rassial, la crisis del sujeto

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Jean-Jacques Rassial, Éric Bidaud, Philippe Levy La crise du sujet Introduction Freud ne propose pas une théorie du changement possible dans une cure psychanalytique, ni celle des éventuels états successifs devant aboutir à une guérison ou, en tous cas, à une modification conséquente de la position subjective. Son enseignement même, à considérer ses der- niers textes, en particulier Analyse finie, analyse infinie ou Le Clivage, se conclut sur un certain constat d’impossiblité de penser ce change- ment. Ses élèves et successeurs, en fait, tireront les fils de ces ultimes tra- vaux pour tenter de franchir théoriquement et pratiquement cette limite, jusqu’à Lacan qui, dans la théorisation et surtout l’institutionnalisation de la passe, laissant de surcroît l’approche des modifications thérapeu- thiques, essaiera de produire, collectivement, un savoir sur la « muta- tion » de l’analysant en analyste. Or il faut bien considérer que, sur cette théorie du changement dans la cure, nous ne sommes aujourd’hui que peu avancés. À ceci plusieurs raisons : la première, remarquablement soulignée par Roland Gori dans La Preuve par la parole, est que la psychanalyse, comme d’ailleurs les autres grandes productions théoriques, scienti- fiques ou philosophiques, de la fin du XIX e et du XX e siècle, quitte, mal- gré les espoirs d’un Freud qui s’appuie encore sur le modèle thermodynamique de transformations entre matière et énergie et sur les lois d’homéostasie et d’équilibre, les principes, dominant la raison CONNEXIONS 76/2001-2 Jean-Jacques Rassial, professeur de psychopathologie à Paris XIII, Villetaneuse. Éric Bidaud, maître de conférences en psychopathologie à Paris XIII, Villetaneuse. Philippe Levy, professeur de psychopathologie à Paris XIII, Villetaneuse. Unité de recherches Psychogenèse et psychopathologie (Paris XIII, avenue J.-B-Clément, 93430 Villetaneuse).

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Artículo acerca de la crisis desde el punto de vista psicoanalítico

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  • Jean-Jacques Rassial, ric Bidaud, Philippe Levy

    La crise du sujet

    Introduction

    Freud ne propose pas une thorie du changement possible dans unecure psychanalytique, ni celle des ventuels tats successifs devantaboutir une gurison ou, en tous cas, une modification consquentede la position subjective. Son enseignement mme, considrer ses der-niers textes, en particulier Analyse finie, analyse infinie ou Le Clivage,se conclut sur un certain constat dimpossiblit de penser ce change-ment.

    Ses lves et successeurs, en fait, tireront les fils de ces ultimes tra-vaux pour tenter de franchir thoriquement et pratiquement cette limite,jusqu Lacan qui, dans la thorisation et surtout linstitutionnalisationde la passe, laissant de surcrot lapproche des modifications thrapeu-thiques, essaiera de produire, collectivement, un savoir sur la muta-tion de lanalysant en analyste. Or il faut bien considrer que, sur cettethorie du changement dans la cure, nous ne sommes aujourdhui quepeu avancs.

    ceci plusieurs raisons : la premire, remarquablement soulignepar Roland Gori dans La Preuve par la parole, est que la psychanalyse,comme dailleurs les autres grandes productions thoriques, scienti-fiques ou philosophiques, de la fin du XIXe et du XXe sicle, quitte, mal-gr les espoirs dun Freud qui sappuie encore sur le modlethermodynamique de transformations entre matire et nergie et sur leslois dhomostasie et dquilibre, les principes, dominant la raison

    CONNEXIONS 76/2001-2

    Jean-Jacques Rassial, professeur de psychopathologie Paris XIII, Villetaneuse.ric Bidaud, matre de confrences en psychopathologie Paris XIII, Villetaneuse.Philippe Levy, professeur de psychopathologie Paris XIII, Villetaneuse. Unit de recherchesPsychogense et psychopathologie (Paris XIII, avenue J.-B-Clment, 93430 Villetaneuse).

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  • scientifique depuis le XVIe sicle, dune causalit linaire et matresse (une cause, un effet ; chaque effet, sa cause). En rien la psychanalysene peut produire un discours prdictif, sauf sombrer dans lidologie,que ce soit sous le registre dune prtendue prvention des troublesmentaux ou, ce qui soulve beaucoup plus de questions, dans lantici-pation des consquences de lacte analytique.

    La deuxime raison est souvent rapporte au singulier de la cli-nique, dans la mesure o, si certes des structures cliniques sont rep-rables comme lensemble des combinatoires entre les lmentsconstitutifs de la subjectivit, suivant les approches topique, dynamiqueet conomique, la rencontre, de laisser place lanalyste dans la struc-ture, ne se rduit jamais ce que les positivistes, causalistes, dcriventcomme exprimentation cas unique. Cest, nous semble-t-il, le pointauquel est conduit Lacan, jusque dans ses essais de formalisation de lapsychanalyse par les mathmes et la topologie : il aboutit lide queles structures nodales pures, le nud borromen ou le nud de trfle, nese rencontrent, en ralit, que modifies par une quatrime consistance, chaque fois bricole sur un mode singulier, le sinthme, tel point quela consquence en serait la subversion de la nette solution de continuitentre nvrose et psychose.

    La troisime raison est celle que nous dploierons ici : tout change-ment de relle porte dans la vie du sujet, et de ce fait aussi dans la cure,se signe dune crise. L, trois autres remarques prliminaires notrepropos simposent.

    Dabord quil ne sagit pas de rduire la crise aux manifestationscritiques, cest--dire un signe pathologique au sens hippocratique. Eneffet, si lhystrie, nous y reviendrons, donne la cl de la psychanalyse,cest en allant au-del du discours quelle implique : les crises hyst-riques marquent dabord un chec du refoulement masquer le conflitintrapsychique qui oppose le dsir inconscient et limage moque ; enquelque sorte, elles constituent le signe dun accs la vrit. lop-pos dune pratique thrapeutique dont la vise est toujours sdative,selon un projet adaptatif de compromis, ou dlirant, de rsolution, lapratique analytique nous conduit considrer toute crise (nvrotique oupsychotique) comme mergence du sujet de linconscient, par la voiedun conflit insurmontable , cest--dire ni refoul ni projet. Autre-ment dit, la clinique analytique privilgie lmergence de phases aigussur le soutien une chronicit, dans la mesure o la crise, mme sousune forme clastique, est toujours une chance pour le sujet.

    Ensuite pour considrer les crises comme des moments de jugementet de dcision, proximit dune conception husserlienne. Ce nest paspar hasard que M. Klein et J. Lacan ont fond leur apport personnel surla rfrence majeure au bref article de Freud sur La Ngation. Nousnous y appuierons aussi pour dfinir la crise, en psychanalyse, commele concept du conflit, quil soit accidentel ou structurel, entre le juge-ment dattribution, dans la logique du processus primaire, et le jugement

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  • dexistence, dans la logique du processus secondaire, entre principe deplaisir et principe de ralit. Les crises du dveloppement, dont lissueest toujours incertaine (crises dipienne, pubertaire, adolescente, de lamaturit ou snescente), ne sont universelles que de suivre ceslogiques ; la solution possible, toujours sous forme dun compromis enopposition la crise, dpendant dune multiplicit de facteurs intra etintersubjectifs : de limage du corps ltat de la culture, en passant parles objets disponibles pour le sujet.

    Enfin, il sagit de montrer que la notion de moment critique, dansune temporalit logique, celle du sujet dsirant, subvertit la notion detransition. Outre que la psychanalyse, du fait de situer le sujet dans lin-conscient, au lieu dune dialectique insense entre la langue et les pul-sions, subvertit toute idologie du compromis considr commesolution, elle soppose la fois une historicit qui fait retour danslide dune issue positive, voire positiviste, aux conflits sur un modeno-hgelien le messianisme rvolutionnaire ayant dsormais limitses ambitions soutenir une idologie nouvelle et trs capitaliste delindividuel et une conception, plus social-dmocrate que stali-nienne, dun progrs par priodes de transition vers un accomplissementtout aussi idaliste. Cest aujourdhui, comme lavaient repr nagureG. Deleuze et F. Guattari, sur le terrain de la clinique et de la psycho-pathologie que se jouent, tout autant que dans lpistmologie, lesgrandes batailles philosophiques et idologiques.

    Nous en resterons pourtant, en mesurant ces consquences anthro-pologiques, quelques lments de rflexion.

    Crise et psychopathologie

    Les crises, les accs, les pousses volutives apparaissent dans lediscours psychiatrique pour dfinir un tat temporaire de dsquilibre,de changement remettant en question lordre ou la stabilit du sujet etdont lvolution est ouverte et variable. La crise participe ainsi de lasuccession de deux temps, celui de lincertitude et de lindcision, delangoisse ou dun sentiment de rupture, puis celui de la rsolution,dune issue favorable ou dfavorable.

    Il faut insister sur les notions de changement, de cassure et de sutureimpliques dans ltat de crise, qui portent ce champ du transitionneldans sa double signification dtre un temps de passage et un espace decrativit et de construction imaginaire. Cest ici que la crise participedune thorie du sujet et quil est possible de formuler que le sujet sesaisit dans la crise, se dpose en elle, non sans le risque de sa propreperte, de sy abandonner en tout ou en partie. Cest pourquoi il faut bienentendre que sous la crise se dessinent un choix ou un partage entredeux voies, que Derrida a pu ainsi formuler : La voie du sens et celledu non-sens ; de ltre et du non-tre. Partage partir duquel, aprs

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  • lequel, le logos, dans la violence ncessaire de son irruption, se sparede soi comme folie, sexile et oublie son origine et sa propre possibi-lit (Derrida, 1967, p. 97).

    Nous voudrions partir de lide que, dans le champ de la psychia-trie, la crise a fonctionn comme une ligne de dmarcation, une lignefuyante de constitution de la limite entre le normal et le pathologique.Ainsi la crise est une figure de franchissement de la limite ou, plus pr-cisment, de son dplacement. La psychopathologie eut ds ses origines rpondre de cette affinit entre crise et transgression. Ce quoi la psy-chiatrie a t renvoye, ce par quoi elle constitua son savoir, est la ques-tion pose par le sujet du rapport sa dlimitation, la fois constructionet dconstruction de son espace. Cest cette crise du sujet qui a fonc-tionn, pour la psychiatrie, la fois comme point dhorreur et raison desa fondation.

    Michel Foucault faisait remarquer dans sa srie de cours sur lesanormaux que la psychiatrie a situ dans la crise nerveuse lobjetprivilgi de son savoir et que la convulsion fut le prototype mme dela folie. La convulsion, nous dit-il, va devenir, ds le XVIIIe sicle, unobjet mdical privilgi. partir du XVIIIe sicle, on voit en effet laconvulsion ou tous les phnomnes apparents la convulsion consti-tuer cette espce de grand domaine qui va tre si fcond, si important,pour les mdecins : les maladies de nerfs, les vapeurs, les crisesLtude de la convulsion comme forme paroxystique de laction du sys-tme nerveux va tre la premire grande forme de la neuropathologie (Foucault, 1999, p. 207 et 208). En remplacement, peut-on dire, de lan-cienne possession, le corps convuls de la psychiatrie va tre unemanire de recoder, de rationaliser le corps thologique travers par laconcupiscence. Le systme nerveux, en prenant la place de la concupis-cence, va permettre lmergence de la sexualit dans le champ de lamdecine.

    Cest sans doute Charcot qui donna la crise nerveuse son pointingal de perfectionnement nosographique. Spasme, convulsion, syn-cope, catalepsie, extase ce sont toutes ces formes qui ont fascinCharcot pour constituer un tout, la figure gnrale et autonome de lhys-trie (en rupture avec lpilepsie) dont il fut le matre duvre, cest--dire un inventeur de formes. Chez Charcot, nonce GeorgesDidi-Huberman, lobservation tend moins une narrativit intime delhistoire pathologique qu une description bien faite des tats ducorps (Didi-Huberman, 1982, p. 29). Cest en la mise en plastique du corps en ses contorsions, en une certaine esthtique de sa visibilitqua consist linvention de Charcot. Il a construit un objet cohrent, laisol de tout un imaginaire de malfices dont elle procdait, pour las-sujettir son discours, celui de la science. Mais sil a construit une dra-maturgie de lhystrie, cest au risque de voiler ltre de la maladie, delui ter sa signifiance. Ce qui importait tait que lhystrie pour lil deCharcot existt selon un savant montage. Ce qui importe ici de relever

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  • est que le dlire terminal, la dernire phase de lattaque hystrique codi-fie par Charcot, est cette pnible phase o les hystriques se met-tent parler . Cest ici que par tous les moyens lon essayait darrterlattaque. Lhystrique ne devait pas tre saisie plus loin ds lins-tant o a parlait a devait cesser.

    L o Charcot fait finir lhystrie, Freud la fait commencer. La criseest avec Charcot une pure expression de la draison, un point de fuite oscoule le sujet, o il disparat. La perspective freudienne est prcis-ment de montrer que le sujet saffirme en raison dans la draison, cest--dire que la folie nest pas un morceau de nant ou de disparition, maisun nud de sens quil sagit de dcomposer pour introduire un ordre dedtermination et une intelligibilit. Lintroduction dun ordre de dter-mination dans lexistence humaine dans le domaine du sens sappelle laraison. La dcouverte de Freud, cest la redcouverte, sur un terrain enfriche, de la raison (Lacan, 1975, p. 10). Il sagit bien dintroduire dusujet dans la crise, cest--dire du dsir. La crise est ainsi une scne, une autre scne comme prsentification de linconscient. Le dsirfig dans le symptme aura se dire pour lever la crise. La crise nestpas somme de se taire, elle est au contraire conue comme productricede paroles, do procde le sujet en sa vrit. Et cest le sexuel au curdu conflit psychique, au cur de toute conflictualit qui apparat commevrit, faon pour le sujet de se dire sur lenvers de sa folie. Freud a prisla folie au srieux de son langage pour reconstruire la vrit morceledune exprience rduite au silence par le positivisme de son poque. Ila cr la possibilit dun dialogue avec la draison.

    Lextension prise dans le discours psychiatrique contemporain deltat dpressif (Ehrenberg, 1998) semble promouvoir un sujet dfait desa parole, stopp dans la plainte douloureuse de lui-mme : un sujetde dolance. Nous assistons un certain crpuscule du sujet qui sacrifieson propre questionnement la rponse mdica-menteuse de technolo-gies thrapeutiques normatives entirement tournes sur le symptmedans lignorance dun reprage par la structure. Une psychiatrie info-de une grille de lecture type DSM dcrte un hors sujet, peut-on dire,cest--dire un sujet qui renonce lui-mme dans le confort de ses mul-tiples tayages, un sujet addict, pour reprendre une notion en vogue, unsujet dans la jouissance de son extinction.

    Sommes-nous sortis dune re de la crise en tant quelle rvle unsujet, lrige dans une ascendance ? Le sujet est ascendant dans la crise,il saffaisse dans la dpression. Le crpuscule de la crise gale le cr-puscule du sujet.

    Crise et dveloppement : ladolescence en exemple

    Nous voudrions soutenir lide que ladolescent en crise fait sonentre dans lhistoire par le discours mdical sur le jeune masturba-

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  • teur tout au long du XIXe sicle. Cest un fait que la masturbation desadolescents mais aussi des enfants (et non pas, doit-on dire, celle desadultes) est devenue la cible de toute une littrature mdicale extrava-gante et aussi peu scientifique que possible. Cet acte, par lequel le corpssexu est reconnu en mme temps que redout, va devenir le lieu de toutun discours dexhortations, de conseils et dinjonctions destins auxadolescents et aux parents. Cet acte va devenir le stigmate du jeuneadulte, ce par quoi, peut-on dire, ladolescent va tre invent . Etcest aussi par cet acte que ladolescent est travers en lui-mme, tra-vaill de lintrieur par une force de mort et de dvastation qui fait lefond du discours mdical. Ladolescent masturbateur tend tout unchamp du monstrueux en lien avec la folie et la mort. Nous savons eneffet que la masturbation sera au principe dinterminables effets de dt-rioration. La masturbation, indique Michel Foucault, par le fait mmeet sur linjonction mme des mdecins, est en train de sinstaller commeune sorte dtiologie diffuse, gnrale, polymorphe, qui permet de rap-porter la masturbation, cest--dire un certain interdit sexuel, tout lechamp du pathologique, et ceci jusqu la mort (Foucault, 1999,p. 226).

    Lirruption du sexuel dans le discours de lAutre fonde la crise dujeune adulte, un sexuel qui dforme, principe de toutes les maladies jus-qu la dgnrescence et la cadavrisation de soi. Le jeune masturba-teur est harcel dans ce sexuel que les parents guettent, redoutent,assigent dun regard violeur et sducteur. Ainsi nous posons que lacrise de ladolescent, cest la crise de lAutre comme appel dusexuel autant que comme son recouvrement : paradoxe nvrotiquedune position qui ne veut pas voir ce quelle fait apparatre.

    La question de la crise dans son rapport lAutre pourrait tre poseen lien avec ce que Sandor Ferenczi nomme la confusion des langues. Lelien enfant/adulte cre les conditions dune scne de sduction sans bord,cest--dire dont il est difficile de sortir, scne qui se fonde sur une langueo retentit le heurt, une rencontre de crise entre deux champs de dsirs.

    La masturbation de ladolescent, qui na bien entendu pas attendu leXIXe sicle pour exister, apparat dans ce contexte, est invente comme problme ; et cest ce problme qui fait crise en tant que juge-ment port sur un intime inassimilable, traqu et objet de tous lesfantasmes. Ladolescent devient un corps surveill et ce corps rotiquesurveill devient le seul objet de sollicitude derrire lequel peine merger un sujet, un corps lextrme acphale dont on dnie la naturedtre surtout celui dun sujet. Cest en cette difficult runir, penserensemble corps et sujet, dsir et sujet de ce dsir, que peut tre entrevuquelque chose de central dans cette fameuse crise dadolescence.

    Winnicott considrait ladolescence comme un tat pathologiquenormal , reprenant ici une formulation que Freud appliquait ltatamoureux ou au rve. Ainsi serait-il anormal dy chapper, de mmeque la socit devrait bien se garder de prtendre y porter un remde.

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  • La socit, nonce-t-il, nest pas assez sane (cit par Mannoni, 1984,p. 30), cest--dire pas assez sense, insuffisamment dpasse dans sapropre crise pour rpondre celle de lautre. Par ailleurs la crise du sujetadolescent ne peut en rien tre le signe dune entre dans le patholo-gique. Si la crise dbouche dans le pathologique, cest peut-tre prci-sment parce quelle na pas su tre accepte en tant que telle.

    Contre lide de la crise dadolescence comme tat pathologique, uncourant solide de la recherche actuelle se reprsente ladolescencecomme un ensemble doprations psychiques aux fins dune refonda-tion de ce qui a t prcisment bouscul par le phnomne pubertaire.Cest cette refondation jamais aboutie qui permet de situer la crisecomme un temps logique de resubjectivation. Ainsi, ces oprationsadolescentes, adquates certes ce moment situable physiologiquementet socialement, excdent de plus en plus un temps donn. Ladoles-cence, comme concept, cerne une ralit des processus psychiques pluslarge que ladolescence comme priode et nous informe sur la construc-tion mme du sujet (Rassial, 2000, p. 748). Prfrer le terme dopra-tion celui de processus au cur de la problmatique adolescentepermet de sortir dune logique strictement dveloppementale pour autoriser un sujet ouvert ses propres inventions aussi bien qu sesdfaillances sans y voir les manifestations a priori dune cassure oudun garement.

    Le modle de la crise dans le champ de la psychopathologie pour-rait constituer une perspective clinique en soutien dune rflexion sur lanotion de transition psychique pour une approche des pisodes matura-tifs de lexistence, en particulier chez lenfant et ladolescent.

    La premire dimension des tats de crise (dont il faudrait soulignerson extrme sensibilit lidologie) est leur dynamisme volutif, cepar quoi un sujet est effet dun jugement (tymologiquement, krisisveut dire jugement) qui donne une direction son existence. Cest icique la crise, dans son rapport la transition, est rapport la temporalitdploye du sujet. Lhypothse peut tre que lespace de la crise, les-pace transitionnel et lespace analytique constituent un grand ensemblethoriquement cohrent o le sujet se met en jeu .

    Crise et cure

    La dynamique de la cure nest pas celle dun processus qui condui-rait progressivement une volution quon peut, bien sr, souhaiterpositive. Devrait tre dveloppe, au-del de cet article, la thorie de latemporalit dans la pratique analytique, en prolongeant Le Tempslogique et lassertion de certitude anticipe de Lacan o est prise encompte, comme raison de la pratique et de linterprtation, lintempora-lit de linconscient.

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  • Mais il suffit dun simple constat clinique pour lexprimenter :celui de lamnsie qui, du ct de lanalyste comme de lanalysant,porte sur la cure ; des dizaines, voire des centaines, de sances duneanalyse, ne reste, aprs coup, que le souvenir, diffrent pour chacun desprotagonistes, de quelques rares moments de dire et dinterprtation, desubversion plus que de transformation, o sest joue une mutation dusujet, de lobjet, du savoir, du champ de lAutre, voire du corps ou de lalangue. Certes, il y va dun nouveau refoulement, dont la logique esthystrique, mais pas seulement, car cet oubli ressortit aussi du refoule-ment originaire, cest--dire de la rinscription ou du reprage de lins-cription, de la lecture des signifiants fondamentaux du sujet ; autrementdit, il oprerait un rejet du champ conscient de la reprsentation de cesmmes signifiants premiers qui auraient merg dans la cure, et cetteopration serait une des conditions de la fin de la cure.

    Nous en revenons ainsi la difficult, pointe par Freud dans Ana-lyse finie, analyse infinie : linfranchissable du roc de la castration.Contrairement lespoir de Franoise Dolto, espoir somme toute hg-lien, qui conoit les castrations, alors au pluriel, comme une successiondpreuves qui, ngatives, se renversent automatiquement en humanisa-tion progressive, la rencontre de la castration dans la cure, non pas sim-plement comme exprience sensible de la sexualit, en tant quelle estinfantile (Rassial, 2001), mais comme doublement inscrite au fonde-ment de toute langue humaine et de lappropriation du corps propre,provoque, au vrai sens du terme, une crise.

    Si le projet de la cure est depuis Freud de transformer la souf-france particulire en malheur banal , cest--dire de substituer ausymptme individuel la reconnaissance des limites de lespce, les coor-donnes du rel, du symbolique et de limaginaire permettent de pensercette gnralisation, lenvers de lide usuelle de gurison. lanaly-sant qui tmoigne et se plaint de son impuissance, imaginaire, quelle semanifeste dans un symptme ou un malaise, il nest pas rpondu par unevrit, magiquement ou religieusement rvle, qui len soulagerait,mais sur un mode dont lanalyste nest quillusoirement le matre, parun savoir sans un sujet qui permette la mutation de cette impuissance enmesure des interdits, symboliques, qui font du symptme individualisla manifestation moque dun sinthme ncessaire et structural, toujourssexuel et social dans ses bases, jusqu la rencontre dun impossible,cette fois rel, dont la formule nvrotique la plus commune est celledun impossible symboliser le rapport sexuel, autre faon de dire lir-rductible de lcart entre homme et femme.

    Il ne sagit donc plus, lencontre du premier projet de Freud, de donner un sens au symptme en le traduisant en motions pulsion-nelles et reprsentations hisses de linconscient, mais de produire enretour, en ce lieu de pense, linsens du symptme, son impuissancemme rduire les interdits et impossibles quil recle, et de ce fait soninutilit.

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  • La phnomnologie de la cure analytique permet son cheminementsans cesse hasardeux de srie de crises qui surgissent dans lerre du sujetqui accepte cette paranoa dirige , toute ide dun progrs de la curequi reste le fondement des idologies psychothrapeutiques, de mmeque, comme la montr Marie-Claude Fourment, une thorie du dve-loppement qui inclurait les hypothses de la psychanalyse devrait sedbarrasser de lidologie progressiste qui imprgne la psychologie.

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