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1 Jean Dumas, réd. a. membre d'honneur de la Société québécoise de la rédaction professionnelle (SQRP) La rédaction professionnelle à l'horizon de 2020 Version COULEUR IL EXISTE AUSSI UNE VERSION NOIR ET BLANC Ce document PDF reprend intégralement les textes du site http:/enquete.sqrp.org/ Les illustrations, renvois à des sources externes et commentaires des internautes n'ont toutefois pas été retenus. © JEAN DUMAS — avril 2013

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Page 1: Rédaction professionnelle 2020 (couleur)...ANNEXE : Architecture du site Web ... de la musique ou de la présentation scénique. Les mots soutiennent les pièces exposées, comme

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Jean Dumas, réd. a.

membre d'honneur de la Société québécoise de la

rédaction professionnelle (SQRP)

La rédaction professionnelle

à l'horizon de 2020

Version COULEUR IL EXISTE AUSSI UNE VERSION NOIR ET BLANC

Ce document PDF reprend intégralement les textes du site http:/enquete.sqrp.org/ Les illustrations, renvois à des sources externes

et commentaires des internautes n'ont toutefois pas été retenus.

© JEAN DUMAS — avril 2013

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PRÉSENTATION DE L'ENQUÊTE

Objectif Le site Web http:/enquete.sqrp.org/ – dont ce document PDF constitue la version papier – s'efforce de décrire au mieux l'évolution prévisible du métier de rédacteur professionnel au cours des prochaines années. Si cette étude vise l'horizon de 2020, c'est principalement pour répondre aux attentes des personnes qui sont encore à l'aube de leur formation ou de leur carrière dans cette profession. Les pages qui suivent se fondent sur une enquête menée, en 2009, auprès de seize spécialistes du domaine, visités dans huit universités canadiennes. La première partie du document présente les Éléments de l'enquête. Il y sera plus précisément ques-tion de l'affaiblissement de la langue écrite et de l'envahissement du numérique, observés d'abord en général (Les grands défis), puis tel qu'on les voit investir six types de rédaction (Perspectives sectorielles). À l'enquête proprement dite s'est ulté-rieurement ajoutée une seconde partie (Autour de l'enquête) qui, d'une part, fait le lien entre la théorie et la pratique et, d'autre part, rassemble quelques propos de nature linguistique, pierre d'assise de la profession.

Historique Le 4 juin 2009 - Conversation avec une collègue, Diane Stehlé, qui sème dans mon esprit l'idée d'ajouter Internet à mes canaux traditionnels (causeries, articles) de communication pédago-gique. Le 2 août 2009 - Après deux mois d'analyses diverses, j'entre-prends la mise au point d'un projet concret que j'imagine devant prendre la forme d'une « enquête ». Le 22 septembre 2009 - Les administrateurs de la SQRP Jean-Marc Pineau et Claire Michaud donnent leur aval à ce projet et aux rencontres universitaires qu'il prévoit. Le 28 septembre 2009 - Première d'une série de seize entrevues avec des professeurs de huit établissements universitaires de langue française, pour obtenir leur avis sur les voies d'avenir de la rédaction professionnelle. Cette tournée se terminera le 5 décembre.

Le 13 novembre 2009 - Prise de contact avec le spécialiste Jean-François Poulin, qui m'aidera à construire le site (et qui me soutient toujours de ses conseils). Le 17 janvier 2010 - Discret lancement du site, officiellement dénommé « La rédaction professionnelle à l'horizon de 2020 », qui résume l'enquête que j'ai menée dans les universités au cours de l'automne précédent. Le 2 décembre 2010 - Seize collègues de la SQRP enrichissent le site en présentant la profession de rédacteur telle qu'ils la vivent au quotidien. Ainsi s'ouvre une seconde section, appelée « Autour de l'enquête », portant sur divers sujets relatifs à la rédaction professionnelle. Le 21 janvier 2013 - Trois ans après son lancement, le site touche ses 20 000 visites. En 2013, la croissance se poursuit au rythme de trois cents visites par semaine.

L'auteur

CHRONOLOGIE 1930 - Naissance à Québec 1949 - Prix intercollégial de philosophie 1957 - Éditions du Lévrier : rédaction, photographie 1962 - Radio-Canada (pigiste) : animation radio 1968 - Radio-Québec : dir. Rel. publ. / dir. Développement 1975 - UQAM : dir. Pédagogie univ. / dir. Serv. audio-visuel 1977 - Maîtrise en administration publique (ENAP-UQAM) 1983 - Jean Dumas inc. : clients privés et institutionnels 1994 - UdeM (chargé du cours Rédaction publique) 2001 - Spécialisation en rédaction pédagogique

PUBLICATIONS 1983 - Isola (Héritage Plus) 1985 - L'informatisation de votre bureau (Guérin) (avec Jean Cloutier) 2001 - Séduire par les mots (PUM) Prix du Ministre de l'éducation 2002 2003 - Rédaction de rapports techniques (FEP-UdeM) (avec Anne-Marie Trudel) 2006 - Publicités à la carte (PUM) (avec Jacques Dorion) 2009 - La profession de rédacteur (Fides)

Avertissement

Ce document est réservé à un usage didactique. En cas de citation, la source doit être clairement indiquée.

Les textes non signés sont de Jean Dumas.

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TABLE DES MATIÈRES

1re partie : ÉLÉMENTS DE L'ENQUÊTE A - Les grands défis de 2020 1 - La rédaction professionnelle sauvera-t-elle l'écriture ? Dany BROWN, Université Laval ....................................... 4 Bertrand LABASSE, Université d’Ottawa ......................... 5 2 - Où en sera la rédaction professionnelle en 2020 ? À besoin croissant réponse adaptée .................................. 6 3 - La rédaction professionnelle envahira-t-elle le numérique ? André-Claude POTVIN, Université de Montréal .............. 9 Gabrielle SAINT-YVES, U. du Q. à Chicoutimi .............. 12 4 - Quelle place pour la rédaction numérique en 2020 ? Un nouveau rapport à l'écriture se fait déjà jour ........... 14 B - Perspectives sectorielles 1 - La rédaction administrative s'affirmera-t-elle conviviale ? Julie JEAN, Université de Montréal ............................... 16 Bernadette KASSI, U. du Québec en Outaouais ............. 18 2 - La rédaction de vulgarisation scientifique exigera-t-elle qu'on soit savant ? Nathalie KINNARD, Université Laval ............................ 21 Linda de SERRES, U. du Q. à Trois-Rivières ................. 23 3 - La rédaction technique se donnera-t-elle de nouveaux outils ? Nicolas GENDRON, Université de Montréal ................. 25 Éric PLOURDE, U. du Québec en Outaouais ................ 27 4 - La rédaction de relations publiques usera-t-elle d'audace ? Jean-François SAINT-GELAIS, UQ à Chicoutimi .......... 29 Jason LUCKERHOFF, U. du Q. à Trois-Rivières .......... 30 5 - La rédaction publicitaire reprendra-t-elle l'initiative ? Jean DESAUTELS, Université de Montréal ................... 32 Dany BAILLARGEON, Université de Sherbrooke .......... 34 6 - La rédaction pédagogique se fera-t-elle multiplateforme ? Geneviève DÉSILETS, U. du Q. à Trois-Rivières ........... 36 Paul BLETON, Téléuniversité ......................................... 38

2e partie : AUTOUR DE L'ENQUÊTE A - La théorie et la pratique 1 - À quoi sert un rédacteur professionnel ? C'est un spécialiste de la métaphore ............................... 40 2 - Le petit catéchisme de la rédaction professionnelle Toute la profession en cinquante questions .................... 42 3 - Vous aussi pouvez devenir rédacteur professionnel Pas moins de dix-sept universités vous attendent ........... 46 4 - La rédaction telle que vécue par seize rédacteurs Nicole AUDET ................................................................. 51 Josée BOUDREAU .......................................................... 52 Bernadette BRODERICK ................................................ 53 Marie CLARK .................................................................. 54 Andrée DESTROISMAISONS ......................................... 55 Yasmina EL JAMAÏ ......................................................... 56 Christine GILLIET .......................................................... 57 Charles GIRARD ............................................................. 58 Michel HÉROUX ............................................................. 59 Léo ISRAËL ..................................................................... 60 Pierre LAFONTAINE ...................................................... 61 Louise-Laurence LARIVIÈRE ......................................... 62 Lydia MARTEL ................................................................ 63 Paul MORISSET .............................................................. 64 André SENÉCAL ............................................................. 65 Érik VIGNEAULT ........................................................... 66

B - La pierre d'assise 1 - Parcours d'un rédacteur accidentel par Guy ROBERT, réd. a. ............................................... 67 2 - Le génie de la langue Il tient dans ses astuces ................................................... 69 3 - Rosa, rosa, rosam Le latin fut jadis la langue parfaite ................................. 73 4 - Mais pourquoi s'écrivent-ils encore ? Le texto comme dernier avatar de l'écriture ................... 77 5 - Hormis est à la maison de retraite N'enterrez pas les vieux mots de leur vivant ................... 80

6 - Recherché : rédacteur de signalisation routière Les panneaux d'affichage aussi ont une grammaire ....... 82

ANNEXE : Architecture du site Web.......................85 Merci à la SQRP.......................................................88

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A - LES GRANDS DÉFIS DE 2020

(quatre sections)

B - PERSPECTIVES SECTORIELLES (six sections)

A - Les grands défis de 2020

1 - La rédaction professionnelle sauvera-t-elle l'écriture ?

Dialogue avec Dany Brown et Bertrand Labasse

’écriture a envahi les musées. Est-ce à dire qu’elle appartient désormais au passé? Ne sautons pas trop vite aux conclu-sions; mais constatons que le texte soigné a perdu une partie de sa fonction traditionnelle de communication au profit de moyens plus rapides. Le courrier est mort, vaincu par le courriel, lui-même mis à mal par la messagerie texte; autant

d’outils où la qualité de l’écriture n’intéresse plus personne.

La professionnalisation de l'écriture Comment en est-on venu à professionnaliser le geste de rédiger? Si rédiger c’est écrire, quiconque écrit peut se prétendre rédac-teur. Rédiger: geste rare dans l’Antiquité, alors que peu de gens étaient instruits; geste devenu commun avec la scolarisation universelle. Comment se fait-il alors que la qualité de l’expression écrite ait tellement baissé, au moment où la fré-quentation universitaire passait de 3 %, il y a un demi-siècle, à 42 % aujourd’hui? À l’époque où l’écriture était le fief des initiés, la langue écrite – dite «soutenue» – se distinguait très nettement de la langue orale, spontanée, populaire, beaucoup moins étudiée. La démo-cratisation de l’écriture lui a enlevé ce côté docte, raffiné: ce qui est aisément accessible est considéré comme de peu de valeur. Sauf chez les amoureux de la langue, l’écriture est donc devenue plus instrumentale que culturelle. Lire est devenu élitiste. Dépé-rissement des journaux. D’autres voies d’information (télé-phone, radio, télévision, cinéma, Internet) ont pris le relais.

Plus rapides, plus efficaces pour les communications de la vie courante. Les segments écrits de ces technologies – les blogues, par exemple – ont imité le plus possible la parole au lieu de s’en distinguer. De sorte que seuls les rédacteurs qui savent retenir des lecteurs blasés parviennent à passer la rampe. La rédaction a désormais besoin de «professionnels». L’écriture se meurt-elle ? Pas tout à fait. Mais sa part du marché du savoir populaire est en chute libre. Pour la vie quotidienne, elle n’est plus un modèle, mais un outil parmi d’autres. Personne ne sait plus écrire «bellement». Pour un texte de qualité il faut désormais recourir à des professionnels. Et il y a si peu de ces professionnels que ceux qui ont du talent sont très en demande. Après une phase d’expansion, l’écriture est donc en période de contraction. Le rédacteur professionnel en est devenu le gardien. Peut-être dira-t-on en 2020 qu’il en aura été le sauveur. Voir aussi : La profession de rédacteur, Fides 2009, page 22.

Essoufflés par la nécessité d'aller de plus en plus vite, les gens ont perdu beaucoup d'intérêt pour une langue soutenue. Mais tout n’est pas perdu. La porte est encore entrouverte. Le défi n’est plus de bien communiquer l’information, mais plutôt de savoir comment la rendre pertinente. Les phrases bien faites prendront alors leur revanche. C’est peut-être ainsi que le rédac-teur sauvera l’écriture.

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DANY BROWN : « Le texte est une composante d’exposition au même titre que les autres éléments. »

e bâtiment ancien où travaille Dany Brown est la Maison Estèbe, une relique du régime français (1751) désormais intégrée au Musée de la civilisation, à Québec. Il tranche avec la façade futuriste du musée pour témoigner de l’enracinement culturel de l’institution.

Cette rencontre entre passé et avenir, Dany Brown la vit quotidiennement à son double titre de chargé de projet pour le musée et de responsable du cours FRN 2211 Textes muséologiques, à l’Université Laval. L’écriture soignée a quitté la sphère privée pour se réfugier chez les gardiens de la tradition. Alors qu’on l’évacue de la vie courante, on lui redonne ici son rôle de véhi-cule de l’âme collective. On n’imaginerait pas d'activité muséale sans contribution de l’écriture. « Le texte est une composante d'exposition au même titre que les autres éléments », qu'il s'agisse de l'éclairage, de la musique ou de la présentation scénique. Les mots soutiennent les pièces exposées, comme si ces pièces elles-mêmes prenaient la parole. Or, si l’on exclut l’étiquette accolée aux pièces et le générique final, tous les écrits font appel à un rédacteur «professionnel». Pourquoi? Parce qu’il faut un talent particulier pour trouver le ton juste dans le cadre précis d’une exposition à leitmotiv. Ce «professionnel» intervient à la source. Dès le titre de l’exposition qui, grâce à des expressions vibrantes, s’inscrira dans l’imaginaire du visiteur. À votre insu, il vous fera partager, au moment de franchir la porte, l’angle de vision proposé par le conservateur ou le commissaire. Vous ne le verrez jamais, mais il sera partout dans la salle, assurant de nombreux niveaux de lecture: titre de section, exposés thématiques, textes didactiques, documentation d’appoint, support à l’interactivité et à l’audiovisuel, catalogue. Ses textes sauront s'adapter au contexte de l'exposition. Ainsi ne les rédigera-t-il pas de la même façon, selon que l'exposition s'adressera au public familial de Tintin ou aux visiteurs érudits de Or des Amériques.

L'œuvre muette

Même éclairée favorablement, même protégée par un écrin, même environnée de musique tradi-tionnelle, toute œuvre d'art demeurera muette tant qu’on n’aura pas fait appel aux mots pour la mettre en valeur. Seuls des textes, tour à tour descriptifs, didactiques, historiques, poétiques, lui permettront de témoigner de la société qui lui a donné vie. Malgré un recul évident dans la vie cou-rante, l’écriture s’avère encore irremplaçable comme outil culturel. Le rédacteur professionnel en est le premier gardien, et ce rôle ira croissant avec les années.

Cette spécialisation de l’écriture est si exigeante qu’il faut parfois faire appel à des rédacteurs différents pour une informa-tion écrite ou sonore (audioguide), descriptive ou lyrique ou encore faite pour être lue avant, pendant ou après la visite. Car chaque portion de texte qu’on trouve dans les musées doit être autoportante. Ainsi placera-t-on toujours au premier para-graphe l’élément le plus important à retenir d’une pièce affichée, devinant que nombre de promeneurs ne poursuivront pas la lecture au-delà. Or, seul un rédacteur compétent – habitué à écrire en fonction d'un public bien ciblé – est en mesure d’imaginer ainsi, à l’avance, le comportement des visiteurs devant les textes. C’est ce qui amène Dany Brown à conclure: « On aura toujours besoin de rédacteurs. » Sans manquer d’ajouter: « Le texte doit toujours être mis en rapport avec ce qui est présenté. Même les phrases isolées qui ornent parfois les murs visent une mise en contexte. » De nouveaux outils ne manqueront d’ailleurs pas de faire appel au rédacteur de 2020: niveaux multiples de parcours, cata-logues virtuels, interaction plus poussée encore avec les visiteurs. Ainsi l’écriture noble, qui déserte la vie privée (comme le montrent les résultats décevants des étudiants aux tests de français), reprend ses droits dans les lieux publics, au premier chef, les musées. La survie de l’écriture tiendrait donc au fait qu’elle serait devenue professionnelle.

BERTRAND LABASSE : «Une surabondance d’information se paie au prix d'un déficit d’attention.»

Ouvrez le principal ouvrage de Bertrand Labasse, Une dynamique de l’insignifiance: les médias, les citoyens et la chose publique dans la société de l’information. D’un coup d’œil, vous saisirez les grands thèmes qui ont animé sa carrière. Il les reprend désormais au Département de français de l’Université d’Ottawa, dans le cadre du cours FRA3548 Écriture et infor-mation. Et le fait en termes simples, déclarant d'emblée qu'un texte ne peut être considéré comme bien écrit que s’il «génère du sens pour le lecteur», autrement dit, si le destinataire le trouve pertinent « pour lui ». Ce qui est un changement de polari-sation par rapport à la façon traditionnelle d'écrire.

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Car les règles ont connu une mutation depuis que l’information est partout. À l’époque où elle était rare, le citoyen était as-soiffé de savoir. Aujourd’hui, il ne prend même pas la peine d'allonger la main vers un journal gratuit. Or, ce qui semble gratuit coûte forcément quelque chose quelque part. L’information qu’on n’a pas demandée a son prix: «Une surabondance d’information se paie au prix d'un déficit d’attention.» En effet, il ne suffit plus que le lecteur parcoure sans peine le flot de signes typographiques dont est constitué un paragraphe, ni qu’il soit en mesure de déchiffrer la structure syntaxique des phrases, ni même qu'il puisse comprendre sans effort ce que le rédacteur a voulu lui dire. Il faut qu'il ait le goût de préférer le texte qu'il a devant les yeux aux cent autres sollicitations qui l'environnent, cherchant toutes à accaparer son cerveau. Devant cette «crise de l’attention», l’on sera parfois tenté de simplifier les messages à l’extrême, comme si les gens avaient perdu une partie de leur intelligence. Mais ce n’est pas la chose à faire, comme Bertrand Labasse l’enseigne dans ses cours. Il suffira qu’on rende l’information «signifiante» pour que l’ado qui, d’habitude, n’ouvre jamais un livre se tape en trois jours les centaines de pages d’Harry Potter. D’ici 2020 on peut imaginer que l’offre d’information poursuivra sa courbe exponentielle... mais aussi, au contraire, qu’elle s'affaissera plutôt, face à l’incapacité du citoyen à en absorber plus. Les gens ne retiendront alors que les propos «qui ont du sens pour eux». À ce moment-là, au lieu de se demander : «Est-ce que le lecteur va me comprendre?», le rédacteur devra penser son texte autrement: «Est-ce que les gens auront simplement envie de savoir ça?» Pour stimuler l’intérêt il faudra donc «problématiser» l’information, c’est-à-dire faire que les gens la voient comme un problème qu’ils auraient à résoudre. Pour ce faire, on usera abondamment d’allégories et autres figures de style où ils se reconnaîtront. Les symboles seront plus efficaces que l’exposé aride des faits, car «comprendre, c’est voir dans sa tête.»

Un exemple proposé par Bertrand Labasse

L’information à communiquer: «La Banque centrale européenne a décidé de remonter d’un demi-point son taux directeur quoique l’économie soit encore en difficulté.» 1. La façon classique de traiter cette information: (qui a fait quoi, où, quand, comment, etc.) «Lors de sa réunion mensuelle aujourd’hui à Francfort, la Banque centrale européenne a fait savoir, par la voix de son président, qu’elle remontait son taux directeur d’un demi-point, à la grande surprise des experts qui jugent l’économie encore trop fragile pour une décision aussi risquée.»

2. Une façon de «problématiser» la nouvelle: (telle qu’utilisée par un journaliste) «Si votre voiture est sur le point de caler dans une côte, est-ce que vous accélérez ou freinez ? Eh bien, la Banque centrale européenne a décidé de freiner au moment où l’économie était justement sur le point de caler.» 3. Une autre façon d’éveiller l’attention du lecteur: (cette fois-ci par le recours au style narratif) «En se levant hier le directeur de la Banque centrale européenne savait que la journée s’achèverait pour lui sous les huées de l’Europe entière.»

Au siècle de l’image, le rédacteur doit donc être en mesure de susciter des images mentales pour que le destinataire de ses textes se transforme en lecteur intéressé. Il a le fardeau de la preuve. Jamais il ne dira: «Les gens sont bêtes», mais plutôt: « À moi de les stimuler; comment y parviendrai-je? » Tel est le défi que lance Bertrand Labasse pour 2020. Et voilà comment, pour lui, une nouvelle approche de la rédaction professionnelle sauvera l'écriture.

2 - Où en sera la rédaction professionnelle en 2020 ?

À besoin croissant réponse adéquate

omme les écrivains d’autrefois ne disposaient ni du copier-coller ni même de blanc à effacer pour corriger leurs textes (rédigés à la plume d’oie), leurs pages étaient vite envahies de ratures, d’additions de mots et de déplacements de para-graphes. C’est pourquoi ils se faisaient assister d’un secrétaire particulier chargé de mettre le document «au propre»

autant de fois que nécessaire. Dans le cas de Chateaubriand, cela pouvait aller jusqu’à sept fois par page. Puisque ce secrétaire était généralement choisi pour sa formation grammaticale élevée, il se chargeait aussi des corrections orthographiques ou syntaxiques. En outre, comme il vivait presque en symbiose avec le maître, il ne manquait pas de lui suggérer des améliorations stylistiques. Si bien que les auteurs finirent souvent par lui céder la plume comme s’ils la tenaient eux-mêmes.

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C’est à cette époque que commença à émerger la profession de scribe dans le sens qu'on lui donne aujourd’hui. Quant au mot rédacteur, il remonte à 1752. Écrivain public, taleb chez les Arabes, gratte-papier pour les mauvaises langues: voilà comment on nous définit le plus souvent quand on nous connaît mal. La rédaction professionnelle, c'est plus que cela. C'est l'art de rendre un texte accessible au public cible. Cet art se déploie à deux niveaux : (1) il recourt aux raffinements les plus poussés de la langue pour porter les messages offi-ciels des responsables sociaux, politiques, économiques ou culturels ; (2) il s’attache aussi à dénicher les façons de dire les plus appropriées pour vulgariser une information auprès du grand public. Or, ces deux facettes de notre profession sont en voie d’évolution accélérée. Que nous annonce 2020 ? L’écriture officielle Il s'avère que la mise en valeur de l'écriture est en perte de vitesse chez nos dirigeants, de sorte que le texte soigné risque de s'apparenter à une pièce du patrimoine muséal. En conséquence, il est à prévoir que le «bien écrire», toujours requis en cer-taines circonstances, sera de plus en plus souvent confié aux spécialistes que nous sommes. Les personnes en autorité attendront évidemment du rédacteur qu’il soit aussi impeccable qu’elles auraient souhaité l’être elles-mêmes. Mais puisqu’elles ont souvent perdu de vue jusqu’aux paramètres grammaticaux et structurels, elles devront s’en remettre à lui pour les critères de qualité. Cette dépendance pourra créer un malaise chez certaines personnalités moins habituées à écouter qu’à se faire entendre. Si bien que le rédacteur aura souvent à jouer de diplomatie dans la défense de ses textes. Mais cela fait partie du métier depuis toujours. Risque plus important : le recul de la langue écrite en général n’a pas manqué de provoquer dans les milieux officiels le be-soin d’une écriture plus ampoulée que nécessaire, comme s’il fallait compenser en maquillant une certaine carence culturelle. Il y a là-dedans une sorte de purisme de surface, héritage malhabile de Malherbe et de Vaugelas, qui s’apparente parfois aux Femmes savantes. On demande au rédacteur professionnel d’éviter la moindre originalité dans le vocabulaire ou l’insertion de mots à la mode ou simplement d'usage jugé trop courant. Sans compter les impératifs de la rectitude linguistique. Cette écriture lisse a évidemment comme effet de chasser les lecteurs. On écrit alors pour écrire – pour avoir écrit – pour être en mesure de laisser une preuve, à la manière de ces dédicaces pompeuses qu’on voit inscrites sur les monuments. L’écriture populaire Pour sa part, la rédaction destinée au grand public est de plus en plus en concurrence avec une surcharge d’information, au point où les lecteurs sont frappés d’un déficit d’attention. S’ils n’assimilent plus, c’est qu’il y a trop à lire… et tant d’autres choses à faire… on ne peut être partout à la fois. Alors ils ne lisent attentivement que ce qui les touche personnellement. On ne les atteint plus que si on leur raconte une belle histoire. C’est pourquoi il est à prévoir qu’au cours des prochaines années, l’on fera de plus en plus fréquemment appel à un rédacteur professionnel, moins pour sa compétence grammaticale que pour son aptitude à trouver des formulations dynamiques. Le défi traditionnel de tout rédacteur est bien connu : «Que le lecteur comprenne l’information que je transmets.» Or, cette préoccupation est en train d’être remplacée par une autre: «Qu’il ait simplement le goût de me lire.» Dans ce con-texte, la fidélité de transmission du message cèdera le pas au sens de la formule. Le rédacteur devra se faire conteur. Mais il a du chemin à faire. Influence Communication, un organisme qui analyse le poids qu’ont diverses nouvelles dans les médias, a comparé leur facilité de lecture. Plus un texte est ardu à déchiffrer, plus on lui attribue un score élevé; ce qui, pour un rédacteur, doit être considéré comme négatif si on s'adresse au grand public. Patrick Gauthier a rendu compte de cette étude – appelée Scolarius – dans Rue Frontenac. Le sujet fut ensuite repris par Stéphane Baillargon (Le Devoir) et Pierre Foglia (La Presse). Qu’a-t-on découvert ? «Bizarrement, parmi les quelque 4 000 textes analysés par Influence Communication pendant le rodage de Scolarius, ceux qui obtiennent les scores les plus hauts sont... les communiqués de presse !» Autrement dit, ce sont les textes produits par des rédacteurs professionnels qui s'avèrent le plus éloignés du lecteur moyen. Ça fait mal! Et qu’on ne vienne pas prétendre que le sérieux du sujet exige une écriture austère, puisque Danielle Laurin, chroniqueuse littéraire – vous avez bien lu «littéraire» – du Devoir – vous avez bien lu «Le Devoir» –, obtient l’un des meilleurs scores de lisibilité.

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Le rédacteur sur le marché du savoir Du fait que l’écriture perd progressivement son statut de pivot culturel, tant chez les élites que dans la population, le rédac-teur est appelé à devenir, à côté des artistes de la langue (romanciers, poètes, paroliers), un témoin de cet art de la plume qui eut son heure de gloire et un rempart essentiel pour la sauvegarde d’une richesse aujourd’hui assiégée par les nouvelles formes de communication. De tout temps le rédacteur professionnel se fit le défenseur de la langue écrite. Celui de 2020 ne perdra pas cette mission de vue. Mais il devra l’aborder d’une autre manière. Il ne pourra agir de façon autoritaire, mais plutôt par voie de patiente per-suasion, en intégrant son intervention dans l’économie du savoir. Car, de nos jours, même la connaissance se transige. Au plus offrant. Le R&D est sur Wall Street. Les chercheurs universi-taires s’associent aux grandes entreprises. Personne ne s’étonne que le décryptage d’un gène soit protégé par des brevets. Les métaux les plus recherchés sont ceux qui servent à la confection de puces informatiques. Les entreprises qui transmettent de l’information sont parmi les plus prospères du monde. Grâce à ce dénominateur commun que constitue la monnaie il est devenu possible d’acquérir et de vendre un savoir, puis de le troquer pour un service ou même pour un objet matériel. Tout s’emboîte; mais tout doit répondre aux lois du marché. Comme n’importe quel bien, la connaissance doit être sensible aux gains de productivité, c’est-à-dire rapporter plus qu’elle ne coûte, être en mesure d’affronter les concurrents et offrir un suffisant retour financier aux investisseurs. En conséquence, à moins d’accepter de se laisser déclasser, notre profession devra s’imposer comme incontournable sur le marché du savoir. Jusqu’à maintenant, la langue a été dominée par les grammairiens, représentants d’une norme. Or, il faut savoir que le mar-ché n’a rien à faire d’une norme. Tout ce qui l’intéresse, c’est ce qui «se vend bien» : dans le langage marchand une norme n’a de raison d’être que si elle a des consommateurs. Si, en 2020, les lecteurs décident de ne plus se conformer à la norme grammaticale imposée, on ne pourra pas les dénigrer comme incultes. Le marché aura simplement changé, et la pauvre norme sera mise au placard, ayant perdu son autorité. Il reviendra alors au rédacteur professionnel de sauver la langue en rendant désirable – autrement dit, vendable – ce « bon usage» qui, dans les époques antérieures, avait fait l’objet d’un décret. Un mandat ludique pour le rédacteur Et comment s’y prendra-t-il ? En montrant, à travers des interventions chaleureuses, amicales, ludiques même, qu’il n’y a pas de dialogue possible sans une langue commune où les mots veulent dire la même chose pour tous les interlocuteurs. Ou encore, en faisant voir, toujours par le jeu des mots – le « bien écrire » est un jeu, pas une punition –, que la transmission fine des idées passe par le choix de substantifs évocateurs, l’usage judicieux des mots liens, la construction logique des phrases, le tout soutenu par une application des temps et des modes qui garantit la compréhension. Surtout, ne jamais dire : «Voici ce qu’il FAUT faire.» Le marché met déjà à la disposition du rédacteur – et le fera plus encore plus en 2020 – un espace public accessible à qui-conque cherche à vendre quelque chose. Pourquoi pas un vendeur de la langue, un promoteur (comme on dit promoteur im-mobilier) de l’écriture comme «source de plaisir»? Essayez d'imaginer ce rédacteur devenu entrepreneur, commerçant du «bien écrire»! Essayez d'imaginer un «comptoir de la langue» au pied des escaliers roulants du centre commercial voisin! On y annonce des jeux grammaticaux et stylistiques vendus en clé USB ou comme application iPad. Les gens achèteront, allez ! Le rédacteur comme instaurateur de dialogue Évidemment, les rédacteurs n'ont pas tous l'âme d'un missionnaire de la langue. Pas de soucis : à tous les autres le marché de demain aura également quelque chose d'original à offrir. Voyez plutôt. Jusqu’à récemment, le rédacteur professionnel n’avait guère dépassé le rôle passif de technicien, d’exécutant, de nègre, d’écrivain fantôme dont on attendait d’abord qu’il soit plus fidèle que tout le monde aux impératifs de la grammaire. Au cours des dernières années, il a franchi un pas de plus en se présentant comme l'ombudsman du lecteur, celui qui défend le point de vue du récepteur face à l'émetteur.

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C'était une bonne façon de s'imposer dans les officines. Combien de chefs d'entreprise n'a-t-il pas convaincus qu'il ne leur servait à rien d'encombrer le monde déjà touffu de l'écriture avec des documents que personne ne lirait? Pour que leur texte fasse son chemin dans la forêt des publications promotionnelles, ils avaient intérêt à s'en remettre à une personne sensible à la façon de lire des gens. Or, une nouvelle étape s'ouvre maintenant pour le rédacteur, étape que notre époque lui impose de considérer: il doit sensibi-liser l'émetteur, le chef d'entreprise de tout à l'heure, à la plus-value que lui vaudrait le fait de dialoguer avec le récepteur. Ce n'est pas donné d'avance. Celui qui commande au rédacteur un document administratif, explicatif, scientifique ou publici-taire a rarement en tête l'idée que son lecteur pourrait bien vouloir faire plus que le parcourir. Peut-être souhaiterait-il aussi y réagir, le contester même. Car, notre époque est démocratique; le «peuple» tient à faire entendre sa voix. Il s'exprime partout, dans la rue et les jour-naux, à la radio, à la télé, sur le Web. Prise de parole, souvent maladroite peut-être, mais qu'il faut savoir décoder comme « affirmation du droit d'être un élément actif de la société ». Le rédacteur professionnel est bien placé pour tenir compte de cette nouvelle réalité. C'est pourquoi il lui reviendra de con-vaincre l'émetteur de s'ouvrir au dialogue, c'est-à-dire d'accepter le risque de la contradiction. Il écrira ensuite de façon ou-verte, accueillante, non autoritaire; condition essentielle pour qu'il y ait véritablement place pour un dialogue. C'est lui, enfin, qui transmettra au commanditaire du texte une compilation des observations faites par les lecteurs. Voyez-vous cet horizon? Créer la demande Faisons un pas de plus. Le rédacteur professionnel a traditionnellement rempli une tâche instable, précaire, parsemée de dos-siers éphémères. La raison en est simple: dans le rapport entre l'offre et la demande, il a toujours été du côté de l'offre. Il a toujours eu la tâche odieuse de convaincre les employeurs que le genre de service qu'il offrait méritait qu'on l'embauche. Il lui revient désormais de renverser la tendance, c'est-à-dire de créer la demande. Demande pour une spécialité professionnelle que lui seul peut exercer correctement. Demande pour des textes (1) que les personnes visées trouveront intérêt à lire, (2) auxquels ces personnes auront ensuite le goût de réagir, (3) ce qui permettra à l'entreprise d'améliorer sa production et d'offrir de meilleurs services. Pour nombre d'employeurs, le rédacteur représente encore une contrainte, une dépendance due à leurs propres limitations grammaticales. Ils essaient le plus possible de s'en passer. Pour d'autres, il apparaît comme un simple soutien à la bonne image de l'organisme, grâce à sa «belle plume». À lui de démontrer qu'il n'est pas un coût pour l'entreprise, qu'il ne fait pas partie des intrants, mais qu'il est du côté des ex-trants: il rapporte de l'argent. Comment ? Dans le jeu de la concurrence, la firme qui créera le meilleur dialogue avec son public est celle qui attirera les gens les plus dynamiques et retiendra le mieux cette précieuse clientèle. En se présentant chez un entrepreneur, c'est donc cet aspect-là que le rédacteur mettra en évidence: «Je peux vous faire ga-gner plus d'argent». On comprendra vite votre démonstration; car, dans ce milieu-là, «money talks». Le rédacteur de demain pourra toujours se satisfaire des tâches modestes qu'on lui a traditionnellement confiées. Mais sa cote ne pourra alors aller qu'en se dévaluant. Au contraire, s'il sait se montrer inventif, proactif, innovant, sa profession prendra du grade. Et les reve-nus suivront.

3 - La rédaction professionnelle envahira-t-elle le numérique ?

Dialogue avec André-Claude Potvin et Gabrielle Saint-Yves

édiger, c’est toujours écrire sur un support au moyen d’un calame. Depuis la tablette d’argile d’il y a cinq mille ans jusqu’au clavier d’écran d’aujourd’hui, les changements d’outillage se sont succédé… commandant, chaque fois, un ajustement de la pensée au véhicule utilisé pour la transmettre. Rédiger sur Internet ne fait pas exception. Mais, à la

différence des anciennes façons d’écrire, le saut technologique s’est opéré de manière fulgurante. En vingt-cinq ans à peine. Déroutant pour le cerveau. Exigeant pour la société.

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Vingt-cinq ans de croissance exponentielle Quand je relis ce que j’ai écrit sur l’informatique au fil des années, je mesure la distance que la communication numérique a parcourue depuis un quart de siècle. 1985 : Dans L’informatisation de votre bureau, page 140. «Au début de l’année, les prophètes lisaient toutes sortes de choses dans leur boule de cristal. Or, deux mois plus tard, à peine, Coleco se retirait de la course, Atari lançait le Jacintosh, les modèles domestiques passaient à 128 Ko, Commodore enva-hissait le créneau des appareils de bureau. Ces imprévus se poursuivront tant que le marché ne se sera pas stabilisé.» 2001 : Dans Séduire par les mots, 1ère édition, page 422. «Cet ouvrage n’aura consacré qu’un chapitre à l’audio-scripto-visuel. Dans peu d’années, il faudra sans doute le refaire com-plètement, en le polarisant plutôt sur la communication numé-rique.» 2006 : Dans Publicités à la carte, page 292. «C’est parce qu’Internet est un instrument privilégié pour échanger des signaux qu’il et là pour rester. Qu’il opère techni-quement de telle ou telle manière – Arpanet, Nexus, Mosaic – tient de sa genèse technique. Sur ce plan, il est sans doute appelé à évoluer. Mais comme occasion d’améliorer la communication entre humains, il a trop apporté en peu d’années – instantanéité, liens planétaires, rapports démocratiques – pour qu’il n’ait pas durablement sa place à côté des moyens anciens, comme les journaux, la radio ou la télévision.» 2007 : Dans Séduire par les mots, 2e édition, page 13. «Depuis la parution de cet ouvrage, en 2001, les communica-tions ont poursuivi leur accélération. Si le village global était alors en vue, aujourd’hui nous y sommes. L’interpénétration des techniques a éliminé la frontière entre l’oral, l’écrit, le son et l’image.» 2009 : Dans La profession de rédacteur, page 153. «D’abord enfouis dans les arcanes de l’ordinateur, ses circuits intégrés ont migré vers tous les types de supports : appareil

photo, téléphone, système de son, téléviseur. Ils font même bondir l’information d’un support à l’autre. Ainsi en est-il, par exemple, de l’article numérisé (1) qu’on parcourt sur son por-table, (2) en y joignant – en parallèle – une vidéo de l’auteur commentant son œuvre, (3) extraite d’une banque de données.» Et maintenant : En route vers le Web 3.0 - Par opposition aux premières années du Web, alors qu’on n’accédait aux sites qu’à partir d’un petit nombre de mots-clés, on a parlé de Web 2.0 quand les moteurs de recherche ont mis au point, en parcourant l’ensemble du vocabulaire d’un site, une logique de pertinence permettant de guider aisément les internautes à travers le sys-tème. Ce saut technologique fut rapidement exploité par les sites relationnels, au point où l’expression Web 2.0 est souvent asso-ciée à l’essor des réseaux sociaux. Voilà qu’on s’approche maintenant du Web 3.0 (ou Web sémantique). Que cache cette formulation? Qu’est-ce que le Web sémantique ? - Pour dire les choses simplement, un logiciel en Web sémantique agira non seulement sur le signifiant d’une phrase (sa suite de mots), comme c’est le cas aujourd’hui, mais sur le signifié, c’est-à-dire le sens général du paragraphe que des métadonnées auront permis de décoder. La pertinence d’un site sera alors reliée au sujet traité plutôt qu’aux mots utilisés, de sorte que la navigation s’en trouvera grandement améliorée. Pour l’instant, si l’on en est encore à la difficile confection du modèle conceptuel qu’exigera une pa-reille lecture des idées à travers les mots, de nombreux sites s’affairent déjà à se constituer une réserve de métadonnées. Le rédacteur de 2020 - On peut imaginer le rédacteur de 2020 comme un chef d’orchestre, un facilitateur tant de la recherche documentaire que du dialogue entre internautes. Il écrira sans doute encore des articles complets, mais on attendra surtout de ses interventions qu’elles ouvrent des portes pour une meilleure interaction entre les diverses sphères du savoir. Voir aussi : La profession de rédacteur, Fides 2009, pages 152-157.

Cette nouvelle voie de la communication ouvre des zones d’exploration à la fois enivrantes et inquiétantes, comme ce fut le cas pour les précédentes. Notamment en éducation, où la rédaction ne pourra bientôt plus se passer du numérique. Où en sera-t-on en 2020?

ANDRÉ-CLAUDE POTVIN : «Le travail du rédacteur en sera désormais un d’agencement de contenus multimédias.»

 e Mémoire de maîtrise (2002) d’André-Claude Potvin portait sur «L’apport des récits cyberpunk à la construction so-ciale des technologies du virtuel.» Depuis, ce chargé de cours à l’Université de Montréal – RED 2040 Rédaction pour

Internet – n’a cessé de fouiller les rapports qu’entretiennent la technologie et les mouvements sociaux dans leur quête respec-tive d’innovation. C’est la même inspiration qui le guide comme conseiller en marketing pour StreamTheWord, une entre-prise qui adapte au Web le contenu d’émissions de radio et de télé. À son avis, il relève du rédacteur de se porter à la ren-contre de la génération C, celle qui a appris à clavarder quasiment dès le berceau. Sans perdre de vue, toutefois, que la rédac-tion informatisée n’est pas sans faiblesses. Internet impose, en effet, des contraintes au rédacteur. L’outil de lecture, l’écran, épuise vite les yeux. À cet égard, il ne fait pas le poids avec l’imprimé. Si, en plus, il est utilisé par des gens pressés dans un contexte multitâche, on ne peut s’y permettre un vocabulaire étendu ou des phrases complexes.

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Pour le rédacteur, c’est frustrant. Il doit multiplier les intertitres, les paragraphes courts et les mots en gras. Simplement pour retenir l’attention. En outre, il doit donner à ses textes une vocation utilitaire. Il ne peut guère faire appel aux émotions. Même en publicité. L’internaute veut du factuel. Se présentant comme un vaste terrain de jeu, le Web a d’abord conquis les secteurs ludiques. Il lui a été plus difficile de prouver sa contribution à la réflexion. Aujourd’hui encore, il cherche des moyens de rendre l’apprentissage facile. Les gens qui pensent hésitent à y recourir. Quand ils le font, c’est généralement pour exploiter ses possibilités d’interactivité autour d’un texte ou pour éviter d’avoir à se précipiter trop souvent aux bibliothèques, les grands documents étant de plus en plus régulièrement numérisés. Le jour où le papier électronique remplacera l’écran, les choses vont nettement s’améliorer. Nous retrouverons alors nos repères perdus. Y serons-nous vraiment en 2020 comme on nous le promet? C’est du côté des opportunités inédites que le rédacteur doit regarder pour intégrer Internet à sa panoplie d’outils de com-munication. En effet, seul le numérique permet l’agrégation instantanée du texte, de la parole, de la musique, des images fixes et animées, de l’exposé théorique, de la recherche documentaire et des tribunes de discussion. Tout cela, avec une lo-gique bien peu cartésienne à laquelle les plus vieux ont peine à s’habituer, comme on le constate en folksonomie.

 Feriez-vous de la folksonomie sans le savoir?

 Le néologisme folksonomie provient des mots anglais folks (les gens) et taxonomy (classification d’éléments). Ce qui signifie donc: «classification par les gens». Vous en faites peut-être sans le savoir quand vous déposez sur le Web des photos ou des commentaires. Voyez plutôt: Comment Université Paris Descartes définit la folksonomie. «Il s’agit, dans le cadre d’une application ou d’un site web, d’une méthode de classification collaborative de contenus Web, via des tags («étiquettes» ou «mots-clés»), réalisée par une communauté d’internautes: l’indexation des documents numériques est ainsi assurée par l’usager. «À l’inverse des systèmes hiérarchiques de classification, les contributeurs d’une folksonomie ne sont pas contraints à une terminologie prédéfinie ou un vocabulaire contrôlé ni à une organisation ou une structuration préétablie (les folksonomies ne reposent sur aucun thésaurus), mais peuvent choisir et adopter, en totale liberté, les termes qu’ils souhaitent pour classifier leurs

ressources. Les folksonomies sont donc avant tout centrées sur l’usager.» Comment Wikipedia décrit un peu plus la folksonomie. «Par exemple, le site Flickr permet le stockage massif des photos, accessibles par défaut à tout le monde. Le classement se fait, non en rangeant la photo dans un répertoire arborescent, mais en lui associant un ou plusieurs mots-clés. «Avec les mots-clés, les membres peuvent partager des photos sur le même thème et créer une sorte de communauté d’échange. Par ailleurs, chaque membre peut laisser des commentaires accessibles à tous sur chaque photo. L’ensemble des mots-clés d’une personne peut être visualisé par des nuages de mots clefs. Ce concept permet un survol de l’ensemble des centres d’intérêts d’une personne ou même d’un groupe.» On retiendra donc que la folksonomie se fonde sur une logique plus intuitive que structurée.

Les diverses façons de communiquer se rejoignent, se complètent, dialoguent; autant d’occasions pour le rédacteur de faire preuve de créativité. Que dire alors de demain? Le rédacteur pourra bientôt compter sur des outils évolués pour accéder aisé-ment à des contenus dispersés ou pour diffuser les siens, à la fois sur plusieurs plateformes et dans plusieurs contextes.

 2020 dans la boule de cristal d’André-Claude Potvin

Malgré un saut qualitatif si rapide qu’on a peine à en mesurer l’envergure, il semble bien que l’univers numérique que nous connaissons aujourd’hui sera déjà loin derrière nous en 2020. André-Claude Potvin énumère ici quelques fonctions nouvelles déjà en gestation dans les laboratoires. • le Web sémantique • l’intelligence artificielle • la reconnaissance vocale • l’interface orale

• la recherche par mots-clés dans une vidéo • l’écran tactile multi-touch • l’environnement 3D • le système de gestion de contenu • la sélection des sites par réputation professionnelle • le contenu généré par les utilisateurs • les archives générées automatiquement Que dire de celles que la génération montante est en train d’imaginer?

Pour André-Claude Potvin, «le travail du rédacteur en sera désormais un d’agencement de contenus multimédias». Car il faudra bien un chef d’orchestre, un maître d’œuvre pour mettre de l’ordre dans la surabondance documentaire. Un peu moins de rédaction, peut-être, un peu plus d’organisation de la pensée, assurément. Ce qu’il perdra d’un côté, il le gagnera large-ment ailleurs.

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GABRIELLE SAINT-YVES : «Je travaille à partir d’outils qui existent et qui sont facilement manipulables.»

 

octeure en linguistique, Gabrielle Saint-Yves navigue depuis de nombreuses années dans les eaux du Web. À l’Université du Québec à Chicoutimi où elle enseigne – tant à Saguenay qu’au campus de Sept-Îles –, elle a développé

une technique pédagogique exploitant les ressources d’Internet. L'écran d'ordinateur est devenu sa feuille de papier. Même pour enseigner la communication orale, la rédaction linguistique ou la terminologie, elle utilise Internet comme un moyen privilégié pour faire absorber et digérer la matière du cours. Elle réalise présentement une recherche sur un modèle d’enseignement dit «technopédagogique». Une approche, précise-t-elle, qui n'exige pas d'investissements poussés: «Je tra-vaille à partir d'outils qui existent et qui sont facilement manipulables.» Ainsi invite-t-elle les étudiants à créer leur propre blogue et à y déposer des travaux pratiques qui seront ensuite mis à la disposition de toute la classe. Le recours à l'interactivité étant déjà chose courante pour la génération montante, la communi-cation par le Web passe de purement sociale à hautement pédagogique. Et facilite l’apprentissage.  

Des générations de plus en plus courtes  La durée d’un génération, généralement évaluée à un quart de siècle, s’est rétrécie depuis que la technologie s’est emballée. C’est du moins ce qu’indique un article du New York Times du 10 janvier 2010 dont voici quelques extraits que j’ai traduits et adaptés de mon mieux. / JD ———— Des chercheurs prétendent que l’accélération des changements technologiques est en train de provoquer une série de sauts intergénérationnels, alors que les enfants de chaque sous-groupe d’une même génération évoluent en conséquence des nouveaux outils dont ils ont pu disposer dans les premières années de leur développement. «Des gens séparés par deux, trois ou quatre ans seulement ont une expérience complètement différente de la technologie» déclare Lee Rainie, directeur du projet Internet et vie américaine au Centre de recherche Pew. «Les collégiens ont peine à comprendre les performances des élèves du secondaire qui, à leur tour, n’arrivent pas à suivre les plus jeunes.»

Pour le Dr Larry Rosen, professeur de psychologie à l’Université d’État de Californie, les gens de la présente sous-génération, à la différence de leurs prédécesseurs, vont s’attendre à une réaction immédiate de leurs interlocuteurs, et à rien de moins. «Ils vont exiger de leurs enseignants une réponse instantanée à leurs questions et prétendre au droit d’entrer spontanément en contact avec n’importe qui. Et ce, tout simplement parce qu’ils ont grandi de cette façon. On les voudrait semblables à leurs frères et sœurs plus âgés [et plus patients], mais ce n’est pas le cas.» Les outils dits «intelligents» sembleront tout à fait naturels à cette nouvelle fournée d’internautes et d’usagers du cellulaire, qui décréteront que tous les appareils devraient désormais fonc-tionner de cette manière. Pour les fabricants, il y aura évidem-ment matière à saliver [littéralement: "start licking their chops"]. ———– Le rédacteur professionnel qui aura su comprendre les attentes de cette sous-génération se prépare un avenir lucratif au service des concepteurs d’outils «intelligents».

Apprendre en réseau, pourquoi pas? Cette façon de faire a de quoi inspirer un rédacteur. En effet, à l’image de ces réseaux sociaux populaires que constituent Facebook, Twitter, YouTube ou MySpace, il est possible – Gabrielle Saint-Yves en a fait la preuve dans ses cours – de créer des réseaux sociaux éducatifs. Des réseaux modelés sur ceux des entreprises. L'enseignante a d'ailleurs longuement exploré les versions organisationnelles de Facebook, tout autant que LinkedIn, Viadeo et les regroupements de blogues, façon Tikiwiki. La piste lui paraît donc toute tracée pour le rédacteur professionnel de de-main. Dans ces agglomérations étendues de sites, le rédacteur remplira deux rôles majeurs: (1) il rédigera des textes liant et harmonisant les documents des organismes participants; (2) il produira lui-même des documents spécialisés vendus à travers son réseau. Il se situera ainsi au cœur du savoir.

Pic de la Mirandole à la sauce numérique

Sous le titre Génération piton – surmontant une large photo d’étudiants rassemblés à la Cyberthèque de McGill – le maga-zine L’actualité faisait, il y a quelque temps, sa couverture avec un sujet prometteur, l’invasion de l’université par l’informatique. Tout le vocabulaire y était : «construction commune du savoir», tableau blanc interactif (TBI), télévoteur, «espaces collabora-

tifs», système COOL (COurses On Line). C’est Pïc de la Miran-dole qui serait content, lui dont la curiosité était insatiable. Quelques semaines plus tard, Le Devoir intitulait Le cours ma-gistral est mort, vive la techno une analyse de trois pages – plus critique toutefois – du même phénomène. Les TIC (technologies de l’information et de la communication) sont donc à la mode. En fait, elles servent trois causes, et le font bien :

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(1) grâce à un accès via les sens, elles maintiennent l’attention d’étudiants qu’un rien distrait; (2) grâce à un contact virtuel avec l’objet à connaître, elles facilitent le transfert d’information; (3) grâce aux simulations et à la possibilité d’interagir, elles soutiennent l’enracinement de ce qu’on apprend. Cela dit, il faut bien préciser qu’elles ne changent évidemment pas l’objectif éducatif, qui est toujours de cheminer – pénible-ment – vers la connaissance. Elles n’empêchent pas l’effort. Elles le repoussent un peu plus loin. La calculatrice ne règle pas les problèmes mathématiques; elle libère simplement de la tâche fastidieuse de faire soi-même les additions et les racines carrées; ce qui donne plus de temps au cerveau pour aller au fond des choses. Ainsi en est-il des TIC.

En 2020, au-delà d’un certain effet de mode rappelant celui qu’a connu l’audiovisuel dans les années soixante-dix, l’on retiendra sans doute des outils informatiques qu’ils auront mis à portée de clic tout le savoir universel, si cher à Pic de la Mirandole. Il faudra pourtant encore des professeurs pour aider l’étudiant à comprendre ce qu’on fait avec. Tout étant relatif, Le Devoir termine sa série d’articles par cette observation: «Les enfants préfèrent-ils les livres sur Abra [logi-ciel d'apprentissage] ou sur papier? Les vrais, de répondre une petite blondinette. Pourquoi? Parce que… on n’a pas besoin de cliquer.»

Des textes vendus sur Internet qui lui serviront de source stable de revenus? Bien sûr. Pourquoi pas, s'ils sont bien faits et répondent à un besoin? Car le temps de la gratuité achève. Les sites payants commencent déjà à se démarquer de ceux, telle-ment faciles à produire, où trônent l'amateurisme et le relativisme. Ce qui pose aussitôt une question sensible. Dans le flot documentaire d’Internet, comment faire le tri entre ce qui est va-lable et ce qui ne mérite qu'un regard furtif? Comment trouver une information fiable? Tout le monde sait que, sur le Web, le faux et le mal fondé côtoient le vrai plus souvent qu’autrement. On ne sait souvent plus «à quel site se vouer». C’est pourquoi des groupes commencent timidement à mettre sur pied des carrefours d’analyse critique où les pairs sont invités à évaluer les documents et le sérieux de leur auteur, comme on le fait depuis des lustres pour les textes académiques traditionnels. Encore du travail en perspective pour un rédacteur professionnel.

La fiabilité de l’information sur le Web

Notes tirées des propos de madame Saint-Yves et de ma propre expérience. / JD Internet est notoirement rempli d’erreurs et de faussetés. Comment savoir si une information qu’on vient d’y trouver est fiable? Voici quelques règles de prudence. 1. Ne pas se fier aveuglement à la première source trouvée même si elle est inscrite en tête de Google. Parcourir plusieurs sites, puis considérer attentivement les points de rapprochement et de divergence entre eux. Si l’unanimité est trop belle, vérifier si ces divers sites ne s’appuient pas tous sur une même source en amont. En revanche, si un seul site diverge considérablement d’avis par rapport aux autres, chercher soigneusement ce qui le justifierait d’être le seul «à avoir le pas». 2. Éviter d’accorder trop d’importance à la beauté plastique d’un site, à la qualité de son graphisme et de son iconographie; cela n’a rien à voir avec la pertinence du texte. À l’opposé, craindre les sites mal écrits, pleins de fautes de grammaire ou de for-mules toutes faites, qui témoignent d’un laisser-aller de la pen-sée. 3. Se montrer très prudent devant un site commercial ou com-mandité. Il risque d’être biaisé. S’orienter plutôt vers les sites

qui relèvent d’un organisme indépendant et reconnu, comme un centre de recherche ou une université. Mais là encore, ne pas manquer de recouper l’information, surtout si celle qu’on lit sort des sentiers battus. 4. Chercher des notes biographiques sur la personne qui signe l’information du site pour être en mesure de vérifier si elle est crédible. S’il n’y a pas de signature, le risque est grand qu’on se trouve devant une information «de seconde main». 5. Jeter un coup d’œil sur les liens proposés. S’ils conduisent vers des sites peu sérieux, alerte! Observer également la date de la plus récente mise à jour du site. Si elle indique un moment éloigné dans le passé, c’est le signe qu’il n’y a probablement pas beaucoup d’ébullition dans les «neurones» de ce site. 6. En résumé, se montrer aussi circonspect avec les sites d’Internet qu’on l’est avec les ouvrages vendus en librairie. Il est probable que, comme pour les livres aussi, aucun n’arrivera, à lui seul, à fournir intégralement l’information nécessaire ni à éviter complètement tout parti-pris ou toute déviance. Mais certains sont meilleurs que d’autres.

Un tel filtre s’avère particulièrement essentiel dans les milieux d’enseignement. Non seulement pour les blogues à prétention scientifique, mais aussi pour les encyclopédies de tout calibre dont il est souvent difficile de vérifier la crédibilité. Les pages de Google regorgent de sites dans tous les domaines du savoir, depuis la botanique jusqu’à la philosophie. Plus augmentera le nombre de ces sites, plus il deviendra urgent de distinguer le sérieux du volage. Le rédacteur sera sûrement appelé en renfort.

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NOTE COMPLÉMENTAIRE - automne 2011 Les outils numériques se perfectionnent d'année en année. Dans la foulée de l'ordinateur portable, la généralisation des ta-blettes numériques et des téléphones intelligents - libérés de tout lien filaire - accentue non seulement les échanges entre personnes, mais aussi la facilité d'accès au savoir. Où qu'il soit, chacun porte avec soi, en petit format, une encyclopédie complète. Du pain sur la planche, donc, pour un rédacteur professionnel spécialisé en «langage d'écran». Un écran de plus en plus petit, pour une information de plus en plus vaste.

4 - Quelle place pour la rédaction numérique en 2020 ?

Un nouveau rapport à l'écriture se fait jour

e rédacteur professionnel apparaît, dans l’imagerie populaire, comme un des gardiens des traditions. Il témoigne de la belle écriture comme un Écossais aime s’afficher en kilt. On va vers lui quand on a quelque nostalgie du passé, du

temps béni où les phrases étaient bien tournées et où les paragraphes se décoraient d'une lettrine. Or, le « vrai monde », c’est devant un écran interactif qu’on le trouve au quotidien. Le rédacteur sera-t-il déclassé ? Ou, au contraire, verra-t-il s’ouvrir pour lui un horizon privilégié ? Il n’en tient qu’à lui de choisir entre le passé et l’avenir. Le déferlement du numérique Le Web modifiera la profession de rédacteur. Mais peut-être pas de la façon d’abord imaginée. On a cru, un temps, que le multimédia en viendrait à remplacer une bonne part de l’écriture, reléguant le rédacteur à des tâches accessoires. Mais que voit-on à l’écran de l’ordinateur, du téléphone cellulaire ou du iPad ? De l’écriture, encore. Et qui rédige ces textes ? Un rédacteur professionnel, évidemment, qu’il en porte ou non le titre. Alors, où se trouve la modification dans l’exercice du métier ? Sans doute un texte pensé pour présentation à l’écran diffère-t-il d’une version pour papier ; sans doute la lecture sur fond lumineux est-elle plus difficile pour l’œil. Soit ! Il faut faire des phrases plus courtes, multiplier les espaces et les sous-titres. Mais là n’est pas la véritable nouveauté. Modification suscitée par la navigation Le changement dans la façon d’écrire provient surtout de ce qu’il est désormais possible de multiplier les sauts de puce – la navigation – d’un fichier à l’autre par voie d'hypertexte ; d’où une hiérarchisation nouvelle des niveaux de présentation. Si, de tout temps, les documents produits par les rédacteurs ont comporté des notes, des fenêtres, des encarts, des renvois, des annexes, le numérique propose un nouveau modèle d’interaction, y compris une disposition tout à fait originale permettant au lecteur de dialoguer et à l’auteur de modifier son texte en temps réel. En conséquence, le changement capital que le numérique entraînera sur l’exercice de la profession se situe dans son aptitude à donner cohérence à une multitude de sources informationnelles, surtout dans le contexte du Web 3.0 présentement en émer-gence. De plus en plus, en effet, l’on s’oriente vers une constellation de documents – écrits ou audiovisuels – qui formeront une vaste toile autour d’un thème et relieront ce thème à d’autres. Il faudra un maître d’œuvre pour coordonner cette circulation (car les pièces seront toujours en mouvement). Cette tâche, personne n’en a encore fait une profession à part entière. L’occasion à saisir au plan de la communication numérique Et pourquoi le rédacteur professionnel ne prendrait-il pas possession de cette fonction? Il y est déjà bien préparé. Qu’on pense au rédacteur en chef dans un journal. Ou au concepteur rédacteur en publicité. Ou encore au vulgarisateur scientifique ou au relationniste. Voilà des gens qui annoncent l’avenir pour l’ensemble de la profession, du fait qu’ils ont pour mandat, non seulement d’écrire, mais aussi d’unifier les façons diverses de s’exprimer selon les supports. Au spécialiste de l’écriture d’ajouter, d’ici 2020, la dimension d’intégrateur d'information numérisée à sa description de tâches, attendu qu’il fait déjà ce genre de travail en rédaction traditionnelle où il aménage depuis toujours les photos, planches, graphiques, vidéos et autres accessoires visuels.

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Nous sommes à un carrefour. La multiplication des moyens technologiques pour faire transiter l’information nous obligera à choisir : (1) soit nous cantonner dans notre mandat actuel de spécialiste de cette forme étroite de communication que consti-tue le document écrit, (2) soit nous orienter vers la tâche plus vaste de concilier et harmoniser toutes les facettes du multimé-dia dans des documents composites dont nous tiendrons les ficelles. Un mandat d'harmonisation Pour l’heure, intégrateur ou architecte de site, c’est encore le Far West. Dans les cours de rédaction, le multimédia, l’agrégation, les passerelles intersites n’occupent encore que des strapontins. Il faut vite modifier les priorités. Pourquoi le rédacteur professionnel devrait-il éternellement se confiner à l’isolement de son pupitre, dans l’ombre, humble tâcheron privé de reconnaissance sociale, considéré comme un domestique, alors que lui seul détient le trousseau des mul-tiples clés de la communication ? La profession de rédacteur ne consiste pas seulement à écrire. Elle comporte aussi des tâches de conception, d'intégration, de coordination et de gestion: tout ce qui touche le texte, de près ou de loin, est de son domaine. Or, le Web a un besoin urgent de ce genre de talent. Que les rédacteurs s’imposent avant qu’un autre corps de métier n’occupe cet espace qui devrait pour-tant leur revenir d’office et où ils excelleraient mieux que quiconque. Où en serons-nous en 2020 ? On n'est plus très loin de 2020... pour décider si notre profession se satisfera de ses habitudes confortables ou si elle est prête à faire le saut vers l’avenir, un avenir dont une seule chose est sûre, à savoir que – puisqu’il ne ressemblera pas au passé – certains métiers plus résolus y tireront les marrons du feu mieux que d’autres. Ce que la mutation numérique de la communication nous apprend avant tout, c'est que la rédaction professionnelle est placée devant un choix: stagner dans une façon d'écrire de plus en plus marginale ou prendre le risque d'innover en tirant parti des tendances. Le journal Le Devoir réalise depuis quelques années l’expérience de remplacer ses journalistes quotidiens par un certain nombre de nos meilleurs écrivains, le temps d’une journée. Cet événement porte le nom de Le Devoir des écrivains. Constat des uns et des autres : quelle différence d'approche, quelle disparité dans la façon de rapporter et d’interpréter les événments ! Nicolas Dickner : « Ma journée m'a permis de confirmer que vous faites un métier infernal. » Ce n’est pas parce qu’un écrivain et un journaliste savent tous deux écrire qu’ils sont pour autant interchangeables. Que dire alors du rédacteur professionnel et de son métier obscur, peu considéré, mal payé, encore artisanal à l’ère de l’économie post-industrielle ? Et puis, qui a vraiment besoin d’un rédacteur dans son entreprise ? Tant que ce besoin n’aura pas été établi, tant que les organismes, les industries et les commerces n’auront pas constaté qu'un rédacteur peut les assister, non seulement par l'écrit traditionnel, mais aussi dans les nouveaux médias, l'on considérera tou-jours notre profession comme élitiste, autrement dit marginale. Et tant que le rédacteur n'aura pas intégré l'informatique dans sa panoplie de moyens de communiquer, il restera toujours un peu à l'écart des grands courants. Un nouveau rapport à l'écriture Avec la démocratisation accrue de la société et l’avènement de technologies inédites pour communiquer, le rapport à l’écriture a changé, que nous aimions la chose ou pas. Alors quoi ? Nous isoler dans le souvenir de cette belle époque où la splendeur d’une phrase bien tournée témoignait de la culture ? Ou bien, reconquérir autrement le domaine de la langue, nous y implanter sur de nouvelles bases en faisant preuve d’imagination et en exploitant avec audace les voies émergentes ? À nous de décider de prendre notre place dans le monde de 2020. Une place à la hauteur de notre compétence, évidemment ; mais surtout une place si finement taillée pour la réalité à venir que nous y deviendrons nécessaires; on ne pourra plus se passer de nous. De nouvelles applications de la communication écrite sont en train de se créer. À nous de les intégrer à notre métier avant que d’autres ne s’en emparent.

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B - Perspectives sectorielles

1 - La rédaction administrative s'affirmera-t-elle conviviale ?

Dialogue avec Julie Jean et Bernadette Kassi

e toutes les formes d’écriture, la rédaction administrative est sûrement l'une des plus stables. On n’y trouve guère place pour la fantaisie ou l’exploration stylistique. Qu’il s’agisse de correspondance, d’ordre du jour, de procès-verbal, de rapport ou de quoi que ce soit d’autre, le phrasé semble avoir été fixé à jamais depuis l’époque des tablettes d’argile

et des papyrus. L’Administration – observez le «A» majuscule – a toujours témoigné de son pouvoir par une façon d’écrire ampoulée, à odeur de rite éternel. Une sorte de langage crypté entre maîtres politiques et économiques, pas du tout pensé pour le «petit peuple». Quand le «petit peuple» apprit à lire, il n’eut d’autre choix que de se soumettre passivement à cette approche langa-gière. Quand le roi parle, les sujets écoutent. Le remplacement révolutionnaire des anciennes élites n’y changea rien. Les nouveaux maîtres maintinrent la formulation traditionnelle des communications avec la population: du haut vers le bas, avec les mots de ceux d'en haut. Le croirait-on? La véritable démocratisation des rapports administratifs n’en est qu’à ses débuts. Et elle se fait encore diffici-lement, tant il est malaisé pour un fonctionnaire de concilier sa tâche de représentant d’une «autorité» toute-puissante et celle de correspondant avec le «grand public».

Savoir communiquer avec le grand public

Il existe de fort nombreux ouvrages sur les codes de la rédaction administrative. Il s’agit, en effet, d’un sujet inépuisable pour les linguistes, grammairiens et autres spécialistes. Les talmudistes de la langue en ont même fait leur fonds de commerce. Les disputes entre gens de lettres y ont parfois l’allure de batailles rangées. Car le résultat marquera pour long-temps l’autorité morale du vainqueur. En effet, si la rédaction administrative doit refléter la majesté du Pouvoir, puisque tel en est le postulat de base, son corollaire est tout aussi important: la façon d’écrire doit faire autorité en demeurant uniforme et constante dans tout l’appareil administra-tif. En conséquence, qui saura imposer sa thèse linguistique le fera pour longtemps. Pendant des générations l’on écrira comme il a dit qu’on devrait le faire, par delà les modes et les caprices. Or, le gouvernement du Québec fit entrer une bouffée d’air frais, en 2006, lorsqu’il publia, sous la plume d’Isabelle Clerc et d’Éric Kavanagh, un guide de rédaction administrative, intitulé De la lettre à la page Web, dont le sous-titre annonçait une orientation nouvelle: «Savoir communiquer avec le grand pu-blic.» On venait de prendre la question «par l’autre bout», c’est-à-dire du côté du lecteur. La manière d’écrire, on ne la fixait

plus à partir de règles académiques, mais en considérant la façon dont les gens reçoivent l'information. On chercherait en vain dans cet ouvrage-là des normes à suivre scrupuleusement. Il n’y a pas de modèles absolus pour les lettres, les courriels ou les formulaires. Seulement des gabarits – soigneusement isolés du texte par des encarts – pour l’uniformisation visuelle des documents de l’État. L’essentiel du document vise autre chose. Car les 375 pages du livre sont majoritairement constituées d’une patiente explication des moyens à prendre pour mieux dialoguer avec le public. Elles sont bourrées de suggestions… qu’on ne transforme jamais en consigne autoritaire. Ajoutons que, dans la même veine, le gouvernement fédéral a publié, en 2003, une trousse d’outils pour faciliter la communi-cation avec les personnes moins instruites. Intitulé Pour des communications réussies ce recueil – sensible aux attentes des citoyens – constitue un autre travail véritablement respectueux de l’intelligence du «petit peuple». Voir aussi : La profession de rédacteur, Fides 2009, pp 41-63.

Mais l’avenir annonce un meilleur équilibre entre les deux interlocuteurs. Désormais, l’État doit négocier avec ses sujets, et ses échanges écrits s’en ressentent. À cet égard, certaines expériences sont prometteuses. Peut-être en avez-vous vécu quelques-unes?

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JULIE JEAN : « On va suivre l’évolution des logiciels. »  

itulaire d’une maîtrise en littératures française et québécoise et d’un doctorat en sciences de l’éducation, Julie Jean partage son temps entre la rédaction d’ouvrages didactiques et l'enseignement à l'Université de Montréal. À Chenelière

Éducation: production de guides de rédaction et de présentation d’écrits professionnels. À la Faculté des arts et des sciences: enseignement au Département de linguistique et traduction. À la Faculté de l'éducation permanente: enseignement au Certificat de rédaction; poste qu'elle occupe depuis 1990, ce qui fait d'elle un pilier du corps professoral. Au cours RED 2000 La rédaction administrative, elle aborde particulièrement les difficultés lexicales et stylistiques dans la correspondance, les rapports et les autres documents de même nature. Consciente de la continuité du discours administratif à travers les siècles, elle n’en a pas moins observé une certaine évolution dans la façon de rédiger les documents officiels au cours des vingt ou trente dernières années. Sans doute la struc-ture d’un texte administratif demeure-t-elle constante. Il en est de même de sa forme (pour ce qui est, par exemple, des for-mules d’appel et de salutation). Mais la construction des phrases et la présentation visuelle se sont beaucoup améliorées depuis qu’on a recours au traitement de texte. On peut désormais modifier cent fois ses paragraphes sans avoir à tout reprendre ou encore disposer les pages de diverses façons avant d’expédier le document.  Le style aussi s'est «décorseté». Jamais de façon radicale. Par petites touches, plutôt. De sorte que, pour bien saisir le chemin que la rédaction administrative a parcouru à travers le temps, il faut regarder très loin derrière. Et souvent à travers la corres-pondance provenant des administrés eux-mêmes. L’on découvre alors que la façon de dire a beaucoup changé à mesure que la démocratisation creusait lentement son sillon dans nos sociétés. Quand on demande à madame Jean si les étudiants en rédaction administrative suivent la cadence, il lui faut convenir à con-trecœur que, si leur rapport au texte a évolué, ce n'est pas toujours pour le mieux. En effet, elle ne peut s'empêcher d'observer le déplacement de leurs difficultés grammaticales, depuis l’orthographe, hier, à la syntaxe, aujourd’hui. De sorte que, désormais, c'est l'architecture même des phrases qui est affectée. Les correcteurs automa-tiques qui devraient leur servir de garde-fou ne semblent pas toujours jouer pleinement leur rôle. À moins qu’au contraire, les étudiants s’y fient trop aveuglément, sans comprendre la logique et les limites de leur fonctionnement. Pour le plaisir de ses collègues, Julie Jean s’amuse d’ailleurs à montrer l’étonnante évolution du style d’une simple lettre de demande d’emploi, telle que formulée respectivement en 1664, en 1863 et en 2013 (voir page suivante). Et l’avenir, à l’horizon de 2020 ? Pour Julie Jean, ce qu’il faut surveiller d’abord, c’est l’impact des outils informatiques dans la façon de rédiger : « On va suivre le développement des logiciels. » Car, si les logiciels facilitent la structuration d'un document, ils ont comme effet secondaire de rendre le rédacteur dépendant des préférences du traitement de texte. Ce qui est contraire aux rapports que l'homme devrait entretenir avec la machine. Si le système propose par défaut des formats, des puces, des façons de numéroter, des trames ou des bordures, il faut une réelle autonomie de pensée pour se débarrasser de ces ornements quand on n'en a pas vraiment besoin ou qu'on lui en préfère d'autres. Y aura-t-il, un jour, des logiciels qui prendront en charge la rédaction complète des documents formels, un peu à la manière des formulaires? Réponse de Julie Jean: «Peut-être; mais je ne vois pas encore comment.» En revanche, on devra être particulièrement sensible au changement de mentalité chez les chefs d’entreprise, puisque c’est bien à leur intention qu’on rédige des documents. Or, il est évident que plusieurs d’entre eux ont tendance à «laisser tomber la veste», linguistiquement parlant, sous la nécessité de communications toujours plus rapides et concises. Peut-être la forme de la rédaction administrative devra-t-elle, un jour, suivre cette voie. Julie Jean est prête à s’y soumettre, si nécessaire. Mais on aura alors perdu un brin de civilité linguistique.

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L'évolution de la lettre

par Julie Jean, Université de Montréal

Quand on examine les modifications survenues au cours des vingt dernières années dans la rédaction administrative, on constate qu’il n’y a pas eu de très grands changements dans ces types d’écrit. Il existe bel et bien une tradition administrative profondément ancrée dans l’usage, qui laisse bien peu de place à l’originalité des rédacteurs. Par contre, quand on remonte aux siècles passés, on se rend compte que ce qui a changé dans ce domaine de l’écrit, c’est une modernisation dans le style admi-nistratif. Même si les formules épistolaires – d’appel, d’introduction, de conclusion et de salutation – sont toujours actuelles, le langage administratif caractérisé par l’utilisation de termes techniques, de substantifs, de locutions verbales, de tournures hypothétiques et dubitatives tend vers une plus grande simplification. Pour mieux illustrer notre propos, voici une lettre de demande d’emploi, rédigée à trois époques différentes, mais qui respecte les lois et règles du genre. En effet, les trois lettres renferment des formules épistolaires. Extraites du Secrétaire canadien et du Secrétaire français, les deux premières lettres ont été publiées dans la revue Secrétaire moderne du mois de mars 1988 (recherchiste: Danielle Tur-geon). Elles utilisent la troisième personne pour bien montrer que l’expéditeur s’adresse à un supérieur hiérarchique. La lettre-type d’aujourd’hui est écrite à la première personne du singulier (on aurait pu employer également la première per-sonne du pluriel). De nos jours, le tour indirect est considéré comme désuet. 1664 Monsieur le surintendant, Le soussigné Jean Proulx a l’honneur de vous exposer que l’augmentation de sa famille et les malheurs immérités qu’il a éprouvés l’ont mis dans une position telle que le plus mince emploi qui lui serait accordé serait un bienfait inestimable pour lequel sa reconnaissance serait éternelle. Dans ces circonstances, Jean Proulx a naturellement recours au digne et respectable Monsieur le surintendant, qui ne cesse de se montrer digne de cette noble mission. Jean Proulx a reçu une bonne éducation et il serait incontesta-blement fort capable de remplir la place de commis si vous

daignez la lui accorder. Venir en aide à cette famille, Monsieur le surintendant, serait à la fois lui rendre justice et faire une bonne action, et vous vous êtes toujours montré si juste et si bienfaisant qu’elle est pleine d’espoir en vous. J’ai l’honneur d’être, Monsieur le surintendant, Votre très humble et très respectueux serviteur. 1863 Monsieur, On m’a dit que vous avez besoin d’un commis; sans autre appui près de vous qu’une bonne écriture, la connaissance des calculs, une conduite sans reproche, j’ai Jean Proulx, de votre ville, pour répondre. Puis-je espérer que vous voudrez bien m’associer à vos travaux? Mon zèle, une assiduité constante à tous les devoirs de l’emploi que vous daignerez me confier prouveront, Monsieur, mieux que tout ce que je pourrais dire combien est grand le désir d’être admis dans une maison telle que la vôtre. Quelle que soit votre réponse, croyez, Monsieur, que je n’en serai pas moins Votre très humble serviteur. 2011 Objet : Candidature au poste de commis comptable Monsieur le Directeur, En réponse à votre annonce parue dans le site Internet du 15 octobre dernier, je désire poser ma candidature au poste de commis comptable à pourvoir dans votre firme. L’intérêt que je porte à votre organisme est lié à son secteur d’activité et à la chance qu’elle m’offre de mettre en œuvre toutes les compé-tences que j’ai acquises dans la comptabilité d’entreprise. Vous constaterez, à la lecture de mon curriculum vitæ ci-joint, que ma formation et mes connaissances de petites et moyennes entreprises me permettraient de remplir efficacement toutes les fonctions exigées. En conséquence, je vous serais obligé de bien vouloir m’accorder une entrevue pour mieux évaluer ma candidature. Je suis disponible pour vous rencontrer n’importe quel jour de la semaine, du lundi au vendredi. Dans l’attente d’une suite favorable, je vous prie d’agréer, Mon-sieur le Directeur, mes salutations distinguées. Jean Proulx p.j. Curriculum vitæ

BERNADETTE KASSI : «L’Administration est désormais consciente de la nécessité

de tenir compte du destinataire.»

ernadette Kassi, directrice du Module des lettres au Département d'études langagières de l'Université du Québec en Outouais (UQO), est au nombre de ces femmes qui savent mener de front la vie de mère de famille et une activité

professionnelle chargée. Une double fécondité, quoi! Comme chercheuse et enseignante son attention se porte vers l'univers des mots. Tout ce qui touche à la langue l'intéresse, depuis la littérature francophone – avec un penchant bien naturel pour les textes subsahariens – jusqu’aux diverses théories littéraires en narratologie, sociosémiotique ou analyse du discours.

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Mais ce qui exige le plus d'elle, à l’heure présente, au plan professionnel, c’est le Centre de recherche en technologies langa-gières (CRTL), une instance dont l’Université peut s’enorgueillir. Bernadette Kassi vient d'y achever un projet original, bien représentatif de la façon dont le CRTL aborde un dossier. (1) La collaboration d’abord: dans le cas de cette recherche, c’est entre l’UQO, Le Pavillon du Parc (organisme parapublic), la Ville de Gatineau, le gouvernement fédéral et le Ministère de l’éducation du Québec. (2) Le sujet ensuite: comment présen-ter des documents administratifs à des gens à peine alphabétisés et, pour cela, qualifiés de «personnes vulnérables». Hier, «l’Administration avait de l’information à transmettre, et elle le faisait comme elle l’entendait.» À cause du faible taux d’alphabétisation, très peu de citoyens avaient donc accès à cette documentation. Aujourd’hui, «les citoyens sont de plus en plus avides d’obtenir une meilleure information; plus facile à digérer aussi.» Il faut désormais se faire comprendre même des gens des niveaux de littératie 1 et 2 (la moyenne étant de 3 sur une échelle de 5). À cet égard, Bernadette Kassi est formelle: «L'Administration est désormais consciente de la nécessité de tenir compte du destinataire.»

Le Centre de recherche en technologies langagières

Le pavillon F du campus principal de l’Université du Québec en Outaouais, à Gatineau, est consacré aux langues. Le cœur en est le Centre de recherche en technologies langagières (CRTL). L’implantation de cet organisme est le résultat d’une entente entre l’Université, le Conseil national de recherches (CNRC) et le Bureau de la traduction, en vue de soutenir l’industrie cana-dienne de la langue. Il s’agit, plus précisément, d’un carrefour en étoile où se rencon-trent l’informatique, les sciences de l’information, l’ingénierie, les études langagières et la traduction. Les activités qu’on y poursuit depuis son inauguration, en 2006, visent à mettre au point des applications intégrées de traitement de l’information multilingue.

On y travaille donc autour de projets précis, comme celui piloté par Bernadette Kassi. Pour l’UQO, le Centre constitue un pôle d’excellence majeur. L’Université ambitionne même de devenir le chef de file mondial en ce domaine. À l’échelle du pays, cette instance s’impose déjà comme un levier essentiel au développement de grappes industrielles en technologies langagières. L'attention des chercheurs se porte principalement vers les outils susceptibles d’accroître la productivité (1) en traduction et (2) en génération de contenu multilingue et multiculturel. En quelques années à peine, l’UQO a su développer une compétence considé-rable en matière de normes terminologiques, de contrôle de la qualité linguistique et d’établissement de bases de données.

Une étude Bernadette Kassi Comme point de départ de sa recherche sur la façon de présenter les documents administratifs à des personnes peu instruites, Bernadette Kassi s’est fondée sur deux principes incontour-nables de toute écriture: la lisibilité et l’intelligibilité. En d’autres mots, un document ne sera lu et compris que: (1) s’il est typographié clairement, «avec des caractères assez gros» et sans mise en page trop compliquée pour des gens qui ne lisent pas souvent; (2) si le choix des mots et la construction des paragraphes sont mentalement accessibles à des gens qui ont peu de vocabulaire. Cette étude a conduit à la production d’un Guide de rédaction à l’intention des agents d’information de la Ville de Gatineau, en vue de leur rendre plus facile la communication avec une tranche de la population qui peine avec les mots écrits.

Voilà un exemple qui illustre la sensibilisation croissante des pouvoirs publics à l’égard de la capacité de lecture des citoyens. Fini le regard hautain: «S’ils ne comprennent pas, tant pis pour eux.» On assiste désormais à un renversement d’attitude: «C’est à nous de communiquer pour nous faire comprendre.» De l’avis de Bernadette Kassi, cette façon de faire ne saura que croître; car, répète-t-elle, «l’Administration est consciente de la nécessité de tenir compte du destinataire.» Tant Ottawa que Québec en donnent déjà l’exemple. Même souci du côté des textes juridiques, comme en fait foi l’initiative d'« Éducaloi ». Les documents des compagnies d’assurance devraient suivre en favorisant une meilleure lisibili-té et intelligibilité de leurs polices.

Tous les modes de communication en entreprise sont donc en train de se modifier. Les anciens se présentent différem-ment. De nouveaux apparaissent. Un soutien administratif particulièrement original – en plein essor – porte sur la façon d’informer les décideurs d’un problème qui commande une réponse rapide. Les Anglais parlent, à ce propos, de «briefing»; ce qui se traduit bien par «breffage», un mode d’intervention qu’on enseigne désormais à l’UQO. Le changement actuel de mentalité peut donc prendre diverses directions. Ainsi, les organisations s’entraînent-elles progres-sivement à adapter la charpente d’un document selon qu’il sera présenté sur papier ou de façon numérique.

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Traditionnellement, la logique d'un texte incitait au traitement consécutif de chacun des aspects abordés, un à un. Aujour-d'hui, en environnement hypertextuel, «on répartit plutôt l’information selon le principe de pertinence», précise Bernadette Kassi: d’abord l’essentiel, puis, par arborescence, les aspects qui en découlent, selon leur niveau d'importance. Par étapes, en tirant parti des possibilités qu’offre la navigation, l'on conduira donc l’internaute vers des considérations de plus en plus précises, tout en lui ouvrant des portes latérales en cours de route. Tout cela, dans une présentation empreinte de convivialité. La proximité et la familiarité du Web ont eu tendance, jusqu'à maintenant, à s’opposer à la rigueur distante de la rédaction administrative traditionnelle. Pour Bernadette Kassi, cet affrontement n’est que provisoire. Un accord est inévitable. Le temps joue en ce sens. Le breffage en est un bon exemple.

Le breffage

Sous ce néologisme on aura reconnu le mot «bref» qui, après avoir traversé la Manche, est devenu «brief», d’où l’on a tiré «briefing» avant qu’il ne repasse le Channel dans l’autre sens. Ce qu’est le breffage - Le breffage est une activité administra-tive qui consiste à donner à un groupe de décideurs une informa-tion commune qui sera exacte, à jour et fiable, à propos d’une situation délicate face à laquelle il faut réagir rapidement. Exemple: les médias se penchent comme des ogres sur un pré-sumé scandale dans votre entreprise. Vous demandez aussitôt à votre directeur des relations publiques d’éviter la conflagration en multipliant les messages rassurants. Rien n’y fait. La presse s’acharne. Il faut agir. Que faire? La réaction officielle de l’entreprise doit être rapide, efficace, sans reproche. S’agit-il de rumeurs non fondées qu’il faut faire taire? Ou d’une malheureuse réalité à laquelle on devra s’attaquer? Mais comment? C’est ici qu’intervient le breffage, séance d’information où l’on informe les décideurs des diverses dimensions de la question en

cause et leur propose des pistes de solution, afin qu’ils soient en mesure de prendre une décision cohérente. Le texte de soutien au breffage - La séance de breffage s’appuie toujours sur un document concis (deux ou trois pages), dépouillé de tout artifice. Vu l’importance de chaque détail, on fera géné-ralement appel à un rédacteur professionnel, parce qu’il est entraîné à écrire (1) pour des situations précises, (2) en fonction de publics bien circonscrits. Vu la double nécessité de ratisser large et de parvenir vite à une décision, l’on confiera généralement à ce rédacteur la maîtrise d’œuvre de l’opération, c’est-à-dire non seulement la rédaction du texte final, mais aussi la recherche documentaire, l’organisation du contenu et l’adaptation linguistique. Il s’agit donc d’une responsabilité majeure. Une spécialiste du breffage - Au Québec, la technique du bref-fage a été principalement expliquée et popularisée par la regret-tée professeure Christiane Melançon, attachée jusqu’à son décès au Centre de recherche en technologies langagières de l’UQO. Madame Melançon était également membre de la Société qué-bécoise de la rédaction professionnelle.

La rédaction administrative : perspective pour 2020 Conclusion provisoire par Jean Dumas

Si elle peut se targuer de constituer la plus antique forme de l’écriture, la rédaction administrative connaît présentement un virage majeur : elle se démocratise. Soutien du pouvoir depuis quatre millénaires, elle avait depuis toujours adopté un langage autoritaire. Elle apprend maintenant le dialogue ; elle s’entraîne à écrire en fonction du récepteur autant que de l’émetteur. Ce mouvement ne pourra aller que croissant dans les prochaines années, même si la route risque d’être ca-hoteuse. Un exemple tout simple : on a chassé le beau mot « hospice », du latin hospitium – « hospitalité » –, pour le remplacer par le bureaucratique et insignifiant CHSLD. Comment s’y prendre pour réhumaniser le concept ? Le rédacteur de 2020 devra donc se sensibiliser au public cible des organisations, surtout à cette portion de la population pour qui la lecture n’est pas un acte qui va de soi.

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2 - La rédaction de vulgarisation scientifique exigera-t-elle qu'on soit savant ?

Dialogue avec

Nathalie Kinnard et Linda de Serres

ans cette planète scientifique devenue si complexe qu’il est impossible de tout savoir, chaque domaine de connais-sance possède sa logique, son jargon, ses clefs, ses outils. Le savant d'une discipline différente, même voisine, n’y a

pas accès. Tous ces mondes sont clos sur eux-mêmes. Cet isolement est pernicieux. Pour qu'un savoir global progresse, il faut, au contraire, multiplier les passerelles. Au sommet: des sages qui feront voir la convergence des divers sentiers de l'intelligence. À la base: toute une population en quête d’initiation, d’érudition, de culture scientifique sans frontières. C’est au confluent du savoir établi et du goût de connaître que le vulgarisateur scientifique apportera un concours irrempla-çable. Pourquoi lui? Parce que lui seul s’est professionnellement entraîné à accorder la priorité au destinataire. Il s'agit là d'une contribution essentielle au déploiement scientifique. Une science qui ne se propage pas dans toutes les couches de la population devient vite une discipline sectaire. C'est pourquoi elle a besoin de rédacteurs professionnels pour rayonner. Mais ceux-ci doivent-ils être eux-mêmes hautement spécialisés? Les avis diffèrent.

Cibler correctement le public

Si un texte de vulgarisation vous paraît pauvrement écrit, n’accusez pas trop tôt le rédacteur. Peut-être ne faites-vous tout simplement pas partie du public qu’il ciblait. On en a eu un bel exemple avec la multitude de documents explicatifs que nous a valus la pandémie de grippe A(H1N1). Le mal étant nouveau et largement publicisé, l’univers entier a eu accès à la même information en même temps, ce qui est rare. Les autorités médicales de toute la planète ont donc dit exacte-ment la même chose sur les divers aspects de cette infection: (1) en quoi consiste-t-elle? (2) comment la reconnaître? (3) quels en sont les risques? (4) comment s’en prémunir? (5) à quoi sert le vaccin? Un seul document, traduit dans toutes les langues, aurait-il pu informer les six milliards d’êtres humains d’un seul coup? Non. Pourquoi? À cause de la multiplicité des «publics». Comparons deux approches. La présentation de Québec Science À l’occasion de la pandémie, Québec Science a joint à sa livrai-son de novembre 2009 un «guide pratique» sous forme de bro-chure détachée. À qui s’adressait ce texte? Magazine de vulgarisation scientifique, Québec Science a son audience de gens curieux, suffisamment instruits pour saisir des concepts difficiles, quoique profanes à l’égard des sujets traités. On a donc opté pour le graphisme agressif, l’illustration, l’entrevue de spécialistes, les encarts et un niveau rédactionnel plutôt recherché: • La catastrophe annoncée aura-t-elle lieu? • À quoi ressemble l’ennemi? • La ligne de défense • Faut-il avoir peur du vaccin?

La présentation du ministère de la Santé Sur un tout autre registre, le ministère de la Santé et des Services sociaux a fait livrer à chaque foyer du Québec un «Guide auto-soins» étalant la même information que celle présentée par Québec Science. Mais dans une approche bien différente. En effet, le spectre des lecteurs visés – les sept millions de Québécois –s’étendait des plus lettrés aux presque analphabètes. C’est surtout ces derniers qu’il fallait atteindre. Si l’autorité reconnue des rédacteurs de Québec Science en est une de compétence, celle du Ministère est de nature politique. Aussi, dès la page couverture pouvait-on lire: «Ce que vous DEVEZ savoir, ce que vous DEVEZ faire». Tout au long des pages, l’accent était mis sur la description (des personnes à risque, des symptômes, des conseils, des soins) plutôt que sur l’évocation. La langue était directe, sans effet de style: • Pourquoi un guide autosoins? • Pandémie et grippe • Conseils santé • Mesure d’hygiène • Aide à la décision Dans les deux cas… Une fois ces distinctions établies, il importe de retenir que, dans les deux cas, l’auditoire a été hautement respecté. Ni le docu-ment de Québec Science ni celui du Ministère n’a traité son lecteur en enfant. Si différents qu’ils aient été, les deux textes étaient rédigés de telle manière qu’on se sente toujours valorisé, considéré comme un adulte «capable de comprendre». C’est bien à cela qu’on reconnaît une vulgarisation valable. Voir aussi : La profession de rédacteur, Fides 2009, pp 65-70.

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NATHALIE KINNARD : «Les chercheurs sont en train de découvrir l’importance de la vulgarisation.»

édactrice scientifique, Nathalie Kinnard est récemment retournée au journalisme pigiste après avoir œuvré à la vulgari-sation d'une science en émergence encore mal connue, la photonique. À l'Institut canadien pour les innovations en

photonique, elle partageait son enthousiasme avec les étudiants de l’Université Laval où elle s’était vu confier le cours FRN 3200 - Vulgarisation scientifique. À l'institut, Nathalie Kinnard s'est employée à la vulgarisation par la voie de bulletins, de dépliants pour kiosques d’exposition, de résumés de textes techniques. Également à travers un site Web, pour le grand public, et l’Intranet, pour les gens du milieu. Selon ce que lui a révélé l'expérience, l’avenir de la vulgarisation scientifique s’annonce rose. Les médias s’y intéressent plus qu’autrefois et multiplient les chroniques. Les journaux ont leur «colonne» scientifique régulière; les radios, leur «capsule». Ces propos touche-à-tout maintiennent l'intérêt du grand public. Pour le vulgarisateur, l’essentiel de la tâche est pourtant ailleurs. Car «les chercheurs sont en train de découvrir l'importance de la vulgarisation», au point de réclamer le concours de rédacteurs spécialisés.

Vulgarisez la photonique! Voici un petit exercice pour vous permettre de mesurer vos aptitudes en vulgarisation scientifique. Mise en situation Qu’est-ce que vulgariser? Pour Nathalie Kinnard : «Vulgariser, c’est mettre des connais-sances techniques ou scientifiques à la portée des non-spécialistes. C’est expliquer sans enseigner, en adaptant son discours aux connaissances de son public.» Qu’est-ce que la photonique? La photonique traite de la lumière: comment elle surgit et se transmet, comment on peut la détecter et la manipuler. Ses applications sont hautement stratégiques: télécommunications, surveillance, sciences biomédicales, procédés industriels, tech-nologie de l’information. Pourquoi l’ICIP doit-il vulgariser la photonique? L’Institut canadien pour les innovations en photonique (ICIP) doit constamment vulgariser, vu qu’il a pour mission d’accélérer le transfert de connaissances et de technologie vers l’industrie.

Que fait l’ICIP à l’Université Laval? L’ICIP a choisi l’Université Laval comme port d’attache parce qu’elle constitue l’une des institutions phares en ce domaine, avec une réputation qui dépasse largement nos frontières. Que fait l'Université pour l'ICIP? En retour, et pour faciliter la convergence, l’Université abrite l’ICIP dans le pavillon même où loge sa Faculté des sciences et de génie et où s’enseigne cette discipline. Science et enseigne-ment –> enseignement et applications –> applications et vulgari-sation: toute la chaîne se tient. Et maintenant… Faites l’exercice d’expliquer succinctement la photonique à un cercle de photographes amateurs. Vous découvrirez sans doute que «vulgariser, ce n’est pas si simple.»

Tout part d’une intention bien terre-à-terre: pour améliorer ses chances de décrocher une subvention, le savant doit s’exprimer avec des mots que les fonctionnaires comprendront. Le résumé «en langage accessible» que préparera un rédac-teur compétent fera souvent la différence entre un oui et un non. Ce n’est pas tout, précise madame Kinnard. La notoriété que les universitaires acquièrent quand un rédacteur les aide à s’exprimer en termes familiers dans les médias donne un bon coup de pouce à leur carrière. C’est pourquoi, précise-t-elle, «les chercheurs ressentent de plus en plus l’importance de faire passer leur message dans la population en le vulgarisant.» Cette tendance ne pourra aller qu’en croissant.

La science rendue accessible  De tous les domaines du savoir, c’est celui des sciences pures et appliquées qui exige le plus d’effort pour se mettre à la portée des non-spécialistes. Prenez plaisir à jeter un coup d’œil sur les quelques sites de vulgarisation ci-dessous… Mais ne manquez pas de revenir lire la suite de notre enquête! NATURE DE LA VULGARISATION SCIENTIFIQUE: - Écrire la vulgarisation scientifique aujourd'hui SOURCE BIBLIOGRAPHIQUE GÉNÉRALE: - Vulgarisation et culture scientifique (Bibl. UQAM)

VOYAGE À TRAVERS LES SCIENCES: - Le réseau québécois en innovation sociale - Association des communicateurs scientifiques du Québec - Cyber Sciences, de Québec Science - Agence Science Presse - Les débrouillards LA VULGARISATION SCIENTIFIQUE EN FRANCE: - C@fé des sciences - CNRS Info (Centre national de la recherche scientifique)

Une fois acquis à l’idée que la vulgarisation de ses travaux ne constitue pas un rabaissement, mais plutôt une mise en rela-tion, le chercheur ne trouvera ensuite que des avantages à suivre cette piste. Le vulgarisateur l'épaulera en lui répétant cons-tamment la même question: «Quel public précis cherchez-vous à joindre?»

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À quoi – demain autant qu’aujourd’hui – reconnaîtra-t-on un bon vulgarisateur? Nathalie Kinnard: «Être capable de se mettre dans la peau de quelqu’un qui ne connaît pas le sujet.» En pratique: exploiter judicieusement la comparaison, l’exemple, l’illustration. Et comment décèlera-t-on qu'on a les aptitudes requises? Madame Kinnard résume ainsi les quatre exigences du métier:

1 - français de qualité: le vulgarisateur n’aura pas seulement une syntaxe correcte, mais plus encore un style qui suscite et maintient l’intérêt; 2 - vaste bagage culturel: le vulgarisateur sera en mesure de faire le lien entre diverses disciplines et plusieurs niveaux d’érudition; 3 - vive curiosité: le vulgarisateur trouvera du plaisir à s’intéresser à tout, de sorte que la traduction d’un sujet difficile en mots simples prendra pour lui l'allure d'un jeu; 4 - facilité à expliquer : à la manière d'un journaliste, le vulgarisateur se plaira à faire comprendre en termes courants l'ar-rière-plan des nouvelles.

Si les gens s’intéressent à la manière dont il sait résumer une situation, si leur attention se maintient, il pourra conclure qu'il a la bosse du rédacteur scientifique.

LINDA DE SERRES : «Le futur vulgarisateur scientifique de talent

aura, comme Arcimboldo, un esprit savant.»

résentons d'abord Arcimboldo. Ce peintre italien du 16e siècle, surréaliste avant l’heure, composait des têtes en assem-blant des plantes et des légumes. On sait moins qu’il était également versé en architecture, en musique et en botanique.

Par la variété de ses connaissances, il symbolise le vulgarisateur scientifique de demain. Présentons maintenant Linda de Serres. Elle enseigne depuis 1995 au Département de lettres et communication sociale de l’Univ. du Québec à Trois-Rivières. Systématique, elle ouvre la conversation par une définition de la vulgarisation scienti-fique, celle qu'elle a trouvé dans Antidote: «mettre des connaissances techniques et scientifiques à la portée du grand public.» À cet égard, elle a multiplié les rapports de recherche, les travaux en commandite et les causeries savantes. Elle a aussi étudié les vulgarisateurs de talent, tels: Jean-Marie De Koninck, mathématiques, Hubert Reeves, astrophysique, Albert Jac-quard, génétique, Julie Payette, ingénierie spatiale, Fernand Seguin, biochimie, Daniel Pinard, sociologie, Jean Abitbol, mé-decine. Elle connaît particulièrement bien ceux issus de la Mauricie: l’historien Jacques Lacoursière, le chef d’orchestre Jacques Lacombe, le théologien et musicien (Mgr) Claude Thompson, la botaniste (Sr) Estelle Lacoursière. À cela elle ajoute les multiples publications et activités à l’intention des jeunes, comme Les petits débrouillards, Expo‐Sciences ou Sciences en folie. Dans ce château-fort de la langue que constitue, à Trois-Rivières, le pavillon Ringuet de l’UQTR, Linda de Serres sait donc l’importance de la vulgarisation et en connaît toutes les techniques. Elle n’a pas de peine à imaginer le profil du vulgarisateur de 2020. Dans dix ans, affirme-t-elle, il y aura un tel enchevêtre-ment interdisciplinaire que «plusieurs décideurs seront dépassés par les renseignements à traiter ou à mettre en relation.» Ils devront alors faire appel à un débroussailleur. «La vulgarisation scientifique sera, plus que jamais auparavant, une nécessité absolue dans la mesure où un humain ne peut à lui seul être expert dans moult champs de connaissances.» (1) Quel sera le marché du travail en 2020? «Les parcours professionnels seront moins verticaux qu’horizontaux: multicompétence plutôt que surspécialisation.» (2) Quels seront les domaines à l’avant-plan? «L’humain sera au cœur des préoccupations : santé, environnement, éducation, éthique, hédonisme.» (3) Quels seront les secteurs en développement? «Ces secteurs n’existent même pas aujourd’hui: amnésiste, réparateur d’implants sous-cutanés, euthanologue…» Linda de Serres insiste sur l’éclatement de la culture scientifique, déjà manifeste, mais destiné à faire bientôt sauter les barrières disciplinaires. Dans dix ans, «le futur vulgarisateur scientifique de talent aura, comme Arcimboldo, un esprit sa-vant.» Dans les vingt précieux conseils qu’elle donne aux futurs vulgarisateurs, elle souligne l’importance d’être en mesure de naviguer à l’aise entre des domaines en apparence non reliées: • chimie-langues-droit, • médecine-mathématiques-musique, • psychologie-physique-histoire,

• santé-éthique-environnement, • hédonisme-éducation-nanotechnologie.

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Vingt conseils au futur vulgarisateur scientifique par Linda de Serres, UQTR

LE VULGARISATEUR SCIENTIFIQUE DE 2020 DEVRA…

1. posséder une mégaculture générale et des cultures scienti-fiques éclatées; 2. jouir des compétences nécessaires pour effectuer un décodage interculturel de l’information qui soit avisé et juste; 3. posséder une maîtrise fine de langues mortes telles que le grec et le latin pour détenir les bases inhérentes à une appropriation rapide, efficace et permanente du métalangage (jargon) propre à tous domaines scientifiques; 4. posséder au moins une connaissance passive (compréhension orale et écrite) et, idéalement, des compétences actives (compré-hension et production, orale et écrite) d’au moins trois langues d’importance; 5. s’assurer de posséder des atouts marqués en ce qui touche la structure, l’organisation et la capacité à discriminer l’accessoire de l’essentiel, à l’oral et à l’écrit; 6. posséder les neuf qualités indispensables que sont la créativi-té, la logique, la concentration, la minutie (extrême), la persévé-rance, la débrouillardise, l’autonomie, une capacité accrue d’analyse et d’objectivité, un esprit de synthèse; 7. se révéler technophile i. e. être favorable à la technologie et s’y adapter rapidement: recourir à des outils avant-gardistes pour illustrer, schématiser, représenter visuellement; posséder des connaissances certaines en dessin; 8. être à la fois foncièrement zen et efficace; 9. être doté d’une curiosité inépuisable, notamment pour déni-cher des informations, soit moins facilement disponibles, soit a priori sans liens connexes avec le sujet traité; 10. s’assurer de ne pas dorer, réduire ou biaiser le contenu vul-garisé; 11. traiter avec une extrême prudence les «réponses achevées» ou, autrement dit, les vulgarisations trop bien bouclées et bou-chées; avec la vitesse à laquelle tout évolue cela commande une grande capacité à nuancer; 12. respecter un cadre professionnel en s’abandonnant – au début à tout le moins – devant des nouveaux contenus à vulgari-ser, des contenus de recherches ou de savoirs auxquels le vulga-

risateur serait totalement profane; prendre garde aux méca-nismes de défense – bien humains par ailleurs – qui pourraient vouloir se glisser en filigrane pour certains sujets de nature plus délicate à traiter (p. ex.: religion, sexe, politique, droits, ethnie, etc.); 13. offrir un rendu didactique et pédagogique qui rejoint bien le public visé en évitant, toujours, de frôler le simplet ou d’être réductionniste à l’excès; 14. recourir à une langue claire, rigoureuse, fonctionnelle, qui n’est pas – comme on le recommande la plupart du temps, entiè-rement dénuée de tous termes scientifiques -, mais plutôt ponc-tuée ou habilement «saupoudrée» ou, si vous préférez, parcimo-nieusement habillée, de jargon qu’on prendra adroitement soin d’opérationnaliser; 15. rendre un traitement personnalisé de l’information; en clair, se créer une signature, un regard sur les choses et une façon de tramer des liens, de schématiser, de soulever des questions, de cerner des préoccupations bien réelles ou implicitement déce-lables, comme presque nul autre ne serait à même de le faire; 16. recourir subtilement aux figures de style, à l’analogie, à la métaphore; posséder une plume et une verve sans faille, voire charismatique; 17. être disposé à ouvrir à des publics donnés des portes encore insoupçonnées pour eux ou, encore, perçues à tort, comme impossibles à ouvrir; 18. éviter d’adopter une visée vériste, préférer plutôt une visée critique, idéalement avec une certaine prospection empreinte d’objectivité – autant que faire se peut; 19. savoir édifier avec rigueur et patience un tout plus grand que ses parties; 20. viser à éveiller certes l’intérêt d’un public donné, mais dans 10 ans, il faudra de surcroît nourrir l’ambition de maintenir cet intérêt puisque le «butinage sera roi et l’approfondissement de sujets deviendra le parent pauvre» en vulgarisation scientifique, entre autres.

Sa conclusion: dans dix ans le rédacteur scientifique sera lui-même, sinon un savant breveté, tout au moins un émule d'Ar-cimboldo. Ainsi la vulgarisation s’annonce-t-elle comme une spécialisation difficile mais prometteuse pour le rédacteur pro-fessionnel. 2020 n’est pas si loin, après tout.

La rédaction de vulgarisation scientifique : perspective pour 2020

Conclusion provisoire par Jean Dumas Voilà une forme de rédaction en hausse. Le public s’ouvre de plus en plus à l’univers des sciences à la con-dition qu’on le lui présente de manière digestible. Pour leur part, les scientifiques ont découvert que l’intérêt populaire pour leurs recherches les aidait dans leur quête de subventions. Est-ce à dire que n’importe quel rédacteur pourra se faire une carrière dans cette spécialité en 2020 ? Évidemment non, car le savoir s’étalant désormais en une multitude de sous-catégories, seuls les rédacteurs aptes à faire voir les ponts entre plusieurs disciplines sauront laisser leur marque. L’exigence de base : une compétence assurée dans un domaine précis soutenue d’une culture scientifique vaste et rigoureuse.

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3 - La rédaction technique se donnera-t-elle de nouveaux outils ?

Dialogue avec Nicolas Gendron et Érik Plourde

a rédaction de type technique est l'un des domaines les plus spontanément associés à la profession de rédacteur. Les deux tiers des offres d'emploi que reçoit la SQRP relèvent de ce secteur. Est-ce à dire que cette activité est en plein

essor? Pas si sûr. Il est possible, tout simplement, que les employeurs pensent moins à s'adresser à la SQRP pour d'autres spécialités de rédaction, comme la publicité, les relations publiques, l'administration ou la vulgarisation scientifique, pour lesquelles plusieurs portes d'entrée sont accessibles. Alors que, pour la rédaction technique, la SQRP est à peu près le seul organisme relais, depuis qu'elle a pris la relève de la section rédaction de l'ancienne Société des traducteurs, en 1993. Que ce secteur rédactionnel soit en perte de vitesse, menacé par le tout Internet, plusieurs signes tendent à le démontrer. C'est particulièrement inquiétant au Québec où l'omniprésence de l'anglais risque de transformer le rédacteur technique en simple adaptateur. Ce n'est pas qu'un bon rédacteur technique ne soit pas essentiel aujourd'hui autant qu'hier. Qu'on lise certains documents d'accompagnement: l'on en sera vite convaincu. Le manque de structure et de logique y est souvent flagrant, tout autant dans les notices écrites que dans le segment «aide» des logiciels.

Quel fouillis Pour apprécier le talent d’un bon rédacteur technique, rien de mieux que d’observer comment travaille un mauvais. Pour réaliser pareille expertise je n’ai pas eu loin à aller: le feuillet d’accompagnement du magnétophone numérique que j’ai utilisé pour les entrevues de cette enquête était tout indiqué. Ses principaux défauts? 1 – Il ne présentait nullement, en préambule, l’appareil lui-même et ses diverses applications. 2 – Il n’exposait pas le rôle des boutons, mais ne faisait qu’expliquer comment il fallait les manipuler. 3 – Il décrivait la liste d’affichage du panneau ACL, mais ne disait rien de la fonction de chaque indicateur. 4 – Il mélangeait les renseignements relatifs à deux modèles différents. Le bon rédacteur technique n’écrit sans doute pas de la poésie. Pourtant, à sa manière il est aussi un artiste. Il sait établir des perspectives, distinguer les dominantes des arrière-plans, établir des corrélations entre les diverses parties et fonctions d’un appareil ou d’un logiciel. Il sait le faire «parler». Voir aussi: La profession de rédacteur, Fides 2009, pages 70-74. Textes rédigés de tout évidence à la va-vite, comme si on voulait se débarrasser d'une tâche dépassée, à une époque où l'on préfère laisser sa pensée s'organiser toute seule, par intuition, plutôt que par un rigoureux processus déductif. Nos deux invi-tés d'aujourd'hui ont bien perçu les écueils qui menacent la profession. Pour eux, la rédaction technique, en général, et la québécoise, en particulier, ont besoin de nouveaux outils si elles veulent retrouver, d'ici 2020, le rang qui était le leur il y a vingt ans.

NICOLAS GENDRON : «La place du logiciel, d'ici quelques années, ce sera presque cent pour cent.»

’homme multitâche, le voici. Il s’appelle Nicolas Gendron. Salarié à temps partiel, autonome le reste du temps, chargé de cours à l’Université de Montréal, le soir. Il offre principalement ses services de rédaction technique dans les do-

maines de l’ingénierie et de l’informatique. L'Éducation permanente où il enseigne est particulièrement propice à la formation en rédaction technique. En effet, les étu-diants qui y viennent ont généralement reçu une bonne initiation à la langue dans un autre cours ou un autre programme. Ou tout simplement à travers une longue expérience professionnelle. C'est bien là la raison d'être première d'une formation dite continue, permanente.

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L’Éducation permanente à l’Université de Montréal Ce que nous appelons aujourd’hui formation continue ou éduca-tion permanente provient du besoin qu’éprouvent bien des gens de se recycler plusieurs fois dans leur vie, tant la société mo-derne est mobile. Ce service prend diverses formes: cours crédi-tés ou non, en salle de cours ou à distance. Mais comment cela a-t-il commencé? À l’Université de Montréal, pareil système éducatif hors de la filière traditionnelle est né, en 1952, de la nécessité d’ouvrir des portes aux personnes talentueuses qui, pour une raison ou une autre, avaient échappé au cours classique. Un service dit de l’extension de l’enseignement préparait, à temps partiel et par cours du soir, à un diplôme préuniversitaire destiné aux adultes.

À l’avènement des cégeps (1968), l’Extension universitaire se redéfinit en Service d’éducation permanente ayant désormais accès aux ressources communes d’enseignement et de recherche de l’Université. Ce Service devint Faculté en 1975, signant ainsi son intégration aux structures principales de l’établissement. Avec le temps, la Faculté de l’éducation permanente (FEP) a multiplié les cours et développé une expertise considérable en matière d’adaptation de l’enseignement à une population adulte, notamment en matière de formation à distance.

Nicolas Gendron a longuement observé le marché québécois. Pour conclure que la part de la rédaction technique y a beau-coup reculé depuis l’époque florissante des années quatre-vingt. Au point où certains vont jusqu’à prétendre que les blo-gueurs vont la tuer. Les blogueurs? Oui. Ils réagissent à un produit déjà sur le marché, commentent après coup, lors même qu'on n'a pas demandé leur avis. Ce sont des critiques intraitables et sans attaches commerciales. On les écoute donc comme des oracles. Surtout qu'ils ne coûtent rien. Alors que le rédacteur professionnel, lui, est associé à la mise au point du produit, dès l'origine. Il re-flète une volonté de qualité... mais contribue aux frais de production. Prenons le cas d'un nouveau logiciel. Vaut-il mieux multiplier les versions bêta et les mises à jour sous la pression des utilisa-teurs ou faire un produit de haut niveau du premier coup? Pour répondre à cette question il suffit de lire toutes celles que Nicolas Gendron demande aux rédacteurs techniques consciencieux de se poser avant de commencer à écrire.

Les documents techniques par Nicolas Gendron, Université de Montréal

Ce que vous en savez… En avez-vous déjà lu? Pensez à des exemples de documents techniques… Comment les caractériseriez-vous? Ils peuvent porter sur… des produits de consommation courante comme… –- un lecteur DVD, –- un téléphone ou un répondeur, –- un ordinateur; mais aussi sur… –- un modèle de gicleurs, –- un type d’appareil de chauffage, –- un système de surveillance électronique; et très souvent sur… –- des logiciels. Ce qu’on attend d’un document technique De la poésie?… Pas vraiment! Un style raffiné?… Peut-être, mais pourquoi? Un vocabulaire recherché?… Plutôt le mot juste et précis. De la créativité?… Ça ne fait jamais de tort! De la complexité?… Le moins possible! Des pages et des pages d’ennui?… Jamais! À quel cerveau s’adresse le rédacteur technique Le cerveau émotif?… Pas vaiment! Le cerveau artistique? Et pourquoi pas? Le cerveau philosophique? Pas du tout! Le cerveau analytique? Pourquoi ce bouton-là? À quoi sert-il?… Tout à fait! Le cerveau pratique? Comment je fais pour enregistrer une émission chaque semaine?… Oui, oui, c’est ça!

Ce qu’on attend d’un rédacteur technique Comprendre rapidement… mais aussi savoir bien expliquer. Savoir bien écrire… Mais dans un style direct et concis. Savoir tout couvrir… Mais sans se répandre inutilement. Être perfectionniste, mais aussi avoir de l’empathie pour le lecteur. La quadrature du cercle, quoi! Rien de moins… Comprendre et expliquer Comprendre… Pensez un instant à ce que ça veut dire… Et puis comment ça se pratique? 1. Examiner. 2. Réfléchir. 3. Tester. 4. Lire. 5. Interroger. 6. Faire des recherches. 7. Refaire les étapes 1 à 6 jusqu’à ce que vous com- preniez tout ce que le lecteur devra comprendre. Expliquer… Pensez un instant à ce que ça veut dire… Et puis comment ça se pratique? 1. Adapter au contexte d’utilisation du lecteur. 2. Adapter au profil du lecteur. 3. Adapter aux besoins concrets et précis du lecteur. 4. Chercher à intéresser le lecteur. 5. Éviter de faire fuir le lecteur.

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La rédaction technique porte sur les documents d'accompagnement d'un produit. Leur objectif ultime: aider l'usager à tirer pleinement parti des possibilités de l'appareil. Ces textes suivent pas à pas les diverses fonctions de l'objet étudié, de façon telle que l'utilisateur puisse s'y retrouver aisément. Vous êtes bien heureux d'avoir ce genre de livret dans votre voiture quand un voyant rouge s'allume soudainement sur le tableau de bord. Même si, aujourd'hui, l'information est présentée de plus en plus souvent sur des écrans, encore faut-il qu'un rédacteur tech-nique ait préparé le texte qui s'y affichera. Et encore ce rédacteur devra-t-il bien savoir que rédiger en mode audiovisuel dif-fère quelque peu de l'approche papier et qu'un document d'accompagnement en DVD n'est pas une transcription mais une adaptation. Ce n'est pourtant là que le début de l'évolution en cours; car l'informatique a dépassé l'étape du logiciel client. Elle est désor-mais partout. Ainsi, les manettes mécaniques des appareils cèdent-ils progressivement la place à des boutons actionnant des programmes qui font eux-mêmes les réglages. Comme l'usager a moins besoin de savoir comment fonctionne sa machine, le rédacteur technique voit régresser ses tâches traditionnelles. Sa perspective change; il se met dorénavant dans la peau du fabricant plutôt que dans celle du client. Il écrit pour que, face à un problème, le programme informatique soit en mesure de poser les gestes qu'on attendait précé-demment du consommateur. «La place du logiciel, d'ici quelques années, ce sera presque cent pour cent.» En attendant la prochaine avancée. «Peut-être que d'ici 2050, il y aura assez d'intelligence dans l'appareil, pour que celui-ci comprenne ce que j'attends de lui, uniquement au son de ma voix», rappelle Nicolas Gendron. «Mais tant qu'on n'aura pas atteint ce degré de sophistication, je devrai comprendre la machine, plutôt que la machine me comprenne.» C'est dire qu'il y aura, pour de nombreuses années encore, une croissance de la rédaction technique. Mais désormais de plus en plus médiatisée par le logiciel. Il y a aussi une fonction marketing à la rédaction technique, ajoute monsieur Gendron. En effet, pour qu'un appareil se vende bien, il faut que les consommateurs l'apprécient. Ce qui suppose une documentation bien faite. Or, le Québec, avec son cadre culturel particulier, exige des textes reflétant sa mentalité. D'où la place considérable qu'y prend la «localisation» (adaptation d'une information au lieu où elle sera utilisée). C'est pourquoi le rédacteur technique de 2020, tout autant que celui de 1980, s'assurera d'être sensible à une convivialité adaptée à notre cadre social. Il aura cette idée constamment présente au moment d'écrire pour la clientèle. On peut donc dire avec Nicolas Gendron que le rédacteur technique a encore de beaux jours devant lui, à la condition d'évoluer avec la techno-logie. En attendant que la machine devienne autonome, en 2050.

ÉRIC PLOURDE : «Ne pas se sur-spécialiser dans un seul domaine.»

oici un autre homme à tout faire. Chargé de cours à l'Université du Québec en Outaouais, sa principale tâche en est toutefois une de praticien. En traduction informatisée. Le cours qu'il donne à l'UQO, TRA1323 - Traduction technique

et scientifique, est particulièrement utile du fait qu'une bonne partie du travail d'un rédacteur technique est associée à des tâches de traduction. Dans la présente réflexion il montre bien le défi que pose la prééminence de l'anglais en matière scienti-fique tout autant que technique. Chez les scientifiques, la langue anglaise, d'abord britannique, puis américaine, est dominante depuis deux cents ans. Au cours du dernier demi-siècle, elle a virtuellement chassé les autres idiomes majeurs en science, comme l'allemand, le russe ou le français, pour devenir hégémonique. La raison en est, rappelle Éric Plourde, que, pour simplement être lu et pouvoir échanger ensuite ses connaissances, le savant, quelle que soit son origine, doit absolument publier en une langue commune, l'anglais jouant désormais le rôle de «lingua franca». Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. N'est-ce pas de cette façon – en traduction – que les Arabes de la péninsule ibérique ont autrefois conservé le savoir des Grecs qui, autrement, aurait été perdu? Un risque majeur subsiste néanmoins. Comme la traduction se fait de plus en plus dans un seul sens, la langue traduite perd chaque jour un peu plus de son prestige face à l'autre. De sorte que, tout en s'adressant spécifiquement à un auditoire de langue française, un auteur rédigera souvent ses travaux en anglais dans l'espoir qu'ils haussent sa cote dans l'échelle internationale des publications.

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Le même défi linguistique se pose pour la rédaction technique. L'anglais est partout, constate Éric Plourde; sa connais-sance s'ajoute impérativement aux nombreuses autres exigences requises pour devenir rédacteur technique. Y a-t-il quand même un avenir pour une rédaction technique originale en français au Québec? Hormis certaines entreprises majeures (de la taille, par exemple, d'Hydro-Québec), qui conçoivent leurs propres logiciels, le marché est plutôt limité. Car dans sa vie économique, le Canada n'a jamais dépassé le modèle colonial. Qu'est-ce à dire? Que, même quand les ma-tières premières, la main-d'œuvre et la production industrielle sont locales, la conception se fait le plus souvent ailleurs. En conséquence, les outils qu'il faut inventer pour fabriquer le produit sont également étrangers. Forcément, les guides d'utilisa-tion et autres documents requis pour le bon fonctionnement de ces outils sont d'abord rédigés dans la langue du siège social, le plus souvent l'anglais. Par la loi de la facilité, les utilisateurs de ces guides, même si leur langue maternelle est le français, finissent par réclamer que tous les documents qui leur sont fournis soient rédigés en une seule et même langue. À cet égard, même sous l'empire de la loi 101, l'anglais part gagnant. Cette contrainte reconnue, les rédacteurs techniques ne doivent pourtant pas baisser les bras. Il y aura du travail pour eux en 2020 s'ils savent faire preuve de créativité. Créativité pour expliquer un mécanisme technique? Oui, oui! Pas dans l'objet étudié, sans doute, mais dans la façon d'en traiter en contexte québécois. «Se mettre à la place de la personne qui lira le texte»: telle sera donc toujours la consigne fon-damentale de la rédaction professionnelle, même en matière technique. Pour les aider à mettre toutes les chances de leur côté, Éric Plourde soumet quelques conseils aux futurs rédacteurs: 1. «Ne pas se sur-spécialiser dans un seul domaine» (ex.: médecine nucléaire, industrie du zinc, horlogerie électronique),

mais voir assez large pour passer aisément d'un domaine principal à un autre qui lui est connexe. À titre d'exemple, ima-ginons une compétence progressive qui irait de la médecine aux produits pharmaceutiques, puis à l'hygiène publique, puis aux services sociaux, tous sujets reliés.

2. «Ne pas s'attendre à un flux considérable de contrats dès la première année.» Prévoir plutôt des temps morts et accepter

cette alternance. D'où l'importance d'organiser son temps et de constituer des réseaux de pairs. 3. «Ne pas considérer ses textes comme un produit fini.» Il seront toujours à parfaire. C'est une condition essentielle pour

toute création originale. Ces exigences respectées – et malgré la pression de l'anglais –, il sera possible de maintenir, aussi loin qu'on puisse voir dans l'avenir, un noyau de rédacteurs techniques auxquels on aimera faire appel parce que leurs textes porteront cette signature québécoise que personne d'autre ne peut imiter. Il ne faudra toutefois jamais omettre de se mouler aux technologies en émer-gence. C'est ce qu'on a appelé, dans cette enquête, «se donner de nouveaux outils».

La rédaction technique : perspective pour 2020

Conclusion provisoire par Jean Dumas

Ici aussi la mondialisation a secoué bien des carrières. La Révolution tranquille et la valorisation du fran-çais avaient permis au rédacteur technique de s’implanter dans nos entreprises. Nous sommes présentement en période de recul : la traduction et la localisation ont repris le dessus. Et en 2020 ? On ne voit aucun signe de changement. Bien au contraire, l’anglais s’impose de plus en plus sur toute la planète. L’avenir de la rédaction technique – car il y en a un quand même – se situe à deux plans : (1) technologique – s’entraîner à la transmutation des documents d’accompagnement en programmes informatiques de soutien à l’usager ; (2) culturel – être en mesure de fournir des textes reflétant la sensibilité québécoise.

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4 - La rédaction de relations publiques usera-t-elle d'audace ?

Dialogue avec Jean-François Saint-Gelais et Jason Luckerhoff

es relations publiques traversent une mauvaise période. C'est la faute à Internet, à Twitter, à Facebook, à tous ces nou-veaux canaux de communication qui leur font de l'interférence. Pas facile de «passer son message» quand n'importe qui

peut monter une cabale qui en détruira aussitôt l'effet. Pas facile d'asseoir son autorité de persuasion quand n'importe qui peut la contrer à coups de courriels et de blogues. La communication horizontale a détrôné les porteurs traditionnels d'information. Les relationnistes pourront mettre des mois, sinon des années, à faire pénétrer une idée ou un projet dans la tête de la popula-tion. Il ne faudra parfois que quelques jours pour semer le doute.

Dur de convaincre les gens Ce qu'il en a fallu de temps aux missionnaires de l'environne-ment pour commencer à convaincre la population que la planète risquait de surchauffer. Ils ont dû investir les universités, multi-plier les symposiums, faire tourner en boucle les images de glaciers qui fondent, se constituer en lobby pour soutirer un traité. Des années de laborieux travail pour des cohortes de relation-nistes dont les propos vertueux se traduisaient inévitablement, chez les gens, par une injonction à réduire leur train de vie. Et voilà que, juste au moment où le citoyen moyen en arrivait à se persuader qu'il était peut-être un destructeur de la planète, des

blogues d'origine suspecte révèlent qu'il y eu erreur ici, dissimu-lation là, dans certaines des études soi-disant définitives publiées par quelques spécialistes sur la direction de la courbe climatique. Du coup la crédibilité de toute la thèse environnementale s'ef-fondre. Après s'être donné tant de mal pour la faire entrer dans la tête du peuple, voilà que les relationnistes la voient leur filer des doigts. Ils courent pour la rattraper. Tout est à reprendre. Avec quels mots les rédacteurs peuvent-ils remonter la côte, rattraper le terrain perdu, reprendre l'initiative? Dur, dur! Voir aussi: La profession de rédacteur, Fides 2009, pp 96-109.

C'est rendu que les relations publiques ne cherchent plus à transmettre des idées, qui risquent d'être vite contredites. Elles se satisfont d'évoquer une image, laissant à chaque lecteur le soin de l'interpréter à sa façon. Pareille mutation s'inscrit dans le cadre général de celle que connaît la culture. La création est de moins en moins considérée pour elle-même. Elle est devenue un instrument de production. Ce n'est pas pour rien qu'on parle des industries culturelles. Le talent est désormais au service du marché. Nos deux invités d'aujourd'hui abordent ces questions sans se décourager. Il n'y a qu'une voie à suivre pour le rédacteur de relations publiques: renouveler son imagination.

JEAN-FRANÇOIS SAINT-GELAIS : «Ce qui m’inquiète, c’est que le contenu s’amenuise de plus en plus.»

adre-conseil en communication à l'Agence de la santé et des services sociaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Jean-François Saint-Gelais est responsable des communications politiques de l'organisme, ainsi que des relations avec le

Ministère, le réseau et les médias. Il est également chargé du cours 7LNG233 Rédaction professionnelle à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) où il familiarise les étudiants aux paramètres linguistiques et socioculturels des différentes situations de communication publique. Avant même d'échanger sur l'écriture de qualité qu'exigent les relations publiques, monsieur Saint-Gelais doit aider les jeunes à faire du rattrapage et leur enseigner la rigueur. À cet égard, «il faut être patient; il faut énormément de modestie». Car, avec la génération montante, un professeur doit s'attendre à devoir négocier. Négocier les éléments du cours, négocier les notes et les reports. Et les conventions d'écriture, pourquoi se priverait-on de les négocier elles aussi? On n'est plus à l'époque où un certain nombre de règles linguistiques servaient de références intouchables. Aujourd'hui, l'unique référence, c'est soi-même. Il n'est donc pas facile de dire à quelqu'un que son texte ne répond pas aux exigences. «Quelles exigences?» Des phrases bien ou mal construites? Des idées bien ou mal présentées? Nenni. Les mots «bien» et «mal» n'existent plus. Il n'existe que des phrases ou des idées «avec lesquelles je me sens bien». Mais le lecteur les comprendra-t-elles, telles que formulées? Car, pour que le document atteigne son but, il faut bien que le lecteur l'interprète correctement.

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Et ce n'est pas à lui qu'il revient de s'adapter, mais plutôt au rédacteur. À ce dernier de construire des phrases que «ce lecteur-là» pigera aisément. Voilà par quelle voie le professeur d'aujourd'hui peut encore imposer des règles minimales de rédaction à ses étudiants. L'ultime loi – incontournable – de l'écriture s'appelle «efficacité». Pour qui croit à l'autorité culturelle de la langue elle-même, c'est mince. Mais ainsi va l'époque. Au sortir de l'université, le jeune rédacteur de relations publiques ne sera pourtant pas au bout de ses peines. Car, à l'heure présente, constate Jean-François Saint-Gelais, l'information résiste mal au tape-à-l'œil publicitaire. «Ce qui m'inquiète, c'est que le contenu s'amenuise de plus en plus.» Les équipes investissent plus dans l'originalité du design que dans les textes. Alourdis de clichés faciles, les paragraphes ne remplissent souvent plus qu'un rôle de soutien à l'équilibre visuel de la page. Vastes rectangles sombres, décorés de lettrines géantes, dont se délectent tant les graphistes. Les gens veulent du divertisse-ment. Alors, le discours se fait minimaliste. Avec les risques de dérive qu'entraîne une information insuffisamment nuancée. Où en sera-t-on en 2020? En 2020, les textes ne devront plus seulement être compréhensibles. Ils devront surtout être crédibles. Il y aura tant d'infor-mation en circulation que seuls surnageront ceux qui seront en mesure de démontrer leur sérieux. Autrement, ils iront direc-tement à la corbeille, comme certains envois postaux d'hier et courriels d'aujourd'hui. La splendeur d'une présentation gra-phique retiendra peut-être le lecteur pendant quelques instants; mais le destin final du document n'en sera que brièvement reporté si la crédibilité du message n'est pas au rendez-vous. Jean-François Saint-Gelais n'est pas pessimiste pour l'avenir de la rédaction de relations publiques. Elle se fera simplement plus exigeante; ce qui n'est pas pour lui déplaire. Pour l'heure, apprécions que le scénariste Robert Harris et le réalisateur Roman Polanski aient mis notre trop discrète profession sous la lumière des projecteurs, dans le cadre du film L'Écrivain fantôme (The Ghost Writer).

JASON LUCKERHOFF : «Il faut d’abord apprendre à faire une stratégie.»

rofesseur au Département d'études en loisir, culture et tourisme, à l'Université du Québec à Trois-Rivières, Jason Luck-erhoff y dispense notamment un cours d'interprétation et médiation culturelles, au deuxième cycle. Il analyse présen-

tement le paysage linguistique dans les musées et les textes de promotion touristique. On peut le lire dans une récente paru-tion de la revue Museum Management and Curatorship. Jason Luckerhoff enseigne également à l'Université Laval où il donne le cours FRN 2214 - Textes de promotion. À ce titre, il fait connaître les divers visages du discours persuasif, depuis la publicité commerciale jusqu'au rapport annuel d'entreprise, en passant par le slogan, le dépliant, la brochure et le publireportage. Pour se remettre quotidiennement en mémoire que la rédaction est aussi une forme d'art, il a agrémenté son salon d'une reproduction d'un tableau d'artiste (le peintre Jean-Paul Lemieux), faisant lui-même le portrait d'un autre artiste (le poète Émile Nelligan). D'emblée, Jason Luckherhoff reprend l'interrogation de Pierre Lévy: la culture est-elle en train de s'appauvrir ou sommes-nous au seuil d'une révolution? Vaste question, qui exige qu'on ait quelque part un point d'appui. En matière de relations publiques, ce pilier, c'est l'objectif opérationnel qu'on s'est donné. D'où découlera une stratégie. On aura toujours besoin d'une stratégie, même si, en considération de l'évolution des mentalités et des outils de communica-tion, la forme de cette stratégie pourra être appelée à changer. La place du rédacteur de relations publiques fluctuera en con-séquence. On ne lui demandera sans doute pas, en 2020, d'écrire autant de paragraphes qu'hier. En revanche, il lui reviendra de trouver les mots qui font mouche. Plus encore, Jason Luckerhoff voit le rédacteur de demain assumant un mandat élargi où il serait appelé à concilier les divers outils d'un plan de communication, comme c'est déjà le cas en publicité. On ne le trouverait donc plus seulement à un mo-ment précis du projet, mais du début (la planification) à la fin (l'évaluation). Les tâches qui l'attendent ne seront pas tellement différentes de celles d'aujourd'hui. Certains rédacteurs rempliront des man-dats institutionnels (la mission de l'entreprise, la description de programmes, les communiqués) alors que d'autres s'applique-ront à éteindre des feux. Même le passage au numérique ne constituera pas un défi majeur s'il se fait progressivement. Le véritable changement est ailleurs. C'est l'arrière-plan qui est secoué. D'où l'allusion à Pierre Lévy.

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Stratégie de communication par Jason Luckerhoff, UQTR

Plan d’une stratégie de communication «simple

lorsqu’une organisation ne dispose pas de beaucoup de temps pour faire un plan de communication complet.

1. Introduction: Vous présentez ici une introduction générale à votre stratégie de communication. 2. Le mandat: L’origine du mandat. Toute planification en communication commence par un mandat, c’est-à-dire par l’expression d’une préoccupation de l’organisation: augmenter le chiffre d’affaires, avoir une meilleure image, combattre les opposants, affronter un nouveau défi. Le mandat vient de la perception d’un problème à régler ou d’un enjeu à relever. 3. L’analyse de la situation:

3.1 Le mandat revisité: compréhension du mandat; recherche d’un changement; l’état des lieux; les constats: un travail critique.

3.2 Le profil de l’entreprise: le statut; la raison d’être; l’historique; l’image; les défis; les objectifs généraux; le système de valeurs; la structure; le constat.

3.3 La présentation du produit: la description du produit; le prix; la distribution.

3.4 Les publics de l’entreprise. 3.5 Les communications. 3.6 La recherche. 3.7 Le constat général.

4. Les objectifs: Maintenant que le diagnostic est posé, il faut le traduire en objectifs opérationnels. Qu’est-ce que l’entreprise vise exacte-ment? Car l’entreprise doit absolument avoir une idée très nette de ce qu’elle veut obtenir par son effort de communication. «Un objectif c’est une intention d’action auprès d’une clientèle cible afin d’atteindre une situation désirée à partir d’une situa-tion donnée. Cette intention doit être formulée de façon obser-vable, mesurable et située dans son temps.» (Desaulniers, 1985, p. 68).

Vous devez définir des objectifs généraux et spécifiques qui découleront du mandat. 5. Le public cible: La cible représente le public précis visé dans les objectifs. Dans un plan, la cible n’est pas nécessairement la clientèle. 6. L’axe de communication: Nous connaissons bien le problème à régler ou l’enjeu à relever. Il faut maintenant définir le thème central de la stratégie et des messages. Qu’allons-nous dire à notre cible? Que voulons-nous qu’elle retienne de notre campagne? C’est ce qui nous conduit à choisir un axe de communication à partir duquel nous décline-rons nos messages. Comment doit-on s’y prendre pour véhiculer ce qu’on veut faire passer comme message? L’axe est la colonne vertébrale ou d’épine dorsale autour desquelles doivent pivoter tous les élé-ments de la campagne. 7. La stratégie: Les approches pour attirer l’attention: faire du bruit; la répéti-tion; la création. 8. Techniques, médias et supports: Journaux; revues; radio; télévision; affichage; Internet; autres médias. 9. Le message: De quel type sera votre message: politique, prestige, changement de comportement, commercial, service? Conception du message: titre, texte, créativité, ton. 10. Le budget et le calendrier: Comment déterminer le budget. 11. L’évaluation: Est-il possible d’évaluer cette campagne?

Nous entrons collectivement dans une nouvelle façon de réfléchir, marquée par la télédémocratie et la cyberdémarche. Les gens qui pensent – et veulent le faire savoir – n'ont jamais été si nombreux. Ils ont maintenant des canaux faciles à exploiter pour se faire entendre. Les idées se bousculent. Elles pleuvent si densément qu'à la fin, les diverses influences s'annulent: tout le monde parle en même temps. Dérouté, le public auditeur est frappé d'un déficit d'attention. Comme en toutes choses humaines, une hiérarchie s'établira. Mais sur quelles bases? Voilà où se situe la mutation en cours. En extrapolant quelque peu, à partir des observations de Jason Luckerhoff, on peut avancer que la culture de demain sera rentable ou ne sera pas. On peut entrevoir qu'en 2020 la valeur reconnue à une personne qui écrit, chante, peint ou sculpte sera un peu moins liée à des critères culturels («Fait-elle progresser l'humanité?») et un peu plus à des critères marchands («A-t-elle de bonnes chances de percer le marché?»). Il reviendra donc au rédacteur de relations publiques de mettre en évidence qu'un événement commercialement lucratif est aussi culturellement responsable. Ce nouveau paradigme pourrait se traduire par la formule: «Mettre la culture au goût du jour», c'est-à-dire suivre la courbe du marché. Voyez cet engouement momentané pour les anglicismes en France: c'est dans le vent, c'est tendance, c'est «hot». Ne vous inquiétez pas. Ça passera, allez! Une mode chasse l'autre.

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Des critères culturels aux critères de marché

Résumé d’un article intitulé Technology and Demographics : Are Cultural Habits Mutating?,

signé par Jason Luckerhoff, Jacques Lemieux et Christelle Paré, tous trois de l’Université Laval. Les enquêtes sur les pratiques culturelles (réalisées au Québec par le ministère de la Culture et des Communications sur une base quinquennale depuis 1979), tout comme les statistiques publiques sur la production et la diffusion des produits de la culture et les recherches menées dans le domaine, laissent entre-voir d’importantes transformations qui peuvent remettre en question l’intervention étatique en matière de culture au Québec. Ainsi, le vieillissement de la population québécoise, sa composi-tion de plus en plus multiethnique et l’émergence d’une «culture numérique» sans frontière encouragent un modèle marchand de gestion de la culture qui contredit l’intervention par les poli-tiques culturelles visant l’accès et l’aide à la création. Cela étant,

la valorisation par les critères culturels cède la place à la valori-sation par les critères de marché. En s’appuyant sur les données des enquêtes réalisées par le ministère de la Culture et des Communications du Québec, mais surtout sur celles d’un sondage complémentaire réalisé en mars 2007 à l’Université Laval par le Groupe de recherche sur le développement culturel (FQRSC/Action concertée), les auteurs cherchent notamment à évaluer les influences de la technologie et de la démographie sur la production et la diffusion des pro-duits culturels québécois, ainsi qu’esquisser les contours d’un «modèle émergent» des pratiques culturelles.

La différence avec hier? Hier, une communauté de notables instruits, qui se présentait comme l'élite, orientait la culture en fonction de sa vision du monde. Aujourd'hui, tout le monde étant instruit, c'est l'état d'esprit de la majorité qui détermine plus ou moins démocratiquement les valeurs du jour. Demain? En 2020, de nouvelles élites feront sans doute la loi. Elle ne se donneront pas comme mandat de transmettre une tradition, comme le faisaient celles d'hier. Elles se nourriront plutôt du potentiel infini qu'offre l'avenir comme matière pre-mière de production culturelle profitable. Sera-ce un progrès ou une déroute? En tout cas, le rédacteur de relations publiques pourra y reconnaître une invitation insistante à user de son imagination pour renouveler ses stratégies de communication.

La rédaction de relations publiques : perspective pour 2020 Conclusion provisoire par Jean Dumas

Voilà une autre forme de rédaction qui a connu des jours meilleurs. À l’heure présente elle est doublement menacée. D’une part, l’approche publicitaire – qui s’adresse aux émotions – tend à l’emporter sur l’approche rationnelle qui avait toujours été la marque des relations publiques ; ainsi, les mots doivent-ils souvent céder leur place aux images frappantes. D’autre part, l’accès facile à la parole rendu possible par Internet permet à tout un chacun d’interférer et de détruire ce que des textes longuement mûris avaient en-trepris de bâtir. En cette matière, la crédibilité deviendra bientôt l’exigence première pour les candidats à cette profession. Qui dit crédibilité, dit réflexion, recherche, éthique. Règle d’or du rédacteur de 2020.

5 - La rédaction publicitaire reprendra-t-elle l'initiative ?

Dialogue avec Jean Desautels et Dany Baillargeon

a rédaction de type publicitaire est-elle la reine de notre profession? Je ne répondrai pas à cette question, de peur de troubler les rédacteurs d’autres types d’écriture. Il reste que celui qui écrit des textes publicitaires est généralement plus

qu’un simple inventeur de formules. Dans la plupart des agences il est également le concepteur de la campagne. Mandat majeur, s’il en est.

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C’est lui qui interprète les attentes de l’annonceur, qui débusque le public visé, qui prospecte les médias les plus efficaces pour la propagation du message. Après quoi, c’est encore lui qui imagine le slogan irrésistible et les phrases qui feront mouche. Ensuite, seulement, s’entoure-t-il des autres «créatifs», spécialistes du son et de l’image, qui habilleront les idées et les porteront jusqu’au consommateur. Depuis l’époque de Jacques Bouchard, le Québec a développé une expertise unique en création publicitaire, compte tenu de la taille de son marché. Mais nos talents sont aujourd’hui mis à rude épreuve. D’abord par la mondialisation du commerce, ensuite par une exigence accrue de productivité, qui, l’une comme l’autre, tendent à uniformiser la publicité à partir des grandes capitales. À ces déplacements de compétence, le Québec ne peut opposer qu’une seule arme, dérisoire pour certains, mais puissante comme une guérilla: son identité unique. Une publicité torontoise, même adaptée, reflètera toujours une façon d’aborder la vie qui n’est pas tout à fait la nôtre. Le consommateur se sentira alors moins interpellé. Pourtant, qui a connu les années Jacques Bouchard ne peut s'empêcher d'observer un recul de la création originale, comme si le Québec avait perdu son carac-tère distinctif.

Menaces sur le village gaulois L'un des deux invités de ce chapitre, Jean Desautels, a esquissé, dans Panorama sur le Québec, un Historique de l'industrie de la publicité au Québec. En quelques lignes, il fait voir l'évolution de ce secteur économique depuis un siècle. Avec, comme point charnière, la création du Publicité Club de Montréal en 1960. Dans Publicités à la carte (PUM, 2006), rédigé conjointement avec Jacques Dorion, ex-président de l'antenne québécoise de la multinationale Carat, j'ai aussi abordé cette question. Sous le titre de section «Le paysage de la publicité au Québec» (pages 45 à 52), il y est notamment question de l'empreinte québécoise en publicité à partir de 1960. C'était alors, on s'en souvient, le début de la Révolution tran-quille, centrée sur l'affirmation d'une identité collective. Finies, les publicités concoctées à Toronto, puis traduites ou soumises au lipsync pour consommation locale. Désormais les messages publicitaires respecteraient notre différence. Mais quelle personnalité commune? quelle identité différente? Le célèbre ouvrage de Jacques Bouchard Les 36 cordes sen-

sibles des Québécois, publié en 1978, apporta une réponse à la fois ludique et précise. Qui fit consensus durant un quart de siècle. Mais pas plus. Car, en 2006, le même Jacques Bouchard, tou-jours visionnaire, apportait une correction à notre image collec-tive avec un nouvel ouvrage, fort justement intitulé Les nou-velles cordes sensibles. Car les traditions s'étaient affaiblies. Nos traits distinctifs s'étaient dilués. Les «valeurs» dites québécoises n'avaient plus rien à voir avec celles de nos ancêtres. Le progrès économique était passé par là. L'individualisme et la consomma-tion dominaient. Le Publicité Club s'était sabordé. Nous nous moulions de plus en plus au reste du continent. Comme notre condition de société distincte est en chute libre, ne nous surprenons donc pas de voir se multiplier de nouveau, depuis un certain temps, les messages publicitaires produits à l'étranger et servis, comme avant 1960, en traduction ou en lipsync. Que restera-t-il, en 2020, du «Village gaulois»? Voir aussi : La profession de rédacteur, Fides 2009, pp 87-96.

Où sont les concepteurs-rédacteurs talentueux qui pourraient redonner à la création québécoise ses éclats d’hier? Sommes-nous en mesure de reprendre l’initiative? Lisez les témoignages qui suivent et prolongez-les de vos propres impressions.

JEAN DESAUTELS : «Ça demande énormément de polyvalence.»

ean Desautels est un vieux routier des relations publiques. Président de l’agence Communication 7, il assure également le cours RED 2020 Langue et rédaction publicitaire à l’Université de Montréal. Le sujet principal de son enseignement: la

part du texte dans l’art de persuader. Car, si voyante qu’elle soit, l’illustration ne saurait occulter le pouvoir des mots. Bonne nouvelle pour le rédacteur: «Il y a certainement de l’espace pour le développement de cette profession-là», affirme Jean Desautels. Ses étudiants de l'Éducation permanente applaudissent. Mais attention au bémol qui suit: «On a de plus en plus de difficulté à recruter des rédacteurs compétents. La demande est là, mais le bassin de ressources diminue comme peau de chagrin.» Ce n'est pas que la relève ne soit pas abondante. Mais il lui manque une culture générale ample, un horizon étendu. La génération Y aurait-elle peu de repères? Serait-elle dévorée par son hyperactivité?

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Les carences de la génération Y Si beaucoup de jeunes vont en publicité, très peu, aujourd’hui, ont les fondements requis non seulement pour manier les con-cepts, mais aussi pour bien cibler le message en fonction du marché. Il leur manque souvent les connaissances nécessaires en psychologie, en sociologie, en ethnologie. Autrement dit, cette culture générale qui permet de trouver la bonne approche, quel que soit le sujet traité, quel que soit le public visé. On est à même d’observer que les jeunes de la génération Y ont tendance à concevoir uniquement des publici-tés qui leur ressemblent et qui leur font plaisir.

Par carence de références culturelles, ils n’arrivent pas à se mettre dans la peau du public. Il faut constamment leur répéter qu’ils ne font pas eux-mêmes partie de la cible. La polyvalence culturelle étant déficiente, que dire alors du savoir écrire? On se retrouve souvent avec des gens qui, au sortir de leurs études, «n’ont encore que deux mille mots de vocabulaire.»La forma-tion doit donc s’attaquer en priorité à ces deux problèmes. Un double coup de barre est nécessaire : (1) élargir la culture géné-rale des jeunes; (2) améliorer leur horizon linguistique. Aura-t-on l’énergie de s’y atteler?

Le besoin publicitaire est là. On s’en va, à l’horizon de 2020, vers une communication écrite qui prendra une importance croissante du fait de son intégration à Internet. Beaucoup d’entreprises qui n’avaient jamais communiqué auparavant veulent maintenant avoir leur page Web. Les attentes des annonceurs sont élevées. Il faut, à la fois, (1) se montrer créatif, (2) être capable d’une rhétorique intéres-sante et (3) manier correctement la langue. Jean Desautels insiste: «Ça demande énormément de polyvalence.» Cette situation devrait fouetter les aspirants rédacteurs, qui seront aussi les concepteurs des nouvelles formules publicitaires. Mais ça de-mande une vision. Si les bacheliers de demain ne sont pas à la hauteur, on les remplacera par des «gestionnaires de comptes», évidemment plus portés vers un message criard – publicité au premier degré – que vers une approche inventive qui convainc par sa subtilité. Le milieu des affaires cherche désespérément des rédacteurs publicitaires dégourdis pour servir d’interprètes entre l’annonceur et le public à séduire. On s’attend à ce qu’ils aient une connaissance fine du destinataire. Ne serait-ce que du fait de la compo-sante conative propre à la communication publicitaire.

La composante conative d'une communication Toute communication comporte deux composantes qui se con-juguent: (1) cognitive: la transmission d’une information; (2) affective: la charge relationnelle (positive ou négative) ca-chée sous les mots. Pour qu’un message soit bien reçu, il faut donc non seulement qu’il soit exprimé clairement (dimension cognitive), mais que les mots rendent bien le contexte émotif qu'on veut promouvoir (dimension affective). En publicité, ces deux composantes sont essentielles. Mais il s’en ajoute une troisième, que les chercheurs ont appelée cona-tive. Le Dixel définit ainsi ce terme du vocabulaire didactique: «Qui exprime l’idée d’effort».

Appliqué à la publicité, cet mot indique que la communication publicitaire doit non seulement (1) fournir un contenu cognitif et (2) le faire dans le contexte affectif recherché, mais aussi (3) pousser le destinataire à faire l’effort de quitter son fauteuil pour aller acheter le produit proposé. Tout parent comprend aisément ce que signifie «composante conative» quand, dans ses communications avec son ado, il doit (1) lui exposer les raisons de mettre de l’ordre dans sa chambre (composante cognitive), (2) l’aborder de façon à ce qu'il garde sa bonne humeur (composante affective), (3) choisir des mots qui l’amèneront à passer rapidement à l’action (composante conative).

S'il existe un domaine où le marché est favorable à la main d'œuvre, c'est bien celui de la rédaction publicitaire. Les anciens s'en vont, mais il faut les retenir bien après l'âge de la retraite. Car l'on n'arrive pas à les remplacer. Des personnalités de talent, il y en a sûrement beaucoup. Mais où donc se cachent-elles?

DANY BAILLARGEON : « La denrée la plus rare est l’attention des gens.»

’est par le biais de Facebook que Dany Baillargeon dialogue avec ses étudiants du Programme de 2e cycle en commu-nication appliquée de l’Université de Sherbrooke. Au nombre de ses cours au Département des lettres et communica-

tions, celui intitulé CRM 283 Création et rédaction publicitaires se prête particulièrement bien à la présente enquête. D’entrée de jeu, M. Baillargeon proclame: «Le défi des nouveaux rédacteurs va être d’écrire plus pour écrire moins.»

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Qu’entendre par là? Simple comme un, deux, trois.

(1) De nos jours, pour être reconnu il faut être vu sur le Web. (2) Pour être sûr de s’y faire voir, il faut s’afficher à plusieurs adresses, sur plusieurs sites, dans plusieurs pages, de ma-

nière à ce que les algorithmes de Google dénichent ses mots-clés un peu partout et leur accordent priorité. (3) Mais, en même temps, il faut faire des textes courts, tant l’attention des gens d’aujourd’hui se disperse aisément.

On devra donc écrire «plus» (sur un plus grand nombre de sites) tout en écrivant «moins» (des textes plus brefs). Le concepteur-rédacteur d’aujourd’hui amplifie la portée de ses messages traditionnels de trente secondes à la télé en s’infiltrant dans le Web par tous les interstices possibles. Et cela paie. Surtout s’il a la bonne idée de cibler les sites interactifs où un public réagira aussitôt. On lui répondra; il entrera déjà en relation. Relation factice, sans doute, mais précieuse pour le marketing et la vente. Avec, en prime, l’occasion d’améliorer le produit grâce aux observations de ces focus groups numé-riques instantanés. Est-ce à dire qu’à l’horizon de 2020, les voies de communication traditionnelles sont appelées à disparaître au profit d’Internet? Sûrement pas, croit Dany Baillargeon. Leurs rôles seront complémentaires. La publicité des journaux, de la radio ou de la télévision continuera de mettre un modèle en vedette dans le but de déclencher, chez le consommateur, le réflexe conditionné d'acheter ce modèle-là quand il aura besoin du produit. Ainsi, au moment de se procurer une voiture, l'acheteur éventuel devrait penser spontanément au modèle auquel des mes-sages publicitaires attirants l’auront depuis longtemps sensibilisé. Internet interviendra ensuite, dans un deuxième temps, plus précisément au moment de vérifier ce que les autres consommateurs pensent du modèle en question. Mais qui dit que le prétendu critique d’automobiles qu'on consultera alors en ligne ne sera pas, en fait, le promoteur furtif d‘une marque en particulier? Comme publicitaire utiliserez-vous de telles pratiques ou saurez-vous résister à pareille dérive éthique?

La dérive éthique On comprendra aisément que les publicitaires inondent la glo-bosphère de leurs propos, de manière à en augmenter la perti-nence auprès des moteurs de recherche. «C’est le principe du bouche à oreille porté à une échelle exponentielle», précise Dany Baillargeon. On n’hésite d’ailleurs plus à «fabriquer» de la pertinence. De sorte que l’internaute qui lit une recension favorable à un produit n’est pas en mesure de savoir si ce texte est sponta‐né ou créé de toutes pièces par un publicitaire. Comme on l'a vu avec l'affaire de la promotion du bixi, il y en a qui ne reculent devant rien pour «formater» le cerveau du consommateur.

Votre première ligne de défense: vérifier le sérieux du site, comme il a déjà été signalé dans un chapitre précédent de la présente enquête (voir: La fiabilité de l’information sur le Web, au chapitre 2, consacré à la rédaction numérique). À cela s’ajoute le meilleur des antidotes: le Web étant si acces-sible, les agences n’arriveront jamais à avoir suffisamment de rédacteurs pour contrebalancer le poids des consommateurs qui s’expriment sur la Toile. Précieux rééquilibrage. Les publicitaires auront beau prétendre que leur produit est bon; si des milliers de gens rétorquent qu’il est mauvais, ils en seront quittes pour leur peine.

Le grand défi de 2020 est pourtant ailleurs. On est passé de l’ère de l’information à l’ère de l’attention: «La denrée la plus rare est l’attention des gens.» Ce qui induit quatre conséquences pour le concepteur-rédacteur de demain. (1) De façon générale: il devra trouver le moyen de se frayer un chemin jusqu’au cerveau déjà surchargé du consommateur

pour susciter brièvement son intérêt. (2) À l’égard des médias traditionnels il devra prendre conscience qu’il propose son message à des gens dont l’attention se

disperse facilement et qui ont toujours la télécommande à la main. (3) À l’égard du Web il devra garder en tête que l’internaute lui ouvre sa porte librement et lui donne la permission d’entrer;

d’où l’importance de ne pas le berner. (4) Pour tous les supports: il devra s’entraîner à penser en image d’abord, car le consommateur d’aujourd’hui a peur des

mots. Il ne rédigera donc un texte que pour suppléer à la part d’information que l’illustration ne sera pas en mesure de fournir.

Message ultime de Dany Baillargeon: «Enseigner la créativité, c'est d'abord enseigner la tolérance au doute, à l'échec et à l'ambiguïté. Toutes recettes, techniques, pas à pas et autres 1001 trucs publicitaires, sont de fausses routes qui conduisent l'étudiant à ne pas développer son instinct et ses intuitions, carburants nécessaires à la création efficace. »

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La rédaction publicitaire : perspective pour 2020

Conclusion provisoire par Jean Dumas Ce secteur suit le va-et-vient des tendances économiques. La mondialisation de la publicité a fait du mal aux petites nations comme la nôtre, qui avaient développé une expertise locale. Il n’est pourtant pas dit que ce mouvement se poursuivra. Car, plus la publicité se déploie loin du consommateur, moins celui-ci se re-connaît en elle. D’où perte d’efficacité, comme l’ont constaté plusieurs entreprises.

La magasin La Baie

Une campagne publicitaire conçue à l’étranger, loin des sensibilités particulières d’un marché comme le nôtre, s’avère souvent déficiente. Comme l'a montré Isabelle Massé (La Presse, 17 novembre 2010), le magasin La Baie a dû redres-ser le tir. — EXTRAIT : «Ces dernières années, on a transféré à Toronto notre création publicitaire au niveau natio-

nal, explique Patrick Dickinson, vice-président marketing de La Baie. On l'a adaptée au marché québécois, mais on ne sentait pas qu'on faisait partie de la communauté.» Pour tenter de renverser la vapeur, La Baie a approché TVA afin de

créer une émission un peu à l'image de Ma maison Rona. Après quatre ans de réflexion et de conception, La Baie est ainsi devenue le partenaire principal et le quartier général simulé d'une téléréalité.

Sommes-nous prêts pour un prévisible retour du balancier ? Pas sûr ! Pour faire son chemin dans la profes-sion, le rédacteur publicitaire de 2020 devra posséder une culture plus vaste que celle qu’on observe géné-ralement dans la génération montante. Autrement dit, la profession ne retiendra que les meilleurs des étu-diants qui forment les cohortes actuelles.

6 - La rédaction pédagogique se fera-t-elle multiplateforme ?

Dialogue avec Geneviève Désilets et Paul Bleton

oute rédaction professionnelle se veut pédagogique. Ce devrait être l’évidence. Prenez le rédacteur technique: n’écrit-il pas pour que l’on apprenne et retienne? Et le rédacteur publicitaire? Et le rédacteur vulgarisateur? Et le rédacteur rela-

tionniste? Alors, pourquoi ne fait-on pas plus souvent appel à un rédacteur professionnel en matière de transmission écrite d'un enseignement? Essentiellement par le fait d'une méconnaissance de la complémentarité des compétences; autrement dit, par une sorte de tradition élitiste. Comme si celui qui est passé maître dans un domaine disciplinaire avait aussi, par quelque grâce d'état, toutes les qualités pour en communiquer le contenu dans un texte écrit.

Didactique et pédagogie C'était au siècle dernier. Plus précisément, dans les années mille neuf cent soixante-dix. Je dirigeais alors le Service de pédagogie universitaire de l'UQAM et ne pouvais manquer d'être frappé par l'usage récurrent qu'on faisait, dans le milieu, du mot pédagogie à la place de didactique. Et inversement. Trente ans plus tard, au Congrès international de pédagogie universitaire de 2007, la confusion ne semblait pas s'être totalement dissipée. La distinction à faire est pourtant fondamentale tant pour un professeur qui souhaite publier un ouvrage didactique que pour un rédacteur professionnel qui souhaite contribuer à rendre cet ouvrage pédagogique. La didactique est centrée sur la matière à enseigner. Elle montre comment s'y prendre pour en couvrir tous

les aspects essentiels, de façon logique, depuis les fondements jusqu'aux conséquences. La pédagogie est centrée sur l'apprenant. Elle propose des fa-çons de présenter cette matière en considération de la réceptivité intellectuelle et émotive du public visé. Des exemples? En voici. L'étude des langues – La didactique recommande d'entreprendre l'étude d'une langue par l'analyse des sons dont tout idiome est constitué (les voyelles) et des façons de les émettre – sifflante, gutturale, labiale – (les consonnes). La pédagogie communique cette information aux tout petits en les faisant chantonner: b-a---ba, b-e---be, b-i---bi, de façon rythmée, à la manière d'une comptine; ce qui convient bien à leur façon d'apprendre.

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L'étude de l'histoire – Tout didacticien sait que l'histoire a un sens, qu'elle va du passé au futur. Le passé: un événement a eu lieu dans un enchevêtre-ment de situations. Le futur: une multitude de faits pouvaient découler de cet événement, mais un seul s'est produit. Pourquoi? Tout pédagogue sait que, pour bien saisir ce jeu particulier de cause à effet, l'étudiant peut avoir besoin d'hypothèses («Que serait-il arrivé si...?»), de comparaisons («Imaginez un événe-ment semblable se produisant aujourd'hui...») et même de ren-versement du temps («À partir de telle situation présente, retra-cez les faits qui y ont conduit»). L'étude des mathématiques – Une bonne didactique entreprendra le survol de cette discipline par ce qui en constitue le point de départ obligé, la distinction à établir entre un chiffre (signifiant) et un nombre (signifié), alors que l'un et l'autre utilisent le même signe graphique.

Prenant acte de cette différence, une bonne pédagogie trouvera quelque moyen de faire entrer cette notion dans la tête de l'élève. Elle pourra, par exemple, montrer que la grammaire elle-même tient compte de cette distinction quand elle demande qu'on écrive le chiffre – signifiant – 80 au singulier (quatre-vingt), alors que le nombre – signifié – 80 s'écrit au pluriel (quatre-vingts). Beau cas de compétence transversale! Une fois bien comprise la distinction entre didactique et péda-gogie, il devrait être plus facile de faire accepter l'idée que, pour rédiger un ouvrage purement didactique, un professeur n'a sans doute besoin de personne d'autre; mais, que pour rédiger un ouvrage qui se veut aussi pédagogique, l'apport d'un rédacteur professionnel ne serait sans doute pas superflu. Voir aussi: La profession de rédacteur, Fides 2009, pp 111-133.

Dans le monde du commerce et de l'industrie, l'on a compris depuis longtemps que le succès d'une entreprise dépend d'une bonne répartition des tâches. Le directeur de la production sait que son talent ne le prédispose par pour autant à la réussite en mise en marché. Pour vendre le produit, il a donc besoin d'un directeur du marketing, lui-même souvent ignorant du procédé de fabrication. «Complémentarité des compétences», avons-nous dit. Il devrait en être ainsi dans le monde de l'enseignement. Ce n'est pour-tant pas acquis. Ce le sera peut-être en 2020, quand une évolution technique et sociale accélérée obligera les auteurs à se fier, pour transmettre leur message, à un spécialiste de la communication pédagogique. Cette mutation s'accélérera dans le mesure où la pédagogie deviendra elle-même multiplateforme. Un spécialiste peut toujours prétendre qu'il sait écrire. Mais quand l'écriture se complétera d'images numériques fixes et mobiles, d'extraits sonores et d'effets spéciaux, il serait bien étonnant qu'il puisse à la fois contrôler le sujet et un média deve-nu complexe.

GENEVIÈVE DÉSILETS : «Ce qui va changer, c'est le médium.»

iche d'une maîtrise en études littéraires, Geneviève Désilets occupe aujourd'hui le poste de directrice littéraire à la maison d'édition Art Sabord. Elle est également associée à l'Université du Québec à Trois-Rivières où, à titre d'auxi-

liaire de recherche, elle fournit des outils d'aide en français aux étudiants étrangers. Les éditeurs ne peuvent qu'apprécier les ouvrages à dimension pédagogique, comme celui que son entreprise a publié sur l'histoire de Trois-Rivières. Car ces publications ont une durée de vie plus longue chez les distributeurs et les libraires. Les plus véritablement pédagogiques d'entre eux sont présentement ceux où le texte est soutenu d'illustrations, qui prolongent l'information fournie par les mots. Et en 2020 alors? «Ce qui va changer, c'est le médium.» De quelle façon? Nul ne le sait, tant les choses évoluent vite. Au rédacteur d'être en mesure de s'adapter, le moment venu, en s'initiant aux possibilités pédagogiques qu'offriront les nouveaux développements techniques. Mais le Nouveau Monde numérique a ses mirages. C'est pourquoi, il s'avérera toujours précieux pour un rédacteur, de baigner dans un environnement intellectuel suffisamment dynamique pour équilibrer, par une prééminence de la culture, la pression des technologies vers un certain «réductivisme» de la pensée. D'où l'apport non négligeable des maisons d'édition à haute teneur littéraire. Des maisons d'édition qui ont l'œil ouvert sur la beauté... dans une ville comme Trois-Rivières où les murs sont tapissés de poèmes... invitation subtile à se laisser porter par la splendeur des mots. La stimulation d'un milieu où l'écriture a encore son importance dispose à mettre la technologie au service de l'humanisme et non l'inverse. Trois-Rivières en a fourni de multiples exemples, dont celui de la fort belle initiative Se donner le mot.

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Se donner le mot Trois-Rivières a développé une proximité avec le monde des lettres qui en fait un lieu privilégié pour les amants du «bien écrire». La ville compte deux maisons d’édition littéraire. Deux – sur la même rue Laviolette – pour un si petit marché: voilà qui té-moigne de la place des mots chez les Trifluviens. L’Université y est pour quelque chose, avec un programme de transfert de connaissances aux multiples applications… dont le désormais célèbre DVD Se donner le mot, réalisé de concert avec le groupe ECP et Collectionvideo.

Il s’agit de quarante capsules audiovisuelles d’apprentissage linguistique par la voie de l’humour qu’animent les comédiens Christopher Hall et Pierre Verville. Un site Web absolument superbe y est également associé. Les auteurs ont fait le pari que, grâce à un cheminement ludique, cette façon subtile d’élargir le vocabulaire des jeunes en leur apprenant des expressions qui font image, du genre «Accorder ses violons», s’inscrira spontanément dans leur cerveau. Ce n’est donc pas pour rien que TV5, TFO et Druide Informatique se sont associés à ce projet, par ailleurs récompensé d’un Prix Gémeaux en 2008.

Le rédacteur pédagogique voit donc poindre un avenir souriant. Trop souriant peut-être. Car un obstacle majeur subsiste. Dans un ouvrage pédagogique, y a-t-il place pour deux auteurs, l'un centré sur le contenu, l'autre sur la présentation? Par définition, l'ouvrage pédagogique s'appuie sur deux compétences. On ne peut demander à un scientifique d'être aussi un auteur littéraire, ni à un rédacteur de posséder un doctorat en tout. Or, si le rédacteur connaît bien ses limites, le spécia-liste du contenu n'accepte pas toujours qu'il a besoin souvent d'être épaulé par ce spécialiste de l'écriture. Et s'il le reconnaît, il n'est pas dit que l'éditeur acceptera d'assumer les frais de deux auteurs plutôt qu'un. À moins qu'il ne leur demande de se partager l'unique cachet! Il n'y a qu'un moyen de faire sauter cet embâcle: montrer la «valeur ajoutée» qu'entraîne toujours un piano à quatre mains. Cette valeur ajoutée, se traduit chez le lecteur par (1) un intérêt plus vif au texte, (2) une meilleure disposition à apprendre, (3) une aptitude accrue à assimiler la matière. Si un établissement se donnait comme seul but de s'assurer que tout l'enseignement prévu au programme soit bien fourni, il pourrait s'en tenir à un ouvrage austère aux lourdes subdivisions (du genre: «II - C - 3 - d» ou «4.12.8.7»). Mais puisqu'il veut aussi s'assurer du progrès des étudiants dans la totalité de leur personnalité, il y a une place toute trouvée pour un rédacteur professionnel, qui mettra un peu d'«humain» dans la discipline enseignée, ce qui en facilitera l'intégration chez le lecteur. Geneviève Désilets est loin d'être assurée que, dans les conditions présentes, cette symbiose entre enseignant et rédacteur soit bien reconnue en milieu universitaire. Il y a encore beaucoup de sensibilisation à faire, croit-elle. Y serons-nous en 2020?

PAUL BLETON :

«Il faudra apprendre à innover, comme on l'a fait pour l'enseignement à distance.»

rofesseur en sciences humaines à la Téléuniversité, Paul Bleton en est à la 5e édition du manuel Maîtrise du français écrit qu'il a rédigé à l'intention de ses étudiants. Également spécialisé en analyse de la littérature populaire, du roman

d'espionnage, du roman de guerre et du western, on lui doit notamment: – Le western, histoire d'une fascination, Encrage, 2002, – Le Vagabond stoïque, (avec Mario Poirier), PUM, 2004, – Lignes de fronts : le roman de guerre dans la littérature africaine (avec Désiré Nyela), PUM, 2009. Son intérêt va au-delà de la langue. Dans le cours PHI 2015 Pensée critique et argumentation il aide l'étudiant à développer une pensée personnelle à travers l'acquisition de compétences argumentatives. Là où ses deux spécialités se rejoignent c'est dans l'approche pédagogique, centrée sur l'enseignement à distance, que la Téléuniversité a mise au point, il y a quarante ans. La rédaction de textes pédagogiques y occupe une place majeure. Voici ce qu'en pense Paul Bleton. Pour se substituer convenablement à l'enseignement en salle de cours, l'ouvrage doit refléter la na-ture du sujet traité. S'il s'agit d'un cours d'initiation pratique, fondé sur la répétition de la matière jusqu'à ce que l'étudiant la maîtrise suffisam-ment, le manuel multipliera les exercices et le fera en progression, tout comme un professeur en classe. Pour un cours devant pousser à la réflexion, l'auteur commencera par réfléchir lui-même, comme s'il avait encore tout à apprendre. Il fera le tour du sujet, se souvenant du processus qu'il avait suivi la première fois qu'il l'a rencontré, puis en reconstruira les étapes.

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Dans un cas comme dans l'autre, il se demandera évidemment si la progression des idées convient bien aux cerveaux auquel le document est destiné. Car, la génération présente a été habituée à penser avec la logique d'Internet, différente sur plus d'un point de celle de Descartes. En outre, il multipliera les rapprochements par le recours au multimédia. «Quand on enseigne à distance, on peut se permettre de proposer des choses que les collègues en salle de cours n'ont ni le loisir ni les moyens d'offrir à leurs étudiants.» Où en sera-t-on en 2020? Pour Paul Bleton, si le rédacteur pédagogique s'avère présentement utile, il deviendra bientôt incontournable, car «il faudra apprendre à innover, comme on l'a fait pour l'ensei-gnement à distance».

Trois facettes moins connues de la rédaction pédagogique La rédaction de documents à portée pédagogique constitue un ample domaine. Ample du côté du public visé, qui va de la petite enfance à l’âge d’or. Ample du côté du soutien pédagogique, qui va d’une simple initiation à une formation scolaire notée. Il y a pourtant plus encore dans ce métier. Jetons un coup d'œil à trois aspects moins connues de la pratique pédagogique par-delà l'écriture des textes eux-mêmes. La Vitrine – technologie et éducation -> Cet organisme pro-pose un Guide de rédaction et de présentation d'un scénario pédagogique et d'une activité d'apprentissage, conçu dans le but d'aider les éducateurs dans la réalisation d'un projet pédagogique mettant à contribution les ressources d'Internet ou du multimédia à l'école ou au collège. L’auteur en est Robert Bibeau.

Guide pédagogique par une communauté d'apprenants de Libreville -> Ce projet veut contribuer à l’intégration effective des XO (on a donné ce surnom aux ordinateurs portables à bas prix utilisés pour l’enseignement dans les pays émergents) dans le système éducatif gabonais. Il est le résultat d’une coopération entre le TACT (TéléApprentissage Communautaire et Trans-formatif), le CEFRIO (Centre francophone d'informatisation des organisations) et l’Université Laval. Solunea -> Cette entreprise française a mis au point un logiciel d’expertise pédagogique , intitulé Patterns, qui «génère la des-cription des moyens pédagogiques à mettre en œuvre, la trame des storyboards des cours, mais aussi une première version des supports multimédias». L'initiative est menée conjointement par l’entreprise Solunea et l'École des mines d'Alès.

Les professeurs ne pourront bientôt plus suivre la technologie. Ils devront s'en remettre à des spécialistes de la communi-cation médiatisée. C'est déjà fait pour les documents audiovisuels où les exigences de scénarisation sont depuis longtemps reconnus. Pour les versions Internet, aussi, certains enseignants commencent à percevoir leurs limites. Même pour la simple adaptation écrite d'un enseignement oral, il faut savoir que les lecteurs contemporains ont des attentes que ceux d'hier n'avaient pas. Ils sont désormais rebelles au style savant, aux références démodées, aux paragraphes interminables. Et que dire du multiplateforme vers lequel on se dirige? En publicité, on n'imaginerait pas des présentations graphiques différentes selon que les messages sont publiés dans des jour-naux, dans des magazines, à la télévision ou sur le Web. Il faut une unité d'approche pour une convergence de la compréhen-sion. Il n'en est pas autrement en pédagogie. À cet égard, on s'en va même vers une fonction d'éditeur, auquel se référeront un spécialiste du contenu (le professeur) et un spécialiste de la relation communicationnelle (le rédacteur multimédia). Pour l'instant «nous sommes dans une période de perplexité». Les outils de transmission de l'information évoluent plus vite que nous ne pouvons les assimiler. Même le rythme de croissance du savoir nous échappe: les dix métiers les plus recherchés en 2010 n'existaient pas en 2004; la moitié de ce qu'on apprend au début d'un cours technique est dépassé au moment où on le termine. Pour faire le compte, ajoutons que la capacité de concentration des gens d'aujourd'hui se rétrécit constamment à cause du flux d'information à intégrer et que la hiérarchie traditionnelle des données culturelles est complètement boulever-sée. Le rédacteur pédagogique doit donc apprendre à se concevoir comme un architecte de la communication. Son mandat: que le message parvienne au destinataire, par une voie ou une autre. Une spécialité à peine née. Que de défrichage en vue!

La rédaction pédagogique : perspective pour 2020

Conclusion provisoire par Jean Dumas Cette forme de rédaction couvre un vaste terrain, de l’école primaire aux essais spécialisés, du strict ensei-gnement à la culture populaire. À l’université, où elle doit d’abord s’implanter pour acquérir une valorisa-tion sociale, elle n’a jamais vraiment levé de terre ; ce, pour des raisons tant de budget que de méconnais-sance. À l’horizon de 2020, son avenir passe par les approches d’enseignement les plus novatrices, comme la formation à distance – où elle est déjà bien implantée – et la communication multiplateforme, ce meddly d’enseignement qui met en parallèle plusieurs médias, certains interactifs. La rédaction pédagogique, peu de gens y sont vraiment préparés. Territoire presque vierge, donc. À occuper.

 

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A - LA THÉORIE ET LA PRATIQUE

(quatre sections)

B - LA PIERRE D'ASSISE (six sections)

A - La théorie et la pratique

1 - À quoi sert un rédacteur professionnel ?

C'est un spécialiste de la métaphore

oute entreprise publie constamment des textes et a donc besoin d'une personne pour les rédiger. Mais pourquoi faire appel à un rédacteur professionnel ? N'est-il pas possible de dénicher, à quelque échelon de la pyrLamide, un employé

cultivé, aimant la lecture, capable d'écrire convenablement en français correct, et avec un certain style ? On ne fait quand même pas de littérature dans les bureaux. Dix mots à rédiger, mais pas n'importe lesquels Pour répondre à cette fréquente «colle», rien ne vaut un petit test. Vous travaillez pour la Ville. Le corps de police vient de publier un rapport alarmant sur la criminalité qui y sévit. On vous demande de publier ces statistiques [les données n'ont ici aucune importance] en les faisant précéder d'une phrase percutante. Rédigez cette unique phrase d'une dizaine de mots. Ooups ! Pas si facile que ça ... Essayez encore ! ... Qu'est-ce qui bloque? ... Vous avez donné votre langue au chat et faites maintenant appel à un rédacteur professionnel. Observez-le : que fait-il ? Il s'enquiert d'abord de l'orientation politique du Conseil de ville. En effet, si l'on demande de faire précéder les statistiques d'une phrase percutante c'est qu'on veut transmettre un «message». On espère sans doute éveiller l'attention du public et des autorités supérieures pour obtenir plus d'argent ou plus de personnel pour lutter contre le crime. Mais pour quelle sorte de lutte ? Le rédacteur professionnel voudra donc connaître, tout d'abord, les tendances sociales du maire et de ses conseillers. Vous lui expliquez : a) qu'ils sont portés sur la coercition : c'est la seule façon de se débarrasser des criminels; b) ou, au contraire, qu'ils penchent vers la réhabilitation : c'est ainsi qu'on assainira le climat. Selon votre réponse, le rédacteur professionnel préparera deux phrases bien différentes, quoique toutes deux percutantes. COERCITION ? « Une bête sauvage rôde dans la ville, tapie dans le voisinage : le crime. » RÉHABILITATION ? « Un virus infecte la ville, tourmentant le voisinage : le crime. »

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En quoi ces deux phrases sont-elles distinctes ? Selon une étude de l'Université Stanford, lorsqu'on a demandé à des cobayes quelles mesures devraient être prises pour contrer la criminalité, les lecteurs de la première formulation ont opté pour une démarche punitive à 75 %, contre 25 % seulement pour des actions sociales visant la réhabilitation. À l'inverse, la seconde formulation n'a incité que 44 % des lecteurs à soutenir la coercition (la moitié moins que pour la première formulation), alors que 56 % (deux fois plus que dans le cas précédent) préféraient une intervention de nature sociale.

Contrôler la métaphore pour manipuler les comportements par Fabien Déglise — Le Devoir, 2 avril 2011 — Extraits

[...] Soucieux de mesurer l'effet d'une communication métapho-rique sur les comportements de leurs semblables et la prise de décisions, le duo [Lera Borodistsky et Paul Thibodeau de l'Uni-versité Stanford] a confronté 1500 cobayes à deux rapports sur l'état de la criminalité dans une ville fictive baptisée Addison. Dans un cas comme dans l'autre, les statistiques étaient rigou-reusement identiques, présentées dans la même forme et selon la même séquence. Seule différence : un groupe s'est fait dresser le portrait du crime à Addison à une image forte, celle d'une «bête sauvage rôdant dans la ville» tout en étant «tapie dans le voisi-nage». L'autre a plutôt été confronté à la métaphore du «virus infectant la ville» et «tourmentant le voisinage». [...] Comment se débarrasser du crime à Addison ? Des chiffres ? Face à l'image de la bête, 75 % des répondants ont opté en effet pour des mesures coercitives et punitives, indiquent les résultats de cette étude. Contre 56 % dans le groupe exposé à la rhétorique du virus. À l'inverse, lorsqu'il est question de virus, 44 % des personnes ont proposé d'adopter des mesures sociales

afin d'enrayer les courbes de la criminalité. La bête sauvage cachée dans le milieu urbain a fait sortir ce point de vu chez un quart des gens seulement. Notons que, dans les deux cas, la métaphore n'était présentée qu'une fois aux participants à cette étude, sans insister sur l'image. Pour plus d'efficacité. Une efficacité redoutable dont le citoyen n'a même pas conscience, à en croire cette enquête. En effet, à peine 3 % des participants à cette série d'analyse ont noté la présence de la métaphore de la bête ou du virus dans la pré-sentation de l'information. Pis, la grande majorité d'entre eux ont même annoncé avoir construit leur jugement sur la base des données factuelles présentées (les chiffres de la criminalité), se croyant du coup très objectifs. La linguistique cognitive avait déjà cerné l'enjeu de l'image dans la manipulation. La métaphore comme structure de la pensée permet au cerveau d'appréhender des phénomènes complexes et peut, lorsque bien utilisée, faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre, d'un point de vue idéologique. [...]

Quand les chercheurs ont demandé aux cobayes sur quelles bases ils fondaient leur choix, la grande majorité d'entre eux ont dit s'appuyer uniquement sur les statistiques. Ils n'avaient donc pas vu que les mots de présentation avaient imprégné leur jugement sans qu'ils s'en soient rendu compte. Le choix des mots, des propositions, des phrases, des paragraphes Voilà à quoi sert un rédacteur professionnel. Il est un peintre des mots. Sa vaste palette lui permet de choisir, parmi des di-zaines de «couleurs», celle qui rendra exactement l'intention du message. Un exemple très simple : le PDG veut annoncer un «grand» projet. Le rédacteur professionnel l'invitera à être un peu plus précis et l'assistera dans le méandre des qualificatifs. Du plus au moins opportun : Ambitieux ? Considérable ? Colossal ? Imposant ? Vaste ? Coûteux ? Distinctif ? Chacun de ces adjectifs oriente naturellement l'esprit de n'importe quel lecteur vers une attitude spécifique de réceptivité. Lequel d'entre eux servira le mieux les intentions du directeur général ? Choix des mots, oui; mais aussi disposition des pro-positions, des phrases et des paragraphes, afin de leur donner cette «tonalité» particulière qui suscitera la réaction attendue. À cet égard, le rédacteur professionnel est un maître de l'impression subliminale. Un exemple encore ? Voici. « Vêtu d'un veston noir et pantalon assorti, le président d'assemblée est entré dans la salle et a repris le débat. » « Le président d'assemblée est entré dans la salle et a repris le débat, vêtu d'un veston noir et pantalon assorti. » Dans la première phrase les vêtements du président n'ont qu'un intérêt anecdotique. Dans la deuxième, on y voit plutôt une illustration du climat sombre de la réunion. Même si vous n'avez peut-être pas constaté de différence entre l'une et l'autre formulation, votre inconscient, lui, l'a ressentie. La part de créativité dans les textes d'un rédacteur professionnel Voilà pourquoi l'on ne saurait confondre le rédacteur occasionnel et le rédacteur professionnel. Sur ce point précis, il est intéressant de noter que la classification du gouvernement du Canada distingue nettement la profession de «rédacteur» – code 5121 – de celle de «rédacteur-réviseur» (il serait plus exact d'écrire «re-rédacteur») – code 5122. La première est associée à la recherche documentaire et à la création de textes, alors que la seconde porte sur l'appréciation des manuscrits. Le rédacteur professionnel est donc, à sa manière, un auteur.

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Des malentendus subsistent pourtant dans les entreprises. Certains chefs de service recourent encore à un rédacteur « parce que je n'ai pas le temps d'écrire moi-même », inconscients qu'ils sont de ce que le rédacteur n'a pas le mandat de se substituer à un cadre trop occupé, mais celui d'apporter une valeur ajoutée à son travail. Le rédacteur professionnel sait que la simple façon de rédiger une banale directive peut entraîner l'adhésion ou la réticence du personnel. Il sait aussi que la phraséologie utilisée pour gagner l'appui d'un supérieur n'atteindra son but que si l'on connaît bien sa personnalité et si on sait construire la requête en conséquence, c'est-à-dire en recourant à un ton qui sonnera juste pour lui, alors qu'il n'aurait pas été adéquat pour un autre. L'entreprise a donc tout intérêt à se doter d'un rédacteur professionnel permanent et, de ce fait, sensible à la culture du groupe (environnement interne), aux concurrents (environnement externe) et à la clientèle. Pour sa part, le contractuel, embauché « à la pièce », devra obligatoirement se familiariser quelque peu avec les arcanes de la firme avant d'écrire. Dans les deux cas, le rédacteur prolongera beaucoup plus que la main du responsable ; c'est sa pensée même qu'il traduira en phrases. À moins qu'on n'attende de lui que clichés, poncifs et banalités. Mais ça, c'est une autre histoire. Et, même alors, il n'est pas donné à tout le monde d'écrire pour ne rien dire sans que ça paraisse !  

2 - Le petit catéchisme de la rédaction professionnelle

Toute la profession en cinquante questions

CHAPITRE PREMIER Des origines de la rédaction professionnelle 1. Qui a créé le rédacteur professionnel ? C’est l’écriture qui a créé le rédacteur professionnel. 2. Pourquoi l'écriture a-t-elle créé le rédacteur professionnel ? L'écriture a créé le rédacteur professionnel afin que les acquis de la civilisation puissent se transmettre d'une génération à l'autre et que l'humanité s'en trouve enrichie. 3. Comment le rédacteur vivait-il au Paradis terrestre ? Dans les temps anciens, qui furent une sorte de Paradis terrestre pour le rédacteur, celui-ci se tenait aux côtés du chef d’une cité-État, avec mission de transmettre la tradition par écrit, vu qu’il était l’un des rares citoyens à pouvoir contrôler le savoir par l’écriture et la lecture. On lui confia, en conséquence, la tâche de copier et, souvent, compléter les textes qui portaient cette tradition ; ce qu’il fit durant des siècles. 4. Pourquoi le rédacteur professionnel fut-il chassé du Paradis ? C’est l’alphabétisation généralisée qui a chassé le rédacteur professionnel du Paradis. Plus les gens pouvaient eux-mêmes lire et écrire, moins ils avaient besoin de lui. Se spécialisant alors dans le bien écrire, le rédacteur devint en quelque sorte un gardien de la langue. Depuis un certain nombre d'années, sous l’effet d’un déplacement des priorités culturelles et sociales, il accentue un autre aspect de sa profession : la fonction de communicateur par l’écriture. 5. Où est le rédacteur professionnel ? Le rédacteur professionnel est partout. 6. Si le rédacteur est partout pourquoi ne le voyons-nous pas ? Nous ne voyons pas le rédacteur parce qu’il se tient dans l’ombre de la personne qui requiert ses services. 7. Quel est le premier commandement du rédacteur ? Le premier commandement du rédacteur consiste à respecter la vérité. Il ne doit jamais écrire quoi que ce soit de contraire aux faits. Il rapportera toutefois ces faits en tenant compte à la fois des besoins du commanditaire de l’article et du niveau de compréhension du récepteur.

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CHAPITRE DEUXIÈME De la nature de la rédaction professionnelle 8. Qu’est-ce que la rédaction professionnelle ? La rédaction professionnelle est un exercice rémunéré consistant à produire des documents écrits, dans le cadre d’un mandat, ainsi qu’à accomplir toute tâche associée à cette rédaction. 9. Comment faut-il comprendre le mot « rédaction » en rédaction professionnelle ? En rédaction professionnelle il faut entendre le mot « rédaction » dans son sens courant : le fait d’écrire. 10. Pourquoi précise-t-on « professionnelle » ? On précise « professionnelle » parce que le rédacteur doit avoir acquis une compétence spécifique en rédaction. 11. Où acquiert-on cette compétence ? La rédaction et les disciplines connexes (communication, relations publiques, publicité, linguistique, pédagogie, etc.) s’enseignent dans les universités. Au Québec, le titre de « rédacteur agréé », décerné par la Société québécoise de la rédac-tion professionnelle à la suite d’un examen, coiffe cette formation. 12. Quels sont les champs d’application de la rédaction professionnelle ? Les principaux champs d’application de la rédaction professionnelle sont l’administration, la politique, la technique, l’information culturelle, la vulgarisation scientifique, la publicité, les relations publiques et la pédagogie. 13. De quel secteur économique relève la rédaction professionnelle ? La rédaction professionnelle relève du secteur Tertiaire / catégorie Services / sous-catégorie Communication écrite. CHAPITRE TROISIÈME Des éléments qui constituent la communication écrite 14. Qu’est-ce que la communication écrite ? Comme domaine professionnel, la communication écrite couvre tout ce qui touche, à la fois et de façon liée, l’art de commu-niquer et l’art d’écrire. 15. De quels éléments est constituée la communication écrite ? La communication écrite est constituée de quatre éléments : 1. un émetteur, 2. une information, 3. un récepteur, 4. une langue commune d’écriture. Faire de la communication écrite, c’est naviguer à travers ces quatre éléments. 16. Quel est le plus important de ces quatre éléments ? Ces quatre éléments sont aussi essentiels l’un que l’autre. 17. En quoi se distinguent les diverses professions de la communication écrite ? Les diverses professions de la communication écrite se distinguent en ce que chacune met l’accent sur l’un des quatre élé-ments qui la constituent, sans négliger les autres pour autant. 18. Sur quel élément la rédaction professionnelle met-elle l’accent ? Tout en tenant compte des quatre éléments de la communication écrite, la rédaction professionnelle insiste surtout sur le récepteur. Sa tâche est réussie si le public visé a suffisamment compris pour réagir intelligemment au texte. 19. Quelle est la part des trois autres éléments en rédaction professionnelle ? Pour le rédacteur professionnel l’aspect émetteur (premier élément) est généralement effacé, puisqu’il parle au nom d’un autre, le commanditaire du texte. En conséquence, l’aspect information (deuxième élément) est inévitablement teinté par le message que ce commanditaire souhaite transmettre. Pour ce qui est de la langue (troisième élément), le rédacteur profes-sionnel doit posséder suffisamment les clés d’une bonne écriture pour être en mesure d’en assurer la qualité tout en l’adaptant au récepteur visé (quatrième élément). CHAPITRE QUATRIÈME Des autres professions de la communication écrite 20. Quelles sont les autres professions associées à la communication écrite ? Outre la rédaction professionnelle, plusieurs professions sont associées à la communication écrite : journalisme, traduction, scénarisation, légistique (juridique), révision de textes, édition, lexicologie, grammaire, linguistique appliquée à l’écriture,

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bibliothéconomie, ainsi que rédaction d’essais ou d’œuvres de fiction à titre d’écrivain. D’autres tâches, comme celles de rédacteur relationniste ou publicitaire, sont des applications sectorielles de la rédaction professionnelle. Il arrive souvent qu’un rédacteur professionnel ait entrepris sa carrière dans l’une ou l’autre de ces multiples disciplines. 21. En quoi ces professions se distinguent-elles de la rédaction professionnelle ? Ces professions se distinguent de la rédaction professionnelle en ce qu’elles accentuent un élément différent de la communi-cation, tout en étant, elles aussi, attentives aux quatre. 22. En quoi l’écrivain se distingue-t-il du rédacteur professionnel ? L’écrivain – d’essai ou de fiction – étant lui-même l’émetteur (en tant qu’auteur) de l’information (le sujet dont il traite), il sera surtout centré sur ce que le style et la forme de sa présentation apportent d’unique au récepteur (le lecteur). C’est donc l’aspect émetteur qu’il met en évidence: c'est parce qu'il marque le texte de sa personnalité qu'on le lit. 23. En quoi le journaliste se distingue-t-il du rédacteur professionnel ? Le journaliste mettra principalement l’accent sur la fidélité de transmission de l’information (la nouvelle) qu’il a recueillie auprès d’un émetteur (sa source) vers le récepteur (le lecteur): c'est parce qu'il est fiable qu'on le lit. 24. En quoi le linguiste se distingue-t-il du rédacteur professionnel ? Le linguiste s’attardera particulièrement aux niveaux de langue, celle d’écriture de l’émetteur et celle de lecture du récepteur. Il n'écrit pas lui-même, mais soutient les émetteurs dans leur manière d'écrire, compte tenu de ce qu'il constate dans les fa-çons de lire des divers récepteurs. CHAPITRE CINQUIÈME De la tâche première du rédacteur professionnel 25. Quelle est la tâche première du rédacteur professionnel ? La tâche première du rédacteur professionnel consiste à rédiger des textes de manière à ce que le lecteur visé comprenne bien l’information que le commanditaire souhaite transmettre. 26. Comment le rédacteur professionnel gagne-t-il sa vie ? Le rédacteur professionnel peut gagner sa vie de trois manières : comme salarié, comme entrepreneur ou comme indépendant. Sa rétribution est celle d’un professionnel en communication. 27. Le rédacteur est-il un serviteur de la personne qui l’emploie ? Le rédacteur n’est pas un serviteur de son employeur. C’est un professionnel qui enrichit de sa compétence discrète la per-sonne qui l’emploie. 28. Le rédacteur professionnel est-il un spécialiste de la grammaire ? Même s’il doit écrire de façon correcte, le rédacteur n’est pas un spécialiste de l’orthographe, de la syntaxe ou de la ponctua-tion. Sa formation linguistique vise essentiellement à le rendre apte à rédiger des textes adaptés au public visé. 29. Comment le rédacteur professionnel sait-il qu’il atteindra parfaitement le lecteur ciblé ? Le rédacteur professionnel ne peut jamais savoir s’il atteindra parfaitement le lecteur ciblé. Ce n’est qu’après coup qu’il réali-sera s’il l’a fait ou non. Pour mettre toutes les chances de son côté, le rédacteur développera donc des compétences en rela-tions humaines, de manière à mieux comprendre la psychologie du lecteur qu’il cible, ainsi que ses capacités de lecture. CHAPITRE SIXIÈME Des autres tâches du rédacteur professionnel 30. Quelle est la seconde tâche du rédacteur professionnel ? Outre sa tâche première de rédaction, le rédacteur est fréquemment appelé à réaliser la conception même des documents qu'il écrira. C'est particulièrement le cas en publicité, mais aussi dans d'autres applications de la profession. 31. La rédacteur remplit-il aussi une tâche d'intégration ? Oui, on confie également au rédacteur professionnel la tâche d'intégrer dans le texte les figures, graphiques, tableaux, photo-graphies et autres sources complémentaires à l’écriture. 32. Le rédacteur remplit-il aussi une tâche de coordination ? Oui, le rédacteur professionnel est appelé à coordonner divers textes entrant dans la composition d'un document.

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C'est à lui qu'il revient alors d'y mettre de l’ordre, de manière à ce que le lecteur visé saisisse leur cohérence. C’est souvent le cas pour un ouvrage écrit par un collectif d’auteurs. 33. Le rédacteur remplit-il aussi une tâche de gestion ? Oui. Comme pour toute autre profession, le rédacteur peut être appelé à gérer du personnel ou des projets interdisciplinaires. CHAPITRE SEPTIÈME Des conséquences du Web sur la rédaction professionnelle 34. Le travail du rédacteur professionnel est-il modifié par le Web ? L’avènement du Web ne change pas fondamentalement le travail d'écriture du rédacteur, qui doit toujours prendre en consi-dération les quatre éléments de la communication écrite et continuer de mettre l’accent sur le récepteur. 35. Pourquoi le rédacteur professionnel n'a-t-il pas à craindre le Web ? Si, au fil des siècles, le rédacteur a su passer des tablettes d’argile aux feuilles de papyrus, puis à la peau de chèvre et au pa-pier, l’écran ne lui fera pas peur. Il lui faut toutefois, comme il l’a toujours fait dans le passé, adapter sa manière d’écrire aux impératifs d’un nouveau média. 36. En quoi le Web affecte-t-il l’activité de rédaction ? Le Web affecte l’activité de rédaction de diverses manières. Ainsi, rédiger pour une lecture à l’écran exige certains ajuste-ments stylistiques. Ou encore, rédiger sur un support qu’on peut modifier en quelques instants entraîne une façon d’écrire différente que dans le cas d’un support inaltérable, comme l'imprimerie. 37. En quoi d'autre le Web affecte-t-il l'activité de rédaction ? La rédaction est affectée par le Web d'autres manières encore. Ainsi, dans un contexte où le récepteur (l’internaute) devient facilement émetteur à son tour, le rédacteur est appelé à jouer d’une certaine façon un rôle d’arbitre dans le dialogue entre l’émetteur et le récepteur. 38. En quoi d'autre encore le Web affecte-t-il l'activité de rédaction ? La multiplication des supports - du Blackberry à l'iPad - impose au rédacteur de modifier sans cesse son niveau de langage. D'année en année, l'interactivité augmente, les écrans de lecture se réduisent, les sources se diversifient : autant de défis à la rédaction. 39. En quoi le Web affecte-t-il les autres activités du rédacteur ? En plus des éléments traditionnels que le rédacteur professionnel est, depuis toujours, appelé à intégrer et à coordonner – textes, figures, tableaux, photos, etc. – pour constituer un ensemble organique, le Web l’amène aussi à rassembler, sous forme d'«hyperliens», des pages, des sites et des groupes de sites, jusqu’à constituer une vaste toile. Plus cette toile est com-plexe, plus il est essentiel de trouver un point central autour duquel graviteront les divers sites et de gérer la circulation per-manente entre les interlocuteurs. 40. Quelles sont les conséquences à long terme de ce rassemblement de sites ? Dans l'avenir, la nécessaire harmonisation entre la multitude de sites informatiques qui portent sur un même sujet entraînera inévitablement la création d'un poste spécialisé d'intégrateur d'information numérisée, sorte de super-webmestre. Les tâches de conception, d'intégration et de coordination du rédacteur seront alors appelées à s'épanouir encore plus. En revanche, comme pour tout rédacteur en chef, la part de la rédaction s'amenuisera dans son emploi du temps. 41. Pourquoi le rédacteur professionnel devrait-il s'intéresser à cet aspect du Web ? Le rédacteur professionnel, qui a déjà une vaste expertise de rapprochement entre diverses sources d'information, aurait inté-rêt à saisir l'opportunité que lui offre le Web d'étendre son champ d'action dans cette direction avant que d'autres ne le fas-sent. CHAPITRE HUITIÈME De l’avenir de la rédaction professionnelle 42. Le travail du rédacteur professionnel est-il affecté par la perte d'intérêt pour la lecture ? Il n'y a pas, à proprement parler, de perte d'intérêt pour la lecture. Les gens d'aujourd'hui lisent simplement de façon diffé-rente.

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43. Que faut-il entendre par lire «de façon différente» ? L'écriture et la lecture ont toujours été tributaires d'un contexte précis. Les meilleurs auteurs d'hier ne pourraient plus écrire de la même manière aujourd'hui, car le public ne lit plus dans les mêmes conditions économiques, culturelles et sociales. 44. Quelle est la principale différence dans la façon d'écrire ? La différence principale dans la façon d'écrire tient à la démocratisation de la société : plus s'accroît le nombre de personnes capables d'écrire, plus augmentent les risques d'en trouver qui multiplient les fautes grammaticales. Si on a l'impression que les gens d'aujourd'hui écrivent mal, c'est que ceux qui écrivent mal n'auraient même pas pu écrire, il y a un demi-siècle. 45. Y a-t-il d'autres différences dans la façon d'écrire ? Oui. On observe en particulier que la démocratisation de notre époque s'oppose à la hiérarchie élitiste à laquelle la langue fut traditionnellement associée; on veut que la langue reflète la société au lieu de s'imposer comme régulatrice. 46. Quelles sont les principales différences dans la façon de lire ? Une première différence dans la façon de lire est liée au développement de la communication audiovisuelle: les mots d'au-jourd'hui doivent être aussi accessibles que le sont les images. Une deuxième découle de l'accélération de la vie: on veut bien lire, mais le plus vite possible, avec le risque de contresens qui découle d'une lecture superficielle. Une autre encore vient du nombre de plus en plus élevé de sources de lecture: l'offre étant si considérable, le lecteur en vient à ne vouloir lire que ce qui le touche personnellement, dans l'instant. 47. Quelle est la conséquence de ces changements pour le rédacteur ? Le rédacteur professionnel s'est toujours efforcé d'écrire pour que le texte soit bien compris. Il doit continuer à faire de même, tout en prenant conscience que les lecteurs sont devenus plus exigeants du côté de la clarté et de la simplicité des phrases. 48. Quel est l’avenir de la rédaction professionnelle ? Dans un univers où les compétences se bousculent, c’est au rédacteur professionnel de fixer l’avenir de sa profession. Per-sonne ne le fera pour lui. Telle est la raison d’être de la présente enquête et la signification des conclusions – évidentes pour certains, surprenantes pour d’autres – qui parsèment son argumentaire. 49. Que demeurera-t-il d'inchangé dans la rédaction professionnelle de demain ? Même si le contexte changera, ce qui ne changera pas c'est la mission première du rédacteur: écrire pour que le lecteur ciblé saisisse bien les nuances du document qu'on lui présente, de sorte qu'il soit en mesure de porter un jugement éclairé. 50. Comment pourrait-on résumer cette caractéristique du rédacteur professionnel ? Demain, tout comme aujourd'hui et hier, le rédacteur professionnel demeurera toujours avant tout l'ange gardien du lecteur.   

3 - Vous aussi pouvez devenir rédacteur professionnel

Pas moins de dix-sept universités vous attendent

rès tôt vous avez manifesté de l'intérêt et de la facilité pour la communication écrite. À l'école, vos résultats en français étaient remarqués. Vous aimiez lire et rédiger. On vous surprenait à tenir un journal, à composer de petits récits. Aux

études supérieures vous avez peut-être pris une route bien éloignée de l'écriture. Pour toutes sortes de raisons. Mais vous y reveniez sans cesse dans vos loisirs ou, mieux encore, à travers la qualité de présentation de vos travaux trimestriels. Décidément, il y avait là des indices de vos aptitudes à la rédaction. Qui n'ont jamais cessé de s'affirmer. Vous vous surpre-niez constamment à entendre les autres vous répéter : « Écrire, tu vois bien que c'est ce que tu aimes le mieux faire. » Ce n'est donc pas par hasard que vous avez abouti au présent site Web. Un cheminement plus ou moins diffus aura éveillé votre intérêt pour le titre « La rédaction professionnelle à l'horizon de 2020 ». Oui, tous les signes sont là : vous aussi pouvez devenir rédacteur professionnel. Vous en avez encore le temps. Les étapes à franchir ? 1. Une formation universitaire d'appoint : jusqu'à 2015-2016. 2. Au moins quatre ans d'expérience : de 2016 à 2019. 3. Une reconnaissance officielle de votre compétence : 2020.

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Une formation d'appoint

ommençons par la théorie. Puisque la rédaction professionnelle est un métier à caractère pratique, un premier cycle universitaire (trois pleines années d'étude) constitue un niveau suffisant de formation pour exercer la tâche. Toutefois,

ces études doivent obligatoirement comporter deux composantes : en art d'écrire et en art de communiquer. Bien écrire est essentiel – vous le savez déjà. Mais la maîtrise des mots et des phrases ne formera que des esthètes si elle n'est pas soutenue par la préoccupation d'être bien compris du public visé. D'où la nécessité d'être également sensible à la psycho-logie du lecteur, ce que fournit une formation de base en communication. Lettres et communication doivent donc s'équilibrer. Seuls les programmes spécifiques de rédaction professionnelle comprennent ces deux facettes. Mais il est possible de combi-ner ces connaissances autrement. Observons cinq cas de figure. A - Si vous finissez présentement vos études collégiales : 1. Inscrivez-vous immédiatement à un baccalauréat (trois années d'étude) en rédaction; il en existe plusieurs, comme vous

pourrez le voir ci-dessous. 2. Si cette formation n'est pas donnée dans votre région, obtenez l'équivalent par le cumul de trois certificats : en rédaction

et dans deux disciplines qui font le lien entre bien écrire et bien communiquer, comme le journalisme ou les relations publiques. Ou toute autre combinaison équivalente.

B - Si vous avez déjà une formation universitaire : 3. Peut-être avez-vous déjà commencé des études en lettres ? Ajoutez-y un certificat en rédaction. Vous pourrez ainsi

mettre en œuvre votre compétence littéraire dans l'exercice d'une profession centrée sur les attentes du public. 4. Variante de la situation précédente : S'il n'y a pas de programme de rédaction dans votre région, complétez alors votre

formation en lettres par une mineure en communication. Votre culture littéraire s'enrichira ainsi d'une sensibilisation aux situations relationnelles.

5. Vous possédez déjà un baccalauréat dans une autre discipline, n'importe laquelle (de la biologie à l'architecture) ? Ajou-

tez-y un certificat en rédaction ; vous serez dès lors en mesure de vous spécialiser en rédaction professionnelle associée à votre domaine de compétence.

Où acquérir cette formation ?

a langue étant un sujet d'étude fondamental dans les universités, vous trouverez à peu près partout un programme adap-table à la rédaction professionnelle. Toutefois, il vous faudra souvent compléter cette formation par une initiation à la

communication, autre domaine très développé dans les établissements. À MONCTON Dans le cadre de son Baccalauréat ès Arts, l'Université de Moncton offre une Majeure en information communication. L'en-seignement se donne à Moncton, mais quelques cours sont disponibles à Edmunston et à Shippagan. Il n'y a pas de pro-gramme spécifique de rédaction ; on peut toutefois compenser en puisant dans d'autres programmes, notamment celui de Mieneure en études françaises. Notons que le baccalauréat est de quatre ans. En revanche, il est ouvert à tout jeune qui a terminé ses études secondaires (même au Québec) et qui remplit les autres exigences d'entrée. À RIMOUSKI À l'Université du Québec à Rimouski (UQAR), le Département des Lettres propose un Baccalauréat en lettres et création littéraire. Ce programme comporte un stage en milieu de travail (dans des services de communication notamment), ce qui est plutôt exceptionnel en formation littéraire. Si vous avez déjà un diplôme dans une autre discipline vous pouvez vous satis-faire d'un Certification en productions textuelles. Côté communication, vous pouvez tirer avantage d'un Certificat en Pra-tiques et interventions culturelles. Ces diverses formations sont offertes au campus de Rimouski. À SAGUENAY L'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) propose un Certificat en rédaction-communications où les deux aspects sont abordés de façon égale. Ce Certificat peut se transformer en Mineure pour l'étudiant qui souhaite compléter un programme de Baccalauréat avec Majeure, comme, par exemple, celui en études littéraires françaises. Formation offerte au campus de Chicoutimi.

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À QUÉBEC À l'Université Laval un Baccalauréat intégré en langue française et rédaction professionnelle offre une formation complète en la matière. On choisira de préférence la concentration Communication publique et le profil Entrepreneurial. Si l'on a déjà réussi des études de 1er cycle dans une autre discipline on pourra compléter sa formation par un Certificat en rédaction pro-fessionnelle. De courtes études complémentaires dans le domaine des communications seraient alors souhaitables, par exemple sous la forme d'un Certificat en communication publique ou d'un Certificat en journalisme. À TROIS-RIVIÈRES À l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) un Certificat en communication écrite s'intègre à une formation générale de premier cycle au Département de Lettres et Communication sociale. Pour qui a déjà une bonne expérience d'écriture mais n'est pas en mesure de s'inscrire à un certificat, un Programme court en communication écrite (quatre cours choisis par l'étu-diant) sert de soutien à un perfectionnement ciblé. Pour une sensibilisation plus poussée en communication, l'on peut puiser dans la banque de cours du Baccalauréat en communication sociale. À SHERBROOKE Le Baccalauréat en communication, rédaction et multimédia de l'Université de Sherbrooke a ceci de particulier qu'il touche aux trois domaines qu'un rédacteur professionnel doit, de nos jours, bien connaître. Si on le souhaite, on peut s'inscrire à un régime dit « coopératif » qui permet d'alterner des périodes d'études et des stages en entreprise. D'autres programmes sont taillés sur mesure pour une préparation plus pointue à des tâches spécifiques. Il s'agit notamment du Micro-programme de 1er cycle en rédaction spécialisée (conception-rédaction publicitaire) et du Certificat en rédaction professionnelle anglaise. Les cours de tous ces programmes sont donnés sur le campus de Sherbrooke. L'Université possède en outre un campus à Longueuil où il offre un programme de maîtrise, comme on le verra plus loin. ------ L'Université Bishop's offre l'enseignement en français à son Département d'études françaises et québécoises. On y propose, d'une part, des cours de français langue seconde portant le sigle FRE, du niveau débutant jusqu’au niveau avancé. On y trouve, d'autre part, des cours de français portant le sigle FRA, que tous peuvent suivre. Il n’y a toutefois pas de programme spécifique de rédaction. Pour l'aspect communication, on peut recourir à une mineure en communications appliquées, of-fertes, an anglais, par le Department of Modern Languages. À MONTRÉAL La Faculté d'éducation permanente de l'Université de Montréal propose un Certificat de rédaction complété par des certificats de disciplines connexes, de manière à constituer un baccalauréat par cumul. Sinon, il est possible de recourir à l'éventail de cours offerts par le Département de communication : Baccalauréat en communication (avec quatre options), Baccalauréat bidisciplinaire en communication politique (en association avec le Département de science politique), Majeure ou Mineure en sciences de la communication. ------ À l'Université du Québec à Montréal, les principales voies à suivre sont le Baccalauréat en sciences du langage, profil Ré-daction et révision de textes ou le Baccalaurat en communication, profil Relations publiques. Il est également possible d'op-ter pour un cumul de certificats, soit un Certificat en français écrit, un Certificat en communication et un troisième certificat plus immédiatement lié à ses intérêts, mais compatible. ------ À l'Université McGill, le Département de langue et littérature françaises offre plusieurs programmes. Le complément néces-saire en communication, par exemple le Minor in Communication Studies, n'est toutefois donné qu'en anglais. ------ Pour sa part, l'Université Concordia propose deux programmes utiles pour un futur rédacteur à son département de Langue et littérature françaises. Pour une formation d'appoint en communication on peut s'inscrire en Communication Studies ou en Journalism (l'un et l'autre en anglais). À GATINEAU Le Baccalauréat en traduction et rédaction de l'Université du Québec en Outaouais (UQO) assure toute la formation néces-saire pour devenir rédacteur professionnel. Si l'on détient déjà un diplôme de baccalauréat dans une autre discipline, on s'ins-crira plutôt au Certificat d'initiation à la rédaction professionnelle. À ROUYN-NORANDA L'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) n'offre pas de programmes de français, sinon en amélioration du français écrit (en Formation continue) ou comme langue seconde dans le cadre de son Centre de langues. Il faut donc recourir à l'enseignement à distance (voir plus loin) pour obtenir la formation requise. Toutefois, l'établissement offre une spécialisa-tion d'avenir à son secteur Création et nouveaux médias. On regardera en particulier du côté du Certificat personnalisé où l'étudiant choisit lui-même un axe intégrateur de sa formation, à partir de ses aptitudes, compétences et centres d'intérêt.

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À OTTAWA À l'Université d'Ottawa il est possible d'obtenir un Baccalauréat ès arts spécialisé bidisciplinaire en Communication et lettres françaises, parfaitement taillé pour le futur rédacteur professionnel. Une Mineure en rédaction professionnelle et édi-tion est également disponible. Notons que l'enseignement coopératif (c'est à dire en association avec des employeurs) y est accessible. Pour qui a déjà franchi un premier cycle dans un autre domaine d'étude le Département de français propose une formation complémentaire sous forme de Certificat en rédaction professionnelle et édition. À TORONTO Par le biais de son campus bilingue Glendon, l'Université York offre, en français, un Certificat en rédaction professionnelle susceptible de compléter un de ses programmes de baccalauréat, soit Traduction, soit Études françaises, soit Linguistique et sciences du langage. Il peut être utile de compléter sa formation par un programme de Communication Studies (en anglais seulement, au campus principal de l'Université). À SUDBURY L'Université Laurentienne offre, sous quatre concentrations, un programme de Baccalauréat ès arts en études françaises. Par ailleurs, on peut également s'inscrire au Baccalauréat en communication publique, qui se décline, lui aussi, en plusieurs ver-sions. Pour une meilleure préparation à la rédaction professionnelle une combinaison de ces deux formations est souhaitable. À DISTANCE Si, pour quelque raison (distance, maladie, exigences du travail ou simple préférence), vous souhaiteriez parfaire votre forma-tion à distance, voici quelques-uns des programmes disponibles en lien avec la rédaction. ------ La Télé-université (TÉLUQ) met à votre disposition un Certificat en pratiques rédactionnelles. Vous pouvez ensuite puiser à plusieurs programmes complémentaires, comme le Certificat n communication organisationnelle ou le programme court en Communication appliquée aux relations publiques ou encore le programme court de Perfectionnement en françaisécrit. ------ À l'Université de Montréal, la Faculté d'éducation permanente offre, à distance, un cours de Rédaction et communications publiques, ainsi que des cours de français écrit portant sur la Phrase, la Ponctuation, le Verbe, et le Vocabulaire. ------ Pour sa part, l'Université Laval, propose un Certificat en communication publique. UNE FORMATION DE 2e CYCLE À LONGUEUIL Une formation de 2e cycle en rédaction est éminemment souhaitable pour l'avenir d'une profession qui ne possède pas encore pleinement ses assises théoriques. Plusieurs programmes universitaires en lettres et en communication permettent d'enrichir le bagage de formation théorique du praticien. Retenons ici un lieu où l'intégration interdisciplinaire est particulièrement poussée. En effet, à son campus de Longueuil l'Université de Sherbrooke propose plusieurs programmes complémentaires, qui se répondent l'un l'autre sous un même cha-peau, soit un Diplôme de 2e cycle en communication appliquée, un Microprogramme de deuxième cycle en communication écrite, un Microprogramme de deuxième cycle en communication appliquée, un Microprogramme de deuxième cycle en communication et médias et un Microprogramme de deuxième cycle en communication et multimédia. En outre, l'Université de Sherbrooke s'est associée à l'Université de Provence pour accueillir, durant un semestre complet, ses étudiants au Master en rédaction professionnelle. Quelques années d'expérience

a rédaction professionnelle étant une pratique, sa compétence ne s'acquiert pas seulement par les études, mais aussi par l'exercice quotidien de tâches concrètes. C'est pourquoi les programmes universitaires de rédaction comportent-ils

toujours des stages. Alternant avec les périodes d'étude, ces moments de concrétisation des connaissances permettent de con-juguer le savoir et le faire. Une fois le diplôme obtenu, vous vous mettrez à la disposition d'un employeur.

Trois situations d'emploi Il existe trois façons d'exercer la tâche de rédacteur : 1) comme salarié d'une entreprise, 2) comme entrepreneur au sein d'une firme de communication, 3) comme indépendant, chez soi. On trouvera un exposé succinct de ces trois modèles (avantages et limites) dans La profession de rédacteur (Fides 2009), chapitre 8, pages 177 à 191.

Selon les circonstances, vous éprouverez soit l'euphorie d'une percée inattendue dans un univers compétitif, soit l'humble satisfaction d'être correctement rémunéré pour écrire, soit la déception de vous retrouver un peu trop longtemps au bas de

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l'échelle. Quoi qu'il en soit, il ne vous faudra pas beaucoup de temps pour découvrir que vous maîtrisez bien la technique d'écriture : l'enseignement universitaire est partout de qualité. En revanche, peut-être ressentirez-vous un déficit de culture.

À propos de la culture On peut lire les paragraphes consacrés à la culture (linguistique, communicationnelle et générale) dans La profession de rédacteur (Fides 2009), chapitre 7, pages 172 à 174. Par ailleurs, Normand Baillargeon vient de publier chez Flamma-rion un essai sur la culture générale intitulé Liliane est au lycée.

Ah ! La culture ! Tout ce qu'on trouve sous ce mot ! Sans doute un rédacteur professionnel ne peut-il pas être chevronné dans toutes les disciplines. On s'attend toutefois à ce qu'il ne soit jamais pris au dépourvu. Quel que soit le sujet qu'on lui soumet, il ne doit pas se sentir embarrassé, encore moins commettre des bourdes dues à une interprétation fautive. Face à une question qu'il ne maîtrise pas bien, sa boussole intérieure doit être en mesure d'entrer instantanément en action, sinon pour décliner tous les aspects du domaine abordé, tout au moins pour remonter aux sources encyclopédiques adéquates. La culture, c'est aussi une façon de vivre, une diversification des intérêts, un lien avec le passé, un regard original sur l'avenir, une certaine sensibilité, un dépassement du terre à terre. C'est tout ce qui n'est pas monnayable : elle ne met pas de beurre sur le pain, mais fait que l'homme s'élève au-dessus des nécessités économiques. Il ne faut pas la confondre avec la distraction, cette action nécessaire pour refaire périodiquement ses forces. Encore qu'elle puisse s'insinuer dans les activités récréatives comme dans toutes les autres. Car elle se diffuse dans tout l'être. Indéfinissable, alors ? direz-vous. Oui, au point où les dictionnaires ne l'observent qu'à vol d'oiseau et où l'article sinueux que Wikipedia y consacre ne parvient pas à créer l'unanimité dans la blogosphère. Ça ne s'acquiert pas à l'école, quoique l'enca-drement scolaire favorise son essor. Si vous avez pris du retard, il faut vite vous y mettre. Car c'est elle – la culture – qui fera la différence entre un gratte-papier à courte vue et un rédacteur à la carrière prometteuse. Une reconnaissance officielle

uelques années passent. Votre expérience s'approfondit, se diversifie. Écrire est devenu pour vous un geste à la fois rémunérateur (vous répondez adéquatement aux attentes de votre employeur) et culturel (vous savez y exprimer votre

personnalité). On vous respecte. On vous réclame. Pourtant... Pourtant on ne vous reconnaît pas comme «rédacteur professionnel». Même si vous ne faites qu'écrire vous occupez une fonction de «relationniste», d'«adjoint administratif», de «conseiller linguistique» ou quelque chose du genre. C'est le mo-ment de faire reconnaître officiellement votre compétence spécifique. Mais où faire authentifier cette compétence ? Qui possède, auprès des entreprises l'autorité morale pour certifier votre savoir-faire en décernant le titre de «rédacteur agréé» (réd. a.) ? Réponse : La Société québécoise de la rédaction professionnelle (SQRP). La SQRP regroupe les personnes qui ont démontré leur compétence, lors d'un examen rigoureux, et qui gagnent désormais leur vie par la rédaction, que celle-ci soit d'ordre administratif, technique, scientifique, juridique, culturel, publici-taire, de relations publiques ou pédagogique; que cette rédaction se déploie sur papier ou à l'écran. L'organisme fonctionne principalement en français, mais accueille aussi des membres qui exercent leur profession en langue anglaise. Il est incorporé au Québec, mais s'ouvre aussi aux rédacteurs d'autres provinces. Ainsi chapeaute-t-il ce qui est en train de devenir une vraie profession, distincte de toute autre, avec sa définition et son échelle salariale propres. Dans leurs offres d'emplois nombre d'organismes, notamment les gouvernements fédéral et provincial, précisent qu'ils privi-légieront des rédacteurs reconnus par la SQRP puisque leur compétence est confirmée et qu'ils n'auront donc pas eux-mêmes à la vérifier. Bientôt, tout comme pour la profession de traducteur, cette préférence deviendra une obligation. Pour boucler le long cycle de formation que vous avez entrepris, il y a plusieurs années, il ne vous reste donc plus qu'à fran-chir cette ultime étape, celle de vous faire reconnaître officiellement comme rédacteur agréé – ou rédactrice agréée. Comment s'y prendre ? Simple. Mais, naturellement, déposez d'abord un dossier de candidature. Si ce dossier est complet on vous invitera à passer l'examen d'agrément qui, sans être réservé aux spécialistes, s'avèrera suffisamment difficile pour que le titre ne soit pas décerné à n'importe qui. En 2020, au moment où l'art d'écrire continuera de décliner ou, plus exactement achèvera de se transformer en spécialité, vous, – le sigle réd a. inscrit en gras sur votre carte d'affaires –, serez en première ligne d'une profession montante. Nous vous félicitons par avance d'avoir fait ce choix qu'annonçaient déjà, dès l'école, vos aptitudes en rédaction.

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4 - La rédaction telle que vécue par seize rédacteurs

1. NICOLE AUDET réd. a., médecin et rédactrice 

 Médecin de famille et rédactrice professionnelle : un mariage d'amour 

  

i vous posiez des questions à ma mère, elle vous dirait que je suis née avec un crayon dans une main et un stéthoscope dans l’autre. Laissez-moi vous raconter cette belle histoire d’amour.

Quand ai-je eu le coup de foudre? En terminant mes études secondaires, je rêvais d’avoir des cours de philosophie. J’avais tellement hâte de faire une disserta-tion. Un jour, mon professeur a lu mon texte en classe pour le citer en exemple. Son geste et les discussions que nous avons eues m’ont apporté la confirmation qu’avec du travail, je pouvais choisir un métier dans le domaine des communications écrites. Combien de temps ont duré les fréquentations? Deux ans plus tard, j’ai commencé mes études de médecine. Pendant ma deuxième année, j’ai soumis un texte scientifique à un concours. Mon texte a été sélectionné et a été publié dans un journal scientifique. Afin de parfaire ma formation, j’ai com-plété une Maîtrise en pédagogie des sciences universitaires de la santé. Ce programme m’a permis d’améliorer la qualité, la structure et la profondeur de mes communications écrites tout en pratiquant et en enseignant la médecine familiale. Quand le médecin a-t-il épousé la rédactrice professionnelle? Après vingt ans de pratique, j’ai eu la chance d’occuper le poste de rédactrice en chef d’un journal médical québécois. J’y ai appris toutes les facettes du métier de rédactrice. À la fin de mon contrat, j’ai décidé de me présenter aux examens d’agrément de la Société québécoise de la rédaction professionnelle. J’étais convaincue que mon offre de service unique de médecin et de rédactrice professionnelle attirerait des clients. Comment se passe la vie de couple? Croyez-le ou non, la docteure rédactrice agréée est très occupée. Les clients corporatifs ou communautaires qui recherchent une rédactrice professionnelle pour un mandat en santé m’envoient régulièrement des offres de collaboration en consultant mon profil sur le site Internet de la Société québécoise de la rédaction professionnelle. À titre d’exemple, j’ai décroché un contrat de rédaction d’un guide de plus de 250 pages pour l’emploi d’un logiciel de dos-siers cliniques informatisés. Une maison d’édition m’a commandé un Guide des urgences mineures. J’ai rédigé deux guides de formation à l’intention des résidents en médecine familiale de l’Université de Montréal. Le Collège des médecins du Qué-bec m’a confié le mandat de concevoir un programme de formation sur la gestion des rendez-vous pour les professionnels de la santé œuvrant en groupes de médecine familiale. Enfin, je travaille à la pige pour une firme de recherche et de communi-cation en santé, Édumédic. Doit-on se présenter à des concours? Je pense qu’il est important de présenter ses travaux à des concours nationaux et internationaux. Il s’agit d’occasions uniques d’obtenir de la reconnaissance et de la crédibilité. Au cours de ma carrière, j’ai gagné trois prix d’envergure en lien avec mes travaux. Quels sont mes projets d’avenir? Après avoir pratiqué et enseigné la médecine familiale pendant plus de trente ans, ma plume fait des folies. Les romans et la littérature jeunesse l’attirent. Quels sont mes messages pour un futur rédacteur professionnel? Je leur dirais que la rédaction professionnelle est l’un des plus beaux métiers du monde. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que nous offrons des services à un client. Misez sur la qualité des services après-vente, promettez moins et livrez un peu plus. Si vous avez la chance de posséder une compétence dans un domaine autre que la rédaction professionnelle, mettez-la en évidence dans votre offre de service.  

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2. JOSÉE BOUDREAU réd. a. 

 Faire fleurir les mots dans le terreau de l'appareil municipal 

  

lors que les pigistes doivent sans arrêt composer avec l’inconnu, les rédacteurs salariés dans l’appareil municipal font face à des défis d’une autre nature. Il en faut de l’enthousiasme pour présenter, année après année, dans de nouveaux

emballages, les thèmes récurrents que sont le budget, le programme triennal d’immobilisations, le déneigement et autres sujets aussi palpitants. Le milieu de travail fait alors toute la différence. J’ai la chance d’avoir été repêchée par la Division des communications et des relations avec les citoyens de l'arrondissement de Saint-Laurent de la Ville de Montréal où l’on trouve une équipe ex-traordinaire, réputée pour son humour et son professionnalisme. Notre patron nous accorde toute la marge de manœuvre dont nous avons besoin et le maire d’arrondissement nous fait tout aussi confiance pour trouver la bonne façon de passer ses messages dans nos communications. Et, ce faisant, il m’arrive régu-lièrement de profiter de ces tribunes pour glisser mes propres préoccupations auprès de mes concitoyens. Ceci me donne alors la satisfaction d’apporter ma petite contribution aux débats de société. La confiance et la reconnaissance sont, selon moi, les ingrédients de base pour obtenir un rédacteur inspiré. J’ai pu goûter la différence en collaborant pendant quelques mois avec un autre arrondissement où chaque mot était soupesé, critiqué et mis en doute. Ceci étant dit, il faut toujours garder en tête que les destinataires de nos publications ne sont pas de fidèles abonnés qui les attendent avec un plaisir anticipé pour les lire au coin du feu. Ils sont prompts à pointer la moindre erreur et surveillent l’utilisation que nous faisons de leurs taxes. J’ai donc toujours veillé à m’adresser à eux avec politesse et respect, en tenant pour acquis qu’il s’agit d’un public intelligent. Les communications internes sont un aspect de mon travail qui m’apporte un autre type de satisfaction. Je peux alors relâcher la bride au petit « théâtre de l’absurde » qui défile en continu au bas de mon écran mental. Je m’efforce dans ces communica-tions, dont le bulletin mensuel destiné aux employés, de juxtaposer aux informations pertinentes les clins d’œil cocasses qui m’assurent la fidélité de ce lectorat. C’est toutefois dans le soutien que j’offre à mes collègues que je retire ma plus grande satisfaction, même si, au début, j’ai dû faire mes preuves. De nombreux ego étaient meurtris lorsqu’après un exercice de révision, je rapportais les rapports, lettres et autres textes joyeusement bariolés à l’encre rouge. Plusieurs fonctionnaires et cadres se sont alors demandé qui était cette jeune femme échevelée, exubérante et aux goûts ves-timentaires douteux pour oser mettre en doute leur talent de rédacteur. L’expérience et le titre de rédactrice agréée ont eu raison de ces réticences. Maintenant, on me téléphone, on m’écrit et on m’intercepte dans les corridors pour me questionner sur une tournure de phrase, l’utilisation judicieuse d’un verbe ou tout autre problème de même nature. On me commande aussi les textes et les lettres dont les sujets sont les plus délicats ou explosifs. Je ne compte plus les occasions où des collègues ont poussé de gros soupirs de soulagement en me remerciant avec effusion d’avoir su trouver les mots justes. Chaque fois, j’ai remercié cette force mystérieuse qui a eu la bonne idée de me doter de cette facilité et de cette passion pour la rédaction.  

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3. BERNADETTE BRODERICK réd. a., rédactrice et traductrice 

 Une trajectoire sinueuse 

 

ès le début de l’âge adulte j’avais acquis la conviction que je voulais être écrivaine. N’ayant cependant aucune idée de la façon d’y parvenir je découvris par hasard la profession de « rédacteur technique ». Cette profession pourrait-elle

répondre à mes aspirations ? C’est ainsi qu’en 1985 je fis une demande d’admission auprès du collège ontarien Algonquin. Mais je vivais à Terre-Neuve! Le déménagement en Ontario serait toute une affaire. Aussi le rêve céda-t-il rapidement place à la réalité : comment pourrais-je subvenir à mes besoins pendant mes études ? Pourrais-je obtenir des prêts étudiants ? Mais surtout, y aurait-il des emplois ? Après mures réflexions et consultations, j'abandonnai l'idée d’études dans le domaine et décidai plutôt de faire un diplôme en technologie du génie mécanique. Les considérations économiques eurent donc leur effet et m’éloignèrent temporairement et partiellement de l'écriture. Mais elles n’eurent pas raison de ma passion. Passion qui devait, sans que je ne le sache à ce mo-ment, faire son œuvre et me rappeler à elle après de longues années. Avec mon diplôme de technologie du génie mécanique en poche j’acceptai un emploi à Ottawa en 1988. Je fus transférée plus tard à Lévis où je travaillai pour le constructeur maritime MIL Davie. C'est au cours de mes années à l’emploi de Davie en tant qu’administratrice de contrats que j'ai eu l'occasion de perfectionner mes compétences d'écriture dans le domaine technique. En effet mes collègues de travail détestaient rédiger des rapports, mais moi j’adorais. Documenter le problème, préparer la preuve appuyant la position de la compagnie, identifier les suggestions de solutions possibles, et la tâche délicieuse de verser le tout sur papier. Bien qu’étant unilingue anglaise à mon arrivée à Lévis, j’ai vite constaté l’opportunité extraordinaire qui m’était offerte de vivre au Québec et commençai donc à apprendre le français. Ce bilinguisme me sert bien puisque, depuis, je traduis des textes pour mon compte. Au cours des années 1990 à 2005 j’ai eu le privilège d’écrire une grande variété de textes et de croiser plusieurs personnes fantastiques qui m’ont aidée, incluant mon conjoint francophone, Martin Tessier. C’est également au cours de cette période que j’ai commencé à traduire des textes du français vers l’anglais. Or, j’ai vite fait de constater qu’avant d’être traduits plusieurs textes gagnaient à être d’abord clarifiés. Ainsi une grande partie de mon travail consistait à rendre le texte original compréhensible; ce qui me permit de perfectionner mes habiletés en écriture. En février 2009 je me soumis à l’examen de la Société québécoise de rédaction professionnelle (SQRP) – en rédac-tion anglaise – et reçus finalement, après tant d’années, le titre officiel de rédactrice professionnelle. Je vis présentement à Saint-Romuald et travaille comme rédactrice technique pour une firme œuvrant dans le domaine médi-cal. De plus, en 2010, je me suis inscrite au programme de communication technique - à distance - à Simon Fraser University - afin de compléter mes compétences rédactionnelles. En rétrospective, je n’ai jamais regretté mon choix. Même si le chemin pour y parvenir fut long et sinueux, j’exerce enfin le métier dont j’ai toujours rêvé. Lorsqu’on me demande pourquoi il était important d’obtenir le titre de rédactrice agréée la réponse est simple : je désirais offrir mes services de rédaction à toute compagnie québécoise ayant besoin de communiquer en anglais. Plusieurs petites firmes (mais aussi de grandes entreprises) ne peuvent s’offrir les services d’un rédacteur technique. Je vou-lais leur assurer l’opportunité de croître sans l’obstacle de la langue. Comme plusieurs m’ont soutenue de leur aide, je voulais proposer la mienne en leur permettant de communiquer l’information de manière aussi professionnelle que possible, afin de les faire paraître sous leur meilleur jour. N’est ce pas là l’essence même de la communication?  

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4. MARIE CLARK réd. a., formatrice 

 Une tête à chapeaux 

  

ous les chemins mènent à Rome, c’est bien connu, mais saviez-vous qu’ils peuvent aussi mener à la rédaction profes-sionnelle? Certaines personnes – dont je suis – sont d’irrémédiables touche-à-tout que la vie pousse à relever différents

défis. J’ai pour ma part emprunté, entre autres, les chemins de l’éducation, de l’entrepreneuriat, du journalisme et de la litté-rature avant de devenir rédactrice agréée. Loin d’être des voies sans issue, ces chemins connexes m’ont appris qu’on peut mettre avec bonheur – et sans trop la décoif-fer ! – plusieurs chapeaux sur une même tête, du moment qu’ils s’ajustent de près ou de loin à l’écriture. J’admets que je suis quelque peu embêtée quand je dois me présenter : qui suis-je, en effet? Rédiger mon CV est un autre joyeux casse-tête. Il m’en faudrait au moins huit! Rédactrice professionnelle, écrivaine, animatrice d’ateliers d’écriture, en-seignante, conceptrice pédagogique, réviseure linguistique et correctrice d’épreuves… Pas facile de « me résumer ». Je m’en tire habituellement en disant que j’exerce à peu près tous les métiers de l’écriture avec une même passion, un même engagement et, je l’espère, un même talent. Il est vrai qu’écrire constitue plus qu’une profession pour moi, c’est ma façon personnelle de me créer et de nous créer chaque jour, que ce soit en littérature, en rédaction pédago-gique, technique, administrative, publicitaire, journalistique… Ces différents chapeaux me destinent cependant à être une « atypique » dans tous les milieux que je fréquente : une écrivaine qui enseigne au Certificat de rédaction (le cours Le texte de création tout de même…); une rédactrice professionnelle spécia-lisée en éducation mais qui peut vous écrire un article, une allocution, un dépliant publicitaire, un mode d’emploi, un com-muniqué, un album pour enfants, etc.; une réviseure et une correctrice d’épreuves qui détecte les manquements pédagogiques dans les communications de tout ordre; une journaliste qui a commencé par être rédactrice en chef; une entrepreneuse qui a mis sur pied et gère ses propres ateliers d’écriture… Si je suis régulièrement étourdie par tous les chapeaux que je porte, je ne conçois pas autrement le métier d’écrire. Aucune façon de mieux dépeindre ce que sont et font les humains ne me rebute, impossible de m’enfermer dans une catégorie. Les défis sont donc constants. Mais qui a dit que le métier de rédactrice devait être répétitif et ennuyeux? Vous voulez que je vous raconte comment s’est scellé mon avenir? Tout a commencé avec une boite remplie de livres, qui tenait lieu de bibliothèque scolaire quand j’étais à l’école primaire et qui circulait de classe en classe. Je ne comprenais pas très bien à quoi rimait tout ce qu’on nous faisait apprendre jusqu’à ce que je me heurte littéralement (pour ne pas dire littérairement) au premier roman que j’ai pigé dans ladite boite : Sans famille, un récit en deux tomes, d’Hector Malot, paru en France en 1878. C’est cette histoire de petit orphelin recueilli par un vieux musicien ambulant qui m’a réellement fait entrer en lecture et en écriture tout en laissant des marques indélébiles sur mon imaginaire. Ne suis-je pas devenue une sorte de saltimbanque de l’écriture, occupée à jongler tout autant avec ses propres mots qu’avec ceux des autres? Le site www.marieclark.ca vous apprendra tout ce que je ne vous ai pas révélé sur mes ateliers d’écriture. Et ne manquez pas la sortie de mon troisième roman, Mes mémoires d’outre-Web, publié chez Hurtubise, en février 2011!  

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5. ANDRÉE DESTROISMAISONS réd. a. 

 Dure, dure,  la vie d'une rédactrice agréée au XXIe siècle 

  

ue faites-vous dans la vie ? Rédactrice professionnelle ? ah oui ? mais encore ?… C’est toujours un peu embêtant de devoir expliquer ce qui semble aller de soi. C’est pourtant tellement simple : pour que le message passe, il faut qu’il

soit bien écrit. Tout le monde sait ça. Eh bien, non, tout le monde ne sait pas ça. Travailleuse autonome à la tête d’une toute petite entreprise en communication fondée en 1989 et rédactrice agréée depuis 1996, j’ai assisté à l’éclosion, qui s’est transformée en explosion, des nouvelles technologies de l’information et de la com-munication (NTIC). Je les ai utilisées abondamment et j’en profite encore. Toutefois, je me heurte régulièrement à leurs effets pervers. Par exemple, comment convaincre un client potentiel de la né-cessité absolue… de travailler avec moi quand, à mon offre de rédiger ou de réviser ses documents promotionnels, il oppose un catégorique: « Ben non, c’est pas nécessaire, ma secrétaire est ben bonne en français pis a l’a des logiciels qui corrigent toutte (sic et re sic) ! » Ou encore lorsque, après avoir terminé la rédaction en français d’un document, je propose les services d’une traductrice membre de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) pour obtenir une version an-glaise de qualité et que le client me répond : « Vous savez, avec les nouveaux logiciels de traduction, pas besoin de traduc-teur. » Il y a quelques années, nous avons pu profiter de l’arrivée des logiciels de mise en page qui promettaient des merveilles. Les imprimeurs étaient voués à la disparition car tout un chacun pouvait, avec un minimum de formation, réussir des mises en page complexes, créatives et originales. Et pourtant!… Combien d’imprimés, faits maison, ont été produits sans respecter les plus élémentaires règles typographiques ? Après avoir découvert en 1994 l’immense potentiel de la grande toile, j’ai travaillé, quelques mois plus tard, avec une auda-cieuse première cliente (une religieuse !!!) qui souhaitait que son collège soit parmi les premiers à s’afficher sur le web. Puis, peu à peu, les sites web se sont multipliés et avec eux les logiciels éditeurs de sites permettant à tous d’occuper, avec plus ou moins de savoir-faire, un petit bout de l’espace internet. J’ai avalé mon café de travers en lisant la chronique La lisibilité du texte de Pierre Foglia (La Presse). Il semble, en effet, que pour évaluer la lisibilité d’un texte rien ne remplace Scolarius. Mais où sont donc passés le lecteur et sa capacité d’analyse ? Estomaqué, l’auteur du texte élabore sur le sujet avec sa verve habituelle. Mais n’empêche, si on évacue le lecteur, a-t-on encore besoin du rédacteur? N’allez toutefois pas croire que je me cramponne éperdument au passé. J’adore ces nouveaux outils qui me facilitent la tâche. Mais ce ne sont que des outils; encore faut-il savoir s’en servir correctement. Ce n’est pas parce que je tiens un bout de fusain et une feuille de papier que je me transforme automatiquement en Léonard de Vinci. Bref, rappelons-nous Boileau qui, au XVIIe siècle, affirmait que « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » et « Avant donc que d'écrire, apprenez à penser ». Boileau pourrait certainement répéter ses citations aujourd’hui. En fait, je crois que les rédacteurs professionnels joueront un rôle essentiel dans la société tant qu’un logiciel n’aura pas la capacité de réfléchir avant d’écrire. Ouf ! Il nous reste encore un peu de temps !  

 

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6 ‐ YASMINA EL JAMAÏ réd. a., présidente Média & Rédaktica Pro 

 La rédaction, une passion à la hauteur de ma curiosité 

  

orsque j’étais enfant, je dévorais les livres. Un ouvrage par jour constituait ma dose habituelle. À l’école primaire et secondaire, mes aptitudes en langue française et mes habiletés en littérature étaient manifestes. Adolescente, je me

voyais déjà journaliste; une grande reporter qui améliorerait le monde en luttant contre l’ignorance. Le genre de journaliste qui rédigerait des livres éclairés à la suite de séjours de plusieurs mois ou années dans des pays étrangers dans l’espoir d’identifier les vrais problèmes et de proposer des solutions. Un défi imprégné d’idéalisme. Après avoir achevé un baccalauréat en sciences politiques à l’Université McGill, j’ai étudié en journalisme à l’Université de Montréal. Parallèlement, je commençais à signer quelques articles dans des magazines québécois sur une variété de sujets : le silence sur la situation politique du Libéria, le photojournalisme, Internet, la mélatonine, l’Olestra… Au cours d’un stage à l’Economiste, à Casablanca, au Maroc, j’ai écrit nombre d’articles sur l’économie et les finances. J’ai poursuivi mes études et décroché une Maîtrise en sciences de la communication pour élargir mes horizons. Je m’étais rendu compte que le journalisme idéal, sans limites en termes de liberté d’expression, jurait avec la pratique journalistique. En outre, il fallait bien plus que des écrits pour changer le monde. Mais de là à abandonner l’écriture, non! Cet exercice que je trouve si naturel et si aisé fait irrémédiablement partie de moi. Le monde de la rédaction corporative m’ouvrait ses portes. Je me suis lancée en rédaction en communication interne et ex-terne pour une variété d’entreprises montréalaises, puis pour le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, à Ottawa, où j’ai été amenée à rédiger communiqués de presse, notes d’allocution et textes scientifiques vulgarisés au terme d’entretiens avec des scientifiques chevronnés. Une expérience extrêmement enrichissante à même d’assouvir ma curiosité! Au cours d’un emploi de rédactrice en chef d’un magazine publié en France et en Belgique, j’écrivais allègrement durant 12 heures par jour, après avoir mené des interviews. Je rédigeais de tout : actualités nationales et internationales sur le Maroc, tourisme, droit, portraits d’entrepreneur, santé et bien-être, traditions, etc. Un poste de rédactrice de programmes de conférences m’a permis d’explorer une autre facette de la rédaction : la rédaction d’affaires axée sur la formation en TI, en droit et d’autres thématiques. C’est en 2006 que j’ai lancé mon entreprise en communication du nom de Média & Rédaktica Pro. Cette entreprise est la résultante de toutes mes expériences professionnelles en tant que rédactrice, réviseuse et traductrice. Ma plume se prête à toutes sortes de projets, tous secteurs et organisations confondus. Rédaction corporative, Web, publici-taire, technique, référencement par mots-clés et vulgarisation scientifique me permettent de répondre aux besoins les plus diversifiés de mes clients. Malgré l’incertitude inhérente au statut d’entrepreneur, il s’agit d’un emploi extrêmement stimu-lant qui confère le sentiment d’être utile à plusieurs clients à la fois. Depuis 2010, je suis également chargée de cours au département de communication de l’Université de Montréal où j’enseigne les différents types de rédaction en communication avec le souci de bien préparer mes étudiants au marché du travail. Bien que j’aie élargi mes horizons rédactionnels au fil du temps, je reste branchée sur ma première passion, le journalisme. J’ai signé plusieurs articles dans le Journal du Barreau, suivi du magazine National de l’Association du Barreau canadien à Ottawa pour lequel je collabore régulièrement depuis 2006, et plus récemment, du magazine Québec Entreprise. La rédaction de tout genre est une activité créative et gratifiante. Bon succès aux futurs rédacteurs et rédactrices!  

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7. CHRISTINE GILLIET réd. a. 

 Une rédactrice, seule, au pays des baleines 

  

uand j’ai créé et installé en janvier 2010 mon entreprise de services en rédaction professionnelle, Mots et Marées, dans une petite maison acquise six mois plus tôt au bord de la rive de l’estuaire du Saint-Laurent, j’ai réalisé un rêve. En effet, alors que je découvrais la Haute-Côte-Nord en plein brouillard à l’automne 1992, j’avais perçu de manière ins-

tinctive toutes les richesses de cette région : le fleuve, les baleines, la forêt, le calme de villages charmants et l’accueil chaleu-reux de ses habitants. Frappée par un coup de foudre, j’avais alors formulé un vœu sur les rochers de Cap-de-Bon-Désir : « C’est ici que je veux vivre… et vivre de mon écriture. » Un vœu sans doute audacieux, mais soutenu par une forte croyance : on ne fait bien que ce que l’on aime et on réussit toujours à s’implanter là où on se trouve bien. Pour un rêve, le temps est un allié Qu’importent les 17 années entre ce rêve et sa réalisation! Étant considérée par mes pairs comme une rédactrice plutôt aty-pique, voire insolite, en raison de mon secteur géographique et de ma spécialisation (la vulgarisation scientifique dans le domaine de l’environnement et des mammifères marins), qu'on me permette de décrire brièvement mon cadre de vie et mes activités. Quand un espace est libre et bon à occuper par un organisme opportuniste à la recherche d’un habitat et qu’aucun concurrent dangereux ou prédateur ne se profile, il devient une niche écologique. J’ai donc trouvé ma place dans cette belle région, pour-tant éloignée des grands centres urbains et industriels, en prise au défi de la diversification économique, du maintien de sa population et du retour de ses jeunes après leurs études universitaires. La loi du marché et la force d’un réseau Si j’étais riche d’une expérience en rédaction validée par un agrément professionnel, d’une immersion dans le champ de la biologie marine, d’une carrière dans la navigation à voile et dans la formation en français et en communication, il me restait à vérifier mon profil entrepreneurial et à élaborer un plan d’affaires réaliste, garant de la réussite de mon implantation dans l’écosystème régional. Car une offre de services, la meilleure soit-elle, ne peut s’épanouir sur un marché que si elle répond à une demande ou un besoin. Quant au complément à une mise de fonds personnelle, je l’ai trouvé à travers des dispositifs gouvernementaux de soutien aux travailleurs autonomes. L’écriture de nouvelles journalistiques pour un hebdomadaire régional, le Plein Jour de Baie-Comeau, m’a permis de démar-rer et de me faire connaître. Trois mois après la création de Mots et Marées, je reprends la rédaction de deux actualités heb-domadaires pour le site Internet Baleines en direct, géré par mon ex-employeur, le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) à Tadoussac. À ces deux contrats périodiques s’ajoutent des mandats ponctuels pour des organismes, entreprises ou communautés. J’ai décroché ces premiers mandats grâce à un réseau professionnel et personnel de personnes très proches dans lequel la solidari-té joue un rôle précieux, mais sans complaisance. Derrière le brouillard, le ciel bleu Finalement, suis-je aussi atypique qu’on le pense? Sur ce chemin, j’ai saisi toutes les chances que la vie m’a apportées, en-grangé des expériences, tissé des relations de confiance durables. Ce rêve est somme toute l’accomplissement d’un parcours de vie et de passion. Comme tout écosystème, le mien est aussi durable que fragile, mais je suis convaincue que ma niche écologique est viable. J’ai pu traverser un voile de fausses évidences posé sur une région « dévitalisée » et j’entends bien faire ma part pour diversi-fier son économie. Un voile à l’image de la surface que les baleines viennent percer pour respirer. À croire que c’est leur souffle qui me porte…  

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8. CHARLES GIRARD réd. a. 

 Le plaisir d'abord 

  

e téléphone sonne : « Faites-vous ça, des textes? ». – Allez hop! Une nouvelle cliente! Comment ne pas sourire? Après 25 ans de carrière, on se dit qu’on n’a jamais vu les choses sous cet angle-là. Mais comment donc en suis-je venu à

« faire des textes » pour vivre? J’ai longtemps pensé que tout le monde savait écrire, puisqu’on l’enseignait à tous, sans exception, dès la petite enfance. Pour ma part, bon élève, je n’ai fait que ce qu’on m’a dit de faire. Quelques fautes par-ci, par-là, bien sûr. Fautes vite corrigées, d’ailleurs. Mademoiselle Saint-Germain, ma titulaire de 3e année, avait des méthodes bien à elle (aujourd’hui interdites) pour m’aider à y voir clair. J’ai vite compris le plaisir qu’on pouvait avoir à bien faire les choses (et le déplaisir qui venait avec les dérogations). Je me suis donc appliqué. On apprend les règles qui, force est de l’admettre, ne cessent de changer, et le tour est joué. Non? Non! Ce serait sans compter le spectre du style. Mes profs m’apprendront à faire acte d’humilité : « Un auteur qu’on recon-naît à la lecture de quelques lignes est un auteur qui a développé un style qui lui est propre. » Le style? De quoi ils parlent? Le frère Jean-Yves Roy, passionné de lettres (et d’Anne Hébert), mon prof de français au cours classique, a éclairé ma lan-terne. Boileau à sa façon, il m’a fait comprendre qu’il fallait maintenant mettre les règles, bien apprises, au service du pro-pos… « Regarde comment font un Zola, une Hébert, un Vian pour dire, raconter, décrire, expliquer ceci ou cela. Observe! » Entre vous et moi, le propos, quand on a 15 ans, ça ressemble plus aux méandres sibyllins qu’on trouve dans le journal per-sonnel d’un ado qu’à du Hugo. Je me suis donc fait une plume. Dans mon Journal. Loin des regards indiscrets (s’il avait fallu que maman lise ça…). Là et dans les incontournables dissertations et autres travaux scolaires (maman était bien fière de son fils…). Puis je me suis mis à écrire à ma blonde (rien toutefois du sublime « Tes baisers sont un philtre, et ta bouche une amphore », de Baudelaire), puis au père de ma blonde, un des grands de la pub, à l’époque, qui m’a mis en confiance en me signifiant que j’avais un style épistolaire intéressant. Vous ai-je dit que je ne me prédestinais absolument pas à l’écriture? Moi, c’était la musique. D’autres règles, un autre lan-gage, mais tout de même un langage. Il y avait, dans la musique, une instantanéité, une émotion, un plaisir que je ne trouvais pas, du moins pas encore, dans l’écriture. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’il y avait, dans l’écriture, une musique. Le mot en soi est musique, pour peu qu’on s’attarde à sa morphologie, plus qu’à son acception, puis aux deux à la fois. Baudelaire l’a bien illustré. Jusqu’au jour où, pour arrondir mon budget de jeune adulte, j’ai pu profiter d’une occasion qui m’était offerte de devenir collaborateur pigiste à la rédaction d’articles biographiques pour L'Encyclopédie de la musique au Canada sous la généreuse supervision de Gilles Potvin, alors également critique musical au Devoir. Le propos : la vie de musiciens d’ici. De là à la rédaction publicitaire, il n’y eut qu’un pas (je voyais toujours mon ex-blonde, devenue grande amie). Seul le propos changeait. Puis, de propos en propos, j’ai diversifié mes domaines d’écriture (tout s’apprend, je vous dis, pour peu qu’on y trouve du plaisir). Je fais des textes, oui. Dans le plaisir. Que ce soit pour mettre les mots dans la bouche d’un politicien ou pour guider pas à pas l’utilisateur d’un nouveau service téléphonique. Et je compte bien avoir le plaisir d’en faire longtemps encore. Parce que je me sens utile. — Et vous, madame, c’est à quel propos?  

  

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9. MICHEL HÉROUX réd. a. 

 On ne naît pas rédacteur. On le devient ! 

  

e n’ai jamais pensé devenir rédacteur professionnel, même si ma carrière s’est déroulée en information et en communica-tions. Durant mes études secondaires, j’excellais en français. Une dictée où je n’avais pas dix sur dix était pour moi un

échec. J’ai appris la structure fondamentale de tout texte : l’introduction, le nœud, la conclusion. Jusqu’à la fin de mes études, cette structure de texte était à l’avant plan de ma pensée dès qu’un travail académique survenait. J’ai toujours dévoré les livres. Puis, je passai au journalisme. Là, les règles de présentation différaient : identifier le lead d’une histoire, insérer les informa-tions importantes (les cinq « W ») étaient essentiels, mais ne dispensaient personne de bien écrire, même brièvement, télévi-sion oblige. Mais cela ne fait pas de vous un rédacteur. En 1977, le jour où, secrétaire de presse du ministre Jacques Parizeau, j'ai dû rédiger le substantiel Cahier de communiqués qui accompagne le Discours sur le budget, j’ai commencé à comprendre le métier de rédacteur. Idem en 1978 lorsque, deux heures avant son prononcé en Chambre, j’ai produit en vingt minutes la déclaration ministérielle de M. Parizeau sur la querelle Québec - Ottawa sur la taxe de vente. Rédiger vite et bien dans un tel contexte, voilà tout un défi! J’ai vécu la décennie 1980 à Radio-Canada et à TVA. Comment écrivez-vous une Politique de l’information ? Un Guide d’action pour journalistes ? Un mémoire au CRTC? Je devenais un rédacteur technique. À l’Université Laval, mes aptitudes en rédaction me furent utiles en ma qualité de directeur des communications (1991-2000) certes, mais plus encore comme directeur des relations gouvernementales (1997-2005) et adjoint au recteur (2000-2009). J’ai tout écrit : communiqués, notes de service, correspondance officielle, rapports, etc. En relations gouvernementales, l’éventail des travaux de rédaction s’est élargi : mémoires aux commissions parlementaires, correspondance et surtout, discours. La moitié de ce qui a été écrit dans ce domaine entre 1997 et 2008 est de mon cru, dont presque tous les discours majeurs des recteurs de cette époque. Je fus rédacteur d’un Plan stratégique et de rapports annuels; ce, en plus de mes autres tâches de rédacteur Web et de secré-taire du Comité des prix et distinctions : sept à neuf comptes-rendus à rédiger annuellement, avec correspondance et mise au point de notes biographiques et de curricula vitae. Ma retraite approchant, je me demandais comment demeurer actif, ne serait-ce que pour le plaisir de rédiger. J’ai découvert la Société québécoise de la rédaction professionnelle. J’ai demandé à y être admis. J’ai été invité à me présenter à l’examen d’accréditation, et je suis devenu rédacteur agréé. Aujourd’hui, je ne sollicite pas de mandats. Je ne veux pas entrer en concurrence avec de jeunes travailleurs qui ont besoin de ces mandats pour vivre. J’effectue des tâches de rédaction professionnelle surtout pour des personnes qui me connaissent déjà. J’écris aussi dans les journaux et je tiens un blogue. Je n’ai jamais suivi de formation en rédaction technique, ce que je regrette. Plutôt, je me suis formé au fil des ans, chaque tâche de rédaction devenant un outil supplémentaire d’apprentissage. Pour moi, la clef est là. Pour devenir et être un bon rédacteur, il faut aimer sa langue, certes, mais il faut vouloir encore plus la bien écrire. Jean Giono disait : « Je paierais pour écrire. » Moi aussi…   

   

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10. Léo Israël réd. a., prés. Tact Leo Israel 

 Les pensées d'un rédacteur 

  

ed Sorensen est mort récemment. Si le nom ne vous est pas familier, Ted Sorensen était le rédacteur du président Ken-nedy, celui qui a rédigé les notes échangées avec Kroutchev lors de la crise des missiles de Cuba, celui dont la plume a

contribué à éviter une guerre nucléaire. Être rédacteur, c’est cela: communiquer le message, contribuer à ce que les interlocuteurs se comprennent mieux. Être rédac-teur, c’est avoir l’occasion de faire une différence. Suis-je rédacteur? Oui et non. Je suis un restaurateur qui fait de la consultation, un consultant qui traduit, un traducteur qui rédige et un rédacteur qui cuisine… Des études à Paris m’ont conduit à un poste au Mexique, dans une entreprise où se côtoyaient malaisément Français, Améri-cains et Mexicains. Seul à parler les trois langues, je suis vite devenu indispensable. Passionnant pour un débutant. Je suis arrivé en 1975 à Montréal, où le Comité organisateur des Jeux Olympiques recherchait un informaticien, à un tournant passionnant de l’histoire du Québec. Les Jeux finis, je me suis joint à l’équipe-noyau qui commençait à établir au Québec une enseigne de restauration rapide que tout le monde connaît. Malgré tout le mal qu’on puisse en penser, j’y ai immédiatement trouvé ma place. À cette époque de développement bouil-lonnant, j’ai pu tout faire et tout apprendre, j’ai découvert la beauté du Québec dans ses recoins les plus infimes et surtout j’ai trouvé un métier qui m’allait comme un gant, la formation. Je suis devenu l’apôtre. Au Québec, aux États-Unis et en France, des dizaines de patrons, franchisés et autres restaurateurs ont fait leurs premières armes sur les bancs de ma classe. C’est ainsi que je suis devenu rédacteur sans m’en apercevoir. De manuels en examens, de plans de cours en scripts de vi-déos, écrire pour des gens qui n’aiment pas lire est une bonne école : cela oblige à être succinct et percutant, à intéresser constamment le lecteur, à le surprendre pour le pousser à poursuivre sa lecture. C’est également ainsi que je suis devenu traducteur. L’entreprise avait besoin d’un patron des services linguistiques pour négocier et mettre en œuvre son programme de francisation et j’étais membre de la Société des traducteurs du Québec. Depuis, je butine entre tous ces métiers. C’est peut-être parce que le français n’est pas ma langue maternelle que j’en suis si amoureux. Descendant d’une famille qui, au fil des siècles, a été musulmane, catholique et juive, j’ai vécu en trois langues, mais le français, cette langue belle, découverte à la dure sur les bancs d’école par un petit bonhomme de cinq ans qui ne par-lait alors que l’espagnol, est devenue ma compagne inséparable. Un peu poète, un peu écrivain, un peu parolier, je suis scribe. Pour ne pas faillir à la tradition du juif errant, j’ai, par la rédaction, vu du pays. Pour rédiger un contrat, je mets mon chapeau de presque avocat. J’ai été un peu géologue pour préparer une offre de services de prospection minière. Je suis presque deve-nu psychologue de la petite enfance en aidant une candidate à la maîtrise à mettre en paroles cohérentes le fruit de sa re-cherche. En 2005 pour un homme d’affaires français, puis en 2008 pour un ministre du gouvernement Sarkozy, j’ai écrit deux livres sur l’entrepreneuriat à la française, une occasion fascinante de réapprendre à parler à un pays dont les références linguistiques et les préoccupations économiques et sociales sont souvent bien éloignées des nôtres. Que réserve demain au rédacteur? Chacun tient sa plume à sa façon mais nous la trempons tous dans la même encre. L’avenir reste à écrire.  

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11. PIERRE LAFONTAINE réd. a., directeur adjoint, recherche et communication interne, à CAA‐Québec, 

chargé de cours à l’Université Laval et pigiste occasionnel  

Heureux et même plutôt fier dans l'ombre...   

e n’aime pas parler de moi ou me mettre en évidence. Et quand je dis d’ailleurs à mes proches que je suis un profession-nel heureux dans l’ombre, leur réaction est toujours la même : Mais comment fais-tu donc pour t’épanouir? Quelle satis-

faction as-tu de voir les autres profiter des écrits que tu ne signes pas? Heureux S’ils savaient! On peut faire toute une vie en rédaction, dans l’ombre, et en retirer tant de satisfactions, petites, moyennes et grandes. Oui, je suis si heureux que, au moment où plusieurs amis de mon âge espèrent leur retraite ou même la vivent déjà, je me surprends à trouver la mienne trop près, neuf ans devant. Les drôles de défis que j’ai pu relever! Dans l’ombre certes, mais jamais seul, grâce à l’appui de tant de gens… Réussir à écrire un livre sur la Floride sans ne jamais y avoir mis les pieds (vive les grands réseaux CAA/AAA nord-américains!). Reconstituer, pour une édition spéciale du magazine Touring : « 100 ans d'histoire du CAA-Québec » (vive les procès-verbaux!). Vulgariser l’entretien automobile, moi qui néglige les vérifications usuelles de ma voiture (merci, collègues des services techniques!). Donner le goût des plus beaux coins du monde où je n’irai peut-être jamais (merci, collègues des voyages!). Expliquer les rénovations domiciliaires, moi qui confie toutes les miennes à des experts (merci, collègues de l’habitation!). Si j’attendais les compliments pour m’épanouir, les jours gris succéderaient aux jours gris. Pourtant, les signes ne manquent pas quand je m’attarde à les décoder. Je me souviens par exemple du jour où, écoutant en direct à la télé mes collègues dé-battre un mémoire présenté en commission parlementaire, j’entends un député dire de l’écrit dont j’étais l’anonyme artisan quelque chose comme : « En passant, il est vraiment bien votre mémoire : bien écrit, clair, intéressant… » Oui, bien des choses survoltent mon énergie rédactionnelle : la tape dans le dos du pdg satisfait d’un discours ou d’une pré-sentation, le wow! lancé spontanément par un collègue à la lecture d’un de mes écrits, il suffit d’être à l’écoute. Même plutôt fier Pour moi, le bonheur n’est pas dans la signature, mais bien dans l’action, dans ce qu’on réussit à accomplir lentement, discrè-tement, mais sûrement. Ce n’est surtout pas moi qui fais le succès de CAA-Québec, mais de savoir la qualité des écrits de l’organisation au nombre des ingrédients qui l’expliquent suffit à me stimuler, à me motiver… et, ne le dites à personne, à me rendre fier à certains égards. De réaliser par exemple que j’ai été le premier à démontrer la pertinence d’une nouvelle fonction chez nous, celle du rédac-teur que je suis officiellement devenu, après des années de « rédaction informelle », fort d’un certificat réalisé à temps partiel. De constater encore que « mon » CAA-Québec en pleine expansion a choisi depuis d’inclure des professionnels en rédaction dans sa main-d’œuvre. De coordonner aujourd’hui les activités d’une équipe de trois rédactrices chevronnées dont je suis aussi fier et grâce à qui je suis heureux d’aller travailler chaque matin. La profession m’a donc gâté. Elle m’oblige certes, depuis 2002, à sortir de l’ombre dans le cadre de ce cours en rédaction administrative que je donne à l’Université Laval, mais le plaisir que me procure cette occasion de partager ma passion avec « la relève » compense amplement le déséquilibre de me retrouver devant un groupe. Et puis il y a aussi ces contrats de pige qui m’arrivent à l’occasion, question de m’aérer un peu l’esprit de mon bon vieux CAA-Québec. Dans l’ombre! Mais je n’en peux plus de me relire : ce texte est vraiment contre ma nature. Vite, ramenez-moi mon ombre!  

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12. LOUISE‐LAURENCE LARIVIÈRE Ph.D., MBSI, réd. a., chargée de cours en techniques langagières 

et langagiste indépendante  

Profession : linguiste et langagiste   

ui, je suis à la fois linguiste et langagiste. Linguiste de formation (aux trois cycles), j’ai commencé ma carrière d'ensei-gnement en septembre 1965 - déjà 45 ans, ouf! - par un cours de stylistique au département de nutrition. Je remplaçais,

alors, un chargé de cours qui avait subrepticement quitté son poste pour une nouvelle carrière dans le terrorisme avec… le FLQ. J’ai vécu de bons moments dans l’enseignement des techniques langagières (traduction, rédaction, terminologie, révision) comme celui-ci : une de mes anciennes étudiantes de la FEP, que je rencontrai un jour lors d’un coquetel, m'a dit que je lui avais donné un complexe pour la vie. Ah, oui! Lequel? Elle ne peut plus écrire un texte sans avoir fait, au préalable, un plan. C'est le meilleur complexe que j'aie donné à quelqu'un ou à quelqu’une, et j'en suis fière! Il y a eu aussi des moments moins heureux quand, par exemple, un mari exacerbé par les travaux scolaires de sa femme, m’a appelée pour me dire que je ne devrais pas donner autant de travail à mes étudiants et à mes étudiantes parce que sa femme ne pouvait pas consacrer suffisamment de temps à ses tâches domestiques. Je vous laisse deviner ma réplique cinglante de prof qui se considère maître à bord dans sa classe après Dieue et qui s’enorgueillit d’être féministe de surcroît. Heureusement que l’enseignement m’a ouvert d’autres chemins, au propre comme au figuré, puisque j’ai été professeure à Vancouver (Simon Fraser University) et à Winnipeg (Collège universitaire de Saint-Boniface) où j’ai dirigé l’École de tra-duction, ainsi que chargée de cours pendant cinq étés à l’Université d’Ottawa. Langagiste? Oui, mais précisons d’abord le choix du terme. Le terme «langagier, langagière» n’était qu’un adjectif dans Le Petit Robert jusqu'à l'édition de 2010. Depuis, il est aussi un nom avec une marque d'usage «région. Canada». Toutefois, comme chercheuse, depuis plus de 30 ans, en parité linguistique (anciennement féminisation linguistique), je préfère utiliser le terme épicène de «langagiste» qui m’évite d’avoir à utiliser le doublet langagier/langagière. Puis j’adore créer des mots ou en ressusciter d’anciens. Ainsi, j’ai sorti «des boules à mites» le terme «s'abeaucir» comme dans «Le temps s’abeausit, allons nous promener» (Duchesne, Alain et Thierry Leguay. Dictionnaire des mots perdus. Paris : Larousse, 1999 dans lequel «s'abeausir» (p. 21) s'écrit avec un «s» et possède une variante «beaucir». On ne pourra me repro-cher d’avoir remis ce terme à la mode dans un pays où le temps se permet tous les caprices et où les gens ne mettent pas le pied dehors sans avoir consulté la météo. Langagiste, donc. D’abord salariée, à Hydro-Québec et ailleurs, puis indépendante. Ce que je préfère, avant tout, c’est la rédaction. Pour le moment, mes activités rédactionnelles se résument à des monographies, des articles, des guides et des cahiers d’exercices sur la parité linguistique, ma recherche principale de l’heure. Je travaille également sur un ouvrage sur les collocations verbales, «genre» : dresser un procès-verbal, toucher un chèque, susciter de l’intérêt, équilibrer un portefeuille, réaliser un gain, etc. En fait, que je sois théoricienne ou praticienne, la langue, c’est toute ma vie professionnelle. De l’iroquois Mohawk (mon mémoire de DES) à la création d’un répertoire terminodocumentaire des documents profession-nels appelé terminaire (ma thèse de doctorat); des mots inventés aux mots recréés; des mots-clés aux vedettes-matière (di-plômée en bibliothéconomie et sciences de l’information oblige); des mots disputés aux juristes lors de mes études de droit quand ces derniers avaient toujours le dernier mot (loi oblige), les mots m’habitent, me hantent et me consolent de bien d’autres… maux.      

 

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13. LYDIA MARTEL Ph.D., réd. a. 

 Fée des mots, rédactrice atypique 

 

ouée pour les langues, depuis toujours passionnée de lecture et d'écriture, j'ai longtemps eu le sentiment de ne pas posséder une assez vaste culture pour exceller en tant que communicatrice. J'ai exercé bien des métiers : coiffeuse,

relationniste, libraire, réceptionniste. J'ai étudié pendant des années : communication publique, littérature africaine, études russes. Je me suis dépassée dans des disciplines plus ou moins exotiques : méditation de tradition hindouiste, danse orientale, musculation. Après avoir obtenu mon doctorat en littérature africaine, j'ai vite abandonné l'idée de la carrière universitaire. J’avais déjà séjourné longtemps à l’étranger et il aurait fallu que je reparte. J’avais besoin de m’enraciner. Les circonstances ont enfin fait de moi une communicatrice. Désormais sûre de mes acquis, je suis devenue rédactrice et traductrice. La rédaction reconnue comme une science exacte ! Au sein d'une firme d'ingénierie, je me suis initiée à la rédaction technique et administrative. Comme c’était fascinant de réécrire les textes d’ingénieurs ! Souvent, mes collègues se montraient ébahis devant la magie que j’avais exercée en rendant lisible et digeste leur syntaxe hermétique. Je m’amusais à répéter que je ne faisais que traduire leurs textes de la langue ingé-nieure à la langue française. Au moment de me séparer d’eux, j’ai eu la très grande satisfaction de les entendre déclarer qu’ils avaient découvert, avec moi, que la bonne rédaction est pour ainsi dire une science exacte. Branchée, vibrante et vétérane Je me suis ensuite lancée dans le vide en devenant traductrice et rédactrice indépendante. Après l’ingénierie et son langage mathématico-scientifique, c’étaient les subtilités de documents juridiques qui s’offraient à moi. Je devais vulgariser des textes de lois et arrondir les angles du langage juridique, tout en m’initiant à la rédaction Web. Je participais à la refonte du site de la Commission des normes du travail. Cette belle aventure venait puiser dans tous mes savoirs, mes savoir-faire et mes savoir-être : rigueur, vivacité, créativité, capacité d’analyse et de synthèse et, surtout, désir d’être vraiment utile à la société. Sous-traitante pour une grande firme on ne peut plus branchée, je me suis sentie tout à fait dans le coup et, en même temps, respectée comme une vétérane. Comble de fierté, le site a remporté un Prix Boomerang. Des lunettes d’anthropologue Puis les mandats se sont enchaînés. J’ai participé à beaucoup de projets de traduction. Les textes traitaient aussi bien d’aéronautique et de scanners corporels que de projets de lois ou de jeux vidéo. J’étais à des années-lumière de ma passion pour l’anthropologie culturelle ! Ou peut-être qu’au contraire, j’étais sur un tout nouveau terrain d’études. J’étais Alice au pays des merveilles. Insatiable curieuse, je me délectais des nouvelles connaissances qui s’offraient à moi. J’étais aussi très fière de mes prouesses, de la qualité, du style, voire du panache des textes que je rendais. Je m’auto-observais, savourant pleinement le bonheur de gagner ma vie comme traductrice expérimentée, rédactrice chevronnée gran-dement appréciée. Consultante salariée dans la cour des grands Comme je devais toujours chercher de nouveaux clients, j’ai réseauté et participé à plusieurs activités de la chambre de com-merce de ma région. J’y ai été accueillie chaleureusement, mentorée, nommée finaliste au concours annuel. Satisfaite de mon succès grandissant, j’étais malgré tout angoissée, et de plus en plus, par le rythme effréné que cette vie m’imposait. Après quelques mois de recherche, j’ai déniché un poste au sein d’une petite entreprise de développement Web qui joue dans la cour des grands. Je suis désormais consultante auprès de ministères, avec le titre d’analyste de contenu et rédactrice Web. Dans le feu de l’action sans avoir à me soucier de l’administration ni de la prospection, je pense bien avoir trouvé le meilleur des mondes.

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14. PAUL MORISSET réd. a.

La pilule de rédaction

uand j’étais jeune rédacteur, je suis tombé sur un petit livre américain dont le titre m’a comblé d’aise : How To Write Without Pain. On me confirmait enfin que je n’étais pas seul à éprouver un certain inconfort, sinon une véritable dou-

leur, face à la page blanche! Les professionnels de la rédaction abordent rarement le sujet. Ou ils le font discrètement, comme s’ils confessaient une ignominie. Je n’ai pas toujours souffert de « malaise rédactionnel ». Au Devoir, où j’ai travaillé plusieurs années comme journaliste dans une salle remplie du crépitement des vieilles machines à écrire Underwood, l’angoisse de la page blanche était un luxe qu’aucun journaliste ne pouvait se permettre. « As-tu fini? Il reste 10 minutes! » Le dernier texte devait impérativement partir pour l’imprimerie à 21 h pile (dans un taxi, à l’époque!), sinon il ne paraissait pas dans l’édition du lendemain. Au magazine L’actualité, qui était alors un mensuel, j’entrais dans un autre monde. Chacun travaillait dans son coin, derrière des cloisonnettes, dans une atmosphère feutrée, loin de la pression quotidienne d’une heure de tombée. En revanche, les ar-ticles devaient être beaucoup plus fouillés, l’écriture beaucoup plus travaillée. Et il y avait, tout de même, une date de tombée mensuelle. Il n’était pas rare que j’achève mes articles à la dernière heure, dans l’urgence créative d’une nuit blanche… Quand je me suis lancé à mon compte comme rédacteur indépendant, il y a plus de 20 ans, le stress de l’écriture n’est pas disparu. Chaque nouveau client apportait son lot de défis et d’attentes. À la longue, j’ai fini par mieux connaître certains d’entre eux, et l’écriture a fini par demander moins d’effort. Le métier continuait d’entrer, comme on dit – mais jamais au point d’éliminer complètement ma sourde appréhension de la page blanche. D’où vient ce malaise lancinant? Comment s’en défaire? Les chercheurs se penchent depuis longtemps sur les mécanismes complexes de la « production écrite ». Au début des années 1980, les Américains Hayes et Flower ont réalisé à ce sujet des travaux importants basés sur la psychologie cognitive, et bon nombre d’universitaires ont suivi dans leur sillage. Pour la plupart des professionnels de la rédaction, cependant, ces re-cherches restent bien théoriques. Peut-être faudrait-il envisager une approche plus concrète, comme celle du neuropsychologue Daniel Levitin, directeur du Laboratoire pour la perception, la cognition et l’expertise musicale de l’Université McGill. À l’aide de technologies très évoluées, le professeur Levitin et son équipe observent les réactions du cerveau de personnes en train d’écouter différents types de musique. Ce genre d’expérience a notamment montré que le plaisir musical découle de l’augmentation de la dopa-mine dans une région spécifique du cerveau, le noyau accumbens. Ne pourrait-on pas observer de la même façon des personnes en train de lire différents types de textes, afin de déterminer quelles zones de leur cerveau sont affectées, et de quelle manière? Les liens entre musique et écriture sont plus étroits qu’on le pense. Dans son livre La profession de rédacteur, Jean Dumas fait remarquer qu’un grand nombre de professionnels de la rédaction jouent d’un instrument dans leurs loisirs, ou ont fait des études en musique. Les travaux de Daniel Levitin me portent à rêver. J’y vois déjà une foule d’applications pratiques, comme la production d’une « pilule de musique », qui viendrait stimuler l’inspiration. Ou, mieux encore, une « pilule de rédaction », qui ouvrirait toutes les écluses de l’écriture et nous ferait enfin rédiger dans la jubilation.

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15. ANDRÉ SENÉCAL réd. a., rédacteur, réviseur et traducteur indépendant

Le supplice du taille-crayon

u début de ma carrière de rédacteur-traducteur, toutes les occasions de formation en milieu de travail étaient les bien-venues. Néophyte, mais rempli d’enthousiasme tant pour ma profession que pour ma spécialité, j’avais néanmoins pas

mal de croûtes à manger avant de devenir un « traducteur-professionnel-au-niveau-de-travail », selon l’expression consacrée alors. Si j’avais su que c’était tout le pain qu’il me faudrait engloutir… Quoi qu’il en soit, un de nos réviseurs ayant travaillé dans l’industrie aérospatiale, en France, s’était proposé de nous donner, à l’heure du midi, des ateliers de rédaction dans le domaine de l’aéronautique. Nous salivions déjà, non pas à la perspective de succulentes agapes, mais plutôt à celle de profiter de l’expérience d’un collègue estimé qui daignait bien nous en faire profiter. Sans le savoir, il nous offrait déjà des « master classes » avant la lettre. Dans mon cerveau en effervescence se bousculaient des concepts aussi éclectiques que l’aérodynamique subsonique, la thermodynamique, la navigation de surface, les lois du pilotage, et tutti quanti. Une fois que nous sommes installés dans la salle de réunion du service, notre collègue réviseur arrive avec quelques dossiers sous le bras… et une petite boîte carrée en carton. Après avoir déposé le tout sur la table, il nous adresse une épître à peu près en ces termes : « Messieurs, je salue votre désir de perfectionnement comme en témoigne votre présence à la première leçon de rédaction en aéronautique. Comme vous le savez sans doute, par-delà la traduction qui constitue notre travail quotidien, il est une activité non moins importante à laquelle nous devons consacrer autant d’efforts, sinon plus, pour nous assurer que le texte que nous livrons est authentique, autrement dit idiomatique. Cette activité, c’est la rédaction, qui se superpose à la traduction, parfois sans que nous n’en soyons vraiment conscients. Voilà pourquoi, j’ai décidé de vous donner un petit exercice visant à vérifier vos compétences en rédaction. » C’est alors qu’il saisit la petite boîte carrée et en sort un taille-crayon à ventouse muni d’un mécanisme percé d’un trou et surmonté de ce qui semble être deux oreilles. « Messieurs, observez. Je vais exécuter tous les gestes me permettant de me servir du taille-crayon, à partir de son immobili-sation sur une surface plane jusqu’au retrait du crayon taillé. Je vous demande de rédiger le feuillet d’instructions destiné aux utilisateurs de cet appareil en énumérant chacune des étapes à exécuter. » Nous nous regardons, un peu décontenancés, puis attaquons l’exercice avec la mine résignée des bêtes qu’on mène à l’abattoir. Un taille-crayon! C’est tellement commun, au point que nous n’avons jamais cru que décrire correctement son fonctionnement fût si difficile. Nous butons d’abord sur la terminologie : nous n’allons tout de même pas parler de pinouches, de patentes ni de suce. En-suite, la description des actions, surtout lorsqu’elles sont simultanées, devient sous notre plume une montagne de maladresses d’expression. Notre mentor voit bien que nous en bavons, et une fois que nous avons suffisamment macéré dans notre impuissance, il s’adresse à nous en ces termes : « Eh bien, oui. Imaginez-vous qu’il faut aussi savoir rédiger. Que traduire ne suffit pas. Comment voulez-vous traduire des consignes de réparation d’avion, un manuel de formation au pilotage ou un rapport de contrôle non destructif, si vous avez toutes les peines du monde à expliquer par écrit le fonctionnement d’un simple taille-crayon? Il ne vous suffit pas de con-naître votre langue, messieurs, vous devez aussi savoir comment vous en servir. » Je n’ai jamais oublié cette leçon d’humilité. À la fin de l’atelier, notre réviseur de conclure : « Je ne vous ai pas fait la leçon; je n’ai fait que vous mettre devant la réalité, et vous avez tiré vos propres conclusions. Con-naissant votre intérêt pour la profession, je suis convaincu que vous en prendrez de la graine. »  

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16. ÉRIK VIGNEAULT réd. a., directeur général, CTC Communication Marketing

Rédacteur, vos papiers !

arte du club des fumeurs de pipe, carte de crédit (un peu lourde), carte de Noël, carte d’embarquement : il a beau racler le fond de ses poches (tiens, mon vieux peigne!), le rédacteur cherche vainement un document qui atteste sans ambi-

guïté son identité. Et si d’aventure Léo l’enjoignait de montrer patte blanche et ses papiers, il s’en trouverait bien embêté. Car qui est-il, ce rédacteur? Tant qu’il n’est que cela, justement, rédacteur, « compilateur de textes juridiques » (Le Robert), il rappelle une sorte d’écrivain public, ces gens qui « rédige[nt] des lettres, des actes, pour ceux qui ne savent pas écrire ou qui maîtrisent mal l'écrit » (ibid.). Occupation noble, certes, mais un peu étroite où l’esprit indiscipliné, un brin mutin, remue, piaffe et s’ébroue en quête d’un espace plus vaste – plus incertain aussi – où s’élancer. Jouons le jeu des comparaisons : qu’on pense à un peintre, à un graphiste, à un architecte, à un écrivain, on voit tout de suite surgir la main au travail, vive et noble, une main créatrice qui mêle à son élan fantaisie et précision. Et celle du rédacteur? Servile, occupée à reproduire de l’autre la pensée, sans idée propre, docilement, correctement. Correctement : il s’agit bien un peu de cela : le rédacteur serait celui qui exécute sans faute une commande, brave soldat nécessaire mais interchangeable qui obéit aux ordres sans les contester. Il ne bouscule rien, ne dérange personne, fait ce qu’on lui demande sans rouspéter. En suivant les règles. Et pourtant. Pour le plaisir, donnons-lui dix lettres de noblesse et une identité plus nette, mieux définie, ajoutons du panache et des cou-leurs, et prononçons le mot de concepteur. Forçons le trait : si le rédacteur consulte sagement sa grammaire en sirotant une fumante infusion, le concepteur-rédacteur s’enfile un huitième café, lance ses mots comme des dards, il les rime, les anagramme et les figure-de-style. N’essayez pas de l’asservir, vous prendriez un coup de sabot. Car la rédaction est affaire de création, au sens propre : il n’y avait rien, puis il y a quelque chose. Ce geste de création doit être revendiqué, assumé, défendu – et rémunéré. Mais il n’est pas de tout repos : créer-rédiger donne le vertige, c’est accepter un jeu où le doute est la règle et l’issue incertaine. Troublante est cette idée de l’avant et de l’après. L’avant, ce terrain des possibles, un terrain miné, mal balisé, veiné de che-mins qui ne mènent nulle part. L’après : c’est le miracle. De rien il y a maintenant quelque chose, qui sera vu par les autres comme une chose normale, alors qu’il n’y a là rien de normal, il n’y a que le résultat d’une traversée de fildefériste cent fois tombé et aussi souvent remonté. Le vertige pour une simple lettre, vous dis-je. Car après toutes ces années, à la manière de ces comédiens qui même après une longue carrière ne foulent jamais les planches sans un trac fou, le doute ronge, irrémédiablement, le doute de ne pas se rendre de l’autre côté, de n’être pas à la hauteur de la rédaction-création. Et si c’était un coup de chance, la dernière fois? Imposteur enfin démasqué ? Rédacteur ? Vos papiers !    

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B - La pierre d'assise

1 - Parcours d'un rédacteur accidentel

par Guy ROBERT, réd. a.

on occupation parmi nous : mise en clair des messages... Non point l’écrit, mais la chose même. Prise en son vif et dans son tout. Conservation non des copies, mais des originaux.» – Saint-John Perse, Vents.

Dès que je me suis découvert une vie intérieure, je n’ai plus voulu qu’elle. Je me la racontais à moi-même, étonné, enthou-siaste, jaloux de mes découvertes. J’étais entré dans ma propre narration. Les mots se formaient tout seuls dans ma tête ; ils y défilaient comme des chars allégoriques. Bientôt, ils trépignèrent et se jetèrent sur le papier, où ils coururent en tout sens. Quelle joie d’écrire ! Et puis de se lire en son propre avènement ! Et de se relire à n’en plus finir. D’expérimenter, par la lecture, la possibilité d’entrer dans l’intimité d’une conscience. La sienne, d’abord, puis celle d’autres auteurs. Quel choc alors ! Il y avait là des cimes : Saint-John-Perse, Éluard, Alain Grandbois, Kafka, Isaïe même ! Que m’importait de ne rien comprendre parfois, si quelque mot, quelque idée m’avait jeté par terre, avec tous les symptômes d’un embrase-ment de conscience : larmes aux yeux, chair de poule, arrêt sur l’image ! Ah, littérature ! Que de buissons ardents ! Je savais désormais à quelle hauteur j’avais envie d’aller. Mais il faut gagner sa vie. 1 — Je tâtai de l’enseignement (de la littérature !) et compris sans tarder que j’épuiserais trop vite mes acquis. Je sautai du train en marche. Une amie secourable me fit connaître la correction d’épreuves et m’embarqua sur une planche toute neuve en partance pour la gloire, la Charte de la langue française. Ce fut ma planche de salut, car il s’avéra qu’elle était à voile, et qu’elle avait le vent en poupe. Je pris la mer l’année de sa mise à l’eau (1977). Renée Claude chantait le début d’un temps nouveau. Et c’était vrai : l’une après l’autre, les grandes entreprises créaient des services linguistiques. Admis dans l’un d’eux, je fis ma profession de foi 101. Contrairement à l’enseignement, la correction d’épreuves rétablit l’équilibre entre ce que je donnais et ce que je recevais. Le travail, essentiellement technique, laissait mijoter en paix la soupe grouillante de mon vivier intérieur. Il me restait donc assez d’énergie, le samedi, pour y lancer par l’écriture des coups de filet souvent heureux. Je remontais de grosses prises sans épui-ser mes ressources. Après dix-neuf ans de ce régime à la fois rigoureux et protégé, mon directeur m’apprit que j’allais donner de la tête sur mon plafond salarial. Comme tout croît ou disparaît, je deviendrais gestionnaire de projets au lieu que de moi-même ! Mariage de raison qui, bien entendu, finit par un divorce. Je me retrouvai tel qu’en moi-même : langagier à la recherche de contrats, c’est-à-dire écrivain dépossédé de son temps. 2 — Les circonstances, encore, décidèrent que je serais typographe et... rédacteur — nous y voici ! — dans une microentreprise de communication. J’allais être enfin payé pour écrire. Beau leurre !

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Je m’attaquai avec ardeur à mon tout premier texte. Il s’agissait d’une publicité des marchés d’alimentation Metro ayant pour thème les plaisirs de Noël. Je terminais par cette phrase : « C’est comme lorsqu’on épluche une orange : on se réserve le meilleur. » Le vice-président Marketing nous renvoya le texte par télécopieur ; de son écriture rapide, il avait écrit en travers de la marge : « Excellent ! » J’ai failli l’encadrer. Malgré cette joie, j’étais déjà inquiet. Pour trouver cette phrase, il m’avait fallu tirer de ma vie intérieure une émotion privée et m’en servir à des fins commerciales. L’écriture et la rédaction publicitaire occuperaient donc le même terrain ? De fil en aiguille, je m’avisai que mes journées de rédaction ne s’arrêtaient pas à 17 h. Dans le métro, je réfléchissais à mes projets ; des idées me faisaient sortir de mes lectures, voire du sommeil ! Aurais-je assez d’énergie pour continuer d’écrire le samedi ? La réponse était non. 3 — Heureusement, on me donnait aussi des mandats techniques : les thermocouples dans l’industrie de l’aluminium, le rapport annuel d’une compagnie maritime, un article de journal sur un homme d’affaires, bref, tout et n’importe quoi : les miettes sur lesquelles une petite agence peut mettre la main. À quatre, je devinais que nous menions une vie de pigiste. Quand j’eus le mandat de rédiger un dépliant sur les gras trans, je compris qu’il y a des limites à la bonne volonté ! Au bout de onze mois, l’agence ferma ses portes. N’allez pas croire que j’y étais pour quelque chose ! Les entreprises avaient changé d’image. Finies, les brochures en cinq couleurs, le vernis sur les photos, le gaufrage et les emporte-pièces ! Nous étions entrés dans l’ère de l’image verte. Je me retrouvais langagier à temps partiel et démarcheur à temps plein. Pendant cinq ans, je fis de la correction d’épreuves et de la révision linguistique unilingue. Les contrats de rédaction se faisaient rares ; ils n’étaient pas payants ; certains furent interrompus de longues semaines ou reportés aux calendes grecques. Je travaillai pour une trentaine de maisons d’édition, d’entreprises, d’agences, d’associations professionnelles et de maga-zines grand public. La plupart de mes clients me payaient sans faire de commentaires, et les autres se disaient tous satisfaits. Aucun pourtant ne m’était véritablement fidèle. On voulait du texte, pas d’engagement. 4 — À force de semer mes CV à tous les vents, l’un d’eux germa ! J’entrai au service d’un cabinet de traduction à titre de « relec-teur » (langagier chargé de lire des traductions, révisées ou non). On me garda sept ans. Cet emploi me permit de rétablir un équilibre entre ce que je donnais et ce que je recevais. Ce furent pour moi des années de grande production artistique. Puis l’entreprise fut achetée par une multinationale « axée sur les résultats ». Je me retrouvai traducteur et réviseur bilingue. Jusqu’à ce que, harassé de sprints, je décide de m’offrir un congé sabbatique de dix mois pour... écrire. Les cinq premiers mois, j’en fus incapable. Trop fatigué ! Ce congé m’avait sauvé d’un surmenage que je ne soupçonnais même pas ! Au milieu du congé, les idées me revinrent, et l’envie d’écrire. Je travaillai un mois, accouchai d’une cinquantaine de pages, et interrompis mon projet définitivement : ce roman que je traînais en moi depuis trente ans ne correspondait plus à ma vision du monde. Tout simplement. Du coup, je me sentis léger comme un ange. Enfin, j’étais libre ! J’ai passé le reste de mon congé à faire de la photo... Quand je voulus rentrer dans mon poste, mon employeur m’apprit qu’il n’avait plus besoin de mes services. Après dix ans ! Il me paya le strict minimum, et salut, bonjour ! 5 — Je vivotai encore quelques années, puis trouvai, en février 2010, un emploi de correcteur d’épreuves chez un éditeur de ma-gazines grand public où j’étais heureux comme un roi, mais sans sécurité aucune, et avec « un salaire de junior » (dixit mon boss, avec raison).

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Je m’étais résigné à vivre à l’étroit dans mon budget quand une ex-collègue m’apprit qu’un cabinet de comptables cherchait un correcteur d’épreuves pour ses services linguistiques. « On dirait, m’écrit-elle, que le poste a été conçu pour toi ! » Vérifi-cation faite, j’étais d’autant plus contrarié qu’elle avait raison. Et ma planque alors ? Comme je suis raisonnable, je me prêtai, tout de même avec un certain détachement, à l’exercice de l’examen, des entrevues, de la course aux références et... décrochai l’emploi ! Je retrouvai du coup un statut de professionnel respecté. J’étais réhabili-té ! Tout de même ! Voilà donc où j’en suis aujourd’hui, à cinq ans de l’âge théorique de la retraite : correcteur d’épreuves en titre, qui fait aussi... de la relecture, de la révision de traduction, de l’entrée de corrections, du bitextage, des fiches terminologiques, name it ! Tout ce que j’ai appris en trente ans de carrière. Et vous savez quoi ? (comme disent les Anglais), j’haïs pas ça pan toute ! Une belle façon de boucler la boucle. On se croirait dans un feel good movie. Alors, malgré quelques contrariétés, je considère que j’ai eu de la chance : j’ai fini par apprendre l’anglais ! Ami lecteur, veuillez prendre note de cette conclusion tirée de l’expérience. On fait avec sa carrière exactement ce qu’on fait avec sa vie : ce qu’on peut ! 6 — Pour ma part, je suis heureux d’avoir aujourd’hui une vue d’ensemble de mon parcours. Heureux d’avoir tenu mordicus à mener une vie de langagier. J’aurais pu devenir rédacteur ou écrivain, mais les circonstances en ont décidé autrement. L’écriture a été pour moi une thé-rapie réussie : je me suis expliqué tout ce que j’avais besoin de savoir. Chemin faisant, j’ai appris ma langue, outil d’une merveilleuse précision. Je pourrais maintenant devenir écrivain. En attendant, j’ai l’esprit libre ; je regarde autour de moi et je trouve le réel splen-dide. (J’ai fait ce choix en connaissance de cause.) Il y a tant de jeux de lumière étonnants, de motifs intéressants, de portraits qui se donnent à voir ! Plus besoin de m’évader dans ma tête. Il me suffit de lever les yeux sur la beauté du monde. Qui, rayonnante de vie, passe à ma portée. Et d’en prendre une photo, bien sûr. Pour qu’elle demeure. Manie d’écrivain.  

2 - Le génie de la langue

Il tient dans ses astuces

orateur est emphatique. Pour lui, le français – que nous traitons avec si peu d’égards – est un cadeau du ciel dont nous sommes collectivement responsables: « Qu'en est-il du respect que nous devons à la langue de nos ancêtres, un

idiome qui dépasse tous les autres et que nous laissons pourtant s’étioler sans considération ? » J’attends le moment où il lancera l’expression que vous avez sans doute entendue aussi souvent que moi sur les bancs de l’école : le génie de la langue. Eh! bien oui, la voici au tournant: « Noble est le génie de notre langue ! » C'était fatal. La supériorité de la langue française De toute évidence, notre orateur aura lu le Dictionnaire philosophique où Voltaire joue de l'expression génie de la langue. Aura-t-il été le premier à utiliser cette formulation ? En tout cas, il l'aura rendue célèbre. « On appelle génie d’une langue son aptitude à dire de la manière la plus courte et la plus harmonieuse ce que les autres langages expriment moins heureusement. » Une définition taillée sur mesure pour établir la prépondérance du français. Car, précise Voltaire, chaque idiome a développé une structure conforme à ses « tendances naturelles » (son génie, au sens du XVIIIe siècle), et le français ne pouvait faire autrement qu'opter pour la meilleure.

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« Le latin, par exemple, est plus propre au style lapidaire que les langues modernes, à cause de leurs verbes auxiliaires qui allongent une inscription et qui l’énervent. Le grec, par son mélange mélodieux de voyelles et de consonnes, est plus favo-rable à la musique que l’allemand et le hollandais. L’italien, par des voyelles beaucoup plus répétées, sert peut-être encore mieux la musique efféminée [sic]. Le français, par la marche naturelle de toutes ses constructions, et aussi par sa prosodie, est plus propre qu’aucune autre à la conversation. » Comment ne pas sourire au triomphalisme d’une telle description? « Les étrangers, par cette raison même, entendent plus aisément les livres français que ceux des autres peuples. Ils aiment dans les livres philosophiques français une clarté de style qu’ils trouvent ailleurs assez rarement. » Il suffisait donc d’y penser! Mais allez dire cela aux Allemands, aux Grecs ou aux Russes! Ont-ils moins de génie, moins de « clarté de style » que les Français? Nous y reviendrons. Mille images... pour accéder au génie de la langue Tout à l’opposé, sous le titre Mille images... pour accéder au génie de la langue, le bulletin collégial CLIC (janvier 2006) semble associer le génie de la langue aux tournures que chaque idiome a trouvées pour construire des expressions imagées. Le génie d'une langue tiendrait donc dans sa façon propre d'illustrer une réalité. À cet égard, le bulletin renvoie à un site interactif intitulé 1000 images sur le bout de la langue et, à titre d'exemple, présente des expressions idiomatiques qui ont le même sens en diverses langues, «mais qu'on ne peut traduire mot à mot». « En français, pour signifier «jamais», on dit quand les poules auront des dents. En anglais : when pigs can fly (quand les cochons voleront). En espagnol : cuando las ranas crien pelos (quand les grenouilles auront des poils). En néerlandais : wanneer de kalveren op ijs dansen (quand les veaux danseront sur la glace). En italien : quando gli asini voleranno (quand les ânes voleront). » Ici, à la différence de Voltaire, pas de hiérarchie entre les langues. Chacune a simplement trouvé l’énoncé qui lui convenait. Mais est-ce bien à cela qu'on reconnaît le génie d’une langue ? En effet, les images et figures de style des formulations ci-dessus sont fondées sur des mots parfaitement traduisibles. La structure de la langue n’y concourt d’aucune manière. À preuve, n’importe quel locuteur de langue française comprendra aisément l’expression « quand les cochons voleront » même s'il n'y recourt pas sur une base courante. Le génie de la langue se situerait donc ailleurs. Mais où ? Expression simple en apparence, mais qu'il n'est pas si facile de cerner. Partons donc de zéro ! La langue : une simple convention La parole humaine est fondée sur des conventions. Pour désigner une bête qui jappe nous ne disons pas wah-wah, mais chien (en français), dog (en anglais) ou quân (en chinois), des termes qui n'en représentent rien au plan sonore. C'est dire que notre cerveau opère, sous forme de mot, une traduction de ce que les yeux ont vu et les oreilles entendu. Chaque société fait con-sensus autour du mot où la collectivité se reconnaît le mieux, celui qui s'impose le plus naturellement. Il en est de même pour la phrase. Le cerveau y distingue trois éléments irréductibles: un sujet (ce dont il est question), un verbe (l'action que fait le sujet) et des compléments (les circonstances qui affectent la relation entre le sujet et l'action). Ici encore, les gens improvisent une façon d'arrimer l'articulation de ces trois éléments. N'importe laquelle, pourvu que tous s'y retrouvent et l'acceptent. Pour apprécier l'utilité de ces conventions, il suffit de voir un touriste essayer de se faire comprendre en terre étrangère en mimant, par exemple, le geste de manger quand il cherche le plus proche restaurant. Du protolangage aux émoticônes Nos ancêtres ont probablement associé les trois éléments (sujet-verbe-compléments) de façon sommaire; les linguistes parlent de protolangage, du genre «moi manger ours» pour indiquer qu'on s'en va à la chasse. Aujourd'hui, ce protolangage se reflète dans la messagerie texte, avec des expressions télégraphiques («T-où?»), souvent soutenues d'émoticônes simples. À sa manière, le Basic English, avec son vocabulaire de mille mots et sa syntaxe simplifiée, constitue un protolangage à peine évolué, peu apte à refléter une pensée complexe. Un pidgin, en somme.

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Avec le temps, les sociétés développèrent des façons d'enrichir les trois éléments du langage pour qu'ils exposent toutes les subtilités de la pensée et des sentiments. - Au sujet l'on associa des déterminants et des adjectifs. - Le verbe, on le fit varier selon divers aspects : mode, nombre, temps, personne. - Les compléments firent appel à un plein tiroir de prépositions, adverbes et conjonctions. L'écriture naquit de la même façon. Moins à partir de pictogrammes, comme on l'a cru longtemps, que sur la base – ici encore – de conventions. La langue est le fruit de tous ces arrangements. Arrangements d'autant plus faciles que, selon une théorie à la mode, nous ne parlons pas tant pour transmettre une informa-tion que pour trouver notre rang dans un groupe. D'où l'importance des small talks - parler pour parler - dans les échanges humains. D'où, aussi, la rapidité avec laquelle un immigrant apprend une langue pour être en mesure de s'intégrer rapidement au tissu social qui l'accueille. En conséquence, ce qu'on appelle le génie de la langue devrait peut-être se définir comme l'ingéniosité dont fait preuve un groupe humain (simple tribu ou vaste nation) pour élaborer artificiellement – culturellement – une façon de communiquer dont tous les membres conviennent. Voyons-la à l'œuvre. De fort judicieuses astuces Il existe autant d'approches syntaxiques qu'il y a de langues, car c'est la syntaxe et non le vocabulaire qui définit un idiome. On ne peut s'empêcher d'être ébloui par la multitude d'astuces que les sociétés ont développées pour se faire comprendre. Pour comprendre une phrase – En français on suit l'ordre des mots : [nom] [verbe] [complément] L'homme parle aux oiseaux En chinois également : [nom] [verbe] [complément] Wo k'anne bao Je lis le journal En latin aussi, mais dans un ordre différent : [nom] [complément] [verbe] Titus rosam dat Titus une rose donne Ce qui, en génie français, se lirait plutôt : Titus donne une rose Même procédé en japonais : [nom] [complément] [verbe] Oishii sakana tabemasu un bon poisson je mange En grec, on affecte plutôt une désinence : [n = compl. dir.] [verbe] [os = compl. ind.] Menin aeide Achileos la colère Chante d'Achille En russe, on se réfère aussi à une désinence : [a = sujet] [verbe] [u = compl. dir.] Petja ijubit Katju Pierre aime Catherine Pensons notamment aux particules de toutes sortes. Ainsi, en russe c'est par un préfixe qu'on distingue une action terminée d'une autre toujours en cours: ja pisai = j'écrivais; mais ja napisai = j'ai écrit. En malais, le possessif est marqué par un suf-fixe: anak = enfant; anaknya = son enfant.

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Certaines langues modifient les mots selon la situation décrite. Ainsi, en malais encore, le «nous» de «nous devons partir maintenant» s'écrira kita si nous partons avec vous, mais kami si nous partons sans vous. D'autres – ici, le grec – utilisent le neutre pour désigner une notion abstraite: to kalon = le beau. Plusieurs langues ont recours à des désinences, comme l'a appris quiconque a étudié le latin: (rosa = sujet, rosam = complé-ment direct, rosæ = complément indirect). L'arabe a une approche du même type, alors que le pronom est suffixé au verbe. Ainsi, il l'a frappé sera rendu par darabaru. Ce n'est pas tout Mais le génie inventif ne s'arrête pas là : les procédés sont multiformes. Ainsi, le chinois exploite divers tons d'un même son. Par exemple, selon la mélodie qu'on lui associera, le mot mà signifiera tour à tour maman, chanvre, cheval, injurier ou est-ce que?. Cette langue recourt aussi à des mots dits «classificateurs». Prenez ben (volume). Si vous achetez trois livres (san chu), on précisera san ben shu; ce qui se traduirait par trois volumes livres, pour qu'il soit bien clair que ces trois livres appartiennent tous à la catégorie «volumes». Que dire maintenant des langues africaines ? Plusieurs d'entre elles utilisent un claquement de la langue (click) à la sonorité variable selon la fonction du mot dans la phrase. D'autres désignent le superlatif en dupliquant une syllabe: a korola gojojojo - il est très très très vieux. Autant de façons de dire inventées par l'homme. Autant de témoignages de la merveilleuse diversi-té de l'esprit humain. À chaque langue son génie.

Toute une phrase dans un suffixe Cette intéressante réflexion de la linguiste Colette Grinvald

Si les langues amérindiennes n'ont ni subjonctif ni passé anté-rieur, elles possèdent des richesses dont le français est dépourvu. Ainsi dans la langue des Tsâchila d'Équateur, pour signifier : «Pierre est arrivé» la grammaire impose de choisir, à la fin du verbe, entre six possibilités qui expriment le crédit accordé à cette information.

Il est possible de dire selon les cas : «Pierre est arrivé, je l'ai vu et je l'ai entendu» ou bien «Pierre est arrivé, c'est ce qu'on m'a dit», ou encore «Pierre est arrivé, je ne l'ai pas vu ni entendu, mais j'ai la preuve de sa venue.» Une ou plusieurs phrases sont nécessaires en français pour donner ces informations qui sont exprimées, en tsâfiki, par un simple suffixe du verbe.

Un long contentieux Mais qu'est-ce qui m'a pris de m'intéresser soudainement au génie de la langue ? J'avais un long contentieux avec cette ex-pression prétentieuse qu'on nous a tant servie dans les cours de français – le fait-on toujours? – pour établir la soi-disant supé-riorité de notre langue. Or, un Cahier de Science et vie (n° 118) traitant d'un tout autre sujet (Les origines des langues) a réveillé ma réflexion grâce à des exemples comparatifs. J'en ai cité quelques-uns ici, tant ils démontrent qu'une même idée peut être rendue par une variété de tournures. Imaginons une langue universelle : ce qu'elle serait ennuyeuse ! Et quel mauvais coup pour la biodiversité ! Quelles décou-vertes nous faisons au contact des autres chemins – souvent inattendus, toujours originaux – suivis par l'homme pour entrer en communication. La Tour de Babel n'était peut-être pas une si vilaine chose, après tout. Sans dénigrer les autres idiomes, nous devons respecter le nôtre et le traiter aux petits soins simplement parce que c'est l'outil que la société québécoise a mis entre nos mains pour exprimer les nuances de notre pensée avec la plus grande finesse pos-sible. Son génie n'est pas toujours une réussite parfaite. À côté d'autres langues, le français connaît même certains ratés. Notam-ment pour les verbes, avec ces encombrants pronominaux ou cette multiplication pléthorique des façons de conjuguer (95 dans le Larousse) qui alourdissent le discours sans l'éclairer pour autant. Mais c'est notre façon à nous d'exprimer nos idées et nos sentiments. C'est de ce génie particulier, et de nul autre, que nous dépendons pour exécuter notre tâche quotidienne de rédaction. Et pour nous raccrocher à la culture qui nous entoure. Voilà pourquoi nous devons l'entretenir.

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3 - Rosa, rosa, rosam

Le latin fut jadis la langue parfaite

eut-on imaginer un élève de Secondaire I – un enfant de 12 ans, quoi ! – obligé de faire une heure de latin par jour en classe ? Sans compter une autre heure de devoirs à la maison : déclinaisons, thèmes, versions ! Et cela tout au long de

son adolescence. Jusqu'à la fin des années soixante c'était pourtant le lot de quiconque souhaitait accéder plus tard aux profes-sions libérales. Il y a tant de choses à apprendre sur la route de l'Université. N'y avait-il pas d'autres disciplines plus utiles ? Pourquoi pareil culte d'une langue morte ? Un peu de latin pour comprendre les racines du français : soit ! Mais s'entraîner à lire Tite-Live comme si c'était un contemporain ! D'où venait cette anomalie didactique ? On nous disait bien que le latin servait à former l'esprit. Mais quoi ? Le français ne formait-il pas l'esprit, lui aussi ? « Pas aussi bien que la langue de Virgile », nous assurait-on. Ce qui n'arrivait pas à nous convaincre. Le latin comme nécessité En fait, le latin avait eu le temps de se fossiliser depuis qu'il avait envahi l'enseignement au Moyen-Âge. À cette époque lointaine, en effet, s'accrocher au latin ne constituait pas une anomalie. Une nécessité, plutôt. Car le français n'était pas encore outillé pour traiter toutes les nuances de la pensée. Il n'était pourvu que d'un vocabulaire et d'une syntaxe élémentaires. Assez pour décrire des choses simples, désigner des actions simples, exprimer des sentiments simples. Mais guère plus. Alors que le latin apparaissait comme une langue à la palette beaucoup plus large.

Une langue supérieure 1er de trois extraits de

MILLE ANS DE LANGUE FRANÇAISE par Alain Rey, Frédéric Duval, et Gilles Siouffi

Perrin, 2007-2011

« Les langues vernaculaires sont longtemps considérées comme inférieures au latin parce qu'elles sont imparfaites, et donc inaptes à la réflexion et à la description grammaticales. Pour Gilles de Rome (1243-1316) : il n'existe aucune langue vulgaire complète et parfaite; les philosophes ont donc été contraints d'employer un idiome spécifique, propre à exprimer toutes leurs

idées, et ce fut le latin. Dante ne dit pas autre chose, dans le De vulgari eloquentia, quand il écrit que la grammaire fut inventée afin de procurer une langue inaltérable dans le temps et dans l'espace, une langue normée, régulée par consensus général. Or cette grammatica dont il parle, c'est le latin. » — Tome I, page 246 de l'édition 2011.

Il faudra attendre François Villon (1431-1463) pour que les phrases françaises commencent à s'évader de leurs perspectives purement descriptives et donnent lieu à des figures de style évocatrices, faites d'allitérations, de métaphores et de paradoxes. Sa Ballade des pendus est d'ailleurs célébrée à titre de moment fondateur d'une langue française apte à concurrencer le latin comme véhicule des émotions.

Frères humains qui après nous vivez N'ayez les cœurs contre nous endurcis,

Car, se pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tost de vous merciz. Vous nous voyez cy attachez cinq, six,

Quant de la chair, que trop avons nourrie, Elle est pieça devoree et pourrie, Et nous les os, devenons cendre et pouldre. De nostre mal personne ne s'en rie : Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

Une langue parfaite, ou presque Dans le but de répondre à la nécessité d'une langue suffisamment fiable pour évoquer les subtilités d'un discours, l'Université enseignait donc en latin, une langue toute en nuances. On s'en rend aisément compte, même aujourd'hui, en déclinant le pre-mier vocable qu'on apprend quand on se met au latin, le mot «rose». En français médiéval, ce terme n'avait qu'une graphie : rose. En français contemporain, il en possède deux : rose (singulier) et roses (pluriel). Pour fixer la fonction du mot dans la phrase on doit recourir à des prépositions (à la rose, par la rose, pour la rose).

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En latin le mot «rose» est plus complet, si l'on peut dire. Il comporte six graphies : rosa, rosam, rosae, rosas, rosarum, rosis. Pas besoin de prépositions; elles sont intégrées dans les terminaisons.

SINGULIER Nominatif - rosa : la rose [que j'ai reçue]

Vocatif - rosa : [que je t'aime] ô rose ! Accusatif - rosam : [j'ai reçu] une rose Génitif - rosae : [la beauté] de la rose

Datif - rosae : [une épine] à la rose Ablatif - rosa : [le bonheur] par la rose

PLURIEL Nominatif - rosae : les roses [que j'ai reçues] Vocatif - rosae : [que je vous aime] ô roses ! Accusatif - rosas : [j'ai reçu] des roses Génitif - rosarum : [la beauté] des roses Datif - rosis : [des épines] aux roses Ablatif - rosis : [le bonheur] par les roses

Comment ne pas être impressionné devant cet éventail de déclinaisons fines ! Tout n'est pas parfait, loin s'en faut. Ainsi, dans l'exemple ci-dessus manque-t-il six graphies supplémentaires pour que la distinction entre les multiples utilisations du mot «rose» soit à l'abri de tout risque d'erreur.

Les graphies manquantes

Dans la déclinaison du mot rosa trois graphies se dédoublent : Rosa est utilisé trois fois - nominatif, vocatif et ablatif singulier.

Rosae l'est quatre fois - génitif et datif singuliers, nominatif et vocatif pluriels. Rosis, deux fois - datif et ablatif pluriels.

Le risque de confusion qui découle de ces dédoublements est partiellement corrigé, toutefois, par la localisation du mot dans la phrase, un autre talent du latin. Le latin, langue minutieuse ? On le voit bien. C'est ce qui lui a donné son autorité. Mais c'est aussi ce qui le perdra. Il était si finement construit qu'il n'était pas capable d'évoluer, sinon en se dégradant. C'est ce qui lui arriva au fil des siècles. Perdant progressivement de sa rigueur sans se renouveler il fut supplanté par des langues plus flexibles, au premier chef le français. Malgré ces faiblesses, il est évident que la déclinaison latine transmettait mieux que le français monographique d'alors les observations, impressions ou émotions qu'on voulait communiquer. Par sa rigueur de construction le latin proposait cette interprétation univoque des idées qui manquait à une langue floue, dépourvue de grammaire, comme l'était le français médié-val. Une langue véhiculaire internationale À la Renaissance, un second motif propulsa le latin à l'avant-scène. Le français réussissait sans doute à étendre son vocabu-laire et à raffiner sa syntaxe ; il n'en demeurait pas moins un idiome régional. Le latin, lui, régnait sur tout le monde connu.

Comme l'anglais aujourd'hui 2e de trois extraits de

MILLE ANS DE LANGUE FRANÇAISE par Alain Rey, Frédéric Duval, et Gilles Siouffi

Perrin, 2007-2011

« Rappelons-le : le latin est encore, au XVIe siècle, une langue vivante. Quatre milieux professionnels au moins l'utilisent en-core quasiment tous les jours: les gens de droit, les lettrés, les scientifiques de tous les domaines et les gens d'Église. Pour ces catégories de population, le latin restait un idiome commode, dans lequel étaient inscrites les phraséologies qui soutenaient leur savoir. Le latin leur permettait d'entretenir un lien avec le

passé, mais aussi avec leurs confrères d'au-delà des frontières. Il est, au XVIe siècle, comme l'anglais aujourd'hui, une langue véhiculaire, internationale, qui permet d'échanger sans se laisser encombrer par les problématiques de la traduction. Il est une seconde peau pour ces hommes qui ont par ailleurs une langue ou un dialecte maternels. » — Tome I, page 417 de l'édition 2011.

Quiconque ambitionnait de faire carrière dans l'une des quatre professions à la mode – le droit, les belles-lettres, les sciences et la philosophie – ne pouvait faire l'impasse sur le latin. À sa richesse sémantique qui, jusqu'alors, l'avait distingué du misé-rable «dialecte» français, s'ajoutait désormais le prestige d'une langue universellement reconnue comme porteuse du nouveau savoir.

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C'est dans ce contexte que naquit, en 1599, ce qui devait devenir le cours classique. Sous le nom de Ratio atque institutio studiorum, les Jésuites mirent au point une toute nouvelle approche pédagogique, qui tranchait sur la manière traditionnelle d'enseigner en faisant participer l'élève à sa formation à travers des discussions de type socratique. Or, les Jésuites souhaitaient assurer à ce cursus la plus grande universalité possible. D'où un centrage sur le latin, à la fois langue de culture inégalée, lingua franca du temps et langue de l'Église. Pas étonnant qu'il ait rapidement conquis toute la chrétienté, y compris les terres lointaines.

En Nouvelle-France Dès 1611, en Acadie, et 1626, à Québec, les Jésuites véhiculent leur pédagogie en Nouvelle-France. Pas par l'enseignement au cours classique, assurément, mais dans le cadre général de leurs activités missionnaires, paroissiales et éducatives. Après leur expulsion par les Anglais, à la Conquête, le Petit Séminaire de Québec, lui-même fondé en 1668, deviendra le phare de cette approche. Ainsi, comme le relate la mémoire virtuelle de l'établissement :

« Les élèves du Séminaire doivent obligatoirement parler le latin dans la cour de récréation. De même lorsqu'ils circulent hors des murs du Séminaire, ils parlent latin entre eux, ce qui contribue à distinguer davantage ceux qui fréquentent cette institution de ceux qui ne peuvent y avoir accès. » Les Sulpiciens (arrivés en 1657) adopteront aussi ce type de formation lors de la fondation du Collège de Montréal, un siècle plus tard. Le reste du Québec suivra, à mesure que s'ouvriront les séminaires et collèges.

La méthode des Jésuites laissait à penser que le latin serait éternel. Or, il ne fallut guère plus d'un siècle pour qu'il soit vaincu par l'imprimerie, qui, en plus de propager les langues vernaculaires, rendait désormais disponible, en traduction, n'importe quel ouvrage – notamment scientifique – publié originellement dans une autre langue. Plus besoin d'un idiome commun pour véhiculer l'information. Mais il fallut trois siècles pour que le monde de l'enseigne-ment s'en rende compte. Car la tradition avait des racines trop profondes pour se laisser déloger si facilement. La tradition et son revers Il est notoire que la tradition constitue une valeur essentielle pour éviter à une culture de tournoyer comme une girouette. Elle en assure l'enracinement et la transmission. En matière d'écriture, c'est la tradition qui sert d'assise à la rédaction. Le rédacteur professionnel se porte garant du bon usage. Il est la garde rapprochée du grammairien, aux premières lignes de défense de la continuité. Mais il y a toujours un point de rupture. Qu'apparaisse une nouvelle technologie qui change les manières de faire, la tradition s'en trouve bouleversée. Pour la primauté du latin, comme on vient de le voir, ce fut l'avènement de l'imprimerie. Coupée de ses sources de renouvellement, la précieuse tradition cesse alors de protéger le patrimoine culturel accumulé pour se trans-former en frein au progrès. C'est bien ce qui arriva au latin. Exit le latin de l'enseignement supérieur L'éviction du latin dans l'enseignement se fit lentement, presque imperceptiblement. Elle découle de la prise progressive de contrôle, par les langues vernaculaires, des fonctions de précision et de cohésion dont le latin avait toujours eu l'exclusivité aux études supérieures. C'est ainsi qu'en France, les filles eurent accès, en 1881, à l'enseignement complet jusqu'alors réservé aux garçons. Mais avec une caractéristique particulière : cet enseignement ne comportait pas de latin. On venait de découvrir qu'il n'était pas si néces-saire que ça à la culture dite générale qu'on leur proposait. Chez nous aussi, quoique beaucoup plus tard, la formation supérieure s'ouvrit aux filles par le biais d'un régime novateur : latin-sciences, tout d'abord, puis sans latin du tout. Comme si l'on voulait tester sur elles, à moindre risque, les valeurs mon-tantes. Évidemment, les tenants de la tradition creusèrent autour du latin des tranchées plus profondes. C'est ainsi que, quarante ans après que le rapport Parent (1964) eut recommandé la disparition du cours classique traditionnel, un nostalgique pouvait encore écrire dans la tribune des lecteurs du Devoir du 11 novembre 2004 :

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« Le déclin de l'enseignement du latin a suivi la Révolution tranquille. La mode se tournait alors vers l'enseignement des sciences prétendument parce qu'il fallait orienter les étudiants vers les carrières prometteuses comme la finance, les techno-logies, etc. Personne n'a alors pris la défense du latin comme outil idéal de formation de la pensée et de la logique qui doit être présente dans l'étude des mathématiques et des sciences, a fortiori lorsque ces études conduisent à des postes de com-mande. » Et quand il apparut clairement que le latin était devenu une coquille vide, les défenseurs de l'intangible se tournèrent vers le français, désormais considéré comme la nouvelle « langue parfaite ». Donc intouchable à son tour. On ne se refait pas ! Le français dans le sillage du latin Car, au XVIIe siècle, Vaugelas et l'Académie française avaient mis au point un français normé qu'ils croyaient intangible, parfait concurrent du latin alors en déclin. Pourtant, deux siècles plus tard, les écrivains romantiques secouèrent cette langue qu'on avait trop tôt déclarée immuable. Ils n'eurent crainte de s'attaquer à la syntaxe et de valoriser des tournures jusqu'alors considérées comme fautives. Ce n'était qu'un début. Au XXe siècle, avec la radio, puis le cinéma et la télévision, ce sont les rapports entre l'oral (plus per-missif) et l'écrit (plus soutenu) qui se trouvèrent bouleversés, souvent confondus. Aujourd'hui, on ne sait plus très bien où commence l'un et finit l'autre. Vous l'observez tous le jours : de plus en plus d'auteurs écrivent volontairement en oral, c'est-à-dire plus proche de la langue de la rue que des rigoureux codes rédactionnels.

Langue écrite et langue parlée Le chroniqueur Patrick Lagacé de La Presse a déjà adopté, dans ses textes, cette façon «populaire» de rédiger que constitue l'imitation, à l'écrit, de la langue de la rue. Non seulement dans le corps de ses articles, comme il arrive à d'autres de le faire; mais même dans les titres. Quelques exemples :

- La bullshit de Sam Hamad - Kadhafi, le petit salopard - Putain de couteau On ne sait pas encore s'il fera école ou s'il demeurera un cas d'espèce. Jusqu'à maintenant les autres chroniqueurs du journal ne l'ont pas suivi jusque-là.

Dans ces conditions, comment distinguer entre l'invasion du «mal écrire» et le heurt volontaire d'une exigence linguistique jugée passéiste ? Comment atténuer le choc et prévenir de véritables dégradations sans empêcher le mouvement naturel de la vie vers un perpétuel renouvellement ? Anticiper l'avenir Si le rédacteur professionnel a mandat de protéger la tradition linguistique, il doit aussi, à la manière d'un sismologue obser-vant le mouvement des plaques tectoniques, anticiper le moment où cette tradition sera brusquement bousculée par une ten-dance émergente. Alors, comment prévoir ? Les alertes sont partout. Laquelle d'entre elles annonce une modification irréver-sible de la langue ? Ainsi, la graphie hachurée du Web ne manque pas de torturer les normes; et ce, bien au-delà du petit monde des textos. Comment interpréter ses raccourcis graphiques : absence de majuscule aux noms propres, d'accent sur les voyelles, d'espace entre les mots ?

La guerre des accents 3e de trois extraits de

MILLE ANS DE LANGUE FRANÇAISE par Alain Rey, Frédéric Duval, et Gilles Siouffi

Perrin, 2007-2011

« En matière de norme graphique, le réformisme, pourtant très prudent, des rectifications de l'orthographe recherchait un peu plus de cohérence et de simplicité. Il dut composer entre la position de linguistes comme Nina Catach, qui souhaitaient rapprocher les graphies des phonétismes, ou bien celle d'ingé-nieurs ennemis des accents pour entrer plus vite dans le monde

d'Internet (alors écrit à l'anglaise), et l'immobilisme puriste. Ce fut le conservatisme instinctif du public qui l'emporta, contre tout bon sens, en entérinant les pires irrégularités, les signes (accents, trémas) souvent inutiles, et toutes les difficultés d'ap-prentissage cause d'échecs et d'erreurs innombrables. » — Tome 2, pp. 447-448 de l'édition 2011.

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S'agit-il d'une servitude provisoire en attendant qu'une technologie plus user's friendly corrige cette maladresse ? Ou, au contraire, d'une occasion, aussi appréciée qu'inattendue, de simplifier une graphie qui commençait à peser ? Virage typogra-phique ou culturel ? Les barons de la langue voudraient bien imposer des rectifications cohérentes. Mais leur autorité s'effrite. Les gens ne les écoutent plus. Le rédacteur doit se préparer mentalement à une secousse quelque part dans le système linguistique : les lignes de failles sont là. La seule chose qu'il ignore est le point précis où se fera cette fracture. Il ne doit jamais oublier que c'est lui, le profession-nel en la matière. C'est vers lui qu'on se tournera pour arbitrer le débat quand la collision se fera. Car elle aura lieu. Comme ce fut le cas entre le latin et le français. Peut-être dans un demi-siècle. Peut-être – qui sait ? – avant 2020.   

4 - Mais pourquoi s'écrivent-ils encore ?

Le texto comme dernier avatar de l'écriture

epuis l'antique plume d'oie jusqu'au clavier du téléphone intelligent, l'écriture continue sans cesse sa progression dans les rapports interpersonnels, faisant ainsi mentir les prévisionnistes qui la croyaient foutue. À l'ère de l'écran tactile – «

les gens ne lisent plus » –, l'alphabet n'aurait plus jamais la cote. Le numérique lui assènerait son dernier coup, lui riverait son dernier clou. C'est tout le contraire qui survient sous nos yeux. Au point où nombre de gens se servent moins de leur accès téléphonique sans fil pour converser directement que pour s'écrire. Où est donc passée la société audiovisuelle qu'on nous annonçait ?  

 

Une histoire vraie ? Une historiette qu’on prétend véridique fait état d’une enseignante du primaire qui n’en pouvait plus d’entendre un de ses élèves chuchoter avec son voisin de pupitre. Alors qu’elle le menaçait de punition, l’enfant lui aurait rétorqué : « Si je ne peux plus lui parler, est-ce que je peux au moins lui envoyer des textos ? »

Ce revirement nous concerne au premier chef, nous les rédacteurs, puisque, par profession, nous sommes des gens de l'écri-ture. Nous nous pensions peut-être les derniers témoins d'une époque en déclin, alors que nous serions plutôt les chefs de file d'un temps qui naît. Dans l'enquête dont traite ce site, il a été question du recul de l'écriture. On a même parlé de la possibilité qu'écrire devienne une spécialité éclectique, réservée aux documents d'envergure, dans un monde autrement dominé par l'oralité. Peut-être fau-dra-t-il reformuler certaines hypothèses. Permettez-nous donc d'avancer celle-ci, que nous présentons en forme de syllogisme (majeure / mineure / conclusion). Et n'oubliez pas qu'au terme de notre argumentation il y a place pour vos propres observations. 1. MAJEURE L'écriture permet de communiquer sans trop se compromettre L'écriture est née à des fins d'archivage et d'inventaire, conformément au proverbe qu'on en a déduit ultérieurement : « Les paroles s'envolent ; les écrits restent. » Mais dès que les supports commencèrent à devenir plus maniables (de la pierre à l'ar-gile, puis des lanières de peau au papyrus), on commença à lui trouver une vocation de moyen de communication facile. L'invention du papier devait la démocratiser pleinement et en faciliter l'usage comme instrument d'échanges interpersonnels. À l'origine de cette nouvelle vocation, le choix de l'écriture comme moyen de communiquer entre proches résultait simple-ment de leur éloignement momentané. Lisez les lettres des amoureux célèbres d'autrefois qui ne cessaient de répéter : « Ah ! Je brûle de vous retrouver. » Autrement dit : « J'écris parce que c'est le seul moyen que j'ai de vous déclarer mes sentiments. »

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L'écriture amplifie l'élan des sentiments Mais ces sentiments étaient mis à rude épreuve dès que les amants se retrouvaient. En effet, leurs tête-à-tête s'avéraient sou-vent moins romanesques que leurs échanges épistolaires. Quelle déception, alors, de se retrouver devant un partenaire dont les rapports amoureux se situaient bien au-dessous de ce qu'avait laissé entrevoir sa façon d'écrire. C'est que la rêverie faisait place à la réalité. Il n'y avait plus cette attente éperdue de la diligence livrant enfin une lettre de l'élu. Il n'y avait plus ce vocabulaire tendre, qui réchauffait la ferveur d'un cran et incitait l'être aimé à lire... et à relire en-core... ces jolies pages à bordure dorée, parfois imprégnées de parfum. Il n'y avait plus ces tentatives de dénicher les senti-ments de l'autre à travers sa graphie. En langage d'aujourd'hui on parlerait de second degré. Couchés sur papier, les sentiments se donnent le temps de fouiller dans les dictionnaires pour dénicher le mot juste qui les dilatera en vue de séduire le destinataire. La médiatisation des émo-tions par l'écriture a donc pour effet d'amplifier leur élan naturel pour les rendre plus efficaces. Il devient ainsi possible de titiller à distance les sens de l'être aimé. Mais à la condition de partager les mêmes codes. Car les serrements de cœur ne seront compris du destinataire qu'à travers un gabarit artificiel – culturel, si l'on veut – commun aux deux correspondants : la stylistique propre au langage écrit. À l'inverse, la parole, parce que spontanée, s'inscrit dans le premier degré, la réaction immédiate, irréfléchie. D'où ces phrases hachurées et désordonnées des échanges oraux que complètent l'animation du visage et la gestuelle. Il ne viendrait à personne l'idée de parler comme on écrit. C'est tellement le cas que, chaque fois qu'on entend quelqu'un dis-serter doctement dans le cadre d'une simple conversation, on dit qu'il « s'écoute », qu'il « récite », qu'il lit des phrases écrites dans sa tête. L'écriture réduit les heurts affectifs L'écriture établit donc une distance entre les interlocuteurs ; ce qui se vérifie notamment dans les dialogues teintés d'agressi-vité. Comparez, à cet égard, les discours bien léchés – bien rédigés – des politiciens et leurs hésitations et balbutiements quand ils sont invités à débattre face à face. Ou encore, voyez la différence de tonalité entre le pamphlet le plus sévère et une bonne engueulade. Cette distance a l'avantage de réduire les chocs entre interlocuteurs. La personne qui écrit a le loisir de choisir les mots qui rendront adéquatement sa « pensée » (alors qu'à l'oral elle déchargera pêle-mêle ses « états d'âme »). De son côté, celle qui lit a tout son temps pour digérer le message et pour préparer son argumentaire de retour ; ce qui ne lui est pas possible à l'oral où l'émotion embue rapidement la raison. Les prises de bec enflammées font le pain et le beurre des thérapeutes de couples, qui s'attardent moins aux sujets de discorde abordés qu'au choix des mots, au ton de la voix, à l'allure du visage et au langage des gestes. L'écrit camoufle cet affolement sous une couche de formules présentables. Il peut sans doute aussi y avoir, à l'occasion, de l'affolement dans certains textes déchaînés, bourrés de mots vulgaires, de jurons et d'interjections. Mais vient vite un point où ces phrases-là perdent toute pertinence. Le lecteur ne suit plus, car il ne trouve plus ses repères, les codes dont on parlait plus haut. De toute évidence, l'écriture n'est pas adaptée aux hurlements. En conséquence, si vous voulez dialoguer sans trop vous compromettre, en vous gardant une marge de manœuvre, écrivez ce que vous vous proposez de communiquer. Écrire vous permettra d'exprimer vos sentiments selon une progression délibérée et par petites doses comestibles. Ainsi aurez-vous transfiguré la réalité brute en artisanat. 2. MINEURE Or, les gens d'aujourd'hui ont besoin de la distance que favorise l'écriture On dit bien de notre époque qu'elle est individualiste. Cela provient de ce que nous comptons beaucoup moins qu'autrefois sur le soutien du « groupe » : l'État se charge de presque tous nos besoins. C'est lui qui éduque, soigne, entretient les routes. Nous faisons affaire directement avec lui sans tenir compte du voisinage. Tout cela discrètement, en simple échange de nos impôts. Essayez d'imaginer votre existence aux siècles passés, alors que vous deviez vous appuyer sur le village pour survivre. Si vous ne respectiez pas les règles édictées par les Anciens pour la bonne marche de la collectivité, si vous ne participiez pas aux tâches communes, si vous contestiez le consensus, l'on vous rejetait, vous condamnant à une mort certaine.

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Les avantages de cette cohésion se sont ensuite transposés dans les grands empires où la langue et la religion du monarque ont longtemps constitué des éléments fédérateurs décisifs du tissu social. Avec ses dérives aussi : pensez à tous ces soldats qui ont fièrement marché à la mort au nom de la nation ou de la foi dans des guerres de conquête, tant on les avait convaincus que leur sacrifice servait la communauté (alors qu'elle ne servait que les ambitions du potentat). Tout cela est bien fini aujourd'hui. Chaque individu se veut autonome et maître absolu de son existence. En conséquence, sa dépendance d'un groupe, quel qu'il soit, s'en trouve considérablement réduite. Son sentiment d'appartenance aussi. Le prix de l'autonomie L'autonomie nous a affranchis des entraves qu'imposaient les sociétés corsetées. Chacun est désormais libre de penser comme il le veut, d'agir comme il l'entend. Et c'est bien ce qu'il fait. On n'avance plus en coupes réglées. À bas les hiérarchies ! Toute relation est un contrat d'égal à égal. Mais à quel prix ? De la solidarité largement partagée dans les collectivités monolithiques d'hier, il ne reste plus que quelques fragments vécus au sein de la famille nucléaire... originale ou reconstituée. Par ricochet, en l'absence de cette précieuse balise que constituait le « groupe », c'est l'isolement qui guette. Une telle situation est particulièrement évidente dans les grandes villes où tant d'inconnus se côtoient dans l'indifférence, chacun étant occupé à poursuivre sa réussite personnelle et sa propre qualité de vie. Solitude dans la foule. Déficit de com-munication. « Déficit de communication », avez-vous dit ? Les créateurs des médias électroniques y ont pensé en même temps que vous. Alors, ils vous ont pourvu d'un outil pratique qui vous permettait de parler à qui vous vouliez, n'importe quand et n'importe où. Ils avaient perçu votre besoin impérieux de quitter l'insularité. Le succès astronomique de leur portable a bien montré qu'ils avaient vu juste. S'éloigner du bruit de fond Mais tout remède comporte sa part de contre-indications. Et, semble-t-il, personne n'a pris le temps de lire les directives. C'est ainsi que tout le monde s'est mis à parler à tout le monde en même temps, créant ainsi une invraisemblable cacophonie. Vous étiez toujours aussi seul. Étourdi, en plus, par une information surabondante, incontrôlable. Ce qu'il vous faut – vous l'avez finalement compris –, c'est la possibilité de communiquer quand vous le souhaitez, mais aussi la capacité de vous isoler quand le bruit de fond est trop perturbant. Vous avez décidé de vivre sans maître ? Il ne sera pas dit que vous deviendrez esclave d'un téléphone. Votre situation n'est pas facile. Vous voulez échapper à la dépendance, mais avez quand même besoin de chaleur humaine. Vous ne souhaitez donc pas vous priver de toute relation ; vous tenez simplement à garder une certaine distance entre vous et l'autre de manière à conserver votre autonomie. Or, il existe une façon éprouvée d'assurer cet équilibre dans vos communica-tions : l'écriture. 3. CONCLUSION : L'écriture répond bien aux attentes de notre époque Qui a dit qu'écrire devait se faire absolument sur du papier ? Qui a prétendu que le style d'un texto devait reproduire nécessai-rement celui d'une missive ? Ce qu'il faut plutôt retenir de l'écriture d'aujourd'hui, c'est qu'elle conserve toujours, dans n'im-porte quel contexte, la fonction qui lui fut de tout temps si utile : assurer une certaine distance entre des interlocuteurs. L'écriture d'aujourd'hui est un hymne à la liberté. Liberté d'échanger à son propre rythme, liberté de transformer en point de contact affranchi cet outil d'assujettissement que constitue le combiné téléphonique. Souvenez-vous : à l'origine, le téléphone mobile ne comportait qu'un clavier embryonnaire. Le succès instantané de son ap-plication «texte» incita les fabricants à la développer, puis à en faciliter l'utilisation... jusqu'à l'associer récemment aux sites de dialogue les plus fréquentés, comme Facebook ou Twitter. De toute évidence, cette application-là répondait à un besoin latent. Vous voulez vous affranchir des sonneries intempestives qui prennent votre quotidien en otage ? Mais, en même temps, vous ne voulez pas perdre le contact avec votre milieu de vie ? L'écriture est la réponse toute trouvée.

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Vous voulez assurer votre autonomie sans rompre les liens avec la société ? Faites de l'écriture votre moyen privilégié de communication. Vous voulez vous donner un temps de réflexion avant de répondre à votre interlocuteur ? Rien ne saurait remplacer l'écriture. Réfléchir pour mieux dire « Mais pourquoi s'écrivent-ils encore ? » avons-nous demandé en tête de cet article, alors que les gens ont pourtant la possibi-lité de communiquer beaucoup plus rapidement par voie orale. Ce peut sans doute être pour des raisons pratiques (l'interlocu-teur n'est pas disponible ou l'information à transmettre doit obligatoirement passer par l'écrit). Mais, à notre avis, la vraie raison est ailleurs. Nous croyons que, pour plus d'un, c'est d'abord pour s'assurer un espace de liberté, se protéger de l'envahissement, garder les commandes de la communication. En s'astreignant au lent déroulement de mots (relativement) bien écrits et de phrases (plus ou moins) bien construites, l'on établit une certaine distance avec le correspondant. Façon d'échanger qu'on peut situer quelque part entre la conversation à bâtons rompus et la composition classique.

Réflexion tangentielle

À ce propos, on aura noté l'amélioration grammaticale et stylistique progressive des courriels, SMS et autres messages Web au cours des dernières années. Preuve qu'une meilleure réflexion est indissociable d'une meilleure façon de s'exprimer. Beau sujet d'étude en perspective : plus je prends le temps de réflé-chir avant de parler ou d'écrire, plus je tiens à utiliser un vocabulaire précis et une structure appropriée des phrases et des paragraphes.

Sage distance, qui permet l'éclosion de relations plus réfléchies. Vertu du deuxième degré qui humanise les rapports humains. Qui ne s'en réjouirait pas ? Cette dynamique particulière de l'écriture, le rédacteur professionnel la connaît bien. Il ne peut donc qu'être heureux de la découvrir si largement « tendance ».  

5 - Hormis est à la maison de retraite

N'enterrez pas les vieux mots de leur vivant

uand je demandai à le voir, la préposée de la maison de retraite m'observa d'un œil suspect: personne n'avait rendu visite à HORMIS depuis si longtemps. Elle me conduisit à sa chambre dans un coin isolé du triste établissement. Mon

cœur palpitait dans l'attente de l'épanchement qu'il aurait à mon égard, moi, qui avais fait de lui la vedette de tant de mes rédactions. Rien. Aucun sentiment, sinon de la hargne. Il était vraiment en fort vilaine forme. Il avait bourré son ordinateur de tout le mal que les dictionnaires avaient pu dire de lui... avant qu'ils ne disent plus rien, le considérant désormais hors de la langue courante. Personne ne l'écoutait plus; ma présence lui fournit l'occasion de se dé-chaîner. Hormis prend la parole Tiens, approche. Regarde l'outil Antidote de Druide Informatique. Ici. Tu vois? Ce fut longtemps un allié sûr : « La préposi-tion hormis constitue une expression de niveau soutenu. » C'était le bon temps. On reconnaissait que j'appartenais à la belle langue. Qu'est-ce qu'il lui a pris, à Antidote, d'ajouter le qualificatif «vieilli» dans ses récentes éditions? Ai-je l'air si vieux que ça? En quoi suis-je plus vieilli que mes synonymes : à l'exception de, à l’exclusion de, à part, abstrac-tion faite de, en dehors de, en ne comptant pas, excepté, non compris? Pourquoi Antidote les protège-t-il, eux, et pas moi? Voici maintenant que Franqus, oui, le tout nouveau dictionnaire électronique produit par l'Université de Sherbrooke, eh! bien, voici qu'il enfonce le clou à son tour en confirmant Antidote: « hormis (vieilli ou littér.): À l'exception de, excepté, sauf.» Vieilli! Misère!

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Et dire que ce dictionnaire-là se présente comme Le français vu du Québec! Un pays où, pourtant, les mots ne vieillissent guère : «prendre une débarque», «se marier obligé», «tourner consomption», «avoir une face de porc frais», «se faire arran-ger le portrait», «se rincer le dalot». En veux-tu d'autres ? Le français vu du Québec? Ouais, dis donc! Mais le français vu de France, c'est pire encore, c'est «pire que pire». Sans le moindre esprit critique, comme si cela allait de soi, le logiciel de correction Cordial 2013, de Synapse reprend la rengaine de nos dictionnaires locaux : « HORMIS et HORMIS QUE sont vieillis ou littéraires. » Mais le comble, c'est le Littré, qui pousse à fond: «Hormis = mis hors.» Comme dans «Mis hors de combat, hors d'état de nuire.» Tel est bien mon sort. Il faut que je me rende jusqu'au bon vieux dictionnaire Larousse pour trouver un usuel qui me respecte: « hormis –> Défini-tion : Excepté, sauf. / Synonymes : à l'exclusion de, à part, abstraction faite de, hors (littéraire), fors (vieux). » «Fors (vieux)» Ah ! Lui, il est vieux, vraiment vieux... «Tout est perdu, fors l'honneur.» On apprenait cela à l'école. Et voilà qu'on veut me mettre dans le même sac! Je saurai bien me défendre. Mais même Larousse a ses contradictions quand il présente mes deux principaux contraires «inclus» et «y compris». Sans doute de jolies expressions, mais qui sentent quand même un peu le ranci. Va-t-on bientôt les envoyer à la maison de retraite avec moi? De beaux hormis scotchés au mur On ne veut plus de moi? Tant pis! Je vivrai avec mes souvenirs scotchés au mur :

«Pas plus qu'on sait ce que c'est que le soleil pis les étoiles, hormis que ça jette de la lumière le jour pis la nuit.» (Gabrielle Roy, Bonheur d'occasion). «Tout finit par s'arranger un jour. Y a rien de mal fait, hormis le péché.» (Antonine Maillet, Emmanuel à Joseph à Dâvit). «L'être humain n'a aucun standard de qualité, hormis son besoin d'appartenance.» (Bernard Arcand, Quinze lieux communs). «Tout passe, hormis ce que les hommes ont sauvé de l'oubli par le marbre ou par le parchemin!» (Alain Grandbois, Les Voyages de Marco Polo). «Hormis que le printemps n'arrive bientôt, je ne sais pas ce que nous allons faire.» (Louis Hémon, Maria Chapdelaine).

Je suis un bijou dont même les regrattiers ne veulent pas. Plus personne ne semble se souvenir de mes performances, ni res-pecter mes nobles origines.

«En cette extrémité, que prétendez-vous faire? – Tout, hormis l'irriter; tout, hormis lui déplaire.» (Corneille, Andromède). «Il ressemblait à M. de Beaufort, hormis qu'il parlait mieux français.» (Correspondance de Madame de Sévigné).

OUTRE contre HORMIS Tout le problème vient de outre, mon jumeau utérin, mon concurrent de toujours, Caïn contre Abel, Ésaü contre Jacob. Dès que j'apparaissais quelque part, il arrivait aussitôt derrière moi avec son sourire sournois. Je le vois encore se pavaner en clamant qu'il portait en lui la vertu d'ajouter (en outre ne signifie-t-il pas en plus?), alors que moi, je traînais le péché originel de soustraire (qui dit hormis, dit en moins). Comment se fait-il que personne ne songe à le mettre à la retraite, lui, cet outre méprisant? Il s'est toujours amusé à sautiller de préposition en adverbe, alors qu'on ne me laissait que les restes. Quand le Centre national de ressources textuelles et lexicales parle de lui, il va même jusqu'à faire allusion à «l'au-delà». Et pour moi, il fait allusion à quoi ? Vois par toi-même.

OUTRE - préposition A. − En plus de. B. − Dans une loc. prép. où en outre est suivi du substantif : En plus de.

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OUTRE - adverbe 1. Adv. de lieu, vieilli ou littéraire : Passer outre. Poursuivre au-delà, plus loin. 2. Au figuré : Plus loin, au-delà. Passer outre : Continuer, aller plus avant. Passer outre à (une objection, un obstacle). Ne pas (en) tenir compte. HORMIS - préposition A. − Excepté, sauf. B. − Hormis que, loc. conj., vieilli. Si ce n'est que.

Tu as bien lu : alors qu'il n'en a que pour outre, c'est bien le mot « vieilli », que le CNRTL emploie, lui aussi, comme les autres, à propos de moi. Je te l'avais bien dit que j'étais abandonné de tous! Le prix à payer Mais il y a un prix à payer pour ceux qui m'ont ainsi mis au rancart tout en portant outre aux nues. Ce prix, c'est la confusion. Ne trouvant plus hormis dans leur vocabulaire, les gens y substituent le mot qui lui est le plus immédiatement associé, outre, sans se rendre compte que ce mot signifie exactement le contraire. Ce qui mène à des contresens dont je me délecte en secret. « Outre l'avant-midi, les portes de notre bureau sont toujours ouvertes. » Présente-toi donc à ce bureau au beau milieu de l'avant-midi, juste pour voir si on t'ouvrira! « Outre l'usine principale, qui est totalement son œuvre, je demande au directeur général de répartir équitablement tous mes biens entre ma femme et mes trois enfants. » Que restera-t-il, crois-tu, de l'héritage à ce pauvre directeur général quand tout ce beau monde passera devant le notaire? Mais il y a aussi les contresens à l'envers. Après outre à la place d'hormis, voici hormis à la place de outre : « On verra bien qui paiera les pots cassés hormis le contribuable, bien sûr. » Ce serait bien, en effet, qu'un autre paie les pots cassés à l'ex-ception de, à l’exclusion de, à part, abstraction faite de celui qui a toujours payé à la place de ceux qui auraient dû. Ces confusions, outre se les est bien attirées, les a bien méritées. À trop vouloir me tasser, c'est lui qui doit maintenant se dépêtrer. Mais ça ne me sort pas pour autant de la maison de retraite. Va! Qu'on me laisse tranquille! Merci quand même d'être passé me voir. Il y a si longtemps que j'attendais la visite de quelqu'un.    

6 - Recherché : rédacteur de signalisation routière

Les panneaux d'affichage aussi ont une grammaire

a pancarte à l'entrée de ce restaurant était on ne peut plus claire: « Attendez d'être assis s.v.p. » Je compris aussitôt : «N'allez pas directement au comptoir; attendez plutôt d'être assis à une table pour passer votre commande à un ser-

veur.» J'allai donc m'asseoir, mais rien ne se passa. Je dus lever la main plusieurs fois pour qu'on s'occupe de moi. Quelque chose ne tournait pas rond, c'était évident. Avais-je mal vu? J'allai relire attentivement. C'était bien écrit: « Attendez d'être assis. » C'est alors que j'aperçus la version anglaise: « Please wait to be seated », c'est-à-dire, «Attendez qu'on vous désigne une table» (littéralement : «Attendez qu'on vous asseoie»). J'étais tombé une fois de plus dans le panneau de la traduction bancale. Le jour de la Fête nationale! Car ce n'était pas la première fois que je me faisais prendre, ce même jour, avec une pareille approximation. Une heure avant je m'étais buté au Bureau de poste fermé: « Jour férié... Ce bureau de poste sera fermé... Nous serons ravis de vous servir alors. » Quoi? C'est quand le Bureau de poste sera fermé qu'on sera ravi de nous servir? Là encore, j'avais dû me tourner vers la version anglaise « We look forward to serving you then. » Ce qui, pour quiconque connaît quelque peu les subtilités de l'adverbe then, se traduit par: « Nous serons ravis de vous servir par la suite (then = furthermore). »

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De traducteur à rédacteur, à réviseur, à grammairien Je quittai donc le restaurant sans m'attarder à l'affichette « Recruitement immediatte de cuisinier », me disant que, parmi toutes les tâches du traducteur, il devrait y en avoir une plus immédiatement consacrée à la rédaction de panneaux d'affi-chage. Traducteur ? Pas seulement. Rédacteur aussi. Ou réviseur. Ou grammairien, je ne sais trop. Car c'est juste au coin de la rue que j'aperçus - on est toujours le 24 juin - ce placard de la Ville: « Travaux... Évitee le secteur. » Que nos Anglos écrivent mal notre langue, passe encore. Mais que la deuxième ville française du monde affiche ainsi son ignorance élémentaire de la grammaire, il n'y a pas de quoi être fier. Qu'on y crée un poste de rédacteur professionnel. Vite ! Pas si vite ! Vite ? Pas si vite. Ce ne sont pas les défenseurs de la langue qui manquent chez nous. À commencer par l'Office de la langue française et le Conseil de la langue française. Sans compter nos universités, qui ont toutes des programmes de promotion et de perfectionnement du français. C'est juste que la Ville ne tient pas tellement compte de cet aspect dans l'embauche de son personnel technique. Un rédacteur professionnel serait sans doute plus utile ailleurs. Mais où ? Je vous le donne en mille. Dans la rédaction de panneaux sans texte... Oui, sans aucun texte. Comme ceux de la signalisation routière. La grammaire des feux de circulation Les signaux lumineux et les panneaux de signalisation forment des phrases dont le sens doit être uniforme, en toutes circons-tances – et pas trop subtil –, afin qu'on puisse les comprendre en quelques secondes. Un vocabulaire, une orthographe, une syntaxe: une langue, quoi. Précisément, le matériel dont se sert un rédacteur. Si l'on y regarde bien, il y a beaucoup de travail pour lui. Qu'il lise simplement le Guide de la route pour percevoir toutes les imprécisions de notre langue visuelle. Ou qu'il en juge par lui-même en essayant d'interpréter correctement ce qu'il voit quotidiennement dans la rue. Les feux de piétons d'abord. Il y a ceux qui permettent la traversée de la chaussée dans toutes les directions et ceux qui ne le permettent qu'en un seul sens. Il y a ceux qui précèdent les feux pour voitures et ceux qui les accompagnent. Il y a ceux qui s'éteignent quand les voitures ont le droit de s'engager et ceux qui restent allumés. Six significations différentes pour ce seul type de signal. Comme si un même mot pouvait être défini de six manières. Le rédacteur professionnel se caractérise par son aptitude à s'exprimer en langage clair, en conformité avec l'objectif poursui-vi. Ici, la simplicité et la continuité s'imposent, vu les risques d'accident qu'entraînerait toute erreur d'interprétation. Il est donc grand temps qu'on fasse appel à lui. Prenons un autre exemple, celui de l'interdiction provisoire de virer à gauche à un feu vert. Elle est illustrée par un feu rouge, piqué d'une flèche, qui s'éteindra quand le cycle des feux permettra le virage. Or, une enquête a montré qu'un nombre élevé de chauffeurs interrogés croient qu'il signifie plutôt: «Arrêtez-vous avant de tourner.» Même le chroniqueur de La Presse a dû corriger son erreur à ce propos. D'où vient le malentendu? De ce que, dans un autre contexte, le feu rouge - clignotant - a précisément cette signification. D'où des chauffeurs déboussolés. Or, ici encore, le rédacteur professionnel sait bien que, dans toute application technique, les mots doivent impérativement avoir un sens univoque. Sans compter l'erreur «syntaxique» que constitue le fait de placer dans une même «phrase» une invitation à tourner (la flèche) et une interdiction de le faire (le feu rouge). Les grammaire des panneaux Les panneaux maintenant. Vous êtes-vous déjà rendu compte qu'ils constituent une longue phrase ? Voici une analyse éclair de ce qu'on vous dit tous les jours quand vous prenez la route et, en conséquence, ce que vous devriez comprendre spontané-ment... s'il n'y a pas trop de distorsion. Ces phrases comprennent trois segments. 1. La forme du panneau d'abord. C'est ce que vous apercevez en premier, de loin. Elle vous indique la nature générale du message qu'il contiendra mais que vous ne pouvez pas lire encore parce que vous êtes trop loin. Voici les principales de ces formes :

- Carré ou rectangle : Voici une simple information. - Losange : Attention ! Danger. - Octogone : Arrêt droit devant. - Triangle : Vous n'avez pas la priorité. - Pentagone : Vous entrez dans un zone scolaire.

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2. La couleur du fond, ensuite, qui intervient comme en redondance, pour que le message à venir s'inscrive mieux dans l'es-prit (car, ne l'oublions pas, vous êtes en mouvement). Ici encore, voici les plus usuels :

- Blanc : Une simple information vous attend. - Noir : Vous aurez l'obligation de... - Rouge : Il vous sera interdit de... - Jaune : Vous devrez bien surveiller... - Orange : Prenez garde aux travailleurs. - Vert : Seuls sont autorisés...

3. Enfin, le symbole - l'information spécifique du panneau - qui se dévoile à mesure que vous approchez. Ce symbole com-porte deux éléments: 1) un pictogramme (flèche, chien, camion, etc.); 2) un idéogramme, c'est-à-dire une graphie visant, par convention, à transmettre une idée (autorisé, interdit, prioritaire, etc.). Ce qui donnera par exemple : «Soyez informés (pan-neau carré et fond blanc) que les chiens (pictogramme) sont interdits (idéogramme).» Des fautes de syntaxe Tout cela semble simple, mais il y a une syntaxe à observer comme pour n'importe quelle langue. Et comme pour n'importe quelle langue encore, que la faute est donc facile! Je me souviens avoir vu sur un panneau, à l'entrée d'un parc, une série de pictogrammes indiquant les types de véhicules qui y étaient interdits, de la bicyclette à la motoneige (il y en avait bien sept ou huit). Puis, au bout de cela, on avait ajouté le picto-gramme d'une bouteille (interdiction de boire). Le rédacteur de ce panneau ne semblait avoir saisi l'incongruité: l'alcool n'est quand même pas une façon de se déplacer, sauf dans un sens très, très métaphorique! D'accord : de façon générale, les panneaux de signalisation se font aisément comprendre. Ainsi un panneau de forme losange à fond orange signalera une situation risquée attribuable à des travaux. Un jeu de flèches vous indiquera ensuite la marche à suivre. Mais que faire devant deux panneaux qui inscrivent exactement le même message, mais dans une présentation diffé-rente : forme losange et fond jaune pour le premier, forme carrée et fond noir pour le second ? Ce sont des situations de ce genre qui témoignent des fréquentes imprécisions dans l'écriture des panneaux et, conséquem-ment, de la nécessité d'un rédacteur professionnel pour mettre de l'ordre dans leur grammaire, éviter les accidents et con-fondre les contrevenants. De tragédie à comédie On dira que, dans toutes les langues, il y a des «verbes irréguliers». C'est trop facile! Car l'on oublie que nous sommes face à des situations où tout se déroule très vite et où un contresens peut conduire à une tragédie. Ou bien, à une comédie, comme dans le cas suivant. Voyez, au début d'un trottoir,

1 - ce panneau de forme carrée (simple information), 2 - sur fond blanc (information en rappel), 3 - portant un double pictogramme: homme et bicyclette (l'objet) 4 - et un cercle vert (idéogramme d'autorisation exclusive).

Traduction: «Ce trottoir n'est autorisé qu'aux personnes et aux bicyclettes.» Puis, au-dessous, en mots français, je lis: « Excepté véhicules autorisés. » Comment faut-il interpréter cet ajout en respectant la logique du panneau?

1 - Faut-il mettre l'accent sur la préposition «excepté»? Alors, seuls les véhicules autorisés ne seraient pas autorisés à utiliser cette voie? Ça ne tient pas debout. Ça ne peut pas être ça. 2 - Ou bien, faut-il regarder du côté d'«autorisés»? Alors, seuls les véhicules autorisés seraient autorisés à emprunter

cette voie aux côtés des personnes et des bicyclettes. Mais il s'agit d'un trottoir ! Quel véhicule, autorisé ou pas, circule sur un trottoir ? Parle-t-on ici de fauteuils roulants ? Vous voyez bien à quel point nous avons besoin de rédacteurs de panneaux de signalisation.  

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- Fin -

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