recherches augustiniennes volume xv - 1980

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  • RECHERCHES AUGUSTINIENNES

    VOLUME XV

    TUDES AUGUSTINIENNES 3, rue de !'Abbaye

    75006 PARIS 1980

  • ISBN 2-85121-032-7

  • Melaniana

    La place remarquable tenue par les femmes dans la christianisation de l'aristocratie romaine est un phnomne bien connu1, que les tudes rcentes de P. Brown ont encore contribu mettre en valeur2 Dans cette galerie de grandes dames, les deux Mlanie, l'aeule et la petite-fille, occupent, par suite de leurs relations familiales3, de leur immense fortune, de leur participation active aux grands dbats thologiques des rve-ve sicles, une position exceptionnelle. L'abondance, la varit et la qualit des sources, qui dcrivent leur volont de dpouillement, leurs dangereuses prgrinations, leur amour de l'orthodoxie, tmoignent du prestige dont elles jouissaient auprs de leurs contemporains, blouis par leur gnrosit et leur courage, mais expliquent aussi que les spcia-listes de l'Antiquit tardive aient puis maintes reprises dans leurs biographies pour illustrer l'un ou l'autre aspect de la vie politique, cono-mique, sociale et spirituelle au Bas-Empire. Toutefois le dossier des deux

    r. A. CHAS'l'AGNOL, La conversion d'une famille de l'aristocratie romaine sous l'Empire, dans R.E.L., 33, 1955, p. 50-53; Le snateur Volusien et la conversion d'une famille de l'aristocratie romaine au Bas Empire, dans R.E.A., 58, 1956, p. 241-253. Les conclusions en sont reprises par H.-I. Marron, Nouvelle Histoire de l'glise, I, Des origines Grgoire le Grand, Paris, 1963, p. 339 et par W. H. C. PREND, Paulinus of Nola and the Last Century of the Western Empire, dans ].R.S., 59, 1969, p. 5 : Therasia was a strong-minded and pions woman of a type which played an immense part in the conversion of the Roman world on an individual basis to Christianity .

    2. P. BROWN, Aspects of the Christianization of the Roman Aristocracy, dans J.R.S., 51, 1961, p. 1-11; Pelagius and His Supporters : Aims and Enviromnent, dans]. Th. S., 19, 1968, p. 93-114 ; The Patrons of Pelagius : The Roman Aristocracy between East and West, dans J. Th. S., 21, 1970, p. 56-72. Ces trois tudes sont rassem-bles in Religion and Society in the Age of Saint Augustine, London, 1972, p. 161-226.

    3. Ch. PrE'l'RI, L'aristocratie chrtienne entre Jean de Constantinople et Augustin d'Hippone, Esquisse de conclusion au Colloque de Chantilly (22-24 sept. 1974) : Jean Chrysostome et Augustin, actes dits par Ch. Kannengiesser, Thologie Histo-rique 35, Paris, 1975, p. 288-305.

  • 4 NICOLE i110INE

    Mlanie4 prsente toujours quelques points obscurs ou ngligs, sur lesquels nous souhaiterions jeter ici quelque lumire.

    Quiconque prtend proposer une chronologie prcise et solidement taye de l'existence mouvemente de Mlanie !'Ancienne se heurte plusieurs difficults, peut-tre insurmontables, qu'il nous parat indis-pensable d'exposer pour rendre compte des divergences notables que le lecteur relve dans les systmes avancs par les historiens. Longtemps, en effet, ceux-ci ont plac la naissance de Mlanie 1;ers 3505, puis, sous l'influence de F. X. Murphy - crasante, puisqu'il tait le seul avoir consacr notre hrone une tude particulire6, et alors mme qu'il n'tait pas l'inventeur de ce comput7 ! ont eu tendance faire remonter d'une dizaine d'annes sa venue au monde. Ainsi lit-on dans la PLRE : she was born c. a. 340 ))8. Or Murphy n'est parvenu cette conviction qu' la suite d'une conversion : en 1945, il s'tonnait de ce que Schwartz faisait natre Mlanie en 3409 ; deux ans plus tard, il reprenait son compte les conclusions de l'rudit allemand et ne les abandonnait plus10 .

    4. Une rapide synthse est esquisse par N. MOINE, Mlanie !'Ancienne, Mlanie la Jeune, dans Dictionnaire de Spiritualit, fasc. LXVI-LXVII, 1978, c. 955-965.

    5. RAMPOLLA DEL Tl:NDARO, Santa Melania Giuniore, senatrice romana, Documenti contemporanei e note, Roma, tip. Vaticana, 1905, in fol. LXXlX-306 p., p. 104-105. C. BUTLER, The Lausiac History of Palladios, Text and Studies 6, t. II, The Greek Text edited with Introduction and Notes, Cambridge, 1904, p. 227-228. Dresser une liste exhaustive des rfrences serait une tche presque dmesure: il n'est gure d'auteurs, qui, au dtour d'une phrase sur les familles snatoriales du lve sicle ou les querelles ecclsiastiques de ce temps, n'aient voqu Mlanie !'Ancienne; elle serait surtout assez vaine, car le monumental ouvrage de Rampolla rend le plus souvent caduques (ou au mieux confirme) les solutions de ses prdcesseurs et inspire celles de ses successeurs, qui lui ont emprunt ses rsultats ou qui ont d confronter leurs hypothses aux siennes. Notons du moins qu'A. CHASTAGXOL, Les Fastes de la Prfecture de Rome au Bas Empire, tudes prosopographiques II, Paris, 1962, p. 155, a maintenu la date traditionnelle.

    6. F. X. MURPHY, Melania the Elder : A Biographical Note, dans Traditio, 5, 1947, p. 59-77. Le titre de l'article indique assez quelles taient les intentions de l\furphy, mme s'il insista dans les premires lignes sur le rle important tenu par Mlanie dans l'histoire de l'glise (p. 59).

    7. E. SCHWARTZ, Palladiana, dans ZNTW, 36, 1937, p. 166-167, note ro. 8. The Prosopography of the Latcr Roman Empire I, by A. H. M. Jones, J. R. Mar-

    tindale, J. Morris, Cambridge, 1971, p. 592. 9. F. X. MURPHY, Rufinus of Aquileia (345-411). His Life and Worl~s, Washington,

    1945, p. 39, note 45 : Curiously Schwartz places the date of the birth of Melania in 340 .

    10. F. X. MuRPHY, Melania ... , p. 62 : Melania ... was born in 341 or 342 This date runs counter to current concepts, which place her birth a full decade later . Rufinus of Aquileia and Paulinits of Nola, dans R.E. Aug., 2, 1956, p. 79, note 5 : Born in 341 /342 . Melania die Altere, dans Lexicon fr Theologie und Kirclie VII, Frei burg, 1962, c. 249-250 : 342 Rom- 409 Jerusalem . Melania the Eider, dans New Cathotic Encyclopedia IX, 1967, p. 624-625 : b. Rome, 342 .

  • MELANIA NA 5

    l. DES SOURCES INCONCILIABLES

    Seul un examen dtaill des sources fera comprendre sur quelles bases fragiles reposent toutes les constructions chronologiques. Et pourtant les textes ne font pas dfaut : outre plusieurs allusions disperses dans l'uvre d'vagre le Pontique, Jrme, Rufin d'Aquile, Paulin de Nole, Palladios, nous disposons de deux vritables biographies, d'une part les chapitres 46, 54 et 55 de l'Histoire Lwusiaque11, d'autre part d'une longue digression insre dans une lettre de l'vque de Nole Sulpice Svre12 : 1' envoi de pallia en poils de chameau et de la Vie de Martin, Paulin rpond en adressant son ami une tunique d'agneau et un autre rcit difiant, l'histoire de Mlanie. Il est d'autant plus rempli de son sujet que Mlanie est sa parente13 et qu'elle vient de lui rendre une visite fort spectaculaire14 . Une lecture synoptique de ces deux biographies autorise quelques affirmations.

    Paulin et Palladios ont tous deux mis en valeur dans cette carrire fminine, qu'ils envisagent et dcrivent d'ailleurs de manire bien diff-rente, les trois mmes vnements marquants :

    La mort d'tres chers bouleversa l'existence de Mlanie l'Ancienne et entrana son dpart pour l'Orient. Si toutes nos sources s'accordent encore pour discerner dans ce malheur la main de Dieu, dsireux d'attirer lui Mlanie15 , Paulin, et avant lui Jrme, furent surtout frapps par

    II. C. BUTLER, op. cit., II, p. 134-136 et 146-149; C. H. TURNER, The Lausiac History of Palladius, dans ]. Th. S., 6, 1905, p. 321-355, avait apport une contri-bution dcisive pour l'attribution Mlanie l' Ancienne du chapitre 55 (cf. p. 353-354 et P. DEVOS, Silvie la sainte plerine, I, en Orient, dans A .B., 1973, p. 108, note 2). Il faut maintenant s'appuyer sur R. DRAGUET, Les formes syriaques de la matire de l'Histoire Lausiaque, Scriptores Syri, t. r69, 170, 173, 174, Louvain, 1978 : Les trois chapitres correspondant aux 46, 54, 55 grecs constituent un bloc unique (t. r74, p. 196-200) et ont mme t accompagns d'une doxologie, absente du grec, prouvant que l'ensemble a circul isolment dans la tradition syriaque (p. 200, note r).

    I2. PAULIN DE NOLE, Epistula 29, d. G. de Hartel, C.S.E.L., 29, Vienne, r894, p. 24 7-26r. Sur le rapprochement de Mlanie avec Martin, p. 252, 1. r-6.

    13. Ep. 29, 5, p. 251, 1. 11-13: tmdetedignioruisaest, cuiusfidesillimagisquam noster sanguis propinqnat.

    14. P. FABRE, Saint Paulin de Nole et l'amiti chrtienne, Paris, 1949, p. 312-317, a bien compris que la lettre 29 ne peut s'expliquer que si l'on voit dans l'loge de Mlanie, ou plus exactement dans le rcit de sa visite Nole, le sujet principal . Mlanie apparat ds le 5 (p. 25 r) ; la biographie proprement dite couvre les 8-1 l (p. 253-258), la visite Nole les 12-14 (p. 258-261).

    15. PAULIN, Ep. 29, 8, p. 254, 1. 1-2 et 6-10 : sed ea felicitate mortalinm non longum potita est, ne diu terrena diligeret... Sed et de malormn nostrorum seminibus causas bonorum caelestium nobis domino prouidente pietatem diuinam per humanae pietatis damna concepit. Misera facta est, ut efficeretur beata; percussa est, ut sanaretur ... . Jf:RME, Ep. 39, 5, p. 82, 1. 3-6 (in Saint Jrme, Lettres, t. 2, texte tabli et traduit par J. Labourt, coll. des Universits de France, Paris, 195 l) : Iiacrimae gutta non fluxit; stetit inmobilis et ad pede::; aduoluta Christi, quasi

  • 6 NICOLE MOINE

    la destruction brutale d'un bonheur toujours fragile : luctuoso ambitu trium funerum cornes, uidua pariter et orbata ... >> (Paulin, Ep. 29, 8, p. 254, 1. 21-22) ; en moins d'un an, elle perdit en effet deux fils et un poux : ita creuit aerumnis, ut duos filios et maritum intra anni tempus amitteret >> (ibid., 1. 3-4), ce que Jrme, toujours excessif, transcrivit de manire image: calente adhuc mariti corpusculo et necdum humato, duos simul filios perdidit >> (Ep. 39, 5, p. Sr, 1. 28-30). Palladios, lui, ne signale que l'ge encore bien tendre de ce veuvage providentiel:

  • MELANIANA 7

    Mlanie rentra Rome aprs une longue absence. Si Paulin prcise : sanctam ipsam ex Hierusalem post quinque lustra remeantem exce-pimus19 , Palladios rapporte, deux reprises, qu'elle passa vingt-sept ans dans le monastre qu'elle fonda Jrusalem et affirme, avant d'expli-quer les raisons de son retour en Italie, qu'elle vcut trente-sept ans dans la ~evi-rda20

    - Palladios offre son lecteur un canevas chronologique assez prcis : Mlanie se trouvait dans sa vingt-deuxime anne, lorsqu'elle devint veuve ; elle quitta sa patrie, se rendit Alexandrie et demeura environ six mois dans le dsert de Ni trie, qu'elle parcourut en toute tranquillit: dans d'autres chapitres de !'Histoire Lausiaque sont narres ses pittores-ques rencontres avec quelques solitaires21 . La perscution de Valens l'atteignit en gypte, l'obligeant fuir vers la Palestine. Le calme revenu (cc e-r 'tJV vaK:r1ow -rou-rrov n, HL, 46, p. 135. 1. 18), elle vcut vingt-sept ans avec Rufin Jrusalem dans un monastre. Puis elle dcida, dans sa soixantime anne, de regagner Rome pour aider sa petite-fille qui tait marie22 Les calculs sont simples : du veuvage au retour en Italie s'coulent environ trente-huit ans, ce qui s'accorde d'autant mieux avec les trente-sept ans passs dans la evt-reia que Palladios voque les quelques prparatifs indispensables effectus par Mlanie, qui, avant son dpart, dut rassembler ses biens et dsigner un tuteur pour son fils.

    Il convient videmment de garder au terme de ~evt-reia son sens habituel de sjour l'tranger n ou mme lui prfrer celui que les spcialistes des textes monastiques ont dfini : cette dmarche par laquelle le moine s'arrache son milieu naturel, sa famille, sa patrie pour s'en aller vivre ailleurs en tranger n23, qu'ils traduisent par prgrination 11 ou dpaysement n24 et dont on trouve un cho dans la phrase dj cite de Paulin : c< urbem Hierusalem spiritali dono, in qua a corpore pere-grinaretur, elegit, exul ciuium et ciuis effecta sanctorum 11. En revanche, il faut absolument rejeter l'interprtation d' A. Lucot : Personne n'a

    19. PAULIN'. Ep. 29, 6, p. 251, 1. 22-23. 20. PAI,LADIOS, HL, 46, p. 135, 1. r8-zo et p. 136, 1. 1 et 4-5 ; HL, 54, p. q6,

    1. 5-14. 2r. PALLADIOS, HL, 5, p. 21, 1. ro sqq (Alexandra); HL, 9, p. 29, 1. 8-II (Or);

    HL, IO, p. 30, l. 4 - p. 31, 1. 9 (Pambo); HL, r8, p. 57, 1. 12-13 (Macaire l'gyptien). 22. PALLADIOS, HL, ,54, p. 146, l. 17-22. 23. A. GUILLAUMONT, Philon et les origines du monachisme, Colloques nationaux

    CNRS : Philon d'Alexandrie, Lyon, rr-15 septembre 1966, Paris, 1967, p. 368. 24. Sur la xniteia et ses implications asctiques il est bon de consulter :

    H. F. VON CAMPENHAUSEN, Die asketische H enatlosigkeit im altkirchlichen und frhmittelalterlichen M onchtum, Tradition und Le ben. Kriifte der Kirchengeschichte, Tubingen, 1960, p. 290-317; A. GUILLAUMONT, Le dpaysement comme forme d'ascse dans le monachisme ancien, Article liminaire Annuaire EPHE, 5e section, Sciences Religieuses, LXXVI, 1968-1969, p. 31-58; E. LANNE, La xeniteia d'Abraham dans l'uvre d'Irne. Aux origines du thme monastique de la peregrinatio, dans Irenikon, 47, 1974. p. 163-187.

  • 8 NICOLE MOINE

    chapp sa bienfaisance, ni le levant ni le couchant, ni le nord, ni le midi. Car c'tait la trente-septime anne que donnant l'hospitalit, .. elle a subvenu de ses propres frais des glises, des monastres, des trangers et des prisons, ceux de sa famille, son fils lui-mme et ses propres intendants lui fournissant de l'argent ))25, non seulement parce qu'elle mconnat cette conception fondamentale de la vie monastique, dveloppe par Palladios et bien d'autres crivains de la mme poque26 , mais aussi parce qu'elle brise inutilement l'agencement du rcit : Au dbut du chapitre 54, Palladios, qui avait dj trait de Mlanie aupa-ravant et souhaitait ne pas se rpter ((( Kai -r Bl\lfV vuv ucpav& p oyq> )), p. 146, 1. 2-3) loue dsormais l'fonotia vraiment universelle de cette femme en numrant les destinataires de ses bienfaits et la prove-nance des ressources : la mention de la BVHBia s'insre trs naturellement dans ce contexte, alors que dans l'hypothse de Lucot, o ni)pKBO"f: ne fait qu'expliciter svt'tst'.Jcracra, l'expression est embarrasse: ((exercice de l'hospitalit )) ne convient gure pour qualifier des dons des glises, monastres, prisons; au chapitre 46 (p. 136 1 1. 4-7) c'taient des individus, vques, moines, vierges que Mlanie et Rufin accueillaient gnreuse-ment Jrusalem. Dans la phrase suivante, la traduction de Lucot est encore plus inadquate : Ayant persist si longtemps dans l'exercice de l'hospitalit, elle ne possda pas un empan de terre, elle ne se laissa pas attirer par le dsir de son fils et le regret de cet unique fils ne la spara pas de la charit pour le Christ )). Il est clair que Palladios ne souhaitait ici qu'exalter le dtachement de Mlanie, 1' arrachement toutes les attaches matrielles (elle ne possdait rien) et affectives (elle ne dsirait pas voir son fils), qui constitue prcisment 1' essentiel de la svt-rsia. L'accent mis sur la longueur de l'exil et le dpouillement parfait s'explique d'ailleurs d'autant mieux qu'il va tre, un peu plus loin, question du retour de Mlanie Rome, auquel Palladios s'est efforc de trouver les mobiles les plus estimables : haine de l'hrsie, assistance une petite-fille, soucieuse, elle aussi, de renoncer au monde. Envisag de la sorte, le texte de Palladios possde une unit et un intrt spirituel que la traduction de Lucot, reprise tort par F. X. Murphy27, oblitre sans qu'une logique indiscutable n'associe la pauvret foncire de Mlanie, son apparente insensibilit devant un fils abandonn et la pratique de l'hospitalit.

    Je conclurai donc, au risque de paratre vouloir, mon tour, heurter les ides reues, que le schma chronologique de l'vque d'Hlnopolis est cohrent. Certes, parce qu'ils ont jug bon de le confronter immdia-tement avec les donnes des autres sources ou avec des faits historiques bien dats, les rudits l'ont vu s'crouler et ont t obligs de trier les

    25. A. LucoT, Palladius, Histoire Lausiaque, texte grec, introduction et traduction franaise, Paris, 1912, p. 339.

    2_6. Pour ce motif, A. GUILLAUMONT, Le dpaysement ... , p. 32, note l et p. 37, note 2, rpte qu'il faut bannir fa traduction d' A. Lucot,

    27. Melania .... p. 71 et 77.

  • MELANIANA 9

    informations contenues dans ces quelques lignes de !'Histoire Lausiaque. Ainsi J. Brochet, incapable d'ajuster les morceaux de son puzzle, s'est rsolu ne garder que le chiffre de vingt-sept ans, rpt deux fois, pour calculer la dure du sjour de Mlanie en Orient, et invoquer pour les trente-sept ans

  • IO NICOLE MOINE

    de Nole, sous cette forme assez recherche : post quinque lustra31 visait moins la prcision qu' exprimer, en insistant sur la longueur de la spa-ration, la vertu de cette femme exceptionnelle, insrer des ides qui lui taient chres et insinuer dj le bonheur et l'clat des retrouvailles ; mais l'cart se creuse bien davantage, quand on observe que Paulin enferme dans ce quart de sicle toute la priode d'exil oriental de Mlanie. La longue mditation sur le renoncement au fils et aux richesses, o Anne, Salomon et Abraham sont attests comme de glorieux prdces-seurs32, s'achve sur l'image d'une navigation qui conduit Mlanie Jrusalem. Le circuit gyptien et l'tape palestinienne sont ngligs. Pis encore, sur la dure de l'exil de Mlanie, un dcalage de plus de dix ans apparat entre le tmoignage de Paulin et celui de Palladios, celui-l mme que Butler et ses successeurs ont voulu nier pour concilier des sources discordantes et sauvegarder ainsi des donnes chiffres, d'autant plus prcieuses l'historien de 1 'Antiquit qu'elles sont plus rares.

    Puisque chez Paulin comme chez Palladios les voyages constituent les points forts de l'existence de Mlanie, on aurait avantage les dater sans faire appel aux textes voqus ci-dessus. Un grand progrs serait alors accompli, car la prfrence accorde l'un ou l'autre document serait fonde ; il deviendrait galement possible d'aboutir une chronolo-gie absolue et peut-tre de fixer 1' anne de naissance de Mlanie l' Ancienne. Or pour cette recherche nous disposons apparemment de toutes les informations ncessaires.

    II. VERS LES LIEUX SAINTS

    Le dpart de Rome a eu lieu sous le rgne de Valens (364-378), d'aprs Palladios, qui semble insinuer que Mlanie dt faire ses prparatifs

    3I. PAUI,lN, Ep. 29, 6, p. 251, 1. 23-24. Nous attribuons videmment lustrum le sens de priode quinquennale. R. f:TIENNE, Bordeaux Antique, Bordeaux, 1962, p. 335-336, pense qu'Ausone donnait lustre une valeur de quatre ans; il s'appuie pour cela sur AUSONE, XVII, 34, d. C. Schenkl, MGH, V, pars posterior, Berlin, 1883, p. 80

    In tumulum sedecenuis matronae Omnia quae longo uitae cupiuntur in aeuo ante quater plenum consumpsit Anicia lustrum .. .,

    mais cette interprtation me parat fort contestable : ge de seize ans Anicia aurait accompli dj son quatrime lustre! En outre pour une priode de quatre ans Ausone use souvent (cf. Parentalia) des olympiades.

    32. PAULIN, Ep. 29, 9-ro, p. 256-257. Les exemples bibliques choisis par Paulin pour valoriser le renoncement de Mlanie aux affections les plus lgitimes et aux biens terrestres sont suggestifs et d'une application aise. Il convient aussi de rappeler que, depuis Philon, Abraham est le modle par excellence de tous les adeptes de la ev11:eia: cf. De A brahamo, Introduction, traduction et notes par J. Gorez, Paris, 1966, 62-67 (p. 48-51), 170 (p. 92-93), 196 (p. roo-ro3).

  • MELANIANA II

    en cachette cause de cet empereur33. Le narrateur laisse galement entendre que la perscution contre les moines gyptiens, avec les ordres de bannissement pris leur encontre, ne se dchana pas ds l'arrive de Mlanie, qui, pendant des mois, circula librement en gypte, rendant visite de nombreux asctes. Il introduit d'ailleurs le rcit des violences subies par et 8f; toto (p. r34, 1. r6), expression, qui pour tre bien gnrale, n'en marque pas moins l'coulement du temps. Paulin qui a longuement dcrit les assauts que subit Mlanie avant de quitter Rome, n'apporte aucun renseignement sur le lieu ou la date de son dbarquement, mais signale toutefois qu'elle eut souffrir de la politique religieuse de Valens. La Chronique de Jrme place en 375 le paroxysme de la crise34, mais nous savons que ds mai 373 des troubles graves agitrent l'gypte : alors que le vieil Athanase avait consacr, avant de mourir, son frre Pierre, un comptiteur homen fut install par la force ; Pierre fut oblig de s'exiler, des mesures vexatoires, des emprisonnements frapprent les Nicens et des monastres furent dvasts. Toutes les Histoires Ecclsiastiques soulignent la rapidit et la brutalit de la pers-cution, sans qu'il soit possible cependant de fixer le moment exact aprs la mort d' Athanase, o elle fut dclenche : (( Igitur ea tempestate ... Athanasius... sciscitatus de successore, Petrum tribulationum suarum participem et socium delegit. Sed Lucius Arianae partis episcopus, contintto tanquam ad ouem aduolat lupus ... 35 i>.

    33. SCHWARTZ, op. cit., p. 167 (suite de la note 10) propos de O6..evw pxi]v iixovw V "CU flao-t.dg crit : (< Die parenthese ist nicht m13ig. Valens hatte als Augustus des Ostreichs zwar in Rom uichts zu sagen, konnte aber gerade 373 nach Athanasius' Tod Bekennern des Nicaenums die Einreise nach Alexandrien verbieten. So wird Melanium dem alexandrinischen Kapitan als Reiseziel nicht Alexandrien, sondern Palistina angegeben und in Alexandrien das Schiff heimlich verlassen haben . La premire remarque concernant Valens est peut-tre acceptable. En revanche cette ruse de Mlanie parat bien peu vraisemblable, puisque Palladios la prsente son arrive Alexandrie vendant ses biens, puis pendant des mois se promenant son gr en gypte, en rpandant sa fortune aux pieds des moines. Pour avoir voulu sauver une incise, l'ardent dfenseur de Palladios soulve de nouvelles et de plus embarassantes difficults.

    34. R. HELM, Eusebius Werke. Die Chronik des Hieronymus, GCS, 47, Berlin, 1956, p. 248 ab : JYiulti monachorum Nitriae per tribunos et milites caesi. Valens lege data, ut monachi militarent, nolentes fustibus iussit interfici.

    35. RUFIN D'AQUILE, Histoire Ecclsiastique, II, 3, PL 21, c. 5ro-5II; SOCRATE, HE, IV, 20 (Aussi longtemps qu'Athanase vcut, Valens, conscient de la popularit de l'vque s'abstint de molester Alexandrie et l'gypte) et 21, PG 67, c. 507; SozoMNE, HE, VI, 19-20, d. J. Bidez et G. C. Hansen, GCS 50, Berlin, 1960, p. 260, l. II p. 263, 1. 5 (cf. spcialement, p. 260, 1. 13-14); THODORET, HE, IV, 21, d. L. Parmentier et F. Scheidweiler, GCS 19, Berlin, 1954, p. 246-249 (cf. p. 246, 1. 24 ; p. 247, 1. 8). Notons que les quatre historiens ont profit de l'occasion, qui leur tait ainsi offerte, pour ouvrir une parenthse plus ou moins tendue sur les vertus et pratiques des moines gyptiens.

    L'imprcision relative des sources antiques s'est rpercute chez les auteurs de manuels : G. BARDY, Histoire del' glise, sous la direction de A. Fliche et V. Martin, t. III, Paris, 1936, p. 262-263 : En gypte Valens attendit la mort d'Athanase pour perscuter les catholiques... Sa mort donna le signal d'un retour agressif

  • I2 NICOLE MOINE

    Trois textes de Jrme permettent de nuancer et d'approfondir ces premiers rsultats.

    Dans l'Epistula 39, aprs la mort cruelle de Blesilla, une jeune veuve de vingt-ans36, il cherche donner sa mre, Paula, dont la douleur violente ne lui paraissait pas convenir une moniale chrtienne37 et lui semblait dangereuse pour sa propre rputation Rome38, des exemples contemporains, rduits en fait un seul, d'un courage incroyable devant la mort de familiers : cc quid uetera replicem ? praesentia exempla sectare. Sancta Melanium ... calente adhuc mariti corpusculo et necdum humato, duos simul filios perdidit. Rem sum dicturus incredibilem, sed Christo teste non falsam ... Lacrimae gutta non fluxit, stetit inmobilis et ad pedes aduoluta Christi, quasi ipsum teneret, adrisit : ' expeditius tibi seruitura sum, Domine, quia tanto me liberasti onere '. Sed forsitan superatur in ceteris ? Quin immo, qua illos mente contempserit in unico postea filio probat, cum omni quam habebat possessione concessa ingrediente iam hieme Hierosolymam nauigauit39 >>. De cette lettre nous n' envisa-gerons ici que la prcision chronologique : Mlanie a quitt Rome au dbut de l'hiver40 . Il ne faut ni s'tonner de la minutie du dtail, quoique Jrme simplifie le parcours effectu par Mlanie, ni mettre en doute sa valeur : Jrme, qui veut faire cesser les larmes de Paula en piquant sa fiert chrtienne, accumule les traits hroques de la conduite de Mlanie ; or la navigation hivernale se rvlait particulirement

  • 1'.fELANIANA 13 reuse l'poque du mare clausum41 . Certes il peut projeter ses fantasmes sur l'interprtation de l'pisode (la joie de Mlanie devant la destruction de son bonheur terrestre correspond si bien aux larmes de Blesilla, veuve aprs quelques mois de mariage et dplorant la perte de sa virginit plus que la mort de son poux42 !), il ne saurait les inventer sous peine de nuire gravement la cause qu'il dfend. Le dpart de Mlanie avait d'ailleurs t assez retentissant pour que Jrme, l'poque o il rdigeait sa Chronique (c. 380), l'ait retenu parmi les vnements mmorables de la dixime anne du rgne de Valens. Install Rome, l'ami de Paula et de Marcella ne pouvait travestir l'vnement qui s'y tait droul quelques annes auparavant et qui avait d tellement impressionner ces familles aristocratiques que tant de liens matrimoniaux ou mondains unissaient43.

    Dans ce passage de la Chronique Jrme avait en effet mentionn, avant d'annoncer l'lection d'Ambroise au sige de Milan, le voyage de Mlanie : cc Melanium, nobilissima mulierum Romanorum ... unico praetore tune urbano filio derelicto Hierosolymam nauigauit44 >>. Ce texte trs ramass n'est pas exempt d'ambiguts, puisqu'il laisse supposer que Mlanie a gagn directement Jrusalem ; or cette solution est inadmis-sible, mme si, comme nous l'avons dj not, Paulin s'est rendu coupable d'un raccourci identique : outre les tmoignages de Palladios4 5, Jrme

    41. E. DE SAINT DE:-HS, Mare Clausum, dans REL, 25, 1947, p. 196-214, a bien montr qu'entre le l l novembre et le ro mars la circulation maritime n'tait pas obligatoirement arrte, mais seulement ralentie; l'hiver ne pouvait pas suspendre l'acheminement du courrier et des vivres qui se faisait surtout par mer. Ainsi Ovide gagna Tomes en plein mois de dcembre (Tristes, I, rr, 3-4 : Aut haec me, gelido tremerem cum mense decembri / Scribentem mediis Adria uidit aquis ; texte tabli et traduit par J. Andr, col. des Universits de France, Paris, 1968, p. 32 ; et vers 39-43, ibid. p. 34). J. ROUGI

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    lui-mme garantit la ralit du voyage gyptien : n'avait-il pas quelques annes auparavant, entendu un bruit assurant que Mlanie et Rufin se rendaient d'gypte Jrusalem ? 46

    L'Epistula 4 Florentinus, qui nous avertit de cette rumeur: cc Et quia frater Rufinus, qui cum sancta Melania abAegypto Hierosolymam uenisse narratur, indiuidua mihi germanitatis caritate conexus est, quaeso ut epistulam meam huic tuae epistulae copulatam ei reddere non graueris47 )), montre Jrme soucieux de faire parvenir Rufin une missive, trs vraisemblablement 1' Epistula 3, destine justifier sa conduite auprs de son ami: il se dsolait que la maladie l'ait empch d'affronter les ardeurs de l't et les risques d'une traverse maritime, alors qu'il avait appris de divers cts que Rufin avait pntr les arcanes de l'gypte et circulait parmi les moines48 . Il profitait de l'occasion pour raconter ses propres tribulations depuis leur sparation : voyages pnibles, fivres et deui1s49. Plus tard Jrme sollicitait encore Florentinus, qui lui avait rpondu que Rufin n'avait pas encore atteint la Ville Sainte, d'tre son intermdiaire auprs de ce dernier, auquel il souhaitait emprunter des livres50.

    Avons-nous la possibilit de dater les lettres 3, 4, 5 et mieux encore les nouvelles qui y sont rapportes ? La premire lettre Florentinus fut rdige alors que Jrme se trouvait Antioche auprs d'Euagrios51 ; il y tait dj install, quand il s'adressait directement Rufin52, mais c'est aprs avoir abandonn ce cc port trs sr)) pour le dsert qu'il impor-tunait nouveau son correspondant hirosolymitain53. On peut admettre que ces trois lettres furent crites dans un court laps de temps54, mais

    46. E. SCHWARTZ, Palladiana, p. r66, note 9, n'a pas tenu compte de l'Epistula 4 de Jrme, lorsqu'il crit : c< Hieron., Ep. 39, 5 ... la13t die Reise nach .Agypten aus : ingrediente iam hieme Hierosolymam nauigauit; der Brief ist in Rom geschrieben. Ebenso in der noch frher verfa13ten Chronik : Hierosolymam nauigauit. Das J ahr Valens X = 374 ist das der Ankunft in Jerusalem; Melanium hielt sich in .Agypten ein halbes J ahr auf, HL, 46 ... Hieronymus halte, ehe er nach Palestina kam, von diesem A ufenthalt nichts gehort !

    47. JRME, Ep. 4, 2, t. r, p. r6, 1. 22 - p. r7, 1. 2. 48. JRME, Ep. 3, r, t. r, p. II : audio te Aegypti secreta penetrare, mona-

    chorum inuisere choros et caelestem in terris circuire familiam (!. 5-7) " 49. Ep. 3, 2, p. 12, 1. 8-ro: nec mediae feruor aestatis nec nauigantibus semper

    incertum mare pia festinatione gradienti ualuisset obsistere , et Ep. 3, 3, p. r2-r3. 50. Ep. 5, 2, p. r8, 1. 7-9 : c< Rufinus autem frater, ut scribis, necdum uenit,

    et si uenerit non multum proderit desiderio meo cum eum iam uisurus non sim ... et 1. r2 sqq.

    5r. JRME, Ep. 4, 2, p. r7, 1. r3-14. 52. JRME, Ep. 3, 3, p. r2, !. 22-23 et 27 : Syria mihi uelut fidissimus naufrago

    portus occurrit... Euagrio nostro fruor . 53. JRME, Ep. 5, r, p. 17, 1. rS-20. 54. F. CAVALLERA, Saint ]r6me, sa vie, son uvre, I, Louvain, r922, p. r5. Les

    Epistulae 3 et 4 appartiennent au mme courrier (Jrme confiait Florentinus une lettre pour Rufin) et furent rdiges pur un homme cruellement prouv par la maladie. L'Epistula 5 rpond une lettre, perdue, que Florentinus avait crite sans doute peu aprs la rception de I'Epistula 4, puisqu'il y informait Jrme de

  • MELANIA NA 15

    il est clair que leur datation dpend de celle que l'on attribue soit l'arrt de Jrme dans la capitale syrienne, soit au retour d'Euagrios dans sa patrie. L'clatement et la dispersion presque simultane du petit groupe d'amis qui s'tait constitu Aquile, l'attraction exerce par le monachisme et l'Orient sur ses membres les plus fervents sont bien connus. F. Cavallera a cru, non sans exprimer quelques doutes55, devoir placer l'automne 374 l'arrive de Jrme Antioche et dans la deuxime moiti de 375 l'change de lettres que nous venons d'voquer. Ses conclu-sions sont fondes en grande partie sur deux arguments plus ou moins explicites : Pensant dcouvrir une allusion la mort d'Auxence, vque de Milan, qui eut lieu probablement l'automne 37456, dans l'Epistula I, 15 o Jrme, tout la joie de citer le nom de son ami Euagrios, qui est intervenu auprs de l'empereur Valentinien en faveur de l'adultre de Verceil, interrompt son rcit et s'crie : quis enim ualeat digno canere

    l'absence de Rufin dans la ville sainte. Cavallera a appuy sa dmonstration sur la frquence et la rapidit des relations Jrusalem-Antioche. Sur les communications maritimes ou terrestres entre les deux villes il est bon de se reporter D. GORCE, Les voyages, l'hospitalit et le port des lettres dans le monde chrtien des .l Ve- ve sicles, Poitiers, 1925 ; H. PTR, thrie, Journal de voyage, texte latin, introduction et traduction, Sources Chrtiennes zr, nouveau tirage, Paris, 1971; J. ROUG, Recherches sur l'organisation du commerce maritime en Mditerrane sous l'Empire Romain, Paris, 1966, p. rn3 sqq; R. CHEVALLIER, Les Voies romaines, Paris, 1972, p. 160-16r. On peut remarquer que Florentinus, Rufin et Bonosus (dont la vie asctique, mene dans une le dserte, fait l'objet de toute la seconde partie de la longue Epis-tula 3 Rufin) sont nouveau associs par Jrme dans Chronique 377, p. 248 g, o toutes les autres notices de l'anne se rapportent des vnements de politique extrieure : Florentinus, Bonosus et Rufinus insignes nionachi habentur; mais l'interprtation chronologique de certaines phrases de la Chronique se rvle souvent fort dlicate: cf. dj, pour 374, p. 247 f: Aquileienses clerici quasi chorus beatorum habentur, o Rufin est srement impliqu.

    55. F. CAVALLERA, op. cit., t. 2, p. 13 : Tout cela est encore tudier de prs . F. THLAMON, Modles de monachisme oriental selon Rufin d'Aquile, dans Antichit Altoadriatiche 12, 1977, p. 325, note 6, accepte aussi les rsultats de Cavallera. Il est vrai que dans cet article (p. 323-352) les questions chronologiques importent beaucoup moins que la recherche des deux formes de monachisme, en apparence inconciliables; le cnobitisme basilien et l'anachortisme gyptien, vulgariss par Rufin en Occident.

    56. JRME, Chronique, p. 247e : Post Auxenti seram mortem Mediolanii Ambrosio episcopo constituto omnis ad fidem rectam Italia conuertitur ... La date de l'lection d'Ambroise Milan, la suite des travaux de H. VON CAMPEN-HAUSEN, Ambrosius von JYI ailand als Kirchenpolitiker, Berlin, 1929, p. 90-92, de J. R. PALANQUE, Saint Ambroise et l'Empire Romain, Paris, 1933, p. let p. 484-487 ( = Appendice III), de F. H. DUDDEN, The Life and Times of St Ambrose, Oxford, 1935, t. r, p. 68 et note 5, fut dplace au 7 dcembre 373 (pour Palanque, Auxence serait mort en octobre 373) ; mais la chronologie traditionnelle fut immdiatement dfendue par F. HALKIN, C.R. de J. R. Palanque, Saint Ambroise, dans AB, 52, 1934, p. 400, et semble aujourd'hui partout admise : cf. M. MESLIN, Les Ariens d'Occident (335-430), Paris, 1967, p. 44: nous savons qu'Au:x:ence mourut, toujours vque, l'automne de l'anne 374 et note 71; Ambroise de Aiilan, XV.le Cen-tenaire de son lection piscopale, Paris, 1974, p. 1 l (Y.M. DUVAL), p. 229-230 (P. NAU TIN) ... Ce dernier, dans les tudes de chronologie hironymiEnne, dans RE Aug. 20, 1974, p. 283-284 a montr que la manire dont Jrme comptait les annes d'empire excluait 3 73 pour la conscration piscopale d'Ambroise.

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    praeconio Auxentium Mediolani incubantem huius excubiis sepultum paene ante quam mortuum ... 57 )), il est amen dater de 374 au plus tt et cette lettre r adresse Innocentius et le retour d'Euagrios. D'autre part Jrme, malade, crit l'Epistula 3 Rufin depuis la Syrie, au cours ou la suite d'un t, alors qu'Innocentius, qui rsidait Antioche, avait t enlev par un brusque accs de fivre58, donc pas avant l't 375. L'erreur de Cavallera est dene pas s'en tre tenu ce raisonnement logique; en effet, non seulement il prtend qu'Euagrios accueillit Jrme An-tioche, et pour ce faire imagine qu'il effectua un voyage rapide entre l'Italie et Antioche (tandis que Jrme prenait effectivement un chemin dtourn), ce qu'il est impossible d'affirmer en toute rigueur59, mais surtout il n'a pas tir toutes les consquences d'un fait qu'il a eu l'honntet de verser au dossier: dans la lettre 138, z Basile de Csare signale Eusbe de Samosate que le prtre Euagrios, le fils de Pompeianos d'Antioche, qui tait parti jadis pour l'Occident avec le bienheureux Eusbe, est revenu maintenant de Rome i> et lui a rendu visite Csare60. Dans le Schisme d'Antioche Cavallera prtendait s'appuyer sur divers vne-ments synchroniques >i pour fixer l'entrevue avec Basile en 37461 , mais on conoit volontiers que M. Richard ait affich du scepticisme devant une affirmation aussi vague62 . Peu aprs, dans son important ouvrage sur Saint Jrme, Cavallera proposait de nouveau, mais avec bien des rserves, le printemps 374 pour la mission d'Euagrios Csare et la mme anne pour la lettre de Basile63 . Il est vident que cette chronologie

    57. JRME, Ep., r, r5, p. 9, 1. r-3. 58. JRME, Ep. 3, 3, p. rz, 1. 24-26: Innocentium enim ... repentinus febrium

    ardor abstraxit . 59. F. CAVALLERA, op. cit., t. 2, p. 12-13 : Cela ne signifie pas ncessairement

    qu'(Euagrios) ait quitt l'Occident avant (Jrme), celui-ci ayant fait de longs dtours. J. N. D. KELLY, Jerome, His Lift, Writings and Controversies, Londort, r975, p. 38: Evagrius had reached his home in Antioch only shortly before J erome's arrival... L'Epistula 3, 3 permet-elle de soutenir l'antriorit de l'arrive d'Euagrios Antioche : Syria mihi uelut fidissimus naufrago portus occurrit. Vbi ergo quicquid morborum esse poterat expertus e du obus oculis unum perdidi ; Innocentium ... Nunc uno et toto mihi lumine Euagrio nostro fruor ? Une seule chose est assure: les trois amis ont pass quelque temps ensemble Antioche.

    60. SAINT BASILE, Lettres, t. II, texte tabli et traduit par Y. Courtonne, coll. des Universits de France, Paris, 1961, p. 55, 1. ro-r3. Cf. Appendice A.

    6r. F. CAVALLERA, Le Schisme d'Antioche, Paris, 1905, p. r53, note 2: Euagrios partit d'Occident vers la fin 373. Son entretien avec Basile eut lieu en 374 d'aprs les divers vnements synchroniques .

    62. M. RICHARD, Saint Basile et la mission du diacre Sabinus, A.B. 67, 1949, p. 197, note 2 ( = Opera Minora II, Tournai, r976, mme pagination).

    63. F. CAVALLERA, Saint Jrme, I, 2, p. 12-14 : Si Ep. I, 15 est prendre au sens strict, ... Euagrius ne serait parti pour l'Orient qu'aprs la mort d' Auxence survenue en 374 ( une date inconnue avant dcembre) ... Cela parat le sens naturel du texte et l'on n'a, quoiqu'on en dise, donn, en dehors de ce sens, aucune expli-cation satisfaisante de cette phrase. Sans doute Auxence fut condamn vers 370 par un synode romain, mais Valentinien s'tant oppos ce que la sentence fut suivie d'effet, on ne voit gure en quoi il y aurait lieu de fliciter Euagrius de ce

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    exigeait ou de remonter dans le temps la mort d'Auxence, laquelle Euagrios aurait t ml, ou de renoncer identifier, dans le passage de l'Epistula I, I5 de Jrme, une allusion au dcs de l'vque htro-doxe64, solutions radicales qu'a refuses Cavallera. En outre il ne faut pas oublier que la majorit des spcialistes du Cappadocien assignent la lettre I38, comme toute une srie d'autres missives envoyes par Basile malade, l'anne 37365 . Il devient donc difficile de choisir entre

    succs rebours, ni mme quel titre on pourrait in vaquer pour justifier sa prsence et son intervention auprs de l'Empereur, comme pour les autres cas rapports. Il s'agirait donc de quelque mesure prise aussitt aprs la mort d'Auxence et ayant pour but de ruiner dfinitivement l'hrsie arienne Milan. A son retour en Orient Euagrius passa par Csare ... La date d'Ep. 138 o Basile rend compte de cette entrevue ... est elle mme dterminer par divers synchronismes sur lesquels les historiens ne s'accordent pas. Je ne vois pas de raison convaincante pour abandonner la date, printemps 374, que j'ai adopte dans le Schisme ... (cf. supra, note 6r). Ces lignes de Cavallera n'autorisent que deux conclusions : ou Auxence est mort avant le printemps 374, ou Euagrios a accompli un bref voyage Csare, puis est rentr en Italie avant de quitter dfinitivement l'Occident. Comme les termes de la lettre de Basile ne conviennent gure cette dernire hypothse, il faudrait admettre la premire, ce dont ni Cavallera, ni ses utilisateurs ne semblent avoir t conscients.

    Les progrs incontestables que le travail de Cavallera a permis d'accomplir ont valu son ouvrage, auprs des lecteurs franais, une autorit qui fait souvent accepter, les yeux ferms, ses rsultats (cf. A. J. FESTUGIRE, Antioche paenne et chrtienne, Libanios, Chrysostome et les moines de Syrie, Paris, 1959, p. 415 : Suivant la chronologie adopte par le P. Cavallera ... nous avons pour le sjour Chalcis les dates suivantes : dpart pour Antioche : printemps 374 ; dpart pour le dsert de Chalcis : deuxime moiti de 375 ... De mme J. GRIBOMONT, Saint Jrme, DS VIII, Paris, 1974, c. 902). Ainsi s'expliquent des contradictions tranges chez les meilleurs historiens : P. COURCELLE, Recherches sur les Confessions de Saint Augustin, nlle dition augmente et illustre, Paris, r968, p. r85 : La plus ancienne lettre conserve de Jrme qui date de 374 ( = Cavallera) est adresse cet Innocentius (ddicataire de la traduction de ta Vie d'Antoine d'Athanase par Euagrius) ... et p. 266 : La date la plus probable (de la traduction) me parait fournie par R. REUSSI, Der Ursprung des Monchtums, Tubingen, 1936, p. Sr : srement avant 373, date de la mort du destinataire Innocentius ... On se demande bien pourquoi Jrme, qui tait arriv Antioche avant qu'Innocentius ne lui soit enlev (Ep. 3, 3 et supra notes 54 et 55) et qui ne pouvait donc ignorer, un an plus tard, que son ami avait succomb, aurait crit un dfunt ! H.-I. MARROU a hsit, pour la formation de Jrme au dsert de Chalcis, entre 375-377 (date de Cavallera) et 374-376 dans la Nouvelle Histoire del' glise, I, Paris, 1963, p. 3r9 et p. 347. P. NAUTIN, dans sa srie d' tudes de chronologie hironymienne (393-397), RE Aug. r8, r9, 20, 1972-1974, tout en saluant les apports de son prdcesseur, a contribu faire natre bien des suspicions envers une uvre, qui pour avoir t remarquable, mriterait aujourd'hui d'tre remplace. D'autres savants s'cartent dlibrment des conclusions de Cavallera, mais ne justifient pas leurs prises de position, par exemple, A. GUILLAUMONT, Le dpaysement .. ., p. 36-37 : Nombreux furent ceux qui quittrent leur pays pour mener la vie monastique ... Ainsi avaient fait dj, en 371, Mlanie et, sa suite, Rufin, qui allrent fonder un monastre sur le Mont des Oliviers ... ,,, qui adopte ainsi la chronologie de H. LECLERCQ, Ple-rinage aux Lieux Saints, DACL, XIV, Paris, r939, c. 83.

    64. Cf. Appendice B. 65. F. LOOFS, Eustathius von Se baste und die Chronologie der Basilius-Briefe,

    Halle, 1898, p. 30-32 et p. 52 (tableau chronologique) : Ep. 138 = t 373 ;

    2

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    les annes 373 et 374 pour l'installation d'Euagrios Antioche et par suite nous ignorons partir de quand Jrme et Florentinus correspon-dirent.

    La critique interne des lettres ne permet gure de progresser. Notons toutefois que dans 1' Epistula 3 Jrme garantit la prsence de Rufin en gypte lors de la perscution contre les moines, c'est--dire srement aprs mai 37366, ce qui nous est confirm par Rufin lui-mme67, et qu'il dplore la perte d'un serviteur de Mlanie, Hylas68 . Il n'est pas impossible de trouver quelques mobiles cette venue Antioche d'un familier de Mlanie : les relations entre Rome et cette grande ville de l'Orient taient aises : plus tard les petits-enfants de Mlanie rpandirent leur fortune dans le monde entier, en particulier en gypte, Antioche et en Palestine, et Pinien reut de la capitale syrienne les habits modestes qu'il revtit pour manifester aux yeux de tous son renoncement aux vanits du sicle69 , mais on doit quand mme s'interroger sur les motifs qui poussrent Hylas vivre dans l'entourage d'Euagrios. Y.-M. Duval a rappel juste titre que l'un des premiers informateurs de Jrme sur la prsence de Rufin Nitrie tait un moine d'Alexandrie, qui avait t charg de porter

    H. LIETZMANN, Apollinaris von Laodicea und seine Schule, TU, Tbingen, 1904, p. XIV, 14, 50-51 et p. 54; P. BATIFFOL, Le Sige apostolique (359-451), Paris, 1924, p. 99 (le mme auteur plaait au milieu de 373 le retour du clerc antiochien et au dbut de 374 la rdaction de l'Epistula 138 : L'Ecclsiologie de Saint Basile, dans chos d'Orient, 21, 1922, p. 23 et note I); R. J. DEFERRARI, Saint Basil, The Letters II, with an English Translation, The Loeb Classical Library, London, 1950, p. 319, note let p. 322, note l ; E. Amand DE ME)l'D!ETA, Damase, Athanase, Pierre, Mlce et Basile. Les rapports de communion ecclsiastique entre les glises de Rome, d'Alexandrie, d'Antioche et de Csare de Cappadoce (370-379) dans l'glise et les glises I, Chevetogne, 1954, p. 266 (en particulier, note 2); IDEM, Basile de Csare et Damase de Rome : les causes de l'chec de leurs ngociations, dans Biblical and Patristic Studies in Memory of R. P. Casey, Fribourg, 1963, p. 127-128; P. P. JoAN-NOU, op. cit., p. 183 ; W. D. HAUSCHILD, op. cit., p. 14 et p. 165, notes II6-rr7; Y. COURTONNE, Un tmoin du IVe sicle oriental, Saint Basite et son temps d'aprs sa correspondance, Paris, 1973, p. 195 ; J. TAYLOR, St Basil the Great and Pope St Damasus, The Downside Review, 91, 1973, p. 198. Aprs F. Cavallera (mais son raisonnement est irrecevable, cf. supra, notes 59 sqq), V. GRUMEL, Saint Basile et le Sige Apostolique, dans chos d'Orimt, 21, 1922, p. 285 et R. DEVREESSE. Le Patriarcat d'Antioche depuis la paix de l'glise jusqu' la conqute arabe, Paris, 1945, p. 30, Ch. PIETRI, Roma Christiana, note, p. 804-805, a dfendu la date de 374 aussi bien pour le voyage d'Euagrios que pour la lettre de Basile.

    66. JRME, Ep. 3, 2, p. II, 1. 20-23 : quidam Alexandrinus monachus, qui ad Aegyptios confessores et uoluntate iam martyres pio plebis fuerat transmissus obsequio ...

    67. RUFIN, Histoire Ecclesiastique, II, 4, PL 21, c. 511, 271 C: Quae praesens uidi loquor : et eorum gesta refera, quorum in passionibus socius esse promerui.

    68. JRME, Ep. 3, 3, p. 12, 1. 28-29 : Erat nobiscum et Hylas sanctae Melaniae famulus ...

    69. PALLADIOS, HL 61, p. 156, 1. rr-12 ; Vie de sainte Mlanie, texte grec, introduc-tion et notes par D. Gorce, SC 90, Paris, 1962, chap. 8, p. 142.

  • MELANIANA 19

    secours aux confesseurs d'gypte70 et suppose donc qu'Hylas, pour la mme raison s'tait install Antioche, sa matresse ayant suivi Dioc-sare de Palestine un groupe de bannis71 . Si cette hypothse sduisante tait juste, il faudrait en conclure qu'Hylas, devenu un proche de Jrme avait t incapable de lui fournir les renseignements si dsirs sur Rufin, et donc que Mlanie et Rufin ne s'taient pas encore rencontrs. Or il semble bien que ce fut en gypte que Mlanie et Rufin unirent leurs destines, puisque dans 1' Epistula 4 Jrme crit Florentinus l. Sans juger ncessairement errone cette conjecture, qui est aussi celle de Butler (op. cit., p. 227), nous avons refus d'en tenir compte pour deux raisons : d'une part cette date n'est pas obtenue par rfrence directe l'une de nos sources, d'autre part elle oblige admettre un long rpit, au minimum un an, entre la mort d' Athanase et la perscution de Valens (cf. note 34, en particulier, RUFIN, HE, II, 3), ce que Schwartz lui mme ne parat pas avoir envisag : Dort hatte die Schonung, die Kaiser Valens aus Rcksicht auf Athanasius den Bekennern des Nicaenums hatte angedeihen lassen, mit jenes Tode (3 mai 373) aufgeh6rt >l.

    75. RAMPOLLA, op. cit., p. 94 ; P. X. MURPHY, Rufinus of Aquileia .. ., p. 23-24, note 108; Melania ... , p. 65-67 ; et avant ce dernier, ENLlLIN, PW XV, I, Melania 2, c. 415.

  • 20 NICOLE MOINE

    ainsi plus ou moins explicitement que Jrme, qui connaissait, au moment o il donnait une suite l'uvre d'Eusbe et plus encore quand il rdigeait la lettre 39, l'installation de Mlanie Jrusalem, supposait, en accord d'ailleurs avec Paulin qui procde de la mme faon, que Mlanie n'avait jamais eu d'autre but en quittant Rome que d'atteindre Jrusalem et plaait donc la date de l'arrive dans la Ville Sainte la brve notice qu'il lui consacrait.

    Une charmante anecdote, tire de l'une des versions latines de l'Histoire Lausiaque, Heraclidis Paradisus, 6, semble leur donner raison, puisqu'elle nous montre Mlanie affirmant qu'elle avait reu un prsent des mains d' Athanase, l'illustre vque d'Alexandrie : >.

    Malheureusement on ne saurait garantir ni la prsence du nom d'Atha-nase dans le document original, ni la valeur historique de ce rcit. D'une part, en effet, seule une famille de manuscrits grecs propose cette version athanasienne : Butler y a vu une interpolation, une erreur de scribe, et il a cherch en expliquer la gense76 ; c'est pourquoi, au chapitre 18 du texte qu'il a dit, Mlanie reoit directement, sans aucun interm-diaire, la peau de brebis des mains du moine gurisseur. D'autre part la merveilleuse histoire de la bte reconnaissante prsente de multiples variantes et a t transmise par divers conteurs. Certes l'auteur de l'Histoire Lausiaque, qui passa plusieurs annes en gypte, veut se prsenter comme un tmoin de qualit : il aurait entendu Paphnuce raconter le prodige accompli par son matre Macaire l'Alexandrin (Marc dans l'Heraclidis Paradisus et dans quelques manuscrits grecs!) et Mlanie elle-mme dclarer que le clbre anachorte lui avait remis en personne

    75bis. PL 74, c. 276, 954 C. 76. C. B U'.I'LER, The Lausiac History of Palladius, A Critical Discussion together

    with Notes on Early Egyptian Monachism, Text and Studies 6, I, Cambridge, 1898, p. 179 : The Greek text of A 20 makes Melania say that she had seen St Athanasius in Egypt ; but she did not corne to Egypt till after his death. Here it is enough, waiving all discussion of the chronology of Melania's life, a somewhat intricate question, to inform the reader that only one family of Greek Mss introduces St Athanasius' name in this place ; that it is absent from all the versions, and accor-dingly is a certain interpolation .Au tome II, Cambridge, 1904, p. 196-197, note 32, Butler conclut : Thus the introduction of St Athanasius' name is a mere transcrip-tional error . Les versions syriaques ne font nullement tat d'Athanase quand elles rapportent cet pisode.

  • MELANIANA ZI

    la toison77 Mais avant lui d'autres avaient rapport l'pisode : la recen-sion grecque de !'Historia Monachorum in Aegypto, 21, 15-1678, compte rendu d'un voyage effectu par quelques moines en 394-395, qui attribut le mme miracle Macaire l'gyptien79, montre le familier des btes froces80 rendant la vue toute une porte atteinte de ccit, se faisant un tapis de la grande peau d'un fort blier que l'hyne dposa ses pieds, et prcise : cette peau jusqu' maintenant est conserve chez l'un des frres ))81 . Le silence de la version latine, que Rufin aurait ralise partir d'un original grec distinct de celui dont nous disposons aujourd'hui82 et qui prsente par rapport ce dernier plusieurs additions ou omissions importantes, est d'autant plus remarquable que le traducteur connaissait bien et les milieux monastiques d'gypte et Mlanie !'Ancienne, surtout si l'on songe que dans son Histoire Ecclsiastique, aprs avoir averti le lecteur qu'il a dcrit en tmoin oculaire la vie anglique mene par cer-tains en gypte83 et nomm parmi les moines qu'il y rencontra les deux Macaire84, il rapporte son tour le touchant pisode85 ; le cadre narratif diffre quelque peu de celui du texte grec de !'Historia Monachorum : Nous voyons une lionne - et non pas une hyne - apporter ses petits aux pieds du saint, sans obliger ce dernier la suivre jusqu' sa grotte ; en outre Rufina restitu Macaire d'Alexandrie la paternit du miracle, multipli les cadeaux (pelles ouium lanatas plurimas) et omis d'voquer le sort qui leur advint.

    77 PALLADIOS, HL, 18, p. 57, 1. 4-13 : (( Ll.t11ye0 i]v IImpvuno 6 a011i:it a\no\i (1. 4 ) ... Kai i:j l] ]pg KWtoV ey6.O\J npoB6.wu vi]voxe "tqJ ayic. 'Q ] Kapia Meav[a ot elii:sv i:t IIap 1:0\i MaKapiou hcb i;J..,aBov i: Krotov Keivo ,vtov " Cf. R. Draguet, Les Formes ... , t. 170, p. 70* et p. ro5-ro6.

    78. A. J. FESTUGIRE, Historia Monachorum in Aegypto, Edition critique du texte grec et traduction annote, Subsidia Hagiographica 53, Bruxelles, 1971 : texte grec, p. 12 7 ( = Subsidia H agiographica 34, Bruxelles, 1961 ), traduction franaise, p. rr8-rr9 ( Les Moines d'Orient, IV, l, Enqute sur les moines d'gypte, Paris, 1964).

    79. A. GUlLLAUMO:-!T, Le problme des deux Macaire dans les Apophtegmata Patrum, Irenikon, 48, 1975, p. 41-59 (surtout p. 44-47).

    80. A.-J. FESTUGlRE, Les Moines d'Orient l, Culture ou Saintet, Introduction au monachisme oriental, Paris, 1961, p. 53-57 : On songe au temps merveilleux o l'homme tait en amiti avec les btes; on songe au Paradis perdu (p. 57).

    8r. Historia Monachorum .. ., 21, 16, trad., p. 119; texte grec, p. 127, 1. 89-90: "

  • 22 NICOLE MOINE

    Vers la mme poque Sulpice Svre a publi des Dialogues destins prouver que les exploits de Martin dpassaient ceux des asctes orien-taux : l'ami de Paulin de Nole, le confident qui avait appris quelques annes plus tt le retour de Mlanie en Italie et reu la tunique qu'elle avait apporte son parent86 , a rdig le rcit le plus dtaill et le plus empreint de merveilleux : deux moines de Nitrie partirent la recherche d'un camarade, cach depuis douze ans dans le dsert. Alors que le solitaire qui les avait accueillis pendant trois jours les raccompagnait, une lionne mirae magnitudinis, distinguant avec un instinct trs sr le saint ana-chorte parmi les trois voyageurs, lui fit comprendre par ses larmes et gmissements qu'il devait l'accompagner jusqu' sa grotte ; l elle dposa ses pieds, un par un, chacun des cinq lionceaux dj grands, pour qu'il les gurisse de leur ccit. Cinq jours plus tard, la lionne lui apportait en remerciement inusitatae ferae pellem87 On aura remarqu l'anonymat du hros, trait souvent observ dans les Dialogues, et au moins un manque complet d'intrt pour une quelconque participation de Mlanie l'aventure. Aussi peut-on s'interroger sur la confiance accorder Palladios, qui est le seul introduire le nom de Mlanie dans une anecdote lgendaire88 , ce que d'autres auteurs, pourtant trs proches de cette femme, avaient nglig de faire auparavant.

    Nul ne saurait donc critiquer J. Brochet89 ou F. X. Murphy90 de ne point tenir compte de la mention d'Athanase pour chafauder leur chronologie. En revanche on doit s'tonner de ce que Murphy, certes persuad de l'historicit de l'Histoire Lausiaque, n'mette aucune rserve sur le legs de Macaire Mlanie et se croit autoris reconstituer l'histoire mouvemente de la toison : cc Macarius gave this ( = the pelt of a young lamb) as a token to Melania, who, much later, presented it to Paulinus of Nola, only to have him pass it on to Sulpicius Seuerus n91 . La rfrence 1' Epistula 29 de Paulin ne laisse aucun doute : Murphy assimile, non sans hardiesse, io Krotov syi/cou npoPwu la tunica ... de tenero agnorum uellere contexta92 et ne s'embarrasse pas du silence de l'vque

    86. PAUI,IN, Ep. 29, 5, p. 251. 87. Sur,PICE SVRE, Dialogus, I, 15, d. C. Halm, CSEL, I, Vienne, r866, p. 167-

    168 (en particulier, p. 167, 1. 28 et p. 168, 1. r8). 88. Cf. la remarque d'A. J. FES'.l'UGIRE, Le problme ... , p. 281: Je ne mets pas en

    doute la bonne foi de l'auteur dans les rcits, mme lorsqu'il rapporte les miracles les plus absurdes, car il ne faut rien comprendre aux gens de ce temps l pour leur attribuer la moindre dose d'esprit critique !

    89. J. BROCHE'.!', La correspondance de saint Paulin de Nole et de Sulpice Svre, Paris, 1906, p. 30 : Nous ne nous arrterons pas l'argument puril et si souvent ressass, qui fait placer l'arrive de Mlanie avant la mort d'Athanase, parce qu'elle aurait reu de sa main la peau de mouton dont l'ermite Macaire se couvrait !

    90. F. X. MuRPHV, Melania ... , p. 68 : Nor is there any indication that Melania ever met the great Athanasius , avec la rfrence Bu'.l'r,ER, t. I, p. 179.

    91. Ibidem, p. 68 et p. 75 : Besides the story of Melania, he sent him as a gift the pelt which Melania had received from Macarius .

    92. PAI,l,ADIOS, HL, 18, p. 57, 1. n-12 et PAUI;IN, Ep. 29, 5, p. 251, 1. 6 et 8.

  • MELAN JANA

    de Nole ou de Mlanie sur la provenance, pourtant si glorieuse, du vte-ment.

    Certes l'autre hypothse semble bnficier d'une affirmation explicite de Jrme, encore que, faute d'avoir avanc le nom du lieu d'o est partie Mlanie, le chronographe ne permette pas son lecteur de savoir si la date qu'il fournit porte sur les prliminaires du voyage ou sur son aboutissement Jrusalem, et il devient donc bien difficile d'en tenir compte93 .

    Il ne faut pas oublier non plus que Palladios, notre source la plus circonstancie, ne signale la prsence de Mlanie Jrusalem qu' l'occa-sion de la fondation du monastre qu'elle y tablit aprs le rappel des moines perscuts : wc T]V dvaKY}oW 't'OUTOW 94. Certes les historiens ne sont pas unanimes pour dater le retour des exils ; certains s'appuyant sur le tmoignage de Rufin95 pensent que Valens, terriblement inquiet de la menace gothique en Thrace et n'ayant pas les moyens de faire face en mme temps deux ennemis, les orthodoxes et les barbares, mit fin, partir de 376, ses brimades religieuses. D'autres retardent d'un an ou deux, jusqu' la bataille d'Andrinople, l'arrt de la perscu-tion : TIOL, L'Empire .. ., p. r84.

    96. JRME, Chronique a 378, p. 249 b; E. SCHWARTZ, art. cit., p. r66 : Nach der Katastrophe von Adrianopel, 378, restituierte Gratian alle verbannten Bischfe und die agyptischen Konfessoren kehrten heim ; Melanium lie13 sich dauernd in Jerusalem nieder und grndete dort ein Nonnenkloster . C'est aussi l'avis auquel semble se ranger H. CHIRAT, C.R. de la Vie de Sainte Mlanie, dans RSR, 38, 1964, p. 99, quand il crit: en 378, l'ann,e mme oit Mlanie !'Ancienne se retirait au Mont l,

  • NICOLE JfOINE

    tel Murphy97, qu'elle frquenta la Ville Sainte avant de s'y installer durablement, toutes conjectures invrifiables, mme si elles ne sont pas absurdes : entre 367 et 378 Cyrille de Jrusalem devait abandonner une troisime fois son sige piscopal, qui tomba aux mains des Ariens ; or l'tablissement d'un monastre exigeait l'accord, au moins implicite, de l'vque du lieu98 L'embarras s'accrot encore si l'on songe qu' propos de ce monastre Palladios crit, deux reprises, que Mlanie et Rufin y rsidrent vingt-sept ans, affirmation qui s'avre gravement errone dans le cas de Rufin99 et jette donc une srieuse suspicion sur la valeur chronologique de l'ouvrage de l'vque d'Helenopolis. Nous rpugnons repousser sans autre examen des renseignements aussi prcis, d'autant que nous n'ignorons pas que Palladios a appartenu avec Mlanie, Rufin, vagre au milieu origniste100 ; toutefois cette rserve se justifie, quand on observe, aprs P. Peeters101 , les entorses la vrit que Palladios

    97. F. X. MURPHY, Melania .. ., p. 69 : It does not seem possible that she should have remained in the neighborhood of Diocaesarea until 377 or 378, when the ban was lifted. More. probably, being so close to Jerusalem she at least visited the place, determining around the beginning of 378 to settle there permanently . Ces rticences sont dictes par le dsir de sauver la chronologie de Palladios (les vingt-sept ans au monastre du Mont des Oliviers se transforment subrepticement en vingt-sept ans partir de la premire visite ] rusalem !). Il faut reconnatre toutefois que la visite aux moines gyptiens et celle des Lieux Saints faisaient nor-malement partie du priple oriental des pieux plerins.

    98. P. NA UTIN, L'excommunication de saint Jrme, dans Annuaire de l' cole Pratique des Hautes tudes, ve section, t. 8o-8r, article liminaire, p. II ( propos du monastre de Paula et ] rme). L'auteur insiste sur le prestige de l'habit monas-tique auprs des fidles et sur le risque de dtournement des aumnes.

    99. Les critiques sont unanimes rejeter cette information : ] . BROCHET, La Correspondance .. ., p. 30; E. SCHWARTZ, art. cit., p. r66 note IO; F'. X. MURPHY, Rufinus .. ., p. 52 et Melania .. ., p. 69-70 etc ... En effet il est bien tabli que Rufin quitta Jrusalem en 397, sans doute la Pentecte (cf. P. NA UTIN, tudes de chrono-logie hiironymienne, RE Aug. r8, r972, p. 2r2 et ibid., 20, r974, p. 276) et regagna l'Italie, dont il avait t absent moins de trente ans. Dans l' Apologia ad Anastasium, r, d. Simonetti, p. 25, 1. 8-II, comme dans l' Apologia contra Hieronymum, I, 4, p. 39, l. 5-r2, rdiges vers 400-4or, Rufin fait allusion aux triginta fere annos qui le sparent de la rupture avec sa famille ou de son baptme Aquile. Or nous savons qu'il vcut longtemps en gypte (cf. note 73), ce qui lui donnait une crasante supriorit sur son ancien ami, ] rme, qui in tata uita sua non totos triginta dies Alexandriae ... (Apotog. c. Hier., II, r5, p. 94, 1. ro), et lui permettait de railler les prtentions de son adversaire se dclarer le disciple de Didyme. Il est donc totalement impossible que Rufin ait rsid vingt-sept ans ] rusalem.

    roo. A. GUILLAUMONT, Les Kephalaia Gnostica d' vagre le Pontique et l' Histoire de t'Orignisme chez les Grecs et les Syriens, Paris, r962, p. 47 sqq : chapitre r, les relations d'vagre avec les Orignistes de son temps ; E. D. HUNT, Palladius of Helenopolis : A Party and ifs Supporters in the Church of the Late fourth Century, dans ] Th S, 24, r973, p. 456-480.

    ror. P. PEETERS, Unr vie copte de S. jean de Lycopolis, dans AB, 54, r936, p. 370 sqq ; il nonce, p. 38 r, cette refle:x:ion dsabuse : Le rcit de Palladios ne gagne pas tre examin de trop prs ... on serait conduit mettre en cause !'Histoire Lausiaque dans son ensemble. Certes rcemment D. F. BUCK, The Structure of the Lausiac History, dans Byzantion, 46, r976, p. 292-307, a essay, contre Peeters, de rhabiliter I'Histoire Lausiaque et de reconstituer le canevas autobiographique qui

  • MELANIANA 25

    a fait subir sa propre biographie et quand on analyse les consquences auxquelles fut entran F. X. Murphy102 : non seulement il a tent de comprendre

  • 26 NICOLE MOINE

    Dans l'Epistula 29 Paulin, encore tout fier et mu d'avoir hberg une parente aussi sainte, dcrit son correspondant, avec beaucoup de verve, sa pittoresque arrive105, mais nous apprend aussi que le moine Victor, compagnon de Svre et nouveau porteur du courrier entre les deux amis, atteignit Nole, lorsque la farouche moniale, dbarque Naples, s'y trouvait galement106. A l'instar d'autres \isiteurs, en parti-culier l'vque Nicetas, elle entendit Paulin, qui la savait friande de telles histoires, lui lire la Vita M artini107 . Malheureusement aucune de ces informations n'est susceptible de recevoir une date indpendamment de celle attribue l'une ou l'autre des uvres de Paulinl08. Or nul n'ignore quel point la chronologie des lettres et pomes est dlicate tablir. Disons simplement que les recherches de P. Fabrel09, les plus labores jusqu' ce jour, ont abouti d'une part placer en 400 l'envoi Sulpice Svre d'un lot de trois longues lettres, dont fait partie Ep. 29110, et d'autre part souligner que c'est au cours de l'hiver 399-400 que Victor et Nicetas furent reus Nole, le second assistant, le 14 janvier 400, la fameuse fte de saint Felix111, le premier ayant t dpch Paulin au cours de la mauvaise saison112 . Certes rien ne permet d'affirmer que

    ro5. P.

  • MELAN JANA 27

    Nicetas et Mlanie se sont rencontrs Nole113 et le fait que Paulin prsente dans sa lettre l'vque des Daces aprs Mlanie ne prouve pas plus que celle-ci l'avait prcd en Campanie, qu'elle n'autorise la conclu-sion inverse: Paulin, soucieux de faire plaisir l'auteur de la VitaMartini, numre les auditeurs les plus en vue de l'pope martinienne, en com-menant tout naturellement par Mlanie, dont l'admirable conduite fait l'objet de l'Epistula 29114 . Du moins pourrait-on, sans prtention excessive si l'on admet les calculs subtils de P. Fabre, situer dans les dernires semaines de 399 ou les premiers mois de l'anne 400115 le sjour de Mlanie Nole. La deuxime hypothse parat mme prfrable, quand on observe que Paulin a attendu la troisime et dernire lettre du courrier pour voquer la prsence de sa parente et annoncer 1' envoi de sa tunique d'agneau, alors que les pallia offerts par Sulpice Svre avaient dj t mentionns dans l'Epistula 23116 .

    Une fois encore !'Histoire Lausiaque procure une documentation indite et concrte : Palladios a expos les motifs qui entranrent le dpart de Mlanie, vigilante aeule avide de voler au secours de ses petits enfants, qui avaient dcid de renoncer au monde ; il prcise la dure du voyage entre Csare et Rome et numre les succs apostoliques, qui marqurent le retour de cette femme ge de soixante ans, en particu-lier la conversion du paen Apronianus, mari sa parente Auita117 , qu'elle poussa mener une vie continente. Dans ce rsum rapide du chapitre 54 sont mis en vidence quelques faits chronologiques, de valeur

    l 13. J. FONTAINE, op. cit., p. 50, le suppose sans en donner de preuves. II4. PAULIN, Ep. 29, 14, p. 261, 1. 21-25. C'est tort, pensons-nous, que C. BUTLER,

    The Lausiac History .. ., p. 226, note 94, avance :

  • 28 NICOLE MOINE

    peut-tre ingale, mais qui, tous, concernent notre recherche de l'anne du retour de Mlanie en Occident :

    I. A cette poque, en effet, nous voyons que son neveu par alliance - ou son beau-frre - tait encore paen ; or il se trouve que ce person-nage n'est pas un inconnu. Dans le Carmen 21, largement consacr la famille de Mlanie, Paulin, aprs avoir chant la grande victoire de Rome sur les Barbares118, qu'il attribue l'intervention de Pierre et Paul, des martyrs et bien sr de Flix119, remercie le patron de Nole d'un nou-veau bienfait, en ce dbut de l'anne 407, la prsence ses cts de nobles dans le sicle, devenus pauvres pour le Christ. Parmi eux Auita et Apro-nianus :

    Apronianum Turciae gentis decus, aetate puerum, sensibus carnis senem, ueteri togarum nobilem prosapia sed clariorem Christiano nomine, qui mixta ueteris et noui ortus gloria uetus est senator curiae, Christo nouus120 n.

    Ces quelques vers, jouant sur l'opposition du nouveau et de l'ancien, nous apprennent qu' cette date Apronianus, qui faisait depuis longtemps partie du Snat, tait un chrtien de frache date. A. Chastagnol121 l'a identifi avec le petit-fils de L. Turcius Apronianus Asterius, qui fut prfet de la Ville en 362-363, c'est--dire lors du rgne de Julien, et avec le fils d'une Eunomia et de L. Turcius Secundus Asterius, qui revtit le mme sacerdoce que son pre - le quindecemvirat sacris faciundis et fut tauroboli au phrygianum du Vatican en 376122. Ainsi notre Apro-nianus appartenait une famille puissante et notoirement paenne, ce qui dut rendre sa conversion d'autant plus scandaleuse pour les partisans des anciens dieux et d'autant plus clatante pour les fidles du Christ. Nous voyons aussi que cet homme tait encore jeune, et Paulin prcise, quelques vers plus loin, qu'il doit tre situ sur l'chelle des ges entre Pinien et Paulin lui-mme123 ; A. Chastagnol a soutenu qu'il tait n

    n8. La critique unanime reconnat dans les premiers vers du Carmen 2r (p. r58-r59) une allusion la bataille de Fiesole et la mort de Radagaise. Le pome est ainsi dat du r4 janvier 407 : P. FABRE, Essai..., p. 39 ; P. CouRCELI,E, Histoire Littraire des grandes invasions germaniques, 3 d., Paris, 1964, p. 4r.

    u9. PAUUN, Carmen, 21, v. 6-8, p. r58. Ch. PIETRI, Concordia Apostolorum et renouatio Vrbis, Culte des martyrs et propagande papale, dans M AH, 73, r96r, p. 275-322, a montr avec finesse que les martyrs sont pour Paulin de Nole, comme d'ailleurs pour Prudence ou Damase, les vritables hros civiques.

    120. Carmen, 21, v. 2ro-2r5, p. 165. I2L A. CHASTAGNOI,, Les Fastes .. ., p. 159 122. Notre Apronianus est bien l'honneur de la gens Turcia (v. 2ro). Son fils

    rpond au surnom d'Asterius, sa fille est une Eunomia. r23. PAUI,IN, Carmen, 21, v. 216-217, p. 165 : huic propinquat socius aequali

    iugo /aeuo minore Pinianus, par fide ... ;et v. 288-291, p. r67: !< u.m patre Paulino

  • MELANIA NA 29

  • 30

    Hune puerum et fratrem fecit pia gratia patri; nam pariter sancto flumine sunt geniti. Quos natura gradu diuiserat, hos deus almo munere germanos in sua regna uehetI29 n.

    NICOLE MOINE

    Quand bien mme on donnerait au terme de pariter le sens d' en mme temps >> qu'il possde souvent, il faudrait encore que l'vque de Nole ait gliss dans ses vers 1' ge du garon pour savoir approximativement quel moment Apronianus fut touch par la grce divine ... et l'influence de sa tante, or il nous laisse seulement deviner qu'Asterius a dpass la toute petite enfance130 ce qui demeure fort insuffisant pour nous permettre de calculer l'anne de ce baptme commun.

    Alors qu'il se trouvait Rome pour dfendre la cause de Jean Chrysos-tome auprs des Occidentaux, Palladios, selon son propre tmoignage, fut accueilli avec d'autres rfugis de Constantinople dans l'entourage de Pinien131 . La date exacte de l'arrive dans la Ville de l'vque d'Hele-nopolis et de ses amis est assez mal tablie, quoiqu'elle suivt sans doute de peu l'exil de Jean, le 20 juin 404132 . Or dans ces annes 404-405 Palla-dios aurait rencontr l.

    133 PALLADIOS, HL 41, p. 129, 1. 9-II ; Asterius n'est pas mentionn. 134. BUTLER, op. cit., p. 128 : The text of this and other passages not found

    in P W T is constructed out of B by means of 1, only the words attested by 1 being retained ... In su ch passages the te:x:t can be no more than an approximation to the original >l.

    135 R. DRAGUET, Les Formes, t. 174, p. 192.

  • MELA.NI AN A

    concernant Auita et sa famille s'insre mal136 et E. Schwartz l'a d'ailleurs rejet catgoriquement : (( In dem zweiten Kapitel ber die altere Mela-nium ( = chap. 54) wird in richtigem und passendem Zusammenhang mit ihrer Rckkehr nach Rom erzahlt, daB sie Apronianus bekehrt und dahin bringt, daB seine Ehe mit Auita eine J osefsehe wird ; das Zusatz-kapitel (= chap. 41) bringt nur die Namen, fgt aber den der Tochter hinzu und erwahnt, daB sie gestorben sind. Das ist ein Mangel an Dispo-sition, der gerade bei einem so berlegten Schrifsteller wie Palladius unerhirt ist ))137. Nous n'avons pas les moyens de trancher ce problme, plus philologique qu'historique, mais il faut quand mme remarquer quel point la forme et le fond de ces quelques lignes vantant les mrites d'Auita et des siens ont ce caractre vagrien, spcifique de l'uvre de Palladios138 et voquent Mlanie, cette femme qui, elle aussi, tait entre en possession de la gnose vritable, avait catchis ses neveux, les persua-dant justement de garder la chastet139. Quoiqu'il en soit, du strict point de vue chronologique qui est ici le ntre, nous ne pouvons gure tirer profit d'un texte peu sr, susceptible au mieux de confirmer qu'en 404-405 Mlanie tait bien rentre en Italie.

    L'examen de quelques livres de Rufin d'Aquile offre en revanche, en faisant natre de nouvelles questions, une occasion de faire avancer notre recherche. Aprs son retour en Occident, en 397, l'ancien ami de Jrme entreprit de traduire du grec en latin toute une srie d'homlies d'Origne, Basile de Csare, Grgoire de Naziance et les Sentences de Sextus. Il y fut encourag par un certain Apronianus, qui a toujours t - et doit certainement tre identifi avec le neveu de Mlanie. La durable complicit thologique en Basile, Grgoire et Origne, qui liait Rufin et Mlanie140, le fait que dans trois Prfaces Rufin associe au desti-

    136. Dans cette suite de { Kotiicrero, f;.eu0epro0V'tE v itacrT} aapna, V'tO of; Kai yvrocrero yevevot ... "

    140. Mlanie est dite (l-IL, 55, p. 149, 1. rr-20), lire avec assiduit Origne, Gr-goire et Basile. On connait aussi l'itinraire d'vagre le Pontique, qui, aprs avoir reu le lectorat des mains de Basile, fut ordonn diacre par Grgoire de Naziance envers qui il manifesta toujours une grande reconnaissance. C'est auprs d'eux

  • 32 NICOLE MOINE

    nataire, qui vit Rome141, une femme, visiblement l'pouse d'Apronia-nusl42, militent assez en faveur de cette thse.

    M. Simonetti, qui a utilis pour composer les Regesta Rufiniana, placs en tte de son dition des uvres de Rufin, les travaux de F. X. Murphy143, a situ en 398-399, Rome puis Aquile, l'poque o ces quatre traduc-tions furent ralises. Or il est clair qu' ce moment Apronianus, auquel Rufin manifeste sans cesse un vif attachement - Aproniane fili caris-sime144 - est chrtien : c'est lui, le petit-fils et fils de prtres paens, qui a demand Rufin de traduire les Homlies de Basile145, c'est en raison de leur valeur morale qu'il reut celles d'Origne146 ; surtout sa compagne, qualifie par Rufin de religiosa filia mea141, est deux fois prsente comme soror in Christo tua148. Il est peut-tre audacieux de voir dans cette expression, encore qu'elle soit frquemment utilise en ce sens149, une allusion la vie continente mene par les deux poux

    qu'il s'initia l'uvre d'Origne, avant d'tre accueilli Jrusalem par Mlanie, qui l'envoya ensuite chez les moines orignistes d'gypte (A. GUILLAUMONT, Les Kephalaia Gnostica ... , p. 4 7-64).

    l4r. RuFIN, Praefatio in Omelias Sancti Basilii, p. 237, 1. r-4 : Sancti Basilii Caesareae Cappadociae episcopi aliqua tibi in latinum uerti olim poposceras, Apro-niane fili carissime : quod ex parte aliqua feci in praesenti dum in Vrbe essem, sed et nunc aliquantum addidi 1) ; Pracfatio in Sexti sententias, p. 259, 1. 8 : qui apud uos id est in urbe Roma ... 1). Dans !'Histoire Lausiaque, 41, p. 129, 1. 6-15 et 54, p. 146, 1. 20-22, p. 147, 1. l-13, Palladios associe, lui aussi, Rom et Apronianus (A. CHASTAGNOL, Les Fastes .. ., p. rn5-rn7 et 156-159).

    142. RUFIN, Praefatio in Omelias Sancti Basilii, p. 237, 1. 16-18 : Habet autem et in hoc maiorem gratiam, quod eius lectio etiam religiosis feminis et praecipue admirandi studii matronae tuae filiae nostrae inuenitur aptissima ... 1)

    143. M. SlMONETTI, op. cit., p. X. 144. L'expression se retrouve dans chaque ddicace : p. 237, 1. z; p. 251, 1. 5;

    p. 255, 1. l-2 ; p. 259, 1. 3. 145 Cf. supra, note l4I. 146. RUFIN, Prolo gus in Explanationem Origenis super Psalmos, 36, 37, 38, p. 25 l,

    1. 1-9 : Quoniam ... expositio tota moralis est, instituta quaedam uitae emendatio-nis ostendens, et nunc conuersionis ac paenitentiae, nunc purgationis et profectuum semitam docet, idcirco tibi eam, Aproniane fili carissime, in nouem oratiunculis, ... uelut in uno corpore digestam in Latinum transtuli, ut intra unum codicem conlec-tam haberes dictionem, quae ad emendationem uel profectionem morum tota respiceret. 1)

    147. M. SIMONETTI, op. cit., p. 251, 1. 14; p. 259, 1. 3 et mme p. 237, 1. lJ-18. 148. RuFIN, ibid., p. 251, 1. I4 et Praefatio in Sexti Sententias, p. 259, 1. 4; RAM-

    POLLA, op. cit., p. 202, s'est laiss garer, quand il a suppos que c'est l'initiative d'une sur par le sang que Rufin traduisit les Sentences de Sextus (sur cet ouvrage, H. CHADWICK, The Sentences of Sextus, Texts and Studies ,NS, V, Cambridge, 1959, et l'intressant article de P. M. BoGAERT, La Prface de Rufin aux Sentences de Sexte et une uvre inconnue - Interprtation, tradition du texte et manuscrit remem-br de Fleury, dans Rev. Ben., 82, 1972, p. 26-46, qui tous deux soulignent la parent de pense entre Sextus et vagre).

    149. Pour rester dans la famille, citons seulement l'exemple tir de la Vie de sainte MJlanie, 8, p. 140 : Ti v mcapia Me.UVTJ 6 O DTJ .ornov oe.cpo v Kupiqi ITtvtav6 ... )). BUTLER, op. cit., note 95, p. 228; MURPHY, Rufinus .. ., p. IIZ ;

  • MELANIANA 33

    aprs leur conversion, mais il est sr que la formule de Rufin serait aberrante, si Apronianus tait demeur paen. Un peu plus tard, en 401, c'est encore le nom d'Apronianus que Rufin inscrivit dans les premires pages de son Apologia contra Hieronymum150, parce que cet ami fidle lui avait transmis la lettre que] rme avait adresse Pammachius et qui fit rebondir en Occident la querelle orignistel51.

    F. X. Murphy, qui a retenu aussi la date de 400 pour le retour de Mlanie en Italie152, s'est donc trouv accul, pour conserver l'intgralit du texte de Palladios, nier le sens le plus obvie des Prfaces et crire qu'en 398-399 Apronianus tait paen153. Or il n'avait pas toujours pens ainsi, puisqu'en 1945 il faisait crdit de cette conversion Rufin, cher-chant expliquer l'erreur de Palladios154 ; dix ans plus tard il semble s'tre arrt une position plus nuance155, sans toutefois condamner nettement l'auteur de l'Histoire Lausiaque, qui aurait voulu accorder l'une de ces hrones favorites le mrite d'un revirement religieux qui ne lui appartenait pas entirement.

    Devons-nous alors rejeter la chronologie tablie partir de l'Epistula 29 de Paulin et faire rentrer Mlanie au plus tard en 398156, ou nouveau suspecter la qualit d'information et la bonne foi de Palladios ? Rcem-ment C. P. Hammond157 a tent de sauver toutes les sources dans un article qui mrite rflexion : l'historien a en effet modifi le classement traditionnel des quatre traductions de Rufin, aprs un examen attentif de la manire dont Auita est dsigne dans les Prfaces : absente de celle des Homlies de Grgoire, elle est dite matrona tua filia nostra dans celle des Homlies de Basile, religiosa filia 1nea, soror iam in Christo tua dans celle des Sentences de Sextus et enfin religiosa filia mea, soror in Christo

    C. P. HAMMOND, The Last Ten Years of Rufinus' Life and the Date of his Move South from Aquileia, dans ]ThS, 28, 1977, p. 387.

    150. RUFIN, Apologia, I, l, p. 37, 1. 1-3 : Relegi scripta, Aproniane fili carissime, quae ab amico et fratre bono de Oriente ad uirum nobilissimum Pammachium missa, transmisisti ad me ... C. P. HAMMOND, A Product of aFifth-Century Scripto-rium preserving Conventions used by Rufinus of Auqileia, dans ]Th S, 29, 1978, p. 371, fait d'Apronianus l'agent littraire de Rufin, quand ce dernier rsidait Aquile.

    15r. JRME, Ep. 84, t. 44, Paris, 1954, p. 125-139. F. CAVALLERA, Saint Jrme ... t. l, p. 248-249 et t. 2, p. loo, propose l'anne 399 pour la rdaction de cette lettre, suivi par P. NAUTIN, tudes ... , RE Aug., 18, p. 212.

    152. F. X. MURPHY,, Melania ... , p. 74, parvenait ce rsultat, moins l'aide de Paulin que de Palladios, effectuant une addition 373 + 27 = 400, dont nous avons tent de montrer qu'elle tait inadquate.

    153 Ibid., p. 75 : in 399, when the man must still have been a pagan . r54. F. X. MURPHY, Rufinus .. ., p. 91-92 et p. I 12. 155 Idem, Rufinus of Aquileia and Paulinus of Nola, p. 80 et note 16. 156. BUTLER, op. cit., p. 228, avait retenu cette date et hsitait (p. 277-278) la

    modifier, prcisment cause des relations noues entre Rufin et Apronianus ds cette poque.

    157 C. P. HAMMOND, The Last Ten Years .. ., p. 372-429.

    3

  • 34 NICOLE .VIOINE

    tua dans celle des Homlies d'Origne sur les Psaumes ; il en conclut que ces deux premires uvres datent de 398-399 et que > ;

    Comme l'a bien vu P. DEVOS (Silvie ... , I, p. r14-u5), E. D. HUNT, St Silvia of Aquitaine, The Raie of a Theodosian Pilgrim in the Society of East and West, dans ]Th S, 23, 1972, p. 356, a eu. raison et de rejeter la thse de Schwartz (art. cit., p. 167-168) selon laquelle Mlanie aurait au cours du mme voyage accompagn Silvie puis regagn Rome, et de montrer que l'anecdote cadrait mieux avec un cheminement poussireux par voie de terre (eueiv) . Nous savons que dix man-siones ou tapes journalires sparaient Pluse de Jrusalem (P. DEVOS, La date du voyage d' grie, dans AB, 85, 1967, p. 186).

    162. E. D. HUNT, St Silvia .. ., p. 355 : Following the correct procedu.re, Melania would escort her guest, on leaving J erusalem, on the next stage of her journey ... >l. L'auteur cite les exemples de Paula escorte par Paulin d'Antioche, d'grie qui fit

  • MELANIANA 35

    plerine Silvie163. L'auteur de !'Histoire Lausiaque n'hsite pas s'expri-mer la premire personne et, peu avare de dtails sur son compte, fait souvent appel son exprience ou ses rencontres personnelles, au point qu'un article rcent de D. F. Buck a tent de montrer que Palladios

  • NICOLE 1',;lOJNE

    en Italie169 n. On pourrait videmment objecter que ces deux voyages eurent lieu en 394170, mais ni l'histoire de la querelle origniste, tout juste amorce en Palestine cette poque, ni la date d'installation de Paulin Nole, en 395171, n'autorisent ce choix. Si nous ne craignions dsormais de faire appel au tmoignage de Palladios, nous ferions remar-quer que celui-ci prtendit avoir assist aux derniers jours de son matre vagre le Pontique, dont il a retrac la carrire dans l'un des plus longs et plus importants chapitres de l' Histoire Lausiaque : ordonn diacre par Grgoire de Nazianze, vagre se trouvait Constantinople aux lendemains du concile de juillet 38r, puis compromis dans une aventure amoureuse, se rendit Jrusalem, o il sjourna auprs de Mlanie plus de six mois et gagna enfin l'gypte, o il demeura au moins seize ans, avant de mourir peu aprs l'piphanie172. L'anne 399 convient parfaite-ment pour cet vnement, puisque nous devons encore tenir compte des quelques mois qui s'coulrent avant son arrive Jrusalem et du temps qu'il passa dans la Ville Sainte avant de tomber providentielle-ment malade. Comme il chappa aux rigueurs anti-orignistes de Tho-phile d'Alexandrie, tous les spcialistes en ont conclu qu'il avait cess de vivre en 400173. Il est piquant de constater que D. F. Buck qui, pour harmoniser les informations autobiographiques que Palladios aurait glisses dans son livre, refuse de le faire demeurer en gypte aprs 397174 aboutit cependant une conclusion quivalente : Pour lui, en effet, les chapitres 39 57, parmi lesquels figure la biographie de Mlanie, rapportent des incidents ou des entrevues qui se seraient drouls en 399-400175.

    En tout cas cette date de 399-400 s'accorde merveille avec les rsul-tats obtenus partir de la seule Epistula 29 de Paulin de Nole, mais elle impose en mme temps de situer autour de 340 la naissance de Mla-niel76. Nous avons dj not que Schvrnrtz et Murphy adoptrent cette

    r69. P. DEVOS, Silvie ... , I, p. lll-II3. 170. P. DEVOS qui accepte (p. 108, note 3 et p. rr4, note 2) la prcieuse donne

    chronologique de PAI,I,ADIOS, HL, 46 : vingt-sept ans Jrusalem, ne pouvait videmment ni formuler ni repousser cette objection.

    17r. P. FABRE, Saint Paulin ... , p. 38. 172. PA'I,I,ADIOS, HL, 38, p. 116-123. r73. Cette chronologie est accepte par le meilleur connaisseur de l'uvre d'vagre

    le Pontique, A. Guillaumont, qui la reproduit dans les nombreux ouvrages et articles qu'il a composs sur le clbre origniste.

    174 D. F. BUCK, art. cit., p. 299. 175 Ibid., p. 300 sqq. Pour sauver une thse - que la publication de R. Draguet

    rend dsormais insoutenable - l'auteur tait contraint d'expliquer la prsence de chapitres incongrus et de justifier la rupture que le texte grec introduisait dans le rcit de la carrire de Mlanie.

    r76. C. IARECKI, Siluaniae Itinerarium, dans Eos, 33, 1930-1931, p. 258, fidle la chronologie de Rampolla, qui n'accordait que cinquante ans Mlanie en 400, croyait avoir trouv une lgante solution pour rduire les contradictions del' Histoire Lausiaque : puisque soixante ans constituaient dans le monde chrtien la limite

  • MELANIANA 37

    solution, le premier avec la logique et l'assurance nes d'une inbran-lable confiance dans la vracit de l'Histoire Lausique, le second estimant aussi que cette chronologie rendait moins draisonnable le droulement des vnements qui aboutirent au dpart de l\Ilanie pour la Terre Sainte. Schwartz tablit donc un systme o Mlanie, ne en 340-341, devenait veuve en 362 - ctKOCJ'rv EU't'Epov iyoucra. iho portant exclusivement sur X11PE0cra.cm - et attendait plus de dix ans l'anne 373 pour l'au-teur - avant d'abandonner Rome et son fils, lequel aurait t alors g d'environ douze ans177 . Cette interprtation soulve quelques difficults qu'il convient de relever.

    Jrme et Paulin ont montr avec leur sensibilit propre que des morts successives et rapproches furent pour Mlanie l'occasion de renoncer aux joies prissables pour s'attacher au Dieu ternel. Peut-on imaginer que Jrme ait conu une si vive admiration pour une femme qui aurait mis tant d'annes entendre l'appel divin tout quitter, alors qu'il l'a dpeinte, aprs ce triple dcs, riant et remerciant le Seigneur de l'avoir dlivre du fardeau qui l'empchait de le servir178 . On comprend d'ailleurs mal dans cette conjecture le voyage prcipit en hiver, saison o la navigation faisait courir de grands risques, cette hte gagner Alexandrie, puisque Mlanie aurait eu plus de dix ans pour prparer son expdition.

    Ne serait-il pas un peu tonnant que le parent de Mlanie, qui a longue-ment dcrit les circonstances du dpart de Rome et avou la farouche opposition de ses proches179 , ait choisi pour mieux la louer, devant des lecteurs qui ne pouvaient tre dupes, l'exemple d'Anne qui remit Yahv son fils peine sevr ? Notons que Paulin qualifie le jeune Publicola de parwulus, injans, au moment du veuvage de sa mre180 et utilise des expressions quivalentes, lors de son embarquement pour Alexandrie :

  • NICOLE 1VIOINE

    tement pass sous silence les dix annes qui sparrent les deuils familiaux et l'abandon de Publicola, et qu'il n'ait point laiss entrevoir, au moins par un vocabulaire mieux adapt, que le petit garon avait grandi ?

    En outre il n'est pas certain que ce systme prsente de rels avantages. Schwartz et Murphy pensaient en effet que la chronologie qu'ils adoptaient avait le mrite de rendre plus humaine, plus vraisemblable la conduite de Mlanie : cc manchem wird es nicht unwillkommen sein zu lernen, da13 die fromme Dame den Entschlu13 Nonne zu werden erst fa13te, als ihr einziger Sohn nicht mehr ein hilfloser Saugling, sondern ein Bub von etwa r2 J ahren war183 , ou encore : There has always been a feeling of unea-siness on the part of historians who had to date Melania's birth in the 35o's, her widowhood in 372, and the abandonment of her infant son immediately thereafter184 )), Ce raisonnement me parat doublement erron, d'abord parce qu'il suppose acquis qu'en 372 Publicola tait un nourrisson ; ensuite parce qu'il ne tient pas assez compte de la mentalit des auteurs asctiques des rve-ve sicles.

    C'est justement parce qu'il tait scandaleux et dchirant que l'abandon de Publicola fut considr comme exemplaire et jug digne d'tre mention-n. Faut-il rappeler que dans un libellus destin consoler Eustochium de la mort de sa mre, Jrme loua aussi le dtachement absolu qu'avait manifest cette dernire : non domus, non liberorum, non familiae, non possessionum, non alicuius rei quae ad saeculum pertinet, memor185 et peignit avec dlectation la douleur de ses deux derniers enfants, encore fort jeunes186 , qu'elle laissait en Italie:" Paruus Toxotius supplices manus

    42, 1924, p. 182-183 et P. DE GHEI,I,INCK, Iuuentus, graititas, senectus, dans Stud. mediaeu. in han. R.]. Martin, Bruges (s. d.), p. 39-59, avaient dj tent de cerner le contenu de ces termes chronologiques.

    183. E. SCHWARTZ, Palladiana ... , p. 167, note IO. 184. F. X. MuRPHY, Melania ... , p. 65. 185. JRME, Epistula, 108, 6, d. Labourt, t. 5, Paris, 1955, p. 163, 1. 26-28. 186. L'ane des cinq enfants de Paula, Blesilla, avait vingt ans (JRME, Ep.

    39, I, p. 71, 1. 20-zr: quis enim siccis oculis recordetur uiginti annorum adulescen tulam ... >l) lorsqu'elle mourut la fin de 384, quelque temps aprs son pre, dcd peut-tre en 38r (P. NAUTIN, tudes .. ., dans RE Aug. 18, 1972, p. 2r8). Jrme laisse entendre que Paula, qui aima son mari (Ep. 108, 5, p. r62, 1. 29 - p. 163, 1. r : postquam uir mortuus est, ita eum planxit, ut prope ipsa moreretur ) ne se soumit longtemps au devoir conjugal que pour enfanter le fils que Iulius Toxo tius dsirait tant (Ep. ro8, 4, p. 162, 1. 25-28 : ut intellegeres eam non diu seruire uoluisse officia coniugali, sed mariti desiderio, qui mares optabat liberos, oboe-disse >l). L'imprcision des termes (paruus, diu), l'horreur pathologique qu'prouvait Jrme pour la vie sexuelle, mme quand elle tait tourne vers la procration (de semblables sentiments taient dj partags par TATIEN, Discours aux Grecs, 34, d. E. Schwartz, TU, 4, r, Leipzig, 1888, p. 35, 1. 28-29 et p. 36, 1. 14, qui estimait qu'Eutychis avait atteint le comble de l'incontinence en mettant au monde trente enfants ! R. M. GRANT, The Heresy of Tatian, dans ]Th S, 5, 1954, p. 62-68 ; G. F. HAWTHORNE, Tatian and his Discourse to the Greeks, dans H Th R, 57, 1964, p. 166) ne facilitent pas les calculs, mais on ne doit gure se tromper en supposant que, lors du dpart de sa mre, le jeune Toxotius avait entre cinq et treize ans.

  • MELANIA NA 39

    tendebat in litore, Rufina iam nubilis, ut suas expectaret nuptias, tacens fletibus obsecrabat187 ? >> L'amour divin triomphait enfin de l'amour maternel dans le cur de Paula ! La haine tenace de Jrme pour une adversaire qu'il avait nagure tant loue l'empchait dsormais d'voquer le souvenir de Mlanie, mais on ne peut qu'tre frapp par la similitude des dmarches de ces deux riches veuves, affrontes l'hostilit de leurs proches, mais gnreuses envers leurs enfants188.

    D'autre part il est sr qu'en 372 (ou 374), lorsque Mlanie quitta Rome pour l'Orient, Publicola n'tait dj plus un nouveau-n. Quelques faits nous permettent en effet, sinon de connatre son ge exact, du moins d'affirmer qu'il naquit au plus tard en 367-368. L'exil auquel Mlanie s'astreignit ne marqua pas une rupture totale avec ses proches189 et les sources nous en apportent plusieurs preuves : Palladios raconte que Publicola lui fournissait de l' argent190 ; l'enfant de Publicola et d' Albine

    187. JRME, Ep. 108, 6, p. 164, 1. 5 8. r88. JRME, Ep. 39, 5, p. 82, 1. 7-9; quin immo, qua illos mente contempserit in

    unico postea filio probat, cum omni q