les opinions religieuses de darwin

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Les opinions religieuses de Charles Darwin, par E.B. Aveling. Extrait de P. Tort (dir), Darwin et la religion, Paris, Ellipse, 2011, p. 487-499.

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que la mouvance théorique, voire politique à laquelle il l'assimile. Il détecte che :lui - et son relatif mutisme d'observateur froid et réservé pendant I'entretie"pourrait en témoigner - un homme de coterie venu [à en mission pour flatter .séduire. Aveling de son côté ne manquera pas de reléguer Francis dans une bel .inexistence au sein du débat, n'évoquant de sa part allcune autre parlicipatii-que le fait d'y avoir été attentif et d'avoir un instant palaphrasé ce que disait sr-père.

Les deux hornmes appartiennent à la mênie génération. Au moment de ,.rencontre, Francis a trente-trois ans et Aveling presque trente-deux. L'ltn .l'autre sont des scientifiques : le premier est spécialiste de physiologie végéta .le second d'anatomie comparée. Francis est I'héritier scientifique installé de sl-père, Edward arrive à Down avec le désir déjà ancien de s'assurer de sa bie:--

veillance, et si possible de son soutien. Francis est un représentant de la hau..

bourgeoisie anglaise, enfetmé dans sa classe comrne il l'est daus sa disciplir:.Edward est un rnilitant de la cause des travailleurs, ur-r libre-penseur athée et ''-touche-à-tout brouillon mais insatiable, connaissant - outre l'anatomie comp.-rée, qu'il enseigna très peu de temps au London's Hospital avant d'être dém ,

de sa chaire à cause de ses opinions religieuses - la botanique, la chimie c.,rnétaux, I'histoire contemporaine, la philosophie, la politique et les langues, E'1881 précisément, il a édité à Londres, dans le cadre des publications de la Fi.,Thought Publishing Company, un ouvrage populaire d'introduction à la théc:.darrvinienne, The Student's Darwin, son premier travail de synthèse, reprenl-plusieurs arlicles publiés par lui au cours des deux années précédentes dans .l{ational ReTormer, sur un sujet qLr'il n'était pas près d'abandonner. L'ambitj, -d'Aveling était de concilier les perspectives de Marx et de Darwin sur un terr:. -

comlrun qui était celui de la lutte contre I'aliénation religieuse et la défense :-progrès de Ia connaissance scientifique. Abstraction faite des modalités de ce:.conciliation et de la différence profonde des contextes relationnels respectifs ;.,deux clans qu'il souhaitait, au moins ponctuellement, associer, cette arnbitr, -

n'a rien en soi d'illégitime. Mais les deux propositions qu'avait adressées, d:-,une lettre d'octobre 1880, Aveling à Darwin - celle d'accepter que lui fût dec .son livre, et celle d'apporler son parrainage à l'ensemble d'une collection enr=-gée dans le combat de la Libre-Pensée, laquelle bénéficiait déjà de I'appLri :.Btichner et de Haeckel- avaient été poliment rnais globalement repoussées:.-le vieux naturaliste, qui n'entendait en aucune manière, fidèle à une très.--cienne résolr.rtion qui protégeait à la fois son image publiqLre et l'équilibre de ..,relations domestiques, que l'on insistât pour lui faire franchir publiquement --tel pas. La présence à table d'un pasteur anglican arni de la famille - appare -"'rnent John Brodie Innes*, invité à la demande d'E,mma - pouvait passer p,, -'une ironie discrète, pour une concession à la piété d'une épouse qu'inquie:.une telle intrusion dans son foyer, ou pollr une manière de réduire autant c-.possible le temps de conversation que les visiteurs auraient inévitablemer .cæur de Çonsacrer à l'objet profond de leur visite: en savoir plus sur les re :-tables sentirnents de Darwin en matière de religion et de croyance, et s'il e:.'

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c'est, selon les rares commentateurs de cet épisode, John Brodie Innes qui fut, non sar.: - _convié au repas qui réunit autour de Ia table de Down House Darlvin, son épàuse, son fils F:.- -Ies deux athées Ludwig Büchner er Edward Aveling. Innes n,était ptrs depuis Iongtemps ;- -,_de Ia paroisse de Downe, quittée en 1g62 pour I'Écosse, mais il y avait coÀservé des respo:.:-.iusqu'en 1869. Ii correspondait avec Darwin et ce dernier eprouuait to.jours un plaisir teinte :à entendre son complice en charité souligner l'ancienneté de leur bonnè entente :

« Lors de ma dernière visite à Downe », raconte John Brodie Innes dans Ies souven. _, -.rassembla après Ia moft de son ami, « M. Darwin déclara, à table, ,,Brodie Innes et nroi ai - rliés pendant trente ans par une solide arnitié. et nous n'avons été complètement d,accor. :,.sujet qu'une seule fois : nous nous sornmes alors regardés ébahis, pensânt que l,un de nou. _,être très malade". »

En conviant un ami pasteur à être présent lors de la visite des cleux théoriciens, DarBir ,sait ainsi un souhait d'Emma - toujours soucieuse d,empêcher son époux de côtoyer de tr-: :les forces infernales - et s'assurait en même temps cie n''êt.. pu, trop aisément « récupére : -militantisme encombrant de ses visiteurs.

Là où ie souvenir de J.B. Innes manque d'exactitude ou d'objectivité, c,est lorsqu,il laiss. :,ser qu'il eût pu faire souscrire Darwin aux vues d'E.8. Pusey, ad"versairsdéclaré du transtb:.:- -comme de son principal champion, et auteur en 1878 d'une-attaque contre ce dernier publiec _-The Guardian, à propos de laquelle I'intéressé écrivit, Ie 28 novembre de cette même annee -lettre à un.ieune botaniste qui l'avait sollicité, Henry Nicholas Ridley, rappelant ses propres.L--tions initiales, soulignant sa résolution de ne .jamàis s'occuper d.-qr.itions aussi insolubr:, _

I'éternité de la matière, et prédisant que les attaques rJe Pusey n'auraient pas plus d,effet sur I..,.,de la scienc.e que celles des prélats du début du siècle contre la géologie o, ..il.r, plus ancienr",I'Eglise catholique contre Galilée. Darwin retrouvait dans cette dernlère réference ie souvenir .: l

accents d'une conférence de Huxley àla Royat Instittttion qu'il avait dû estimer lui-mênre. .-qu'elle eut lieu, en I 860, un peu trop véhémente. Le fait de déclarer « insoluble » Ia question du ; . -mencement absolu de toute chose n'entre pas en contradiction avec I'optimisme scientifique de Dar. .

qui déclale l'aptitude infinie de la science à résoudre cle nouveaux problè,re, (La Filiation de l,Hon:-Introduction). Il s'agit seulement pour lui, ficlèle en cela à I'esprit du positiviime, de demeurer de,:science, et de prendre comme des/airs premiers.fondan'tentatü et irrévocables l'existence de Ia ma:...et du mouvement. c'est-à-dire de poser J'Ëtre, simprement, comme existant.

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LUDV(/rG BücnNu,tr1824-1899

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494 Darwin et la

L'Homme eT ta p/ace dam la nalure, tl a éclaié les grands principes énoncés p?.:wjn et étendu leur appLicarion. Enrte l'auteur de L'ongne dei.etpàcu et moi-r-:-plusieuts lettres ont été échangées. Je lui fus reconnaissant alors, comme je i'.- ,,reconnaissant aujourd'hui dans ma üistesse, pour l'empressement généreur: - -mit à m'apporter toute aide et information lorsque je teÀtais de prép"arer un :. _

de ses ouvrages. Une liste de ses livres, avec ieurs dates de pubiicariàn écrites :.main, ainsi que ses letttes d'explication et d'encouragement, me sont aujoutd,i:_. -très précieus es reliques.

La Fédératron Internationale des Libres-penseurs trnt son congrès à Lo:_:,les dimancl-re, lundi er mardi 25,26 et 27 septembre 1g81. Le D,Büihnet, son .:,sident, étart très soucieux de voir Danvin, èt n'a..oit de libre qr-re le mercredr :=même semaine. Le mardi, je communiquai donc par télégraphe à M. Dam.souhait du penseur allemand, et je reç,s en retour un télégiamme nous con\-1ii.déjeuner avec lui le jour suivant. c'est ainsi qu'un jour q"" t,eta semblait avojr -.sé derrière 1ui comme s'il 1'avait oublié dans son vol vers le nord, flous nous ::trouvâmes parcourant en voirure, depuis la gare biancl-ie et endormie d,orprnu: -

à ttavers les chemins du I(ent, ies quatre longs milles qui conduisai..rt à- D". ,

comme nous passions par la maison de JzrJohn Lubboik, spécraliste des insec:.et des fleurs, comme le grand penseur qur était à côté de moi pariait clans son s..élégant de variation, d'hérédrte et d'Évoluuon, comme me revenait à I,espr.it ...:quelle maison d'Angleterre nous étions en marche, l'univers de ciroses vivantes c-égayatt le regain de I'été dans le solei-1 de septembre eut pour moi un sens plus p:fond que jamais.

Nous recrimes de sa part, à l'entrée de sa rnaison, le plus aimable, le plus corcr,des accueils. Tout l'embarras susceptlble d'être éprorrr,é par le plus jeune prése..en se trouvant ainsi face à face avec lui, et en étânt témoirde la premrère ."r.o.-.entre deux hommes d'aussi grande autouté qu'étarent .es d"r*-là, s,évanouit en .::.instant sous le charme des veux les plus fraÀcs et les plus bienveillants qui se iu,sent jamais tournés vers moi. I1 était grand, et puissamment bâti ; avec pourrânr ::,:oupçon de fragilrté parcourant cette charpente massive. Dans son maintien, dan,Ia sérénité et la force de.son visage, dans sa tête vénérée blanchie par l,âge, er dan,le calme soutenu et maîtrj.sé de sa voix, i1 y avart une majesté trâr-rq,riJt", très in:_pressionnante. on sentait que l'on était en présence d,un roi parmi les hommes.dont les manières étâient empreintes d'une noblesse si courtàise, si modeste, srfianche, si charmante avec sa srmplicité non étudrée, qu'elles faisaient oublier aurgens combien il les surclassait en inteiligence. un homme intensément humain.dont la proximrté rendart_ votre vre prus intense. L'une de ces rares narlrres qur.entrant dans la cl-rambre d'un convalescent, est comme un souff-Ie d,air revigoranrvenu de la mer ou de la montagne, et le fait avance.r d'un pas plus rapide i.rs loguérison.

Dans le salon, où nous frfmes présentés à sa femme, à sa fille et à FrancisDarwin, collaborateur de son père, et rors du déjeunet dans la pièce claire et aé-rée qui ouvre sur l'arrière-plan classique de ce .jardin d, I(eni dans lequel tantd'expédences mémorables ont été conduites, notre conversation poïta sur ce qlrel'on nomme érengemenr science physique ou narureLre. ces adjecufs paraissenr

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et 1à, au milieu de Ia fumée des cigarettes, sous le regard de ses Livres, rout pr:: :ses plantations expérimentales, nous en vînmes à parler, suï sa propre sugge : _ -

de religion.

Je crois parler pour le D. Büchner aussi bien que pour moi-même en chsan: : _

f intentron des visiteurs de Down n'était nuilement d;aborder Ia question de j.. _-.-gion. Nous savions que nous ne pouvions remettre le cl-roix d.. sul.ts de conçt--tion en de meilleures mains que celles de notre hôte, et la sélection de la rel--. -

comme matiète pour la discussion fut de son fait, et non du nôtre. une for. - ,nous fûmes entre les murs de son cabinet, et qu'rl se fut instalié de la rrlâ1rÉr:moins conventionnelle sut la r.aste bergère bien usée, ses premiers morspresqlre furent: « Pour quelie raison vous nommez-vous Athées ? » Là, ]e :rappeier un fait qui paraîta étrange à ceux qui ont tendance à oublier deux cl.r,:,.L'une d'elles est l'immense étendue de l'erreur populaire sur le sens du nom _

nous est si cl-rer. L'autre est que, pour ce que j'en sais, Charles Danvrn n,a témo:.:,que peu d'attenrion au grand conflit qui oppose le monde de la religion et celu- _.la science. En témorgne plus d'une remârque faite lors de ce mémoiable entrei.:On voit à quel point le mot Atl-rée est mal compris dans le fait qu'r1 soutenair :,.l'Athée était un homme qui nie dreu. Et Ie fait de sourenir cette tpinron esr a - -tour un témoignage en faveur de la seconde des deux déclaranons qui vienr:. .

d'être faites.

I1 fut respecrueusement expliqué que nous étrons Atl-rées parce qu,il n,y a.,-.aucune preuve d'une divinité, parce que f invention d'un nom n,était po, ,.,.

"r._cation de phénomène, pârce que tout ce que l'homme connaissair étart d,orc:.naturel, et que ce n'était_que lorsque i'ignorance le rattrapait sur son chemin q-_invoquait ie surnaturel. on précisa que le grec a était priiauf, et non po..égo..que n'ayant pas commis la sottise de nier dieu, nous évitons avec un soin élaifo[e de l'affirmer: qu'étant donné que d.ieu n'était pas prouvé, nous étions sa:-.,üeu QiaeQ et qu'en conséquence nous espério.r, .rr..--onde, et en ce monc:seul. comme nous parlions, rl étart évident, à vorr changer la lueur de ses yeux, c..-renconüaient toujours si franchement les nôtres, Qu'une nouvelle tdée était en tra::.

{e surg1r dans son esprit. Il avait imaginé jusqu'arors que nous étions des négateu:,de dieu, et il trouvait que l'ordre de pensée qui était le nôtre ne drfférait d, iien ..,rien d'essentrel. E,n effet il se ttouvait d'accord avec chaque point successif i:notre ârgumentauon , r] .apgrouvg

l'une après l'autre toutes 1es déclarations qu_avaient été faites, et d1t à la fin: «Je suis avec vous en pensée, mais je préférerais ,emot Agnosttque au mot Athée ».

. T à-dessus, on suggéra qu'après tout « Àgnostrque » n,était tien d,autre que

« Athée » formulé sur urr mode respectabre, et que « Àthée » n,était rien de p1.,. qr.« Agnostique » formulé slu un

'rode agressii oire que i'on ne sait pn. eior,l'équivalent verbal de dir.e que l'on étart dépounu de l,idÉe de dieu,

"n mêÂ. t"mp,

que l'on donnait un os à ronger au cerbère de la société pat l,adoption d,rrn nommoins déterminé et non compromettant. À ces mots il soutit et demanda : « pour_quoi devriez-vous être aussi agtessifs p Gagne-t-on quelque chose à tenterd'enfoncet de force ces idées nouvelles dans la Ln... de I humanité ? Tout ceia esttrès bien pour les gens éduqués, cultir.és, ceux qui réfléchissent ; mais les masses

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