re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun,...

9
10 ième Séminaire CONFERE, 3-4 Juillet 2003, Belfort – France, pp. 351-359 Re-conception d’un mannequin numérique pour l’analyse et la conception de l’activité gestuelle, posturale et visuelle Sébastien Chevriau, Cédric Grun, Cristina Chitescu, Samuel Gomes Equipe d’ERgonomie et COnception des Systèmes (ERCOS) Laboratoire Systèmes et Transport (SeT) Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM) Rue du Château 90010, Belfort Cedex, France {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr RESUME Dans un contexte d’ingénierie concourante où concevoir le bon produit le plus rapidement possible devient un facteur crucial d’innovation et de performance, cet article se propose de présenter la démarche effectuée pour la re-conception d’un outil de type mannequin numérique en vue de rendre l’outil plus adapté aux besoins des utilisateurs. Suite à l’utilisation de la version existante pour différentes applications, des recommandations ont pu être définies. Cela nous a servi à la proposition et la conception d’une seconde version. L’intérêt porté envers ce type d’outils que sont les mannequins numériques nous pousse à réfléchir à leur avenir et notamment à comment les améliorer. MOTS CLES Conception de produits, mannequin numérique, analyse ergonomique, simulation de l’activité, vidéo. 1 INTRODUCTION GENERALE Dans le contexte économique actuel fortement concurrentiel, plusieurs critères vont permettre à une entreprise de s’imposer face à ses concurrents. Parmi ces critères, nous pouvons citer la capacité d’innovation, mais également la réduction des délais de conception et d’industrialisation ou encore la capacité de concevoir des produits adaptés aux futurs utilisateurs (Duchamp, 1999). Une des stratégies employées que nous nous proposons de développer et de déployer au sein du milieu industriel est l’intégration de l’ergonomie tout au long du processus de conception (Sagot, 1999). Ainsi, l’entreprise pratiquant cette démarche pourra, par exemple, afficher comme points forts: la conception d’un produit réellement adapté aux contraintes physiques et biomécaniques des futurs utilisateurs, la réduction du nombre de boucles de rétro-conception en concevant au plus tôt le bon produit ou encore le développement de moyens de production optimisés et adaptés aux contraintes physiques et biomécaniques des futurs opérateurs. Pour ce faire, une coopération entre ergonomes et concepteurs doit être présente et efficace dès le début du cycle de conception du produit (Sagot et al., 2003). Cette contrainte pose souvent des problèmes dans la mesure où ces deux métiers ont des méthodes différentes, des langages différents, des outils différents, etc. Il existe donc un besoin d’outils de communication pour ces deux métiers qui devra permettre à l’ergonome de travailler avec des méthodes pertinentes et au concepteur d’intégrer aisément les remarques ou recommandations issues des études ergonomiques précédemment menées. C’est sur cette problématique que nous avons centrée le développement du mannequin numérique MANERCOS - Module d’ANalyse pour l’ERgonomie et la COnception de Systèmes (Gomes, 1999a). Nous présentons dans un premier temps la version existante de l’outil et ensuite nous nous concentrons sur l’évaluation de cette première version lors d’applications concrètes dans des projets industriels. L’analyse et l’interprétation des résultats de la précédente évaluation nous permettent ensuite de présenter les différents aspects à améliorer ou à ajouter dans cet outil. Enfin nous concluons

Upload: lykhue

Post on 15-Sep-2018

218 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

10ième Séminaire CONFERE, 3-4 Juillet 2003, Belfort – France, pp. 351-359

Re-conception d’un mannequin numériquepour l’analyse et la conception de l’activité

gestuelle, posturale et visuelle

Sébastien Chevriau, Cédric Grun, Cristina Chitescu, Samuel GomesEquipe d’ERgonomie et COnception des Systèmes (ERCOS)

Laboratoire Systèmes et Transport (SeT)Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM)

Rue du Château90010, Belfort Cedex, France

{sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

RESUMEDans un contexte d’ingénierie concourante où concevoir le bon produit le plus rapidement possible devient unfacteur crucial d’innovation et de performance, cet article se propose de présenter la démarche effectuée pour lare-conception d’un outil de type mannequin numérique en vue de rendre l’outil plus adapté aux besoins desutilisateurs. Suite à l’utilisation de la version existante pour différentes applications, des recommandations ont puêtre définies. Cela nous a servi à la proposition et la conception d’une seconde version. L’intérêt porté envers cetype d’outils que sont les mannequins numériques nous pousse à réfléchir à leur avenir et notamment à commentles améliorer.

MOTS CLESConception de produits, mannequin numérique, analyse ergonomique, simulation de l’activité, vidéo.

1 INTRODUCTION GENERALEDans le contexte économique actuel fortement concurrentiel, plusieurs critères vont permettre à

une entreprise de s’imposer face à ses concurrents. Parmi ces critères, nous pouvons citer la capacitéd’innovation, mais également la réduction des délais de conception et d’industrialisation ou encore lacapacité de concevoir des produits adaptés aux futurs utilisateurs (Duchamp, 1999).

Une des stratégies employées que nous nous proposons de développer et de déployer au sein dumilieu industriel est l’intégration de l’ergonomie tout au long du processus de conception (Sagot,1999). Ainsi, l’entreprise pratiquant cette démarche pourra, par exemple, afficher comme points forts!:la conception d’un produit réellement adapté aux contraintes physiques et biomécaniques des futursutilisateurs, la réduction du nombre de boucles de rétro-conception en concevant au plus tôt le bonproduit ou encore le développement de moyens de production optimisés et adaptés aux contraintesphysiques et biomécaniques des futurs opérateurs.

Pour ce faire, une coopération entre ergonomes et concepteurs doit être présente et efficace dès ledébut du cycle de conception du produit (Sagot et al., 2003). Cette contrainte pose souvent desproblèmes dans la mesure où ces deux métiers ont des méthodes différentes, des langages différents,des outils différents, etc. Il existe donc un besoin d’outils de communication pour ces deux métiers quidevra permettre à l’ergonome de travailler avec des méthodes pertinentes et au concepteur d’intégreraisément les remarques ou recommandations issues des études ergonomiques précédemment menées.

C’est sur cette problématique que nous avons centrée le développement du mannequin numériqueMANERCOS - Module d’ANalyse pour l’ERgonomie et la COnception de Systèmes (Gomes, 1999a).Nous présentons dans un premier temps la version existante de l’outil et ensuite nous nousconcentrons sur l’évaluation de cette première version lors d’applications concrètes dans des projetsindustriels. L’analyse et l’interprétation des résultats de la précédente évaluation nous permettentensuite de présenter les différents aspects à améliorer ou à ajouter dans cet outil. Enfin nous concluons

Page 2: Re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

352

par notre ressenti de cette expérience de re-conception d’un mannequin numérique ainsi que lesperspectives de développement d’un tel outil.

2 PRESENTATION DE LA VERSION INITIALE DE L’OUTIL MANERCOSDifférents mannequins numériques existent dans le commerce (Das et Sengupta, 1995), mais

aucun ne prend en considération la dimension spécifique de l'ergonomie francophone : l'analyse del'activité réelle (Sagot, 1999) ainsi que les méthodes et outils spécifiques associés (KERGELEN,1995).

Suite aux travaux de thèse de Samuel Gomes (Gomes, 1999a), une première version deMANERCOS a été développée en 1998 au sein de l’équipe SeT-ERCOS. Le maître mot guidant lesdéveloppements de la première version était de fournir à l’ergonome un outil de travail adapté à sondomaine qui est ici l’ergonomie physique. Pour ce faire, trois modules regroupant des fonctionnalitésdistinctes ont été identifiés!:

• Le module d’anthropométrie qui permet la gestion et la génération de mannequins numériquescorrespondant à une population donnée et dans une posture donnée!;

• Le module d’analyse de l’activité qui fournit à un outil permettant, de façon similaire auxoutils existants tels que KRONOS (Kergelen, 1995), de dépouiller un film vidéo réel pour entirer une séquence d’actions composée de comportements élémentaires. Ces comportementssont associés à des mouvements du mannequin numérique permettant ainsi la génération d’uneanimation. De plus, ce module permet la conception de l’activité future souhaitable (Gomes,2000)!;

• Le module d’évaluation ergonomique qui permet l’analyse de l’activité gestuelle et posturale àtravers des méthodes d’évaluation qui sont la charge maximale admissible (Waters et al.,1993) et la dépense énergétique encourue. De plus le mannequin numérique dispose deplusieurs volumes en 3D qui sont le champ visuel, le volume de confort et le volume d’atteinteet qui permettent de juger la disposition des différents éléments de l’environnement.

Tout ceci représentant les fonctionnalités liées au domaine de l’ergonomie, d’autres contraintesplus techniques étaient à prendre en compte. En effet, nous pouvons citer!:

• La gestion d’une scène en trois dimensions comprenant des modèles 3D, des lumières et descaméras!;

• La visualisation d’une vidéo!;• L’import de fichiers venant de logiciels de CAO!;• La gestion de la notion d’animation!;• La génération d’un film représentatif ou d’une scène interactive.Après réflexion, il est apparu que ces contraintes représenteraient des développements lourds et

coûteux en temps s’il fallait s’en astreindre. Or ces problèmes techniques sont déjà résolus par laplupart des logiciels de modélisation et d’animation 3D. C’est pourquoi, pour ne se focaliser que sur ledéveloppement de fonctions ergonomiques, l’application MANERCOS a été conçue comme uneextension de ce type de logiciel. Notre choix s’est alors porté sur l’application 3ds max (Discreet,2001) qui offre non seulement la possibilité de gérer toutes ces contraintes techniques, mais et surtoutcelle de pouvoir développer des modules supplémentaires que l’on pourra lui connecter (plugin). C’estainsi que MANERCOS a été développé en utilisant le langage de programmation orienté objet C++qui est préconisé par Discreet (Gomes et al., 1999b).

3 EVALUATION DE LA PREMIERE VERSION DE L’OUTIL MANERCOSLa consécration pour les concepteurs d’un produit vient lorsque celui-ci fait ses preuves dans son

domaine d’application. Il en va de même pour un logiciel. C’est cette mise en situation de l’outilMANERCOS que nous allons présenter dans cette partie. En effet, l’outil MANERCOS a été utilisédès son apparition lors d’études de conception ou de re-conception de produits ou de moyens deproduction. Ainsi nous présentons certaines applications avec pour chacune l’énumération des pointsforts de la première version de MANERCOS, mais également ses points faibles.

Page 3: Re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

353

3.1 Re-conception d’un poste de manutentionIl s’agit d’une étude ayant pour but d’analyser et re-concevoir un poste de manutention de pièces

lourdes faisant l’objet de plaintes de la part des opérateurs (Barthelat, 2001). L’activité de travail surce poste a donc été filmée puis reproduite en 3D grâce à l’outil MANERCOS (figure 1). Ensuite desévaluations ergonomiques selon les méthodes NIOSH et du calcul de métabolisme énergétique (ISO8996 - NF EN 28996) ont été effectuées et présentées au groupe projet sous forme de rapportssuccincts générés par l’outil MANERCOS. Ainsi le comportement critique qui était la prise de piècesa pu être décelé et des pré-concepts ont été proposés et ensuite évalués à l’aide de l’outil MANERCOS(figure 1). Le principal défaut ressortant de cette étude a été l’aspect esthétique du mannequin. Eneffet, le groupe projet a été quelque peu surpris par l’apparence nue du mannequin. D’où la nécessitéde travailler sur l’apparence du mannequin en vue de s’approcher au plus près de la réalité del’activité.

Figure 1!: De gauche à droite!: film réel, reproduction de l’activité réelle, pré-concept 1, pré-concept 2 (retenu)

3.2 Conception d’un module de confort automobileL’objectif de cette étude était de concevoir un module de confort pour l’automobile en

s’appuyant sur l’analyse d’une activité réelle d’utilisation d’un produit similaire (Barthelat, 2001).Pour ce faire, l’activité a été filmée puis elle a été reproduite sur un mannequin numérique de l’outilMANERCOS dans un environnement 3D virtuel de conduite (figure 2). L’outil MANERCOS aensuite pu être utilisé pour l’analyse de l’activité (dépouillement), l’évaluation du champ visuel, duvolume d’atteinte et pour la génération de vidéos sous différents angles, ainsi que d’une scèneinteractive en VRML. De ce fait, différents acteurs (concepteur, ergonome, etc.) ont pu collaborerautour de ces données. L’outil MANERCOS a trouvé ses limites lorsqu’il a fallu juger les statistiquesdécoulant de l’activité comme la répétitivité ou la distribution des actions dans le temps de l’activité.En effet, le passage sur un outil de type génération de graphiques a été nécessaire. Le résultat de cetteétude est la production de recommandations quant à la conception d’un tel produit ainsi qu’un pré-concept sous forme d’une maquette numérique également testée avec l’outil MANERCOS. Parconséquent, la comparaison des activités gestuelle et posturale existante et future souhaitable a pu sefaire grâce aux vidéos et scènes interactives.

Figure 2!: Simulation de l’activité réelle de conduite avec manipulation d’un module de confort

3.3 Conception d’un tricycle tracté par une voileC’est un projet qui consiste en la conception d’un véhicule pour deux personnes composé d’une

partie cycle comme sur un tandem et d’une partie voile comme sur un char à voile (Bautistat et al.,

Page 4: Re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

354

2002). Le but de ce véhicule étant la traversée de l’Australie, d’où des problèmes de fatigue et depénibilité, le critère de confort a eu un rôle très important dans la conception de ce véhicule. L’outilMANERCOS a donc été utilisé pour permettre au groupe projet de concevoir un véhicule adapté à sesdeux pilotes. L’outil MANERCOS a rencontré beaucoup de difficultés dans la génération demannequins numériques reproduisant fidèlement l’anthropométrie des deux pilotes du fait de leur non-normalité. Une fois cette étape réussite, l’outil MANERCOS nous a permis de définir desrecommandations quant à la forme des sièges, au placement des différents organes de commande(pédalier, direction, etc.) ainsi qu’à la conception du cadre (figure 3). Pour ce faire, les dimensions desmannequins, le champ visuel et le volume de confort ont été utilisés. C’est avec ce projet que lemodule d’anthropométrie de l’outil MANERCOS a vraiment montré ses limites et donc la nécessitéd’une amélioration.

Figure 3!: Simulation des futurs pilotes pour le positionnement des organes de commande

3.4 Etude de l’accessibilité d’un poste de conduite automobileCette étude a été menée dans le but d’analyser l’accessibilité d’un poste de conduite automobile

en terme de confort postural (Barthelat, 2001). Pour ce faire, des utilisateurs réels ont été filméspendant l’accès au véhicule et leurs gestes ont été re-transcrits à l’aide de l’outil MANERCOS. Il estapparu nécessaire de pouvoir récupérer les angles correspondant à une posture d’un mannequin pourpouvoir ensuite les comparer aux postures dites de confort. En effet, cette fonctionnalité n’étant pasintégrée dans l’outil MANERCOS, les utilisateurs ont du développer un script générant un fichierd’angles de posture. Partant de ce besoin nous avons décidé d’intégrer la notion de postures dans lelogiciel MANERCOS.

3.5 Evaluation d’une chaîne de montage virtuelleCette étude avait pour but la simulation et l’évaluation d’une chaîne de montage future qui

n’existait que sur un format papier (plan de l’atelier) (Bruguet et al., 2002). L’outil MANERCOS a étéutilisé ici pour simuler et visualiser les déplacements entre les différents postes de la chaîne demontage et pouvoir ainsi évaluer les temps prédits par le bureau des méthodes et les mouvementsfuturs effectués par les opérateurs. L’évaluation des temps s’est faite à travers une vidéo générée par3ds max. Ainsi l’équipe projet a pu constater des accélérations du mannequin sur différentes portionsdues à des temps trop courts. L’évaluation ergonomique des mouvements a été faite par les méthodesNIOSH (Waters et al., 1993) via l’outil MANERCOS et RULA (McAtamney et al., 1993) nonintégrée dans l’outil MANERCOS. Pour RULA, MANERCOS a permis la génération d’images surlesquelles les ergonomes se sont basés pour faire l’analyse. Vu l’utilité d’une telle méthode pourl’évaluation de l’activité gestuelle et posturale de travail et en tenant compte de la difficulté del’évaluation RULA manuelle réalisée pendant cette application, nous avons décidé d’intégrer RULAdans MANERCOS.

4 DEVELOPPEMENT DE LA SECONDE VERSION DE L’OUTIL MANERCOSLes applications présentées antérieurement ont montré la nécessité d’une amélioration de l’outil

et de plus ont mis en évidence ces voies d’amélioration.

Le premier aspect concerne l’anthropométrie, c’est-à-dire la capacité du mannequin numérique àreproduire fidèlement un utilisateur humain (figure 4). En effet, si le mannequin se comporte bien avecdes populations dites standard, des incohérences apparaissent lorsque l’utilisateur souhaite générer unmannequin aux dimensions particulières. En cours de résolution, ce problème est assez difficile en

Page 5: Re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

355

raison de la complexité de certains paramètres comme par exemple la détermination des distancesinter-articulaires.

Figure 4!: Correspondance entre humain et mannequin numérique

Si ce problème est d’ordre théorique, il en existe un qui est d’ordre plus technique puisqu’ilconcerne le langage de programmation avec lequel a été développé MANERCOS. En effet, différentespersonnes sont intervenues dans le développement de l’outil MANERCOS, ayant toutes des façons dedévelopper relativement différentes qui se sont incrustées dans le code de l’outil MANERCOS. Eneffet aucune règle de codage n’avait été clairement définie laissant chaque développeur s’adonner à saméthode de programmation préférée. Un gros travail a donc été entrepris ayant pour but de normaliserle code de l’outil MANERCOS rendant ainsi plus facile l’intégration de nouvelles personnes dans ledéveloppement de l’outil.

L’architecture squelettique du mannequin était auparavant limitée à trois segments pourl’ensemble tronc/tête et un seul segment pour la main. Cette limitation a souvent été la caused’animations difficiles et non réalistes. C’est pourquoi une augmentation du nombre de segments a étéréalisée. Ainsi sept segments composent actuellement l’ensemble tronc/tête du mannequin améliorantainsi l’apparence des courbures au niveau des lombaires et des cervicales (figure 5). De plus la mainest maintenant entièrement articulée grâce à 16 segments offrant un meilleur réalisme des scènes depréhension (figure 5).

Figure 5!: De gauche à droite!: détail de la main, squelette entier, détail de l’ensemble tronc/tête

Une réflexion a été menée sur les limites articulaires du mannequin. En effet, dans la premièreversion, les limites articulaires étaient liées au modèle 3D et leur modification était laborieuse.Désormais le module anthropométrie permet de gérer des fichiers de limites articulaires que l’on peutappliquer à un mannequin permettant ainsi de faire des simulations avec des mannequins souples etd’autres moins souples.

Puisqu’une modification du nombre de segments corporels a été réalisée, une réflexion a étémenée parallèlement concernant l’apparence visuelle du mannequin. Dans la première version deMANERCOS, le mannequin était de type segmenté, c’est à dire que chaque membre du squelette

Page 6: Re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

356

possède l’apparence de la partie du corps qu’il contrôle. Cette méthode rend difficile la création denouvelles apparences car chaque membre doit être modélisé individuellement. On imagine bien ladifficulté pour des parties comme les lombaires ou les cervicales.

La méthode adoptée pour la version 2 de MANERCOS est la méthode squelette couplé à unepeau. Cette méthode consiste à lier un squelette représentant l’architecture du mannequin et une peaureprésentant son apparence. Ainsi la modélisation de nouvelles apparences est facilitée et désormaisintégrée dans l’outil MANERCOS. En effet le besoin d’avoir des apparences de mannequins habilléss’est fait sentir lorsque les vidéos des études devaient être projetées à des personnes. Une apparenceréaliste permet donc au concepteur de mieux intégrer le mannequin et donc de se focaliser sur sagestuelle plutôt que sur son apparence.

La manipulation du mannequin était relativement fastidieuse. En effet, deux modes étaientofferts:

• La manipulation de chaque membre individuellement permettant une manipulation précise auniveau angulaire!;

• La manipulation dite par cinématique inverse consistant en la manipulation des extrémitéscomme les mains ou les pieds par exemple et faisant suivre les membres supérieurshiérarchiquement. Par exemple, lorsque l’on avance la main, le tronc se courbe.

Ces deux méthodes ont été conservées, mais la méthode par cinématique inverse a été améliorée enintégrant la notion de contrainte ou cible aux mains, aux pieds et à la tête. Ainsi lorsqu’une cible estdonnée à la main celle-ci tente de l’atteindre en respectant les limites articulaires du corps. Ainsi cettegestion permet de comparer plusieurs populations et de déterminer par exemple lesquelles atteignentune certaine commande d’un tableau de bord. La contrainte liée à la tête permet de définir dans quelledirection est orientée la tête.

Le gros problème de la première version de l’outil MANERCOS résidait dans l’impossibilité decomparer une même simulation entre différentes populations. En effet, lorsqu’une simulation avait étéfaite pour une population donnée, l’utilisateur devait la refaire entièrement s’il voulait tester une autrepopulation. Ce problème a été résolu en repensant la notion d’activité pour qu’elle soit interchangeabled’un mannequin à l’autre. Cette réflexion a amené le découpage d’une activité en trois niveaux!:

• Le niveau posture représentant une posture statique du corps ou de certaines parties du corps!;• Le niveau comportement élémentaire pouvant être une posture ou une séquence de postures

(animation)!;• Le niveau activité étant une séquence de comportements élémentaires (dépouillement).

Ainsi nous pouvons avoir deux modes d’utilisation des mannequins. Soit nous imposons exactement lamême gestuelle à différents mannequins afin de pouvoir par exemple récupérer des distancesd’atteintes pour la conception d’un poste de travail. Soit nous imposons les mêmes cibles à différentsmannequins en vue d’évaluer par exemple la conformité d’un poste de travail. Toutes ces opérationss’effectuent désormais en quelques minutes alors qu’auparavant le dépouillement et l’animationcomplète étaient à refaire pour chaque mannequin.

L’analyse posturale est une méthode qui s’est souvent révélée comme étant un manque dansl’outil MANERCOS. C’est pourquoi la méthode RULA a été implémentée dans l’outil MANERCOS.La méthode ergonomique RULA consiste à évaluer une posture des membres supérieurs en donnantune note. L’implémentation de RULA dans l’outil MANERCOS accélère le travail de l’ergonomepuisque RULA peut être calculée sur une séquence de postures (images en animation) en quelquessecondes (figure 6) alors que manuellement, il faut quelques minutes pour évaluer RULA sur uneseule posture (Chitescu et al., 2003b).

Page 7: Re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

357

Figure 6!: Résultat d’une analyse RULA sur une séquence de postures (images)

Enfin, l’outil MANERCOS a été amélioré au niveau de la génération des résultats. En effet, si ladonnée était effectivement présente dans l’outil aucune mise sous forme graphique n’était effectuée.Désormais il est possible de visualiser graphiquement divers indicateurs (figure 7) comme les tempsque représente chaque comportement par rapport à l’activité sous forme d’histogrammes ou encore lavisualisation de la séquence de comportements sous forme de graphique de type planning.

Figure 7!: De gauche à droite!: déroulement de l’activité d’écriture sur un clavier, visualisation de la répétitivitédes comportements

5 CONCLUSION ET PERSPECTIVESToutes ces améliorations vont nous permettre de rentrer dans une seconde phase d’évaluation qui

aura pour but de valider les choix effectués. Ainsi cette version pourra suivre son chemin vers la voiede la commercialisation. Mais le développement de l’outil MANERCOS ne s’arrêtera pas à ce stade.En effet, plusieurs idées commencent à émerger quant à l’évolution de l’outil.

Parmi ces idées nous pouvons citer par exemple le dépouillement automatique de la séquence decomportements élémentaires. Grâce à un tel système, l’utilisateur serait libéré de cette tâche lourdequ’est le dépouillement et accélèrerait ainsi son processus d’évaluation. Cette phase pourrait êtreeffectuée à l’aide d’algorithmes permettant la détection de séquences semblables dans une vidéo.

Une autre facilitée pourrait être offerte à l’utilisateur au niveau de l’animation. En effet, il estsouvent lourd de manipuler chaque membre pour amener le mannequin dans la position désirée. Unmoyen plus rapide pourrait être le couplage de l’outil MANERCOS à des systèmes de capture demouvements. Le problème est que ces systèmes nécessitent souvent soit d’équiper l’utilisateur et dansce cas son activité risque d’être faussée, soit d’équiper le poste de travail de capteurs et dans ce casl’environnement d’une entreprise perturbe souvent les données de ces capteurs. L’idéal serait donc unsystème de capture de mouvement sans aucun matériel.

La conception d’une activité nouvelle n’est pas une tâche aisée. En effet, les durées descomportements élémentaires ne sont pas facilement prédictibles. Les services méthodes des entreprisesutilisent généralement une méthode appelée MTM - Method Time Measurement (Laring, 2002)reposant sur la correspondance action/temps. L’outil MANERCOS pourra évoluer en prenant encompte cette méthode pour la création de nouveaux comportements élémentaires et donc pour la

Page 8: Re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

358

prédiction des temps nécessaires. Bien entendu la difficulté sera de s’adapter, car chaque entreprise asa propre méthode.

Une évolution pourra également être nécessaire au niveau de la dimension travail collaboratif dela conception. En effet, l’utilisateur travaille actuellement sur son poste, tous les fichiers y sont stockéset s’il veut les transmettre ou les partager, il doit le faire par des méthodes classiques de transfert defichiers. Une solution pourrait être de rendre l’application MANERCOS client-serveur. Ainsi unserveur centraliserait l’ensemble des données (populations, postures, etc.) et gérerait l’accès à cesdonnées, tandis que l’utilisateur travaillerait de manière transparente avec ces données. Une autresolution serait de coupler l’outil MANERCOS avec un outil de travail collaboratif comme l’ACSP(Atelier Coopératif de Suivi de Projets) qui permettrait non seulement de centraliser les données, maiségalement de les partager avec les autres acteurs du projet tels que les concepteurs, le chef de projet,etc. (Gomes, 2001). Cette solution devient évidemment très intéressante pour une amélioration de lacommunication entre l’ergonome et le concepteur (Gronier, 2001).

L’utilisation de l’outil MANERCOS comme outil d’aide à la conception pourra aller plus loin enle considérant comme un support à la réalité virtuelle. En effet, nous réfléchissons sur une démarchede conception dans laquelle la réalité virtuelle intervient (Chitescu, 2003a). Ainsi l’outil MANERCOSpourrait être la source de scènes interactives permettant la formation d’utilisateurs ou la démonstrationde résultats d’analyses ergonomiques.

Enfin nous réfléchissons à la pertinence que pourrait avoir l’intégration de modules d’intelligenceartificielle au sein de l’outil MANERCOS. En effet, cela pourra se présenter sous la forme de systèmesexperts d’aide à la décision, mais également de systèmes multi-agents (Ferber, 1995) permettant unemeilleure coordination entre les différentes parties du mannequin lors de son animation comme lamarche par exemple.

En conclusion, nous pouvons dire que le développement du mannequin numérique MANERCOSest mené en vue de proposer un logiciel adapté à l’utilisateur (ergonome ou concepteur) et qui pourraaméliorer ainsi le processus de conception. C’est pourquoi le développement d’un tel outil ne doit pasentrer directement dans une optique régie par le nombre de fonctionnalités disponibles, mais plutôt parla facilité de prise en main et la pertinence des résultats fournis pour pouvoir mieux l’intégrer dans leprocessus de conception. Nous réduisons ainsi les risques de non-acceptation de l’outil pour cause decomplexité et d’utilité accessoire.

6 BIBLIOGRAPHIEAFNOR (1999). Recueil de Normes Ergonomiques Françaises. Editions AFNOR, Paris-La Défense.Barthelat J. (2001). Intérêt des mannequins numériques pour une conception centrée sur l’homme.

Mémoire de DEA en Génie des Systèmes Industriels, INPL – ENSGSI, Octobre, Nancy, 88 p.Bautistat S., Chevriau S., Durand T., Grun C., Mahdjoub M., Niglis C., Rachdi A., Schnebelen G., &

Wattel J. (2002). Projet!: Expédition Yiribana. Rapport de CP51, Université de Technologie deBelfort-Montbéliard.

Bruguet L., Chable Y., Grun C., & Hermelle S. (2002). Etude ergonomique d’un poste d’assemblagedes modules de refroidissement. Rapport de CP53, Université de Technologie de Belfort-Montbéliard.

Chitescu C., Galland S., Gomes S., & Sagot J.-C. (2003a). Virtual Reality within a Human-centeredDesign Methodology. 5th International Conference on Virtual Reality, Laval, France, 13-18Mai, 6 p.

Chitescu C., Sagot J.-C. & Gomes S. (2003b). Favoriser l’articulation “ergonomie-conception deproduits” à l’aide de mannequins numériques. 10ème Séminaire CONFERE (Collège d'Etudes etde Recherches en Design et Conception de Produits) sur l'Innovation et la Conception, Belfort,France, 3-4 Juillet 2003, 9 p.

Das B. & Sengupta A. K. (1995). Computer-aided human modeling programs for workstation design.Ergonomics, vol. 38, n°9, pp. 1958-1972.

Duchamp R. (1999). Méthodes de conception de produits nouveaux. HERMES Science Publications,Paris, 192 p.

Discreet (2001). 3ds max version quatre, Référence utilisateur.(3 volumes).Ferber J. (1995). Les systèmes multi-agents!: vers une intelligence collective. InterEditions, Paris.

Page 9: Re-conception d’un mannequin numérique pour … · {sebastien.chevriau, cedric.grun, christina.chitescu, samuel.gomes}@utbm.fr

359

Gomes S. (1999a). Contribution de l’analyse à la conception de produits innovants – Application à laconception de systèmes de contrôle-commande automobiles. Thèse de doctorat en Génie desSystèmes industriels, Institut National Polytechnique de Lorraine, Janvier, Nancy, 220p.

Gomes S., Sagot J.-C., Koukam A., & Leroy N. (1999b). MANERCOS, a new tool providingergonomics in a concurrent engineering design life cycle. 4th Annual Scientific Conference onWeb Technology, New Media, Communications and Telematics – Theory, Methods, Tools andApplications, EUROMEDIA 99, Munich, 25-28 April, p. 237-241.

Gomes S., Sagot J.-C., Leborgne C., & Barbier J.-M. (2000). Conception de la fonction d'usage duproduit à partir des activités gestuelles : Utilisation de mannequins anthropométriques. Articleprésenté à l'INRETS. Bron, France, 16 mars.

Gomes S. & Sagot J-C (2001). Vers une chaîne XAO intégrée pour une conception centrée surl’homme. Contribution des documents numériques. Documents Numériques, Vol 5, N° 3-4, pp.135-154.

Gronier G., Sagot J-C, Gouin V., & Gomes S. (2001) Etude exploratoire des activités coopératives deconception assistées par un collecticiel. 10eme Atelier du Travail Humain: Modéliser lesactivités coopératives de conception, Paris, 27-28 Juin 2001, pp. 93-110.

ISO 8996 - NF EN 28996 (1994). Détermination de la production de chaleur métabolique. AFNOR.Kergelen A. (1995). KRONOS – Logiciel de recueil et de traitement de données d’analyse de

l’activité. Lyon ANACT.Laring J., Forsman M., Kadefors R., & Örtengren R. (2002). MTM - based ergonomic workload

analysis. International Journal of Industrial Ergonomics, 30, pp. 135-148.Maestri G. (2002). Créez et animez vos personnages 3D. First Interactive.McAtamney L. & Corlett E.N. (1993). Rapid upper limb assessment (RULA) : A survey method for the

investigation of work-related upper limb disorders. Applied Ergonomics, 24, 2, pp. 91-99.Pheasant S. (1986). Bodyspace : Anthropometry, ergonomics and design. London Taylor&Francis. pp.

67-120.Sagot J.-C. (1999). Ergonomie et conception anthropocentrée. Document pour l’Habilitation à diriger

des Recherches. Institut National Polytechnique de Lorraine, Nancy, 21 mai, 267p.Sagot J-C, Gouin V., & Gomes S. (2003). Ergonomics in product design: safety factor. Safety

Science, Volume 41, Issues 2-3, pp. 137-154.Waters T. R., Putz-Anderson V., Garg A., & Fine L. J. (1993). Revised NIOSH equation for the design

and evaluation of manual lifting tasks. Ergonomics, vol. 36, n°7, pp. 749-776.