reflets essec n°85

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IDÉES Création de valeur… dix ans après TRIBUNE Milton Friedman ressuscité CRÉATION D’ENTREPRISE L’aide à domicile revisitée magazine N° 85 GUILLAUME JACQUEAU DG BARCLAYS PRIVATE EQUITY FRANCE “Dans notre métier d'investisseur, il n'y a pas de succès sans écoute” AVOCATS QUESTIONS D’ACTUALITÉ DIVERSITÉ UNE CHANCE POUR LA FRANCE DISTRIBUTION LES ENJEUX DU E-COMMERCE EXPERTISES AVRIL 2010 - 11

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Revue d'information et de réflexion économique

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Page 1: REFLETS ESSEC N°85

IDÉES

Création de valeur… dix ans aprèsTRIBUNE

Milton Friedman ressuscitéCRÉATION D’ENTREPRISE

L’aide à domicile revisitée

magazine N° 85

GUILLAUME JACQUEAUDG BARCLAYS PRIVATE EQUITY FRANCE

“Dans notre métier d'investisseur, il n'y a pas de succès sans écoute”

magazine N° 85

AVOCATSQUESTIONS D’ACTUALITÉ

DIVERSITÉUNE CHANCE POUR LA FRANCE

DISTRIBUTIONLES ENJEUX DU E-COMMERCE

EXPERTISES

AVRIL 2010 - 11

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page 3 mars-avril 2010

éditorial

e rapport moral et le rapport financier de

notre association des alumni évoquent la

mise en place de « l’association du XXIème

siècle ». De quoi peut-il s’agir ? Après tout,

cela fait déjà dix ans que nous sommes entrés dans

ce siècle, et nous y faisons plutôt bonne figure.

Alors, quels sont les nouveaux défis ? D’abord, peut-être, se libérer de ce vocable d’ « asso-

ciation », très franco-français et peu compris à l’inter-

national. Les « anciens » ont déjà fait place aux « alu-

mni », ce qui est un progrès.

Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est notre faculté à deve-

nir un véritable club qui apporte à l’Ecole la force conju-

guée de ses membres. Dans beaucoup d’universités

étrangères de premier plan, les diplômés rendent un

hommage permanent à l’institution qui les a formés : ils

s’y retrouvent avec plaisir pour tous les grands évène-

ments (colloques, matchs sportifs, inaugurations de

toutes sortes…). De plus, ils ont à cœur de considérer

leur « alma mater » comme artisan principal de leur

réussite quand réussite il y a, tout comme cette « alma

mater » doit son renom à la réussite de ses « rejetons ».

Ils le prouvent d’ailleurs financièrement, et moins timi-

dement qu’en France où cela n’est pas encore vraiment

entré dans les mœurs : d’où la richesse des fondations

et autres « endowments » qui assurent la pérennité des-

dites universités. Ne nous y trompons pas : la santé

financière des grandes écoles françaises dépendra de

plus en plus de leur aptitude à « aller au charbon » pour

récolter des fonds. En effet, la partie de la taxe d’appren-

tissage consacrée aux écoles va devenir une peau de

chagrin, et les subven-

tions publiques seront de

plus en plus « mesurées ».

Les alumni – pas seuls

certes – devront donc

prendre le relais : il faut se

faire à cette idée et s’y

préparer.

Autre défi, parmi tant

d’autres : la solidarité.

Elle existe évidemment

aujourd’hui, et de manière ô combien efficace. Mais là

encore, il s’agit d’un véritable état d’esprit : tout alumnus

devrait avoir pour principe de répondre systématique-

ment – même si c’est par la négative – à un alumnus qui

s’adresse à lui. C’est là le véritable « effet réseau ». Bien

sûr, cela ne marchera que si personne n’en abuse : toute

publicité doit être bannie de ce genre de communica-

tion, sauf à être signalée comme telle.

Enfin, preuve que nous aurons relevé nos défis : se

sentir fortement membres d’un club. L’idéal, ce serait

qu’un alumnus qui doit donner un rendez-vous d’af-

faires ou d’amitié à quelqu’un le fasse dans les locaux

de l’association (que certaines universités d’outre

atlantique appellent « memorial union »), à condition

bien évidemment que ces locaux s’y prêtent !

Si je devais définir l’association des alumni du XXIème

siècle, je dirais qu’il s’agit d’un club à forte cohésion,

solidaire, mettant tous les moyens de ses membres au

service de l’Ecole et de la marque ESSEC, un club

auquel on serait fier d’appartenir. Plaise à vous tous

que ce ne soit pas un rêve !

Les Alumnidu XXIe siècle …

Mahamadou Sako >E85 président d’esseC Alumni

L

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PAGE 5 MARS-AVRIL 2010

PAGE 90 : ILS ONT PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE NUMÉRO.

SOMMAIRE

IDÉES

Création de valeur… dix ans aprèsTRIBUNE

Milton Friedman ressuscitéCRÉATION D’ENTREPRISE

L’aide à domicile revisitée

magazine N° 85

GUILLAUME JACQUEAUDG BARCLAYS PRIVATE EQUITY FRANCE

“Dans notre métier d'investisseur, il n'y a pas de succès sans écoute”

magazine N° 85

AVOCATSQUESTIONS D’ACTUALITÉ

DIVERSITÉUNE CHANCE POUR LA FRANCE

DISTRIBUTIONLES ENJEUX DU E-COMMERCE

EXPERTISES

AVRIL 2010 - 11

REFLETS MAGAZINERevue d’information et de réflexion économique

70, rue Cortambert75116 ParisTÉL. : 01 56 91 20 20FAX : 01 56 91 20 21E-MAIL : [email protected] 2009Prix du numéro : 11 Prix de l’abonnement annuel (5 numéros)France : 40 COMMISSION PARITAIRE :1113 T 88 549ISSN : 1955-7779GÉRANT DIRECTEUR DE LA PUBLICATIONPhilippe Desmoulins>E78PRÉSIDENT DU COMITÉ EDITORIAL : Guy StievenartRÉDACTEUR EN CHEFMarie-Jo [email protected]ÉVISION-CORRECTIONSSylvia Massias

PHOTOGRAVURE IMPRESSIONEDIRImmeuble Le France9, rue Montgolfier33700 MérignacDÉPÔT LÉGAL : Avril 2010REFLETS MAGAZINEest édité par ESSEC PUBLICATIONS SARL de presse au capital de 61 000 eurosPHOTOGRAPHIES :Steve MurezPUBLICITÉ : F.F.E. 18, avenue Parmentier, 75011 ParisSerge SchandoTÉL. : 01 43 57 91 62FAX : 01 43 57 97 92CONCEPTION RÉALISATION MAQUETTE :

63, rue Marius-Aufan,92300 Levallois-PerretTÉL. : 01 80 88 53 [email protected]

6 ACTUALITÉGlobal Sports Forum Barcelona : zoom sur la 2e édition .......... 6

Women on boards : present perfect ? : table ronde de l’European PWN ........................................................................................................................ 7

Lancement de l’IDC/Institut diplomatique et consulaire ...... 7

Remise du prix du Cercle Montesquieu ............................................................ 7

8 IDÉESLa création de valeur : dix ans après ................................................................. 8

10 TRIBUNE LIBREMilton Friedman ressuscité ............................................................................................. 10

12 CRÉATION D’ENTREPRISESenior Compagnie : l’aide à domicile revisitée .................................... 12

14 L’INVITÉGuillaume Jacqueau, directeur général France Barclays Private Equity : clés pour comprendre le métier de private equity .............................................................................................................................. 14

EXPERTISES

24 AVOCATSQuestions d’actualité ................................................................................................................ 24

35 DIVERSITÉLa diversité, une chance pour la France ........................................................ 35

41 DISTRIBUTIONLes enjeux du E-Commerce ............................................................................................ 41

54 MOUVEMENTSNominations, On en parle dans la presse .................................................... 54

63 CAMPUSSemaine de l’entrepreneuriat ....................................................................................... 63

Quand les diplômés soutiennent la philanthropie ........................ 64

Mastères spécialisés : cérémonie de remise des diplômes......65

Sociologie des femmes entrepreneurs : une étude riche d’enseignements ............................................................................................................................. 66

69 ALUMNIValeurs, services, réseaux, échanges, vie de l’Association et des Clubs .................................................................................................................................................... 69

89 À LIRE

N° 85

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actualitéactualité

Mars-avril 2010 page 6

Global SportS Forum barcelona

Débat autour De la place Du sport Dans nos sociétésLa deuxième édition a rassembLé pLus de 1 000 personnes venues des cinq continents. 70 intervenants ont animé Les débats. L’édition 2010 a confirmé La vocation du GLobaL sports forum, de véritabLe pLateforme d’interactions entre Le monde du sport, La société civiLe et Le monde économique.

Pendant deux jours et demi, conférences et

débats se sont succédés, portant sur quatre grands enjeux d’actualité : le déve-loppement durable, la nou-velle géographie du sport, le digital et la jeunesse. Ces grands axes ont été traités à travers huit thématiques : sport et éducation ; sport business ; sport, culture et créativité ; sport et santé ; sport dans la cité ; grands événements sportifs ; sport, coopération et philanthro-pie ; sports et géopolitique.

Majestueux et éMouvantLucien Boyer, PDG de Havas Sports, Commissaire du Global Sport Forum, a donné le coup d’envoi de l’événement. Il a notamment mis l’accent sur la place qu’occupe le sport dans notre société : le sport est partout, dans la rue, à la télévision, dans les cours d’école… c’est un moyen puissant et efficace de transmettre un message à un grand nombre d’acteurs - particuliers, entreprises ou institutions – de les inciter à agir en lançant des projets audacieux et novateurs, destinés à amélio-rer la vie au quotidien…le sport véhicule des valeurs fortes, incite à l’action, au dépassement de soi… Lucien Boyer a également rappelé l’objectif principal du forum : permettre une meilleure com-préhension du rôle essentiel que joue le sport dans la société d’aujourd’hui. Le sport, a-t-il dit, fait partie intégrante de notre vie quotidienne ; il faut en faire un véhicule de progrès social. Le Global Sports Forum représente une excellente occasion de faire de cet objectif une réalité.

L’allocution de bienvenue de Jordi Hereu – maire de Barcelone, partenaire prin-cipal de l’événement – a été suivie par une intervention émouvante de Evans Les-couflair, ministre de la Jeu-nesse, des Sports et de l’Ac-tion Civique de Haïti : « La jeunesse Haïtienne veut res-ter debout a-t-il déclaré… le sport, parce qu’il plaît aux jeunes, parce qu’il est source de joie et parce qu’il est un formidable vecteur de socia-lisation, peut contribuer à nourrir une nouvelle espé-rance en l’avenir… et favori-ser un meilleur équilibre

psycho-social de ces enfants en déshérence ».

ReMise des « Global spoRts FoRuM tRophies »C’était l’une des grandes innovations de cette deuxième édition du Global Sports Forum Barce-lona. L’idée à l’origine de la création de ces tro-phées, est de présenter au monde entier des initia-tives de qualité liées au sport, dans différentes catégories, correspondant aux thématiques de cette deuxième édition du Global Sport Forum. 49 projets avaient été adressés au jury de présélection. La sélection finale s’est faite sur la base des critères suivants : innovation, répercussions sociales, dura-bilité et capacité à relever les défis.Les gagnants ont reçu les Trophies créés par la sculptrice espagnole Pepa Galindo.A l’issue de ces journées, Lucien Boyer, Commis-saire de l’événement, s’est félicité du succès de cette édition qui s’inscrit dans la continuité de la précédente. •

Lucien Boyer >E85, PDG Havas Sports, Commissaire du Global Sports Forum

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actualitéactualité

page 7 Mars-avril 2010

Le ministère des Affaires étrangères et européennes se dote d’un Institut diplomatique et consulaire (IDC). Inauguré par Bernard Kouchner, l’IDC délivrera une formation de quatre mois aux 44 nouveaux diplomates ayant rejoint le ministère en 2010.Dans ce cadre, et au terme d’un appel d’offres, le ministère a sélectionné l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation – ESSEC Iréné – pour concevoir et animer un séminaire consacré à « la négociation diplomatique : méthodes et pratiques ». Cette formation est coordonnée par Aurélien Colson, professeur de science politique et de négociation, directeur d’ESSEC Iréné.

Le prix du Cercle Montesquieu 2010 a été attribué à l’ouvrage « Stratégies juridiques des entreprises » (éd. Larcier), dirigé par Antoine Masson, chercheur associé au Centre Européen de Droit et d’Economie de l’ESSEC. Les professeurs Viviane de Beaufort et Hugues Bouthinon-Dumas – du département Droit et environnement de l’entreprise – font également partie des contributeurs à cet ouvrage collectif.Le Cercle Montesquieu est une association de directeurs juridiques d’entreprises qui récompense chaque année le meilleur ouvrage de droit des affaires soulignant l’importance du droit des affaires dans la vie de l’entreprise.

EuropEanpWn

Women on board : present perfect ?LES fEMMES DoIVEnt-ELLES ALLEr juSqu’Au ConSEIL D’ADMInIStrAtIon pour réuSSIr ? tEL étAIt LE tHèME Du CoCKtAIL-DéBAt orgAnISé, à L’oCCASIon DE LA « journéE DE LA fEMME », pAr LE réSEAu EuropEAn profESSIonAL WoMEn’S nEtWorK .

T rois personnalités ont participé à la table ronde

animée par Emmanuelle Gagliardi – rédactrice en chef de L’On TOP – sur ce sujet : Junko Takaki, professeur enseignant, associé départe-ment management, co-titu-laire de la Chaire Diversité et Performance de l’ESSEC ; Evelyne Sevin, partner, head of diversity council, Egon Zhender International ; Viviane Neiter, consultante, administrateur de sociétés cotées.L’organisation de cette table ronde – qui fait suite au projet de loi voté par l’Assemblée Nationale au mois de janvier dernier – s’inscrit dans le cadre des actions menées par EuropeanPWN pour pro-mouvoir les femmes cadres à chaque stade de leur car-rière.

Une étUDe qUI Dresse Un étAt Des LIeUxA l’automne dernier, Euro-peanPWN avait co-publié une étude intitulée « L’accès et la représentation des fem-mes dans les organes de gou-vernance d’entreprise » réali-sée en partenariat avec l’IFA/Institut Français des Admi-nistrateurs et l’ORSE/Obser-vatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Ce travail avait permis d’établir un état des lieux impartial sur un large champ d’investiga-tion international et de décrire les situations et les initiatives entreprises dans différents cadres réglemen-taires destinés à améliorer la représentation des femmes dans l’entreprise, ainsi que dans les conseils d’adminis-tration.

Les intervenantes à la table ronde

BrèvEs

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Mars-avril 2010 page 8

idées

Souvent présentée comme une innovation mana-gériale majeure, la « création de valeur » a modi-

fié les pratiques de pilotage des entreprises depuis la fin des années 1980. Ce concept a d’abord touché les entreprises américaines, avant d’atteindre l’Europe au cours des années 1990 et d’influencer assez pro-fondément aussi bien les discours des dirigeants que la réalité opérationnelle de quelques groupes emblé-matiques. Cet article revient sur une étude menée par les auteurs au début des années 2000 relative à la mise en œuvre de cette approche dans les entreprises qui s’étaient à l’époque le plus engagées dans cette voie. Cette recherche, basée sur des interviews de nom-breux dirigeants français et étrangers, avait conduit à proposer une typologie de situations mettant notam-ment en avant l’écart entre discours externes et pra-tiques internes d’une part et, d’autre part, l’impact sur quelques outils-clés, comme les indicateurs de per-formance ou les systèmes d’incitation.

La griLLe initiaLeLa première section de l’article analyse la situation actuelle à la lumière de cette typologie. L’une des conclusions fut qu’au delà de discours généralement très volontaristes sur la création de valeur, les réalités étudiées pouvaient être classées en trois types. La

situation 1 s’expliquait essentiellement par des considérations de relations publiques externes (répondre à la pression des marchés financiers en matière de gouvernance d’entreprises). La vraie question était alors de savoir si les entreprises en question allaient se contenter de satisfaire à un effet de mode (adoption de la référence à la création de valeur comme discours idéologique incontournable) ou bien s’il s’agissait d’une étape pour modifier les pratiques internes. La situation 2 – la plus courante – correspondait à une étape au cours de laquelle l’entreprise reconnaissait que, si son but fut de tout temps de créer de la valeur, les développements récents fournissaient une aide pour rendre cette idée plus opérationnelle. La situation 3 renvoyait à quel-ques cas emblématiques : l’entreprise déployait systématiquement des démarches promues d’ac-teurs tels que Stern&Stewart sur l’EVA.

Les évoLutionsPar rapport à cette grille initiale, la première chose frappante aujourd’hui est la réaction de ces mêmes dirigeants relativement à la question « Où en êtes-vous en termes de pilotage de la création de valeur ? » : « C’est devenu tellement évident que l’on n’en parle même plus ! » Tous expliquent invariablement : « Oui,

Nicolas MottisJean-Pierre Ponsard*

Création de valeur, dix ans après…**

Comme dans les numéros précédents, nous consacrons cette rubrique aux travaux de recherche des professeurs de l’eSSeC. il existe en effet un déficit de communication sur ce sujet entre l’institution et les alumni, surtout pour les plus anciens d’entre eux. nous revenons ici sur un important article publié en 2009 par nicolas Mottis et Jean-Pierre Ponssard (professeur à l’ecole Polytechnique). il traite d’un sujet fondamental : quelle a été et quelle est aujourd’hui la stratégie de « création de valeur » des entreprises, et quel est le niveau de « sincérité » des acteurs à ce sujet, allant du simple effet d’annonce et de mode à la véritable mise en œuvre d’une stratégie cohérente ? il souligne surtout la différence entre le discours des années 70, époque où la chose constituait un véritable élément de communication financière, et aujourd’hui : c’est devenu « tellement évident qu’on n’en parle même plus ! ». on n’en parle plus, mais la pratique-t-on encore ? l’article fait avec sincérité le point sur la question. Petit glossaire pour les nuls : eva signifie economic value added, et Mva Market value added.

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page 9 Mars-avril 2010

c’est incontournable, nous avons fait de gros efforts pour optimiser notre coût du capital et pour mieux contrôler le niveau de nos capitaux engagés au cours des dernières années » ; « nous avons d’ailleurs développé nos propres critères pour cela ». Accessoirement, il devient très difficile de trouver des entreprises qui citent explicitement l’EVA ou la MVA, critères qui avaient pourtant fait l’objet d’un dépôt de marque par leur promoteur (!) et de classements dans la presse il y a quelques années. Ce changement s’explique en partie par quelques éléments macroécono-miques s’inscrivant dans la longue durée.

Le poids des aspects macroéconomiquesC’est l’objet de la deuxième section du papier qui tente, à partir d’une perspective historique sur la rentabilité du capital au niveau international, d’expliquer pourquoi ce concept a perdu de son importance, d’autant plus depuis la crise financière de 2008 qui a remis au premier plan d’autres critères comme la liquidité. En particulier, dans le cas de la France et plus généralement de l’Europe continentale, un facteur explique la pression exercée il y a dix ans par les actionnaires sur les dirigeants des firmes concernées : la sous-rémunération structurelle du capital par rapport aux entreprises américaines, sous-rémunération qui était maximale au début des années 1990. Cet écart s’est progressivement effacé à partir du milieu des années 2000 et a donc rendu la variable moins « urgente » pour de nombreuses firmes françaises. Une analyse des statistiques sur des groupes cotés permet aussi d’illustrer l’impact des équipes diri-geantes sur la création de valeur de leur entreprise et conduit donc à justifier l’intérêt porté, dans les débats sur la gouvernance, à la question de l’alignement des incitations dirigeants/actionnaires.

création de vaLeur et incitationsLa troisième section revient sur cette question des inci-tations, point sur lequel les pratiques ont le plus fortement évolué. Dans les années 1980, les rémunérations des dirigeants d’entreprises restaient marquées par des réfé-rences comptables et par leur faible corrélation avec la performance boursière. L’accent mis sur la création de valeur ne pouvait pas ne pas susciter une réaction sur les

modes de compensation. Quelques cas exemplaires de changement de système sont donc étudiés. Une interpré-tation mobilisant les concepts de « contrôlabilité » (capa-cité à maîtriser effectivement un phénomène en dispo-sant des leviers d’action correspondants) et de congruence (alignement des intérêts dirigeant/actionnaire) est pro-posée : si la prise en compte de la contrôlabilité a perdu beaucoup de terrain, conséquence naturelle de la critique des approches comptables et budgétaires traditionnelles, la congruence a pris une grande place et a justifié des évolutions comme l’explosion des parts variables, en particulier assises sur des vecteurs comme les actions ou stock-options supposées sensibiliser à la valeur action-nariale. Or, ce qui a été gagné en congruence a de facto entraîné une forte perte de contrôlabilité : en pratique, on a ouvert une boîte de Pandore sans vraiment savoir comment la refermer – un exemple caricatural ayant été les manipulations autour d’outils comme les stock-options. Cette grille de lecture permet de reboucler avec des débats plus généraux sur la théorie des incitations.

concLusionsL’article conclut sur trois points :Premièrement, passée la phase d’optimisation générale des capitaux engagés dans la grande majorité des entre-prises, les dernières années ont été marquées par le retour à des critères plus classiques, tel que le ROCE, ou plus conjoncturels, tel que le suivi de la trésorerie, notamment depuis la crise financière de 2008. Deuxièmement, sur un plan macroéconomique, la pression relative sur l’optimi-sation du coût du capital et des capitaux engagés a beau-coup baissé dans le cas des entreprises françaises, simple-ment du fait du rattrapage effectué au cours de la décennie écoulée vis-à-vis des groupes américains en particulier. Troisièmement, la remise en cause générale, notamment sur la scène politique et syndicale, de mécanismes d’inci-tation jugés abusifs et la montée d’autres thèmes (RSE, sécurité, environnement…) déplacent le problème sur des approches mettant davantage l’accent sur les dimensions non financières du pilotage et marquent probablement le retour vers l’opérationnel et la contrôlabilité des systèmes de gestion de la performance. l

* Jean-Pierre Ponsard est professeur à l’École polytechnique.** Extrait d’un article publié dans le numéro spécial de la Revue française de gestion, « Concilier finance et management », décembre 2009 (n° 198-199).

Nicolas MottisProfesseur à l’esseCdocteur en économie de l’école polytechnique, nicolas mottis est professeur à l’essec, dont il a été directeur de 2002 à 2005. ses recherches portent notamment sur l’articulation entre stratégie et contrôle de gestion (modèles de gouvernance, relations investisseurs, systèmes d’incitations et de mesure de la performance).

il a notamment publié récemment contrôle de gestion et pilotage de l’entreprise avec deux collègues de l’essec, rené demeestère et philippe Lorino (4e édition, dunod, 2009) et édité l’ouvrage collectif L’art de l’innovation (L’Harmattan, 2007). il participe aux activités de l’aacsB (responsable du comité d’élaboration des standards, des premières accréditations en chine, du european affinity Group) ; il est également membre du cercle de l’entreprise.

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trib

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Les étudiants d’aujourd’hui connaissent-ils Milton Friedman ? De nom, certai-nement. Mais son œuvre principale ?

Un livre publié en 1962, en plein keynésia-nisme ! Pourtant, tous vous diront que sa pen-sée est à l’origine du libéralisme économique le plus débridé. Les plus radicaux se rappelle-ront que ses « Chicago boys » sillonnaient l’Amérique Latine dans les fourgons des pires dictateurs. Michel Rocard a même affirmé que Milton Friedman aurait dû être jugé pour cri-mes contre l’humanité : rien que ça. Quelle trahison pour l’ouvrage en question, «Capita-lisme et Liberté », qui s’est contenté d’affirmer haut et fort que la liberté économique était nécessaire à la liberté politique ( mais proba-blement pas suffisante, comme le montrent les expériences asiatiques actuelles). Et quelle injustice vis-à-vis de celui qui affirmait en 1975 qu’il « s’opposait à toute ingérence du gouver-nement dans l’économie ». Injustice encore que de lui attribuer les grandes dérèglementations des années 80 et 90, œuvre principale de l’ad-ministration Reagan, alors que sa proposition de mettre fin aux professions réglementées n’avait rencontré que peu de succès. Injustice enfin que de lui attribuer la constitution des grosses bulles financières de la fin du siècle, lui qui recommandait – sans en faire un dogme absolu – de laisser croître la masse monétaire à un rythme de l’ordre de 3 à 5%, un rythme en somme parallèle à celui de la croissance de l’économie « réelle ». Il faut saluer l’initiative des éditions Leduc d’avoir réédité en français cet ouvrage, jugé par de nombreux critiques comme l’un des plus importants du vingtième siècle. Il faut aussi remercier André Fourçans, professeur bien connu d’Economie à l’ESSEC pour sa préface qui, derrière un esprit critique louable ne cache pas son admiration pour la philosophie fondatrice de Friedman. Car – il le souligne – cet ouvrage est plus un traité de philosophique qu’un manuel d’économie. Cette préface nous rappelle que l’ESSEC fut, dans les années 70, l’un des hauts lieux en France où s’exprimait la pensée libérale, avec des esprits aussi exceptionnels que Florin Afta-lion, Frédéric Jenny, et bien sûr André Four-çans.

Que nous dit Friedman de si important ? D’abord qu’il se méfie de l’« intérêt géné-ral » : en digne continuateur d’Adam Smith, il estime qu’une société n’est jamais mieux gérée que comme une somme d’intérêts particuliers. Or l’idée même d’un chef d’or-chestre de l’intérêt général est suspecte à ses yeux : existe-t-il chez les fourmis ou les chenilles un chef suprême qui les pousse à se mettre en ligne ? Certes non : chacune ne voit que l’« intérêt » qui la pousse à se mettre derrière sa congénère la plus proche. Donnez un coup de pied dans la ligne, et elle se reformera spontanément. Aucun organisateur n’y arriverait plus efficace-ment.Autre concept central de notre économiste : la « flat tax », c'est-à-dire un impôt sur le revenu non progressif, et qui serait de l’ordre de 20%. Seuls les individus (revenus du travail et dividendes distribués) seraient imposés : on comprend les hurlements de la classe politique, toutes tendances confon-dues. Et pourtant … les calculs montrent que les prélèvements seraient au total peu différents de ce qu’ils sont aujourd’hui. D’ailleurs Milton Friedman défend en contrepartie l’impôt négatif, proche de notre RSA. Serait-il à l’origine du « welfare state » ? Ce n’est pas là qu’on l’attendait !Enfin, Friedman est surtout connu comme le chef de file des « monétaristes ». Il criti-que vertement ceux qui « jouent » avec la masse monétaire. Pour lui, celle-ci doit obéir à des règles claires, simples et connues de tous : une croissance de l’ordre de 5% par an afin de lutter contre l’inflation (qui pré-valait à cette époque).Alors, un monstre, Milton Friedman ? On en est loin. IL n’a cessé au cours des années 70 et 80 de dénoncer les excès et dérèglements de la financiarisation du monde économique. Le rééditer constituait donc, dans le climat actuel, une œuvre de salut public. •

Michel Gaurier >e68

Milton Friedmn ressuscité

mars-avril 2010 page 10

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création d'entreprise

Mars-avril 2010 page 12

Reflets magazine. Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l’aventure entrepreneuriale ? Quelles étaient vos motivations ?Nicolas Hurtiger. Ma culture et mon environ-nement familial m’avaient, dès l’enfance, sen-sibilisé à l’entrepreneuriat : ma mère est d’ori-gine américaine, et ma tante a créé et développé son entreprise en Floride. Mon intérêt et mon goût pour l’entrepreneuriat se sont affirmés durant ma scolarité à l’ESSEC : mon expérience au sein de la Junior Entreprise a été en quelque sorte l’élément déclencheur. Parallèlement à la poursuite de mes études, je me suis mis en quête d’un concept porteur d’avenir ; c’est ainsi que je me suis intéressé à l’activité de l’aide à domi-cile : ce secteur, émergent et très atomisé, était encore peu structuré et présentait des opportu-nités de développement intéressantes.Senior Compagnie a été créée en décembre 2006, durant ma dernière année d’études.Je me souviens encore de la réaction de mon père lorsque je lui ai annoncé que j’avais refusé une offre d’emploi dans un cabinet de conseil, pour me lancer dans cette activité de l’aide à domicile : il en était estomaqué !… Il est aujourd’hui actionnaire de l’entreprise.

RM. Comment vous êtes-vous préparé à la création d’entreprise ?N. Hurtiger. Je m’étais fixé pour objectif de mettre à profit ma dernière année à l’ESSEC pour lancer mon projet. L’intérêt de ce timing est qu’il permet de limiter la prise de risque. Pour mettre toutes les chances de mon côté, j’avais orienté mon parcours en conséquence, en choisissant la filière « entrepreneuriat ». J’ai ainsi pu élaborer mon business plan en béné-ficiant de l’encadrement des professeurs et de spécialistes du monde de l’entrepreneuriat. Le

Senior Compagnie

L’aide à domiciLe revisitéeNicoLas Hurtiger a LaNcé soN eNtreprise duraNt sa derNière aNNée de scoLarité. de La geNèse de soN projet à sa mise eN œuvre, iL racoNte soN parcours d’eNtrepreNeur.

soutien et l’accompagnement de l’incubateur ESSEC Ventures et du réseau Paris Entrepren-dre m’ont été très utiles. L’incubateur de l’ES-SEC m’a aussi fourni une aide matérielle au départ, avec notamment la mise à disposition d’un bureau équipé et l’accès gratuit au service de reprographie.

RM. En quoi consiste votre concept ? Quel est le contenu de votre offre ?N. Hurtiger. L’idée force est de rompre l’isole-ment social des personnes âgées, en dévelop-pant une approche plus humaine, plus person-nalisée, de l’aide à domicile. Senior Compagnie offre des prestations à vraie dimension sociale et conviviale.Notre offre s’articule autour de trois axes : l’ac-compagnement – compagnie et conversation, promenades, accompagnement aux loisirs… ; l’aide pratique – tâches ménagères, courses, préparation des repas, tâches administrati-ves… ; l’aide à la personne – aide à la mobilité, soins et hygiène, toilette...

RM. De l’idée à la mise en œuvre, quelle a été votre démarche ?N. Hurtiger. Au départ, j’ai eu recours à un prêt étudiant et à un emprunt bancaire doublé d’un prêt d’honneur pour financer l’ouverture d’une agence en avril 2007 à Paris. Pour la première implantation, l’objectif était d’avoir un local commercial visible et bien situé, qui nous per-mette d’attirer une clientèle de passage et de rassurer quant à notre sérieux et notre profes-sionnalisme.Il a ensuite fallu constituer l’équipe Senior Compagnie. Nous avons d’abord recruté une responsable du personnel bénéficiant d’une expérience de plusieurs années dans ce métier

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création d'entreprise

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de l’aide à domicile ; elle est aujourd’hui direc-trice d’agence. L’étape suivante a consisté à sélectionner les intervenants.Le deuxième challenge était d’obtenir l’agrément qualité indispensable à la vente de prestations dans notre secteur d’activité. Une fois celui-ci obtenu, nous avons pu démarrer l’activité.Le décollage a été un peu difficile : en dépit de nos efforts commerciaux, l’acquisition client se faisait à un rythme plus lent que prévu. Mais nous avons rapidement réussi à rattraper nos objectifs de vente, avec 150 clients desservis la première année, et 400 la deuxième année.

RM. Vous évoluez dans un univers très concurrentiel. Quels sont vos atouts ?N. Hurtiger. Notre principal atout réside dans la nature et la qualité de nos prestations. C’est la raison pour laquelle nous sommes particu-lièrement attentifs au recrutement de nos intervenants : la sélection est très rigoureuse, des tests permettent de mesurer les qualités professionnelles autant que relationnelles des candidats. Nous investissons aussi beaucoup en formation continue pour développer le « savoir-être » de nos intervenants.Notre culture d’entreprise, basée sur la valorisa-tion du métier d’aide aux personnes âgées, crée une réelle identité de marque, originale, facile-ment repérable sur un marché fortement concur-rentiel. En instaurant ce cercle vertueux, Senior Compagnie fidélise un personnel qualifié qui garantit la satisfaction de ses clients grâce à un service d’une qualité irréprochable et pérenne.

RM. Comment avez-vous assuré le financement de votre développement ?N. Hurtiger. L’ouverture du capital a été néces-saire à l’obtention de fonds suffisants pour envisager une stratégie de développement à l’échelle nationale. Ainsi, en avril 2008, une première levée de fonds de 60 000 euros a été réalisée auprès de business angels. Une seconde levée de fonds, plus importante cette fois-ci, est intervenue en juin 2009, auprès de fonds d’investissement. Le montant total, qui s’élève à 450 000 euros, offre à Senior Compa-gnie les moyens d’accélérer sa croissance. Ces fonds sont destinés à financer une campagne marketing significative et à mettre en place l’ingénierie réseau pour le développement en franchises.

RM. Quel bilan tirez-vous de vos premières années d’activité ?N. Hurtiger. Aujourd’hui, notre agence pilote de Paris est rentable ; le point mort a été atteint comme prévu après dix-huit mois d’activité. Nous comptons quarante interve-nants, ce qui est également conforme aux prévisions de recrutement.Par ailleurs, et pour mieux répondre aux attentes de nos clients, nous avons repensé et enrichi notre offre : celle de départ comportait des pres-tations d’aide à domicile et de sorties de loisirs accompagnées. Nous pro-posons désormais aussi des services de loisirs à domicile.Au final, le bilan global est très positif. Nous avons bénéficié d’une couverture presse signi-ficative. De plus, Senior Compagnie a été élue lauréat de Paris Entreprendre en 2007, a rem-porté le prix « Art de Vie » du Petit Poucet en 2008, et a été nominée aux Trophées du Grand Âge en 2009.

RM. Quels sont vos projets à court et à plus long terme ?N. Hurtiger. Fort du succès de notre agence pilote à Paris, nous avons choisi de développer des franchises au niveau national : notre objec-tif, ambitieux, est d’avoir 100 implantations dans les toutes prochaines années.Nous proposons la franchise clé en main, avec une aide à la création et une transmission du savoir-faire qui garantissent le succès des fran-chisés. Un accompagnement complet est ainsi fourni, avec la présentation d’un état du mar-ché national et local, une formation de trois semaines, une assistance juridique et fiscale, une aide au recrutement des intervenants, un logiciel de gestion intégré, des campagnes de communication nationales et locales.Senior Compagnie est sur les rails. Nous som-mes confiants dans l’avenir de notre concept.

Nicolas Hurtiger >E07

L’idée force est de rompre l’isolement social des personnes âgées en développant une approche plus humaine de l’aide à domicile

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l’invité

Reflets Magazine : le private equity est au cœur de votre parcours. Pourquoi et comment avez-vous choisi ce métier ?Guillaume Jacqueau : Ce choix résulte d’une synthèse entre ma formation financière – un cursus orienté vers la finance à l’ESSEC, suivi d’un DESS de finance d’entreprise à Paris Dauphine – et mon intérêt pour des disciplines variées telles que le marketing, la stra-tégie ou les sciences humaines. Le pri-vate equity est en fait un métier assez généraliste, qui associe aux techniques financières un ensemble de compéten-ces, qui relèvent à la fois du sens com-

Guillaume JacqueauDirecteur général Barclays Private equity France

steve murez

trop souvent perçue comme une activité à dominante financière, le private equiy est en fait un métier généraliste qui associe aux techniques financières un ensemble de compé-tences, en matière de psychologie, de diplomatie, de communication… guillaume Jac-queau propose un éclairage intéressant, et accessible, sur un métier qu’il pratique avec bonheur depuis 20 ans, et qui attire aujourd’hui de plus en plus de jeunes diplômés.

mercial, de la psychologie, de la diplo-matie et de la communication avec les différents partenaires…J’avais découvert ce métier à l’occa-sion d’une étude de cas. J’avais d’em-blée été séduit par cette démarche d’investisseur qui analyse un dossier, investit dans une PME qu’il va suivre, en tant qu’administrateur, pendant plusieurs années.A l’issue de mes études, j’ai effectué mon service militaire dans la marine ; j’occupais la fonction d’aide de camp de l’amiral qui commandait l’escadre de Méditerranée. J’ai navigué sur le

Colbert, les porte-avions Clémenceau et Foch… j’ai vécu une expérience très enrichissante ; j’y ai appris la rigueur, la gestion de crises et de risques, l’an-ticipation… j’ai acquis des réflexes et intégré des comportements qui me sont toujours très utiles dans l’exercice de mon métier d’investisseur. Cette parenthèse de 16 mois m’a permis de prendre du recul, et surtout d’avoir une vision claire de l’orientation pro-fessionnelle que j’avais envie de pren-dre. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me diriger vers le private equity.

« Dans notre métier d’investisseur, il n’y a pas de succès sans écoute »

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RM : Quelles ont été les principales étapes de votre parcours ?G. Jacqueau : j’ai commencé mon par-cours à la Banexi/groupe BNP. J’ai eu la chance de participer au démarrage du fonds Euromezzanine, premier fonds français créé par BNP et le Crédit Natio-nal de l’époque. Ce fut une expérience très formatrice et très enrichissante. Je garde un excellent souvenir de ces cinq années d’apprentissage. En 1995, j’ai rejoint Barclays Private Equity. C’était encore, à l’époque, une petite structure, déjà très dynamique, qui occupait une position de challenger face à des acteurs – filiales de banques puissantes – bien installés sur ce marché. J’ai tout de suite été séduit par la culture de cette entité encore jeune sur le marché du private equity : le pragmatisme, une très grande liberté de manœuvre, l’absence de dogme sur les investissements – qu’il s’agisse de taille d’entreprises ou de sec-teur d’activité – et une grande ouverture sur tous les types de situation offrant des perspectives intéressantes. J’ai intégré Barclays Private Equity en qualité de chargé d’affaires. J’ai été nommé direc-teur en 1998, puis directeur général France en 2001. Je suis aussi, depuis 2007, managing director européen et membre du comité d’investissement européen ; je participe, à ce titre, aux réflexions concernant certains investis-sements européens à l’étranger.

RM : Comment appréciez-vous l’évolution du métier de private equity durant les deux dernières décennies ?G. Jacqueau : Ce métier s’est effective-ment beaucoup développé depuis 20 ans : on peut mentionner tout d’abord la très forte augmentation du nombre d’acteurs, passant d’une dizaine il y a 20 ans, à plus de 200 aujourd’hui ; on a observé en parallèle un accroissement très significatif du volume de fonds dis-ponibles et d’opportunités d’investisse-ments. Le private equity s’est enfin beaucoup intermédié.Barclays Private Equity s’inscrit pleine-ment dans cette évolution : au fil des ans, la structure s’est étoffée : nous sommes passés d’une équipe de 5 personnes à près de 20 aujourd’hui ; la progression, en termes d’investissements, a aussi été très significative : en 1995, le ticket moyen d’investissement était de l’ordre de 3 à 10 millions de francs ; il est aujourd’hui de plusieurs dizaines de millions d’euros.Le développement des activités de pri-vate equity a aussi parfois donné lieu à des excès – par exemple en surpayant ou en surendettant certaines opérations – qui ont eu un effet négatif sur l’image de la profession. Il est important, dans notre domaine, de ne pas se laisser griser par le succès. Il faut savoir rester vigilant, pour éviter l’investissement de trop, et garder le sens des responsabilités.

RM : Quel a été l’impact des différentes crises intervenues depuis le début des années 2000 sur le marché du private equity ?G. Jacqueau : Les crises – et celle des subprimes de 2007 en est un exemple - provoquent généralement, et naturelle-ment, un ralentissement de notre acti-vité : il faut notamment faire face à des problématiques telles que la raréfaction des financements d’opérations - parti-culièrement de MBO – , des difficultés accrues à obtenir des conditions favora-bles, un rallongement des délais d’inves-tissement, de gestion et de sortie… Dans le même temps, le marché devient aussi plus sélectif, ce qui est en soi une consé-quence positive.En 20 ans, le private equity a vécu des crises économiques de différentes nature : L’Asie, la Russie, l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000, la crise des subprimes…Les diffi-cultés conjoncturelles n’ont, à aucun moment, remis en cause l’utilité du métier. Les fondamentaux ont été, et sont toujours présents. Les entreprises familiales ayant un problème de trans-mission et les grands groupes qui cèdent certaines de leurs divisions ou de leurs filiales pour se recentrer sur leur «coeur de métier», représentent l’essentiel de nos dossiers. Or ces pro-blématiques demeurent d’actualité ; il n’y aucune raison de voir les 3

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L’invité Guillaume Jacqueau

« moteurs » du marché de la trans-mission d’entreprise disparaître du jour au lendemain…

RM : Dans quels secteurs se déploient vos activités ? Quel est concrètement votre métier ? G. Jacqueau : Il n’y a pas de dogme, tant en ce qui concerne le choix des secteurs – activité, taille des entreprises – qu’en termes d’investissements. Nous som-mes ouverts à toutes les opportunités intéressantes qui peuvent se présenter. Notre métier est clairement orienté vers la transmission d’entreprises, principa-lement le MBO, et le capital développe-ment . Nous avons à un moment donné, tout juste effleuré le capital risque, sans nous y attarder, parce que nous nous sommes rendus compte que c’était un métier à part. Nous nous intéressons à des sociétés mûres, qui ont des problé-matiques de transmission à résoudre, pour lesquelles nous prenons le plus souvent un ticket majoritaire – qui concerne plus de la moitié de nos opé-rations - . Il s’agit le plus souvent d’en-treprises familiales mises en vente dans le cadre d’une succession, ou de PME ayant besoin de renforcer leurs fonds propres pour assurer leur développe-ment. Depuis 1995, nous avons pro-

cédé à l’examen de 1500 à 2000 situa-tions d’investissement. Nous en avons réalisé près de 100 ; C’est un chiffre important.

RM : Sur quels critères fondez-vous votre décision d’investissement ?G. Jacqueau : L’appréciation de la qualité d’un dossier se fonde sur un ensemble diversifié de critères : économiques, industriels et financiers, bien sûr, straté-giques – marketing, positionnement commercial… - enfin, et je dirais sur-tout, des critères humains ; c’est ce que nous appelons le « fit », c’est-à-dire la proximité, d’entrée de jeu, avec le diri-geant d’entreprise. Notre évaluation porte sur la stratégie présentée par l’en-treprise, le potentiel de développement de son activité sur son marché, la qualité du partenariat avec le dirigeant. Celle-ci va bien au delà de l’aspect financier .Ce dernier critère est essentiel : notre métier s’inscrit dans la durée ; nous sommes appelés à accompagner l’entreprise

pendant plusieurs années ; il est indis-pensable de pouvoir établir et dévelop-per une relation construite sur la confiance. C’est la condition détermi-nante du succès d’une opération.

RM : Quelle est concrètement votre démarche ?G. Jacqueau : Le partenariat est au cœur de l’exercice de notre métier : le travail de l’équipe est complété par les études confiées à des consultants extérieurs – auditeurs financiers, consultants en stratégie, avocats, experts… L’investis-seur est en quelque sorte un chef d’or-chestre, qui se forge des convictions, sur la base des conclusions qui lui sont transmises. C’est à lui qu’il revient d’ap-précier les risques – d’ailleurs difficiles à quantifier – d’une opération. Notre métier consiste à traduire les risques en scénarii. La décision finale est fonction de la réponse à la question : l’investisse-ment présente-t-il un couple risque/rendement intéressant ?

RM : Barclays Private Equity est reconnue sur son marché pour les compétences de ses équipes et son taux de réussite. Quelle est votre recette ? G. Jacqueau : Dans notre métier, il n’y a pas de recette toute faite, mais un ensemble de facteurs qui permettent d’en améliorer la performance :

La capacité à trouver et à s’entendre avec les bons dirigeants de sociétés. C’est un facteur primordial de réussite d’une opération. Notre métier est d’abord et surtout un métier de détec-tion et d’amplification des talents. Outre l’alignement d’intérêts, l’une des vertus du MBO est de trouver l’«énergie cachée» et de la faire ressortir ; dans certains groupes, c’est par exemple le cas de filia-les dans lesquelles les énergies ne sont pas exploitées à leur juste valeur, parce que les activités de ces structures ne sont

3Notre métier consiste

à traduire les risques en scenarii

RepèRes

Barclays Private equityUn des principaux investisseurs en capital sur le segment du "mid-market" en Europe et en particulier en France.Trois décennies d'investissement dans des PME européennes: Barclays Private Equity a été créé en Grande-Bretagne en 1980 et a ouvert un bureau parisien dès 1990, ce qui en fait un des pionniers du capital-investissement dans les principaux marchés européens.Un réseau pan-européen, une culture locale: Barclays Private Equity investit en Europe via 7 bureaux répartis dans 5 pays (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie, Suisse). Ainsi les dirigeants des sociétés dans lesquelles nous investissons ont affaire à des interlocuteurs parlant leur langue et partageant leur culture.Près d'une centaine d'entreprises accompagnées en France: Barclays Private Equity France a connu un développement soutenu et régulier sur les vingt dernières années et a, à ce jour, investi dans près de

100 entreprises en France. Ces entreprises, dynamisées par les équipes et les ressources financières de Barclays Private Equity, ont réalisé près de 80 opérations de croissance externe dans le monde entier. Une philosophie ouverte à tous les secteurs et à toutes les situations: Depuis 30 ans, Barclays Private Equity a investi dans tous types de secteurs, industrie, services financiers, services aux entreprises, distribution, agro-alimentaire, biens d'équipement, … Barclays Private Equity a pour philosophie de s’adapter au mieux aux situations rencontrées et de proposer des montages financiers compatibles avec le secteur, les ressources et la culture des entreprises.

Fonds levés par Barclays Private Equity :2002 : 1,25 milliard d’Euros2005 : 1,65 milliard d’Euros2007 : 2,45 milliard d’Euros

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dans cette activité sans une expérience professionnelle préalable – de 5 à 10 ans – par exemple dans des fonctions finan-cières, stratégiques, juridiques …

RM : Au regard de votre expérience professionnelle, quel bilan tirez-vous aujourd’hui de votre choix de carrière ?G. Jacqueau : Le private equity est un métier passionnant, par son ouverture sur le monde très vaste des entreprises. C’est aussi une activité riche d’enseigne-ments, par la diversité de vues, d’analy-ses de problématiques. Chaque dossier à ses spécificités propres ; les angles d’analyse – humain, financier, industriel – sont à chaque fois différents ; l’inves-tisseur est appelé à s’adapter en perma-nence à des situations différentes et à faire preuve de souplesse et de pragma-tisme. Enfin, et c’est l’une des particu-larités de ce métier, et sans doute l’un de ses attraits, notre démarche s’inscrit dans la durée : nous construisons, sur plusieurs années, une relation avec les dirigeants d’une entreprise, nous parti-cipons à une histoire… cela aussi est, et reste extrêmement séduisant.J’ai choisi un métier qui correspondait à mes attentes, personnelles et profes-sionnelles. La richesse des problémati-ques et des rencontres qu’offre ce métier, la qualité des relations nouées avec de nombreux dirigeants entrepreneurs, font que je m’y sens bien.

PRoPos Recueillis PAR

Michel GAuRieR >e68 et MJ. GennAoui

pas considérées comme stratégiques. Notre rôle est justement de faire émerger ces énergies et de les amplifier. Une des clés essentielles est de savoir identifier les bonnes équipes de dirigeants et de les motiver.

L’expérience de l’équipe d’investisse-ment et la capacité des hommes et des femmes qui la constituent, à travailler ensemble, dans la démarche de réflexion, puis de prise de décision.

La capacité à payer le bon et le juste prix, avec une structure de financement adaptée. Cela signifie notamment un effet de levier bien dosé, qui procure un rendement satisfaisant aux capitaux investis sans obérer le potentiel de crois-sance de l’entreprise.

Enfin la capacité à s’entourer de bons conseils extérieurs : banques d’affaires, auditeurs, consultants en stratégie, avo-cats… Leur rôle est d’aider les investis-seurs à identifier les risques et les oppor-tunités du projet.

RM : Quelles sont les valeurs qui fondent votre culture ? G. Jacqueau : Notre culture est fondée sur trois valeurs fortes, déclinées dès l’origine, et dont nous ne sommes jamais éloignés : investir, valoriser, partager. Nos atouts – qui nous ont permis d’as-surer notre réputation sur un marché devenu très concurrentiel – découlent de ces valeurs fondatrices : la fiabilité, le professionnalisme, la permanence et la stabilité de l’équipe, le partage – en interne et en externe – de la performance le tout, bien évidemment, dans un cli-mat de confiance et de transparence.

RM : Quel est concrètement votre rôle ? comment se déclinent vos missions d’investisseur ?G. Jacqueau : Notre démarche est fondée sur un principe clair de complémenta-rité : Le chef d’entreprise dirige ; l’inves-tisseur accompagne. Notre rôle est d’aider les dirigeants à racheter leur entreprise ou à trouver des sociétés cibles. Nous n’intervenons pas dans le management opérationnel au quoti-dien, ce n’est pas notre vocation ; en revanche, nous posons des questions et pouvons donner notre avis sur les sujets

sur lesquels nous sommes légitimes. Nous accompagnons le dirigeant dans sa stratégie de croissance interne et externe, dans sa relation avec les ban-ques, nous l’aidons à gérer l’effet de levier… Et finalement nous l’aidons à prendre du recul et à être moins seul.

RM : Vous êtes directeur général de Barclays Private equity France. comment assumez-vous cette responsabilité ? Quel est votre style de management ?G. Jacqueau : J’exerce un métier où l’an-ticipation et le doute – constructif - sont permanents : interrogation et question-nement sont la règle. Il faut, de ce fait, savoir déléguer, échanger et partager. Notre rythme de travail est semblable à celui d’un coureur de fond. Dans ce cadre, la communication est le meilleur remède contre le stress. Je me déplace souvent, pour rencontrer nos partenai-res européens ; je me rends aussi fré-quemment sur les sites de nos partici-pations. Le private equity est aussi un métier qui ne peut pas se faire « en chambre ». La proximité culturelle est un élément important de notre démar-che métier, et un facteur de succès. Mon rôle de directeur général est de coordonner les efforts de l’équipe ; moti-ver chacun ; stimuler la réflexion ; enfin susciter l’enthousiasme et, en même temps le canaliser ; trouver le bon équi-libre entre le rationnel et l’intuitif…

RM : les jeunes diplômés sont de plus en plus nombreux à s’intéresser au private equity. Quels sont les profils les mieux adaptés à l’exercice de ce métier ?G. Jacqueau : L’ouverture d’esprit, la curiosité, la soif de découverte, le sens du contact et le bon sens sont ici des qualités essentielles. Pour avoir une chance de réussir son parcours dans ce métier, il faut aussi avoir une formation généraliste, pour disposer de cette faculté d’adaptation à des situations et à des contextes différents. Il faut enfin être prêt à accepter les contraintes d’un métier exigeant, en termes de temps, et de disponibilité intellectuelle.J’ajouterais qu’il est difficile de se lancer

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