprs Misre du capital (Syros 1996) et Les ajustements de lemploi (Page Deux, Lausanne, 1999), il vient de faire paratre, chez Textuel, un essai sur la population mondiale : Sommes-nous trop ?

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