récit du coureur qui a fait 80 km sur le sia-qc section vallée de la
TRANSCRIPT
Récit d’une course de 80 km sur le SIA-QC dans la Vallée de la Matapédia
Par Cédric Fournier
6 juillet 4h, le cadran sonne pour me rappeler que dans une heure, je dois partir à la course du village de St-
Vianney pour me rendre à Causapscal en suivant le Sentier International des Appalaches. Un périple de 80 km qui me
fera traversé des sentiers pédestres aussi variés et majestueux que les paysages de la Vallée de la Matapédia, ainsi que
de longs chemins forestiers qui useront mon moral et testeront ma volonté. Je me demande si c’est une bonne idée de
partir. Mon volume d’entraînement est loin de ce que j’avais prévu pour me préparer suite à un enchainement de
petites blessures et je me suis cogné solidement mon « bon » genoux la veille. J’avais encore de la douleur en marchant
sur l’heure du souper mais elle semble être partie après une nuit de sommeil. J’avale café, bagel au miel et un peu de
fromage puis j’embarque dans la voiture. Tranquillement le moral remonte et je descends à l’église de St-Vianney pour
m’élancer pour une course qui devrait durer toute la journée. Je commence donc à courir avec mon ami Fred qui m’a
suivi de Trois-Rivières avec un autre ami, ma conjointe et mon petit garçon pour m’appuyer dans mon projet.
Selon nos estimations, les premiers 15km seront majoritairement descendant avec une seule bonne montée :
facile!!! Apparemment il manque des lignes topographiques sur Google Earth et ça grimpe drôlement souvent. Le
premier tronçon se déroule bien malgré un détour de 2km dans le village de St-Vianney. Mes chevilles me font déjà
souffrir, étrange. Je me dis que ça va passer : ça finit toujours par passer (ou presque). Finalement, nous descendons le
sentier des Trois-Sœurs et nous nous laissons emporter par la beauté de ce parcours incroyable qui nous amène au Lac
Matapédia. Nous avons pris un peu de retard avec le détour et une petite erreur de kilométrage sur notre planification.
Arrivés au Dépôt à Soucy nous avons une première surprise : pas de Yann en vue. Ce dernier, trifluvien comme
Fred, a écouté un habitant local qui lui a dit que le Dépôt à Soucy était la pointe fine. Grrrrrrrrr encore du retard. Yann
arrive après quelques minutes et nous partons ensemble vers un 5km relax dans des sentiers supposément faciles à
courir. 5 km de bouette plus loin, nous ne sommes pas près d’arriver au Camp Sable Chaud et mes pieds sont
complètement détrempés. Yann aussi commence à le trouver « tough » ce « 5km ». Nous traversons enfin le Chemin de
la Seigneurie et on avance vers ma première pause avec nourriture au Camp Sable Chaud avec déjà 5 km de parcouru
de plus que la distance prévue. C’est dur, mais le moral est bon : voir ma famille et mettre des bas secs me fait un effet
monstre.
Je décolle seul sur le Rang St-Philippe et on profite du beau soleil qui deviendra assez vite mon pire ennemi. La
température est encore supportable malgré le retard prit suite au détour, des conditions difficiles et le kilométrage
erroné. Quelques km plus loin, je croise ma conjointe avec mon garçon. Je n’ose pas leur dire, mais je commence à avoir
mal un peu partout. Un bisou et je repars dans les « montagnes russes.» Ouch, il fait chaud et mon genou droit me fait
grimacer à plusieurs reprises. Mon père (André) me rattrape avec son vélo modifié pour l’évènement (erreur de
montage serait plus appropriée) et on jase en parcourant les km d’asphalte. Nous arrivons au Rang Napoléon et tout à
coup, rien ne va plus : j’ai mal, j’ai de la misère à courir plus de 5 minutes et je ne vois plus le bout de tout ça. J’en parle
à mon père qui me motive à continuer d’avancer tout en me rappelant qu’on arrive à la Montagne à Fournier. « Ça
grimpe solide » qu’il me répète souvent. SOLIDE??? Le sentier me semble vertical et la trail fait un pied de large.
J’avance relativement bien dans la montée, mais savoir que mon père est derrière avec un vélo dans les bras me stress
un peu. J’ai bien hâte de revenir me mesurer à cette montagne avec moins de km dans les pattes et sans avoir à
continuer pendant plus de 5 heures par la suite. Rendu au sommet, les sensations sont bonnes et j’arrive tranquillement
à la Chute à Philomène. Comble de malheur, à la fin d’une montée dans le rang, mon mollet gauche se crispe dans un
début de crampe que j’arrive à éviter. Je sors le sac de secours et j’avale un TUMS vite fait en espérant que ça se calme.
Enfin de la nourriture solide, voir ma famille me redonne un peu de moral. Je sais que le secteur suivant sera très
difficile et je suis inquiet. J’essaye de ne pas trop le laisser paraitre, mais je commence à penser que je n’y arriverai pas.
Je repars péniblement sur le sentier avec l’espoir que ça va recommencé à aller mieux. Si j’ai mentionné que ce secteur
serait difficile, je me suis trompé, ce qualificatif n’est pas suffisant : c’est atroce. On monte un peu plus haut que le site
de la chute, on redescend à mi-montagne, on remonte vers le Mont Thabor pour redescendre à la base de la montagne
pour retourner au sommet d’une autre montagne puis on retourne pratiquement à la hauteur des champs et le tout ce
termine par une montée en épingle vers St-Alexandre-des-Lacs. J’ai mal, j’ai chaud, je n’ai plus le goût de courir. Je n’en
peu plus, j’arrête au chemin du Lac Lavoie. Je n’arrêterai pas pour manger, j’arrêterai de courir, fini, kaput, TARMINÉ.
André prends une photo de moi qui cours dans les champs, il ne le sait pas mais ce sera la dernière. J’essaie d’avoir l’air
content sur la photo, difficile à faire car j’ai la mort dans l’âme : pour la première fois de ma vie, je ne terminerai pas
une course. Je regarde vers le chemin pour voir le camion qui me ramènera vers un bain de glace, du repos avec mes
amis et ma famille. Pas de camion… Mon frère a dû se tromper de chemin, je m’assois par terre, vidé. André parle avec
des passants pour essayer de comprendre ou son passer les autres. Il me dit finalement de continuer sur le sentier
pendant qu’il se dirige vers le village pour retrouver le camion. Je me relève tant bien que mal et je trottine vers le
sentier. Ça monte encore, mais j’ai moins mal, je cours un peu et ça ne va pas trop mal. Je vois au loin Christophe qui
court me rejoindre. Le moral remonte, peut-être que je ne m’arrêterai pas tout de suite finalement. On arrive au
camion, les 2/3 du parcours sont derrière moi, je dois être capable de finir malgré tout. Après avoir fait le plein, je repars
avec Fred en marchant une autre montée en sachant qu’il s’agissait de la dernière avant les marais de la Rivière
Causapscal.
5 minutes / 2 minutes, c’est maintenant tout ce qui compte : je cours 5 minutes et je marche 2 minutes.
L’important c’est de continuer d’avancer. Les jambes vont bien et la vitesse est bonne dans les 5 minutes de course.
Tout le reste fait mal, rien de pire qu’avant par contre. Christophe et Yann nous attendent au coin d’un rang avec des
Mr. Freeze. Des sauveurs!!! Il faut dire que le thermomètre affichait 31 degrés à l’ombre. J’avale mon Mr. Freeze et j’en
paye la facture 3km plus loin: des crampes abdominales. Ça passe rapidement et nous engrangeons plusieurs km sans
trop de difficultés. Nous retournons enfin dans le bois sur le Sentier des Écluses tout près des marais.
Vraisemblablement, il y a beaucoup moins de passants que lorsque j’étais adolescent et le sentier est bien moins rapide
qu’auparavant. C’est beau et je suis en territoire connu, les km augmentent donc rapidement, je me rapproche enfin de
la fin du périple.
Yann me rejoint aux marais après une longue pause à me rafraichir au ruisseau. Nous décollons vers une section
technique qui testera nos réflexes et nous amènera vers le site des chutes et André qui fera un bout à la course. Tout va
encore pour le mieux à ce moment. Après quelques km, les longues descentes et montées abruptes rendent la douleur
dans mon genou droit insupportable. Je n’arrive plus à courir et les km n’avancent plus. Le site est magnifique et le
sentier aussi. J’ai André qui court comme une gazelle devant et Yann qui ne semble pas en meilleur état que moi par
moments derrière. Les gars font une saucette dans une fosse à saumon pendant que j’essaye tant bien que mal de me
ressaisir. Je repars en marchant quand soudain me reviens le désir de courir. Cinq, puis dix, puis vingt minutes passent et
j’arrive encore à courir à un bon rythme. Le Pont du 8 miles approche, mais je ne le vois toujours pas. André me rejoint
et me confirme qu’il reste 2km avant le pont. 2km : ARG j’étais certain que c’était à 2 minutes… Je continue d’avancer
pour enfin voir le pont et toute l’équipe qui joue dans la rivière. Je mange un peu, je m’écrase littéralement dans la
rivière et je reprends des forces. Il ne reste que 8km. Ma copine ne courra pas le dernier bout de chemin avec moi
comme prévu. Elle doit aller s’occuper du petit et l’amener à l’arrivée puisque nous avons accumulé trop d’heures de
retard.
Je décolle donc avec Fred et Christophe pour la dernière section. Ça commence dur avec la côte du 8 miles mais
on ne stress pas, car notre stratégie est simple : on marche jusqu’à ce que ce soit plat pour ensuite essayer de courir sur
le rang si peu absorbant. On arrive finalement en vue du Rang 2 plus rapidement que prévu et on s’engouffre dans le
sentier de ski de fond qui nous amènera au camping municipal de Causapscal. Le sentier est idéal pour courir et nous
augmentons le rythme dans ce terrain que j’ai parcouru tant de fois dans ma jeunesse. À quelques mètres du camping,
j’aperçois mon fils Christian qui sursaute, je crie de joie en le voyant. Au diable la course on marche avec le petit qui n’a
aucun intérêt à finir le parcours, il veut jouer dans les modules de jeu du camping. Après plusieurs longues minutes de
négociations, nous le convainquons de se rendre à l’entrée du parking à la course avec la promesse de bonbons en
récompense.
Voilà c’est fait, enfin fini, 83 km de course et 4150 mètres de dénivelé positif soit 7 km de plus que prévu pour se
rendre au camping et 2000m de dénivelé de plus que mes estimations avant le départ. J’ai mal partout et j’ai hâte de
profité du BBQ organisé avec mon grand-frère Alexis. Une fois le défi accompli et que tout retourne à la normale, il me
vient à l’idée de dire à tous que je ne ferai plus jamais une chose aussi difficile. Je sais trop bien que ça ne serait que des
paroles en l’air. Dans la communauté des coureurs, plus jamais signifie : de retour l’an prochain. Qui sait, le SIA ne fait
pas que traversée la Vallée, il y aussi le secteur de la réserve Matane, des Chic-Chocs et de la Rivière Assetmetquagan
qui demande à être courus.
Un gros merci à ceux qui m’ont épaulé pendant ma traversée, aux bénévoles qui gardent le sentier dans un état
praticable, aux propriétaires qui laissent les randonneurs passer sur leurs terrains. Merci à vous qui avez pris le temps
de lire ce récit d’une idée un peu folle qui m’a passé par la tête en planifiant ma saison de course à pieds. J’espère un
jour vous croiser dans le SIA-IAT. Si jamais je ne souris pas en vous saluant ce n’est pas que je ne suis pas content de
vous voir. J’aurai probablement décidé de prendre ma revanche sur le sentier qui m’a donné toute une leçon d’humilité
lors d’une chaude journée d’été.